impacts et signification hydromorphologique de la crue du guil de juin 2000 (haut queyras)

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Delahaye D., Levoy F., Maquaire O. (Ed.), 2002. Geomorphology: from expert opinion to modelling. A tribute to Professer Jean-Claude Flageollet. CEREG, Strasbourg, SODIMPAL, Rouen. Geomorphology: from expert opinion to mode/Jing Impacts et signification hydromorphologique de la crue du Guil de Juin 2000 (Haut Queyras) M. Fort, G. Arnaud-Fassetta, E. Cossart, B. Beaudouin, C. Bourbon, B. Debail et B. Einhorn. Equipe Dynamique des Milieux et Risques, UMR 8586 P.R.O.D.I.G. Case 700/, GHSS, Université Denis Diderot, 2 pl. Juss ieu, 75 251 PARIS Cedex 05 Résumé: sultat de fortes pluies et d'une déstabilisation générale de l'hydrosystème d'altitude, la crue de juin 2000 provoqua la submersion et l'engravement de la plaine alluviale du Cuit, le sapement des berges, des changements de tracé de la rivière, et d'importants dégâts matériels. Nous comparons cette crue à celle de 1957, montrons les relations entre granularité du matériel mobilisé, modalités d'écoulement et de transport, pente des drai ns et énergie du relief, et nous interrogeons sur Le rôle de tels événements catastrophiques dans l'évolution morphologique des bassins de haute montagne. Mots clés : crue torrentielle, géomorphologie fluviale, puissance spécifique, compétence, capacité de transport, gestion d'hydrosystème, Alpes du Sud [Abridged English version on last page] 1. Introduction Près d' un demi-si ècle après la crue catastrophique de juin 1 957, la haute va ll ée du Gui! (Hautes Alpes) fut, en juin 2000, de nouveau affectée par un événement hydro- morphologique majeur, à l 'origine de graves dégâts causés aux infrastructures et co nstructions de fond de va ll ée. Notre étud e, basée sur des re l evés précis de terrain comp lé tés par l 'a nalyse de photos aériennes, a pour ob j ecti fs (1) de préci ser l es ca ractérist iqu es morpho-dimentaires et morpho-hyd rol ogiq ues de cette crue, (2) de compa rer ses effets avec ceux de la crue de 1 957, et (3) de s'interroger s ur la nature de tels évé nement s (forte magnitude/faible fré quence) et s ur leur importance dans l 'évo lution morphodynamique des hauts bassins versants montag nard s. 2. Des pluies extra-ordinaires sur des reliefs fragiles Du 10 au 14 juin 2000, l es bassins du Haut-Guil et de ses tributaires de rive gauche (Ma loqueste, Ségure, Peynin et, dans une moindre mes ure, Ai gue Agne ll e) [Fig. l] reçurent de fortes préc ipitations pluvieuses (total cumulé sur 72 heures : Abriès 276 mm, Saint- Yéran 202 mm, Château-Qu eyras 140 mm). Associées à une situation de Lombard e, ces plui es ont co rrespon du à l' advection de ma sses humid es instabl es en provenance de la Méditerranée (dépression s ur le Golfe de nes), forcées à l 'asce ndance au contact du ma ss if du Viso [1]. Comparée à ce ll es de I 957, 1 ' in tensité journali è re des précipitati ons de juin 2000 n 'a pourtant rien eu d'exceptionnel. Les valeurs maximal es furent enregistrées le 13 juin: 89 mm, 87 mm et 49 mm respec ti vement pour Abriès, Sa int-Véran et Château- Queyras (les 1 3- 14 juin 1 957, il était tomb é 202 mm à Abri ès et 190 mm à Château- Queyras). Mais le ur persistance sur quatr e jours a permis d' obtenir des cumuls (276 mm, 202 mm et 140 mm pour les trois stations) compa rab les à ceux de la mi-juin 1957. 159

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Delahaye D., Levoy F., Maquaire O. (Ed.), 2002. Geomorphology: from expert opinion to modelling. A tribute to Professer Jean-Claude Flageollet. CEREG, Strasbourg, SODIMPAL, Rouen.

Geomorphology: from expert opinion to mode/Jing

Impacts et signification hydromorphologique de la crue du Guil de Juin 2000 (Haut Queyras)

M. Fort, G. Arnaud-Fassetta, E. Cossart, B. Beaudouin, C. Bourbon, B. Debail et B. Einhorn.

Equipe Dynamique des Milieux et Risques, UMR 8586 P.R.O.D.I.G. Case 700/, GHSS, Université Denis Diderot, 2 pl. Jussieu, 75 251 PARIS Cedex 05

Résumé: Résultat de fortes pluies et d'une déstabilisation générale de l'hydrosystème d'altitude, la crue de juin 2000 provoqua la submersion et l'engravement de la plaine alluviale du Cuit, le sapement des berges, des changements de tracé de la rivière, et d'importants dégâts matériels. Nous comparons cette crue à celle de 1957, montrons les relations entre granularité du matériel mobilisé, modalités d'écoulement et de transport, pente des drains et énergie du relief, et nous interrogeons sur Le rôle de tels événements catastrophiques dans l'évolution morphologique des bassins de haute montagne.

Mots clés : crue torrentielle, géomorphologie fluviale, puissance spécifique, compétence, capacité de transport, gestion d'hydrosystème, Alpes du Sud

[Abridged English version on last page]

1. Introduction

Près d ' un demi-siècle après la crue catastrophique de juin 1957, la haute vallée du Gui! (Hautes Alpes) fut, en juin 2000, de nouveau affectée par un événement hydro­morphologique majeur, à l 'origine de graves dégâts causés aux infrastructures et constructions de fond de vallée. Notre étude, basée sur des re levés précis de terrain complétés par l'analyse de photos aériennes, a pour objecti fs (1) de préciser les caractéristiques morpho-sédimentaires et morpho-hydrologiques de cette crue, (2) de comparer ses effets avec ceux de la crue de 1957, et (3) de s'interroger sur la nature de tels événements (forte magnitude/ faible fréquence) et sur leur importance dans l'évolution morphodynamique des hauts bassins versants montagnards.

2. Des pluies extra-ordinaires sur des reliefs fragiles

Du 10 au 14 juin 2000, les bassins du Haut-Guil et de ses tributaires de rive gauche (Maloqueste, Ségure, Peynin et, dans une moindre mesure, Aigue Agnelle) [Fig. l] reçurent de fortes précipitations pluvieuses (tota l cumulé sur 72 heures : Abriès 276 mm, Saint­Yéran 202 mm, Château-Queyras 140 mm). Associées à une situation de Lombarde, ces pluies ont correspondu à l' advection de masses humides instables en provenance de la Méditerranée (dépression sur le Golfe de Gênes), fo rcées à l 'ascendance au contact du massif du Viso [1]. Comparée à celles de I 957, 1 ' intensité journaliè re des précipitations de juin 2000 n 'a pourtant rien eu d'exceptionnel. Les valeurs maximales furent enregistrées le 13 juin: 89 mm, 87 mm et 49 mm respectivement pour Abriès, Saint-Véran et Château­Queyras (les 13- 14 juin 1957, il était tombé 202 mm à Abriès et 190 mm à Château­Queyras). Mais leur persistance sur quatre jours a permis d 'obtenir des cumuls (276 mm, 202 mm et 140 mm pour les trois stations) comparables à ceux de la mi-juin 1957.

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Figure 1 : Le bassin hydrographique du Guil dans le Queyras

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Alpes du Sud

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... LeGuil

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km

- - - - Limite des sous bassins

Superficie des bassins hydrographiques:

(1) Gu il : 475 km' (2) Haut-Gu11 : 26 km' (3) Ségure · 16 km' (4) Peynin · 15 km'

-- Ses pnncipaux affluents (5) Maloqueste : 0,94 km' (6) Peyronnelle · 0,41 km'

4

Cependant, contrairement à 1957, ces précipitations sont restées étroitement locali sées au secteur du Haut-Gui] et du Mont Viso, alors même que la plupart des versants étaient déjà déneigés [2] [3].

Ces deux caractéristiques expliquent pourquoi la déstabilisation des bassins fut très brutale et plus précoce en altitude, même si celle-ci s'est ensuite propagée (en 48 heures à peine) à l'ensemble de l 'hydrosystème. En effet, les hauts de versant et les drains élémentaires, inscrits dans les schistes lustrés très sensibles au gel et se délitant facilement (cf. leur forte tectonisation), fournirent une quantité considérable de débris, dont les stocks potentiellement mobilisables avaient eu le temps de se reconstituer depuis 1957. Par ailleurs, la dissymétrie marquée des reliefs, opposant dans ce haut bassin des versants très raides (à contre-pendage), orientés vers l 'est et le sud-est, aux versants modérément inclinés (subparallèles au pendage des schistes) tournés vers l' ouest et le nord-ouest, fut un élément aggravant qui renforça l'impact morphologique des pluies [4] [5]. Venues du sud-est, celles-ci frappèrent directement les versants les plus raides, ce qui engendra un ruissellement instantané.

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3. Impacts hydro-morphologiques en altitude

Compte tenu de la configuration des impluviums et de l'abondance des débri s disponibles, les drains de premier ordre fonctionnèrent en laves et/ou écoulements torrentiels hyperconcentrés, transportant une abondante charge mjxte composée de fines et de blocs dont certains dépassaient 3,65 m3 dans le thalweg de la Peyronelle [Fig.2]. Dans ce cas, la granularité des blocs observés permet d'approcher la compétence (2,7 rn) ou la puissance spécifique critique (5489 W.m-2 [6]) des flux de crue.

Anitude (m)

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Figure 2 : Caractéristiques hydrosédimentaires de la crue du 13 juin 2000 dans le bassin versant du Peynin

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)47 625 JU 511 U 7 t4f 514

"' • ~"' Granularit6 du lit

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.., .... """ Ois1ance cumulée (rn)

Dans bien d'autres cas, les flots n'ont pu transporter que ce que le bassin versant leur fournissait soit, dans le cas des schistes lustrés, le plus souvent des clastes décimétriques à pluridécimétriques. La taille des blocs ne permet alors de rendre compte que de la compétence et de la puissance spécifique minimales de ces flux (voir infra). Le Plan de l'Alpe du Ségure fut recouvert d' épandages de 50 cm d'épaisseur moyenne sur une superficie de 0, 1 km2 [Fig.4a). Les torrents affluents de rive gauche du Peynjn (Peyronelle, Trois Arbres, Four à Chaux) furent particulièrement actifs [Fig.2]. Les débris mobilisés transitèrent le long de couloirs raides (::=:::550 %o) avant d 'être en partie déposés (aux ruptures de pente) sur les cônes préexistants, sous fom1e de levées [Fig.4b] ou de coulées de blocailles ayant emprunté d'anciens chenaux ou s'étant frayé un nouveau passage au travers de la forêt de mélèzes. Le cône de la Peyronelle fut particulièrement affecté [Fig.3], balayé selon plusieurs de ses génératrices par des coulées de débris se ramjfiant en de nombreux diverticules. Au grand volume de charges abandonnées sur ce cône ( 12000 m3

)

s'ajoute 1 ' imbrication spectaculaire des blocs au front des coulées, qui rend compte de la puissance des flux [Fig.3]. Les placages de boue et les écorces arrachées sur parfois plus d'un mètre de hauteur au-dessus des dépôts montre aussi l'effet de« peigne » exercé par les arbres. Enfin, les mul tiples chenaux creusés dans la partie inférieure du cône avant leur raccord direct au Peynin traduisent les possibilités de recharge en énergie, donc en pouvoir érosif, des eaux de crue.

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Figure 3 : Croquis morpho-hydrologique des impacts de la crue torrentielle du 13 juin 2000 dans le cours moyen du Peynin (levés de terrain 2000-2001)

Topographie

.,.....-'- Isohypse (équidistance 50 rn)

Dynamique et formes nivates

--{:> Couloir d'avalanche

_.. Avalanche post-crue {hiver 2000 /2001}

Hydrographte et formes fluviales

,......----.... Le Peynin (collecteur poncipa~

~---...._ Affluent à écoulement pérenne

Dra1n tempDfaire

.....-.... Terrasse (dépôts de la crue de juin 1957)

Localisation des sections en travers et des mesures de pente et des relevés granulornetrîques realisés dans le lit torrentiel du Peynm

Impacts geomorphologiques de la c rue de juin 2000

(\ Glissement de bas de versant fonctionnel (fourniture séd1mentaire abondante) E

/·~-'\, Glissement potentiel -ê (nombreuses cicatnces d'arrachement)

ùj

/-~~\ <ri Glissement en vo1e de stabtlisation

0 (reconquête de la forêt) èi ~ Coulée de débris sur les versants et cônes ' 0

~ Engravement des talwegs ()

La continuité spatio-temporelle paraît en effet évidente entre les drains de premier ordre et les affluents du Gui! comme le Peynin. Au niveau des confluences s'observe Je plus souvent une concentration de blocs métriques, double effet de la rupture de pente et d'un changement dans les modalités de transport (passage des coulées de débris/écoulements hyperconcentrés au charriage torrentiel) [Fig.2]. La concentration des eaux, grossies par les eaux peu chargées des versants de rive droite, permet à la fois la mobilisation de la charge de fond (défonçage locali sé des pavages) et l'érosion des berges d ' une part, le dépôt dans le chenal de bancs de matériaux très grossiers et mal triés d ' autre part. Ces processus sont discontinus et se relaient, dans l'espace et le temps (cf. les fluctuations d ' intensité de la pluie, les ruptures d ' embâcles, les segments de lits rocheux). La décroissance granulaire des débris vers l 'aval, observée sur de courts segments, est en fait contrecarrée par la recharge en blocs de gros calibre, réinjectés dans le système soit au mveau de chaque confluence de drains élémentaires de rive gauche [Fig.2], soit par

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sapement de berges et remaniement de dépôts anciens de cônes et/ou de colluvions [Fig.4d], soit enfin par apports directs des versants (glissements) comme cela a été observé dans les sections en gorge des cours inférieurs du Maloqueste, du Ségure et du Peynin [Fig.3]. Sur le Ségure, les engravements déposés par la crue de 1957 ont été en grande partie repris par la crue de j uin 2000, mais les apports directs des versants ont été limités en aval du fait des travaux de correction réalisés après 1957. Dans les gorges aval , non corrigées, du Maloqueste et du Peyrun en revanche, les versants ont abondamment alimenté ces torrents en charge solide (mélange de très gros blocs et de fines), engendrant des pulsations de laves torrentielles dont les dépôts ont atteint l'apex des cônes de confluence avec le Guil. L'énergie torrentielle délivrée dans les bassins d'altitude fut donc considérable : le long du torrent du Peynin, nous avons estimé les puissances spécifiques [7] entre 227 W.m·2 et 1404 W.m·2, alors que sur le Ségure, elles ont été estimées légèrement en deçà, de 121 W.m·2 à 1350 W.m·2. Au total, le torrent du Peynin a acquis au cours de la crue une capacité de transport comprise entre 11 2952 m3 (équation de Schoklitsch in [8]) et 152036 m3 [9]). Celle du Ségure fut moindre (45 147 m3 [9] à 50286 m3 [8]), sans doute en raison des ruptures de charge imposées par les ouvrages de correction du lit torrentiel, mis en place après 1957.

4. La crue dans la vallée du Guil

L'étalement des pluies sur quatre jours a provoqué le gonflement progressif du Guil nourri par ses affluents [ 4]. Le Il juin, le Maloqueste et les torrents affluents du Haut-Guil débordèrent brutalement, menaçant le hameau de 1 ' Echalp. Dans la nuit du 1 1 au 12 juin, le niveau du Gui! monta à Abriès et au niveau du camping du Gouret (situé juste en amont de gorges qui le séparent d 'Aiguilles), qui fut évacué au petit matin (près d 'un mètre d 'alluvions sableuses y sera déposé). Dans ces gorges [Fig.4c], Je Guil éroda la base des versants, déclenchant de nombreux glissements qui fournirent en abondance arbres et matériel colluvial, ce qui eut pour effet d'élever la densité du fl ot, sa compétence, et de favoriser les embâcles. Au sortir des gorges, le Guil quitta son lit et déborda en rive droite dans la zone artisanale d 'Aiguilles. Après une accalmie en fin de soirée et au début de la nuit du 12 au 13, la recrudescence des précipitations le 13 au matin, prenant en écharpe une zone allant d ' Abri ès à Saint-Véran, affecta particulièrement les bassins versants des torrents du Ségure, du Peynin et de l' Aigue Agnelle, ce qui provoqua les dégâts les plus importants. Le Peynin sortit alors brutalement de son lit en se décalant sur sa rive droite, bloquant les écoulements du Guil qui s'ouvrit de nouveaux chenaux de part et d'autre du pont amont ; la zone artisanale d'Aiguilles, dans la plaine des Ribes, fut noyée [Fig.4e, 4f]. En quelques heures, le Haut-Gui! se transforma en un torrent ravageur. Les puissances spécifiques jusqu'à la Roche Ecroulée donnent des valeurs entre 128 W.m·2 et 11 28 W.m·2,

pour une capacité de transport comprise entre 37 133 m3 [9] et 63999 m3 [8]. Plus en aval, le gonflement des eaux permit au Gui! d'atteindre un débit estimé à 120 m3.s·1 à Abriès et à 180 m3.s·' à Aiguilles, pour un débit moyen annuel de 6 m3.s· ' et un débit moyen en juin de 18 m3.s·' à Aiguilles [ 1 0] ; de la Roche Ecroulée à Château Queyras, la puissance spécifi que s'établit entre 7 1 W.m·2 et 276 W.m·2, pour une capacité de transport allant de 17242 m3 [8] à 19603 m3 [9]. La crue provoqua la submersion et l'engravement d' une grande partie de la plaine alluviale, le sapement généralisé des berges et, d 'une façon plus systématique, des changements de tracé de la rivière qui réoccupa pro parte un espace investi au cours des dernières décennies par des équipements variés (endiguements, captages d 'eau, routes, campings, zones artisanales, pistes de ski ... ). En fait, le Guil a

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réoccupé un "espace de liberté" qu ' il avait lui-même construit et envahi lors de précédentes crues(1408, 1409, 1412, 141 9, 1431, 1704,1788, 1810, 1948, 1953 et 1957) [11).

Figure 4. A: accumulations du Plan du lac (bassin du Ségure). 8 : levée de RD du torrent de la Peyronnelle, déposée dans la partie amont du cône (le niveau à troncs et racines

jalonne la surface du cône antérieure à la crue). C : gorge du Guil entre le camping du Goure! et Aiguilles (vue vers l'aval). La rivière, bloquée sur sa rive droite par le mur

de soutènement de la D 947, a sapé les schistes de la rive gauche qui, déstabilisée, fournit une charge sédimentaire abondante et t rès hétérométrique. D : berge sapée par la crue (RG du Peynin, aval de la confluence des Trois Arbres) ; les dépôts de cône contiennent

troncs fossiles (âge 14C BP = 4060±35). E et F: cône du Peynin pendant/après la crue

L'étude comparée des conséquences morphologiques des crues de 1957 [2] [3] et de 2000 montre 1 'efficacité des ouvrages de correction réalisés après 1957 sur le Ségure, le Lombard et 1 'Ai gue Agnelle. Les effets sur 1 ' aval habité de ces bassins versants, fortement atteints par la crue, n'ont été que minimes; la dégradation du chenal endigué de Ville-Vieille est davantage imputable à un entretien défectueux qu 'à une mauvaise conception de l 'ouvrage. En fait, les dégâts se sont surtout produits sur le cône du Peynin non aménagé alors même que des expertises en avaient montré la vulnérabilité [1 0]. Les modifications récentes de l'occupation des sols ont joué un rôle évident dans le déroulement et les effets de la crue 2000, en restreignant les possibilités de respiration de la rivière et en accroissant les enjeux, liés aux mutations économiques (touristiques en particulier) des quarante dernières années.

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5. Conclusion

L'étude des relations hydro-morpho-sédimentaires entre le Gui! et ses affluents montre bien que la formation des coulées de débris est fonction de la valeur de la pente et du degré de dissection des reliefs [ 12]. Les valeurs de pente proposées (>8011 000 [12]) suggèrent qu 'un torrent comme Je Peynin peut être parcouru sur l'ensemble de son tracé par des coulées de débris ; néanmoins ces valeurs doivent être modulées en fonction de la nature du substrat et de la fréquence des conditions climatiques favorables au déclenchement des laves. Comme Tricart [3] l' avait déjà montré, ces conditions sont assez rares au Queyras. Les données des archives documentaires et sédimentaires montrent cependant que ces conditions ne sont pas exceptionnelles, qu ' elles se sont manifestées à plusieurs reprises au cours de l 'Holocène [Fig.4d] et des temps historiques [1 1]. L'inventaire des événements qui se sont produits depuis juin 2000 (crue d' octobre 2000, avalanches de l' hiver 2000-2001, hautes eaux printanières de 2001) montre aussi que de tels événements d 'amplitude faible et moyenne sont actuellement efficaces pour 1 'exportation (par charriage et suspension) des débris hors du bassin versant, mais que leur rôle serait sans doute beaucoup plus faible si le système n' avait pas été préalablement et fortement déstabilisé par un événement « exceptionnel ». Ceci conforte l' idée que les événements de faible fréquence et de forte amplitude j ouent un rôle majeur sur l'évolution d 'ensemble des hauts bassins versants montagnards.

Références

[1] Météo-France et EDF. Bulletin météorologique de la crue du 13 juin 2000. 2 p. (2000). [2] Tricart, J. Etude de la crue de la mi-juin 1957 dans les vallées du Guil , de l'Ubaye et de la Cerveyrene. Revue de Géographie Alpine. 46, 4, 565-627 ( 1958). [3] Tricart, J. Mécanismes normaux et phénomènes catastrophiques dans l 'évolution des versants du bassin du Guil (Htes-Aipes, France). Zeitschrift fiir Geomorp hologie. 5, 4, 277-301 (196 1). [4] Beaudouin, B. et Cossart, E . La crue du Guil (Hautes-Alpes) du 13 juin 2000 : Réflexions préliminaires. Rapport de stage : été 2000. Parc Régional du Queyras et Université Paris 7 - Denis Diderot, 26 p . dactyl. (2000). [5] Beaudouin, B. La crue du Guil (Hautes Alpes) du 13 juin 2000 : ses effets morphodynamiques et les ajustements fluviaux. Mémoire de DEA, Université Paris 7 -Denis Diderot, 103 p. dactyl. (juin 2001 ) . [6] Costa, J.E. Paleohydraulic reconstruction of flash-flood peaks from boulder deposits in the Colorado Front Range. Geological Society of America Bulletin. 94, 986-1 004 (1983) . [7] Bagnold, R.A. An empirical correlation of bedload transport rates in flumes and natural rivers. Proceedings of the Royal Society. 372, 453-473 (1980). [8] Bathurst, J .C., Graf, W.H. et Cao, H.H. Bed Joad discharge equations for steep mountain rivers. In Thome, C. R. , Bathurst, J .C. et Hey, R.D. (Eds.) Sediment transport in gravel-bed rivers. John Wiley and Sons, Chichester, 453-491 (1 987). [9] Lefort, P. Transport solide dans le lit des cours d'eau. Dynamique fluviale. ENSHMG­INPG ( 1991) . [10] Koulinski, V. Etude hydraulique du torrent du Peynin sur son cône de déjection. Commune d 'Aiguilles (avril et octobre 2000). [11] Fanthou, T. Les risques naturels dans le département des Hautes-Alpes, chroniques et territoires. Thèse de doctorat, Université Paris 7 - Denis Diderot, 191 p. (1994). [12] Ohmori, H. et Shimazu, H. Distribution of hazard types in a drainage basin and its relation to geomorphological setting. Geomorphology. 10, 95-106 (1 994).

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Geomorphofogy: from expert opinion to mode/ling

Impacts and hydrogeomorphic significance of the june 2000 flood of the Gu il river (Upper Queyras, French Alps)

M. Fort, G. Arnaud-Fassetta, E. Gossart, B. Beaudouin, C. Bourbon, B. Debail et B. Einhorn.

Nearly half a century after the catastrophic flood of June 1957, the Upper Guil Valley (Hautes Alpes, France) was again affected by a major hydro-geomorphic event. Although of lower magnitude and of a somehow different nature from that of 1957, the 2000 flood nevertheless caused serious damage to infrastructures and buildings settled on the valley floor. From June 10 to 14, the catchments of the Upper Gu il and its le ft bank tributaries (Maloqueste, Segure, Peynin and to a lesser degree Aigue Agnelle) received abundant rainfall (Abriès 276 mm, Saint-Véran 202 mm, Château-Queyras 140 mm), which destabilised the entire hydrosystem. Cut into slaty, green schists bedrock, the upper slopes and first order streams provided a great quantity of debris mobilised as debris flows and hypersaturated flows. Part of this debris was then transported by the Guil tributaries (Maloqueste, Segure, Peynin), the channels of which were alternatively eroded and aggraded (Peynin specifie stream power estimated to range from 121 W.m-2 to 1350 W.m-2). Meanwhile adjacent slopes were locally subject to landslides. The Guil discharge was estimated to be 180 m3.s-1 at Aiguilles, for an annual mean discharge of 6 m3.s-1 and a June mean discharge of 18 m3.s-1 ( estimated specifie stream power from 71 W.m-2 to 276 W.m-2). The swelling of the Guil caused the submersion of, and the aggradation within, a large part of the flood plain, generalised bank erosion and changes in the river pattern. The river partially reoccupied sorne of its former (braided) channels, either abandoned or modified in their geometry by various structures (roads, embankments, water uptake, camping grounds, handicraft zones, ski !racks) built during the last four decades. The comparison of the geomorphic consequences of the 1957 and 2000 floods suggests the efficiency of flood control structures built since 1957 and the role played by the land-use changes that took place between the two events in the development and the effects of the 2000 flood. Also, the study of the hydro-morpho-sedimentary relationships between the Guil and its tributaries, in particular the bed grain-size, confirms the statement [12] that, in these mountainous streams, there is a direct relation between relief, longitudinal profile and the modalities of flow and transport. lndeed, smaller events that took place after the June 2000 flood (October 2000 flood, avalanches of late winter and spring 2001, high flows of late spring 2000) affected a formerly destabilised hydrosystem. This strengthens the idea that low frequency, high magnitude events such as the 1957 and 2000 floods are formative events controlling the evolution of upper mountainous catchments.

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