comment la berbérie est devenue le maghreb arabe - gabriel camps

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  • 7/29/2019 Comment la Berbrie est devenue le Maghreb arabe - Gabriel Camps

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    Revue de l'Occident Musulman et de la Mditerrane, 35, 1983-1.

    COMMENT LA BERBRIEEST DEVENUE LE MAGHREB ARABE

    par Gabriel CAMPS

    Les pays de l'Afrique du Nord sont aujourd'hui des Etats musulmans qu i revendiquent, ajuste titre, leur double appartenance la communaut musulmane et aumonde arabe. Or ces tats, aprs bien des vicissitudes, ont pris la lointaine succession'une Afrique qui, la fin de l'Antiquit, appartenait aussi srement au mondechrtien et la communaut latine. Ce changement culturel, qu i peut passer pourradical, ne s'est cependant accompagn d'aucune modification ethnique importante :ce sont bien les mmes hommes, ces Berbres dont beaucoup se croyaient romains etdont la plupart se sentent aujourd'hui arabes.Comment expliquer cette transformation, qu i apparat d'autant plus profondequ'il subsiste, dans certains de ces Etats mais dans des proportions trs diffrentes,des groupes qui, tout en tant parfaitement musulmans, ne se considrent nullementarabes et revendiquent aujourd'hui leur culture berbre (1) ?Il importe, en premier lieu, de distinguer l'Islam de l'arabisme. Certes, cesdeux concepts, l'un religieux, l'autre ethno-sociologique, sont trs voisins l'un del'autre puisque l'Islam est n chez les Arabes et qu'il fut, au dbut, propag par eux.Il existe cependant au Proche-Orient des populations arabes ou arabises qui sontdemeures chrtiennes, et on dnombre des dizaines de millions de musulmans qu ine sont ni arabes ni mme arabiss (Noirs africains, Turcs, Iraniens, Afghans, Pakistanais, Indonsiens...). Tous les Berbres auraient pu, comme les Perses et les Turcs,tre islamiss en restant eux-mmes, en conservant leur langue, leur organisationsociale, leur culture. Apparemment, cela leur aurait mme t plus facile puisqu'ilstaient plus nombreux que certaines populations qu i ont conserv leur identit ausein de la communaut musulmane et qu'ils taient plus loigns du foyer initial del'Islam.Comment expliquer, aussi, que les provinces romaines d'Afrique, qu i avaientt vanglises au mme rythme que les autres provinces de l'Empire romain et qu ipossdaient des glises vigoureuses, aient t entirement islamises alors qu'auxportes de l'Arabie ont subsist des populations chrtiennes : Coptes des pays du Nil,Maronites du Liban, Nestoriens et Jacobites de Syrie et d'Iraq ?Pour rpondre ces questions, l'historien doit remonter bien au-del de l'vnement que fu t la conqute arabe du Vile sicle. Cette conqute, si elle permit Fisla-

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    8 G. CAMPSmisation, ne fu t pas, cependant, la cause dterminante de l'arabisation. Celle-ci, quilui fu t postrieure de plusieurs sicles et qui n'est pas encore acheve, a des raisonsbeaucoup plus profondes ; en fait, ds la fin de l'Empire romain, nous assistons unscnario qu i en est comme l'image prophtique.La fin d'un monde

    Rome avait domin l'Afrique, mais les provinces qu'elle y avait tablies : Africa(divise en Byzacne et Zeugitane), Numidie d'o avait t retranche la Tripolitai-ne, les Maurtanies Sitifienne, Csarienne et Tingitane, avaient t romanises desdegrs divers. En fait, il y eut deux Afrique romaines : l'est, la province d'Afriqueet son prolongement militaire, la Numidie, taient trs peupls, prospres et largement urbaniss ; l'ouest, les Maurtanies taient des provinces de second ordre,limites aux seules terres cultivables du Tell, alors qu'en Numidie et surtout enTripolitaine, Rome est prsente jusqu'en plein dsert. Aprs le 1er sicle, toutes lesgrandes rvoltes berbres qu i secourent l'Afrique romaine eurent pour sige lesMaurtanies.Nanmoins Rome avait russi, pendant quatre sicles, contrler les petitsnomades des steppes ; grce au systme complexe du limes, elle contrlait et filtraitleurs dplacements vers le Tell et les rgions mises en valeur. C'tait une organisationu terrain en profondeur, comprenant des fosss, des murailles qui barraient lescols, des tours de guet, des fermes fortifies et des garnisons tablies dans des cas-tella. R. Rebuffat, qui fouille un de ces camps Ngem (Tripolitaine), a retrouv lesmodestes archives de ce poste Ces archives sont des ostraca, simples tessons surlesquels taient mentionns, en quelques mots, les moindres vnements : l'envoi enmission d'un lgionnaire chez les Garamantes, ou le passage de quelques Garaman-tes conduisant quatre bourricots (Garamantes ducentes asinos IV...). Ds le Ilesicle, des produits romains, amphores, vases en verre, bijoux taient imports parles Garamantes jusque dans leurs lointains ksour du Fezzan et des architectesromains construisaient des mausoles pour les familles princires de Garama(Djerma). Lgionnaires et auxiliaires patrouillaient le long de pistes jalonnes deciternes et de postes militaires autour desquels s'organisaient de petits centresagricoles.Trois sicles plus tard, la domination romaine s'effondre ; ce dsert paisibles'est transform en une bouche de l'enfer, d'o se ruent, vers les anciennesprovinces, de farouches guerriers, les Levathae, les mmes que les auteurs arabesappelleront plus tard Louata, qu i appartiennent au groupe botr. Ces nomades chameliers, enus de l'est, pntrent dans les terres mridionales de la Byzacne et deNumidie qui avaient t mises en valeur au prix d'un rude effort soutenu pendant dessicles et font reculer puis disparatre l'agriculture permanente, en particulier ces olivettes dont les huileries ruines parsment aujourd'hui une steppe dsole (2).Cette irruption de la vie nomade dans l'Afrique utile devait avoir des consquences incalculables. Modifiant durablement les genres de vie, elle prpare etannonce l'arabisation.

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    COMMENT LA BERBRIE EST DEVENUE LE MAGHREB ARABE 9Le second vnement historique qu i bouleversa la structure sociologique dumonde africain fut la conqute arabe.Cette conqute fut facilite par la faiblesse des Byzantins qu i avaient dtruit leroyaume vandale et reconquis une partie de l'Afrique (533). Mais l'Afrique byzantine 'est plus l'Afrique romaine. Depuis deux sicles, ce malheureux pays tait laproie de l'anarchie ; tous les ferments de dsorganisation et de destruction conomi

    que'taient rassembls. Depuis le dbarquement des Vandales (429), la plus grandepartie des anciennes provinces chappait l'administration des Etats hritiers deRome. Le royaume vandale, en Afrique, ne s'tendait qu' la Tunisie actuelle et une faible partie de l'Algrie orientale limite au sud par l'Aurs et l'est par lemridien de Constantine.Ds la fin du rgne de Thrasamond, vers 520, les nomades chameliers du groupeznte pntrent en Byzacne sous la conduite de Cabaon (3). A partir de cette date,Vandales puis Byzantins doivent lutter sans cesse contre leurs incursions.Le pome pique du dernier crivain latin d'Afrique, la Johannide de Corippus,raconte les combats que le commandant des forces byzantines, Jean Troglita, dutconduire contre ces terribles adversaires allis aux Maures de l'intrieur. CesBerbres Laguantan (= Levathae = Louata) sont rests paens. Ils adorent un dieureprsent par un taureau nomm Gurzil et un dieu guerrier, Sinifere (4). Leurschameaux, qu i effrayent les chevaux de la cavalerie byzantine, sont disposs encercle et protgent ainsi femmes et enfants qui suivent les nomades dans leursdplacements.Du reste de l'Afrique, celle que C. Courtois avait appele l'Afrique oublie, etqui correspond, en gros, aux anciennes Maurtanies, nous ne connaissons, pour cettepriode de deux sicles, que des noms de chefs, de rares monuments funraires(Djedars prs de Sada, Gour prs de Mekns) et les clbres inscriptions de Masties, Arris (Aurs), qui s'tait proclam empereur, et de Masuna, roi des tribus maureset des Romains Altava (Oran ie). On devine, travers les bribes transmises par leshistoriens comme Procope et par le contenu mme de ces inscriptions, que l'inscurit n'tait pas moindre dans ces rgions libres (5).Les querelles thologiques sont un autre ferment de dsordre, elles ne furentpas moins fortes chez les Chrtiens d'Afrique que chez ceux d'Orient. L'Eglise, qu iavait eu tant de mal lutter contre le schisme donatiste, est affaiblie, dans le royaumeandale, par les perscutions, car l'arianisme est devenu religion d'Etat. L'orthodoxieriomphe certes nouveau ds le rgne d'Hildric. Les listes piscopales duConcile de 525 rvlent combien l'glise africaine avait souffert pendant le sicle quisuivit la mort de Saint Augustin. Non seulement de nombreux vchs semblentavoir dj disparu, mais surtout le particularisme provincial et le repliement accompagnent la rupture de l'Etat romain.La reconqute byzantine fut, en ce domaine, encore plus dsastreuse (6). Ellerintroduisit en Afrique de nouvelles querelles sur la nature du Christ : le Mo-nophysisme et la querelle des Trois Chapitres, sous Justinien, ouvrent la priodebyzantine en Afrique ; la tentative de conciliation propose par Hraclius, le Mono-thlisme, son tour condamn comme une nouvelle hrsie, clt cette mmepriode. Alors mme que la conqute arabe est commence, une nouvelle querelle,

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    10 G. CAMPSne de l'initiative de l'empereur Constant II, celle du Type, dchire encore l'Afriquechrtienne (648).En mme temps s'accroit la complexit sociologique, voire ethnique, du pays.Aux romano-africains des villes et des campagnes, parfois trs mridionales (commela socit paysanne que font connatre les Tablettes Albertini, archives notarialessur bois de cdre, trouves une centaine de kilomtres au Sud de Tbessa) (7) et auxMaures non romaniss issus des gentes paloberbres, se sont ajouts les nomadeszntes, les Laguantan et leurs mules, les dbris du peuple vandale, le corpsexpditionnaire et les administrateurs byzantins qui sont des Orientaux. Cette socitevient de plus en plus cloisonne dans un pays o s'estompe la notion mme del'Etat.C'est dans un pays dsorganis, appauvri et dchir qu'apparaissent, au milieudu Vile sicle, les conqurants arabes.La conqute arabe

    La conqute arabe, on le sait, ne fut pas une tentative de colonisation, c'est--dire une entreprise de peuplement. Elle se prsente comme une suite d'oprationsexclusivement militaires, dans lesquelles le got du lucre se mlait facilement l'esprit missionnaire. Contrairement une image trs rpandue dans les manuelsscolaires, cette conqute ne fu t pas le rsultat d'une chevauche hroque, balayanttoute opposition d'un simple revers de sabre.Le Prophte meurt en 632 ; dix ans plus tard les armes du Calife occupaientl'Egypte et la Cyrnaque (l'Antbulus, corruption de Pentapolis). En 643, ellespntrent en Tripolitaine, ayant Amr ben al-A leur tte. Sous les ordres d'IbnS'd, gouverneur d'Egypte, un raid est dirig sur les confins de l'Ifriqya (dformationrabe du nom de l'ancienne Africa), alors en proie des convulsions entreByzantins et Berbres rvolts et entre Byzantins eux-mmes. Cette opration rvla la fois la richesse du pays et ses faiblesses. Elle alluma d'ardentes convoitises.L'historien En-Noweiri dcrit avec quelle facilit fut leve une petite arme, composee contingents fournis par la plupart des tribus arabes, qui partit de Mdine enoctobre 647. Cette troupe ne devait pas dpasser 5 000 hommes, mais en Egypte, IbnS'd, qu i en prit le commandement, lui adjoignit un corps lev sur place qui porta 20 000 le nombre de combattants musulmans. Le choc dcisif contre les Roms(Byzantins) commands par le patrice Grgoire eut lieu prs de Suffetula (Sbeitla),en Tunisie. Grgoire fu t tu. Mais, ayant pill le plat pays et obtenu un tribut considrable des cits de Byzacne, les Arabes se retirrent satisfaits en 648. L'oprationn'avait pas eu d'autre but. Elle aurait dur quatorze mois.La conqute vritable ne fu t entreprise que sous le calife Moawia, qui confia lecommandement d'une nouvelle arme Moawia ibn Hodeidj en 666. Trois ans plustard semble-t-il (8), Oqba ben Naf fonde la place de Kairouan, premire ville musulmaneau Maghreb. D'aprs les rcits, transmis avec de nombreuses variantes par lesauteurs arabes, Oqba multiplia, au cours de son second gouvernement, les raids versl'Ouest, s'empara de villes importantes, comme Lambse qui avait t le sige de la

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    COMMENT LA BERBRIE EST DEVENUE LE MAGHREB ARABE 11Ille Lgion et la capitale de la Numidie romaine. Il se dirigea ensuite vers Tahert,prs de la moderne Tiaret, puis atteignit Tanger, o un certain Yulin (Julianus) luidcrivit les Berbres du Sous (Sud marocain) sous un jour fort peu sympathique :C'est, disait-il, un peuple sans religion, ils mangent des cadavres, boivent le sang deleurs bestiaux, vivent comme des animaux car ils ne croient pas en Dieu et ne leconnaissent mme pas. Dqba en fit un massacre prodigieux et s'empara de leursfemmes qu i taient d'une beaut sans gale. Puis Oqba pntra cheval dansl'Atlantique, prenant Dieu tmoin qu'il n'y avait plus d'ennemis de la religion combattre ni d'infidles tuer (9).Ce rcit, en grande partie lgendaire, doubl par d'autres qui font aller Oqbajusqu'au fin fond du Fezzan avant de combattre dans l'extrme Occident, fait bonmarch de la rsistance rencontre par ces expditions. Celle d'Oqba finit mme parun dsastre qui compromit pendant cinq ans la domination arabe en Ifriqya. Le chefberbre Koceila, un Aourba donc un Brnis, dj converti l'Islam, donna le signalde la rvolte. La troupe d'Oqba fut crase sur le chemin du retour, au Sud de l'Aurs(10), et lui-mme fut tu Tehuda, prs de la ville qu i porte son nom et renferme sontombeau, Sidi Oqba. Koceila marcha sur Kairouan et s'empara de la cit. Ce quirestait de l'arme musulmane se retira jusqu'en Cyrnaque. Campagnes et expditionse succdent presque annuellement. Koceila meurt en 686, Carthage n'est prisepar les Musulmans qu'en 693 et Tunis fonde en 698. Pendant quelques annes, larsistance fu t conduite par une femme, une Djeraoua, une des tribus zntesmatresses de l'Aurs. Cette femme, qui se nommait Dihya, est plus connue sous lesobriquet que lui donnrent les Arabes : la Kahina (la devineresse). Sa mort, vers700 (11), peut tre considre comme la fin de la rsistance arme des Berbrescontre les Arabes. De fait, lorsqu'en 711 Tarq traverse le dtroit auquel il a laissson nom (Djebel el Tarq : Gibraltar) pour conqurir l'Espagne, son arme est essentiellement compose de contingents berbres, de Maures.En bref, les conqurants arabes, peu nombreux mais vaillants, ne trouvrentpas en face d'eux un Etat prt rsister une invasion, mais des opposants successifsle patrice byzantin, puis les chefs berbres (12), principauts aprs royaumes,tribus aprs confdrations. Quant la population romano-africaine, les Afariq,enferme dans les murs de ses villes, bien que fort nombreuse, elle n'a ni la possibiliti la volont de rsister longtemps ces nouveaux matres envoys par Dieu. Lacapitation impose par les Arabes, le Kharadj, n'tait gure plus lourde que lesexigences du fisc byzantin, et, au dbut du moins, sa perception apparaissait pluscomme une contribution exceptionnelle aux malheurs de la guerre que comme uneimposition permanente. Quant aux pillages et aux prises de butin des cavaliersd'Allah, ils n'taient ni plus ni moins insupportables que ceux pratiqus par lesMaures depuis deux sicles. L'Afrique fu t donc conquise, mais comment fut-elle islamise puis arabise ?Les voies de la conversion

    Nous avons dit qu'il fallait distinguer l'islamisation de l'arabisation. De fait, lapremire se fit un rythme bien plus rapide que la seconde. La Berbrie devient

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    12 G. CAMPSmusulmane en moins de deux sicles (Vile - Ville sicles), alors qu'elle n'est pasencore aujourd'hui entirement arabise, treize sicles aprs la premire conqutearabe.L'islamisation et la toute premire arabisation furent d'abord citadines (13). Lareligion des conqurants s'implanta dans les villes anciennes que visitaient desmissionnaires guerriers puis des docteurs voyageurs, rompus aux discussions thologiques. La cration de villes nouvelles, vritables centres religieux comme Kairouan,premire fondation musulmane (670), et Fez, cration d'Idriss II (809), contribua implanter solidement l'Islam aux deux extrmits du pays.La conversion des Berbres des campagnes, sanhadja ou zntes, se fit plusmystrieusement. Ils taient certes prpars au monothisme absolu de l'Islam par ledveloppement rcent du christianisme mais aussi par un certain proslytisme judaque ans les tribus nomades du Sud.De plus, comme aux chrtiens orientaux, l'Islam devait paratre aux Africainsplus comme une hrsie chrtienne (il y en avait tant !) que comme une nouvellereligion ; cette indiffrence relative expliquerait les frquentes apostasies certainement lies aux fluctuations politiques (14).Quoi qu'il en soit, la conversion des chefs de fdrations, souvent plus pour desraisons politiques que par conviction, rpandit l'Islam dans le peuple. Les contingentsberbres, conduits par ces chefs dans de fructueuses conqutes faites au nomde l'Islam, furent amens tout naturellement la conversion.La pratique des otages pris parmi les fils de princes ou de chefs de tribus peutavoir galement contribu au progrs de l'Islam. Ces enfants islamiss et arabiss, deretour chez leurs contribules, devenaient des modles car ils taient aurols duprestige que donne une culture suprieure.Trs efficaces bien que dangereux pour l'orthodoxie musulmane avaient t,dans les premiers sicles de l'Islam, les missionnaires khardjites venus d'Orient qui,tout en rpandant l'Islam dans les tribus surtout zntes, sparrent une partie desBerbres des autres musulmans. Si le schisme khardjite ensanglanta le Maghreb plusieurs reprises, il eut le mrite de conserver toutes les poques, la ntre comprise, une force religieuse minoritaire mais exemplaire par la rigueur de sa foi etl'austrit de ses moeurs.Autres missionnaires et grands voyageurs : les da chargs de rpandre ladoctrine chiite. Il faut dire qu'en ces poques qui, en Europe comme en Afrique,nous paraissent condamnes une vie concentrationnaire en raison de l'inscurit,les clercs voyagent beaucoup et fort loin. Ils s'instruisent auprs des plus clbresdocteurs, se mettant dlibrment leur service, jusqu'au jour o ils prennentconscience de leur savoir, de leur autorit, et deviennent matres leur tour, laborant arfois une nouvelle doctrine. Ce fut, entre autres, l'histoire d'Ibn Toumert, fondateur du mouvement almohade (1120) qui donna naissance un empire.

    Pour gagner le coeur des populations, dans les villes et surtout les campagnes,les missionnaires musulmans eurent recours surtout l'exemple. Il fallait montrer ces Maghrbins, dont la religiosit fut toujours trs profonde, ce qu'tait la vraiecommunaut des Dfenseurs de la Foi.

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    COMMENT LA BERBRIE EST DEVENUE LE MAGHREB ARABE 13Le ribt en fut l'exemple achev (15). Ce fut la fois un couvent et une garnison, base d'opration contre les infidles ou les hrtiques. Le ribt peut treimplant n'importe o, sur le littoral ou l'intrieur des terres, comme le Ribt Taza,

    partout o la dfense de la Foi l'exige. Les moines-soldats qu i occupent ces chteauxs'entranent au combat et s'instruisent aux sources de l'orthodoxie la plus rigoureuse.'Age d'or des ribts fut le IXe sicle, en Ifriqya, o les fondations pieuses desmirs aghlabites se multiplient de Tripoli Bizerte, particulirement sur les ctes del'ancienne Byzacne. Le ribt de Monastir, le plus clbre (il suffisait d'avoir tenugarnison pendant trois jours pour gagner le paradis !), fut construit en 796, celui deSousse en 821. A l'autre extrmit du Maghreb, sur la cte atlantique, une autreconcentration de ribts assure la dfense de l'Islam sur le plan militaire et sur celuide l'orthodoxie, aussi bien contre les pillards normands que contre les hrtiquesBargwarta. L'un d'eux, de fondation assez tardive par l'almohade Yaqoub el-Mansour, devait devenir la capitale du royaume chrifien en conservant le nom deRabat. Arcila, au nord, Safi, Qoiiz et surtout Masst, au sud, compltent la dfenselittorale du Maghreb el-Aqsa.Ces morabiton sont aussi des ibad, hommes de prire ; les gens des ribtssavent, le cas chant, devenir des rformateurs zls et efficaces. Ceux qui parmi lesLemtouna et les Guezoula, tribus sanhadja du Sahara occidental, avaient sous lafrule d'Ibn Yasin fond un ribt dans une le du Sngal, furent, au dbut du Xlesicle, l'origine de l'empire almoravide dont le nom est une dformation hispaniquee morabiton.Dans les zones non menaces, le ribt perdit son caractre militaire pour devenire sige de religieux trs respects. Des confrries, qu'il serait exagr d'assimileraux ordres religieux chrtiens, s'organisrent, aux poques rcentes, en prenantappui sur des centres d'tudes religieuses, les zaouas, qu i sont les hritiers desanciens ribts. Ce mouvement, souvent ml de mysticisme populaire, est li aumaraboutisme, autre mot driv du ribt. Le maraboutisme contribua grandement achever l'islamisation des campagnes, au prix de quelques concessions secondaires des pratiques antislamiques qui n'entament pas la fo i du croyant.Il fut cependant des parties de la Berbrie o l'Islam ne pntra que tardivement,non pas dans les groupes compacts des sdentaires montagnards qui, aucontraire, jourent trs vite un rle important dans l'Islam maghrbin, comme lesKetama de Petite Kabylie ou les Masmouda de l'Atlasmarocain, mais chez les grandsnomades du lointain Hoggar et du Sahara mridional. Il semble qu'il y eut, chez les.Touareg, si on en croit leur tradition, une islamisation trs prcoce, oeuvre desSohba (Compagnons du Prophte) ; mais cette islamisation, si elle n'est pas lgendaire, n'eut gure de consquence, et l'idoltrie subsista jusqu' ce que des missionnairesintroduisent l'Islam au Hoggar, sans grand succs semble-t-il. En fait la vritable islamisation ne semble gure antrieure au XVe sicle.Il est mme un pays berbrophone qui ne fut jamais islamis : les les Canaries,dont les habitants primitifs, les Guanches (16), taient rests paens au moment de laconqute normande et espagnole, aux XlVe et XVe sicles.

    L'islamisation des Berbres ne fit pas disparatre immdiatement toute trace dechristianisme en Afrique. Les gographes et chroniqueurs arabes sont particulire-

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    14 G. CAMPSment discrets sur le maintien d'glises africaines quelques sicles aprs la conquteet la conversion massive (?) des Berbres ; ce n'est que rcemment que les historiensse sont vraiment intresss cette question.Les royaumes romano-africains qui s'taient constitus pendant les poquesvandale et byzantine taient en majorit chrtiens. L'empereur Masties proclameson christianisme (17), le roi des Ucutamani, qui sont les Kotama des crivainsarabes, se dit servus Dei (18), les souverains qui se faisaient construire les imposants Djedar, monuments funraires de la rgion de Frenda (19), taient aussichrtiens, comme vraisemblablement Masuna, roi des Maures et des Romains enMaurtanie vers 508 et Mastinas, autre prince maure qu i frappa peut-tre monnaievers 535 (20). En fait, seuls des chefs nomades, comme Terna adorateur du taureauGurzil (21), sont encore paens. Tout semble indiquer qu'une part importante despopulations paloberbres dans les anciennes provinces de l'empire romain est van-glise au Vie sicle. Les villes ont laiss les tmoignages les plus nombreux, on nesaurait s'en tonner : basiliques vastes et nombreuses, ncropoles, inscriptions funraires, en particulier la remarquable srie de la lointaine Volubilis qui couvre lapremire moiti du Vile sicle (595-655), celle d'Altava peine plus ancienne (Vesicle), celles encore de Pomaria ou d'Albulae, villes qu i faisaient aussi partie duroyaume de Masuna. On ne doit pas en tirer la conclusion que seule la populationcitadine tait devenue chrtienne : de trs modestes bourgades de Numidie, quin'taient en fait que de gros villages, possdent leurs basiliques ; des textes prcieuxle montrent, tel que celui de Jean de Biclar (22) qui annonce la conversion, vers 570,de gentes qui, comme les Maccuritae, taient restes paennes (23). Faut-il s'tonnere ce qu'El-Bekri affirme qu' l'poque byzantine les Berbres professaient lechristianisme ? Le maintien de communauts chrtiennes en pleine priode musulmane, plusieurs sicles aprs la conqute, ne fait plus, aujourd'hui, aucun doute. Auxdcouvertes pigraphiques, telles les fameuses inscriptions funraires de Kairouan,dates du Xle sicle (24), et celles des spultures chrtiennes d'An Zara et d'EnNgila en Tripolitaine (25), s'ajoute le commentaire de textes jusqu'alors quelque peungligs. T. Lewiki a montr qu'il existait une forte communaut chrtienne parmiles Ibadites, d'abord dans le royaume rostmide de Tahert, ensuite Ouargla (26).Nous connaissons un vch de Qastiliya dans le sud tunisien, tandis que la chancellerie pontificale conserve la correspondance du pape Grgoire VII avec lesvques africains au Xe sicle (27). H.R. Idriss reconnat le maintien de la clbratione ftes chrtiennes en Ifriqya l'poque ziride (28), et Ch . E. Dufourcq, reprenant e texte d'El Bekri, rappelle l'existence d'une population chrtienne et d'uneglise Tlemcen au Xe sicle et propose mme de retrouver la mention de plerinageshrtiens auprs des ribts dans la ville ruine de Cherchel-Caesarea (29). Fortjustement le mme auteur met en rapport la survivance du latin d'Afrique (al-Ltinial-afarq) avec le maintien du christianisme (30).Ce n'est qu'au Xlle sicle que semblent disparatre les dernires communautschrtiennes ; encore cette extinction parat plus le fait d'une perscution que d'unedisparition naturelle. Les califes almohades furent particulirement intolrants.Aprs la prise de Tunis, Abd el-Moumen, en 1159, donne choisir aux juifs et auxchrtiens entre se convertir l'islam ou prir par le glaive. A la fin du sicle, son

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    COMMENT LA BERBRIE EST DEVENUE LE MAGHREB ARABE 15petit-fils, Abou Yousouf Yakoub el-Mansour se vantait de ce qu'aucune glisechrtienne ne subsistait dans ses tats (31).Les mcanismes de l'arabisation

    L'arabisation suivit d'autres voies, bien qu'elle f t prpare par l'obligation deprononcer en arabe les quelques phrases essentielles d'adhsion l'islam. Pendant lapremire priode (VlIe-XIe sicles), l'arabisation linguistique et culturelle fu td'abord essentiellement citadine. Plusieurs villes maghrbines de fondation ancienne, Kairouan, Tunis, Tlemcen, Fs, ont conserv une langue assez classique,souvenir de cette premire arabisation. Cet arabe citadin, en se chargeant deconstructions diverses empruntes aux Berbres, s'est maintenu aussi, d'aprs W.Marais, chez de vieux sdentaires ruraux comme les habitants du Sahel tunisien oude la rgion maritime du Constantinois, ou encore les Traras et les Jebala du Riforiental ; or , ces rgions maritimes sont les dbouchs de vieilles capitales rgionalesarabises de longue date. Cette situation linguistique semble reproduire celle de lapremire arabisation (32). Ailleurs, cette forme ancienne, dont on ignore quelle fu tl'extension, fu t submerge par une langue plus populaire, l'arabe bdouin, quiprsente une certaine unit du Sud tunisien au Rio de Oro remontant largement versle nord dans les plaines de l'Algrie centrale, d'Oranie et du Maroc. Cet arabebdouin fut introduit au Xle sicle par les tribus hilaliennes car ce sont elles, eneffet, qui ont vritablement arabis une grande partie des Berbres.Pour comprendre l'arrive inattendue de ces tribus arabes bdouines, il nousfaut remonter au Xe sicle, au moment o se droulait, au Maghreb central d'abord,puis en Ifriqya, une aventure prodigieuse et bien connue, celle de l'accession au califatdes Fatimides. Alors que les Berbres zntes tendaient progressivement leurdomination sur les Hautes-Plaines, les Berbres autochtones, les Sanhadja, conservaient les territoires montagneux de l'Algrie centrale et orientale. L'une de cestribus qui, depuis l'poque romaine, occupait la Petite Kabylie, les Ketama (33),avait accueilli un missionnaire chiite, Abou Abd Allah, qu i annonait la venue del'Imam dirig ou Mahdi, descendant d'Ali et de Fatima. Abou Abd A llah s'tablitd'abord Tafrout, dans la rgion de Mila ; il organise une milice qu i groupe ses premiers partisans, puis transforme Ikdjan, l'est des Babors, en place forte. Se rvlantun remarquable stratge et meneur d'hommes, il s'empare tour tour de Stif, Bja,Constantine. En mars 909, les Chiites sont matres de Kairouan et proclament Imamle Fatimide Obad Allah, encore prisonnier l'autre bout du Maghreb central, dansla lointaine Sidjilmassa. Une expdition ketama, toujours conduite par l'infatigableAbou Abd Allah, le ramena triomphant Kairouan, en dcembre 909, non sansavoir, au passage, dtruit les principauts kharedjites. La dynastie issue d'ObadAllah, celle des Fatimides, russit donc un moment contrler la plus grande partiede l'Afrique du Nord, mais de terribles rvoltes secouent le pays. La plus grave fu tcelle des Kharedjites, mene par Mahlad ben Kaydd dit Abou Yazid, l'homme l'ne. Mais la dynastie fut une nouvelle fois sauve par l'intervention des Sanhadjadu Maghreb central, sous la conduite de Ziri. Aussi, lorsque les Fatimides, aprs

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    16 G. CAMPSavoir conquis l'Egypte avec l'aide des Sanhadja, tablissent leur capitale au Caire(973), ils laissent le gouvernement du Maghreb leur lieutenant Bologgin, fils deZiri. De cette dcision, qui paraissait sage et qu i laissait la direction du pays unedynastie berbre, devait natre la pire catastrophe que connut le Maghreb.

    En trois gnrations, les Zirides relchent leurs liens de vassalit l'gard ducalife fatimide. En 1045, El-Moezz rejeta le chiisme qu i n'avait pas t accept par lamajorit de ses sujets et proclame la suprmatie du calife abbasside de Bagdad. Pourpunir cette scession, le Fatimide donna le Maghreb aux tribus arabes trop turbulentes qu i avaient migr de Syrie et d'Arabie nomadisant dans le Sais, en HauteEgypte. Certaines de ces tribus se rattachaient un anctre commun, Hilal, d'o lenom d'invasion hilalienne donne cette nouvelle immigration orientale en Afriquedu Nord. Les Bni Hilal, bientt suivis des Bni Soleim, pntrent en friqya en1051. A vrai dire, l'numration de ces tribus et fractions est assez longue mais relativement bien connue, grce au rcit d'Ibn Khaldoun et une littrature populaireappuye sur une tradition orale encore bien vivante, vritable chanson de gesteconnue sous le nom de Taghribt Bani Hilal (la marche vers l'ouest des Bni Hilal). Ily avait deux groupes principaux, le premier form des tribus Zoghba, Athbej, Ryh,Djochem, Rebia et Adi se rattachait Hilal, le second groupe constituait les BniSolem. A ce flot d'envahisseurs succda, quelques dcennies plus tard, un grouped'Arabes ymnites, les Ma'qil, qu i suivirent leur voie propre, plus mridionale etatteignirent le Sud marocain et le Sahara occidental. Des groupes juifs nomadessemblent bien avoir accompagn ces bdouins et contriburent renforcer lescommunauts judaques du Maghreb (34), dont l'essentiel tait d'origine znte.On aurait tort d'imaginer l'arrive de ces tribus comme une arme en marcheoccupant mticuleusement le terrain et combattant dans une guerre sans merci lesZirides, puis leurs cousins, les Hammadites, qui avaient organis un royaumedistinct en Algrie. Il serait faux galement de croire qu'il y eut entre Arabes envahisseurs et Berbres une confrontation totale, de type racial ou national. Les tribusqu i pntrent au Maghreb occupent le pays ouvert, regroupent leurs forces pours'emparer des villes qu'elles pillent systmatiquement, puis se dispersent nouveau,portant plus loin pillage et dsolation.Les princes berbres, Zirides, Hammadites, plus tard Almohades, et Mrinides,n'hsitent pas utiliser la force militaire, toujours disponible, que constituent cesnomades qui, de proche en proche, pntrent ainsi plus avant dans les campagnesmaghrbines.Ds l'arrive des Arabes bdouins, les souverains berbres songent utilisercette force nouvelle dans leurs luttes intestines. Ainsi, loin de s'inquiter de la pntration des Hilaliens, le sultan ziride recherche leur alliance pour combattre sescousins hammadides et donne une de ses filles en mariage au cheikh des Ryh, ce quin'empche pas ces mmes Arabes de battre par deux fois, en 1050 Hadra et en 1052 Kairouan, les armes zirides et d'envahir l'Ifriqya, bientt entirement soumise l'anarchie. Des chefs arabes en profitent pour se tailler de minuscules royaumesaussi phmres que restreints territorialement ; tels sont les mirats de Gabs et deCarthage, ds la fin du Xle sicle. Paralllement, les Hammadides obtiennent le

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    COMMENT LA BERBRIE EST DEVENUE LE MAGHREB ARABE 17concours des Athbej qu i combattent leur cousin Ryh, comme eux-mmes luttentcontre leurs cousins zirides.En 1152, un sicle aprs l'arrive des premiers contingents bdouins, les BniHilal se regroupent pour faire face la puissance grandissante des Almohades,matres du Maghreb el-Aqsa et de la plus grande partie du Maghreb central, mais ilest trop tard et ils sont crass la bataille de Stif. Paradoxalement, cette dfaiten'entrave pas leur expansion, elle en modifie seulement le processus. Les Almohades,uccesseurs d'Abd el-Moumen, n'hsitent pas utiliser leurs contingents et, faitplus grave de consquences, ils ordonnent la' dportation de nombreuses fractionsRyh, Athbej et Djochem dans diverses provinces du Maghreb el-Aqsa, dans leHaouz et les plaines atlantiques qui sont ainsi arabiss.Tandis que s'croule l'empire almohade, les Hafsides acquirent leur indpendancen Ifriqya et s'assurent le concours des Koob, l'une des principales fractionsdes Solem. Au mme moment, le znte Yaghmorasen fonde le royaume abd-el-wadide de Tlemcen avec l'appui des Arabes Zorba. D'autres Berbres zntes, lesBni Merin, chassent les derniers Almohades de Fez (1248). La nouvelle dynasties'appuya sur des familles arabes dportes au Maroc par les Almohades. Pendantplus d'un sicle, le maghzen mrinide fu t ainsi recrut chez les Khlot.Partout ces contingents arabes, introduits parfois contre leur volont dans desrgions nouvelles ou tablis la tte de populations agricoles dont le genre de vie nersiste pas longtemps leurs dprdations, provoquent inexorablement le dclin descampagnes. Mais bien qu'ils aient pill Kairouan, Mehdia, Tunis et les principalesvilles d'Ifriqya, bien que Ibn Khaldoun les ait dpeints comme une arme de sauterelles dtruisant tout sur son passage, Bni Hilal, Bni Solem et plus tard BniMa'qil furent bien plus dangereux par les ferments d'anarchie qu'ils introduisirentau Maghreb que par leurs propres dprdations.C'est une trange et vrai dire assez merveilleuse histoire que la transformationthno-sociologique d'une population de plusieurs millions de Berbres par quelques dizaines de milliers de Bdouins. On ne saurait, en effet, exagrer l'importancenumrique des Bni Hilal ; quel que soit le nombre de ceux qu i se croient leursdescendants, ils taient, au moment de leur apparition en Ifriqya et au Maghreb,tout au plus quelques dizaines de milliers. Les apports successifs des Bni Solem,puis des Ma'qil qui s'tablirent dans le Sud du Maroc, ne portrent pas plus de centmille les individus de sang arabe qui pntrrent en Afrique du Nord au Xle sicle.Les Vandales, lorsqu'ils franchirent le dtroit de Gibraltar pour dbarquer sur lesctes d'Afrique, en mai 429, taient au nombre de 80 000, (peut-tre le double si leschiffres donns par Victor de Vita ne concernent que les hommes et les enfants desexe mle). C'est dire que l'importance numrique des deux invasions est sensiblementquivalente. Or que reste-t-il de l'emprise vandale en Afrique deux sicles plustard ? Rien. La conqute byzantine a gomm purement et simplement la prsencevandale, dont on rechercherait en vain les descendants ou ceux qu i prtendraient endescendre. Considrons maintenant les consquences de l'arrive des Arabeshilaliens du Xle sicle : la Berbrie s'est en grande partie arabise et les Etats duMaghreb se considrent comme des Etats arabes.

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    18 G. CAMPSCe n'est, bien entendu, ni la fcondit des Bni Hilal, ni l'extermination desBerbres dans les plaines qui expliquent cette profonde arabisation culturelle etlinguistique.Les tribus bdouines ont, en premier lieu, port un nouveau coup la vie s

    dentaire par leurs dprdations et les menaces qu'elles font planer sur les campagnesouvertes. Elles renforcent ainsi l'action dissolvante des nomades no-berbreszntes qui avaient, ds le Vie sicle, pntr en Africa et en Numidie. Prcurseursdes Hilaliens, ces nomades zntes furent facilement assimils par les nouveauxvenus. Ainsi les contingents nomades arabes, qu i parlaient la langue sacre et entiraient un grand prestige, loin d'tre absorbs culturellement par la masse berbrenomade, l'attirrent eux et l'adoptrent.L'identit des genres de vie facilita la fusion. Il tait tentant pour les nomadesberbres de se dire aussi arabes et d'y gagner la considration et le statut de conqurant,oir de chrif, c'est--dire descendant du Prophte. L'assimilation tait encorefacilite par une fiction juridique : lorsqu'un groupe devient le client d'une famillearabe, il a le droit de prendre le nom de son patron comme s'il s'agissait d'une sorted'adoption collective. L'existence de pratiques analogues, chez les Berbres eux-mmes, facilitait encore le processus. L'pisode bien connu de la Kahna adoptantcomme troisime fils son prisonnier arabe Khaled est un bon exemple de ceprocd (35).La compntration des groupes berbres et arabes nomades ou semi-nomadesfu t telle que le phnomne inverse, celui de la berbrisation de fractions arabes ou sedisant arabes, a pu tre parfois not. Nous citerons titre d'exemple, qu i est loind'tre isol, le cas de la tribu arabe des Bni Mhamed infode l'un des khoms(celui des Ounebgi) de la puissante confdration des Ait Atta (36).L'arabisation gagna donc en premier lieu les tribus berbres nomades et particulirement les Zntes. Elle fu t si complte qu'il ne subsiste plus, aujourd'hui, dedialectes zntes nomades ; ceux qui ont encore une certaine vitalit sont parls pardes Zntes fixs soit dans les montagnes (Ouarsenis), soit dans les oasis du Saharaseptentrional (Mzab).Avant e XVe sicle, les puissants groupes berbres nomades Hawara de Tunisiecentrale et septentrionale sont dj compltement arabiss et se sont assimils auxSolem ; comme le note W. Marais, ds cette poque la Tunisie a acquis ses caractresthniques et linguistiques actuels ; c'est le pays le plus arabis du Maghreb (37).Au Maghreb central, les Berbres du groupe Sanhadja, longtemps dominants, sontde plus en plus supplants par les tribus zntes arabises ou en voie d'arabisationqui, entre autres, fondent le royaume abd-el-wadite de Tlemcen, tandis que d'autresZntes, les Bni Merin, vincent les derniers Almohades du Maroc.Un autre facteur d'arabisation qui fut moins souvent retenu par les historiensdu Maghreb est l'extinction des tribus qui, ayant jou un rle important, ont vufondre leurs effectifs au cours des combats incessants ou d'expditions lointaines.J'avais attir l'attention, voil quelques annes, sur le cas des Ketama de PetiteKabylie ; solidement implants dans leur rgion montagneuse, ils contriburent,nous l'avons vu, fonder l'empire fatimide, firent des expditions dans toutes lesdirections : Ifriqya, Sidjilmassa, Maghreb el-Aqsa, puis Sicile et Egypte, le tout

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    COMMENT LA BERBRIE EST DEVENUE LE MAGHREB ARABE 19entrecoup par une coteuse rbellion contre le calife qu'ils avaient tabli. Disperssdans les garnisons, dcims par les guerres, les Ketama disparaissent comme dansune trappe ; aujourd'hui leur pays, depuis le massif des Babors jusqu' la frontiretunisienne, est profondment arabis (38).A la concordance des genres de vie entre groupes nomades, puissant facteurd'arabisation, s'ajoute, nous l'avons vu, le jeu politique des souverains berbres quin'hsitent pas utiliser la mobilit et la force militaire des nouveaux venus contreleurs frres de race. Par la double pression des migrations pastorales et des actionsguerrires accompagnes de pillages, d'incendies ou de simples chapardages, lamare nomade qui, dsormais, s'identifie, dans la plus grande partie du Maghreb,avec l'arabisme bdouin, s'tend sans cesse, gangrne les tats, efface la vie sdentaire es plaines. Les rgions berbrophones se rduisent pour l'essentiel des lotsmontagneux.Le paradoxe maghrbin

    Mais ce schma est trop tranch pour tre exact dans le dtail. On ne peut fairesubir une telle dichotomie la ralit humaine du Maghreb. Les Nomades ne sontpas tous arabiss : il subsiste de vastes rgions parcourues par des nomades berbrophones. Tout le Sahara central et mridional, dans trois Etats (Algrie, Mali, Niger),est contrl par eux. Dans le Sud marocain, l'importante confdration des Ait Atta,centre sur le Jbel Sarho, maintient un semi-nomadisme berbre entre les groupesarabes du Tafilalet, d'o est issue la dynastie chrifienne, et les nomades Regueibatdu Sahara occidental qu i se disent descendre des tribus arabes Ma'qil. Il faut galement tenir compte des petits nomades du groupe Braber du Moyen Atlas Zaan,Bni M'Guild, At Seghouchen...Le berbre n'est donc pas exclusivement un parler de sdentaire, ce n'est pasnon plus une langue exclusivement montagnarde. Une le aussi plate que Jerba, lesvilles de la Pentapole mzabite, les oasis du Touat et du Gourara, les immenses plaines sahliennes frquentes par les Touareg Kel Grs, Kel Dinnik, Oullimiden, sontdes zones berbrophones au mme titre que les massifs marocains ou la montagnekabyle.

    Il ne faut pas non plus imaginer que tous les Arabes, au Maghreb, sont exclusivement nomades ; bien avant la priode franaise qui favorisa, ne serait-ce que par lertablissement de la scurit, l'agriculture et la vie sdentaire, des groupes arabophones menaient, depuis des sicles, une vie sdentaire autour des villes et dans lescampagnes les plus recules. C'tait, en particulier, le cas des habitants de PetiteKabylie et de l'ensemble des massifs et moyennes montagnes littorales de l'Algrieorientale et du Nord de la Tunisie. Tous ces montagnards et habitants des collinessont arabiss de longue date ; cependant, vivant de la fort, d'une agriculture prochedu jardinage et de l'arboriculture, ils ont toujours men une vie sdentaire appuyesur l'levage de bovins. Bien d'autres cas semblables, dans le Rif oriental, l'Ouarse-nis occidental, pourraient tre cits.

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    20 G. CAMPSMais il n'empche qu'aujourd'hui, dans le Maghreb sinon au Sahara, les zonesberbrophones sont toutes des rgions montagneuses, comme si celles-ci avaientservi de bastions et de refuges aux populations qui abandonnaient progressivementle plat pays aux nomades et semi-nomades leveurs de petit btail, arabes ou arabiss. 'est la raison pour laquelle, au XIXe sicle, l'Afrique du Nord prsentait decurieuses inversions de peuplement : montagnes et collines au sol pauvre, occupespar des agriculteurs, avaient des densits de population bien plus grandes que lesplaines et grandes valles au sol riche parcourues par de petits groupes d'leveurs.Certains groupes montagnards sont si peu adapts la vie en montagne que leurorigine semble devoir tre recherche ailleurs. Des dtails vestimentaires, et surtoutl'ignorance de pratiques agricoles telles que la culture en terrasse dans l'Atlastellien, amnent penser que les montagnes ont t non seulement des bastions qu irsistrent l'arabisation, mais qu'elles furent' aussi de vritables refuges danslesquels se rassemblrent les agriculteurs fuyant les plaines abandonnes aux dprdations des pasteurs nomades. Si la culture en terrasse est inconnue chez les agriculteurs es montagnes telliennes (alors qu'elle est si rpandue dans les autres pays etles mditerranens), elle est, en revanche, parfaitement matrise, et certainementde toute antiquit, chez les Berbres de l'Atlas saharien et des chanes voisines (39).Quelles que soient leurs origines, les Berbres qu i occupent les montagnes duTell sont si nombreux sur un sol pauvre et restreint qu'ils sont contraints de s'ex

    patrier. Ce phnomne, si important en Kabylie, n'est pas rcent. Comme lesSavoyards des XVIIIe et XIXe sicles, les Kabyles se firent colporteurs ou se spcialisrent,en ville, dans certains mtiers. L'essor dmographique conscutif la colonisation provoqua l'arrive massive des montagnards berbrophones dans les plainesmises en culture et dans les villes. Ce mouvement aurait pu entraner une sorte dereconqute linguistique et culturelle aux dpens de l'arabe, or il n'en fut rien. Bienau contraire, le Berbre arrivant en pays arabe, qu'il soit Kabyle, Rifain, Chleuh ouChaoui (aurasien), abandonne sa langue et souvent ses coutumes, tout en les retrouvant isment lorsqu'il retourne au pays.Cette disponibilit des masses berbres est d'autant plus remarquable qu'ellesconstituent la quasi totalit du peuplement, qu'elles soient arabises ou non. Par leurvenue dans le plat pays et dans les villes, les montagnards des zones berbrophones,qui demeurent les grands rservoirs dmographiques du Maghreb, contribuent dvelopper ce phnomne paradox al qu'est l'arabisation de l'Afrique du Nord. Lespays du Maghreb ne cessent de voir la part de sang arabe, dj infime, se rduire mesure qu'ils s'arabisent culturellement et linguistiquement.

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    NOTES(1) Cette question a t maintes fois traite, en dernier lieu par Ch. E. Dufourcq, Berbrie etIbrie mdivales, un problme de rupture, Revue historique, 488, oct. dc. 1968, p. 293-324. Cettetude, d'une grande perspicacit, de notre regrett collgue succde de nombreux essais, tant ceuxd'E.F. Gautier dans Le pass de l'Afrique du Nord, Payot, Paris 1937, que de W. Marais, Commentl'Afrique du Nord a t arabise, Annales de l'Instit. d'tud. orient. d'Alger, t. IV, 1938, p. 1 - 2 et t.XIV, 1956, p. 6 - 17, de Ch. Courtois, De Rome l'islam, Revue africaine, t. 86 , 1942, p. 24 - 55 et surtout de G. Marais, La Berbrie musulmane et l'Orient au Moyen ge, Pans, Aubier, 1946.(2) On ne saurait cependant brosser un tableau trop dsol de l'Africa la fin de l'Antiquit, niexagrer les dprdations des Berbres nomades tels que les Austoriani, Arzuges, Levathae ouLaguantan, futur Louata des auteurs arabes. Les olivettes n'ont pas compltement disparu en un oudeux sicles ; l'existence d'huileries ou de pressoirs isols dans les villes ruines apportent la preuvedu maintien d'une production olicole : nous citerons comme exemple la petite huilerie, d'poque

    certainement trs tardive, construite sur le dallage d'une rue de Suffetula, ou le pressoir tabli dans lesruines du capitole de Thuburbo Majus. On connat l'anecdote, rapporte par Ibn al-H'akam (trad.Gateau, Alger, Carbonnel, 1942, p. 43), qu'au moment de l'expdition d'Ibn Sa'd, celui-ci s'tonnaitde l'abondance de l'argent monnay chez les habitants de l'Africa. D'o cela vous vient-il ? , demandabn S'd ; l'un des Africains se mit alors fureter comme s'il cherchait quelque objet. Il trouva enfin une olive et la montrant Ibn Sa'd : Voici, dit-il, la source de notre argent. Sur l'importance de lala culture de l'olivier dans l'Afrique romaine, voir H. Camps-Fabrer, L'olivier et l'huile dans l'Afriqueromaine, Alger, 1953.(3) Ch. Courtois, Les Vandales et l'Afrique, Pans, 1955, p. 350, fixe avant 523 cette premiremanifestation des nomades sahariens en Byzacne. Le chameau, au moins celui de bt, mais gure lemhari, tait connu en Afrique antrieurement ce s incursions, comme le prouve, entre autres, lamention, dans les Tablettes Albertini, d'une via de camellos dans le secteur de Tebessa-Thelepte(cf. Ch. Courtois, L. Leschi, Ch. Perret, Ch . Saumagne et J.P. Miniconi, Tablettes Albertini. Actes privs de l'poque vandale (fin du Ve sicle), Paris, A.M.G., 1952). Le tarif de Rades, malheureusementnon dat, fixe 5 folles la taxe perue sur un chamelier accompagn d'un chameau charg (C.I.L.,VIII 24512).(4) II est trs difficile de dterminer le pourcentage des Berbres christianiss par rapport lapopulation totale. Les sources arabes permettent cependant certaines approximations. On retiendraqu'El-Bekri (traduction de Slane, Description de l'Afrique septentrionale, A lger, 1913, p. 74), parlant ilest vrai de l'Ifriqya, dit qu' l'poque byzantine les Berbres professaient le christianisme. Ces Berbreshristianiss et romaniss furent soumis au kharadj en tant qu'infidles par H' assan ben an-Nu'mn (Ibn el-Hakam, Conqute de l'Afrique du Nord et de l'Espagne, traduction A. Gateau, Alger,1942, p. 77). Ce mme texte apporte pour l'poque de la conqute un renseignement trs prcieux :des Berbres qui professaient le christianisme, des Branis pour la plupart et un petit nombre deBotr. Les Botr (Louata, Zntes...) taient rests en majorit paens (Cornpus, Johanntde, passim),une partie avait t judase (G. Camps, Rflexions sur l'origine de s juifs des rgions nord-sahariennes.ommunauts juives des marges sahariennes du Maghreb, Institut Ben Zvi, Jrusalem, 1982, p.57 -67), mais ils furent aussi les plus rapidement islamiss.(5) Je ne partage pas l'opinion de Ch . Courtois sur les nombreux royaumes maures qu'il propose de situer entre la Tingitane et la Tnpohtaine {Les Vandales et l'Afrique, p. 33 3 - 348 : Royaumed'Altava, royaume de POuarsenis, royaume de la Dorsale, royaume de Cabaon, etc.). Je pense quece s royaumes taient la fois moins nombreux, plus tendus et par consquent, mieux organiss etplus puissants, Masuna devait rgner, comme je me propose de le montrer un jour, sur les royaumesd'Altava et de l'Ouarsenis. On trouvera une opinion trs diffrente de celle de C. Courtois chez E.Dufourcq, Berbrie et Ibrie mdivales... Revue historique, 1968, p. 293 - 324. Sur Masties, voir J.Carcopino, Un empereur maure inconnu, Revue des tudes anciennes, t. XL VIII, 1944, p. 94 - 120 etid., Encore Masties l'empereur maure inconnu, Revue africaine, t. C, 1956, p. 339-348. Ch. E.Dufourcq accorde une importance, mon sens exagre, ce personnage, 1.1. p. 296.(6) Ch. Diehl, L'Afrique byzantine, Paris 1898.

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    22 G. CAMPS(7) Ch. Courtois, L. Leschi, Ch. Perrat, Ch . Saumagne et P. Miniconi, Tablettes Albertini, Actesprivs de l'poque vandale (fin du Ve sicle), Paris, A.M. G., 1952.(8) La date de la fondation de Kairouan et l'emplacement exact du premier tablissementprtent discussion. Un premier qarawan avait t fond par Moawia ibn Hodeidj, alors que, suivant le rcit rapport par Ibn Abd el-H'aqam, Oqba conqurait les principales villes du Fezzan. AblMuhjir btit lui-mme une autre ville, deux milles du Kairouan d'Oqba. Voir H. Abdul-Wahab,Sur l'emplacement de Qarawan, Revue tunisienne, numro 41 -42, 1940, p. 51 -53.(9) D'aprs Ibn Abd el-H'aqam, ayant pouss son cheval jusqu' ce que l'eau lui baignt lepoitrail, Oqba s'cria : Mon Dieu, je vous prends tmoin ! Il m'est impossible d'aller plus avant,mais si je trouvais un passage, je poursuivrais ma chevauche (traduction A. Gateau, p. 69).(10) L'emplacement de cette bataille ne doit pas servir fixer les limites du royaume deKoceila. La tribu des Aourba tait tablie dans les confins de l'Algrie et du Maroc, dans la rgion deTlemcen, o Koceila avait t fait prisonnier et s'tait converti, pour la deuxime fois, l'Islam (IbnKhaldoun, traduction de Slane, t. I, p. 211). D'aprs une ingnieuse supposition de Ch. E. Dufourcq(La coexistence des chrtiens et des musulmans dans Al-Andalus et dans le Maghnb au Xe sicle,Occident et Orient, Congrs de Dijon, Paris 1979, p 209 - 23 4 : p. 222, numro 19), Koceila portait unnom latin : Caecihus, dform par les Arabes.(1 1) D'aprs Ibn Khaldoun, Hassan ben Noman, une premire fois vaincu par la Kahna, revinten Ifriqya avec des renforts en 74 de l'Hgire (693 - 694). La politique de la terre brle pratique parla reine Djeraoua aurait, selon l'auteur, provoqu la dsunion qu'Hassan sut attiser... Ces priptiesexigent plusieurs mois sinon de s annes. Ch. E. Dufourcq, se fondant sur d'autres traditions, penseque la mort de la Kahna se situerait plutt en 702-703, /. /. , p. 308.(12) J'ai peine souscrire l'opinion de Ch. E. Dufourcq, /. /. , p. 297, qui veut que tous les Berbres formaient, au moment de la conqute une vaste confdration sur laquelle, tantt une tribubrnis, tantt une tribu botr exerait l'autorit suprme.(13) W. Marais, Comment l'Afrique du Nord a t arabise, Annales de l'Institut d'Etudesorientales d'Alger, t. IV , 1938, p. 1-22 et t. XIV, 1956, p. 6-17.(14) Ibn Khaldoun affirme que les Berbres abjurrent l'Islam 12 fois avant de se convertir

    dfinitivement (traduction de Slane, 1. 1, p. 215), mais ce s apostasies, sans doute celles de chefs commeKoceila, se succdent un rythme trs rapide puisque, suivant le mme auteur, la conversion dfinitivetait acquise au moment de la conqute de l'Espagne. Il crit mme qu'en 101 de l'Hgire (719 -720) le reste des Berbres embrassa l'Islamisme. Ces affirmations doivent tre tempres, car lespreuves ne manquent pas, jusqu'au Xle sicle, du maintien de chrtiennets, voire d'vchs, auMaghreb, cf. infra.(15) Le nbt, dans sa forme primitive, carre et flanque de tours, reproduit assez fidlement lemodle de s forteresses by zantines (A. Lezine, Le nbt de Sousse, suivi de notes sur le nbt de Monastir,Notes et documents, XIV, Tunis, 1956 ; G. Marais, Les Ribt de Sousse et de Monastir d'aprs A.Lezine, Les Cahiers de Tunisie, numro 13, 1956, p. 127 - 135). L'tude la plus pntrante sur les ribtd'Occident me parat tre celle de G. Marais, Notes sur les Ribt en Berbrie, Mlanges AndrBasset, t. II, 1925, p. 39 5 - 450.(16) C'est par abus de langage que le nom des Guanches a t tendu l'ensemble des populations anariennes. A l'origine, Guanche (Guan-chinec) signifiait habitant de Tenerife (Espinosa,Histona de nuestra Senora de Candelena, Tenerife, 1962). Guan est manifestement l'quivalent duberbre wan qui signifie celui de....(17) J. Carcopino, Un empereur maure inconnu, Revue des tudes anciennes, t. XLVIII, 1944,p. 94 - 120 ; id. , Encore Mastios, l'empereur maure inconnu, Revue africaine, t. C, 1956, p. 33 9 - 348.(18) C.I.L., VIII, 8379 et 20216.(19) Sur les Djedar, on consultera en p articulier R. de la Blanchre, Voyage d'tude en Maur-tanie csarienne, Archives des Missions, IHe srie, t. X, 1883, p. 1 - 131 ; S. Gsell, Les monuments antiques de l'Algrie, t. II, p. 41 8 - 427, et surtout la thse de F. Khadra (Aix, 1974) qui fait suite d'importantsravaux de dgagement et de fouilles.(20) P. Grierson, Mathasuntha or Mastinas, a reattribution, N umismatic chronicle, 6e srie,XIX, 1959, p. 119-130.(21) Conppus, Johannide, II, 106 et sq.

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    COMMENT LA BERBRIE EST DEVENUE LE MAGHREB ARABE 23(22) Johanes Biclarensis, dition Mommsen, Monumenta germ. hist. Script, antiq., XI, 1. Ch.Diehl, L'Afrique byzantine, p. 327-328.(23) Contrairement ce que pensait Ch. Diehl, il ne semble pas que les Maccuritae soient desMaures. Le fait qu'ils aient offert une girafe au Basileus invite les situer plutt en Afrique orientale

    qu'en Maurtanie Csarienne.(24) A. Mahjoubi, Nouveau tmoignage pigraphique, Africa, t. I, 1966, p. 87 - 96 .(25) P.A. Fvrier, volution des formes de l'crit en Afrique du Nord la fi n de l'Antiquit etdurant le Haut Moyen ge, Academia dei Lmcei, numro 105, 1968, p. 21 1 - 216. G. Gualandi, Lapresenza cristina nelF Ifnqya. L'Area cimitenale di En-Ngila (Tripoli) Felix Ravenna, CV-CVI,1973, p. 257-259.(26) T. Lewicki, Une communaut chrtienne dans l'oasis de Ouargla au Xe sicle, tudesmaghnbines et soudanaises, 1976, p. 79 - 90 .(27) Ch. Courtois, Grgoire VII et l'Afrique du Nord, Revue historique, t. CXCV, 1945, p. 97 -122 et 193-226.(28) H.R. Idriss, Ftes chrtiennes clbres en Ifnqya l'poque zinde (IVe sicle de l'HgireXe sicle aprs J.-C). Revue africaine, t. XCVIII, 1954, p. 221 -276.(29) Ch. E. Dufourcq, La coexistence des chrtiens et de s musulmans dans Al-Andalus etdans le Maghrib au Xe sicle, Occident et Orient, Congrs de Dijon, Paris, 1979, p. 209 - 234.(30) T. Lewicki, Une langue romane oublie de l'Afrique du Nord. Observations d'un arabisant, Roczmk onentalistyczny, t. XVII, 1953, p. 415-480. T. Canard, Les travaux de T. Lewickiconcernant le Maghreb, Revue africaine, t. CIII, 1959, p. 356-371.(31) Ch. E. Dufourcq, La coexistence des chrtiens et des musulmans... Id . , Berbrie etIbrie....(32) W. Marais, Comment l'Afrique du Nord a t arabise, Annales de l'Institut d'Etudesorientales d'Alger, t. XIV, 1956, p. 6 - 17.(33) Malgr la prudence exagre de certains, il est difficile de rejeter l'identit des Ketama, des(U)cutamii (C./.L., VIII, 8379 et 20216) et de s Koidamousioi (Ptolme) qui, travers les sicles,occupent la mme rgion. Voir G. Camps, Une frontire inexplique, la limite de la Berbrie orientalee la Protohistoire au Moyen ge, Mlanges offerts Jean Despots, Maghreb et Sahara, 1973, p. 59 -67 . L. Golvin, Le Magnb central l'poque des Zindes. Recherches d'Archologie et d'Histoire, Paris,A.M.G., 1957, p. 23-26 et 51 .(34) L. Saada, Un type d'archiv. Les chansons de geste, Communauts juives de s margessahariennes du Maghreb, Institut Ben Zvi, Jrusalem, 1982, p. 25 - 38. G. Camps, Rflexions sur l'origine des Juifs des rgions nord-sahariennes, ibid. , p. 57-67.(35) Ces adoptions et alliances sont confirmes au Maroc par des pactes de tata, qui tablissentntre les groupes des liens de parent fictive qui sont perus avec tant de force que cette parentest considre comme relle, au point que les mariages sont interdits entre les deux groupes runis parle pacte. Cette parent est affirme par des gestes symboliques, en particulier celui de la colactation :au cours d'un repas de communion est consomm du couscous arros de lait de femme, au mmemoment les femmes qu i allaitent changent entre les deux groupes leurs nourrissons. Voir G. Marcy,L'alliance par colactation (td'a) chez les Berbres du Maroc central, Deuxime Congrs de la Fdrationes Socits savantes du Nord, Tlemcen, 1936, 17 p.(36) Sur l'organisation complexe mais fort sage du pouvoir chez les Ait 'Atta, voir D.M. Dart,Segmentary system and the role of five fifths in tribal Morocco, case II : The A 'Atta, Revue del 'Occident musulman et de la Mditerrane, t. 3, 1967, p. 65 - 95 ; et M. Morin-Berbe et G. Trcolle,'Atta (Ait 'Atta), Encyclopdie berbre, dition provisoire, Aix, 1975, cahier numro 14.(37) W. Marais, /. /. , p. 7.(38) G. Camps, Une frontire inexplique..., p. 65 .(39) J. Despois, La culture en terrasse en Afrique du Nord, Annales, janvier - mars 1956, p.42 -50.

  • 7/29/2019 Comment la Berbrie est devenue le Maghreb arabe - Gabriel Camps

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    24 G. CAMPSRsum

    Comment expliquer que les anciennes provinces romaines d'Afrique, en grande partie christianises t constituant la rgion la plus prospre de l'Occident latin, soient devenues en quelques siclesle Maghreb arabe. L'islamisation et l'arabisation ne furent pas contemporaines. La conqute arabe, auVile sicle, fut le rsultat d'une suite d'oprations militaires sans vritables tentatives de peuplement.La plus grande partie des populations berbres se convertit assez rapidement l'Islam mais les derniresommunauts chrtiennes ne disparurent qu'au Xlle sicle. L'arabisation par la langue et lescoutumes fut plus tardive ; elle affecta massivement, en premier heu, les Berbres du groupe znte,pour la plupart nomades, qui s'assimilrent aux tribus arabes bdouines (Bni Hilal, Bni Soleime...) qui, en 1050, le Maghreb avait t donn par le calife fatimide du Caire. Alors que l'Islam a triomph otalement depuis longtemps, l'arabisation est loin d'tre acheve.Abstract

    How can one account for the fact that the ancient Roman provinces of Africa, in large part christianized and forming the most prosperous region of Latin Occident, became, in a few centuries, theArab Maghreb. Islamization and arabization were not contemporaneous. The Arab conquest in theseventh century was the result of a series of military operations without any real attempt at populating.The greater part of the Berber populations were converted fairly rapidly to Islam but the last Christiancommunities did not disappear until the twelfth century. Arabization through language and customdid not happen until much later ; it massively affected, in the first place, the Berbers of the Zenetegroup, mostly nomads, who became assimilated to the Beduin Arab tribes (Beni Hilal, Beni Soleim...)to whom, in 1050, the Maghreb had been given by the Fatimite Calif of Cairo. Whereas Islam hastriumphed totally long ago, arabization is still fa r from being completed.

  • 7/29/2019 Comment la Berbrie est devenue le Maghreb arabe - Gabriel Camps

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    Gabriel Camps

    Comment la Berbrie est devenue le Maghreb arabe.In: Revue de l'Occident musulman et de la Mditerrane, N35, 1983. pp. 7-24.

    Rsum

    Rsum Comment expliquer que les anciennes provinces romaines d'Afrique, en grande partie christianises et constituant la

    rgion la plus prospre de l'Occident latin, soient devenues en quelques sicles le Maghreb arabe. L'islamisation et l'arabisation

    ne furent pas contemporaines. La conqute arabe, au VIIe sicle, fut le rsultat d'une suite d'oprations militaires sans vritables

    tentatives de peuplement. La plus grande partie des populations berbres se convertit assez rapidement l'Islam mais les

    dernires communauts chrtiennes ne disparurent qu'au Xlle sicle. L'arabisation par la langue et les coutumes fut plus tardive ;

    elle affecta massivement, en premier heu, les Berbres du groupe znte, pour la plupart nomades, qui s'assimilrent aux tribus

    arabes bdouines (Bni Hilal, Bni Soleime...) qui, en 1050, le Maghreb avait t donn par le calife fatimide du Caire. Alors

    que l'Islam a triomph totalement depuis longtemps, l'arabisation est loin d'tre acheve.

    Abstract

    How can one account for the fact that the ancient Roman provinces of Africa, in large part christianized and forming the most

    prosperous region of Latin Occident, became, in a few centuries, the Arab Maghreb. Islamization and arabization were not

    contemporaneous. The Arab conquest in the seventh century was the result of a series of military operations without any real

    attempt at populating. The greater part of the Berber populations were converted fairly rapidly to Islam but the last Christian

    communities did not disappear until the twelfth century. Arabization through language and custom did not happen until much later; it massively affected, in the first place, the Berbers of the Zenete group, mostly nomads, who became assimilated to the Beduin

    Arab tribes (Beni Hilal, Beni Soleim...) to whom, in 1050, the Maghreb had been given by the Fatimite Calif of Cairo. Whereas

    Islam has triumphed totally long ago, arabization is still far from being completed.

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    Camps Gabriel. Comment la Berbrie est devenue le Maghreb arabe. In: Revue de l'Occident musulman et de la Mditerrane,

    N35, 1983. pp. 7-24.

    doi : 10.3406/remmm.1983.1979

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1983_num_35_1_1979

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_remmm_522http://dx.doi.org/10.3406/remmm.1983.1979http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1983_num_35_1_1979http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/remmm_0035-1474_1983_num_35_1_1979http://dx.doi.org/10.3406/remmm.1983.1979http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_remmm_522