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CONFESSION D'UN FOL EN DIEU

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C O N F E S S I O N D ' U N F O L E N D I E U

CONFESSION D'UN FOL EN DIEU

MENAHEM MACINA

Docteur angéliqueAvignon

DÉDICACE

À l’apôtre Paul, auquel je dois mon sens de ladivine folie.

« En tout dernier lieu, il m’est aussi apparu, àmoi l’avorton. » (1 Co 15, 8)

« Oh ! si vous pouviez supporter de ma part unpeu de folie ! » (2 Co 11, 1)

« … c’est par la folie du message qu’il a plu àDieu de sauver ceux qui croient. » (1 Co 1, 21)

CONTENU

Page de titre ixDu même auteur xA propos de l'Auteur xiiIntroduction 1

Première Partie 9

Première visitation 10

Deuxième visitation 22

Troisième visitation 28

Quatrième visitation 40

Cinquième et dernière visitation 50

Épilogue des Cinq visitations 64

Deuxième Partie: "Un temps pour parler"(Qohelet 3, 7)

69

Introduction 70

Signes avant-coureurs de la révolte desnations

75

Fuir l’apostasie et se préparer à résister àl’Antichrist

83

Que devons-nous faire ? 91

Post-scriptum : Confession 100

Menahem Macina

CONFESSION D’UN FOL EN DIEU

éditions Docteur angélique, Avignon 2012

(Livre électronique, éditions Tsofim, 2013

ix

DU MÊME AUTEUR

Chrétiens et juifs depuis Vatican II. État des lieux historique etthéologique. Prospective eschatologique, Éditions Docteurangélique, Avignon, 2009. (Version électronique, éditionsTsofim, Limoges, 2013).

Les frères retrouvés. De l’hostilité chrétienne à l’égard des Juifs àla reconnaissance de la vocation d’Israël, éditions L’Œuvre, Paris,2011. Version électronique, sous le titre Si les chrétienss’enorgueillissent. À propos de la mise en garde de l’apôtre Paul(Rm 11, 20), éditions Tsofim, 2013.

La pierre rejetée par les bâtisseurs. L’«intrication prophétique»des Écritures, éditions Tsofim, Limoges, 2013).

L’apologie qui nuit à l’Église. Révisions hagiographiques del’attitude de Pie XII envers les Juifs. Suivi de contributions desprofesseurs Michael Marrus et Martin Rhonheimer, éditions duCerf, Paris, 2012. (Version électronique, éditions Tsofim,Limoges, 2013).

Les Églises face à la déréliction des juifs (1933-1945).Impuissance ou indifférence chrétiennes ? Éditions Tsofim,Limoges, 2013.

«Un voile sur leur coeur…», Le «non» catholique au Royaumemillénaire du Christ sur la terre, Éditions Tsofim, Limoges,2013.

x

Le signe de Saül – A propos du sévère avertissement de Paul auxchrétiens (Rm 11, 19-22), éditions Tsofim, Limoges 2013.

DU MÊME AUTEUR

xi

A PROPOS DE L'AUTEUR

Spécialisé dans l’étude des thématiques messianiques juives etchrétiennes, Menahem Macina est familier des sources de l’uneet l’autre confessions de foi. Ses recherches approfondies n’ontpas seulement nourri sa connaissance, mais ont fortifié sa foiet l’ont amené à en témoigner.

Pour commander l’ouvrage imprimé,cliquer: http://www.docteurangelique.com/commande.htm

xii

INTRODUCTION

Il y a un temps et un moment pour chaque chose sous le ciel […]un temps pour se taire, et un temps pour parler. (Qo 3, 1.7).

Longtemps j’ai gardé le silence, je me taisais, je me contenais.Comme la femme qui enfante, je gémissais, je soupirais enhaletant. (Is 42, 14).

Je me taisais, et mes os se consumaient à rugir tout le jour… (Ps32, 3).

Ceux qui transgressent l’Alliance, il les pervertira par ses parolesdouces, mais les gens qui connaissent leur Dieu s’affermiront etagiront. (Dn 11, 32).

Au moment d’entamer l’exposé des grâces du Seigneur,auxquelles j’ai si mal correspondu, me revient en mémoirel’exclamation d’Isaïe1 : « Malheur à moi car je me suis tu !2 Car jesuis un homme aux lèvres impures […] et mes yeux ont vu le Roi,L’Éternel Sabaot. »

Pour l’un de mes fidèles amis, qui suit mes publications depuisquatre ans et qui a œuvré à la publication de mon premierlivre3, le silence public de plus de cinquante ans, que j’ai observésur ces phénomènes, est la preuve que je ne cherche pas la

1. Is 6, 5.2. La plupart des versions en langues modernes rendent bizarrement par « être

détruit » le verbe hébreu qui signifie « se taire » ; or, le verbe grec qu’utilise ici laSeptante traduit sans aucune ambiguïté, en Lv 10, 3, un autre verbe hébreu quisignifie se taire : « Aaron garda le silence ». D’où ma traduction.

1

sensation littéraire. C’est pourquoi il m’a proposé, à plusieursreprises, de le laisser présenter ce texte à un éditeur catholique,qui, affirmait-il, le publierait certainement.

On s’étonnera peut-être de ce que, à une époque où pullulentles groupes exaltés – dont les adeptes s’exclament volontiers,comme les pseudo-prophètes sur lesquels ironisait Jérémie4 :« J’ai eu un songe ! J’ai eu un songe ! » –, j’aie gardé si longtempsun silence public sur les faveurs spirituelles dont j’ai été gratifiédans les premières années de mon âge d’homme. Qu’on n’aillesurtout pas croire que cette discrétion procédait de l’humilité. Jen’ai fait que me conformer à une longue tradition préconisée pardes saints aussi illustres que Saint Jean de la Croix, qui écrivait :

Après que l’Époux et l’Épouse en les couplets précédentsont mis la bride et le silence aux passions et aux puissancesde l’âme, tant sensitives que spirituelles, qui la pouvaientinquiéter, l’Épouse en ce Cantique s’applique à jouir de sonAmi en la retraite intérieure de son âme où Il est uni avecelle en amour et où Il en jouit excellemment en cachette. Etles choses qui se passent en elle en ce recueillement dumariage avec son Bien-Aimé sont si hautes et sisavoureuses qu’elle ne les saurait dire et ne le voudrait pasnon plus. Car c’est de celles dont Isaïe a dit : « Mon secretest à moi, mon secret est à moi » (Isaïe, XXIV, 16 [Vulgate,citation en latin dans le texte original]). Et ainsi elle Lepossède seule et L’entend seule, et en jouit seule et prendplaisir que cela soit seul à seule ; et ainsi son désir estque cela soit bien caché, fort élevé et éloigné de toutecommunication extérieure5.

A l’exemple de cohortes de mystiques, au fil des siècles, j’avaisdécidé de garder secrète l’intimité divine dans laquelle il avaitplu au Seigneur de m’introduire par l’oraison surnaturelle6, sans

3. Chrétiens et juifs depuis Vatican II. État des lieux historique et théologique.Prospective eschatologique, Éditions Docteur angélique, Avignon, 2009.

4. Cf. Jr 23, 25.5. Jean de la Croix, Œuvres complètes, Cantique spirituel, XXXIIIème couplet,

Desclée de Brouwer, Paris, 1959, p. 879 ; les italiques sont miennes.

INTRODUCTION

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que je m’y attende ni ne m’y sois disposé en menant une viesainte et mortifiée. Malgré l’insistance de mon ami et lacohérence de ses arguments m’incitant à rompre le silence surles faits extraordinaires qui me sont advenus – « Il faut le direpour l’édification des chrétiens », soulignait-il –, je craignais decéder à la présomption en m’affranchissant de cette règletraditionnelle. Mon combat intérieur fut rude. A vrai dire, iln’était pas nouveau : il durait depuis un peu plus d’un demi-siècle.

Après toutes ces années d’hésitations, de réflexion et de prières,je suis parvenu à la conclusion que, prises dans leur globalité,les cinq « visitations »7, dont le récit méticuleux et rédigé peu detemps après les événements constitue la première partie de celivre, ont une portée qui va bien au-delà de ma personne.

Dans la première « visitation », les trois “Personnes” de laTrinité divine m’ont été manifestées en vision intellectuelle8, enmême temps que m’était conférée une perception obscure durôle du peuple juif dans le dessein divin du salut de l’humanité,

6. Selon le dictionnaire de l’Académie française, le mot oraison « se dit, en langagemystique, des Communications de l'âme avec Dieu, sans entremise d'uneformule de prières ». Les contemplatifs et théologiens spécialisés en théologiemystique classent généralement les degrés de la prière contemplative dans lescatégories dont on trouvera le résumé dans le Nota ci-après, intitulé « Les étatsd’oraison ».

7. Après hésitation, j’ai opté pour ce terme, de préférence à l’expression usuelle de« faveur mystique », parce que ces grâces imméritées me sont venues d’en haut,comme une visite divine, au double sens biblique du terme : faveur et épreuve.

8. Voici ce qu’écrit Thérèse d’Avila à ce sujet : « [Quand l’âme est] introduite danscette demeure par une vision intellectuelle, on lui montre, par une sorte dereprésentation de la vérité la Très Sainte Trinité, toutes les trois personnes, dansun embrasement qui s’empare d’abord de son esprit à la manière d’une nuéed’immense clarté ; et de ces personnes distinctes, par une intuition admirablede l’âme, elle comprend l’immense vérité ; toutes les trois personnes sont unesubstance, un pouvoir, une science, et un seul Dieu. Ce que nous croyons parun acte de foi, l'âme, donc, le saisit ici, on peut le dire, de ses yeux, sansqu’il s’agisse toutefois des yeux du corps, ni des yeux de l'âme, car ce n’estpas une vision imaginaire [que l’on peut se représenter avec l’imagination]. Ici,toutes les trois personnes divines se communiquent à elle, elles lui parlent,elles lui font comprendre ces paroles du Seigneur que rapporte l’Évangile ; qu’ilviendrait, Lui et le Père, et le Saint-Esprit, demeurer avec l’âme qui observeses commandements (Jean 14, 23). » (Le Château intérieur, Septièmes demeures,chapitre I, 6, in Œuvres complètes, trad. Frcse Marcelle Auclair, Desclée deBrouwer, Paris 1967, p. 1017-1018).

INTRODUCTION

3

et ce alors que je n’avais jamais éprouvé auparavant la moindrecuriosité à l’égard de ces mystères.

Dans la seconde, le rétablissement du peuple juif m’a étésignifié explicitement comme étant déjà accompli, alors que,selon la tradition catholique dans laquelle j’ai été éduqué depuisl’enfance, cette restauration n’aura lieu que lorsque les juifscroiront à la messianité et à la divinité de Jésus et entrent dansl’Église.

Dans la troisième, j’ai été envahi par l’Esprit Saint, puis gratifiéde lumières surnaturelles sur le sens des Écritures, danslesquelles je percevais confusément le rôle central du peuplejuif.

Il en va de même des deux dernières « visitations », bien queleur contenu semble infliger un démenti à mon affirmation,émise plus haut, que « ce qui m’y a été dit et donné à contemplerva bien au-delà de ma personne ». En effet, il est clair que tantla troisième que la quatrième manifestations ont étéaccompagnées de paroles qui me concernent personnellement,sauf que l’intervention surnaturelle de la troisième, pour mesauver de la perdition, ainsi que l’invitation de la cinquième àme regarder moi-même pour comprendre ce que le Seigneur veutde moi, semblent indiquer que je suis, bon gré mal gré, impliquépersonnellement dans ce qui m’a été dévoilé du dessein de Dieusur Son peuple, et que, par conséquent, je ne peux garder pourmoi seul « ce qui m’a été dit de la part du Seigneur, et en quoi jecrois »9.

Il me reste à remercier celles et ceux – et, en premier lieu,mon épouse – qui, depuis des années, sont témoins de maméditation obscure du « trésor » que Dieu a déposé dans le vased’argile que je suis10, et m’ont aidé par leurs prières et leurdiscernement, à prendre finalement la décision d’exposer « augrand jour » ce que le Seigneur m’a dit « dans les ténèbres »11.

9. Cf. Lc 1, 45.10. Cf. 2 Co 4, 7.11. Cf. Mt 10, 27.

INTRODUCTION

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Nota : Les états d’oraison12

1) Oraison de recueillement

« Il s’agit d’un « recueillement qui me semble, lui aussi,surnaturel, il ne consiste pas à rester dans l’obscurité lesyeux fermés, ni en quoi que ce soit d’extérieur puisque sansle vouloir on ferme les yeux et on désire la solitude ; ilsemble qu’on construise sans artifice l’édifice de l’oraisondont j’ai parlé, car ces sens et ces choses extérieuresparaissent perdre peu à peu leurs droits et l’âme reprendreles siens, qu’elle avait perdus. On dit que l’âme entre enelle-même ; on dit aussi qu’elle monte au-dessus d’elle-même. »13

2) Oraison de quiétude

[L’oraison de quiétude] « pourrait se caractériser commeune emprise de Dieu sur les facultés de l’âme. Dieu captele cœur, c’est-à-dire la volonté, de sorte que l’âme ait,selon les paroles d’un cantique connu, “les yeux tournésvers l’Hôte intérieur, sans rien vouloir que cette présence”.Rien d’autre ne l’intéresse que ce Dieu vivant devant quielle se tient. Mais ceci n’empêche pas que son intelligencecontinue de discourir en présence du Seigneur, ni sonimagination de trotter […] Parfois aussi l’emprise duSeigneur s’étend à ces dernières. […] Mais ce qui distingueces choses des formes supérieures d’oraison surnaturelle,c’est qu’elles ne suspendent pas le fonctionnement despuissances et qu’en conséquence la personne ne perdconscience ni de soi, ni de son environnement. »14

12. Pour des raisons que Lui seul connaît, le Seigneur m’a fait expérimenter, àl’époque, chacun de ces états, et ce durant plusieurs mois, pour autant que mamémoire soit fidèle. Je n’en ai plus jamais bénéficié depuis.

13. Thérèse d’Avila, Le Château intérieur, Quatrièmes demeures, chapitre III, 1. 2., inŒuvres complètes, trad. Française : Marcelle Auclair, Desclée de Brouwer, Paris1967, p. 917.

14. Père Jean Abiven, o.c.d., Thérèse d’Avila, qui es-tu ?, Editions du Carmel, 1999 -Chapitre V. Maîtresse d’oraison, p. 155.

INTRODUCTION

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3) Oraison d’union simple

« On pourrait définir l’oraison d’union comme une grâcepar laquelle Dieu s’empare de l’être jusqu’au fond et leplonge si l’on peut dire totalement en Lui. Du coup, toutesles activités du psychisme sont suspendues et, par voie deconséquence, l’âme perd conscience d’elle-même et de sonenvironnement. […] Ainsi l’oraison d’union, quand Dieul’accorde est, de soi, extatique, même si Dieu peut faire, parla suite, que le psychisme y fonctionne encore. »15

4) Oraison d’union extatique

« Deux éléments constituent cette union : l’absorption del’âme en Dieu et la suspension des sens… c’est parce quel’âme est complètement absorbée en Dieu que les sensextérieurs semblent rivés sur lui ou l’objet qu’il manifeste[…] Il y a trois phases principales dans l’extase : l’extasesimple, le ravissement et le vol de l’esprit. a) L’extase simpleest une sorte de défaillance qui se produit doucement, etcause à l’âme une blessure douloureuse et délicieuse enmême temps : son Époux lui fait sentir sa présence, maispour un temps seulement ; or elle voudrait en jouirconstamment, et souffre de cette privation. Le ravissements’empare de l’âme avec impétuosité et violence, si bienqu’on ne peut y résister. On dirait un aigle puissant vousemportant sur ses ailes : on ne sait où l’on va. Malgréle plaisir qu’on éprouve, la faiblesse naturelle cause, dansles commencements, un sentiment de frayeur. […] Auravissement succède le vol de l’esprit, qui est si impétueuxqu’il semble séparer l’esprit du corps, et qu’on ne peutlui résister. L’âme, dit Ste Thérèse16, “se croit transportéetout entière dans une autre région, fort différente de celleoù nous vivons ; elle y voit une lumière nouvelle et biend’autres choses, si dissemblables de celles d’ici-bas qu’ellen’eût jamais réussi à se les figurer, quand elle y eût

15. Id. Ibid., p. 156.16. Thérèse d’Avila, Œuvres complètes, Le Château intérieur, Sixièmes Demeures, ch.

V, p. 977.

INTRODUCTION

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employé sa vie entière. Parfois elle se trouve instruite enun instant de tant de choses à la fois, qu’eût-elle travailléde longues années à les agencer à l’aide de l’imaginationet de l’intelligence, elle n’aurait pu en produire la millièmepartie” »17

5) L’union transformante

« Après tant de purifications, l’âme arrive enfin à cetteunion calme et durable qu’on appelle union transformanteet qui semble être le dernier terme de l’union mystique, lapréparation immédiate à la vision béatifique. […] Sesprincipaux caractères sont l’intimité, la sérénité,l’indissolubilité. C’est parce que cette union est plus intimeque les autres qu’elle s’appelle mariage spirituel ; entreépoux plus de secrets : c’est la fusion de deux vies en uneseule. Or telle est l’union qui existe entre l’âme etDieu. »18

17. Tanquerey, Adolphe (1854-1932), Précis de théologie ascétique et mystique, 4eédition, Paris, 1924. Ce livre, épuisé, a été mis en ligne dans son intégralitépar Edition Catholique du Net pour Internautes, 2003 (http://eti.martin.free.fr/la-mystique/la-mystique-contemplative.htm). Le passage cité ici figure dans laSeconde Partie de l’ouvrage de Tanquerey: Les trois voies. Livre III : De la voieunitive. Chapitre II : De la contemplation infuse, ART. II. Les différentes phasesde la contemplation. II. Oraison d’union pleine. II Effets de l’oraison d’union. §iii. L'union extatique (fiançailles spirituelles), I. L’union extatique suave. 2° Lestrois phases de l’union extatique, 1458.

18. Id., Ibid., II. La nuit de l’esprit § IV : L’union transformante ou mariage spirituel,I. Nature de l’union transformante, 1469, 1470.

INTRODUCTION

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PREMIÈRE PARTIE

« UN TEMPS POUR SE TAIRE »

(QOHELET 3, 7)

CINQ VISITATIONS (1958-1969)

9

PREMIÈRE VISITATION

« Si tu savais la grâce qui t’est faite »1

J’avais 22 ans. Marié depuis moins d’un an, j’étais revenu à Dieudepuis quelques mois, très fort. De plus en plus fréquemmentme remontaient au cœur mes premiers émois enfantins,lorsque, âgé de 11 ans, je m’étais senti si attiré par Dieu, quej’avais décidé de devenir prêtre.

Chaque matin, avant de partir au travail j’allais assister à lamesse matinale dans l’église la plus proche de mon domicile.Ma femme semblait fort bien s’accommoder de cette piété, peucourante chez un jeune mari, et ce d’autant que mon caractères’en ressentait beaucoup. Je ne me souviens pas, en effet, luiavoir causé volontairement la moindre peine durant les deuxpremières années de ma vie conjugale.

Elle savait tout de mon attirance invincible pour ce Dieu dont,tout enfant, j’avais déjà expérimenté la douce présencemystérieuse et au service duquel je m’étais cru appelé, au pointqu’un prêtre avait jugé bon de me faire entrer dans ce qu’onappelait alors un Petit Séminaire, établissement privé d’étudessecondaires où l’enseignement était donné exclusivement pardes prêtres triés sur le volet, et où régnait un intense climat depiété un brin sulpicienne, dans l’esprit de l’époque.

1. On gardera à l’esprit que les exposés de cette 1ère partie du présent ouvrage ontété rédigés au début des années 1970, quand le souvenir de ces événements étaitencore vivace dans ma mémoire. J’ai tenu à en conserver la teneur originale,sans en rien modifier, à l’exception des adaptations chronologiques.

10

De son propre aveu – plusieurs fois réitéré au fil des années –mon épouse, si elle était loin d’éprouver une ferveur identiqueà la mienne, ne prenait nullement ombrage de la mienne. Toutau moins jusqu’au jour où se produisit l’événement que je vaistenter de relater maintenant.

Mes obligations militaires accomplies, je travaillais commesurveillant dans un externat catholique parisien. À ce titre,j’avais de nombreux temps morts. Je les meublais par deslectures assidues de tout ce qui pouvait contribuer à nourrir mafoi et stimuler ma piété naturelle.

Ce jour, béni et redoutable à la fois, du printemps de l’année1958, je venais d’achever la lecture d’un document accablant,trouvé sur un rayon de la petite bibliothèque des enseignants,fort peu fréquentée, et où je me réfugiais souvent pour lire,prier, ou méditer. Il s’agissait de l’ouvrage de l’historien LéonPoliakov, intitulé Le bréviaire de la haine. Les pages affreuses queje venais de parcourir relataient, avec une précision chirurgicaleet sans le moindre pathos, la plus horrible entreprise degénocide jamais perpétrée dans l’histoire de l’humanité : latristement célèbre “Solution finale”, c’est-à-dire la tentativenazie d’extermination du peuple juif.

Je me souviens encore confusément des sentiments complexesqui assaillirent ma conscience de jeune chrétien, encore pétrid’idéal et intimement persuadé de la sainteté sans tache del’Église et de ses ministres, lorsque je dus me rendre à l’évidenceque, dans l’ensemble et à l’exception de glorieuses interventionspubliques – qui furent le fait d’individus ou de personnalitésisolées –, l’autorité suprême de l’Église n’avait jamais expriméla moindre dénonciation publique claire de l’entreprise dedéportation systématique des Juifs, aussi odieuse quemanifestement contraire à la plus élémentaire justice, sansparler de la terrible atteinte à l’idéal évangélique qu’avaientalors constituée, tant l’activité criminelle des uns, que le silenceet l’inaction des autres.

Mon chagrin était si intense que je pleurai longtemps, jusqu’à

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n’avoir plus de larmes. Puis je criai vers Dieu et Le suppliaide me faire comprendre ce que je pouvais faire, à mon infimeniveau, pour réparer, en ma personne – si tant est que ce fûtpossible –, cet affreux abandon.

Un profond silence intérieur succéda à la tempête de tristessequi venait de me submerger. Je n’avais aucune habitude d’un telphénomène, aussi fus-je très attentif au recueillement délicieuxqui s’emparait progressivement de mon âme et dont jepressentais intuitivement qu’il présageait quelque chosed’inouï.

Et soudain cela fondit sur moi, “comme un aigle en plein vol”2.Je ne sais comment décrire cette sensation. Sur l’instant, je nem’en préoccupai d’ailleurs nullement : j’étais bien trop absorbépar ce qui m’arrivait pour me poser des questions de ce genre.Aujourd’hui – que l’on me pardonne l’audace de la comparaison–, je ne trouve qu’une situation qui corresponde à l’étatintérieur qui était le mien en cette circonstance : celle de Marie,lors de la salutation angélique qui précéda ce que nous appelonsl’Annonciation.

C’est alors que parvint à ma conscience, dans un silence infini,une exclamation intérieure : C’est Dieu ! Non que j’aie moi-même prononcé ces mots, ou que j’aie formulé cette pensée.Ce fut plutôt une locution intérieure qui résonna en moi avecune netteté incomparable, mais sans bruit de paroles, commepour me disposer à la venue de Celui pour Lequel je me sentaisdéborder d’un tel amour, que j’aurais volontiers accepté la morten contrepartie de ce seul début d’ “annonciation” personnelle.

En même temps que je prenais conscience de la divine entrevuequi m’attendait, se déroula, à la vitesse de l’éclair, une espècede dialogue silencieux entre mon âme et ce qui me sembla êtreune entité autre que Dieu et que je ne voyais pas, bien queje fusse tout à fait certain de sa présence. Il n’y eut en moini délibération ni raisonnement – au sens que l’on donne

2. Cf. Ap 4, 7.

MENAHEM MACINA

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généralement à ces débats intérieurs produits par l’intelligenced’un individu qu’une émotion intense saisit soudain. Il mesembla seulement qu’on me demandait intérieurement, avecune infinie délicatesse, si je consentais d’avance à ce qui allaitm’arriver.

On pensera peut-être que c’était là une question superflue etqu’à l’évidence, je réagis par un “oui” enthousiaste. Il n’en futrien. Au contraire, un infime instant, j’eus un réflexe de recul.J’éprouvais une espèce de crainte sacrée et même – chosedifficile à croire, mais c’est bien ainsi que les choses se passèrentalors –, sur le coup, mes cheveux se dressèrent sur ma tête, à laperception de l’immense puissance divine prête à se manifesterà moi. Je crus que j’allais défaillir sous le flot de suavité quicommençait à déferler en mon âme, et mon instinct deconservation faillit me dissuader d’accepter l’incommensurablegrâce que le Seigneur s’apprêtait à me faire. Dieu merci, bienque je fusse persuadé que j’allais mourir, je m’abandonnaiintérieurement à cette puissante attraction qui me tirait déjàhors de moi-même et qui, dans un instant, allait m’emporter làoù Dieu seul sait qu’Il m’emmena.

À ce propos, je ne puis que reprendre à mon compte – faute deréférence plus adéquate, et avec confusion –, l’exclamation dePaul :

Je connais un homme, dans le Christ, qui, voici [trente-sept] ans – était-ce en son corps ? Je ne sais; était-ce horsde son corps ? Je ne sais, Dieu le sait –, cet homme-là futravi jusqu’au troisième ciel. Et cet homme-là – était-ce enson corps ? Était-ce sans son corps ? Je ne sais. Dieu lesait –, je sais qu’il fut ravi jusqu’au paradis et qu’il entenditdes paroles ineffables qu’il n’est pas possible à l’homme deredire3.

Dès lors, tout alla très vite. Je fus assailli par une multitude deperceptions, de nature à la fois imaginative et intellectuelle, au

3. 2 Co 12, 2-4.

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sens que les experts en mystique donnent à ces termes – “que lelecteur comprenne”4.

Je vais donc essayer, ci-après, de décrire l’indescriptible,conscient de la quasi-impossibilité de l’entreprise. De fait, lelangage humain s’avère aussi inadéquat pour relater lesphénomènes surnaturels, que celui de la mathématique et dela physique modernes pour rendre compte de l’origine et de lafinalité de l’univers.

Je me vis d’abord environné et comme investi tout entier parune lumière d’une blancheur immaculée, indescriptible. Elle estsi belle, cette lumière, que l’on voudrait mourir pour passer sonéternité à la contempler. En même temps, je me sentis emportédans les airs, avec une douceur et une suavité infinies, et à unevitesse inimaginable. Une fois de plus, “comme un aigle en pleinvol”5 est bien l’expression qui convient.

À ce stade, je vais tenter de relater toutes les perceptions dontj’ai parlé plus haut. Comme elles se sont produitesinstantanément et simultanément, je désespère de rendre, pardes mots, leur caractère synthétique et signifiant. De fait, forcem’est bien de relater, en succession et analytiquement, ce qui seproduisit de manière pour ainsi dire “symphonique”.

Je perçus tout d’abord un étrange phénomène, qui m’alongtemps laissé perplexe. Cela paraîtra incroyable, fou etincongru, mais c’est bien ainsi que cela se passa. Je venais deprononcer intérieurement mon “Fiat” à ce qui allait m’arriver,et j’étais assis, le menton contre la poitrine, prostré sous lepoids écrasant de la “gloire” qui commençait à m’investir. Je mesentais, en effet, comme broyé intérieurement par le sentimentde mon indignité face à la sainteté infinie de ce Dieu, à la foissi inaccessible et si proche. Dans cet état, je perçus intensémentà quel point la créature est indigne de son Créateur, en mêmetemps que je réalisai, avec émerveillement, de quelle nature

4. Cf. Mt 24, 15.5. Cf. Ap 4, 7.

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incroyable est l’amour de Dieu envers notre âme, qu’Il a forméeLui-même et qu’Il désire, comme l’Époux Sa bien-aimée. Aumoment précis où je m’abandonnais en défaillant à la force– gigantesque, mais infiniment délicate – qui s’emparait demoi, je fus soudain emporté vers le haut, en même temps queje me voyais encore assis sur le siège que j’occupais, lorsquedébuta la vision. Il me sembla que j’étais à la fois dans ce corpsde chair, resté là, sur sa chaise, et dans cette portion de moi(mon âme, mon esprit ?… je ne sais) qui s’envolait, commeaspirée par l’attraction gravitationnelle irrésistible d’une autreplanète. D’en haut, je me voyais assis en bas. D’en bas, je mevoyais à genoux dans l’espace, les mains jointes, la tête tenduevers la “gloire” qui commençait à se dévoiler à moi.

La dernière perception intellectuelle qui s’imprima en moi,avant ce que je vais relater, consista en la phrase suivante, quifut émise sans bruit de mots, par l’entité inconnue qui m’avaitdemandé précédemment et de la même manière, si je consentaisà m’abandonner à ce qui allait m’advenir : Si tu savais la grâcequi t’est faite.

Dès lors, je n’eus plus la sensation d’être encore dans ce corps,resté assis à ce qui me sembla être des milliers d’années-lumièrede distance. Je me perçus nettement, comme de l’intérieur demoi-même, suspendu dans le vide, à genoux, face à une visiondont je ne prenais conscience que progressivement. Je ne saisd’ailleurs pourquoi je parle de vide pour qualifier l’espace oùje me trouvais. En effet, il me sembla que je reposais sur uneespèce de tissu impalpable, dont la trame imperceptible étaittissée d’une infinité de maillons vivants, personnels etconscients, qui me parurent de nature angélique. Je perçusencore que je baignais dans une aura indescriptible derecueillement et de silence, saturée de pureté et de joie, et dont,malgré l’éloignement chronologique, je me souviens encore.

C’est alors que je pris conscience que Quelqu’un se tenait devantmoi, à une distance que je ne saurais évaluer, mais qui me parutà la fois proche et infranchissable.

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J’ai dit plus haut quel émerveillement j’avais ressenti de lablancheur lumineuse qui m’environnait. Comme les apôtres auThabor, j’aurais volontiers pensé, si j’en avais été capable alors,qu’“aucun foulon sur terre ne pouvait produire une telleblancheur”6. Pourtant, même cette gloire-là n’était rien comparéà la diaphanéité de ce qui se dévoilait maintenant à moi.

Cela avait l’apparence d’une sphère, ou plutôt d’une espèce dehalo translucide. Impossible de décrire une telle Vision. Ellepalpitait doucement, me semble-t-il, et m’attiraitirrésistiblement. J’éprouvais, pour cette Vision, un tel amour,que j’en étais entièrement consumé. J’aurais voulu souffrir millemorts par passion d’Elle. Toute pensée était bannie de monintellect. Je n’étais que contemplation et ravissement devantcette Présence sans forme et sans visage, dont je savais qu’Elleétait une manifestation du Dieu invisible.

Silence indescriptible. Je me croyais parvenu au faîte de mavision. Je n’en désirais pas davantage, je n’attendais rien deplus. J’étais comme hors de moi, quoique encore conscient, dumoins me semble-t-il. C’est alors que je distinguai, à l’intérieurdu halo diaphane dont j’ai parlé, la présence d’un autre halo, quisemblait comme le cœur, le noyau du premier. Comment décrirecette Splendeur, comment en rendre compte sans La profanerdu même coup ? Si la diaphanéité du premier halo étaitindescriptible, que dire de celle du second ? Lové dans le seinde Celui qui le contenait, Il palpitait comme un argent pur enfusion, telle l’Essence à tout jamais indissociable de Sa forme, etqui L’accompagne partout où Elle va : Source de Vie Qui sourdsans cesse du dedans des profondeurs de Leur Être commun.Je ne saurais en dire rien de plus, sinon que tout mon êtredésirait éperdument se fondre en cette Beauté primordiale dontle “tourbillon”, immobile et silencieux mais irrésistible,m’aspirait en son centre, jusqu’à ce qu’il m’absorbât enfin, etque le temps, pour moi, s’arrêtât. Alors, un monde impossibleà décrire s’ouvrit à mes sens intérieurs. Je n’en relaterai que ceque ma mémoire a retenu du troisième aspect de la perception

6. Cf. Mc 9, 3.

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qui me fut donnée, en vision, du Dieu unique et trine, Qui est leSeigneur du ciel et de la terre.

Je distinguais, à présent, autour des deux halos divins imbriquésl’un dans l’autre, dont j’ai parlé ci-dessus, une Vision d’unetelle diaphanéité qu’il est impossible d’en rendre un comptesatisfaisant. C’était une Lumière sans couleur, une transparenceaux frontières de l’invisible. Elle affectait l’aspect d’un nimbe, oud’un arc, encerclant les deux halos déjà décrits et, pour ainsidire, les contenait en Elle comme une mère porte son enfant !(Je dis des folies et nul n’y comprendra rien, sans doute, maisje ne puis décrire autrement ce que je perçus alors). Ce nimbeétait unique et multiple à la fois; un peu à la manière dont ondit que la lumière, quoique formée de milliards de corpusculesphotoniques individuels, se manifeste comme une nappecontinue, sans maille aucune. Cette immense Aura – diaphaneau-delà de toute diaphanéité – je La perçus comme étant uneentité de nature féminine, très jeune et divinement belle,comme la “Fiancée” du Cantique des Cantiques, fluide et purecomme une onde, cristalline et impalpable comme une briselégère. Pourtant, je ne voyais ni corps féminin, ni visage, ni eau,je ne sentais aucun souffle ; je n’avais conscience de rien d’autreque de l’Aura indicible Que je m’efforce en vain de décrire.Elle affectait la forme immatérielle d’un sourire de tendresse,d’amour et de miséricorde, dont je me sentis commematernellement inondé et enveloppé, en même temps quem’était donnée une connaissance infuse de l’incommensurableamour de Dieu pour Ses créatures et de la tendresse maternelleavec laquelle Il prend soin de chacune d’elles. Mon ultimeperception, avant d’être aspiré dans le halo le plus central dela vision relatée plus haut, fut que l’on déposait au plus intimede mon être, quelque chose dont j’ignorais – et ignore encoreaujourd’hui – la nature, mais dont je crus comprendre que DieuLui-même me le confiait, et que Lui seul connaissait le but de cedépôt.

Je ne sais combien de temps dura cet enfouissementbienheureux de mon être dans la gloire divine. Tout ce dont

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je me souviens, c’est qu’à un certain moment, je me sentisréintégrer mon corps, comme dans un film projeté en marchearrière. Cela paraîtra peut-être grotesque, mais c’est bien ainsique les choses se passèrent. Cette opération eut lieu dans laplus grande suavité. Je ne me souviens pas avoir ressenti lamoindre tristesse que tout fût déjà fini. La seule souffranceque j’eus à endurer – mais combien terrible ! – fut physique.Mon corps, en effet, était comme broyé. Il me semblait que l’onm’avait roué de coups et que tous mes os étaient disloqués.Quant à ma peau, elle était glacée comme celle d’un cadavre.Sans l’immense joie intérieure qui était la mienne, je crois bienque j’aurais pu mourir de cette douleur-là. Cela m’eût d’ailleursété bien égal, tant je désirais rester éternellement avec ceSeigneur de gloire.

Il m’en prit de longues minutes avant que je pusse remuer, nefût-ce qu’un doigt de la main. Tous mes nerfs étaient à vif.Jusque-là je n’avais pas encore rouvert les yeux.Instinctivement, et comme si je savais que je ne la reverraisplus jamais sur cette terre, je gardais le regard de l’âme fixésur l’éblouissement de la Vision disparue. J’avais contemplé laLumière Qui est l’archétype de toute lumière d’ici-bas, et voiciqu’en reprenant contact avec celle de notre soleil qui, en ce jourprintanier, inondait la cour de l’école, je m’étonnai de constaterà quel point ce qu’on appelle lumière, dans notre monde,ressemble à de la boue noirâtre, en comparaison de la gloire du“Père qui habite une lumière inaccessible”7.

Je me souviens qu’au sortir de cette faveur exceptionnelle, etlorsque j’eus repris le plein contrôle de mes facultés, je medemandai ce que pouvait bien me vouloir ce Dieu qui venaitde tant me combler. Non que je fusse troublé – j’avais trop deconfiance en la Sagesse de celui qui m’avait ainsi enrichi, sansaucun mérite de ma part –, mais je me doutais bien que cedon devait être assorti d’une contrepartie et que, le momentvenu, il me faudrait restituer le trésor confié, après lui avoir fait

7. Cf. 1 Tm 6, 16.

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produire les fruits dont Dieu seul connaissait la nature et lesmodalités d’obtention.

Les effets de cette vision durèrent longtemps. Surtout, durantun ou deux mois, à ce qu’il me semble, le Seigneur, pour desraisons que Lui seul connaît, me fit expérimenter plusieursfaveurs qui sont généralement – comme je l’appris plus tard –,l’apanage des plus avancés dans la vie intérieure et les voiesmystiques. Comme il est bien évident que tel n’était pas moncas, Il ne me les donna à goûter qu’épisodiquement et durantpeu de temps. Il n’y a pas lieu de s’y attarder ici. Je mecontenterai de mentionner, à l’intention de ceux qui ontquelque connaissance en la matière, qu’il s’agissait – si j’ai biencompris ce qui m’est alors arrivé – de vol de l’âme, d’oraisond’union, d’extase, de dislocation, de vision prophétique, de nuitdes sens, de don des larmes, de sentiments de dérélictionintérieure, d’oraison de quiétude, du don de lire dans les cœurs,du don de discernement des esprits, de la perception quasipermanente de l’inhabitation en moi de l’Esprit Saint, enfin,d’une paix intérieure inaltérable, même au sein des plus duresépreuves.

Le seul prix que j’eus à payer pour ces faveurs – mais il meparut alors léger, tant était insatiable ma soif de souffrir quelquechose pour ce Dieu Qui m’avait pour toujours ravi l’âme –, fut lacontradiction de mon entourage. Celle de mon épouse d’abord,effrayée du recueillement qui transfigurait mon visage et medonnait, selon elle, un air étrange ; puis celle des prêtres etdes religieux auxquels je m’adressai ou auxquels on m’adressa– non sans les avoir mis en garde, au préalable, contre ce quel’on appelait les « billevesées mystiques d’un ex-séminariste quieût préféré devenir prêtre que de se marier » –, qui pensaientde même. Ces épreuves durèrent longtemps et furent si cruellesque, n’étaient l’effet, encore perceptible, de la faveurextraordinaire qui m’avait été accordée, et une aide touteparticulière de mon Seigneur, je me fusse certainementdécouragé.

Voici plus de cinquante-trois ans que ces faits me sont advenus.

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Depuis, j’ai vécu longtemps dans la médiocrité, puis dans lepéché. J’ai tellement galvaudé les grâces divines que, malgrél’état permanent de repentance intérieure, que j’ai voué depuisquelques années, et ma foi inébranlable en la miséricordedivine, je crains sans cesse pour mon salut, car je n’ai porté quedes fruits dérisoires, eu égard à la grandeur des faveurs dont jeme suis montré si lamentablement indigne.

De la grâce insigne relatée ci-dessus m’est restée une blessureincurable : la souffrance de n’avoir jamais été capable d’unamour de Dieu et de mes frères, qui fût digne de la miséricordeineffable que Lui m’a témoignée. En outre, jusqu’à ces toutesdernières années, deux points me sont demeurésincompréhensibles :

1. Cette vision n’avait apparemment aucun rapport avec ladécouverte, que je venais de faire, du mystère du dessein deDieu sur le peuple juif. De fait, rien, dans la faveur qui m’avaitété accordée, ne semblait indiquer qu’elle constituât uneréponse à cette question qui allait tant marquer ma viesubséquente.

2. Aucune directive, aucun appel explicite ou concrètementréalisable, ne m’ont été signifiés. Certes, je me suis senti appelépar Dieu. Il m’a même semblé qu’il me prédisposait à porter untémoignage particulièrement important et presque impossibleà accepter pour mes coreligionnaires. Mais, au sortir de cettefaveur et durant les mois qui suivirent, rien ne me fut donné àcomprendre qui me permît de m’orienter vers une action ou unevoie de spiritualité spécifiques, en liaison plus ou moins directeavec ce qui m’avait été manifesté.

Assez curieusement, je ne m’inquiétai nullement de cesinconnues ; à tout le moins durant la période de grande fidélitéà Dieu qui suivit cette faveur et qui dura plus d’une année, à cequ’il me semble. J’étais sûr que tout s’éclairerait, à l’heure quele Seigneur estimerait opportune. Et je répétais volontiers, enréponse aux questionnements et remises en cause de quelquesconfidents – et ce avec une assurance naïve qui ne laissait pas

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de les agacer parfois –, que si je ne m’étais pas mépris sur cequi m’était arrivé, et si Dieu m’avait signifié de la sorte qu’Il mevoulait à Son service, peu importaient la nature et les modalitésconcrètes de ce dernier, puisque, en définitive, le Seigneur lui-même, dans Son immense miséricorde, saurait bien, le momentvenu, me dévoiler ce qu’il y aurait lieu de faire, et disposerles cœurs de ceux qui croiraient à “ce que l’œil n’a point vu, ceque l’oreille n’a point entendu, et qui n’est pas monté au cœur del’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qu’il aime”8.

8. 1 Co 2, 9.

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DEUXIÈME VISITATION

« Dieu a rétabli son peuple »

Écris la vision, explique-la sur des tablettes pour qu’on la lisefacilement. Car c’est une vision qui n’est que pour son temps : elleaspire à son terme, sans décevoir. Si elle tarde, attends-la : elleviendra sûrement, sans faillir !” (Habacuq 2, 3-4).

Ce jour-là, je venais de lire, pour la énième fois, la célèbreexclamation prophétique de saint Paul, dans son Épître auxRomains :

“Dieu aurait-Il rejeté son peuple ? – Jamais de la vie ! Dieun’a pas rejeté le peuple qu’il a discerné d’avance.”1.

Alors, jaillit de mon âme une protestation presque violentedont, jusqu’alors, je n’avais pas pris conscience qu’elle étaitlatente en moi depuis longtemps. C’était un véritable cri, quipeut se résumer à peu près en ces termes, que j’émis avec fougueet dans le silence d’un recueillement intense et déjà quasisurnaturel :

« Mais enfin, Seigneur, dans les faits, les Juifs sont éloignésdu Christ et de Son Église ! Qu’en est-il de cette merveilleuseannonce de Paul ? »

1. Rm 11, 1-2.

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Il faut croire que l’ardeur désespérée de ce cri fut agréable àDieu, puisque, dans Son immense miséricorde, Il daigna merépondre.

Je me sentis soudain submergé par le même recueillementintérieur surnaturel que celui qui avait précédé ma premièreexpérience spirituelle intense, neuf années auparavant,m’avertissant de la proximité d’un dévoilement de la Présencedivine. Dès que je réalisai ce qui m’arrivait, je me réfugiai dansl’humilité. Mais, avant même que j’aie eu le temps d’émettre lesparoles de la prière qui me montait au cœur, je me vis environnéd’une lumière indicible. Je ne pouvais résister à l’envahissementdélicieux de la Gloire divine. Je compris que ma supplicationavait atteint le cœur de Dieu et même qu’elle Lui avait étéagréable. Mais rien de tout cela ne me fut signifié de manièreintelligible ou discursive. La vision fut brève et la suspension demes sens cessa assez vite. Toutefois, juste avant que se dissipela lumière surnaturelle, s’imprima clairement en moi la phrasesuivante :

« Dieu a rétabli Son peuple ».

En même temps, m’était infusée la certitude qu’il s’agissait dupeuple élu ; que le rétablissement de ce dernier, dont on venaitde m’annoncer la « bonne nouvelle », était chose faite, et quel’événement concernait aussi bien les juifs d’aujourd’hui, la terred’Israël et Jérusalem, que la chrétienté et toute l’humanité.

Autant l’extase avait été brève, autant le recueillement qui lasuivit fut long, profond et nourricier. Cependant, malgré la joieindicible qui m’imprégnait encore, lorsque je redevinspleinement conscient du monde extérieur, une certaineperplexité m’habitait. Je me demandais ce que pouvait biensignifier ce “rétablissement” qu’on m’annonçait comme déjàaccompli, d’autant que s’imposait irrésistiblement à mon espritla référence à un passage – d’interprétation difficile, audemeurant – du Livre des Actes des Apôtres :

Repentez-vous donc et convertissez-vous, afin que vos péchés

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soient effacés, et qu’ainsi le Seigneur fasse venir le temps durépit. Il enverra alors le Christ qui vous a été destiné, Jésus,celui que le ciel doit garder jusqu’aux temps de la restaurationuniverselle dont Dieu a parlé par la bouche de ses saintsprophètes2.

Ce n’est que beaucoup plus tard que je compris la portée capitalede ce passage prophétique. À mes yeux, il constitue le pivotautour duquel toute la Révélation s’articule et prend son senseschatologique, réconciliant l’immutabilité des promessesdivines consignées dans les paroles de l’Écriture, dont témoignece qu’il est convenu d’appeler l’Ancien Testament, et leuraccomplissement plénier réalisé par le renouvellement del’Alliance en Jésus-Christ, que confirme ce qu’il est convenud’appeler le Nouveau Testament. Pour l’heure, conformément àma mentalité de chrétien traditionnel d’alors, il m’était difficiled’imaginer comment le peuple juif pouvait être rétabli (dansla faveur divine), alors qu’il ne croyait pas encore en Jésus,son Messie et son Dieu. Non que j’aie un seul instant doutéde la vérité de ce qui venait de m’être communiqué, mais jene savais pas à quoi rattacher cette certitude – qui m’habitaitdésormais, sans que je pusse encore en rendre compte –, d’unrétablissement, déjà réalisé, du peuple juif, dans sa vocationpremière.

Mais, à l’époque, je connaissais trop peu l’Écriture et la doctrinedes Pères et de l’Église (outre que j’ignorais tout de la traditionjuive), pour me fier à mes “lumières” propres, et je n’avais niles moyens pratiques, ni la science nécessaire pour vérifier sicette “révélation privée” était bien conforme au « dépôt » dela foi3. Un instant, je songeai à la mise en garde scripturairecontre les artifices du diable, réputé capable de “se déguiser enange de lumière”4. Pourtant, je ne pouvais croire que l’immenserecueillement et les sentiments extraordinaires d’amour etd’humilité que je venais de ressentir, pussent avoir été produits

2. Ac 3, 19-21.3. Cf. 1 Tm 6, 20 ; 2 Tm 1, 12.4. Cf. 2 Co 11, 14.

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en moi par l’Adversaire, car, dit saint Paul : « Dieu est fidèle; Ilne permettra pas que vous soyez tentés au-delà de vos forces »5.En outre, je savais, par mes lectures d’auteurs spirituels, que le« Père du mensonge »6 n’a pas ce pouvoir et que seuls ceux quivivent habituellement dans le mensonge et le désordre peuventse laisser abuser par lui. Et, malgré la piètre opinion que j’avaisfini par avoir de moi-même, sous les coups humiliants de mesinfidélités répétées, j’étais bien obligé de convenir que tellesn’étaient pas mes dispositions du moment. Toutefois, je restaispréoccupé, comme je le suis toujours lorsque m’advient unefaveur nouvelle, dont je ne trouve aucun parallèle exact dansce que je connais de l’enseignement de l’Église, de celui desthéologiens, et des témoignages des auteurs spirituels fiables.

Pour me rassurer, je me dis que la phrase sibylline qui s’étaitgravée en moi devait être une expression biblique classique,dont Dieu avait voulu me donner une certaine intelligencespirituelle. Je ne doutais pas un instant que je la retrouveraisfacilement, au hasard de mes nombreuses lectures scripturaires,et qu’à l’aide du contexte et des parallèles, je pourraiscompléter, avec la grâce divine et en me servant de ma raison, cequi manquait encore à l’intelligence, qui était alors la mienne,de la locution surnaturelle dont j’avais été l’indignebénéficiaire.

En fait, il m’en prit plusieurs années pour découvrir que, sile thème du rétablissement d’Israël est bien attesté dans lesÉcritures (les prophètes y ont fréquemment recours pourannoncer à leur peuple une reconstitution nationale et unaccomplissement futur inespéré de toutes les promessesmessianiques), le verbe connotant ce rétablissement n’y figurejamais au passé accompli (qu’il ne faut pas confondre avec le“passé prophétique”, lequel n’est, en fait, qu’un futur).

Pour l’heure, ce que je percevais intuitivement, sans l’aide dela science exégétique – dont je ne possédais alors même pas les

5. 1 Co 10, 13.6. Jn 8, 44.

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rudiments – et, cela va de soi, sans la moindre connaissance dela langue hébraïque, que je n’ai apprise que plus tard –, c’estque le rétablissement final du peuple juif, que Dieu avait “annoncépar la bouche de Ses saints prophètes“, était déjà accompli. Jecomprenais également – mais obscurément et de manière plusintuitive que rationnelle – qu’il découlait de cette annoncequ’étaient inaugurés « les temps du rétablissement de touteschoses », annoncés par Pierre7. Mais même cette certitudeintérieure me faisait problème, à cause des traductions de cepassage, qui ne sont guère satisfaisantes, et en raison de maméconnaissance du sens exact du texte grec sous-jacent.

À l’époque, la plupart des traductions françaises portaient :« jusqu’aux temps du rétablissement de toutes choses dont Dieua parlé par la bouche de ses saints prophètes », ce qui inclinaitnombre d’exégètes et la quasi-totalité des fidèles à comprendrequ’il s’agissait de la fin du monde, ou de la Parousie – ce qui,pour beaucoup, et à tort, est la même chose. À mon avis, il fauttraduire : « jusqu’aux temps de la réalisation – ou restauration(en grec : apokatastasis) de tout ce que Dieu a dit par la bouchede ses saints prophètes […] ». Je n’explicite pas ici le pourquoide ma traduction du terme apokatastasis par « réalisation », ou« restauration », car j’ai traité ce sujet en détail ailleurs8.

Incapable – comme je l’ai dit plus haut –, dans l’état de mesconnaissances d’alors, de juger par moi-même de la conformitéde cette annonce avec la compréhension qu’a l’Église de sonmystère, et n’osant m’ouvrir à personne de la nature et de laportée de celle que j’en avais désormais, de peur de passer pourun hérétique ou un illuminé, je choisis de me taire. Renduprudent par ce que m’avaient jadis coûté mes confidencesépisodiques concernant des grâces reçues, je décidai deconformer mon attitude à celle de Marie qui, aux dires del’Évangile, fut, elle aussi, troublée en son cœur9 à l’auditionde l’incroyable annonce angélique. À son exemple, au long des

7. Cf. Ac 3, 21.8. M. Macina, Les frères retrouvés. De l’hostilité chrétienne à l’égard des Juifs à la

reconnaissance de la vocation d’Israël, éditions L’Œuvre, Paris, 2011, p. 204-213.9. Cf. Lc 1, 29.

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années subséquentes – quand, du moins, j’étais dans lesdispositions intérieures voulues –, je « méditais dans mon cœur »sur ces choses10, confiant que, si je n’avais pas été victime d’uneillusion, Dieu, Qui sait, Lui, pourquoi il m’a révélé tout cela,saurait bien, de la manière et au moment qu’Il jugeraitopportuns, me dévoiler le sens et les implications de cemessage.

10. Cf. Lc 2, 19.

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TROISIÈME VISITATION

Un déferlement scripturaire

Après la révélation fulgurante de cette parole divine – « Dieua rétabli Son peuple » –, je restai des semaines dans un étatde profond recueillement intérieur. Ensuite, je n’eus plus qu’àpersévérer dans la voie de prière et de contemplation à laquellej’étais enfin revenu, après des années d’exil spirituel et depéché. Cependant, j’avais conscience de n’être pas encorecomplètement guéri de mes faiblesses. Mais, dans l’ensemble,je n’offensai pas beaucoup le Seigneur – à ce qu’il me semble–, durant les mois qui suivirent. Je consacrais une grande partiede ma journée et la totalité de mes soirées à la lecture desÉcritures et de toute la littérature théologique et spirituelleque je pouvais me procurer, ainsi qu’à la prière et à l’oraison.J’accomplissais ma tâche de chanteur des rues avec le plus grandsérieux, et je m’efforçais d’offrir à mon public un répertoire dela meilleure qualité artistique et morale dont j’étais capable.

J’étais d’ailleurs amplement payé de cette ascèse. En effet, plusje m’épurais, plus j’avais du succès. C’est ainsi que nonseulement je m’épanouis moralement et spirituellement, maisque, de surcroît, je fus enfin en mesure de servir régulièrement àma famille une pension alimentaire décente – chose qui m’avaitrarement été possible lorsque j’occupais des emplois rémunérés.Mais il y avait plus : sous l’influence de la grâce divine, je

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m’humanisais vraiment. Je commençais à aimer mes semblablesd’un véritable amour de charité et à ressentir pour eux unecompassion et une patience attendries. Surtout, j’éprouvais uneprofonde sollicitude pour ceux et celles que je voyais prisonniersdes passions qui avaient si longtemps ligoté mon âme. Je lestraitais avec beaucoup de respect et je leur témoignais la plussincère affection, afin sinon de les gagner au Christ, du moins defaire monter à la surface de leur âme le meilleur d’eux-mêmes,qui s’y cache le plus souvent à leur insu. En outre, je priaissans cesse pour l’Église, ses Pasteurs et ses ministres, pour lachrétienté et pour tous les hommes et les femmes – vivantsou défunts –, que j’avais connus, ou qu’il m’était donné derencontrer, ainsi que pour ceux et celles que je ne connaissaispas et que je ne rencontrerais jamais de mon vivant.

Au vrai, en cette période bénie, je me sentais l’âme franciscaine.J’y étais grandement aidé par le merveilleux cadeau que m’avaitfait la Providence, en l’espèce d’un mas provençal, rafistolé etplein de courants d’air, gratuitement mis à ma disposition parun de mes “fans” locaux, riche commerçant à la vie morale peucatholique, mais doté d’un grand cœur. À l’en croire, il avait étéimpressionné par ma ferveur de chanteur « avec quelque choseen plus », comme il disait, car il était sensible au spirituel, voireau surnaturel, dont il m’avoua qu’il l’avait frôlé, dans sa primejeunesse.

C’est en ce lieu, austère et isolé, situé dans une garrigue sauvagesurplombant la mer, que je passais désormais l’essentiel de montemps. J’en avais fait ma cellule, mon couvent, ma Chartreusepersonnelle. J’y parlais à mon Dieu, cœur à cœur, si j’ose dire. J’ypriais avec ardeur et componction. J’y scrutais l’Écriture sainteet y dévorais les rares livres de spiritualité que j’avais puacquérir. Bref, j’y repensais toute ma foi. Peut-être aussiespérais-je – plus ou moins confusément – que serenouvellerait la faveur spirituelle merveilleuse dont j’avais étégratifié, quelques semaines auparavant. Et, de fait, j’eus ànouveau ce bonheur. Toutefois, ce ne fut pas en ce lieu béni,mais en pleine rue, comme je vais le relater ci-après.

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Il était environ midi. Comme chaque jour, je venais d’effectuerla demi-heure de marche qui me séparait de mon “lieu detravail”, en l’occurrence : le quai d’une station vacancière etsa théorie de restaurants qui, dans moins d’un quart d’heure,allaient se remplir des estivants qui constituaient ma clientèlequotidienne de “mancheur”. C’était une magnifique journéeensoleillée de fin de printemps. Je débordais d’une profondepaix intérieure. Selon une bonne habitude de jadis – aveclaquelle j’avais renoué depuis mon retour à Dieu, un an plus tôt–, je priais sans cesse intérieurement. J’étais calme, sans désirparticulier, heureux seulement d’accomplir, de mon mieux, cequi constituait, en ce moment, mon “devoir d’état”, et donc lavolonté de Dieu sur moi.

C’est au moment où j’allais pénétrer dans mon premierrestaurant, pour dire un petit bonjour au patron et aux serveurset serveuses et “prendre la température” de la clientèle du jour,que la Puissance de Dieu “fondit sur moi en plein vol”1. Assezcurieusement, le phénomène se produisit alors que je mebaissais pour ramasser le châle qu’une dame, qui marchaitdevant moi, venait de laisser tomber. J’avais encore la main ausol, lorsque je me vis environné d’une lumière éclatante, demême nature que celle de mon extase de 1958. En même temps,je sentis quelque chose de très puissant et de délicieusementenivrant me pénétrer tout l’être, à la manière d’un fluide oud’une onde, dont je ne saurais décrire les opérations sanscraindre de blasphémer ou de paraître ridicule. C’était commeun rayon de lumière, ou une onction délicieuse, brûlante etfraîche à la fois, vivante et personnelle, et pourtantinconnaissable, insaisissable, impossible à localiser,indéfinissable. Cela entra en moi par la partie arrière supérieurede ma tête – à ce qu’il m’a semblé –, mais, à vrai dire, je suisincapable de préciser davantage. Cette puissance me traversatout le corps. Elle s’étendit instantanément à chacune de sesparties et jusqu’à ses extrémités, un peu à la manière de l’eaudans une éponge, ou de la sève dans une plante. Je me sentais

1. Cf. Dn 9, 21.

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tout imbibé du bonheur et de la suavité que me causait ce“fluide” – ou cette “Présence” – multiple et unique à la fois etde nature si enivrante, que j’en défaillais, au point que j’eusbeaucoup de mal à me relever. Un instant, je craignis de tomberà terre et de perdre conscience, et je m’émus intérieurement dece que le don de Dieu fût ainsi exposé à la dérision. Ou peut-êtrene fut-ce, de ma part, qu’une réaction de pudeur ou de peur duridicule. Toujours est-il que je suppliai Dieu de me préserver dela chute et de faire en sorte que nul ne s’aperçût de la naturesurnaturelle de ce qui m’arrivait. Je fus exaucé. Toutefois, je mesouviens encore du regard effaré de la dame à qui je venais deremettre son châle, avec mon plus beau sourire. Je devais avoirun air plus qu’étrange, car ensuite elle se retourna plusieursfois en regardant dans ma direction, avant de se perdre dansla foule. J’entrai au plus vite dans le premier restaurant que jepus atteindre. J’eus à peine la force de murmurer quelques motsau patron de l’établissement, avant de m’enfuir, après l’avoirprié de garder ma guitare et mon sac, en précisant que je nechanterais pas ce jour-là. Il me dit que j’étais pâle à faire peuret, me croyant malade, il m’engagea vivement à me faire soigneret à me reposer ensuite. Je n’en demandais ni ne pouvais pas endire plus. Je m’enfuis de là aussi vite que me le permettaient mesjambes.

Mon état était étrange. En fait, pour autant que je puisse m’ensouvenir et si tant est que je comprenne vraiment ce qui m’estarrivé alors, il me semble que j’étais encore en extase. Certes,j’avais pu parler – quoique avec difficulté –, je marchais, jedistinguais vaguement les passants, j’étais conscient de ce queje me dirigeais, à grandes enjambées, vers la sortie de la ville,en direction de la mer, mais tout se passait comme dans unrêve. J’avais l’impression de marcher dans de l’ouate lumineuse.Chaque geste m’était à la fois pénible et d’une extrême suavité.Tout mon être était comme recroquevillé sur lui-même, encontemplation devant ce qui se passait dans mon âme. Maconscience était comme prostrée devant l’adorable présence deson Dieu, hébétée de confusion, éperdue d’amour envers l’Êtreadorable Qui venait de la combler, et incapable de rien

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comprendre à l’inhabitation ineffable, en elle, de Celui Que « lescieux des cieux ne peuvent contenir »2, sinon que c’était là unegrâce inouïe de la Toute-Puissance miséricordieuse, une preuvesupplémentaire de l’immense humilité de Dieu et de Saprédilection incompréhensible pour des pécheurs tels que moi.

Mais, plus que tout, me submergeait la Joie. Débordante etdouce à la fois, délicate et ténue comme une source, maispuissante comme un torrent de montagne grossi par la fontedes neiges. Cela pourra sembler incroyable, mais c’était ainsi.Sous le déferlement de ce bonheur paradisiaque, j’étais commehors de moi. Je ne savais que devenir. J’aurais voulu être toutentier, langues, pour chanter, dans tous les idiomes, mareconnaissance, mon amour et mon adoration. Je recherchais lasolitude pour m’y enfouir avec mon trésor. Je ne voulais plusvoir personne. Même le spectacle de la nature – pourtantsplendide, en cet endroit – m’était à charge. Je n’aspirais qu’àrester seul avec mon Seigneur, Auquel j’adhérais par toutes lesfibres de mon être, et dont l’Esprit m’entraînait, dans unemarche forcée, sur une distance considérable, phénomène qui,plus tard, m’apparut comme inexplicable.

Pour l’heure, je n’avais conscience ni du temps, ni del’extraordinaire périple que j’accomplissais physiquement.Toute mon attention intérieure était focalisée sur ce quim’arrivait maintenant. La lumière surnaturelle avait disparu,mais un recueillement surnaturel indicible m’envahissait, memettant dans un état voisin de l’extase. Un silence intérieur,plus intense encore que celui qui avait précédé, m’avertit quequelque chose d’inouï allait m’advenir. Et, en effet, voici quesoudain, toute l’Écriture – je dis bien : toute l’Écriture – semit à “défiler” dans mon intelligence. Je ne vois pas commentdécrire autrement ce qui se passa alors en moi. Un fleuve deconnaissances des plus hauts mystères du dessein divin de Saluts’engouffrait dans mon esprit. Toutefois, cette illuminationn’affectait pas une forme discursive. Elle ne consistait ni enraisonnements ni en considérations et, à vrai dire, elle

2. Cf. 1 R 8, 27 = 2 Ch 6, 18.

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n’empruntait même pas le canal habituel des mots et desconcepts. C’était comme la projection d’un film d’une beautéet d’une harmonie stupéfiantes, mais il n’y avait pas d’images,pas de sons, pas de mots, pas la moindre représentationimaginative. Tout ce que je puis dire, c’est que des foules depassages scripturaires m’étaient présentés, de manièresimultanée et comme “symphonique”. J’en comprenais lesrelations réciproques, les mystères et les implicationsprophétiques, à peu près à la manière dont quelqu’un peutaffirmer qu’il a ressenti du plaisir, de la joie, de la confiance,ou une forte émotion affective, esthétique ou intellectuelle, etque sa sensibilité et son intelligence en ont été comblées, sansqu’il soit, pour autant, en mesure de rendre un compte rationnelet intelligible des processus complexes, sous-jacents à lagénération de son expérience existentielle, dont seule saconscience a été le témoin stupéfait. D’autres, il est vrai, s’enchargeront pour lui, comme certains l’ont fait me concernant.Ils le persuaderont qu’il a rêvé tout cela, ou que ce phénomènen’était rien d’autre que la manifestation pathologique d’unrefoulement trop longtemps contenu, jaillissant soudain desprofondeurs du subconscient, à la faveur d’une circonstanceplus ou moins déterminable. Quiconque aura passé par cetteexpérience d’incommunicabilité comprendra que je n’aie pas lecœur à m’étendre ici sur la souffrance et la frustration qui endécoulent pour celui qui se fait bien alors l’effet d’être la “voixqui crie dans le désert”.

En la circonstance, j’eus nettement le sentiment d’avoir reçu larévélation de la manière dont Dieu gouverne le monde et utiliseles péripéties de l’histoire des hommes – y compris ses ratés–, pour sa plus grande gloire et pour le salut d’une multituded’âmes. J’acquis aussi une foi extraordinaire enl’accomplissement inéluctable des Écritures Saintes. Je comprisque, malgré le fait qu’étant l’expression humaine de parolesdivines et, à ce titre, non totalement exempts des aléasclassiques dus à la transmission séculaire des traditions, lestextes scripturaires n’en restent pas moins porteurs de ce que jeserais tenté d’appeler le “programme” de ce qui fut et adviendra,

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en vertu du mode analogique d’accomplissement des Écritures,“caché aux sages et aux intelligents, mais révélé aux humbles”3.Je n’entrerai pas ici dans le détail de l’expérience que je viensde résumer en quelques mots, et qui nécessiterait, pour êtreconvenablement perçue, bien des nuances et desdéveloppements.

Quand ce déferlement scripturaire intérieur cessa, un regretm’effleura : celui de n’avoir pas eu sous la main de quoi notertous les mystères qui, à ce qu’il me semblait, m’avaient étédévoilés. Mais ce sentiment fut vite balayé par un souffled’humour joyeux qui me fit rire de moi-même. En effet, je venaisde prendre conscience que, eussé-je eu de quoi écrire, touteactivité de ce genre m’eût été impossible. Outre que, de toutefaçon, j’eusse été bien incapable d’exprimer, en conceptsintelligibles, la connaissance infuse, de nature intuitive et comme“nucléaire”, dont je venais d’être gratifié. Je veux dire par là quele “Dessein de Dieu”, ou ce qu’on appelle encore le “Plan”, oules “Voies” du Seigneur, n’ont, au témoignage de l’Écriture elle-même, rien de commun avec nos manières d’agir et de penser.Nos critères humains ne sont pas les Siens. Son aune n’est pasla nôtre. Sa connaissance des mystères de l’univers, des lois dela nature et des secrets des cœurs excède tellement la sommede tout le savoir humain accumulé depuis des millénaires, quec’est peu dire que ce dernier ne représente pas même une goutted’eau par rapport à l’océan de la Sagesse divine. Dans cesconditions, le croyant, et surtout le théologien, doivent avoir lamodestie de reconnaître que ce Dieu, Qui a tant de fois surprisles hommes – et spécialement nombre de docteurs et deministres des religions juive et chrétienne –, est bien capable deconfondre encore ceux d’aujourd’hui, sur la base même de cestextes sacrés, qu’ils se laissent parfois aller à interpréter commecela les arrange, en éludant la recherche de leur compréhensionultime.

Ces textes, dont le sens premier agace tant les “sages selon lachair”4, et à la littéralité desquels on substitue si légèrement un

3. Cf. Mt 11, 25 = Lc 10, 21.

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sens allégorique, trop vite qualifié de “spirituel” – subterfugequi n’est, le plus souvent, qu’une fuite devant la résistancepassive qu’oppose la pesanteur naturelle du sens obvie du textesacré aux manipulations qu’on prétend lui faire subir, dans lebut de lui faire dire ce qu’il n’est pas chargé d’exprimer ! –,toutes ces paroles d’Ecriture, Jésus lui-même nous en avertit,« s’accompliront »5 inéluctablement et en plénitude. Il mesemble que cela se fera d’une manière qui rendra finalementjustice aux juifs de s’en être tenus à leur sens premier – quemaints Pères et docteurs chrétiens réputèrent jadis, et réputentencore aujourd’hui, “charnel”, par une utilisation polémiquede la parole de Jésus, dans l’évangile de Jean6. Et même si letouchant attachement de ce peuple à la « lettre qui tue »7 les arendus inconscients de la plénitude de significations spirituelleset prophétiques mystérieusement incluses dans les Écritures,les faisant ainsi passer à côté de la compréhension du desseinde Dieu, en raison de dans l’épaisseur scandaleuse de sonincarnation humaine, jusqu’à ce que prenne fin leur« disparition »8 du milieu de leurs frères issus des nations, et queleur « intégration »9 soit comme une « vie d’entre les morts »10.

Au sortir de cette vision, il me sembla que m’avait été conféréun certain don de pénétration du sens des Écritures. Je ne m’encroyais pas pour autant immunisé contre l’erreur, à laquelle esttoujours exposée une créature limitée. Il m’avait été donné decomprendre qu’à moins d’une grâce tout à fait insigne, l’hommeest congénitalement incapable de démêler l’écheveau complexedes multiples implications mystérieuses et des différents senspossibles de la Parole divine, et de se représenter les modalités

4. Cf. 1 Co 1, 26.5. Cf. Lc 18, 31; 21, 22, etc.6. Cf. Jn 6, 63.7. Cf. 2 Co 3, 6.8. Le terme grec et sa traduction latine connotent la perte accidentelle. Le passage

suivant de la parabole dite du « fils prodigue » éclaire l’idée sous-jacente. Lepère calme, en ces termes, l’ire de l’aîné qu’agace la fête donnée pour célébrerle retour de son frère qui est parti et a dilapidé son héritage : « il fallait bienfestoyer et se réjouir, puisque ton frère que voilà était mort et il est revenu à lavie; il était perdu et il est retrouvé ! » (Lc 15, 32)..

9. Littéralement : assomption, réception.10. Cf. Rm 11, 15.

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concrètes de l’accomplissement plénier des nombreusesprophéties qu’elle contient, lesquelles sont loin d’être toutesréalisées. Je n’en avais que plus de raisons de rendre grâcesà Dieu en constatant, avec une confusion émerveillée, à quelpoint cette faveur insigne avait fortifié ma foi et mon respectenvers le “dépôt”11. Depuis, je n’ai jamais été tenté de changerquoi que ce soit à ce qui a été transmis par l’Écriture. De même,je me garde de me substituer à Dieu, pour tenter de comprendrece qu’il ne m’est pas demandé de pénétrer. J’ai appris à attendre,dans l’ombre, que le Seigneur Lui-même – si c’est Sa volontéet quand Il estimera que l’heure en est venue –, révèle à qui Ilvoudra, et comme Il le voudra, le sens plénier de nombreusesprophéties contenues dans Sa Parole, et qui est resté jusque-là non ou mal interprété, ou qu’Il rende manifeste que telévénement de l’histoire humaine, tel signe des temps,constituent l’accomplissement final d’une ou de plusieursparoles de l’Écriture.

Il me semble aussi que j’ai reçu la grâce de comprendre dequelle manière le “noyau” de certains passages scripturaires,en apparence banals ou impénétrables, recèle une plénitude desens, dont la force et la puissance opératoires ne se révélerontque lorsque viendront les temps et que se produiront lesévénements, connus de Dieu seul, qui manifesteront soudain,d’une manière éclatante et indiscutable, la portée réelle etdéfinitive – désormais impossible à nier – des prophétiesbibliques encore inaccomplies. Cette plénitude de sens, telprophète, tel homme de Dieu – voire tel humble fidèle inspiré– l’avaient entrevue ou pressentie, en leur temps, mais leurinterprétation avait paru ridicule ou scandaleuse au grandnombre. Pourtant, elle projetait, sur l’opacité des textes, l’éclaird’une connaissance d’intuition surnaturelle que nul ne peutconférer à l’homme, si ce n’est l’Inspirateur divin du contenu del’Écriture, Qui en dévoile, par avance et dans un but que Lui seulconnaît, le sens prophétique, lequel ne s’ouvre qu’aux humblesde cœur.

11. Cf. 1 Tm 6, 20 ; 2 Tm 1, 14.

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Oui, vraiment, au sortir de ce bain scripturaire fécondant – queje considère comme l’une des plus grandes grâces mystiques dema vie –, j’étais animé d’une telle foi en la puissance opératoirede la Parole divine consignée dans les Saintes Écritures, que jen’ai jamais cessé, depuis, de lire et de relire ces dernières, enattendant, dans la foi et l’espérance, que prennent enfin senstant de passages encore obscurs pour moi, comme d’ailleurspour la chrétienté et pour l’Église elles-mêmes.

On s’étonnera peut-être de cette apparente contradiction dansles termes. J’admets volontiers le bien-fondé de cette remiseen cause, mais je ne puis que maintenir ma version des faits.Tel est bien ce qui m’est arrivé. Pour ma part, je n’ai jamaissongé à demander des comptes à Dieu. Il sait bien, Lui, ce qu’Ilfait et pourquoi Il le fait. Si donc Il a jugé utile de me fairecomprendre, en vision et de manière ineffable, une foule dechoses dont je suis, aujourd’hui, incapable de me souvenir, c’estque ce n’est pas sans utilité pour Ses desseins à Lui, car Dieu nefait rien d’inutile, ni de ridicule. Et, de fait, je dois à la véritéde reconnaître que c’est à cette vision que s’originent bien des“lumières” dont j’ai bénéficié plus tard concernant le sens decertains passages de l’Écriture. Si je n’avais pas eu la faveur quej’ai relatée plus haut, j’aurais sans doute porté ces intuitions aucrédit de mes lectures et études subséquentes, ou à celui de monintelligence et de mon esprit de déduction propres.

À défaut donc de comprendre ce qui m’est arrivé exactementet la raison d’être de cette connaissance, aussi surnaturelle quefulgurante et unique dans mon existence, mais dont il ne m’estrien resté qui soit exprimable en termes humains, j’ai au moinsretiré quelques fruits inestimables de cette vision de jadis. Ettout d’abord, une foi sans bornes en la puissance de la Parole deDieu et en la capacité qu’a l’Écriture de contenir en elle tout ledevenir du monde et de l’humanité. Ensuite, une disposition à lacontemplation et à l’écoute des textes scripturaires – sans idéesni théories préconçues –, génératrice de respect et d’adorationpour l’Inspirateur divin du contenu de la Révélation. Enfin, unefoi et une espérance indéfectibles que toutes les prophéties

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s’accompliront et que rien “ne tombera en terre”, ni “ne seraretranché”12, de ce que les prophètes, Jésus et les Apôtres ontannoncé, ni des menaces ou des mises en garde qu’ils ontproférées – tant à l’égard de leurs contemporains, qu’à l’adressedes générations à venir – et qui nous “atteindront” tous13, àl’heure que Dieu seul connaît, pour le bonheur ou pour lemalheur de la génération qui sera contemporaine de cetaccomplissement plénier.

Je terminerai la relation de cette troisième manifestation enproposant à quiconque sait encore goûter et comprendre lesparaboles, celle que je propose maintenant, pour tenterd’illustrer, à ma manière, la nature de l’expérience indicible quej’ai conscience d’avoir si mal relatée ici.

Supposons que, par une chaude nuit d’été, sous un ciel d’encreoù ne brille aucune étoile, vous vous trouviez sur un cheminjouxtant un pré. Pour l’heure, vous ne voyez rien. Soudain, unlong éclair de chaleur illumine les environs. Vous distinguezalors des objets qui, jusque-là, ne vous étaient pas perceptibles,comme, par exemple, une meule de foin, une bête domestiqueau pâturage, un arbre, une futaie. Ainsi, durant l’infime fractionde seconde que dure cette illumination, aussi nette que fugitive,vous découvrez qu’une foule de choses vous environnent, dont,l’instant d’avant, vous n’aviez pu que soupçonner l’existence,sans en avoir la preuve tangible. Supposons maintenant que,l’obscurité revenue, vous tentiez de vous remémorer avecprécision le détail de ce qu’a précédemment embrassé votreregard, en un clin d’œil : il y a gros à parier que vous en seriezincapable. Pourtant, vous savez que les éléments de la scèneentrevue sont là, autour de vous, localisables et bien réels. Maisil serait aussi ridicule que vain de vouloir vous les remémoreravec précision, au point d’être en mesure d’en établir unerelation descriptive et topographique parfaitement conforme àla réalité, aussi exacte que digne de créance.

12. Cf. 2 R 10, 10; To 14, 4.13. Cf. Dt 4, 30; 28, 2. 15. 45.

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Si inadéquate que soit l’analogie et quelle que soit sonimpuissance à rendre la nature sublime de cette expérienceincommunicable, elle résume assez bien, par voie d’analogie, lasituation et l’état d’esprit dans lesquels je me trouvais, en cejour béni. Je souhaite à quiconque jugera invraisemblable ouinacceptable un tel événement, la grâce de bénéficier d’unefaveur identique et d’en être aussi édifié que je le fus alors et ledemeure encore aujourd’hui, à plus de quarante-cinq années dedistance.

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QUATRIÈME VISITATION

La brûlure glacée d’une main de l’au-delà

On pourrait penser qu’un homme comblé de tant de grâcesn’aura fait ensuite que croître en vertu et en approfondissementdes révélations dont il a été gratifié. Malheureusement – jel’avoue, à ma grande confusion –, ce ne fut pas le cas. Masensualité et mon appétit incoercible d’affection me firentsuccomber à la première tentation sérieuse. Elle se présenta, unsoir d’été, à l’homme esseulé que j’étais, séparé de son épousedepuis plus deux ans, et qui avait délaissé la contemplation,sous la forme d’une jeune femme mariée en plein drameconjugal. Dans sa fuite éperdue, loin d’un époux violent etdépravé, elle était venue échouer sa détresse à la terrasse d’unrestaurant, au moment précis où j’effectuais ma tournée de“manche”, seule activité qui me permettait de payer une partieimportante de la lourde pension alimentaire qui plombait masurvie économique. En m’entendant chanter une mélancoliquechanson d’amour, alors en vogue, cette femme s’épritviolemment de moi et sut me le faire comprendre, ens’engouffrant, de manière irrésistible, par la brèche fatale de mapitié imprudente. J’ai honte d’avouer que cette chute brutalesurvint moins d’un an seulement après l’extraordinaireirruption d’Esprit, qui m’avait ouvert le sens profond desÉcritures. Cette aventure, brève mais déchirante, eut pour effetde me faire mesurer à quel point j’étais encore faible et

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vulnérable. Elle eût pu avoir des conséquences graves surl’accomplissement des voies de Dieu sur moi, si les événementsles plus inattendus ne s’étaient alors succédé dans ma vie,comme je vais m’efforcer de le relater succinctement, ci-après.

À peine avais-je noué cette liaison pernicieuse et projeté deme mettre en ménage avec cette femme, dont j’étais commeobsédé, qu’eut lieu un important vol de bijoux au domicile d’uncommerçant de la ville dans laquelle j’exerçais mon activité dechanteur. Pour mon malheur, je faisais partie des familiers de lavictime. Comme j’étais le seul “marginal” du lot, les soupçons,bien entendu, se portèrent immédiatement sur moi et je fusarrêté. Il me fut facile de prouver mon innocence dans cetteaffaire : en effet, le jour même de l’effraction, j’assistais, à 80 kmde là, à une rencontre organisée par un mouvement catholiquedont j’avais jadis fait partie, et des dizaines de personnespouvaient en témoigner. Je fus cependant incarcéré, pour unetout autre raison. Une vérification de routine au fichier centralde la police avait révélé que je faisais, à mon insu, l’objet d’unmandat d’amener, pour une plainte en abandon de famille,consécutive à un paiement irrégulier de pension alimentaire.

C’est ainsi que je fis les frais d’une plainte remontant à deuxannées auparavant – soit une année après notre séparation decorps – époque où mon épouse, bien que sachant que j’étaisquasiment dénué de ressources, avait déclenché cette procédureà mon encontre, pour me punir de ce que j’avais alors uneliaison, ainsi qu’elle l’avoua au juge, lors de ma comparutionultérieure. Entre temps, j’avais mis un terme à cette aventureet m’étais réconcilié avec ma femme, sans toutefois qu’ait eulieu la reprise de vie conjugale que nos amis et relationssouhaitaient tant, mais à laquelle ma femme se refusaittoujours. Je croyais donc sincèrement qu’elle avait retiré saplainte, ce qu’elle m’avait assuré, en son temps. Lorsqu’ils’avéra que ce n’était pas le cas, mon amertume fut d’autantplus grande que, depuis environ dix-huit mois, je lui servais –plus ou moins régulièrement, en fonction de mes rentrées de“mancheur” – une pension mensuelle qu’elle-même s’accordait

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à reconnaître suffisante. Dieu merci, à sa demande expresse,je fus rendu à la liberté, après moins d’un mois de détentionpréventive dans une prison parisienne. Quand je sortis de ce lieude cauchemar, j’avais perdu ma brève conquête de l’été, laquelles’était vite lassée du personnage impécunieux, scrupuleux, etdécidément trop malchanceux, pour lequel elle n’avait éprouvéqu’un coup de cœur et de sensualité passager.

J’eus beaucoup de mal à me remettre tant de l’épreuve de madétention, que de ma déception amoureuse. Au plan spirituel,j’étais tellement déstabilisé par cette déchéance – contrelaquelle la grâce extraordinaire, dont j’avais bénéficié peu detemps auparavant, ne m’avait même pas prémuni – que je mecrus rejeté de Dieu. Et, pour mettre le comble à madémoralisation, je me retrouvais désormais sans ressources. Eneffet, il ne m’était plus possible de continuer à chanter dansles restaurants d’une ville où, bien que la police m’eût mis horsde cause dans l’affaire du vol des bijoux, mon emprisonnementsubséquent avait renforcé la conviction, partagée par beaucoupde commerçants du lieu, qu’à défaut d’être l’auteur du forfait,j’en étais probablement le complice, voire l’instigateur.

Alors commença pour moi une existence précaire. Je survivaismisérablement, hébergé et nourri par des compagnons derencontre plus ou moins recommandables, dans unepromiscuité telle, qu’aujourd’hui encore, je ne puis que louerDieu de m’avoir gardé de basculer définitivement dans ladélinquance ou l’immoralité – voire dans les deux – qui sont lelot quasi inéluctable de ceux que la société rejette, faute d’êtrecapable de les aider à se réinsérer.

Car rejeté, je le fus, en ce temps-là, d’une manière et dans descirconstances que je n’aurais jamais crues possibles, si je n’enavais pas fait l’expérience, traumatisante autant qu’inoubliable.J’avais repris mes tentatives de jadis en vue de retrouver unemploi dans ma spécialité. Sans aucun succès, d’ailleurs. Mesbonnes références, loin de me servir de caution favorable, nefaisaient que rendre plus suspect encore le hiatus relativementprolongé qui déparait tant mon Curriculum Vitae. Même mon

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aspect physique me desservait. Je mangeais mal, et le seulcostume décent qui me restait de mon aisance passée était plusque défraîchi. En outre, tant mon impécuniosité endémique queles échecs répétés de ma quête désespérée d’un emploi mesapaient le moral. Une personne expérimentée avait tôt fait dedéceler, sous l’allure digne et prospère que je tentais d’arborer,le chômeur traqué que j’étais devenu, dans ce combat inégalcontre des circonstances devenues inexplicablement hostiles àma réinsertion dans le circuit professionnel normal.

En désespoir de cause, je décidai de marcher sur mon amourpropre et de tenter d’intéresser à mon triste sort mes anciensamis. J’allai de préférence vers ceux auxquels m’avait lié uneamitié spirituelle, au beau temps où je constituais, à leurs yeux,une référence morale incontestable, voire un modèle dechrétien pieux, tel qu’on l’affectionnait, en ce temps-là, dansles milieux catholiques bon teint, c’est-à-dire sans problèmesconjugaux, et surtout correctement intégré sur le plansocioprofessionnel. Or, à mon immense déception, c’estprécisément de ceux-là que me vinrent les rebuffades les plusdouloureuses. J’eus droit à des sermons humiliants, à desreproches aussi cinglants qu’injustes, ou, dans le meilleur descas, à des attitudes de pitié, vaguement horrifiée, face à manavrante dégringolade sociale et religieuse. Mais d’aideconcrète, point l’ombre. C’était bien là un mystère – et peut-être une permission de Dieu –, que cette insensibilité à madétresse matérielle, pourtant criante, de mes amis catholiquesd’hier, au demeurant des gens excellents. Pourtant, considéréset influents comme ils l’étaient dans certains milieuxprofessionnels, il leur eût été facile d’intervenir en ma faveurpour que j’obtienne un poste dans l’une ou l’autre entreprises ausein desquelles ils avaient des relations sûres et efficaces. Mais,apparemment incapables de voir, dans ce qui m’arrivait, autrechose qu’une punition divine bien méritée pour mon départ dudomicile conjugal, trois ans auparavant, ils me laissèrent coulersans me prodiguer autre chose que des reproches blessants, oude vagues promesses de prières.

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Enfin, pour mettre le comble à ma détresse, l’attitude de monépouse redevint d’autant plus hostile à mon égard, que je nepouvais plus lui verser désormais le moindre sou de pensionalimentaire. En représailles et au mépris du droit de visite, ellem’interdit l’accès à mes enfants et menaça même de me faireincarcérer à nouveau. Affolé, je quittai la région parisienne.

Durant des mois, je vécus d’expédients, jusqu’à ce qu’un anciencamarade de “manche”, reconverti à la vie professionnelle,m’obtînt, comme il l’avait obtenu lui-même par l’entremise desa petite amie, un emploi temporaire d’enquêteur, dans uneofficine de sondages en tous genres. C’est ainsi que je survécus,des mois durant, en réalisant, au porte à porte et jusqu’à desheures tardives de la soirée, des interviewes mal payées. Dans lemême temps, je m’étais inscrit à la Faculté de Théologie de laville où m’avaient mené les hasards du recrutement de l’équiped’enquêteurs dont je faisais désormais partie de manièrepermanente.

De mes rêves mystiques, il ne restait que cendres. J’étais anéantipar ma dégringolade sur les plans spirituel, moral, pécuniaireet social. Mon désespoir intérieur était morne et glacial. Je mepunissais moi-même de ma chute par une autodestructionmorale et spirituelle, que je m’acharnais à rendre irréversible.Au dehors, j’affichais le cynisme le plus total. Tout semblaitbon pour me dégrader et rendre infranchissable le fossé qui– j’en étais convaincu – me séparait désormais définitivementd’un Dieu que j’avais eu la naïveté stupide de croire intéressépar ma dérisoire personne. J’allais d’aventures sentimentalesfrelatées en liaisons charnelles, vulgaires autant qu’éphémères.Tout m’était bon pour éteindre en moi cette lumière, qui nem’avait illuminé – blasphémais-je – que pour mieux meconsumer.

C’est dans cet état d’esprit sépulcral que je passai les fêtes deNoël de cette année-là. Mon désespoir était à son comble dufait que je n’avais pas été admis à célébrer cette fête auprèsde mes enfants. Cette nuit-là, je me sentis maudit de Dieu etje crois bien que je blasphémai en mon cœur. Je pris alors la

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décision de mettre fin à mes jours. Je montai sur le toit demon immeuble et enjambai la rambarde de sécurité, avec laferme intention de me jeter dans le vide. Soudain, dans unéclair de lucidité, je réalisai que j’allais paraître devant monCréateur, après avoir commis un attentat contre ce que Dieunous a donné de plus sacré : la vie. J’avoue qu’alors, seule meretint de mettre aussi tragiquement fin à mon existence, la peurde la damnation éternelle, à laquelle, malgré l’état déplorable demon âme, je croyais encore, comme d’ailleurs à toutes les véritésde l’Écriture et de la foi chrétienne. Que Dieu soit béni de cesursaut vital spirituel, dont je ne doute pas que je le dus à sonimmense miséricorde !

Je me traînai ainsi, comme sur le ventre, durant encore unesemaine ou deux. J’avais alors une liaison charnelle avec unejeune femme de mœurs légères, plus inconsciente et faibled’esprit que réellement perverse, mais que les entreprisesd’hommes cyniques avaient habituée à satisfaire tous lesfantasmes sexuels de ses partenaires de rencontre. Jem’étonnais moi-même d’avoir commerce avec cettemalheureuse, pour laquelle je n’éprouvais ni le moindrebattement de cœur, ni le plus fugace soupçon de tendresse.Pourtant, je me roulais dans cette fange sans la moindre joie,comme pour mieux m’emmurer l’âme, en avilissant la dignitéde cet être faible et irresponsable, ainsi que la mienne. C’estalors que Dieu jugea qu’il était temps d’intervenir, avant que jene me détruise irrémédiablement. Voici comment se déroula cetévénement tout à fait incroyable.

Cette nuit-là, je m’étais endormi lourdement, après avoirsatisfait mon morne désir et congédié lestement la pauvrecréature soumise qui s’en était faite, une fois de plus, lacomplice occasionnelle, quand je me réveillai en sursaut. Jedistinguai alors, baigné dans une lumière ténébreuse, le spectrede ma mère – morte une année auparavant –, qui se tenait àgauche de mon lit, à hauteur de ma tête. Son visage avait uneexpression courroucée, comme je lui en avais vu jadis, dans sesmoments de colère, mais avec, en plus, une expression intense

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de sévérité solennelle et dramatique qu’elle n’avait jamaisarborée de son vivant. En même temps qu’elle me fixait ainsi,elle posa sa main sur mon épaule gauche et me secoua avecirritation. Il me sembla qu’elle me disait, sans bruit de paroles: « Vas-tu enfin sortir de là ? », ou quelque chose d’approchant.Aujourd’hui encore, je me souviens de la brûlure glacée de cettemain de l’au-delà. Ma terreur fut telle que mes cheveux sehérissèrent et que, la vision s’étant dissipée comme un songe,je me retrouvai tout à fait réveillé, et baigné d’une abondantesueur froide qui me dégoulinait le long du corps.

L’efficacité de cet avertissement de l’au-delà fut telle que, dèsle lendemain, je demandai à m’adresser à un jésuite qui m’avaitété recommandé par un ami comme étant un homme de grandeexpérience et rompu à la conduite des âmes. Les directives dece prêtre furent précises et concrètes comme celles d’uneordonnance médicale. D’abord remettre de l’ordre dans ma vie,dont il estimait, à juste titre, qu’elle était totalement débridée,déséquilibrée, fantaisiste et encombrée d’illusions. Sans seprononcer sur mes expériences spirituelles, dont je lui avaisfait une relation orale détaillée – en même temps que je luiconfessais tous les péchés les plus graves, les plus anciens et lesplus cachés dont j’avais pu me souvenir –, il m’enjoignit de neplus poser dorénavant un seul acte important ou exceptionnelsans en avoir discuté auparavant avec lui. Il me demandaégalement si j’étais prêt à lui obéir en toute chose (il avaitappuyé sur le mot “toute”), ce que j’acceptai sur-le-champ, sansla moindre hésitation. Je me soumettais d’autant plus volontiersà cette rude ascèse de la volonté, que j’étais bien conscientdu gâchis incroyable de ma vie, lequel me paraissait, en effet,imputable à l’absence de discipline dans ma conduite, cesdernières années, malgré les grâces extraordinaires dont j’avaisbénéficié. Après quelques semaines, lorsqu’il fut sûr que j’étaispsychiquement et spirituellement hors de danger et qu’il putconstater que je lui obéissais en tout comme un enfant, ce dignefils de Loyola n’y alla pas par quatre chemins. Me traitant enâme forte, il exigea que je concentre dorénavant tous mesefforts et toutes mes énergies sur un seul but : la reprise de

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la vie conjugale avec mon épouse. Malgré ma détermination deme soumettre entièrement aux directives de ce bon prêtre, jecrus devoir l’éclairer sur ce que je savais de la situation, par unelongue et douloureuse expérience personnelle, à savoir : que mafemme ne voulait absolument pas reprendre la vie conjugale.Ce fut en vain. Malgré mes arguments, je ne pus parvenir à leconvaincre que telle était bien la vérité. Il me soupçonnait deprêter à ma conjointe mes propres sentiments, et c’est d’un tonsans réplique qu’il trancha en affirmant : « Jusqu’à preuve ducontraire, Dieu ne vous demande rien d’autre et vous n’avez pasde plus grand devoir d’état que de réintégrer au plus vite votrefoyer. C’est cela, pour l’instant, la volonté de Dieu sur vous, quevous cherchez tellement à connaître. »

Dès lors, et sur sa demande, je le laissai faire. Il s’occupa lui-même des négociations avec mon épouse. Sans doute lui écrivit-il, ou alla-t-il la voir : je ne le sus jamais. Il avait été convenu quema femme viendrait me rejoindre, avec deux de mes enfants,dans la bourgade qui me servait de port d’attache et d’où jerayonnais dans la région pour faire la « manche ». Le jour dit,elle arriva… seule, à mon immense déception. Je ne relaterai pasici les détails de l’altercation qui s’ensuivit, ni ceux de l’échec decette entreprise de réconciliation conjugale qui m’apparaissaitdès lors comme basée sur la déloyauté. Je ne voudrais pas êtreinjuste envers celle qui n’était plus maîtresse de sesagissements, en cette période de sa vie, car elle m’aimait encore,à sa manière, avec désespoir, même si la haine et la violenceétaient les seules armes qu’elle sût brandir, dans ce conflitdouloureux, dont la solution eût nécessité une tout autreattitude. Le dernier acte de ce fiasco conjugal fut une explosionde violence verbale de mon épouse, au grand scandale desreligieuses qui nous hébergeaient, et devant lesquelles seproduisit cet éclat. La bonne opinion qu’elles avaient de mapersonne, depuis de longs mois, fondit soudain comme neigeau soleil, car elles étaient persuadées que la responsabilité decette scène odieuse m’incombait totalement. L’affaire fit grandbruit dans la bourgade et le scandale fut tel que, du curé –qui m’appréciait pourtant beaucoup, lui aussi – jusqu’aux

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religieuses dont j’ai parlé, tout le monde, ou peu s’en faut, medonna tort. Je dus quitter, honteusement et pour toujours, celieu que j’aimais, où j’avais eu maints amis et où j’avais encore,jusqu’alors, ma subsistance.

Force était d’en convenir : cette tentative de réconciliation –si laborieusement préparée et qui semblait avoir toutes leschances de réussite – se soldait par un échec retentissant, avecson corollaire catastrophique : une séparation plus dramatiqueencore que les précédentes et, à l’évidence, définitive.

Par pure miséricorde divine, mon guide spirituel sut meréconforter, en la circonstance. Pourtant, j’avais craint del’affronter après cette débâcle, craignant qu’il m’en impute laresponsabilité; d’autant qu’entre autres menaces, ma femmem’avait assuré qu’elle saurait éclairer l’ecclésiastique sur ma« véritable nature », ce qui me faisait craindre qu’elle me feraitendosser tous les torts. Comment le bon religieux comprit-il lavéritable situation, que n’avaient guère contribué à éclaircir lesexplications confuses et affolées que je lui avais hâtivementfournies, par téléphone d’abord, puis par lettre ?… Je l’ignore. Ilsemble, en tout cas, qu’il ait ensuite rencontré mon épouse etqu’il se soit fait une opinion sur cette affaire. En effet, dès monretour, il me consola beaucoup, m’assurant que non seulementje ne devais pas me culpabiliser pour ce qui s’était passé, maisqu’il n’était même plus question, dorénavant, d’une reprise devie conjugale pour notre couple. À ma grande surprise, il déférasans difficulté à ma demande d’effectuer une retraite dequarante jours, dans le jeûne et la prière. En outre, il m’informaque, dès qu’il avait compris que plus rien n’était dorénavantpossible avec ma femme, il s’était mis en quête d’une paroissequi acceptât de me prendre à son service. Il avait son idée là-dessus et pensait que ma ferveur et ma générosité, ainsi quemes aptitudes professionnelles, seraient de quelque utilité dansl’administration et la gestion matérielle des différentes activitésdu fonctionnement d’une paroisse, qui ne relèvent pas del’action pastorale proprement dite, laquelle est du ressortexclusif du clergé. Il estimait, de surcroît, que ma piété et mon

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désir intense de vie consacrée, dans l’obéissance et la pauvreté,s’épanouiraient excellemment dans le cadre d’une équipesacerdotale jeune et enthousiaste, comme l’était, semblait-il,celle à laquelle il songeait pour ce projet peu commun.

J’avais peine à croire à mon bonheur. Ainsi, mes rêves les plusfous de consécration à Dieu, que mon échec conjugal semblaitm’interdire à tout jamais, allaient se réaliser de manièreprovidentielle !

C’est donc dans un véritable état de jubilation intérieure etd’action de grâces que j’entamai, quelques semaines plus tard,la grande révision de vie que j’avais cru bon d’entreprendre, auseuil de ma nouvelle existence.

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CINQUIÈME ET DERNIÈRE VISITATION

« Regarde-toi et tu comprendras »

Ce n’était pas par hasard que j’avais choisi d’effectuer cettegrande retraite dans le sanctuaire marial de La Salette. Depuislongtemps, j’avais été frappé par le ton sévère del’avertissement que la Vierge était venue donner, en ce lieu,aux hommes, en général, et aux chrétiens, en particulier. Lecaractère pénitentiel très marqué de cette manifestationmariale s’harmonisait pleinement avec le sentiment, quis’imposait de plus en plus à ma conscience, qu’était fortementexagéré – pour ne pas dire erroné – l’optimisme presqueagressif qui s’affichait alors un peu partout, dans maintescommunautés chrétiennes, et qui voyait, dans la révolutionestudiantine de mai 68, un événement auquel l’Esprit Saintn’était certainement pas étranger. J’estimais, pour ma part,qu’une telle “canonisation” d’un mouvement presqueessentiellement basé sur la contestation et une dure remiseen cause des autres, accompagnées de violences verbales,matérielles et même physiques, inadmissibles, sans le moindreappel à une réelle réforme personnelle, risquait de favoriser lestendances, déjà si fortes en chrétienté, à un « refroidissementde la charité »1 et à l’ « affadissement du sel » de la foi2. Mêmesi j’admettais volontiers que tout n’était pas négatif dans les

1. Cf. Mt 24, 12.2. Cf. Mt 5, 13, etc.

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retombées de ce raz-de-marée contestataire, j’estimaisnéanmoins que nous, chrétiens, n’avions pas tellement deraisons de “pavoiser”.

Plus j’avançais dans ma retraite et m’enfonçais dans la prière etdans la méditation du mystère de notre foi et du Salut en Jésus-Christ, plus m’assaillaient des considérations pessimistes surl’état de tiédeur d’une grande partie de la chrétienté, même sine manquaient pas, çà et là, des signes d’un véritable renouveauspirituel. Inexplicablement, je me sentais poussé à demanderpardon, non seulement pour mes propres fautes – qui ne sontpas minimes –, mais également pour celles du Peuple de Dieu,dont j’étais moi-même un membre pécheur et souffrant, et dudestin collectif duquel je me sentais mystérieusementresponsable, voire comptable. Il me semblait que l’essentiel dema réparation personnelle pour ma médiocrité, et surtout pourles scandales dont j’avais pu être la cause, devait consister enune activité de prière incessante et de sacrifices pour cetteÉglise qui m’avait engendré à la vie éternelle, et pour le Peuplequi la constituait et dont, si pécheur et médiocre qu’il fût, je nepouvais imaginer qu’il pût encourir la colère de Dieu au pointd’être frappé d’une sentence de rejet analogue à celle qui avaitsanctionné l’incrédulité du Peuple juif, en son temps.

Je dois mieux m’expliquer sur ce point, afin de n’être pas malcompris. Je n’avais pas encore, à cette époque, formuléexplicitement mes intuitions concernant le destin ultime dupeuple juif et son rétablissement – dont j’avais reçu, mesemblait-il, la révélation personnelle, comme je l’ai relaté plushaut. Avec le recul du temps, il m’est toujours apparu commesurprenant que, dans l’état d’esprit où j’étais à La Salette, etcompte tenu de la compréhension surnaturelle du mystère dece peuple, dont j’avais été gratifié antérieurement, ne me soitpas monté au cœur le parallèle – qui s’est imposé à moi, depuis,avec une force de conviction irrésistible – entre le« trébuchement » des Juifs de jadis, concernant la messianité deJésus3, et sa mise en garde4, reprise par Paul en d’autres termes5,

3. Cf. Rm 11, 15.

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contre une mystérieuse faute à venir, une sorte de péché contrel’Esprit, que risquent de commettre maints disciples etministres du Christ – et non des moindres –, au temps queDieu seul connaît et qu’il convient, me semble-t-il, d’identifieravec ce que l’Écriture nomme, en hébreu, ’aharit hayyamim (motà mot : l’après des jours), expression généralement traduitepar « Fin des temps », à savoir, la période dite eschatologique,où, les temps de l’histoire étant accomplis, commenceront les“Temps messianiques”, au cours desquels Dieu Lui-même« prendra en main Son immense puissance pour établir SonRègne »6. Cependant, à tort ou à raison, je pressentais déjà, aucours de cette retraite, que la chrétienté avait des comptes àrendre à ce Jésus, des mérites duquel elle se prévalait tant, sansporter les fruits correspondants au sacrifice inouï de son Maîtreet son Dieu.

Cette mise au point effectuée, je reviens à la description del’état intérieur qui fut le mien lors de la brève, mais intenseimmersion spirituelle, au cours de laquelle je bénéficiai de ladernière des faveurs surnaturelles qui ont si profondémentmarqué ma vie intérieure et jusqu’au cours de mon existence.

Je passais alors la majeure partie de mes journées de retraite àprier et, comme je l’ai dit plus haut, à intercéder pour “mon”peuple. Assez étrangement, je ne pouvais m’empêcherd’évoquer ce dernier autrement qu’à la forme possessivepersonnelle. La chose pourra sembler outrecuidante de la partd’un pécheur tel que moi. Et c’est ce que je me disais, de tempsà autre, mais rien ne pouvait empêcher ces supplications de memonter au cœur et de trouver le chemin de mes lèvres, commepour illustrer la vérité de cette étonnante parole scripturaire :

[…] l’Esprit vient au secours de notre faiblesse; car nousne savons que demander pour prier comme il faut; maisl’Esprit Lui-même intercède pour nous en desgémissements ineffables et Celui qui sonde les cœurs sait

4. Cf. Mt 12, 39-46; cf. Za 11, 15 ss.5. Cf. Rm 11; cf. Dt 32, 27 ss et Rm 11, 32.6. Cf. Ap 11, 17.

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quel est le désir de l’Esprit et que Son intercession pour lessaints correspond aux vues de Dieu7.

Je souffrais beaucoup intérieurement, mais jamais, cependant,au point de perdre la paix. J’étais tout à fait conscient d’êtredans un état bien différent de celui qui avait été le mien, lorsde la réception des grâces surnaturelles antérieures. Je ne m’enétonnais ni ne m’en inquiétais d’ailleurs pas outre mesure.J’acceptais la chose simplement, sans poser de questions à Dieuqui m’avait supporté et mené jusqu’ici par des voies si insolitesque je pouvais m’attendre à tout de sa part. Un seul soucim’obsédait, si je puis employer ce terme ambivalent pour parlerde la préoccupation latente, qui a toujours été la mienne, depuisla « visitation » divine initiale – du moins dans les périodes oùje suis quelque peu fidèle aux motions de l’Esprit –, à savoir: ne rien faire qui fût contraire à la volonté de Dieu et àl’enseignement de Son Église. Ce souci, généralement paisible,se faisait de plus en plus lancinant, à mesure que j’avançaisdans mon temps de retraite. Craignant une tentation subtile del’Ennemi, je suppliai Dieu de m’en délivrer. Mais ce Seigneur demiséricorde daigna me faire comprendre que la chose venait deLui. J’eus la conviction intime que cette agitation de mon âmene me nuirait en rien, et qu’il me fallait supporter en paix cefeu intérieur, parce que c’est ainsi qu’il plaisait à Dieu de meconduire, dans un but que Lui seul connaît.

J’arrivais presque au terme de l’avant-dernière semaine de monjeûne de quarante jours, lorsque je me trouvai mal. Faute demoyens financiers, j’avais obtenu d’être logé dans l’un desdortoirs qui, aux beaux jours, hébergent, pour un prix modique,les jeunes et les pèlerins pauvres. À cette époque de l’année, ceslocaux étaient vides et, de ce fait, non chauffés. En cette fin demois d’octobre, la température franchissait souvent le seuil dugel et, la nuit surtout, je souffrais tellement du froid que j’avaisdu mal à dormir. Sans doute fut-ce là – avec l’affaiblissement demon organisme, consécutif à la sous-nutrition prolongée que jem’imposais, du fait de mon jeûne – la cause de la brève, mais

7. Rm 8, 26-27.

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brutale défaillance physique qui me terrassa. Voici comment lachose se produisit.

Ce soir-là, dans mon dortoir, j’étais à genoux, à même le sol,tenaillé par une souffrance spirituelle si aiguë, que je n’auraispu la supporter, me semble-t-il, sans une grâce particulière.Mon âme était dans la plus profonde déréliction. Il me semblaitque Dieu s’était entièrement retiré de moi, pour laisser la placeaux ténèbres les plus épaisses. Tout n’était qu’obscuritédésespérante et silence de plomb. Je ne pouvais qu’articulermentalement des actes de foi, auxquels mon cœur s’obstinaità rester étranger. Je puis bien dire que, n’était l’infime lueurde foi que contemplait encore la fine pointe de mon esprit, jeme serais cru totalement rejeté par Dieu. C’est alors que jaillit,du fond de mes entrailles, une déchirante supplication. Je lasentis déferler comme une vague de fond, portant sur sa crête,tel un frêle et dérisoire esquif, l’interrogation qui ne me quittaitpas, depuis ma première expérience de la douceur divine. Il mesembla qu’elle s’élançait jusqu’au ciel et qu’elle s’y engouffrait,dans un grand cri. Et ce cri disait à peu près ceci : Je t’en supplie,Seigneur, daigne me faire savoir enfin, de la manière qu’il Teplaira, ce que Tu veux de moi !

En proférant cette invocation intérieure ardente – la plusfervente, me semble-t-il, de toutes celles que j’ai jamais émisesdevant Dieu, à l’exception, peut-être, de celle concernant lerejet éventuel du peuple juif, relatée plus haut –, je sentais monâme s’abîmer dans l’humilité. Je prenais soudain une consciencesi aiguë tant de ma misère personnelle, que de l’immense amourde mon Créateur pour toutes Ses créatures, que j’aurais voulumourir, en cet instant, pour être toujours avec Celui Que monâme aimait plus que tout au monde. Puis, j’eus un sursaut deconscience et je demandai pardon à Dieu de mon audace.Désireux de corriger l’inconvenance de ma supplique, jeprotestai intérieurement, devant mon Seigneur, que je ne Luidemandais pas le renouvellement des faveurs surnaturelles dejadis – dont ma vie subséquente avait amplement montré queje les avais gâchées –, mais seulement d’instiller en moi une

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conviction profonde, ou une compréhension analogique de ceque Lui voulait que je fasse pour correspondre aux grands désirsd’intercession en faveur de “mon” Peuple, que, me semblait-il,Il m’avait Lui-même inspirés.

Soudain, un immense recueillement m’envahit. Sur le coup, jecrus que j’allais être enlevé dans un ravissement identique àcelui de la première “visitation” dont je fus gratifié, ou entrerdans une des extases qui me furent accordées, par la suite. Maisil n’en fut rien. En effet, non seulement ma souffranceintérieure ne disparut ni ne diminua pas, mais elle s’aggrava,au contraire, d’une telle douleur d’entrailles, que je me sentisdéfaillir et crus réellement que j’allais mourir. Je fis alorsmentalement le sacrifice de ma vie, pour le salut de “mon”Peuple, et spécialement pour celui de ma femme et de mesenfants. Juste avant de perdre conscience, je perçus en moi laréponse que je n’attendais plus, et à laquelle, à vrai dire, j’avaisdéjà renoncé, par désir d’identification avec mon Seigneur auJardin des Oliviers, abandonné de tous et même, en apparence,de Son Père lui-même. Cette réponse, à laquelle je ne comprisrien alors et dont je suis loin, aujourd’hui, à de nombreusesannées de distance, de saisir tout le mystère qu’elle recèle,tenait en ces quelques mots sibyllins :

Regarde-toi et tu comprendras.

Que de souffrances, d’incompréhensions et de contradictionsm’a values, depuis, cet oracle obscur. Pourtant, je n’ai jamaisdouté de son authenticité. Son incompréhensibilité mêmeconstituait ma meilleure défense face aux objectionsrationnelles des rares guides spirituels, dont la bonté ou la piétém’avaient mis en confiance, et auxquels, de loin en loin et auhasard des rencontres, j’avais fait part de ce lourd secret, dansl’espoir qu’ils m’aideraient à correspondre à la volonté de Dieuqui – je n’en doutais pas – y était signifiée. Je me souviensparticulièrement de ce qui m’arriva avec l’un d’entre eux, dontj’eus beaucoup à souffrir. C’était un religieux d’âge moyen,véritable figure de proue du Renouveau charismatique, au seinduquel il avait la réputation d’être gratifié d’un charisme

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exceptionnel de discernement. Dieu permit qu’en ce qui meconcerne, ce prêtre s’avérât aussi ignorant de Son action surmoi, que le fut, en son temps, par une permission toute spécialede Dieu, le prophète Élisée lui-même, de la mort du fils de laShunamite8. En effet, quinze ans après l’événement que, sur sademande, je lui relatai en détail – après n’y avoir fait d’abordqu’une brève allusion –, ce religieux m’affirma avec force, etsans même prendre garde à la contradiction inhérente à sonraisonnement, que je m’étais certainement “inventé”,consciemment ou non, cette locution, et que, de toute façon, iln’y avait pas lieu de se préoccuper de sa signification, qui étaitsans importance pour ma vie de chrétien. Je ne pus m’empêcherde lui faire remarquer malicieusement qu’il était bien étrangeque j’aie pu me dire à moi-même une phrase à laquelle, aprèstant d’années de vains efforts, je ne comprenais toujours rien.Je me souviens encore aujourd’hui, avec tristesse, de la duretésubite de son regard et de l’agressivité de sa réaction. Il enressortait, en substance, que j’appartenais sans doute à cetteespèce de pseudo-mystiques, toujours en quête d’un prêtre quiconfirme leurs billevesées, et que je manquais singulièrementd’humilité en me croyant favorisé de hautes révélations. Forcem’était de constater que, si expérimenté et vertueux que fûtcet homme, il était viscéralement incapable d’admettre, un seulinstant, qu’un pécheur et un raté socio-conjugal tel que moi aitpu être gratifié de faveurs surnaturelles, dont – de son propreaveu – lui-même n’avait jamais bénéficié, après tant d’annéesde vie religieuse fidèle. Avec la grâce de Dieu, je dominai bienvite ma première réaction scandalisée, en reconnaissanthonnêtement que, si j’avais été dans sa condition et à sa place,j’eusse peut-être éprouvé le même scepticisme radical et lemême agacement face à l’incompatibilité apparente entrel’immensité des faveurs décrites, et le fiasco humain, moralet spirituel du misérable narrateur qui s’en prétendait lebénéficiaire.

Pour en revenir à la phrase incompréhensible qui s’était

8. Cf. 2 R 4, 27.

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imprimée en moi en cette mémorable occasion, j’étais tellementinconscient d’un sens, flatteur pour moi, de ces mots sibyllins,que, sitôt rétabli de ma syncope, j’avais interprété cette locutionde la seule manière qui me parût alors convenir à ma vie depéché. Je me persuadai que Dieu avait tout simplement voulume détourner de me prendre pour un réformateur de Sonpeuple, et m’invitait plutôt à me regarder moi-même, c’est-à-dire à m’occuper plutôt de mon état personnel peu brillant, etde celui de mes frères et sœurs chrétiens qui se trouvaient dansune situation identique ou analogue, même s’ils continuaientd’aimer Dieu et leur prochain et d’obéir aux commandements del’Église. Conformément à mon habitude et à mon tempérament,j’entrepris immédiatement de traduire en règle de vie concrètece que je croyais avoir compris du sens de ce message divin.Considérant que j’étais un quasi-divorcé et que, de ce fait, jene pourrais jamais exercer, dans l’Église, aucun service ouministère officiel au service de la communauté chrétienne –état auquel j’avais jadis passionnément aspiré –, je rédigeai, enquelques jours, une espèce de “directoire” spirituel destiné àdes séparés et divorcés désireux de se consacrer à Dieu dansl’accomplissement des tâches les plus humbles et les moinsprisées, au service de l’Église et de la communauté chrétienne,tout en « demeurant dans l’état où les a trouvés l’appel de Dieu »à la repentance9. Mais, une fois de plus, la Providence avaitd’autres projets sur moi, comme l’illustra la suite desévénements.

A l’époque où j’achevais ma retraite douloureuse à La Salette,un religieux catholique américain accomplissait, lui aussi, unpèlerinage en ce lieu béni. Frappé par mon recueillement – ainsiqu’il me le confia ensuite –, il prit l’initiative de m’adresser laparole, au bar de l’hôtellerie, où j’étais venu réchauffer moncorps gelé, en absorbant un bol de bouillon. Avec le grand amourdes âmes qui le caractérisait, il eut la charité et l’humilité des’intéresser à la mienne. À mon grand étonnement, après avoirentendu ma confession générale et au terme de longues heures

9. Cf. 1 Co 7, 20.24.

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de confidences étalées sur deux jours, il me proposa de me fairevenir dans sa congrégation, aux États-Unis, pour y accomplir uncycle complet d’études théologiques. Il m’affirma que je n’auraispas à me préoccuper de ma subsistance ni de la pensionalimentaire, qui seraient prises en charge par l’Institut dont ilétait l’un des principaux responsables. Toutes mesures seraientégalement prises pour me permettre de revenir en France, aumoins deux fois par an, en vue de rencontrer mes enfants. Bref,j’étais en plein rêve.

Je ne cache pas que je fus d’autant plus tenté de voir là le doigtde Dieu, que je m’étais souvent entendu dire que je ferais mieuxd’étudier la théologie, plutôt que de me fier à mes prétendues“visions” et “lumières” intérieures. Toutefois, j’estimais qu’ilme fallait une confirmation que telle était bien la volontédivine. Pour connaître cette dernière, je n’avais nul besoin d’unange, ni d’une révélation particulière : il me suffisait de m’enremettre au Père jésuite auquel je m’étais lié par obéissance etde la direction spirituelle duquel je n’avais eu qu’à me louerjusque-là. Je fis part de mes réflexions à l’excellent religieuxaméricain, qui convint que j’avais tout à fait raison et que cesbonnes dispositions étaient précisément la preuve que je necherchais pas ma volonté, mais celle de Dieu. Il me donna sonadresse temporaire, chez des amis grenoblois, en précisant queje devais lui transmettre ma réponse de principe, par téléphoneou par écrit, avant son retour aux États-Unis, qui devait avoirlieu quelques jours plus tard. Il me communiqua également sonadresse américaine et nous nous quittâmes en nous saluant aveceffusion, dans le Seigneur. À ce jour, je n’ai pas souvenanced’avoir connu une âme avec laquelle je me sois senti dans unetelle harmonie et jubilation spirituelles et qui comprît aussiprofondément l’agir mystérieux de Dieu dans le secret descœurs. C’était un grand spirituel, mais presque rien n’entransparaissait au dehors, tant était grande son humilité.

J’avais donc toutes les raisons d’être en paix avec moi-même etavec Dieu, en me laissant bercer par le roulis du train qui meramenait, en ce froid matin d’automne, vers la ville où habitait

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mon jésuite. Je laissais mes pensées vagabonder. Je meremémorais, avec émotion, notre dernier entretien, avant mondépart pour La Salette. Comme il se doit, j’étais venu lui fairemes adieux. À cette occasion, il m’avait annoncé une bonne, trèsbonne nouvelle. Conformément au projet dont il m’avait exposéles grandes lignes, au lendemain de l’échec de sa tentative desauvetage de mon couple, il s’était rendu dans la ville de Lille,une semaine ou deux plus tard, pour exposer mon cas à l’unde ses anciens étudiants, devenu, depuis, curé d’une paroisselocale. Compte tenu de ma situation particulière et du désirardent que j’avais de servir Dieu et l’Église, dans la pratiquedes conseils évangéliques, il avait été envisagé de me confierl’exécution et la supervision des multiples tâches techniques etadministratives, qui absorbent tellement l’énergie et le tempsdes clercs, aux dépens du ministère sacerdotal qui est leurapanage exclusif. Cette disposition, avait-on estimé, outrequ’elle fournirait une heureuse solution à mon problème,soulagerait, du même coup, le clergé local d’une grande partiede ses contingences matérielles. Des explications qui suivirent,il ressortait que seuls restaient à peaufiner quelques détailscanoniques et pratiques, qu’un échange de correspondancesuffirait à régler. J’appris aussi que, sous réserve de l’accord del’évêché – réputé ne poser aucun problème –, je n’aurais pas àme soucier du paiement de ma pension alimentaire : elle seraitacquittée par la paroisse, en guise de salaire pour le travailfourni. Je ne devrais pas non plus m’inquiéter de ma subsistancematérielle, ni de mon entretien, car la communauté paroissialey pourvoirait. J’aurais, en effet, gîte et couvert à la cure, commen’importe quel membre de l’équipe sacerdotale. Le guide demon âme estimait que tout serait prêt pour le grand saut, à monretour de La Salette.

Émerveillé et ému aux larmes, je l’avais remercié avec effusion.Puis, je m’étais confessé et lui avais demandé sa bénédiction.C’est alors qu’il avait prononcé des paroles tout à faitinhabituelles de sa part, et ce dans des circonstances et d’unemanière que la suite des événements devait me faire apparaître,a posteriori, comme réellement prophétiques. Aujourd’hui

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encore, je peux me remémorer la scène, fort émouvante, audemeurant, et j’oserais même dire “surnaturelle”.

Le bon religieux venait d’achever de me donner sa bénédictionet retirait sa main de ma tête. J’étais encore à genoux à sespieds, tandis qu’il restait silencieux, calé dans son fauteuil. Enlevant les yeux, je croisai son regard et fus étonné du voile quil’embuait soudain, comme d’ailleurs de la pâleur de son visage– chose surprenante chez un homme à la complexion plutôtsanguine. À soixante-deux ans, ce religieux, solide comme unchêne, pratique, voire un brin rationaliste, et qui reconnaissaitlui-même, avec bonne humeur, n’avoir rien d’un mystique (ilm’avait avoué n’avoir jamais expérimenté la moindre faveursurnaturelle et n’éprouver généralement qu’une foi rude jusqu’àla sécheresse), n’était pas précisément du genre sentimentalou émotif. Il se méfiait comme instinctivement de tout ce quisortait de l’ordinaire et des manifestations excessives ousentimentales de religiosité et de piété. C’était plutôt unmeneur d’âmes réaliste et énergique. Ce qui, au demeurant,ne l’empêchait nullement d’être capable de délicatessesinattendues. C’est précisément de l’une de celles-ci que jebénéficiai, ce jour-là. Ayant saisi ma main avec sa rude affectionhabituelle, l’excellent prêtre prononça, d’un ton ému etrecueilli, que je lui entendais pour la première fois, des parolesqui se gravèrent pour toujours dans ma mémoire:

« Mon fils, je crois que Dieu a sur vous un desseinparticulier! »

À la lumière de ce qui précède, on aura sans doute comprisqu’en arrivant à bon port, lors de mon retour de La Salette, jen’eus rien de plus pressé, après avoir déposé mes affaires dansma chambre et fait un brin de toilette, que de courir chez leguide de mon âme pour lui relater les derniers événements etsolliciter son discernement à leur propos. Au demeurant, j’étaisen paix. Quel que pût être, en effet, le jugement de celui auquelje m’étais lié par l’obéissance, sur la voie qui devrait, dorénavantêtre la mienne, je serais toujours sûr de ne pas faire ma volonté,mais celle de Dieu, manifestée par les circonstances et contrôlée

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par le discernement de celui auquel j’avais remis la direction demon âme.

Que le Seigneur, par la bouche de mon conseiller spirituelactuel, m’envoie étudier la théologie aux États-Unis, ou rendred’humbles services matériels dans une paroisse française,j’étais, de toute façon, assuré de pouvoir enfin mener la viede consécration à Dieu et de service de l’Église et de lacommunauté chrétienne, à laquelle j’aspirais depuis ma plustendre enfance!.

Mais Dieu, dont « les pensées ne sont pas nos pensées, ni lesvoies, nos voies »10, en avait décidé autrement. Au-delà de ladépouille de celui qui avait été le guide de mon âme et dontle Père portier, qui m’accueillait, venait de m’annoncer la mortbrutale – survenue trois semaines auparavant –, il n’y avait plusde route pour moi…

Passés les premiers instants de douleur et de stupeur, je meressaisis en songeant que le Seigneur m’indiquait ainsiclairement qu’il me voulait en Amérique. En hâte, je revinsà ma chambre et fouillai fébrilement mes affaires. Or – choseréellement incroyable –, je ne pus trouver trace non seulementde la feuille volante sur laquelle j’avais noté l’adresse du prêtreaméricain, à Grenoble, mais encore de mon agenda personneloù figuraient – outre les adresses du peu d’amis et de relationssur lesquels je pouvais encore compter –, les coordonnées del’Institut américain du religieux qui m’avait offert d’y étudierla théologie, et qui avait si bien perçu l’agir de Dieu dans monâme. Pour comble de malheur, je ne parvenais même pas à meremémorer ni l’intitulé de cette congrégation, ni la ville où elleétait située aux États-Unis.

Ma dernière tentative désespérée pour renouer le lien ténu quime reliait encore à la “Terre Promise” de cette vocationinespérée que Dieu s’était contenté de me faire entrevoir, àl’instar de Moïse, du haut de la montagne11, avant de me

10. Is 55, 8.

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condamner inexplicablement à n’y jamais entrer, se solda, elleaussi, par un échec navrant.

Il me fallait à tout prix identifier le curé lillois dont m’avaitparlé mon défunt confesseur. Pour cela, j’avais besoin de l’aidedu supérieur de la communauté jésuite. Force me fut de confierà ce dernier la singulière décision de mon guide spirituel. Parpudeur, je fis le silence sur les faveurs divines. De toute façon– je pus bientôt m’en rendre compte – de telles confidencesn’eussent fait qu’aggraver mon cas, aux yeux de ce religieux.En effet, il ne crut pas un mot de ce que lui relatai et refusaobstinément de rechercher, dans la correspondance du défunt,les lettres échangées avec le prêtre lillois, qui eussentpéremptoirement prouvé ma bonne foi. Pour justifier sonobstruction, le supérieur argua qu’il était tout à fait impossiblequ’un de ses religieux – dont il se targuait de connaître, mieuxque quiconque, la rigoureuse orthodoxie – ait pu encouragerun chrétien séparé de son épouse à se consacrer à Dieu, plutôtqu’à reprendre la vie conjugale. Comme je protestais que c’étaitprécisément ce qui avait été envisagé, mais que, les tentativesen ce sens ayant échoué, mon confesseur avait cru bon deprendre cette initiative, je me heurtai au scepticisme obstinéde ce religieux. Inconscient de la cruauté de son attitude et nemesurant sans doute pas les graves dégâts et le scandale qu’elleallait causer tant à mon âme qu’à mon psychisme humain –rudement mis à l’épreuve, en cette circonstance –, cet hommeintraitable m’enjoignit sèchement de cesser de me mentir àmoi-même et de m’illusionner, et de retourner à mon foyerlégitime ; puis il me congédia, avec une dureté dont le souvenir,aujourd’hui encore, me serre le cœur. Dieu veuille lui pardonner: il ne savait visiblement pas ce qu’il faisait.

Quant à mon projet de “règle de vie” pour les chrétiens séparésde leur conjoint et désireux de mener une vie de consécrationà Dieu, il disparut définitivement dans le tiroir du bureau d’unconfrère de mon défunt guide spirituel, auquel je l’avaisimprudemment confié. Il me fallut un certain temps pour

11. Cf. Dt 32, 49.52.

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comprendre que le jeune religieux, vers lequel, en désespoirde cause, m’avait dirigé son supérieur – trop heureux de sedébarrasser ainsi de moi –, et qui avait semblé tellement bienme comprendre, avait davantage de goût pour la psychologieque pour l’écoute des âmes et le discernement des esprits.Quand je lui réclamai mon manuscrit, dont je n’avais pas copie,il affirma l’avoir complètement égaré.

Au vrai, même cela m’était égal désormais. J’étais en enfer, et ledésespoir venait de s’engouffrer en moi avec une telle violence,que je n’eus pas la force de résister au découragement, car mafoi est faible.

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ÉPILOGUE DES CINQ VISITATIONS

Plus d’une cinquantaine d’années se sont écoulées depuis lapremière manifestation surnaturelle dont je fus l’indignebénéficiaire, et plus d’une quarantaine depuis la locutionsibylline qui constitua le dernier message divin à moi adressé– si tant est que je n’aie pas été victime de mon orgueil oud’illusions dues à mes péchés. Depuis, j’ai eu le temps de meremarier et d’avoir un autre enfant. J’ai aussi séjourné plus dedix ans en Israël, où j’ai pris, par effraction, l’identité juive, dansdes circonstances qu’il n’y a pas lieu de relater ici. Pour monmalheur, ma deuxième expérience conjugale s’est soldée, elleaussi, par un échec, lorsque mon épouse a demandé le divorceaprès douze ans de vie commune. Revenu d’Israël, au début desannées 1980, après des études universitaires juives poussées,j’ai épousé, en troisièmes noces, une chrétienne d’ascendancejuive, avec laquelle je vis depuis près de trente ans. Durant cesdécennies, j’ai entrepris maintes choses, suivi bien des faussespistes, rusant sans cesse avec un appel divin dérangeant etinquiétant – pour les autres comme pour moi-même –, dontj’ai tout fait pour me persuader que je l’avais imaginé, sansjamais réussir à m’en convaincre complètement. Conforté dansma lâcheté par de “bons conseilleurs” religieux, j’ai cru agir avecsagesse et humilité en taisant les avertissements solennels queDieu voulait peut-être que je porte à la connaissance de SonPeuple.

Peureusement réfugié derrière des mises en garde bienpensantes – qui, au fond, m’arrangeaient bien –, j’ai vite troqué

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l’austère et dangereuse vocation d’avertisseur, pourl’imparfaite, mais moins compromettante quête intellectuelleincessante de l’universitaire. Rapidement, la passion de larecherche scientifique l’a emporté en moi sur l’humbleméditation de la Parole divine, tandis qu’un zèle immodéré pourl’étude philologico-historique de l’Écriture et celle de l’histoirede l’Église et de la Tradition, se substituait insidieusement àl’ardeur que je mettais, jadis, à conformer ma vie à cesenseignements. Progressivement, la voix qui criait autrefois enmon âme, au point de la mettre en déroute, s’est faite pluslointaine. Pourtant, elle ne m’a jamais quitté, cette nostalgie de« l’affection de ma jeunesse, de l’amour de mes fiançailles »1.Elle me revient encore, de loin en loin, comme la crispationd’une blessure ancienne, incapable de cicatriser. Au fil desannées, m’effleure parfois le fol espoir que même si moi j’aienfreint l’Alliance que Dieu a conclue avec la créature infime etpécheresse que je suis, Lui n’a peut-être pas renoncé à l’appelqu’Il m’a jadis adressé et qui, aux dires de Paul, est « sansrepentance »2.

Pour terminer, je reviens un instant sur les incertitudes quisubsistent en moi concernant l’appel de Dieu – réel ou supposé– dont je serais l’objet, et sur ce que je crois avoir compris del’avertissement solennel et de l’appel urgent à la pénitence, quele Seigneur adresse à toute la communauté chrétienne, et que jen’avais jamais osé formuler publiquement de manière explicite,jusqu’à ce que je me décide enfin à le faire dans mon premierlivre paru en 2009.

Pénible, au début, cette discipline du silence – que je m’étaisvolontairement imposée, tant par crainte d’abuser les autres,après m’être fourvoyé moi-même, que par pusillanimiténaturelle –, avait fini par me devenir d’autant plus facile, que mavie religieuse et morale était le plus souvent médiocre. Non queje fusse sans remords d’avoir choisi cette attitude. Au contraire,à mesure que j’avançais en âge et progressais dans la méditation

1. Cf. Jr 2, 2.2. Cf. Rm 11, 1.2.

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de ce qui m’était advenu, je me défendais de plus en plus malcontre un reproche intérieur, ténu mais obstiné, qui affleuraiten mon âme, par intermittence, subitement et sans crier gare: celui d’avoir tu ce que Dieu – si c’était bien Lui – ne m’avaitcertainement pas révélé pour que je l’enfouisse à tout jamais,fût-ce par humilité, mais plutôt – mais ceci nécessite undiscernement – pour le faire passer à tout Son peuple3.

Pourtant, même alors, mes craintes d’être infidèle à un éventuelappel divin ne faisaient pas le poids, lorsque ma raison et mavanité jetaient dans l’autre plateau de la balance de mes débatsde conscience, la perspective du ridicule que j’encourraisimmanquablement si moi, le pécheur public prétendumentvisionnaire, j’avais un jour l’impudence de proclamer, à la facede toute l’Église, un appel urgent et solennel à la conversion,sous peine de sanctions divines imminentes.

C’est ainsi que je cheminai longtemps, péniblement etmisérablement, m’efforçant d’oublier la teneur même de cesrévélations, sur l’origine et la finalité desquelles je n’osaistrancher moi-même, et contre lesquelles certains hommesd’Église m’avaient mis en garde.

Mais Dieu a daigné compatir à ma misère. Lui qui m’avait jadismis la main sur l’épaule et dont l’inaltérable patience avaitconsenti à se plier aux méandres, aux atermoiements et auxerrements du mauvais serviteur que je suis, ce Seigneur demiséricorde a aussi condescendu – conformément à ce que lesPères nomment Son “économie” –, à s’adapter aux chemins detraverse que j’empruntais sans cesse, dans mon entêtement àsuivre mes idées à moi et les conseils changeants des hommes,plutôt que les inspirations divines. En Père aimant et sagePédagogue, Il m’a « laissé errer loin de ses voies »4. Il m’a laisséfaire, lorsque je m’écartais de la lumière aveuglante du « cheminde Damas »5 des visions explicites et m’éreintais inutilement

3. Allusion à la parole de Marie aux deux voyants de La Salette, Maximin etMélanie (19 septembre 1846).

4. Cf. Is 63, 17.5. Cf. Ac 9, 3, sq.

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sur la voie, large et tumultueuse, de l’étude systématique. Defait, c’est sur cette dernière que j’avais fini par prendre presqueexclusivement appui, pour tenter de vérifier le sens, voire lebien-fondé des révélations dont j’avais été le bénéficiaire. MaisLui, loin de me laisser me perdre « en des lieux sans issue »6,m’y a, au contraire, rejoint et même précédé. En effet, lorsquece Seigneur de miséricorde me vit enfin brisé intérieurement,il se fit Lui-même mon Maître, pour me faire parvenir à unecompréhension, aussi complète qu’Il l’estimait nécessaire, del’accomplissement final de Son Dessein, dont Lui seul connaîtles temps et les modalités.

Jusqu’à ce jour, j’ignore si je dois publier la teneur intégrale dece que je crois avoir compris de ce mystère. J’ignore égalementqui en sera le héraut. À l’inverse des manifestationssurnaturelles relatées dans cet écrit – et qui furentaccompagnées de communications infuses de connaissancesque j’eusse été bien incapable de me procurer par moi-même –,il s’agit, en l’occurrence, d’une interprétation humaine deréalités prophétiques inscrites dans les Saintes Écritures,méditées à la lumière de ce que Dieu, je crois, m’a donné d’encomprendre. Aussi, il va de soi que je n’ai pas la prétentiond’attendre de mes auditeurs éventuels qu’ils accordent à cetteannonce le même crédit qu’à la Parole de Dieu et àl’enseignement de l’Église.

Par contre, ce que je crois pouvoir désormais proclamer sanscrainte – et là, ma conscience non seulement ne me reprocherien, mais elle me ferait plutôt grief de me taire – est ceci :

Chrétiens, vous que Dieu s’est acquis, pour la louange de sagloire,

sans rejeter le peuple qu’Il a discerné d’avance7 ;

vous savez, par le ministère d’Ezéchiel,

que vous formez, l’un et l’autre, un seul bois,

6. Cf. Lm 1, 3.7. Cf. Ép 1, 14 ; Rm 11, 2.

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et par le ministère de Paul, que des deux, le Seigneur a fait un8.

Déjà, Il a rétabli son peuple et, au temps connu de Lui seul,

Il enverra Élie le Prophète, avant que vienne la Colère9,

ramener le cœur des pères vers les fils et le cœur des fils versleurs pères10 ;

combattre l’Antichrist et annoncer le « Royaume qui vient »11,

jusqu’à ce que vienne Celui à Qui il est et en Qui espèrent lesnations12,

quand Dieu restituera la royauté à Son peuple13

et que se réalisera tout ce qu’Il a dit par la bouche de Sesprophètes14.

« Car Dieu a enfermé tous les hommes dans l’incrédulité,

pour leur faire à tous miséricorde. »15.

Que ceux qui liront ces pages prient pour le salut de l’âme de celuiqui les a rédigées. Amen !

8. Cf. Éz 37, 17 ; Ép 2, 14.9. Mt 3, 7 = Lc 3, 7.

10. Ml 3, 24 = Si 48, 10.11. Cf. Mc 11, 10.12. Cf. Gn 49, 10.13. Cf. Ac 1, 6.14. Cf. Ac 3, 21.15. Rm 11, 32.

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DEUXIÈME PARTIE: "UN TEMPS POUR PARLER"(QOHELET 3, 7)

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INTRODUCTION

C’est le moment d’agir pour l’Éternel : ils ont mis en pièces taTorah. (Ps 119, 126).

Fils d’homme, je t’ai fait guetteur pour la maison d’Israël. Lorsquetu entendras une parole de ma bouche, tu les avertiras de ma part.(Éz 3, 17).

On n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau, maisbien sur le lampadaire, où elle brille pour tous ceux qui sont dansla maison. Ainsi votre lumière doit-elle briller devant les hommesafin qu’ils voient vos bonnes œuvres et glorifient votre Père qui estdans les cieux. (Mt 5, 15-16)

Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le au grand jour ; et ceque vous entendez dans le creux de l’oreille, proclamez-le sur lestoits. (Mt 10, 27).

Il n’est pas facile de parler de soi-même, surtout après avoir levéle voile sur ce qu’il y a de plus intime au monde : les relationsentre « le Roi des rois et Seigneur des seigneurs […] Qui habiteune lumière inaccessible »1, et « l’homme semblable à unsouffle, dont les jours sont comme l’ombre qui passe »2.Pourtant, ce livre serait incomplet et même infidèle à la réalitédes faits, si je m’en tenais au seul exposé des grâces du Seigneur.

Celles et ceux qui ont l’expérience des voies divines le savent :le Christ est prodigue de faveurs, mais c’est un Amant exigeant.Il s’attache les âmes et « leur prépare une place dans la maison

1. Cf. 1 Tm 6, 15-16.2. Cf. Ps 144, 4.

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de Son Père »3, mais Il les appelle aussi à prendre sur elles unepart de l’opprobre et de la souffrance qu’Il endura, lors de Savie terrestre. Beaucoup parlent ou écrivent volontiers de leuramour de Dieu et de leur désir de Le servir. Les plus extériorisésdéversent même sur leur entourage le trop-plein – parfoisintempestif – de leur ferveur. Mais le Christ nous a prévenus :« Ce ne sont pas ceux qui ne font que me dire: “Seigneur !Seigneur !”, qui entreront dans le Royaume des Cieux, mais ceuxqui font la volonté de mon Père qui est dans les cieux. »4. Cetavertissement m’est toujours présent à l’esprit depuis que jeme suis engagé, à mes risques et périls, dans la voie seméed’embûches du témoignage public.

Je dis « semée d’embûches », car je suis conscient qu’enexposant ce que je crois avoir compris des mystères du desseinde Dieu, et en portant, à partir des grâces privées reçues, untémoignage élaboré par mon intelligence faillible5, je cours moi-même et fais courir à d’autres un grand risque. L’apôtre Paulnous avertit, en effet, que « la connaissance n’est pas l’apanagede tous »6. Quant à Jacques, il est plus sévère encore : « Ne soyezpas nombreux, mes frères, à devenir docteurs. Vous le savez,nous n’en recevrons qu’un jugement plus sévère ». En outre,un auteur peut, avec les meilleures intentions du monde,« scandaliser un de ces petits qui croient au Christ »7. Il me faut

3. Cf. Jn 14, 2.4. Mt 7, 21.5. Je crois utile de préciser que, contrairement à certaines mises en garde, rien

n’interdit au bénéficiaire de grâces de chercher à en comprendre la significationet la portée, voire d’en témoigner auprès de ses coreligionnaires. C’est ce quime semble ressortir, des paroles de l’apôtre Pierre : « Sur ce salut ont porté lesinvestigations et les recherches des prophètes, qui ont prophétisé sur la grâceà vous destinée. Ils ont cherché à découvrir quel temps et quelles circonstancesavait en vue l'Esprit du Christ, qui était en eux, quand il attestait à l'avance lessouffrances du Christ et les gloires qui les suivraient. Il leur fut révélé que cen'était pas pour eux-mêmes, mais pour vous, qu'ils administraient ce message,que maintenant vous annoncent ceux qui vous prêchent l'Évangile, dans l'EspritSaint envoyé du ciel, et sur lequel les anges se penchent avec convoitise » (1 P 1,10-12). Il va de soi également qu’il appartient aux responsables religieux – quitirent leur autorité de la délégation du pouvoir de lier et de délier que leur aconféré le Christ (cf. Mt 18, 18 ; Lc 10, 16) – de « tout examiner et de retenir cequi est bon » (cf. 1 Th 5, 21).

6. Cf. 1 Co 8, 7.7. Cf. Mt 18, 6.

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donc dire ici un mot de ce qui m’a poussé à écrire après un silong silence. Non que je n’aie rien publié avant mon premierlivre de 2009, mais il s’agissait de monographies et decontributions, techniques ou de vulgarisation, et d’articlesd’opinion, parus au fil des décennies, dans divers revues etjournaux8, et non d’un témoignage s’apparentant à uneautobiographie spirituelle, comme le présent ouvrage. Outre lapudeur instinctive qui me retenait d’exposer ma vie intérieure,j’ai longtemps considéré que les expériences spirituelles dontj’avais bénéficié et les grâces de connaissance qui en avaientdécoulé, ressortissaient à ma sphère privée, et je craignaisd’encourir, si je les divulguais, la sévère mise en garde de Jésus :« Ne donnez pas aux chiens ce qui est sacré, ne jetez pas vosperles devant les porcs, de crainte qu’ils ne les piétinent, puis seretournent contre vous pour vous déchirer »9.

J’ai dit plus haut, que mon long mutisme à cet égard neprocédait pas de l’humilité, mais de la peur du ridicule querisquait de me valoir, je le pressentais, l’exposé des faits peucommuns qui me sont advenus. Soit, dira-t-on peut-être, maisun silence d’un demi-siècle, suivi de la rédaction, en trois ans,de cinq ouvrages, dont quatre déjà édités, cela demandeexplication. Et je reconnais volontiers la légitimité de laquestion incisive d’un journaliste à qui j’avais confié mesinhibitions littéraires antérieures : « Qu’est-ce qui a fait tombervos défenses ? » Contrairement à ma dérobade de l’époque, jepuis y répondre aujourd’hui en toute sincérité, puisque, de toutefaçon, j’ai déjà franchi le Rubicon prudentiel qui interdit à moninsignifiance théologique de paraître – même revêtue « d’armesde lumière »10 – devant le tout-puissant « Sénat » doctrinalcatholique11. Qu’on m’en croie : je n’écris pas cela par dérision,ou pour faire un effet littéraire, mais parce que telle est, toutesproportions gardées, ma situation au regard de la doctrine

8. Listes en ligne (http://www.rivtsion.org/f/index.php?p=651).9. Mt 7, 6.

10. Cf. Rm 13, 12.11. Allusion métaphorique à la violation, par César, de la loi du Sénat romain, qui

interdisait à tout général de franchir, à la tête d’une armée, ce cours d’eauproche de Rome.

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ordinaire de l’Église catholique et peut-être même de sonmagistère.

Voici, en résumé, les deux points majeurs de clivage entre ceque j’ai compris de l’accomplissement final du dessein de Dieu,et ce que tient la théologie chrétienne (et donc, pas seulementcatholique).

1. Je crois, en effet, à la suite de plusieurs Pères de l’Église,vénérables et rigoureusement orthodoxes, tels, entre autres,Saint Justin martyr (103-165) et Irénée de Lyon (130-202, env.),que le Règne millénaire du Christ aura lieu sur la terre, lors de lapremière résurrection12.

2. Je crois également – à la lumière de la locution surnaturelledont j’ai bénéficié au printemps 196713, comme sur la base dela contestation haineuse que suscite dans le monde cetévénement – que le retour progressif des juifs dans leur antiquepatrie, depuis la fin du XIXe siècle, correspond au dessein deDieu sur ce peuple.

Soucieux de tester mes écrits avant de les proposer à un éditeur,j’ai prévenu l’un de mes critiques habituels que le récit descinq « visitations », que je lui avais soumis en son temps, allaitfigurer dans un prochain livre. Son verdict a été cinglant etsans appel : « Ayant lu vos trois ouvrages précédents avec lemaximum de discernement et d’objectivité dont je suis capable,je crains que vous ne tombiez de Charybde en Scylla », m’a-t-il dit. Et de poursuivre, avec sa cinglante franchise habituelle :« Vos exposés étaient déjà plus qu’hétérodoxes, outre la tonalité

12. Cf. Ap 20, 5. Voir mon excursus en ligne : « Le Royaume de Dieu : au ciel ou sur laterre ? » (www.rivtsion.org/f/index.php?sujet_id=455). Un théologien spécialiséen eschatologie m’a remontré, par des arguments qui ne m’ont pas sembléconvaincants, que cette croyance était condamnée par l’Église. A ce propos,voir M. Macina, Chrétiens et juifs depuis Vatican II, Op. cit., « Le Catéchismede l’Église catholique a-t-il réputé hérétique l’espérance chrétienne vénérabled’un Royaume millénaire du Christ sur la terre ? », p. 212-223 ; voir aussi monexcursus intitulé « Le 'millénarisme' d'Irénée a-t-il été condamné par leCatéchisme de l’Eglise catholique ? » (www.rivtsion.org/f/index.php?sujet_id=1430).

13. Voir, ci-dessus : « Deuxième visitation : "Dieu a rétabli son peuple" ».

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exaltée des vaticinations qui les ponctuaient, mais il me paraîtévident que cet étalage impudique de vos expériencesspirituelles, dont l’origine surnaturelle est tout sauf prouvée,achèvera de vous discréditer. »

Pour sa part, l’un de mes rares amis, que j’avais mis dans laconfidence, me donna un avis qui, pour être infiniment plusamical, n’en était pas moins réticent. Il ne voyait, m’avoua-t-il, aucun avantage à ce dévoilement des faveurs divines, dont,pour autant, il ne doutait nullement. Il craignait, en effet, quecette initiative ne soit considérée comme une justification aposteriori de ce qu’il a coutume d’appeler « ma théologie ».

Je n’avais absolument pas envisagé les choses sous cet angle. Aucontraire. Après plus de cinq décennies de silence sur cet aspectsurnaturel de mon cheminement intérieur, c’est volontairementque je m’étais gardé d’en faire état dans mes livres, précisémentpour ne pas donner l’impression que je m’appuyais sur desgrâces mystiques privées pour accréditer mes exposésconcernant le dessein de Dieu sur les deux familles de Sonpeuple14. Ce qui m’oblige à rendre compte de la raison pourlaquelle j’ai finalement fait ce à quoi je n’avais pu me résoudredepuis si longtemps.

14. Je veux parler de la typologie scripturaire – déjà évoquée plus haut –prophétisée par Ézéchiel et transfigurée par Paul, selon laquelle les « deux bois »(Joseph et Juda) en constituent « un seul » (Éz 37, 19), et « des deux, [le Christ] afait un» (Ép 2, 14), « l’un et l’autre» ayant, « en un seul Esprit, libre accès auprèsdu Père» (Ép 2, 18).

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SIGNES AVANT-COUREURS DE LA RÉVOLTE DESNATIONS

Il leur répondit: « Au crépuscule vous dites : Il va faire beau temps,car le ciel est rouge feu ; et à l’aurore : Mauvais temps aujourd’hui,car le ciel est d’un rouge sombre. Ainsi, l’aspect du ciel vous savezle discerner, et pour les signes des temps vous n’en êtes pascapables ! » (Mt 16, 2-3).

J’ai dit plus haut1, la perplexité qui avait été la mienne, quand,dans un déferlement de gloire et de lumière, une voix célestem’avait signifié que le rétablissement du peuple juif étaitréalisé. Le scepticisme radical des rares confidents auxquelsj’avais relaté l’événement m’avait dissuadé d’en parlerdavantage par la suite. Pourtant, l’époque était favorable auxjuifs. Même l’État d’Israël avait alors la faveur de beaucoup degens de par le monde, et particulièrement en France, et, ences premiers jours du printemps de 1967, personne n’imaginaitl’inversion radicale de tendance qui allait s’opérer suite à lavictoire quasi-miraculeuse d’Israël sur trois armées arabescoalisées qui, sous l’impulsion de Nasser, menaçaient de« rejeter les juifs à la mer », comme on disait alors.

Beaucoup plus tard, en me remémorant les événements, jem’étais étonné du « timing » de la locution surnaturelle quiallait bouleverser mes conceptions chrétiennes antérieures.Comment, en effet, ne pas admirer l’enchaînement desévénements. Je ne connaissais rien, à l’époque, de la lente

1. Voir : « Deuxième "visitation" : "Dieu a rétabli son peuple" ».

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réappropriation de leur terre ancestrale par des millions de juifs,depuis la fin du XIXe siècle. J’ignorais tout également de l’Étatd’Israël. J’ai honte d’avouer qu’il m’apparaissait comme uneespèce de Principauté occidentale noyée dans les sables etencerclée par un océan de pays arabes. J’étais à cent lieuesd’imaginer la guerre qui allait éclater en juin de cette année-là,et le revirement que la victoire juive allait causer tant dans lapolitique que dans l’opinion publique françaises, aux dépens del’État juif.

Depuis, on le sait, la dégradation fulgurante – et, semble-t-il, irréversible – de l’image d’Israël dans le monde, a entraînésa délégitimation quasi universelle, tandis que la causepalestinienne a pris, dans les cœurs, la place privilégiée qu’avaitlongtemps tenue, en Occident, le jeune État pionnier, dont onadmirait le courage et la ténacité avec lesquels ses habitantsavaient rédimé leur antique foyer national et fait refleurir saterre, après la plus horrible tragédie de l’histoire de leur peuple,la Shoah.

Dans ces circonstances extrêmement défavorables au peupleauquel je m’attachais de plus en plus au fil des années, et fautede connaître des chrétiens animés des mêmes sentiments,j’avais fini par m’appuyer uniquement sur l’étude et la recherchepour tenter de discerner le dessein de Dieu concernant le peuplejuif, « Son bien propre »2, et les nations, objets de « Samiséricorde »3, espérant concilier ainsi, et la réalité de la greffedes païens sur l’olivier franc, et le rétablissement des « branchesnaturelles » regreffées sur leur propre olivier4.

C’était, à l’évidence, une construction théologique intéressante,et elle eût pu faire l’objet d’une soutenance de thèse, ou aumoins d’une monographie universitaire. À cet effet, j’aiaccumulé, au fil des décennies, un matériau juif et chrétienconsidérable que j’intègre dans mes écrits successifs depuis

2. Cf. Ex 19, 5.3. Cf. Rm 15, 9.4. Cf. Rm 11, 24.

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quelques années, après avoir renoncé à l’utiliser à des fins derecherche. Et voici pourquoi.

En ma qualité de webmestre de sites de défense du peuple juifdans le monde et de son État reconstitué en Terre sainte et, àce titre, en contact direct et permanent avec l’actualité durantquelque douze années, j’ai été témoin de la haine paranoïde etmortifère dont cet État et son armée sont l’objet, dans le silencecomplice des uns et l’indifférence égoïste des autres. J’ai assisté,effaré, et souvent en direct, au déferlement des calomnies etdes mensonges à la Goebbels, qui éclaboussent sans cesse laréputation d’Israël jusque dans les assises internationalescensées être à l’abri d’une partialité aussi grossière. J’aid’ailleurs consacré à ce phénomène inquiétant, une large partied’un chapitre de mon premier livre5. J’y documente un anti-israélisme virulent, aux dimensions internationales, qui vise àdiscréditer l’Etat d’Israël, voire à le mettre au ban del’humanité.

Je m’étais attendu à ce que le monde chrétien fît preuve d’uneattitude plus empathique. Il m’est vite apparu qu’il n’en étaitrien, au contraire. J’ai pu constater, avec atterrement, la lâcheté,voire la complicité d’un très grand nombre de chrétiensoccidentaux, probablement « marqués au fer rouge dans leurconscience »6, qui aboient avec les loups,

• en identifiant les Palestiniens au Christ crucifié ;

• en qualifiant de « purification ethnique » et de « politiqued’apartheid » les barrières et murs édifiés par Israël pourmettre sa population civile à l’abri des attentats abominables

5. M. Macina, Chrétiens et juifs depuis Vatican II, Op. cit., p. 278-309, Chapitre VIII,« Israël, étape ultime de l’incarnation du dessein divin, ou faux messianisme ? »Le matériau examiné est réparti en cinq sous-sections: 1. L’Etat d’Israël presqueuniversellement discrédité et objet des pires calomnies. 2. La « guerre par lenarratif », nouvelle forme de négationnisme historique et de diabolisationpolitique. 3. La « guerre par le boycott » : isoler, asphyxier et désigner un peupleentier à la vindicte internationale. 4. La « guerre par le droit international »instrumentalisé pour diaboliser l’armée de défense d’Israël. 5. « Critiquer Israël,ce n’est pas de l’antisémitisme » : l’assertion résiste-t-elle à l’épreuve des faits ?

6. 1 Tm 4, 2.

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qui avaient fait auparavant un millier de victimes, et le doublede blessés ;

• en allant jusqu’à identifier l’armée israélienne à Hérodepoursuivant la « Sainte Famille » ;

• et en justifiant la prétendue « Nakba » palestinienne par la« purification ethnique », à laquelle était censé procéder leGouvernement israélien.

Pour faire court, je me limite aux quatre cas suivants, mais il yen de très nombreux autres :

1) En avril 2001, le Pasteur anglican (aujourd’hui chanoine),Naim Stefan Ateek, prononçait l’homélie suivante, qui se passede commentaires :

Chers Amis, Alors que nous approchons de la SemaineSainte et de Pâques, la souffrance de Jésus-Christ aux mainsde puissances politiques et religieuses malfaisantes, il y adeux mille ans, se manifeste à nouveau en Palestine. Lenombre de Palestiniens et d’Israéliens innocents qui ontété victimes de la politique de l’Etat d’Israël augmente. Ici,en Palestine, Jésus marche encore sur la Via Dolorosa. Jésusest le Palestinien impuissant, humilié à un point de contrôle,la femme tentant d’arriver à l’hôpital pour recevoir des soins,le jeune homme dont la dignité est piétinée, le jeune étudiantincapable d’atteindre l’université pour étudier, le père sansemploi qui doit trouver du pain pour nourrir sa famille ; laliste devient tragiquement plus longue, et Jésus est là, aumilieu d’eux, souffrant avec eux. Il est avec eux quand leursmaisons sont bombardées par des chars et des hélicoptères decombat. Il est avec eux dans leurs villes et leurs villages, dansleurs douleurs et leurs chagrins. En cette période de Carême,il semble à bon nombre d’entre nous que Jésus est encoresur la croix avec des milliers de Palestiniens crucifiés autourde lui. Il faut seulement des gens dotés de discernementpour voir les centaines de milliers de croix dans tout le pays,les Palestiniens, hommes, femmes et enfants crucifiés. LaPalestine est devenue un énorme Golgotha. Le programme

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crucificatoire du gouvernement israélien fonctionnequotidiennement. La Palestine est devenue le lieu du crâne »7.

2) Le 9 novembre 2003, le Cardinal Etchegaray, alors présidentdu Conseil Pontifical « Justice et Paix », déclarait :

« J’ai arpenté les sites palestiniens où l’autorité militaireisraélienne est en train d’installer une “clôture” dans lebut de mieux sécuriser Jérusalem en encerclant Bethléem.Je souscris aux protestations de nombreux chefs d’Eglisede diverses confessions contre un projet aussi intolérable.Dans tout le pays une barrière de séparation déjà longue de150 km dessine inexorablement une géographie d’apartheidqui excite plus qu’elle ne maîtrise la violence, lacérant untissu humain avec de graves conséquences sociales,économiques, éducatives et sanitaires. »8.

L’honnêteté commande de reconnaître que ce prélat a exprimé,à plusieurs reprises, sa sympathie et sa compréhension enversIsraël. Toutefois, même si l’on attribue ses propos à l’émotiondu moment et à la solidarité avec les plus défavorisés, inhérenteà sa fonction de responsable, à l’époque, d’une instancepontificale qui n’a jamais été tendre pour Israël, force est dedéplorer cette utilisation du vocabulaire palestinien de ladiffamation et de la haine, susceptible de donner l’impressionque l’Église reprend à son compte cette accusation calomnieuse9

7. Texte publié pour la première fois dans Olive Branch from Jerusalem, n° 61, du7 Avril 2001 (publication dirigée par Fr. Raed Abusahlia, qui fut Chancelier duPatriarchat Latin de Jérusalem, et secrétaire particulier du Patriarche MichelSabbah) Le texte original anglais, est aujourd’hui introuvable, mais archivéici: http://web.archive.org/web/20080310035855/http://www.sabeel.org/old/reports/easter01.htm. Sur la théologie de N. Ateek, diffusée par son centreSabeel – et qui n’est, en fait, qu’une recension modernisée et vue sous l’anglede la Théologie de la Libération, de l’ancien « enseignement du mépris » –, voirl’étude fouillée de Dexter Van Zile, « Updating the Ancient Infrastructure ofChristina Contempt », parue dans Jewish Political Studies Review 23:1-2 (Spring2011). Texte accessible en ligne sur le site de l’Institute for Global Jewish Affairs(JCPA): (www.jcpa.org/JCPA/Templates/ShowPage.asp?DRIT=5&DBID=1&LNGID=1&TMID=111&FID=625&PID=0&IID=5925&TTL=Updating_the_Ancient_Infrastructure_of_Christian_Contempt).

8. www.vatican.va/roman_curia/pontifical_councils/justpeace/documents/rc_pc_justpeace_doc_20031109_etchegaray-jerusalem_fr.html.

9. Quiconque croit encore au bien-fondé de l’accusation d’apartheid israélien, auraavantage à lire la rétractation que vient d’en faire le juge Richard J. Goldstone,

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qui incite implicitement à la violence envers un État présentécomme injuste et inhumain.

3) Dans son discours d’adieu prononcé à Bethléem, le 13 mai2009, par le pape Benoît XVI, on peut lire cette phrase terrible :

« Avec angoisse, j’ai été le témoin de la situation desréfugiés qui, comme la Sainte Famille, ont été obligés de fuirde leurs maisons. »10.

Pour percevoir le caractère dévastateur de cette analogie, il fautconnaître le contexte de l’événement auquel fait allusion lepape. Il s’agit du bref récit de la fuite de la « Sainte Famille »,que relate l’Évangile, en ces termes : « […] l’Ange du Seigneurapparaît en songe à Joseph et lui dit : « Lève-toi, prends avectoi l’enfant et sa mère, et fuis en Égypte ; et restes-y jusqu’àce que je te le dise. Car Hérode va rechercher l’enfant pour lefaire périr. »11. Message subliminal : Israël est, d’une certainemanière, Hérode redivivus. Ce n’est sans doute pas ce qu’a vouludire le pape, mais c’est certainement ce qu’auront compris lesPalestiniens, surtout les chrétiens.

4) Dans son rapport pour l’assemblée du Conseil œcuméniquedes Eglises (COE), à Genève, qui s’est tenue du 26 août au 2septembre 2009, le Pasteur Samuel Kobia, secrétaire généralsortant, déclarait :

« Pour bien comprendre la gravité de la construction actuellede colonies israéliennes dans les Territoires palestiniensoccupés (TPO), il faut considérer cette situation dans lecontexte historique plus large des soulèvements ethniques en

qui l’avait pourtant largement accréditée dans son rapport de l'ONU accusantIsraël de crimes de guerre lors de son opération défensive dans la Bande de Gaza.Voir sa mise au point publiée dans le New York Times du 31 octobre 2011,sous le titre « Israel and the Apartheid Slander » (www.nytimes.com/2011/11/01/opinion/israel-and-the-apartheid-slander.html?_r=1) ; traduction françaisereprise du site JJS, en ligne sur debriefing.org (www.debriefing.org/30891.html).

10. www.la-croix.com/Religion/Approfondir/Documents/Discours-du-pape-Benoit-XVI-a-son-depart-des-Territoires-palestiniens-_NG_-2009-05-13-534830.

11. Mt 2, 13.

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Palestine qui ont précédé la création de l’Etat moderned’Israël. Les Israéliens appellent cela “la guerred’indépendance” mais, pour les Palestiniens, cette périodesera, à tout jamais, la nakba – la “catastrophe” – dontbeaucoup se souviennent comme [d’]une forme de“purification ethnique” au cours de laquelle a eu lieu la plusimportante migration forcée de l’histoire moderne. Onestime à pas moins d’un million le nombre de personnes quiont été expulsées de chez elles à la pointe du fusil – descivils ont été massacrés, des centaines de villages palestiniensont été délibérément détruits, des mosquées et des églisesprofanées, et des couvents et des écoles vandalisés. Ce quedes dirigeants palestiniens appelaient en 1948 “le racisme etla ghettoïsation des Palestiniens à Haïfa” est devenu, en cedébut du 21e siècle, en Cisjordanie à Jérusalem-Est et à Gaza,un système complet d’apartheid avec son propre système de“bantoustans” »12.

Comme celui de l’anglican Ateek, cité plus haut, ce texte d’uneinstance œcuménique protestante illustre, si besoin est, le faitque cette diffamation cruelle de l’Etat d’Israël n’est passeulement le fait des catholiques.

À tort ou à raison, je vois dans ces faits et dans bien d’autres,qu’il serait trop long d’exposer et d’analyser ici, les signesavant-coureurs de la révolte des nations, mystérieusementannoncée dans l’Écriture, contre le dessein divin durétablissement d’Israël, comme il est écrit :

Pourquoi ce tumulte parmi les nations, Ces vaines penséesparmi les peuples ?

Les rois de la terre se dressent et les princes conspirent contrel’Éternel et contre son oint.

Brisons leurs liens, affranchissons-nous de leurs chaînes !Celui qui siège dans les cieux rit, Le Seigneur se moque d’eux.

12. Rapport du secrétaire général du COE, Comité central - 26 août - 2 septembre2009. Doc. No. GEN 02, Page 7, § 28 (www.oikoumene.org/fr/events-sections/cc2009/documents.html?no_cache=1&cid=25893&did=18918&sechash=c5e91b22).

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Puis il leur parle dans sa colère, Il les épouvante dans sa fureur:C’est moi qui ai oint mon roi sur Sion, ma montagne sainte !

Je publierai le décret : L’Éternel m’a dit: Tu es mon fils !Aujourd’hui je t’ai engendré.

Demande et je te donnerai les nations pour héritage, lesextrémités de la terre pour possession ;

tu les feras paître avec un sceptre de fer, comme vase de potiertu les briseras13.

13. Ps 2, 1-9.

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FUIR L’APOSTASIE ET SE PRÉPARER À RÉSISTER ÀL’ANTICHRIST

Ce n’est pas contre des adversaires de sang et de chair que nousavons à lutter, mais contre les Principautés, contre les Puissances,contre les Régisseurs de ce monde de ténèbres, contre les espritsdu mal qui habitent les hauteurs célestes. C’est pour cela qu’ilvous faut endosser l’armure de Dieu, afin qu’au jour mauvais vouspuissiez résister et, après avoir tout mis en œuvre, resterinébranlables. Tenez-vous donc debout, avec la vérité pourceinture, la justice pour cuirasse, et pour chaussures le zèle àpropager l’Évangile de la paix ; ayez toujours en main le bouclierde la foi, grâce auquel vous pourrez éteindre tous les traitsenflammés du Mauvais; enfin recevez le casque du Salut et le glaivede l’Esprit, c’est-à-dire la Parole de Dieu. Vivez dans la prière etles supplications ; priez en tout temps, dans l’Esprit ; apportez-yune vigilance inlassable et intercédez pour tous les saints. (Ep 6,12-18).

Nombreux sont les « hérauts » de l’imminence de la Fin destemps, voire de la fin du monde. Je ne parle ici que de ceux quiappartiennent à la mouvance chrétienne. Ils affirment que lescatastrophes naturelles, les conflits et les crises économiquessont l’indice de l’approche de la catastrophe finale, dontcertains d’entre eux se risquent même à prédire la date.Pourtant, le Christ nous a mis en garde contre cetteextravagance :

Il dit: Prenez garde de vous laisser abuser, car il en viendrabeaucoup sous mon nom, qui diront: « C’est moi » ; et « Letemps est tout proche ». N’allez pas à leur suite. Lorsquevous entendrez parler de guerres et de désordres, ne vous

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effrayez pas ; car il faut que cela arrive d’abord, mais ce nesera pas de sitôt la fin1.

De ces exaltés, les esprits rassis se gaussent. Ils en ont vusd’autres. Certains expliquent doctement que le phénomène estpresque aussi ancien que l’Église. En cela ils disent vrai. Maisfaut-il les croire lorsqu’ils affirment catégoriquement que cetteperspective – qu’ils qualifient, avec mépris, de« catastrophaliste » – est entièrement imaginaire et ne seproduira pas ? Je ne le crois pas. L’apôtre Pierre, dans sa secondeLettre, nous met fermement en garde contre ces « loupsdéguisés en brebis »2 :

Sachez tout d’abord qu’aux derniers jours, il viendra desrailleurs pleins de raillerie, guidés par leurs passions. Ilsdiront : « Où est la promesse de son avènement ? Depuisque les Pères sont morts, tout demeure comme au début dela création. » Car ils ignorent volontairement qu’il y eutautrefois des cieux et une terre qui, du milieu de l’eau, parle moyen de l’eau, surgit à la parole de Dieu et que, parces mêmes causes, le monde d’alors périt inondé par l’eau.Mais les cieux et la terre d’à présent, la même parole les a misde côté et en réserve pour le feu, en vue du jour du Jugementet de la ruine des hommes impies. Mais voici un point, trèschers, que vous ne devez pas ignorer : c’est que devant leSeigneur, un jour est comme mille ans et mille ans commeun jour. Le Seigneur ne retarde pas l’accomplissement de cequ’il a promis, comme certains l’accusent de retard, mais iluse de patience envers vous, voulant que personne ne périsse,mais que tous arrivent au repentir. Il viendra, le Jour duSeigneur, comme un voleur ; en ce jour, les cieux sedissiperont avec fracas, les éléments embrasés sedissoudront, la terre avec les oeuvres qu’elle renferme seraconsumée. Puisque toutes ces choses se dissolvent ainsi,quels ne devez-vous pas être par une sainte conduite et parles prières, attendant et hâtant l’avènement du Jour de Dieu,

1. Lc 21, 8-9.2. Cf. Mt 7, 15.

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où les cieux enflammés se dissoudront et où les élémentsembrasés se fondront. Ce sont de nouveaux cieux et uneterre nouvelle que nous attendons selon sa promesse, oùla justice habitera. C’est pourquoi, très chers, en attendant,mettez votre zèle à être sans tache et sans reproche, pourêtre trouvés en paix. Tenez la longanimité de notre Seigneurpour salutaire […] Vous donc, très chers, étant avertis,soyez sur vos gardes, de peur qu’entraînés par l’égarementdes criminels, vous ne veniez à déchoir de votre fermeté.Mais croissez dans la grâce et la connaissance de notreSeigneur et Sauveur Jésus Christ : à lui la gloire maintenantet jusqu’au jour de l’éternité ! Amen3.

Celles et ceux qui croient à l’accomplissement des Ecritures,prennent au sérieux la promesse du Christ à ses Apôtres :

En vérité je vous le dis, à vous qui m’avez suivi: dans larégénération, quand le Fils de l’homme siégera sur sontrône de gloire, vous siégerez vous aussi sur douze trônes,pour juger les douze tribus d’Israël4.

Même sans bien comprendre la manière dont s’accomplira cetévénement, et sans tenter de « connaître les temps et momentsque le Père a fixés de sa seule autorité »5 – comme les en adissuadés le Christ –, ces chrétiens fidèles l’attendent,néanmoins, avec ferveur, conformément à l’invitation du Livrede l’Apocalypse : « Le garant de ces révélations l’affirme : “Oui,mon retour est proche !” Amen, viens, Seigneur Jésus ! »6. Maisil en est qui, intimidés par les mises en garde des « sages etdes intelligents »7, se demandent s’il est conforme à la volontédivine de chercher à « discerner les signes des temps »8. Qu’onme pardonne de paraphraser Paul pour leur répondre : « je n’aipas d’ordre du Seigneur [à ce propos], mais je donne un avis

3. 2 P 3, 3-18.4. Mt 19, 28.5. Cf. Ac 1, 7.6. Ap 22, 20.7. Mt 11, 25 = Lc 10, 21.8. Cf. Mt 16, 3.

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en homme qui, par la miséricorde du Seigneur, est digne deconfiance »9, et « je leur dis – moi, non le Seigneur »10 : l’Écriturene dissuade personne de chercher à comprendre le dessein deDieu et à discerner Sa main dans les événements. D’ailleurs,l’apôtre Pierre, dont j’ai cité, plus haut, les parolessurprenantes, atteste que les prophètes eux-mêmes « ontcherché à découvrir quel temps et quelles circonstances avait envue l’Esprit du Christ, qui était en eux, quand il attestait àl’avance les souffrances du Christ et les gloires qui lessuivraient. »11.

Voici, me semble-t-il, ce qu’il convient de faire – et là, aucunrisque d’erreur – : sans négliger de scruter les Écritures et touten restant attentif aux signes annonciateurs du temps de la fin,il faut se préparer intérieurement, par l’étude et la prière, à résisterà l’apostasie et à la subversion spirituelle de l’Antichrist.

Qu’on n’aille pas croire qu’il s’agit là d’hypothèses fantaisistes,ou de vaticinations de visionnaires exaltés. L’apôtre Paul nelaisse aucun doute sur la réalité et le caractère inéluctable deces deux événements. Tout en résistant à une agitationeschatologique prématurée, il n’en tire pas pour autant laconséquence que ce qui est annoncé, à tort, comme imminent,n’aura jamais lieu. En témoigne ce long développement riche deprécisions qui, si elles ne sont pas toutes claires, corroborentle fait qu’il y aura bien une « apostasie », et que se manifesteraun homme qualifié d’ « impie » et d’ « adversaire » de Dieu, qui,sous l’influence de Satan, entraînera le genre humain dansl’erreur12 :

Nous vous le demandons, frères, à propos de la Venue denotre Seigneur Jésus Christ et de notre rassemblementauprès de lui, ne vous laissez pas trop vite mettre horsde sens ni alarmer par des manifestations de l’Esprit, desparoles ou des lettres données comme venant de nous,

9. Cf. 1 Co 7, 25.10. 1 Co 7,12.11. 1 P 1, 11.12. En 2 Jn, 7, il est appelé « le trompeur » ; et cf. Ap 12, 9 et 20, 10.

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et qui vous feraient penser que le Jour du Seigneur estdéjà là. Que personne ne vous abuse d’aucune manière.Auparavant doit venir l’apostasie et se révéler l’Hommeimpie, l’Être perdu, l’Adversaire, celui qui s’élève au-dessusde tout ce qui porte le nom de Dieu ou reçoit un culte,allant jusqu’à s’asseoir en personne dans le sanctuaire deDieu, se produisant lui-même comme Dieu. Vous vousrappelez, n’est-ce pas, que quand j’étais encore près devous je vous disais cela. Et vous savez ce qui le retientmaintenant, de façon qu’il ne se révèle qu’à son moment.Dès maintenant, oui, le mystère de l’impiété est à l’œuvre.Mais que seulement celui qui le retient soit d’abord écarté.Alors l’Impie se révélera, et le Seigneur le fera disparaîtrepar le souffle de sa bouche, l’anéantira par la manifestationde sa Venue. Sa venue à lui, l’Impie, aura été marquée,par l’influence de Satan, de toute espèce d’œuvres depuissance, de signes et de prodiges mensongers, comme detoutes les tromperies du mal, à l’adresse de ceux qui sontvoués à la perdition pour n’avoir pas accueilli l’amour dela vérité qui leur aurait valu d’être sauvés. Voilà pourquoiDieu leur envoie une influence qui les égare, qui les pousseà croire le mensonge, en sorte que soient condamnés tousceux qui auront refusé de croire la vérité et pris parti pourle mal13.

Dûment avertis par ce témoignage irrécusable, les chrétienssincères et responsables ne devraient pas se comporter commes’ils n’étaient pas concernés par ce que prophétise l’Écritureà propos de la fin des temps, ni par ce qu’il adviendra alorsà l’humanité, en général, et aux croyants, en particulier.Malheureusement, force est de constater que la majorité d’entrenous avons, vis-à-vis de cette réalité eschatologique, la mêmeattitude qu’à l’égard de notre propre mort, pourtantinéluctable : nous préférons ne pas y penser et vivons comme sirien de tout cela ne devait jamais se produire.

Les rares fois où j’ai tenu publiquement des propos de cette

13. 2 Th 2, 1-12.

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nature, je me suis heurté à deux types de réactions. Lathéologique, d’abord, qui dit à peu près ceci : « Dieu ne nousdemande pas de spéculer sur l’avenir et surtout pas en seréférant à des passages difficiles de l’Écriture, pris au senslittéral. Sur ce point, il faut s’en remettre aux études desbiblistes et autres spécialistes et ne pas se lancer, sans mandatni compétences nécessaires, dans des interprétationspersonnelles qui n’ont pas la garantie de l’Église. ». Ensuite, laréaction plus générale des clercs, pasteurs et autres chrétiensengagés dans l’apostolat, le témoignage spirituel et les œuvressociales et caritatives, laquelle est, en substance, la suivante :« Tout ce que Dieu nous demande, c’est d’agir dans le monded’aujourd’hui conformément à notre vocation de chrétiens, sanschercher à comprendre ce qui n’est pas à notre portée. » Ou,plus brutalement, et ad hominem : « De quel droit perturbez-vous l’esprit de bons chrétiens qui n’ont pas votre culture, etsont incapables de discerner le vrai du faux dans ce que vousracontez ? Qui vous l’a demandé ? Vous rendez-vous compte desdégâts que vous risquez de causer ? »

Je confesse bien volontiers que ne suis mandaté par aucuneautorité, qu’elle soit céleste ou ecclésiale, pour témoigner,comme je le fais, discrètement, depuis six années sur des sitesInternet, et publiquement, dans mes livres depuis fin 2009. Etje suis conscient que, si je cite en exemple le comportementdes légions de saints et des cohortes d’hommes et de femmesspirituels de tous les temps, qui ont contribué au renouveauet à la sanctification de l’Église avec leur génie propre etconformément aux besoins de leur époque, sans avoir bénéficié– au moins au départ, mais parfois durant toute leur vie ! –de l’approbation des autorités religieuses, bref, si j’ose meprévaloir de leur exemple, on dira (on me l’a déjà dit !) que je meprends pour un saint, voire pour un prophète.

Et il est vrai qu’il peut paraître prétentieux et même insenséde se lancer, même après un demi-siècle de réflexion, deméditation et de prières, dans la difficile entreprise desensibiliser des chrétiens à une perception du dessein de Dieu,

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différente de celle qui est acquise et réputée suffisante, voirecomplète et non susceptible d’ajustements et dedéveloppements14.

Comme je l’ai écrit ailleurs, à plusieurs reprises, je ne l’ai faitque sous la pression intérieure de la maturation des grâcesreçues dans les dix premières années de ma vie d’homme, etpar crainte de résister à Dieu. J’ose dire, comme Paul, que j’ailongtemps « regimbé contre l’aiguillon »15. Et, de fait, suite auxavanies que m’avaient valu mes premières tentatives de fairepart à des gens de mon entourage – excellents chrétiens audemeurant –, de ma vision personnelle de l’urgence des temps,je m’étais dit, comme Jérémie : « Je ne penserai plus à Lui, je neparlerai plus en Son Nom ! Mais c’était, en mon cœur, commeun feu dévorant enfermé dans mes os. Je m’épuisais à le contenir,mais je n’ai pas pu. »16.

Aussi, après tant d’atermoiements et de combats intérieurs, j’aiopté pour le grand saut dans le vide consistant à exposer, sansplus de circonlocutions ni de justifications – qui, de toutesmanières, ne me vaudraient probablement aucuneapprobation –, mes conceptions relatives à la fin des temps,à l’apostasie et à la manifestation de l’Antichrist, qui, selonl’Écriture, la Tradition des Pères et le témoignage de maintsauteurs spirituels, précéderont la seconde Venue du Christ etl’établissement de Son règne glorieux sur la terre.

Et pour ne pas me limiter à la seule description de cesévénements encore à venir et à la justification de leur prise ausérieux, je vais exposer de mon mieux, ci-après, ce qu’il y a lieude faire, dès à présent, me semble-t-il, pour que ce jour ne nous

14. Je fais allusion ici, aux vues de l’illustre cardinal J. H. Newman, en me limitantaux références suivantes : Essai sur le développement de la doctrine chrétienne,vol. IV des Textes Newmaniens, publiés par L. Bouyer et M. Nédoncelle, Descléede Brouwer, Paris, 1964 ; Jean Stern, Bible et tradition chez Newman. Aux originesde la théorie du développement, Aubier-Montaigne, Paris, 1966 ; Jérôme Levie,« L’essai sur le développement de J.H. Newman », texte en ligne(www.eleves.ens.fr/aumonerie/numeros_en_ligne/paques03/seneve006.html).

15. Cf Ac 26, 14.16. Cf. Jr 20, 9.

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« surprenne comme un voleur »17, et que nous « soyons trouvésvêtus et non pas nus »18.

17. 1 Th 5, 4.18. Cf. 2 Co 5, 3.

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QUE DEVONS-NOUS FAIRE ?

Des publicains aussi vinrent se faire baptiser et dirent [à Jean leBaptiste] : « Maître, que nous faut-il faire ? » (Lc 3, 12).D’entendre cela, ils eurent le cœur transpercé, et ils dirent à Pierreet aux apôtres : « Frères, que devons-nous faire ? » (Ac 2, 37).Ceux qui transgressent l’Alliance, il les pervertira par ses parolesdouces, mais les gens qui connaissent leur Dieu s’affermiront etagiront. (Dn 11, 32).

L’histoire des sociétés et celle de l’Église ont largementdocumenté les désordres causés, au fil des siècles, par lesannonces, données pour prophétiques, de l’imminence de la findes temps ou de celle du monde, véhiculées par des prédicateursplus ou moins fanatiques, persuadés d’être chargés par Dieude prévenir l’humanité et de l’appeler à la pénitence. Ces faits– qui ont souvent eu des conséquences religieuses et socialesgraves –, prouvent, si besoin est, que la ferveur, la bonne foi etla sincérité ne prémunissent pas de l’erreur celles et ceux qui secroient investis de cette mission, ni les auditeurs qui y accordentfoi.

Toutefois, ainsi que le dit avec pertinence le dicton populaire,il faut prendre garde de « ne pas jeter l’enfant avec l’eau dubain ». Comme je l’ai précisé plus haut, Paul, qui a été confrontéà une agitation eschatologique prématurée et y a résisté commeil le fallait, n’en a pas pour autant tiré la conséquence queles événements annoncés, à tort, comme imminents, n’auraientjamais lieu1. Au contraire, il en a confirmé la réalisation, enen détaillant même les circonstances2. Et s’il n’a pas précisé

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ce qu’il y aurait lieu de faire lorsque des chrétiens prendraientconscience de la réalité et du caractère inéluctable de cesévénements eschatologiques, c’est peut-être parce que ce n’étaitpas nécessaire à l’époque, les croyants n’ayant aucun doute à cesujet. Mais il n’en a pas moins donné des consignes généralesqu’il ne faudrait pas négliger. À tous d’abord : « tenez bon, gardezfermement les traditions que vous avez apprises de nous, de vivevoix ou par lettre. »3 ; puis à Timothée en particulier : « garde ledépôt »4.

Il faut aussi prendre en compte d’autres passages du NouveauTestament, qui, malgré leur brièveté, donnent aux croyants quise préparent dès maintenant aux événements eschatologiques– même s’ils n’en connaissent ni le jour, ni l’heure5 – lesconsignes indispensables. Y sont mentionnées quatre vertus quiseront indispensables alors pour ne pas apostasier ni suivrel’Antichrist : la fermeté, la vigilance, la patience, la constance :

Veillez, demeurez fermes dans la foi, soyez des hommes,soyez forts. (1 Co 16, 13).C’est pour cela qu’il vous faut endosser l’armure de Dieu,afin qu’au jour mauvais vous puissiez résister et, aprèsavoir tout mis en œuvre, rester fermes. (Ep 6, 13)Soyez sobres, veillez. Votre adversaire, le Diable, commeun lion rugissant, rôde, cherchant qui dévorer. Résistez-lui, fermes dans la foi, sachant que c’est le même genre desouffrance que la communauté des frères, répandue dansle monde, supporte. Quand vous aurez un peu souffert, leDieu de toute grâce, qui vous a appelés à sa gloire éternelle,dans le Christ, vous rétablira lui-même, vous affermira,vous fortifiera, vous rendra inébranlables. (1 P 5, 8-10).Soyez donc patients, frères, jusqu’à l’Avènement du Seigneur.Voyez le laboureur: il attend patiemment le précieux fruit

1. Voir chapitre précédent : « Fuir l’apostasie et se préparer à résister àl’Antichrist ».

2. Cf. 2 Th 2, 1-12, dont j’ai cité le texte plus haut. Voir la note précédente.3. 2 Th 2, 15.4. Cf. 1 Tm 6, 20 ; 2 Tm 1, 14.5. Cf. Mt 24, 36

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de la terre jusqu’aux pluies de la première et de l’arrière-saison. Soyez patients, vous aussi; affermissez vos cœurs,car l’Avènement du Seigneur est proche. (Jc 5, 7-8).Prenez, frères, pour modèles de souffrance et de patienceles prophètes qui ont parlé au nom du Seigneur. Voyez:nous proclamons bienheureux ceux qui ont de la constance.Vous avez entendu parler de la constance de Job et vousavez vu le dessein du Seigneur; car le Seigneur estmiséricordieux et compatissant. (Jc 5, 10-11).Puisque tu as gardé ma consigne de constance, à mon tourje te garderai de l’heure de l’épreuve qui va fondre sur lemonde entier pour éprouver les habitants de la terre. (Ap3, 10).[…] point de repos, ni le jour ni la nuit, pour ceux quiadorent la Bête et son image, pour qui reçoit la marque deson nom. Voilà qui fonde la constance des saints, ceux quigardent les commandements de Dieu et la foi en Jésus. (Ap14, 11-12).

Le Christ lui-même avait dûment averti ses disciples de ne pass’endormir, mais de prier, précisément pour ne pas se laissersurprendre par la soudaineté de la venue du Jour du Seigneur etl’impossibilité d’y échapper :

Soyez sur vos gardes, de peur que vos cœurs nes’appesantissent dans la débauche, l’ivrognerie, les soucisde la vie, et que ce Jour-là ne tombe soudain sur vouscomme un filet ; car il s’abattra sur tous ceux qui habitentla surface de toute la terre. Soyez donc vigilants et priez entout temps, afin d’avoir la force d’échapper à tout ce quidoit arriver, et de vous tenir devant le Fils de l’homme. (Lc21, 34-36).

On notera également la réitération, dans les passages suivantsdu Nouveau Testament, de la métaphore prégnante du« voleur », qui avertit du caractère soudain et imprévisible del’avènement du Jour du Seigneur :

Veillez donc, parce que vous ne savez pas quel jour va venir

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votre Maître. Comprenez-le bien: si le maître de maisonavait su à quelle heure de la nuit le voleur devait venir,il aurait veillé et n’aurait pas permis qu’on perçât le murde sa demeure. Ainsi donc, vous aussi, tenez-vous prêts,car c’est à l’heure que vous ne pensez pas que le Fils del’homme va venir. (Mt 24, 42-44 = Lc 12, 39-40).Vous savez vous-mêmes parfaitement que le Jour duSeigneur arrive comme un voleur en pleine nuit. Mais vous,frères, vous n’êtes pas dans les ténèbres, de telle sorte quece Jour vous surprenne comme un voleur: tous vous êtes desfils de la lumière, des fils du jour. Nous ne sommes pas dela nuit, des ténèbres. Alors ne nous endormons pas, commefont les autres, mais restons éveillés et sobres. Ceux quidorment dorment la nuit, ceux qui s’enivrent s’enivrent lanuit. Nous, au contraire, nous qui sommes du jour, soyonssobres; revêtons la cuirasse de la foi et de la charité, avec lecasque de l’espérance du salut. (1 Th 5, 4-8).Il viendra, le Jour du Seigneur, comme un voleur ; en ce jour,les cieux se dissiperont avec fracas, les éléments embrasésse dissoudront, la terre avec les œuvres qu’elle renfermesera consumée. Puisque toutes ces choses se dissolventainsi, quels ne devez-vous pas être par une sainte conduiteet par les prières, attendant et aspirant à l’avènement duJour de Dieu, où les cieux enflammés se dissoudront et oùles éléments embrasés se fondront. (2 P 3, 10-12).Allons ! Rappelle-toi comment tu accueillis la parole ;garde-la et repens-toi. Car si tu ne veilles pas, je viendraicomme un voleur sans que tu saches à quelle heure je tesurprendrai. (Ap 3, 3).Voici que je viens comme un voleur: heureux celui qui veilleet garde ses vêtements pour ne pas aller nu et laisser voirsa honte. (Ap 16, 15).

Ces citations constituent une précieuse anthologienéotestamentaire de textes relatifs aux événements ultimes quiprécéderont le retour du Christ, et des vertus dont les croyantsdoivent faire preuve en tout temps pour ne pas se laisserentraîner à l’apostasie ni se rallier à l’Antichrist,

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lorsqu’adviendra la courte mais terrible période de son règnemaléfique.

Quiconque aura décidé de se préparer, dès maintenant, au Jourdu Seigneur, fera bien de considérer ces textes comme « unelampe pour ses pas », et une « lumière pour éclairer sessentiers »6, car, nous a prévenus l’Apôtre :

un temps viendra où les hommes ne supporteront plus lasaine doctrine, mais au contraire, au gré de leurs passionset l’oreille les démangeant, ils se donneront des maîtres enquantité et ils se détourneront de l’écoute de la vérité pourse tourner vers les fables7.

On m’a souvent dit, avec une agressivité suspecte (je résume) :« l’Église ne vous a pas attendu pour exhorter ses fidèles à lavigilance et à l’attente de la seconde Venue du Christ. Vousn’êtes pas le seul à vous exprimer sur le sujet. D’autres, aumoins aussi fervents si ce n’est plus compétents que vous, entraitent et en témoignent, oralement ou par écrit ; sans parlerdes membres de congrégations religieuses et de mouvementsreconnus par l’autorité ecclésiastique, qui prient et s’exercent àla vertu sans faire autant de bruit autour de leur action. »

J’ai coutume d’acquiescer pacifiquement à des propos de cettenature, non sans faire, au passage, une allusion discrète (maismalheureusement presque toujours prise en mauvaise part) àla sage parole de l’Apôtre : « chacun reçoit de Dieu son donparticulier, celui-ci d’une manière, celui-là de l’autre »8.

Ce que je veux dire est ceci. Comme je l’ai évoqué plus haut,en d’autres termes9, au cours de sa longue histoire, l’organismede l’Église du Christ, répandu sur toute la terre, dans toutesles civilisations et leurs cultures, n’a jamais manqué de fidèlesdociles à la motion en eux de l’Esprit Saint. Ces serviteurs et

6. Cf. Ps 119, 105.7. 2 Tm 4, 3-4.8. 1 Co 7, 7.9. En fin du chapitre intitulé « Fuir l’apostasie et se préparer à résister à

l’Antichrist ».

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servantes de Dieu ont été à l’origine de changementsbénéfiques, non sans avoir été en butte, pour la plupart, àmaintes contradictions de la part de leurs coreligionnaires, voirede l’autorité religieuse elle-même. Il est notoire que lesréformateurs irritent ; ils dérangent la routine religieuse desmédiocres, et il n’est pas rare que leur conduite édifiante soitperçue comme affectée, si ce n’est ostentatoire, par ceux qui sesont arrogé le rôle de défenseurs de la foi et de la Tradition,voire, parfois, hélas, par les détenteurs légitimes de l’autoritédoctrinale10.

Qu’on se rassure : il ne s’agit pas là d’un autoportrait, et jene me prends pas pour l’un de ces « réformateurs » héroïques.Néanmoins, je ne me sens pas autorisé pour autant à enfouir età garder stérile le capital spirituel que m’a confié mon Maître etdont Il me demandera compte lors de Son retour11. Aussi, pourne pas subir le sort de l’intendant frileux, qui avait enfoui sontalent sans le faire fructifier, j’ai déposé le mien dans ce livre, enespérant qu’il produira les fruits qu’en attend le Seigneur.

Je m’adresse directement aux lecteurs qui se sentent en affinitéavec le contenu de ces pages et éprouvent un peu de lapoignante solitude intérieure d’Élie, persuadé d’être resté seulfidèle à Dieu après l’apostasie de son peuple12, et ignorant queDieu s’était « réservé sept mille hommes qui n’ont pas fléchi le

10. La juste mesure, en la matière, me paraît avoir été exprimée avec le plus debonheur par Congar, en ces termes : « On ne peut réclamer des réformateursqu’ils ne soient pas trop impatients qu’en demandant aux gardiens de laTradition de ne pas être, eux, trop patients ; d’être sensibles à la pression derevendications qui risquent d’exploser un jour, pour avoir été trop longtempscomprimées ; de joindre au sentiment des délais celui de l’urgence des besoins,l’intelligence des signes des temps ; de ne pas facilement prendre leur parti demensonges, de médiocrités ou de routines où des âmes trouvent une occasionde scandale. L’avertissement de Paul : "Pères, n’acculez pas vos enfants àl’exaspération" (Ép 6, 4), s’adresse à tous ceux qui ont reçu, à quelque titre, lacharge et le nom de ‘pères’. » (Y. Congar, Vraie et fausse réforme dans l’Eglise,Paris, 1969, p. 300). Voir aussi mon article, « Autorité et "Sensus fidelium" :Vers la perception d’un Magistère comme lieu privilégié d’expression de laconscience de l’Église », texte en ligne (www.rivtsion.org/f/index.php?sujet_id=1494).

11. Allusion à la parabole des talents (Mt 25, 14-30).12. Voir le récit qui figure dans le Premier Livre des rois, au chapitre 19.

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genou devant Baal »13. Je les invite à entrer, par la méditation etla prière, en communion avec les nombreux croyants anonymesqui se croient seuls, eux aussi, au milieu d’un monde de plusen plus éloigné de Dieu et d’une chrétienté endormie ; ilscomprendront alors que le Seigneur les appelle, comme il estécrit :

Tous ceux qui invoqueront le nom de L’Éterneléchapperont, car sur le mont Sion et à Jérusalem il y aurades rescapés, comme l’a dit L’Éternel, et des survivants queL’Éternel appelle14.Car c’est pour eux qu’est la promesse, ainsi que pour leursenfants et pour tous ceux qui sont au loin, en aussi grandnombre que le Seigneur notre Dieu les appellera15.

Le livre de Daniel prophétise, de manière obscure pour nous,qu’« au temps de la fin »16, le Seigneur suscitera des« maskilim »17, dont il dit :

Ceux qui instruisent le peuple18 en amèneront beaucoup àcomprendre ; ils trébucheront par l’épée et la flamme, et lacaptivité et la spoliation – durant [bien] des jours19.

Nous ignorons tout de ces « maskilim ». L’Écriture ne les désigneni comme des prophètes, ni comme des êtres d’une saintetéexceptionnelle. Tout ce que nous savons est que leur ministèrese déroulera dans un contexte d’apostasie générale, et dans lechaos moral et intellectuel créé par les menées et les prodiges

13. Cf. Rm 11, 4.14. Jl 3, 5.15. Ac 2, 39.16. L’expression est tirée du Livre de Daniel : Dn 8, 17 ; 11, 35 ; 11, 40; 12, 4.9.17. Le terme « maskil », formé à partir de la racine SKL, signifie littéralement « qui

comprend et fait comprendre » ; il figure dans les passages suivants del’Écriture, auxquels il est recommandé de se reporter pour mieux cerner le sensde ce mot, dans différents contextes : 1 S 18, 14 sq. ; Jb 22, 2 ; Ps 14, 2 ; 32, 1(titre: Maskil) ; 41, 2 ; 42, 1 (id.) ; 44, 1 (id.) ; 45, 1 (id.) ; 47, 8 ; 52, 1 (id.) ; 53, 1(id.) et 3 ; 54, 1 (id.) ; 55, 1 (id.) ; 74, 1 (id.) ; 78, 1 (id.) ; 88, 1 (id.) ; 89, 1 (id.) ;142, 1 (id.) ; Pr 10, 5.19 ; 14, 35 ; 16, 20 ; 17, 2 ; 21, 12.

18. En hébreu, maskilei ‘am.19. Cf. Dn 11, 33.

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diaboliques d’un être mystérieux qui n’est même pas nommé20.En témoignent ces versets du même chapitre de Daniel :

Des forces viendront de sa part profaner le sanctuaire-citadelle, ils aboliront le sacrifice perpétuel, et y mettrontl’abomination de la désolation. Ceux qui transgressentl’Alliance, il les pervertira […], mais ceux qui connaissent leurDieu s’affermiront et agiront21.

Je l’affirme, avec modestie certes, – « car partielle est notrescience, partielle aussi notre prophétie22 –, mais avec uneconviction forgée par de nombreuses années de méditation etde prière : Quand se produiront les événements terribles,annonciateurs du Jour de l’Éternel, seuls « s’affermiront etagiront ceux qui connaissent leur Dieu »23 – car ils aurontmérité, en raison de leur foi, de leur charité et de la pureté deleur vie, de connaître les aspects insoupçonnés de la réalisationdu dessein divin. Ayant changé radicalement leur existence etentraîné d’autres à faire de même24, tout en restant « dans l’étatoù les aura trouvés l’appel de Dieu »25, ils refuseront l’apostasieet résisteront aux assauts de l’Antichrist, quand il semanifestera pour « rassembler toutes les nations des quatrecoins de la terre»26 « contre le Seigneur et contre son oint »27, etque, « émerveillée, la terre entière suivra la bête »28.

Armés du « glaive de l’Esprit, c’est-à-dire la Parole de Dieu »29,équipés des vertus énumérées et illustrées plus haut – fermeté,vigilance, patience et constance –, qu’ils auront pratiquées sans

20. En Dn 11, 21, il est désigné comme « nivzeh » dérivé de la racine verbalehébraïque BZH, qui signifie « mépriser ».

21. Dn 11, 31-32.22. 1 Co 13, 9.23. Cf. Dn 11, 32, cité plus haut.24. C’est la conversion – ou plus exactement, le retournement (metanoia, en grec,

shvut, en hébreu) –, à laquelle n’ont cessé d’appeler les prophètes (cf. p. ex. etentre autres: 2 R 17, 13 ; Éz 18, 30 ; 33, 11, etc.) ; et, après eux, Jean-le Baptiste(cf., entre autres : Mt 3, 2 ; 4, 17 ; Mc 1, 15) ; et voir Ac 2, 38 ; 3, 19, etc.).

25. 1 Co 7, 20.26. Cf. Ap 20, 8.27. Ps 2, 2.28. Cf. Ap 13, 3.29. Cf. Ép 6, 17.

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relâche leur vie durant, dans l’attente de l’Avènement duSeigneur, ils discerneront les « maskilim » qui, à leur tour, lesreconnaîtront comme des fils et leur feront comprendre le sensde ces événements ultimes. Ces fidèles sont « semblables à desgens qui attendent leur maître à son retour de noces »: ils ontdéjà leurs « lampes allumées »30, et sont mystérieusement inclusdans cet hymne de Paul:

Je rends grâces à Dieu sans cesse à votre sujet pour la grâcede Dieu qui vous a été accordée dans le Christ Jésus ; carvous avez été comblés en lui de toutes les richesses, toutescelles de la parole et toutes celles de la science, à raisonmême de la fermeté qu’a prise en vous le témoignage duChrist. Aussi ne manquez-vous d’aucun don de la grâce,dans l’attente où vous êtes de la Révélation de notreSeigneur Jésus Christ. C’est lui qui vous affermira jusqu’aubout, pour que vous soyez irréprochables au Jour de notreSeigneur Jésus Christ31.

« Réconfortons-nous donc les uns les autres par cesparoles »32.

30. Cf. Lc 12, 35.36.31. 1 Co 1, 4-8.32. 1 Th 4, 18.

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POST-SCRIPTUM : CONFESSION

Par Ta Parole, Seigneur, je ferai connaître Tes voies ! Quandj’étais encore jeune, avant de vagabonder, je cherchaisouvertement la sagesse dans la prière. À la science qui enfle,je préférais la charité qui édifie, l’amour du Christ quisurpasse toute connaissance et rend folle la sagesse dumonde. Estimant tout comme inutile, comparé à lasupériorité de la connaissance du Christ Jésus, j’avais acceptéde tout perdre afin de gagner le Christ1.

Un jour, j’entendis tomber sur l’Israël chrétiend’aujourd’hui le reproche de Dieu, en Isaïe : Ce peuple sepaie de mots et c’est de bouche qu’il me rend gloire, maisson cœur est loin de moi. Leur piété envers moi n’est queprécepte enseigné par les hommes. Eh bien, je vaiscontinuer à confondre ce peuple par des signes et desprodiges : La sagesse des sages disparaîtra et l’intelligencedes intelligents se perdra2.

Craignant d’être abusé par celui qui peut se déguiser enange de lumière, je n’osai rien dire à personne. Maiscomme cette parole me revenait souvent, accompagnéed’un sentiment indicible de la présence de Dieu, je medécidai à parler. Timidement, comme si j’en doutais moi-même, je confiai à quelques chrétiens ce que Lui avait écritsur les tables de chair de mon cœur. Je leur fis part deSa tristesse, face au refroidissement de notre charité, de

1. Cf. Ex 33, 13 hébreu ; Si 51, 13; 1 Co 8, 1 ; Ép 3, 19 ; Ph 3, 8.2. Cf. Is 9, 7 ; Is 29, 13-14.

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Sa nausée, face à notre tiédeur, de Sa colère, face àl’endurcissement et à l’impénitence de notre cœur3.

Toutefois, par peur du ridicule plus que par humilité, etparce que je rougissais du témoignage du Seigneur, je megardai de parler en Son Nom, ou de faire mention de Sesgrâces. Considérant mon insignifiance et mon peu de vertu,mes auditeurs ne prirent pas au sérieux mon témoignage.Et moi, trop heureux de revenir à ma vie médiocre, je mepersuadai, comme on me l’affirmait, que mon zèleprovenait de ma piété ou de mon imagination excessives,et non de Dieu Lui-même4.

Effrayé par ces difficultés, je m’enfuis, comme Jonas, loindu Seigneur, et je me jetai dans la mer de la vie. Je ne tardaipas à y sombrer, jusqu’à ce que je fusse rejeté sur un rivageque Dieu n’avait pas voulu pour moi. J’y restai longtemps5.

En avançant en âge, l’amour de ma jeunesse pour Dieuse mua en une passion intellectuelle pour Son mystère.Dans ma quête insatiable de savoir, j’ai voulu sonder lesdesseins de Dieu. Ayant acquis un peu de science, je mesuis mis en tête d’instruire mon prochain en disant : Ayezla connaissance du Seigneur ! – au lieu de les encourager àcontempler la connaissance de la gloire de Dieu, qui est surla face du Christ6.

Préoccupé d’amasser plus de sagesse que ceux qui m’ontprécédé, je n’avais pas pris garde à l’amertume de moncœur, au long de ces années de labeur inutile. J’avais perduTa paix. Les questions oiseuses et les querelles de mots, lesfolles et stupides recherches, génératrices de controverses,me faisaient oublier que c’est dans le secret que Tuenseignes la sagesse7.

3. Cf. 2 Co 11, 14; 2 Co 3, 3 ; Mt 24,12 ; Ap 3, 16 ; Rm 2, 5.4. Cf. 2 Tm 1, 8.5. Cf. Jon 1, 3.15 ; Jon 2, 11.6. Cf. Jr 2, 2 ; Jb 11, 7 ; Jr 31, 34 ; 2 Co 4, 6.7. Cf. Qo 1, 17 ; Jn 14, 27; 1 Tm 6, 4; 2 Tm 2, 23; Ps 51, 8

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Jusqu’au jour où, ayant compris que tout est vanité etpoursuite de vent, qu’à multiplier les livres, il n’y a pas defin, et qu’à beaucoup étudier, le corps s’épuise, j’ai pénétréle sens de cette parole de Ton chantre inspiré : Si L’Éternelne bâtit la maison, c’est en vain que peinent les bâtisseurs.C’est en pure perte que vous vous levez tôt le matin, ettardez à vous asseoir pour manger un pain durementgagné, quand Lui donne le sommeil à Son bien-aimé8.

Touchée de remords, mon âme s’est écriée : Je veuxretourner à mon premier époux, car j’étais plus heureusealors que maintenant. J’ai dit, avec le Psalmiste: De toutcœur, je veux attendrir Ta face, pitié pour moi selon Tapromesse ! Je fais réflexion sur mes voies et je reviens à Tontémoignage9.

J’ai soupiré: Qui me donnera des ailes comme à lacolombe ? Je gîterais au désert… Mais là, solitude aride.Mon âme avait soif de toi, après toi languissait ma chair,terre sèche, altérée, sans eau. Et je me suis plaint : QuandTes paroles se présentaient, je les dévorais. Ta parole étaitmon ravissement et l’allégresse de mon cœur. Car c’est TonNom que je portais, Éternel, Dieu des Armées10.

Longtemps j’ai erré ainsi, loin de Tes voies. Jusqu’au jouroù j’ai lu, dans Ton Livre de Vie : Si tu reviens, je terétablirai et tu te tiendras devant moi. Si, de ce qui est sansvaleur, tu tires ce qui en a, tu seras comme ma bouche11.

Alors, de ce qui est sans valeur : le savoir, j’ai décidé detirer ce qui en a : la méditation de Ta Loi, jour et nuit.Ta Parole, je l’ai mise dans mon cœur et dans mon âme,attachée à ma main comme un signe, à mon front commeun bandeau, pour exciter la jalousie de mon peuple.Reviens, Jacob, saisis-la ! Que la constance et la

8. Cf. Qo 1, 14; Qo 12, 12; Ps 127, 1-2.9. Cf. Os 2,9 ; Ps 119, 58-59.

10. Cf. Ps 55, 7-8 ; Ps 63, 2 ; Jr 15,16.11. Cf. Is 63, 17 ; Jr 15, 19.

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consolation que donnent les Écritures te procurentl’espérance !12

Mais je me demandais : N’est-il pas préférable pour lepécheur qu’il mette sa bouche dans la poussière et qu’ilse taise ? Considérant mes fautes, ma vie dissipée, mesconversions sans suite, je n’avais pas le courage derecommencer à avertir ceux qui partageaient ma foi. AvecIsaïe et Jérémie, je gémissais : Seigneur, qui a cru à ceque j’ai entendu dire ? Et le bras de L’Éternel, à qui a-t-ilété révélé? À qui parler, devant qui témoigner pour qu’ilsécoutent ?13

Je crus comprendre que j’avais eu tort de m’adresser auxjustes. J’irai dorénavant, me dis-je, aux égarés de monespèce. Pourtant, à cette pensée, j’étais sans force : à queltitre, en effet, un pécheur comme moi pourrait-il rendrel’espoir à d’autres pécheurs ? Désespéré, je priai : De grâce,Seigneur, apprends-moi tes volontés ! Et Tu me répondisencore par Ta Sainte Écriture. Tu me remémoras l’exemplede David, Ton Messie : Je l’avais oint comme roi d’Israël,pourtant, il a frappé par l’épée Urie le Hittite, pour prendresa femme. Tu me dis d’imiter sa pénitence, d’implorercomme lui : Ne retire pas de moi Ton Esprit Saint ! Et jecompris alors comment ce roi adultère et meurtrier avaittrouvé l’audace de déclarer, avec autant d’humilité qued’émerveillement devant la grandeur de Tes miséricordes :Aux pécheurs j’enseignerai Tes voies14.

Mais les pécheurs ne m’écoutèrent pas davantage que lespieux chrétiens. Ne pouvant admettre qu’un simple fidèlesans mandat de l’autorité religieuse soit habilité à porterun tel témoignage, ils pensaient sans doute : Qui t’aconstitué notre chef et notre juge ?15

12. Cf. Jos 1, 8 ; Dt 11, 18 ; Rm 11, 14 ; Ba 4, 2 ; Rm 15, 4.13. Cf. Lm 3, 29 ; Is 53, 1 ; Jr 6, 10.14. Cf. Ps 119, 135 ; 2 S 12, 7.9; Ps 51, 13.15.15. Cf. Ex 2, 14.

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J’estimai qu’ils avaient raison et, convaincu d’avoir péchépar présomption, je retournai à mon silence. Je n’en seraisprobablement jamais sorti, si Dieu, dans Son immensecondescendance, ne m’avait accordé la grâce insigned’entrer plus avant dans le mystère d’Israël. Un jour,comme j’étais en prière, me revint, pour la énième fois, lamagnifique parole de Paul : Dieu n’a pas rejeté le peupleque d’avance il a discerné !16

Je sentis alors monter en mon âme, telle une vague defond irrésistible, le gémissement ineffable de l’Esprit, etc’est en Lui que je m’écriai, avec une grande douleur: Mais,Seigneur, dans les faits, voici bientôt deux mille ans que cepeuple ne croit pas en Jésus! Pourquoi les laisses-tu errerloin de tes voies ? Ils sont, depuis longtemps, des gens surqui tu ne règnes plus et qui ne portent plus ton nom17.

Alors, dans Ta miséricorde infinie, Tu daignas m’ouvrirl’esprit pour que je comprenne les Écritures18.

Les mots suivants s’imprimèrent en mon âme : « Dieu arétabli Son Peuple ! ». En même temps que cette parolesubstantielle envahissait tout le champ de ma conscience,une certitude se gravait dans mon intelligence: Il s’agissaitdu peuple juif d’hier et d’aujourd’hui. Leur retour dansla terre de leurs ancêtres n’était pas un simple aléa del’histoire, mais un événement, où l’humain et le divin semêlaient, et dont Dieu se servait pour préparer la Parousiede Son Christ.

Au sortir de cette manifestation, alors que ma raison etmon intelligence, un instant inhibées, reprenaient leursdroits, je compris que m’avait été remis en mémoire cepassage d’un discours de Pierre, lors de l’effusion del’Esprit, à la Pentecôte. Je trouvai l’endroit dans ma bible etje lus : Repentez-vous donc et convertissez-vous, afin que

16. Cf. Rm 11, 2.17. Cf. Rm 8, 26 ; Is 63, 17.19.18. Cf. Lc 24, 45.

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vos péchés soient effacés et qu’ainsi le Seigneur fasse venirle temps du répit. Il enverra alors le Christ qui vous estdestiné, Jésus, celui que le ciel doit garder jusqu’au tempsde la restitution de tout ce que Dieu a déclaré par la bouchede ses saints prophètes de toujours19.

Je compris alors que la promesse du rétablissement ou dela restauration futurs du peuple juif, annoncée par lesProphètes et reprise dans le Nouveau Testament, n’étaitpas caduque, comme l’ensemble des Pères et la majeurepartie de la chrétienté l’avaient longtemps cru, malgré lesaffirmations contraires des Ecritures, mais qu’elle s’étaitdéjà accomplie, de nos jours, à l’insu des chrétiens et desJuifs eux-mêmes, avant que le Christ ne vienne avec sonRoyaume20.

Pourtant, je ressentais une grande angoisse. Certes, je nepouvais douter de la réalité de ce qui m’avait été dit, carj’eusse été incapable d’imaginer ces paroles et de produirele sentiment intime et enivrant de la présence divine quim’avait inondé. Mais je ne croyais pas possible que Dieu aitpu révéler à un pécheur tel que moi qu’une étape capitalede Son dessein venait de s’accomplir.

Dès lors, je ne cessai d’interroger des chrétiens qui mesemblaient pieux et versés dans les Écritures – prêtres etthéologiens surtout. Mais, quand je n’étais pas pris pour unlittéraliste débridé, ou un illuminé, je m’entendais dire quej’avais dû imaginer cela. Le mieux que j’avais à faire, selonces gens, était de ne plus y penser et, si j’en étais capable,de m’adonner sérieusement à l’étude de la théologie.

Plusieurs décennies se sont écoulées depuis cesévénements. J’ai consacré une large part de ma vie àpoursuivre l’acquisition de la connaissance par les voiesacadémiques. J’ai appris beaucoup de choses, mais – je

19. Ac 3, 19-21.20. Cf. Mt 16, 28 ; Lc 23, 42.

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puis en témoigner –, si Dieu ne m’avait gratifié d’une partde l’intelligence de Ses mystères, que Lui seul peut donner,je n’aurais pas compris grand-chose, non seulement de cequi m’arriva, mais du contenu même du dépôt de la foi etdes Écritures.

Au fil des ans, Tes Paroles hantaient ma mémoire,Seigneur. J’avais beau me répéter, comme Jérémie : Je nepenserai plus à Lui, je ne parlerai plus en Son Nom! Rienn’y faisait. Et c’était, en mon cœur, comme un feu dévorantenfermé dans mes os. Je m’épuisais à le contenir, mais jen’ai pas pu. J’étais rempli de la colère de L’Éternel, je n’enpouvais plus de la porter. Sous l’emprise de ta main, je metenais seul, car tu m’avais empli de colère21.

Parfois je m’écriais, par la bouche de Jérémie : Malheurà moi, ma mère, car tu m’as enfanté homme de querelleet de discorde pour tout le pays. Jamais je ne prête nin’emprunte, pourtant, tous me maudissent. Chaque foisque je dois parler, je dois crier et proclamer : Violence etdévastation ! La parole de L’Éternel a été pour moi sourced’opprobre et de moquerie tout le jour22.

Aussi ne témoignais-je plus que rarement et avec crainte.Jusqu’au jour où, pour la seconde fois, l’appel retentit enmoi alors que je lisais cet oracle d’Isaïe : Une voix dit :Proclame ! Et il dit : Que proclamerai-je ? – Toute chair estde l’herbe et toute sa grâce est comme la fleur des champs.L’herbe se dessèche, la fleur se fane, quand le souffle deL’Éternel passe sur elle. Le peuple, c’est l’herbe: l’herbese dessèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieudemeure à jamais23.

C’était, en d’autres termes, le même avertissement que lapremière fois : l’imminence d’un jugement ; les mêmesdestinataires : le Peuple de Dieu ; le même garant :

21. Cf. Jr 20, 9 ; Jr 6, 11 ; Jr 15, 17.22. Cf. Jr 15, 10 ; Jr 20, 8.23. Cf. Jon 3, 1 ; Is 40, 6-8.

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l’Écriture ! J’étais convaincu, mais j’hésitais encore.J’implorai : Apprends-moi Tes volontés. Éternel, par TaParole fais-moi comprendre !24

Et je sus aussitôt que je n’aurais pas d’autre signe quecelui qu’Il me donna jadis, quand je criai vers Lui : MonDieu, que veux-tu de moi ? Alors, un souffle passa sur maface, hérissant le poil sur ma chair. Il se dressa, je ne pusreconnaître Son aspect, mais l’image était devant mesyeux. Un silence, puis j’entendis une voix : « Regarde-toi ettu comprendras »25.

Les rares fois où je confiais ces choses à l’un ou l’autreprêtre ou laïc pieux, on m’accusait de me prendre pour unprophète. Et j’avais honte… Jusqu’au jour où Tu vainquisma peur en me faisant comprendre, par la lecture de TonÉcriture, qu’un temps viendrait où quiconque avertiraitTon peuple en Ton Nom devrait, tel Osée, porter sadérision comme un badge, à l’inscription infamante :Imbécile de prophète ! L’inspiré est fou !26

Alors, je n’ai plus résisté à Celui qui m’avait séduit.Convaincu que c’est par la folie du message qu’il a pluà Dieu de sauver ceux qui croient, et décidé désormais àporter témoignage, quoi qu’il dût m’en coûter, je me suisécrié, comme Job :

Le libelle qu’aura rédigé mon adversaire,je veux le porter sur mon épaule,le ceindre comme un diadème !

Stupide et fou, avez-vous dit ?… –Vous avez raison :

Ce qu’il y a de fou dans le monde,voilà ce que Dieu a choisi pour confondre les sages !27

24. Cf. Ps 119, 12.169.25. Cf. Jb 4, 15-16.26. Os 9, 7.27. Cf. Jr 20, 7; 1 Co 1, 21; Jb 31, 35-36 ; 1 Co 1, 27.

CONFESSION D'UN FOL EN DIEU

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