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Daily Bread : Raw Meat Pin-Up Perpetual Calendar Salamandra

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Daily Bread : Raw MeatPin-Up Perpetual Calendar

Salamandra

LISA SALAMANDRA ou Quarante mille ans d’art contemporain…

Gérald Stehr

Si la plupart des humains croient savoir regarder comme la chose la mieux partagée et la plus naturelle du monde, un peu comme Monsieur Jourdain qui fait de la prose sans le savoir, elle se trompe, elle le fait par conventions.En plus de la capacité individuelle fonctionnelle sensorielle variée ; voir, regarder ou observer, relèvent d’un processus élaboré d’éducation culturelle à base d’expériences cognitives. Voir, c’est apprendre à discriminer ce qu’on regarde. Il n’y a pas de situation visuelle humaine qui n’implique de cécité sélective à l’image.

C’est une longue histoire que celle de l’œil, sa coévolution avec la main, et les couleurs, une histoire complexe, même si l’on fait abstraction de sa coévolution avec la capacité auditive, qui repose aussi sur la bilatéralité perceptive. L’histoire de l’art, et de la restitution des choses vues, si elle est récente, n’échappe pas à cette complexité. Pour prendre l’exemple le plus flagrant, observons une simple ligne droite. Notre perception du vertical et de l’horizontal s’est perfectionnée durant des millions d’années dans un milieu arboricole ; si cela fut incontestablement un avantage locomoteur dans un tel environnement, pour fuir les prédateurs, pour apprécier les distances de préhension lors des sauts, elle nous a laissé en héritage toute l’organisation du système nerveux pour développer la convention technologique de la ligne d’horizon (un plan d’eau) et de la ligne de pesanteur (fil à plomb). Cela a permis la réalisation de plans, puis l’invention de la perspective et de ses points de fuite comme une évidence perceptive.Toutefois la ligne droite pour un œil, si elle fut d’abord une sensation kinesthésique et une perception gravitaire pour finir en donnée technologie, n’en reste pas moins une convention. La vue humaine, même en n’utilisant que la vision monoculaire, est incapable en position statique de percevoir une ligne - fut-elle d’horizon - encore moins dans une perception en mouvement. Pourtant, elle la conçoit…L’analyse de notre biologie visuelle, qui révèle sur le fond de l’œil la répartition différenciée des

cellules coniques et des cellules à bâtonnets, et par conséquent le caractère hétérogène des perceptions contrastée et colorée, démontre sans équivoque cette incapacité. On pourrait presque considérer que l’on a deux visions imbriquées : une vision des contrastes d’intensité et l’autre du spectre coloré, qui se combinent et s’associent en variant selon une observation fovéale ou périphérique, et ceci sans même tenir compte du renversement de l’image, du point aveugle, des défauts de la pupille ou celle de la cornée. En réalité le cerveau est impliqué de façon quasi holistique dans la perception visuelle, que ce soit pour la perception d’une droite ou la reconnaissance d’une forme familière.Mais, indéniablement on a l’intelligence de la ligne droite, de sa perception indiscutable.Comment ? En corrigeant matériellement ce que l’œil voit pour lui donner l’illusion de ce qu’il sait, à l’instar des courbes correctrices du chapiteau du Parthénon.Tous les peintres qui cherchent à représenter ce que leurs propres yeux voient, sont amenés à remettre en question les conventions de représentations, qui toutes corrigent la vue pour la rendre plus crédible et conventionnelle dans une culture historique donnée.Si la chronophotographie a permis d’améliorer l’observation du mouvement, en le décomposant, et améliorer la véracité des galops volants rupestres, si la dissection et la connaissance anatomique ont rendu plus crédibles certains aspects du nu ou des tensions musculaires, si l’IRM a permis d’observer l’intérieur du vivant sans détruire son intégrité, ces nouvelles représentations passent toutes par le filtre de la technologie photographique.

Néanmoins, dans la vision du vif, demeurent les harmoniques archaïques de l’œil magdalénien. L’œil chasseur et l’œil collecteur, l’œil sexué, l’œil discriminant, l’œil scrutateur, l’œil qui perçoit les fruits mûrs grâce aux couleurs, ou qui évalue l’état d’une charogne, mais aussi l’œil qui repère les signes sexués des périodes propices au coït…C’est justement cette persistance qu’on pourrait qualifier d’archaïque ou d’élémentaire qui travaille

les figures du Raw Meat de Lisa Salamandra, et fait résonner les harmoniques, des plus anciennes aux plus modernes. Sa série calendaire de douze pin-ups, exécutée à partir de minuscules découpes de publicités de viandes dont les couleurs ont été savamment retravaillées dans des ocres attractives, du rouge au rose, en est l’exemple.

L’aventure de l’art entame sa longue marche, il y a environ une quarantaine de millénaires, lorsque la chasse spirituelle (l’expression est de Rimbaud d’après un livre perdu) chassa hors de la nature biologique de l’homme - dans la culture - sa mémoire collective, ses signes et ses représentations mentales. Elle les projeta, en dehors, puis, les assigna à résidence dans les grottes. Il faut toutefois bien considérer que les Magdaléniens et bien avant eux, les Solutréens de la Combe d’arc, et encore bien avant eux, les Aurignaciens et les Chatelperronniens ont d’abord inventé et expérimenté ce que l’on peut considérer comme le noir par défaut, le noir optique de la gravure. Chronologiquement, les marques que l’on considère comme volontaires ou significatives dans le sens d’une autonomie de sens furent précédées d’une très longue période de marques fonctionnelles. Ces marques se trouvent en abondance sur l’ensemble des os de bêtes dépecées. Ce sont les reliquats des gestes de découpes. La précision et la technicité de ces gestes trouvèrent un prolongement naturel au moment de leur autonomisation.

Mais cette maîtrise de l’outil avait elle-même un précédent : la fabrication de l’outil lui-même. Durant des centaines de milliers d’années, les chasseurs collecteurs ajustèrent leurs gestes pour la taille des silex dans des processus d’évaluation de la matière première pour une utilisation technique et cognitive complexe. Ce sont ces mêmes silex qui leur fournirent en abondance un matériel d’outils diversifiés : grattoirs, lames, perçoirs et pointes de gravures d’une efficacité remarquable lorsque l’on sait que le silex raye l’acier. Grâce aux marques dites de découpes,

que l’on observe sur les os, on peut reconstituer les processus du dépeçage de l’animal et leurs différentes procédures. Ces marques fonctionnelles trouvèrent naturellement leurs prolongements, d’abord sur de petits supports domestiques, ensuite sur une plus vaste échelle pariétale. Ce noir par incise a véritablement commencé sur des plaques, des morceaux d’os, des bouts d’ivoire, sous l’aspect de marques, qu’Alexander Marshack dans son livre, Les Racines de la Civilisation, a longuement analysées et interprétées pour la majorité d’entre elles (s’attardant longuement sur l’os Aurignacien d’Ishango) comme marques calendaires, et qualifiées des délicieux néologismes de chrono factorisantes et chrono factorisées.C’est la projection anticipatrice des processus en cours de l’humanisation, où paradoxalement la figuration humaine est quasi absente. Il y a là les prémices du dessin et de l’écriture, dans une forme où ni l’un ni l’autre ne s’était autonomisés et développés pour leur propre compte. Qui n’a vu ces emmêlements de signes et de figures gravés sur d’immenses panneaux, entremêlées dans tous les sens, énigmatiques labyrinthes d’incises, ne peut s’imaginer la complexité de cet art du noir.

Ce qui est troublant dans le travail présenté par Lisa Salamandra, c’est tout d’abord ce renversement : la figure humaine, quasi absente de l’art originel, remplace la figure animale.En second lieu, lorsqu’on s’approche des figures - qui, de loin ont l’aimable et attirante couleur de la chair, disons du nu érotisé, - on découvre un réseau de coupures. La gravure est intégrée, les traces de découpes sont devenues les pièces d’un patron d’une sorte de vêtement de peau cousue qui nous rappellent notre condition charnelle.Ce qui vient renforcer notre trouble décompléxifié, c’est l’utilisation de représentations justement conventionnelles et publicitaires de la viande animale. Je dis décompléxifié en sous entendant déculpabilisant, c’est-à-dire détournant ou tentant d’abolir le complexe de la prédation, cet usage à fin

Daily Bread : Raw Meat(Autoportrait d’après Dürer)Technique mixte sur les papiers d’emballage de mon pain quotidien94 x 60 cm - 2010

Page de droite : Daily Bread : Raw Meat(Nathalie 1)Technique mixte sur les papiers d’emballage de mon pain quotidien141 x 110 cm - 2012

alimentaire du vivant hanté par un tabou plus ancien, celui de l’anthropophagie…Cette inversion est habitée par une image spéculaire, c’est-à-dire justement par ce que l’image publicitaire a corrigée en supprimant le chromatisme de la chair pourrissante, de la chair fanée, des ocres presque noires du sang coagulé, des verts faisandés, de cette couleur charogne presque vrombissante des asticots, ce chromatisme répulsif. En ce sens, on pourrait parler de représentation exsangue.

Mais le tour de main Salamandresque ne s’est pas arrêté là, en déclinant ses douze figures quasi zodiacales de douze pin-ups ; il révèle aussi la grande innovation de la sexualité humaine, la permanence de la fécondité et par conséquent la présence continue « des règles », qu’on pourrait définir par boutade homonymique comme : « la surface engendrée par une droite mobile dépendant d’un paramètre », ce nouveau paramètre étant le remplacement du sang d’abattage par le sang menstruel.Il y aurait sans doute quelques analyses à développer quant à ce qu’il peut y avoir de dénonciatoire dans ce traité de figures de style. Le vocabulaire de la dominance masculine est riche en métaphores qui disqualifient la personne féminine en la nommant par ses parties anatomiques. Mais il ajoute au lexique dégradant de la figure féminine, celui de la domination : on dit d’une fille forcée à une prostitution de dressage punitif qu’elle est mise à l’abattoir.La série du Raw Meat n’a pas seulement emprunté la maîtrise archi-millénaire de l’art de la découpe, elle en a adoptée le symbolisme coloré : l’ocre rouge.Ces signes zodiacaux sont des vanités. (Comme dans les Ambassadeurs d’Holbein où une anamorphose révèle sous un angle donné une tête de mort.)Les figures Salamandresques agissent comme une reprise syncrétique du symbolisme de l’ocre. Les néandertaliens développèrent la culture de l’ocre. On en trouve en abondance associé à leurs sépultures. Que la technologie du feu ait fourni le moyen de cuire les pigments et produire le charbon de bois pour un

usage culturel est une hypothèse envisageable, même si l’utilisation de l’ocre fut devancée par une pratique de tannage des peaux. Toutefois qu’ils s’en couvrissent le corps, qu’ils s’en décorassent, qu’ils en fissent un usage pariétale, est pure conjecture ! Mais, c’est une conjecture plaisante.

Très logiquement le Cro-Magnon qui lui succéda, notre ancêtre le plus proche, réalisa ses décorations pariétales à l’ocre et au charbon de bois. Ces décorations sont, à parler picturalement des monochromes d’ocres et de noirs. Dans le Raw Meat, l’ocre rouge a véritablement le statut de médium. Le pouvoir évocatoire de l’ocre re-présente devant nous la vieille magie des chamans et de ses tabous. Si on peut qualifier une couleur de chamanique : c’est bien l’ocre. On peut légitimement évoquer cette pratique de magie suggestive à propos des figures calendaires parce qu’elles agissent comme ce que je nommerais : « le choc optique ». Dans le test psycho diagnostique de Rorschach, les interprétations prééminentes du rouge sont qualifiées de « choc couleur ». Il me semble que les pin-ups agissent de cette façon. De très loin elles sont identifiées grâce à leur posture, comme ces images utilitaires et masturbatoires que les camionneurs ou les garagistes accrochent comme les dérisoires trophées de leur misère sexuelle. Mais leur efficacité tient à leur archaïsme, celui de l’œil anthropologique. Au « choc optique » s’est substitué le « signal optique » aussi clair qu’une figure d’interdit rayée d’un trait rouge. Mais dans ce signal, il y a une évidente persistance rétinienne du « choc optique » dont la caractéristique est bien l’imbrication et l’implication du système nerveux central concernant la nourriture et la sexualité, correspondant au fond aux pulsions émotives les plus puissantes, à savoir se nourrir et se reproduire. Et c’est justement là où les figures Salamandresques viennent interroger ces pulsions qui ne seront pas assouvies. Les douze figures calendaires du Raw Meat sont accompagnées d’une série de figures plus grandes et disparates.Il y a tout d’abord une version de l’Origine du monde

de Courbet, presque à l’identique : qu’un organe à lui seul puisse assumer un tel dessein ressort évidemment de la métaphore. Cette figure en littérature porte un nom : une synecdoque (nommer la partie pour le tout ou le tout pour la partie). Lisa Salamandra la rend plus complexe encore, puisque ce n’est plus seulement la représentation de la partie sexuée de la femme qui est à l’origine du monde mais la chair elle-même qui revient à son origine dans une matière de glaise charnelle. C’est une sorte de mise en abîme de la figure synecdoque.

La seconde figure reprend l’autoportrait de Dürer en majesté, mais c’est un autoportrait en ironie… En l’observant, hormis la posture parodique de la représentation christique, on est troublé par des déformations, un léger surdimensionnement de la figure, surtout dans la hauteur.Mais repartons à Lascaux quelques dizaines de milliers d’années en arrière. L’innovation de l’œil Lascauxien ne se résume pas seulement à l’invention des très riches heures de la polychromie, de l’association de signes abstraits et de figures, mais à l’invention sans précédent de l’autonomisation de la figure observée. Je m’explique, quand l’homme représente des formes plus grandes que ce que l’optique de son système nerveux lui permet de percevoir, mais surtout quand il les conçoit à la dimension de sa mythographie. Les grands taureaux ne sont pas seulement plus grands que ce que la perspective commande, mais plus grands que l’anatomie propre de l’animal. Le plus grand taureau de Lascaux mesure, je crois, cinq mètres cinquante de long. Voilà une opération intellectuelle inédite, qui ajoute, à la représentation à l’aveugle, son surdimensionnement ! La figure en tant que sujet entame une nouvelle vie autonome s’émancipant de ses contingences matérielles.

Revenons à Dürer, et à Salamandra. Dürer, comme les peintres de son époque, s’est peint dans un miroir. Face à face. Léonard de Vinci, plus réflexif encore,

s’était peint dans un cercle de miroirs, ce qui lui permit de se peindre au travail, la tête penchée. Lisa a fait de même… en réalisant l’œuvre à plat, peut-être à cause de la contrainte du collage. Si l’on mesure la partie du corps représentée, nous obtenons 91 centimètres, alors que la même mesure faite directement sur le modèle n’est que de 76 centimètres. Ces déformations sont tout simplement dues à l’angle d’exécution par rapport à l’angle d’observation.Et c’est là que nous nous trouvons devant « un de ces hasards objectifs » ironique. En adoptant ce dispositif qui exige la correction perceptive, Lisa a repris un problème qu’Albrecht Dürer a longuement étudié à propos de la taille des lettres décoratives des façades où, pour donner l’illusion de leur unité proportionnelle, on doit les agrandir en fonction de leur éloignement. Plus elles sont hautes, plus on les corrige.Pour voir l’autoportrait de Lisa Salamandra, de son point de vue de réalisation, qui est évidemment un référent, il faudrait surélever son œuvre, retrouver l’angle d’exécution, afin que l’observateur s’approchant, trouve son point de vision dans l’angle idéal. Mais cela nous obligerait à légèrement lever la tête… comme des enfants regardent une mère.Si Dürer visait à se mettre picturalement en situation de majesté christique, Lisa Salamandra nous remet en position profane.Les deux autres figures - le double portrait de Nathalie Schulmann - présentent les mêmes déformations par un surdimensionnement généralisé du buste. Elles devraient être exposées dans un dispositif de sur-élèvement pour la même raison que son autoportrait.La dernière figure de cette série, apparemment disparate, est une version de l’Olympia de Manet.Lisa Salamandra a tout d’abord déterminé l’espace du tableau à l’identique en reprenant les dimensions de l’œuvre originale. Sur cette mousseline, elle a isolé l’Olympia, puis elle a continué en travaillant à l’aveugle, de mémoire, comme le faisait les magdaléniens. Mais très vite, elle a dilaté la figure, dans son esprit, elle la voyait plus grande et lorsqu’elle a repris ses mesures, elle s’est rendue compte qu’elle

Daily Bread : Raw Meat(d’après Courbet)Technique mixte sur le papier d’emballage de mon pain quotidien49 x 57 cm - 2009

les avait outrepassées… du moins j’imagine, car pour remettre sa figure à la proportion de l’œuvre originelle, elle a du repousser le cadre ! Le peintre est souvent hanté par la figure d’un autre peintre, et la dimension et la position de cette figure dans son esprit engendre souvent des reprises ou des déclinaisons, par exemple, l’ombre du marcheur de Van Gogh sur la route de Tarascon (il me semble) viendra en flaque de chair ancrer au sol les créatures de Francis Bacon.Et c’est très naturellement que poursuivant sur cette voie, Lisa Salamandra s’est attaquée à un triptyque de Francis Bacon (un des très rares inspiré de photos féminines de Muybridge), où justement cette question de la taille a un rôle prépondérant, celui de nous mettre en situation visuelle d’intimité.Francis Bacon cherchait à rendre cette émotion ressentie devant le spectacle de figures mises en situation d’intimité, à sa façon, par une sorte de « choc optique » distanciel. Le vif mis à vue de la vue mise à vif.

Evidemment la présentation d’images, pour l’imagier artisanal, dans un monde qui a multiplié les techniques de reproduction massive dans des formats normalisés, vulgarisés, reprend avec plus d’acuité encore la question posée par Les Ambassadeurs d’Holbein pour toute exposition picturale : la rencontre de l’œuvre, qui ne peut se faire qu’avec l’œuvre elle-même, tout le reste n’est que fac-simulé. Nous touchons-là une des caractéristiques fondamentales : la conjonction de deux visions lors de ce contact, à vif, qui impose chaque fois son propre dispositif d’installation, comme les rouleaux verticaux, peints recto verso d’Aloïse, la chapelle Sixtine de Michel Ange… Chaque fois le peintre recherche l’amplification d’un « choc optique », un théâtre mental compensatoire, pour Aloïse, la beauté des corps nus chez Michel Ange… Ce n’est pas nouveau, les lieux peints outrent la seule présence imagière, pour rejouer pour l’œil le théâtre de la peinture cette émotion originelle de la chose vue : la grotte de Lascaux s’éclairait le jour du solstice illuminant son ciel zodiacal ? Ce qui est en jeu dans la position du voyant, c’est cette chose propre à un temps donné de vie, cette sorte d’expérience unique

de vue réfléchie qui donne à l’imagerie un sens d’exception. L’artiste, je crois, cherche à reproduire et communiquer son propre « choc optique », s’il y a un sens à trouver dans cette activité, il faut le chercher, non seulement dans les images mêmes, leurs origines, leurs réalisations techniques, mais aussi dans la manière dont elles sont montrées pour restituer ce choc initial. Le peintre conçoit son propre musée imaginaire où chaque œuvre prendrait une place idéale. Marcel Duchamp sa vie durant jouera cette partie stratégique contre la dispersion de son œuvre, en manœuvrant, pièce après pièce, pour mettre en échec le Roi du marché, en réunissant l’ensemble de son œuvre dans un lieu unique. Francis Bacon en présentant ses triptyques derrière une vitre transforme l’observateur en reflet, en filigrane ou en spectre. Même la peinture domestique bourgeoise demande un type particulier de présentation. Quand Lisa Salamandra expose les différentes modalités de la figure féminine dans ses différentes positions visuelles, elle en interroge les préjugés majoritaires, à la fois ceux de la domination masculine, mais plus essentiellement ceux de leurs représentations. Revenons à son Olympia. Ce qui se joue dans cette œuvre, c’est évidemment le débat de l’œil avec lui-même. Lisa Salamandra a d’abord cadré sa figure à l’identique du format en réalisant un fond, puis s’en est émancipée en exécutant l’Olympia à part. Alors que le fond même abstrait reprend la perspective classique, elle a déformé son motif en l’exécutant à plat, avec un léger raccourci, ce n’est que lorsque qu’elle a fixé celui-ci sur son fond, qu’un autre œil est intervenu, l’œil technique instruit de la justesse proportionnelle. L’écart entre la dimension de référence et la dimension exécutée produit un trouble émotionnel, comme le souvenir d’un enfant devenu adulte revenant dans une maison d’enfance. L’effet de retour de l’oublié, de ce qui est caché dans le visible constitue la force de ce qui est vue présentement. Le spectre de l’invisible hante l’image. C’est une représentation de tous les acteurs de l’optique humaine.C’est une Vanité. L’éternelle Vanité des Ambassadeurs. Mais tout ceci n’est qu’une hypothèse de peintre.

Gérald Stehr est peintre et écrivain. Auteur de livres, de scénarii et de pièces de théâtre pour adultes et enfants, ses pièces sont présentées régulièrement depuis des années au Festival de la Correspondance à Grignan. En juillet 2013, il a adapté sept correspondances dont celle de Marcel Duchamp mise en scène par Philippe Decouflé. Il est cofondateur du Groupe 144. En tant que peintre, il a réalisé plusieurs « Voyages en Rorschachie » dont il a ramené plus de mille planches. En février 2013, il a présenté au Théâtre National de Chaillot 72 homo-rorschachiens. Il termine actuellement son « Fauster » pour le théâtre et sa salle peinte, dites le décor, intitulée Lascaux Urbain.

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Dans un texte intitulé « Le Pain (dés-)habillé », publié dans son beau recueil d’œuvres dit Daily Bread (2009), j’ai réfléchi sur le sens du choix effectué par Lisa Salamandra du papier d’emballage de la boulangerie comme support, voire comme « structure structurante » du regard de l’artiste, de son imagination et de sa technique. Historien du social, lato sensu, spécialiste du pain, ce grand acteur sur la scène de l’histoire, j’ai évoqué l’obsession du pain quotidien, gagné « à la sueur de son front », signe de vie, ration de survie, garant du contrat social (marqueur de la légitimité du Pouvoir et de la soumission du peuple dans une économie morale), emblème de la sociabilité, de la communion tant profane que sacrée. J’ai visé tout particulièrement le rôle de la « mousseline » dans l’usage qu’en font boulangers comme habillage : la rupture sensuelle (interposition d’une barrière entre la main et le pain, rare aliment qui se mange sans médiation d’aucun ustensile), la greffe hygiénique (la prose sanitaire qui remplace la poésie de la main-à-main), la proclamation publicitaire (banalisation et mobilisation par la réclame, procédés de marketing qui accompagnent la métamorphose du pain-nécessité en pain-plaisir). La mousseline boulangère demeure le support des œuvres dans le catalogue de Raw Meat, même si le pain ne figure pas comme leitmotiv de sa construction. Notons en passant que la mousseline a également une vocation de textile fin, clair, et souple, de plat culinaire léger, de métaphore du vaporeux et du romantique. La maestria de L. Salamandra est dans son jeu abondamment et intensément polysémique, opéré par imbrication, par intégration, par juxtaposition, par fusion, par regroupement, par analogie, par antinomie, par allusion, par sous-entendu, par insinuation, mais sans tourner autour du pot (fait de porcelaine fine, le pot peut relever, lui aussi, d’un style dit mousseline), quelquefois par franche violence, très souvent par ambiguïté ingénieuse, voire impitoyable. Ce jeu est lubrifié par un puissant érotisme, bien au-delà de l’ardeur sensuelle de la mousseline que Proust aborde dans Guermantes ou de sa version vulgaire dans la publicité vantant les caractéristiques sexy de la lingerie pour femmes en diverses sortes de mousseline.

Le pain ne disparaît pas complètement du paysage érotique. D’une part, il est fréquemment présent dans le support, inscrit dans le papier-mousseline que manie L. Salamandra. D’autre part, la panification, par une sorte de mimèsis, rappelle un acte : historiquement, le boulanger « monte » sa farine, il l’ensemence, la pâte se lève, sa « pousse » figurant la gestation occasionnée par la fermentation qui la fait chose vivante. Si le pain est le corps du Christ, pour ceux qui souscrivent à la transsubstantiation, ce corps sur la croix est souvent décrit comme lacéré, en partie déchiré. De nombreuses (futures) saintes, comme Catherine de Sienne, qui vivait un jeûne prolongé et rêvait de se nourrir essentiellement de l’hostie, érotisaient Jésus crucifié, le dépeignant, de façon lascivement pieuse, comme une sorte de raw meat, désirable car spirituellement nécessaire et psychologiquement épanouissant, bon à manger parce que bon à penser. L’effet voluptueux et en même temps tailladé, déchiqueté des collages de L. Salamandra évoque le corps christique représenté par ces saintes et béguines trop vite assimilées à des anorexiques modernes, pâtissant d’un déficit périlleux de raw meat dans leurs corps à elles. Ces femmes médiévales en jeûne prolongé réagissaient contre une misogynie généralisée dans une société patriarcale où l’influence de l’Église pesait lourd. En refusant de manger autre chose que l’hostie, ces femmes défiaient la hiérarchie ecclésiastique et se servaient de leur corps pour instaurer une sorte de contre-pouvoir rudimentaire. L’appétit de ces femmes (raw meat pieuse mais profane) pour le corps christique (raw meat sacrée) se traduisait par le recours à une communion excessivement fréquente (selon les prêtres, troublés par l’affirmation du pouvoir féminin pour contourner leur autorité). L’incorporation de l’hostie figurait un acte de théophagie. Un cannibalisme, plutôt symbolique, mais équivoque, caractérise certaines pratiques sexuelles, où la raw meat, en l’occurrence tant masculine que féminine, est impliquée : petites morsures, cunnilingus, fellation. Les amants se « mangent » ; ils « mangent » la viande crue. Dans bien des cultures, le même mot dénote à la fois manger et faire l’amour. En français, par exemple, « consommer » signifie autant absorber un aliment que réaliser l’alliance sexuelle.

Au-delà de l’institution chrétienne, la misoygnie s’exprimait de maintes manières, notamment dans le domaine de la sexualité des élites, jusqu’à assez récemment. La crainte aiguë de l’inhérente pulsion sexuelle débridée de la femme incitait les hommes à prendre une kyrielle de mesures plus ou moins disciplinaires pour les tenir, les dompter, et sauver l’honneur des familles concernées. Comment contrôler cette raw meat qui menaçait l’hégémonie de l’homme, cocu en puissance? Une technique revenait à empêcher cette raw meat vivante de se renforcer, de se fortifier : les hommes inquiets privaient leurs épouses de la viande rouge, perçue comme une puissante force de stimulation sexuelle. Crue ou cuite—ce thème lui-même mérite plus de développement que je ne peux l’accorder ici—la viande ne pouvait que sur-érotiser et dérégler la femme. La chlorose, ou morbus virgineus (maladie des jeune filles), appelée aussi les « pâles couleurs » ou anémie essentielle des jeunes filles, doit son nom à la teinte verdâtre de la peau du patient, souffrant de manque d’énergie. Cette maladie était, depuis l’Antiquité et jusqu’au début du XXe siècle, considérée comme liée à des troubles sexuels (à cause de l’aménorrhée) ou nerveux (hystérie), liés à la nature particulière prêtée aux femmes. Certains médecins prescrivaient la consommation de la viande rouge (cuite), conseil assez souvent rejeté par le mari anxieux redoutant que la viande cuite se mue en viande crue, dans le sens Salamandra.Sans être symétriques ni logiquement ni chronologique-ment, la viande et le pain se croisent dans l’histoire. Si le pain porte une dimension pleinement liturgique pour juifs et chrétiens, la viande pose problème. Tout au début, elle paraît être un mets réservé à Dieu—aux dieux dans d’autres cultures. Le débat reste ouvert pour les cher-cheurs, mais il semble que les juifs aient obtenu la permis-sion de manger de la viande après Noé et le déluge. Mais le Dieu de l’Ancien Testament exigera plus tard des res-trictions avec les lois de Kashruth, qui impose une taxino-mie de pureté/impureté—grand marqueur de distinction du « peuple choisi » que Jésus est censé avoir contesté—, des pratiques obligatoires pour l’abattage (que certains comparent avec la viande Halal si controversée dans cer-tains coins de l’hexagone à l’heure actuelle), interdisant

toute consommation de sang (autre aliment classé divin). D’emblée, dans cette perspective, raw meat est d’abord proscrite, puis— même après la levée chrétienne de ta-bous—toujours suspecte. La crainte de la viande a per-sisté dans certaines cultures, où sa consommation était considérée comme une transgression. Même si quelque chose de la transgression a perduré pendant longtemps, notamment pour raw meat, associée à l’anthropophagie et autres entorses sociales et morales, c’est bien moins l’interdiction de la viande que son inaccessibilité économique qui en prive la vaste majorité des habitants de l’Europe. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, parmi d’autres dictionnaires du 18e siècle, décrit la viande comme « la nourriture la plus ordinaire après le pain », mais, n’étant pas une denrée de première nécessité, elle arrive loin derrière et ne devient « ordinaire », à l’échelle nationale française, qu’au 20e siècle. Aliment d’élite, la viande se répand dans les couches populaires après les hécatombes de la Peste Noire du 14e siècle, mais elle ne cesse de diminuer petit à petit dans la suite : à la veille de la Révolution française, le menu peuple ne mange que des bouts de viande grasse dans leur soupe. Toujours est-il que la viande, dans le sillage du pain blanc, représente l’aisance, l’ascension sociale, un succès qui n’est qu’accessoirement lié au plaisir de la consommation. Pour la viande crue et cuite, les gens du peuple restent longtemps spectateurs ou voyeurs. La viande contribue à l’édification de la structure sociale : pour les riches et puissants, selon le Thrésor de la langue française de Jean Nicot (1606) le mot « viande » recouvre toutes formes de nourriture. Quand on annonce à Versailles ou dans un autre palais royal que « la viande du Roi est servie, » ce vocable signifie que l’on mange, sans du tout préciser le contenu du repas. (On aimerait imaginer par quelle annonce Louis XV convoquait la raw meat qu’il consommait au Parc aux cerfs, le bordel royal qui abritait ses favorites du moment, autre dégustation à contenu moins codifié.). Ce n’est pas seulement l’accès à la viande, en l’occurrence plutôt cuite que crue, qui construit la structure sociale : la découpe est décisive, elle assigne et partage pouvoir et émoluments, elle génère clans, clientèles, classes. Hiérarchie et commensalité sont tous les deux signifiés

RAW MEAT, ou le Golem de Lisa Salamandra

Steven Laurence Kaplan

Daily Bread : Raw Meat(Nathalie 2 détail)Technique mixte sur les papiers d’emballage de mon pain quotidien130 x 85 cm - 2012

par les morceaux qu’on reçoit. Des lois somptuaires occasionnelles règlent, elles aussi, le droit à la viande et à ses meilleures parties. L’Occident, ou plutôt sa partie la plus précocement industrialisée, va renverser graduellement, impliquant éventuellement les couches populaires, le modèle sempiternel de consommation quasi-universel : noyau composé de glucides (pain, pâtes, diverses céréales, riz, etc.), périphérie d’assaisonnement (des sauces, souvent à un peu de viande ou de poisson). Le prix pour accéder à la viande quasi-quotidienne est d’abord la lutte sociale, longue, âpre ; de nos jours, la démocratisation de la viande dépend de l’entente du commerce et de la science, pragmatique, bien-pensante, cynique : l’élevage technico-optimal, des bêtes quasi-immobiles dans leurs déjections, shootées d’antibiotiques et d’hormones, massacrées mécaniquement dans des abattoirs qui n’épargnent pas les ouvriers, poussés à travailler dans des conditions dangereuses produisant quantité d’accidents du travail. Sans oublier la métaphore de la farine qui souligne le lien, sur lequel j’insiste, entre le pain et la raw meat : les farines animales provoquant la vache folle et engendrant ainsi la mort de beaucoup de bêtes et d’un certain nombre d’hommes. Curieuse convergence qui mérite réflexion au-delà du choc symbolique : l’émancipation moderne de la femme, portée par divers mouvements féministes, mais aussi par des changements structurels dans le marché du travail, par une prospérité prolongée et assez répandue quoique toujours socialement différenciée et, paradoxalement par l’avènement de la société de consommation, a lieu à peu près au même moment où la viande devient la denrée de tous. La partie militante des femmes, sans doute mangeuses de viande comme d’autres acteurs sociaux, se plaint amèrement de leur « objectification » sexuelle, de leur marchandisation [commodification] comme raw meat en quasi-synchronie avec la marchandisation radicale de la filière de la viande.Raw meat—et la viande tout court—témoigne, tant dans les œuvres de L. Salamandra que dans le vécu historique, de la nourriture dans ses phases de fête et de famine, de luxure et chasteté. La viande signifie le mouvement et l’équilibre, l’inertie et la mobilité, la liberté et l’inégalité, le partage et l’appropriation, la privation et la revanche,

le genre [gender] et le sexe, la sexualité « éclat-de-plénitude » et la sexualité aliénée, la sexualité autonome et la sexualité hétéronome, la sexualité spontanée et la sexualité « marchandisée », le progrès et la régression. Raw meat exprime également la violence et le sang, le désordre (réel et réfractaire) et l’ordre (apparent et normatif), la menace et son apaisement dans une sorte de processus de civilisation (à la manière d’Elias). Raw meat est ainsi incarnée (presque institutionnellement) par la figure du boucher (l’homme des villes, d’abord artisan, plus tard coopté par la chaîne industrielle de production et de distribution), celui que j’ai connu dans les Halles de Paris avant leur saccage, avec son blouson à capuchon ou son tablier éclaboussé de sang, ou celui des Lumières, prêtre de la raw meat sous les deux espèces, dépeint par le chroniqueur-philosophe L.-S. Mercier : Ces bouchers sont des hommes dont la figure porte une empreinte féroce & sanguinaire, les bras nus, le col gonflé, l’œil rouge, les jambes sales, le tablier ensanglanté’ un bâton noueux & massif arme leurs mains pesantes & toujours prêtes à des rixes dont elles sont avides. . . Le sang qu’ils répandent, semble allumer leurs visages & leurs tempéraments. Une luxure grossière & furieuse les distingue, & il y a des rues près des boucheries, d’où s’exhale une odeur cadavéreuse, où de viles prostituées, assises sur des bornes en plein midi, affichent publiquement leur débauche. . . ces femelles mouchetées, fardées, objets monstrueux & dégoûtans, toujours massives et épaisses, ont le regard plus dur que celui des taureaux ; & ce sont des beautés agréables à ces hommes de sang, qui vont chercher la volupté dans les bras de ces Pasiphaé. [Tableau de Paris, 1782, t.1]

Viande et ravitaillement, le service public ; viande et débauche, le service privé ; viande et violence, la subversion de tous les services: voilà la transsubstantiation symbolique de la raw meat. Porté par la viande, portant la viande, devenant lui-même cette viande, le boucher semble réunir en sa personne nature et culture tout en érigeant une barrière infranchissable entre elles. Mercier décrit l’abattage comme un spectacle atroce en centre ville : une lourde massue brise le crâne, un couteau ouvre le gosier, la bête émet mugissements et gémissements, ses muscles s’agitent en de terribles convulsions, son cœur à nu palpite affreusement, « les soupirs amers » de l’animal lui sont insupportables. On imagine, sans doute trop vite, le philosophe solidaire de ses homologues de nos jours, les Peter Singer et les Tom Regan, chacun à sa manière, plaidant pour « la libération animale », prônant les « droits des animaux », défendant la viande vivante de toutes les espèces. Mercier n’affirme pas que les

bouchers sont sciemment cruels, mais qu’une certaine brutalité paraît consubstantielle à leur état. Les bouchers se révèlent violents non seulement dans leurs ateliers, dans la rue, au cabaret, où « on les punit plus sévèrement que d’autres professions, pour réprimer leur férocité » [Mercier], mais également dans la cité : on n’a pas oublié à la veille de la Révolution française que Simon Caboche, boucher-écorcheur, a mené, au début du 15e siècle, une insurrection meurtrière—la viande morte—appuyé sur sa corporation, qui a pris la Bastille et contraint le roi à convoquer les Etats-Généraux pour fournir des garanties contre une fiscalité arbitraire. Peu après, les Cabochiens ont subi une répression brutale. Paris a manqué de viande un moment, incident bien moins grave qu’une pénurie de pain. Couple involontairement lié, et pas uniquement par L. Salamandra, le boulanger et le boucher sont souvent comparés. Face à un travail éreintant et sans fin, conduit toute la nuit dans les « cachots sombres » évoqués par George Sand, le garçon boulanger du 18e siècle ne vivra presque certainement pas vieux. Les observateurs contemporains sont saisis par le contraste entre les garçons bouchers robustes et tout rougeauds—ils mangent sans doute davantage de viande, sous les deux espèces—et les boulangers à l’air hagard et au teint plombé que l’on aperçoit pitoyables, sur le pas de la porte, tels des épouvantails enfarinés. Une allure raw donne aux bouchers cette vivacité insolente ; un aspect cooked dote les boulangers d’une langueur maladive. Mais ce sont les boulangers plutôt anémiés—sur les supports desquels, ces fameuses mousselines de notre époque, L. Salamandra inscrit sa raw meat—qui donnent la vie en fabriquant le pain. Ce sont les bouchers vivaces fournissant l’artiste en raw meat qui, eux, prennent la vie. Les femmes de L. Salamandra sont chargées d’ambiguïté. Par définition, biologiquement, par convention, socialement, ce sont elles qui nourrissent en premier. Par leur sexualité, leur volonté manifeste, leur énergie cinétique—transmises par une sorte de catachrèse picturale, un jeu hyperbolique, et un chiaroscuro rudimentaire effectué par la juxtaposition de la viande rouge et du gras blanc—, elles échappent, visuellement, à la mission maternelle essentialisante. Pourtant, la viande qui figure spécialement leur sexualité, est le rappel

constant de leur nature alimentaire et nourricière. Les seins, auxquels L. Salamandra donne un éclat particulier (dans une série de clins d’œil aux icônes génériques de la culture populaire) jouent sur l’équivoque constitutive de toute relation mère/enfant, ou femme/amant(e) : la tension (ou peut-être l’éventuelle symbiose) entre le sexuel et le nourrissant, entre des registres de satisfaction différents (concurrents et/ou complémentaires), des finalités dissonantes. Les femmes de L. Salamandra sont (apparemment) libres : elles disposent de leurs corps comme bon leur semble, souvent elles prennent plaisir à se montrer, certaines font étalage de leur chair, étiquetée d’un prix (comme des travailleuses de sexe derrière une vitrine dans le quartier De Wallen à Amsterdam). Mais il est difficile de dire avec certitude s’il s’agit d’un exhibitionnisme plus ou moins militant (dans le genre du fameux : « Flaunt it if you got it »), ou d’une présence sensuelle, proto- ou para- ou pré- ou post-sexuelle, mais fondamentalement pudique, ou en tout cas indifférente aux éventuels spectateurs. Par ailleurs, ces femmes paraissent souvent être habillées d’une manière ou d’une autre. Il n’y a pas que le cul nu qui arrache et affirme et assure la liberté. L’érotisation n’est pas « une cause une » qui débouche sur « un résultat un ». Rien n’est monocausal, monolithique, ou prédéterminé. L’érotisme est à la fois simple et complexe, singulier et multiple, fixe et fugace, bon enfant et manipulateur, don gratuit et don exigeant un contre-don. La densité érotique tend à rapprocher le genre et le sexe. Mais ce serait, à mon avis, aller vite en besogne que d’y voir un biologisme qui réduit l’érotique à l’expression du sexe au détriment du genre, première étape vers l’évacuation (ou au moins l’éclipse) du genre comme catégorie autonome. Lisa Salamadra ne tranche jamais avec la « feuille » du boucher, lame aiguë, lourde et terrifiante aux yeux du profane. C’est toute son astuce conceptuelle et picturale. Son érotisme n’est pas lisse ; il y a des aspérités. Il pousse à l’interrogation, puis à la réflexion, tout en étant jouissif.L’idée de mettre en scène la femme comme viande et la viande comme femme, sur un fond panaire qui lui-même, dans son inexorable quotidienneté, lutte entre le galvaudage et la dé-banalisation, entre l’ordinaire et l’exceptionnel, entre le plaisir et les relents de culpabilité

suscitée par l’oubli du pain ration de survie et de salut—cette idée, disais-je, est géniale et audacieuse ; la démarche est sans doute aussi lourde de dangers. Les hécatombes (de l’abattage) déshumanisent les hommes (les agents de mort sont principalement masculins) ; ce faisant, ils donnent de la chair et une humanité très particulière à des femmes (anthropomorphisées) de L. Salamandra. D’où l’enchaînement : de Raw vivante à Raw tuée et à Raw ressuscitée et reconfigurée. Est-ce que je pèche en insistant trop sur la matérialité de ces métamorphoses ? Est-ce que je me laisse aller à la réification ? Peut-être. Mais une lecture post-moderne (non-référentielle) ou plus onirique, n’aurait pas mieux éclairé la problématique, me semble-t-il.Sortant de la viande, la femme de L. Salamandra est marchandise qui doit résister à sa propre marchandisation, ou se l’approprier, ou la détourner ou éventuellement l’embrasser (flaunt it). Est-ce que la viande—toujours crue, tuée mais pas tout à fait sans vie (et pas simplement comme foyer des micro-organismes), pas encore cuite (les femmes de Raw Meat ne manquent pas d’un outillage cognitif, mais semblent ne pas avoir la moindre conscience de leur ultime destin culinaire)—n’est pas tout à fait chose, malgré sa commercialisation en cours, la réclame papier qui est son ADN ? L. Salamandra n’endigue-t-elle cette trajectoire, cette téléologie en jouant sur l’idée de la création non de la femme, mais de certaines femmes ? Quelque part, pour moi, sans être faite d’argile, informe mais pas disgracieuse, la raw meat de l’artiste me rappelle le Golem de la mythologie juive, être artificiel, communément humanoïde, façonné afin de collaborer avec son créateur, en l’occurrence sa créatrice. Le Golem ne parle pas, mais aide à dire certaines vérités. Pour maintes raisons, cette analogie est hasardeuse, mais elle me permet, à moi, de mieux comprendre la tentative de L. Salamandra d’insuffler une âme à ces (et ses) femmes (je pense notamment aux pin-up, aux anonymes) et de les marquer d’une certaine empreinte mystérieuse, manière d’atténuer un peu le poids matérialiste. C’est cet aspect Golemiste qui donne à ces œuvres leur envoûtant côté fantastique.La série des pin-ups en calendrier, est irrésistible pour un américain qui a beaucoup lu la fiction de la deuxième guerre mondiale, et à qui son propre père lui parlait de

l’importance de cette figure emblématique pour le moral des marins sur son destroyer. La première* se présente sur un fond panaire insistant sur les valeurs du terroir, et de l’ancien savoir-faire. La pin-up se moque de ce conservatisme, de l’ancrage du pain dans l’intemporel, des codes de conduite. Bottée sur des pieds de vache, portant la suggestion d’un tutu et peut-être une perruque, elle semble danser à sa guise, vouée au fugace, ne partageant avec le pain qu’une même affinité hédonique. La pin-up 2 a un corps un peu distendu, voire déformé, mais ces appréciations supposent une aune normative qui n’existe pas. Elle a des éléments de Michel-Ange, Soutine et Bacon. Assez musclée, elle a un profil callipyge, des seins amples mais un décolleté inachevé et donc équivoque, et des cheveux qui font penser à Fay Wray ou Jean Harlow des années 1930, si ce n’est James Brown et sa sex-machine de facture bien plus récente. Les croissants et petits pains en arrière-fond ralentissent le mouvement. La troisième nous calme, désérotisant l’atmosphère, glissant un brin de mélancolie, le tout suggérant une sexualité tempérée, sinon larvée. La pin-up 4 est détournée : d’un angle, elle a l’air d’une femme en bas noir, penchée en avant, comme si elle portait un fardeau, partant pour la messe, la route balisée par des croissants et des brioches, semblants de pain bénit. Un moulin, site traditionnel de débauche et de magie, sert d’avertissement… ou d’invitation. Entourée d’épis de blé et d’une splendide baguette phallique perçant un pain-couronne, la pin-up 5 est extrêmement sensuelle. En mouvement, les cheveux balayés par les vents, ses cuisses sont hypertrophiées, mais accueillantes. Sûre de sa beauté et de sa force, elle esquisse une Cérès bien en avance sur la récolte. La 6 a la posture d’une paysanne de Millet, ou d’une bobo au cours de yoga, mais, de manière incongrue, avec des talons hauts et une chevelure luxuriante. Si elle a besoin d’une brachioplastie pour obtenir les hauts de bras de Michelle Obama, elle a tout de même le look d’une sportive.La pin-up 7 me rappelle les thèmes néocoloniaux de la grande série Daily Bread de L. Salamandra. Sans être Chiquita Banana, célèbre emblème de l’impérialisme agro-alimentaire Etats-Unisien, elle a

* Les chiffres des Pin-ups utilisés par l’auteur dans le texte correspondent aux chiffres des mois de l’année.

Daily Bread : Raw Meat(Nathalie 2)Technique mixte sur les papiers d’emballage de mon pain quotidien130 x 85 cm - 2012

une tête Latino-Africaine, une taille assez fine, les bras tendus, les jambes esquissant un rythme. La texture de la viande semble se moquer de la promesse que « votre boulanger veille au pain ». Ici, comme ailleurs, la suggestion de vêtements émousse la férocité de la raw. La 8 est peut-être la pin-up la plus canonique, celle des soldats, Jane Russell, ou Jayne Mansfield en moins pulpeuse. C’est une blonde en maillot de bain des années 1950-60. Je relève la revendication de la propriété, pas du tout américaine : la cuisse (marchande) est marquée « Origine France », rassurant pour des omnivores angoissés (pléonasme de nos jours). Cette œuvre met en relief la question de la marchandisation de la femme : morceau de raw meat ? A-t-elle les moyens de résister à la chosification du sexe, à son industrialisation et à sa commercialisation ? C’est le pain qui joue communément le rôle de sur-moi dans ces mises-en-scène, opposant sa sacralité transparente et sans ornement au profane, nu car raw, mais jamais (im-)purement raw, jamais entièrement raw, plutôt habillé et maquillé. En l’occurrence, le pain de mie, avec sa chair débordante, semble flirter ou au moins s’allier moralement avec Mme Origine France. Elle est obliquement contrecarrée par l’image de la pâtisserie dite la religieuse, dont le seul nom fait fonction de reproche à la pin-up.La pin-up 9 appelle des commentaires disparates hétéroclites. Elle est ficelée comme un rôti : pourquoi n’éprouve-t-elle pas un sursaut prométhéen pour rompre ses cordes ? Une femme ficelée ouvre des perspectives sexuelles spécifiques, mais ne célèbre pas la femme libérée. On a envie toutefois d’être caressé par ses mains en saucisses. Ses jambes paraissent inachevées, comme

si la femme pâtissait d’un handicap. La peinture pose-t-elle la question et la possibilité de la sexualité de la femme—de la pin-up—handicapée ? La 10 semble faire signe avec sa main droite, vouloir entamer le dialogue. D’allure un peu porcine, elle a la poitrine fort généreuse, jette un sort érotique. On fait l’inventaire des divers éléments composant le corps, apparemment très peu vêtu, de la pin-up 11 : longe de porc entière avec os, épaule de porc fraiche entière avec os, etc. Le pain ne favorise pas la présentation de la belle, car sa publicité rappelle que la synthèse de certaines hormones renforce les défenses immunitaires. Le pain semble hurler à la raw meat : tu es aussi dopée qu’Armstrong, mais peut-être pas avec les mêmes hormones, étant donné vos objectifs différents. Du coup, difficile pour moi de ne pas penser ici aux farines animales et à la maladie dite ESB (la vache folle). Le dernier mois nous propose, sur deux papiers mousselines mis tête-bêche, une femme du type Jean-Paul Goude, une sorte de Grace Jones viandée (mais, hélas, avec une tête de cheval ou d’oiseau un peu bovin, grande, plutôt mince, une morphologie athlétique, en posture d’étirement ou de danse. On ne vit pas dans un monde d’autorité, on n’est pas obligé de porter des marques identifiantes, mais une estampille « UE » pour être politiquement correct au sens propre. Je me suis promis de me cantonner au calendrier, mais Olympia m’a un peu ensorcelé. C’est la pièce la plus Baconienne, esprit tourmenté, mais relevé par une note de cynisme. Le corps consiste en une belle mosaïque de chair bariolée, des morceaux de viande de tailles différentes bricolés ensemble comme un grand puzzle. Le tout se trouve sur une mousseline Banette décorée de petits logos de cette enseigne. Ce fond peut passer pour le drap dans un bordel de facture moyenne.

Steven L. Kaplan, historien, fut le premier à faire du pain un objet d’histoire totale, au carrefour du matériel et du symbolique. Goldwin Smith Professeur d’histoire européenne émérite à Cornell University (New York), il est l’auteur de nombreux ouvrages de référence sur la France, dont Le Pain maudit : Retour sur la France des années oubliées, 1945-1958 (Fayard, 2008) et La France et son pain : histoire d’une passion (Albin Michel, 2010.)

Daily Bread : Raw Meat(mon Olympia)Technique mixte sur les papiers d’emballage de mon pain quotidien195 x 252 cm - 2011

Collages à vifEn ses séries récentes Lisa Salamandra s’illustre dans l’art du collage, par fragments multiples et presque répétitifs. Mais cette colle n’est pas l’essentiel de l’affaire. Si chez elle aussi « ce n’est pas la colle qui fait le collage » (dixit Max Ernst), l’important serait plutôt le coupé, le cutter, le scalpel qui taille et retaille dans une viande fraiche, dans la chambre arrière d’un Landru, avant qu’un feu exterminateur (ou purificateur ?) n’emporte cette image dans le foyer brûlant de votre regard même. L’artiste entre ainsi dans une autre problématique du collage qui n’est pas l’adjonction d’un autre espace, mais la blessure même par quoi le collage transforme un corps propre en fragments. Ici commencerait la cruauté. Cruauté d’autant plus évidente que c’est la femme qui est découpée en cent morceaux, dans une perspective à la Bataille. Femme cutterisée, marquée et remarquée par ses blessures mêmes, là où l’outil a fusé dans une découpe franche, sans bordures et sans appel. Ce corps tailladé, lardé de coups, apparaît dans d’affreuses mutilations, comme si une querelle obscure avait écorchée la femme vive et lui avait fait la peau. Car c’est toujours de femmes dont il s’agit chez Lisa Salamandra : il y a du crime sexuel dans cet art du nu, un crime dont elle fait et refait sans cesse le procès, essayant de reconstituer le corps de la victime. Dans nos sociétés occidentales, où domine la séduction pour le regard, le corps du délit, fantasmé, disparaît. Or pour Lisa le corps du crime ne disparaît jamais, mais il s’affiche de façon processuelle et inénarrable dans de significatives occurrences, qui vont de l’histoire de la peinture, avec L’Olympia de Manet et L’Origine du Monde de Courbet revus dans ces collages carnés, à la sociologie urbaine, comme dans sa récente série des Pin-ups où elle affiche le corps offert de la femme de cent façons.La chair à vif, voilà ce qui est le montré immontrable. La femme est suppliciée, de façon intransitive, sans raison, sans intention, sans idéologie (pas même celle qui susciterait une «libération des femmes»). C’est en cela que cette expérience est violente et extrême. On peut écorcher pour faire de l’anatomie : le corps est alors sauvé dans sa monstration même qui le découpe savamment en organes. Chez Lisa pas de regard

chirurgical et pur, pas d’organes, mais des coupures, des lésions, des incisions, des excisions, des sévices, des morceaux de chair qui viennent d’un corps autre, d’une altérité animale, consommable et dont le visuel cherche à se satisfaire, à se rassasier jusqu’à plus faim, jusqu’à plus voir. C’est un corps sacrificiel qui est montré. Où est le sacrifice ? Dans cette beauté violentée par les ciseaux, dans un travail qui la mutile de son temps d’existant même, perdue dans sa beauté de n’être que plaies vives ? Ou ne serait-ce pas dans le désir de s’afficher par la douleur, et de la surmonter, avec volupté même, en une pose presque extatique, telle que Georges Bataille la voit dans Les Larmes d’Éros, sous la forme du supplicié chinois ?

La femme et le cannibaleL’homme est redevenu en la femme « espèce carnassière et maligne » (dit Sartre de l’humain). Peut-être le travail initié par Lisa Salamandra se situe-t-il dans une longue réflexion sur le corps, le body art, l’art corporel, l’actionnisme viennois, cet envers de corps dans son impossible représentation, sinon à ouvrir la carapace, découper, blesser, puis son absorption, sa digestion lente et comme retenue, de façon obscène. Insoutenable cruauté sur l’être, le travail de Lisa Salamandra c’est de la mise en scène arrêtée, sans la performance, qui est l’enjeu de ce fantasme. Car elle peint l’état d’un corps harmonieux — et des plus harmonieux : Vénus et demi-mondaines — pourtant destiné à être mangé. Le féminin n’est-il pas que cela : objet de fantasme, dont elle nous renvoie l’envers du décor : le découpage, tel que sur le billot ?Dans les séries de collages Daily Bread Raw Meat, dans ses Pin-ups, il n’y a pas de discours émancipateur, plutôt la monstration d’un crime multiple, maintes fois réitéré dans un immuable découpage qui signe le meurtre en série. Le couteau coupe et recoupe incessamment la peau pour nous offrir une chair ouverte, tranchant le muscle par le travers. Nous sommes transportés sur le fil du rasoir du crime. La viande crue transforme le regard, notre regard, en appétit de fauve aux crocs acérés. Le corps dans son entier est broyé sous une dent dure qui renvoie les hommes à leurs crimes. Le crime n’est

LISA SALAMANDRA, LA FEMME CENT MORCEAUX

Michel Sicard

Daily Bread : Raw Meat(Nathalie 2, détail)Technique mixte sur les papiers d’emballage de mon pain quotidien130 x 85 cm - 2012

pas que la femme soit nue, c’est que l’oeil masculin se repaisse d’une chair à vif, tendre et fraiche, fraichement coupée. Il y a un rêve autour de la tendreur du corps, de sa passivité de chair offerte et misérable, tel qu’il se donne dans le masochisme, ou dans l’holocauste. Mais son mythe, à Lisa Salamandra, ce n’est pas celui du sang versé, mais celui du sang retenu dans la viande crue, désossée, de ce sang empêché à circuler, à sourdre, et dont la contention même doit faire corps.Bien que la chair exposée dans ses silhouettes humaines soit de la viande animale, en voyant ses tableaux, on pense au cannibalisme. Le cannibale se repaît de chair humaine. Ici c’est le corps humain qui est fait de chair animale. Le cannibalisme vient du regard et de l’oeil, non de la digestion. C’est dans cette opération que réside l’horreur : toute femme ainsi sacrificiée est rendue à une chair animale en tant qu’elle est vue animal-autre. A moins qu’un désir fou ne nous anime, à croquer à même la chair comme une pomme d’amour, pour nous repaître du corps de l’Aimée.

Éloge du cruLe travail de l’artiste, à la Arcimboldo, c’est de nous en donner trop, de cette chair fragile, mais pas par emphase, ou par trop plein d’imaginaire, plutôt par saturation du matériau. Le cru sous forme de chair morte, de viande froide, nous submerge. Il dénote un crime antérieur. Pourtant loin d’être odieux, ce crime est délicieux. Cette femme, cette Olympia de Manet revisitée, nous la mangeons des yeux. C’est une communion, et cette communion est mystique. Ou orgiaque, c’est selon. Quelque chose en nous communie, dans le fantasme du corps dévoré, et nous rattache aux puissances des forces naturelles, sexuelles, dont nous nous nourrissons. A quel moment le cru est-il désirable ? Le thème de l’érotique et du fétiche apparaissent nommément dans l’œuvre de Salamandra, même dans ses huiles : Fuck me (over), titre-t-elle une de ses toiles, et dans ses collages des Pin-ups... Le corps lardé, saucissonné, comme dans un art du corset, prêt à rôtir dans l’enfer du désir, est un dévoilement de cette érotique de la chair dévorable, la femme étant mastiquée par les regards masculins. Chez elle, l’érotique se mêle à l’eat art : les tranches de jambon cru, de viandes des Grisons, des multiples charcutailles, les steaks ou les côtes de bœuf, les échines de porc affichent un corps entremêlé, entrelardé, entre le blanc et le rouge, le lait et le sang, la pureté et l’horreur. Y a-t-il une érotique du cru ? Et en quoi recoupe-t-elle les principales hantises de l’amour dévorant, tel qu’il

transparaît dans L’empire des sens, de Nagisa Oshima. Titre en japonais : 愛のコリーダ Ai no Korīda, littéralement Corrida de l’amour. C’est l’histoire d’un amour ensanglanté que relatent les épisodes de cette saga d’images chez Lisa. Or, la corrida est le simulacre même du corps visuel offert que la muleta enveloppe savamment, jusqu’à masquer le coup final, la mise à mort où le leurre se résorbe en un point d’épée qui frappe comme la foudre. Dans le travail de Lisa, les estoccades sont étalées dans des épisodes multiples : elle déstratifie la corrida de l’amour, montre ce qu’il peut y avoir de saignant dans cette découpe du corps de la femme en zone érogènes et vibratoires. Car tout palpite dans ces corps de chair tranchée, tout frémit dans le désir même et sa coupure d’avec l’autre, le Grand Autre.

Corps signeDans ses autoportraits, et notamment celui où Lisa Salamandra se présente d’après l’Autoportrait à la fourrure de Dürer, on voit bien comment la posture devient signe de victimisation mais aussi d’offrande à la salvation, comme si la femme devenait messie tout en étant bouc-émissaire. Ainsi ce corps est-il, par le supplice, à la fois victime et sublimité, femme-fille et Jésus réunis.Mais en faisant allusion à la boucherie pour peindre la femme, l’artiste évoque ce processus de massification de la mort programmée et exhibée, tels que les camps d’extermination et l’holocauste l’ont révélée. La mort, voire même la mort figée en image, n’est pas une mort personnelle mais une mort qui tient le matériau-corps (le cadavre) pour une marchandise. La mort n’est pas un destin individuel, mais la duplication de la chair toujours déjà cadavre. En ce sens les images de Lisa font frémir, non de la cruauté du dépeçage, mais de la collectivisation du crime et de l’horreur conçus comme appareil d’un système d’état libéral envahissant et dévoreur.Ce rituel de mise à mort collective débouche sur l’érotique de l’orgie. En ne donnant des Pin-ups que des silhouettes bourrées de viandes diverses, le corps rejoint cette perte dans un « ensemble confus » que notait Bataille dans L’Érotisme. Ce mouvement interne des chairs dans le corps de la femme interdit la polarisation en leur corps d’un objet érotique, d’excitants érotiques localisés et personnalisés. Et même, en un certain sens, le traitement que Lisa Salamandra fait subir à la chair gomme la nudité. Ainsi ce corps érotique global a-t-il une valeur de refus des limites et de retour à une érotique orgiaque

Daily Bread : Raw Meat(Nathalie 1, détail)Technique mixte sur les papiers d’emballage de mon pain quotidien141 x 110 cm - 2012

païenne? Oui, car tout s’y joue dans un charivari de morceaux de corps et de positions chaotiques ; et c’est ce melting-pot qui devient un nouveau corps érotique parcouru d’affects très divers. Viandes blanches et viandes rouges alternent dans les nus de Lisa Salamandra. A moins que le rose ne vienne en entre-deux. Couleurs emblématiques, couleurs-signes, un peu comme chez Buren... Le blanc apporte un accent de souffle car il connote le gras de la gourmandise, le lait de la jeunesse, ou le coup d’aile ivre de la volaille, tout ce qui voudrait vivre encore, gambader ou s’envoler... Mais c’est surtout le rouge qui domine, via les rosbeefs et tournedos, dans cet empire du mal expirant, expiant. Le rouge est la couleur du feu vital, si présent dans le travail le Lisa, qui ne fait que développer son nom emblématique, Salamandra, de la salamandre qui vit du feu et le traverse... La salamandre, la mère de sel, qui met cette viande fraiche dans la saumure de nos yeux, non pour la consommer, mais pour la ressusciter par après que les enfants aient été tués par le boucher, selon la légende de Saint Nicolas, pourrait être l’emblème de cette plastique igno-érotique, qui transforme le feu mauvais en bon feu, fissure le désir pervers et campe une image féminine éternelle qui vit et renaît en dépit de ce brasier insane qui parcellise les pulsions et aboute les plages érogènes, et cela presque fractalement, tant la chair appelle la chair. De là cette énergétique infinie du corps, en dépit de ses multiples coupures, qui vient d’un sang qui ne sourd pas et d’une fragmentation qui se répercute à l’infini, d’où émerge un nouveau corps de gloire. Certes ce corps-aliment est une nourriture commerciale, puisée à même la publicité. En lui le désir jaillit, fantasmé, sous la forme de l’intime. Le dévoilement de l’intime est ce qui est au centre des pièces de Salamandra. L’intime est l’offrande du champ secret de la nudité la plus nue au

voyeur-violeur. Et le nom propre est là souvent, caché derrière des poses historiques, que l’artiste se figure elle-même, ou portraiture Nathalie. Mais ce champ déjà labouré se refuse quand même à l’intime, puisqu’il s’affiche comme chair-autre. L’intime se fétichise. En fait, ce fétiche n’en est plus un, est l’envers même de la fétichisation, l’avènement de la muqueuse étirée gagnant du terrain sur l’image, où il faudra vivre ainsi, à vif, à même la chair sans peau, dans une sorte d’excision/circoncision et de circonfession (Derrida) généralisée. Dans ces viandes offertes, si l’on ne veut atteindre au désastre de la charogne, ce désir doit être asséché. Cet assèchement seul permettra le regard sur l’intégrité du corps miraculeusement conservé dans cette offrande lyrique. Octavio Paz avait entrevu cela, dans son long poème Salamandra, ce regard purifié par le feu même qui parcourt le corps animal et le consumme :

Salamandre épi fille de feu esprit du feu condensation du sang sublimation du sang évaporation du sang

Puisse cette érotique là, subtile, où les morceaux de corps finissent par ne plus être vulgairement tranchés mais seulement isolés, et le corps déconstruit selon ses propres intervalles, tel par ce virtuose boucher de Tchouang-Tseu, interrompre l’état permanent de guerre entre les sexes et entre les nations, qui souille nos villes, nos marchés et nos places, pour nous ouvrir la voie d’une autre destinée.

Michel Sicard est écrivain et artiste. Philosophe à l’origine, il rencontre Sartre, Michel Butor, Barthes et Lyotard, sur lesquels il publie ses premiers essais littéraires parus dans Critique, Les Cahiers du Chemin ou la NRF et la revue Obliques. Puis des essais et monographies de critique d’art verront le jour autour de Masurovsky, Dotremont, Alechinsky, Albert Ayme... Ses textes de poésie sont publiés en recueil aux éditions Galilée. Spécialiste des rapports entre art et langage, il collabore sous forme de livres d’artiste ou de tableaux-poèmes avec Alechinsky, Butor, Arrabal, Jean Cortot, Jude Stéfan.... Il donne de nombreuses conférences sur l’art entre les cultures à travers le monde. Il est Docteur honoris causa de l’Université de Harbin en Chine et Professeur à l’Université de Paris 1 – Panthéon-Sorbonne depuis 1998.

Je remercie l’association Shakers, Michel Dubecq son président et les artistes résidents.

Un grand merci pour son soutien et son aide précieuse aux écrivains, Steven L. Kaplan, Michel Sicard, et Gérald Stehr ; au photographe, Philippe Fuzeau ; et au graphiste, Laurent Debord.

Aux partenaires institutionnels et aux entreprises pour leur soutien :

le Conseil Général de l’Allier,le Ministère des Affaires Culturelles DRAC Auvergne,le Conseil Régional d’Auvergne,la Communauté d’Agglomération de Montluçon,la société SICABA - ADET à Bourbon l’Archambault,la commune d’Ainay-le-Château,la Chambre des Métiers et de l’Artisanat d’Ille et Vilaine.

Corporate Brokers, LLC et en particulier Shane Ireland et Quinn Salamandra ; l’Institut Franco-Américain et sa présidente, Lilian Kerjan et son équipe,Intermarché d’Ainay-le-Château et en particulier monsieur et madame Fleaux.

À mon mari, Thibaud Thiercelin, à nos fils, Valentin et Elias, et à ma famille des deux côtés de l’Atlantique.

Artiste peintre professionnelle, Lisa Salamandra expose régulièrement aux États-Unis et en Europe depuis 1989. Elle est diplômée d’un B.F.A. du Maryland Institute, College of Art (USA, 1989) et d’un Master II Recherche en Arts plastiques de l’Université Paris I – Panthéon-Sorbonne (2011) ; et elle mène actuellement ses études doctorales sur la série « Raw Meat » à la Sorbonne sous la direction du Professeur Michel Sicard. Un premier livre d’artiste, Daily Bread (mon pain quotidien), consacré à une de ses séries, est sorti en 2009 (L’àpart éditions). Elle est membre de Shakers et cofondateur du Groupe 144. On trouve ses œuvres dans des collections privées, publiques, et d’entreprises.

Née aux États-Unis, Lisa Salamandra vit et travaille en France depuis longtemps. D’abord à Paris, elle vit depuis quinze ans dans le village d’Ainay-le-Château dans l’Allier avec son mari, lui aussi peintre, et leurs deux enfants. C’est là que les séries « Daily Bread » et son « Raw Meat » sont nées et continuent d’être créées aujourd’hui.

Michel DubecqPrésident de la résidence Shakers

Une rencontre lors de son vernissage à la Pléiade de Commentry, m’a permis de découvrir Lisa SALAMANDRA, artiste peintre née aux États Unis dans le New Jersey et installée avec Thibaud THIERCELIN dans l’Allier à Ainay le Château.Très vite commence une amitié et un besoin de découvrir son travail, de cette nouvelle rencontre va naitre son envie d’adhérer à Shakers. Comme pour beaucoup d’autres artistes c’est un lien qui permet de se faire connaitre des différents publics.C’est à cette période que je découvre le travail de Lisa SALAMANDRA en parcourant son atelier. De suite nait un intérêt pour son œuvre, et pour celui qu’elle porte à l’utilisation du papier d’emballage du boulanger. Une exposition est en cours, ainsi que la sortie de son catalogue « Daily Bread » mon pain quotidien.Sa rencontre avec la famille Poilâne le célèbre boulanger parisien va forger son désir de créer des œuvres de grands maîtres qui appartiennent à l’histoire de la peinture présente dans les plus grands musées.Osé ? Non ! Son travail se poursuivra dans un univers encore plus difficile, son projet est l’utilisation comme médium des publicités et publications carnées qui souvent encombrent nos boîtes aux lettres. Influencée par l’œuvre de Gustave Courbet, elle s’inspire de l’Origine du Monde, comme l’a précédemment fait Paul Rebeyrolle, en allant plus loin dans la provocation picturale et offrant un corps écorché où le derme a disparu, laissant place à la chair vive, cela rappelle les planches d’anatomie.

L’Olympia de Manet, qui déjà lors de sa présentation en 1863 au Salon, a suscité un grand scandale. Alors qu’elle devait être présentée au Salon des Refusés de la même année, l’œuvre ne sera finalement dévoilée par le peintre que deux ans plus tard, Lisa nous présente une Olympia en grand format.Aujourd’hui notre société de consommation s’intéresse plus à la surconsommation, par les nombreuses publications inondant nos boîtes aux lettres n’offrant pas toujours un caractère artistique.Lisa s’approprie ces publications pour en faire son médium favori, la viande crue, les produits carnés de notre quotidien, peuvent parfois nous agresser comme pourront le faire les « PIN-UPS » écorchées comme elles ont pu offrir du bonheur aux hommes durant les périodes difficiles du siècle dernier.Son œuvre prend toute sa place dans la contemporanéité artistique et dans les questions que nous pouvons être à même de nous poser, le spectateur que nous sommes ne peut pas rester insensible devant ces images.

Crédit photographies : Philippe Fuzeau - Conception graphique :

AINAY-LE-CHÂTEAU

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MontluçonCOMMUNAUTÉ D'AGGLOMÉRATION