Évaluation, impacts et perceptions du changement climatique dans le grand ouest de la france...

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Évaluation, impacts et perceptions du changement climatique dans le Grand Ouest de la France métropolitaine : le projet CLIMASTER doi: 10.1684/agr.2014.0694 Pour citer cet article : Merot P, Corgne S, Delahaye D, Desnos P, Dubreuil V, Gascuel C, Giteau JL, Joannon A, Quenol H, Narcy JB, 2014. Évaluation, impacts et perceptions du changement climatique dans le Grand Ouest de la France métropolitaine : le projet CLIMASTER. Cah Agric 23 : 96-107. doi : 10.1684/agr.2014.0694 Tirés à part : P. Merot Résumé Les principaux re ´sultats obtenus dans le cadre du projet CLIMASTER visent a ` contribuer au de ´bat sur le changement climatique dans le Grand Ouest de la France. Des analyses de diffe ´rentes longues chroniques ont porte ´ sur l’e ´volution climatique en cours. Les analyses sur les tempe ´ratures montrent qu’un degre ´ae ´te ´ « gagne ´ » en moyenne sur les cinquante dernie `res anne ´es. Sur les pre ´cipitations, on note des tendances saisonnie `res oppose ´es, avec une augmentation l’hiver et une diminution l’e ´te ´, surtout au nord du Grand Ouest. Vis-a `-vis de l’agriculture, des travaux originaux sur les jours agronomiquement disponibles ont e ´te ´ re ´alise ´s. Les tendances actuelles et passe ´es des syste `mes de culture ont e ´te ´ aussi aborde ´es a ` partir des chroniques spatiales d’occupation du sol sur des donne ´es de te ´le ´de ´tection innovantes, sur une de ´cennie. La capacite ´ des acteurs agricoles a ` prendre en compte l’impact du changement climatique a e ´te ´ caracte ´rise ´e a ` partir d’enque ˆtes, de se ´minaires d’e ´changes et de re ´flexions prospectives au sein de groupes d’agriculteurs. En contrepoint, des enque ˆtes avec les acteurs de l’eau ont e ´te ´ e ´galement re ´alise ´es. En conclusion, l’ensemble des travaux de CLIMASTER, les me ´thodes choisies, le corpus de connaissances e ´labore ´ sont la ` pour « donner a ` penser » le changement climatique dans le Grand Ouest. Mots cle ´s : agriculture ; climat ; jours disponibles ; production laitie `re ; ressource en eau. The `mes : climat ; productions animales ; productions ve ´ge ´tales. Abstract Assessment, impact and perception of climate change in the western part of France: The CLIMASTER project We describe the methods and the main results obtained in the framework of the climaster project with the aim of contributing to the debate on climate change in the Grand Ouest (western part) of France. Concerning the climate, past long term series make it possible to analyse current climate change. One degree of temperature is the mean increase over a fifty-year period. The rainfall data show a seasonally contrasted trend, with an increase in winter and a decrease in summer, especially in the northern part of the Grand Ouest. Concerning agriculture: an original work has been carried out on the agronomic useful days. The current and past trends of land use and land cover concerning innovative remote sensing methods over a decade are discussed. The ability of agricultural stakeholders to take into account the impact of climate change has been approached by surveys, seminars of prospective studies Philippe Merot 1 Samuel Corgne 2 Daniel Delahaye 3 Philippe Desnos 4 Vincent Dubreuil 2 Chantal Gascuel 1 Jean-Luc Giteau 5 Alexandre Joannon 6 Herv e Quenol 2 Jean-Baptiste Narcy 7 1 Inra UMR SAS Agrocampus Ouest 65 rue de Saint Brieuc 35042 Rennes cedex France <[email protected]> <[email protected]> 2 CNRS LETG Rennes COSTEL UMR 6554 Universit e de Rennes 2 Place du Recteur Henri Le Moal 35043 Rennes cedex France <[email protected]> <[email protected]> <[email protected]> 3 Universit e de Caen Basse-Normandie LETG Caen GEOPHEN UMR 6554 CNRS Esplanade de la Paix - CS 14032 14032 Caen cedex 5 France <[email protected]> 4 TRAME, Rennes, ZAC Atalante Champeaux 35042 Rennes cedex <[email protected]> 5 Chambre d'agriculture de Bretagne 4, avenue du Chalutier Sans Piti e BP 10540 22195 Plerin cedex France <[email protected]> 96 Cah Agric, vol. 23, n8 2, mars-avril 2014 Étude originale

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Évaluation, impacts et perceptionsdu changement climatique

dans le Grand Ouest de la France métropolitaine :le projet CLIMASTER

doi: 10.1684/agr.2014.0694

Pour citer cet article : Merot P, Corgne S, Delahaye D, Desnos P, Dubreuil V, Gascuel C, Giteau JL,Joannon A, Quenol H, Narcy JB, 2014. Évaluation, impacts et perceptions du changementclimatique dans le GrandOuest de la Francemétropolitaine : le projet CLIMASTER. Cah Agric 23 :96-107. doi : 10.1684/agr.2014.0694

Tirés à part : P. Merot

RésuméLes principaux resultats obtenus dans le cadre du projet CLIMASTER visent a contribuerau debat sur le changement climatique dans le Grand Ouest de la France. Desanalyses de differentes longues chroniques ont porte sur l’evolution climatique encours. Les analyses sur les temperatures montrent qu’un degre a ete « gagne » enmoyenne sur les cinquante dernieres annees. Sur les precipitations, on note destendances saisonnieres opposees, avec une augmentation l’hiver et une diminutionl’ete, surtout au nord du Grand Ouest. Vis-a-vis de l’agriculture, des travaux originauxsur les jours agronomiquement disponibles ont ete realises. Les tendances actuelles etpassees des systemes de culture ont ete aussi abordees a partir des chroniquesspatiales d’occupation du sol sur des donnees de teledetection innovantes, sur unedecennie. La capacite des acteurs agricoles a prendre en compte l’impact duchangement climatique a ete caracterisee a partir d’enquetes, de seminaires d’echangeset de reflexions prospectives au sein de groupes d’agriculteurs. En contrepoint, desenquetes avec les acteurs de l’eau ont ete egalement realisees. En conclusion,l’ensemble des travaux de CLIMASTER, les methodes choisies, le corpus de connaissanceselabore sont la pour « donner a penser » le changement climatique dans le GrandOuest.

Mots cles : agriculture ; climat ; jours disponibles ; production laitiere ; ressource eneau.

Themes : climat ; productions animales ; productions vegetales.

AbstractAssessment, impact and perception of climate change in the western part of France:The CLIMASTER project

We describe the methods and the main results obtained in the framework of theclimaster project with the aim of contributing to the debate on climate change in theGrand Ouest (western part) of France. Concerning the climate, past long term seriesmake it possible to analyse current climate change. One degree of temperature is themean increase over a fifty-year period. The rainfall data show a seasonallycontrasted trend, with an increase in winter and a decrease in summer, especially inthe northern part of the Grand Ouest. Concerning agriculture: an original work hasbeen carried out on the agronomic useful days. The current and past trends of landuse and land cover concerning innovative remote sensing methods over a decadeare discussed. The ability of agricultural stakeholders to take into account the impactof climate change has been approached by surveys, seminars of prospective studies

Philippe Merot1

Samuel Corgne2

Daniel Delahaye3

Philippe Desnos4

Vincent Dubreuil2

Chantal Gascuel1

Jean-Luc Giteau5

Alexandre Joannon6

Herv�e Quenol2

Jean-Baptiste Narcy7

1 InraUMR SASAgrocampus Ouest65 rue de Saint Brieuc35042 Rennes cedexFrance<[email protected]><[email protected]>2 CNRS LETG Rennes COSTELUMR 6554Universit�e de Rennes 2Place du Recteur Henri Le Moal35043 Rennes cedexFrance<[email protected]><[email protected]><[email protected]>3 Universit�e de Caen Basse-NormandieLETG Caen GEOPHENUMR 6554 CNRSEsplanade de la Paix - CS 1403214032 Caen cedex 5France<[email protected]>4 TRAME, Rennes,ZAC Atalante Champeaux35042 Rennes cedex<[email protected]>5 Chambre d'agriculture de Bretagne4, avenue du Chalutier Sans Piti�eBP 1054022195 Plerin cedexFrance<[email protected]>

96 Cah Agric, vol. 23, n8 2, mars-avril 2014

Étude originale

L e Grand Ouest de la Francemetropolitaine, qui regroupeBasse-Normandie, Bretagne,

Pays-de-Loire et Poitou-Charentes,s’interroge sur le changement clima-tique. Ce questionnement est plustardif que dans les regions du pourtourmediterraneen, mais il est tresouvert. En effet, c’est une regionde grande incertitude sur l’ampleuret les consequences du changementclimatique.Pour traiter de cette question, nousavons reuni un large panel interdisci-plinaire de chercheurs, associes a desacteurs du domaine agricole et de lagestion de l’eau. En effet, le debatne prend de sens qu’au regard de lasociete, puisque c’est bien la vulnera-bilite des systemes ecologiques etsociaux qui est en jeu. La prise encompte du changement climatique atoutes les echelles de gestion, depuiscelle de l’exploitation agricole jusqu’acelle du territoire regional est doncnecessaire.La notion d’adaptation est premieredans notre demarche comme fruitd’une interaction entre un climat, unsysteme de production et un contextegeographique (sensu lato) et doncfortement liee a un territoire. La notiond’attenuation concerne plus unemodification des techniques de pro-duction. Elle ne necessite pas uneapproche regionalisee.Seule une partie du projet Climasterest ici presentee. Le lecteur en trou-vera une vision complete dans l’etudede Merot et al. (2013) qui integre lestravaux realises sur les ressources eneau et en sol. Ceux-ci conduisent adonner a la variabilite locale desproprietes du sol un role cle dansl’evaluation de la vulnerabilite desressources en eau et en sol.L’objectif de cet article est : i) depresenter la realite du changement(et non simplement du rechauffement

climatique) dans le Grand Ouest en sebasant essentiellement sur l’evolutionpassee du climat ; ii) de proposer pourle monde agricole des indicateurspertinents du changement climatiqueet de sa variabilite, puis d’analyser laperception des acteurs a partir desadaptations actuelles ou projetees ; iii)enfin de presenter les methodesdeveloppees en vue d’une appropria-tion de cette thematique par lesacteurs du monde agricole. Dans cecadre, les projections climatiques duGroupe d’experts intergouvernemen-tal sur l’evolution du climat (GIEC,2011) ont ete utilisees dans desmodeles et des scenarios agricoles.En contrepoint la perception duchangement climatique par les acteursde l’eau est presentee. Enfin, la conclu-sion souligne le positionnement de cepapier dans le contexte actuel desinterrogations scientifiques et techni-ques sur le changement climatique.

Le changementdu climat dans la Francede l'OuestTrois types d’analyses ont etedeveloppes, a partir de longueschroniques climatiques du passe dansle Grand Ouest, pour voir l’evolutiondeja en cours du climat : la pluie et lestemperatures (figure 1), ainsi que lestypes de temps (figure 2).

Pluie et températureLes observations climatiques sur lelong terme (50 ans, parfois plus)montrent que le rechauffement clima-tique est une realite d’une grandehomogeneite sur la France de l’Ouest(figure 1). Environ un degre a ete« gagne » en moyenne sur les 50

dernieres annees, ce qui equivaut aun deplacement d’une centaine dekilometres vers le sud (Dubreuil et al.,2010). La tendance est plus marqueel’ete que l’hiver mais plus prononceepour les minimales (+ 1,1 8C) queles maximales (+ 0,7 8C), sauf enPoitou-Charentes.Il est plus difficile d’observer destendances pour les precipitations carcelles-ci presentent une plus fortevariabilite que les temperatures. Enmoyenne annuelle, aucune tendancen’est significative malgre une legereaugmentation. En revanche, on notedes tendances saisonnieres opposeesavec une augmentation des precipita-tions l’hiver et une legere diminutionl’ete, surtout au Nord (figure 1, histo-gramme). Il faut noter que cette legereaccentuation du contraste saisonniermoyen est egalement visible dansd’autres regions de l’Europe duNord-Ouest.

Types de tempsL’etude des types de temps, definis apartir de trois parametres « sensibles »du climat (le pourcentage d’ensoleillement, la temperature et les precipita-tions) au cours des 40 dernieresannees (1971-2010) offre une appro-che tres synthetique des differentsetats de l’atmosphere, « realite vivantefaite tout entiere de combinaisons ».De plus, la connaissance des types detemps permet d’envisager les conse-quences de cette dynamique del’atmosphere en mesurant les poten-tialites et les risques d’origine meteo-climatique pour divers secteursd’activites (figure 2).Cette etude fait clairement ressortirle poids majeur des influences atlanti-ques (dominance des conditionsnuageuses, temperees et souvent arro-sees) mais egalement les disparites

6 InraUR SAD-Paysage65 rue de Saint Brieuc35042 Rennes cedexFrance<[email protected]>7 AScA8, rue Legouv�e75010 ParisFrance<[email protected]>

and exchanges among farmer groups. Investigations concerning water stakeholdershave been also made for comparison. In conclusion, the work done, the methodsused and the body of knowledge built all contribute to a way of considering climatechange in the Grand Ouest.

Key words: agriculture; available days; climate; dairy farms; water resources.

Subjects: animal productions; climate; vegetal productions.

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BREST CAEN COGNAC

LE MANS ROSTRENEN NANTES

ANGERSRENNESPOITIERS

Figure 1. Différence entre les normales 1951-1980 et 1981-2010 pour les moyennes mensuelles des températures (en 8C) et des précipitations (en mm/jour).

Figure 1. Difference in normal temperatures (in 8C) and precipitation (in mm/day) between 1951-1980 and 1981-2010.Temperatures : courbe rouge ; pr�ecipitations : histogramme bleu ou orange.

Source : Météo-France (climathèque). Réalisation : V. Dubreuil, COSTEL, université de Rennes 2.

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geographiques entre le nord et lesud de la region, ou localement sur lelittoral. Si de grandes fluctuationspluriannuelles apparaissent dans lafrequence des types de temps, cetteapproche synthetique du climat souli-gne aussi l’amorce de nouvelles ten-dances que les prochaines decenniesse chargeront ou non de confirmer.

Changementclimatiqueet agriculture

Observationdes changementsd'occupation et d'utilisationdes sols par télédétectionDans les regions caracterisees par uneagriculture predominante, les change-ments d’occupation des sols sont tresfortement lies aux changements depratiques agricoles. Elles sont moti-vees par des facteurs locaux, maisaussi par les politiques locales, natio-nales et europeennes (Vannier et al.,2011). Plusieurs etudes recentes ontmontre les relations complexes

existant entre le changement climati-que et les changements d’occupationdes sols (Fischer et al., 2005).Elles mettent en evidence que ceschangements apparaissent tour a tourcomme un des facteurs explicatifs duchangement climatique et comme uneconsequence de ce dernier (Lobell etField, 2007).Nous avons exploite la complementa-rite des images a moyenne et hauteresolutions spatiales pour identifier,caracteriser et suivre les changementsd’occupation des sols depuis 2000 adeux echelles du Grand Ouest. Nousavons ensuite analyse les dynamiquesidentifiees a l’echelle de sites d’etuderepresentatifs de la diversite agricoleet climatique du Grand Ouest. Bienque la longueur de cette serie tempo-relle soit trop courte aujourd’hui pourapprehender l’effet du changementclimatique, ce type de donnees spa-tiales nous paraıt tres puissant etindispensable dans un futur prochepour articuler changement climatiqueet changement globaux. Il donneaujourd’hui une image de la variabilitetemporelle et spatiale de la couverturevegetale.Apres traitement d’images MODIS(Moderate Resolution Imaging Spec-troradiometer) (Lecerf et al., 2008), ona constitue des series temporelles

d’indicateurs de la dynamique de lavegetation, qui sont ici des variablesbiophysiques : l’indice de surfacefoliaire (LAI, Leaf Area Index), ouquantite de feuilles vertes par unite desurface, ou encore la fraction decouverture vegetale des sols (lefCOVER), ou surface couverte par dela vegetation par unite de surface.Ces variables permettent d’identifierl’evolution de la phenologie descouverts vegetaux. Le fCOVER a eteutilise ici pour analyser plus particu-lierement la date de fin de croissancede la vegetation. Les resultats mon-trent de fortes variations temporellesde la presence du couvert vegetal enhiver. Ainsi, le taux de couverturevegetale est particulierement elevedurant l’hiver 2006-2007 qui a etedoux et pluvieux (figure 3). Enrevanche, ce taux est tres faible aucours des deux hivers suivants, al’instar de la situation observee aucours de l’hiver 2003-2004. Cela peuts’expliquer par le climat, par lespratiques agricoles (interculture pre-sente, tardive ou absente), et par uneconjonction des deux.L’analyse de la dynamique spatio-temporelle de l’evolution de la datede fin de croissance de la vegetationmontre un gradient relativementmarque entre la frange oceanique

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« Nuageux et doux » (4e : 7,9 %)« Gris, frais et pluvleux » (2e : 8,3 %)

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Nord Sud 5 ans

Figure 2. Évolution des deux types de temps les plus fréquents parmi 48 types, dans le Grand Ouest de la France entre 1971 et 2010.

Figure 2. Evolution of two most frequent types of weather among 48 types in the Grand Ouest of France between 1971 and 2010.Nombre de jours par an, avec distinction entre le Nord (trait bleu : moyenne Brest, Rennes, Caen) et le Sud (trait rouge : moyenne Poitiers, La Rochelle, Cognac) ; moyennequinquennale r�egionale (point noir) ; entre parenthèses : fr�equence du type de temps.

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nord-ouest, caracterisee par une datede fin de croissance prolongee (entre300 et 350 jours), et les regions du Sud-Est pour lesquelles cette derniere variede 250 a 300 jours (figure 4). L’Ouestde la Bretagne et la Basse-Normandiese distinguent ainsi nettement de l’Estde la Bretagne (bassin de Rennes), desPays de la Loire et du Poitou-Charen-tes. Si ces deux ensembles se diffe-rencient d’un point de vue climatique,ils se distinguent egalement par dessystemes agricoles et des modesd’usage des sols specifiques, ce quiexplique en partie cette dichotomie :prairie dominante en Bretagne occi-dentale et Basse-Normandie ; culturescerealieres dominantes dans le bassinde Rennes, le Poitou-Charentes, lesPays de la LoireL’analyse de cette metrique metegalement en evidence l’impact de lavariabilite climatique sur la couverturevegetale. Ainsi, les annees seches de2005, 2006 et 2010 ressortent bien acette echelle car elles sont caracteri-sees par une senescence relativementprecoce de la vegetation.

Jours agronomiquementdisponiblesNous presentons une analyse desconsequences du changement clima-tique sur l’organisation du travail dansles exploitations agricoles a partir de lanotion de « jour agronomiquementdisponible ». Le modele JDISPO

developpe par Arvalis (Gillet, 1992)est applique aux projections climati-ques du scenario A1b du GIEC(scenario moyen avec une augmenta-tion globale de 2,8 8C de la tempera-ture en 2100) a l’horizon 2060. Nousillustrons ici cette approche sur lesexploitations de polyculture elevagelaitier au nord-est de la Bretagne. Untravail analogue a ete fait sur lesexploitations viticoles en Val de Loire.Les resultats montrent qu’en Bretagnela situation resterait favorable au maısavec ce critere. Il y a une augmenta-tion des jours agronomiquement dis-ponibles (JAD) pour l’implantationde la culture et un niveau eleve dejours disponibles a l’automne, memesi une baisse pourrait se produiredans le futur tres proche (2000-2029).Pour le ble, les conditions d’implanta-tion devraient rester stables, surtoutpour des semis posterieurs au 1er

novembre. Enfin, concernant la prairie,l’evolution des jours disponiblesne suit pas la meme logique quel’evolution de leur productivite. Enmars, la productivite augmente forte-ment (Brisson et Levrault, 2010) avecdes JAD stables ; en ete, le nombre dejours agronomiquement disponiblesaugmente fortement mais la producti-vite des prairies est en forte baisse.Les resultats de Cooper et al. (1997)en Ecosse donnent des tendancescomparables.Ce travail montre que la notion dejours agronomiquement disponiblesconstitue un indicateur sensible au

changement climatique. Toutefois, cesresultats sont emprunts d’une forteincertitude. Ce sont des tendancespour aider a reflechir au futur. Parailleurs, leur signification est a raison-ner en fonction des evolutions desstructures des exploitations, l’organi-sation du travail n’etant pas qu’unequestion de jours agronomiquementdisponibles.

Adaptation stratégiqueou tactique des élevageslaitiers du Grand OuestLe choix de l’approche developpee iciest d’etudier le lien entre les pratiquesagricoles et l’evolution climatique enfondant l’analyse sur le point de vuedes agriculteurs. Les agriculteurs duGrand Ouest ont-ils deja percu uneevolution climatique ? L’ont-ils inte-gree au pilotage de leur systemed’exploitation, et selon quelles moda-lites ? Nous nous sommes appuyes surles travaux recents portant sur lesrelations entre changement climatiqueet systemes fourragers de l’Ouest engeneral – systemes a base maıs ouprairie (Amigues et al., 2006 ; Andrieuet al., 2008 ; Brisson et Levrault, 2010).Le travail porte sur les itinerairestechniques (Dore et Meynard, 2006)du ble et du maıs, sur les systemesfourragers, et sur certaines dimensionsde la gestion territoriale de l’exploita-tion (Martin et al., 2006). Il s’agit decibler des pratiques communes a tous

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Figure 3. Évolution de la fraction de couverture végétale (fCOVER) sur l'ensemble du Grand Ouest, de mars 2000 à mars 2011.

Figure 3. Evolution of the fraction of vegetation cover (fCOVER) across the Grand Ouest from March 2000 to March 2011.

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Date de fin de croissance de la végétation en nombre de jours depuis le début de l’année

Exemple pour 2010 :

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300 = 27/10

350 = 16/12

Figure 4. Date de fin de croissance de la végétation vue par MODIS sur le Grand Ouest de 2001 à 2010.

Figure 4. Date of the end of vegetation growth seen by MODIS on the Grand Ouest from 2001 to 2010.

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les exploitants, car : i) importantespour l’elaboration des productions ;ii) potentiellement « aux avant-postes » des reponses des agriculteursaux evolutions climatiques ; et iii) auxevolutions significatives sur l’utilisa-tion des terres et les ressourcesnaturelles. Quatre-vingts exploitationsdiversifiees ont ete examinees danstrois zones climatiques contrastees(Cotes d’Armor, Maine-et-Loire, Orne)ainsi que dans la Vienne. Les caracte-ristiques des exploitations sont detail-lees par Merot et al. (2013).La figure 5 synthetise les changementsd’itineraires techniques (ITK) du ble etdu maıs realises par les 28 agriculteursinterroges sur ce theme. Elle donne lesraisons (qui peuvent etre plurielles,d’ou un total superieur a 28) qu’ilsexpriment pour ces changements, dontnotamment l’evolution climatique.Les exploitants evoquent peu l’evolu-tion du climat comme explication deschangements effectues, sauf pour lemaıs, les dates de recoltes et de semisplus precoces, et le choix de varietesplus tardives. Pour qualifier l’evolu-tion climatique les avis divergent, maisla plupart des agriculteurs s’accordenta percevoir une transformation duregime des pluies. Les distinctionsles plus fortes entre les exploitants

apparaissent dans la justification decette evolution en fonction du niveaud’etude. La theorie du changementclimatique avec un role de l’hommeest plutot partagee par les exploitantsde niveau BTS/ingenieur, contraire-ment aux autres exploitants qui privi-legient la theorie de cycles climatiques,ou le simple constat.

Adaptation de la conduitedu système d'exploitationà l'évolution climatique

Le premier constat dresse est ladifficulte d’identifier le role du facteurclimatique dans les changementssurvenus dans les exploitations.Plus generalement, l’eleveur sembles’adapter a son environnement sans enfaire de « decoupage » selon differentsfacteurs causaux (Delbos et Jorion,1984). L’adaptation du systeme deproduction est orientee par l’adequa-tion entre les ressources et les besoinsalimentaires du troupeau (Andrieuet al., 2008) dont le facteur climatiquedevient un des elements. Si l’evolutionclimatique est une nouveaute, enrevanche la variabilite climatique estun parametre ressenti comme fort,depuis la constitution du stock four-

rager jusqu’au pilotage de l’ensemblede l’elevage.Pour comprendre les ajustementsentre ressources et besoins alimentai-res, une enquete aupres des eleveursa ete realisee en vue d’expliquercomment ils avaient gere la secheressede 2010. Trois categories d’actions ontpu etre ainsi identifiees : i) l’interna-lisation des consequences de la seche-resse sur le systeme de production, enaugmentant la part de fourrages dis-ponibles par le fauchage des culturesderobees ou des refus, et en paturantdes surfaces initialement prevues pourdes recoltes ; ii) l’externalisation desconsequences avec achat de fourra-ges, prise d’assurances contre les aleasclimatiques, voire diminution de laration alimentaire et decapitalisationpartielle et iii) des actions mixtes entreces deux termes (Magnan, 2009). Dansla plupart des cas, le choix porte surdes actions mixtes avec des raisonne-ments interannuels ou des pas detemps « intra-campagne » en fonctionde la situation locale. Ces resultatsmontrent que les agriculteurs inte-grent le facteur climatique dans desactions tactiques mais pas (encore ?)dans le systeme de production. Lesagriculteurs de la Vienne presententun contraste de ce point de vue, ayant

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Blé Maïs

Évolution climatique

Respect de l’environnement ou passage en AB

Sécurisation du système

Simplification du travail

Augmentation de la technicité

Pas de changements

Figure 5. Modifications des itinéraires techniques (ITK) du blé et du maïs depuis 10 ans pour 28 exploitations, classées selon les raisons avancées.

Figure 5. Changes in practice calendar of wheat and corn for 10 years and 28 farms, classified according to the reasons given.

102 Cah Agric, vol. 23, n8 2, mars-avril 2014

tous spontanement parle d’evolutionclimatique et developpe diversesadaptations (voir aussi Amigueset al., 2006).

Conséquences de l'adaptationclimatique sur la spécialisationdes élevages

L’orientation des systemes fourragersest apparue fortement structurante dela diversite des exploitations sur ungradient allant de la predominance dumaıs a la predominance des herbages.Ainsi, les strategies proposees renfor-cent plutot la specialisation desexploitations vers le systeme fourragerdominant en place. Le second elementest lie a un effet de « seuil detolerance » conduisant par exemple aenvisager l’arret a terme de la produc-tion de lait suite a des secheressesestivales repetitives depuis le debutdes annees 2000. Celles-ci jouaientun role, mais jamais comme facteurdeclenchant. Cela renvoie a l’impor-tance de la succession d’evenementsextremes dans la prise de decision.Enfin, la question climatique, parla sensibilisation qu’elle impose,intervient comme un revelateur pourles systemes d’exploitation a traversla recherche de la durabilite desexploitations.

Changement climatiqueet viticulture :le cas du Val de Loire

Dans le cadre d’une etude sur levignoble du Val de Loire, une analysecomparative des temperatures issuesdu reseau Meteo France a ete effectueea l’echelle regionale. Il s’agit de carac-teriser l’evolution des temperatureset son influence sur les dates devendanges (figure 6) et la qualite desraisins. De plus, une analyse del’evolution des pratiques viticoles etde leurs perspectives face au change-ment climatique a ete realisee. Depuisla fin des annees 1980, la viticulturedu Grand Ouest se trouve dans uncontexte climatique favorable, ou lesdifferents cepages traditionnellementcultives peuvent exprimer toutesleurs potentialites. En revanche, denouveaux problemes apparaissent :augmentation importante de la teneuren sucres conduisant a des vins tropalcoolises, decalage croissant entrela maturite technologique (rapportsucres/acidite) et la maturite pheno-lique des raisins rouges ou la maturitearomatique des raisins blancs. La datede vendange devient de plus en plusune variable particulierement sensiblecar elle correspond a un equilibresucres/acides/composes phenoliques/aromes qui va determiner le mode de

vinification et le type de vin a elaborer.Cette question ne se posait pas lorsquela recolte arrivait a un momentou, coute que coute il fallait recolter,parce que les conditions climatiquesdevenaient defavorables et que lavendange se deteriorait.Par ailleurs, la caracterisation duclimat d’un terroir aux echelles plusfines (et donc de son heterogeneite) apermis de montrer, selon l’orientation,la topographie locale, la nature du solet la vegetation, des differencesde cumul allant jusqu’a 100 degres-jours selon la localisation au sein del’appellation d’origine controlee (AOC)Coteaux-du-layon. Cela conduit amener une reflexion sur la variabilitelocale des contraintes d’adaptation auchangement climatique.

Perceptionet mise en débatdu changementclimatiqueLa question du climatdiscutée avec des groupesd'agriculteursLes acteurs agricoles impliques dansce projet sont des groupes de

1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 Année

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Figure 6. Écarts en jours à la moyenne 1976-2011 des dates de vendanges du Grolleau noir (cépage précoce) et du Cabernet franc (cépage plus tardif) à lastation expérimentale Inra de Montreuil-Bellay (49) au sud de Saumur. (> 0 : vendanges précoces ; < 0 : vendanges en retard).

Figure 6. Harvest dates deviations (in days) from the 1976 to 2011 mean date for Grolleau black (early variety) and Cabernet Franc (grape later) at the INRAexperimental station of Montreuil-Bellay (49), south of Saumur (>0: earlier harvest dates; <0: later harvest dates).

103Cah Agric, vol. 23, n8 2, mars-avril 2014

developpement (TRAME, Ceta35,Cedapa22), des chambres d’agricul-ture de Bretagne. L’association desagriculteurs a ces travaux a etepossible a la fin du projet par lamobilisation de quatre groupes d’agri-culteurs de l’Ouest (puis d’autresgroupes par la suite). Au sein de cesgroupes une synthese des connais-sances issues de la recherche sur lesrelations agriculture-changement cli-matique a ete mise en discussion. Ils’agit d’articuler leurs connaissancesempiriques de terrain (experiences etobservations) avec les connaissancesissues de la recherche, et d’eclairerainsi la mise en œuvre des adaptationssur leurs exploitations.Cette reflexion prospective en groupe,basee sur la methode AFOM (atouts-faiblesses-opportunites-menaces) aete conduite en quatre temps : i)l’installation du cadre ; ii) la presenta-tion des resultats des recherches sur lechangement climatique ; iii) la quali-fication des informations pertinentes ;iv) et enfin la production de pistespour le futur.La separation entre l’environnement(externe a l’exploitation, qui peut etreune opportunite ou une menace) etle systeme d’exploitation (interne, quipeut etre un atout ou une contrainte)est un prealable que les participantsdoivent accepter.Lors du troisieme temps, la questionsuivante est posee aux participants :« Parmi toutes ces informations, les-quelles constituent une OPPORTU-NITE pour vos exploitations, etlesquelles une MENACE ? ». Puis, lesparticipants sont invites a porter unregard evaluatif sur leur exploitation :« Quels sont les ATOUTS que possedentvos exploitations pour faire facea ces changements ? Quelles sontles CONTRAINTES dont elles sontporteuses ? ».Lors du dernier temps, il est demandepar petits groupes de 2 a 4 personnes,de selectionner un atout, une faiblesse,une opportunite et une menace. Puis,a chaque intersection (figure 7) de seposer la question « Quoi faire ? Quelleest la piste d’action envisageablepour l’avenir ? ». Par exemple : aucroisement d’une opportunite, commel’augmentation des temperatures prin-tanieres et automnales, et d’un atout,comme la production de melonsactuellement sur l’exploitation ; lescenario de developpement formule

est la vente des melons localement auxtouristes plus longtemps dans l’annee.Avec cette experimentation, meneesur 30 personnes en quatre groupesdu Grand Ouest, nous avons puverifier que cette methode est adapteea la mise en discussion des enseigne-ments sur le changement climatiqueau sein de groupes d’agriculteurs. Ilfaut que les participants s’impliquentet jouent le jeu de la prospective, etque l’animateur soit centre sur l’ela-boration du cadre, laissant les partici-pants produire par eux-memes.L’attitude generale est de faire confi-ance a l’intelligence du groupe pourtraiter une question aussi complexe.Toutes les informations scientifiquesn’ont pas suscite le meme interet. Lesaleas climatiques du passe se retracentaisement grace a la memoire collec-tive. Les projections climatiques quisoulevent un interet sont les scenariosregionalises qui concernent directe-ment les agriculteurs. Parmi les oppor-tunites, ont ete citees les temperaturesplus elevees au printemps et al’automne. Parmi les menaces, ontete souvent citees l’augmentation dela frequence des evenements excep-tionnels tels qu’inondations, secheres-ses, temperatures elevees ou gels,avec l’incertitude sur la prise dedecision associee. Face a ce change-

ment climatique, les agriculteurs onteu a analyser les atouts et contraintesde leurs exploitations. Ainsi, les sys-temes herbagers de l’Ouest obtiennentdes rendements faibles, voire nuls enautomne et en hiver dans les condi-tions de temperatures des decenniespassees. L’augmentation des tempera-tures hivernales et la reduction de lapluviometrie estivale sont vues alorscomme des atouts.Dans les pistes d’action envisageespar les agriculteurs deux sontprivilegiees :– une adaptation autonome : « Jepeux mettre en place ces adaptationsseul sans avoir a negocier avecmon environnement » (dates desemis, melange d’especes, gestiondes stocks de fourrage, reduction desintrants, assurances, diversificationphotovoltaıque. . .) ;– ou une adaptation negociee : « Jepeux mettre en œuvre ces adaptationsa condition que la filiere ou leterritoire les acceptent » (irrigation,developpement du dialogue et impli-cation dans les controverses locales,nouveaux debouches, reglementa-tions negociees par territoire. . .).Globalement, les participants se rejoi-gnent sur l’idee que les systemesd’exploitation les plus autonomes(integrant la conservation de la fertilite

Le changementclimatique

L’exploitation

Opportunité

Scénario de

développement

Scénario de

changement

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Figure 7. Schéma d'organisation des informations concernant l'exploitation.

Figure 7. Organization scheme of information about the farm.Axe vertical : environnement externe de l'exploitation ; axe horizontal : système d'exploitation (le croisement d'unemenace et d'une contrainte implique de choisir un sc�enario de changement ; celui d'un atout et d'une opportunit�e dechoisir un sc�enario de d�eveloppement).

104 Cah Agric, vol. 23, n8 2, mars-avril 2014

des sols) seront les plus resistants. Ilssont confiants dans leurs capacites atrouver les bonnes solutions et dans« la recherche paysanne ».En adoptant une posture de decideurset une demarche prospective, lesagriculteurs sont des utilisateursdirects des travaux de recherche,obliges de traiter une information« brute ». Ce travail est valorisant et afacilite le passage a la formulationd’evolutions de leur propre systeme.Leurs attentes concernent autant lessciences sociales que les techniquesde production.Ce travail de mise en debat debouchesur trois enseignements. Le choix de lamethode utilisee de prospective sur lechangement climatique s’avere perti-nent. Les agriculteurs participants ontsu formuler des pistes d’adaptationpour leur exploitation avec des parte-naires du developpement et de larecherche. Les scenarios du GIEC a 50ans ou 100 ans offrent une necessairedistanciation avec l’actualite pour oserimaginer le futur et son appropriation.

Analyse prospectivede l'impact du changementclimatiqueà partir des résultatsde CLIMASTER

Ce travail a deux objectifs : i) proposerune analyse prospective de l’impactdu changement climatique a partir descenarios elabores avec les resultats deCLIMASTER, scenarios discutes collecti-vement par des agriculteurs au coursd’un atelier participatif ; ii) contribuera l’emergence d’une reflexion collec-tive des chercheurs et des acteurs,d’origines tres diverses, et dispersesdans les differents volets de rechercheen suscitant une reflexion commune.Ce second objectif a ete largementatteint.On retiendra sur le premier objectif lesacquis suivants :� La difficulte d’aborder la rupturelorsque l’on parle d’adaptation. Lesadaptations passees (adaptationsautonomes), mentionnees par lesagriculteurs interroges, peuvent etrequalifiees de « premier ordre » : evolu-tion des pratiques et des referencestechniques conservant la logiqued’ensemble du systeme de production(Hubert, 2009). Dans le futur, le climat

peut-il induire des changements de« second ordre » : mise en cause desraisonnements sous-jacents aux prati-ques et references techniques, debou-chant sur d’eventuelles reorientationsdes systemes dans leur ensemble ?Enfin, les agriculteurs peuvent-ils sesaisir de ces changements de secondordre ?� La necessite de prendre en compted’autres forces motrices (la PAC, lesmarches, le prix de l’energie, lespolitiques publiques) pour reflechirles evolutions. Cela augmente l’incer-titude, mais permet egalement dehierarchiser et d’articuler les diffe-rentes forces motrices.� La valorisation des donnees brutespar l’elaboration des « variables d’inte-ret », qui ont une triple fonction : i)porter de l’information climatiquedans la comprehension de l’agro-ecosysteme et, le cas echeant, revelerainsi des variables « cachees » dans sonfonctionnement, qui ne se manifestentque sous ce forcage ; ii) etre signifi-catives, pour le scientifique, ce quisuppose qu’elles soient mesurees oucalculees et qu’on puisse les manipu-ler dans le cadre d’une modelisation ;iii) etre significatives dans une optiquede sensibilisation pour le public et lesgestionnaires, en tant qu’elles consti-tuent des manifestations observableset interpretables du changement cli-matique et renvoient a des enjeuxterritorialises.� L’elaboration d’un graphe articulantles approches disciplinaires de CLI-MASTER exprimant les relations entreles variables motrices (par exemple lapluie ou les politiques publiques), lesvariables relais (par exemple lareserve en eau des sols) et les variablesdependantes (par exemple la qualitede l’eau).Deux scenarios contrastes ont ete misen discussion dans un groupe d’agri-culteurs sur le terrain de la zone atelierde Pleine-Fougere, scenarios a l’hori-zon 2030 partant de la situationactuelle : un scenario « tout herbe »et un scenario « tout maıs » (figure 8).Les cartes d’usage des sols sontconstruites a partir de la situation de2009, en s’appuyant sur un modele dedistribution des occupations prenanten compte les contraintes locales(topographie, zones humides, dis-tance au siege d’exploitation. . .). Cetterepresentation « realiste » de l’occupa-tion des sols permet ainsi aux agri-

culteurs du territoire de s’approprierles scenarios. Cependant, la reflexionn’a pu porter que sur le systeme« maıs », systeme agricole de referencedans lequel les agriculteurs presentsse reconnaissaient, et rattache a unefiliere a laquelle ils accordaient touteconfiance pour de possibles adapta-tions. L’adoption d’un systeme « toutherbe » constitue une rupture qu’ils nesont pas prets a considerer.

La question du climatdiscutée par les acteursde l'eauQuelle representation du changementclimatique ? Quelle prise en comptedans la gestion locale de la ressourceen eau ?En contrepoint, nous nous sommesinteresses, sous l’angle de la psycho-logie sociale et environnementale, a lamaniere dont les gestionnaires del’eau – au sein de commissions localesde l’eau – apprehendent et se repre-sentent le changement climatique. Leseventuelles variabilites individuellesont ete reperees en fonction descriteres suivants : college d’apparte-nance a la commission locale de l’eau,age, localisation des schemas d’ame-nagement et de gestion des eaux(SAGE). Il s’agit de repondre auxquestions suivantes : quelles sontleurs connaissances du phenomene ?Y a-t-il ou non perception de modi-fications du climat ? Si oui, quels sontles indicateurs, les causes et lesconsequences ? Quels sont les impactsprobables, directs ou indirects, duchangement climatique sur la res-source en eau ? Cette representationfait-elle apparaıtre des distinctionsselon les groupes d’acteurs concernes ?L’enquete (2009-2011) s’est derouleeen deux grandes etapes aupres demembres de differentes commissionslocales de l’eau du Grand Ouest, toutd’abord avec des entretiens semi-directifs puis a l’aide d’un question-naire, portant sur l’eau, le changementclimatique et le developpementdurable. Les entretiens semi-directifs(Michel-Guillou, 2010) ont montreque la representation sociale duchangement climatique s’avere forte-ment influencee par les medias. Elleapparaıt donc stereotypee et peuempreinte de vecu. Les acteurs locauxinterroges ont conscience d’une

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modification du climat mais celle-cin’est pas ressentie comme une realiteau quotidien. Ce probleme est identi-fie comme global plutot que local et ilapparaıt imperceptible a court terme.Les reponses au questionnaire fontapparaıtre une population sensible auchangement climatique avec l’evolu-tion des temperatures. Elle met peu endoute son existence malgre de relati-ves incertitudes quant a la projectionde ses consequences a long terme. Lespersonnes interrogees sont une majo-rite a penser qu’il existe un lien entreles problematiques liees au SAGE etle changement climatique. Il sembleneanmoins important au regard de cesresultats de noter le faible taux dereponses des membres des commis-sions locales de l’eau (5 %), ainsi quele taux eleve de membres participanta au moins une association environ-nementale (36 %). Qu’en est-il del’opinion des non-repondants ?Cependant, il faut comparer les conse-quences globales et a long termedu changement climatique avec lesconsequences immediates et saillantesdes pollutions agricoles sur la res-source en eau. Ainsi, les problemeslies a l’eau sont percus comme plus

serieux que ceux du climat. En ce sens,le changement climatique n’est pasune priorite (Spence et Pidgeon,2009). Il n’est pas envisage commeun risque imminent. En outre, l’etudemet en evidence une representationsociale du changement climatiquerelativement consensuelle, quel quesoit le statut des membres. Quelquesdifferences apparaissent selon la loca-lisation des SAGE. Les membres descommissions locales de l’eau traitantd’une problematique quantitative surla ressource en eau sembleraient plusenclins a reconnaıtre l’existence dechangements locaux lies au climat.

Conclusion

Les resultats du projet CLIMASTERpermettent, d’une part de faire le pointsur le changement climatique en coursdans le Grand Ouest, d’autre part deproposer un certain nombre d’analy-ses sur l’impact du changementclimatique sur l’agriculture regionaleet sa perception par les agriculteurs,secondairement par les acteurs del’eau. Les indicateurs et les methodes

choisies, le corpus de connaissanceselabore dans le cadre de CLIMASTERont ete choisies pour « donner a penser »ce changement dans le Grand Ouestet permettre l’appropriation par lesacteurs de cette thematique, plus quepour pronostiquer un avenir incertain.Le changement climatique est sensiblesur les indicateurs comme les tempe-ratures, la repartition annuelle desprecipitations, les types de temps,malgre des variabilites fortes. Il aimplique des changements de condi-tions de production et des change-ments de pratiques, plus fortes dans leSud du Grand Ouest. Nous avonsobserve la bonne capacite d’adapta-tion des acteurs agricoles, pour peuqu’elle n’induise pas de rupture dansleur systeme de production. La sensi-bilisation des acteurs de l’eau, pluspreoccupes au quotidien par desquestions de qualite de la ressourceest en revanche variable et parfoismoindre (d’autant plus qu’on va dusud au nord du Grand Ouest).Nous avons ainsi montre commentla question, encore rarement traitee,de l’adaptation au changement clima-tique des acteurs agricoles pouvaitetre abordee en mobilisant des

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2009 : maïs 2 000 hectares Projection 2030 : maïs 3 000 hectares Projection 2030 : prairies 4 000 hectares

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Figure 8. Occupation des sols de Pleine-Fougère ; situation actuelle (2009) ; image « maïs » en 2030 et image « herbe » en 2030.

Figure 8. Land cover at Pleine-Fougère: current situation (2009); Image ‘‘corn’’ in 2030 and image ‘‘grassland’’ in 2030.

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sciences de l’environnement, del’agronomie et de la societe, eninteraction avec les acteurs territo-riaux. Les enquetes sur les change-ments de pratiques, les travaux degroupe sur les scenarios climatiques,bases sur differentes methodes deconcertation proposent a la fois desmethodes, des reflexions et des resul-tats qui peuvent etre reinvestis dansd’autres territoires ou sur d’autresproblematiques concernant le terrainparfois conflictuel des relations agri-culture-environnementEn termes operationnels, l’importancedes incertitudes nous fait comprendrequ’il faut proposer des reponses « sansregret », c’est-a-dire permettant unemoins grande vulnerabilite des syste-mes agricoles et une plus granderesilience des ressources naturelles,quelles que soient les evolutions avenir. Il s’agit in fine d’une opportu-nite pour elaborer des systemes plusdurables. Nous rejoignons ainsiChevassus-au-Louis et al. (2009), pourqui il faut « analyser le risque clima-tique, pour en deduire des reponsesappropriees, aux deux sens du terme» :les bonnes reponses, qui feront l’objetd’une appropriation par les acteurs.&

Remerciements

Que soient remercies ici tous les contri-buteurs a CLIMASTER. Ce travail a eterealise dans le cadre du programme Pouret Sur le Developpement regional GrandOuest. Les financeurs de ce programme(conseils regionaux de Basse-Normandie,Bretagne, Pays-de-Loire et Poitou-Charen-tes), l’Institut national de la rechercheagronomique (Inra) et l’Institut de recher-che en sciences et technologies pourl’environnement et l’agriculture (Irstea)sont ici remercies.

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