folklore paysan 1939

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FOLK ORE PAYSAN ÉDITÉ PAR L'ASSEMBLÉE PERMANENTE DES PRÉSIDENTS DES CHAMBRES D'AGRICULTURE EN COLLABORATION AVEC LEI DÉPARTEMENT ET MUSÉE NATIONAL DES ARTS ET TRADITIONS POPULAIRES MAI·JUIN ·JUILLET 1939

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FOLK ORE PAYSAN ÉDITÉ PAR L'ASSEMBLÉE PERMANENTE DES PRÉSIDENTS DES CHAMBRES D'AGRICULTURE EN COLLABORATION AVEC LEI DÉPARTEMENT ET MUSÉE

NATIONAL DES ARTS ET TRADITIONS POPULAIRES

MAI·JUIN ·JUILLET 1939

LVIDAL
Note
Notice bibliographique http://cataloguelabs.bnf.fr/ark:/12148/cb34426475g
LVIDAL
Note
Notice BNF http://cataloguelabs.bnf.fr/ark:/12148/cb34426475g http://catalogue.bnf.fr/servlet/biblio?ID=34426475&SN1=0&SN2=0&idNoeud=1.1&FormatAffichage=1&host=catalogue

2" Année.

FOLKLORE PAYSAN -------------·o~·--------

SOMMAIRE

Emile VAN MOÉ ..... La technique agricole dans l'ancienne France d'après

~ .. les enluminures des ma­nuscrits ... "........ . . . .... 57

E. VIOI,.ET ........... L'ancien et le nouveau vigne-rons maconnais ............ 64

Gabriel JEANTON .... !De quelques usages tradition­nels concernant la réparti­tion des terrains communaux dans la Bresse bourgui-gnonne ..................... 68

Charles ll'ARAIN ••••• Survivances de servitudes col-' lectives sur les prés à Gramat (Lot) .............. 69

,.;;- .

G.BoRÉA

J. MARGOT-DuCLOT

La vie dans les montagnes des Alpes-Maritimes ........... .

Le costume féminin dans l'an­cien comté de Nice pendant le XIX· siècle .............. .

Le cost,ume masculin dans l'an­cien comté de Nice pendant

71

72

le XIX· siècle ......... . .... 73 La campagne niçoise ......... 74

Chez les Vaudois des Alpes piémontaises .... . .... ... . . .. 76

J. BRULFER .... . ..••• Les grues, les roulées ou œufs de Pâques. - Une coutume qui existe encore à Thaas. 78

Dr BAUDOIN ......... Les œufs dans la construc-tion des maisons paysannes. 78

P. lruGOIN ......••..• Les oratoires des Alpes ...... 80

André CLÉMENT ...•• Les ostensions de St-Junien .. 81

J. et J. MARTEL ..... Renaissance des danses folklo­riques dans le marais ven-déen ........................ 82

C. MARCEL-RoBILLARD. Jours gras en Beauce. Char-traine ............... ,.. . . ... 84

C. MARC·EL-DUBOIS ••• Les danses de mai . , ....... , .. 811

MUSEES DE TERROIR :

P. TOULGOUAT ....... La publicité au Musée Fores-tier d'Hossegor .............. 87

M. DRUHEN , .l •••••••• Allocution aux écoliers Landais. 88:

S. PALAY ............ Le musée béarnais de Pau.... 90.

A. HUMBERT ........ Les collections du Musée Na-tional des Arts et Traditions Populaires

Ch. HALLO ........••• Le Folklore au a.1usée de la Vénerie

M,OUVEMENT FOLKLORIQUE :

Une crèche de Noël or,ganisée par les parois­siens-maraîchers de Montpellier. -- Rallu­mons les Feux de la Saint-Jean. -- TraditioruJ et Sociétés hippiques rurales : les Fêtes de la Bachellerie. -- Fêtes de Wissembourg. -­Antibes. -- A l'offic-e dies c-entres de cul­ture. -- Hommage 8JU folkloriste Saint yves. -- Art sacré. -- Vanneurs de blé. -- Le réveil de la Haute-Bretagne. -- A l'exposition de New-York. -- Les chanteurs Li:mousins à Paris. -- Meaux. -- Fougères. -- Grenoble. -- Un monument à J.-F. Bladé. -- Congrès

"1

iubilaire de la J .A.C. -- Tournus .......... 94·

BIBLIOG~APHIE 101

IMPRIMERIE NOUVELLE - AMIENS ---__ • aa. a. ~- -_. a •••• G •••••••••• aa Le Gérant L. r~RAULT •.

;

FOLKLORE PAYSAN

LA TECHNIQUE AGRICOLE DANS L'ANCIENNE FRANC'E

D'APRES LES ENLUMINURES DES MANUSCRITS

Nos lecteurs ont pu suivre les premiers efforts du Comité National pour le 400· anniversaire d'OLIVIER DE SERRES. Dans peu de jours s'ouvrira à la Bibliothèque Nationale une exposition qui ,repla­cera cette grande figure dans son cadre historique en évoquant aussi le thème grandiose du labeur paysan, tel qu'Hésiode, le vieux maître, l'a tout d'abord exprimé : Les Travaux et les Jours. Lente ascension de la technique rurale jusqu'à ces instruments classiques que seule l'industrie du XIX· siècle allait pouvoir améliorer; rythme des saisons, cycle des mois, c'est-à-dire de certains labeurs ,et de certaines fêtes traditionnelles ; enfin construction progressive de cette science agronomique nourrie de sagesse populaire, qui allait enfin trouver son expressioll. maîtresse dans ce Théâtre d'Agriculture et Mesnage des Champs que 1939 remet à l'honneur.

La Bibliothèque Nationale possède en effet une incomparable collection de manuscrits du Moyen­Age ol'1lés de miniatures et de dessins. L'intérêt des historiens de l'Art s'était tourné vers des époques plus récentes, du moins en ce qui concerne la peinture et le dessin. C'est seulement depuis peu d'années .que l'on s'est appliqué, en France du moins, à rendre l'art des manuscrits médiévaux accessible par la reproduction en couleurs, et l'on doit signaler à cet égard le remarquable effort poursuivi par M. Emile-A. van Moé, Bibliothécaire ail Département des Manuscrits, et ingénieur agronome. Par leur précision, par leur minutie naguère traitée de « naïveté », les auteurs de ces miniatures permettront bientôt ,aux historiens de. la technique agricole de suppléer ail manqlle de textes proprement techno-logiqlles. -

Ainsi émerge peu à peu de la nuit la stature chaque jour pllls nette d'un personnage anonyme, qlle l'Histoire et les Belles-Lettres avaient longtemps ignoré, et que le xx· siècle redécouvre enfin parce qu'il impose aux nations le souci de leurs forces humaines : cette silhouette géante, c'est pour nous le paysan toujollrs debout, le paysan « qui ne se cOllche que pour mourir », le paysan de la France éternelle..

Il Y a 'deux ans l'exposition des Enlumineurs fran­çais à la Bibliothèque nationale fut une véritable Tévélation de ce que contiennent les manuscrits à peintures. Elle n'avait eu d'autre précédent à la Bibliothèque que l'exposition des Primitifs français organisée en 19,02 par Henri BOUCHOT. Mais alors l'art était la question principale et les manuscrits, bien que .séparés, n'étaient montrés qu'en relation avec la peinture. C'est ce qui explique qu'ils furent choisis principalement parmi les œuvres des XIV' et 'XV· ,siècles. L'exposition de 1937 a poussé plus avant l'enquête dans le passé et a établi la conti­Imité des œuvres depuis les dernières années du Vlll· siècle. Deux présentations distinctes des mêmes volumes ouverts à des pages différentes ont permis de comprendre les richesses du trésor que conserve la Bibliothèque nationale.

Ce n'e,st pas que les divisions alors établies offrent toute la rigueur qu'exigerait une érudition impec-

G. H. R.

cable. La situation du chercheur d'enluminures ,est à peine plus favorable que celle des philologues à l'égard des textes au cours du siècle dernier. La synthèse de l'histoire littéraire n'est venue qu'en 'fin de compte et assez tard.

De même on a peut-être publié un assez grand nombre d'enluminures, mais en se limitant à leur photographie en noir qui, au début, par l'emploi de plaques orthochromatiques ne pouvait pas même rendre les valeurs. Le choix a été très arbitraire On a séparé les enluminures des textes pour lesquels elles étaient faites. Il semble enfin qu'on ait recher­ché plutôt la connaissance des ateliers artistiques que celle des sujets traités. On a rarement fait l'étude systématique des éléments d'information que les manuscrits donnent sur la vie contemporaine de leur

' exécution. L'histoire du costume est favorisée. Mais où sont par exemple des études sur les machines Ide guerre d'après les enluminures, sur les métiers, :sur

ies aspects anciens des viiies -1 Timidement, en 1937, il a été fait une petite place aux scènes populaires. Il semble qu'elle va ' s'agrandir.

L'exposition faite à l'occasion du quatrièmecen­tenaire d'OLIVIER DE SERRES doit être le point de départ d'une enquête approfondie sur la technique agricole dans l'ancienne France. M. G.-H. RIVIÈRE, l'actif et savant conservateur du Musée des Arts et Tr.aditions populaires, l'espère bien. Des dépouille­ments ont été commencés par M. André VARAGNAC, conservateur adjoint du .même Musée. Ils sont le prélude de collections photographiques constituées par M. MAGE'f et qui seront plus accessibles que les manuscrits. Avant l'exposition, il est bon d'indiquer sa nouveauté et SOn importance, ne serait-ce que d'après les ressources de la seule Bibliothèque natio­nale.

Le sujet de la vie rurale dans les manuscrits s'intégrant dans l'histoire des enluminures, on doit tout d'abotd marquer les grandes époques de celles­ci: du vtn° siècle, au moment où elles apparaissent, au XVIe siècle, date où l'imprimerie ne leur laisse plus qu'un'e place exceptionnelle. Au risque d'être un peu trop systématique, on peut découper ce long laps de temps (presque un millénaire) en trois tranches de . trois siècles.

La première est celle où domine au début la puis­sance carolingienne : on peut la prolonger jusqu'au x' siècle. Elle a produit, en fait de manuscrits à peintures, des livres destinés surtout au service de l'Eglise. Dans ce qui nous en est parvenu, l'orne· mentation est toute graphique, et dans les peintures à personnages, le paysage est pour ainsi dire inexis­tant. Les fonds sont de pourpre unie très caracté­ristique. La nature a peu de place, mais elle n'est cependant pas absente. On remarque ça et là des représentations d'animaux et de plantes de nature plutôt symbolique, intéressantes quand même. Dans une Fontaine de vie de l'évangéliaire de Charle­magne et dans une autre de l'évangéliaire donné par Louis-le-Débonnaire à l'abbaye Saint-Médard de Sois­sons, on voit des oiseaux de basse-cour, paons, pin­tades,. coqs au plumage assez réaliste, des animaux familiers comme le chien et surtout l'animal qui est le motif principal de la peinture : le cerf, « sicut cervus ad fontes aquarum ». D'autres évangéliaires plus tardifs donnent des scènes empruntées au récit sacré. Il y a dès cette époque des Nativités où le bœuf et l'âne occupent une place qui ne leur a jamais été ôtée.

Enfin l'époque carolingienne a connu sans les avoir inventées, puisque leur origine remonte à l'an­tiquité classique, les occupations des mois. Au IX' siècle en effet vivait Wandalbert de Prum, auteur d'un poème : « De mensium dZlOdecim nominibus, signis, culturis aerisque qzwlitatibus». Un manuscrit aujourd'hui conservé à Munich, dont la date peut remonter à 818, renferme une série de distiques consacrés à chaque mois et sur une même page des figures que nous retrouverons avec des variantes plus ou moins nombreuses dans les ealendriers mé-

diévaux. On peut reconnaÜre par eiempie pour faril vier, un homme accroupi se chauffant au feu. Juin va labourer avec deux bœufs. Juillet porte sur l'épaule une faux :

Quintilis falcem collo dum vectat acutam, Hel'bida pratol'um rura secare cupit.

Octobre est entre la vigne et le pressoir. Décembre abat un porc. Ce sont de simples figures, isolées et assez frustes. Elles montrent néanmoins que la con­naissance de la nature n'était pas exclue de ces siècles lointains. Ailleurs, un poète, Adalbéron, évêque de Laon, trace un portrait des paysans. La rareté des témoignages rend ceux-ci d'autant plus précieux.

La seconde période de l'histoire de l'enluminure française peut être qualifiée de capétienne, car elle s'étend pendant la durée des règnes de-s Capétiens directs, c'est-à-dire pendant le XIe, le XlI·, le XIU· ct même les premières années du XIV· siècle. Les livres à cette époque cessent d'être exclusivement des livres d'église. Pour ceux qui continuent à être rédigés en langue latine, on en voi t un plus grand nombre aux mains des princes, mais surtout ils servent aux étudiants des Universités. Le français fait alors son apparition et son importance devient de pIns en plus considérable. L'influence religieuse, cependant, reste très grande. Si l'enseignement dé­note un certain rationalisme, ce rationalisme s'ap­puie sur la Bible, et c'est là qu'il convient de chercher toute connaissance. Les premiers regards de l'homme médiéval sur la nature commencent pal' les journées de la Création. Il faut y chetcher ce qu'il pense des plantes ou des animaux. La chute de l'homme et sa sujétion au travail des mains est . un autre thème qui se développe dans les commen­taires de la Genèse. Le travail a toujours été con· sidéré au Moyen-Age comme inséparable de la condi· tion humaine. Celui qui apparaît le plus dans la Bible est précisément le travail des champs. Nous le trouvons, par exemple, dans le Livre de Job. Un commentaire de saint Grégoire sur Job, enluminé au XII" siècle, offre un magnifique dessin au trait représentant une scène de labourage. La charrue est à roues et déjà pourvue du coutre. Elle est tirée par

. deux bœufs que stimule un aiguillon. Le conducteur porte à la ceinture la hachette destinée à couper les racines trop fortes. Ailleurs, à propos du Livre de Ruth dans un exemplaire conservé à la bibliothèque de l'Arsenal, on trouve une remar<luable scène de moisson qui était faite alors à la faucille. Ces deux passages de la Bible offrent à l'iIJustration une place bien naturelle. Mais, parfois, les personn'ages rus­tiques se trouvent à des endroits inattendus, par exemple en tête de canons d'évangiles, comme dans un manuscrit de Luxeuil où, sur une page, on voit un paysan muni d'une bêche et un charpentier tra­vaillant à la hache. La bêche semble surtout em­ployée à briser les mottes de terre. D'autres pages présentent la taille de la vigne. Il faut encore citer le beau psautier tripartite de la Bibliothèque Natio­nale. Le manuscrit resplendit des enluminures à

fond d'or qui caracterisent les productions du règne de saint Louis. L'une d'elles présente simultanément unè scène de semailles et une scène de labour, tan­dis que d'autres petsonllages aiguisent leurs faux. Il est vrai que certains détails font crairidre ici des poncifs.

La littérature scientifique proprement dite com­mence à apparaître au XIII· siècle. L'une de ses pre-

dans la première encyclopédie composee en Prànc~; son Miroir, son Speculum. Est-il alors étonnant que, simultanément, la décoration florale se multiplie aux chapitaux des églises? Tout cela avait un sens bien défini.

Il ne faut pas quitter les Capétiens sans men­tionner un livre bien curieux qui fut offert à l'un d'eux, le roi Philippe V dit « le Long». Il s'agit de

. Araire méridional du .14· siècle (Nicolas de Lyre, Commentaire sur la Genèse, .Bibliothèque Nationale, ms. lat. 364, fol. 9),

mières productions est le Liber flol'idus de Lambert d'Ardres. La Bibliothèque Nationale en possède un exemplaire remarquablement enluminé. Sans parler des figures de constellations où sont dessinés un certain nombre d'animaux de la ferme, le Taureau, le Bélier, il faut noter, comme particulièrement ins­tI'uctives, des listes de plantes. Quelques enluminures essaient de donner les caractères des principaux nrbres : le peuplier, l'olivier, le cyprès, auxquels s'ajoutent la vigne et le rosier ... Un autre auteur sera cncore plus précis : c'est Vincent de Beauvais qui ~ fait. la synthèsc des connaissances de son temps

Cl. M. MAGET.

la Vie de saint Denis, composee par le moine Yves et offerte au roi par l'abbé Gilles de Pontoise. Elle est aujourd'hui reliée en trois précieux volumes conservés à la Bibliothèque Nationale. Dans le der­nier, les enluminures à pleine page sont divisées en deux parties. La moitié supérieure de la page est réservée aux épisodes de la vie du saint. Dans la partie inférieure, ce sont de minuscules tableaux de genre ayant pour cadre les ponts de la Seine. En ce qui concerne la vie rurale, on peut y remarquer un berger poussant devant lui son troupeau de mou­tons, un porcher et, SUl' lu même page, un bateau

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charg~ de melons, ~ moins qu'il ne s'agisse de citrouilles. Sur une autre page, on voit un bouvier et un bourgeois de Paris recevant un sac de grains ou de farine. En ce qui concerne les moyens de transport, on a des exemples d'une voiture à quatre roues destinée aux voyageurs et d'une charrette à deux roues chargée de gerbes qu'un paysan empêche de tomber en se servant d'une fourche. Ailleurs, c'est une brouette parfaitement dessinée et on re­marque que celui qui la pousse en allège le poids en utilisant des bretelles passées sur ses épaules. Une dernière enluminure montre la disposition des grands moulins de Paris.

Mais le rythme de la vie agricole se trouve surtout alors dans les calendriers. Nous les avons déjà ren­contrés à l'époque précédente. Chaque mois est symbolisé par un personnage. Ce personnage est encore isolé, mais son geste devient de plus en plus précis; nous trouvons à la mode du XIII· siècle le faucheur, le moissonneur, le vigneron, le tueur de porcs - pourquoi ne pas dire le boucher? -celui-ci parfois remplacé par le boulanger. Il faut noter que les calendriers à enluminures se trouvent principalement dans les livres d'heures et que ceux­ci prennent un immense développement à partir du ~I1I. siècle. Les livres d'heures de la Bibliothèque Nationale ont tous été décrits par le savant chanoine Victor Leroquais. Ce qui augmente leur intérêt, c'est qu'on peut, la plupart du temps, connaître leur pro­venance exacte et, à côté de types généraux et un peu conventionnels, noter certaines particularités locales très intéressantes. C;est ainsi que les calen­driers du Midi de la France ou de l'Italie du Nord ont en septembre le cerclage des tonneaux, ce qui ne se trouve pas dans les calendriers à l'usage du Nord. On consultera à ce sujet l'excellente étude publiée sur les occupations des mois par un jeune érudit tombé, hélas! dès les premiers mois de la Grande Guerre : Julien Le Sénécal.

Nous voici parvenus à la troisième période de l'enliJminure française, aux XIV· et xv· siècles. Sur cette époquè plane l'onibre de la Guerre dé Cent Ans. Mais cette longue période d'hostilités a , pIns dévié qu'arrêté le courant des arts. Au reste, elle comprend la panse du règne de Charles V le Sage. Grâce à l'influence heureuse de ce prince, l'art du livre a échappé aux ·difficultés de l'époque. Char­les V· l'a favorisé dans sa Librairie 'du Louvre, où il faisait trad~lire et ·enluminer un choix d'œuvres capitales. Les frères du roi, presque aussi puissants (lue lui, l'onf imité. 11 suffit d'évoquer ici les noms du ·duc Jean -de Berry et des ducs de Bourgogne, qui se _ continuent au xv· siècle par Philippe le Bon et Charles le Téméraire. Ce sont là des indications générales.

:. Mais, en ce -'qui concerne tout spécialement notre

sujet de la vIe rurale, l'art evolue précisément datls un sens qui apporte beaucoup de documents pour ce qui nous intéresse. En effet, le décor, d'abord composé d'un simple quadrillé or et couleur, de­vient rapidement formé d'un paysage de plus en plus rapproché de la réalité. Pour marquer cette transformation, deux enluminures suffisent. La pre­mière est tirée d'un manuscrit de la Cité de Dieu de saint Augustin, exécuté pour Charles V. Dans le catalogue de l'Exposition des Enlumineurs français, elle est désignée sous le titre de «Un accident à la campagne ». C'est bien, en effet, le sujet que l'enlumineur a voulu traiter, mais son décor rus­tique se limite à quelques arbres assez stylisés et il quelques lapins. Ces lapins et des chiens sont toutefois traités d'une manière assez réaliste. La seconde miniature provient d'un livre de la biblio­thèque de Philippe le Bon. Le fond est formé par un paysage avec rivière et moulin à vent. Ces mou­lins à vent, aujourd'hui de plus en plus rares, font vraiment partie du paysage médiéval et les enlumi­neurs les ont souvent figurés.

Pour trouver une image complète de la vie agri­cole d'alors, il n'est que de montrer le frontispice d'un manuscrit de la tradition française d'un traité de Gilles de Rome sur le Gouvel'nement des princes. Il a été exécuté à Rouen, vers 1420, peu après le désastre d'Azincourt. On voit, réunies dans un même tableau, les principales opérations de la vie rustique : les semailles, le labour, le hersage, le travail à la bêche et à la houe, ainsi que la taille des arbres. Il faut y remarquer le perfectionnement de la charrue, pourvue d'un avant-train et d'un système de réglage parfaitement distinct. On ne fera rien de mieux avant le XIX· siècle.

Quelle richesse documentaire offre la période du XIV" au XVI· siècle! On trouve des images de la vic des champs un peu partout. Par exemple, il est un exemplaire du Roman de Fauvel à la Bibliothèque Nationale qui n'a été étudié jusqu'ici qu'au point de vue philologique, pour ses interpolations spéciales, ct au point -de vue musical, pour certaines parties qui sont notées. Mais ce manuscrit n'est pas moins important pour le folklore, ne serait-ce que par ses illustrations avec des personnages à tête d'animaux et deux scènes burlesques d,ites «charivari».

Autres images chez les conteurs, les héritiers per­fectionnés des auteurs . de fabliaux. Au XlII· siècle, nous aurions dù mentionner les manuscrits du Ro­lllWl de Renart, où apparaît Chante cler, et aussi quelques Ysopets ou -fables. Mais voici le xv· siècle, avec des Miracles de la Vierge accompagnés de splendides grisailles. La bienveillance de la Viergc est surtout sensible à l'égard des petites gens. L'il­lustration les montre en tous leurs états. Elle nous conduit dans les tavernes ou ' hien devant la scène

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dramatique où le valet, que son maUre a fait tra­vailler aux champs le dimanche, est puni par le feu du ciel. On le voit gisant au sol près de sa charrue brisée et en flammes dans un paysage où se dis­tinguent, avec d'étonnantes précisions, les bâtiments de l'exploitation et les clôtures qui séparent le domaine.

Autres aspects de la vie rustique dans le Livre de la Chasse de Gaston Phébus, dont la Bibliothèque Nationale possède plusieurs exemplaires. Ce sont des valets et des chiens, la fabrication des cordes de chanvre; des repas champêtres ou plutôt sylvestres, des champs eux-mêmes aux lourds épis blonds par­semés de bluets et de coquelicots ..

Le Livre de la Chasse est évidemment un ouvrage destiné à la haute société, mais jamais le paysan n'est excltl des livres de ses seigneurs et maîtres. Dans des Recueils de figures composés pour les Robertet (il y en a un à la Nationale et un autre il l'Arsenal), l'homme des champs est à toutes les

pages comme l'acteur privilégié de proverbes figu­rés. Certains dessins offrent des détails précis SUI'

le battage des céréales et la disposition de l'aire; d'autres montrent des barques pour le transp'ort de sacs sur des petits cours d'eau; on remarque une vanne d'irrigation. Ailleurs, c'est un araire tout à fait spécial au Midi. Tout cela dénote une grande justesse d'observation. A côté de ces recueils de pro­verbes, il faut faire une place aux recueils de rébus, bien antérieurs à celui que Tabourot composa au XVI· siècle. C'était une manière de divertissement très populaire et nous y trouvons la figuration de nombreux instruments ou ustensiles aujourd'hui dl~­parus ou délaissés.

Mais tout cela ne représente que des aspects de la vie rurale. La théorie, l'exposé systématique se trouve dans des ouvrages spéciaux, peu nombreux, mais bien intéressants. J'en citerai trois. Le ' premier est connu sous le titre de Propriétaire des choses, c'est-à-dire de description des propriétés des choses. Il avait été rédigé en lutin par Barthélemi de Glun-

Ch;lrrue tourangelle en 1473 .(SaintAugustin, La Cité de Dieu, enluminée par Maître François de Tours;

Bibi. Nat., ms. franç. jjl, fol. j37). Cl. M. MAGET.

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L'ANCIEN ET L.E · NOUVEAU VIGNERONS MACONNAIS

Nos lecteurs connaissent déjà E. VIOLET, folkloriste et vigneron. Bourguignon cent pour cent et discip le de Gabriel JEANTON, il cultive sa vigne et sert la science. Nous qui avons eu la joie de lui rendre visite dans sa charmante maison du Mâconnais et qui sommes un de ses fidèles lecteurs, nous

savons ce que valent ses livres et son vin. Croyez m'en, ils sont bons. G.-H. R.

Tout comme l'industrie, et aussi l'agriculture, la viticulture a évolué, s'est transformée. L'ancien vi­gneron mâconnais, s'il revenait parmi nous, ne s'y reconnaîtrait plus, déconcerté, parmi les ceps aux formes changées, les bizarres instruments promenés aux pentes des collines, les pressurages faits au­tl·ement.

La tâche du vigneron s'est mécanisée, compli­quée ; elle demande aujourd'hui, pour l'emploi des machines inconnues jadis, pour la mise en jeu des traitements chimiques, une réflexion de tous les ins­tants, des décisions rapides dont dépend le sort de sa récolte. En perdant son caractère de sérénité rustique, de labeur tranquille aux gestes lents et appliqués dont le rythme immuable était réglé d'avance depuis des siècles, la vie de l'homme de la vigne a vu se dissiper une partie du parfum de poésie qui, au regard de ceux qui l'ont connu jadis, l'environnait dans son cadre rude et doux à la fois.

La plantation. - Planter la vigne autrefois, avant lç phylloxera qui a tout bouleversé, était à la fois très pénible et très joyeux : par troupes de dix et plus, maniant de lourdes pioches, on creusait et rejetait à grands gestes la terre derrière soi pOUl'

approfondir la grande entaille au fond de laquelle on couchait le long sarment qui allait devenir un cep. La pression du sabot du planteur posé sur le premier tiers de la bouture obligeait la partie qui allait devenir aérienne à se relever; le vigneron alors tassait la terre pal' dessus. Parfois, cette bou turc, on chapon, était déjà garnie de ra~ines par suite d'un séjour d'un an en terre : c'était une êchevoulée (1).

La troupe des piocheurs remuait et fouillait en­tièrement le terrain sur toute la largeur de la future vigne, qui pouvait être un pré, une friche même. On buvait beaucoup au cours du travail, on huchait avec force lorsque chacun avait atteint le bout de sa rangée; le repas du soir était copieux, on chan­tait de vieux airs .

On marquait chaque chapon d'une jolie chène­votte blanche qui la signalait et la préservait des heurts; on s'approvisionnait généralement de ces chènevottes auprès des gens des pays de Bresse, grands producteurs de chanvre qui venaient offrir leur marchandise légère aux vignerons du Mâcon­nais.

Aujourd'hui, le phylloxera a obligé à planter des boutures greffées de courte longueur, qui ne deman­dent plus le creusement de véritables fosses; on les plante même parfois sans le recours à la pioche, en les glissant simplement dans un trou étroit fait

(1) 'l'ous les détails qui vont suivre s' appliquent particulièrement au village de Clessé; des petites variantes de technique ninsi que

préalablement à l'aide d'un pieu de bois ou de fer. On les marque par un bâtonnet de noisetier ou

de bourdaine, car il n'y a plus depuis longtemps de chènevottes.

Le terrain est toujours préparé à la bêche ou à la charrue profonde; parfois même, celle-ci est remorquée par un tracteur mécanique.

La taille. - La charpente des ceps et, par suite, leur mode de taille pour les vignes rouges et surtout pour les plants blancs, s'est transformée sous l'in· fluence de l'introduction de la charrue, qui a elle. même entraîné la substitution du pieu et du fil de fer à l'antique échalas.

Autrefois, le cep de vigne rouge était évasé en forme de gobelet, il «faisait la marmite à l'envers» (la marmite de fonte de ce temps avait des pieds pointus destinés à la soutenir au-dessus de la braise de l'âtre). Le cep de vigne blanc, de la variété dite chardonnay, avait ses bras portant les sarments fruitiers palissés sUl' trois poissiaux (échalas) réunis par le sommet en forme de triangle.

Aujourd'hui, à cause du passage de la charrue qui a remplacé les piochages à bras, on veille à étaler la charpente des ceps sur un même plan pour éviter les accrochages désastreux.

Le pl'ovignage. - Autrefois, lorsqu'un cep vieilli, malade ou accidenté était à remplacer, on couchait en terre un long sarment provenant d'un cep voisin · sans l'en détacher; cette marcotte sortait de terre à la place de l'ancien cep : c'était un pl'ùye. Ou encore, on courbait le cep entier qu'on ensevelissait en ne laissant dépasser que ses principaux sarments, en nombre correspondant aux pieds de vigne voi· sins à remplacer, y compris le cep sacrifié lui· même; celui-ci se trouvait ainsi par cette même opération renouvelé et rajeuni : c'était une l'eCOl/' chée. Les sarments émergeant ainsi de terre produi. saient des raisins dès la première année.

On n'attachait que peu d'importance à l'aligne­ment des ceps. Les vieilles vignes, souvent cente­naires, étaient formées de pittoresques souches tor­dues, penchant à hue et à dia, couvertes de mousse; deI> nids de petits oiseaux, qu'on appelait des vignerons, se cachaient dans les plus touffus. Les escargots, après avoir clos leur coquille de leur jolie porte blanche, se terraient pour hiverner au pied des ceps biscornus. Au printemps, du petit cresson voisinant avec de la mâche (qu'on appelle ici de la levrette) parsemait les vignes et procurait de fraîches et précoces salades au vigneron.

de dénomination sont constantes d'une commune à l'autre.

Aujourd'hui, ·ies oiseaux ,ont fui ies vignes trop animées de chevaux et d'hommes; les escargots ont disparu, victimes des sulfatages et des soufrages, et la vigneronne ne trouve plus rien à cueillir sur la terre nue trop souvent bouleversée par l'aveugle charrue.

Le premier piochage. - Tout comme les hommes. à la seule différence qu'elles étaient munies d'une pioche un peu moins lourde, les femmes, à partir de mars, participaient au rude travail du piochage. La première façon, les semardeilles, ou les semards, était particulièrement pénible et fastidieuse.

Durant des semaines, on s'escrimait à détacher les mottes à grands coups de pioche fourchue, à court manche, et à les rejeter derrière soi, avançant avec une lenteur désespérante, tout en s'inquiétant de la bise persistante qui durcissait la terre de jour en jour, soit des pluies qui, au contraire, menaçaient de la transformer en mastic gluant.

Comme il fallait défoncer profondément le terrain tassé pal' l'hiver, il était d'usage pour le vigneron en travail d'être engagé jusqu'à la cheville dans la terre remuée, les pieds protégés par· des guêtres de toile, ou taI'l·ires. Aussi, quel appétit n'avait-on pas lorsque, à l'abri d'un vieux mUI'geI', on descendait faire quatre heures avec du fromage de chèvre et du pain bis!

Aujourd'hui, dans ce domaine . aussi, tout est bien changé : la charrue expéditive retourne la terre et le vigneron, avec une pioche mince et légère, n'a plus qu'à éparpiller l'étroite bande que le labour a laissée sur la ligne des ceps.

Les échalas. - Les vignes de jadis, avec leurs innombrables ééhalas en lignes parallèles, patinés par les pluies et le soleil, dont les armées pressées et compactes escaladaient les collines pour en déva­ler ensuite l'autre versant et s'étendre ainsi en une immense marée sur le vignoble entier, formaient la composante principale du paysage d'alors.

Tout l'hiver, on préparait ces poissiaux, on les pelait, On les fignolait, on les épointait à la veillée; ceux plantés déjà dans la vigne étaient arrachés et 'pis en chevrettes, grosses brassées soutenues, la pointe en l'air, par deux échalas en X, ou bien appuyées sur la fourche des deux branches maî­tresses d'un cep de chardonnay, après qu'on en avait bien aiguisé et refait à neuf les pointes en les pla­çant pour cela au-dessus d'une hotte posée en terre, l'ouverture béante, de manière que rien ne soit perdu, car en ce temps on était intraitable sur le chapitre de la parcimonie et de l'épargne.

Aujourd'hui, les piquets de châtaigniers ou de faux­acacia, solides et durables, plantés tous les trois ou quatre ceps et sur lesquels on a tendu des ran­gées de fils de fer parallèles, telles des portées de lllusique, ont remplacé les antiques poissiaux rangés en bataille et trop facilement chavirés par les vents. Mais, ombre au tableau, au lieu de pouvoir circuler avec aisance et en tous sens entre ses ceps isolés d'autrefois, le vigneron de nos jours n'a plus dans ·sa vigne que de multiples et incommodes allées pa­rallèles délimitées pal' les fils métalliques sur lesquels

sont palissés ies sarments feuiÎius portant ies raisins en croissance. .

La hotte. - Nous avons parlé de la hotte. Cet ustensile utilitaire était autrefois le compagnon insé­parable du vigneron; à l'aller comme au retour du travail, il faisait partie de sa silhouette.

Cette hotte, qu'il avait fabriquée souvent lui-même, contenait ses outils, son gOÎlter contenu dans sa fW'dame (sac de toile filée, fermé d'un cordon), son petit baril; elle servait à rapporter les ceps morts, les échalas brisés, les pousses inutiles qu'on avait mondées (détachées) pour la vache. Plus d'un jeune enfant, ravi de faire un si pittoresque voyage, y a trouvé place pour aller à la vigne. . La vigneronne, à l'heure du retour, retirant sa

capeline de soleil et confiant sa pioche à son homme qui suspendait celle-ci au devant de sa hotte, posait sur sa tête un rond et lourd ballot d'herbe fait d'un tablier aux quatre coins noués sur les tendres sene­cons et les souples liserons recueillis au cours du travail pour la chèvre ou la vache. D'un bras relevé à l'antique, elle soutenait le rond fardeau; d'autres fois, celui-ci étant simplement posé en équilibre sur sa tête, adroitement elle avançait ainsi, les mains aux hanches, dans le chemin pierreux. . Aujourd'hui, la hotte du vigneron a disparu (à l'époque seule des venda·nges elle réapparaît, muée en ustensile métallique) et, négligeant les herbes de la vigne, aucune vigneronne ne pense à se charger la nuque pour si peu.

Le poisselage. - Après le premier piochage, si pénible, on paisselait, c'est-à-dire qu'on plantait les échalas à raison d'un par cep dans les vignes à raisins rouges, et de deux ou trois, en forme de triangle fermé par le haut, pour chaque pied de chaI'donnay blanc. · Parfois, si le sol était trop sec, on avait recours il un maillet de bois, à une mail­loche de cave pour clwuclli (enfoncer à fond) les poissiaux, et alors, sur tout le vignoble courait le rustique murmure de castagnettes de ces coups de maillets éparpillés.

Le pliage . ...:... Les queues (coursons fruitiers) mé­nagées lors de la taille sur les ceps de chardonnay doivent être pliés, c'est-à-dire courbés avec précau­tion, et leur pointe, dirigée vers la terre, attachée avec un brin d'osier.

Autrefois, on n'aurait pas risqué de faire ce tra­vail difficile et important autrement que par parfait beau temps. Et, de peur des gelées néfastes de prin­temps, on attendait pour baisser ainsi les coursons vers la terre froide que les bourgeons, s'allongeant au soleil d'avril et de mai, ait déplié leurs fetülles neuves et aient laissé apparaître, parmi toute cette fraîche verdure, leurs embryons de raisins, bien visibles déjà et prometteurs d'un bel et riche au­tomne.

On reconnaissait que le moment était 'venu de palisser ainsi les queues, lorsque celles-ci, gonflées de sève et rendues flexibles, commençaient à se plier sous la charge de cette végétation nouvelle. Douze heures après cette opération, les ' .jeunes pousses issues ·de ces rameaux ainsi attachés, len-

tement se }:edressatent en tendiùit aux caresses du soleil leurs feuilles nouvelles et leurs menues grappes.

De nos jours, on plie les coursons sur leurs sup­ports de fils de fer dès février et même avant, si la température le permet; on ne peut attendre, car trop de travaux s'accumuleraient et le passage des chevaux et des charrues serait cause d'un néfaste massacre parmi les jeunes pousses si fragiles. C'est là un travail confié aux femmes j comme il nécessite peu de dépense musculaire, les ouvrières, qui le pratiquent presque toujours à des températures bien peu au-dessus du zéro du thermomètre, ont souvent grand peine à résister aux pénibles froidures de ces jours d'hiver.

Les piochages d'été. - Jadis, on piochait trois fois au moins : on sen1ardait (comme il a été dit plus haut), on benait et on tierçait. Les plus vail­lants, les plus orgueilleux de leur travail, quartaient encore, en août ou septembre.

Ces piochages occupaient les deux tiers de la vie du vigneron et de sa compagne. Ils partaient tous deux ensemble, la pioche à l'épaule, dès l'aube sou­vent. Pendant qu'ils s'escrimaient ainsi, les enfants qui étaient nombreux en ce temps-là, jouaient sous les ceps ou à l'ombre des têtes d'anbres (pieds d'osiers) qui garnissaient le chevet de chaque vigne. Pour les tout-petits, on glissait le berceau sous un cep; si un hambin était particulièrement indigne (bruyant, agité), une benne à vendange, petit cuvier ovale qu'on avait apporté à cet usage, lui servait de parc aux limites infranchissables et contenait efficacement ses turbulences.

Certains piocheurs ramenaient à eux la terre avec passion aux limites de leur vigne : il avait fallu tant de privations, tant d'épargne pour l'acquérir qu'on avait toujours peur de s'en voir dérober une par­celle, et ainsi, par peur d'une telle conjoncture, on préférait tirer à soi avec un peu d'excès, ce qui était finalement la cause que, chacun se livrant à la même pratique, des fossés profonds se creusaient insensiblement entre les vignes voisines.

De nos jours, la ' pioche s'est allégé.e, son fer s'es! aminci, elle n'est plus qu'un simple accessoire de la culture complexe de la vigne de nos jours et on ne se vole plus la terre à la limite des héritages.

Des insectes sournois, pyrale, cochylis, eudémis, se sont ligués avec les moisissures microscopiques ct redoutables du mildiou et de l'oïdium et ont imposé au travailleur moderne de la vigne tout un nouvel ensemble de besognes difficiles, absorbantf's, malpropres, minutieuses, qu'il faut répéter souvent et - là surtout est la difficulté - accomplir à jour exact : tantôt de l'eau bouillante ou des insecticides, tantôt des bouillies sulfatées ou des nuages de soufre sont transportés à dos d'homme, épandus, pulvérisés sans relâche pendant tout l'été: le vigneron d'antan, avec son labeur rude, mais tranquille, marchant de son pas d'horloge, ne connaissait rien de toute cette chimie, de tous ces ardus problèmes journaliers à résoudre dont dépend parfois le sort de toute la récolte.

L'approche des vendanges. - Ceux qui faisaienl

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quaire façons (c;esl-à-cÜi'e qui avaleIit ploché quah:é fois) avaient, en quartant, soigneusement veillé à laisser la terre hien unie, hien lisse sous les ceps de manière à ce qu'on puisse un peu plus tard ramasser facilement les grœmes (grains de raisin) tomhées par accident sous les pieds de vigne au joUI' des vendanges qui s'approchait.

Puis, on avait passé la minutieuse inspection des futailles, des cuves, du pressoir, . des charrettes.

Le vin blanc, en ce temps, se logeait exclusive·

Couple de vignerons mâcon nais d'autrefois rentrant de la vigne (il y a cinqua,nte ans}

ment dans des feuillettes (fûts de 107 litres) qu'on achetait chaque année et dans lesquelles le vin se vendait, contenant et contenu inséparables. Beall­coup de vignerons, tonneliers pour leur propre llsage, fabriquaient en été leurs feuillettes avec, sou­vent, du chêne refendu sur place; tout le village alors, si la récolte s'annonçait bien, vivait dans un gai tumulte de maillets sonores rehondissant sur les futailles neuves.

Aujourd'hui, on ne fabrique plus de ces feuillettes aux helles douelles de bois clair cerclées de châ­taignier noir; le vin part du cellier piteusement abrité en un immense et noir cylindre métallique que traîne un tracteur trépidant.

La veiidl1Îlgê. - Jadis, avant le jour, la louée des vendangeurs et vendangeuses s'établissait sur la place du village et chacun, emmenant avec lui un. deux ou trois étrangers venus des pays d'outre­Saône où il n'y a pas de vignes, les faisait tout de suite asseoir autour de la table éclairée par le creil­sieu de cuivre, car on veillait à prendre ce premier repas à la lumière, afin de pouvoir arriver à la vigne aux premiers instants du jour naissant.

A midi, on mangeait sur place, en groupe, à l'abri d'un pêcher ou d'un noyer; le menu était très simple, la coûteuse viande n'y figurant pour ainsi dire pas.

Le soir, après le souper, les hommes étaient occupés au pressurage, souvent fort tard. L'ancien pressoir, dit à grand-point, ne pouvait être serré convenablement que si de robustes bras alignés en grappe poussaient en cadence son long levier fait d'un baliveau de frêne.

Peu de marc restait sur la couche du pressoir lorsqu'on avait serré et coupé autant de fois qu'il avait fallu, car en ce temps on attendait la maturité complète du raisin, on le laissait levrouter, comme on disait, c'est-à-dire qu'on lui laissait atteindre un stade voisin de la pourriture noble, ce qui faisait que les grappes étaient « tout vin et tout sucre » et laissaient peu de résidu sur la maie.

Pour le vigneron de nos jours, il n'y a plus de louée sur la place avant l'aube; ses aides bénévoles ou rétribués s'offusqueraient de se voir proposer un repas à la vigne inconfortablement adossés à quelque vieux mur gel' moussu et le traiteraient de grigou si un ou deux copieux plats de viande ne leur étaient pas servis avec la suite abondante qu'ils doivent comporter.

Les pressoirs actuels sont plus rapides, plus éner­giques, moins encombrants, demandent moins de main-d'œuvre; on en voit même qui sont mus au

moteur, le câbie éÎectrique pénétrant maintenant partout.

Souvent, des caves coopératives modernes. englo­bant parfois plusieurs communes, y ont industrialisé le pressurage. Le vigneron y apporte le soir ce qUIt sa troupe de coupeurs a vendangé dans la journée, et le souci du pressoir n'empiète plus sur son sommeil.

Le vin est-il ainsi moins bon? On doit convenir qu'il a certainement perdu un peu de sa personnalité du fait que tout est uniformisé dans le pressoir géant et dans la cuve commune de ciment, puisque les raisins des vignes fines assises sur le rocher y sont mélangés avec ceux des basses terres trop fertiles.

C'est la rançon du progrès ... On a accepté celle-ci en tant d'autres cas qu'il faut s'en accommoder encore une nouvelle fois, puisque le vigneron, en fin de compte, y gagne d'avoir moins de peine.

Il lui reste encore assez de soucis, car bien des menaces planent toujours sur sa vigne et, hélas 1 comme pour son ancêtre à la lourde pioche cornue d'autrefois, la science des hommes n'a encore rien pu faire pour le préserver de ses deux plus grands risques : la gelée et la grêle.

Pourtant, tout comme ses devanciers, il lui arrive d'oublier tout cela provisoirement aux heures de détente, tel lorsque, sur le seuil de sa cave, sa tra­ditionnelle tasse d'argent à la main, humant et dégustant avec lenteur, il compare gravement son meilleur vin à celui de son compère le voisin, l'in­clinant savamment pour que se joue dans les fiori­tures brillantes du fond de la tasse le rubis ou l'or des vendanges dernières.

Emile VIOLET, Vigneron,

Lauréat de l'AcADÉMIE FRANÇAISE,

Membre associé de la Commission des Recherches collectives.

IV' CENTENAIRE D'OLIVIER DE SERRES (1539-1619)

Assistez à l'inauguration du

MUS~E OLIVIER DE SERRES Seigneur du Pradel

et aux FtTES EN L'HONNEUR D'OLIVIER DE SERRES

à Villeneuve-de-Jierg (Ardèche)

LE DIMANCHE 9 JUILLET 1939

RenseEgiIlements : Comité NationaL OLivier de Se7Tes, Maison des Chambres d'AgricuLture,

11 bis,rue Scrihe, PARIS (9') - 'Dé1éph. Opéra 59-90

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DE QUELQUES USAGES TRAI)ITIONNELS CONCERNANT LA REPARTiTION DES TERRAINS COMMUNAUX DANS LA BRESSE BOURGUIGNONNE

M. Gabriel JEANl'ON, Membre de la C.N.A.T.P., appal'tient à ce lle grande lignée de magistrats aux­.qllels sont tant redevables lettres et sciences françaises. Il veut bien désormais nous promettre une co llaboration sllivie. Ses œuvres SHI' le Mâconnais et la Bresse doivent figl1reI' dans la bibliothèque de tOllt BOUl'gllignon et de tout folkloriste. NOlls en publions la liste à la fin de ce Iluméro.

Il existe encore dans quelques villages d'outre­Saône, notamment en Bresse, d'assez curieuses cou­tumes traditionnelles concernant la répartition des biens communaux.

Nos pays de l'Est et du Sud-Est abondent en communaux de toutes sortes alors que l'ouest en est presque dépourvu.

Dans beaucoup de provinces françaises les biens communaux se limitent aux forêts et aux pâturages, ce sont généralement les seuls exemples donnés par les manuels de droit. Dans les terres d'Outre-Saône le patrimoine communal est souvent plus large et ~ 'étend aussi aux terres arables.

'Ainsi à Préty, situé outre-Saône, bien que dépen­dant du Mâconnais, où le patrimoine communal comprend 469 hectares sur une superficie totale de 1.232 hectares, o'est-à-dire dépasse le tiers du territoire, il existe encore 101 hectares de terres m'ables soumis à la propriété collective des habitants.

Ces 101 hectares sont répartis entre les habitants 'cn vertu d'un très vieux statut, certainement anté­rieur à la Révolution, et qui a été codifié dans une délibération du Conseil Municipal de 1861.

Ces biens communaux en nature de terres labou­rables eurent pour origine des défrichements qui paraissent s'être produits aux XVII· et XVIII" siècles.

A cette époque ces terres furent divisées en lots qui furent attribués à chaque feu.

A la fin du XVIII" siècle et au début du XIX" siècle la population ayant augmenté de nombreux feux, les plus récents, étaient privés de lots, aussi en 1860, pour faire cesser cette anomalie, le nombre des lots fut porté de 204 à 280 par suite de nouveaux défrichements. Mais postérieurement le nombre des feux ayant dépassé 280, un certain nombre de nou­veaux feux furent de nouveau dépourvus de lots. Cette situation anormale demeura telle jusque vers 1900, époque où, la population diminuant, tous les feux furent de nouveau pourvus de parts. Enfin, la dépopulation progressant, le nombre de lots dispo­nibles dépassa celui des feux. Ces lots en surnombre furent repris par la commune et reboisés.

Du reste, on constate que les bénéficiaires de parts ont tendance, étant donné le défaut de main-d'œuvre, à reboiser leur lot. On peut envisager à brève échéance que les terrains défrichés aux XVII', XVIII· ct XIX· siècles, vont être réincorporés à la forêt où ils formaient- des sortes d'essarts.

. (1) ~ Lam'os t, COllllllun e \yoi sin e llc celle de Préty, Je m ême usage " XI S!" lu . que vers 1860 . A cet.te époque cette commune ayant de ,lf l' OSSPS . charge·s, é diJi.~·ati.Qn de PégJise, d'unc mai,ri e e t. d' éc.oles, il fut déCIdé qu e les nttributaires r enoncerai ent il leurs lots ot que toutes lc-s te l'r l'S arables sernient rhaqu c ann ée ou périodiquement

Les conditions traditionnelles de répartition des lots sont curieuses et rappellent par bien des points la mainmorte réelle du Moyen-Age, en usage dans la région jusqu'à la fin de l'ancien régime dans beau­coup de seigneuries.

Les lots furent primitivement attribués par tirage au sort et devaient rester au chef de famille jusqu'à extinction de celle-ci.

Le lot était incessible, il ne pouvait être aliéné ou cédé, la cession à bail était sans doute autorisée mais était subordonnée au maintien du possesseur dans la commune.

Le lot retournait il la commune de plein droit si son attributaire quittait la commune pour se fixer ailleurs ; s'il décédait sans enfant résidant dans la commune; lorsqu'il s'agissait d'une femme, si celle­ci allait se marier en dehors du village. On voit l'analogie avec la mainmorte réelle. Les mêmes préoccupations aboutissaient aux mêmes effets assurer la culture de la terre concédée par les culti­vateurs résidant au pays.

Comme le mainmortable seigneurial de l'Ancien Hégime, le mainmortable communal de Préty ne peut au xx" siècle aliéner sa part de terre communale entre vif. Il ne peut tester et ne saurait transmettre à cause de mort qu'à ses enfants habitant avec lui et continuant la culture au pays. Il ne peut, sans perdre cette même part de biens communaux en quelque sorte appropriés, désavouer sa commune et aller habiter ailleurs ni se formarier en allant s'éta­blir par mariage dans une commune voisine, ca r dans tous ces cas la commune de Préty bénéficie­rait de l'échllte de la part comme le seigneur jadis bénéficiait dans les mêmes cas de l'échllte de son serf.

La commune de Préty n'est pas la seule à possé­der cette curieuse coutume de répartition des terres arables communales. Nous l'avons retrouvée dans une commune voisine, celle de Guisery pour le hameau de La Fontenelle. Dans ce hameau l'usage traditionnel s'était maintenu par voie de coutume purement orale sans codification moderne comme à Préty, aussi avait-il donné, bien avant la guerre, lorsque j'étais membre du Tribunal de LouhaQs, c'est-à-dire vers 1910, à des difficultés d'ordre juri­dique et administratif qui paraissaient à première vuc très ardues mais qui s'éclairaient à la lumière de l'usage codifié de la coutume écrite de Préty .

mi ses en ndjudj c~ {jo n et ndjug6e.s nu plus fort enchéri sseur. Les commun aux en terres ar ables sout donc mnintenant loués dans ce tte (' 01llI1lUl1 e et l'u ~ ilge traditionn el, sC'mblnble à celui ùe rl'éty, fi. ('C'ssé depuis plus <l'un demi s iècle.

Nul doute qu'il n'en existe encore d'autres exemples dans ces terres d'Outre-Saône qui s'étendaient entre l'antique Aral' et les premiers contreforts du Jura.

C'est un pays qui abonde du reste en propriétés communales, en bien collectifs 'dont l'origine re­monte à un très ancien passé et aussi en modes curieux de répartition, voire même d'appropriation traditionnelle.

J'ai signalé dans mes travaux sur le folklore mâ­connais et bressan cet usage bien établi dans la Bresse louhannaise de l'appropriation d'une parcelle de friche communale aux fins de construction.

Tout humain, citoyen ou non, sédentaire ou forain, bohêmien même, avait le droit incontesté de s'appro­prier une parcelle de friche communale pour y cons­truire une maison et y établir à l'entour un pour­pris, à la condition toutefois de pouvoir l'édifier cn une nuit, entre le coucher et le lever du soleil.

11 n'était pas rare de voir un jeune ménage de

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pauvres cultivateurs désireux de se séparer de leurs parents, travaillant pendant des mois à préparer une charpente de maison (en Bresse, non seulement le faîtage mais les murs sont en charpente) et venant la monter subrepticement entre le coucher et le lever du soleil avec des amis et des parents com­plaisants. Lorsque le coq chantait, ils étaient pro­priétaires et la commune ne contestait jamais leu!' droit.

Aujourd'hui de nombreux édifices (pauvres ma­sures, sans doute) qui se voient encore au coin des bois sur les bords des landes (les teppes) n'ont, semble-t-il, d'autre origine. On le sait et on se les montre encore curieusement comme le vestige d'un passé juridique pittoresque encore récent.

G. JEANTON

Membre de la Commission Nationale des Arts et Traditions Populaires

SURVIVANCES DE SERVITUDES COLLECTIVES SUR LES PRES A GRAMAT (LOT)

M. Charles PARAIN, dont nous avons déjà publié llll important travail S[/!' les techniques de battage et de dépiquage, iraite alljourd'hui d'llne question ri laquelle nOllS aimerions beallcollp voir des cultiva­tCllrs apporter de nOllDCallX matériallx. Signalez-nou, ce qlle VOIl.S aLirez pli. obsel'vel' de «sllrvivances de sel'vitlldes collectives Sll.l' les prés». Vos réponses çeront pllbliées.

On sait que dans les régimes agraires de l'ancienne FRANCE, les servitudes collectives, nota111ment celle de la vaine pâture, tenaient une place souvent essen­tielle. Le droit de vaine pâture s'exerçait sur les ja­chères, mais aussi, et cela est plus surprenant, sur les prés aussitôt après la première coupe. Celle-ci" terminée, les prés étaient ouverts à tout le bétail du village, de la communauté. Les prés, qui constituaient les biens-foncIs les plus précieux et les plus recher­chés, plus appréciés même que les vignes, étaient en grande partie possédés par les seigneurs, l'Eglise ou de~ propriétaires bourgeois : les paysans qui, en beaucoup d'endroits, éprouvaient des difficultés crois­santes à nourrir leurs bêtes et à « faire des engrais», étaient d'autant plus attachés à ces droits ancestraux de vaine pâture sur les prés.

Cependant, au XVIIIe siècle, la lutte contre les servi­tudes collectives, qui, dans quelques provinces, s'était engagée beaucoup plus tôt pour des raisons diverses et avec des succès variés, prit une grande ampleur, soutenue à la fois par les économistes et par les Pou­\'oirs Publics. Les vieilles pratiques communautaires sur les prés, malgré les résistances, disparurent alors rapidement, plus rapidement même que la vaine pâ­tUl'es SUl' les jachères: de nos jours, la plupart des villages n'en conserv~nt même plus le souvenir.

(Sur la disparition des droits collectifs sur les prés, voir Marc B~oGH ,: Les caJ'(lctères originallx de ['his­Loire rlll'ale fJ'(lnçaise, p. 213, et, avec plus de détails, les articles que le même auteur a fait paraître dans les Annales d'histoire économique, 1930, sous le titre

la lulte pOllr l'illdividllalisme a{jJ'(lire dans la FJ'ance du XVIIIe siècle.)

Cependant, toute trace de cette antique servitude n'a pas entièrement disparu. J'en citerai deux exem­ples, l'UIl dans les Bouches-du-Rhône, l'autre dans le Lot, par" conséquent dans des régions de la FRANCE qui ont la réputation d'être plus individualistes, moins attachées aux habitudes comlUunautaires qlle, les pays du Nord-Est. Comme ces exemples restent très l'ares et que l'intérêt ne peut manquer d'en apparaître considérable, il est à souhaiter qu'on relève avec beaucoup de soin et de précision tous eeux qui peuvent subsister ailleurs.

Le premier exemple nous est fourni par les Usages et règlements locallx des BOllches-dll-Rhône (édit. ESTIER et VIDAL-NAQUET, 1897) pour le village de Meyrargues. Il y existe une grande prairie naturelle, dont le sol appartenait aux anciens seigneurs : les habitants de Meyrargues ont le droit, ou tout au moins avaient le droit, à la fin du siècle dernier, de fouler leurs récoltes sur ce pré, de la Saint-Jean à la Saint-Michel. L'administration municipale déli­mitait chaque année des lots et les tirait au sort.

Mais l'été dernier, j'ai eu l'occasion de retrouver un exemple beaucoup plus caractéristique à GRAMAT, dans le département du Lot. Je tiens avant tout à remercier ici M. CAYREL, secrétaire de la Mairie de GRAMAT, qui m'a fourni, avec une obligeance inlas­sable, tous les renseignements que je lui demandais.

'GRAMAT se trouve , bâti sur la Causse du même nom, auprès du ruisseau de l'Alzou. Le fond de la

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vallée est occupée par des prés habituellement en­clos par de petits murs, comme les champs du pla­teau, ou de haies d'arbres. Pourtant, à l'est du bourg, on se trouve tout à coup en présence d'une immense prairie que ne coupe aucune séparation d'aucune sorte. Sur le plan cadastral, cette prairie, d'une su­perficie d'environ 47 hectares, porte le nom signi­ficatif de «Grande Prairie». Elle est aujourd'hui divisée entre 70 ou 80 propriétaires. Mais ceux-ci n'ont droit qu'à la première coupe de foin. laquelle doit être enlevée avant le 25 juin. Passé cette date, la Grande Prairie est, en effet, ouverte à tous les troupeaux du village, ainsi qu'à ceux de deux vil­lages voisins. Bio et Lavergne. En été, dans ce pays d'enclos où l'œil s'est habitué aux étendues sèches, à demi désertiques du Causse, c'est un spectacle à la fois curieux et reposant que ce vaste pré, agréa­blement vert, où parfois errent et paissent des cen­taines de bêtes de toutes sortes : la majesté. pour ainsi dire, patriarcale du lieu est encore rf'hau~sée par la présence à son extrémité occidentale d'un tumulus d'une forme assez régulière. Le pré Sf'rt aussi de champ de courses, les deuxièmes dimanche et lundi du mois d'aoùt, sans indemnité pour les propriétaires.

Il existe encore une servitude du même genre, mais pour un jour seulement, sur un pré d'un hec­tare environ également situé sur les bords de l'Alzou. L'après-midi du dimanche de Pâques, la population s'y rend en corps, précédée par la musique et, sur l'herbe, se déroulent des divertissements variés, les

Du bétail à quatre pieds ...

(Extrait du « Thédtre d'Agri­

culture et Mesnage des Champs »,

d'OLIVIER DE SERRES).

garçons et les fillettes s'amusant notamment à faire rouler des œufs peints et des oranges. Rien ne sau­rait mieux montrer le prix que la «communauté» de GRAMAT attache à ces droits collectifs que le fait suivant : une année, le pré s'étant trouvé inondé le jour de Pâques, à la suite d'orages, plusieurs habi­tants s'y sont toutefois rendus à cheval pour ne laisser place à aucune prescription.

En laissant de côté la servitude particulière au dimanche de Pâques, dénuée de caractère écono­mique, comment expliquer que des droits collectifs aient été maintenus d'une manière tout à fait extra­ordinaire sur la Grande Prairie de 47 hectares? C'est un problème auquel on ne pourrait apporter une solution simpliste. Sur le terroir de GRAMAT, les prés sont, en effet, relativement importants et n'ont cessé de se développer pendant le XIX' siècle. GRA­MAT, en 1827. possédait déjà 296 hectares de prés, à côté de 1.237 h. de pâtures, sur une superficie totale de 6.519 hectares imposables.

En 1892, la commune de RIGNAC fut séparée de celle de GRAMAT, avec un terroir de 941 hectares. Aujourd'hui, sur GRAMAT et RIGNAC réunis. on trouve 459 hectares de prés, donc en très sensible augmen­tation, à côté de 1.751 h. de pâtures. (N'ayant pu relever moi-même les chiffres pour RIGNAC, je les dois à l'obligeance de M. H. BONNASSIE, secrétaire de la Mairie, qui voudra bien trouver ici l'expres­sion de mes remerciements.)

Charles PARAIN.

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IV' CENTENAIRE D'OLIVIER DE SERRES (1539·1619)

Visitez l'Exposition

"D'OLIVIER DE SERRES et de CLt\UDE DANGON à PHILIPPE DE LA SALLE"

Exposition de soieries anciennes, en souvenir de la part prise par Olivier de Serres au développement de la sériciculture française

HOTEL VILLEROY, 34, Rue de la Charité. LYON OUVERTURE LE 16 JUIN 1939 CLOTURE LE 15 JUILLET 1939

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...,... 71

LA VIE DANS LES MONTAGNES DES ALPES-MARITIMES (1)

NOlis avons la bonne fortune de publier quatre textes spécialement préparés à l'intention de FOLK­LORE PAYSAN, pal' l'actif Conservateur du Musée Masséna, à Nice, M. G. BOl·ea. Lecteurs du Comté de Nice, ne manquez pas d'aller voir ce beau Musée, où vous trouverez d'excellentes vitrines consacrées au

Folklore de la région.

Il suffit de regarder une carte de nos montagnes pour se rendre compte que l'appellation d'Alpes-Mari­times donnée à notre département répond parfaite­ment à s.a configuration. La chaîne de nos Alpes, dont plusIeurs sommets dépassent trois mille mètres, n'est, à vol d'oiseau, qu'à une cinquantaine de kilo­mètres de la mer; elle pousse ses contreforts qui for­ment les grandes et les petites vallées jusqu'à la côte._

Sur leur versant sud (l'adrech), les orages les ravi­nent, le soleil les brûle, et le manque d'eau y empêche t0t.Ite végétation autre que celle des thyms, des gené­Vl'lers, des lavandes et autres plantes résistantes. Sur le flanc nord (à l'ibac), les pentes sont plus douces et l'eau plus abondante ; aussi on y voit des forêts de pins et, plus bas, des champs de culture entourant des villages.

Grâce aux nombreuses routes, de construction ré­cente, les amateurs des sports de la neige et les alpi­nistes peuvent facilement aller en automobile déjeu­ner à 2.000 mètres d'altitude, excursionner skier et être de retour à Nice à l'heure des hains d~ mer. '

Mais si le pays est admirablement doté au point de vue des sports, de la botanique, de l 'entomologie et autres sciences, il est p eu fertile et partant peu habité. La vie y était très dure autrefois; elle l'est moins auj~urd'hui que la prospérité de la Côte d'Azur pénè­tre Jus~ue dans nos "illages les plus reculés, mais elle est touJours p énible : aussi l'émigration vers les villes du ~ittoral se fait-elle plus sensible et les terres peu fertIles sont-elles abandonnées. Nos aïeux, ne possé­dant p as les moyens de locomotion actuels ni les ressources suffisantes pour parer à la famine toujours menaçante, devaien t tirer de leur terroir leur nourri­ture journalièr e ; aussi s'évertuaient-ils à mettre en culture les moindres coins productifs du sol. Les tra­vaux qu'ils ont accomplis s'y voient encore : ce sont des gradins en pierre sèche qui escaladent les mon­tagnes pour maintenir la terre nourricière souvent même apportée à dos d'homme. Ces murs tombent en ruines aujourd'hui et sont envahis par les pins et les broussailles. On ne cultive plus que les vallées et les plateaux p eu éloignés des villages. Et encore, les méthodes de culture sont-elles restées archaïques et routinières.

Presque tous les habitants d'un village sont pro­priétaires et il y a très peu de différence dans leur genre de vie. Tous ont besoin de fournir de longues et dures journées de travail sans le moindre espoir d'arriver à la fortune. Il y avait autrefois, dans les principaux villages, une petite bourgeoisie compos~e

(1) Causerie faite le 15 mar s 1939 à Tours à L'Inst-it"t de Tott. rai ne. '

de rares familles privilégiées, de quelques retraités et d'anciens émigrants ayant acquis dans les cités une modeste aisance. Cette bourgeoisie n'existe plus : la ville l'a conquise.

Si les facilités de communication ont incité le mon­tagnard à quitter son village, elles ont, par contre­coup, invité les citadins à visiter la montagne. En été, ils vont y chercher la fraîcheur et le repos; en hiver, les champs de ski et les séductions de la neige. Aussi, des routes nouvelles escaladent les hauts plateaux et des hôtels confortables s'y construisent. Cet afflux de citadins est une source de bénéfices pour les gens du pays et le contact qui s'établit entre eux ne peut être qu'à l'avantage de ces derniers. Il n'empêchera pas, malheureusement, l'exode vers la côte, et, au­jourd'hui, la plupart de nos villages ne compte même pas la moitié des habitants qu'ils avaient il y fi

cent ans. Le campagnard se nourrissait mal et insuffisam­

ment. Ses repas consistaient surtout de soupe et d'un peu de fromage. Le pain, produit avec les l'arines du terroir, était lourd et hrun. On ne pétris­sait que chaque quinzaine. Les jours de fête seule­ment on tuait un mouton ou deux dans les villages pauvres et, dans les autres, une fois par semaine ou par quinzaine selon l'importance de la population. Quand on voyait une ménagère se diriger vers la boueherie, on lui demandait si un membre de sa famille était malade. La saison la plus redoutée était le printemps, alors que les provisions d'hiver allaient s'épuisant et que les cultures ne donnaient pas encore leurs fruits. Ainsi donc les jolis mois d'avril et de mai qui apportent pour nous la joie des fl eurs et du renouveau étaient les plus pénibles pour les montagnards.

La propriété est très morcelée, car chaque famille a besoin d'un jardin potager, de prairies pour la provision des foins, dans les terres arrosables, d'une vigne, d'une oliveraie sur les hauteurs et pour le chauffage et la litière, d'un bois souvent éloigné : aussi les 'montagnards perdent-ils un temps précieux pour leurs déplacements. Le soir, on les voit rentrer au village derrière leur -âne, l'un et l'autre chargés d'énormes faix.

Le dépiquage du blé se fait encore par foulage ou battage. Dans le premier procédé les gerbes dénouées sont piétinées par les bœufs et les bêtes de somme tournant sur l'aire: par ce système la paille est mise en pièces. Dans le second, les gerbes sont battues sur une pierre plate posée en pente devant le tra­vailleur, puis fouettées d'une verge ou d'un bâton, ce qui protège mieux la paille. L'emploi du fléau se répand lentement dans les hautes vallées.

Le vin est excellent dans certaines régions et détestable dans celles où il 'est fait sans soins et conservé dans de mauvais tonneaux. On en boit fort 'modérément pour que la provision dure d'une ré­colte à l'autre. Mais dans les grandes circonstances chacun se rattrape et exalte son contentement par de nombreuses libations.

L'olivier est un arbre frileux qui ne pousse qu'au dessous d'un millier de mètres de hauteur. Il ne donne une récolte que tous les deux ans. Son huile est chez nous un des éléments indispensables de la nourriture quotidienne. Elle assaisonne les salades, de nombreux légumes crus dont nous sommes très friands, tels que tomates, poivrons, artichauts, con­combres, etc... Les paysans en font d'énormes sandwiches qu'ils emportent à la campagne et qui constituent leur repas de midi. L'huile cuite rem­place le plus souvent le beurre et la graisse dans les ragoûts et dans les soupes. Une mauvaise récolte d'huile est une calamité pour les pauvres gens; mais une bonne récolte est une source de revenus attendus avec impatience.

Les châtaignes, le maïs, dont la farine bouillie sert à confectionner la « polenta » chère aux Ha,' liens, les pois chiches, légumes secs peu connus dans le nord, que l'on assaisonne comme des hari· cots, fournissent un appoint considérable à l'alimen· tation des alpins. Le miel est réservé pour les pâtis. series obligatoires des jours de fêtes et pour les cas de maladie.

Le sel provient des marais salants de la Provence, Depuis 1388, date de la dédition du Comté de Nice à la Maison de Savoie, Nice était l'entrepôt d'une grande partie du sel consommé par le Piémont. Les transporteurs entretenaient à grands frais des sen· tiers à travers les Alpes que franchissaient de Ion· gues théories de bêtes de somme chargées de sel. Au XVIII· siècle seulement, une route charretable ,(plutôt que carrossable) passant par le col de Tende, fut construite entre Nice et Turin.

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Les autres ressources des communes des hautes vallées étaient les coupes de bois que l'on flottait jusqu'aux lointaines scieries, les locations des paca· ges, la vente du fustet ou sumac, arbuste autrefois employé pour la teinturerie, l'élevage des vers à soie, jadis prospère, la distillerie de la lavande. Chaque année, pendant l'été, de modestes bouilleurs transportent à proximité des villages leurs alambics, les installent sous quelques planches formant hangar ouvert à tous les vents et allument leurs feux. Alors, femmes et enfants vont cueillir la lavande sauvage dans la montagne, vendent aux distillateurs leur odorant fardeau et acquièrent ainsi quelque argent comptant bien gagné. La récolte finie, le distillateur disparaît avec son matériel jusqu'à la fin de l'année suivante. Cette industrie est en décadence par suite de la découverte des parfums synthétiques.

Autrefois on rencontrait dans les villages beaucoup d'hommes contrefaits par suite d'accouchements dé· fectueux, des goîtreux, des dégénérés victimes de la misère, de la mauvaise qualité de l'eau et des ma· riages entre proches. Aujourd'hui, grâce aux adduc· tions d'eau potable, à l'hygiène et aux soins médi· caux, la race s'est sensiblement améliorée. Moins nombreux, les paysans jouissent des récoltes des terres à meilleur rendement et ne connaissent plus la disette. La jeunesse est vigoureuse et saine, les femmes conservent plus longtemps leur beauté et les hommes ne sont pas voûtés avant l'âge par un travail ingrat. On s'habille mieux, les jeunes filles surtout, qui portent des chapeaux, des souliers, des robes claires achetées à Nice. Les taudis malsains de jadis, où gens et animaux vivaient dans une pro­miscuité insalubre, sont nettoyés, blanchis à la chaux et souvent abandonnés. Le travail est moins acca· blant et mieux rétribué. Enfin, les écoles ont déve· loppé la faculté de raisonnement et le sentiment de la dignité humaine.

LE COSTUME FEMININ DANS L'ANCIEN COM'TE DIE NICE PENDANT LE XIX' SIECLE

Les anciens costumes niçois différaient suivant la région où ils étaient portés, ville, campagne ou hautes vallées alpestres.

A Nice, lès étoffes présentaient peu de Ijarticula­rités : le peuple se contentait d'acquérir celles qu'il trouvait chez les marchands; il les choisissait toute­fois parmi les plus voyantes selon le goût méridonial.

Le costume se compose d'une jupe passée sur plu­sieurs jupons, fort ample, très froncée à la taille, descendant jusqu'à mi-jambe, d'un corsage serré, d'un tablier et d'un fichu aux vives couleurs jeté sur les épaules. Un modèle de corsage s'est longtemps conservé et on le retrouve dans la plupart des litho­graphies et peintures d'époque : par dessus le cor­sage proprement dit on passait une sorte de gilet Ou de boléro de nuance tranchante, étroit, sans manches, ne joignant pas sur le devant, mais que re1enaient des attaches liées sur la poitrine.

Dans la région montagneuse, il existait autrefois des fabriques de hure, mais en l'absence de teintu-

riers, les étoffes qu'elles fabriquaient étaient blan­ches, noires ou marrons, c'est-il-dire selon l'expres­sion locale «coulour de la bestia». Les costumes que l'on en tirait manquaient donc de variété et n'étaient pas plaisants à l'œil; aussi les femmes en relevaient-elles la monotonie par un tablier et un fichu de teintes vives. La poche était souvent indé­pendante de la robe; on la suspendait alors direc· tement à la taille. Enfin les femmes les plus pauvres endossaient une sorte de sarrau à peine évasé sur les hanches et tissé en poils de chèvre.

Les particularités du costume niçois résidaient surtout dans les coiffures. Les paysannes des envi­rons de la ville avaient adopté le ruban de velours ceignant la chevelure noué sur la nuque et dont les ganses et les bouts tombaient sur le cou et les épaules.

Dans la vallée de la Roya, les montagnards préfé· raient le « Touorsa ». Pour cette coiffure, une forte natte de cheveux et un ruban de velours sont tordus ensemble et cette torsade est posée autour de la tête,

du front il ia nuque. Suivant urie autre disposition, un ruban de velours, sans ganse, ni bout flottant, en­cercle le chignon. Cette coiffure ne rappelle en rien celle des Arlésiennes, le ruban étant moins haut et le chignon plus plat et plus étalé. La «touorsa» et le ruban ci-dessus étaient aussi portés ensemble, la « touorsa» placée en avant du bandeau de velours.

Sur leurs coiffures, les paysannes niçoises plaçaient la «capeline» qui n'est autre que le pétase des Grec­ques et dont l'usage remonte peut-être à la fondation de Nice par les Phocéens de Marseille. Ce chapeau en paille de riz très fine, non tressée, mais reliée par des fils croisés, était d'un prix assez élevé, tou­tefois sa solidité lui assurait un très long service. La «capeline» n'était pas d'un usage journalier : on ne l'utilisait qu'aux jours fériés et seulement pour se défendre du soleil. A l'ombre, on la suspendait au bras par des rubans, corilme un bouclier. Au tra­vail, la paysanne avait la tête simplement couverte d'lm mouchoir de coulèur. La «capeline» n'a jamais été garnie cIe fleurs, ni inclinée sur l'oreille comme la présentent les jeunes filles qui, dans certaines fêtes publiques, avec leur robe à large rayures l'ouges et blanches s'imaginent reconstituer le véri­table costume niçois.

Les coi fT tires les plus usuelles des femmes de la ville étaient le «Caireù» et la «Scouffia». Le pre­mier était formé d'une sorte de collerette en mousse­line brodée et tuyautée qui encadrait le visage. Un autre «caireù» consistait en une bande de mousse­line froncée sur le bord, qui, faisant deux fois le tour du visage, croisait sous le menton et se nouait au sommet de la tête, encadrant le visage de ses festons.

La «scouffia» n'est · qu'une sorte de «casque à mèches», dont la pointe se prolonge par une ou deux longues chenilles ornées de pompons. Elle est en soie (rarement en laine), travaillée au crochet et décorée de dessins géométriques en relief. On en voit de différentes couleurs, mais les rouges sont les plus nombreuses. Ce bonnet, posé légèrement en

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arrière retombe sur un cÔté, et ies cheniiIes, con tout­uant la nuque, sont ramenées au-dessus de l'oreille. Elles y sont fixées par une épingle à grosse tête dorée, de façon à laisser pendre pompons et bouts sur l'épaule. Un ruban cache le bord de la « scouffia » et s'épanouit en nœud flottant sur l'oreille opposée et sur le cou. Le «caireù» est complètement aban­donné, mais les poissonnières niçoises sortent encore la «scouffia» dans les solennités. C'est une coiffure Lrès gracieuse et très originale.

Quelques bijoux modestes, mais non sans carac­tère, complètent les costumes niçois. Ils étaient en or et constituaient les «Daurura» que les fiancés offraient à l'occasion du mariage. Outre l'anneau tra­ditionnel, la parure comprenait les boucles d'oreilles, la croix pectorale, le coulant et les grosses épingles de coiffure. Les boucles d'oreilles «pendin» étaient de gros anneaux ronds ou ovales, très minces, ornées d'un bouton auquel on accrochait les jours de fêtes deux longs pendants en forme de larmes «lu fus». En or massif, «lu fus» auraient bien pesé une demi­livre, mais ils étaient creux et forts légers. Ils pré­sentaient ainsi le double avantage de protéger les lobes des oreilles de la mariée et les finances de l'époux.

La croix, la «crous», était plate, lisse ou gravée, aux bras siniples ou fleuronnés suivant la fortune du fiancé.

Sur les plus riches on ajoutait un Christ en relief. Elle était pendue à un mince ruban de velours noir qui, passant par un coulant en forme de cœur, «lou couor d'amour», se nouait derrière le cou. Si le ruban est remplacé par plusieurs tours d'une chai­nette en or, d'ailleurs très modeste et très fine, «lou dadenoun », c'est là un luxe qui dénote la riche paysanne ou la petite bourgeoise.

Les costumes, coiffures, bijoux et tous souvenirs de l'ancien Comté de Nice sont réunis et exposés au Musée Masséna où l'on peut en acquérir une connais­sance plus complète que par notre description for­cément écourtée.

LE COSTUME MASCULIN DANS L'ANCIEN COMTE DE NICE PENDANT LE XIX' SIECL&:

Les costumes d'hommes, dans les régions côtières, étaient achetés tout faits dans les magasins et par conséquent étaient dépourvus de toute originalité.

Les pêcheurs, misérablement vêtus de défroques, conservaient seulement le vieux bonnet phrygien, coiffure populaire du bassin de la Méditerranée et que l'on porte encore dans les pays de religion musulmane, sous la forme modifiée du tarbouck et de la chéchia. Le bonnet des pêcheurs niçois était en laine rouge doublé de laine noire. Ils le retour­naient sur ses bords de façon à laisser voir, dans le bas, une bande noire de quelques centimètres et ils laissaient retomber la partie supérieure de côté .sur l'oreille ou par devant comme le bonnet phry­gien. Une autre partie du vêtement commun à tous les peuples méditerranéens était et continue à être la ceinture de laine rouge serrant la taille d'un dou­ble tour : on l'appelle ohez nous la «taïola l>. Enfin

les pêcheurs comme les paysans et une partie de~ hommes du peuple allaient nu-pieds et portaient à une oreille un tout petit anneau d'or.

Dans la montagne, les costumes étaient taillés dans de la grosse bure fabriquée avec la laine du pays, noire ou marron sans teinture. La veste s'arrêtait à la ceinture et le pantalon était assez étroit. Sur la chemise de toile rude, tissée dans les villages, on endossait pendant l'hiver, un gros gilet à manches de laine blanche tricotée. Le luxe de la cravate était inconnu. Le chapeau était en feutre noir, plat et à larges bords. -

Les bergers, et principalement ceux de la vallée de la Roya, conservèrent, jusqu'à la fin du siècle dernier, un costume archaïque, composé de la culotte à pont en poils de ·chèvre, de gros bas et gilet à man­ches en tricot de laine blanche, de la veste courte et, par~dessus, un ample manteau (la roupa) avec

coiiet en peau de mouton avec sa toison. Le bonnet . l'ouge et la «taïola», dont nous avons parlé, com­plétaient leur costume.

Tout homme fumait la pipe; une courte pipe en terre blanche dans les villes, et dans la campagne une pipe dont le fourneau était coupé dans un roseau ou creusé dans un petit fruit avorté de cognassier, avec le tuyau en mince roseau. Cette pipe s'appelait le «cachimbeau».

Les jours de travail, les cultivateurs, s'ils n'étaient pas nu-pieds, épargnaient leurs bas de laine en les

remplaçant par un chiffon de toile dont · Hs eniorl.­raient leurs pieds et leurs mollets et ficelé sur le pantalon. Ces chaussettes improvisées s'appelaient « chambairoum» ou «cambairoum». Nous ne croyons pas qu'on en fasse encore usage.

Le Musée Masséna présente dans ses vitrines un costume complet de berger avec la gourde en bois, dite «barla», portée en bandoulière et la besace de toile jetée sm' l'épaule. Ce costume est très rare aujourd'hui.

LA CAMPAGNE NiÇOISE.

Il n'y a pas cent ans, la ville de Nice était res­sen'ée entre la colline du Château, la rive gauche du totTent. « le Paillon » et la mer. Elle poussait des faubourgs vers le port, le long de la plage et au delà de ses ponts. La plaine qui entourait la ville n'était qu'un vaste jardin couvert de cultures maraî­chèl'es, d'arbres fruitiers et surtout d'orangers. Plus loin, sur le flanc ·des collines, s'étendaient les vigno­bles et les « oliveraies » qui tapissaient d'un gris bleuté le fond du paysage, dominé à l'horizon par la chaîne des grandes Alpes presque toujours blanches de neige.

Les derniers plans de ce vaste panorama n'ont pas changé, mais ne cherchons plus les jardins, les bois d'orangers et les haies de roses de la plaine ; les constructions les ont envahis, les ont détruits et déjà les toitures rouges montent à l'assaut des côteaux en ordre dispersé, pour ne pas dire en désordre.

Nice ne comptait qu'une vingtaine de mille âmes au début du XIX" siècle et une quarantaine à la réu­nion de Nice à la France, en 1860. Elle est devenue une grande cité de deux cent soixante mille habi­tants et sa population croît annuellement d'environ cinq mille personnes, sans que la guerre ni les crises de tous genres que nous subissons aient ralenti ce développement. Pour parer à cette prospérité débor­dante elle a dÎt construire sans répit et à la hâte des « palaces » ~n sacrifiant ses jardins et sa parure de fleurs. Elle est devenue la « capitale d'hiver » ; lIlais elle a payé de sa beauté naturelle son orgueil­leuse ascension. Transformés en avenues, les sentiers qui serpentaient à travers la campagne où remon­taient le lit des ruisseaux à sec, d'où les jeunes promeneuses revenaient avec des brassées de fleurs sauvages. Disparus, les champs d'orangers dont les hivernants avaient coutume d'acheter sur pied la récolte d'un arbre pour le plaisir d'aller cueillir eux-mêmes les fruits mf1rs. Arrachés, un grand nombre d'oliviers dont la loi protège si bien la conservation ! La villa moderne veut voir et être vue, il faut qu'elle baigne dans la lumière du soleil; elle n'admet dans ses parterres que l'exotique pal­mier et le mimosa qui fleurit en hiver ; elle ne conserve qu'un olivier pour la tradition et un oran­ger ou deux pour l'utilité et l'effet- décoratif,

Outre les villas, les oliveraies ont un autre ennemi mortel: la culture florale. Elle ne pouvait pas autre­fois être exploitée sur les collines faute d'eau d'arro­sage ; aujourd'hui irriguée, elle triomphe. La pros­périté commerciale de la fleur coupée, principale­ment de l'œillet, a couvert tels de nos côteaux d'une carapaces de serres vitrées dont la réverbération impose à nos yeux toute la laideur. A côté des serres, tirées au cordeau des alignements de plantes florales à culture standardisée étalent leur mono­tonie inesthétique. Les arbres ont été malheureuse­ment sacrifiés ; mais le produit de la fleur commer­ciale est largement rémunérateur, tandis que les récoltes d'olives n'ont lieu que tous les cieux ans et sont aléatoires.

La véritable campagne de Nice, il faut aller la chercher sur les hauteurs que n'atteignent pas encore les canaux d'arrosage. Là seulemen t, on rencontre ses anciens vignobles dans les bonnes terres ; ses forêts d'oliviers partout où ils ont trouvé llourrit~lre suffisante ; ses ' petits carrés cie légumes près ·des sources. Le sol y est pauvre, accidenté et avare pour le paysan qui, découragé, en néglige trop SOIl­

vent la culture. Mais de ces collines le promeneur découvre des panoramas magnifiques et des sites pittoresques qui se renouvellent il tous les tournants des sentiers.

La nature a tellement prodigué ses dons à notre pays, qu'il possède, il quelque cinquante kilomètres de distance il vol d'oiseau, des plaines au bord ' de ln mer, des collines verdoyantes toute l'année, cles montagnes abruptes dont les cimes blanches se dres­sent à plus de trois mille mètres de hauteur. Sur la côte en hiver règne une température de pays chaud, malgré les neiges et les glaciers de la région alpes­tre ; ici croissent les palmiers et mÎtrissent les bananes, hivernent les bécasses ; là-haut fleurissent les genépis et les édelweiss et habitent les chamoi~, les marmottes, les perdrix blanches. Pays de con­trastes se prêtant à ]a fois à l'étude des sciences naturelles, aux satis(actions artistiques, à la pratique des sports, pays non encore suffisamment mis en lumière, mais dont on ne peut nier l'intérêt. Les cinéastes ont bien compris ces avantages, car ils y trouvent réunis mer et montagne, grande ville et villages pittoresques et snrtout le soleil dont la

ciarté permet de réaiisel; des « extérieurs» en toute saison.

Le développement accéléré de la ville de Nice a eu pour conséquence, nous l'avons dit, de con­vertir ces champs de productions potagères en pa­laces et en avenues. Il a donc fallu trouver d'autres terrains d'exploitation rurale. On les a obtenus dans nos collines autrefois impropres à la petite culture faute d'eau, grâce aux nombreux canaux d'arrosage qui les sillonnent aujourd'hui, et dans les plaines de la proche Provence. D'autre part, on avait construit sur le côté gauche du Var un endiguement rétré­cissant le lit du fleuve sur une vingtaine de kilo­mètres, qui augmentait cette rive d'une bande de terrain d'alluvions et de marais. A la suite d'un lent colmatage cette zone, autrefois paradis des chasseurs, fut complantée d'arbres fruitiers et de plantes pota­gères, remplaçant avantageusement les jardins acea­parés par la construction. Toutes ees productions maraîchères sont centralisées sur le marché de Nice qui fournit, non seulement la ville, mais encore la Principauté de Monaco et toute la côte maritime depuis la frontière italienne jusqu'aux limites ouest du département. Bien plus, de nombreux camions chargés de primeurs partent journellement à desti­nation de Marseille et de la vallée du Rhône.

Ce sont les aspects variés de ee merveilleux pays et leurs modifications que les organisateurs de l'Ex­position, ae!uellement ouverte au Musée Masséna sous le titre de « La Campagne Niçoise » ont voulu mon­trer à leurs visiteurs. Cette exposition est limitée C.eUe année aux environs immédiats de la ville ; plus tard, une autre manifestation semblable présen­tera les villages et les vallées alpestres encore peu connus des étrangers et même de nombre de nos concitoyens.

On voit dans les salles du Musée les anciennes et curieuses villas de styles classiclue ou romantique qu'ont habitées les familles régnantes ou des person­nages illustres et que la spéculation a démolies ou transformées ; de très modestes maisons rustiques belles par leurs proportions adaptées à leur desti­nation. Elle ne rappellent en rien ees constructions compliquées dites de style « provençal », d'aspect fort plaisant, mais qui ne répondent pas à la simpli­cité de l'âme paysanne. D'autres peintures nous montrent les imposantes oliveraies séculaires. Hélas ! le patriarche, le superbe olivier de Beaulieu n'existe plus : un vagabond installé dans le creux de son tronc eut la malencontreuse idée d'y allumer du feu et provoqua un incendie. Deux documents conser­vent l'image du géant à demi consumé. Voici le premier pont sur le Var, construit en bois pal' l'armée française en 1792, lors de l'occupation de Nice pendant la Révolution. Les fortes crues de ce fleuve torrentueux en emportaient souvent les pilotis et tous les étés il était en réparation. Auparavant les voyageurs franchissant le Var a gué portés chacun par deux passeurs ; et comme ceux-ci, au beau milieu du courant, abusaient de cette délicate situa­tion pour demander des pourboires exagérés, un règlement leur imposa des prix de passage fixes en leur recommandant «la plus grande décence

envers les travei-seùrs » Nous arrlvOlis au quartier de Cimiez avec ses ruines, vestiges de l'ancienne capitale de la province romaine des Alpes-Maritimes; puis au monastère de Saint-Pons, que la légende fait remonter au siècle de Charlemagne et où fut signé, en 1388, l'acte par lequel Nice se donnait à la Maison de Savoie, le peuple n'ayant été, naturellement, pas consulté.

Niké, comptoir des Grecs marseillais, Nicaea, bourg romain, puis Nice, tour à tour cité des mar­chés de Provence, forteresse frontière et unique port des états sardes et enfin ville française a été le théâtre d'événements relevant de la grande histoire dont la seule énumération dépasserait le cadre de cet article.

L'Exposition rétrospective du Musée Masséna a provoqué parmi nos fidèles hivernants et nos con­citoyens un vif mouvement d'approbation et d'in­térêt, car, pour tous, elle a évoqué des souvenirs qui, sans elle, auraient été à jamais oubliés.

1

G. BOREA

Conservateur dll Ml/sée Masséna

Type corse, à Corte

Cl. J. BELIN.

1 Lisez

« LE MONDE AGRICOLE »

r

CHEZ LES VAUDOIS DES ALPES PIEMONTAISES

~~"--~~--------------------------------------------------------------------------------------j Jean MARGOT-DuCLoT, agrégé de l'Université, est un brillant folkloriste de la jeune génération.

D'Lille mission que llli a confiée le Service de la Recherche scientifique, il nOllS J'apporte les impres­sions qui vont suivre.

Les montagnes, comme les fleuves, rapprochent les hommes bien plus qu'elles ne les séparent. Les Alpes n'échappent pas à cette loi de la géographie humaine. Il existe ainsi, au delà des limites poli­tiques de l'Etat, une zone, une «marge», dans laquelle un Savoyard, un Dauphinois, un Niçois peuvent se promener, parler, observer, sans se sen­tir le moins du monde à l'étranger, tant le paysage, la langue, les mœurs se retrouvent identiques à ceux de leur province natale.

C'est le cas des vallées vaudoises, dans lesquelles une mission du Service de la Hecherche Scienti­fique me permit de séjourner près de trois mois, l'été dernier.

Les quatre vallées de Lucerne, du Pellice, d'An­grogne et de Saint-Martin sont situées à l'ouest de Turin, entre la frontière française, marquée par les cols LaOl'oix et d'Abriès, et Pignerol, l'ancienne ville forte des rois de France. Atteignant les 3.000 mètres dans les hautes vallées, la montagne s'abaisse ell­suite rapidement vers la plaine; le relief est rude, les villages sont tassés dans des replats, fuyant le double danger du torrent et de l'avalanche. On ap­pelle ce pays les «vallées vaudoises» : là vivent, dans une forte ·conscience de leur originalité, près de 20.000 calvinistes descendants des Vaudois. C'est dans ces vallées qn'a été, en effet, selon la tradition, le refuge - quelques-uns disent l'origine - de la secte de réformés qui surgit à Lyon au XIIe siècle, sous l'apostolat de l'hérétique Pierre Valdo.

Lcs «Vaudois» se nomment encore les habitants demeurés fidèles à leur foi et à leur pays, malgré des siècles et des siècles de persécution. Leur histoire, a~lss~ mêlée soit-elle d'obscurités ou de légendes aux yeux du critique, leur a conféré_ le sentiment aigu de leur communauté I?pirituelle ; leur Eglise, actuel­lement ralliée au calvinisme, reste autonome; son administration est confiée à la «Table» de douze pasteurs qui siège à La Tour (Torre-Pellice), «la Genève des vallées ». Ils possèdent leur langue, langue de culture, le français. Jusqu'à ces toutes der­nib'es années, il servait au culte, à l'instruction, à la conversation et aux actes communaux, à côté d'une· _langue familière, un patois provençal très proche de cclui des vallées françaises des Hautes­Alpes. Leurs montagnes enfin ' les a marqués : gor­ges sauvages de la Germanasque ou larges vallées accueillantes du Pellice. J'ai encore le souvenir de ce bon vieux de Villar, tout cassé par quatre-vingts ans de travail sur ces pentes abruptes où la terre est si préCieuse qu'il faut soutenir partout les champs de murettes et même renionter chaque printemps des hottes .. pl-eines de terreau, ' jusqu'au sommet du çhamp. Coù:llnc .nombre de_ ses c()J.np-atriotes, il était

parti à vingt ans, avec ses frères, pour l'Amérique du Nord, fermier dans le Missouri. Ce n'étaient plus de maigres carrés de blé et de pommes de terre qu'il trouvait là-bas à cultiver, mais de vastes· hectares de plaines fertiles. Qui le croiraH ? Dix-huit mois après, laissant ses frères poursuivre leur fortune, le jeune homme, pris du mal du pays, revenait dans son village et, me disait-il, «j'ai pleuré, Monsieur, quand j'ai revu des montagnes».

Cette fidélité, qui ne s'est pas démentie au long de l'histoire, à sa petite patrie, à sa religion, à sa langue, à son nom, le montagnard vaudois l'à con­servée à ses fêtes locales et patriotiques, à ses tra­ditions populaires, comme à ses techniques les plus humbles et' même à des pratiques ou à des croyances plus secrètes.

Un exemple nous fera mieux pénétrer l'esprit de ce peuple.

Le 17 février est la date anniversaire du plus grand événement de l'histoire vaudoise piémontaise: l'Emancipation. Le 17 février 1848, en effet, le roi Charles-Albert signait l'édit par lequel les Vaudois étaient admis à jouir de tous les droits civîls et politiques, à fréquenter les écoles de leur choix et à obtenir les grades académiques sans aucune res­triction. Pour comprendre la signification symbo­lique de cette clate, il faut se souvenir .que, pendant des siècles, les Vaudois avaient été soumis à un régime d'exception que, seule, la Révolution fran­çaise avait suspendu. Dans leur propre village, au­cune garantie ne leur était accordée pour le libre exercice de lem religion. Il ' leur était interdit de sortir des limites de leurs vallées et, lorsqu'ils avaient affaire il Pignerol, ils ne pouvaient séjourner dans la vme plus de trois jours. Un de mes infor­mateurs rappelait l'aventure suivante, qui était arri­vée à son grand-père avant l'Emancipation. C'était une année de disette aux vallées ; le blé, le maïs même avaient été ' rares; à la fin de l'hiver, il ne restait .plus de quoi faire ni pain, ni bouillie; le chef de famille rassembla dans deux sacs toutes ses pièces d'or, les plaça à l'arçon de sa selle et partit à cheval avec son frère pour acheter du grain dans la- plaine.: Ils durent revenir les mains vides: nul n'avait voulu leur en vendre, quel que soit le prix qu'ils en offrissent : . ils étaient Vaudois. .

On comprend que ce jour-là le pays entier cé­lèbre sa libération dans un élan véritablement «pa­triotique », et c'est ici que le folklQriste trouve matière à' réflexion. Cet événement, récent de moins rl'un siècle, se célèbre depuis l'origine à la manière des plus anciennes réjouissances populaires. La veUle au soir, sur totis les points de 'vue, :'chaque village, mieux : chaque hameau allume,. un · gral1d

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« falo », un énorme bûcher de bois de genévriers dressé autour d'une longue perche. C'est la jeunesse du hameau qui 'depuis plusieurs jours est allée ra­masser le bois dans la neige, a quêté la paille, fait le bûcher, et c'est elle qui l'embrase et l'entretient. La plus vive émulation règne à cette occasion dans le hameau et plus encore dans les hameaux voisins. C'est à qui aura le plus gros «falo», celui qui se voit de plus loin, celui qui fait le plus d'étincelles, à qui surtout le fera durer le dernier. Le pasteur est là. Les vieux, malgré la neige et le froid, vien­nent voir brûler leur «falo»; les jeunes restent autour et chantent. Ces chants donnent à la fête son cachet local : 'ce sont des cantiques et des hymnes patriotiques composés au soir de l'Emancipation. Le lendemain, dans chaque paroisse, les enfants vien­nent par hameau en cortège au culte, les jeunes gens sont admis à la première communion, les hommes font ripaille en un grand banquet. La fête a restauré l'union entre voisins, elle a resserré les liens de chaque communauté avec toutes les autres. Feux, chants, prières, banquets ont été les instru-

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ments de ce renouvellement. Dans cette rivalité ré· glée, qui pousse chacun à célébrer le mieux l'anni­versaire symbolique, tout le pays vaudois a retrouvé son unité.

Folklore vivant, folklore récent, presque contem-porain et vraiment actuel par son aspect comme par sa fonction, cette fête populaire et patriotique d'un petit peuple montagnard fier de son passé est un exemple de plus qui nous oblige à réfléchir sur la vraie nature du folklore et à renoncer définitivement à la définir par la survivance.

Nous n'entrerons pas plus avant dans ces consi­dérations qui débordent le cadre de cet article. Puisse seulement cette courte évocation attirer l'at­tention des folkloristes sur l'intérêt des études mo­nographiques complètes portant sur une région précise étudiée dans la totalité de ses caractères. Puisse-t-elle aussi !iervir à faire connaître et estimer cette population fière et accueillante que j'ai appris il admirer et à aimer.

.Jean MARGOT-DucLoT, Agrégé de l'Univel'sité.

'1i~lIe du!,lQurl)onnais

LES GRUES, LES ROULEES 00 ' ŒUFS DE· PAQUES.

UNE COUTUME QUI EXISTE ENCORE A THAAS

L'hiver est enfin parti encore une fois, nous lais­sant voir la belle nature dans sa splendeur inimita­ble ; nos cultivateurs actifs sèment avec amour les céréales; les jours qui grandissent chaque année nous réjouissent autant chaque fois que le premier.

Les grues, changeant de climat, sont passées au dessus de nos maisons en bandes assez nombreuses, nous dessinant une lettre quelconque. A partir de ce moment, vers le 25 mars, un quatrième repas est 'ajouté aux trois autres, ce repas se prend vers 4 heures du soil', ii s'appelle le goûter; si les culti­vateurs doivent travailler aux champs, ils emportent ce repas dans une musette accrochée au collier du cheval; si parfois il y a trop de pain on le donne à manger aux chevaux, c'est le pain d'alouette. Ce repas consiste en pain, saucisson, fromage, fruits et un ou deux canons de vin.

Lorsque, vers le 15 octobre, les grues reviennent, ce repas est supprimé, les jours étant plus courts.

Les œufs de Pâques

Le carnaval est passé, le Carême prend fin, la semaine sainte arrive à grands pas, le buis a été béni et piqué dans les champs de blé par petites branches.

Le Jeudi Saint, le dernier coup de la Messe est sonné, les cloches se sont envolées vers Rome pour s'y reposer et ne revenir que le Samedi Saint après la Messe du matin ; pendant trois jours le village est silencieux et morne . . J,.es enfants de chœur par­courent les rues armés - de crécelles et annoncent les heures du jour, voire même les offices dont la semaine est chargée.

Le Samedi Saint, dès le matin, les enfants de toutes les maisons, ·munis de paille ou de foin sont allés faire des nids dans tous les coins du jardin où la maman déposera des œufs teints cuits durs,

et chez les plus riches on mettra des œufs . en . cho­colat ou des clochettes en sucre. Les cloches font entendre vers 9 heures leur joyeux carillon, peut­être sont-elles revenues en avion déposant dans tous les jardins les œufs rapportés de Rome; les gamins se précipitent pour les ramasser dans des paniers.

De leur côté, les enfants de chœur, à la sortie de la Messe se sont munis de paniers contenant des menues pailles et d'une vieille boîte percée d'un trou au milieu; ils vont alors de mais.on en maison chantant l'hymne: 0 crux ave, Spes unica.

La ménagère donne à chacun un ou plutôt plu­sieurs œufs et aussi quelques sous dans la boîte.

La tournée finie dans le village · et les hameaux que l'on n'oublie pas, les enfants se réunissent dans une ' maison, voire même à l'auberge, où 1'on partage les œufs et les sous; parfois la dame du bistro fait une omelette pour régaler tous les gamins qui, avec l'argent de la boîte achètent un peu de boisson, qui ne les empêchera pas de retrouver leur maison, car, bien souvent, le sonneur qui, le lendemain de la Toussaint cherche le chanvre pour raccommoder la corde de la cloche, ne trouve dans les maisons que un canon ou deux de vin; le chanvre qui a disparu de nos pays depuis 70 ans n'est plus connu ici, et le soir le sonneur est souvent obligé pour rentrer chez lui, d'attendre que sa maison passe.

Il faut dire aussi que l'on vient de découvrir un puits funéraire qui va être incessamment fouillé par nos distingués archéologues marnais; plusieurs en­droits méritent d'être fouillés, mais les travaux sont tellement grands ...

Thaas est également la patrIe des frères Bureau, propagateurs de l'artillerie sous Charles VII.

Ma chaumière étant à quelque cent mètres d'un vieux château détruit en 1420, je me plais à les voir essayant leurs bombardes près de moi.

J. BRuLFER.

LES ŒUFS DANS LA CONSTRUCTION DES MAISONS PAYSANNES

Je crois avoir été le premier à observer la pré­sence d'un Œuf de POllie dans l'intérieur d'un foyer de Bourrine, du Pays de Monts (Vendée). C'était à Saint-Jean-de-Monts (Vendée) près du lieudit « La Rigonelle », à côté du Pé-Blallc (1), en pleine dune de sable maritim~.

On m'avait prévenu qu'on venait de découvrir, en ce lieu, les vestiges d'une vieille maison, enfouie sous une dune assez récente d'ailleurs. Je m'y rendis. avec toute mon installation volante pour les fouilles préhistoriques que je pratiquais alors sur tout le rivage vendéen. Cela à l'époque où je mettais au jour la maison sur la dune de Notre-Dame-de-Monts, dont l'importance était autrement considérable (2).

Rapidement je déblayais les vieux murs; je mis au jour le foyer d'une vieille bourrine en torchis

(1) P é, de 1,odi,mt, coUin e (Haut.e Dune r écenle) .

rasée jusqu'à terre, jadis démolie sans doute par l'envahissement de la dune de' Monts, à une époque où les plantations de sapins n'étaient pas encore établies ...

Subitement, je fus stupéfait ! Fouillant avec pré­caution moi-même au déplantoir, j'aperçus dans la terre noire, un œllf de pOllle absolument intact, à coque bien blanche et sans fêlure; un œuf à paroi résistante (l'on est en pays à sous-sol en calcaire eocène).

Je le recueillis précieusement et l'emportai à mon laboratoire pour l'examiner avec soin. Je l'ouvris délicatement. Je fus bien surpris en constatant que le jaune et le blanc étaient parfaitement conservés malgré l'époque éloignée où l'œuf avait été placé dans ce dépôt. Il était isolé.

(2) Le Ph(.,.e, Nan tes, 17 ~eptembre 1925 ,

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Evidemment, cet objet avait été placé là à dessein, et non perdu. Il représentait llne offrande faite à la fameuse Poule Noire qu'on tue toujours à l'inaugu­ration des maisons neuves en Vendée ... poule noire qu~on sacrifie en l'honneur du Soleil des Pléiades.

* * *

On n 'observe pas ces faits que dans l'ouest de la France 1 En effet j'ai su depuis que, en 1926, on avait trouvé dans un mur d'une maison en démoli­tion en Bourgogne un œuf de poule à coquille bien intacte 1

Ce cas a d'ailleurs été cité par M. G. JEANTON dans un de ses articles récents (Folklore Paysan, 1939, n° 5).

* * *

Je ne veux pas rapprocher ces faits de la trou­vaille de squelettes dans l'intérieur des murs des ,églises, des châteaux et des vieilles maisons, car il s'agit là de deux coutumes très différentes ; mais il faut absolument les comparer à la trouvaille, dans les I1ll1railles anciennes, des ossements de poulets .accompagnés d'objets divers au demeurant. J'ai en effet déjà signalé une découverte de ce genre' faite jadis en Anjou (non en Bretagne) par l'un de mes collaborateurs et amis, Lionnel BONNEMÈRE, cela à l'occasion des dépôts rituels de haches polies ou de

(l) Ma.re"l B audouin et Lionel Bonnemère, L es Huches polie8 dans l'Histoire. (Bu ll . et Mém. Loi d'Ânt"". de Pm'i8, 1!)05, 21 juillet, p. 4 96 . 548, 3 fr .).

(~) Dans uno ancienn e Gent.il'h ommièrc, clatant cle Loui s XVI,

silex taillés placés dans des murs ou même e!\ terre (1).

Il est évident, en effet, que l'œllf remplaçait iCI les os ; et par conséquent dépendait d'un même rite que celui de la hache polie (2). Offrande à la divi­nité préhistorique correspondant à l'Equinoxe, puis­que haches polies et poules sont des objets toté· miques représentant de la Divinité stellaire du Soleil et des Pléiades. La Poussinière n'est·elle pas toujours une dénomination de cette constellation dans l'ouest de la France '?

Dans une maison célèbre de Saint-Gilles-sur-Vie (Vendée), j'ai trouvé deux admirables quartz blancs taillés dans un mur. Le sens était le même que pour les haches polies que j'ai trouvées si fréquemment dans de vieilles murailles, conüne le prouve mon catalogue de ces pièces. Il sè pourrait que les ca­chettes de galets de mer remplacent les œufs ; mais cela est peu probable. Cependant les galets ronds, les petits cailloux du petit Poucet, sont assurément des symboles d'étoiles tout co~nme l'Œuf de Poule, qui est l'une des sept étoles (Pléiades) qu'on trouve dans le nid de la Poussinière, comme les grains de maïs dans les constellations alnéricaines.

Docteur BAUDOIN. Croix de Vie.

on a trouvé une cachet,te c'reu,sée dans le falun. De forme ronde, elle était r emplie de cendre", <l' 0 8 de poulet, <l'une petite h.ehe polie verte (ja,léit,e) a\' ee une mé,la ille en hron ze cle Louis XVI (cf. )> . 499) .

LES ORATOIRES DIES ALPES

Signalez aux «Amis des Oratoires» les charmants monl/1l1enls qui les intéressent et auxquels vous devez être. vous-même profondément attachés. Aidez·les dans leur œuvre d'étude, de préservation et de diffusion. M. IRIGOIN, qui nous annonce de llouveau:r articles sllr d'autres régions particlllièrement riches en oratoires vous en remercie à l'avance.

Le terme Oratoire que nous allons employel' au cours de cette étude concerne uniquement les petits monuments dOnt Enlp.rt donne une très exacte défi· nition .dans son Manuel d'archéologie françaisc (1 ° Partie, p. ~02, Architecture Heligi euse) sous 1" dénomination de '.« Montjoies » :

« Une variété analogue aux lanternes, croix cou­« vertes, sont les montjoies, qui dérivent des piles « romaines; pyramides d'architectul'e ornées de « niches qui abritent des sculptures religieuses, un « autel les accompagne souvent et une croix les « couronne ».

La coutume d'élever des oratoires est parmi les plus anciennes, elle consistait souvent en monceaux de pierres sur lesquels on plantait des croix, c'est

d'ailleurs dan~ les Hautes-Alpes que nous trouvons une montjoie répondant à la définition que donne le Cardinal Hugues de Saint Cher, au XIIIe siècle, lequel 'cn faisant mention de ces tas de pierres les appelle « Mons Gauclii » : Mont Joies. Lorsque du Monestier de Briançon on suit le sentier qui conduit au col de l 'Eychauda, on l'encontre un amas de pierres qui ont été disposées de façon il. former un monticule au sommet duquel une grande croix de hois a été plantée; ce chemin serait celui que suivit Annibal après son passage au Mont Genèvre, voie romaine de Milan à Arles.

La raison d'être de ces montjoies était le jalonne­ment des chemins, ne nous a-t-on pas signalé en Savoie que lorsque l'hiver, les sentiers sont couverts

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de plusieurs mètres de neige, on ne reconnait son chemin que grâce aux Oratoires qui le jalonnent et à des tas rie pierres intercalés entre ces petits mo­numents (Sentier de Bessans à l'Avé l'ole en Mau­rienne).

Par suite de transformations multiples, ces tas de pierres sont devenus les oratoires actuels, tantôt for­més de pierres sans aucun lien entre elles, tantôt de pierres liées au ciment, enfin construits en pierres, taillées plus ou moins habilement, et toujours une niche fut aménagée pour (gl'y soit placée une statue religieuse.

Qui n'a pas aperçu le long de nos routes et plus encore en bordure des sentiers, surmontant un rocher ou ail bord d'un torrent, une de ces niches abritant une Vierge ou un Saint pl' tégeant le passant et lui donnant la confiance néce~aire pour qu'il continue son chemin, semé parfois d'embûches.

C'est jusqu'au sommet des collines, et parfois à de hautes altitudes que l'on en rencontre souvent, comme pour, de ces hauteurs, pouvoir veiller sur les étendues qu'ils dominent aussi bien que pour inviter le passant fatigué à s'arrêter un instant avant de reprendre sa course.

Oratoire Sainte-Anne au Chazelet (Hautes-Alpes)

Que ce soit dans le Gapençais, dans le Briançon­nais ou dans le Queyras, les Oratoires nous appren­nent par leurs inscriptions les causes de leur érec­tion ; ici nous lisons «Reconnaissance de la famille D. C. à Saint Roch» sur un petit monument situé non loin de Valent y sur un plateau; là nous appre­nons que l'Oratoire situé en bordure du chemin des Hières, il pl us de 1.700 mètres d'altitude a été élevé « à la mémoire des 22 victimes des avalanches de « 1405» et qu'il a été «rebatie en 1921 par 4. Car­« raud à la mémoire d'AmÇLble Carraud et de Henri « Jacob, morts pour la France '» ailleurs" dftns la

Combe du Queyras que «cel oratoire a été rétabli « pal' le S. J. Q. en mémoire de son regretté secré­« taire général Robert Villau, 1900-1934».

D'autres mentions portées sur certains de ces petits monuments nous indiquent à quels saints ils sont dédiés avec parfois la date de l'érection ou de la restauration : à Abriès, l'Oratoire dédié à Notre­Dame des sept douleurs porte la date de 1789 ; tou­jours dans le Queyras, à Aiguilles, localité située à près de 1.500 mètres d'altitude, existe un oratoire portant l'inscription «Notre Dame du Gui!, Priez pour nous» et à Château-Queyras sur celui qui a été restauré en 1935 par le Syndicat d'Initiative «Saint Ange Gardien, guidez et protégez les voya­geurs ».

Bien que de plus grande dimension que les Ora­toires que l'on rencontre habituellement dans tout le midi de la France, l'Oratoire rlu Chazelet, rentre dans le cad're de notre étude. Connu de tous ceux qui ont séjourné à la Grave, tout au moins par sa représentation sur les cartes postales, il se trouve sur la route du Chazelet aux Terrasses, en bordure du précipice et à 1838 mètres d'altitude ainsi que l'indique l'inscription gravée au-dessus de la niche.

Dédié à Sainte Anne il se détache sur le fond neigeux du massif de, la Meige, «cette glorieuse mu­raille de rocher, couronnée de trois sommets, qui domine au S. le fond de la vallée des Etançons et au N. la vallée de la Homanche, en face de la Grave» suivant la description donnée par le Guide Bleu du Dauphiné.

Il en est parmi ces oratoires, de bien frustes, bâtis avec quelques grosses pierres sans aucun lien, ter­minés vaguement par un toit à deux pentes que cou­vre parfois quelques plaques d'ardoises brutes les garantissant ainsi des intempéries; citons l'Oratoire Sainte Anne que l'on rencontre en bordure de la route à la sortie ouest de la Grave et qui vient d'être réparé par son propriétaire, M. Tairaz-Juge, dont le nom est bien connu dans la région; mentionnons aussi l'Oratoire du Freney d'Oisan, situé en bordure de la R. N. 91, qui domine la vallée de la Romanche; moins connu que les deux précédents, citons aussi celui qui se trouve en bordure du petit sentier de montagne allant de la Grave à Ventelon, non loin du chemin des Hières, village que nous avons déjà cité. Par contre, certains de ces petits monuments sont de véritables petits chefs-d'œuvre d'architecture, tel celui qui borde la route nationale entre Sisteron et Gap, à la sortie N. du village de la Saulce. Construit en pierres de taille, il présente une niche en forme de lanterne avec quatre ouvertures, ce qui permettait d'apercevoir la statue de quelque endroit que l'on se trouve. Un joli toit pyramidal surmonté d'une croix de fer termine cet Oratoire; un bénitier, 'taillé dans la pierre, servait lors des processions des Roga­tions, à contenir l'eau avec laquelle le prêtre bénis­sait les récoltes, champs et bestiaux.

Cette coutume de bénir les prémices des champs, des ~tables, existe encore dans de nombreuses loca­lités; à cette occasion les oratoires sont fleuris et ornés de guirlandes de feuillages, qui restent parfois pl.usieurs mois, Ces , processip~s qui se font durant

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lès trois jours qui précèdent l'Ascension et les prières qui) les accompagnent viennent du mot latin rogare, demander, on les a souvent rapprochées des ambar­vales romaines. Leur institution remonterait au v" siè­cle, on l'attribue à Saint Mamert, évêque de Vienne.

Moins gracieux que celui de la Saulce, signalons l'oratoire visible de la route, à quelques kilomètres du précédent, il dépend du territoire de Tallard; comportant quatre niches, il est recouvert de tuiles en écailles et terminé par une croix de fer. Placé non loin de la ferme Léautier, quartier de Charbo­nette, il se trouve au sommet d'une colline.

Signalons pour terminer, l'Oratoire de Fontsainte, dont la fondation remonte au XIII" siècle; il est en bordure du chemin conduisant au village de l'Epine et se compose d'une niche assez grande renfermant une statue de la Vierge; cette niche est bâtie sur un

(1) Les Amis des Oratoires ont leur siège social il Aix·en·Pro· vence. 6, rue Ancienne Madeleine, elle se compose de membres actifs versant une cotisation annuelle de 10 francs, ene Il édité six séries

socle qui ferme une citerne. Les eaux de cette citerne étaient employées contre les maux d'yeux; on avait l'habitude dans le pays, lors des grandes sécheresses et quand des prières pour la pluie étaient ordonnées, de se rendre processionnellement à cet Oratoire.

Indiquons à ceux que cette question intéresse, qu'une Association (1) s'est. fondée à Aix-en-Provence, ayant pour but de repérer ces petits monuments, de les sauvegarder et de les restaurer; tous les rensei­gnements que l'on pourra fournir sur les Oratoires' des diverses régions de France seront les bienvenues, ils permettront aux dirigeants de compléter leurs archives qui contiennent déjà plus de 1.500 fiches et de 1.000 photographies.

Pierre IRIGOIN.

Les Amis des Oratoires.

de cartes postales soit 60 vue" différentes que l'on peut se pro· curer au prix de 2 fI'. 50 la pochette,

LES OSTENSIONS DE SAINT-JUNIEN

En même temps que les ostensions du Dorat, la région limousine aura vu cette année celles de St­Junien, grosse ville de la Haute-Vienne.

Disons quelques mots de saint Junien, qui, fils du Comte de Cambrai, vient, au début du VI" siècle, rejoindre le vieil ermite saint Amand qui habitait ,dans l'antique forêt.

Ils vécurent, dit la légende, une vie de piété et d'ascétisme. C'est autour du tertre où ils reposèrent que quelques foyers s'assemblèrent. Le hameau pri ­mitif a su devenir depuis une belle cité. Il a détruit la forêt naturelle, mais la ville n'a pas oublié ses origines. Aussi depuis six siècles se pare-t-elle tous les sept ans des souvenirs dè son passé.

Si la grande manifestation terminant toutes ce., fêtes a lieu cette année le 18 juin, c'est dès janvier que des élections populaires auront nommé les orga­)1isateurs de toute cette série de manifestations reh­giellses. Plusieurs d'entre elles se dérouleront au milieu de l'enthousiasme. C'est un mélange de prières et de , fêtes, de cortèges où roulements de tambours, fanfares, mousqueterie et cloches s'unis· sent joyeusement. L'ordonnance des fêtes est dictée par des règles scrupuleusement observées.

Mais c'est à la fin des ostensions que la ville se transforme. Certaine rue est recouverte de feuillage posé sur des perches allant d'une maison à l'autre~ Des arbres, pourvus ou non de racines, sont plantés. Les magasins sont cachés sous des ramures. Pour donner plus grande illusion des oiseaux en cage chantent à gorge déployée. C'est l'antique forêt qui renaît pour quelques jours.

Ce sont aussi les reposoirs qui, au nombre de

huit, sont des petits théâtres de verdure, dressés sur de~' emplacements indiqués par la tradition lo­cale. Ils figurent des grottes tapissées de lierre, des creux de roche, des paysages rappelant la forêt de Comodoliac, la vie des deux ermites et aussi celle d'un soldat romain chrétien, Théodore, qui fut sanctifié depuis par l'Eglise. Dans sept reposoirs, ce sont des statues, certaines très anciennes, qui représentent les différents personnages de la légende du saint patron dans 'ses phases successives. Le hui­tième évoque une scène miraculeuse.

En effet, vers 515, une épidémie régnait dans le Poitou. Les habitants de cette région décidèrent de venit· implorer le sage personnage qu'était saint Junien. Celui-ci, après une prière, fit jaillir une source dont l'eau servit à la guérison des malades du Poitou. Les différents personnages sont repré­sent~s par des enfants du pays qui, inlassablement, renouvellent leur dialogue.

C'est au milieu de tout 'cet ensemble de verdure et de scènes animées que les reliques des saints Amand, .Tunien et Théodore sont présentées en cor­tège au peuple. Elles font une station à chaque reposoir. Portées par le clergé, elles sont escortées parles quatre Suisses élus pour les ostensions et au pittpresque uniforme : pantalon rouge bouffant arrêté au genou par un ruban noir avec dentelle, chemisette blanche avec jabot et poignets en den­telle, une écharpe rouge en bandoulière, terminée par un nœud. Une ceinture noire complète le cos­tume. Le chapeau est une espèce de shako vert olive sans visière, sur lequel est peinte une croix blanche. Les bas sont blancs. Une large épée arme ces quatre soldats dont l'aîné est le sergent. Ce sont

là les seuls personnages du cortège qui portent tenue spéciale. Cette absence de costumes dans le cortège est la grande différence existant avec les ostensions du Dorat.

Le caractère strictement local dans son esprit ne permet la présence dans le cortège que des habi­tants de St-Junien. Y sont seules acceptées des délé·

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gations des antiques confréries dont les patrons St· Martial, St-Aurélien et St-Loup apportent avec eux les meilleures traditions limousines. Elles sont si vivaces dans l'âme populaire que 50.000 personnes vinrent aux ostensions de Saint-Junien en 1932.

Andrë CLÉMENT.

RENAISSANCE DES DANSES FOLKLORIQUES DANS LE MARAIS VENDEEN

Face à l'île d'Yeu, dans la partie Nord-Ouest de la Vendée, et séparé de la mer par une étroite bande de dunes, couverte de pins, il existe un vaste polder asséché qui rappelle étrangement la Hollande : C'est le pays « maraichin ». II ne ressemble à aucune autre contrée de France, ni même de Vendée : mou­lins à vent, maisons basses blanchies à la chaux et recouvertes de chaume ou de tuiles rondes d'mi rose très pâle ; décor net et clair en lequel se meu­vent des silhouettes sombres. Beaucoup de marai­chins ont gardé leurs costumes locaux (vestes courtes ~t chapeaux ronds pour les hommes, coiffes blan· ches, tailles hautes et longues jupes plissées pour les femmes), plastique sobre dont tous les détails ont leur raison d'être et créent une unité distinguée. Le pays maraichin possède un riche folklore.

A ceux qui ne connaissent pas ce petit coin de terre qui n'a pas plus de vingt-cinq kilomètres dé diamètre, mais qui a conservé plus longtemps què partout ailleurs ses traditions, ses costumes et ses danses, nous voudrions faire comprendre pourquoi nous nous sommes attachés particulièrement à cette œuvre de renaissance des danses maraichines et, maintenant que nous l'avons réussie, les faire passer en quelques lignes par les mêmes étapes d'espoirs el de déceptions. Nos souvenirs d'enfance sont inti. mement liés à ceux des danses et des chants du marais, avec lesquels ils forment un ensemble à la fois joyeux et mélancolique : la « Guilanneu » il Noël, les noces de fermiers pendant l'été. II nous semble encore entendre ces complaines chantées le :;oir dans la grange à la table de la mariée, par une

P~n'$eurs du Marais vendéen

CR J . et J . . MARTEL.

pz

voix de femme, toujours très haute et sans nuances, si égale et si simple que tous ceux qui reprenaient le refrain en chœur en étaient émus. Autour de feux de joie, pendant des heures entières, se dansaient d'immenses rondes sur des mélodies alertes reprises en chœur ou jouées par le violon ou l'accordéon qui, déjà, remplaçaient l'ancienne « veuze ». Tous portaient le costume maraichin. Les châles des femmes n'avaient plus cependant les couleurs vives d'autrefois, mais cette harmonie noire et blanche des étoffes et du linge, s'agitant légèrement dans un rythme impeccable, ces chants, ces danses où tous les gestes étaient gestes de joie et de saine gaieté sans vulgarité, tout cela formait des images coutu­mières, que nous étions heureux de retrouver chaque année et qui semblaient ne jamais devoir changer.

Mais tout à coup après la guerre, la transformation est subite, et nous saisissons mieux alors le carac­tère de tout ce qui va peu à peu nous quitter. Nous assistons à des noces banales, où les chansons locales sont remplacées par des monologues sans intérêt ou de stupides chansons, colportées par des mar­chands ambulants. Tous les jeunes gens dansent les « danses de ville » au son de jazz lamentables. Les

-hommes plus âgés tentent de les imiter ; quant aux viëux, ils ne dansent plus, de peur d'être raillés.

Chaque année nous revenons en Vendée pour dé, plorer une nouvelle disparition qui nous serre le cœur ; période de doute inactif, ou l'on se sent dominé par les événemenfs et où l'on ne fait que formuler des regrets, parce que l'on ignore encore qu'il -suffit parfois de dénoncer une erreur pour que tous vous comprennent peu à peu.

En effet, lorsque nous commençons à réagir, nOllS pensons bien que la partie est perdue à l'avance ; nous n'osons plus retourner aux fêtes, tellement nOlis sommes à chaque fois déçus. Aux noces de fer­m,iers, les « branles» anciens que je joue sur l'accor­déon ne parviennent pas à entraîner tous les dan­seurs qui se divisent en deux clans d'âge différent. Nous chantons aux repas de noces leurs belles chan­sons anciennes qu'ils commencent à oublier et que nous avons recueillies une à une : les vieux sont heureux, mais nous sentons que nous n'avons pas l'accord des jeunes. Il faut leur démontrer peu à peu que nous n'aimons pas leurs danses et leurs chants

_ uniquement à cause de leur « ancienneté », mais à cause de leur beauté et de leur caractère, et qu'il est possible d'accorder ce passé ave~ le présent.

Pour arriver à ce but, que de moyens employés, dont certains seulement nous reviennent à la mé­inoire, tant il est vrai que l'on oublie toujours les difficultés pour ne voir que la réussite. D'ailleurs, nous avons réussi à partir du moment où nous

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Lisez

avons vraiment voulu réussir. Pour cela, nous avons surtout donné l'exemple, sans aucune peine puisque c'était pour nous une joie. De tous côtés, nous mon­trons alors l'intérêt que nous portons il toutes les manifestations régionales, et nous expliquons les l'aisons de cet intérêt.

En 1935, au programme d'action du Syndicat d'Initiative du Pays Maraichin, dont la présidence nous est confiée, nous inscrivons des fêtes de folklore ; nous organisons des _fêtes avec concours de danses et de chants locaux. Tous les anciens nous suivent aussitôt. Ils sentent l'intérêt que nous atta­chons à leurs danses, non seulement par les récom­penses que nous accordons aux meilleurs d'entre eux, mais par la sympathie qu'ils devinent autour d'eux pour tout ce qui leur est caractéristique ; les jeunes commencent à envier les anciens.

En 1936 et 1937 les manifestations se succèdent, puis, à l'Exposition Internationale de Paris, à l'issue du Congrès de Folklore, la grande fête organisée par les « Arts et Traditions populaires» nous permet d'emmener une vingtaine de nos meilleurs danseurs. Cette _fois alors, nous sentons que tout a changé en Vendée et que l'élan définitif est donné.

A la grande foire des « Minées » de Challans, les danses se multiplient, et lorsque nous convions à une grande fête la jeunesse des alentours, nous consta­tons que pendant l'hiver précédent, chacun d'eux a appris à danser. Les rondes réunissent des centaines de couples ; de jeunes accordéonistes s'exercent de tous côtés. Notre groupement s'étend et donne de nouveaux spectacles en province, et récemment en Angleterre. A chacun de ses succès correspond en Vendée une nouvelle recrudescence dcs danses du marais.

Et tout dernièremel11", au cours d'une grande noce maraichine où d'anciens rites avaient été repris, nous pouvions constater avec joie qu'il n'était pas un invité qui ne dansât, du plus jeune au plus âgé.

Et si beaucoup de costumes ont disparu parmi les jeunes, du moins, dans ces danses nous avons en-fin senti revivre la même joie collective, et en retrouvant les mêmes gestes, en entendant les mêmes timbres de voix si caractéristiques, nOlis avons ressenti la même émotion qu'autrefois.

Renaissance de la danse folldoriqlle dans le marais vendéen ? Renaissance est un mot inexact car il voudrait dire que la danse était morte et que nOlis avons dû la ressusciter. La danse n'était pas morte mais le serait sans doute maintenant ; morte biÇ!n stupidement puisque ses danseurs, bien, vivants, n'attendaient qu'un signal pour reformer la ronde.

n s'agissait seulement de domier ce signal.

Joël et .Tan lVL:\.RTEL.

1 CHAMBRES D'AGRICULTURII;: 1

J

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JOURS GRAS EN BEAUCE CHARTRAINE

M. C. MARCEL-RoBILLAHn nous avait récemment convié à assister à un des dineI's mensuels de la Société des Amis de la Beauce, dont il est Président.

Nous avons été très sensible à l'atmosphère ardemment régionaliste de cette réunion. Comme ces Parisiens d'adoption sont demeurés attachés à leur Beauce ! Combien sont utiles ces associations d'originaires, lesquelles entl'etiennent chez leurs membres une telle fidélité au terroir natal ...

Pour un instant, trop court au gré du Beauceron fervent qui vous parle, reportons-nous aux toutes premières années de ce siècle. Quelque part en Beauce Chartraine, pénétrons dans l'une de ces vieilles demeures coiffées de chaume gris ou de tuile plate aux tons vieux rose... Dans la «maison)), la pièce principale de l'habitation beauceronne, à la fois cui­sine et salle à manger, chambre parfois lorsqu'elle comporte un lit, en alcôve (la pièce à vivre), en somme, la grande cheminée étale encore son ample manteau. Centre vital de l'habitation, le foyer ne s'est ,pas refroidi de tout l'hiver. Autour de sa gâlée rougeoyante s'assemble, chaque soir, la famille s'il n'y a plus vei110n dans l'étable. C'est vers le mystère tout relatif de son gouffre noir que se tendent les cous depuis plusieurs jours déjà : «An va fére des crêpes !... V'là Mardi Gras qu'arrive!» ... Arrive le jour tant attenùu. Sous la hotte lustrée de suie pend la crémaillère symbolique ; on y accroche un porte­poêle au-dessus du feu de bois. La grande poêle à la queue d'un mètre et demi, s'y pose commodément, bien à plat. Comme elle reluit du récent astiquage au sablon et à la cendre 1 Chacun à son tour tiendra, debout, la queue de la poêle à deux mains, et, d'un mouvement sec du poignet, enverra virevolter plus ou moins haut sa crêpe. La mère ou la grand'mère verse la pâte avec une cuillère à pot : la coulée blanche s'étale, grésille. Quand saute le disque SQU­

pIe, montrant un court instant sa face dorée, retombe en claquant tandis qu'un peu de fumée bleue fuse sur les bords, on exulte, on bal des mains ! Taillé en force, mon grand-père faisait de la fantaisie : tenant d'une main la queue de la poêle par le bout il don­nait de sa main libre un coup violent sur le milieu de la queue. La crêpe faisait deux tours en l'air, frôlait les solves du plancher et retombait - fllac 1 -sur le disque luisant où elle achevait de cuire ... Des gars «aouindus» font «marcher» les petits de la maison. «Les Gnars 1 J'vas lancer eune crêpe par la ch'minée, allez la réttraper par dans la cour 1... » Les enfants sortent, guettent un moment, le nei en l'air, et rentrent, penauds : «Vous l'.ez point vuse ? Sorment qu'al' est restée accrochée dans l'haut 1 ». Et chacun de se pencher sous le manteau dans l'es­poir d'apercevoir la crêpe suspendue le long du conduit... Les enfants s'affairent à couper.Jes pom-

mes pour la façon des beignets. Ils taillent au cou­teau les roussettes dans des feuilles de pâte lisse : cœurs, poissons, croissants de lune avec œil et bouche, fers à cheval, lettres, etc., on jette le tout dans la friture bouillante ; cela se gonfle, se bour­soufle. On saupoudre le tout de sucre, pulvérisé au préalable à grands coups de fer à repasser 1...

Dans les rues, depuis le dimanche gras des mas­ques circulent. Le mercredi on court Carnaval. Les «bons gars» ont façonné l'effigie de Mardi-Gras, bonhomme de paille sur une monture de bois, habillé de vieux effets et coiffé d'un chapeau tromblOn. Les ,~ coureux» vêtus de loques noires, la figure ' bar­bouillée de suie, l'accompagnent en cortège, s'égo­'sillant à crier : «Mardi-Gras n' t'en vas pas, j' f'rons des crêpes, j' f'rons des crêpes ... Mardi-Gras, n' t'en vas pas, j' f'rons des crepes et t'en mang'ras ! ». S'il pleut les deux gars qui traînent le bonhomme le pro­tège de leur mieux afin qu'il puisse flamber. La troupe fait halte au bord d'une mare, QU sur le pont dans les communes riveraines de l'Eure, le Carnaval tourné vers ses fidèles provoque leurs lamentations ; des cris de douleur jaillissent. Chacun s'adresse au bonhomme, compatissant à son trisle sort, s'agenouil­lant pour baiser ses mains faites de vieux gants bourrés de filasse. Le refrain s'élève encore ; un « coureux» met le feu au personnage en commen­rant par les jambes et tandis que la flamme le gagne, atteignant le torse, on le saisit par les pieds et d'une brusque poussée on le fait basculer dans l'eau. Tout embrasé il y fait un grand «plouf » sensationnel. Les vociférations les plus barbares reprennent alors de plus belle et l'on chante, en brandissant des poêles comme des armes : «Mardi-Gras s'en est allé ... J'ons fait des crêpes, i'n n'a point mangé... «Mardi-Gras est revenu. J'y ons fichu la poêle ... etc. ». Bien entendu ees réjouissances d'un gOÎlt discutable ~'achevaient à l'auberge où l'on arrose les crêpes et ~ les roussettes de ce petit vin des côtes de l'Eure, jadis fort estimé dans toute notre Grande Beauce, vouée au cidre «ù quatorze chevaux : «lin pour aller aux pommes, treize pour aller à l'iau ... ». Mais ceci est une autre histoire que je vous conterai plus tard.

C. MARCEL-RoBILLARD,

Président des «Amis de la Beauce». ,

LES DANSES DE MAI

Autrefois le 1 cr mai, on ne plantait pas seulement l'arbre de mai à la fenêtre ou sur le toit des habi­tations où il y avait une jeune fille, on le disposait aussi sur la place du village et on dansait en rond autour ; ce qui explique le nom lorrain de cet arbre « mâ du rond ». Les danseurs chantaient « 0 maye, ô maye, vive le mâ du rond» tandis qu'à la base de l'arbre on allumait un feu.

A Bordeaux, le 1 c, mai, les garçons dressaient dans les rues un arbre de mai et chaque soir pen­dant tout le mois, jeunes gens et jeunes filles dan­saient et chantaient autour de l'arbre.

En Lorraine, c'était autour d'un sapin dégarni de ses basses branches et orné de rubans au faîte qu'on dansait. Ailleurs, on choisissait un jeune peu­plier, à Paris, on préférait un chêne. Plus tard, on remplaça ces arbres par un simple poteau terminé par une branche fourchue. Puis le « mai » devint une sorte de mât de cocagne surmonté d'un cerceau fleuri d'où pendaient colifichets, victuailles, jeux et lots divers. Les arbres de la Liberté qu'on plantait en Floréal à l'époque de la Révolution semblent bien être les descendants de ces arbres de Mai autour desquels on dansait.

Une autre danse de Mai a lieu le le, Mai, dans l'Est de la France, c'est le Trimazo. C'est, de nos jours, une danse de petites filles ; elle accompagne la quête traditionnelle que les enfants entreprennent ce jour-là. Le Trimazo est à la fois le nom de la danse et de la chanson exécutée simultanément, le nom de la petite fille qui mène le cortège et aussi celui du rameau que l'enfant offre en remerciement après la quête.

La forme et le lieu de la danse du Trimazo varient selon les régions. Dans le pays de Rethel, dans les Ardennes, les petites filles dansaient et chantaient avant de se mettre en route pour la quête. Dans le pays Messin, en Lorraine, les enfants généralement dansent le Trimazo devant chaque habitation où la quête a lieu. La forme la plus courante de la danse du Trimazo qu'elle soit de Lorraine ou de Champa­gne, est un cercle formé par les petites filles se tenant par la main tandis qu'au centre danse celle qui a été choisie comme Trimazo. Cette dernière est vêtue de blanc, coiffée de fleurs et de rubans ; elle va et vient au centre du cercle et saute en tour­noyant sur elle-même à chaque syllabe du mot « Tri­ma-zo » dans le refrain de la chanson : « ô trimazo, c'est le mai, ô mi-mai, c'est le joli mois de mai, c'est le trimazo, ô trimazo ». Les autres petites filles chantent en priant qu'on leur donne quelque chose pour orner l'autel de la Vierge et de l'Enfant ; elles interrompent de temps à autre la mélodie pour cla­quer des mains. Si on tarde à répondre à leur de­mande, elles insistent en chantant- : « Bonne femme de céans, ne nous laissez mie tant danser, nous avons des jambes de chalumeau, nous ne pouvons plus tenir dessus. »

Plusieurs variantes de la danse du Trimazo exÎs­tent en Lorraine même : les petites filles sont grou· pées sur deux rangs et le Trimazo danse à la tête du cortège; ou bien on choisit deux Trimazos qui font des chassés-croisés en se saluant à chaque ren­contre ; ou bien encore le Trimazo est accompagné de deux « demoiselles d'honneur ». L'appellation « trimazo » change aussi selon les régions : en Champagne, on nomme cette danse la TrimouzeUej dans les Ardennes, à Puilly et Charbeaux, on dit qu'on va « danser la mariée ».

~ette del'llière dénomination qui rappelle le rapport eXIstant entre les rondes enfantines actuelles et les antiques danses de fiançailles ainsi que le feu à la base du mât de mai, tendraient à faire ressortir le lien unissant jadis les rites de purification et les danses exécutées au seuil du mois de mai. Celui-ci par ailleurs promettait d'être le mois par excellence de la croissance de la végétation. C'est sans doute ce que favorisaient symboliquement, à l'origine, les bonds en hauteur de la Trimouzette et la forme géné­rale des danses de mai, qui tournent autour d'un point central : arbre ou petite fille « TrimouzeUe ». Et c'est aussi ce que rappellent encore aujourd'hui les paroles du chant qui accompagnent le Trimazo : « En revenant vers les champs nous avons trouvé les blés si grands et aussi les orges et les avoines, et les aubépines s'en vont fleurissant ».

Cette préoccupation séculaire de l'homme de lu bonne venue des récoltes n'est pas seulement témoi. gnée par la ~orme de nos danses de mai, par les ~hants. d~ quete qu~ les accompagne, mais aussi par 1 aSSOCIatIOn du femllage que les différentes contrées observent dans leurs coutumes de mai.

Nous venons de la distinguer dans les danses autour de l'arbre de mai, voici encore quelques cou­tum.es qui .soulignent. ce fait. En Brie, tandis que les Jeunes fIlles dansaIent autour d'un Mai couronné de fleurs et ~nguirl.andé de feuillage et de rameaux, on . pr?menaIt un Jeune garçon tout enveloppé de feU111age et qu'on appelait le « Père Mai ». En Pro­vence, enDauphillé, les petites « reines de Mai », héroïnes du 1 er Mai, étaient assises sagement pendant que leurs compagnes quêtaient pour elles sur une estrade fleurie et décorée de feuillage ;en Alsace, et aussi dans bien d'autres régions, si la petite fille qui mène la tournée de quête ne danse pas, elle porte du moins _ un petit arbre de Mai. La petite fille n'est plus alors la TrimouzeUe ou le Trimazo, c'est la Petite Rose de Mai et ses compagnes chantent autour d'elle : « Petite rose de Mai, fais trois tours, tourne et tourne que l'on te voie 1 ROse de Mai ~i~ns ?alls. la. for,êt, nous serons toutes en grand~ JOIe. C est alllSI qu on va du Mai aux roses d'amour». Les récoltes de l'année dépendaient, croyait-on, des offrandes faites à ces chanteuses de Mai.

Si nous regardons un peu autour de nous, nous croyons que des coutumes équivalentes ont lieu dan~

tuaints pays durant ie mois de Mai. En Lithuanie, on . exécutait la danse autour du Mai, de même en Europe centrale, en Suède, etc... Mais il faudrait aller jusqu'à l'autre bout de la terre pour étudier les danses en rapport avec la végétation comme nos danses de Mai. Citons seulement les quêtes de Mai à Northampton, en Angleterre. Chaque petite fille tenait deux guirlandes se coupant à angle droit, re­couvertes de fleurs, de rubans et de feuillage' et encadrant une, deux ou trois poupées selon la dimen-

sion des guirlandes. Chaque guirlande se portait àü bout d'un long bâton. A la fin de la tournée de quête on plantait en terre l'un des bâtons avec des guirlandes et les enfants dansaient autour.

Une fois encore nous assistons donc avec ces danses de Mai à une coutume rituelle et séculaire tombée dans le domaine de l'enfance.

Claudie MARCEL-DUBOIS,

Chargée de mission des Musées Nationaux.

Il n'est pas nécessaire qu'un calvail'e l'emonte au 15" siècle pour exciter notre intérêt et mériter nos soin:>. Ce lui-ci, datant sans doute des dernières années du 19' siècle, est un charmant spécimen d'art populaire. Il se trouve sur la route 1 C 10 D 2 de Lannemezan à l'Isle-Noë, aux confins du Gers et des Ha.utes-Pyrénées. Envoyez-nous des photos de .calvaires de ce genre avec identification. Les plus belles de ces photos seront pu­bliées dans F. L. P., avec indication de l'auteur du cl iché.

Cl. LEPROUX.

Musées de Terroir LA PUBLICITE AU M'USEE FORESTIER D'HOSSEGÔIÎ

Le Musée Forestier d'Hossegor, dont nous avons, l'an passé, annoncé la création, s'aménage. Il n'aUend pas d'être ouvert - ce qui ne saurait tarder - pOUl' vivre. Nous sommes littéralement émer­veillés pal' le résultat de l'enquête poursuivie auprès des écoliers landais. Plus de 2.500 répomes ! Qm dira que le Folklore Paysan n'est pas bien vivant, après Illle telle expérience?

Les leèteurs de « FolJelore Paysan » ont eu con­naissance de l'édification du Musée Forestier d'Hos­segor. Dans un article précédent, M. DRUHEN, qui en est l'animateur, en a tracé les grandes lignes : il est dédié à la gloire de la Forêt landaise, de BRÉMON­TIER et CHAMI3RELANT, ces deux grands hommes qui par leurs travaux ont transformé ce pays désertique.

Les pèlerins de St-Jacques de Compostelle ne chan­taient-ils pas en le traversant :

Quand nous fùmes dedans les Landes Tout étonnés,

Avions de l'eau jusqu'à mi-jambes De tous côtés.

Camarades, nous faut cheminer. Dans ce pays de si . grande rosée.

Où était la lande rase, triste, infinie, existe main­tenant la plus grande forêt de France. Des routes ont été construites, mètre par mètre le rail a vaincu le sable. Des canaux d'assèchement ont été creusés. Les pauvres pâtres qui gardaient leurs moutons ju­chés sur des échasses sont devenus forestiers. He­poussé pied à pied par cette grande armée verte, descendant de ses «tchanques» il a pris le « hapshot ».

Changement de vie complet qui ne s'est cerLcs pas fait en un jour mais qui a transformé entière­ment le mode d'existence, fait disparaître certaines coutumes ancestrales. Le cas est peut-être unique en France d'une transformation aussi rapide de l'ha­hitat, dc l'outillage et du costume adapté au nouveau métier de résinier.

La Direction générale des Eaux ct Forêts', pour lI1ieux faire comprendre l'effort qu'elle a fourni, a jugé, avec juste raison, qu'il Mait indispensable d'é­voquer la lande désertique d'autrefois. Une large place sera donc réservée au Folklore régional. Cc­pendant, avant même de penser à l'équipement du Musée il nous a semblé indispensable de créer un mouvement d'opinion cn sa faveur, de faire de l~ « Publicité ».

Pourquoi un Musée serail-il forcément un orga­nisme défieitail'e? S'il cst hien conçu, amusant, il doit attirer les fonles. Tcl le vendeur de foire qui, par sa jactance, arr:i ve à placer sa marchandisc, un Musée doit instruire lcs visiteurs sans les lasser, donc sans qu'ils s'en doutent. La jactance du ven­cleur, cn Muséographie, cst remplacée par les présen­tations mécaniques en mouvement, les attractions, le choix des couleurs douces aux yeux et le passage sans hel1rt d'une vitrine à une autre. Tout doit se faire en souplesse, sans à-coups comme le nagcur

dans un rapide se laissant guider par les remous jusqu'en..eau calme.

Mais je m'aperçois que je ne fais que redire, et bien mal, ce que nous a enseigné brillamment Georges-Henri HIVIÈRE.

Cette théorie est maintenant démontrée magistra­lement.

Hevenons à notre publicité. Par l'intermédiaire de M. PRlGENl', Inspecteur

d'Académie à Mont-de-Marsan, nous avons invité les enfants des écoles landaises à répondre aux ques­tions suivantes :

1°) Quelles sont les choses amusantes ou intéres­santes se rapprochant à la forêt que vous aimeriez voir dans le Musée ?

2°) Quelles sont les dimensions du plus gros pin, du plus gros chêne ?

3°) Combien le pin le plus productif donne-t-il de litres de résine ?

4°) Quels sont les objets anciens que vous avez trouvés et que vos parents seraient disposés à donner ou il vendre au Musée ?

5°) Quelle est la plus vieille et la pins belle mé­tairie que vous connaissez? La décrire sommaire­ment et, si possible, en faire un petit dessin.

Plus de 2.500 copies nous sont déjà parvenues. Le succès a été complet. Des centaines d'objets nous ont été offerts et il faudra des semaines pour aller visitcr les vieilles métairies qui nous ont été signa­lées.

La plus large publicité a ainsi été faite au Musée Forestier. Dans· toute la Lande, les enfants dépassés pal' leur rédaction, ont demandé des conseils à leurs parents. Bouleversés par ce monde nouveau, les vieux ont, ce soir là, raconté des contes de veillées; les magnifiques contes « d'Espourgnères » que Félix ÀRNAUDIN a heureusement récoltés il y a cent ans. De vieilles chansons de la Haute Lande sont repa­rues sur les lèvres. Un courant d'opinion a été créé.

Placé au nord du lac d'Hossegor, en pleine pignada, le Musée Forestier profitera, nous l'espérons, du grand courant touristiquc qui s'étahlit l'été cntrc la Côte Basque et Arcachon.

En dehors de ce courant existe cependant un grand centre thcrmal : Dax. Aussi nous a-t-il paru intéressant d'y tenir boutique.

Merveilleusement placée, sous les arcades du plus grand hôtel et à l'angle de son entrée principale, nous avons présenté une synthèse de cc que sera le Musée Foresticr.

1

bivisée en cinq panneaux représentant chacun une Section du Musée, nous avons fait de notre mieux pour composer notre présentation d'une façon aussi instructive qu'amusante.

l11uséographique, contribuera, nous 1l espérons, il {airë naître chez les Landais le désir d'aller voir dès SOI! ouverture le Musée Forestier.

Bien accueillie par les Dacquois, la boutique a suscité une curiosité mêlée d'étonnement et d'intérêt.

Notre grand espoir est qu'ils sortent de cette visite conquis par la beauté des bois landais, qu'ils achè·

Mais je ne peux faire mieux que d'insérer ici même le passage d'un article que M. Camille HEUBERT,

. professeur honoraire et naturaliste, a bien voulu nous consacrer dans « La Petite Gironde », sous le titre : « La boutique forestière du Splendid » :

« De très heureuse façon, la boutique forestière du Splendid prépare le terrain. Elle séduit l'œil par son artistique présentation et, en même temps, elle instruit le passant. qui s'arrête quelques minutes devant elle.

« Vous ne vous faites pas une idée très concrète de ce que représentent les nombres quasi astronomi­ques que vous avez pu lire sur les plus récentes statistiques de la production annuelle de la Forêt landaise en bois d'œuvre, en liège, en gemme, en papier Kraft ? Regardez le tableau qui est en haut et ·à gauche, à mi-escalier de l'hôtel :

« Bois d'œuvre : 2 millions de mètres cubes (37 Splendid empilés les uns sur les autres).

« Liège : un bouchon de vingt mètre~ de haut (la hauteur de la Tour de Borda) et de 10 mètres de diamètre. Calculez son volume : il pourrait servir à boucher une bouteille haute comme la cathédrale de Strasbourg.

« Gemme : voyez la barrique dont le contenu se déver~e dans quatre arênes dacquoises superposées et les remplit.

« Papier Kraft: une bande de 1 111. 35 de large aurait une longueur telle qu'elle permettrait l'aller et retour de la terre à la lune. '

Landais Cl. P. TOULGOUAT.

« Avec ces trois heureuses représentations cou·· crètes des productions essentielles de la forêt lan· daise, nous nous rendons plus exactement compte de l'importance du rôle qu'elle joue dans l'économi0 forestière française et du rôle essentiellement vital qu'elle joue dans la vie économique de notre région landaise. ~

tënt des produits landais. La présentation ùe Folklore nous aura aidés « publicitairement » en leur rendant la visite agréable, instructive et amu· xante.

Pierre TOULGOUAT L'aménagement, peut-être plus publicitaire que du Musée Forestier d'Hossegor

Nous publions ci-après en annexe au présent article le texte de l'allocution de M. Michel DRuHEN, Inspecteul' des Eaux et Forêts et Conservateur du Musée FOl'estier d'Hossegor, allocution transmise aux

écoliers landais par les instituteurs de la ré~ion. Un magnifique exemple à suivre ...

Mes chers enfants,

Vous n'avez probablement jamais vu ùe Musée. Peut-être même n'avez-vous guère idée de ce que c'est. Je vais donc YOUS l'expliquer.

Vous savez bien, j'en suis sftr, ce qu'est un salon. C'est, chez les gens qui ont une grande maison, la pièce la plus belle, dans laquelle on reçoit les visiteurs. On cherche à leur don-

net· une bonne impression de sa de­meure, en meublant ce salon de ce qu'on a de plus joli ou de plus curieux.

Vn Musée est à un~ nation ce qu'un salon est à une famille. C'est un bâti­ment ouvert à tous . les 'visiteurs, et destiné à leur montrer ce qu'un pays, ou une région, a produit ou produit encore de plus remarquable dans un genre déterminé. Prenons un exemple : le Musée de Lyon présente aux visi-

leurs les plus belles sOIerIes qu'on aient faites dans la région. A Besançon, "ille qui possède beaucoup de fabriques d'horlogerie, on peut voir, dans un Mu­sée, toutes sortes de montres ou pen­dules anciennes, ainsi que les modèles les plus perfectionnés au fur et à mesure qu'on les invente.

Vous comprenez que des Musées comme ceux de Lyon ou de Besançon son t très utiles parce qu'ils rensei-

gnent exactement les acheteurs sur la fabrication qui les intéresse, et leur font souvent acheter des objets dont, auparavant, ils ne soupçonnaient même pas \ l'existence.

* * * Nous, les Landais, nous habitons un

pays qui était très pauvre autrefois. Deux grands ingénieurs, BRÉMONTIER et CHAMBRELENT, ont transformé ses ma­récages en une immense forêt qui nous '1 sauvés de la misère. Mais nous serions encore bien pl us riches si nos bois et nos résines se vendaient mieux. Le Gouvernement y travaille par toutes sortes de moyens, notamment, en fai­sant construire un Musée Forestier qui montrera ce qu'est notre forêt lan­daise, et mettra en valeur tous les pro­duits que nous fabriquons.

Il s'agit donc, vous le comprenez, de faire un Musée qui soit très intéres­sant, pour que beaucoup de gens qui viennent depuis Paris où d'ailleurs, passer leurs vacances sur nos plages soient tentés de le venir voir. Et quand leur visite sera terminée, ils sortiront en se disant : «Tiens, tiens, je n'au­l'arS pas supposé que le pin maritime donnait du si beau parquet, je vais en passer commande puisque j'ai le plan­cher de ma chambre à refaire 1>.

_ Ou bien encoi'e «je ne me doutais guère que les _ meilleures peintures êtaient faites avec de l'essence de téré­benthine. Puisque je dois faire repein­dre ma maison cet été, j'exigerai qu'on n'y mette pas d'autre drogue,>_

Vous sentez bien que s'il y a des m'illiers de gens qui deviennent ainsi de nouveaux clicnts de notre forêt, nos produits se vcndront plus cher, et que vos papas, qui vivent de cette fo-

.. rêt, Y trouveron t leur bénéfice. Mais pour qu'il y ait beaucoup de

CCd nouveaux client-;, il faut qu'il y ait beaucoup de gens qui viennent voir le Musée, et pour celn., il est nécessa irl) de les attirer par toutes sortes de cho­ses plaisantes à regarder.

Bien entendu, il y aura des choses SériCU'lCS et instructives, puisque. dans Ile fond, ce sont elles qu'il est esst'atiû de montrer. Mais elles sont toujeurs "j'aspect plus ou moins sévère, et (-eu ,le monde se dérangerait pour les voir, si elles étaient seules exposées. Que fait votre maman quand vous avez à p"rendre une médecine un peu amère? l{st-ce qu'elle ne la mélange pas à de la cohfiture pour que vous ayez plaisir à l'avaler?

De même, dans le Musée forestier qui ,,'élève à SEIGNOSSE, sur le lac d'nos~e­gor, il faut que l'agréable soit mêlé il l'utile pour que ce soit plaisir ùe s'y 'enir promener.

* * * Et voilà, mes chers enfants, où j'ai

absolument besoin de vous, moi qui

...... 89 -

suis chargé de faire ce Musée, Il faut y mettre des choses amusantes. Or, vous êtes à l'âge où l'on sait s'amuser et moi, plus, depuis longtemps 1 Je vous demande donc de bien réfléchir à la qnestion, et de me dire ce qui vous paraîtrait amusant à montrer dans le Musée forestier.

Il y a déjà des l)etits garçons et des petites filles de vos âges qui m'ont donné de très bonncs idées.

Par exemple, un certain Pierre DAn­MAILLACQ m'a demandé de faire, dans le parc, une grande volière avec tous les oiseaux de la forêt.

Elise LACAZE m'a conseillé d'avoir des écureuils qui feraient tourner des roues, ces roues faisant marcher des boUes à musique. Son frère Jean, sans doute futur mécanicien, voudrait qu'une de ces roues actionne une petite dynamo donnant le courant à une lampe élec­trique.

Paul DUPIN, lui, préfère les sports, et propose qu'oil installe sur les hautes

dunes du parc, une piste de ski où les feuilles de pin remplaceraient la neige.

Brigitte DOUSSEAU, coquette comme beaucoup de petites filles, pense qu'il serait très agréable de pouvoir se faire photographier «déguisée '>, et propose que les amateurs puissent revêtir la peau de mouton du berger d'autrefois ct monter sur des échasses avant de po­ser devant l'objectif.

Je remercie beaucoup ces jeunes col­laborateurs, et je vais exécuter dans le Musée tous leurs projets. Mais vous, mes chers enfants, n'avez-vous pas d'autres idées à me donner, que vous seriez bien con ten ts de voir réalisées pour de vrai?

Réfléchissez-y donc bien, pour pou­voir consigner vos idées dans l'espèce de «composition» que vous aurez à faire là-dessus, dans quelques jours.

* ** J'ai encore autre chose à vous de-

M. Bernadet, potier à Cagnotte, près Dax (Landes)

Cl, P. TOULGOUAT.