colloque jean c pichon2013
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Rencontres autour de Jean–Charles Pichon
Ile de Berder, 14-16 Juin 2013.
La notion de cycle chez Gilbert Durand
et Jean–Charles Pichon, approche comparée.
Georges Bertin.
« Se souvenir un jour, c’est prévoir ».
Jean-Charles Pichon
Métamorphoses et la permanence des mythes.
Dans l’introduction à leur édition du magistral Cycle du Rameau d’or
de l’anthropologue James G. Frazer publié en 1890, Nicole Belmont et
Michel Izard, rappellent que l’on y voit fonctionner les métamorphoses
et la permanence du mythe. Pour eux, « l’étude des mythes provoque
un vertige auquel on tente d’échapper par une fuite en avant
perpétuelle. Cette fascination, écrivent-ils, ne trouve une solution
empirique qu’en un retour au point de départ, au mythe de référence,
un bouclage du périphérique »1.
Si l’on compare les travaux de ces deux maîtres que furent Gilbert
Durand (1921-2012) et Jean Charles Pichon (1920-2006), nous y
retrouvons cette même obsession d’une maîtrise du devenir par la
répétition des instants temporels, d’une abolition de la distinction
temps/espace, le temps étant spatialisé par le cycle (Gusdorf) ou
encore « assurant une mainmise déterministe et rassurante sur les
capricieuses fatalités du devenir » (Bergson).
C’est bien à cette figure de l’année, avec des focales différentes, que
nous renvoient nos deux auteurs, comme figure circulaire (annulus)
1 Frazer et le cycle du Rameau d’Or, R Laffont, 1981, XXIX.
1
tendant à organiser la fluidité du temps dans une figure spatiale
(Gilbert Durand). Mais nous verrons que l’un et l’autre renvoient
justement sur cette question des figures à des représentations si ce
n’est à des concepts différents quoique complémentaires.
D’abord Gilbert Durand, se fondant sur de nombreux travaux
ethnologiques, tels ceux de Jacques Soustelle sur les Incas, montre
dans son ouvrage princeps « Les Structures anthropologiques de
l’Imaginaire » (1969) maintes fois réédité, que la loi du Monde est
calquée sur l’alternance de qualités distinctes nettement tranchées qui
dominent, s’évanouissent et reparaissent éternellement entre les
mesures duodécimales liées aux phases lunaires et les mesures
solaires calculées sur le mode décimal.
Alors que la somme dramatique des phases de la lune suggère
toujours un processus de répétition, la lune étant mère du pluriel, ce
qui a, par exemple, donné naissance à toutes les figures trinitaires, le
cycle solaire et spécialement le cycle ascendant ou levant, figuré par
exemple par Apollon ou Belenos le brillant, magnifie la puissance
bienfaitrice du soleil victorieux de la nuit, de la Résurrection et de la
Jeunesse conquête de l’esprit qui prend conscience de sa réalité,
imaginaire de l’ascendance et de la transcendance, quand la parole
présidant à la création de l’univers, la lumière luit dans les Ténèbres.
On aboutit, par conjonction de ces deux figures majeures, à la
succession des contraires, dans l’alternance de leurs modalités
antithétiques, à la synthèse de hiérophanies opposées, laquelle va
marquer toute notre relation au Mythe.
Ceci est particulièrement observable dans le cycle naturel de la
fructification saisonnière, le symbolisme végétal organisant la collusion
du cycle végétal (mort/latence/floraison) et du cycle lunaire ici
surdéterminant entre la prise de conscience d’une raison légalisante
de l’univers, cosmique à valence masculine et la désolation de la
déesse à valence féminine.
« Entre l’homme esprit et la déchéance de la nature, écrit G Durand
se situe le médiateur ».
Dés lors pour lui, dans « La Foi du Cordonnier », les fêtes du
pèlerinage temporel vont se distribuer de façon régulière et
significative en des points précis proches des cuspides du calendrier
2
zodiacal de l’année solaire. Le calendrier chrétien est ainsi constitué
par :
des fêtes mobiles indexées sur les lunaisons pascales,
la branche des « dies natalis », le christianisme gardant deux
fêtes luni solaires : Pâques, le premier dimanche suivant le 14éme de
Nizan et Pentecôte.
On aboutit ainsi à une division quadripartie de l’année avec comme
points de repères
1. Hannouchka /Noêl (chez les romains, les Saturnales ou les
feriae sementinas,
2. Printemps les fêtes des épis, ou rogations, les Robigalia ou
feriae robigalium,
3. Le solstice de juin avec les fêtes de moissons et la Pentecôte,
ou feriae messis rite pratiqué au premier sabbat qui suit la Pâque
hébraïque,
4. L’Equinoxe d’Automne Vendanges, feriae vindemiales ou
volcania ou encore Rosalia.
Les symboles thériomorphes des 4 évangélistes entourant le Christ
Chronocrator situé non entre la fin des <gémeaux et le début du
Cancer mais entre le Cancer et le Lion correspondent donc aux angles
de l’année. Ils s’inspirent d’un décalage sidéral datant de 20 siècles
avant JC puisque jusqu’en 2500 la constellation du Taureau était à
l’équinoxe et celle du Lion au solstice, recoupant une tradition qui veut
que le monde est vieux de 60 siècles et situant le Christ hors de
l’Histoire, car le temps mystique n’est pas celui des astronomes. Pour
Gilbert Durand, l’histoire des siècles s’inscrit dans une métahistoire
archétypique, dans un cycle liturgique (saecula saeculorum).
Il ya donc des force structurantes communes à l’imaginaire profane
des saisons, des nuits et des jours et à l’imaginal des visions révélées.
Si toutes les traditions nous disent la quaternité sur laquelle repose le
monde créé, le génie d’une religion consistera à en approfondir les
récurrences.
Le Recteur Paul Verdier, disciple de Gilbert Durand et spécialiste
d’archéo-astronomie, précise ainsi le calendrier comme « un outil
qu’une civilisation emploie pour ordonner des résultats de la mesure
du temps et pour exprimer sa chronologie, son histoire, à partir d’un
3
premier jour conventionnel marquant le point de départ de la
continuité des grands cycles temporels2 ».
L’observation scientifique de la course des astres errants (soleil, lune)
faite par des astronomes opérant constamment dans les mêmes
conditions définit ainsi l’abstraction temporelle ou nychtémère soit une
durée conventionnelle constante nuit+ jour.
L’observation des levers sur l’astre d’un lieu détermine ainsi un
calendrier grâce à l’éventail des positions astrales. Si la référence se
fait au lieu, on parlera de temps tropique et si elle se fait aux astres
fixes, de temps tropique. La différence de durée entre deux cycles,
dans un même lieu pour un même astre, définit la précession des
équinoxes et les fêtes sacralisent certains nychtémères au cours
desquels un dieu ou une déesse sont intervenus de façon spectaculaire
dans le temps des hommes.
Il appartient aux religieux (comme les Druides) de conserver la
mémoire collective du retour régulier de cet événement.
Ainsi, toutes les civilisations ont des dates fondatrices majeures. Si
l’homme est borné, le divin est éternel, maître du temps et la religion
relie l’Homme au Dieu.
Ceci pose la question de l’initiation, car il faut avoir une perception
consciente de l’abstraction temporelle pour comprendre les dieux et,
observant la course cyclique des astres, en déterminer d’autres grands
cycles telle la Grande Année gérée par un Temps différent.
Cette perception n’est pas donnée, elle s’acquiert par transmission,
de maître à disciple, elle comporte des degrés qui sont autant d’étapes
dans l’acquisition d’une Connaissance faisant lien entre microcosme et
macrocosme puisque « tout ce qui es en haut est comme ce qui est en
bas », selon la Table d’Emeraude d’Hermés Trismégiste.
En effet, pour Verdier, le temps fonctionne par cycles identiques et le
dieu reviendra forcément en même lieu et date selon l’exigence de son
propre cycle temporel mais dont l’homme ne peut connaître la durée
qui le dépasse. Alors, il construit des temples pour mémoire et
organise des pèlerinages pour retrouver ces moments où Temps divin
et histoire humaine sont confondus pour un bref instant d’éternité,
2 Les Druids, p 9- sq
4
quand hommes et Dieux sont sur une plage commune tout devient
possible et la lumière des astres errants sacralise le lieu (p 121).
Et nous en arrivons à Jean Charles Pichon 3 qui a su nous montrer,
dans le même esprit, comment les suites mythiques épousaient les
mouvements du temps tout en en modifiant les figures mais sans en
modifier le mouvement, celui là même des astres. Le perçoivent les
esprits éclairés : « aussi loin que nous remontons dans le passé, quels
que fussent les Noms ou les Symboles élus, cette succession nous
semble être apparue aux esprits éclairés non moins nettement que
d’autres suites irréversibles 4».
Comme Verdier se référant à l’astronomie, Jean–Charles Pichon
montre que toute recherche sur les cycles se fonde sur la double
notion de figure et de mouvement, et que la science ésotérique ne
cesse d’évoluer parallèlement à celle des nombres, tandis que pour
Gilbert Durand on ne peut comprendre les structures anthropologiques
de l’imaginaire sans la notion de trajet.
Les mythes se succèdent donc dans un sens précessionnel, selon un
rythme moyen de 2160 ans, non seulement en leur éveil (le lever) mais
encore en leurs retours et leurs mues. Et, là, Jean–Charles Pichon
introduit une distinction nouvelle, celle de la mue ou mutation des
cycles.
Nous évoluons ainsi vers des figures mythiques discontinues telles
Amour/Justice/Création qui connaissent une Renaissance éternelle et se
vivent entre Entropie quand le passé se dégrade et néguentropie
quand l’Avenir présente, en figures discontinues, de nouvelles
probabilités. Ce qui sera est donc sans cesse modifié par la quantité de
temps vécue, mais ceci est prédictible, les mêmes lois étant toujours
valables.
Et quand les mythes définissent les structures de la durée, le Passé
devient la durée et l’Avenir le Possible. Inversant les lois de l’Espace-
Temps, il nous faut alors considérer qu’il n’y a plus que des positions,
ou des probabilités positionnelles déterminées par des approches ou
des éloignements de l’accomplissement final des orbites situées à des
distances données les une des autres.
3 Celui qui naît, le dieu du futur, e/dite, p 154 L’Homme et les Dieux, Maisonneuve, 1986 p 41
5
« Si je sais à quelle distance mon orbite se trouve de telle autre et
quelle densité présentent les deux pôles, je saurai mesurer l’attraction
qui me porte vers ce possible déterminé » (p14)
De même que l’électron ne peut que sauter d’une orbite à l’autre, que
dans le monde subatomique l’astronaute saute d’une orbite à l’autre et
passe d’une accélération 1 à une accélération 2 en réduisant sa
vitesse, (car au delà de la Vitesse de la Lumière le temps s’immobilise,
ne passe plus, les corps étant soumis à la seule inertie et durent
infiniment plus que les corps en mouvement. L’on se souvient des
récits celtiques où des héros ayant visité le monde de l’au-delà, et
retrouvant le nôtre n’ont pas vécu le même rapport au temps. De fait,
les œuvres inspirées par des vocations survivent des millénaires, ce
qui n’est pas le cas des ouvrages rationalistes. Ainsi nous vivons
aujourd’hui les mythes de Justice, de Création, de Fraternité qui ont
4000 ou 10000 ans d’existence, sauf à ce que l’humanité accède
lentement à une prise de conscience de plus en plus vive de sa
liberté5 ».
« Dans le sens rationnel du temps, le passé nous emprisonne,
conditionne nos actes et limite notre avenir. Dans le sens réel du
temps, la durée ne peut être une prison puisque nous la faisons, elle
est le Possible qui nous lie par le choix qu’il exerce et se trouve donc
modifiable car (…) pas un instant ne se perd pas un acte que la Durée
ne s’en empare et l’éternise6.
Ainsi, depuis 10000 ans, l’expérience des peuples formulée dans les
ésotérismes a défini ces structures dans les rapports et interférences
qu’elles offrent les unes avec les autres, les facteurs qu’elles
possèdent en commun. Ce sont les Mythes, soit des états à la fois
dynamiques et statiques, « dans l’alternance de courants
contradictoires, dans l’évolution de l’humanité (organisation puis
entropie)7.
Jean-Charles Pichon rejoint ici les travaux des ethnologues pour
lesquels l’idée d’un sacré universel s’impose à l’observateur et c’est
bien elle qui détermine la pérennité des croyances et des rites8.
5 Ibidem, p. 446 Ibidem p. 167 Ibidem p . 468 Ibidem p. 37.
6
Appréhender un mythe, c’est donc découvrir une clé universelle ou
encore un dieu qui contient, reflète et assume le monde et si les
mythes changent d’appellation, ils se succèdent et cette succession est
commune à toutes les époques, à tous les peuples.
Ce constat fonde la théorie des cycles chez Jean-Charles Pichon. Pour
lui, si l’on peut bien connaitre la durée de vie d’un homme, celle des
saisons chaudes et froides, l’alternance Lumière/Ténèbres, les
civilisations et peuples ne sont pas soumis à des divisions semblables
et nombre d’entre elles de plus ne sont pas d’accord sur les divisions
de l’année, tels :
l’ère zodiacale : 26000 ans,
l’ère géologique : plusieurs milliers d’année zodiacale,
le cycle de la Lumière : 200 trillions d’années,
le cycle annuel 365 jours,
le cycle précessionnel (rotation de la terre autour d’un axe fixe de
2173 à 2190 ans ou 2205 ans (Islam) , 2150 ans chez Kepler.
Ils sont marqués en leur sein par les mouvements d’involution et
d’évolution ou, en termes mythologiques, de Royaume et de Non
Royaume.
De plus des degrés de liberté existent entre chaque cycle ainsi pour
l’ère précessionnelle il est de 72 ans. (temps que le soleil met à
franchir un degré sur l’écliptique).
Ces alternances déterminent ainsi des ères matérialistes constatant le
dépérissement des civilisations & des techniques, à caractère
entropique puis des ères où l’on revient au sens du divin, soit des ères
de création mythique ou néguentropique; quand l’énergie se
reconstitue et que le monde spirituel de la durée est retrouvé.
Car les dieux sont éternels, ils vivent au-delà de l’ère où ils prennent
forme. Entre absence et renouveau, se produisent des
entrecroisements. Jour et Nuit précessionnels recouvrent donc nuit et
lumière d’un dieu vivant.
A certains époques, des formes originales se dessinent avec le dieu
qui naît, s’universalise alors un mythe révolutionnaire tandis que vers
la fin de ces époques s’élèvent des lamentations des mystiques
inspirés annonçant l’éloignement de la divinité.
7
Tous les deux millénaires, naissent donc des mythes nouveaux qui
dépérissent tandis que s’anéantissent les cultures, d’où le sentiment
du tragique.
Gilbert Durand fait un semblable constat quand il propose une
méthode mythocritique, constatant, pour chaque mythe,
superpositions, remplacements, compensations d’un mythe par
l’autre . « Un mythe actualisé en idéologies, en institutions, suscite
ipso facto un contre mythe ou un autre mythe potentialisé et dont les
manifestations sont moins patentes que l’autre.9
Pour lui, les modalités de transformation d’un mythe (usure ou
résurgence) sont manifestées soit par une inflation du latent ou par
celle du patent.
Et de plus, non seulement un mythe s’use, disparait ou ressurgit mais
encore il peut dériver. Ce qui correspond au constat de JC Pichon sur
les entrecroisements et les degrés de liberté qui existent sur l’ère
précessionnelle. Pour Gilbert Durand, ce sont ces variations qui vont
changer l’âme d’une époque. Etudier les structures mythiques sera
donc pour lui « l’ultime miroir, le suprême référentiel auquel puisse se
regarder le visage des oeuvres de l’homme et se déchiffrer sa légende
qui est à lire de la condition humaine et de son destin »10
Car pour JC P comme chez GD, le mythe est bien l’ultime discours, il
exprime la guerre des dieux et distribue les rôles et l’histoire, permet
de décider ce qui en fait le moment historique l’âme d’un époque, d’un
siècle d’un âge de la vie. Il est le module de l’histoire et non l’inverse.
Et sans les structures mythiques assène encore Durand, pas
d’intelligence historique possible sacrant la mythologie comme mère
de l’histoire.
Pourtant, note JC Pichon 11, la résistance est forte, et seuls l’initié ou le
poète échappent au piège car la flèche rationnelle du temps est encore
celle qui nous dirige « mais le paradoxe de notre rationalisme nous
apparaît de mieux en mieux chaque jour, si bien qu’il en viendra à
n’être plus supportable. Le choix rationnel du passé vers l’avenir ne
présente pas seulement le caractère permanent du refus de la réalité
9 Figures mythiques et visages de l’œuvre, p 32010 Les structures…p. 322.11 Histoire des mythes, p.311
8
mais aussi, selon les époques, le caractère du refus du dieu vivant : la
Liberté d’aujourd’hui.
Car le mythologue sait, par le message des millénaires, que la raison
humaine n’est pas le seul facteur en cause et que des structures
continuent de surgir dans le Possible, s’éternisant dans sa durée.
Nous croyons piétiner -écrit il encore- alors que nous vivons, seconde
par seconde, un temps que les dieux calculent en année de siècles.
Pour G Durand, face à la fantaisie morbide des recettes d’unité à tout
prix, d’une réduction à un seul facteur dominant, il nous faut
« reprendre la longue marche de notre civilisation sans vagabonder et
sans boiter, coudre ensemble la mémoire de notre culture et l’intuition
de nos sciences les plus avancées, (…) façonner là une gnose
renouvelée »12.
Convergence des interprétations.
Cette convergence des interprétations chez nos deux auteurs, nous
allons maintenant la vérifier par l’exemple en examinant la
correspondance que nous pouvons établir entre l’anthropologie de
l’Imaginaire de Gilbert Durand fondée, rappelons le sur une « bi-
tripartition fonctionnelle » et la mythologie de Jean-Charles Pichon.
Pour Gilbert Durand, l’anthropologie de l’Imaginaire, la science des
symboles qu’il développe définit trois structures se référant à deux
régimes de l’Imaginaire qui structurent nos existences : le diurne et le
nocturne. Rappelons-les schématiquement dans le sens même qu’en
fait chaque être humain ,dans les premières phases du développement
de son cycle vital.
Les structures mystiques, initiées par le réflexe de succion, sont
dominées par la digestion, la chaude intimité de la substance. Liées à
la matrice, elles sont homogénéisantes par excès et sont symbolisées
par les images de la Caverne, de la Mère, de la rotte ou de la Nef et
bien sûr de la Coupe et du Chaudron.
Les Structures schizomorphes ou héroïques, diaïrétiques, initiées par
le réflexe du redressement, sont placées sous la domination posturale
de l’élévation, de l’ascension, de la distinction. Hétérogénéisantes,
elles déterminent une attitude phallique ou de séparation chez
12 La foi du cordonnier, p 228
9
l’humain et se trouvent symbolisées par exemple dans les figures du
bâton, de la lance, de l’épée.
Enfin, les structures synthétiques ou dramatiques, sont liées à
l’expérience dominante de la copulation. Structures d’équilibre, elles
manient les oppositions en faisant coïncider les contraires et leurs
images sont celles du denier, du cercle e la roue, elles favorisent les
symboles lunaires.
Chez Jean Charles Pichon, qui travaille sur une toute autre échelle,
nous retrouvons d’abord une même tripartition. Observant la réalité, il
définit en effet trois angles de vision, quel que soit le plan d’univers
choisi et en tire argument en montrant que des 12 manières d’être,
sont constamment rattachées à ces trois visions répartissant les
grandes figures du zodiaque. Et d’en citer les repérages :
chez Platon : Le Vrai Le Beau, le Bon,
chez Joachim de Flore : le Père, le Fils et l’Esprit (il est sur ce
point en désaccord avec Durand qui voit chez le moine calabrais un
père du progressisme),
chez les hindouistes : la trinité des empires de Brahma,
Vishnou, Shiva,
ou encore la vieille distinction entre les voies de l’Action, de la
Connaissance et de la dévotion contemplative.
et chez les scolastiques : le tryptique Corps, Ame, Esprit.
Nous ajouterons pour notre part les trois pôles ésotériques de
Sagesse, Force et Beauté.
L’exemple, pris dans l’oeuvre de JC Pichon, de sa description des
dieux paléolithiques, viendra confirmer ce rapprochement des deux
visions.
Les mythes paléolithiques.
Lorsqu’il évoque les mythes les plus anciens, repérés dans les plus
anciennes cultures altaïques sibériennes, il décrit deux figures
complémentaires chez ces nomades, vestiges des divinités
antérieures : l’Arbre, qu’il oppose au Rocher sorti des eaux, d’où
viendrait le mythe de la Femme Poisson, l’un et l’autre reflétant une
voie ascensionnelle dans le sens Terre / Ciel ou Eau/ Air.
10
Vers 2000 ans avant JC, les mythes des dieux de la Sagaie, liés à
l’usage des armes de jet, définissent les caractères du dieu lanceur,
divinité virile s’il en est.
Nous sommes bien là dans les schèmes ascensionnels et lumineux
repérés par Gilbert Durand et sans doute en rupture avec des mythes
aquatiques liés aux schèmes de l’intimité.
Dans la phase suivante, les hommes, du fait des phénomènes de
glaciation, vont chercher refuge dans l’abri et l’obscurité des grottes
profondes auxquels répondent les mythes de la Grotte et du Scorpion
terré dans l’ombre. Ils expriment une présence invisible, insaisissable,
celle de la Grande Déesse ou de l’invisible durée, vierge et continente.
Face à celle-ci, « il prend le goût du désir de celui qui ne quitte jamais
son gîte ». Nous retrouvons à cette phase du cycle les schèmes
homogénéisant du régime nocturne des images de Gilbert Durand et
qui concernent cette fois-ci des populations sédentaires valorisant les
figures digestives et mystiques, comme un retour à la Source de Vie.
S’ensuit une longue phase de transition mythologique ; quand les
hommes sortent de leur caverne, ils sont aveuglés par le Soleil lequel
devient sujet d’effroi. S’ouvre alors un conflit avec les mythes de la
Préservatrice qui amènera les Ténébreux à s’adapter, une chaîne
s’établissant entre ceux de l’Arbre et ceux de la Fondation. Temps de
désespoir pour certains, nous dit JC Pichon, mais vaillants et forts ils
vont durcir l’épieu oubliant la lune, l’œuf, la caverne.
Au 9éme millénaire, nouvelle mue mythologique quand un jour
« quelque nain des lagunes déclare que l’enfant naît du mâle et de la
femelle joints ». Les solaires se demandent alors à quoi sert de
connaître le cheminement de la Lune sinon à l’égaler et vont initier le
routes du Savoir et de la Guerre. Complémentairement, face à eux les
Sages conservent un parti de prudence, l’échange est né, sous
l’auspice des hiérophanies lunaires qui lient la femme (la Grande
Déesse lunaire) et le rêve.…
Un passage dés lors s’opère entre les dieux sagittaires et lanceurs et
la Déesse des Moissons, la Préservatrice. En même temps cette fusion
opère un certain effroi d’où naissent les cloisons de protection, ou
interdits et tabous, qui vont sacraliser par exemple le placenta, le
11
cercle magique, issus de la féminité. La séparation sacré (nocturne)
profane (diurne) en découle concomitante à la séparation des sexes13.
Au VIIIe siècle avant JC, la synthèse s’opère dans ce que JC Pichon
nomme L’Age d’or qui voit émerger des figures mythologiques duelles :
la Spirale, le Serpent, le Fœtus, le Cerveau, qui s’entrecroisent avec les
mythes lunaires et vont s’universaliser.
Car pour Gilbert Durand, les structures synthétiques « intègrent en
une suite continue toutes les autres intentions de l’Imaginaire 14»,
structures qui marquent un profond accord avec l’ambiance allant
jusqu’à la viscosité, sous le régime du vivant accord.
Il ne s’agira dés lors plus, pour G. Durand, de la recherche d’un
certain repos (puisque l’homme est sorti de la chaude intimité de la
substance et de la caverne féminine), mais « d’une énergie mobile
dans laquelle assimilation et adaptation concertent
harmonieusement15 ».
Et pour JC Pichon, « l’harmonie qui naît de l’ensemble des rythmes est
une réalité en soi ».
Nous conclurons, pour notre part en évoquant les travaux d’un
Wilhelm Reich qui travaillant sur les mouvements de l’énergie
universelle -qu’il nommait orgone- évoquait une pulsation universelle
faite de mouvements ondulatoires d’expansion et de contraction
organisés entre figures continues et discontinues16.
N’est ce pas là l’universelle leçon de l’histoire des Mythes ?
13 L’Homme et les Dieux p 72/7314 Durand G., Les Structures… p. 400/401.15 ibidem16 Reich W., L’Ether, dieu et le diable , Payot, 1973, p. 206.
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