dégraissants organiques : nomenclatures, référentiels, identifications

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Cahier des thèmes transversaux ArScAn Volume VII 2005 - 2006 Dans le cadre du Thème VII Outils et méthodes de la recherche Table ronde : Dégraissants organiques Identifications, nomenclatures et référentiels (01 Avril 2006) organisée par : Barbara van Doosselaere (ArScAn - Afrique) Cécile Oberweiler (ArScAn - proto égéenne)

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Cahier des thèmes transversaux ArScAnVolume VII2005 - 2006

Dans le cadre du Thème VIIOutils et méthodes de la recherche

Table ronde :

Dégraissants organiques

Identifications, nomenclatures et référentiels(01 Avril 2006)

organisée par :

Barbara van Doosselaere(ArScAn - Afrique)

Cécile Oberweiler(ArScAn - proto égéenne)

Cahier des thèmes transversaux ArScAn (vol. VII) 2005 / 2006Nanterre - Novembre 2007ArScAn - Archéologies et Sciences de l’AntiquitéCNRS - Université de Paris I - Université de Paris X - Ministère de la CultureMaison René GinouvèsArchéologie et Ethnologie21 allée de l’UniversitéF92023 Nanterre CedexTél : 33 (0)1 46 69 24 18Fax : 33 (0)1 46 69 24 92Mél : [email protected]él. générique : [email protected]

ISSN 1953-5120Les texte sont accessibles en ligne à l’adresse suivante : http://www.mae.u-paris10.fr/Cahiers/index.htm

Sommaire

Table ronde « Dégraissants organiques : identifications, nomenclatures et référentiels »

Responsables : Virginie Fromageot Laniepce, Olivier Langlois, François Giligny

Avant-propos (Cécile Oberweiler, Barbara van Doosselaere) ...................................................................5

Eléments pour l’identification des empreintes végétales dans la terre à bâtir (Emmanuelle Bonnaire,

Margareta Tengberg) .......................................................................................................................................8

Potentiel de l’analyse des phytolithes contenus dans les pâtes céramiques et les matériaux de

construction (Claire Delhon) ............................................................................................................................14

Etude des inclusions végétales dans les archéomatériaux argileux, par imprégnation de polymères

(Claude Sestier, Rémi Martineau, Jean-Pierre Couvercelle) ........................................................................22

Exemples d’utilisations de dégraissants organiques dans la céramique du Néolithique ancien et

moyen de France et de Belgique : l’os, la mousse et le pavot (Claude Constantin) .............................24

Considérations fonctionnelles sur le choix des dégraissants organiques au Néolithique à Spiere ‘de

Hel’ ( bassin de l’Escaut) (Bart Vanmontfort) .................................................................................................29

Exploitation des ressources organiques dans les productions céramiques à Koumbi Saleh (sud-est

mauritanien, 7e-17e siècles) (Barbara van Doosselaere, Emilie Hayes) ......................................................33

L’utilisation des dégraissants d’origine animale dans les céramiques métallurgiques minoennes et

mycéniennes (Cécile Oberweiler) .................................................................................................................40

Cahier des thèmes transversaux ArScAn (vol. VII) 2005 - 2006

Thème VII : Outils et méthodes

Avant-Propos

Barbara vaN DooSSElaErE (ArScAn - Afrique)

Cécile oBErwEilEr (ArScAn - proto égéenne)

L’utilisation de dégraissants organiques pour la manufacture des outils et des structures en terre (bâti, structures de combustion, céramique) est attestée dans les contextes chrono-culturels les plus variés : ce type d’exploitation des matières organiques apparaît dès les premières périodes du Néolithique au Proche-Orient, dans les Balkans, en Europe du sud-est et en Afrique. Leur utilisation ne s’est jamais démentie et perdure encore de nos jours en Afrique, en Asie et en Amérique du sud, notamment. Les herbes, la paille, la balle, le crottin, l’os, les coquillages et les poils d’animaux comptent parmi les matériaux les plus utilisés.

Une table ronde autour de l’identification de ces dégraissants organiques, mais aussi sur les questions de référentiels et de nomenclature s’est tenue le 1er avril 2006, dans le cadre du thème transversal VII « Outils et méthodes de la recherche » de l’UMR Archéologies et Sciences de l’Antiquité. En réunissant des spécialistes issus de différents domaines de recherche (ethnoarchéologie, archéobotanique, céramologie, archéométallurgie, pédologie) et travaillant sur diverses périodes et aires géographiques (du Néolithique égéen aux périodes historiques ouest-africaines), cette table ronde visait à se faire, autant que possible, le reflet de cette diversité. Deux axes principaux sont venus l’articuler : la matinée a été consacrée aux différentes approches méthodologiques permettant la caractérisation des dégraissants organiques ; tandis que l’après-midi a été dédiée à des études de cas archéologiques.

Les débats qui ont animé cette journée furent tout autant méthodologiques que théoriques. Si, initialement, la question était bien celle des méthodes permettant de déterminer la nature du dégraissant organique, en réalité sa caractérisation soulève des questions qui dépassent les seules problématiques techniques et fonctionnelles.

La journée s’est ouverte sur une étude de cas actuel. Aïcha Hanif, qui a effectué une série d’enquêtes auprès d’artisans potiers implantés dans le Draa marocain, a abordé la question cruciale des déterminismes susceptibles de conditionner le choix de certains types de dégraissants. Globalement, leur rôle consiste à améliorer certaines propriétés du matériau argileux auquel ils sont ajoutés, en fonction de contraintes techniques particulières ou des besoins précis de l’artisan. Dans les ateliers de production céramique du Draa, plusieurs facteurs allant du simple choix individuel à différents impératifs techniques, environnementaux ou encore sociaux, interviennent au moment de l’élaboration du mélange argileux. Toutefois, deux déterminismes semblent particulièrement peser : la fonction attribuée aux récipients et la structuration sociale des ateliers, au niveau sub-régional. La présence de dégraissants organiques revêt donc ici un caractère éminemment culturel.

Issus du traitement des céréales, les dégraissants organiques exploités par les artisans du Draa sont des produits élaborés, dont l’aspect est très éloigné de la structure végétale d’origine. En outre, ils peuvent dans certains cas être ajoutés à une argile déjà riche en matière organique. En contexte archéologique, l’identification des ces matériaux ajoutés nécessiterait un investissement analytique important et sans certitude de résultat.

Ce constat nous ramène à notre questionnement initial : dans quelle mesure les outils d’observation, les nomenclatures et les référentiels mobilisés par l’archéologie sont-ils suffisamment performants ? Si la phase même d’identification est un obstacle, comment alors produire des interprétations intégrant des questions d’ordre social, économique et/ou culturel ? Dans la pratique, l’identification des constituants organiques reste effectivement

« Dégraissants organiques : identifications, nomenclatures et référentiels »Barbara van Doosselaere, Cécile Oberweiler

problématique. Ces difficultés sont liées à la nature des matériaux sélectionnés par les artisans, ainsi qu’aux transformations physico-chimiques que subissent les composants lors de l’élaboration des mélanges argileux ou lors de la cuisson, en particulier lorsque celle-ci atteint des températures élevées. Dans ces conditions, la caractérisation des dégraissants organiques ne se fait généralement pas sans la constitution de référentiels raisonnés.

Fouad Hourani nous a exposé le travail de reconstitution des techniques du bâti durant le Néolithique de Chypre. Cette étude croise avec efficacité différentes échelles d’observation en faisant intervenir de manière dynamique les méthodes de la micromorphologie et l’expérimentation architecturale in situ. Au final, celle-ci a permis d’appréhender les ressources, entre autres organiques, dont disposaient les artisans et d’évaluer les choix effectués lors des différentes étapes de construction.

De la même manière, l’élaboration d’une base référentielle croisant données ethnographiques et botaniques a permis à Emmanuelle Bonnaire et à Margareta Tengberg d’identifier la nature des empreintes végétales contenues dans du matériel à bâtir. La reconnaissance de sous-produits de traitement de différentes céréales sur du matériel issu de sites du Néolithique européen et de l’Âge du Bronze proche oriental documente ainsi des sphères d’activité humaine dépassant largement le cadre des techniques architecturales.

D’autres modes d’analyse, encore en développement, ont été abordés. Plusieurs méthodes permettent actuellement de combler les lacunes de l’observation macroscopique. C’est le cas de l’analyse phytolithique exposée par Claire Delhon. La constitution de référentiels pour ce type de microstructures couvre déjà une bonne partie des végétaux des milieux tempérés. Par cette méthode, il est aujourd’hui possible d’atteindre des degrés d’identification au niveau de l’espèce, voire de la sous-espèce. Par ailleurs, même en l’absence de référentiels permettant une détermination botanique fine, comme c’est encore le cas pour les régions tropicales, l’étude des phytolithes apporte d’importants compléments d’information sur la nature des structures observées en macroscopie (voir la contribution de B. van Doosselaere).

Les méthodes développées par Rémi Martineau et Claude Sestier se présentent également comme un complément efficace à l’analyse macroscopique. Ces deux auteurs envisagent l’étude des inclusions de végétaux en appliquant une nouvelle technique par imprégnation des matériaux avec un polymère, qui permet d’exploiter les vides et empreintes laissés par les végétaux à l’intérieur de terres crues ou cuites, et non plus seulement en surface. Les images de ces micro-moulages de végétaux, observés soit sur section en 2D, soit en tant que micro-moulages en 3D après séparation de la matrice argileuse, montrent qu’une détermination botanique est possible, ainsi qu’une quantification. Cette méthode, appliquée à du matériel céramique néolithique du Bassin de l’Escaut, a permis d’identifier, au niveau de l’espèce, la mousse qu’il contenait.

La mousse, catégorie de dégraissant

qui fut fréquemment exploitée durant le Néolithique de ces régions, a fait l’objet de plusieurs interprétations, exposées au cours des communications de Claude Constantin et Bart Vanmontfort. Ces derniers ont réintroduit la question fondamentale de la performance technique, et celle de la fonction et de l’origine des choix techniques. La question posée par ces deux auteurs est la suivante : est-il possible d’interpréter la présence de dégraissants organiques autrement qu’en termes techno-fonctionnels ?

Comme l’a montré Claude Constantin, les archéologues ont volontiers considéré la présence de mousse dans le matériel céramique associé à différents faciès néolithiques de Normandie, du Bassin Parisien et du Sud de la Belgique comme l’indice d’une continuité culturelle. Il en va de même pour l’os pilé et calciné identifié dans des assemblages issus du Nord et du Sud de la France. Selon toute vraisemblance, les graines de pavot utilisées comme dégraissants et reconnues sur plusieurs sites Rubanés du Sud de la Belgique renvoient également à des comportements culturels spécifiques. Si les questions d’ordre techno-fonctionnel ont sans doute joué un rôle dans les choix techniques des artisans, les configurations régionales qui se dessinent ne laissent pas de doute sur le caractère culturel de ces choix.

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Thème VII : Outils et méthodes

Fréquemment soulevé, le problème des contraintes techno-fonctionnelles en est-il vraiment un ? D’une manière générale, il est admis que celles-ci ne jouent pas de rôle déterminant : l’éventail de réponses techniques qui s’offre aux artisans, face aux contraintes techno-fonctionnelles susceptibles de peser dans leurs choix, est suffisamment varié pour permettre à d’autres facteurs d’intervenir. La contribution de Bart Vanmontfort en offre la démonstration. L’étude morpho-typologique réalisée a permis de conclure que la sélection de mousse comme dégraissant, dans le Bassin de l’Escaut, est tout autant à mettre en relation avec un comportement culturel qu’avec d’éventuelles contraintes techniques et fonctionnelles. Et c’est bien là que réside tout l’intérêt d’une étude axée sur ce type de matériaux.

Les ethnoarchéologues insistent depuis longtemps sur la multiplicité des facteurs (techniques, fonctionnels, socioculturels, politiques, économiques, etc.) conditionnant l’élaboration des mélanges argileux. Le cas archéologique exposé par Barbara van Doosselaere en témoigne également. L’auteur a abordé la question des modes d’exploitation des dégraissants organiques, dans le cadre de la production de la poterie, sur un site historique urbain de la Mauritanie. Les résultats de ce travail montrent que l’évolution des modes d’exploitation des dégraissants organiques ne peut se comprendre que si l’on envisage, sur fond d’aridification, les différentes échelles articulant, entre elles, plusieurs sphères d’activité humaine.

Le travail de caractérisation des matériaux argileux constitutifs des creusets métallurgiques minoens et mycéniens, réalisé par Cécile Oberweiler, s’inscrit également dans cette perspective. Si les choix des artisans en matière de dégraissants organiques répondent, dans ce cas précis, à des exigences techniques spécifiques, la variété des comportements rencontrée n’en est pas moins liée à un contexte culturel bien particulier.

Cette table ronde, qui a permis de réunir des micromorphologues, des botanistes, des ethnoarchéologues, des céramologues et des spécialistes des productions métallurgiques, a révélé toute la variété des méthodes d’étude applicables aux dégraissants organiques. La confrontation de spécialistes de domaines variés, mais complémentaires, avec leurs outils

analytiques propres, a été fructueuse. Une première mise en commun des référentiels propres à chacune de ces disciplines a été possible. La poursuite de ce travail permettrait d’élargir nos champs de recherche, et d’enrichir à la fois nos hypothèses et nos interprétations. Nous espérons donc que les avancées faites lors de cette journée constitueront un point de départ à la création d’un groupe de réflexion avec une mise en commun des résultats existants, dans le but d’élaborer des référentiels actualistes des fibres organiques. A plus long terme, l’objectif serait d’étendre la discussion à des problématiques d’ordre chrono-culturel, et d’entreprendre une réflexion plus large sur la construction des hypothèses.

Eléments pour l’identification des empreintes végétales dans la terre à bâtirEmmanuelle Bonnaire, Margareta Tengberg

introduction

La terre constitue un matériau de construction fréquemment rencontré sur les sites archéologiques en Europe et au Moyen-Orient, sous la forme de briques crues ou cuites, torchis, pisés, enduits et mortiers. Selon les cas, un dégraissant végétal lui est associé afin d’en augmenter la cohésion et la résistance (Fig. 1). Ce dégraissant est le plus souvent un sous-produit issu du traitement des céréales, intervenu après leur récolte (Hillman, 1984, 1985 ; Jones, 1984, ; Van der Veen, 1999). Il peut s’agir, d’une part, des résidus du battage des céréales nues tel le blé froment (Triticum aestivum), le blé dur (T. durum) ou l’orge nue (Hordeum vulgare subsp. hexastichum var. nudum). D’autre part, le résidu du décorticage des céréales

vêtues comme l’engrain (T. monococcum), l’amidonnier (T. dicoccum), l’épeautre (T. spelta) ou l’orge vêtue (Hordeum vulgare). En se décomposant, les différents éléments du dégraissant végétal laissent des empreintes sur l’argile. Celles-ci sont occasionnellement utilisées par les archéobotanistes afin de compléter les informations obtenues par une étude carpologique « classique », c’est-à-dire fondée sur l’identification des graines et des fruits (Helbaek, 1948 ; Willcox & Fornite, 1999 ; Willcox & Tengberg 1995). En effet, les empreintes permettent d’observer les parties fragiles des céréales, telles glumes et glumelles (voir infra) qui sont rarement préservées dans les sédiments archéologiques. De surcroît, ces éléments ont souvent une valeur diagnostique permettant de préciser l’identification d’une céréale jusqu’à l’espèce, voire la sous-espèce. Outre

Eléments pour l’identification des empreintes végétales dans la terre à bâtir

Emmanuelle BoNNairE, Margareta TENgBErg (ArScAn - Village. Etat PMO)

Fig. 1. Incorporation d’un dégraissant végétal (résidu du battage de blé froment) à l’argile destinée à la fabrication de briques crues, Makran Pakistanais (Cliché M. Tengberg).

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Thème VII : Outils et méthodes

de permettre une identification des céréales cultivées sur un site à une période donnée, les empreintes sont susceptibles de nous renseigner sur le traitement des récoltes et sur les techniques de construction.

Malgré son intérêt évident, ce matériel est souvent sous-exploité sur les sites archéologiques même lorsque la terre constitue le principal matériau de construction. Une mauvaise lisibilité des empreintes (sédiment grossier, composante végétale très fragmentée) peut quelquefois en être la raison. Le plus souvent pourtant, l’explication tient au fait que nous ne possédons pas de véritable référentiel permettant l’identification des éléments végétaux. Ainsi, le premier objectif de notre travail, initié dans le cadre d’une Maîtrise (Bonnaire, 2005) et poursuivi par un Master 2 (Bonnaire, 2006), était de constituer un référentiel morphologique des céréales fondé sur l’observation et la description systématique des divers éléments de la plante céréalière, autres que les fruits (les caryopses). Pour des raisons évidentes, ces derniers ne font pas partie du dégraissant (puisqu’ils sont consommés) et ils sont, par ailleurs, étudiés par la carpologie.

La validité du référentiel établi a ensuite été testée sur du matériel provenant de trois sites archéologiques. Il s’agit de briques crues datées de l’Âge du Bronze provenant d’Ulug Depe (Turkménistan) et de Shahi Tump (Pakistan) ainsi que d’un corpus, plus important, de torchis issu de Kovačevo, site Néolithique bulgare.

1. Etablissement d’un référentiel

Différentes parties de la plante céréalière peuvent rentrer dans la composition du dégraissant (Fig. 2) : la tige (ou le chaume) est articulée en entrenœuds, limités par les points d’insertion des feuilles, les nœuds. L’infrutescence, l’épi, se décompose en plusieurs sous-unités appelées épillets. Ces derniers sont individualisés par la présence de deux enveloppes extérieures, les glumes, et sont insérés sur l’axe central de l’épi (le rachis) par l’intermédiaire des segments de rachis. Chaque épillet renferme un ou plusieurs grains qui sont à leur tour protégés par de très fines enveloppes, les glumelles (Fig. 3). La glumelle inférieure qui porte parfois une arête est appelée lemma, celle supérieure se nomme palea. Les glumes et les glumelles constituent ensemble la balle, sous-produit du battage chez les céréales nues et du décorticage chez les

céréales vêtues. Afin de réaliser un référentiel, nous avons

effectué de nombreuses observations sur des échantillons de céréales modernes provenant, dans la plupart des cas, de la collection de référence botanique de la Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie de Nanterre. Notre choix a porté préférentiellement sur les espèces des régions tempérées - blé, orge, avoine et seigle – qui sont les plus susceptibles d’apparaître dans la terre à bâtir en Europe et au Moyen-Orient. Originaires du Proche-Orient, certaines d’entre elles constituent la base des systèmes agricoles depuis le Néolithique. Quatorze sous-espèces de blé, orge, seigle et avoine ont été étudiées. Précisons néanmoins que la même méthode peut tout à fait être envisagée pour l’établissement d’un référentiel des céréales tropicales telles sorghos et mils.

Après observation, à l’œil nu et à la loupe binoculaire, des glumes et des glumelles des céréales sélectionnées, nous avons établi un ensemble de critères morphologiques pouvant permettre la distinction des différents taxons. Ces critères concernent à la fois leur forme générale (contour, symétrie, partie sommitale) et leur structure (organisation des nervures, bordures, etc.). Les critères morphologiques ont été formalisés dans un « protocole descriptif », accompagnés de dessins schématiques (Fig. 4). Une véritable clé d’identification, fondée sur le principe d’élimination, pourra ensuite être constituée, entre autres avec l’aide des méthodes statistiques (analyse factorielle des données en correspondance binaire) permettant de dégager les critères d’identification les plus pertinents.

2. Applications archéologiques

L’application sur du matériel archéologique suit une méthodologie qui peut être résumée en trois étapes : 1) le choix des échantillons, 2) l’observation et la description des empreintes, 3) l’identification des éléments à partir du référentiel et des collections de référence de céréales modernes.

Les résultats concernent tout d’abord les composants du dégraissant qui correspondent à différentes étapes du traitement post-récolte des céréales. A Ulug Depe, de la balle de céréales nues ainsi que des fragments de paille sont observés. Ces restes proviennent du nettoyage de l’aire de battage mais sont principalement

Eléments pour l’identification des empreintes végétales dans la terre à bâtirEmmanuelle Bonnaire, Margareta Tengberg

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issus du vannage, étape succédant au battage qui permet de séparer les grains de leur balle.

A Shahi Tump, le dégraissant est composé majoritairement de glumes et de glumelles de céréales nues, résultant de leur vannage, mais aussi de glumelles fragmentaires qui suggèrent un décorticage de ces mêmes céréales.

A Kovačevo, la nature du dégraissant reflète un décorticage, opération qui permet, par friction, par exemple dans un mortier, de libérer les grains des céréales vêtues de leurs glumes et glumelles. Cette action a pour conséquence une forte fragmentation de la balle qui est ensuite

séparée des grains par un second vannage avant d’être incorporée dans la terre à bâtir. De plus, la présence de petits épillets, permet d’envisager que certains composants résultent également d’un premier tamisage.

Cette première détermination des éléments constituant le dégraissant a été suivie par leur identification botanique.

A Ulug Depe, de l’orge polystique est observée. Le manque de critères distinctifs nous empêche de préciser la sous-espèce de l’orge. De l’amidonnier et du blé compact sont

Fig. 2. Composantes du dégraissant végétal 1 : empreintes sur brique crue d’Ulug Depe et de Shahi Tump, photos prises au microscope binoculaire. (Clichés E. Bonnaire).

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Fig. 3. Composantes du dégraissant végétal 2 : empreintes sur brique crue d’Ulug Depe et de Shahi Tump, photos prises au microscope binoculaire (Clichés E. Bonnaire).

Fig. 4. Exemple de critères morphologiques retenus dans le référentiel, accompagnés de dessins schématiques.

Eléments pour l’identification des empreintes végétales dans la terre à bâtirEmmanuelle Bonnaire, Margareta Tengberg

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identifiés. Plusieurs morphotypes de blé nu et vêtu s’approchant du froment et de l’épeautre sont observés. A Shahi Tump nous avons déterminé de l’orge à six rangs principalement. Des empreintes de blé nu ont également été perçues. A Kovačevo, de l’orge vêtue et du blé amidonnier sont répertoriés. De l’engrain a été identifié, mais cette détermination reste à considérer avec prudence.

La comparaison de nos résultats avec ceux des études carpologiques relatives à Kovačevo nous permet de conclure à une réelle concordance. En ce qui concerne Ulug Depe, il faut rester prudent quant à la détermination du morphotype de l’épeautre. Il peut s’agir également d’égilope (Aegilops sp.), graminée adventice abondante dans les assemblages carpologiques. A Shahi Tump, les empreintes reflètent des résultats quasi-similaires à ceux obtenus par l’étude des grains de céréales. La différence notable est la définition de l’orge nue et de l’amidonnier par la carpologie.

3. Limites de la méthode

Le niveau de précision des identifications est variable selon l’état des empreintes. Tandis que des empreintes bien préservées peuvent permettre une détermination jusqu’à l’espèce, voire la sous-espèce, d’autres ne peuvent êtres identifiées au-delà du genre ou de la famille. La netteté des impressions, leur orientation et l’état de fragmentation des composants (qui dépend, nous l’avons vu, du traitement post-récolte) influent sur les possibilités de détermination. De surcroît, certains taxons sont plus difficiles à distinguer, du point de vue morphologique, que d’autres.

Conclusion

Nous avons vu que l’étude des empreintes végétales dans la terre à bâtir constitue une source d’information à part entière, apportant des renseignements à la fois sur les pratiques agricoles et les systèmes techniques du passé. L’établissement d’un référentiel morphologique permet désormais de mieux exploiter ce type de matériel sur les sites archéologiques.

Dans un proche avenir, ce référentiel sera définitivement validé par la multiplication des observations sur les taxons déjà décrits et sera enrichi par l’ajout de nouvelles espèces céréalières.

L’étude des empreintes peut être associée à l’analyse des phytolithes lorsque les premières, pour des raisons évoquées ci-dessus, sont difficiles à lire. Cette double approche, appliquée de façon exploratoire au matériel de Kovačevo, s’est révélée tout à fait intéressante (les phytolithes ont permis la détermination de l’orge à deux rangs) et mériterait également d’être développée dans l’avenir.

références bibliographiques

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Potentiel de l’analyse des phytolithesClaire Delhon

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Potentiel de l’analyse des phytolithes contenus dans les pâtes céramiques et les matériaux de construction

Claire DElhoN (ArScAn - Proto Européenne)

De nombreux végétaux peuvent être utilisés, sous diverses formes, comme dégraissant des matériaux argileux. Lors de la cuisson de la pâte, la matière organique est totalement ou en partie détruite. Très souvent, il ne subsiste de ces plantes que des empreintes dans l’argile cuite, visibles à l’œil nu, et des restes microscopiques se signalant parfois par des traînées blanchâtres à l’intérieur des empreintes : les phytolithes.

1. Définition

Les phytolithes sont des particules d’opale de silice qui se forment à l’intérieur de tissus végétaux vivants. Il ne s’agit pas de fossiles des cellules végétales qui se seraient formés post-mortem, mais bien de concrétions dont la formation est étroitement liée à la physiologie de la plante.

Les phytolithes se forment à partir de l’acide monosilicique Si(OH)4 présent en solution dans l’eau du sol qui est absorbée par la plante pour former la sève. Au niveau des tissus transpirants, et donc principalement des épidermes, l’eau s’évapore et la silice se concentre à l’intérieur et entre les cellules végétales, pour donner un gel de silice de plus en plus concentré qui finit par précipiter sous forme d’opale de silice, SiO2, nH2O. D’autres éléments peuvent être présents dans l’opale, en particulier du magnésium, du calcium, du sodium, du potassium, du manganèse, du fer, et surtout de l’aluminium (Bartoli, 1981 ; Piperno, 1988). Il semble, en effet, que les phytolithes peuvent servir à stocker et à neutraliser certains composés toxiques pour la plante (Lewin et Reimann, 1969 ; Sangster et Hodson, 2001).

La présence de ces éléments peut modifier les propriétés physico-chimiques des phytolithes, mais plutôt dans le sens d’une meilleure conservation (Bartoli et Wilding, 1980 ; Sangster et Hodson, 2001). Par contre, la présence de carbone organique, correspondant au matériel cellulaire inclus dans le moulage siliceux des

cellules végétales, pourrait être un facteur de fragilisation des phytolithes.

Propriétés. L’opale de silice biogénique est peu soluble, sauf à des pH très faibles ou très élevés (Bartoli et Wilding, 1980). La silice amorphe est un verre végétal, matériau imputrescible qui se conserve même lorsque les composés organiques des végétaux ont disparu. Il faut noter toutefois sa dissolution à l’acide fluorhydrique, anecdotique en contexte naturel, mais importante en laboratoire. Ce réactif est en effet utilisé pour l’extraction des pollens, opération qui est donc défavorable à l’observation des phytolithes.

La température de fusion des phytolithes est difficile à déterminer car elle varie beaucoup en fonction des divers éléments qui peuvent se trouver mélangés à l’opale de silice. Il semble toutefois qu’elle soit toujours élevée. Un chauffage à 900°C a pour conséquence une distorsion d’une partie des formes allongées, mais les morphotypes restent tout à fait identifiables (Elbaum et al., 2003).

Enfin, étant amorphe, l’opale de silice est isotrope. En lumière polarisée-analysée les phytolithes présentent une extinction totale qui permet en cas de doute de les différencier des autres particules transparentes présentes dans les mêmes préparations.

Les phytolithes dans les matériaux argileux. La présence de nombreux phytolithes dans les matériaux argileux (pâtes céramiques, mais aussi matériaux de construction) doit être mise en relation avec l’ajout de dégraissant végétal. En effet, bien qu’ils soient présents en faibles quantités dans la plupart des sédiments, la concentration des phytolithes dans l’argile mise en œuvre n’est pas comparable à celle que l’on trouve dans les produits élaborés avec du dégraissant végétal. Comparativement aux phytolithes apportés par le dégraissant, les phytolithes apportés par la

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terre sont présents en quantité négligeable dans les pâtes céramiques. De plus, les phytolithes issus de sols ou de sédiments ont subi des processus taphonomiques (en particulier ceux liés à la pédogenèse) ; ils se présentent sous forme de particules isolées, alors que les phytolithes du dégraissant sont mieux conservés. On observe souvent des cellules en connexion, parfois même des fragments d’épidermes, ainsi que des formes qui ne se conservent habituellement pas dans d’autres contextes (stomates silicifiés, par exemple).

Bien que l’étude des dégraissants végétaux soit une thématique souvent évoquée comme prometteuse par les phytolithiciens, il s’agit en fait d’une problématique peu développée, à un stade encore exploratoire et dont les méthodes sont loin de la routine. Les pistes présentées ici sont une revue des potentialités de l’analyse des phytolithes pour l’étude des dégraissants végétaux telles qu’elles nous apparaissent à l’heure actuelle, grâce à quelques études ponctuelles menées à la MAE (DEA de E. Hayes, Université Paris I, 2005 : cf. Vandoosselaere et Hayes, ce volume) et grâce aux pistes évoquées, mais rarement développées, dans la littérature.

Méthodes d’étude : extraction et observation des phytolithes. Les phytolithes sont souvent visibles sur les lames minces de céramique (Fig. 1). Leur observation in situ dans les vacuoles laissées par la destruction de la matière organique est une preuve de leur introduction dans la pâte lors de la fabrication de l’objet, qui s’oppose à une

éventuelle percolation post-déposition, à travers les pores du matériau. Les phytolithes peuvent même parfois laisser des traces visibles à l’œil nu, sans aucune préparation, sous forme de traînées blanchâtres à l’intérieur des empreintes végétales présentes sur certaines céramiques et sur des briques de terre. Toutefois, seule une extraction spécifique peut permettre une véritable analyse phytolithique. De petite taille, transparents, ils sont souvent masqués par l’argile, ou se présentent en lame mince sous une orientation ne permettant pas de les reconnaître.

L’extraction des phytolithes se fait par dissolution des carbonates à l’acide chlorhydrique et de la matière organique à l’eau oxygénée concentrée à chaud. Ensuite, l’élimination des argiles est l’étape la plus problématique. Les phytolithes étant dissous par l’acide fluorhydrique (réactif utilisé par les palynologues pour détruire les argiles), seule une décantation ou une filtration à 5µm peut les séparer des argiles sans risque. Ces deux procédés s’avèrent parfois particulièrement longs (surtout dans le cas d’un matériau très argileux). Enfin, si nécessaire, les phytolithes sont concentrés et séparés des quartz par flottation sur une liqueur dense, le bromure de Zinc (d=2.35).

Suivant la richesse de l’échantillon, l’une ou l’autre de ces étapes peut être évitée ou écourtée. Le but n’est pas d’obtenir des phytolithes purs mais une préparation suffisamment propre pour pouvoir être observée.

Les phytolithes sont ensuite montés entre lame et lamelle, observés et identifiés au microscope optique à transmission, à des grossissements de 400 à 600 ou 1000 fois.

2. Principales formes rencontrées

Les phytolithes sont classés selon leur forme en différents morphotypes (Madella et al., 2005). Il est difficile d’identifier précisément un phytolithe isolé, par exemple au genre ou à l’espèce. En effet, une même plante peut produire plusieurs morphotypes différents, c’est ce que l’on appelle la redondance, et un même morphotype peut exister chez plusieurs plantes différentes, c’est ce que l’on appelle la multiplicité (Rovner, 1971 ; Brown 1984 ; Mulholland et al. , 1988 ; Mulholland, 1989).

Il est toutefois possible de discriminer certains grands groupes de végétaux, ce qui peut apporter des informations intéressantes.

Les dicotylédones, c’est-à-dire tous les feuillus et les herbacées autres que les graminées et

Fig. 1. Phytolithes visibles in situ dans les vacuoles d’un tesson de céramique (lame mince, cliché B. van Doosselaere).

Potentiel de l’analyse des phytolithesClaire Delhon

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les familles associées, sont problématiques. Ils produisent des phytolithes sphériques, à surface lisse ou granuleuse (Geis, 1973 ; Scurfield, et al. 1974 ; Bozarth, 1992 ; Piperno, 1988, Barboni et al., 1999 ; Mercader et al., 2000), qui ne permettent pas une détermination plus précise (Fig. 2). Dans des contextes peu perturbés, des cellules épidermiques silicifiées se conservent également. Les palmiers se caractérisent par des formes sphériques épineuses (Fig. 3) mais une détermination au-delà de la famille n’est envisageable qu’en faisant appel à des analyses morphométriques (Delhon, 2003).

Les plantes qui nous intéressent le plus dans le cas de l’étude des matériaux argileux sont les graminées, car elles constituent le dégraissant

végétal le plus couramment utilisé (il s’agit en fait principalement de céréales). Or cette famille est aussi la plus fortement productrice de phytolithes, non seulement en quantité, mais aussi par la diversité des formes rencontrées. Les phytolithes forment le squelette des graminées. Ce sont eux qui rendent la plante plus ou moins rigide, et qui rendent parfois les graminées responsables de profondes coupures.

3. Les phytolithes de graminées

Détermination taxonomique. Les phytolithes de graminées sont habituellement classés selon des classifications inspirées de celle de Twiss (Twiss et al., 1969 ; Twiss, 1992), qui distingue 2 types de phytolithes : les cellules longues et les cellules courtes. Au niveau de l’épiderme des graminées, on observe une alternance de cellules longues et de cellules courtes (Fig. 4). Des poils épidermiques sont très souvent présents.

Les principales formes de cellules courtes sont les cellules dites panicoïdes, festucoïdes et chloridoïdes (Fig. 5). L’intérêt des cellules courtes est leur correspondance avec les sous-familles de graminées (festucoidées, panicoidées, chloridoidées), qui elles-mêmes se distribuent

Fig. 2. Phytolithes de dicotylédones

Fig. 3. Phytolithes de palmier.

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Thème VII : Outils et méthodes

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en fonction d’un gradient écologique. Les festucoidées sont des plantes des régions froides et tempérées (la presque totalité des graminées d’Europe ; le blé, l’orge, l’avoine, etc.). Les panicoidées sont des plantes mieux adaptées aux conditions plus chaudes. Leur proportion dans la végétation augmente au fur et à mesure que l’on s’approche des tropiques. Les chloridoidées sont des plantes intertropicales, qui en plus de supporter la chaleur sont très bien adaptées à la sécheresse.

Il existe d’autres sous-familles de graminées, plus difficiles à reconnaître par leurs phytolithes, mais les spécialistes des régions concernées parviennent notamment à identifier les bambous (Strömberg, 2004).

Les cellules longues sont grandes et nombreuses. Elles sont faciles à observer dans les matériaux argileux, ce sont souvent elles qui permettent d’évaluer a priori la concentration en phytolithes.

On reconnaît plusieurs formes principales :- Les cellules allongées, qui forment le squelette

de la plante. Il s’agit de cellules épidermiques. Elles peuvent être à bord lisse, à bord sinueux ou de forme dendritique. On reviendra sur ces distinctions morphologiques qui peuvent avoir une importance dans une optique techno-culturelle.

- Les poils épidermiques sont parfois très nombreux. Ils peuvent être de grande taille.

- Enfin, les cellules bulliformes sont les cellules disposées le long des nervures (parallèles) sur les feuilles. Ces cellules sont capables de se remplir plus ou moins d’eau. Cette variation de la pression à l’intérieur des cellules bulliformes permet aux feuilles de se replier sur elles-mêmes pour éviter les trop fortes déperditions d’eau.

Si les phytolithes de graminées isolés ne permettent pas une détermination précise (au mieux la sous-famille dans le cas des cellules courtes, pour les cellules longues « graminées » sans plus de précision), des assemblages de phytolithes peuvent permettre d’aller plus loin. Les pâtes céramiques présentent l’intérêt de rendre possible la préservation des ensembles clos de phytolithes. La conservation des différentes cellules en connexion est un atout pour la détermination au genre ou à l’espèce. Plusieurs travaux, dont des études menées à la MAE, notamment par Aline Emery-Barbier (UMR ArScAn), proposent des critères de détermination, en particulier en ce qui concerne les céréales (Ball et Brotherson, 1996 ; Berlin et al., 2003,

Fig. 4. Classification des phytolithes de graminées (Twiss, 1992) et organisation des cellules au niveau de l’épiderme

(feuille de blé Triticum vulgare - Gross. X120 ; Prat, 1932).

Potentiel de l’analyse des phytolithesClaire Delhon

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Fig. 5. Cellules courtes de graminées.

Fig. 6. Variation des formes produites en fonction de la partie de la plante, chez les graminées.

Cahier des thèmes transversaux ArScAn (vol. VII) 2005 - 2006

Thème VII : Outils et méthodes

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Emery-Barbier et Thiébault, 2005 ; Emery-Barbier, données non publiées).

Un des critères qui semble efficace est la forme des cellules dendritiques. Pour cela, il faut que plusieurs cellules soient conservées en connexion, car il est nécessaire d’observer les « vagues » qui se situent à la jonction entre deux cellules. La forme, l’écartement et la régularité de ces vagues peuvent permettre une détermination au genre et même à l’espèce. D’autres critères existent, basés sur la morphométrie des cellules courtes (pour le maïs, par exemple) ou sur la taille et la forme des cellules bulliformes (pour le riz, qui produit des cellules bulliformes particulièrement grandes et massives).

Détermination des différents organes de la plante. Au-delà de la détermination taxonomique, le grand avantage des phytolithes de graminées est qu’ils permettent de déterminer les différentes parties de la plante.

Les formes diffèrent selon que les phytolithes ont été produits au niveau de la tige, des feuilles ou des glumes/glumelles (Fig. 6).

Les cellules longues sont à bords lisses dans les tiges, souvent sinueuses dans les feuilles, et nettement dendritiques au niveau des glumes.

De la même façon, les cellules courtes, de formes variables selon les sous-familles dans les organes végétatifs (tiges et feuilles), se trouvent remplacées par des papilles au niveau des épis.

Enfin, les cellules bulliformes, dont la fonction a été décrite plus haut, ne sont produites qu’au niveau des feuilles.

4. Potentiel de l’analyse phytolithique des dégraissants

Puisque les différentes parties des plantes produisent des assemblages phytolithiques reconnaissables, il est possible de proposer des interprétations quant à la forme sous laquelle la

Fig. 7. Représentation schématique des principales étapes du traitement du millet montrant les produits et les déchets de chaque niveau (Harvey et Fuller, 2005).

Potentiel de l’analyse des phytolithesClaire Delhon

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plante a été ajoutée à la pâte : paille, résidus de traitement des céréales. E. Harvey et D. Fuller (2005) ont proposé un schéma des types de restes (macrorestes et phytolithes) produits à différentes étapes du traitement des céréales (Fig. 7). Cette étude concerne le blé et le riz, mais un référentiel comparable pourrait être fait pour toutes les autres céréales. Il permettrait une interprétation plus aisée et surtout plus sûre des assemblages phytolithiques en terme de système technique et donnerait accès au pan du système économique concernant les sous-produits agricoles, leur production, leur utilisation et leur valeur économique.

L’action mécanique des outils utilisés pour traiter ces sous-produits céréaliers peut aussi laisser des traces au niveaux des phytolithes, qu’il semble possible, sinon d’identifier strictement, au moins de classifier.

Un des premiers exemples proposés est la cassure caractéristique des tissus silicifiés par la pratique de dépicage au tribulum, décrite par P. Anderson (1998 ; Anderson et Chabot, 2000). De la même façon, les opérations de mouture ont pour conséquence un « écrasement » des bords des phytolithes (Procopiou et al., 2002). La mastication de la balle des céréales par les herbivores coupe pour sa part les tissus silicifiés en fragments de module régulier, ce qui permet d’envisager de détecter une utilisation de crottin ou de fumier comme dégraissant (Delhon et al., 2006).

En conclusion, les phytolithes restent les témoins archéobotaniques les mieux préservés et les plus fréquents dans les matériaux argileux. Dans la mesure où les graminées, et plus particulièrement les céréales, sont les végétaux les plus utilisés comme dégraissants, l’analyse des phytolithes contenus dans ce type de matériel présente un fort potentiel, à la fois pour la documentation de l’économie végétale (voire du paléoenvironnement) et pour la connaissance des systèmes techniques liés d’une part à la fabrication des objets étudiés, d’autre part aux activités agricoles.

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Cahier des thèmes transversaux ArScAn (vol. VII) 2005 - 2006

Thème VII : Outils et méthodes

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Etude des inclusions végétales dans les archéomatériaux argileux, par imprégnation de polymères Claude Sestier, Rémi Martineau, Jean-Pierre Couvercelle

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Etude des inclusions végétales dans les archéomatériaux argileux, par imprégnation de

polymères

Claude SESTiEr(UMR 5594 - Archéologie, Cultures et Sociétés, Dijon)

rémi MarTiNEau (UMR 5594 - Archéologie, Cultures et Sociétés, Dijon)

Jean-Pierre CouvErCEllE (UMR 5188 - Laboratoire de synthèse et électrosynthèse

organométallique et Ecole d’Ingénieurs en Recherche et Etude des Matériaux, Dijon)

1. un nouveau moyen d’étude des restes archéobotaniques : les empreintes dans les matériaux argileux

Cette application, en cours de perfectionnement, est destinée à l’étude de matériaux archéologiques contenant des éléments végétaux, comme des poteries ou des matériaux de construction. Elle devrait être utile aux archéobotanistes et leur fournir une nouvelle source de matériel à exploiter. Plus largement, cette technique est destinée à fournir de nouvelles sources d’étude pour la technologie des matériaux, la gestion des matières premières et le traitement des produits alimentaires.

2. Méthode d’étude

Le plus souvent, notamment par la cuisson, les éléments organiques disparaissent, en laissant un vide qu’il est difficile d’exploiter. Ceci a conduit à mettre au point une technique et une méthode d’étude adaptées aux matériaux argileux, crus ou cuits, afin de pouvoir identifier et quantifier les empreintes d’éléments végétaux.

L’étude des inclusions de végétaux dans des matériaux argileux est envisagée grâce à une nouvelle technique d’imprégnation des matériaux macro-poreux par un polymère, fluorescent ou coloré (figure). Cette technique permet d’observer et de quantifier les vides et empreintes laissés par les végétaux (figure 1-1), à l’intérieur d’un tesson, et non plus seulement à sa surface. Les images de ces micro moulages de végétaux, observés soit sur une section polie

(figure 1-3, 1-5), soit en tant que micro moulages en trois dimensions (figure 1-2, 1-4), extraits des tessons, montrent qu’une détermination botanique est possible. Une quantification de la macro porosité laissée par les végétaux est réalisée par analyse d’image, à partir des référentiels adéquats.

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SESTIER C., MARTINEAU R., PERCHERON A., SPOHR

Cahier des thèmes transversaux ArScAn (vol. VII) 2005 - 2006

Thème VII : Outils et méthodes

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S., FREHEL D., COUVERCELLE J.-P. à paraître. Etude d’inclusions végétales dans des tessons de poterie ou des matériaux de construction : apport d’une nouvelle méthode d’étude. In : WIETHOLD J. (ed), Actes des troisièmes rencontres d’Archéobotanique, 9-12 juin 2005, Glux-en-Glenne, Centre Archéologique Européen du Mont Beuvray et Centre Archéologique de la Vallée de l’Oise.

dégraissants organiques dans la céramique du Néolithique ancien et moyen de France et de Belgique Claude Constantin

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Exemples d’utilisations de dégraissants organiques dans la céramique du Néolithique ancien et moyen de

France et de Belgique : l’os, la mousse et le pavotClaude CoNSTaNTiN

(UMR ArScAn, Protohistoire européenne)

Cette contribution constitue un simple rappel de travaux déjà publiés (cf. infra) concernant certains dégraissants organiques et leur utilisation dans des constructions chronoculturelles.

1. les critères de reconnaissance

Il sera question dans cette partie des critères de reconnaissance de trois matériaux organiques identifiés comme dégraissants : l’os pilé calciné, la mousse et les graines de pavot.

L’os calciné pilé. Ce dégraissant a été identifié dans des poteries du Néolithique ancien par Liliane Courtois en 1974 (Constantin et Courtois, 1980). À la surface des tessons, les grains de dégraissant apparaissent comme des points blancs à gris bleu, quelquefois noirs, et il n’est pas possible d’en reconnaître la nature à l’œil nu. Les couleurs sont celles de l’os calciné. L’os doit en effet être calciné préalablement à sa réduction

en fine poudre. Cette dernière opération n’est pas possible sur l’os cru qui est trop dur.

Des méthodes d’identification scientifique existent : diffraction des rayons X et pétrographie en lame mince qui permettent de reconnaître l’apatite, le constituant minéral de l’os. Sans avoir recours à ces méthodes et en utilisant une loupe binoculaire (grossissement X 30), on peut apprendre rapidement à reconnaître l’os à partir de quelques critères simples :

- couleur : blanc à gris bleuté ;- forme des grains : esquille à pourtours non

arrondis (Fig. 1) ;- détail de la forme : présence de canaux

typiques de la structure de l’os (Fig. 1) ;- soumis à une pression tangentielle à l’aide

d’une pointe fine à extrémité non épointée, les grains éclatent à la manière d’une roche plutôt que de s’écraser ;

- le frottement à l’aide du tranchant d’un cutter fait apparaître un copeau poudreux gras

Fig. 1. Fragments d’os utilisés comme dégraissant (extraits de tessons).

Cahier des thèmes transversaux ArScAn (vol. VII) 2005 - 2006

Thème VII : Outils et méthodes

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(un peu comme sur un morceau de savon) plutôt qu’une poudre à grains disjoints.

La mousse. De nombreux chercheurs ont observé sur des tessons l’emploi d’un « fin végétal » qui ne laisse en surface que de fines empreintes (diamètre inférieur à 1mm, longueur entre 1mm et 8 mm) (Fig. 2). Dans l’épaisseur du tesson, on peut fréquemment extraire ces petites tiges carbonisées.

L’identification de ce dégraissant a été longue et a finalement abouti (Constantin et Kuijper, 2002) à reconnaître la mousse Neckera Crispa Hedw. accompagnée secondairement d’autres espèces. La difficulté de reconnaissance de ce végétal provient du fait que ses petites feuilles se détachent des tiges lorsqu’on pulvérise la mousse sèche pour préparer le dégraissant et que, de plus, elles disparaissent le plus souvent en brûlant lors de la cuisson des vases.

On a montré que la pulvérisation de cette mousse sèche aboutissait à l’obtention de petits fragments ayant les longueurs observées sur les tessons, de l’ordre de 2 à 8 mm (Ibid). Le seul critère de reconnaissance à l’œil nu réside dans l’observation des empreintes laissées en surface (figure 2).

Les graines de pavot. Il s’agit là d’un cas d’espèce observé sur un seul des 350 vases d’un site néolithique (Bakels et al., 1992). Les graines de pavot carbonisées sont facilement reconnaissables à leur forme sphérique (diamètre : 0,8 mm) qui porte en surface un réseau de structures pentagonales en léger relief (Fig. 3) observables à la loupe binoculaire. La quantité de graines de pavot contenues dans ce vase assurait qu’il s’agissait bien d’une adjonction volontaire et non pas d’un apport accidentel.

2. Le dégraissant dans les constructions chronoculturelles

Nous illustrerons ici l’utilisation qui a pu être faite de l’os et de la mousse dans des constructions chronoculturelles. Il est bien évident que cette possible utilisation n’est pas spécifique à ces deux dégraissants organiques et est susceptible d’être mise en œuvre sur tout type de dégraissant (Constantin 2003, pour l’exemple du calcaire à nummulites).

L’utilisation du même dégraissant dans plusieurs cultures successives, ou dans plusieurs étapes d’une même culture, différenciées par d’autres méthodes (céramique, industrie lithique, habitat, etc.) montre qu’un geste technique très particulier et partiel dans la fabrication des vases, comme l’est le choix du dégraissant, peut se transmettre dans le temps parfois sur une assez longue durée. Le dégraissant acquiert alors une valeur de « caractéristique culturelle » (mais il ne s’agit évidemment pas d’un affichage culturel conscient pour ce dégraissant invisible, comme c’est le cas pour le décor de la céramique, la parure, etc.). Il est alors possible de suivre la continuité ou la brusque interruption d’un geste particulier qui témoignent de la poursuite ou de l’arrêt d’une tradition technique et peut-être de la continuité d’un peuplement utilisant cette technique. L’avantage du dégraissant est qu’il va pouvoir être utilisé dans les constructions chronoculturelles comme un argument indépendant et complémentaire de tous les autres traits culturels mobilisés dans de telles constructions. Nous donnerons deux exemples d’un tel emploi.

L’os calciné pilé. Ce dégraissant apparaît dans le Nord de la France et en Belgique, au tout début du Néolithique, dans la « Céramique du

Fig. 2. Empreintes de tiges de mousse à la surface d’un tesson.

dégraissants organiques dans la céramique du Néolithique ancien et moyen de France et de Belgique Claude Constantin

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Limbourg » qui est une production très particulière (par ses formes, décors, mode de cuisson). Son origine et sa signification restent incomprises : vases à fonction très spécifique ou produit de populations mésolithiques non identifiées, ou même production témoignant d’un impact du Néolithique de la France méditerranéenne. Cette production apparaît, en minorité, parmi les vases de la plus ancienne culture néolithique, le Rubané, qui ne sont pas dégraissés à l’os. Lors de la culture néolithique suivante (Groupe de Blicquy-Villeneuve-Saint-Germain), l’os est utilisé couramment (mais pas uniquement) dans l’ensemble des types de vases. Il semble qu’une partie des décors de la céramique de ce groupe hérite des décors de type « Limbourg ». Le maintien et même le développement de l’utilisation de l’os permettent de conforter cette vision d’une continuité culturelle, comme le permettent d’autres arguments (types d’outils en silex, types de bâtiments, etc.)

L’os est encore utilisé dans la culture suivante (culture de Cerny) et disparaît ensuite complètement, ce qui témoigne alors d’une discontinuité culturelle mise en évidence aussi à l’aide d’autres caractères (ici, par exemple la disparition du décor sur les vases).

Ajoutons pour terminer que la présence de dégraissant osseux dans le Néolithique de la France méditerranéenne participe de la discussion en cours sur des échanges possibles entre cette aire et le Néolithique du Nord de la France, originaire quant à lui de l’Europe centrale.

Au cours de cette période (d’environ 5100 à 4300 BC cal), la présence ou l’absence de

dégraissant à l’os peut être utilisée comme indice de continuité ou de rupture au sein des constructions chronoculturelles (Constantin et Courtois, 1985 ; Constantin, 1986).

La mousse. Le même processus de maintien d’une tradition technique que pour le dégraissant osseux a été mis en évidence dans trois ensembles culturels successifs (Constantin et Kuijper, 2002).

On voit (figure 4) une continuité et une propagation de l’utilisation de mousse comme dégraissant au sein de la culture de Cerny de Normandie, puis à la fin du Rössen dans le nord du Bassin Parisien, puis au Michelsberg de Belgique (d’environ 4500 à 3800 BC cal).

L’emploi de ce dégraissant vient ici conforter l’existence d’un développement culturel, orienté vers le nord est, par ailleurs soupçonné par la continuité d’un type particulier de décor ou de formes particulières de vases.

3. Quelques remarques concernant les dégraissants

Sur les contraintes techniques concernant le choix du dégraissant. Nous souhaitons exprimer ici notre opinion selon laquelle les contraintes techniques qui pèsent sur le choix du dégraissant sont globalement faibles, voire le plus souvent inexistantes. Il en est de même de la quantité de dégraissant. Si au delà de 25 ou 30 % en volume elle fragilise sérieusement le vase, on observe de considérables variations d’un vase à l’autre au sein d’une même production sans qu’il en résulte d’inconvénients (le plus souvent, cette quantité

Fig. 3. Graines de pavot à l’intérieur d’un tesson.

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Thème VII : Outils et méthodes

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est de l’ordre de 5 à 15 %).Il existe bien entendu des cas où le dégraissant

joue un rôle technique important et dans lesquels le choix est contraignant. On peut citer l’emploi de dégraissants végétaux, assez variés d’ailleurs, destiné, après combustion lors de la cuisson, à créer une porosité qui elle même favorise l’évaporation à travers la paroi pour des vases destinés à rafraîchir un liquide ou les dégraissants végétaux utilisés dans les céramiques métallurgiques (Oberweiler, dans ce volume). De même l’emploi de dégraissant calcaire permet d’abaisser utilement la température de vitrification permettant ainsi d’obtenir un début de grésage, donc d’améliorer la solidité des vases (voir un exemple dans Constantin, 2003).

Cependant, dans la plupart des cas, la nature du dégraissant nous semble être un élément sans véritable pertinence fonctionnelle. En témoignent à nos yeux :

- l’énorme variabilité des dégraissants utilisés pendant une même période. Par exemple dans le Néolithique ancien et moyen du Nord de la France sont utilisés : chamotte, sable ou fin gravier

calcaire, coquilles d’huître fossiles, calcaire à nummulites, autres calcaires broyés, os, mousse, silex éclaté au feu et sans qu’ils soient ajoutés, mais faisant tout de même office de dégraissant, les débris calcaires sub-millimétriques présents dans les argiles alluviales ou les fins quartz des lœss ;

- l’interchangeabilité des dégraissants. Les exemples sont très nombreux où, dans une même culture et sur un même site, une production céramique spécifique (par exemple les grands vases à provision) est dégraissée tantôt avec un dégraissant, tantôt avec un autre, sans inconvénient ni différence visible dans cette production ;

- les cas sont également très fréquents d’utilisation conjointe dans une même production de deux dégraissants à l’intérieur des mêmes vases. Il s’agit de dégraissants faisant partie de la tradition technique de la culture considérée et l’on mesure là le poids de l’habitude de ce geste traditionnel qui, mêlant deux dégraissants dans les mêmes vases, met en évidence et le caractère superflu de l’un d’entre eux et leur

Fig. 4. Développement chronologique de l’utilisation de mousse comme dégraissant du sud-ouest vers le nord-est (d’environ 4500 à 3800 BC).

dégraissants organiques dans la céramique du Néolithique ancien et moyen de France et de Belgique Claude Constantin

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complète interchangeabilité puisque coexistent toujours les mêmes vases dégraissés à l’aide de l’un ou de l’autre de ces deux dégraissant.

Le dégraissant comme produit recyclé. Si les dégraissants, en particulier minéraux sont souvent des produits non utilisés par l’homme à d’autres fins, comme les arènes et sables qu’il recueille ou les roches qu’il broie, on doit constater cependant que dans un très grand nombre de cas les dégraissants utilisés résultent du recyclage de produits, sous-produits ou déchets des activités humaines : chamotte, os, mousse (utilisée pour le calfatage des puits), silex éclaté au feu, débris végétaux issus des cultures, grès issu de meules broyées,

De plus, on peut concevoir que le caractère magique de l’adjonction de dégraissant souvent affirmé par les artisans (Linné, 1925) est particulièrement marqué vis-à-vis des produits recyclés plus chargés de signification que d’autres matériaux.

Dégraissants organiques particuliers. Si les dégraissants végétaux ne sont pas rares, les dégraissants minéraux d’origine organique sont également courants : nummulites, coquilles d’origine fossiles ou non. Nous terminerons en signalant deux dégraissants siliceux d’origine organique utilisés par les populations d’Amazonie dans une région où l’argile est omniprésente mais où les minéraux sont rares (Ibid). Là sont utilisés, d’une part un fin sable siliceux de phytolithes obtenus en brûlant de grandes quantités d’écorce, d’autre part les spicules également siliceux obtenus en brûlant de grandes quantités d’éponges.

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Considérations fonctionnelles sur le choix des dégraissants organiques à Spiere-De Hel

(Bassin de l’Escaut)

Bart vaNMoNTForT (Faculteit der Archeologie, Leiden Universiteit, Pays-Bas)

L’ensemble céramique de Spiere ‘de Hel’ a livré le plus grand ensemble céramique connu à ce jour se rapportant au Néolithique moyen du bassin de l’Escaut. Même si l’importante fragmentation et le mélange du matériel ont limité le recollage, cet ensemble reste le plus adapté à une étude des techniques de fabrication. Dans cette contribution nous chercherons à savoir si la variabilité technique observée, en particulier celle concernant le dégraissant (organique) utilisé, peut être liée à des facteurs fonctionnels. Archéologiquement, ce type de corrélation a été reconnu (par exemple Höhn, 2002, pour le Michelsberg d’Echzell-Wannkopf) aussi bien que contesté (par exemple Copley et al., 2005, pour l’Age du Fer en Angleterre).

1. la céramique Néolithique de Spiere

Le site de Spiere-De Hel (Vanmontfort et al., 2001/2002) est situé le long de l’Escaut, sur une levée éolienne Pléistocène. Seule une petite partie du site a été fouillée. Ces fouilles ont mis au jour une partie d’enceinte datée par 14C de la fin du 5ème millénaire av. J.-C. (datations calibrées), composée d’un fossé et d’une palissade. L’étude stratigraphique montre que le fossé s’est rempli lentement et est resté ouvert peut-être pendant plusieurs siècles. Une distinction chronologique entre deux phases de dépôts a pu être faite.

Outre près de 6.500 artefacts lithiques, le remplissage incluait environ 350 kg de céramique. Cet ensemble céramique est le plus important connu à ce jour pour le Néolithique moyen (II) du bassin de l’Escaut.

La grande fragmentation et le mélange du matériel ont fortement limité les possibilités de recollage, si bien que seule une centaine de formes a pu être reconstituée.

Au moins une partie de la céramique a été produite localement. Ceci nous est connu grâce à la découverte d’un fragment d’argile associé à un tas de silex pilé, le dégraissant dominant de

cet ensemble. Une autre indication est apportée par un fragment d’argile cuit qui présente des impressions de doigts (d’un enfant ?). Le dégraissant de la céramique est surtout composé de silex et de matériaux organiques. Ces derniers ont laissé de petites vacuoles au coeur des tessons et souvent des impressions sur les surfaces qui révèlent l’utilisation d’un dégraissant végétal très fin. Une seule impression a été identifiée par W. Kuijper (Faculté d’Archéologie de l’Université de Leiden) comme étant due à Neckera crispa, une espèce déjà reconnue sur le matériel de plusieurs autres sites du Néolithique moyen de la Belgique et de la France septentrionale (Constantin et Kuijper, 2002). La plupart des vases ont été montés selon la technique du colombin, comme l’indiquent la présence de cassures inter-colombins, l’orientation des particules et des irrégularités de la surface. Cette surface est généralement bien traitée. Dans la plupart des cas, elle est même polie. Les couleurs sont le plus souvent organisées comme suit : le coeur noir ou gris foncé est bordé de tranches brun oxydé, probablement le résultat d’une cuisson en feu ouvert (Vanmontfort, 2005).

Globalement, les chaînes opératoires de cette céramique semblent assez uniformes. La plus grande variabilité technique réside dans les tailles et les quantités des deux dégraissants utilisés. Une identification visuelle des volumes de dégraissant ajoutés, basée sur des chartes de comparaison (Matthew et al., 1991), montre une variation entre 0 et plus de 20% du volume. Les dimensions des fragments de silex sont aussi variables et atteignent couramment 6 mm.

Dans le temps, on peut noter une tendance statistiquement significative vers une utilisation moindre des dégraissants organiques au profit du dégraissant de silex. Le volume de dégraissant de chacun de ces deux types n’est pas corrélé. Apparemment il n’y a pas non plus de corrélation entre les dimensions des fragments de silex utilisés et l’épaisseur des tessons. L’utilisation croissante

Considérations fonctionnelles sur le choix des dégraissants organiques à Spiere-De HelBart Vanmontfort

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de fragments de silex relativement calibrés et de dimension inférieure à 5 mm semble en revanche significative. Ceci soulève la question des causes de cette variabilité. Il convient donc de savoir si des raisons fonctionnelles peuvent expliquer les évolutions constatées sur le matériel de Spierre concernant les dégraissants céramiques.

2. Des approches techno-fonctionnelles dans l’étude de la céramique préhistorique

L’incidence des motivations fonctionnelles sur les chaînes opératoires de la céramique préhistorique, défendue par certains auteurs (O’Brien et al., 1994 ; Schiffer et Skibo, 1987 ; Schiffer et Skibo, 1997; Skibo, 1994), a été contestée par d’autres. Il peut en effet sembler impossible de déterminer la fonction des vases céramiques sur la base de leurs caractéristiques technologiques (Gosselain et Livingstone-Smith, 1995).

Les intentions fonctionnelles des potiers préhistoriques quand ils construisaient leurs pièces céramiques restent donc difficiles à déterminer. Ces intentions ne sont pas nécessairement liées à l’efficacité réelle d’un pot pour l’usage particulier auquel il est destiné. Il est en effet

vrai que les notions techniques des potiers ne sont pas toujours correctes d’un point de vue scientifique (Lemonnier, 1993). Par ailleurs, les différences d’efficacité fonctionnelle ne doivent pas nécessairement être vues comme intentionnelles. Il n’est pas impératif que les potiers connaissent toutes les conséquences de leurs choix particuliers (Schiffer et Skibo, 1987). De ce fait, l’étude techno-fonctionelle de la céramique préhistorique ne peut pas être réduite à l’étude des relations entre l’efficacité objective d’un pot et son utilisation envisagée ou effective. Le but ne peut être l’identification de la fonction sur la base de différences techniques et morphologiques. Il faut envisager une vue plus complète de l’organisation de la production en général. En fait, chaque variation de la chaîne opératoire ayant un effet sur la performance du récipient dans un contexte d’usage particulier (ou bien étant envisagée de cette manière par le potier) peut être considérée comme un choix fonctionnel. Ces variations ne résultent pas seulement de solutions empiriques apportées par les potiers, mais peuvent aussi résulter de comportements appris, socialement déterminés (ou ‘isochrestic’). Dans cette optique, l’approche techno-fonctionelle ne doit pas être opposée à l’approche culturelle.

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Fig. 1. Quantités de silex et de dégraissant végétal dans les pots attribués aux 10 types morphologiques.

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Thème VII : Outils et méthodes

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3. Des motivations fonctionnelles dans la production de la céramique néolithique à Spiere

Aborder la question des motivations fonctionnelles suppose de vérifier l’existence d’un lien fort entre la fonction des pots et la variabilité des chaînes opératoires, et en particulier la variabilité des dégraissants utilisés. Skibo et al., (1989), par exemple, considèrent que l’ajout de dégraissants organiques influe sur la fonctionnalité d’un pot de manière significative. Dans cet ensemble céramique, comme dans la plupart des ensembles archéologiques, les indices directs de l’utilisation des vases sont rares. Ce qui a été observé, c’est la présence sur plusieurs vases de traces qui indiquent une utilisation comme pot à cuire. Ces indices incluent une tache oxydée sur la paroi extérieure où la chaleur du feu à cuire est la plus élevée, une bande de suie déposée sur la paroi extérieure et des restes carbonisés sur la paroi intérieure supérieure (Skibo, 1992). Martineau et Pétrequin (2000) doutent que ces indices soient préservés après plusieurs siècles d’enfouissement et mettent l’accent sur le fait qu’ils doivent être interprétés avec prudence. Quoi qu’il en soit, une combinaison de ces différents indices a été observée sur plusieurs vases de l’ensemble de Spiere (Vanmontfort, 2005). La paroi intérieure supérieure de huit pots présente ainsi une bande noircie de quelques centimètres et des restes carbonisés. Sur onze autres vases, une bande noircie sans restes carbonisés est présente au même endroit. La paroi extérieure de ces mêmes vases montre une bande noircie au niveau du diamètre maximum. Le fait que cette dernière ne résulte pas de la cuisson originale de ces vases est révélé par la surface oxydée présente en dessous du noircissement. Dans seize cas les deux types d’indices sont associés, dans sept cas seulement un seul des deux indices est présent. Ceci peut être expliqué par la fragmentation de la céramique, son état de préservation et un recollage souvent limité. L’hypothèse que ces vases aient été utilisés comme pots à cuire a été confirmée par l’analyse des résidus préservés dans la paroi d’un des vases. Cette analyse, effectuée par O. Craig, alors associé à l’université de Newcastle au Royaume Uni, conclut à l’utilisation du vase examiné pour la préparation de tissus adipeux de ruminants.

A l’exception d’un seul exemplaire, tous

les vases présentant ces traces d’utilisation appartiennent à deux types morphologiques. Il est également remarquable que seul un vase appartenant à l’un de ces deux types morphologiques ne porte pas les indices d’utilisation mentionnés plus haut (mais comme la paroi supérieure de ce vase n’a pas été recollée, certains indices pourraient ne pas être visibles). Aucun des vases appartenant à l’un des sept autres groupes morphologiques ne présente de tels indices. Les chiffres montrent donc une liaison forte entre la morphologie des vases et leur utilisation. Ceci est un fait souvent mentionné dans le cadre d’études ethnographiques (p. ex., Gosselain, 1992, Smith, 1988), mais qui est souvent difficile à confirmer archéologiquement. En tout cas, les corrélations observées à Spiere confirment que la morphologie des vases peut être utilisée comme proxy d’un classement fonctionnel.

De la même manière, l’existence de contraintes fonctionnelles pouvant peser sur l’utilisation de dégraissants dans la production de la céramique néolithique à Spiere peut être recherchée en évaluant les corrélations entre les représentants des différents groupes morpho-typologiques et les choix techniques faits lors de leur production. Revenant sur l’intérêt fonctionnel d’un ajout de dégraissant organique, on peut envisager une amélioration de l’efficacité des pots à cuire. Ce type de dégraissant améliorerait en effet la résistance aux chocs thermiques et la capacité de rétention de la chaleur. Si des facteurs fonctionnels ont motivé les choix techniques, le choix préférentiel des dégraissants organiques serait lié à la fonction de cuire. Aucune relation n’a pu être établie entre les groupes morphologiques et les quantités de silex et de dégraissant végétal ajoutées. Dans chaque groupe morphologique, les quantités de dégraissant utilisées montrent ainsi une très grande variabilité (fig. 1). Par conséquent, cette partie de la chaîne opératoire ne semble pas être véritablement dépendante des formes, et ne serait donc pas non plus liée aux fonctions envisagées pour les pots.

En conclusion, les chaînes opératoires associées à l’ensemble céramique de Spiere sont assez homogènes. Toutefois, une variabilité particulièrement grande peut être observée concernant la quantité de dégraissants ajoutés. Pourtant, l’absence de relation forte entre cette quantité et l’utilisation des pots ou leur fonction envisagée, ne permet pas de considérer que des

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contraintes fonctionnelles interviennent dans le cadre de cette partie de la chaîne opératoire.

références bibliographiques

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Thème VII : Outils et méthodes

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Exploitation des ressources organiques dans les productions céramiques à Koumbi Saleh (sud-est

mauritanien, VIIe - XVIIe siècles)

Barbara van DooSSElaErE (ArScAn - Afrique)Emilie HAyES

(ArScAn - Proto Européenne)

Crottin, balle, paille, poils, cendre : de nombreuses ressources organiques, animales comme végétales, sont aujourd’hui utilisées comme dégraissants par les potiers (Tsetlin, 2003). Ces derniers sont généralement collectés par les artisans dans leur environnement proche, de sorte qu’ils sont souvent l’indice d’activités particulières, comme l’élevage ou certaines pratiques agricoles. A ce titre, l’étude des composants organiques contenus dans les pâtes céramiques peut constituer, en contexte archéologique, une source d’informations essentielle sur l’exploitation des ressources naturelles. En particulier lorsque les données paléoenvironnementales sont manquantes, comme c’est le cas pour le site de Koumbi Saleh.

Koumbi Saleh est l’un des plus anciens complexes urbains mis au jour en Afrique de l’Ouest. Depuis sa découverte aux débuts de 20e siècle, il est considéré comme la capitale historique de Ghana, une formation politique engagée dans le commerce transsaharien entre les 8e et 15e siècles AD. Bien qu’il s’agisse d’un témoin emblématique, ce site n’a fait l’objet que de quelques fouilles. L’étude globale du mobilier et des vestiges d’habitat a révélé une séquence d’occupation comprenant six phases, datées entre les 7e et 17e siècles (Berthier, 1997). Au-delà de ce cadre chrono-culturel très général, on ignore presque tout des modes de vie des populations ayant occupé ce tell. Faute d’enregistrement archéologique approprié, l’exploitation du milieu, notamment végétal, n’a ainsi jamais été interrogée.

Par ses caractéristiques, la céramique de production locale mise au jour sur le site (van Doosselaere, 2005b) est susceptible d’apporter quelques éléments de réflexion. Près de 90% des individus de l’assemblage étudié se caractérisent par la présence d’une porosité d’origine

organique contenant encore, dans certains cas, des résidus. La variabilité morphologique de cette porosité suggère l’emploi de différentes sources de matières organiques. A quoi renvoient précisément ces variations ? Trahissent-elles une variabilité environnementale ? Ou distinguent-t-elles des modes de sélection et de traitement spécifiques ? Ces pratiques sont-elles en relation avec d’autres sphères d’activité ? Sans pouvoir apporter de réponses univoques à cette série de questions, les résultats obtenus dans cette étude suggèrent une relation forte entre sélection des matières organiques et activités de subsistance.

1. Méthodes d’analyse

La caractérisation des phases organiques des pâtes céramiques se base sur l’examen d’un corpus de référence comprenant une soixantaine de récipients. Ce corpus fut constitué à partir des collections archéologiques disponibles en Mauritanie, issues de la fouille de deux unités d’habitat (Berthier, 1997). Ce travail est plus qualitatif que quantitatif et s’intègre à une étude technologique plus large réalisée dans le cadre d’une thèse de doctorat.

Pour préciser la nature des composants organiques, différentes analyses ont été mises en œuvre par l’un des auteurs de cette contribution (B. van Doosselaere). Elles comprennent des examens à la loupe binoculaire des empreintes présentes en surface et une série d’observations de la porosité des pâtes en microscopie optique à transmission (vue en coupe sur lames minces). En outre, une étude des phytolithes (pour les méthodes, cf. Claire Delhon, dans ce volume) et des amyloplastes (grains d’amidon) extraits d’un sous-échantillon (quinze individus) a été réalisée dans le cadre d’un DEA par l’une d’entre nous (Hayes, 2005).

Afin d’aider à l’identification, un référentiel

Ressources organiques dans les productions céramiques à Koumbi SalehBarbara van Doosselaere, Emilie Hayes

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Fig. 1b : Eléments des organes végétaux représentés dans l’assemblage phytolithaire et amyloplastes (d’après Hayes 2005).

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Thème VII : Outils et méthodes

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botanique et ethnographique est en cours d’élaboration. Celui-ci comprend :

1) Un ensemble de taxons domestiques et sauvages caractéristiques des milieux saharo-sahéliens réunis dans un petite collection de référence à la MAE (Pennisetum glaucum (L.) R. Br., Sorghum durra (Forsk.) Stapf ex Prain, Pennisetum mollissimum Hochst, etc.).

2) Des échantillons ethnographiques de dégraissants organiques, d’argiles et de produits céramiques collectés auprès d’artisans potiers, principalement en Afrique (Collections Musée Royal d’Afrique Centrale, Section Préhistoire - Projet Céramique et Société, Tervuren).

Des briquettes expérimentales ont été réalisées lorsqu’on ne disposait pas de fragment de poterie associé aux matériaux collectés.

2. résultats

Des végétaux (cultivés ?) des milieux intertropicaux. Les résultats de l’étude phytolithique (Hayes 2005) signalent la présence d’un cortège végétal caractéristique des milieux intertropicaux au sein duquel ont été identifiées essentiellement des Cypéracées et, surtout, des Graminées. L’assemblage phytolitaire est majoritairement composé de structures issues de graminées appartenant aux sous-familles des chloroidoïdées et des panicoïdées, caractéristiques des milieux chauds, plus ou moins arides (Fig. 1a). L’une de ces sous-familles

(panicoïdée) renferme la plupart des taxons cultivés en Afrique (fonio, mil, sorgho, etc.). Il est donc possible que les matériaux organiques à l’origine de la porosité des pâtes correspondent à des produits ou des sous-produits agricoles.

Des structures issues de différents organes. Les données issues de l’analyse phytolithique ont également permis de mettre en évidence une série de structures liées à la présence de fragments de tiges, de feuilles et d’épillets (Fig. 1b). Par ailleurs, de nombreux amyloplastes (grains d’amidons) ont été extraits. Bien que pouvant être présents dans d’autres parties de la plante (les racines principalement, mais aussi les tiges et les feuilles), chez les graminées ils sont surtout concentrés au niveau de la graine (Tomlinson et Denyer 2003). La comparaison du matériel archéologique avec les échantillons expérimentaux a de même permis d’identifier des graines ainsi que des fragments de tiges, de feuilles et d’épillets (Fig. 2).

Groupes morphologiques et origine de la porosité. A partir des observations macroscopiques (empreintes de surface) et microscopiques (porosités observées en lames minces) quatre ensembles morphologiques ont été distingués. Si l’un d’entre eux pose encore des problèmes de caractérisation, les trois autres ensembles renvoient à la présence de composants volontairement ajoutés, en relation

Fig. 2. Epillets, graines, tiges et feuilles dans le matériel expérimental et archéologique.

Ressources organiques dans les productions céramiques à Koumbi SalehBarbara van Doosselaere, Emilie Hayes

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avec différentes activités de subsistance :

- Ensemble I : des résidus de vannage du mil. Un ensemble important d’individus (37%) se caractérise par une porosité abondante (>15%) et des empreintes évoquant des inflorescences, accompagnées de tiges et de feuilles (Fig. 2). L’assemblage phytolithique associé, qui comporte une forte proportion de morphotypes dendritiques, signale effectivement la présence d’inflorescences. Par ailleurs, la présence de graines est attestée dans le corpus archéologique par des porosités et des empreintes caractéristiques ainsi que par la présence d’amyloplastes.

L’étude des empreintes d’épillets et de graines observables en surface a révélé, pour nombre d’entre elles, des correspondances avec le pennisetum glaucum (sous-famille des panicoïdées). Celui-ci se caractérise, au niveau de l’épillet, par un pédicelle bien différencié, surmonté par un involucre de bractées qui enserre glumes et glumelles. Le grain est quant à lui globuleux, lisse et pédonculé.

On peut conclure ici à l’exploitation de matériaux en relation avec le traitement post-récolte du mil. La présence de nombreux phytolithes de graminées n’appartenant pas aux panicoïdées, ainsi que la forte représentation des épillets par rapport aux tiges et feuilles, permettent de penser à des résidus de vannage (Harvey et Fuller, 2005). Enfin, la faible fragmentation des graines et des épillets montre que ces matériaux n’ont pas subi de traitement ultérieur, type hachage ou concassage.

- Ensemble II : de la paille concassée ou hachée. Cet ensemble (30% de l’échantillon de référence) se caractérise lui aussi par une porosité abondante (>15%). Les empreintes en surface, majoritairement de forme tubulaire, aux contours parfois très angulaires, s’apparentent à des fragments de tiges et de feuilles ; ce que signale effectivement la fréquence importante de phytolithes bulliformes et de cellules longues dans l’assemblage phytolithique. Ce groupe renferme également des épillets et des graines visibles en surface comme en microscopie.

L’ensemble de ces caractères indique qu’il s’agit ici de paille ajoutée. La morphologie des structures poreuses observée sur les échantillons expérimentaux élaborés à partir de paille plaide en faveur de cette hypothèse (Fig. 2). Contrairement au groupe précédent, aucune détermination à l’espèce n’a pu être proposée

pour cet ensemble. Comment interpréter alors ces résultats ? Trois hypothèses peuvent être envisagées :

1) Il s’agit de résidus de traitement de céréales cultivées, issus cette fois-ci du battage (la présence d’épillets ne contredit en rien cette hypothèse puisqu’il est fréquent que ce type de résidus contienne encore des graines bien conservées).

2) Il s’agit de produits de traitement de collecte d’espèces sauvages destinées à la consommation alimentaire, ce qui fut et reste très fréquent en Afrique.

3) Il s’agit de produits d’une cueillette de graminées directement destinée à la préparation des matériaux céramiques.

Quelle que soit l’origine de cette paille (utilisation du produit du battage d’espèces alimentaires cultivées ou sauvages, ou cueillette spécifique), les arêtes angulaires de la porosité et la difficulté à observer, en surface comme en microscopie, des épillets et des graines bien conservés, alors que des phytolithes caractéristiques de ces organes sont présents, suggèrent que le matériel végétal a été haché ou concassé avant d’être ajouté à la pâte.

- Ensemble III : du crottin ? L’ensemble (13% de l’échantillon) est caractérisé par une porosité relativement abondante (+/- 15%) se présentant, en surface, sous la forme d’empreintes de tiges subangulaires aux contours imprécis. Les phytolithes associés renvoient à une variété de structures végétales marquant la présence de tiges, de feuilles, d’inflorescences de graminées et, dans une moindre mesure, de Cyperacées.

Plusieurs éléments suggèrent qu’il pourrait s’agir de crottin (London, 1981 ; Tsetlin, 2003). Premièrement, la variété des constituants reconnus dans les échantillons de référence (tiges, feuilles et fragments d’inflorescences) se retrouve également dans l’assemblage phytolithique constitué d’éléments d’origines diverses. Deuxièmement (Fig. 3), les porosités des échantillons ethnographiques contenant du crottin et celles des échantillons archéologiques présentent les mêmes caractéristiques : formes aiguilleuses et subangulaires, de dimension hétérogène et aux contours imprécis. Cependant, aucune minéralisation carbonatée caractéristique du crottin, telle que les sphérolithes, n’a été observée. L’hypothèse d’ajout de crottin n’en est pas moins probable, toutes les espèces animales ne produisant pas ce type de minéralisation. En outre elles sont solubles

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Thème VII : Outils et méthodes

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et s’altèrent rapidement une fois exposées à des températures supérieures à 500 °C (Canti, 1999).

- Ensemble IV : de la matière organique contenue naturellement dans l’argile ? Cet ensemble (10% de l’échantillon de référence) correspond à une porosité peu abondante (<10%) et fine qui, en surface, se présente sous la forme de très petites empreintes angulaires. Les phytolithes associés correspondent à ceux produits par des tiges (morphotypes longs, sinueux), des feuilles (morphotypes bulliformes) ou des inflorescences (morphotypes dendritiques).

La présence de tests d’amibes, de spores de mousses, de planctons et d’algues, bien visibles en microscopie optique et systématiquement associés à la porosité, signale un environnement végétal caractéristique des eaux méso à eutrophiques, type eaux boueuses stagnantes, riches en matière organique (José Antonio López Sáez comm. pers.).

En conséquence, on peut penser qu’au moins une partie des matériaux organiques de ce groupe était contenue naturellement dans le sédiment argileux prélevé par les artisans.

Toutefois, il n’est pas exclu qu’une microflore ait pu se développer de manière secondaire, lors du stockage de l’argile dans un bassin de décantation, par exemple. Dans ce cas, la présence de cette catégorie de végétaux peut être considérée comme intentionnelle.

3. Discussion

Dégraissants et exploitation des ressources organiques à Koumbi Saleh. Il n’est pas toujours possible d’identifier la provenance exacte d’un dégraissant organique, comme en témoigne l’ambiguïté des résultats obtenus pour le dernier groupe de composants. En revanche, la reconnaissance de crottin, de résidus de vannage et de paille montre sans ambiguïté que les artisans céramistes ont exploité des ressources animales comme végétales. Concernant les fibres d’origine animale, les résultats de l’analyse ne permettent ni de préciser l’espèce animale productrice, ni de déterminer son mode d’alimentation. On peut supposer qu’elles proviennent d’une faune domestique, aucun cas d’utilisation d’excréments de faune sauvage

Fig. 3. a-b : Empreintes de fibres organiques en surface et en coupe de l’ensemble III. c-d : Fibres organiques de crottin et vue en coupe d’un tesson ethnographique élaboré à partir de crottin.

Ressources organiques dans les productions céramiques à Koumbi SalehBarbara van Doosselaere, Emilie Hayes

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n’ayant jusqu’ici été signalé. Les récipients concernés sont associés aux premiers niveaux d’occupation, datés entre les 6e et 8e siècles. Si leur distribution atteste d’une exploitation animale ancienne, aucune donnée ne permet pour l’instant de fixer une durée d’exploitation ou de distinguer des processus d’évolution particuliers.

De nouveaux éléments de connaissances sur l’évolution des modes d’exploitation des ressources végétales peuvent par contre être apportés. De la balle de mil, issue d’une étape de vannage, a été identifiée. Cette pratique dépasse largement le cadre chrono-culturel délimitant l’occupation du site de Koumbi Saleh. En effet, l’emploi de résidus post-récolte du mil dans la production céramique semble avoir été adopté dans le sud-est de l’actuelle Mauritanie de manière précoce, puisque ce type de dégraissant a été reconnu sur du matériel issu de plusieurs sites des Dhars Tichitt et Nema appartenant à une période « néolithique » tardive datée entre 1500 et 300 BC (Amblard et Pernès, 1989 ; MacDonald et al., 2003). A Koumbi Saleh, la distribution des récipients associés à l’emploi de balle de mil indique que ces sous-produits agricoles furent exploités dès les premières périodes d’occupation. Les porosités caractéristiques de ce type d’exploitation sont attestées dans le matériel céramique jusqu’au 13e siècle AD. Elles disparaissent alors au profit de structures identifiées comme de la paille concassée issue de produits indéterminés, d’origine domestique ou sauvage.

De la balle à la paille : des changements techniques en relation avec l’évolution du milieu naturel ? Comment cette évolution peut-elle se comprendre ? A quels facteurs peut-on relier la disparition au 13e siècle d’une pratique technique ancienne et bien ancrée au niveau régional ? Dans le cas examiné, les facteurs techno-fonctionnels ne semblent pas déterminer les catégories de ressources sélectionnées : aucune corrélation entre morphologie des récipients, usage déterminable, performances techniques attendues et types de dégraissants organiques n’a été reconnue.

A cette période, l’ouest sahélien est visiblement marqué par une phase d’instabilité climatique qui tend à l’aridification progressive (Ballouche et Neumann, 1995 ; Stokes et al., 2005). Cette péjoration a-t-elle entraîné à Koumbi Saleh une diminution de l’activité agricole voire une déprise agricole ? Par les

changements engendrés dans les pratiques agricoles, cette dégradation climatique a-t-elle modifié les étapes de sélection et de traitement des matières premières qui en dépendent ? En l’absence de données paléoenvironnementales locales, il est difficile d’évaluer l’impact réel des phénomènes climatiques sur l’environnement végétal et sur son exploitation.

En fait, ces changements s’opèrent dans un contexte très particulier. Au niveau du système technique céramique, c’est l’ensemble des pratiques qui se modifie à cette période. Plusieurs innovations sont introduites au sein d’une tradition technique bien différenciée et caractéristique de l’assemblage (van Doosselaere, 2005a, 2005b). Ces évolutions s’inscrivent dans un cadre de changement global touchant plusieurs systèmes de production : elles sont contemporaines d’importants réaménagements urbains, mais aussi de modifications dans les productions métallurgiques (Berthier, 1997). Historiquement, le 13e siècle est associé à l’expansion de l’empire de Mali, une entité politique voisine qui recouvrira en moins d’un siècle le territoire d’emprise de Ghana. On ignore presque tout, tant au niveau historique qu’archéologique, de ce que fut concrètement cette expansion politique mais plusieurs études ethnohistoriques ont montré qu’elle avait parfois profondément influencé les systèmes de production (Tal Tamari, 1997).

On ne saurait donc privilégier un facteur d’évolution particulier. Le fait que des changements s’observent simultanément à différentes échelles suggère un processus complexe, faisant intervenir une multiplicité de facteurs, tout autant environnementaux que culturels.

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Les dégraissants d’origine animale dans les céramiques métallurgiques minoennes et mycéniennesCécile Oberweiler

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L’utilisation des dégraissants d’origine animale dans les céramiques métallurgiques minoennes

et mycéniennes.

Cécile oBErwEilEr(ArScAn - Proto égéenne)

En métallurgie, les dégraissants organiques sont fréquemment utilisés dans l’élaboration du mélange argileux destiné à la fabrication de certains outils du bronzier tels que les creusets, les moules et les tuyères (Andrieux 1991 ; London 1981) ; ces outils sont destinés à subir de fortes contraintes à la fois thermiques et mécaniques lors de la fusion du cuivre et de la coulée en moule. L’ajout de dégraissant organique est particulièrement approprié à ces contraintes. Son action est double : 1) il augmente la plasticité du matériau et la facilité de mise en forme de l’outil ; 2) il augmente la résistance thermique et mécanique du matériau limitant ainsi le risque de fracture catastrophique de l’outil au cours de son utilisation.

En l’absence d’étude systématique sur l’identification des dégraissants organiques employés dans les céramiques ou les structures en terre préhistoriques, ce sont souvent la paille et la balle qui sont proposées par défaut dans les travaux archéologiques. Pourtant, l’ethnographie nous montre qu’il existe une large gamme de dégraissants organiques choisis par les artisans (Bruyninx 1986). Ce choix est fonction du rôle

recherché et de la disponibilité du dégraissant pour le fondeur, mais il peut aussi s’agir d’un choix personnel de l’individu ou d’un choix guidé par une tradition technique bien établie.

Étant donné la grande variabilité des dégraissants organiques observée dans les études ethnographiques chez les métallurgistes, et ce qu’elle est susceptible de révéler sur leurs activités, leur savoir-faire et leur évolution, cette question doit être considérée avec attention.

Dans le monde égéen protohistorique, l’étude des céramiques métallurgiques a permis de constater, dès la période du Bronze Ancien, vers 3200 av. J.-C., l’emploi de dégraissants organiques dans des creusets. Ils ont été identifiés par défaut à de la paille et de la balle de céréale, et c’est aussi le cas pour les dégraissants organiques reconnus dans les céramiques métallurgiques des périodes suivantes, au Bronze Moyen (env. 2000-1600 av. J.-C.) et au Bronze Récent (env. 1600-1050 av. J.-C.).

Un premier examen des céramiques métallurgiques provenant des sites de Malia, Kommos et Palaikastro en Crète, datées des

Fig. 1. Creusets minoens.

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périodes minoenne (1900-1450 av. J.-C.) (Fig. 1) et mycénienne (1450-1050 av. J.-C.) (Fig. 2), a tout de suite montré des différences bien nettes dans la nature des dégraissants organiques utilisés à l’une ou l’autre période : il ne s’agit visiblement pas uniquement de paille et de balle. Quelles sont les différentes fibres utilisées ? Que signifie cette variabilité observée dans le choix des fibres ? Traduit-elle des différences d’ordre technique, des préférences personnelles ou encore l’existence de traditions techniques distinctes ? Ce commentaire sur les dégraissants organiques dans les céramiques métallurgiques s’intègre dans une étude plus large sur les techniques de fonderie de l’Âge du Bronze dans le bassin égéen.

L’étude, par différentes méthodes analytiques1, des céramiques métallurgiques minoennes d’une part et mycéniennes d’autre

1 Microscopie optique, MEB-EDX, XRD et XRF.

part, a permis d’identifier deux groupes de fibres organiques à partir des empreintes laissées par les fibres carbonisées. Le premier groupe, identifié dans les creusets et les moules minoens, est constitué de fibres tubulaires se terminant en pointe, d’un diamètre très calibré. Le second groupe, identifié dans les céramiques métallurgiques mycéniennes, est constitué par un « pêle-mêle » de fibres qui montrent des empreintes très différentes de celles du premier groupe, suggérant l’utilisation de fibres organiques d’une autre nature. Plusieurs formes sont visibles : 1) des empreintes de fibres courtes, étroites et plates et des empreintes de fibres plus grosses, plus larges et de longueur variable : ces empreintes correspondent à des tiges d’origine végétale, peut-être des graminées ; 2) des empreintes de section grossièrement triangulaire, de taille homogène et de nature non identifiée ; 3) de larges empreintes amygdaloïdes qui

Fig. 2. Creusets, moules et tuyères mycéniens.

Fig. 3. Echantillons de crottin d’herbivore tamisé.

Les dégraissants d’origine animale dans les céramiques métallurgiques minoennes et mycéniennesCécile Oberweiler

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correspondent probablement à des petites graines.

Afin de déterminer la nature de ces fibres, nous avons réalisé un référentiel expérimental de fibres à partir des données connues en archéologie et en ethnologie sur l’utilisation de fibres organiques dans la réalisation de céramique ou de structure en terre. Elles peuvent être divisées en deux groupes, les fibres animales et les fibres végétales.

L’emploi de fibres animales reste très méconnu pour les données archéologiques. En revanche, dans les études ethnographiques, il existe de nombreux exemples d’utilisation des poils d’animaux comme dégraissant, en particulier pour l’emploi de poils de capriné (Bruyninx, 1986, p. 63 ; Tsetlin, 2003, p. 290 ; Centlivres-Demont, 1986, p. 191).

L’utilisation des fibres végétales est mieux

connue dans la littérature archéologique. Dans le monde méditerranéen, et plus spécialement dans le bassin égéen, elle concerne surtout la paille et la balle de graminées et, plus rarement, les fibres végétales issues d’excrément d’herbivore. Leur emploi est attesté dès le Néolithique (Treuil, 1983, p. 250-251 ; Prévost-Dermarkar, 2003, p. 218 ; Matson, 1972). Enfin, les données ethnographiques sont aussi très riches en exemples d’utilisation de fibres végétales par les fondeurs africains : balle de sorgho, balle de riz, bouse de vache ou encore crottin de cheval ou d’âne (Bruyninx, 1986).

À partir des observations réalisées sur les céramiques métallurgiques du corpus archéologique et des différentes données, archéologiques et ethnologiques, mentionnées précédemment, des échantillons de matériaux argileux expérimentaux ont été confectionnés avec diverses fibres.

Fig. 4. Creuset minoen : empreintes de fibres végétales.

Fig. 5. Matériau expérimental: empreintes de poils de chèvre.

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On a sélectionné plusieurs variétés de fibres susceptibles d’avoir été choisies par les bronziers minoens. Les critères de sélection ont porté sur la taille de la fibre et sa morphologie, sur son comportement dans le matériau argileux lorsque celui-ci est soumis à de fortes températures (environ 1000° C), et enfin sur ses disponibilités potentielles, en Crète, pour les périodes minoenne et mycénienne.

1. Le poil d’animal. D’emblée, les poils de moutons ont été écartés à cause de leur taille, largement inférieure à celle des poils des caprinés (Ryder 1993, p. 41). L’adjonction de poils de capriné au matériau argileux lui donne une texture très homogène et fine.

2. L’herbe, la paille, la balle et la filasse de lin. Les herbes sont issues de tontes de gazon séchées, tamisées à une maille de 2 mm. La paille et la balle proviennent d’un battage expérimental des céréales ; le mélange a ensuite été tamisé à une maille de 2 mm. La filasse de lin a simplement été coupée avant d’être ajoutée à l’argile.

3. Les barbes de graminées. Les barbes de graminées sont les « poils » que l’on voit à l’extrémité des épis de certaines graminées tel que l’orge. Ce sont les extrémités de ces

barbes, parce qu’elles sont très fines, qui ont été incorporées à l’argile pour constituer le mélange expérimental.

4. Les excréments d’herbivores. Les excréments d’herbivores, ou crottin, sont très riches en fibres végétales. Pour extraire les fibres, le crottin doit être tamisé une fois sec. Deux types de crottin ont été testés : du crottin de non ruminant, le cheval, et du crottin de ruminant, la chèvre ; ce sont deux espèces animales bien attestées en Grèce dès le Néolithique pour la chèvre et à partir du Minoen Récent III, en Crète, pour le cheval. La différence entre ruminant et non ruminant tient au degré de digestion et de fermentation des fibres dans l’estomac de l’animal ; le résultat est directement visible dans les excréments rejetés par l’animal. Le crottin de cheval se compose d’éléments organiques de nature et de taille très hétérogènes tandis que le crottin de chèvre montre des fibres plus homogènes : le résultat de la rumination de la chèvre produit des fibres beaucoup plus concassées mais de longueur uniforme (Fig. 3). En outre, l’adjonction de crottin donne un aspect feuilleté très particulier au matériau argileux, que ne donne pas l’adjonction de fibres seules telles que les poils, les herbes, etc ; cette texture est produite par la présence d’autres composants

Fig. 7. Matériel expérimental : empreintes de fibres organiques issues du crottin de chèvre (a - b) et empreintes de barbillons d’orge domestique (c).

Fig. 6. Moules et creusets mycéniens: empreintes de fibres organiques.

a b c

Les dégraissants d’origine animale dans les céramiques métallurgiques minoennes et mycéniennesCécile Oberweiler

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en plus des fibres dans le crottin : de l’urée et d’autres résidus riches en alcalins.

Tous nos échantillons expérimentaux ont été cuits à 1000-1100° C, ce qui correspond aux températures que subissent les creusets lors de la fonte et de la coulée du bronze. Par ailleurs, des creusets et des tuyères expérimentaux ont aussi été façonnés à partir de matériaux argileux contenant différents types de dégraissants organiques, ce afin d’être testés en utilisation réelle.

L’observation des échantillons expérimentaux et leur comparaison avec les échantillons archéologiques ont permis de proposer plusieurs hypothèses pour l’identification des dégraissants organiques.

Le premier groupe de fibres archéologiques (Fig. 4), que nous avons évoqué plus haut, montre de fortes similitudes avec les échantillons expérimentaux réalisés avec des poils de capriné (Fig. 5): taille et morphologie sont très proches tout comme la texture du matériau argileux obtenu. Le second groupe de fibres archéologiques (Fig. 6) montre des similitudes avec plusieurs des fibres testées : les fibres contenues dans les crottins d’herbivore (Fig. 7 a et b) et les barbillons de graminée (Fig. 7 c). Pour les fibres issues du crottin, il reste très difficile de différencier, uniquement par la morphologie ou la taille des fibres, celles qui proviennent du crottin de cheval de celles provenant du crottin de chèvre. Par ailleurs, la morphologie et la taille des fibres ne sont pas les seuls paramètres qui suggèrent l’utilisation du crottin d’herbivore ; la texture de la pâte doit aussi être prise en compte. De fait, l’urée et les alcalins contenus dans le crottin sont présents dans le mélange argileux sous forme d’une poussière mêlée aux fibres. C’est cette poussière qui va donner au matériau une texture feuilletée très caractéristique, nettement visible sur les céramiques métallurgiques mycéniennes.

Toutes ces observations nous permettent donc de proposer plusieurs types de dégraissants organiques potentiellement utilisés par les bronziers minoens et mycéniens : le poil de capriné d’une part, le crottin d’herbivore d’autre part. Le premier semble spécifique des creusets et des moules minoens, tandis que le second semble spécifique des creusets, moules et tuyères mycéniens. Or, ces deux types de dégraissants ont un impact à peu près identique sur l’aptitude thermique et mécanique du matériau argileux

auquel ils sont ajoutés : ils augmentent la résistance du matériau aux chocs thermiques et mécaniques durant le processus de fonte du métal et préviennent ainsi toute déformation et fracture catastrophique de l’outil au cours de son utilisation. Le crottin a toutefois une action supplémentaire : outre les fibres digérées et fermentées, il contient aussi des alcalins qui ont une action défloculante sur les argiles limitant la formation des fissures dans le matériau.

Comment donc interpréter cette distinction ? Pour cela, il est nécessaire de considérer le matériau de fabrication des céramiques métallurgiques dans son ensemble car la seule identification des fibres organiques n’est pas, bien sûr, une fin en soi. Il s’agit d’un paramètre parmi plusieurs autres : la nature de l’argile, l’ajout ou non de dégraissant minéral, mais aussi les techniques de façonnage, la morphologie des creusets, etc. C’est la convergence de l’ensemble de ces paramètres qui nous permettra d’interpréter la variabilité des compositions de ces céramiques d’une période à l’autre et, plus largement, de comprendre le fonctionnement de cet outillage et les techniques de fonderie mises en œuvre par les bronziers minoens et mycéniens.

Or ces différentes techniques se situent dans un contexte historique très particulier car on a pu observer l’apparition de techniques de fonderie proprement minoennes dès le Minoen Ancien et qui perdurèrent jusqu’à la chute des seconds palais, à la fin du Minoen Récent I ; puis, après la destruction des palais minoens, l’arrivée en Crète des Mycéniens venus du continent, vers 1450 BC, coïncide avec l’apparition sur plusieurs sites d’une nouvelle technique de fonderie. Cette variabilité dans la composition des matériaux de fabrication des céramiques métallurgiques (par exemple des dégraissants organiques différents) constituerait peut-être un indicateur de l’existence de différentes traditions techniques : l’une, minoenne, proprement locale, la seconde mycénienne et exogène.

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