colloque jean c pichon2013

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Rencontres autour de Jean–Charles Pichon Ile de Berder, 14-16 Juin 2013. La notion de cycle chez Gilbert Durand et Jean–Charles Pichon, approche comparée. Georges Bertin. « Se souvenir un jour, c’est prévoir ». Jean-Charles Pichon Métamorphoses et la permanence des mythes. Dans l’introduction à leur édition du magistral Cycle du Rameau d’or de l’anthropologue James G. Frazer publié en 1890, Nicole Belmont et Michel Izard, rappellent que l’on y voit fonctionner les métamorphoses et la permanence du mythe. Pour eux, « l’étude des mythes provoque un vertige auquel on tente d’échapper par une fuite en avant perpétuelle. Cette fascination, écrivent-ils, ne trouve une solution empirique qu’en un retour au point de départ, au mythe de référence, un bouclage du périphérique » 1 . Si l’on compare les travaux de ces deux maîtres que furent Gilbert Durand (1921-2012) et Jean Charles Pichon (1920- 2006), nous y retrouvons cette même obsession d’une maîtrise 1 Frazer et le cycle du Rameau d’Or, R Laffont, 1981, XXIX. 1

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Page 1: Colloque Jean C Pichon2013

Rencontres autour de Jean–Charles Pichon

Ile de Berder, 14-16 Juin 2013.

La notion de cycle chez Gilbert Durand

et Jean–Charles Pichon, approche comparée.

Georges Bertin.

« Se souvenir un jour, c’est prévoir ».

Jean-Charles Pichon

Métamorphoses et la permanence des mythes.

Dans l’introduction à leur édition du magistral Cycle du Rameau d’or

de l’anthropologue James G. Frazer publié en 1890, Nicole Belmont et

Michel Izard, rappellent que l’on y voit fonctionner les métamorphoses

et la permanence du mythe. Pour eux, « l’étude des mythes provoque

un vertige auquel on tente d’échapper par une fuite en avant

perpétuelle. Cette fascination, écrivent-ils, ne trouve une solution

empirique qu’en un retour au point de départ, au mythe de référence,

un bouclage du périphérique »1.

Si l’on compare les travaux de ces deux maîtres que furent Gilbert

Durand (1921-2012) et Jean Charles Pichon (1920-2006), nous y

retrouvons cette même obsession d’une maîtrise du devenir par la

répétition des instants temporels, d’une abolition de la distinction

temps/espace, le temps étant spatialisé par le cycle (Gusdorf) ou

encore « assurant une mainmise déterministe et rassurante sur les

capricieuses fatalités du devenir » (Bergson).

C’est bien à cette figure de l’année, avec des focales différentes, que

nous renvoient nos deux auteurs, comme figure circulaire (annulus)

1 Frazer et le cycle du Rameau d’Or, R Laffont, 1981, XXIX.

1

Page 2: Colloque Jean C Pichon2013

tendant à organiser la fluidité du temps dans une figure spatiale

(Gilbert Durand). Mais nous verrons que l’un et l’autre renvoient

justement sur cette question des figures à des représentations si ce

n’est à des concepts différents quoique complémentaires.

D’abord Gilbert Durand, se fondant sur de nombreux travaux

ethnologiques, tels ceux de Jacques Soustelle sur les Incas, montre

dans son ouvrage princeps « Les Structures anthropologiques de

l’Imaginaire » (1969) maintes fois réédité, que la loi du Monde est

calquée sur l’alternance de qualités distinctes nettement tranchées qui

dominent, s’évanouissent et reparaissent éternellement entre les

mesures duodécimales liées aux phases lunaires et les mesures

solaires calculées sur le mode décimal.

Alors que la somme dramatique des phases de la lune suggère

toujours un processus de répétition, la lune étant mère du pluriel, ce

qui a, par exemple, donné naissance à toutes les figures trinitaires, le

cycle solaire et spécialement le cycle ascendant ou levant, figuré par

exemple par Apollon ou Belenos le brillant, magnifie la puissance

bienfaitrice du soleil victorieux de la nuit, de la Résurrection et de la

Jeunesse conquête de l’esprit qui prend conscience de sa réalité,

imaginaire de l’ascendance et de la transcendance, quand la parole

présidant à la création de l’univers, la lumière luit dans les Ténèbres.

On aboutit, par conjonction de ces deux figures majeures, à la

succession des contraires, dans l’alternance de leurs modalités

antithétiques, à la synthèse de hiérophanies opposées, laquelle va

marquer toute notre relation au Mythe.

Ceci est particulièrement observable dans le cycle naturel de la

fructification saisonnière, le symbolisme végétal organisant la collusion

du cycle végétal (mort/latence/floraison) et du cycle lunaire ici

surdéterminant entre la prise de conscience d’une raison légalisante

de l’univers, cosmique à valence masculine et la désolation de la

déesse à valence féminine.

« Entre l’homme esprit et la déchéance de la nature, écrit G Durand

se situe le médiateur ».

Dés lors pour lui, dans « La Foi du Cordonnier », les fêtes du

pèlerinage temporel vont se distribuer de façon régulière et

significative en des points précis proches des cuspides du calendrier

2

Page 3: Colloque Jean C Pichon2013

zodiacal de l’année solaire. Le calendrier chrétien est ainsi constitué

par :

des fêtes mobiles indexées sur les lunaisons pascales,

la branche des « dies natalis », le christianisme gardant deux

fêtes luni solaires : Pâques, le premier dimanche suivant le 14éme de

Nizan et Pentecôte.

On aboutit ainsi à une division quadripartie de l’année avec comme

points de repères

1. Hannouchka /Noêl (chez les romains, les Saturnales ou les

feriae sementinas,

2. Printemps les fêtes des épis, ou rogations, les Robigalia ou

feriae robigalium,

3. Le solstice de juin avec les fêtes de moissons et la Pentecôte,

ou feriae messis rite pratiqué au premier sabbat qui suit la Pâque

hébraïque,

4. L’Equinoxe d’Automne Vendanges, feriae vindemiales ou

volcania ou encore Rosalia.

Les symboles thériomorphes des 4 évangélistes entourant le Christ

Chronocrator situé non entre la fin des <gémeaux et le début du

Cancer mais entre le Cancer et le Lion correspondent donc aux angles

de l’année. Ils s’inspirent d’un décalage sidéral datant de 20 siècles

avant JC puisque jusqu’en 2500 la constellation du Taureau était à

l’équinoxe et celle du Lion au solstice, recoupant une tradition qui veut

que le monde est vieux de 60 siècles et situant le Christ hors de

l’Histoire, car le temps mystique n’est pas celui des astronomes. Pour

Gilbert Durand, l’histoire des siècles s’inscrit dans une métahistoire

archétypique, dans un cycle liturgique (saecula saeculorum).

Il ya donc des force structurantes communes à l’imaginaire profane

des saisons, des nuits et des jours et à l’imaginal des visions révélées.

Si toutes les traditions nous disent la quaternité sur laquelle repose le

monde créé, le génie d’une religion consistera à en approfondir les

récurrences.

Le Recteur Paul Verdier, disciple de Gilbert Durand et spécialiste

d’archéo-astronomie, précise ainsi le calendrier comme « un outil

qu’une civilisation emploie pour ordonner des résultats de la mesure

du temps et pour exprimer sa chronologie, son histoire, à partir d’un

3

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premier jour conventionnel marquant le point de départ de la

continuité des grands cycles temporels2 ».

L’observation scientifique de la course des astres errants (soleil, lune)

faite par des astronomes opérant constamment dans les mêmes

conditions définit ainsi l’abstraction temporelle ou nychtémère soit une

durée conventionnelle constante nuit+ jour.

L’observation des levers sur l’astre d’un lieu détermine ainsi un

calendrier grâce à l’éventail des positions astrales. Si la référence se

fait au lieu, on parlera de temps tropique et si elle se fait aux astres

fixes, de temps tropique. La différence de durée entre deux cycles,

dans un même lieu pour un même astre, définit la précession des

équinoxes et les fêtes sacralisent certains nychtémères au cours

desquels un dieu ou une déesse sont intervenus de façon spectaculaire

dans le temps des hommes.

Il appartient aux religieux (comme les Druides) de conserver la

mémoire collective du retour régulier de cet événement.

Ainsi, toutes les civilisations ont des dates fondatrices majeures. Si

l’homme est borné, le divin est éternel, maître du temps et la religion

relie l’Homme au Dieu.

Ceci pose la question de l’initiation, car il faut avoir une perception

consciente de l’abstraction temporelle pour comprendre les dieux et,

observant la course cyclique des astres, en déterminer d’autres grands

cycles telle la Grande Année gérée par un Temps différent.

Cette perception n’est pas donnée, elle s’acquiert par transmission,

de maître à disciple, elle comporte des degrés qui sont autant d’étapes

dans l’acquisition d’une Connaissance faisant lien entre microcosme et

macrocosme puisque « tout ce qui es en haut est comme ce qui est en

bas », selon la Table d’Emeraude d’Hermés Trismégiste.

En effet, pour Verdier, le temps fonctionne par cycles identiques et le

dieu reviendra forcément en même lieu et date selon l’exigence de son

propre cycle temporel mais dont l’homme ne peut connaître la durée

qui le dépasse. Alors, il construit des temples pour mémoire et

organise des pèlerinages pour retrouver ces moments où Temps divin

et histoire humaine sont confondus pour un bref instant d’éternité,

2 Les Druids, p 9- sq

4

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quand hommes et Dieux sont sur une plage commune tout devient

possible et la lumière des astres errants sacralise le lieu (p 121).

Et nous en arrivons à Jean Charles Pichon 3 qui a su nous montrer,

dans le même esprit, comment les suites mythiques épousaient les

mouvements du temps tout en en modifiant les figures mais sans en

modifier le mouvement, celui là même des astres. Le perçoivent les

esprits éclairés : « aussi loin que nous remontons dans le passé, quels

que fussent les Noms ou les Symboles élus, cette succession nous

semble être apparue aux esprits éclairés non moins nettement que

d’autres suites irréversibles 4».

Comme Verdier se référant à l’astronomie, Jean–Charles Pichon

montre que toute recherche sur les cycles se fonde sur la double

notion de figure et de mouvement, et que la science ésotérique ne

cesse d’évoluer parallèlement à celle des nombres, tandis que pour

Gilbert Durand on ne peut comprendre les structures anthropologiques

de l’imaginaire sans la notion de trajet.

Les mythes se succèdent donc dans un sens précessionnel, selon un

rythme moyen de 2160 ans, non seulement en leur éveil (le lever) mais

encore en leurs retours et leurs mues. Et, là, Jean–Charles Pichon

introduit une distinction nouvelle, celle de la mue ou mutation des

cycles.

Nous évoluons ainsi vers des figures mythiques discontinues telles

Amour/Justice/Création qui connaissent une Renaissance éternelle et se

vivent entre Entropie quand le passé se dégrade et néguentropie

quand l’Avenir présente, en figures discontinues, de nouvelles

probabilités. Ce qui sera est donc sans cesse modifié par la quantité de

temps vécue, mais ceci est prédictible, les mêmes lois étant toujours

valables.

Et quand les mythes définissent les structures de la durée, le Passé

devient la durée et l’Avenir le Possible. Inversant les lois de l’Espace-

Temps, il nous faut alors considérer qu’il n’y a plus que des positions,

ou des probabilités positionnelles déterminées par des approches ou

des éloignements de l’accomplissement final des orbites situées à des

distances données les une des autres.

3 Celui qui naît, le dieu du futur, e/dite, p 154 L’Homme et les Dieux, Maisonneuve, 1986 p 41

5

Page 6: Colloque Jean C Pichon2013

« Si je sais à quelle distance mon orbite se trouve de telle autre et

quelle densité présentent les deux pôles, je saurai mesurer l’attraction

qui me porte vers ce possible déterminé » (p14)

De même que l’électron ne peut que sauter d’une orbite à l’autre, que

dans le monde subatomique l’astronaute saute d’une orbite à l’autre et

passe d’une accélération 1 à une accélération 2 en réduisant sa

vitesse, (car au delà de la Vitesse de la Lumière le temps s’immobilise,

ne passe plus, les corps étant soumis à la seule inertie et durent

infiniment plus que les corps en mouvement. L’on se souvient des

récits celtiques où des héros ayant visité le monde de l’au-delà, et

retrouvant le nôtre n’ont pas vécu le même rapport au temps. De fait,

les œuvres inspirées par des vocations survivent des millénaires, ce

qui n’est pas le cas des ouvrages rationalistes. Ainsi nous vivons

aujourd’hui les mythes de Justice, de Création, de Fraternité qui ont

4000 ou 10000 ans d’existence, sauf à ce que l’humanité accède

lentement à une prise de conscience de plus en plus vive de sa

liberté5 ».

« Dans le sens rationnel du temps, le passé nous emprisonne,

conditionne nos actes et limite notre avenir. Dans le sens réel du

temps, la durée ne peut être une prison puisque nous la faisons, elle

est le Possible qui nous lie par le choix qu’il exerce et se trouve donc

modifiable car (…) pas un instant ne se perd pas un acte que la Durée

ne s’en empare et l’éternise6.

Ainsi, depuis 10000 ans, l’expérience des peuples formulée dans les

ésotérismes a défini ces structures dans les rapports et interférences

qu’elles offrent les unes avec les autres, les facteurs qu’elles

possèdent en commun. Ce sont les Mythes, soit des états à la fois

dynamiques et statiques, « dans l’alternance de courants

contradictoires, dans l’évolution de l’humanité (organisation puis

entropie)7.

Jean-Charles Pichon rejoint ici les travaux des ethnologues pour

lesquels l’idée d’un sacré universel s’impose à l’observateur et c’est

bien elle qui détermine la pérennité des croyances et des rites8.

5 Ibidem, p. 446 Ibidem p. 167 Ibidem p . 468 Ibidem p. 37.

6

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Appréhender un mythe, c’est donc découvrir une clé universelle ou

encore un dieu qui contient, reflète et assume le monde et si les

mythes changent d’appellation, ils se succèdent et cette succession est

commune à toutes les époques, à tous les peuples.

Ce constat fonde la théorie des cycles chez Jean-Charles Pichon. Pour

lui, si l’on peut bien connaitre la durée de vie d’un homme, celle des

saisons chaudes et froides, l’alternance Lumière/Ténèbres, les

civilisations et peuples ne sont pas soumis à des divisions semblables

et nombre d’entre elles de plus ne sont pas d’accord sur les divisions

de l’année, tels :

l’ère zodiacale : 26000 ans,

l’ère géologique : plusieurs milliers d’année zodiacale,

le cycle de la Lumière : 200 trillions d’années,

le cycle annuel 365 jours,

le cycle précessionnel (rotation de la terre autour d’un axe fixe de

2173 à 2190 ans ou 2205 ans (Islam) , 2150 ans chez Kepler.

Ils sont marqués en leur sein par les mouvements d’involution et

d’évolution ou, en termes mythologiques, de Royaume et de Non

Royaume.

De plus des degrés de liberté existent entre chaque cycle ainsi pour

l’ère précessionnelle il est de 72 ans. (temps que le soleil met à

franchir un degré sur l’écliptique).

Ces alternances déterminent ainsi des ères matérialistes constatant le

dépérissement des civilisations & des techniques, à caractère

entropique puis des ères où l’on revient au sens du divin, soit des ères

de création mythique ou néguentropique; quand l’énergie se

reconstitue et que le monde spirituel de la durée est retrouvé.

Car les dieux sont éternels, ils vivent au-delà de l’ère où ils prennent

forme. Entre absence et renouveau, se produisent des

entrecroisements. Jour et Nuit précessionnels recouvrent donc nuit et

lumière d’un dieu vivant.

A certains époques, des formes originales se dessinent avec le dieu

qui naît, s’universalise alors un mythe révolutionnaire tandis que vers

la fin de ces époques s’élèvent des lamentations des mystiques

inspirés annonçant l’éloignement de la divinité.

7

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Tous les deux millénaires, naissent donc des mythes nouveaux qui

dépérissent tandis que s’anéantissent les cultures, d’où le sentiment

du tragique.

Gilbert Durand fait un semblable constat quand il propose une

méthode mythocritique, constatant, pour chaque mythe,

superpositions, remplacements, compensations d’un mythe par

l’autre . « Un mythe actualisé en idéologies, en institutions, suscite

ipso facto un contre mythe ou un autre mythe potentialisé et dont les

manifestations sont moins patentes que l’autre.9

Pour lui, les modalités de transformation d’un mythe (usure ou

résurgence) sont manifestées soit par une inflation du latent ou par

celle du patent.

Et de plus, non seulement un mythe s’use, disparait ou ressurgit mais

encore il peut dériver. Ce qui correspond au constat de JC Pichon sur

les entrecroisements et les degrés de liberté qui existent sur l’ère

précessionnelle. Pour Gilbert Durand, ce sont ces variations qui vont

changer l’âme d’une époque. Etudier les structures mythiques sera

donc pour lui « l’ultime miroir, le suprême référentiel auquel puisse se

regarder le visage des oeuvres de l’homme et se déchiffrer sa légende

qui est à lire de la condition humaine et de son destin »10

Car pour JC P comme chez GD, le mythe est bien l’ultime discours, il

exprime la guerre des dieux et distribue les rôles et l’histoire, permet

de décider ce qui en fait le moment historique l’âme d’un époque, d’un

siècle d’un âge de la vie. Il est le module de l’histoire et non l’inverse.

Et sans les structures mythiques assène encore Durand, pas

d’intelligence historique possible sacrant la mythologie comme mère

de l’histoire.

Pourtant, note JC Pichon 11, la résistance est forte, et seuls l’initié ou le

poète échappent au piège car la flèche rationnelle du temps est encore

celle qui nous dirige « mais le paradoxe de notre rationalisme nous

apparaît de mieux en mieux chaque jour, si bien qu’il en viendra à

n’être plus supportable. Le choix rationnel du passé vers l’avenir ne

présente pas seulement le caractère permanent du refus de la réalité

9 Figures mythiques et visages de l’œuvre, p 32010 Les structures…p. 322.11 Histoire des mythes, p.311

8

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mais aussi, selon les époques, le caractère du refus du dieu vivant : la

Liberté d’aujourd’hui.

Car le mythologue sait, par le message des millénaires, que la raison

humaine n’est pas le seul facteur en cause et que des structures

continuent de surgir dans le Possible, s’éternisant dans sa durée.

Nous croyons piétiner -écrit il encore- alors que nous vivons, seconde

par seconde, un temps que les dieux calculent en année de siècles.

Pour G Durand, face à la fantaisie morbide des recettes d’unité à tout

prix, d’une réduction à un seul facteur dominant, il nous faut

« reprendre la longue marche de notre civilisation sans vagabonder et

sans boiter, coudre ensemble la mémoire de notre culture et l’intuition

de nos sciences les plus avancées, (…) façonner là une gnose

renouvelée »12.

Convergence des interprétations.

Cette convergence des interprétations chez nos deux auteurs, nous

allons maintenant la vérifier par l’exemple en examinant la

correspondance que nous pouvons établir entre l’anthropologie de

l’Imaginaire de Gilbert Durand fondée, rappelons le sur une « bi-

tripartition fonctionnelle » et la mythologie de Jean-Charles Pichon.

Pour Gilbert Durand, l’anthropologie de l’Imaginaire, la science des

symboles qu’il développe définit trois structures se référant à deux

régimes de l’Imaginaire qui structurent nos existences : le diurne et le

nocturne. Rappelons-les schématiquement dans le sens même qu’en

fait chaque être humain ,dans les premières phases du développement

de son cycle vital.

Les structures mystiques, initiées par le réflexe de succion, sont

dominées par la digestion, la chaude intimité de la substance. Liées à

la matrice, elles sont homogénéisantes par excès et sont symbolisées

par les images de la Caverne, de la Mère, de la rotte ou de la Nef et

bien sûr de la Coupe et du Chaudron.

Les Structures schizomorphes ou héroïques, diaïrétiques, initiées par

le réflexe du redressement, sont placées sous la domination posturale

de l’élévation, de l’ascension, de la distinction. Hétérogénéisantes,

elles déterminent une attitude phallique ou de séparation chez

12 La foi du cordonnier, p 228

9

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l’humain et se trouvent symbolisées par exemple dans les figures du

bâton, de la lance, de l’épée.

Enfin, les structures synthétiques ou dramatiques, sont liées à

l’expérience dominante de la copulation. Structures d’équilibre, elles

manient les oppositions en faisant coïncider les contraires et leurs

images sont celles du denier, du cercle e la roue, elles favorisent les

symboles lunaires.

Chez Jean Charles Pichon, qui travaille sur une toute autre échelle,

nous retrouvons d’abord une même tripartition. Observant la réalité, il

définit en effet trois angles de vision, quel que soit le plan d’univers

choisi et en tire argument en montrant que des 12 manières d’être,

sont constamment rattachées à ces trois visions répartissant les

grandes figures du zodiaque. Et d’en citer les repérages :

chez Platon : Le Vrai Le Beau, le Bon,

chez Joachim de Flore : le Père, le Fils et l’Esprit (il est sur ce

point en désaccord avec Durand qui voit chez le moine calabrais un

père du progressisme),

chez les hindouistes : la trinité des empires de Brahma,

Vishnou, Shiva,

ou encore la vieille distinction entre les voies de l’Action, de la

Connaissance et de la dévotion contemplative.

et chez les scolastiques : le tryptique Corps, Ame, Esprit.

Nous ajouterons pour notre part les trois pôles ésotériques de

Sagesse, Force et Beauté.

L’exemple, pris dans l’oeuvre de JC Pichon, de sa description des

dieux paléolithiques, viendra confirmer ce rapprochement des deux

visions.

Les mythes paléolithiques.

Lorsqu’il évoque les mythes les plus anciens, repérés dans les plus

anciennes cultures altaïques sibériennes, il décrit deux figures

complémentaires chez ces nomades, vestiges des divinités

antérieures : l’Arbre, qu’il oppose au Rocher sorti des eaux, d’où

viendrait le mythe de la Femme Poisson, l’un et l’autre reflétant une

voie ascensionnelle dans le sens Terre / Ciel ou Eau/ Air.

10

Page 11: Colloque Jean C Pichon2013

Vers 2000 ans avant JC, les mythes des dieux de la Sagaie, liés à

l’usage des armes de jet, définissent les caractères du dieu lanceur,

divinité virile s’il en est.

Nous sommes bien là dans les schèmes ascensionnels et lumineux

repérés par Gilbert Durand et sans doute en rupture avec des mythes

aquatiques liés aux schèmes de l’intimité.

Dans la phase suivante, les hommes, du fait des phénomènes de

glaciation, vont chercher refuge dans l’abri et l’obscurité des grottes

profondes auxquels répondent les mythes de la Grotte et du Scorpion

terré dans l’ombre. Ils expriment une présence invisible, insaisissable,

celle de la Grande Déesse ou de l’invisible durée, vierge et continente.

Face à celle-ci, « il prend le goût du désir de celui qui ne quitte jamais

son gîte ». Nous retrouvons à cette phase du cycle les schèmes

homogénéisant du régime nocturne des images de Gilbert Durand et

qui concernent cette fois-ci des populations sédentaires valorisant les

figures digestives et mystiques, comme un retour à la Source de Vie.

S’ensuit une longue phase de transition mythologique ; quand les

hommes sortent de leur caverne, ils sont aveuglés par le Soleil lequel

devient sujet d’effroi. S’ouvre alors un conflit avec les mythes de la

Préservatrice qui amènera les Ténébreux à s’adapter, une chaîne

s’établissant entre ceux de l’Arbre et ceux de la Fondation. Temps de

désespoir pour certains, nous dit JC Pichon, mais vaillants et forts ils

vont durcir l’épieu oubliant la lune, l’œuf, la caverne.

Au 9éme millénaire, nouvelle mue mythologique quand un jour

« quelque nain des lagunes déclare que l’enfant naît du mâle et de la

femelle joints ». Les solaires se demandent alors à quoi sert de

connaître le cheminement de la Lune sinon à l’égaler et vont initier le

routes du Savoir et de la Guerre. Complémentairement, face à eux les

Sages conservent un parti de prudence, l’échange est né, sous

l’auspice des hiérophanies lunaires qui lient la femme (la Grande

Déesse lunaire) et le rêve.…

Un passage dés lors s’opère entre les dieux sagittaires et lanceurs et

la Déesse des Moissons, la Préservatrice. En même temps cette fusion

opère un certain effroi d’où naissent les cloisons de protection, ou

interdits et tabous, qui vont sacraliser par exemple le placenta, le

11

Page 12: Colloque Jean C Pichon2013

cercle magique, issus de la féminité. La séparation sacré (nocturne)

profane (diurne) en découle concomitante à la séparation des sexes13.

Au VIIIe siècle avant JC, la synthèse s’opère dans ce que JC Pichon

nomme L’Age d’or qui voit émerger des figures mythologiques duelles :

la Spirale, le Serpent, le Fœtus, le Cerveau, qui s’entrecroisent avec les

mythes lunaires et vont s’universaliser.

Car pour Gilbert Durand, les structures synthétiques « intègrent en

une suite continue toutes les autres intentions de l’Imaginaire 14»,

structures qui marquent un profond accord avec l’ambiance allant

jusqu’à la viscosité, sous le régime du vivant accord.

Il ne s’agira dés lors plus, pour G. Durand, de la recherche d’un

certain repos (puisque l’homme est sorti de la chaude intimité de la

substance et de la caverne féminine), mais « d’une énergie mobile

dans laquelle assimilation et adaptation concertent

harmonieusement15 ».

Et pour JC Pichon, « l’harmonie qui naît de l’ensemble des rythmes est

une réalité en soi ».

Nous conclurons, pour notre part en évoquant les travaux d’un

Wilhelm Reich qui travaillant sur les mouvements de l’énergie

universelle -qu’il nommait orgone- évoquait une pulsation universelle

faite de mouvements ondulatoires d’expansion et de contraction

organisés entre figures continues et discontinues16.

N’est ce pas là l’universelle leçon de l’histoire des Mythes ?

13 L’Homme et les Dieux p 72/7314 Durand G., Les Structures… p. 400/401.15 ibidem16 Reich W., L’Ether, dieu et le diable , Payot, 1973, p. 206.

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