acquisition, gestion, usages et statuts de l’eau en milieu urbain : l’exemple de l’oppidum de...

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Acquisition, gestion, usages et statuts de l’eau en milieu urbain : l’exemple de l’ oppidum de Corent (Auvergne) Matthieu Poux, Audrey Pranyies Avec la collaboration de Corentin Bochaton, Romain Lauranson et Audrey Chorin – Les Gaulois au fil de l’eau, p. XXXX E ntre la fin du Second âge du Fer et le début de la période romaine, le processus de concentration dé- mographique qui accompagne l’émergence des sites urbains (oppidum ou agglomération ouverte) s’est rapidement heurté à un problème d’approvisionnement en denrées alimentaires et en eau potable. Pour faire face à ces nouvelles contraintes, les populations résidentes ont développé des techniques d’adduction, de gestion et de stockage de l’eau différentes de celles connues en milieu rural : aux traditionnels puits ou captages de source aménagés dans les établissements agricoles depuis le Premier âge du Fer, viennent s’ajouter des dispositifs inédits de récupération des eaux de pluie, citernes, bassins, tuyaux de bois, qui reprennent des solutions déjà expérimentées sur le pourtour méditer- ranéen et préfigurent les équipements hydrauliques rudimentaires mis en œuvre à l’époque augustéenne. Ces différents cas de figure sont examinés dans un article récent, consacré à l’approvisionnement en eau des sites d’habitat de l’âge du Fer aquitain, qui porte sur une vingtaine de sites compris entre Loire, Pyrénées et Massif central 1 . Il souligne la préférence donnée aux puits de captage de la nappe phréatique, principalement utilisés pour l’irrigation et l’alimentation du bétail dans le cadre des habitats groupés et des établissements ruraux, qui constituent la majorité des sites du corpus. Le nombre de puits recensés sur les sites de plaine contraste avec leur quasi absence sur les oppida implantés sur des hauteurs plus éloignées des points d’eau, ce qui amène les auteurs à envisager d’autres modalités d’alimentation en eau potable qui n’auraient laissé aucune trace archéologique. La récupération de l’eau de pluie, plus pure et mieux adaptée aux usages domestiques, a notamment pu faire appel à de grands récipients de stockage en terre cuite ou en bois installés sous les descentes de toitures ou à ciel ouvert, dispositif bien attesté en Gaule méridionale 2 . Ce travail pointe en revanche l’absence d’élément de treuil ou de poulie, qui semble exclure l’existence de dispositifs complexes d’élévation de l’eau comparables à ceux connus à l’époque romaine. On suppose un recours à des dispositifs plus rudimentaires (récipients attachés à leur corde, hissés à bout de bras) ou attestés dans d’autres régions 3 . Dans la dernière partie de l’article, les auteurs discutent l’existence, proposée dans d’autres publications, de dépôts rituels liés aux structures de puisage de l’eau. L’analyse statistique d’une trentaine de comblements conclut à l’absence d’arguments probants en faveur de telles pratiques symboliques, la majorité des assemblages retrouvés (céramiques, amphores, meules, casques) apparaissant plutôt liés à la fonction primaire des puits (vases destinés au puisage ou au rafraîchissement des boissons) ou à des apports détritiques provenant des sols environnants 4 . Cette enquête s’appuie pour partie sur les découvertes effectuées dans la cité arverne, située aux confins nord-est de l’Aquitaine. Le bassin clermontois, en particulier, se distingue comme un pôle de documentation privilégié en raison du grand nombre de sites qui y ont été recensés et étudiés au cours des trente dernières années. La périphérie sud-est de Clermont-Ferrand a accueilli, aux II e et I er s. a.C., une agglomération de plaine (Aulnat-Gandaillat) et plusieurs sites d’oppida majeurs (Corent, Gondole, Gergovie) qui se prêtent particulièrement bien à une analyse des modalités d’approvisionnement et de gestion de l’eau en milieu urbain. S’il prend en compte la plupart des découvertes de puits effectuées dans ce secteur 1. Verdin et al. 2012. 2. Ibid., 412. 3. Ibid., 401. 4. Ibid., 402 sq.

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Acquisition, gestion, usages et statuts de l’eau en milieu urbain : l’exemple de l’oppidum de Corent (Auvergne)

Matthieu Poux, Audrey Pranyies

Avec la collaboration de Corentin Bochaton, Romain Lauranson et Audrey Chorin

– Les Gaulois au fil de l’eau, p. XXXX

E ntre la fin du Second âge du Fer et le début de la période romaine, le processus de concentration dé-mographique qui accompagne l’émergence des sites urbains (oppidum ou agglomération ouverte) s’est rapidement heurté à un problème d’approvisionnement en denrées alimentaires et en eau potable. Pour

faire face à ces nouvelles contraintes, les populations résidentes ont développé des techniques d’adduction, de gestion et de stockage de l’eau différentes de celles connues en milieu rural : aux traditionnels puits ou captages de source aménagés dans les établissements agricoles depuis le Premier âge du Fer, viennent s’ajouter des dispositifs inédits de récupération des eaux de pluie, citernes, bassins, tuyaux de bois, qui reprennent des solutions déjà expérimentées sur le pourtour méditer-ranéen et préfigurent les équipements hydrauliques rudimentaires mis en œuvre à l’époque augustéenne.

Ces différents cas de figure sont examinés dans un article récent, consacré à l’approvisionnement en eau des sites d’habitat de l’âge du Fer aquitain, qui porte sur une vingtaine de sites compris entre Loire, Pyrénées et Massif central 1. Il souligne la préférence donnée aux puits de captage de la nappe phréatique, principalement utilisés pour l’irrigation et l’alimentation du bétail dans le cadre des habitats groupés et des établissements ruraux, qui constituent la majorité des sites du corpus. Le nombre de puits recensés sur les sites de plaine contraste avec leur quasi absence sur les oppida implantés sur des hauteurs plus éloignées des points d’eau, ce qui amène les auteurs à envisager d’autres modalités d’alimentation en eau potable qui n’auraient laissé aucune trace archéologique. La récupération de l’eau de pluie, plus pure et mieux adaptée aux usages domestiques, a notamment pu faire appel à de grands récipients de stockage en terre cuite ou en bois installés sous les descentes de toitures ou à ciel ouvert, dispositif bien attesté en Gaule méridionale 2. Ce travail pointe en revanche l’absence d’élément de treuil ou de poulie, qui semble exclure l’existence de dispositifs complexes d’élévation de l’eau comparables à ceux connus à l’époque romaine. On suppose un recours à des dispositifs plus rudimentaires (récipients attachés à leur corde, hissés à bout de bras) ou attestés dans d’autres régions 3.

Dans la dernière partie de l’article, les auteurs discutent l’existence, proposée dans d’autres publications, de dépôts rituels liés aux structures de puisage de l’eau. L’analyse statistique d’une trentaine de comblements conclut à l’absence d’arguments probants en faveur de telles pratiques symboliques, la majorité des assemblages retrouvés (céramiques, amphores, meules, casques) apparaissant plutôt liés à la fonction primaire des puits (vases destinés au puisage ou au rafraîchissement des boissons) ou à des apports détritiques provenant des sols environnants 4.

Cette enquête s’appuie pour partie sur les découvertes effectuées dans la cité arverne, située aux confins nord-est de l’Aquitaine. Le bassin clermontois, en particulier, se distingue comme un pôle de documentation privilégié en raison du grand nombre de sites qui y ont été recensés et étudiés au cours des trente dernières années. La périphérie sud-est de Clermont-Ferrand a accueilli, aux iie et ier s. a.C., une agglomération de plaine (Aulnat-Gandaillat) et plusieurs sites d’oppida majeurs (Corent, Gondole, Gergovie) qui se prêtent particulièrement bien à une analyse des modalités d’approvisionnement et de gestion de l’eau en milieu urbain. S’il prend en compte la plupart des découvertes de puits effectuées dans ce secteur

1. Verdin et al. 2012.2. Ibid., 412.3. Ibid., 401.4. Ibid., 402 sq.

318 – M. Poux, A. PrAnyies, et collAb.

(Le Pâtural, Le Brézet, Montille, Gondole), cet article n’inclut pas celles qui ont été effectuées sur l’oppidum de Corent, fouillé depuis le début des années 2000.

Il s’agit autant de combler cette lacune que d’apporter quelques propositions alternatives et compléments relatifs à la gestion de l’eau en milieu urbain à la fin de l’âge du Fer. En effet, les réponses collectives ou domestiques apportées aux nouveaux besoins créés par l’urbanisation, amplifiés par la concentration des activités artisanales, ont rarement été observées à grande échelle, au sein d’un même gisement.

L’oPPiduM de Corent : juxtaposition d’espaCes à voCation pubLique et domestique

Le site de Corent est installé sur un plateau d’origine volcanique d’environ 70 hectares, naturellement protégé, au sud et à l’est, par de hautes falaises engendrées par l’érosion de ses pentes, qui en font une position naturellement fortifiée et pratiquement imprenable. Grâce à ces atouts stratégiques, le plateau a connu des occupations anciennes et récurrentes qui s’échelonnent du Néolithique moyen à la fin de l’époque romaine, en passant par toutes les séquences de l’âge du Bronze et de l’âge du Fer.

Durant La Tène finale, il est le siège d’un oppidum de plus de 60 hectares dont le centre a été exploré de manière extensive entre 2001 et 2013, sur une surface totale de plus de trois hectares (fig. 2). Il s’organise autour d’un grand sanctuaire fondé dans les années 130-120 a.C., matérialisé par un enclos palissadé de plan quadrangulaire qui s’ouvre à l’est sur une place d’un demi hectare de superficie. Le sanctuaire est associé à un espace de marché semi-couvert qui jouxte son angle nord-est, ainsi qu’à un hémicycle d’assemblée en bois situé au-delà de son angle sud-est, en bordure méridionale de la place. Ces édifices et espaces publics sont environnés d’un tissu urbain très dense qui se développe à partir des années 120-110 a.C. Le sanctuaire et la place sont environnés de toutes parts par des quartiers d’habitation formés de plusieurs dizaines de bâtiments sur poteaux plantés ou sablières basses, associés à de nombreux foyers domestiques, caves et celliers de stockage 5.

Les fouilles menées dans ces quartiers depuis 2005 y ont également mis au jour plus d’une quinzaine d’aménagements directement liés à la récupération, au stockage ou à la mise à disposition de l’eau (puits, citernes, bassins et fosses cuvelées). Leur localisation au sein des habitats ou à l’interface des espaces de voirie et des secteurs dédiés à l’artisanat et au commerce, offre l’opportunité d’analyser différentes stratégies d’acquisition de l’eau en milieu urbain, son statut et ses différents domaines d’utilisation.

une ressourCe de proximité : sourCes d’affLeurement et dépression humide

La première donnée qu’il faut avoir à l’esprit est que l’oppidum de Corent dispose de ressources hydrologiques propres, contrairement à la plupart des sites urbains implantés sur des sites de hauteur. Le cours de l’Allier, qui irrigue la base du puy 270 m en contrebas, n’entre pas en ligne de compte malgré son faible éloignement. L’approvisionnement en eau des agglomérations protohistoriques qui se sont succédé à son sommet entre le Néolithique et la fin de l’âge du Fer est assuré plus directement par la présence de sources situées sur ses versants et au niveau de la rupture de pente.

De par ses caractéristiques géologiques, le puy de Corent est particulièrement propice à l’accumulation et à la résurgence des eaux pluviales. Ce plateau d’origine volcanique, âgé d’environ trois millions d’années, est recouvert en totalité par une nappe de lave en basalte porphyroïde à augite et magnétite d’une dizaine de mètres d’épaisseur, qui repose sur d’anciennes alluvions de l’Allier (calcaire oligocène stampien et marnes gypseuses). Elle forme une dalle d’une dizaine de mètres d’épaisseur, qui favorise le ruissellement de l’eau et sa circulation dans les fissures internes du rocher. Lorsqu’elle atteignent le substratum marneux imperméable, vers 30 à 40 m de profondeur, ces infiltrations alimentent des poches souterraines dont le trop-plein s’écoule à la base de la table basaltique (fig. 1) et ressurgit sous forme de sources sur le versant oriental du puy, à hauteur du village actuel de Corent 6.

5. Poux et al., éd. 2012.6. Greffier et al. 1980.

Acquisition, gestion, usAges et stAtuts de l’eAu en Milieu urbAin – 319

calcaire oligocène stampien et marnes gypseuses

Cône de scories terminal

Alluvions de l’Allier

scories rougeâtres à hornblende

cheminée de pépérites (Pliocène moyen)

basalte porphyroïde à augite et magnétite

précipitations précipitations

structures anthropiques de captage aérien (toitures)

Lac

Resurgence(Corent)

Resurgence (puy)

stockage et captage souterrain (puits)

coulée de lave / table basaltique

| Fig. 1. Coupe géologique schématique du plateau de Corent (d’après P. Boivin, 2008).

320 – M. Poux, A. PrAnyies, et collAb.

Dans ces conditions, les occupants du plateau n’ont eu aucune difficulté à capter et à stocker les milliers d’hectolitres d’eau potable qui se déversent à chaque épisode d’orage sur la soixantaine d’hectares du plateau 7. Sa partie basse et les versants du cône d’éruption montrent aujourd’hui encore de nombreux points de résurgence : sources d’affleurement, zones humides et poches de surface alimentées à la fois par les ruissellements superficiels et les infiltrations souterraines. Une part importante des eaux fluviales drainées par le plateau s’accumule dans une dépression localisée au niveau de son quart nord-est. Cette vaste cuvette sub-circulaire de plus de 200 m de diamètre, pour une profondeur qui atteint plus de 10 m de profondeur, est liée à la présence d’une source pérenne inscrite en son centre (fig. 2-3). Encore active jusqu’au début du xixe s., elle a été aménagée à l’époque napoléonienne et pratiquement asséchée par un canal de dérivation creusé en direction de son versant nord, pour irriguer d’anciennes zones de culture environnant le hameau de Soulasse. Elle est alimentée de façon secondaire par les eaux pluviales, acheminées par un vaste réseau de drains convergents construits par les agriculteurs à l’époque moderne, qui provoquent parfois son débordement et la reformation d’un petit étang au centre de la cuvette (fig. 4).

7. Dans une région qui bénéficie d’une forte pluviométrie, le site de Corent se situe légèrement en-deçà de la moyenne avec une variation annuelle de 450 à 500 mm d’eau de pluie au m², soit 2,8 millions d’hl à l’échelle du plateau ou 8000 hl en moyenne journalière.

| Fig. 2. Localisation des secteurs de l’oppidum fouillés, des zones d’occupation mises en évidence par les prospections et des points d’eau reconnus (lac et sources).

Acquisition, gestion, usAges et stAtuts de l’eAu en Milieu urbAin – 321

| Fig. 3. Vue aérienne de la dépression humide (“lac du Puy”) localisée dans l’angle nord-est du plateau.

| Fig. 4. Vue au sol de la dépression humide en eau, au lendemain d’un orage (mois d’août).

322 – M. Poux, A. PrAnyies, et collAb.

Cette réserve d’eau naturelle a certainement été mise à profit par les occupants du plateau et ce, à une date très haute, comme en témoigne la découverte ancienne d’un poignard de type rhodanien caractéristique du Bronze ancien 8. Un sondage ouvert en 1991 à hauteur de la rupture de pente, qui y a mis au jour un sol empierré associé à des couches d’occupation renfermant un abondant mobilier de La Tène D1 et D2, apporte la preuve que ses abords ont été aménagés dès la fin de l’âge du Fer 9. Si ses modalités d’exploitation demeurent inconnues, la présence de ce petit “lac” à l’intérieur de l’oppidum ou à ses abords immédiats a certainement joué un rôle dans la gestion de ses ressources hydrologiques.

systèmes domestiques de réCupération d’eau des toitures

La nécessité d’aménager des points d’eau de proximité, aptes à répondre aux besoins quotidiens induits par certaines activités domestiques et artisanales, est néanmoins attestée par une série de structures découvertes depuis 2006 au sein même des habitats (fig. 5).

8. Poux et al., éd. 2012, 272 ; 277.9. Guichard 1991.

20 m0

LEGENDE

vestiges d'époque laténienne

vestiges d'époque romaine

aménagement lié à l’eau

?

?

?

E 1190N 1164

E 1190N 1166

E 1190N 1168

E 1188N 1166

E 1188N 1164

E 1182 N 1154

E 1184 N 1154

E 1184 N 1152

E 1182 N 1152

E 1186N 1154

E 1188N 1154

E 1186N 1156

E 1184N 1156

E 1188N 1170

E 1186N 1170

E 1186N 1172

citerne 13087(sanctuaire)

citerne 16462(complexe C)

citerne 20662(habitat Q)

place

théâtre

citerne 17470(habitat F)

citerne 20618(habitat K)

bassin 22005

bassin 22520

bassin 22452/puits 22474

puits 22214

puits 21279(habitat M)

puits 2312(atelier de potier)

N

| Fig. 5. Plan général des vestiges d’époques laténienne et romaine (fouilles 2001-2013). localisation des principaux aménagements liés à l’eau.

Acquisition, gestion, usAges et stAtuts de l’eAu en Milieu urbAin – 323

Bâtiment F (citerne et bac de recueil des eaux de pluie)

La fouille des quartiers qui environnent le sanctuaire et les halles à vocation artisanale et commerciale qui le jouxtent au nord (complexe C) a révélé la présence de plusieurs corps de bâtiment tournés vers les activités domestiques au sens large. L’un de ces bâtiments (F) est situé au sud-est du complexe, en bordure d’un espace quasiment vierge de tout vestige identifié à une ruelle 10. Ce bâtiment sur poteaux quadrangulaire, attribué au second état d’occupation de l’oppidum (état 2.1, La Tène D1b-D2a), est associé à l’est à un atelier semi excavé dédié au travail du métal et plus particulièrement, à la charronnerie.

10. Poux et al., éd. 2012, 73.

| Fig. 6. Plan du bâtiment F, de la citerne 17470 et de son bac de recueil ; profil et parements de la citerne.

LÉGENDE

Basalte

Amphore

Profil de la citerne 17470

Parement est

Parement ouest

Parement sud

Parement nord

NordSud

0 5 m

citerne 17470

appentis ?

bac de recueil

0 1 m

324 – M. Poux, A. PrAnyies, et collAb.

Il est délimité sur son côté ouest par une citerne parementée de plan longiligne et de même orientation (fig. 6, 17470). Sa localisation et la présence de trous de poteau à ses quatre angles invitent à restituer un dispositif de couverture adossé au bâtiment, de type appentis. Cet aménagement, unique à ce jour sur le site, se présente sous la forme d’une grande cavité rectangulaire d’environ 2,9 m de long par 1,3 m de large, creusée de main d’homme dans le substrat basaltique. Ses parois internes sont doublées d’un parement en pierre sèche constitué de moellons de basalte équarris et soigneusement empilés sur une dizaine d’assises. Les parois est et sud de se sont effondrées d’un seul tenant, traduisant peut-être un acte de démantèlement volontaire survenu lors du comblement définitif de la citerne. À la base du remplissage, une fine couche de terre sableuse de couleur noire, très humide, peut être interprétée comme un niveau de stagnation de l’eau.

Cette structure présente toutes les caractéristiques des citernes et puits parementés destinés au captage et au stockage de l’eau potable reconnus sur les sites voisins de Gandaillat 11 et de Gergovie 12. Une fois vidée, la citerne a retrouvé sa fonction initiale au premier orage, en se remplissant d’une eau claire drainée par les champs environnants et filtrée par le substrat basaltique. Son volume important et la fraîcheur apportée par le sous-sol encaissant permettaient de disposer, même en plein été, d’une réserve constante d’eau potable de 1500 à 2500 litres.

Lors de son abandon, cette structure a été volontairement colmatée avec des apports détritiques rejetés en une seule opération. Ce remplissage a livré des quantités importantes de mobilier, dont près de 300 kg d’amphores de type Dressel 1, des céramiques indigènes et importées présentant un faciès très récent (La Tène D2a). Un dépôt groupé de dix monnaies en argent et en bronze, encore soudées par la corrosion du métal, a par ailleurs été recueilli au fond de la structure, dans son angle nord-ouest, au contact d’un petit vase retourné et écrasé en place. Composé de monnaies en bronze et en argent de type ADCANAVNOS et PICTILOS, il plaide pour une date de comblement peu éloignée du milieu du ier s. a.C. Cet ensemble évoque un petit “trésor” monétaire contenu à l’origine dans un contenant périssable de type bourse en tissu ou en cuir.

11. Deberge et al. 2007b.12. Pertlwieser & Deberge 2007.

| Fig. 7. bâtiment F, citerne 17470 et son bac de recueil vus de l’Est.

Acquisition, gestion, usAges et stAtuts de l’eAu en Milieu urbAin – 325

Une structure particulière a été mise au jour à moins de 50 cm du parement est de la citerne : quatre amphores, dont une complète, sont disposées tête-bêche de manière à former un carré de même orientation, encadrant une petite fosse circulaire profonde d’une trentaine de centimètre (fig. 7). Cet aménagement organisé, probablement cuvelé à l’origine, peut être interprété comme un bac de récupération des eaux pluviales destinées à alimenter la citerne, dont le parement est présente à ce niveau un négatif quadrangulaire qui pourrait correspondre au débouché d’une canalisation en bois. L’hypothèse d’un réceptacle destiné à recueillir les eaux de toiture est étayée par sa position à l’aplomb de la paroi orientale du bâtiment F.

Bâtiment M (citerne)

La fouille des quartiers situés à l’est de l’esplanade rocheuse qui précède l’entrée du sanctuaire a révélé la présence d’un vaste corps de bâtiments (M) dont le plan présente pas moins de cinq phases de construction, échelonnées sur plus d’un siècle, des origines de l’occupation de l’oppidum (La Tène D1a) à l’époque augustéenne 13. Malgré ces étapes successives d’aménagement, le statut et la fonction du bâtiment semblent peu évoluer au fil du temps et restent caractérisés, toutes phases confondues, par les mêmes marqueurs liés aux sphères domestique et artisanale.

Son dernier état d’occupation, caractérisé par un ensemble de mobiliers caractéristiques de la seconde moitié du ier s. a.C. (état 3, La Tène D2b-GR précoce), est matérialisé par un ensemble de solins en pierre sèche qui délimite les contours d’une construction de plan carré d’environ 8 m de côté. Le long de sa paroi ouest, à l’aplomb de la toiture, figure un dispositif de captage et de stockage des eaux de pluie assez proche sur le plan fonctionnel de celui précédemment évoqué (fig. 8). Il prend la forme d’un profond creusement circulaire, encadré en surface par une série de panses d’amphores emboitées les unes dans les autres, qui dessinent un carré sur ses trois côtés sud, ouest et est. Profond de 1,63 m, le creusement présente un profil en Y, avec des parois évasées en partie haute et sub-verticales en partie basse. Son diamètre atteint 2,30 à 2,80 m de diamètre au niveau d’ouverture et se rétrécit en partie basse pour se réduire à moins d’un mètre. Les panses

13. Poux et al., éd. 2012, 26-27.

LÉGENDE

Basalte

Amphore

Céramique

Pouzzolane

0 2,5 m

Puits/citerne 21279

Bac de recueil

OuestEst

| Fig. 8. Plan et coupe du puits 21279 implanté à l’aplomb de la toiture du bâtiment M.

326 – M. Poux, A. PrAnyies, et collAb.

d’amphores, sciées et emboitées les unes dans les autres participent d’un système de cuvelage en bois, dont aucune trace n’est conservée. Le mobilier présent en partie haute du comblement était sans doute destiné à maintenir les planches, comme en témoigne sa position verticale et sa concentration le long des parois. Ce blocage partiellement effondré au centre du creusement se compose presque exclusivement de tessons d’amphores de grande dimension (type 3 de V. Guichard), probablement sélectionnés pour leurs propriétés drainantes ou filtrantes. Une amphore presque entière, dont seul le col manque, est plantée verticalement au fond de la fosse.

Le côté septentrional du creusement ne comporte aucune trace d’un cuvelage, la couronne d’amphores laissant place à quelques blocs de basalte qui soulignent le contour de la fosse. Ils sont reliés, au nord, à un petit creusement longiligne dans lequel repose une demi panse d’amphore sciée dans le sens longitudinal, lui-même connecté à un aménagement quadrangulaire constitué de blocs de basalte (fig. 9). Ce dispositif peut être interprété, à l’instar de celui repéré en bordure de la citerne du bâtiment F, comme un bac de recueil des eaux en provenance de la toiture du bâtiment adjacent. La tranchée qui le relie à la citerne correspond vraisemblablement à l’empreinte en négatif d’un conduit d’adduction en bois, lui aussi disparu.

Bâtiment K (citerne)

Le bâtiment K, situé au nord du précédent en bordure de la place, a été fouillé intégralement en 2010. Sa structure quadrangulaire sur poteaux porteurs est associée au nord à une grande cave, comparable à celles qui caractérisent les grandes demeures gauloises de Bibracte ou de Besançon. Son comblement et les sols environnants ont livré un abondant mobilier lié à la vie domestique mais aussi, à une activité artisanale bien particulière, identifiée au travers de nombreux outils et supports de travail en pierre destinés à l’artisanat des peaux et/ou du cuir 14.

Une petite fosse rectangulaire située en limite de fouille, à deux mètres de l’angle nord du bâtiment, semble également liée de par sa morphologie et son remplissage au captage et/ou au stockage de l’eau (fig. 10, 20618). Excavé dans le substrat basaltique sur près d’un mètre de profondeur, son creusement mesure 1,70 m de longueur pour 1,50 m de largeur et présente un profil en U avec un fond plat régulier. Un petit décrochement évoquant un départ d’emmarchement est aménagé dans l’angle sud-est de la structure, à mi-hauteur du creusement. De par sa profondeur importante et sa largeur restreinte, cette cavité s’apparente davantage à une citerne qu’à un cellier ou à une fosse artisanale. La base du remplissage présente une fine couche sableuse légèrement indurée, qui se développe sur une épaisseur de 1 à 3 cm sur le substrat basaltique,

14. Poux et al. 2012, 114-115.

| Fig. 9. Puits 21279 et vestiges de canalisation connexe (demi panse d’amphore sciée), vus de l’Est.

Acquisition, gestion, usAges et stAtuts de l’eAu en Milieu urbAin – 327

identique à celle observée au fond de la citerne du bâtiment F. Générée par l’érosion du socle rocheux, la formation de cette couche est imputable à la stagnation de l’eau.

Le remplissage principal de la fosse résulte d’un apport volontaire de mobiliers détritiques, majoritairement constitué de tessons de céramiques et d’amphores caractéristiques de la phase de transition entre La Tène D1b/D2a, destiné à condamner la structure au moment de son abandon. Vraisemblablement concomitant, le tiers inférieur du comblement évoque en revanche un geste de déposition intentionnel accompli dans le même cadre : une amphore complète, dressée au centre de la fosse et écrasée en place, y est associée à trois mandibules de bœuf intactes, à un couteau en fer entier, à une plaque foyère, à un catillus de meule et à un vase ovoïde complet.

Il n’est pas évident, compte tenu de son éloignement relatif du bâtiment, que cette structure ait servi à en recueillir les eaux de toiture. Un dispositif de captage relié par un conduit d’adduction, similaire à ceux reconnus à l’aplomb des bâtiments F et M, a pu être effacé par l’érosion plus importante des sols. À l’instar des deux structures précédentes, elle a pu être alimentée par voie d’infiltration des eaux de pluie qui parcourent les fissures du socle rocheux basaltique. Quel que soit son mode d’alimentation, ce type de citerne a pu répondre aux nécessités domestiques du bâtiment K, comme

Citerne 20618

Citerne 20662

Citerne 16462

0 1m

| Fig. 10. Plan et profil des citernes 20662 (bâtiment Q), 20618 (bâtiment K), 16462 (complexe C).

328 – M. Poux, A. PrAnyies, et collAb.

aux besoins plus spécifiques induits par les opérations de corroyage et peut-être, de tannage, attestées dans son emprise. La présence, dans son remplissage d’une alène en bronze et d’un bloc rectangulaire mortaisé qui semble correspond à un support de travail de type établi fixé à un support vertical en bois, témoigne d’un lien étroit avec ces activités artisanales.

Bâtiment Q (citerne ?)

Une fosse (fig. 10, 20662) de dimensions et de morphologie très similaire à la précédente, également excavée dans le substrat rocheux, a été fouillée en 2010 au cœur d’une série d’aménagements qui marquent la limite orientale de la place au cours du dernier état d’occupation de l’oppidum (état 2.3, La Tène D2b). Des bâtiments ne subsiste plus que le négatif des poteaux porteurs et aucun niveau de circulation n’est conservé à l’exception de quelques lambeaux de sol.

Son creusement de forme subrectangulaire à angles arrondis est conservé sur une profondeur maximale de 0,90 m. Long de 2,10 m de large pour 0,90 m de large, elle comporte un net surcreusement dans sa partie sud-ouest, qui évoque une sorte d’emmarchement. Le remplissage de cette structure est caractérisé par un mobilier abondant, d’origine essentiellement détritique (amphores, céramiques, faune). Il se singularise néanmoins par l’abondance et surtout la qualité des petits objets retrouvés, parmi lesquels figurent un couteau en fer, sept monnaies en bronze frappé, ainsi que deux fibules complètes, dont une fibule en argent à nodosité et pied ajouré en argent et une fibule à charnière d’époque augustéenne de type Aucissa, retrouvées intactes au sommet du comblement. Le fond de la cavité est tapissé d’un dépôt sableux identique à celui identifié dans les structures précédemment décrites, issu de l’érosion provoquée par le battage ou la stagnation de l’eau.

Complexe C (citerne ou latrine ?)

Une dernière structure de morphologie comparable (fig. 10, 16460) a été découverte en 2006 parmi les aménagements qui marquent la jonction entre la branche occidentale du complexe artisanal et commercial (C) et la ruelle qui le longe à l’ouest. Cette cavité de forme ovalaire, longue de 1,80 m pour 0,95 m de large, présente à l’est un surcreusement vertical d’environ 0,70 cm de profondeur. L’étroitesse du creusement, qui s’oppose à une fonction de stockage, ainsi que sa localisation en bordure des bâtiments, dont l’alignement est rompu à ce niveau par une probable porte d’accès, permet de l’interpréter avec réserve comme une petite citerne destinée à recueillir les eaux de toiture. Cette hypothèse est confortée par la présence d’une panse d’amphore Dressel 1A découpée longitudinalement, disposée à plat contre sa bordure orientale, qui évoque un dispositif d’adduction déjà observé en marge du bâtiment M 15.

Le fond du surcreusement est occupé par un petit dépôt organisé, formé de trois cornes d’ovicaprinés et de deux pattes de suidé soigneusement disposés côte à côte en association avec un gros bord de vase de stockage, le tout encadré par deux cols d’amphores découpés et alignés parallèlement (fig. 11).

15. Voir supra.

| Fig. 11. Citerne ou latrine 16462 (complexe C) ; détail du dépôt organisé mis au jour à la base du creusement. cornes de caprinés, pieds de suidés et cols d’amphores disposés par paires.

Acquisition, gestion, usAges et stAtuts de l’eAu en Milieu urbAin – 329

puits de Captage des eaux souterraines

Les quatre dernières années de fouille menées à l’est de la place ont également mis en évidence de véritables puits, comparables à ceux reconnus dans les habitats de plaine contemporains.

Puits d’époque moderne

Le premier d’entre eux est clairement postérieur au cadre chronologique retenu pour cet inventaire puisqu’il a été aménagé à l’époque moderne, mais ses caractéristiques sont très proches de celles des puits laténiens. Signalé en surface par l’affleurement des parements, son creusement tronconique d’environ 1 m de diamètre entaille le rocher naturel sur une profondeur d’à peine 1,12 m. Ses parois évasées, qui se resserrent au niveau du fond, sont parementées à l’aide de petits moellons de basalte grossièrement équarris, formant neuf assises irrégulières (fig. 12, 22463). Quelques fragments d’amphores de type Dressel 1 aux cassures très roulées ont été insérés entres les blocs de ce parement, mais la présence au fond du comblement de fragments de boîtes de conserve en fer et d’un fond de tasse en faïence de Sarreguemines, dont la production est antérieure aux années 1920, assurent sa datation post-antique.

Selon l’actuel propriétaire du terrain, ce puits condamné à la fin des années 1970 a longtemps servi à l’irrigation des cultures du plateau ; le ruissellement des eaux de pluie à la surface des champs et l’infiltration de l’eau présente dans la table basaltique assuraient son remplissage en permanence. L’intérêt de cette découverte réside dans le fait qu’elle côtoie, à quelques mètres de distance, des structures absolument identiques datées de la fin de l’âge du Fer, dont elle éclaire rétrospectivement le mode d’alimentation et de fonctionnement.

| Fig. 12. Puits moderne 22463, alimenté par les infiltrations de la table basaltique.

330 – M. Poux, A. PrAnyies, et collAb.

Puits en bordure de voirie

Contrairement aux autres structures d’époque laténienne précédemment décrites, un grand puits se distingue par sa position relativement isolée en marge des corps d’habitat (fig. 13, 22214). Localisé à proximité de l’intersection entre deux grands axes de voirie perpendiculaires structurant un réseau viaire autour duquel s’insèrent les espaces bâtis, il semble plutôt appartenir à l’espace public.

0

2m

Puits 22214

7

UF 22214-4

UF 22214-4

c

c

c

c

c

c

c

c

UF 22214-6

UF 22214-1

UF 22214-4

UF 22214-6

Nord-estSud-ouest

0 2 m

Faune

LEGENDE

Amphore

Basalte

Pouzzolane

Argile verte

UF 22214-1

Céramique

| Fig. 13. Comblements et coupe du puits 22214.

Acquisition, gestion, usAges et stAtuts de l’eAu en Milieu urbAin – 331

Son niveau d’apparition est matérialisé par un amas de gros blocs de basalte et pouzzolane disposés en couronne. Son creusement tronconique est entièrement aménagé dans le substrat rocheux, jusqu’à une profondeur de 1,72 m (fig. 14, en haut), et présente un profil en Y, de 2,5 m de diamètre à l’ouverture pour 1,50 m en partie basse. Les blocs qui occupent sa partie sommitale évoquent l’effondrement d’une margelle initiale de blocs ou plus vraisemblablement, un colmatage volontaire lors de son abandon.

Le reste du comblement, bien que stratifié, semble répondre à la même volonté de condamnation. On y observe la présence massive de tessons d’amphores assez peu fragmentés, parmi lesquels les cols et les pieds prédominent, associés à plusieurs objets particuliers comme un catillus et une meta de meule en basalte et en grès déposés intacts, en association avec une série de quatre andouillers de bois de cerf (fig. 14, au centre). Ils figurent parmi d’autres éléments qui renvoient indéniablement à la sphère domestique et agricole, dont plusieurs fragments de plaques de foyer, 10 jetons en céramique, un fragment de lame de forces en fer et deux mortiers en pierre à lèvre triangulaire, caractéristiques des derniers états d’occupation de l’oppidum (état 2.2, La Tène D2a). La présence de nombreux clous de menuiserie pourrait indiquer, par ailleurs, l’existence d’un cuvelage en bois.

Une série de six récipients en céramique occupe le fond de la structure (fig. 14, en bas). Diverses formes sont représentés (assiettes, cruches, etc.) et certains vases ont été déposés entiers sur le fond du creusement, tandis que d’autres semblent avoir été brisés volontairement. Ce mobilier repose, à la base du remplissage, sur une couche très argileuse de couleur brune à verdâtre, plastique et vraisemblablement chargée en phosphates, épaisse de 10 à 15 cm. La présence de ce type de sédiment constitue une exception sur le site de Corent et peut être mise en relation avec les niveaux d’inondation qui caractérisent certains fonds de fosses ou de fossés, recouverts de dépôts sableux drainés par les pluies et l’érosion naturelle des parois.

Atelier de potier

La fouille réalisée en 2013 dans les quartiers orientaux de l’oppidum, au-delà du chemin moderne qui le traverse du nord au sud, a révélé un atelier de potier lié à une agglomération secondaire qui s’est développée après la conquête sur le plateau en périphérie du sanctuaire et du théâtre hérités de l’époque laténienne 16. Outre son contexte inhabituel, cet atelier se distingue par l’excellent état de

16. Poux et al. 2013.

| Fig. 14. Creusement du puits 22214, niveaux de comblement médian (au centre, meules et bois de cerf) et inférieur (en bas, dépôt de formes céramiques entières, ouvertes et fermées).

332 – M. Poux, A. PrAnyies, et collAb.

conservation de ses structures : cave de stockage de l’argile, bassin de marchage, aire de mouillage, puits, fosses de tour et four de cuisson, qui permettent d’appréhender avec précision les différentes étapes de la chaîne de production céramique. Deux états de fonctionnement ont pu être distingués, compris entre le milieu du ier s. a.C. (états 2.3 et 3.1, La Tène D2b) et le début de notre ère (état 3.2, période augustéenne).

Parmi les structures qui caractérisent le deuxième état de fonctionnement de cet atelier figure un puits, dont les caractéristiques sont en tous points similaire à ceux qui viennent d’être décrits (fig. 15-16, 23124). Profond d’environ un mètre, son creusement à profil tronconique doublé d’un parement en pierre sèche permettait de recueillir les eaux d’infiltration qui parcouraient la table basaltique. Son diamètre interne d’environ 2 m permet de restituer un volume maximal de 3 000 litres d’eau, ce qui est loin d’être négligeable et paraît tout à fait suffisant pour pourvoir au fonctionnement d’une officine de cette envergure.

Puits 23124

Nord

0 2 m

Terre cuite

LEGENDE

Basalte

TCA

Céramique

Pouzzolane

Argile jaune

0 2 m

puits

aire de mouillage ?

rampedrain

canalisation

escalier d’accès

cave

banquette d’argilebanquette d’argile

bâtiment four

bassin?

fossede tour

installation de séchage ?

fosses de tour

Sud

| Fig. 15. Plan de l’atelier de potier fouillé en 2013 ; plan et profil du puits 23124 .

Acquisition, gestion, usAges et stAtuts de l’eAu en Milieu urbAin – 333

Sa localisation, entre la cave de stockage de matière première et les fosses de tour implantées aux abords du four, prouve en effet qu’il assurait l’approvisionnement en eau nécessaire à la préparation de l’argile et au mouillage de l’argile avant et pendant le façonnage des récipients. Une grande structure empierrée de forme tabulaire aménagée à son contact direct et prolongée par un drain d’évacuation de l’eau usée, est sans doute liée à cette opération. La même association a été mise en évidence dans l’atelier contemporain de Gondole, où l’atelier de tournage de la cave 17 est en relation directe avec le puits 683 17. Elle préfigure les solutions d’approvisionnement en eau, plus ou moins élaborées, attestées dans certaines officines d’époque postérieure 18.

puits et bassins à voCation pubLique

D’autres structures mises au jour en bordure de la grande place publique qui prolonge le sanctuaire à l’est semblent se rattacher, de par leurs dimensions et leurs caractéristiques fonctionnelles, à la sphère des aménagements publics.

Un puits à balancier de type tolleno ?

L’esplanade rocheuse qui constitue la place se prolonge, dans son angle sud-est, par un réseau structuré de voirie autour duquel s’insèrent les différents espaces bâtis. Une voie principale, large d’au moins 10 m et orientée nord-ouest/sud-est, a été reconnue sur une quarantaine de mètres de longueur. Elle est bordée de part et d’autre par plusieurs ensembles de bâtiments délimités par des alignements de cavités de nature diverse (tranchées de palissade, fossés de drainage, fosses dépotoirs), parmi lesquelles figure le puits (22214) décrit plus haut.

Un autre puits a été aménagé au départ de la voie, au point de jonction avec la place (22474). Ses caractéristiques sont similaires à tous les autres malgré son profil plus évasé, large de 3 m de diamètre à l’ouverture. Profond d’environ 0,80 m, son creusement aménagé dans le substrat rocheux adopte un profil en cuvette prolongé par un surcreusement central de 0,60 m de diamètre (fig. 17). Son comblement, subdivisé en trois niveaux très semblables, est presque exclusivement constitué de gros tessons d’amphores déversés au centre de la structure. Des négatifs rectilignes, perceptibles le long des parois et au sein du comblement, trahissent sans doute la présence de pièces de bois appartenant à son cuvelage. Au fond du puits, plusieurs cols et bas de panse entiers sont disposés en couronne autour de la cavité centrale, remplie d’un sédiment argilo-sableux très humide de couleur gris-noir, a livré pour tout mobilier un dé à jouer parallélépipédique et une jatte écrasée en place.

La profondeur de cette cavité, la présence du surcreusement et son comblement constitué presque exclusivement de gros tessons d’amphores disposés en couronne contre les parois la rapprochent étroitement de la citerne (21279) du

17. Deberge et al. 2013.18. Dans l’atelier de La Boissière-École, un bassin formé de blocs non équarris reliés à une canalisation permettait l’approvisionnement

en eau de pluie récupérée des toitures (st. 35 de l’atelier n° 4). Des systèmes comparables d’adduction et de stockage de l’eau ont été observés à Sallèles-d’Aude (bassin 1001, cour V), à Chapeau-Rouge (bassin de la pièce E) ainsi qu’à La Graufesenque (bassin n° 188, construit en tegulae) : Poux et al. 2014.

| Fig. 16. Puits 23124, utilisé pour le mouillage de l’argile.

334 – M. Poux, A. PrAnyies, et collAb.

bâtiment M 19. Son profil de comblement suggère l’existence d’un cuvelage en bois adossé à un blocage de gros tessons d’amphores, effondré au centre de la structure après son abandon.

Cette structure est étroitement associée à un long bassin aménagé moins d’un mètre plus au sud (fig. 18, 22452). Son plan rectangulaire, d’une longueur de 13,10 m par 1,20 m de largeur, est délimité sur ses quatre côtés par des parements en pierre sèche formés de deux à trois assises de blocs de basalte équarris, installés directement sur le socle rocheux (fig. 19, à droite). Excavé sur une faible profondeur comprise entre 10 et 30 cm, son fond est recouvert d’une chape de pouzzolane concassée et damée, au sommet de laquelle figurait une amphore Dressel 1 pratiquement intacte, écrasée en place (fig. 19, à gauche).

Le centre du bassin est occupé par un surcreusement rectangulaire d’environ 1 m 30 de long pour 1 m de large, dont l’orientation est décalée de quelques degrés en direction de l’est (fig. 18, 22490). Ses parois taillées dans le rocher sur une profondeur de 0,60 m ont conservé la trace d’un blocage de petits blocs de pouzzolane et de basalte, dont la face intérieure dessine un effet de paroi suggérant l’existence d’un cuvelage en bois. Son comblement supérieur affleure au fond du grand bassin, sous la forme d’un conglomérat très dense de gros tessons d’amphores peu fragmentés (Dressel 1A, IB et amphore vinaire de Tarraconaise). Sa base est occupée par un dépôt organisé comprenant un col de Dressel IB scié au départ de la panse et disposé dans l’axe du creusement, associé à trois vases disposés dans les angles (écuelle à bord rentrant, vase miniature et demi-écuelle de même facture).

Le tamisage des sédiments prélevés à ce niveau et analysés par Corentin Bochaton (MNHN) a révélé la présence de nombreux restes de microfaune hydrophile ; en particulier, de plus de 70 ossements de batraciens caractéristiques d’un contexte d’eau stagnante (fig. 20). Les bufonidés (Bufo bufo, Bufo viridis, Bufo calamita) étant une espèce assez ubiquiste qui peut s’accommoder de la présence de l’homme, leur découverte en faible nombre dans un site archéologique n’a aucune signification particulière. La grenouille des champs (Rana arvalis), en revanche, signale clairement un milieu

19. Voir supra.

| Fig. 17. Puits 23474 associé au bassin 22452.

Acquisition, gestion, usAges et stAtuts de l’eAu en Milieu urbAin – 335

0 2m

Bassin 22452

Puisard 22490

EstOuest

Bassin 22452

Puisard 22490

LEGENDE

Basalte

Amphore

Céramique

Pouzzolane

Sol en pouzzolane

Puits 24474

Sud Nord

Coupe du puits 24474

Parement sud du bassin 22452 et profil du puisard 22490

| Fig. 18. Plan du bassin 22452, du puisard 22490 et du puits 22474 ; coupe du puits, parement du bassin et profil du puisard.

| Fig. 19. Bassin 22452 vu de l’Ouest (à gauche) et de l’Est (à droite).

336 – M. Poux, A. PrAnyies, et collAb.

humide, la proximité d’un lac ou d’une zone agricole. La concentration de cette espèce, qui n’est pas attribuable à l’intervention d’un prédateur (absence de restes de rongeurs, aucune trace de digestion et faible fragmentation), indique un lieu de reproduction ou d’hivernage fréquenté par plusieurs individus. Elle révèle la présence d’eau qui a stagné au fond de la cavité pendant une période plus ou moins prolongée, facteur indispensable à la survie de ces animaux. La présence de ces batraciens est encore bien perceptible aujourd’hui : il n’a fallu que quelques heures aux grenouilles vertes pour recoloniser les eaux accumulées dans le bassin par temps d’orage !

La forme du bassin et son mode de construction sont en tous points comparables à la citerne du bâtiment F 20 dont il ne se distingue que par sa longueur, quatre fois plus importante. Son interprétation comme bassin destiné au captage, au stockage et/ou à la mise à disposition d’eau stagnante est confortée, en l’occurrence, par l’accumulation d’os de batraciens mise en évidence au niveau de son surcreusement central.

Il est possible que ce bassin ait été approvisionné directement par ruissellement des eaux de pluie drainées par l’esplanade rocheuse qui constitue la place. La petite cavité rectangulaire qui en occupe le centre a pu faire office de “puisard” destiné à capter les infiltrations d’eau qui parcourent la table basaltique, même par temps sec 21. L’étanchéité du dispositif était sans doute assurée par un revêtement d’argile et/ou par un cuvelage en bois dont ne subsiste aucune trace. Son alimentation a cependant aussi pu être assurée, simultanément ou dans un second temps, par le puits (22574) qui jouxte son parement nord.

L’association d’un puits de fort diamètre et d’un abreuvoir ou bassin plat rappelle un dispositif fréquemment attesté dans les campagnes d’époque préindustrielle : les puits à balancier ou à bascule de type tolleno dont l’usage bien attesté dans l’Antiquité 22 est notamment illustré sur une peinture de Pompéi ou sur une mosaïque d’Oudna (fig. 21). Dans ce dispositif,

20. Voir supra.21. Il n’est pas certain, en revanche, que ces deux cavités (22452) et (22490) ont fonctionné simultanément, malgré la nature similaire

des mobiliers abandonnés dans leur comblement au moment de leur abandon. Le creusement du puisard (22490) outrepasse sensiblement celui du long bassin (22452) et apparaît aussi à un niveau inférieur. Son orientation est divergente et s’aligne sur celle des structures datées de la phase d’occupation médiane de l’oppidum (état 2.1 ou 2.2, La Tène D1b-D2a). Cette cavité a sans doute préexisté à l’aménagement du long bassin qu’il a pu continuer à alimenter, au moins partiellement, après l’aménagement du puits adjacent (22474).

22. Festus, s.v. ; Plaute, Fragm. ap. Fest. v. Reciprocare ; Plin., Nat., 19.20.

| Fig. 20. Restes de bufonidés prélevés au fond du puisard 22490, grenouille des champs (rana arvalis) recueillie dans l’eau du bassin au lendemain d’un orage.

| Fig. 22. Exemples de puits à balancier d’époque antique. a. Détail de la mosaïque d’Oudna, musée du Bardo, Tunisie) et moderne.

Acquisition, gestion, usAges et stAtuts de l’eAu en Milieu urbAin – 337

| Fig. 21. Restitution et schéma de fonctionnement d’un puits à balancier de type tolleno.

| Fig. 22 b. Puits et abreuvoirs du massif central, cartes postales anciennes, d’après C. Lassure, 1986).

338 – M. Poux, A. PrAnyies, et collAb.

le bassin est alimenté à l’aide d’un long fléau en bois, alourdi par un contrepoids terminal et raccordé à son autre extrémité à un seau (fig. 22). Ce dernier est plongé alternativement dans un puits peu profond, dont les bords sont suffisamment évasés pour en permettre la remontée 23. Ce système est particulièrement adapté au puisage d’eau peu profonde issue de nappes superficielles et semble avoir été privilégié, jusqu’à une époque récente dans le Sud-Ouest et le Centre de la France, pour l’alimentation des abreuvoirs et lavoirs communaux (fig. 21).

La disposition du puits, du bassin et la présence d’un très gros trou de poteau au sud de ce dernier, qui n’a pu être rattaché à aucune construction mais a pu accueillir la “flèche” ou axe porteur du levier, ne s’oppose pas à une telle restitution (fig. 22). Le comblement d’un fossé adjacent à ce trou de poteau a livré une panse d’amphore complète, qui a pu faire office de contrepoids. Le principe du puits à balancier n’est pas totalement inconnu à l’âge du Fer mais a rarement été mis en évidence 24. La découverte de madriers massifs rejetés dans certains puits avait permis d’en soupçonner l’existence, sur de rares sites éloignés dans le temps (puits hallstattiens des Fontaines Salées à Saint-Père-Sous-Vézelay dans l’Yonne) et dans l’espace (puits laténien d’Holzhausen dans le Bade-Wurtemberg). Il est bien documenté en Auvergne aux époques médiévale et moderne. Dans un contexte proche, on peut supposer l’existence d’un tel dispositif dans de nombreux cas : dans le faubourg artisanal de Gondole, plusieurs puits sont associés à un trou de poteau isolé, implanté à proximité immédiate ou sur le rebord de leur creusement. La même association se retrouve sur le site de Saint-Beauzire “La Montille” 25. Lorsque les trous de poteau figurent par paire sur un côté seulement du puits, comme à Clermont-Ferrand “Le Brézet” 26 ou “Le Pâtural” 27, la restitution proposée par les auteurs d’une couverture, d’une margelle ou de plate-forme d’accès en bois n’est pas la seule envisageable : celle d’un système de levage asymétrique, arrimé sur deux arbres parallèles, est toute aussi pertinente.

Si la morphologie du bassin et son mode de construction en pierre sèche l’apparentent aux citernes parementées reconnues à Corent comme à Gergovie, sa longueur démesurée (14 m hors œuvre) et sa faible profondeur (moins de 50 cm par rapport aux niveaux de circulation environnants) ne connaissent aucun équivalent. S’il constitue un unicum, à Corent comme sur les autres sites urbains de la fin de l’âge du Fer, ce type de bassin plat à plan longiligne est en revanche bien attesté, du Moyen Âge à l’époque moderne, dans les agglomérations rurales du Massif Central. Il correspond, typologiquement, à la catégorie des abreuvoirs à bétail aménagés en bordure des champs, des places ou des champs de foire. Des constructions similaires en pierre sèche sont attestées à l’échelle de l’Auvergne et du Massif central, qui autorisent à attribuer une fonction analogue au bassin de Corent. L’hypothèse d’un abreuvoir destiné aux montures et aux troupeaux peut s’appuyer sur la présence d’indicateurs biologique d’eau stagnante et la longueur inhabituelle du bassin, qui permettait de désaltérer simultanément plusieurs têtes de bétail. Elle est confortée par la découverte d’un gros élément de harnachement en bronze dans le comblement sommital du puits (22574) qui assurait son alimentation et la mise en évidence, à ce niveau précis, d’une série de barrières en chicane de type cattle grid, vraisemblablement destinées à barrer l’accès de la voie et/ou de la place 28. Un dernier argument réside dans sa localisation en bordure d’une grande place qui a sans doute revêtu, à titre permanent ou périodique, une fonction de champ de foire 29. La présence de bétail vivant à l’intérieur de l’oppidum est bien attestée dans les cours de ferme environnantes (bâtiments A, B, H, M), moins par les reliefs de boucherie qui en jonchent le sol, que par la découverte de plusieurs pique-bœuf utilisés pour la conduite des animaux.

Autres bassins en limite de voirie

Cette même forme de bassin et sa situation en bordure des espaces de voirie caractérisent d’autres structures auxquelles il est tentant d’assigner la même vocation, à défaut de toute autre hypothèse fonctionnelle (fig. 23-24).

23. Selon Lassure 1986, “le diamètre du puits doit être égal à la longueur de la flèche de l’arc décrit par la tête du fléau, augmentée du diamètre du seau”.

24. Verdin et al. 2012, 401.25. Mennessier-Jouannet 2003, puits 62.26. Deberge et al. 2009.27. Deberge et al. 2007a.28. Distinctes des grands fossés et des tranchées de palissade qui délimitent la voirie, ces structures longilignes sont ponctuées de petits

trous de piquet implantés de manière espacée au fond d’une tranchée étroite et matérialisent des barrières basses à claire-voie ou à clayonnage, semblables aux clôtures à bétail connues en milieu rural. Disposées en quinconce, elles restreignent le passage sans l’obturer complètement.

29. Poux et al., éd. 2012, 34. (= 2013 ou Poux 2012 ?)

Acquisition, gestion, usAges et stAtuts de l’eAu en Milieu urbAin – 339

0 2 m

Citerne/bassin 22520

Ouest Est

0 1 m

Citerne/bassin 22005

0 2 m

| Fig. 23. Plan et profil des bassins longilignes 22520 et 22005.

| Fig. 24. Bassins longilignes 22520 (à gauche) et 22005 (à droite).

340 – M. Poux, A. PrAnyies, et collAb.

Le premier est un grand creusement longiligne (22005) fouillé en 2012 parmi la série d’aménagements qui délimitent la place à l’est. Il présente des dimensions similaires au précédent, avec une longueur de près de 8 m pour 1 m en moyenne, et des parois verticales excavées dans le rocher jusqu’à 50 cm de profondeur. Dépourvu de parements en pierre sèche, il a sans doute reçu un cuvelage en bois comme en attestent un effet de paroi matérialisé par des tessons d’amphores plantés de chant et de nombreux clous de construction concentrés le long de ses parois. La base du remplissage, constitué d’apports détritiques riches en mobilier (amphores, céramique, faune), est occupée par une fine couche de graviers de pouzzolane et de basalte très indurée, identique à celle déjà observée au fond des structures décrites plus haut. Cette tranchée à fond plat, qui accuse un fort pendage d’ouest en est (22 %), se dérobe à une interprétation comme structure de stockage de type cave ou cellier. Sa position en limite de voirie renforce l’analogie morphologique et fonctionnelle qui l’unit au bassin (22452), dont elle constituerait le pendant au nord de la place.

Une autre cavité longiligne (22520) de forme et de taille comparables est localisée plus au sud, le long de la voie d’axe nord-ouest/sud-est qui conduit à la place. Son creusement, de 5,40 m de longueur pour 1,40 m de largeur en moyenne, profond d’environ 0,6 m, s’inscrit dans le prolongement de la série de palissades et de trous de poteaux qui souligne la limite méridionale de la chaussée. À son extrémité nord-ouest, au niveau de l’affleurement rocheux, le fond de la cavité remonte sur environ 1,50 m pour rejoindre le niveau supérieur de la table basaltique. Son comblement présente un remplissage unique, très riche en mobilier (fragments d’amphores et de céramiques, faune, jetons, monnaies, manche d’outil en bois de cerf, pendentif en bronze en forme de grenier miniature), d’origine détritique et probablement lié à sa condamnation, survenue dans le courant de La Tène D2.

L’interprétation de ces deux aménagements est moins bien assurée. Il peuvent tout aussi bien correspondre à de larges fossés de délimitation de voirie, à des structures de travail domestiques ou artisanales ou encore, à des celliers semi-enterrés, construits à l’image de la grande cave à amphores fouillée en 2008 dans l’angle nord-est du complexe C 30. Leur profil à fond plat et parois verticales permet aussi d’envisager une interprétation comme bassin ou comme abreuvoir, dont les parements en pierre auraient été remplacés par un simple cuvelage en bois.

L’eau dans La viLLe : diversité des approvisionnements Le rappel des caractéristiques géologiques du puy de Corent a montré que l’eau y était naturellement présente,

à la suite de fréquentes averses drainées par la table basaltique et accumulées dans la dépression humide qui occupait l’angle nord-est du plateau avant son assèchement au xixe s. La présence, à l’intérieur ou aux marges du tissu urbain, de ce petit ”lac” alimenté par une source pérenne constituait un réservoir inépuisable, de nature à exaucer tous les besoins des populations de l’oppidum : outre l’eau potable destinée à l’alimentation et à l’hygiène des habitants, on peut également mentionner les besoins générés par certaines activités artisanales attestées en marge de la grande place comme la boucherie, la tannerie, le corroyage, la métallurgie, la production textile ou céramique. Sans oublier l’entretien du bétail, dont la présence à l’intérieur de la ville est suggérée par la découverte de pique-bœufs et de nombreux restes fauniques témoignant d’une mise à mort des animaux sur place 31.

La concomitance de ces différents usages ne va pas de soi, une source d’eau potable devant être préservée de tout contact avec des activités polluantes comme la tannerie, la boucherie ou le stationnement prolongé de troupeaux. La mise en œuvre d’un ambitieux programme de recherche pluridisciplinaire consacré au paléo-environnement du site de Corent, qui prévoit plusieurs campagnes de carottages et de sondages géo-archéologiques à l’intérieur même de cette dépression 32, permettra sans doute de mieux caractériser ses modalités d’aménagement et d’exploitation. Certains écofacts (palynologiques, carpologiques ou parasitologiques) sont en effet susceptibles d’attester la présence ou l’absence de déjections animales, de substances particulières utilisées dans le cadre de pratiques artisanales (tan, colorants, argile crue). L’hypothèse d’une utilisation à des fins piscicoles peut également être posée, au vu des restes ichtyologiques récemment recueillis dans les niveaux d’habitat de l’oppidum. Si l’identification de poissons de rivière renvoie aux ressources halieutiques locales (Clupeidae sp. Alosa alosa ), ils ont pu être pêchés dans l’Allier aussi bien que dans des viviers intra muros.

30. Poux et al., éd. 2012, 117 sq. (= 2013 ou Poux 2012 ?)31. Foucras 2011.32. AYPONA Paysages et visages d’une agglomération arverne : approche intégrée et diachronique de l’occupation de l’oppidum de

Corent (Auvergne, France), programme financé par la région Auvergne , coordination Y. Miras et F. Vautier (2013-2016).

Acquisition, gestion, usAges et stAtuts de l’eAu en Milieu urbAin – 341

La proximité et la permanence de cette étendue d’eau relativisent, quoi qu’il en soit, l’importance qu’il faut accorder aux autres modes d’acquisition et de stockage mis en œuvre par les populations de l’oppidum. Compte tenu des propriétés géologiques du substrat, leur principal souci était moins de retenir que de drainer et d’évacuer les eaux pluviales à l’aide d’aménagements reconnus dans toute l’emprise des fouilles. Voiries, cours et sols d’habitat, implantés sur une terre noire très grasse qui tourne en boue collante à chaque épisode de pluie, sont très systématiquement stabilisés à l’aide de chapes de cailloutis fortement damés. Au fil du temps, la plupart des bâtiments sont isolés du sol par d’imposants radiers formés de tessons d’amphores et de blocs de basalte. Voies et ruelles sont associées à des aménagements drainants, fossés bordiers ou drains empierrés (fig. 9), dont la typologie est bien connue sur les sites ruraux et les agglomérations de plaine, mais dont la présence peut surprendre sur un site de hauteur.

L’acquisition et le stockage de l’eau ont néanmoins motivé la construction d’aménagements spécifiques (puits, citernes, bassins), reconnus en de nombreux points de l’oppidum. Leur étude détaillée révèle une grande diversité morphologique et métrologique, qui renvoie vraisemblablement à des usages différenciés. Comme on l’a rappelé en introduction, la récupération des eaux de toiture ou le captage des eaux du sous-sol ne visent pas les mêmes domaines d’utilisation, tant en termes de volume que de qualité des ressources hydrologiques. Selon les activités qu’elles alimentent et surtout, en fonction de leur appartenance à la sphère publique ou dans la sphère privée, la gestion de ces ressources revêt des formes distinctes, que la superficie des fouille réalisées sur l’oppidum permet aujourd’hui de mieux appréhender.

Un certain nombre de ces aménagements destinés à la récupération et au stockage des eaux en provenance des toiture ou du sous-sol sont liés au fonctionnement d’un bâtiment à vocation domestique ou artisanale. Dans le cas des bâtiments F, M et K, qui ont livré de nombreux indices de travail du métal et du cuir, l’interaction entre ces deux sphères suggère que ces réserves d’eau ont pu servir dans le cadre de ces différentes activités.

des usages et des statuts variés

Leur caractérisation fonctionnelle est d’autant moins évidente qu’elle se heurte à des problèmes de typologie. S’agissant de structures à profil cylindrique ou tronconique dont la profondeur excède rarement un mètre, la distinction entre puits et citernes n’est pas toujours évidente, ni même forcément pertinente. Même si le premier terme s’applique en principe à toute cavité de captation des eaux plus haute que large, l’existence d’un cuvelage en bois et la probabilité que certaines d’entre elles (bâtiment M) aient été alimentées à la fois par les eaux de toiture et les infiltrations souterraines suggèrent plutôt une fonction de citerne. Leur faible profondeur n’est pas discriminante puisqu’elle se retrouve dans quelques puits connus en contexte rural ou urbain, par exemple sur l’oppidum de Gondole ou du Fossés des Pandours 33.

S’agissant des fosses rectangulaires à parois verticales et emmarchement (bâtiments K et Q), un risque de confusion avec des fosses de stockage alimentaire ne peut être totalement exclu. Leur étroitesse, qui les distingue de la plupart des celliers reconnus sur le site, et la présence à leur base de dépôts sableux liés à la stagnation de l’eau, font plutôt pencher la balance en faveur d’une interprétation comme réserve d’eau. Une structure de forme, de construction et de dimensions tout à fait similaires (3,2 m par 1,4 m sur 1 m de profondeur) à la fosse parementée du bâtiment F a été découverte au niveau de la porte ouest du rempart de Gergovie et interprétée sans équivoque comme une citerne 34.

En ce qui concerne la fosse ovale à surcreusement terminal (16460) fouillée en marge du complexe C, une fonction primaire ou secondaire comme puits perdu destiné à l’évacuation de l’eau dans le sous-sol, voire comme latrine, est envisageable par comparaison avec certaines cavités de morphologie similaire connues à l’époque romaine 35. La validation d’une telle hypothèse passera par la mise en évidence de dépôts phosphatés qui ne semblent pour l’heure présents qu’au fond du puits (22214) sans qu’il soit possible, là encore, de déterminer s’ils sont liés à son utilisation ou à des pollutions précédant son abandon. En théorie, toutes les structures recensées dans ce dossier sont susceptibles d’avoir été utilisées à un moment ou un autre comme latrines, a fortiori lorsqu’elles sont dotées d’un emmarchement : puits circulaires, carrés ou rectangulaires, cuvelés ou même parementés, s’intègrent parfaitement à la typologie des fosses d’aisance d’époque

33. Verdin et al. 2012, 398, fig. 3.34. Pertlwieser & Deberge 2007, US 20213.35. Bouet 2009, 23, fig. 4.

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romaine ou médiévale recensées en Gaule 36. Un tel usage n’est absolument pas incompatible avec l’existence d’un système d’adduction d’eau provenant des toitures, des exemples de fosses latrines cuvelées ou non cuvelées alimentées par un égout ou une canalisation étant également attestés 37. Dans une ville peuplée au minimum de plusieurs centaines et plus probablement, de milliers d’habitants, il semble répondre à une nécessité tout aussi impérieuse que l’acquisition d’eau potable.

La présence de cuvelages en bois, soupçonnée dans plusieurs cas (bâtiment M, bassin et puits, bassin), témoigne plutôt d’une volonté de rétention et caractérise nombre de structures dédiées au stockage de l’eau 38. Le recours exclusif aux tessons d’amphores pour le coffrage des puits, bien attesté dans les puits de Lattes ou de la caserne Niel à Toulouse 39, n’est peut-être pas fortuit : ces matériaux encombrants, mais aussi drainants, ont pu être privilégiés en guise de blocage mais aussi, pour assurer le filtrage de l’eau captée dans la table basaltique. On peut en dire autant des parements en pierre sèche, à priori superflus eu égard à la stabilité du substrat rocheux, qui semblent moins destinés à retenir le glissement des parois qu’à filtrer les infiltrations du substrat basaltique.

Il est frappant d’observer qu’à l’exception des citernes aménagées au contact des bâtiments K et M, la plupart des puits, citernes et bassins reconnus à Corent se situent en bordure des espaces de voirie, à l’interface des rues ou de la grande place qui prolonge le sanctuaire à l’est (fig. 5). Cette règle semble se vérifier année après année et pose la question de leur caractère privé ou public, en considérant évidemment que l’un et l’autre ne sont pas exclusifs.

La taille surdimensionnée de certains d’entre eux et leur éloignement des habitats militent pour un usage communautaire, à l’échelle du quartier, voire de l’oppidum tout entier pour les grands bassins installés en bordure de la place. L’eau qu’ils contenaient ne provenant pas des toitures mais uniquement du ruissellement et des infiltrations du substrat basaltique, elle était plus susceptible d’être polluée par les déjections animales ou humaines, la faune en décomposition et d’autres agents pathogènes présents dans le sous-sol. Par conséquent impropre à la boisson et aux usages culinaires, elle était tout à fait adaptée à d’autres usages courants comme l’entretien du bétail, l’irrigation de jardins domestiques, le nettoyage des bâtiments et des espaces de voirie ou encore, diverses activités artisanales comme le travail du cuir (bâtiment K) ou la production céramique (atelier de potier).

En dehors de leur localisation en marge de l’espace public, l’usage communautaire de certaines structures peut être déduit du soin apporté à leur construction. C’est notamment le cas du grand bassin (22452), probablement alimenté par un système de puisage à balancier et interprété comme un abreuvoir à vocation publique. Ses parements comptent, avec ceux de la citerne du bâtiment F, parmi les très rares structures en pierre sèche mises au jour à Corent, où l’usage de la pierre semble principalement dédié à l’aménagement de radiers et solins hydrofuges ou de structures hydrauliques de type citernes ou bassins. L’existence de bassins publics en contexte d’oppidum est déjà attestée à Bibracte, sous des formes autrement prestigieuses : le bassin pisciforme de La pâture du Couvent se distingue par sa parure en grand appareil, qui ne possède, plus de trente ans après sa découverte, aucun parallèle connu 40 ; le bassin monumental de la fontaine Saint-Pierre correspond plutôt à un aménagement de source et relève d’un modèle architectural tout à fait différent, même s’il a pu remplir les mêmes usages que les bassins de Corent 41. En comparaison, ces derniers présentent des dimensions bien moindres et un mode de construction beaucoup plus rudimentaire, seyant à de simples abreuvoirs ou lavoirs publics, dépourvus de toute dimension monumentale et symbolique. Les seuls indices d’un statut plus spécifique résident dans la présence de dépôts volontaires liés à leur condamnation, qui relèvent d’une toute autre problématique.

dépotoirs ou dépôts de Condamnation ?La présence de ces dépôts a été signalée à plusieurs reprises, pour ne pas dire systématiquement, dans la description

des structures de captage et de stockage versées à ce dossier. Leur caractère intentionnel peut être tenu pour acquis, dans la mesure où leur comblement ne résulte pas de phénomènes naturels de piégeage et/ou de sédimentation des

36. Ibid., 31, fig. 7.37. Ibid., 33-34, fig. 8.38. Verdin et al. 2012, 400.39. Ibid., 400.40. Almagro-Gorbea & Gran-Aymerich 1990.41. Barral & Richard, éd. 2009.

Acquisition, gestion, usAges et stAtuts de l’eAu en Milieu urbAin – 343

mobiliers et de leur encaissant. À l’aspect disparate et désordonné de ces piégeages naturels, s’oppose la représentation massive de certaines catégories de mobiliers, leur état de conservation inhabituel ou leur disposition organisée selon des principes géométriques (en cercle, en carré, symétriquement) qui impliquent une intervention humaine, quelle qu’en soit la signification : aménagement de coffrages, pertes récurrentes liées à l’utilisation des puits ou dépositions volontaires à caractère symbolique.

La relecture des découvertes faites dans les puits d’Agen 42, étendue à l’ensemble des puits d’Aquitaine 43, a le mérite de proposer une approche objective et statistique de ces “assemblages particuliers”, étayée par une analyse statistique portant sur une quarantaine d’ensembles. Plusieurs arguments sont avancés en faveur d’un abandon des interprétations rituelles au profit d’une vision purement fonctionnelle : la prise en compte d’un apport massif de mobiliers détritiques provenant des sols d’habitat environnants, la composition hétérogène des assemblages, la prédominance des formes hautes susceptibles d’avoir été utilisées comme récipients de puisage, sont étayés par une comparaison avec quelques puits d’époque romaine, médiévale et moderne présentant le même faciès. Les auteurs relèvent, à juste titre, que ces dépôts sont loin de se limiter au sud-ouest de la France 44 mais ne précisent pas que leur recensement a déjà été réalisé et mis en perspective dans d’autres régions, à partir d’une trentaine d’ensembles analysés selon un protocole similaire 45. On ne reviendra pas ici sur les résultats de cette analyse, dont les présupposés méthodologiques ont été exposés depuis longtemps 46. Il est intéressant, en revanche, de vérifier leur validité à l’échelle d’un site comme Corent.

La composition des dépôts rencontrés oblige tout d’abord à distinguer les objets retrouvés dans le comblement inférieur lié à l’utilisation des structures, du reste du remplissage postérieur à leur abandon. À l’instar des caves, celliers autres structures en creux fouillées sur le site, les puits et citernes de Corent sont presque systématiquement colmatées à l’aide de gros blocs de pierre mêlés à des mobiliers d’origine détritique massivement prélevés sur les sols environnants : amphores, céramiques, faune, dont le poids cumulé peut atteindre jusqu’à plusieurs tonnes à l’exemple de la grande cave fouillée dans l’angle du complexe C 47. La composition de ces apports ne diffère pas de celle des dépotoirs domestiques, à la seule différence près que leur enfouissement a été réalisé volontairement et d’un seul tenant, en vue d’une condamnation définitive des structures au moment de l’abandon de l’oppidum 48. Au sein de cette masse détritique, la quasi-totalité des mobiliers en usage sur le site est représentée et la présence de dépôts remarquables n’y est perceptible qu’au travers de leur situation, à la base ou au sommet des structure, ou encore, au travers de leur mode d’organisation particulier.

Certaines découvertes remarquables, comme les deux fibules recueillies intactes dans le comblement sommital de la citerne du bâtiment Q (dont une en argent), correspondent vraisemblablement à des piégeages de mobilier faisant suite au tassement des sédiments et des matériaux détritiques, contemporains des horizons de fréquentation de l’oppidum postérieurs à son abandon. D’autres en revanche, présentent un caractère organisé qui ne peut résulter que d’un geste de déposition intentionnel. C’est évidemment le cas du dépôt de paires de cornes, de pieds et de cols d’amphores disposés symétriquement au fond de la petite citerne ou latrine (16460). C’est aussi le cas de la composition mise en évidence au fond du puisard (22490), formée de trois récipients calés dans les angles et scindée par un col d’amphore. Ces mises en scène fondées sur le chiffre deux ou trois font écho à celles repérées dans d’autres cavités, qui incluent également des meules, des amphores, des vases entiers, des crânes ou des cornes d’animaux, des pièces d’armement et d’outillage intactes et disposées verticalement 49. Il semble, d’un point de vue statistique, que les dépôts d’objets entiers et/ou organisés caractérisent plus fréquemment les structures liées à l’eau et à ses usages, ce qui rejoint un constat déjà opéré à l’échelle de l’Aquitaine 50.

L’un des principaux arguments avancés en faveur d’une interprétation “fonctionnaliste” des amas de récipients conservés à la base des puits réside dans leur composition spécifique, considérée comme distincte des faciès mobiliers des niveaux d’habitat du fait de l’extrême rareté des formes ouvertes dévolues à la consommation et à la préparation des

42. Verdin & Bardot 2007.43. Verdin et al.44. Verdin et al. 2012, 402.45. Poux 2004, 319 sq., fig. 70, non cité dans l’article.46. Poux 2004, 25 sq.47. Poux et al., éd. 2012, 120.48. Ibid., 214-216.49. Poux et al. 2012, 214-215. (= 2013 ou Poux 2013?)50. Verdin et al. 2012, 407.

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repas, qui plaiderait pour une sélection d’objets en rapport avec l’utilisation de l’eau (Ibidem, 404). Cette prédominance des formes hautes (à hauteur de 55 %) ne se vérifie pas à Corent, notamment dans les trois puits bien avérés à l’est de la place. L’ensemble de six vases déposés à la base du puits (22214) comprend aussi bien des formes hautes dédiées au service et à la consommation des boissons, que des écuelles basses utilisées pour la préparation et la consommation alimentaire, ces deux catégories présentant des traces de bris volontaire (fig. 14). Dans le puisard (22490), cette dernière catégorie (deux écuelles) prédomine sur la première (un pot miniature). Enfin, le vase unique retrouvé au fond du puits (22474) est un pot à cuire comportant des traces de passage au feu (noircissement et dépôts de suie).

Ces trois exemples n’ont évidemment aucune valeur statistique, mais ils sont tout à fait conformes aux faciès domestiques reconnus sur un site dont les niveaux de sol environnants sont bien préservés et se prêtent, mieux qu’ailleurs, à une comparaison détaillée entre déchets de surface et dépôts enfouis 51. Ce n’est donc pas leur composition distincte de celle des répertoires domestiques, mais bien leur état de conservation exceptionnel et leur regroupement à la base des puits qui différencient ces dépôts, qu’un recours aux vases hauts à des fins de puisage ne suffit pas à expliquer.

L’étendue des fouilles permet aussi une confrontation objective des assemblages relevant des sphères cultuelle et profane. Elle s’oppose clairement à l’affirmation selon laquelle les puits ne contiendraient “aucun des éléments habituellement présents dans les sanctuaires avérés : ni armement sacrifié, ni dépôt monétaire, ni statuaire, ni stèle” 52. C’est oublier que les faciès de mobiliers cultuels, tels que définis par plusieurs études récentes 53, sont loin de se limiter à ces seuls marqueurs. Les deux principales catégories de mobilier représentées dans le sanctuaire de Corent sont précisément les amphores vinaires et les ossements animaux triés au profit des ovicaprinés et des suidés, qui prédominent nettement sur le monnayage, la parure, l’outillage et l’armement 54. Or, ce sont précisément ces deux premières catégories qui figurent de façon récurrente et structurante parmi les dépositions mises en évidence au sein ou en marge des habitats environnants : la déposition d’amphores entières, de panses ou de cols complets ou encore, de vases intacts, constitue le dénominateur commun d’assemblages ponctuellement complétés par d’autres mobiliers qui figurent également parmi les offrandes du sanctuaire : dépôt groupés de monnaies dans la citerne F, de meules rotatives et de bois de cerf dans le puits (22214), de pattes de suidés et de cornes de caprinés dans la fosse (16460).

Dans le premier cas, le nombre, la valeur importante et la concentration des pièces retrouvées excluent l’hypothèse d’une perte de numéraires, dont le regroupement constitue par ailleurs l’un des premiers marqueurs de l’activité cultuelle sur le sanctuaire 55. Dans le second, l’association de quatre andouillers de cerf est d’autant plus remarquable que le site n’en a jamais livré, à l’exception d’un exemplaire scié recueilli dans le complexe C. Il se trouve, par ailleurs, que ce type d’objet constitue le principal dénominateur commun des dépôts à caractère cultuel reconnus dans certains puits d’époque romaine par S. Martin-Kilcher 56 : très fréquemment associé à des dépôts de statues ou de statuettes votives, les bois de cerf figurent également dans la cella de plusieurs temples (Thun-Allmendingen, Digeon, Allones) et se retrouvent, à l’échelle locale, sur les sanctuaires de Vichy et de Gergovie, où ils semblent renvoyer au culte de Diane 57.

À Corent même, l’existence d’une déposition volontaire et symbolique d’ossements animaux est sérieusement envisagée sur la base d’un examen archéozoologique très pointu, pour le puits-citerne (13087) découvert à l’entrée du sanctuaire d’époque romaine (fig. 25) : au tournant des iie et iiie s. de notre ère, ce sont pas moins de 120 pieds, correspondant à une trentaine de moutons, qui ont été amassés au fond de la cavité, rapidement comblée puis scellée par une imposante dalle calcaire 58.

Ici comme ailleurs, l’absence de preuves épigraphiques ne permet pas de trancher avec certitude. L’utilisation d’amphores entières ou fragmentées pour les opérations de cuvelage (i. e. de coffrage, calage, filtrage), de vases métalliques ou céramiques pour le puisage, de meules et d’amphores pour l’assainissement des puits ou comme contrepoids de système à balancier, constituent des hypothèses tout à fait plausibles. Elles ne suffisent pas pour autant à expliquer la large palette

51. Étude en cours, confiée à Audrey Saison, étudiante en master à l’Université Lumière Lyon 2.52. Verdin et al. 2012, 405.53. Bataille 2007 ; Bataille 2008.54. Demierre & Poux 2012.55. Ibid., 224.56. Martin-Kilcher 2007.57. Ibid., 36.58. Foucras 2013.

Acquisition, gestion, usAges et stAtuts de l’eAu en Milieu urbAin – 345

de situations observées dans les puits d’Aquitaine et du reste de la Gaule, qui ont aussi livré des outils agricoles en fer (Vieille Toulouse, Agen, La Lagaste, Lectoure), de la statuaire (Levroux, Rodez), des carcasses animales (Le Brézet, Bruyères-sur-Oise), dont l’association fait écho à certains dépôts de sanctuaires comme celui de Castellar-Pontos 59. Aux quelques exemples de puits antiques cités par F. Verdin, A. Colin et S. Bezault 60, on peut opposer ceux recensés dans l’article de S. Martin-Kilcher 61, qui ont livré des dépôts tout à fait explicites associant statuaire, crânes humains, bois de cerf et/ou dépôts d’outils (Pforzheim, Regensburg-Harting, Liberchies, Newstead…).

L’origine détritique de la partie supérieure et médiane du comblement ne constitue pas un contre-argument, si l’on se réfère à la démonstration effectuée par A. Gorgues et P. Moret 62 à partir des puits de Vieille Toulouse, reprise P. Gruat et L. Izac-Imbert 63 au sujet des cavités du Ruthénois : le fait que les puits soient majoritairement comblés de déchets domestiques, accumulés en strate jusqu’au sommet des cavités, n’est pas incompatible avec la présence, à leur base, de dépositions symboliques contemporaines de leur utilisation ou de leur abandon. Marqueurs d’un culte chtonien ou propitiatoire lié aux eaux dormantes ? D’un rituel de clôture visant à signifier la condamnation définitive des puits ? Volonté de préserver le potentiel des sources d’eau pour l’avenir ou de ne pas s’attirer les défaveurs des entités gardiennes ? Ces gestes, dont l’interprétation relèvera toujours du domaine de la spéculation, révèlent la complexité du rapport qu’entretenaient les populations de la fin de l’âge du Fer aquitain à l’égard de l’eau et des structures servant à son captage ou à son stockage.

addendum

La poursuite des fouilles en 2014, dans un nouveau secteur d’habitat situé à l’ouest du sanctuaire, a révélé la présence d’un quartier de l’agglomération romaine constitué de plusieurs bâtiments maçonnés construits sur cave, selon le même principe que leurs prédécesseurs d’époque gauloise connus sur l’oppidum. Les espaces de circulation environnants sont occupés par différentes structures liées à l’acquisition, au stockage et à l’évacuation de l’eau. Un petit bassin rectangulaire maçonné d’environ 4 m par 2 m présente exactement les mêmes caractéristiques que les citernes fouillées en marge des bâtiments F et Q (fig. 26 en haut). Son fond enduit de mortier de tuileau assure, en l’occurrence, sa fonction de bassin destiné à retenir et stocker l’eau, puisqu’il ne comporte aucune évacuation visible. Sa localisation en bordure de voirie milite également pour un usage public. Un puits parementé, creusé sur une profondeur d’à peine trois mètres de sorte à capter les infiltrations du sous-sol, vient s’ajouter à la série recensée plus haut (fig. 26 en bas à gauche). Une canalisation en bois, matérialisée par un double alignement de petits blocs

59. Poux 2004, 319 sq., 341.60. Bezault 2012. = entrée absente de la biblio ou Verdin et al. 201261. Martin-Kilcher 2007, non pris en compte par les auteurs.62. Gorgues & Moret 2003.63. Gruat & Izac-Imbert 2007.

| Fig. 25. Citerne romaine 13087 fouillée à l’entrée du sanctuaire de Corent, remplie de centaines de pieds de mouton (d’après Foucras 2013).

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disposés de chant, aboutit dans une fosse de plan ovalaire, dotée d’un emmarchement et d’un surcreusement terminal qui l’identifient à une latrine (fig. 26 en bas à droite). Conforme aux exemples recensés par A. Bouet 64, elle conforte l’hypothèse avancée pour la fosse de même profil fouillée au sein du complexe C. Ces structures hydrauliques sont très similaires à celles recensées dans cet article pour l’oppidum de la fin de l’âge du Fer, dont elles ne se distinguent que par leur mode de construction (mortier de tuileau, parements maçonnés, dalles d’emmarchement en calcaire) et dont elles viennent confirmer rétrospectivement l’interprétation.

64. Bouet 2009.

| Fig. 26. Structures hydrauliques d’époque romaine découvertes en 2014 dans les quartiers d’habitat situés à l’ouest du sanctuaire. bassin ou citerne maçonnée (en haut), puits parementé (en bas à gauche), fosse-latrine avec emmarchement et canalisation (en bas à droite).

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