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La cire gaufrĂ©e ne tient plus quâĂ un filPar Karine Devot, fondatrice et animatrice de lâassociation Apicool
Un fil de discussion récent sur une page web incriminait des cires contaminées
achetées à un fabricant de cire.
Les abeilles fabriquent de la cire naturellement mais de nombreux
ap icu l teurs achÚtent de la c i re préfabriquée. Pourquoi ?
Jâai essayĂ© dây voir un peu plus clair.
La cire des abeilles ! On en connaĂźt tous la provenance et lâusage. On lâextrait des ruches et on sâen sert pour fabriquer des bougies, des produits encaustiques pour les meubles ou autres. Mais connaissons-Âânous exactement son origine ?
La cire, une sĂ©crĂ©tion naturelle chez lâabeille.
Les abeilles mellifÚres disposent de 8 glandes spéciales appelées glandes
ciriĂšres situĂ©es sous lâabdomen. Câest
entre le 12Ăšme et le 19Ăšme jour de leur vie que les ouvriĂšres deviennent
ciriĂšres. Les glandes ciriĂšres sont alors les plus actives et permettent la
production dâune substance grasse qui
traverse le « miroir » et se prĂ©sente sous la forme dâune Ă©caille de cire blanche.
Il faut 1250 Ă©cailles de cire pour obtenir
1 gramme de cire.
La production de cette cire dépend de
trois facteurs : lâĂąge de lâabeille, la tempĂ©rature de la ruche (entre 33 et 36
CIRES GAUFREES OUJa
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degrĂ©s) et lâalimentation des abeilles. Elles consomment dix fois en miel ce qui est produit
en cire (10 kilos de miel pour 1 kilo de cire).
Blanche au début, la cire se colore en jaune avec
les pigments naturels provenant du pollen et de la propolis. Les cellules servant Ă la ponte, quant Ă
elles, deviennent brunes à noires en vieillissant suite aux déjections et aux restes des cocons de
soie filés par les larves avant leur nymphose.
Nous pensons toujours au miel comme production de lâabeille. Pourtant, sa premiĂšre production est la cire car, sans cire, elle nâa aucun endroit pour stocker les produits de sa rĂ©colte, nectar et pollen et la reine ne dispose dâaucun lieu de ponte. Câest avec la cire que les abeilles vont construire les rayons de leur nid.
La cire, un support naturel sur-mesure
Imaginons lâessaim nouveau qui sâapproprie un nouvel habitat, une cavitĂ© dans un arbre creux par
exemple. Tout est Ă re-construire mais lâessaim est constituĂ© dâun maximum d'abeilles en Ăąge de
produire de la cire. Les réserves de miel
emportées dans le jabot des ouvriÚres permettront de démarrer de suite la construction
des premiers rayons. A lâĂ©poque de lâessaimage, courant mai, la nourriture ne manque pas et la
construction est rapide (sous réserve que les
abeilles puissent sortir récolter). Les derniÚres saisons que nous avons connues avec une fin de
printemps pluvieuse et froide ont également été un frein à la construction).
Lâouvrage commence par le haut. Une abeille se suspend au plafond de la cavitĂ©, une autre
s'accroche Ă ses pattes arriĂšres qui pendent dans le vide, et ainsi de suite jusqu'Ă former une chaĂźne
ciriĂšre.
Les ouvriÚres bùtisseuses vont récupérer les lamelles de cire, les malaxer et les humecter de
salive. Les boulettes constituées vont passer ensuite de ciriÚre en ciriÚre avant de parvenir aux
abeilles chargées de la construction des alvéoles.
Câest ainsi que se montent (ou plutĂŽt se
descendent !!) les rayons de cire, du haut vers le bas, composĂ©s dâalvĂ©oles de chaque cĂŽtĂ© de forme
hexagonale, légÚrement inclinées pour éviter
lâĂ©coulement du nectar ou la chute de la larve et adaptĂ©es Ă la taille des abeilles selon leurs
besoins.
DâannĂ©e en annĂ©e, les alvĂ©oles de cire vont vieillir
et se rĂ©trĂ©cir. Lâhabitat sera sans doute abandonnĂ© un jour. Au bout de combien de temps ? La
rĂ©ponse dĂ©pend certainement du volume de lâhabitat et de la force de la colonie. Jâai trouvĂ©
peu de réponses concrÚtes sur ce sujet et constate
quâil existe des lieux (grenier du chĂąteau de Nilvange 57 par exemple) et quelques ruches dans
lesquelles les abeilles mellifĂšres nichent depuis plus dâune dizaine dâannĂ©es.
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La cire constitue donc chaque jour et jusquâĂ la disparition de la colonie lâenvironnement quasi-
permanent de celle-ci et de sa reine.
Suite ou avec lâinvention des ruches Ă cadres mobiles, il est devenu dâusage de proposer aux abeilles des cires gaufrĂ©es.
Lâinvention des cadres mobiles
Pendant longtemps, dans les ruches paniers et dans les ruches troncs, il nây eut que des barrettes
au sommet de la ruche, fournissant ainsi
simplement aux abeilles le porte-rayon, le guide à partir duquel elles aménageaient leur logis
librement en droite ligne ou pas ! La récolte du miel se faisait par pressage des rayons extraits.
RĂ©pondant Ă des objectifs de simplification de rĂ©colte et de contrĂŽle de lâapiculteur sur son
Ă©levage, les ruches Ă cadres mobiles (ces cadres que lâon peut sortir de la ruche apparurent au
19Ăšme siĂšcle) devinrent trĂšs rapidement le
modĂšle de ruche de production plĂ©biscitĂ©. Lâapiculteur y trouve un avantage certain :
- les cadres mobiles sont simples Ă sortir des ruches
- lâapiculteur peut ouvrir, contrĂŽler, prĂ©lever,
diviser, intervenir dans sa ruche Ă tout moment
- le «contrĂŽle sanitaire» est agencĂ©- les cadres peuvent ĂȘtre rĂ©utilisĂ©s et nouvelĂ©s
aisément.
Lâessor des cires gaufrĂ©es
La cire gaufrée consiste en une mince feuille de
cire pré-alvéolée moulée ou pressée dans un gaufrier. Cette feuille de cire est ajoutée au cadre
mobile. Elle fut inventée en 1857 par Jean Merhing, apiculteur bavarois. Un Suisse, Pierre
Jacob, améliora ensuite la presse de Merhing, et,
en 1865, Steele, de Jersey, importa la cire gaufrĂ©e aux Ătats-Unis, oĂč, en 1876 Root fit construire par
Wastburne une machine Ă cylindres, et lâemploi de la cire gaufrĂ©e se rĂ©pandit rapidement Ă travers
le monde.
Lâinvention et lâusage de la feuille de cire gaufrĂ©e est considĂ©rĂ©e comme un des plus grand progrĂšs
de lâapiculture moderne.
Quels avantages ?
- les rayons sont édifiés suivant les feuilles de cire gaufrée, droites et parallÚles, facilitant
lâinstallation, la sortie et le dĂ©placement des cadres de la ruche
- une fois les cadres construits et remplis de
miel par les abeilles, ils sont placés dans des extracteurs pour une récolte par force
centrifuge - les cadres pré-bùtis faciliteraient le travail
des abeilles (moins dâĂ©nergie nĂ©cessaire, plus
de temps dédié à la récolte).
Des apiculteurs amateurs passionnés fabriquent encore leur cire gaufrée à partir de la cire de leurs
colonies mais beaucoup aujourdâhui lâachĂštent
pré-fabriquée dans des commerces apicoles.
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Si ces Ă©volutions techniques ont apportĂ© des facilitĂ©s certaines Ă lâapiculteur, elles portent aussi aujourdâhui certains questionnements tenant compte de l'environnement dans lequel les abeilles Ă©voluent.
Des cires contaminées
Pest Management Science, novembre 2007.
«Leur enquĂȘte rĂ©vĂšle d'abord que les cires sont contaminĂ©es par des rĂ©sidus de nombreux
pesticides agricoles tels que le Gaucho et le Régent, comme l'endosulfan, la deltaméthrine, le
parathion-méthyl ou le lindane, un produit
cancérigÚne aujourd'hui interdit.Mais el le relÚve également la présence
d'insecticides que les apiculteurs ont déposés dans la ruche pour traiter leurs abeilles contre le
varroa, un redoutable parasite introduit en
Europe au début des années 1980 avec le commerce des reines»
« MĂȘme si les concentrations de pesticides dans les cires ne sont pas lĂ©tales, elles peuvent suffire Ă
rendre les abeilles plus sensibles Ă des
changements dans leur environnement, comme des maladies par exemple », note Freddie-Jeanne
Richard, de l'universitĂ© de Caroline du Nord (Ătats-Unis). La reine qui passe sa vie entiĂšre Ă
l'intérieur de la ruche pour pondre pourrait aussi
ĂȘtre affectĂ©e, estime Yves Le Conte, de l'Inra (Avignon). Il rappelle que la durĂ©e de vie
moyenne des reines est aujourd'hui de trois ans au lieu de cinq ans avant la venue du varroa.
Les vieux rayons sont actuellement fondus et
échangés chez les ciriers contre de la cire gaufrée,
malheureusement les molécules toxiques ne sont pas détruites par la fonte des cires et se
retrouvent dans les cires gaufrées comme le montrent les analyses effectuées par des
chercheurs suisses. Il semblerait que certaines
cires gaufrĂ©es puissent ĂȘtre aussi contaminĂ©es par des spores de loque amĂ©ricaine qui nâont pas Ă©tĂ©
détruites par un chauffage insuffisant. »
Des produits contaminés, un nouveau défi pour demain. Etienne BruneauAbeilles et Cie, No 148, 2012« (...) met en évidence des résultats tout aussi
inquiétants pour les 259 échantillons de cire (principalement prélevée au niveau du couvain)
avec 87 pesticides et leurs métabolites détectés.
Un seul Ă©chantillon de cire nâavait pas de pesticide dĂ©tectable mais un autre en comptait
jusquâĂ 39 diffĂ©rents, la moyenne Ă©tant de 8 pesticides par Ă©chantillon.
Anses. Saisine N° 2010-SA-0265 AVISde lâAgence nationale de sĂ©curitĂ© sanitaire de lâalimentation, de lâenvironnement et du travail relatif au risque d'introduction de loque amĂ©ricaine par la cire gaufrĂ©e en PolynĂ©sie françaiseLâAnses a Ă©tĂ© saisie le 28 septembre 2010 par le Service du dĂ©veloppement rural (dĂ©partement de la qualitĂ© alimentaire et de lâaction vĂ©tĂ©rinaire) du MinistĂšre de lâĂ©conomie rurale Ă Papeete (Tahiti, PolynĂ©sie Française) sur le risque dâintroduction de la loque amĂ©ricaine et de contamination des ruches suite Ă lâimportation et lâutilisation de cire dâabeille gaufrĂ©e.
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G Une seule taille de cellules
En introduisant des cires pré-fabriquées, nous
proposons un standard en terme de taille de cellule. Dans son habitat naturel, lâabeille construit
librement en fonction de ses besoins, de son Ă©co-type de son milieu. On trouve plusieurs points de
vue sur ce sujet. Les abeilles mellifĂšres nâont pas
toutes la mĂȘme taille.
Trop dâinterventions dans la ruche ?
La problĂ©matique des cires gaufrĂ©es mâamĂšne Ă me
ques t ionner, t ant sur l âusage des c i res
commerciales que sur une pratique apicole qui l a i sse de moins en moins de p lace au
fonctionnement «naturel». L'apiculture est soumise à des contraintes environnementales de plus en
plus difficiles (pauvreté végétale, phyto-sanitaires,
climat, ondes, eau polluĂ©e, parasites et nouveaux prĂ©dateurs...) sur lesquelles lâapiculteur nâa aucune
emprise, contraintes compensées, il me semble, tant bien que mal, par une «gestion» de plus en
plus fine et technique de son cheptel. La pauvreté
en fleurs se traduit pas le nourrissage courant de la ruche. Pour faire face au varroa, on accepte lâusage
des laniÚres chimiques. On récolte moins donc on élÚve plus. La pression extérieure retombe
directement sur lâabeille que nous avons dâabord
rencontrée par passion et goût de la nature.
Extrait de La rĂ©volution dâun seul brin de paille, M Fukuoka, chapitre Vers une agriculture du non-
agir :
«La voie habituelle pour dĂ©velopper une mĂ©thode est de demander «Et si on essayait ceci ?» ou «Et si on essayait cela» introduisant une variĂ©tĂ© de techniques les unes aprĂšs les autres. Ma voie fut lâopposĂ©. Jâaspirais Ă une maniĂšre de cultiver qui fasse plaisir, naturelle, qui aboutisse Ă rendre le travail plus aisĂ© et non plus dur. «Et si on ne faisait pas ceci ? Et si on ne faisait pas cela ?» telle Ă©tait ma maniĂšre de penser.»
L'invention et l'usage des cires gaufrées pour cadres mobiles a pendant longtemps facilité la
pratique apicole. Toutefois la pollution de plus en
plus évidente des cires gaufrées et les réflexions pour une apiculture plus proche de abeilles et
moins productiviste nous invitent à réviser notre modÚle. Ne serait-il pas opportun d'inviter les
abeilles à produire plus de cire (au détriment de la
récolte de miel) pour qu'elles construisent des rayons qui leur conviennent mieux (de façon
dirigée ou pas par des amorces) et qu'elles puissent vivre, pondre et emmagasiner du pollen
et du miel dans un environnement plus sain.
Sans prétendre à répondre à toutes les
problématiques malheureusement nombreuses autour des abeilles, les ruches arbres, les ruches
nichoirs dans lesquelles les abeilles construisent
librement sont certainement une voie Ă explorer.
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BIBL
IOGR
APHI
EGSDA Charente Maritime. 2010. La sĂ©crĂ©tion de la cire. www.sanitaire-apicole17.orgClaude Bralet. La cire dans tous ses Ă©tats. www.la-ruche-sauvage.comR. Chauvin. Sur le noircissement des vieilles cires. Les Annales de lâAbeille, INRA Editions, 1962, 5 (1), pp.59-63. https://hal.archives-ouvertes.frRaymond Zimmer. 2003. Mode ou nĂ©cessitĂ© ? Le retour vers la cellule Ă taille «naturelle». www.apiservices.bizYves Miserey, 2007. Des rĂ©sidus de pesticides dans les cires dâabeilles. www.lefigaro.frSection Apicole du Haut Bugey. Remplacement des vieux rayons par des cires gaufrĂ©es.www.apiculture-haut-bugey.comMarie GouffĂ©, FrĂ©dĂ©ric Gailland. Extrait de lâarticle du catalogue « 10 ans de recherches en Pays de France ». Histoire de lâapiculture.http://www.jpgf.org/lapiculture-au-xxeme-siecle-dans-le-val-doise/Jean-Paul Charpin. La petite histoire du rucher des Allobroges.www.section-chambery-allobroges.frMathieu Angot. 2016. Le problĂšme de la cire gaufrĂ©e. Les ruchers de lâan 01. www.mathieua.frA.-L. ClĂ©ment.La Nature, 2e semestre 1904, pp. 20-22. Lâart factice chez lâabeille domestique. Lacire gaufrĂ©e. http://www7.inra.fr/opie-insectes/be1904-3.htmBernard Nicollet. 2017. Les cadres Ă jambage pour la ruche. www.abeille-et-nature.com
Pour une autre approche de lâapiculture www.apicool.org http://lespetitesruchesdebiodiversite.com/index.html http://ruchesdebiodiversite.fr
http://freethebees.ch/fr/ Ruches de biodiversité, Editions de Terran
Merci Ă tous les auteurs de ces textes qui mâont permis de nourrir cet article, Ă Chantal Bauer pour la relecture et Ă Guillaume Lemoine pour ses corrections et Ă©clairages enrichissants.