des théâtres de papier (2) : quelques remarques sur l'écriture théâtrale contemporaine...
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Article publié in Théâtre / Public, n°205 (Entre-deux - Du théâtral et du performatif), Montreuil, juillet-septembre 2012 (pp. 66-73).
Didier PLASSARD
DES THÉÂTRES DE PAPIER : QUELQUES REMARQUES SUR
L’ÉCRITURE THÉÂTRALE CONTEMPORAINE1
Qu’est-ce que théâtraliser ? Ce n’est pas décorer la représentation, c’est illimiter le langage.
Roland BARTHES, Sade, Fourier, Loyola.
Dans quelque sens qu’on le prenne, et quoique cette proposition apparaisse à bien
des égards paradoxale, l’emploi du concept de théâtralité reste encore aujourd’hui des
plus hésitants dans l’analyse des écritures pour la scène. Soit, en effet, on se tient à
une définition restreinte, telle que celle proposée par Roland Barthes en 1954, et celle-
ci rejette explicitement la composante littéraire du champ d’application de ce concept
(« Qu’est-ce que la théâtralité ? C’est le théâtre moins le texte », affirme le critique
dès les premières lignes de son essai sur le théâtre de Baudelaire2) ; soit on élargit son
acception jusqu’aux usages métaphoriques qui se sont multipliés depuis lors, et la
théâtralité, qui désigne plutôt une qualité de l’espace, de l’expressivité ou de la
figuration, n’est presque jamais convoquée pour rendre compte du traitement de la
parole et de l’écrit : tout au plus prend-elle parfois le sens connoté péjorativement
d’une surabondance ou d’une artificialité de la parole à l’intérieur de l’œuvre –
cinématographique notamment3.
La théâtralité hors du texte
1 Cet article a été écrit en 2002, pour un projet éditorial qui n’a pu voir le jour. Je le reprends
ici à la demande de Josette Féral, que je remercie d’avoir bien voulu considérer qu’il
conservait une pertinence aujourd’hui. C’était la première étape d’une réflexion qui s’est poursuivie depuis, notamment dans deux articles : « Le devenir-poème des didascalies », in
Frédéric CALAS, Romadhane ELOURI, Saïd HAMZAOUI, Tijani SALAAOUI (dir.), Le
Texte didascalique à l’épreuve de la lecture et de la représentation, Bordeaux, Sud Éditions / Presses Universitaires de Bordeaux, 2007 (pp. 53-67) ; « Le postdramatique, c’est-à-dire
l’abstraction », Prospero European Review, n°3 – 2012 : http://prospero-
web.eu/en/prospero/european-review/index.php. 2 Roland BARTHES, « Le théâtre de Baudelaire » [1954], Essais critiques, Paris, Seuil, 1964, p. 41. 3 Voir Barthélémy AMENGUAL, lettre reproduite in Christine HAMON-SIRÉJOLS, Jacques GERSTENKORN, André GARDIES (éds.), Cinéma et théâtralité, Cahiers du GRITEC, Lyon, Aléas,
1994, p. 46-49.
Cette difficulté, cet écartèlement de la pensée critique dès lors qu’on entreprend
d’articuler l’un à l’autre le concept de théâtralité et le champ de l’écriture théâtrale4, je
proposerai de les considérer ici non comme les manifestations d’une impossibilité
théorique, mais comme les produits d’une double histoire, à la fois intellectuelle et
artistique.
Intellectuelle, car cette histoire est d’abord celle d’une discipline scientifique et
d’un enseignement universitaire qui se sont progressivement émancipés du domaine
des études littéraires. Dans cette perspective, il importait d’autant plus de définir la
théâtralité comme « le théâtre moins le texte » qu’une telle soustraction fondait un
nouvel espace d’investigation et légitimait, par là, la coupure avec la discipline-mère.
Malheureusement, la mise en place de cette coupure a conduit pendant plusieurs
décennies les études théâtrales à cesser d’interroger le texte dramatique, et
lorsqu’elles ont commencé de le refaire (notamment sous l’impulsion du Groupe de
recherche sur la poétique du drame moderne et contemporain de l’Université Paris 3 -
Sorbonne nouvelle), à forger leurs propres instruments critiques, maintenant la
distance à l’égard de ceux développés par les études littéraires. Même si ce jugement
doit aujourd’hui être nuancé, la différence des méthodologies entre les deux
disciplines n’en demeure pas moins très sensible, et l’analyse de l’écriture dramatique
reste lourdement grevée, des deux bords, par leurs habitudes de défiance ou
d’ignorance mutuelles.
Artistique, parce que l’usage du mot « théâtralité » s’est répandu en même temps
que la figure du metteur en scène commençait de passer au premier plan de la
réalisation scénique, c’est-à-dire de quitter la position d’interprète pour assumer celle
d’auteur. Cette prise de pouvoir symbolique impliquait elle aussi de réserver au travail
accompli sur la scène la spécificité de l’acte théâtral – donc de définir la théâtralité
hors du texte, et d’abord hors du texte dramatique. Aussi bien, comme le déclare
Antoine Vitez, peut-on « faire théâtre de tout », c’est-à-dire en premier lieu de
n’importe quelle forme d’écriture ou de discours, et une œuvre explicitement
4 Voir cependant Écritures contemporaines et théâtralité, Paris, Publications de la Sorbonne Nouvelle,
1990, ainsi que Michel CORVIN, « La parole visible ou : la théâtralité est-elle dans le texte ? », Cahiers de Praxématique, n° 26, Université Paul Valéry - Montpellier III, 1996, p. 95-109. Dans le
domaine allemand : Katharina KEIM, Theatralität in den späten Dramen Heiner Müllers, Tübingen,
Niemeyer, 1998.
composée pour la scène n’apparaît-elle plus comme le point de départ obligé de toute
création théâtrale, de même qu’elle n’en détermine plus nécessairement – même dans
leurs grandes lignes – les procédures. C’est au contraire l’écart entre le texte et le
plateau, comme entre la parole et le geste, qui fonde la dimension artistique de la mise
en scène contemporaine, cette « écriture scénique » (pour reprendre l’expression de
Roger Planchon) qui ne peut qu’entrer en conflit avec l’écriture dramatique.
Pour le dire en d’autres termes : non seulement la pratique scénique tend depuis
les années 1960 à se constituer en seul dépositaire de l’art du théâtre et, par voie de
conséquence, de la théâtralité, mais encore l’hypothèse de la présence d’une forme
quelconque de théâtralité dans l’œuvre dramatique joue-t-elle plutôt en défaveur de
cette dernière, parce qu’elle menace de diminuer d’autant la marge de liberté du
plateau. Ainsi en est-on arrivé à ce paradoxe, qui est au cœur des difficultés de
l’écriture théâtrale aujourd’hui : plus le devenir scénique d’un texte paraît programmé
par l’auteur, plus difficile est sa ressaisie par la mise en scène. Je reviendrai plus loin
sur ce point.
Ceci posé, si l’élaboration du concept de théâtralité a pu s’accompagner d’une
confiscation progressive de la dimension artistique du théâtre au profit de la seule
mise en scène, ces deux phénomènes ne sont encore une fois liés par aucune nécessité,
et l’on ne saurait confondre le terrain de la réflexion théorique avec celui de son
engagement dans l’histoire. Fondatrice d’un nouveau regard esthétique porté sur la
scène, la formulation polémique de Roland Barthes, un demi-siècle plus tard, ne doit
plus faire obstacle à l’analyse en dissuadant d’examiner s’il n’existe pas, dans
l’écriture théâtrale elle-même, une forme de théâtralité. En premier lieu, parce que
l’essai de 1954 évoque très explicitement la possibilité d’une telle enquête, même s’il
n’en dessine qu’approximativement les contours :
Naturellement, la théâtralité doit être présente dès le premier germe écrit d’une œuvre, elle est une donnée de création, non de réalisation. Il n’y a pas de grand
théâtre sans théâtralité dévorante, chez Eschyle, chez Shakespeare, chez Brecht, le
texte écrit est d’avance emporté par l’extériorité des corps, des objets, des
situations ; la parole fuse aussitôt en substances5.
5 R. BARTHES, « Le théâtre de Baudelaire », op. cit., p. 42.
En second lieu, parce que le combat pour la reconnaissance de la mise en scène en
tant que langage artistique spécifique – combat dont les textes de Barthes et le travail
théorique et critique accompli dans la revue Théâtre populaire constituent l’une des
étapes décisives – n’obéit plus à la même actualité : depuis cette époque, en effet, la
mise en scène a très largement conquis tous les territoires de l’autonomie artistique et
de la légitimité symbolique aussi bien qu’institutionnelle ; elle possède désormais son
histoire, ses grands noms et ses dates, et se plaît à rêver d’espaces privilégiés,
définitivement coupés de la littérature, où elle ne dialoguerait plus qu’avec elle-même.
Écrire pour la scène
Sans doute faut-il considérer, avec Bernard Dort, que la transformation des
relations entre le texte et la scène, telle qu’elle s’est accomplie pendant les quarante
dernières années, constitue moins une « révolution copernicienne » qu’une
« révolution einsteinienne » dans l’histoire du théâtre occidental, c’est-à-dire moins
un renversement de perspective qu’un processus de relativisation généralisé, à
l’intérieur duquel les différentes possibilités d’agencement ne font plus que coexister6.
L’actuelle diversité des pratiques de la mise en scène, en effet, se laisse difficilement
réduire aux schémas d’une histoire linéaire, et l’on peut hésiter par ailleurs à définir
plus avant un paysage théâtral où les enjeux esthétiques et les modes opératoires sont
aussi confusément exprimés par les artistes eux-mêmes7.
Si l’on examine, en revanche, les modifications qui se sont accomplies au cours
des trois dernières décennies du côté des auteurs, une évolution plus lisible peut être
aisément dégagée. Tandis que les metteurs en scène continuaient d’explorer les
territoires infinis que, depuis 1965 environ, l’affranchissement vis-à-vis de l’écriture
dramatique leur avait découverts, les écrivains, souvent menacés dans leur existence
même8, rompaient de manière décisive avec le néo-naturalisme et l’effacement
apparent de la littérarité qui, tant du côté du « théâtre-document » que de celui du
« théâtre du quotidien », avaient dominé les maigres espaces qui leur demeuraient
6 Voir Bernard DORT, « Le texte et la scène : pour une nouvelle alliance » [1984], Le spectateur en
dialogue, Paris, P.O.L., 1995, p. 243-275. 7 Ainsi voit-on, par exemple, certains metteurs en scène proclamer que leur principal objectif est de
« faire entendre le texte », quand ils ne font qu’effacer ses articulations syntaxiques ou sémantiques au
profit d’une déclamation atone et mécanisée. 8 Voir Robert ABIRACHED, Le Théâtre et le Prince, 1981-1991, Paris, Plon, 1992, p. 157-178.
consentis jusqu’au milieu des années 1980. Qu’on examine les textes de Valère
Novarina, de Bernard-Marie Koltès ou de Didier-Georges Gabily par exemple (pour
ne citer que trois des auteurs qui se sont imposés depuis cette date dans l’espace
théâtral français), l’affirmation d’une écriture littéraire s’y manifeste à chaque fois de
façon éclatante, creusant l’écart avec les mimes de la parole ordinaire auxquels la
génération précédente s’était patiemment exercée.
Plus encore : à travers la multiplication des marques les plus appuyées de la
langue écrite (modes et temps verbaux, complexité syntaxique, densité des effets
stylistiques, etc.), c’est la définition même du langage dramatique, telle que Pierre
Larthomas s’est hasardé à la produire en 19729, qui se révèle à peu près inopérante.
Bien loin de réaliser ce « langage comme surpris » dont parle le stylisticien,
compromis savamment tempéré entre le dit et l’écrit, les textes théâtraux composés
depuis les années 1980 revendiquent ouvertement leur dimension écrite et même
poétique, renouant ainsi avec les usages de la langue familiers aux grandes
dramaturgies antiques ou baroques – usages que le modèle proposé par Pierre
Larthomas, tout imprégné du classicisme français, peinait à intégrer. Un extrait de la
longue apostrophe du Dealer au Client, au début de Dans la solitude des champs de
coton, suffit à le montrer :
Dites-moi donc, vierge mélancolique, en ce moment où grognent sourdement
hommes et animaux, dites-moi la chose que vous désirez et que je peux vous
fournir, et je vous la fournirai doucement, presque respectueusement, peut-être même avec affection ; puis, après avoir comblé les creux et aplani les monts qui sont
en nous, nous nous éloignerons l’un de l’autre, en équilibre sur le mince et plat fil de
notre latitude, satisfaits au milieu des hommes et des animaux insatisfaits d’être hommes et insatisfaits d’être animaux [...]
10.
Mais justement : dans quelle mesure une écriture à ce point littérarisée peut-elle
être dite en même temps théâtrale ? L’inscription du devenir scénique à l’intérieur des
textes contemporains, pour emprunter une nouvelle fois cette expression à Jean-Pierre
Sarrazac, est-elle compatible avec l’affichage d’une si forte poéticité ? Avant
d’examiner plus avant cette question, il me paraît nécessaire de formuler deux
remarques.
9 Pierre LARTHOMAS, Le Langage dramatique, sa nature, ses procédés, Paris, Armand Colin, 1972,
479 p. 10 Bernard-Marie KOLTÈS, Dans la solitude des champs de coton, Paris, Minuit, 1990, p. 12-13.
La première est que les marques textuelles de la théâtralité, s’il devenait possible
de les identifier, ne devraient en rien constituer une condition nécessaire de la
représentation. Encore une fois, les metteurs en scène ont appris à « faire théâtre de
tout », et de très grandes réalisations artistiques continuent de se faire à partir d’autres
matériaux textuels, anciens ou contemporains : romans, journaux, écrits scientifiques
ou philosophiques, etc.
En second lieu, il faut observer que ces marques ne seraient pas non plus
prescriptives : signalant un texte « en attente de scène », elles ne verrouilleraient en
aucune manière l’horizon de ses réalisations effectives, mais participeraient seulement
de ce que Bernard Dort appelle le « contrat scénique initial11
». Les différences qu’on
peut relever, dans les pièces de Didier-Georges Gabily, entre les didascalies
imprimées et les mises en scène réalisées par l’auteur, apportent une précieuse
confirmation de ce point de vue. La théâtralité du livre ne commande pas celle du
plateau, elle ne fait que l’anticiper.
Le théâtre en négatif
Mais allons plus loin. J’évoquais précédemment la situation paradoxale du texte
théâtral dans l’âge de la mise en scène, puisque la théâtralité qu’on pourrait lui
reconnaître entrerait par force en conflit avec celle qui s’élabore sur le plateau. C’était
déjà, sinon exactement présupposer une définition de cette théâtralité inscrite dans
l’écriture dramatique, du moins en suggérer assez nettement les contours. La
théâtralité d’un texte, selon l’hypothèse qui sera ici retenue, résulterait de
l’articulation à la fiction des protocoles explicites ou implicites de son énonciation
scénique ; c’est-à-dire qu’elle serait constituée de l’ensemble des éléments qui, d’une
façon ou d’une autre, anticipent sur les modalités de son passage à la scène. Par
exemple les indications qui, dans les didascalies, ont trait non pas à l’univers
fictionnel mais aux moyens de le figurer sur le plateau ; les relations qui s’établissent
entre le dialogue et les didascalies ; la mise en perspective des énoncés, et jusqu’aux
choix de langue eux-mêmes, dans l’écart qu’ils construisent vis-à-vis des usages
conversationnels.
11 B. DORT, « Le texte et la scène : pour une nouvelle alliance », op. cit., p. 253.
Une définition si technique paraîtra bien entendu restrictive, en comparaison des
riches analogies dont usait Roland Barthes ; elle est cependant la seule, à mon sens,
qui offre le socle méthodologique nécessaire pour une analyse rigoureuse, puisqu’elle
quitte le domaine invérifiable d’un discours sur les valeurs (la théâtralité comme une
qualité – ou un défaut – de l’œuvre) pour passer à celui d’une étude des modes
opératoires (la théâtralité comme anticipation sur le devenir scénique de l’œuvre). Un
deuxième avantage de ce déplacement consisterait dans le rapprochement devenu
possible entre la définition de la théâtralité dans le texte et celle de la théâtralité dans
la mise en scène, telles que la formulaient au début du siècle Nikolaï Evreinov ou
Vsevolod Meyerhold : car « théâtraliser » le théâtre, pour eux, signifiait renoncer à
l’illusion réaliste pour fonder la représentation sur la convention consciente, c’est-à-
dire justement mettre en évidence les protocoles de la représentation scénique12
.
Si l’on suit cette hypothèse, l’un des premiers phénomènes dont on peut être
frappé, à l’examen des dramaturgies contemporaines, est la façon dont celles-ci, bien
loin d’aider à résoudre les problèmes qui pourraient se poser à la représentation,
semblent au contraire avoir à cœur de multiplier les difficultés ou les obstacles à
l’intention du metteur en scène. Ainsi de Koltès qui, dans la dernière scène de Combat
de nègre et de chiens, fait alterner comme dans un montage cinématographique vues
d’ensemble et très gros plans, sans tenir compte des contraintes optiques liées au
dispositif scénique :
Une première gerbe lumineuse explose silencieusement et brièvement sur le ciel au-
dessus des bougainvillées. Éclat bleu d’un canon de fusil. Bruit mat d’une course, pieds nus, sur la pierre. Râle
de chien. Lueurs de lampe-torche. [...] Souffle frais du vent.
L’horizon se couvre d’un immense soleil de couleurs qui retombe, avec un bruit doux, étouffé, en flammèches sur la cité.
[...] Cal pointe son fusil, haut, vers la tête ; la sueur coule sur son front et ses
joues ; ses yeux sont injectés de sang13
.
Ainsi également de Didier-Georges Gabily, qui transforme les didascalies de
Gibiers du temps en un véritable monologue intérieur, multipliant les hésitations et les
contradictions face à la fiction qu’il construit :
12 Voir Josette FÉRAL, « La théâtralité - Recherche sur la spécificité du langage théâtral », Poétique,
n° 75 (3e trimestre 1988), p. 347-361. 13 B.-M. KOLTÈS, Combat de nègre et de chiens, Paris, Minuit, 1989, p. 106.
(Le plateau : Une place à l’heure du déjeuner dans un quartier périphérique, si on
veut. Dans un silence surnaturel. Avec même pas la rumeur habituelle des villes. Un vendredi de Pâques. Ne pas oublier. Se dire, se répéter que c’est important pour ce
qui viendra – ce n’est peut-être pas si important.) Personne, un temps. Non. Rien.
Le désert – inespéré14
.
Il en va de même pour Valère Novarina, qui parsème Vous qui habitez le temps
d’indications énigmatiques telles que « Ils s’échangent les tubes de raison », « On
apporte le tombeau du monde », « Un homme porte son corps devant lui » ; et qui,
pour introduire une scène entre deux personnages désignés par la suite comme Jean-
François et L’Enfant des cendres, précise « Entre une femme poussant un aveugle15
»,
quand aucune de ces deux caractérisations ne peut à l’évidence correspondre aux
personnages du dialogue.
À bien des égards, ces didascalies impraticables mettent en crise le
fonctionnement mimétique de la scène théâtrale16
, soit en le contraignant à rivaliser
avec la puissance de visualisation du langage cinématographique, soit en le
déconstruisant par la mise en œuvre de modalités narratives empruntées à l’écriture
romanesque (la focalisation) ou bien de procédés stylistiques venus de l’écriture
poétique (la métaphore) ; cependant, ces didascalies ne sauraient être simplement
considérées comme les signes d’un théâtre impossible, spectacle dans un fauteuil ou
rêverie stérile d’écrivain. En premier lieu, parce qu’un tel défi lancé au metteur en
scène se retrouve sous des formes variées dans beaucoup de textes théâtraux
contemporains : qu’il suffise ici de mentionner, à titre d’exemples, les surenchères
d’obscénité et de violence chez les dramaturges anglais ou allemands (Sarah Kane,
Mark Ravenhill, Lothar Trolle), ou bien les enchâssements de l’énonciation chez
Heiner Müller17
. En second lieu, parce que cette résistance même peut être ce que les
metteurs en scène viennent justement rechercher dans l’écriture théâtrale
contemporaine : une complexité et une opacité du devenir scénique, comparables sous
bien des aspects aux difficultés que pose la transposition de textes non dramatiques.
14 Didier-Georges GABILY, Gibiers du temps, Arles, Actes Sud - Papiers, 1995, p. 72. 15 Valère NOVARINA, Vous qui habitez le temps, Paris, P.O.L., 1989, pp. 17, 57, 71 et 95. 16 Voir Didier D. PLASSARD, « Le devenir-poème des didascalies », in Frédéric CALAS, Romadhane ELOURI, Saïd HAMZAOUI, Tijani SALAAOUI (dir.), Le Texte didascalique à l’épreuve de la lecture et de la représentation, Bordeaux, Sud Éditions / Presses Universitaires de Bordeaux, 2007 (pp. 53-67). 17 Ainsi, dans Hamlet-machine, la coexistence d’un récit à la première personne par un narrateur qui
« était » Hamlet et de répliques attribuées à Hamlet, à l’Interprète d’Hamlet ou à « Ophélie (Chœur / Hamlet) ». Heiner MÜLLER, Hamlet-machine, Paris, Minuit, 1985.
Ne préparant pas le passage au plateau, mais semant des obstacles, le texte de
théâtre contemporain appelle et légitime l’intervention du metteur en scène : l’énigme
même qu’il pose et la marge d’interprétation qu’il libère créent les conditions de
possibilité d’une écriture scénique tout en sauvegardant les exigences d’une écriture
littéraire. Produit d’une double contrainte, ce texte impossible est peut-être en réalité
le seul qui consente à deux créateurs simultanément de faire œuvre : à l’écrivain,
d’écrire un texte qui ne soit pas seulement un matériau éphémère, composé sur
mesure pour une production donnée, difficilement réutilisable par la suite ; au metteur
en scène, de construire une interprétation en opérant des choix aussi libres et aussi
clairement identifiables que ceux qu’il effectue sur des pièces du répertoire ou des
adaptations. Ainsi l’indication scénique non réalisable joue-t-elle le même rôle que
l’éloignement dans le temps de l’œuvre ancienne ou que la distance générique de
l’œuvre adaptée : c’est dans l’espace ouvert par cette difficulté que peut naître le geste
de la mise en scène, sans que celui-ci épuise pour autant tous les possibles du texte.
Parole et présence
Si cet usage pour le moins inhabituel des didascalies oblige à repenser leur statut
en même temps que leur fonction, le traitement de la parole du ou des personnages
dans la dramaturgie contemporaine, en revanche, reconduit pour l’essentiel les
protocoles attendus d’un texte de théâtre : cette parole est d’abord adressée, soit à un
autre personnage, présent ou absent (par exemple dans La Nuit juste avant les forêts,
de Koltès18
), soit à soi-même, soit au public. Mais il faut en même temps relever un
déplacement du centre de gravité des adresses, la dernière de ces orientations tendant
assez fortement à reprendre une place que l’habitude du quatrième mur, étendue bien
au delà des conventions d’une dramaturgie réaliste, lui avait longtemps refusée.
Plus précisément, l’adresse au public peut se charger de nouvelles fonctions.
Synonyme, depuis l’époque médiévale, d’une théâtralité populaire, basée sur le plaisir
des conventions conscientes et de leurs courts-circuits burlesques, réactivée au cours
du vingtième siècle dans une finalité politique – sous les diverses formes de l’appel au
jugement, à la vigilance ou à la solidarité –, l’interpellation du spectateur confère
18 B.-M. KOLTÈS, La Nuit juste avant les forêts, Paris, Minuit, 1988.
aussi à ce dernier, aujourd’hui, une identité fictionnelle, en insérant l’ensemble de la
communication théâtrale à l’intérieur de la sphère mimétique. Ainsi, dans la version
pour la scène du Discours aux animaux de Valère Novarina, l’assemblée du public
s’entend-elle interpeller comme si elle s’était changée en un cercle d’animaux venus
écouter la parole humaine, image renouvelée de la légende de Saint-François
d’Assise :
Animaux, animaux, l’homme avait été caché tout au long dans son être jusque-là mais jusqu’à moi personne n’avait jamais été aucun d’eux.
Voici animaux, l’histoire véridique et sans tête ni queue, d’un homme de moi qui
naquis un jour de juin cinquante-sept-six, naqûs à Annemasse ou à Bulgat et qui se
souvient de rien du monde d’avant-après sauf qu’on était la veille du jour où je sortis vif affublé d’un vieux crâne. Ô animaux d’enfants inexpérients, gravez sur ma
tombe un jour si vous y êtes, cette épitaphe en encre de cendre19
[…]
Cette adresse, enfin, peut n’être plus que flottante : dans la « Litanie des
médicaments » de Via negativa, comédie d’Eugène Durif, le personnage de Raymond
Deschamps s’adresse « à la Killeuse, ou au psychiatre. À moins qu’il ne parle au
public, à Dieu, ou à quelques autres20
» ; les monologues des « Matériaux de vie »,
quant à eux, « se font comme s’ils étaient adressés à un auditeur, type analyste,
présent ou absent, au fond cela a peu d’importance21
» : déplacement, dans l’ordre du
poétique, de l’incertitude politique qu’évoquait Heiner Müller en 1977 dans son Adieu
à la pièce didactique22
– avec cette différence, toutefois, que les textes de Via
negativa demeurent adressés, et que c’est l’indécision entre destinataire intra-
mimétique (un autre personnage) et destinataire extra-mimétique (le spectateur) qui
fait sens. Comme chez Valère Novarina – comme, surtout, dans nombre de mises en
scène contemporaines –, la ligne de partage entre l’espace de la fiction et celui de la
réalité cesse de coïncider avec celle qui sépare la scène de la salle.
D’autre part, il faut observer que les ruptures de plus en plus marquées entre les
différents régimes d’écriture à l’intérieur d’une même œuvre ont, parmi d’autres
effets, celui de modifier les protocoles de la présence et du point de vue en regard de
l’action racontée ou représentée. Ajointant l’héritage des soliloques beckettiens à celui
19 V. NOVARINA, L’Animal du temps, adaptation pour la scène du Discours aux animaux, Paris,
P.O.L., 1993, p. 52-53. 20 Eugène DURIF, Via negativa, Arles, Actes Sud - Papiers, 1996, p. 28. 21 Ibid., p. 67. 22 Voir H. MÜLLER, « Adieu à la pièce didactique », Hamlet-machine, op. cit., p. 67-68.
des interpellations brechtiennes, enchâssant l’un dans l’autre les niveaux fictionnels
(ainsi le personnage du E Muet dans L’Opérette imaginaire devient-il successivement
L’Homme d’Outre-ça, Clytophon, L’Homme Sang, L’Infini Romancier23
), les
déplacements et les reconfigurations de l’énonciation que dessine la
« rhapsodisation » de l’écriture théâtrale décrite par Jean-Pierre Sarrazac24
inscrivent
dans l’espace dramatique une pluralité d’incarnations mobiles et fragmentaires,
comme autant de figures tremblées d’une action elle-même décomposée. Placé au
croisement de discours et de modes d’actualisation contradictoires, le personnage du
répertoire contemporain devient ainsi le foyer d’une présence énigmatique, appelant et
repoussant tour à tour l’élucidation. Dans Quai ouest, Bernard-Marie Koltès insère
trois longs monologues, séparés du reste de la pièce par des parenthèses, placés entre
guillemets et suivis des formules : « dit Abad », « dit Rodolphe », « dit Fak25
». Dans
Lalla (ou la Terreur), Didier-Georges Gabily pousse plus loin encore
l’enchevêtrement de l’écriture romanesque et de l’écriture théâtrale, jusqu’à faire se
succéder à quelques lignes de distance les codifications les plus explicites de l’une et
de l’autre, réplique attribuée ou dialogue inséré (avec ou sans guillemets) à l’intérieur
d’un récit :
EIDDIR : Pudique, pudique, PUDIQUE ! Pas empotée mais PUDIQUE ! Mille fois
au moins, j’ai dit... Est-ce que je ne t’ai pas affirmé mille fois « qu’elle s’habituerait
SANS DOUTE » ?
Il éclabousse encore. Puis il se lève de la baignoire.
Quand je me suis levé, j’ai senti que je commençais à bander. Regardez, j’ai la chair de poule. Qu’est-ce que ça veut dire ? D’habitude, je n’ai jamais froid.
« Il ne bande jamais non plus », dit Lise à Lalla maintenant qu’elle l’a rejointe ; et Lise tend la main.
« Donne-moi la serviette », dit Lise.
Et tend la main.
EIDDIR : Maintenant, j’aimerais avoir une réponse à ce que j’ai demandé
26.
Comme issue d’une même voix, mais entendue à des distances variables et depuis
des points de vue différents, la parole du personnage éclate en plusieurs niveaux
énonciatifs qui constituent à la fois une réserve du sens et une mise en garde contre
23 V. NOVARINA, L’opérette imaginaire, Paris, P.O.L., 1998. 24 Jean-Pierre SARRAZAC, L’avenir du drame, Belfort, Circé/poche, 1999. 25 B.-M. KOLTÈS, Quai ouest, Paris, Minuit, 1985, respectivement p. 19-20, 50-51, 95-97. 26 D.-G. GABILY, Lalla (ou la Terreur), Arles, Actes Sud - Papiers, 1998, p. 16.
une transposition indifférenciée sur la scène. Dans l’entrecroisement du dialogue
théâtral et des voix intérieures ou intériorisées, la transparence attendue de l’action
dramatique disparaît au profit d’un jeu de focalisations multiples qui place le mode
d’incarnation du personnage au centre des questionnements posés par le passage au
plateau. Mais ce processus d’opacification franchit encore une étape supplémentaire
lorsque, dans Le Tueur souriant de Jean-Marie Piemme par exemple, toute attribution
des répliques est abandonnée, laissant place à la succession de paroles entrecroisées :
J’ai tout vu, madame la juge. Le tueur braquait son arme. Je sais parfaitement ce que
veut dire le mot braquer. Comme ça. Comme Véronique Genest, comme Kathleen Turner. Comme Whoopy Goldberg dans. Bon. LE GARDIEN DE LA BANQUE
EST EN PLACE ? S’IL VOUS PLAÎT, EN PLACE LE GARDIEN. NOUS NE
POUVONS PAS REJOUER LA SCÈNE SANS LE GARDIEN. Et le gardien est en place depuis plusieurs heures déjà, car la banque est ouverte depuis plusieurs heures
déjà, le gardien fait les gestes de sa fonction : regarder, fouiller, suspecter, oui c’est
bien ce qu’il semble faire27
.
La corporéité troublante de l’acteur
Ce recentrement de la théâtralité du texte dramatique autour de la mise en relief
des modes d’incarnation des personnages est aussi perceptible dans les changements
de registres de la parole théâtrale, et dans l’oscillation qu’ils produisent entre les effets
de reconnaissance créés par les emprunts à la langue familière et les effets d’étrangeté
que ménage le recours aux figures les plus appuyées de l’écriture littéraire.
Découpage des répliques en vers libres, chez Didier-Georges Gabily encore une fois,
mais aussi par exemple chez Eugène Durif :
LA FILLE : Le mouvement des feuilles bougées de lumière
d’ombres quand elle est au sol, qu’elle serre
entre ses jambes la robe arrachée pour une orange.
Il se penche sur elle, son souffle qu’elle sent, la bouche contre la sienne et la prunelle des yeux
déchirée comme le soleil dans le ciel perlé
et le tremblement des feuilles, lorsqu’on ferme les yeux, qu’on les ouvre et la lumière
est là au travers28
. [...]
Saturation du discours par l’invention métaphorique chez Olivier Py :
27 Jean-Marie PIEMME, « Le tueur souriant », Théâtre s en Bretagne, n° 6, Saint-Brieuc, GACO, 2e
trimestre 2000, p. 32. Un procédé comparable est utilisé par Roland Fichet dans « Tombeau chinois », Théâtre s en Bretagne, n° 2, mai 1999, p. 29-32. 28 E. DURIF, Croisements, divagations, Arles, Actes Sud - Papiers, 1993, p. 19.
MOI-MÊME : Le visage que j’espère est sous un casque d’or armorié de chimères
effrayantes, son regard est une eau dormante, envoûté par la banalité de poignarder.
La paupière est presque fermée, ou s’ouvre d’un coup trop grande et s’effondre encore mais l’œil est soûl dans son lit.
La lèvre tombe un peu et brille, humide d’un pigment rare, rouge écœurant, vagues
abjurations luisantes dans la salive et le vin. Le cou et la nuque ombrés d’un duvet outremer, un peu trop long et magnifique de lassitude. Le parfum de ce visage est
une odeur rance, cendres froides, lavande et soûleries miséreuses, sueur fière d’elle-
même, fade et brutale29
.
Mais aussi développements d’allégories, effets d’intertextualité, inscription à
l’arrière-plan de références mythiques ou culturelles30
, etc. Le texte contemporain, par
la non-coïncidence entre les figures qu’il convoque et la langue qu’il leur prête, ne
restitue pas seulement à la parole théâtrale des pouvoirs que les dramaturgies de
l’immédiat après-guerre, dans le soupçon qu’elles entretenaient à l’égard du langage,
lui avaient généralement refusés, et qu’ensuite le « théâtre du quotidien », dans son
souci de coller le plus étroitement possible au babillage du monde, avait
soigneusement gommés : il crée surtout les conditions d’émergence d’une corporéité
troublée, c’est-à-dire d’une prise en charge des voix par les corps où se conserve – à
titre de traces, de bordures ou de marges – l’étrangeté même de cette opération.
Débordé par le texte dont il s’empare, le personnage qui se constitue sur le plateau
apparaît sous le double aspect d’un décalque de la vie ordinaire et de l’empreinte d’un
verbe poétique, sans cesse en excès, et résistant à l’injonction (institutionnelle,
sociétale) de « mimer quelque chose du monde, de manière psittacique31
» –
comprenons : de répéter notre expérience de la réalité dans les termes mêmes par
lesquels déjà, hors des théâtres, elle se fraie un chemin jusqu’à nous.
Parce que, comme le rappelle Valère Novarina, « si la langue est atteinte, c’est
toute l’accroche au réel qui se trouve modifiée : tout l’édifice bouge32
», l’écriture
théâtrale contemporaine permet à l’interprète, par l’étrangeté même de la parole qu’il
profère, de construire des images de notre réalité tout en maintenant ouverte et
perceptible par tous l’artificialité de cette construction. Et le corps du comédien, 29 Olivier PY, Théâtres, Besançon, Les Solitaires Intempestifs, 1998, p. 11. 30 Voir sur ce point Didier PLASSARD, « De l’effondrement des récits à l’explosion des figures : les présences paradoxales du mythe dans l’écriture théâtrale contemporaine », La Dimension mythique de la littérature contemporaine, Ariane EISSEN, Jean-Paul ENGÉLIBERT (éds.), Poitiers, La Licorne,
2000, p. 41-56. 31 Eugène DURIF, « Les mots anciens broyés dans notre langue », entretien avec A. Eissen, ibid., p. 65. 32 V. NOVARINA, Devant la parole, Paris, P.O.L., 1999, p. 71.
traversé de voix multiples, vient prendre place au cœur de ce travail de remodelage et
de reconfiguration de notre expérience de l’humain. Si, pour reprendre l’analyse
formulée par Jean-Pierre Sarrazac, la rhapsodisation du texte théâtral développe bien
« la part d’invisible du théâtre33
», elle n’en contribue pas moins, dans le même temps,
à fonder une théâtralité au sens barthésien du terme : car ce débordement de
l’existence corporelle par la parole donne concrètement à voir « le sentiment, le
tourment même, pourrait-on dire, de la corporéité troublante de l’acteur34
».
Penser à nouveaux frais
« Théâtralité : Caractère de ce qui se prête adéquatement à la représentation
scénique35
». Au terme de ce rapide parcours, les premiers mots de la définition
proposée par Jean-Marie Piemme exigent qu’on ne se méprenne pas sur le sens de
l’adverbe « adéquatement ». Il n’existe de théâtralité que référée à un système
théâtral, à un état historique, économique et politique du théâtre et de la société ; et
c’est à chaque fois sur nouveaux frais, non dans l’absolu, qu’il convient de poser cette
question. Pour un théâtre régi par l’économie du profit, tel que celui qui impose, dans
la seconde moitié du dix-neuvième siècle, les cadres dramaturgiques de l’« optique de
la scène » et de la « pièce bien faite », l’anticipation sur le devenir scénique de
l’œuvre doit s’entendre comme la capacité de celle-ci à s’insérer exactement dans ces
cadres, avec le minimum d’accommodements nécessaires. La théâtralité qu’on peut
déceler dans l’écriture théâtrale contemporaine, en revanche, repose sur des schémas
presque inverses, puisque l’adéquation du texte à son devenir scénique signifie au
contraire que celui-ci articule les conditions attendues de la représentation théâtrale
(mise en relief de la présence corporelle et de la parole adressée) à une opacification
des protocoles de son passage à la scène et à une littérarisation généralisée des
énoncés.
Ainsi le timide retour des auteurs, tel que nous le voyons s’ébaucher depuis une
trentaine d’années dans le paysage théâtral français, repose-t-il sur le paradoxe d’une
théâtralité qui s’invente en dehors des cadres reconnus de l’écriture dramatique, dans
33 Jean-Pierre SARRAZAC, Théâtres intimes, Arles, Actes Sud, 1989, p. 162. 34 R. BARTHES, « Le théâtre de Baudelaire », op. cit., p. 43. 35 J.-M. PIEMME, « Théâtralité », Dictionnaire encyclopédique du théâtre, Michel CORVIN (éd.),
Paris, Larousse, 1998, vol. 2, p. 1614.
le frayage avec l’écriture poétique ou l’écriture romanesque : non pas seulement pour
conduire sur ce terrain l’effacement de la distinction entre les genres ou plus
exactement entre les modes de la création littéraire, mais plutôt pour renouer les liens
entre le texte de théâtre et la littérature, remettre le théâtre « sous tension littéraire »,
selon la formule de Jean Jourdheuil et Jean-François Peyret. Théâtralité de l’écart, de
la résistance (dans le sens où les dispositifs textuels résistent à leur transposition
immédiate sur le plateau), et qui restitue à l’œuvre écrite pour la scène une complexité
comparable à celles de la poésie ou du roman contemporains.
Dans le même temps, cet écart et cette résistance créent les conditions d’un
véritable dialogue avec le metteur en scène. Parce que le contrat scénique initial se fait
moins explicite, donc moins prescriptif, l’espace d’intervention de la mise en scène
s’élargit ; il devient le lieu d’une exploration ou d’une expérimentation et non plus
celui d’un conflit d’autorité. Sans être entièrement désamorcée, la rivalité bien connue
de l’auteur vivant et du metteur en scène trouve dans cette théâtralité paradoxale la
possibilité de se changer en la « nouvelle alliance » qu’appelait de ses vœux Bernard
Dort36
.
36 B. DORT, « Le texte et la scène : pour une nouvelle alliance », op. cit.
Biographies
Michel Bernard est agrégé de philosophie et Docteur d’État. Il est actuellement
professeur émérite d’esthétique théâtrale et chorégraphique à l’Université de Paris 8
où il a fondé la Formation Danse au sein de l’UFR Arts-Philosophie-Esthétique. Il a
créé l’Institut de Recherches Internationales sur les Arts du Spectacle à Avignon. Il
est directeur de la collection “Corps et Culture” aux Éditions Universitaires et de la
collection “Art nomade” aux Éditions Chiron. Il a publié de nombreux articles et
plusieurs ouvrages dont : Le corps(1972); L’expressivité du corps (1976) ; Critique
des Fondements de l’éducation ou généalogie du pouvoir et / ou de l’impouvoir d’un
discours (1988 ); De la création chorégraphique (2001).
Luc Boucris est professeur en études théâtrales à l’Université Paul Valéry de
Montpellier, il est aussi directeur de recherche au Centre d’étude du XXe siècle et
directeur de la préfiguration de l’Institut européen de Scénographie. Entre autres
publications, il est auteur de L’espace en scène (1993), De l’écrit à l’écran,
Maupassant, Renoir, Santelli (1996); il a dirigé Autour d’Electre (1997), Le désir de
jouer (2000), et codirigé Arts de la scène, scène des arts, (2003-2004).
Renée Bourassa est professeure à l’École des arts visuels de l’Université Laval. À la
fois théoricienne et praticienne, conceptrice et réalisatrice dans le domaine des médias
numériques, elle a œuvré au cours des 25 dernières années dans plusieurs secteurs
d’intervention culturelle, dont les arts de la scène, la muséologie ainsi que l’édition
d’œuvres hypermédias alliant arts et culture scientifique. Ses recherches actuelles
portent sur les fictions émergentes et les nouvelles pratiques expérientielles issues des
médias numériques au sein d’une culture participative, ainsi que sur les effets de
présence et la performativité des personnages virtuels. Elle a publié récemment un
livre intitulé “ Fictions hypermédiatiques : mondes fictionnels et espaces ludiques.
Des arts de mémoire au cyberespace” (2010). Elle est chercheure affiliée au
laboratoire de recherche sur les œuvres hypermédiatiques (NT2), au Centre de
recherche sur l’intermédialité (CRI) ainsi qu’au LAMIC (Laboratoire de muséologie
et d’ingénierie de la culture). Elle est membre du groupe de recherche sur la
performativité et les effets de présence (UQAM).
Commentaire [P1]: Problème de pagination à partir d’ici, pas réussi à régler le problème
Marvin Carlson est professeur en théâtre et en littérature comparée au Graduate
Center de NYU. Il a fondé la revue Western European Stages et a largement publié
dans le domaine des études théâtrales. Il est l’auteur de plusieurs livres dont : The
Theatre of the French Revolution; Goethe and the Weimar Theatre; The Italian stage
from Goldoni to D’Annunzio; Theories of the Theatre; Theatre Semiotics : Signs of
Life; Performance : A Critical Introduction et The Haunted Stage. Il a reçu le prix
George Jean Nathan de la critique dramatique.
Josette Féral est actuellement professeur à Paris3. Enseignant à L’École supérieure
de théâtre de l’Université du Québec à Montréal depuis 1981, elle a publié plusieurs
livres dont les plus récents sont Théorie et pratique du théâtre, au-delà des limites
(2011, traduit en portugais et en arabe), Rezija in Igra (Slovénie, 2008), Voies de
femmes (2007), Mise en scène et jeu de l’acteur en deux volumes (1997 et 1999),
Trajectoires du Soleil (1999), Dresser un monument à l’éphémère. Rencontres avec
Ariane Mnouchkine (1995, 2001). Directrice de plusieurs ouvrages collectifs dont les
plus récents sont Pratiques performatives : Body-Remix (Presses de l’Université de
Rennes et Presses de l’Université du Québec, 2011), The Genetics of
Performance (Cambridge Univ. Press, Theatre Research International, 2008); The
transparency of the text : Contemporary Writing for the Stage (co-éd. avec Donia
Mounsef, Yale French Studies, 2007); L’École du jeu (L’Entretemps, 2003), elle a
signé de nombreux articles traduits en plusieurs langues : anglais, espagnol, allemand,
italien, portugais, russe, arabe, slovène, slovaque, croate, japonais et néerlandais.
Helga Finter est professeure de théorie et d’histoire du théâtre à l’Institut d’Etudes
théâtrales appliquées à l’université de Giessen en Allemagne. Elle est auteure de
plusieurs ouvrages : Semiotik des Avantgardetextes (1980) et Der subjektive Raum, 2
vl. (1990) ; elle a coédité deux recueils d’études un sur Georges Bataille intitulé
Bataille lesen (1992), et un second sur le rapport du théâtre avec les autres arts intitulé
Grenzgänge (1998). Elle a contribué au récent Tout Ubu des éditions Robert Laffont
dont fait partie l’édition critique de César Antechrist et de L’amour en visite. Elle a
publié plus d’une centaine d’essais sur la littérature, le cinéma et le théâtre dans
différents recueils et revues comme Drama Review, Women and Performance,
Modern Drama, Théâtre/Public, Art Press, Forum modernes Theater, Theater heute
et Teatro al Sur etc. Ses principaux intérêts de recherche sont les mutations du théâtre
dans une société du spectacle, l’esthétique de la voix et la théâtralité du texte ( juin
2006).
Virginie Magnat est praticienne et chercheuse. Elle enseigne actuellement à
l’Université de Colombie britannique. Elle s’intéresse tout particulièrement à la
formation de l’acteur, la recherche interculturelle et interdisciplinaire, et
l’anthropologie culturelle. Ses écrits ont été publiés en France, au Canada et aux
Etats-Unis.
Didier Plassard est professeur en études théâtrales à l’université Paul-Valéry
Montpellier 3. Il a publié L’Acteur en effigie (L’Age d’Homme, 1992, Prix Georges-
Jamati), Les Mains de lumière (Institut International de la Marionnette, 1996, rééd.
2005), des traductions, ainsi qu’une centaine d’articles et contributions à des revues
spécialisées ou des ouvrages collectifs. Récemment, il a dirigé le volume Mises en
scène d’Allemagne(s) de 1968 à nos jours pour la collection des « Voies de la
création théâtrale » aux Éditions du CNRS (parution : décembre 2012) ainsi que
l’édition bilingue intégrale du Théâtre des fous d’Edward Gordon Craig (éditions de
l’Entretemps, 2012) d’après les manuscrits inédits acquis par l’Institut International
de la Marionnette. Il est aussi membre du réseau européen de chercheurs Prospero et
rédacteur en chef de la revue en ligne Prospero European Review – Research and
Theatre.
Louise Poissant…Louise Poissant, PhD en philosophie, est doyenne de la Faculté des
arts de l'UQAM. Professeur à l'École des arts visuels et médiatiques de l'UQAM
depuis 1989, elle dirige le Groupe de recherche en arts médiatiques (GRAM) depuis
1989. Elle a aussi dirigé le CIAM de 2001 à 2006, et le doctorat interdisciplinaire en
Études et pratiques des arts de 1997 à 2003.
Elle est l'auteur de nombreux ouvrages et articles dans le domaine des arts
médiatiques publiés dans diverses revues au Canada, en France et aux États-Unis.
Entre autres réalisations, elle a dirigé la rédaction et la traduction d'un dictionnaire sur
les arts médiatiques publié aux PUQ en français et en version électronique.
Elle a coscénarisé une série sur les arts médiatiques en collaboration avec TV Ontario
et TÉLUQ et a collaboré à une série de portraits vidéos d'artistes avec le Musée d'art
contemporain de Montréal. Ses recherches actuelles portent sur les arts et les
biotechnologies et sur la notion de présence virtuelle dans les arts de la scène.
Janelle Reinelt est professeur de théâtre et de danse à l’université California Davis.
Elle a été éditrice de Theatre Journal et est actuellement présidente de la Fédération
Internationale de Recherche Théâtrale (IFTR/FIRT). Elle a écrit Critical Theory and
performance, publié avec Joseph Roach et A Cambridge Companion to Modern
British Women Playwrights, co-publié avec Elaine Aston. Son prochain livre , Race
and Nation in the Theatre of Our Times , sera publié aux Presses de l’université du
Michigan..
Richard Schechner est professeur à la Tisch School of the Arts, à NYU où il
enseigne les Performance Studies. Il est directeur artistique du groupe East Coast
Artists et éditeur de TDR : A Journal of Performance Studies. Schechner a fondé en
1967 The Performance Group, qu’il a dirigé jusqu’en 1980. Parmi les pièces mises
en scène avec le TPG, notons tout particulièrement Dionysus in 69, Mother Courage
and Her Children, Oedipus, The Tooth of Crime et The Balcony. Richard Schechner a
monté de nombreuses oeuvres en Inde, en Chine, aux États-Unis, en Europe et en
Afrique du Sud. Avec la Compagnie East Coast Artists qu’il a fondée en 1991, il a
mis en scène Faust Gastronome (1992), Three Sisters (1997), Hamlet (1999), and
Yokastas (écrit avec Saviana Stanescu). En 1995, avec le Contemporary Legend
Theatre of Taipei, compagnie de jingju (Beijing Opera) il a dirigé (en chinois) sa
propre adaptation de Aeschylus’Orestei. Il est l’auteur de plusieurs livres, dont
Environmental Theater. Between Theater and Anthropology, The End of Humanism,
Performance Theory, The Future of Ritual, ainsi que Performance Studies: An
Introduction. Il a également co-édité Ritual, Play, and Performance (avec Mady
Schuman), By Means of Performance (avec Willa Appel) et The Grotowski
Sourcebook (avec Lisa Wolford). Il est responsable de Worlds of Performance series,
publié chez Routledge.