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220 Chronique d’Orient. Chronique 2011 DHA 37/2 - 2011 Le programme ANR Pont-Euxin : bilan des campagnes 2011 à Apollonia du Pont (Sozopol dpt. de Bourgas Bulgarie) et Orgamè / Argamum (Jurilovca dpt. de Tulcea Roumanie). Forts des résultats acquis en 2010, les travaux engagés dans le cadre du programme « Pont-Euxin » (dir. A. Baralis), soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche, se sont poursuivis cette année encore sur les sites d’Apollonia et d’Orgamè. Grâce à une activité de terrain particulièrement dense, rendue possible seulement par l’investisse- ment de l’ensemble des équipes engagées dans ce projet, quatre campagnes de fouilles ont pu être réalisées auxquelles s’ajoutent plusieurs séjours sur place destinés à l’étude et au traitement du matériel céramique. Ces efforts se sont accompagnés par la mise en œuvre d’outils innovants, comme la modélisation du terrain en trois dimensions par laser embarqué. Les résultats obtenus apportent désormais des éléments déterminants sur l’évolution du paysage rural de ces deux établissements coloniaux qu’ils permettent partiellement de saisir. Apollonia du Pont (Sozopol, dpt. de Bourgas, Bulgarie) Le renouvellement de la carte archéologique régionale, engagée en 2010, avait permis l’enregistrement de près de 122 sites, esquissant la mobilité des réseaux d’occu- pation spatiale dans la plaine littorale adjacente au Medni Rid depuis le Chalcolithique jusqu’à la période moderne. Un ensemble tout à fait inédit de structures et d’aména- gements laissait transparaître une occupation particulièrement dense de deux secteurs collinéens disposés immédiatement à l’ouest (Messarite, Sv. Marina) et au sud (Mapite) de l’ancienne colonie milésienne. La déprise agricole moderne, tout comme la densité du couvert végétal, rendaient relativement inopérants les travaux de photo-interpréta- tion, tandis qu’elles constituaient toutes deux un frein puissant au développement de prospections systématiques en raison d’une visibilité au sol médiocre. La mise en œuvre de nouvelles méthodes d’investigation s’imposait, expliquant le recours à la modélisa- tion du terrain en trois dimensions par laser embarqué, suivant la technologie Lidar ; un travail accompli durant le mois de décembre 2010 par la compagnie Blom-Bulgarie, sur deux secteurs (Sv. Marina/Sv. Ilia/ Messarite et Mapite) couvrant une superficie totale de 3,4 km². Le choix de chacune de ces zones s’est opéré en raison de leur proxi- mité immédiate avec la cité, qui en fait nécessairement le premier territoire agricole de la colonie, et de la concentration particulière de structures observée. Le balayage du terrain par laser embarqué sur hélicoptère a été accompli avec une densité de dix points au m², doublé par une couverture orthophotographique, aboutissant ainsi à une double

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220 Chronique d’Orient. Chronique 2011

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Le programme ANR Pont-Euxin : bilan des campagnes 2011 à Apollonia du Pont (Sozopol,� dpt. de Bourgas,� Bulgarie) et Orgamè / Argamum (Jurilovca,� dpt. de Tulcea,� Roumanie).

Forts des résultats acquis en 2010, les travaux engagés dans le cadre du programme « Pont-Euxin » (dir. A. Baralis), soutenu par l’Agence Nationale de la Recherche, se sont poursuivis cette année encore sur les sites d’Apollonia et d’Orgamè. Grâce à une activité de terrain particulièrement dense, rendue possible seulement par l’investisse-ment de l’ensemble des équipes engagées dans ce projet, quatre campagnes de fouilles ont pu être réalisées auxquelles s’ajoutent plusieurs séjours sur place destinés à l’étude et au traitement du matériel céramique. Ces efforts se sont accompagnés par la mise en œuvre d’outils innovants, comme la modélisation du terrain en trois dimensions par laser embarqué. Les résultats obtenus apportent désormais des éléments déterminants sur l’évolution du paysage rural de ces deux établissements coloniaux qu’ils permettent partiellement de saisir.

Apollonia du Pont (Sozopol, dpt. de Bourgas, Bulgarie)Le renouvellement de la carte archéologique régionale, engagée en 2010, avait

permis l’enregistrement de près de 122 sites, esquissant la mobilité des réseaux d’occu-pation spatiale dans la plaine littorale adjacente au Medni Rid depuis le Chalcolithique jusqu’à la période moderne. Un ensemble tout à fait inédit de structures et d’aména-gements laissait transparaître une occupation particulièrement dense de deux secteurs collinéens disposés immédiatement à l’ouest (Messarite, Sv. Marina) et au sud (Mapite) de l’ancienne colonie milésienne. La déprise agricole moderne, tout comme la densité du couvert végétal, rendaient relativement inopérants les travaux de photo-interpréta-tion, tandis qu’elles constituaient toutes deux un frein puissant au développement de prospections systématiques en raison d’une visibilité au sol médiocre. La mise en œuvre de nouvelles méthodes d’investigation s’imposait, expliquant le recours à la modélisa-tion du terrain en trois dimensions par laser embarqué, suivant la technologie Lidar ; un travail accompli durant le mois de décembre 2010 par la compagnie Blom-Bulgarie, sur deux secteurs (Sv. Marina/Sv. Ilia/ Messarite et Mapite) couvrant une superficie totale de 3,4 km². Le choix de chacune de ces zones s’est opéré en raison de leur proxi-mité immédiate avec la cité, qui en fait nécessairement le premier territoire agricole de la colonie, et de la concentration particulière de structures observée. Le balayage du terrain par laser embarqué sur hélicoptère a été accompli avec une densité de dix points au m², doublé par une couverture orthophotographique, aboutissant ainsi à une double

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base de données, chacune géoréférencée, présentée sous forme de fichiers-mosaïque. Il a donc été nécessaire d’entreprendre un important post-traitement des données brutes afin d’assembler ces fichiers et reconstituer les deux images, lidar et photographique, pour en faire un document unique à même d’être inséré dans l’environnement SIG et d’être superposé au support cartographique numérique mis au point en 2010 par nos équipes. L’ensemble de ce travail a été conduit par P. Lebouteiller (IFEA-İstanbul) en charge du volet cartographique de ce programme. La seconde étape n’est autre que l’in-terprétation de ces nouvelles données. La couverture offerte par les images Lidar s’avère d’autant plus intéressante qu’il est possible d’effacer la végétation en tenant compte de la hauteur des objets, même dans le cas d’un couvert forestier épais, comme c’est souvent le cas à Apollonia (Fig. 1). Cette fonctionnalité offre un modelé suffisamment précis du sol pour permettre l’exploration de zones où la visibilité est nulle, voire de secteurs potentiellement inaccessibles. La reconnaissance des anomalies les plus carac-téristiques peut alors être systématisée en jouant si nécessaire sur les différents angles de vue, tout comme sur l’exagération du relief du terrain par déformation de l’image. Les coordonnées de chacun de ces objets, disponibles grâce au géoréférencement des documents, sont alors insérées dans le GPS différentiel, lequel présente une précision au sol de 10 cm. Ce dernier affiche durant la navigation l’image Lidar  sur son écran ; une fonctionnalité qui autorise sur le terrain de nouvelles observations en évoluant parallèlement sur ce document virtuel.

Fig. 1 - Colline Sv. Ilia. Cl. I. Panchev, Blom.

Forts de ces nouveaux outils, nous avons confronté les observations obtenues à l’issue du travail de télédétection avec la liste des sites enregistrés en 2010, eux-mêmes reportés sur le support cartographique numérique. Cette opération n’a été possible

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que par un recalage de chacun des sites enregistrés par GPS l’année dernière sur les nouvelles images Lidar, ainsi que sur les orthophotographies fournies à cette occasion.

Les résultats de ce test se sont avérés particulièrement concluants. Non seule-ment les structures volumineuses, comme les tumuli, ne posent aucun problème de visibilité, mais les alignements de terrasses agricoles ou de murs apparaissent très nette-ment sur les images, offrant en retour des perspectives intéressantes dans la systémati-sation de leur relevé. De même, les accumulations de moellons qui parsèment l’arrière-pays immédiat d’Apollonia, qu’il s’agisse de couvertures basses de tumuli ou de vestiges d’édifices ruraux, se laissent aisément découvrir, tandis que des objets de taille plus modeste, comme des cistes anciennement fouillées, peuvent être localisées, à condition toutefois d’en connaître au préalable la position approximative, car il est facile à cette échelle de les confondre avec d’autres creusements modernes. Enfin, dernier acquis parmi les plus précieux, des aménagements en négatif comme des fossés placés en limite de champs, sont également observables par leur répétition sur des zones planes, alors que les routes anciennes ne laissent à l’inverse qu’un signal ambigu.

Deux campagnes destinées au diagnostic des anomalies repérées par l’imagerie ont eu lieu en juillet et en octobre, malgré des conditions climatiques très défavorables durant l’automne. Le taux de réussite enregistré, à savoir la confirmation sur le terrain de la réalité de chacun de ces signaux, demeure particulièrement élevé, de l’ordre de 90%. Les quelques jours consacrés à ce travail se sont donc soldés par un enrichissement considérable de la carte archéologique dans ces deux secteurs par l’ajout de 90 sites nouveaux, couvrant une vaste typologie d’objets – terrasses agricoles, édifices ruraux, tumuli, bornes agraires, fours. Le décompte par catégorie demeure en revanche plus sensible, en raison des incertitudes qui pèsent sur l’identification de certains gisements. En l’absence de tuiles et de fragments de céramique se référant à un contexte domes-tique, chaque accumulation de moellons peut correspondre soit à une couverture tumulaire ou au contraire à un édifice rural. À l’inverse, la présence de ces mêmes tuiles doit être considérée avec précaution, car on ne peut exclure leur usage pour le coffrage d’une tombe, tout du moins à partir de la seconde moitié du IVe s. av. J.-C. si l’on se fie à la chronologie reconnue sur les secteurs funéraires de Kalfata-Budjaka.

L’étude archéologique de certains de ces gisements constitue donc une étape indispensable, amorcée dès 2010 par l’ouverture d’un chantier sur les vestiges de l’édi-fice rural de Sv. Marina (Sv. Marina 1), connu depuis 1971 par les travaux de voirie venus endommager une partie de ses structures et mettre à nu certains de ses murs. Un premier sondage avait par la suite été réalisé sur cette imposante bâtisse sans que ces recherches ne soient reconduites par la suite, ni ne débouchent sur une véritable publication. Seul

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un article préliminaire en effet détaille à ce jour les principaux résultats de ces travaux anciens (Димитров (Б.) – Печатите върху доримски керемиди от чероморието като източник на историческа информация. Студентски Проучвания 1974, p. 92-97.). La première campagne, organisée dans le cadre du programme ANR « Pont-Euxin », du 19 au 30 août 2010, a été placée sous la direction de M. Gyuzelev, aidé de K. Gospodinov (Musée archéologique de Bourgas) et de D. Nedev (Musée archéo-logique de Bourgas), aidés de C. Christov (Institut et Musée archéologique de Sofia) et I. Slavova (Université St Clément d’Ochrid). Elle a permis la mise en valeur de la couche de destruction, le relevé du plan de l’édifice et des profils issus des interventions anciennes. Deux nouvelles campagnes (2-30 juillet et 10-30 octobre 2011) sont venues depuis compléter ces observations, achevant l’étude de ce bâtiment au sein duquel elles révèlent l’existence de deux niveaux distincts d’occupation. Le premier, daté de la seconde moitié du IVe s. av. J.-C. laisse place, pour des raisons qui nous échappent encore, à une reconstruction qui intervient au début du IIIe s. av. J.-C. Elle n’ignore pas les anciennes structures et réutilise volontiers dans son élévation le mur de façade Nord, d’orientation Est/Ouest. Une seconde destruction, celle-ci violente, intervient vers le milieu du IIIe s. av. J.-C. et se solde par un abandon définitif de Sv. Marina 1 (Fig. 2).

Fig. 2 - Sv. Marina, pièce 1, niveau hellénistique. Cl. M. Gyuzelev.

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La déposition en à-plat de la toiture a permis un relevé précis de cette dernière dont les tuiles, par leur forme caractéristique, de type corinthien, appartiennent au groupe reconnu dans les niveaux tardo-classiques et hellénistiques de la nécropole litto-rale de Kalfata. Elles présentent une longueur de 65-67 cm sur une largeur de 54-56 cm et une épaisseur 3.5-3.7 cm. Neuf groupes de timbrages ont été identifiés, parmi lesquels on dénombre 13 fragments comportant les lettres ΛΑ, 9 avec le timbre НМ, 2 avec XYΛ/ΔΙΣ et un alpha oblique disposés sur deux lignes, 1 avec une partie du nom -… ΙΣΤΙΑ -, 2 avec la lettre A inscrite dans un carré, 2 avec les lettres M et A en ligature dans un cercle, 1 avec des lettres illisibles en ligature, 2 avec une lyre et enfin 1 dernier avec la patte d’un animal.

Cette couche recouvrait un très riche remplissage d’une épaisseur de 0,20 m à 0,40 m composé par l’élévation en adobe des murs effondrés dont les briques ont cuit lors de l’incendie. À son tour, il reposait lui-même sur une partie de la charpente, peut-être celle d’un entresol, calcinée sur le niveau de circulation. Preuve de la violence des événements, un trésor monétaire de 41 pièces en bronze d’Apollonia était répandu en ligne sur le sol, vraisemblablement tombé d’un conteneur disposé en hauteur, contre une des parois.

Deux pièces principales composent ce qui reste de cet édifice, doté de deux ouvertures opposées, respectivement au nord et au sud de la pièce 1. Le mur prin-cipal Nord est conservé sur une hauteur globale de 0,95 m. Il repose sur une semelle de fondation constituée de petites pierres, tandis que les deux parements respectent un appareil pseudo-polygonal préservé sur une hauteur maximale de 0,60  m. Un emplecton, composé lui aussi de petites pierres, assure le remplissage interne. Les autres parois témoignent de l’opportunisme dont ont fait preuve les maçons en utili-sant des matériaux de qualité diverse. Un des murs de la pièce 1 intègre en effet à son extrémité sud-est des blocs de grès dunaire, utilisés d’habitude dans les structures funéraires, en particulier les cistes, de la nécropole littorale de Kalfata d’où ils sont issus. Ils composent ici, malgré la médiocrité de ce matériau, une partie du parement externe où ils alternent ainsi avec les blocs de calcaire et de granit utilisés ailleurs dans la maçonnerie. Les premiers résultats provenant des analyses macrobiologiques des sédiments, conduites par I. Slavova, fournissent certains indices pour le fonction-nement de cet établissement. Ils confirment la présence de blé d’été (Tr. aestivum/durum L.) et de l’orge, suivant un duo bien connu auquel s’ajoute un échantillon de vesce (Vicia ervilia L.). Ces éléments, qui attestant des pratiques agricoles liées à cet édifice, tranchent ainsi avec l’absence notable sur ce site de céramique de table et d’une grande partie des formes de céramique commune, alors que l’on ne peut

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manquer d’être frappé par la quantité et la diversité des amphores, associées à des fragments de pithos.

Cette particularité toutefois n’est pas propre à Sv. Marina 1 et se retrouve dans les trois autres édifices ruraux étudiés à leur tour en 2011 sous la direction de A. Baralis (Centre Camille Jullian, Université d’Aix-Marseille) et K.  Panayotova (Institut et Musée archéologique de Sofia), avec la participation T.  Bogdanova (Université St Clément d’Ochrid), A. Fronty (Université Paris I), M. Bastide (Université Paris X) et E. Goussé (Université d’Artois), sur la colline voisine de Messarite. Distants respec-tivement de 62 et 50 m l’un de l’autre, ils occupent tous trois la partie supérieure des pentes de ce massif qui culmine à seulement 70,65  m. Messarite 2 en occupe l’étroit plateau sommital. Dans un environnement fortement marqué par les interventions modernes – installations militaires, pylônes et câbles électriques –, seul le mur ouest était encore conservé. D’une longueur de 8,1 m sur 1,01 m de large, il était élevé en appa-reil cyclopéen, suivant un renforcement de la façade occidentale également identifié à Sv. Marina 1 et à Messarite 4. La fouille a confirmé la faible épaisseur des couches stra-tigraphiques, victimes de l’érosion. L’US 2 comportait toutefois un matériel homogène datant du Ve et de la première moitié du IVe s. av. J.-C. (bol à vernis noir, fond discoïdal de coupe à pâte grise et engobe beige brun, pied annulaire de coupelle à pâte grise, oeno-choés et bols à pâte orangée, fragments d’amphores de Mendè…). Immédiatement à l’est du Mur 1, un foyer était encore conservé, tandis qu’une large fosse avait été aménagée plus au sud dans le substrat pour permettre l’installation d’un pithos (diamètre 0,82 m) dont le remplissage, en cours d’analyse, a livré plusieurs fragments d’une kylix à vernis noir, de même que trois astragales travaillés. On note que ce secteur par la suite a été réutilisé durant la première moitié du IIIe s. av. J.-C. à des fins funéraires par l’installa-tion d’une première tombe composée de huit tuiles disposées en bâtière dans le pithos dont la paroi orientale a été démantelée pour l’occasion. Elle était accompagnée d’une seconde inhumation en simple fosse, creusée immédiatement au nord. En attendant les résultats de l’étude anthropologique de ces deux sujets (A. Keenleyside, Université de Trent, Canada ; Ph. Charlier, Université Paris-Île de France ouest), déposés en décubitus dorsal, tête à l’est, on note sur la face externe de deux des tuiles la présence du timbre ΣΩΚ, déjà reconnu sur les fouilles de l’établissement perché et fortifié de Malkoto Kale où il est attesté dans les niveaux hellénistiques. Le défunt de SP 2 présentait pour sa part de sérieux traumatismes faciaux. Une obole funéraire de type apolloniate (envers : tête d’Apollon / revers : ancre, alpha et crabe) était déposée dans sa bouche, tandis que le second défunt a livré deux perles en terre cuite. Ce dernier matériel n’apparaît dans la nécropole littorale de Kalfata qu’à partir du premier quart du IIIe s. av. J.-C.

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Distant de seulement 62  m de Messarite 2, le site de Messarite 4 occupe la première terrasse située sur la pente ouest du massif (niveau de base, alt. 67,03  m). Un alignement de trois blocs, long de 1,84 m, de dimensions similaires au Mur 1 de Messarite 2, était visible. De même, les pentes qui bordent cette terrasse présentaient une accumulation remarquable de moellons, ainsi que quelques fragments de tuiles plates et d’amphores de Thasos, Chios, Héraclée et Mendè. L’interface supérieure de terre brune US 1 (épaisseur moyenne de 0,05 m) recouvrait ici une imposante couche de destruction (US 3 et 5, épaisseur moyenne de 0,15 m) comportant de nombreux frag-ments de tuiles plates et de calyptères, laquelle reposait sur deux niveaux de circulation, celui de la maison (US 9, alt. 66,81 m) et celui de la cour extérieure (US 10, alt. 66,82 m). Seul l’angle S.O. de l’édifice a pu être mis à jour, ainsi qu’une section de sa première pièce (Pièce 1) étudiée sur une superficie de 2,10 m x 2,10 m. Cette dernière comporte un seuil large de 0,90m, ouvrant vers l’ouest, le long du Mur 1. Ce mur, long de 1,84 m, se compose d’un parement extérieur relativement imposant, en appareil cyclopéen, constitué d’une assise de très gros blocs, et d’un parement interne beaucoup plus fin, conservé sur deux assises de blocs disposés selon un appareil pseudo-isodome. Le Mur 2 adopte en revanche une structure bien différente. Sur une longueur conservée de 1,90 m sur 0,63 m de largeur, il ne retient qu’une section de sa première assise, en blocs soigneu-sement équarris, reposant sur une semelle de fondation composée de dalles disposées en boutisse. Enfin, à 3,60 m au sud de Mur 2, un blocage de trois moellons et de plusieurs petites pierres forment une structure ronde de 0,40 m de diamètre, conservée sur une assise. Elle représente peut-être la base d’une colonne en bois, destinée à soutenir un auvent dont la présence explique en retour l’importante accumulation de tuiles dans la couche de destruction qui s’étend depuis le parement externe du mur 2 jusqu’à cette base (US 5). Le matériel, dont l’étude n’est qu’à un stade encore préliminaire, semble indiquer un fonctionnement de cet édifice durant la seconde moitié du IVe s. av. J.-C. et durant le premier tiers du IIIe s. av. J.-C. Cette fouille est amenée à se poursuivre en 2012.

Strictement contemporain de Messarite 4, Messarite 6 partage avec ce premier une situation géographique semblable. Le terrain s’articule entre une terrasse agri-cole (niveau de base, alt. 66,70 m) dépourvue en surface de matériel notable, bordée au sud par une pente recouverte d’une importante accumulation de moellons, épaisse parfois de 0,60 m, comprenant des fragments de tuiles, de pithos et d’amphores (Chios, Héraclée du Pont et Thasos). Sa formation répond à deux phases distinctes, la ruine de l’édifice servant par la suite de massif de dépierrage pour les champs avoisinants, et ce sur une vaste période. L’épaisseur cumulée de ces deux couches atteint parfois 0,60 m

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(Fig. 11). Leur enlèvement progressif a permis la mise à jour des premiers éléments de la toiture, associés à deux murs. Le matériel amphorique indique un fonctionnement relativement long, depuis la première moitié du Ve s. av. J.-C. (Lesbos) jusqu’à la fin du IVe et le début du IIIe s. av. J.-C. (Cnide).

Les premières recherches effectuées en 2010, ainsi que durant le mois de juillet 2011, éclairent ainsi l’organisation du territoire d’Apollonia du Pont. Les massifs litto-raux qui bordent à l’ouest la colonie abritent au Ve s. av. J.-C. un réseau dense de terrasses agricoles, associées à des édifices ruraux et des tumuli, selon des modules et une logique que la modélisation en trois dimensions permet progressivement d’approcher. Ces ensembles dominent des plaines littorales plus ou moins étroites dont l’espace semble divisé selon un parcellaire dont la datation ne sera appréhendée qu’au terme d’une campagne spécifique de sondages. Ce paysage rural est dominé enfin par des ensembles tumulaires imposants, disposés sur les sommets du relief, ou le long du littoral, en parti-culier sur les caps, sans que certains d’entre eux ne négligent pour autant les zones de pente, voire les secteurs plats (Mapite 1), esquissant alors des rapports particulièrement difficiles à saisir avec les édifices ruraux. Enfin, si les routes ne se laissent pas toujours aisément reconnaître à ce stade, rappelons l’existence de la voie littorale, large de 6,5 m, qui traverse la nécropole  de Kalfata en se dirigeant au sud vers Budjaka, puis vers Mapite. Cette occupation du territoire immédiatement adjacent à la colonie ne cesse de se densifier au cours du siècle suivant avant de connaître à la fin du premier tiers du IIIe s. av. J.-C. une rupture profonde et violente dont témoigne l’abandon contempo-rain des habitats de Messarite 4 et 6, tout comme la destruction de Sv. Marina 1, à un moment où les zones funéraires observent une brutale rétraction. Les analyses macro-biologiques, anthracologiques et paléozoologiques actuellement en cours, tout comme les carottages prévus en décembre 2011 destinés aux analyses sédimentologiques et paly-nologiques, ainsi que les prospections programmées pour octobre 2011, permettront de compléter les données issues des fouilles.

Orgamè / Argamum (Jurilovca, dpt. de Tulcea, Roumanie)Les limites de l’espace urbain, tout comme l’organisation des espaces adjacents

qui assurent la transition avec le territoire de la colonie, ont été au cœur des travaux conduits en 2010. Ces derniers se sont appuyés sur les fouilles archéologiques menées par M.  Mănucu-Adameşteanu (Institut d’archéolgie V.  Pârvan) dans le secteur des deux enceintes, grecque et protobyzantine, ainsi que sur l’extension des recherches de M. Iacob (ICEM, Tulcea) concernant le faubourg péri-urbain. Ces chantiers, soutenus

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par le programme ANR « Pont-Euxin », ont bénéficié par ailleurs de l’apport précieux des coupes géo-électriques réalisées par D. Hermitte et J.-C. Parisot. Ils devraient être complétés par ailleurs en 2012 par des prospections géomagnétiques et géoélectriques, placées sous la responsabilité de M. Dabas (Geocarta), superposant ainsi à ces résul-tats une lecture à l’horizontale du dernier niveau d’occupation des secteurs urbains et péri-urbains. En attendant, nos efforts se sont concentrés en 2011 sur la reconnais-sance du territoire qui succède à l’ouest aux nécropoles archaïques, tardo-classiques et hellénistiques où les prospections systématiques, réalisées par A. Baralis et V. Lungu, ont couvert une superficie de 130 ha, soit un peu moins de la moitié de la péninsule qui abrite l’établissement d’Orgamè (Fig. 3). L’étude de la densité de la répartition des tessons au sol confirme sans surprise la décroissance importante du matériel dans la zone située à l’Ouest de la basilique n°4 extra-muros. La colline sur laquelle cet édifice est installé délimite en effet la zone d’extension des contextes funéraires tardo-clas-siques et hellénistiques, lesquels s’organisent, conformément aux analyses dévelop-pées par V. Lungu, en ensembles distincts, disposés le long des voies de circulation qui sillonnent la péninsule.

Fig. 3 - Orgamè. Prospections 2010-2011. Fig. P. Lebouteiller.

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Dans le cadre du programme ANR, deux de ces groupes, disposés immédiate-ment au sud-est de la basilique n°4, ont fait l’objet du 24 juillet au 30 août de fouilles préventives, sous la direction de V. Lungu avec la participation d’une équipe d’étudi-ants de l’Université Wilfrid Laurier (Canada) emmenée par G. Schaus. Portant sur les contextes funéraires les plus éloignés de la colonie connus à ce jour, ces travaux succè-dent à de premiers sondages réalisés en 2010. Le secteur T1V.2010 a ainsi livré un mur de 0,80 m de large, suivi sur 7,05 m, qui témoigne sans doute de l’existence immédiatement au nord d’une voie de circulation. Cette structure isolait un tumulus disposé immédia-tement au sud d’un diamètre de 3,5 m. Le matériel céramique (bols et canthares à vernis noir) et amphorique (Thasos et Chios) qui l’accompagnait appartient au IVe s. av. J.-C. La seconde section, ouverte 37 m plus au sud, a livré pour sa part cinq cercles de pierres distincts (C1 = 5 x 5 m ; C2 = 5 x 5 m ; C3 = 6 x 5 m, C4 = 6 x 2,5 m, C5 = 7 x 5 m, C7 = 2,5 x 2,5 m) abritant des incinérations secondaires, conformément aux rites qui prédominent dans la nécropole d’Orgamè. La chronologie de ces tombes est à placer entre la fin du IVe s. et le début du IIIe s. avant J.-C. comme le révèle le matériel mis au jour – une tasse, un bol, un guttus, de nombreux fragments de « plats à poisson » et de canthares, accompagnés de fragments de figurines en terre-cuite, d’un objet en bronze et d’une monnaie d’Istros. Les amphores étaient disposées pour certaines d’entre elles autour des cercles de pierre, tandis qu’une stèle en marbre porteuse d’une épigramme funéraire est venue enrichir ces nombreuses découvertes.

En revanche, aucun édifice rural antérieur à la période protobyzantine n’a été reconnu lors des prospections. Cette absence, qui tranche avec la situation identifiée à Apollonia du Pont, témoigne ici d’une exploitation radiale du territoire depuis l’établissement. Cette particularité limite en retour l’extension des zones agricoles, ce qui correspond de façon troublante avec les dimensions du premier parcellaire identifié par l’équipe de photo-interprètes (M.  Guy, Archeo-Lattes, UMR 5140, CNRS  ; R.  Delfieu  ; A.  Comfort, Université d’Exeter), lequel s’étend depuis la colline de la basilique n°4 jusqu’au village de Jurilovca, soit sur une distance de 4 km. Un des canaux appartenant à ce système est d’ailleurs visible dans une coupe présente dans la carrière moderne située à l’est du village. Quatre sondages de contrôle, réalisés par M.  Guy, ont permis de localiser un second canal, de même qu’un chemin lié à ce système, sans livrer pour autant d’éléments précis de chronologie. Le second parcellaire, identifié immédiatement à l’ouest du premier, semble pour sa part appartenir au XIXe s., comme en témoigne une carte contemporaine fournie par P. Condrat. Il faut dès lors attendre le IVe  s. apr.  J.-C. pour assister au développement d’un réseau relativement dense d’édifices ruraux dans le territoire d’Orgamè, lequel accompagne la mise en place d’un

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nouveau paysage rural placé sous la protection de la basilique extra-muros n°4. Un de ces bâtiments, connu sous le nom de « maison du pêcheur », avait été fouillé en 1986 par V. Lungu, tandis que la position de trois autres, présents dans la zone de la nécropole, était déjà connue. Les prospections ont permis d’identifier neuf autres édifices disposés en ligne, le long de la voie de circulation littorale qui contourne la colline de la basilique n°4, ainsi qu’autour d’un second axe situé plus au nord. Un dernier bâtiment occupe dans le secteur de Zimbru le plateau qui domine la paléofalaise disposée en surplomb de l’ancien golfe marin.

Fig. 4 - Orgamè. Edifice rural « Casa Romana 1 ». Cl. A. Baralis.

Deux de ces bâtiments, « Casa romana » 1 et 2, ont été fouillés en septembre par A. Dolea et A. Musat (Université de Bucarest) dans le cadre de ce programme. Ils représentent chacun des édifices unicaméraux de dimensions relativement modestes. Le premier, « Casa romana » 1 (Fig. 4), dont un angle n’a pu encore être appréhendé, mesure 7,7 x 6,3 m, tandis que le second, « Casa romana » 2, n’a été que partiellement mis au jour. Son mur nord se développe sur 6,10 m, tandis que ses murs est et ouest n’ont été étudiés que sur 6,4 m et 5 m respectivement. Le matériel associé se décline

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en vases de cuisine et amphores tardo-romains/protobyzantins (IVe s.-VIe s. apr. J.-C.) auxquels s’ajoutent une hache de fer et une pièce en bronze provenant du dernier bâtiment. Les analyses macrobiologiques et paléozoologiques, actuellement en cours, permettront d’éclaircir prochainement les activités liées à la diffusion de ces fermes isolées, lesquelles reflètent un nouveau mode d’exploitation du territoire.

Parallèlement, aux marges de la péninsule, la fouille du tumulus d’Ivan Bayr, engagée en 2010, s’est poursuivie du 10 au 30 septembre sous la direction conjointe d’A.  Baralis et V.  Lungu, livrant 4 inhumations primaires en fosse (M  7, 9, 11, 13), auxquelles s’ajoutent 5 autres inhumations détruites par les aménagements postérieurs et un cénotaphe (M  10). Les fosses adoptent des dimensions moyennes relativement homogènes, de l’ordre de 2,00 x 0,70 m ; et abritent des sujets placés en décubitus dorsal, membres en extension (M 7) ou mains croisées sur la poitrine (M 9 et 11). L’orientation générale est tête à l’ouest (M 7, 9 et 11), à l’exception de M 13 qui observait une orien-tation contraire (M  13). Cette dernière sépulture attire l’attention par le traitement réservé au sujet, inhumé sur le ventre, jambes fléchies et bras placés en arrière, attestant peut-être des liens qui semblaient l’entraver. Aucun mobilier funéraire, à l’exception d’un fusaïole en M  8, n’accompagne ces tombes, tandis que la plupart d’entre elles étaient protégées par des planches de bois, disposées en haut de fosse, certaines repo-sant sur quatre blocs disposés deux par deux sur chacune des extrémités, comme dans le cas de M 9. Un vase modelé, de forme ouverte, a été retrouvé dans la couverture tumu-laire, mais sa date demeure incertaine. Il s’ajoute à des fragments divers illustrant une fréquentation continue du tumulus durant les périodes hellénistique et médiévale. Dès lors seules les datations au 14C des planches de bois, également soumises à des analyses taxonomiques et peut-être dendrochronologiques, fourniront des éléments détermi-nants quant à la chronologie de cet ensemble.

Autre élément structurant, les routes ont fait l’objet par ailleurs d’une atten-tion particulière sur la base des travaux de photo-interprétation menés par A. Comfort, R. Delfieu et M. Guy, lesquels ont poursuivi le recensement des tumuli dont le nombre s’élève cette année à 250 dans la zone d’étude, délimitée à l’est par l’établissement d’Orgamè et à l’ouest par le village de Beidaud. Ce dernier secteur revêt une impor-tance particulière en raison de la présence d’un établissement gète dont l’existence semble liée aux mines voisines d’Altin Tepe et aux colonies littorales grecques d’Istros et Orgamè. Les axes reliant Altin Tepe ont constitué ainsi le point de départ d’une enquête qui a conduit à la reconnaissance de deux routes anciennes descendant depuis cette colline vers le sud. Une première, relativement importante comme en témoignent des blocs disposés en bas de pente, aboutit au site fortifié de Beidaud dont une équipe,

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composée de S.  Alincai (ICEM, Tulcea) et  M.  Florea (Musée National d’Histoire, Bucarest), ont accompli en parallèle le relevé topographique. Le second axe, suivi sur 8 km jusqu’au village moderne de Panduru, se dirige en direction du site d’Istros. Il semble avoir été jalonné de bornes en quartz blanc dont plusieurs affleurements sont attestés dans le secteur d’Altin Tepe. La route escalade ensuite le relief, parsemé de plusieurs tumuli, avant de redescendre sur le village de Mihai Viteazu, où une borne milliaire datée de Dioclétien (305 apr.  J.-C.) avait été découverte anciennement. Il rejoint par la suite Istros, en droite ligne, à travers sa nécropole tumulaire. La relation qu’entretient cette route avec l’axe littoral reliant Aegyssus (Tulcea) au nord à Tomis (Constanţa), se laisse difficilement appréhender. Certes, une route ancienne, partant du faubourg de Babadag, a pu être identifiée. Elle traverse, semble-t-il, la forêt homo-nyme par un tracé similaire à celui qui est le sien actuellement, avant d’entrer dans le bassin littoral de Baia à proximité du monastère de Codru. Elle devait rejoindre plus au sud l’axe provenant de Libida auquel appartient peut-être la borne milliaire décou-verte par l’équipe dans le village moderne de Caugagia (Fig. 5). Au-delà de Baia, une chaussée empierrée, elle aussi ancienne, a été découverte de part et d’autre d’une rivière passant à l’est de la route moderne et de la ligne de chemin de fer. Malheureusement, la construction n’a fourni aucun indice chronologique.

Fig. 5 - Borne découverte dans le village de Caugagia. Cl. R. Delfieu.

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Un dernier axe est venu enfin enrichir le relevé des routes dans le secteur de Jurilovca, où quelques observations ont déterminé l’existence d’un chemin partant du village actuel de Salcioara vers le littoral de Iancina à travers une nécropole tumulaire, relativement imposante. Cette dernière entoure un établissement littoral défendu par une double fortification, similaire à celle d’Orgamè. Le ramassage de surface a livré un matériel grec archaïque et hellénistique, ainsi que d’époque romaine, en sus de frag-ments d’époque médiévale, témoignant du fonctionnement contemporain de ce site avec la colonie milésienne. Il éclaire, malgré les questions qui l’entourent, une stratégie coloniale marquée durant le VIe  s. av.  J.-C. par une implantation littorale articulée autour de plusieurs établissements de taille relativement modeste. Cette observation est confirmée par les résultats des travaux de reconnaissance menés plus au sud, sur les rives orientales de l’actuelle lagune de Goloviţa, autour du golfe de Baia, lesquels ont permis de découvrir, outre un site médiéval (Baia  1), contemporain de celui de Zimbru, un nouvel établissement grec archaïque (Baia 2, lieu-dit « La Izvor ») auquel succède à l’époque classique et hellénistique un second site disposé sur les pentes du cap Caraburun (Baia 3). On note également l’identification à l’est du chemin de fer d’un bloc de calcaire provenant du jambage d’une porte monumentale, peut-être d’un tombeau désormais détruit.

Autre élément dans cette chaîne de fondations archaïques, les travaux de photo-interprétation, enrichis par les conseils de P.  Condrat, ont localisé le site de Atchik Suhat, connu également sous le nom de Caraburun, disposé à l’est de l’éminence homonyme. Il occupe l’extrémité d’un cap beaucoup plus modeste qui ferme au sud le paléogolfe de Baia, face à Orgamè. De premiers sondages, non publiés, ont été réalisés sur ce site par V. Canarache en 1952. Les clichés satellites laissent deviner ici aussi l’exis-tence d’une nécropole tumulaire disposée sur la première crête à l’ouest du site, ainsi que de plusieurs axes de circulation. Tout comme à Iancina ou Orgamè, cet établisse-ment semble avoir bénéficié d’une double fortification, sous la forme d’une levée de terre, dont les vestiges sont encore observables à l’est de l’établissement. Le ramassage du matériel en surface laissait apparaître l’existence de deux phases d’occupation arti-culée autour d’un établissement d’époque grecque, localisé au nord de la péninsule, et de plusieurs îlots datant du Haut-Empire, justifiant en retour la réalisation de deux ensembles de sondages distincts placés respectivement sous la direction d’A.  Baralis et A. Lungu, et de M. Iacob, du 2 au 21 mai. Quatre sections réalisées dans la partie nord ont mis au jour un premier niveau archaïque auquel appartiennent en secteur 2 le foyer et le sol d’une maison élevée en torchis et clayonnage, ainsi qu’une tranchée en secteur 4, tandis que la datation des fondations et du soubassement d’un édifice

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immédiatement contigu à cette dernière semble plus problématique, en raison des bouleversements successifs survenus dans les couches qui les recouvrent. Le matériel contemporain témoigne du fonctionnement de cet établissement dès le deuxième quart du VIe s. av. J.-C., à en juger d’après les trouvailles céramiques les plus anciennes ( fruit-stand « Late Wild Goat », coupes ioniennes Villard B2, skyphos miniature corinthien). Les tessons de céramique autochtone modelée demeurent relativement peu nombreux et semblent attester en retour du caractère essentiellement grec de cette installation. Plusieurs niveaux classiques et hellénistiques ont été identifiés en secteur 2 et 3, livrant une couche remarquable de destruction du IIIe  s. av.  J.-C. qui recouvre un ensemble d’édifices construits en adobe et en torchis sur soubassement de pierre, bordé pour l’un d’entre eux d’une cour. Un matériel relativement riche – pesons et fusaïoles, monnaies…–, ainsi que des armes, témoignent de l’économie, tout comme de la fin tragique de cet établissement.

La vie ne reprend sur la péninsule d’Achik Suhat qu’au cours du IIe s. apr. J.-C. Les recherches conduites plus au sud sur six noyaux, identifiables au sol par la concen-tration de tessons de céramique et de matériaux de construction, ont permis d’étudier les vestiges d’une hutte, ainsi que diverses structures de dimensions plus imposantes (murs, dallage, foyer), datés sur la base du matériel associé des IIe-IVe s. apr. J.-C. Malgré les dommages infligés aux édifices à la fois par les travaux agricoles et l’érosion favorisée ici par le pendage du terrain, ces travaux se sont révélés fertiles. La facture romaine de la céramique étonne notamment, tout comme l’absence parallèle de production gétique, tranchant avec l’abondance de cette dernière aux IIe et IIIe  s. apr.  J.-C. à Orgamè/Argamum. Par ailleurs, ces fouilles ont révélé une fréquentation plus ancienne de ce secteur durant le Néolithique, comme l’illustrent une hache polie et quelques frag-ments de céramique.

Alexandre Baralis, Centre Camille Jullian (UMR 6573), CNRS – Université d’Aix-Marseille I Pierre Dupont, Laboratoire d’archéométrie et d’archéologie (UMR 5138), CNRS, Lyon

Martin Gyuzelev, Musée archéologique de Bourgas, Bulgarie Mihaela Iacob, Institut d’Etudes Eco-Muséales, Tulcea, Roumanie

Vasilica Lungu, Institut d’archéologie « V. Pârvan », Institut d’Études Sud-Est Européennes, Bucarest, Roumanie

Mihaela Mănucu-Adameşteanu, Institut d’archéologie « V. Pârvan », Bucarest, Roumanie Dimitar Nedev, Musée archéologique de Sozopol, Bulgarie

Krastina Panayotova, Institut et Musée archéologique de Sofia, Bulgarie