culture et pratiques de santé

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La psychologie de la santé a connu, depuis les années 1980, un fort dévelop- pement en Europe, faisant écho à l’ex- pansion et l’institutionnalisation de cette discipline aux États-Unis, dix ans plus tôt. Dans ce mouvement, et malgré l’émer- gence de quelques réflexions critiques, les perspectives européennes se sont peu distancées des modèles anglo-saxons centrés sur l’exploration des facteurs et processus individuels ayant une incidence sur les comportements. De ce fait, la psychologie de la santé a curieusement été aveugle au jeu des dimensions collec- tives qui interviennent dans la gestion, individuelle et publique, de la santé et de la maladie. Parmi ces dimensions, la prise en compte de la culture est pratiquement inexistante. Or, elle était au centre des premiers travaux qui ont porté sur le binôme santé/maladie, et se trouve au cœur des contributions décisives que l’anthropologie, l’histoire et la sociologie apportent aujourd’hui à la compréhension des problèmes liés à la prévention, protection et promotion de la santé. En tant que psychosociologue s’inscrivant dans un courant de pensée particulier, celui des représentations sociales où la culture est tenue pour jouer un rôle essen- tiel, il me paraît important de réfléchir sur la place que l’on peut et doit accorder à la culture dans le champ de cette nouvelle discipline. La nécessité d’introduire aujourd’hui le thème de la culture dans notre réflexion tient à trois ordres de raison qui renvoient : à l’histoire des approches du binôme santé/maladie dans les sciences humaines ; à l’ouverture de la psycholo- gie vers la culture ; au développement d’une perspective multidimensionnelle Denise Jodelet, directeur d’études (retraitée) École des Hautes Études en Sciences Sociales (Laboratoire de psychologie sociale, Institut interdisciplinaire d’Anthropologie du contemporain). E-mail : [email protected] et [email protected]. Culture et pratiques de santé Denise JODELET Études

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La psychologie de la santé a connu,depuis les années 1980, un fort dévelop-pement en Europe, faisant écho à l’ex-pansion et l’institutionnalisation de cettediscipline aux États-Unis, dix ans plus tôt.Dans ce mouvement, et malgré l’émer-gence de quelques réflexions critiques,les perspectives européennes se sont peudistancées des modèles anglo-saxonscentrés sur l’exploration des facteurs etprocessus individuels ayant une incidencesur les comportements. De ce fait, lapsychologie de la santé a curieusementété aveugle au jeu des dimensions collec-tives qui interviennent dans la gestion,individuelle et publique, de la santé et dela maladie. Parmi ces dimensions, la priseen compte de la culture est pratiquementinexistante. Or, elle était au centre despremiers travaux qui ont porté sur lebinôme santé/maladie, et se trouve au

cœur des contributions décisives quel’anthropologie, l’histoire et la sociologieapportent aujourd’hui à la compréhensiondes problèmes liés à la prévention,protection et promotion de la santé. Entant que psychosociologue s’inscrivantdans un courant de pensée particulier,celui des représentations sociales où laculture est tenue pour jouer un rôle essen-tiel, il me paraît important de réfléchir surla place que l’on peut et doit accorder à laculture dans le champ de cette nouvellediscipline.

La nécessité d’introduire aujourd’huile thème de la culture dans notreréflexion tient à trois ordres de raison quirenvoient : à l’histoire des approches dubinôme santé/maladie dans les scienceshumaines ; à l’ouverture de la psycholo-gie vers la culture ; au développementd’une perspective multidimensionnelle

Denise Jodelet, directeur d’études (retraitée) École des Hautes Études enSciences Sociales (Laboratoire de psychologie sociale, Institut interdisciplinaired’Anthropologie du contemporain). E-mail : [email protected] et [email protected].

Culture et pratiques de santé

Denise JODELET

ÉÉttuuddeess

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pour traiter des pratiques de santé. Aprèsavoir examiné ces raisons, je me proposede dessiner, en m’appuyant sur quelquescontributions empiriques et théoriques,les lignes d’une approche visant à intégrerla dimension culturelle dans la psycholo-gie de la santé.

RAISONS HISTORIQUES DE LA PRISEEN COMPTE DE LA CULTURE

Avant que la psychologie de la santéne s’établisse en champ disciplinaire auto-nome, le domaine d’étude des phéno-mènes rattachés à la santé et la maladie(pratiques, systèmes de savoirs et decroyances, institutions et agents théra-peutiques, relation patient/soignant, etc.)a été largement balisé par la sociologie etl’anthropologie 1. Ces disciplines pion-nières n’ont pas manqué d’intégrer dansleur approche un regard sur l’individu, enle situant dans l’horizon de ses inscrip-tions sociales et culturelles ou dans lecadre de ses rapports avec les institutionset les professionnels de la médecine. Iln’est qu’à rappeler le texte de M. Mauss(1926) sur « l’effet physique chez l’indi-vidu de l’idée de mort suggérée par lacollectivité », et l’ouverture de la sociolo-gie médicale, en 1948, avec la contribu-tion de T. Parsons centrée sur les rôlessociaux du médecin et du patient. Cesdisciplines ont même parfois considéré lesreprésentations et pratiques relatives à lasanté comme l’un des matériaux privilé-giés pour l’investigation des systèmesculturels et sociaux et de leur articulationavec le niveau individuel. Ainsi, en socio-

logie, pour divers auteurs (entre autresH. Becker, E. Freidson, E. Goffman,R. Merton, A. Strauss), l’étude despratiques et attitudes des acteurs au seindes systèmes liés à la santé « est appa-rue féconde pour la compréhension deproblèmes et de processus sociaux plusgénéraux » (Adam et Herzlich, 2002). Enanthropologie, comme il ressort de l’ana-lyse de M. Augé (1984) dans Le sens dumal, la portée de ce domaine d’étudetient à ce que les « modèles intellectuelsd’interprétation » de la maladie et de lathérapie et les institutions qui les sous-tendent et les expriment, ont à voir avecles structurations sociales et politiques, etpeuvent y donner accès. Cette réciprocitéde perspectives, pour aborder le rapport àla santé, ne se retrouve malheureusementpas en psychologie de la santé qui traiteles dimensions collectives comme desvariables externes intervenant parmi lesantécédents ou modérateurs des straté-gies adoptées par les individus pour assu-rer ou restaurer leur santé, affronter leursmaladies. Et l’on peut craindre que l’igno-rance des perspectives ouvertes par l’an-thropologie, l’histoire ou la sociologie,dans la formulation de ses probléma-tiques, ne vienne renforcer les clivagesdisciplinaires si dommageables pour l’ap-proche des phénomènes relevant dubinôme santé/maladie.

Par ailleurs, les recherches ensciences sociales ont souvent servi, enraison de leur posture critique, d’inspira-tion dans l’effort pour signaler et dépas-ser les limites d’une approche purementbiomédicale, ou les insuffisances des

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1. Malgré l’importance de la contribution apportée au champ de la santé par lesétudes historiques, l’espace imparti à cet article ne permet pas de les prendre enconsidération. La diversité et la spécificité des articulations entre les niveaux indi-viduels et culturels examinées dans ces études appelleraient un développementspécifique qui ne peut être abordé ici.

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institutions inspirées par le modèle tech-nico-scientifique de la médecine. Or, cesont précisément les attentes nées deschangements introduits dans le systèmede santé par le déclin du modèle biomédi-cal dominant, les dysfonctionnements dusystème médical lui-même et les insatis-factions des usagers devant les inégalitésd’accès dues, entre autres, à un fonc-tionnement à plusieurs vitesses sociales,qui ont rendu nécessaire le recours auxapports d’une psychologie de la santé.Même si, comme le rappelle M. Santiago-Delefosse (2002, 9), celle-ci est venueégalement répondre, en tout cas auxÉtats-Unis, aux demandes d’« améliora-tion du système de soins » dans unelogique obéissant à « un modèle écono-mique de prise en charge » spécifique, quia eu une influence sur l’orientation de larecherche vers des études quantitativeset dans l’adhésion à la définition médicalede la santé. Notons cependant que leproblème de la dépendance par rapportaux demandes des politiques sanitairesn’est pas propre à la psychologie. Lessciences sociales sont aussi confrontéesà l’incidence, sur le plan épistémologiqueet méthodologique, des conditions de larecherche appliquée (Fassin, 1994).

Toujours d’un point de vue histo-rique, la place de la psychologie de lasanté peut être également rapportée àl’évolution de la définition de la santédans laquelle l’OMS a joué un rôle certain.C’est au Congrès d’Alma Mata en 1978que la définition de la santé comme« absence de maladie et d’invalidité » aété remplacée par celle « d’état de bien-être complet, physique, mental et

social », enregistrant la contribution de lapsychologie de la santé. Plus tard, l’appelà la prise en compte de la culture dans lechamp de la santé s’est formellementexprimé lorsque l’OMS, dans son congrèsd’Ottawa, en 1986, a défini une nouvelleorientation au système de santé : lapromotion de la santé, qui ajoutait àl’offre des services cliniques et curatifs, laprise en compte et le respect des besoinsculturels. L’objectif fixé était alors derépondre aux demandes individuelles,sociales et groupales pour une vie plussaine et l’établissement d’échanges entrele secteur de la santé, et des aspects plusamples liés aux secteurs sociaux, poli-tiques, économiques et à l’environnementphysique 2. La psychologie de la santéavait devancé l’OMS en 1978, elle nesemble pas vraiment l’avoir suivi après1986, sauf dans un secteur de la psycho-logie sociale, celui des représentationssociales, étroitement associées à laculture (Jodelet, 2002).

REPRÉSENTATIONS SOCIALES ET SANTÉ

En effet, le champ d’étude des repré-sentations sociales offre la double particu-larité d’être particulièrement en prise avecle thème de la santé et la perspectiveculturelle. J’ai déjà montré (Jodelet, 2000)la nature à la fois historique et logique dulien existant entre le champ de la santé etles représentations sociales. Lien histo-rique puisque la théorie a été formuléeautour d’un thème qui a relation avec lasanté mentale, avec l’ouvrage deS. Moscovici, La psychanalyse, son imageet son public (1961/1976), et puisque le

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2. Rappelons que l’OMS avait pris en compte l’aspect culturel de la santé dès1977, en reconnaissant l’importance d’une intégration des médecines tradition-nelles dans les systèmes de santé. « La promotion et le développement de lamédecine traditionnelle », Série des rapports techniques, 622, Genève.

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premier des travaux qui mirent en œuvrecette approche porta sur la santé et lamaladie, avec l’ouvrage de C. Herzlich(1969), suivi par une importante cohortede recherches menées en Europe sur lecorps et la santé (voir entre autres Farr etMarkova, 1994 ; Flick, 1992 ; Jodelet,1984, 1989 ; Petrillo, 2000). Lien logique,dans la mesure où les représentationsreçoivent dans les sciences sociales unrôle prééminent dans le traitement socialou culturel des questions relatives à la viecorporelle, et dans la mesure où la mala-die, signifiant social, fait objet de discoursqui, variant en fonction de l’histoire etselon les insertions sociales et groupalesdes acteurs, donne sens et orientationsaux pratiques privées et institutionnelles.Comme le rappelle J. Pierret (1984), lessystèmes d’interprétation de la santé quiorganisent les pratiques sociales etsymboliques renvoient non seulement à lamaladie et à la médecine, mais aussi autravail, à l’éducation, la famille, et permet-tent de dégager des logiques de vie ou, dumoins, des sens donnés à la vie.

Illustrons ces propositions par unexemple soulignant l’importance du cultu-rel. Lors d’un séjour au Mexique, j’ai faitun petit test sur les représentations de lasanté, auprès d’un groupe de 80 per-sonnes faisant une formation permanenteà l’université de Guadalajara et apparte-nant à diverses professions et disciplines.M’appuyant sur les indications fourniessur les opinions et croyances de senscommun par M. Morin dans son ouvrageParcours de santé (2004), j’ai proposé àce public de donner des associationsverbales au mot « santé » et de répondreà deux questions sur les signes manifes-tant un état de santé et observés sur soi-même et une personne proche. Cesquestions avaient été posées lors d’uneenquête menée en Angleterre par

M. Blaxter (1990). Le traitement desréponses a utilisé les catégories dégagéesaussi bien par C. Herzlich (op. cit.),J. Pierret (op. cit.) que M. Blaxter (op. cit).On retrouve effectivement la santé définiecomme chez ces auteures : « non-mala-die » et « produit d’une vie saine » (10 %des réponses), « valeur de référence, éner-gie, vitalité » (11 %), « bien-être, équi-libre » (18 %), « fonction, capacité defaire des choses » (22 %). En revanche, lasanté « capital ou réservoir » est pratique-ment absente (1 %), et la « santé-institu-tion » inexistante. Or, ces deux catégoriesoccupent une place importante dans lesréponses européennes ; ce qui laissepenser que le rapport individu-société dontles sens du binôme santé/maladie sont,pour les auteures citées, une expressionmétaphorique, n’est pas conçu de lamême manière chez les sujets européenset mexicains. Certes, ces indications depourcentages ne veulent pas dire grand-chose, les échantillons et les quantifica-tions n’étant pas comparables. Elles meservent seulement à repérer des simili-tudes et des différences, et surtout à illus-trer une spécificité frappante des réponsesmexicaines : le quart d’entre elles portentsur les dimensions relationnelles (notam-ment avec la famille et les amis), lesdimensions affectives, émotionnelles etmentales, de la santé. Ces aspects sonttotalement absents des données euro-péennes. Il s’agit bien là d’un indicateur desanté décisif qui renvoie à l’importance dela participation sociale dans le milieuproche et communautaire, largementsouligné, à propos de la culture mexicaine,rangée parmi les cultures « collecti-vistes », pour reprendre une catégorie dela psychologie interculturelle.

On objectera que parmi les premiersrésultats saillants des recherches enépidémiologie et en psychologie de la

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santé, figurent ceux qui ont mis enévidence l’importance du support socialen matière de défense contre la maladie.Bien sûr, mais cela ne vaut pas pour cequi est d’une définition positive de lasanté, prise en tant que telle. Et l’on peutse demander si cette absence correspondà une zone vide de la sensibilité dans descultures dites « individualistes », ou à unezone déniée ou occultée du fait soit de laprévalence des savoirs savants qui objec-tivent le corps, soit de la prééminence desnormes de productivité et de performancesociale propres aux sociétés postmo-dernes.

ÉVOLUTION DE LA PSYCHOLOGIEVERS LA CULTURE

La référence à la culture, quand ontouche au champ de la santé, sembledevoir s’imposer aussi comme la résul-tante des tendances nouvelles qui sedessinent en psychologie. D’une part, lesrécents travaux en psychosociologie de lasanté (Fisher, 2002 ; Morin, 2004 ;Petrillo, 2000) ont souligné les risquesd’individualisation de l’approche desproblèmes abordés en psychologie de lasanté. Mais une resocialisation de l’ana-lyse du rapport à la maladie et à la santéne peut se contenter des propositionsd’une sociologie qui insisterait sur la seuledétermination par les positionnementsdans une hiérarchie sociale. Un exempleen a été donné par l’échec des enquêtesmenées sur l’allaitement maternel qui, ense centrant sur les déterminants sociolo-giques, se sont révélées incapables derendre compte ni de la physionomie decette pratique, ni du décalage existantentre ce que désirent les femmes et cequ’elles font (Jodelet 1987, Jodelet etOhana, 2000). Il est très tôt apparunécessaire de prendre en compte, à côté

du vécu psychologique de la pratique denourrissage, les connaissances, modèlesculturels régissant aussi bien la relationmère/enfant, les normes d’éducation quele statut de la femme et l’évolution desrapports de genre au sein de la famille.Conception plus ample qui inclut laculture et ses changements dans lemonde contemporain.

D’autre part, on constate l’émer-gence depuis une vingtaine d’années d’unfort courant de pensée centré sur lapsychologie culturelle. La dimensionculturelle y est abordée de diversesmanières. Soit, comme le développeBruner (1991), la psychologie devientl’étude des significations portées par l’ac-tion humaine dont l’intentionnalité estsous-tendue par les systèmes culturelsd’interprétation ; soit elle est conçuecomme l’étude des psychologies naïvespropres à différents peuples se rappro-chant en cela des psychologies indigènes(Heelas et Lock, 1981 ; Kim et Berry,1993) ; soit comme l’étude du marquageculturel des processus cognitifs, serapprochant en cela de la psychologieinterculturelle aussi bien que des travauxmenés en « anthropologie cognitive ». Sedessine ainsi un nouveau rapprochemententre psychologie et anthropologie dontpour certains auteurs (Bastide, 1965 ;Kluckhohn, 1965, ou plus récemmentJahoda, 1989 ; Camilleri et Vinsonneau,1996), les affinités ont été plusmarquées, au début du XXe siècle, quecelles existant entre anthropologie etsciences sociales. On attribue le relâche-ment de ces liens, depuis la SecondeGuerre mondiale et la fin des colonisa-tions, à la diversification des courants depensée en anthropologie et à la multipli-cation des spécialisations en psychologie.

Le regain d’intérêt pour la relationentre psychologie et culture correspond à

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l’apparition de nouvelles sous-disciplinesen anthropologie (ethnosciences, anthro-pologie médicale, cognitive, etc.) ainsiqu’à l’attention portée aux processuscognitifs, au niveau individuel, et au rôlede la culture dans l’organisation de laconnaissance (Holland et Quinn, 1987),particulièrement sensible dans lesrecherches interculturelles et l’étudecomparative du développement et dufonctionnement cognitif. Un nouveauterritoire d’anthropologie de la pensée(Shweder, 1977) s’ouvre ainsi à lapsychologie et aux études de représenta-tion. Il va de soi que ce mouvement deconvergence ne pourra qu’être bénéfiqueà l’enrichissement de la psychologie de lasanté où il trouve déjà un terrain d’explo-ration profus.

DÉVELOPPEMENT D’UNE PERSPECTIVEMULTIDIMENSIONNELLE

Un troisième ordre de considérationsvenant à l’appui de la réintégration de laculture dans les recherches sur la santéest argumenté, de l’intérieur même de cechamp, au nom de la complexité desphénomènes étudiés. Malgré la tentatived’élaborer des « modèles explicatifs à lafois multifactoriels et interactionnistes »(Bruchon-Schweitzer, 1992, 20), il appa-raît, aux yeux de certains, que demeurentde fortes tendances au réductionnisme.Santiago-Delefosse (2002, 38) résume lemalaise qui se fait jour chez les tenantsdu courant classique au vu de travauxcentrés sur un individu solipsiste, n’arti-culant pas les variables environnemen-tales, et de l’absence d’équilibre entre lecourant biopsychosocial et les courantssocioculturels et cliniques. C’est dans lemême sens que vont les critiques passanten revue les contributions des scienceshumaines (Bury, 1991 ; Good, 1994).

Examinant les recherches menées dans lechamp de la santé, ces auteurs enregis-trent le succès d’un dépassement de laréduction biologique liée à un modèleuniquement biomédical. Néanmoins, ilspointent les risques que comportent desapproches restant unidimensionnelles ence qu’elles ne mettent l’accent que sur unseul aspect des questions touchant à lasanté et la maladie. Par exemple, elles sefocaliseront uniquement sur les consé-quences sociales de la maladie (isolementsocial, stigmatisation, perte des rôlessociaux) ; ou sur les seuls aspects sémio-tiques liés aux répertoires, codes et caté-gories de description des états desanté/maladie ; ou encore elles opérerontune psychologisation de ces états, oun’accorderont d’importance qu’aux seulsfacteurs sociaux déclencheurs de patho-logies. Pour tous ces auteurs, seule uneapproche multidimensionnelle permettraitde rendre compte de la complexité desprocessus intervenant dans le rapport à lasanté, de la diversité de l’expérience desindividus et de leur participation auxsoins. La culture devrait être intégréedans une telle approche, mais dans desconditions qui préservent la subjectivité,donc le psychologique.

TROIS QUESTIONSPOUR L’APPROCHE DE LA CULTURE

Se pose dès lors la question desavoir comment mener cette approchemultidimensionnelle. Comment opérer laréconciliation entre perspective psycholo-gique et culturelle et, en même temps,dépasser les écueils de l’unidimensionna-lité ? Une solution serait de parcourir unpar un les différents domaines étudiés parla psychologie de la santé, fort bien résu-més dans les contributions récentes despsychologues français déjà cités, et d’y

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examiner les points d’intervention de laculture. Mais lister et analyser les champsde recherche serait ici une entreprise troplongue. Et de toute manière ce travail, quimériterait d’être fait, devrait engager uneréflexion théorique ayant comme prélimi-naire que l’on pose les cadres d’uneapproche de la culture. C’est pourquoi ilme semble plus intéressant de répondre àune série de questions, ainsi résumées :Où et comment peut intervenir quelleculture ?

La question du « où » renvoie auxdomaines explorés au sein desquels onpeut déceler une incidence différenciée dela culture. Compte tenu de l’ampleur desaspects auxquels l’approche psycholo-gique de la santé peut se rapporter,comme je viens de le rappeler, je mebornerai à examiner ici ce qui concerneles personnes impliquées dans la gestionde la santé et leurs relations, au premierrang desquelles se placent les non-profes-sionnels pour plusieurs raisons. Ils sontinscrits dans la société et porteurs deculture, et constituent le système d’ac-cueil des évolutions de la médecine et desredéfinitions de la santé et la maladie.D’autre part, comme le dit Laplantine(1986, 22) : « À côté de l’acte d’objecti-vation par le savoir médical positif, il estnon seulement “important”, “intéressant”mais scientifiquement nécessaire qu’unevéritable anthropologie de la santé setourne aussi du côté du malade qui nonseulement peut être envisagé, à son tour,mais doit l’être, comme un authentiquepôle de connaissances. »

Le « comment » concerne la façonde conceptualiser l’incidence de la cultureque l’on peut aborder soit dans une pers-pective causale de détermination desréactions, comportements et pratiques,soit dans une perspective compréhensivecomme une mise en sens des pratiques

étudiées, soit dans une perspective écolo-gique comme milieu intersubjectif ettranssubjectif de l’orientation despratiques. Ces conceptualisations sontétroitement dépendantes des concep-tions de la culture. J’y reviendrai aprèsavoir examiné le troisième volet de l’inter-rogation qui porte sur le « quelle culture ».

Ce « quelle » renvoie à la conceptionque l’on a de la culture, notion vague etpolysémique s’il en est, et à l’adéquationde cette conception avec les problèmesde santé. La différenciation desapproches que je ferai ici se base surquelques-unes des tendances repéréesdans les définitions de la culture dont onsait qu’elles sont nombreuses. Lapremière tentative d’inventaire de cesdéfinitions, faite en 1948 par Kroeber, endénombrait plus de 150, auxquelles sesont ajoutées celles de courants plusrécents, notamment en anthropologie.Mais il va de soi que, dans l’exerciced’une application rapportée au champ dela santé, bien des sens se recouvrent etse combinent.

DES USAGES DE LA NOTIONDE CULTURE

Une première série de problèmes liésau rapport à la santé et à la maladie a traitaux connaissances mises en jeu et à leurnégociation entre usagers et profession-nels. On peut les faire correspondre à unevision encyclopédique de la culture recou-vrant les savoirs et savoir-faire. Savoirstraditionnels, connaissances scientifi-ques, techniques et médicales, savoirs desens commun transmis par le milieu fami-lial, l’école, les médias, les canaux decommunication informels, mais aussiconstruits à partir de l’échange avec lesporteurs du savoir savant (experts, méde-cins, etc.) ou à partir des informations

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dispensées par les campagnes d’éduca-tion pour la santé. Les travaux portant surles savoirs profanes définissant les étatsnormaux et pathologiques et leur inci-dence, dans le sens de l’empêchement oula facilitation, sur l’assimilation dessavoirs savants ou sur l’orientation deschoix et comportements sanitaires, sonttrès nombreux et font généralement appelaux représentations comme formes deconnaissance (Durif-Bruckert, 1994). Àtitre d’exemple, rappelons la contributiondes études sur les représentations proto-typiques ou sociales de la contagion dansla compréhension des résistances à laprotection contre le sida (Bishop, 2000 ;Fabre, 1993). La prise en compte dessavoirs a aussi donné lieu à d’intéres-santes analyses sur la confrontationmédecin/malade, ou les modalités d’utili-sation concurrentielle ou complémentairedes ressources sanitaires traditionnelleset offres de services de santé publiquedans les sociétés multiculturelles ou envoie de développement.

Une seconde série de phénomènesrangés dans la culture met en jeu lesvaleurs, les normes, les modèles deconduite et de pensée d’un groupe. Deuxtraditions de pensée se dessinent ici.D’une part, une tradition sociologique quiramène la culture soit aux systèmes denormes et valeurs qui, à côté du systèmede statuts et de rôles, régule l’action(Parsons, 1964). D’autre part une tradi-tion ethnologique qui se centre sur lesfaçons de dire, de faire et de penser dontrend compte la distinction entre ethos,mode de vie (life ways) et eidos, modesde pensée (thoughtways), très largementutilisée dans l’étude des psychologiesindigènes (Trimble et Medicine, 1993).Rentreront dans ce schéma d’une part lessystèmes de croyances, d’autre part lesinculcations éducatives, les impositions

sociales incorporées qui permettent demettre en évidence, dans une lignefoucaldienne, la « gouvernementalité »appliquée aux corps dans le champ médi-cal (Fassin et Memmi, 2004).

À cheval sur cette distinction entreethos et eidos et sur l’approche dessavoirs, la culture peut être abordée,comme dans les ethnosciences, à partirdes répertoires linguistiques, codes delangage, catégories de classement, etc.Tous ces éléments constituant les« outillages mentaux », chers aux histo-riens, qui autorisent la compréhension etla maîtrise des problèmes que pose la viequotidienne. On peut en rapprocher lecourant dit « classique » en anthropolo-gie, qui ramène la culture à un phéno-mène mental, un bagage intellectuelcommun que l’on doit acquérir ou croirepour agir de manière acceptable pour lesmembres d’un même groupe social (Agar,1986). Ce qui amène à s’intéresser, enanthropologie cognitive, à la façon dontceux qui sont « juste des gensordinaires » (Just plain folks, Rogoff etLave, 1984), sujets moyens d’uneculture, acquièrent, mémorisent et appli-quent le savoir culturel dans la vie quoti-dienne et dans différents contextes.

Une autre perspective, de type inter-prétatif, se centre sur le sens que lesacteurs donnent à leurs pratiques et surles significations que revêtent pour ceuxqui y participent, les institutions, lesusages, les actions et les discours propresà un groupe localement défini. Deuxgrandes tendances se dégagent : celle quidans la ligne de Geertz (1983) prend laculture comme un texte à interpréter envue de relier les actions à leur sens plutôtque les comportements à leur détermina-tion ; celle qui, dans la ligne de Bruner(op. cit.), voit la culture comme l’en-semble des significations qui servent de

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ressource à l’individu pour interpréter lessituations où il se trouve.

Une autre vision de la culture en faitun système symbolique qui met en lien eten loi les différents ordres (cosmique,économique, politique, religieux, indivi-duel) constituant la réalité sociale. Danscette perspective, fortement représentéeen France dans le courant issu de lapensée de Lévi-Strauss, mais aussi chezun auteur durkheimien comme MaryDouglas, on postule une homologie entrel’organisation des rapports sociaux etcelle des croyances et représentations.Une place importante y est réservée auxreprésentations de ces « symboles natu-rels », pour reprendre une expression deMary Douglas (1973), que sont le corpset la maladie. Les conditions de produc-tion et d’inculcation des représentationsfournissent une vision de l’ancrage desindividus dans leur société. Deuxexemples : celui de l’ouvrage de Godelieret Panoff (1998) sur la reproduction ducorps montrant comment les sociétésproduisent des représentations de laproduction du corps humain « dans l’in-tention de fabriquer un homme et unefemme qui prennent leur place dans uncertain ordre cosmique et social » ; celuid’Augé (1984) qui propose d’approcherles constructions sociales de la maladie, àpartir d’une triple logique qui donne leurcohérence aux discours. La logique de ladifférence qui s’étaye sur une différencefondamentale, celle des sexes, reproduitedans les systèmes de classificationbinaire ; la logique de la référence qui faitplace, dans les systèmes culturels, auxrapports sociaux et de pouvoir ; la logiquedu temps, ou chronologique, référant aupositionnement des événements dansl’histoire des individus et des groupes.L’intérêt de ces perspectives est d’articu-ler les significations culturelles avec les

dimensions historiques et sociales, et derepérer les effets de cette articulationdans l’intimité de chacun. Ces approchesdéveloppées dans le cadre de sociétéstraditionnelles ont également leur perti-nence pour les sociétés contemporaines.

À propos de ces dernières, il est uneperspective particulièrement usitée quifait équivaloir la culture avec les courantsd’idées, les idéologies ou les épistémèsau sens de Foucault, spécifiques d’unétat de société et d’une période histo-rique. Les uns et les autres modèleraientles sensibilités et les pratiques desacteurs. Ainsi, un modèle comme celui deLuhmann sur « les médias de communi-cation généralisés sur le plan symbo-lique », dans ce cas l’amour (1990), a étéappliqué au champ des relations intimeset aux pratiques sexuelles et de préven-tion du sida (Apostolidis, 1994). On pour-rait aussi mentionner, au titre de cetteperspective, la contribution d’Ehrenberg(2000) à l’analyse de la dépression et del’addiction, montrant le changement soli-daire des figures de la personne et du poli-tique, la mise en place de formesd’accompagnement de la souffrancecorrespondant au déclin des dimensionsconflictuelles du social et du psycholo-gique. L’évolution historique des sociétésqui va dans le sens de la négation desconflits est mise en regard de celle de lapsychiatrie qui élimine les perspectives deconflit, introduites notamment par lapsychanalyse, au profit du bien-êtresocial. Montrant le parallèle existant entreles problèmes de la maîtrise de la naturebiologique et écologique et ceux de lamaîtrise de soi, l’auteur pointe les boule-versements de la gestion de la santémentale liés au fait que « l’action des anti-dépresseurs sur la personnalité se faitdans un contexte où aucun modèle demaladie ne peut servir de référence solide

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et où la nature elle-même n’est plus unsocle » (p. 261).

MODES D’INFLUENCE DE LA CULTURE

Ces diverses conceptions fontappel à des interprétations différentes del’influence de la culture, du « comment ».Le recours à une causalité linéaire a long-temps marqué les recherches des anthro-pologues et des sociologues ; il restetoujours actif dans le champ de lapsychologie de la santé. L’ouvrageprésentant pour la première fois, enFrance, les recherches sociologiques(Herzlich, 1970) a mis en exergue lestravaux prenant en compte la culture. Cesderniers s’attachent à l’effet de la variable« groupe ethnique » sur les réactions à lamaladie, les comportements de soins,témoignant d’un apprentissage culturelde l’identification des symptômes, de lamise en forme des réactions émotion-nelles et des pratiques médicales liées àdes systèmes de croyances spécifiques.Les études réfèrent alors à des condition-nements précoces opérés dans le groupefamilial. De tels constats ont incité àadopter de nouvelles approches psycho-logiques. Par exemple, privilégier l’étudedes psychologies indigènes entenduecomme l’étude des questions et desconcepts qui reflètent les besoins et lesréalités d’une culture particulière, enprêtant attention aux styles intellectuelsoù s’expriment la façon dont les individusdéfinissent les situations, choisissentleurs interprétations et adoptent leursméthodes d’intervention pour affronterleurs problèmes. Une autre alternativeconsiste à adopter une perspective d’eth-nopsychologie comme le préconise lepsychosociologue mexicain R. Diaz-Guerrero (1993). Il s’agit de dégager cequ’il nomme « les prémisses historico-

socioculturelles », c’est-à-dire les affirma-tions simples ou complexes, culturelle-ment significatives, adoptées par unemajorité de sujets dans une culturedonnée et qui fournissent les bases pourla logique spécifique d’un groupeethnique et orientent les manières depenser, de sentir et d’agir.

Cependant, il est apparu aux obser-vateurs que la variation des conduitespouvait être plus élevée à l’intérieur d’unmême groupe ethnique qu’entre les diffé-rents groupes, que les membres d’ungroupe ethnique pouvaient, selon lescirconstances et les cas, recourir auxressources de leur culture traditionnelleou à celles offertes par le système desanté d’inspiration biomédicale. Cesconstatations ont amené à s’interrogersur la validité d’une causalité linéaireimputée à la culture et sur la validitéd’une variable aussi globale que la« culture » ou le « groupe ethnique ».

De récents efforts ont été faits pourspécifier le jeu des significations cultu-relles dans la dynamique de l’ajustementpsychologique à des situations locales.On en trouvera un exemple dans l’étudede Gervais et Jovchelovitch (1998)menée sur les pratiques de santé de lacommunauté chinoise en Angleterre. Lesmembres de cette communauté emprun-tent à la fois aux croyances et ausystème de soins traditionnels et auxressources offertes par la santé publiqueanglaise. La prise en compte des degrésd’acculturation des membres de cettecommunauté oriente vers une interpréta-tion des choix en fonction des significa-tions prêtées aux savoirs et pratiques entermes de défense identitaire. Chez ceuxqui, par acculturation, se ressentent,selon l’expression forgée par la commu-nauté chinoise, des « bananes » (jaunesdehors et blancs dedans), l’adhésion au

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système de pensée chinois est requisepour signifier une identité dont on ne veutpas se déprendre, malgré l’assimilation àla société anglaise. Des processuspsychologiques et sociocognitifs inflé-chissent les déterminations et oriententvers une interprétation des divers rallie-ments culturels, non en termes de causa-lité, mais en termes de construction designifications et de resignificationdonnant sens à l’expérience vécue.

Cette posture engage aussi l’attitudedu chercheur dont rend compte l’opposi-tion entre les approches « emic » et« etic ». La première, similaire à celle del’ethnoscience et de l’anthropologie cultu-relle, examine un système culturel dupropre point de vue de ses membres. Sonbut est de trouver des unités d’analyseindigènes pour atteindre une compréhen-sion systématique de sa structure.L’approche « etic » vise à établir unmodèle universel d’un phénomène à partirde théories et méthodes établies àl’avance par le chercheur, et basées surun critère absolu et standardisé (Berry,1993). Celles-ci sont testées sur descultures existantes – non sans courir lerisque d’une « colonisation culturelle » –pour étudier la variabilité ou l’universalitéde processus caractérisant les fonction-nements cognitifs, émotionnels, conatifsliés à la gestion de la santé et de la mala-die. Il va de soi qu’une authentique sensi-bilité à la dimension culturelle intervenantdans les pratiques sanitaires privées etpubliques ne s’accorde pas de cettedernière position.

Une mise en cause de la causalitélinéaire de la culture peut être égalementdécelée dans les critiques adressées àcertains modèles de la psychologie de lasanté, qui réfèrent au facteur culturel, defaçon directe ou indirecte, sous l’espècede catégories diverses : croyances,

contexte, catégorisation, codification desphénomènes pathologiques (voir, parexemple, le Health Belief Model, ou celuidu KABP). Les critiques portent d’une partsur la limitation d’une conception qui faitde l’individu un calculateur rationnel desrisques et des coûts et bénéfices, dansl’oubli des dimensions émotionnellesaccompagnant le constat de maladie, lacarrière ou la trajectoire de malade ;d’autre part sur l’absence de prise enconsidération des dynamiques psycho-sociales qui infléchissent les conduitesindividuelles. Quant à la variable cultu-relle, on pourrait dire qu’elle entre dansces modèles comme une variable juxta-posée à d’autres variables, mais nonspécifiquement explorée et surtout nefaisant pas l’objet d’une intégration systé-mique ou dynamique avec les autresprocessus analysés (comme la construc-tion du rapport à la maladie, le choix desprocessus de coping, et des critèresd’évaluation et d’ajustement aux situa-tions de maladies, les relationssoignant/patient).

Plus qu’une causalité linéaire ilsemble donc nécessaire de repérer, àpropos de la culture, différents modesd’incidence : la culture comme cadre d’in-terprétation (perspective compréhensive),comme cadre symbolique et matérield’émission des conduites (perspectivecontextuelle), comme éléments de struc-turation des rapports au monde associantsavoirs savants et courants de pensée, etsurtout de prendre pour lieu d’observationles sujets qui la mettent en œuvre dansleur expérience. Les auteurs qui défen-dent une approche multidimensionnellede la santé invitent à se centrer sur l’ex-périence subjective des usagers dusystème de soin, expérience qui engagedes dimensions cognitives et émotion-nelles, en étroite dépendance avec le

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contexte social et culturel où vivent lesgens. Prenons, pour illustrer cette intrica-tion entre expérience subjective etcontexte, deux espaces culturellementmarqués : les communautés et les beha-vior setting qui permettent de toucher àdeux modes de fonctionnement de l’ins-cription culturelle.

LA CULTUREDANS LE CONTEXTE DES PRATIQUES

En effet, et pour en finir avec cettelongue énumération, la culture peut êtreobservée comme un cadre de l’action, unécosystème des pratiques, comme dansle cas des études de communauté ou desespaces thérapeutiques. La santécommunautaire, moins développée enEurope qu’en Amérique latine ou auCanada, est une orientation qui prendrésolument en compte l’activité desusagers des systèmes de soins et laconstitution d’une culture propre à ungroupe défini par ses conditions socialesd’existence. La santé communautairedésigne le contexte et la manière en fonc-tion desquels se matérialisent les trans-formations du champ de la santé. Ellecherche à dépasser les limitations desperspectives régissant la santé publiquesur la base du modèle biomédical :unisectorialité, individualisme, privationde la responsabilité des usagers dusystème de soin, verticalité des presta-tions, sur un mode centralisé et bureau-cratique. La santé communautaire met lesprofessionnels de santé au service de lacommunauté et de ses membres, lesusagers deviennent coresponsables et

assument un rôle de participation active,s’érigeant en éléments fondamentaux dusystème de santé, les professionnelsjouant un rôle de promotion, incitation,canalisation des activités sanitaires. Ils’agit d’un système ouvert, favorisant àtravers des programmes d’éducation l’ac-quisition d’aptitudes à une gestion auto-nome des soins.

Ce mouvement, qui promeut unevéritable culture sanitaire, ne va pas sansdifficulté ni sans conflit, comme ledémontre le cas d’une action menée auMexique qui donne une vue des condi-tions d’intervention dans un contexteculturel défini. Une de nos collèguesmexicaines, en charge d’un service desanté maternelle et périnatale au minis-tère de la Santé, anime, dans la régiondes Chiapas où le taux de mortaliténéonatale est très élevé et où les servicesde santé publique ne peuvent couvrir tousles besoins de la population, unerecherche-action dans le cadre duprogramme national « Arrenque parejo enla vida 3 ». Cette intervention commu-nautaire, qui a permis de réduire de plusde 52 % la mortalité maternelle et néona-tale en trois ans, obéit à un modèle inno-vateur (Quintanilla 2005).

Ce modèle visant un changementintentionnel et non imposé par les autori-tés sanitaires est basé sur la mobilisationdes habitants, leur appropriation desactions de santé dont ils bénéficient, leurorganisation en services de soutien socialqui appuient l’action des services desanté avec le concours des autoritéslocales. Il est assorti d’un travail intercul-turel pour sensibiliser les personnels de

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3. Arrenque parejo en la vida peut se traduire par « un départ égal dans la vie ».Ce programme vise à donner aux populations pauvres et carencées des chanceségales à celles des classes favorisées en matière de préservation de la santématernelle.

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santé accueillant à l’extérieur lesmembres des communautés rurales.Cette sensibilisation les rend capablesd’appréhender des perspectives diffé-rentes des leurs, de prendre en considé-ration les valeurs, croyances et coutumesde la population indigène, de négocieravec elle des significations autres quecelles portées par son contexte culturel,d’accepter la médecine traditionnelle. Letravail des sages-femmes traditionnelles,qui ont la confiance de la population, estparticulièrement valorisé et assorti d’uneformation leur permettant d’assurer lerelais entre les populations et les servicesde santé publique et les hôpitaux 4. Lessavoirs et savoir-faire traditionnels dessages-femmes, fondés sur la transmissiongénérationnelle et les croyances locales(Fagetti, 2003), sont reconnus, parfoiscorrigés 5. Ils sont complétés par lesconnaissances médicales nécessaires àl’identification des risques de mortalitépour la mère et l’enfant. En cas dedanger, les matrones sont amenées àprendre l’initiative d’acheminer, avecl’aide de la communauté, les femmesvers des centres des soins, ce qui n’estpas simple. Il faut parfois les transportersur une civière à travers les forêts monta-gneuses jusqu’à une route où un camionpeut les véhiculer jusqu’au village le plusproche pour qu’une ambulance lesemmène à l’hôpital. Là, la sage-femmeaccompagne et soutient la parturientetout au long de son séjour. Cette tâche,qui n’est pas mince, n’est pas la plus durecar ces accoucheuses se heurtent aux

obstacles d’une tradition qui veut que lafemme reste sous le contrôle de l’époux,ne quitte pas le foyer et que l’accouche-ment se fasse en présence de toute lafamille. Le départ pour l’hôpital occa-sionne alors des sentiments d’insécuritéet des mouvements de révolte. Et il arriveque ces auxiliaires de santé, quand ellesont réussi à convaincre les futures mèresde la nécessité de recourir à la protectionmédicale, soient contraintes, pour lesconduire à l’hôpital, de lutter même physi-quement avec le mari et la belle-mère,allant jusqu’à attacher ces derniers pourqu’ils ne les empêchent pas de partir.

Ce cas dessine bien le panorama dela prise en compte de la culture dans desactions de santé : s’appuyer sur lesressources locales pour introduire les sys-tèmes de soins et réaliser les programmesd’urgence, compléter le savoir-faire tradi-tionnel par des connaissances médicalesélémentaires mais salvatrices, remplacerles croyances ou le fatalisme ambiants parun esprit d’autodéfense, forger chez lesintervenants indigènes une volonté mili-tante qui leur permette d’accomplir leurtravail dans un contexte d’opposition.L’entreprise va bien au-delà d’une simpleéducation pour la santé et souligne l’im-portance d’une formation globale, médi-cale, psychologique et culturelle despersonnels et auxiliaires de santé, et pluslargement une sensibilisation de la popula-tion aux chances offertes par les politiquesde santé.

Le second contexte auquel jesouhaite faire référence est le Behavior

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4. Cette formation est authentifiée par un certificat de qualification qui renforcela reconnaissance des sages-femmes traditionnelles dans les unités de santé.5. On apprend à éviter des gestes dangereux qui faisaient partie de la pratiquetraditionnelle (par exemple : exploration manuelle de la cavité utérine, massagespour redresser la position des fœtus dans le ventre ou l’usage de certaines plantesqui contiennent de l’ocytocine).

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Setting, particulièrement adapté à laculture hospitalière. La théorie du BehaviorSetting de Barker (1968) permet de déga-ger les prescriptions normatives associéesà des unités d’espace-temps institutionnel-lement définies. Cette orientation contex-tuelle permet d’analyser les processus quiadviennent dans un système social depetite échelle, les behavior-settings consti-tuant des unités d’observation spatio-temporelles où toutes les composantes(psychologiques, sociales, organisation-nelles, écologiques) sont intégrées sansque l’on postule a priori la hiérarchie descontraintes qu’elles exercent les unes surles autres. Ce cadre a été utilisé dans unerecherche menée en relation avec lesresponsables de deux services hospitaliersprenant en charge des malades du sida enfin de vie : un service des maladies infec-tieuses et tropicales et une unité de soinspalliatifs (Jodelet et coll., 1998). Lesnormes définissant, dans ces deuxcontextes, les modalités de prise encharge, les postures des soignants, leurrapport aux patients, sont très sensible-ment différentes. Les différences sesituent sur le plan de l’éthique médicale envigueur – curative vs palliative (Moulin,2000) – des contraintes de fonctionne-ment des services, des rôles dévolus auxdifférents personnels. Cette situation adonné lieu à des cultures spécifiques dontl’un des effets marquants a porté sur lafaçon dont le personnel faisait face auxpatients et vivait son expérience profes-sionnelle. La coloration de cette expérienceétait marquée, dans le service régi par unevisée curative, par la difficulté et la souf-france, pour plusieurs raisons : confronta-tion douloureuse avec l’état physique etmoral des patients ; malaise face à leurmode de contamination et la marginalité deleur statut ; désarroi devant leursdemandes et leur souffrance et celles de

leurs proches ; exposition répétée à la mortet au deuil, aux réactions affectives corres-pondantes chez les collègues et aux rela-tions pénibles qui en résultent ; craintesdevant les risques de contamination ;conséquences perturbantes de l’engage-ment professionnel sur la vie personnelle,familiale et sociale, etc. Cette colorationnégative rendait compte des dysfonction-nements du service des maladies infec-tieuses et tropicales (conflits, burn-out, forttaux de turn-over chez les soignants, etc.).En revanche, dans l’autre service, le déve-loppement de l’optique palliative qui s’ac-compagnait d’une formation et d’unaccompagnement des soignants, d’unemodification des conceptions du rôle desmédecins et des compétences des infir-mier(e)s et aides-soignant(e)s, autorisait uninvestissement moins douloureux et plusapproprié aux soins réclamés par lesmalades en fin de vie de la part de l’en-semble des personnels. Le transfert desorientations et pratiques de l’unité de soinspalliatifs a permis d’améliorer le fonction-nement du service des maladies infec-tieuses et tropicales.

Ces exemples ouvrent une voie pourconcevoir l’espace de jeu des intricationsde la culture dans les pratiques sani-taires : fondamentalement par le biais dela notion d’expérience, creuset de larencontre entre les différentes dimensionsconstituant le rapport à la santé et à lamaladie. Je m’arrêterai rapidement surcette notion d’expérience à laquelle lessciences humaines accordent de plus enplus d’importance.

L’EXPÉRIENCE, ESPACE DE JEU DE LA CULTURE

Mon attention a été attirée sur cettenotion (Jodelet, 2004) au contact deschercheurs latino-américains qui s’y réfè-

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rent, particulièrement dans le cas desmaladies chroniques (Mercado Martinez,1996), et des théories sociologiques dusens commun, en particulier l’ethno-méthodologie (Garfinkel, 1967) et laphénoménologie (Schütz, 1987) qui acontribué à la définition de l’expériencehumaine comme « monde de vie »(Lebenswelt). Cet intérêt est en phaseavec la pensée sociologique contempo-raine où l’on observe un retour à la notiond’expérience et d’expérience sociale(Dubet, 1994), sous l’effet du déclin desparadigmes déterministes. Le sujet oul’acteur social cesse désormais d’êtreconsidéré comme un « imbécile culturel »,selon l’expression de Garfinkel, toutentier soumis à la détermination du social.Sa définition ne se réduit plus ni à l’inté-riorisation de normes et de valeurs par lasocialisation, ni à une articulation de rôleset de statuts. Il n’en reste pas moinssoumis aux contraintes du social. Maisces contraintes inscrivent son action dansdes registres divers qui ne sont pas forcé-ment congruents. D’où il résulte qu’unespace est laissé au jeu de la subjectivitépour élaborer, dans son expérience parti-culière, la multiplicité des perspectives quis’offre à elle.

On peut distinguer dans l’expériencedeux dimensions : une dimension qui estde l’ordre de l’éprouvé, du vécu, mettanten jeu l’implication psychologique, l’affec-tivité, les émotions et la prise deconscience de la subjectivité ; une dimen-sion cognitive dans la mesure où ellefavorise une expérimentation du mondeet sur le monde et concourt à la construc-tion de la réalité selon des catégories oudes formes qui sont socialementdonnées. Les termes dans lesquels seformule cette expérience et sa correspon-dance avec la situation où elle émerge,empruntent à des préconstruits culturels

et à un stock commun de savoirs. D’unepart, en effet, l’éprouvé subjectif, mêmes’il est difficilement exprimable, ne peutse connaître qu’à partir de ce dont témoi-gnent les sujets dans leur discours. Or, cedernier est structuré par des catégoriessociales, des codes désignant les choseset les sentiments aussi bien que par dessavoirs permettant d’identifier les objetsen fonction de l’arrière-fond d’informationdisponible dans le champ culturel. De plus, cette expérience n’accède àl’existence que pour autant qu’elle estreconnue, partagée, confirmée par lesautres. Ainsi l’expérience sociale est-ellemarquée par les cadres de son énoncia-tion et de sa communication. Elle a néces-sairement un caractère intersubjectif etsocialisé. D’autre part, l’expériencehumaine comporte un volet qui participeà la construction du monde comme ilressort particulièrement bien de lapsychologie historique défendue parMeyerson. Pour cet auteur : « C’est parl’expérience que l’homme est un animalhistorique : c’est en tant qu’expérience,suite d’expériences, enregistrement desexpériences que l’histoire concerne lanature humaine, qu’elle entre dans lanature humaine et la fait » (1995, 125).Solidaire de son passé, l’homme est aussiagent, c’est-à-dire que son expérience« est initiative, intrusion dans le mondedes choses et dans le monde des êtres, etmodification incessamment active de cesmondes » (1987, 88). L’élément detransformation permet de donner un sensplus large à la notion de pratique et ouvresur une dimension de créativité de l’expé-rience : « La science sociale et la pratiquesociale savent aujourd’hui que touteexpérience sociale apporte de l’imprévuet du nouveau et que ce nouveau estessentiel tant pour la pensée sociale quepour l’action » (op. cit. 90). Ainsi, l’expé-

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rience, sociale et socialement construite,devient constitutive du sens que le sujetdonne aux événements, situations, objetset personnes meublant son environne-ment proche et son monde de vie.

Largement appliquée dans l’analysesociologique pour la compréhension dessituations de changement, la notion d’ex-périence devrait être d’un grand secourspour l’approche du rapport à la santé,dans la mesure où elle renvoie à une tota-lité qui : inclut, à côté des aspects deconnaissance, des dimensions affectiveset discursives ; réclame fortement laconsidération des pratiques et desactions, ainsi que le prise en compte descontextes et du cadre de vie ; permetd’observer l’assomption de la subjectivitédans la négociation de sa nécessaireinscription sociale ; suppose, dans sonexpression et sa conscientisation, unemise en forme par des codes et des caté-gories de nature sociale, l’authentificationpar les autres. Produite dans la rencontreintersubjective, impliquant un fondcommun de savoirs et de significations,elle autorise des interventions thérapeu-tiques ou correctives qui permettent uneresignification des situations, un ajuste-ment des conduites, la création d’unnouvel univers de sens. Fondée sur uneapproche qualitative, l’exploration de l’ex-périence enveloppe uniment les facettessociales, culturelles et psychiques de lasubjectivité et offre ainsi l’avantaged’épouser les perspectives cliniques enpsychologie de la santé.

LA CULTURE DANS LA PRATIQUESCIENTIFIQUE

Pour terminer je voudrais aborder undernier thème : celui de la formation decultures distinctes dans la pratique scien-tifique. Il m’a été inspiré par mes contacts

avec des chercheurs d’Amérique latineauxquels j’ai fait volontairement référencedans ce texte. En effet, l’expérience deplusieurs années de collaboration a eu uncaractère révélateur pour ma pratiquescientifique. Y référer est en quelquesorte la reconnaissance d’une dette. Celadonne aussi la possibilité d’introduireconcrètement la dimension culturelledans la réflexion sur un champ discipli-naire. À ce titre, il vaut la peine de s’arrê-ter sur leurs conceptions de lapsychologie de la santé.

La distanciation critique vis-à-vis desmodèles venus de l’extérieur et la volontéde travailler en étroite liaison avec lesréalités concrètes de leur pays amènentles psychosociologues latino-américains àporter l’accent sur la prise en compte descontextes historico-culturels et sociauxdans l’analyse des phénomènes. Lestravaux se réfèrent, comme en Europe,aux paradigmes issus de la traditionanglo-saxonne. Mais ils s’en écartent, lesmodulent, les complètent dans une pers-pective holistique considérée comme rele-vant d’une culture intellectuelle différentequi emprunte à des courants de penséedont la source est européenne : théoriecritique, théorie de l’action, perspectivehistorico-culturelle, etc. Cela donne lieu àce que l’on revendique comme culturescientifique spécifique.

Cette tendance, largement représen-tée dans la plupart des secteurs de lapsychologie sociale, se retrouve égale-ment en psychologie de la santé qui est leplus souvent abordée par les chercheursen psychologie sociale ou les personnelsde santé qui s’en inspirent (notamment lepersonnel infirmier dont la formation estcomplétée par une activité de recherche,comme c’est le cas au Brésil). Cetteculture va faire prendre en compte defaçon plus organique qu’ailleurs la dimen-

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sion culturelle, saisie essentiellement àpartir des éléments cognitifs. Pour nedonner qu’une illustration : une psycho-logue brésilienne, professeur de psycholo-gie expérimentale dans une université del’état de Sao Paulo, examinant les indica-teurs pour l’évaluation des interventionspsychologiques dans le champ de lasanté, pointe les éléments importants àexplorer pour orienter l’action de préven-tion, protection et promotion de la santé.Leur étude paraît indispensable étantdonné que « les données anglo-saxonnesrelevant d’autres cultures, avec desconcepts distincts et une valorisation dela santé qui prend une forme différente »(Kerbauy, 2003) ne sont pas des outilsadaptés. Une telle étude comporte uneévaluation des connaissances et un étatdes conceptions susceptibles d’interféreravec l’application de mesures préconiséesen faveur de la santé dans l’espace local.

On peut repérer cette différence deculture dans l’orientation des recherchesmenées en psychologie de la santé consi-dérée comme un champ en construction.Je prends pour exemple un bilan de laproduction scientifique dans une univer-sité d’un autre état brésilien (EspirituSanto). Les recherches en santé repré-sentent 40 % des mémoires de maîtriseet de thèse soutenus, entre 1995 et2002 (Trindade, 2003). Ces recherchesont été réalisées, dans leur totalité, sousforme d’étude de terrain. Elles visent pour83 % d’entre elles l’identification desvariables culturelles et psychosocialesrelatives à des domaines comme les stra-tégies de coping, les pratiques profes-sionnelles, l’adhésion aux prescriptionsmédicales pour différentes affections(sida, hypertension, cancer, alcoolisme,diabètes, déficiences musculaires,sexuelles, stérilité, etc.). L’ensemble de

ces travaux est inspiré par le postulat que« la santé et la maladie sont des concep-tions construites dans des espacessociaux délimités par les relations qui s’ynouent, et traversées par le processusproductif, la religion, les croyances, lesvaleurs morales et éthiques, les condi-tions d’accès à la structure officielle desanté, entre autres facteurs ». Et il n’estpas imprudent de dire que cette perspec-tive sous-tend la plupart des travauxlatino-américains qui vont s’attachersurtout aux significations et resignifica-tions conférées aux phénomènes propresau champ de la santé, rejoignant ainsi lesperspectives de l’anthropologie.

CONCLUSION

Cet article avait pour but d’attirerl’attention sur l’importance de réintroduirela dimension culturelle dans l’approchedes phénomènes étudiés par la psycholo-gie de la santé. Il ne les a pas couvertstous, se centrant essentiellement sur lesacteurs du système de santé. J’espèreque malgré cette limitation, il a pu sensi-biliser à l’urgence de renouer avec unetradition qui a marqué les premierstravaux menés dans le champ de la santé.Les quelques voies qu’il a tenté de tracerpour une recherche holistique vont dansle sens d’une approche qui rompe lesbarrières disciplinaires et autorise la colla-boration avec les sciences sociales dansun domaine où elles ont joué un rôle déci-sif et continuent d’apporter, à côté de lapsychologie, une contribution substan-tielle à l’analyse des problèmes liés à lagestion de la santé et de la maladie.Contribution qui ne saurait se passer desapports d’une psychologie pensant entermes sociaux les processus de lasubjectivation.

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RÉSUMÉ

Depuis ses débuts en Europe, il y a plusde vingt ans, et contrairement à la contri-bution pionnière des sciences sociales, lapsychologie de la santé n’a pas intégré demanière systémique dans ses modèles ladimension de la culture. Les raisonsrendant nécessaire une telle intégrationqui favoriserait un décloisonnement desdisciplines sont examinées. Elles sontliées à l’histoire du champ de la santé, audéveloppement de perspectives cultu-relles en psychologie et au besoin d’uneapproche pluridimensionnelle des phéno-mènes propres au champ de la santé.Trois questions sont posées pour avancerdans l’analyse de l’intervention de laculture : où, dans quel espace la situer ?Comment en concevoir les formes ? Àquelles conceptions de la culture peut-onavoir recours en psychologie de la santé ?On tente d’y répondre en s’appuyant surdes travaux théoriques et empiriques eten introduisant un nouveau lieu d’obser-vation : l’expérience vécue par les acteursdu système de santé.

MOTS-CLÉS

Psychologie de la santé, culture, repré-sentations sociales, savoir, signification,pratique, expérience.

ABSTRACT

Since its beginnings in Europe, more thantwenty years ago, Health Psychology hasnot integrated, in a systemic way, thecultural dimension in its models, as didthe pioneer contributions of SocialSciences. This article investigates thereasons why such an integration is neces-sary and would help scientific decompart-mentalization. These reasons are linkedto : the history of the health studies field,the development of cultural perspectivesin psychology and the need to promote amultidimensional approach of the pheno-menons which are specific to health

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studies field. In order to go further in theanalysis of culture intervention withinhealth practices, three questions arestated : where, in which space to locateculture ? how to conceive its forms ofintervention ? what conceptions ofculture can be applied in HealthPsychology. We’ll try to answer thesequestions on the basis of theoretical and

empirical contributions, and introducing anew place of observation : the experiencelived by the actors of the health system.

KEYWORDS

Health Psychology, culture, social repre-sentations, knowledge, significance,practice, experience.

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