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BIOFUTUR 279 • JUILLET-AOÛT 2007 35 L e phloème est un tissu vivant dont les éléments fonctionnels majeurs sont les cellules des tubes criblés, qui transportent les produits de la photosynthèse. Ils constituent donc une manne métabolique pour qui saura les localiser et les exploi- ter durablement de manière concurrentielle par rap- port aux autres tissus de la plante (racines, fruits, méristèmes…). Un pipeline alléchant Les caractéristiques majeures de la sève phloémienne, qui façonnent l’ensemble des adaptations métaboliques des pucerons, sont les suivantes : c’est un fluide intracellulaire, particularité rare pour l’aliment exclusif d’un animal, les herbivores s’ali- mentant généralement aux dépens des tissus et organes des plantes. Outre les conséquences en termes de composition, la structure de ce tissu nourricier induit de fortes contraintes quant à la taille des pièces buccales, et donc de l’animal. Par ailleurs, les consé- quences de la quasi-stérilité de cet aliment sont évo- lutivement importantes ; c’est un milieu généralement pauvre en protéines. Il en découle une importance très secondaire de la digestion protéique, et en retour une sensibilité poten- tielle de ces insectes aux toxines protéiques ; c’est un milieu subissant de grandes variations compositionnelles, d’origine physique (lumière, saison…) ou physiologique (stade végétatif, posi- tion architecturale…) ; Comment les pucerons manipulent les plantes Les pucerons ingèrent la sève alors qu’elle circule dans les vaisseaux du phloème, grâce à des pièces buccales modifiées en stylets souples percés d'un canal alimentaire et d'un canal salivaire. Ce dernier leur permet d'injecter dans les tissus végétaux des sécrétions salivaires jouant un rôle fondamental dans la recherche, l’acceptation et la manipulation physiologique des tissus cibles. Philippe Giordanengo*, Gérard Febvay**, Yvan Rahbé** * EA3900 Biologie des plantes et contrôle des insectes ravageurs, université de Picardie Jules Vernes, F-80039, Amiens philippe.giordanengo@ u-picardie.fr ** UMR203 Biologie fonctionnelle insectes et interactions, IFR41, Inra, Insa-Lyon, F-69621 Villeurbanne Pour étudier les différentes étapes conduisant à la prise ali- mentaire, une électrode pénétrographique (EPG) est collée sur le dos du puceron. Électrode (fil d'or de 20 μm de diamètre) Glue argentique , © PLATE-FORME MICROSCOPIQUE/UNIV. PICARDIE

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BIOFUTUR 279 • JUILLET-AOÛT 2007 35

Le phloème est un tissu vivant dont les élémentsfonctionnels majeurs sont les cellules des tubescriblés, qui transportent les produits de laphotosynthèse. Ils constituent donc une manne

métabolique pour qui saura les localiser et les exploi-ter durablement de manière concurrentielle par rap-port aux autres tissus de la plante (racines, fruits,méristèmes…).

Un pipeline alléchant

Les caractéristiques majeures de la sève phloémienne,qui façonnent l’ensemble des adaptations métaboliquesdes pucerons, sont les suivantes :• c’est un fluide intracellulaire, particularité rare pour

l’aliment exclusif d’un animal, les herbivores s’ali-mentant généralement aux dépens des tissus etorganes des plantes. Outre les conséquences en termesde composition, la structure de ce tissu nourricierinduit de fortes contraintes quant à la taille des piècesbuccales, et donc de l’animal. Par ailleurs, les consé-quences de la quasi-stérilité de cet aliment sont évo-lutivement importantes ;

• c’est un milieu généralement pauvre en protéines.Il en découle une importance très secondaire de ladigestion protéique, et en retour une sensibilité poten-tielle de ces insectes aux toxines protéiques ;

• c’est un milieu subissant de grandes variationscompositionnelles, d’origine physique (lumière,saison…) ou physiologique (stade végétatif, posi-tion architecturale…) ;

Comment les puceronsmanipulent les plantesLes pucerons ingèrent la sève alors qu’elle circule dans les vaisseaux duphloème, grâce à des pièces buccales modifiées en stylets souples percésd'un canal alimentaire et d'un canal salivaire. Ce dernier leur permetd'injecter dans les tissus végétaux des sécrétions salivaires jouant un rôlefondamental dans la recherche, l’acceptation et la manipulationphysiologique des tissus cibles.

Philippe Giordanengo*, Gérard Febvay**, Yvan Rahbé** * EA3900 Biologie des planteset contrôle des insectes ravageurs, université de Picardie Jules Vernes, F-80039, [email protected]** UMR203 Biologie fonctionnelle insectes et interactions, IFR41,Inra, Insa-Lyon,F-69621 Villeurbanne

Pour étudier les différentes étapes conduisant à la prise ali-mentaire, une électrode pénétrographique (EPG) est colléesur le dos du puceron.� Électrode (fil d'or de 20 µm de diamètre)� Glue argentique

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Dossier Pucerons, les connaître pour mieux les combattre

• c’est un milieu de transport extrêmement richeen sucres (source non limitante de carboneet d’énergie). Cette caractéristique rappelle celledes fruits et des nectars (1), même si elle en estécologiquement très différente (faible accessibilitéet relation plante-insecte antagoniste). Cette ponc-tion à la source du carbone photosynthétiquepose des problèmes majeurs de compatibilitéphysiologique (gestion de l’eau et des composésdissous) ;

• c’est un milieu éventuellement riche mais très désé-quilibré en acides aminés et particulièrement limitéen acides aminés essentiels non synthétisables par lesanimaux. Cette contrainte, aux conséquences méta-boliques fortes, restreint l’utilisation de cette sourcetrophique aux insectes disposant d’une flore micro-bienne symbiotique pouvant complémenter cette déficience ;

• c’est enfin un milieu quasi exempt de lipides, dontcertains sont également essentiels pour les cellulesanimales. Contrairement au cas de la gestion del’azote, les pucerons semblent avoir trouvé par eux-mêmes la solution aux problèmes biosynthétiquesposés par les lipides et les pigments qui y sont appa-rentés (aphines polycycliques responsables de cer-taines de leurs couleurs prononcées, hors spectrejaune couvert par des caroténoïdes). Leur strictedépendance vis-à-vis de certains composés végétaux(stérols) pour la synthèse de leurs hormones impli-quées dans les processus de croissance et de déve-loppement (mues) des larves (stades dedéveloppement après l’éclosion de l’œuf qui don-nent l’adulte), reste cependant un mystère nonrésolu…

Chacune de ces caractéristiques constitue une bar-rière évolutive importante que les pucerons ont sulever, seuls ou avec l’aide de partenaires microbiens(voir p. 49).

Un comportement alimentaire évolué et complexe

Le puceron insère ses stylets dans les tissus végétauxet les fait pénétrer entre les cellules jusqu’à atteindrele phloème. Au cours de ce transit, il réalise diversesactivités et prélèvements extracellulaires, mais éga-lement des ponctions intracellulaires dans des tis-sus non nourriciers. Ces prélèvements, quis’accompagnent toujours d’une injection de salive,sont déterminants dans le choix de la plante hôte (2),ainsi que pour la localisation des stylets dans lestissus végétaux.Les cellules bordant les vaisseaux phloémiens sontplus ponctionnées que celles des autres tissus, indi-quant une recherche du phloème par échantillonnageet la capacité de l'insecte à reconnaître la compositionchimique des différents types cellulaires rencontrés.Durant cette phase, les organes de l’épipharynx situésdans la cavité buccale jouent un rôle fondamental dansla perception gustative. Les principaux stimuli poten-tiels d’identification du phloème sont le pH, la teneuren certains sucres et acides aminés, ainsi que le poten-tiel redox (résultant de la réactivité des composéschimiques en présence) (3). Ces différentes phases aboutissant à la prise alimen-taire des pucerons ont été étudiées par des techniquesanalytiques ou comportementales dédiées, commela stylectomie (coupure des stylets pour la récolte desève) ou l’électropénétrographie (EPG, figure 1). Ellespermettent, par exemple, de bien comprendre lesmodes de transmission des virus aux végétaux et lerôle de certaines résistances génétiques des plantesdans les mécanismes de leur colonisation par ces rava-geurs (4, 5). L’importance économique des puceronsrepose en partie sur cette étape de sélection de la plantehôte (voir pp. 22 et 40), comme sur leur exceptionnelpotentiel reproducteur (voir pp. 49 et 53).

Figure 1 Exemples de graphes d’EPG(électropénétrographie)

Cette technique mise au point par DL McLean,MG Kinsey (USA) et WF Tjallingii (Pays-Bas)permet de suivre les activités alimentaires despucerons in situ. En bleu, un enregistrementglobal, analogue à ce que pourrait donner unélectrocardiogramme pour les activités élec-triques du cœur humain. Au centre, une coupe transversale de feuille,avec l’emplacement des stylets et des liens surles vues élargies des ondes enregistrées à cha-cune de ces localisations. Les ondes « C »constituent les trajets extracellulaires, les « E »signent l’alimentation phloémienne et les « pd »(pour potential drop, ou chute de potentiel)accompagnent le franchissement d’une mem-brane cellulaire en activité. En vert sont repré-sentées des activités normales, en rouge desactivités signalant des stress locaux, méca-niques (F) ou trophiques (G).(d’après Sauvion, 1996, thèse Insa-Lyon,http://docinsa.insa-lyon.fr/these/pont.php?id=sauvion)

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R

(1) ) Douglas AE (2006) J Exp Bot 57, 747-54(2) Powell G et al. (2006)Annu Rev Entomol 51, 309-30(3) Rahbé Y et al. (2000)pp. 212-236 (Walker, G.P. et al., Eds.) Thomas SayPubl., USA(4) Chen JQ et al. (1997) Eur J Plant Pathol 103, 521-36(5) Kaloshian I, Walling LL(2005) Annu Rev Phytopathol 43, 491-521

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Des insectes « furtifs »

D’un point de vue évolutif, et contrairement à de nom-breux insectes ayant une stratégie de « prédateurs »vis-à-vis des plantes, les pucerons, ainsi que les autresinsectes phloémophages (cochenilles, aleurodes ou « mouches blanches », psylles…), sont des parasites (5)adoptant une stratégie de furtivité. L’enjeu est de nepas affronter les principaux mécanismes de défensedéveloppés par les plantes pour se protéger, qu’ils soientconstitutifs (certains composés toxiques) et s’expri-ment quel que soit l’état de la plante, ou induits parles blessures cellulaires et les sécrétions diverses occa-sionnées lors de la prise alimentaire.Cependant, nous verrons qu’une interaction très par-ticulière s’établit entre la plante et le puceron qui sembleêtre significativement différente de celles engendréespar d’autres insectes. Comme toujours en biologie, desexceptions à cette furtivité existent, et la salive despucerons peut provoquer des toxémies ou des galleschez certaines plantes (voir p. 22).

Les réponses de la plante à l'infestation

Le puceron et la plante se reconnaissent très viteDès l’insertion de leurs stylets dans les tissus végétaux,les pucerons effectuent des prélèvements de contenutissulaire qui leur permettent d’identifier les proprié-tés physico-chimiques de la plante et d’évaluer ainsi sacompatibilité alimentaire. La première couche cellu-laire est ponctionnée, ainsi que les cellules bordantle trajet vers le phloème, tout comme les fluides ducompartiment intercellulaire. Selon l’espèce de puce-ron et la gamme de plantes susceptibles de l’héber-ger (souvent très restreinte, parfois très large pourles espèces d’importance agronomique), les stimuli depoursuite de l’exploration alimentaire se situent à cesdifférents niveaux (temps de réaction allant de la minuteà quelques heures).À l’inverse, les activités des stylets durant la recherchedu phloème (salivations extra- et intracellulaires, ponc-tions cellulaires) peuvent induire des réactions de laplante dans les quelques minutes suivant la piqûre.C’est le cas de melons exprimant un gène de défense(Vat) (6, 7) sur lesquels les pucerons présentent des com-portements alimentaires très perturbés, conduisantfinalement à l’abandon de la plante après l’atteinte duphloème (4).

Le phloème réagit localementLe phloème, quant à lui, contient de nombreusesprotéines phloémiennes (protéines P) intervenantdans le colmatage des blessures de ce tissu. De lacallose peut également se déposer après plusieursminutes et obstruer les vaisseaux, ralentissant for-tement le flux de sève et empêchant la prise ali-mentaire des pucerons. L’insertion des stylets dansdes cellules phloémiennes pauvres en calcium s’ac-compagne au point d’insertion d’un influx de cal-cium (figure 2), amplifié par l’induction des canauxcalciques facilitant le passage de l’ion à travers lamembrane (8). Cet influx calcique peut initier des cascades de signa-lisation à longue distance et ainsi réguler la réponsesystémique de la plante (réponse généralisée à la

plante entière). Chez les Fabacées, les forisomes, desstructures protéiques très sensibles à l’arrivée de cal-cium, s’y lient pour former de très grosses structuresprotéiques capables d’obturer les tubes criblés, stop-pant immédiatement le flux de nutriments. Chezd’autres espèces végétales, la capacité des protéines Pà se lier au calcium n’a pas été démontrée, exceptépour certaines enzymes (protéines kinases) (9). Ilest cependant très probable que la signalisation cal-cique associée à la balance redox et aux moléculesd’oxygène réactives (H2O2, OH-…) soient les élé-ments majeurs contrôlant réponse et tolérance descellules du phloème à l’alimentation des pucerons (8).L’influx de Ca++ a également un effet direct sur laproduction de callose, polymère glucidique (1,3-β-glucane, également majoritaire dans la paroi cellu-laire des champignons) qui est impliqué dans ladéfense à la blessure, et synthétisé par une enzymerégulée par le calcium.

Alimentationpuceron

Contexte génétiquede résistance

Contexte génétique de compatibilité

Reconnaissance de l'acte alimentairepar interaction de type gène-à-gène

Reconnaissance de l'acte alimentairepar dommages spécifiques des pucerons(parois, cellules ponctionnées, phloème)

Formation de la signalisation des réactions de défense de la plante

gradient d'intensité, résistances +/- fortes

O2 + acide α-linolénique

peroxydes d'acides gras

acide 12-oxodécanoïque

acide 12-oxo-phytodiénoïque(OPDA)

acide jasmonique(JA, MeJA)

Défenses chimiques spécifiques des insectes (et/ou des pucerons)

degré variable de spécificité botanique (arsenal toxique plante) ou de cibles (sensibilité de l'insecte)

NOETSA

H2O2, ROS

ABA, GA

dégâts oxydatifs directsdes pucerons

gradient d'intensité ± spécifique anti-pucerons

degré variable de spécificité taxonomique

Protéines PR

signalisationphloème-spécifique

?

??

Calcium

Gènes R (Vat, Mi, Rm, Akr...)

Figure 2 Voies de signalisations déclenchéeschez les plantes par des agressions d’insectes phloémophages tels que les pucerons Les métabolites clefs de signalisation figurent en noir (SA :acide salicylique ; ET : éthylène ; NO : oxyde nitrique ; ABA :acide abscissique ; GA : acide gibbérellique ; ROS : espècesréactives de l’oxygène ; MeJA : ester méthylique de l’acidejasmonique). Certains gènes de résistance (« gènes R »)contrôlant le déclenchement des cascades de défenses sontmentionnés en vert.Les points d’interrogation symbolisent des inconnues ou lanon caractérisation d’une voie (d’après Smith et Boyko, 2007,doi://10.1111/j.1570-7458.2006.00503.x).

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R

(6) Silberstein L et al. (2003)Genome 46, 761-73(7) Dogimont C et al. (2003)Gène de résistance à Aphis gossypii. FR 0300287(Inra, brevet)(8) Will T et al. (2007) PNAS, doi: 10.1073/pnas.0703535104(9) Yoo BC et al. (2002) J Biol Chem 277, 15325-32

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Dossier Pucerons, les connaître pour mieux les combattre

La plante réagit globalementL’insertion des stylets s’accompagne également de lalibération dans le phloème de molécules d’oxygèneréactives (10 à 12) responsables de l'induction d'uneréponse de défense systémique et spécifique, et cepatron de réaction semble s’appliquer à toutes les dico-tylédones (13).L’attaque par un insecte phytophage de type brouteur,qui prélève des portions de feuille ou de tige, se traduitpar une activation des voies jasmonates/éthylène, condui-sant à la production et à l’accumulation de nombreusesprotéines ou de composés secondaires (inhibiteurs deprotéases, polyphénoloxydases, peroxydases, phényl-propanoïdes…). En revanche, l’attaque par un patho-gène (virus, bactérie ou champignon) s’accompagnede la production de radicaux oxygénés actifs et induitles voies de signalisation du salicylate. Elle conduit éga-lement à la production locale ou systémique de « patho-genesis-related proteins » (protéines PR), et s’accompagnedans certains contextes génétiques de réactions d’hyper-sensibilité, incluant un syndrome de mort cellulaire pro-grammée qui limite l’extension de l’infection.Par comparaison aux deux réactions précédentes, l’agres-sion par les pucerons peut activer partiellement les deuxvoies de signalisation décrites (figure 2), mais privilégiela voie salicylate, se traduisant par la production de pro-téines PR (10), avec cependant de nombreux cas d’hyper-sensibilité sous contrôle génétique simple (14). En plus del’implication majeure de l’une de ces deux voies cano-niques, d’autres gènes activés montrent une réponse systémique spécifique au compartiment phloémien de laplante (12). Ainsi, malgré la similitude avec la réponse auxpathogènes, l’agression aphidienne semble induire chezla plante une réponse spécifique qui reste à déchiffrer.Sensibles à divers effecteurs de la voie des jasmonate/éthy-lène, comme certaines enzymes ou inhibiteurs de pro-téases, les pucerons tentent d’en limiter l’induction.

La manipulation de la plantepar les pucerons

Contournement des défenses induitesLors des phases de piqûre de sondage et de pénétrationdans le phloème, les pucerons relarguent plusieurs typesde salive (figure 3) jouant un rôle fondamental dans l’ac-ceptation de la plante hôte (15, 16). À la surface de laplante, les pucerons déposent une petite quantité desalive gélifiante ; cette salive, sécrétée ensuite en continulors du cheminement des stylets entre les cellules, formeune gaine qui isole ces derniers des tissus de la plante.Outre un hypothétique rôle mécanique, cette gaine joueun rôle de barrière chimique limitant les flux calciquestransmembranaires impliqués dans la réponse rapidedes plantes à la pénétration des stylets dans les vaisseauxphloémiens (8), mais probablement également aux espècesréactives de l’oxygène.La salive liquide constitue le deuxième type de saliveproduit par les pucerons. Lorsqu’un puceron effectueune ponction, par exemple de sève élaborée, il injecteen premier lieu de la salive liquide dans les vaisseaux duphloème. À cet instant, la valve du canal alimentaire seferme, empêchant l’ingestion de sève (17). La salive liquidejoue une part importante dans le contournement desdéfenses immédiates de la cellule végétale. Elle pourraitse lier au calcium ou à l’oxygène actif, inhibant ainsileur rôle dans la coagulation des protéines phloémiennesou les dépôts de callose. Elle pourrait également inhi-ber directement la coagulation des protéines phloé-miennes ou même hydrolyser la callose (8). Une fonctiondigestive est par ailleurs soupçonnée pour cette salive,car une fraction du flux sécrété dans la cellule phloé-mienne est vraisemblablement ingérée par l’insecte viale flux alimentaire entrant (17) (figure 3).

Altérations métaboliquesAfin de compenser en partie les carences composi-tionnelles de la sève phloémienne, les pucerons sontcapables d'accroître le flux de phloème, mais aussi d'in-duire une augmentation systémique des taux d'acidesaminés circulants, dont les acides aminés essentiels. Enoutre, ils semblent également capables d’induire uneaccumulation phloémienne locale de glucides, auxdépens des autres tissus de la plante (18). Cette mani-pulation trophique se manifeste de façon exacerbéedans le cas des pucerons galligènes, étudiés depuis long-temps pour leur manipulation locale et systémique dela signalisation hormonale de l’hôte.Parce qu’ils s’alimentent exclusivement aux dépens dela sève élaborée des plantes, les pucerons ont développétout un arsenal d’adaptations tant morphologiquesque physiologiques leur permettant d’exploiter cetteressource trophique difficilement accessible, aux pro-priétés physico-chimiques très particulières et siège del’expression des mécanismes de résistance systémiqueinduite (distribution des signaux de défense à l’échellede la plante). Du fait de l’intimité de cette interaction,le modèle puceron-plante constitue un exemple main-tenant bien étudié de coévolution plante-insecte. �

Phloème

Tube criblé

salive intracellulaire phloémienne

salive de piqure intracellulairesalive extracellulaire de la gaine

salive liquide réingérée

Stylets

3

2

4

Puceron

2

34

1

1

Cellulecompagne

Plante

Épiderme

Rostre

Figure 3 Les quatre salives des puceronsdétectées par EPG Une salive gélifiante extracellulaire (cercle plein) et troissalives liquides injectées dans les cellules (cercles vides).Seule l’une d’entre elles possède une fonction digestivepotentielle (4) (d’après Tjallingii WF, 2006).

© D

R

(10) Moran PJ, ThompsonGA (2001) Plant Physiol 125,1074-85(11) Thompson GA, Goggin FL(2006) J Exp Bot 57,755-66(12) Divol F et al. (2005)Plant Mol Biol 57, 517-40(13) Kehr J (2006) J Exp Bot57, 767-74(14) Sauge MH et al. (2006)Oikos 113, 305-313(15) Miles PW (1999) Biol Rev 74, 41-85(16) Cherqui A, Tjallingii WF(2000) J Insect Physiol 46,1177-86(17) Tjallingii WF (2006) J Exp Bot 57, 739-45,doi://10.1093/jxb/erj088(18) Girousse C et al. (2003)New Phytologist 157, 83-92

Pour en savoir plus

� www.biocel.versailles.inra.fr/phloem/index.html� http://jxb.oxfordjournals.org/content/vol57/issue4

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