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    AMERINDIA n26/27, 2001-2002

    Trois chants de guerre wayana

    Eliane CAMARGO & Herv RIVIERE.

    CELIA &EREA*

    Les chants que nous prsentons ici ont t chants par Kuliaman en

    octobre 1996, Etekelehpan, petite le du Litani o ils ont t enregistrsdans un contexte des plus pacifiques1. Chanteur rput, Kuliaman estgalement tenu en estime pour sa connaissance fine de lhistoire desWayana.

    Ces derniers appartiennent des groupes amrindiens varis qui, aufil du temps, se sont constitus en une unique ethnie2. Un sentiment

    .Bibliographie d'Herv Rivire sur les Wayana

    1994 - Les instruments de musique des indiens Wayana du Litani (Surinam, Guyane Franaise,Anthropos89, pp. 51-60.1996a - Quand le toucan hoquette. Un exemple d'improvisation en duo chez les Wayanad'Amazonie,Hexameron, pp. 1-2.1996b - Musique instrumentale des Wayana du Litani(Surinam, Guyane Franaise), CD 92637-2,Buda Musique.2001 - Trois chants wayana, Archivage web (musique, transcription en wayana et traduction enfranais simultanes), site http : lacito.archivage.vjf.cnrs.fr/archives/index.htlm.fr.2003 - Une histoire orale des Indiens Wayana, Cayenne, Ibis Rouge Guyane (avec Jean Chapuis).

    *Equipe de Recherche en Ethnologie Amrindienne (CNRS).1 Le (ou la) Litani (en wayana (A)letani) est le nom donn au cours suprieur du fleuve Maroni,

    frontire naturelle entre le Surinam et la Guyane franaise. Nous emploierons le terme au masculin.

    2Le terme wayana renvoie, du point de vue autochtone, un agglomrat de groupes amrindiens.Ce mme point de vue identifie des Wayanahle les 'vrais Wayana' parmi les groupes

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    dappartenance tel ou tel groupe demeure chez les Wayana. Certes desdegrs divers selon les gnrations, mais il nest pas impossible que lesrelations sociales et politiques lintrieur de la communaut wayanacontemporaine ne soient pas en partie sous-tendues par une certaine

    permanence de ses anciens formateurs3.

    Quoi quil en soit, Kuliaman est Upului et est n sur lAlamiyapo,un affluent du Jari, au Brsil4.Cest l quil a appris les chants de guerre,dont les paroles sont dans une langue qui nest pas celle des Wayanadaujourdhui5. Le kalau omi, cette langue ici employe et que lonretrouve dans dautres chants notamment dans ceux dits du kalau6,est en partie incomprhensible par la plupart des locuteurs natifs. Langage

    voil, sotrique ? Trace du parler disparu dun groupe formateur de

    formateurs. La littrature des voyageurs, aventuriers, etc. parle communment, jusquau dbut duXXe sicle, de Roucouyennes. Le terme apparat sous des formes varies, par exemple :Orokoennes, vers 1750, sur une Carte de la Goanne Franoise(Collomb et Tiouka 2000:130),Urucuiana, en 1940, dans un rapport de gographie physique brsilien (Matos 1940:298, 299,348). Kuliaman qui, pourtant, cite plus dune centaine de groupes formateurs des actuelsWayana (Urukuna en mrillon), Waiwai, Waypi, Apalai et Tlo ne reconnat pas ce terme(quelle que soit la forme sous laquelle il lui est propos). La commode assimilationRoucouyennes Wayana masque peut-tre une question dethnohistoire plus complexe quil nyparat. Alors que Jules Crevaux crit que les Roucouyennes [] sont connus par les autres Indienssous le nom de Ouayanas (1987:265-266), Henri Coudreau indique, lui, que les Roucouyennes[] sappellent eux-mmes Ouayanas [] (1893:556). Octavie Coudreau, pour sa part, semblemarquer une diffrence entre les Wayana du Jari et les Roucouyennes du Paru (1901:165).

    3 Ide emprunte Jean Chapuis (com. pers.). Une sociologie des rapports politiques au sein de lacommunaut wayana actuelle pourrait tirer profit dune linguistique qui, mlant sans mlanger synchronie et diachronie, dcrirait les minimes divergences de ralisation phontique observableschez les Wayana daujourdhui en en restituant la distribution arale selon les diffrents bassinsfluviaux dorigine des locuteurs. Une survivance des groupes formateurs se retrouverait-elle dansune tude sociolinguistique ? (Cette sduisante proposition dinvestigation est redevable, l encore, Jean Chapuis, com. pers.).

    4Kuliaman prcise que sur lAlamiyapo se trouvaient les vrais Upului. Pour une description du site

    la fin du XIXe sicle, cf. Coudreau 1893:157 ; sur les relations entre Roucouyennes etOupoulouis, voir encore Coudreau ibid.:558 et sq.

    5 Nous ne savons pas si la (ou les) personne(s) avec qui Kuliaman a appris les chants de guerretai(en)t upului. La langue est en tout cas la mme que celle dautres versions chantes galementaujourdhui par des Wayana dorigine non upului.

    6 Vaste chant rituel la fois catalogue de rfrences historiques et mythiques et description decertaines tapes du rituel eputop (plus connu en Guyane sous le nom de marak ) que lesWayana partagent avec les Apalai. Le kalau est un oiseau (Daptrius americanus, FALCONIDAE,Schpf 1986:136) (voir galement la note 68 in Schpf 1976:78). Dans le rituel eputop, lesvisiteurs-danseurs ont qualit de messagers : de messagers porteurs du savoir et de la connaissance,de messagers porteurs de lesprit de fte. Lors du cycle de danses prcdant linitiation, ilsemmnent avec eux le chanteur soliste karauet, rptant en chur chacune de ses dernires paroles,

    les rpandent dans le village et en fcondent les lieux (Schpf 1998:109). Nous prparons unedition de ce chant, mais on pourra toujours se reporter ldition de Hurault 1968.

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    lethnie actuelle ? tat ancien du wayana ? Les chants de guerre (t-w-top elemi7)offrent loccasion dune premire investigation linguistique.

    Par ailleurs, en Amazonie comme en dautres lieux, il est rare quunchant, de faon gnrale, soit transmis sans que ne seffectue, en parallle,la transmission non chante dun corps de connaissances. Aussi, suivant cemodle, entourerons-nous nos transcriptions dinformations que Kuliaman,mais aussi Kutaka, Sante et Ina-Ina notamment, nous ont communiques8.

    Le tmoignage wayana sur la guerre a ceci de remarquable quil envient toujours nous livrer, en sous-main, les pratiques dindividus runissous la houlette dun sanguinaire personnage, Kailawa9.En soi, cela nest

    gure drangeant cen est mme du pain bnit pour lethnologue pris depsychologie sociale : les Wayana vhiculent limage dun modle guerrierqui les horrifie, mais qui nen demeure pas moins leur modle. Non, ce quiest remarquable, cest que ds lors quon en demande plus sur la guerre, onne parvient pas relever davantage de traces didologies diffrencies (tout le moins relve-t-on quelques divergences dans les pratiques). Comptetenu de la mosaque de groupes et de sous-groupes qui forment les Wayanadaujourdhui, on aurait pu sattendre discours plus varis. Kailawaapparat soudain comme un possible rfrent fondateur des Wayanadaujourdhui.

    Quelques-uns des noms de ces guerriers sont encore bien connusdes Wayana. Ils apparaissent dans des rcits10, dans le kalau et dans les

    prsents chants : Alatumle (chant III, vers 19 et 24), Alimamhe (III-20),Mayamayali (I-32, I-33, III-24, III-25, III-28), Palalipana, (I-34, III-30, III-32), Palulumhe (I-34, III-21, III-29), Palulupana (I-34), Same (III-34),Sihtan (I-34, III-24), Tunakult (III-32, III-33). Kailawa lui-mme nest

    pas nomm, car il est suppos chanter.

    7 Litt. 'chants pour sentretuer' (REC-tuer-NSR chant). Selon Jean Chapuis (1998:520), un certainnombre de termes rendent compte de la guerre ; le plus prcis est ulinumtop, qui dsigne la guerre et tout ce quelle implique : meurtre, faim, misre, incertitude Sur la guerre wayana,on lira avec le plus grand intrt Hussak van Velthem 1995:252-261 et Chapuis 1998:passim.

    8Enregistrs en 1996 par H. Rivire, les chants de guerre ont fait lobjet denqutes lors de missionsultrieures Antcume Pata (Guyane franaise), auprs de Kuliaman, avec laide de Mataliwa, sonfils, et celle de Kupi Aloike. E. Camargo a travaill sur ces chants en 1998, avec Trindade, Macap, puis en 1999, avec Ina-Ina, Sante, Atipaya et Takwali, Taluhwen et Twenk (Guyanefranaise). Un sjour de Taitsi Aloik Paris, en 2000, a permis de faire dultimes vrifications.Les auteurs du prsent article remercient trs chaleureusement tous leurs collaborateurs.

    9Sur ce personnage, on se reportera Chapuis 1998:41, 357, 409, 485-486, 490, 53310Un ensemble (indit) de rcits lis Kailawa a t recueilli par Jean Chapuis.

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    Kuliaman rejouerait donc lhistoire, en nous transmettant undocument, fig ou remani peu importe pour linstant , de la guerrefaon Kailawa.

    voquer le nom de Kailawa, cest voquer un mode dorganisationsociale et militaire que Patris et Tony purent observer lors de leurs voyagesen 1766 et 1769 (Tony 1843). Plus dune centaine dannes plus tard,Coudreau rapporte : la fin du sicle pass, daprs les anciensdaujourdhui, le yapotoli tait un chef trs puissant, dcidant seul de laguerre et de la paix. Caraoua, Sarara, puis Torop, Out, Tamoui taientde vritables petits tyrans (Coudreau 1893:237). Or, Torop tait leyapotolidu temps de Patris. On en dduira donc que Kailawa (Caraoua)

    vcut avant : au dbut du XVIIIe sicle (ibid.:557)11. Voil qui fixe, enpremire approximation, un terminus ante quem nos chants.

    cette poque, les Akulio (I-28), Alamayana (I-8) et autres Tlo12(I-28) occupent une place enviable le long de la ligne de partage des eaux.Les Alamayana (ou Alamakoto), par exemple, se trouvent avec quelquesautres groupes tels que les Alamiso ou les Kaikusiyana au cur deschanges commerciaux entre les sources du Jari et du Paru et le bassin delOyapock13. Lavance wayana dans cette rgion atteste par lesignalement de villages en 1730 sur le haut Oyapock (Hurault 1972:25), en1766 et 1769 sur le Tamouri et le Camopi (voyages de Patris), en 1789 surle Tamouri (voyage de Leblond) a pu tre en partie motive par unevolont de mieux matriser ces changes14. Limportance commercialegrandissante des Wayana nest peut-tre pas trangre la jalousie qui se

    11Son nom fut donn lun de ses descendants du XIX esicle, puisquun village Caraoua, situsur le Citar, est mentionn par Coudreau (1893:566). Selon Sante, le Mont Taluwakem, qui setrouve sur la frontire Brsil-Surinam, entre les sources du Jari et du Maroni, aurait t appel ainsipar Kailawa lui-mme. Ce mont des Tumuc-Humac (Taroakem chez Coudreau), par son clat

    sous le soleil, fascine les Wayana. Son accs en a t rouvert en 1988-89 linitiative dAndrBoyer (A. Boyer, com. pers.).

    12Les guerres contre Kailawa sont encore prsentes dans la mmoire des Tlo, comme en tmoigneun rcit recueilli par C. Koelewijn et P. Rivire (1987:262-264).

    13 la fin du sicle prcdent, en 1688 et 1697, La Motte-Aigron puis Drouillon tmoignent dunhaut Camopi et dun extrme sud guyanais alamakoto (voir Hurault 1972:39-40).

    14Peut-tre trouve-t-on symboliquement les bornes de cet espace de libre circulation wayana dansle kalau. En effet, une rfrence au Camopi et au Yaloupi (jalpi) y est faite rivires quicorrespondent approximativement aux limites historiques les plus septentrionales de lexpansionwayana (ct est). moins que ces mentions, comme le pense Kuliaman lui-mme, ne renvoient des affluents homonymes de lIpitinga. Selon Kuliaman, lIpitinga a t un fleuve wayana. Kutaka(qui est apalai) prcise que ce mme cours deau tablissait une frontire entre Wayana et Apalai

    (dont les fleuves originels taient le Maicuru, le Curua et le Cumina). La prsence dUrucuianaet dAparai est rapporte par Matos et alii(1940:298-299).

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    rpand leur encontre dans les annes 1760 (Tony, 1843:232, cit daprsSchoepf 1993-1994:84).

    Au dbut du XIXesicle, la propagation dpidmies contraint lesWayana abandonner leurs villages les plus loigns du Jari (Hurault1972:180) : c'en est alors fini de leur expansion vers le bassin delOyapock. Les Alamayana et les Alamiso de la rgion15, ainsi que lesKaikusiyana, disparaissent ou sont absorbs. Seuls survivront lesmrillon et les Waypi.

    Les premiers conflits avec ces derniers ont d sengager vers 1720(Hurault, Grenand et Grenand 1998:15), le paroxysme des hostilits (selon

    P. Grenand 1983:283 et Schoepf 1993-1994:83-84 ;) ayant sans doute eulieu vers 1760-1780 (aprs la priode Kailawa). ce moment-l, lesWayana ont fait alliance avec les Apalai ainsi que nous le rapporteClaude Tony, qui visita la haute Guyane en 1769 (Tony 1843:232) , desApalai qui avaient dj eu guerroyer contre les Waypi au moment oces derniers progressaient sur le Jari, en aval du territoire wayana16.

    Les guerres entre Waypi et Apalai semble avoir rvl unecertaine supriorit militaire des nouveaux arrivants. Kutaka, dans latransmission de son savoir historique, lindique volontiers. En revanche, il

    ne la reconnat pas sur les Upului, qui recouraient, toujours selon Kutaka,aux services de Kailawa et de ses soldats.

    Labsence de toute rfrence aux Waypi, si elle nest pas due deslacunes du texte, invite sinterroger. Une explication peut tre trouvesous la plume de Daniel Schpf. Ce dernier remarque (1993-1994:84) queles Waypi ne sont pas cits dans le kalau17.Daniel Schpf avance desraisons idologiques (1993-1994:84)18:

    15Les Alamayana se maintiennent cependant sur le Paru de lOuest jusque dans les annes 1960 (voirFigueiredo 1961). Les Alamiso steignent au milieu du XXe sicle, galement sur le Paru delOuest (voir P. Grenand 1982:290 et Tilkin Gallois 1986:291-292).

    16Vers 1800, des guerres entre Roucouyennes et Waypi ont lieu dans la rgion du Rouapir et dubassin de lOyapock. Vers 1820, les Roucouyennes jettent lponge (Coudreau 1893:562). LesBonis prennent la relve, mais renoncent leur tour vers 1840 (Coudreau ibid.:562).

    17Mais ils le sont dans la geste de Kailawa (com. pers. de Jean Chapuis).18 Notons cependant qu la fin du XIXe sicle, les Wayana nhsitent pas se remmorer, en

    chansons, leurs victoires sur les Waypi (Crevaux 1987:135). la fin du XXe

    , ils nesquivent pasnon plus les rcits relatifs aux batailles contre ces adversaires.

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    Si [] les hostilits contre les Waypi ont eu un caractre bien rel et aigu, leurpret dans la mmoire wayana ne saurait tre compare avec lpret descombats mens contre dautres groupes ethniques.

    [] Limage que les Wayana ont des Waypi est une image uniformmentngative : cest une image dprciative, un peu condescendante, passablementmprisante et, pour tout dire, drisoire.Pour les Wayana, le Waypi, cest celui qui nest jamais parvenu battre en

    brche leur hgmonie militaire, celui qui a toujours t dominconomiquement dans le commerce de traite, celui qui sest laiss subordonnerculturellement, celui enfin dont on peut pouser les filles sans contrepartie.

    Peut-tre faudrait-il ajouter ces propos que les guerres contre lesAlamayana taient des guerres de conqute, comme nous lavons vusupra,

    alors que celles contre les Waypi ntaient que la dfense dun nouveaupr carr.

    Mais une autre explication, plus immdiate celle-l, peut treenvisage : les Waypi ne sont pas cits parce quils ne sont pas concerns.Kailawa combattait tous azimuts et nous avons peut-tre ici la trace dunfront chercher plus louest, du ct du Tapanahony, du Palomeu, duLitani et du Marouini.

    Patris visite des Roucouyennes sur le Marouini en 1766. Vers 1770,

    des Kalina sinstallent galement sur le fleuve et des conflits sengagententre les deux communauts vers 1775 (les Kalina durent regagner lacte) (Coudreau 1893:557)19. Sur ce mme Marouini, les Wayanarencontrent ensuite les esclaves rebells aluku20 qui, fuyant les Ndjuka,esclaves rebells comme eux, mais qui ont sign des accords avec lesHollandais, remontent trs haut le bassin du Maroni, dans les annes 1790(en 1860, les Boni gagneront la protection des Franais). Le contact donnelieu de multiples escarmouches dont tmoignent des rcits de traditionorale21.

    Sur le Litani, les Aluku entrent en contact avec des groupesamrindiens (cf. Crevaux 1987:70-71). Ces groupes ne rsidentvraisemblablement pas sur les rives, mais lintrieur dune aire dlimite

    19Sur le destin de leurs allis alamiso, cf.galement P. Grenand 1982:290.20Ou boni, du nom du chef de guerre sous les ordres duquel se regrouprent des Noirs fugitifs, vers

    1769. Les Aluku traversrent le Maroni, depuis la Guyane hollandaise, vers 1776-1777.

    21Voir, notamment, Crevaux 1987:267-269. Hurault (1972:84-85) semble nenvisager aucun conflitdenvergure entre Aluku et Wayana.

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    grosso modopar les sources du Paru et du Jari, le Palomeu, lUlemali et lecoude form par le cours suprieur du Litani.

    Ainsi, Kuliaman nous apprend que des Kukuyana venaient sur lefleuve faire la guerre aux Kalina. Ces Kukuyana, affilis, toujours selonKuliaman, aux Tlo, ne sont pas ceux qui se prtendent tels aujourdhui.Le groupe actuel vient du Jari. Ce sont les Noirs marrons qui ont continu appeler de la mme faon les premiers arrivants wayana sur le hautMaroni. Ces derniers nont sans doute pas rechign reprendre lenseigne,du moment quils faisaient un pas de plus dans le contrle du rseaucommercial ct Guyanes. La substitution aura pu se faire dautant plusfacilement que nouveaux et anciens Kukuyana auront pu tisser,

    auparavant, des relations dchange privilgies22. Chez les Wayana nonplus, prendre les uns pour les autres naura pas d faire grand problme pas plus que ne fait problme pour le provincial le fait de qualifier de Parisien un membre de sa famille mont Paris. Cela dit, Kuliamanindique que les Kukuyana (ancienne manire) se sont fondus dans lesAlamayana. Quoi quil en ft, les Wayana simposrent sur le haut Maroniet il est raisonnable de penser que les Meikolo (les Noirs ) cits dans le

    premier chant de guerre (I-28) sont les Aluku. En ce cas, les chants deKuliaman ne seraient pas antrieurs la toute fin du XVIIIesicle et ne

    pourraient donc pas remonter la priode Kailawa.Reste que les Meikolo peuvent tre dautres groupes marrons,

    notamment les Ndjuka du Tapanahony. Ces derniers ntendront leur airesur le Maroni qu partir des annes 1770, date partir de laquelle ilsinterdiront la communication entre les populations du haut bassin duMaroni et celles du littoral (auparavant se maintiennent, par exemple, lesincursions esclavagistes des Kalina chez les mrillon) (Hurault1972:79). Sur le Tapanahony, les Ndjuka empchrent les Tlo dedescendre vers le Maroni (Crevaux 1987:72).

    Pour les Wayana dont lexpansion a pu sinscrire dans unelogique en partie commerciale laccs aux sources du Tapanahony et de

    22Dautres groupes wayana taient en relation avec les Mawayana. Selon Kuliaman, ce serait lorsdune rencontre avec ces derniers quaurait t utilis pour la premire fois le terme Wayana . Ily avait intercomprhension avec une partie du groupe, les autres Mawayana tant affilis, toujoursselon Kuliaman, aux Waiwai (Curt Nimuendaj 1981 situe les Mawayana dans la rgion du hautCafuni). Les Mawayana illustrent sans doute ces chanes de guerres et dchanges longue

    distance qui couraient par relais dans les Guyanes (Dreyfus 1992:86) (Kailawa avait, dans sestroupes, des guerriers mawayana et nhsitait pas aller guerroyer jusquen pays waiwai).

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    son affluent le Palomeu leur offrait la possibilit de saffranchir desintermdiaires les reliant avec la florissante colonie hollandaise (de lamme manire que lOyapock leur offrait un contact direct avec lesFranais). En dfinitive, lensemble {Meikolo, Akulio, Tlo} du vers I-28renverrait un chapelet de conflits gographiquement circonscrits et leschants, cette fois-ci, pourraient bien remonter Kailawa. Plus encore, silon considre que les Alamayana devaient galement tre impliqus dansles relations dchanges dans cette rgion stratgique qui est celle dessources du Tapanahony, du Palomeu, du Litani, du Jari et des deux Paru(Kuliaman indique leur prsence dans cette rgion), cest un ensemblelargi {Meikolo, Akulio, Tlo, Alamayana} cohrent que nous donnent leschants de guerre de Kuliaman23.

    Pour Ina-Ina, les Ndjuka (Meikolo juka ou, plus brivement,Mejukaen wayana) vivaient sur le Tapanahony et tuaient les Aluku et lesTlo. Alors, les Wayana ont appel des Aparai, des Tiriyo et des Waypi

    pour tuer les Ndjuka. Autrefois, lorsque ces derniers voyaient les Wayanaprendre larc, ils entraient dans leau, car ils navaient pas darmes.Aujourdhui, ils nont plus peur des Wayana.

    Si la mention des Waypi peut sexpliquer aisment par le recoursaux guerriers de Kailawa (cf. infra), lalliance avec les Tlo va enrevanche lencontre du statut dennemis donn cette ethnie dans les

    prsents chants. Le tmoignage est donc contradictoire, mais retenons aumoins quIna-Ina confirme lactivisme wayana sur le Tapanahony.Ensuite, admettons que brouilles et ententes interethniques sinscriventdans une dynamique qui fait lhistoire24et quIna-Ina fait rfrence une

    23 la fin du XIXe sicle, le colportage wayana stendra, plus ou moins directement, jusquaumoyen cours du Paru de lOuest. Les Pianakoto fournissent aux Roucouyennes des chiens et deshamacs, quils changent leur tour aux Noirs marrons de Guyane (O. Crevaux 1901:156, 159,165). En 1888, Coudreau, perspicace, sinterroge sur lexistence des nombreuses petites tribus noncontactes de la rgion des sources du Tapanahony en ces termes : Nos malins Roucouyennes nese soucient nullement de montrer aux Boni et aux Youcas le chemin de nouveaux acheteurs decouteaux, de sabres, de camisas et de colliers, prfrant garder pour eux tout le commerce de leursvoisins ngres et aller vendre ensuite leur petite pacotille, un taux fantastique, aux tribus delintrieur (1893:91-92).

    24Un autre exemple dapparente contradiction nous est fournie par Tony (au XVIIIe sicle) etCoudreau (au XIXe) propos des Apalai. Tony indique que ces derniers (Appareilles) ont passalliance avec les Roucouyennes (Tony 1843:232), alors que Coudreau affirme que les Aparas et

    les Trios nont jamais t affilis aux Roucouyennes. Ils ont, au contraire, soutenu de longuesguerres contre ces derniers (1893:564).

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    priode qui nest plus celle des chants de Kailawa. Enfin, gardons lespritlide que les chants peuvent ne pas dater du dbut du XVIIIesicle25.

    cet gard, si les Alamayana sont cits, cest quils devaient trerests suffisamment puissants pour tre lobjet de tension avec les Wayana.Dun autre ct, si les Kalina ne sont pas cits, cest peut-tre aussi que,dj empchs par les Ndjuka de remonter le Maroni et le Tapanahony26,ils nalimentaient plus aucune actualit militaire valant la peine quon lesnomme dans les chants. Nous sommes donc la fin du XVIIIesicle ou audbut du XIXe, loin en tout cas de Kailawa.

    Bref, lensemble {Meikolo, Akulio, Tlo, Alamayana} nous

    entrane dans des arguties historiques qui ne nous permettent pas de daterprcisment les chants. Mais au moins avons-nous pu vrifier que lesethnies nommes ne sont pas incompatibles avec une datation du milieu voire du dbut du XVIIIesicle.

    ce point, il nous reste voquer la possible immixtion deKuliaman dans lHistoire quil transmet. Le chanteur nous communique-t-il un document fig, ou bien lui est-il loisible dinstiller, dans sa

    performance, sa reprsentation du pass ?

    Dans un rcit, laffaire est entendue : lorsque la relation originelledun vnement qui est dj une recomposition du pass, aussi prochesoit cette relation de lvnement , quitte le domaine du de mmoiredhomme pour entrer dans celui de lhistoire sans tmoin, elle se risque une recomposition ad libitum. Mais ici, les chants de guerre ne sont pasdes rcits de batailles circonstancies, ne vhiculent pas dinformationsvnementielles ; ils consistent en un fonds gnral ( lexception de ladsignation explicite des ennemis et des guerriers) de recommandationsmilitaires, dexaltation de valeurs guerrires, etc. et en une vocation des

    preuves dapplication de fourmis sur le corps des guerriers.Les deux premiers chants (plu kalau 'le chant de la flche'27 et

    asimhak t-top'pour aller vite') taient chants avant daller au combat, letroisime (epu-l-m-top 'pour se refaire piquer') ltait au retour. Ils

    25Les Wayana ne parviennent tablir une enclave entre Ndjuka et Tlo quaprs 1830 (Hurault,Grenand et Grenand 1998:17).

    26Les Tlo du Surinam ont gard la mmoire des raids kalina pour se procurer des esclaves vendre

    Paramaribo (voir Collomb et Tiouka 2000:42).27'Flche chant'. Autrement nomm kapalu kalau'le chant de la massue'.

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    ntaient pas danss. Leur profration relevait dactes de guerre dans uncontexte de rel conflit ; en cela, ils ne sont pas comparables, par exemple,aux chants de leurs voisins waypi dont les yeenga yapisi leme wale('chants pour aller dans les temps de guerre') sont le souvenir de batailles(Beaudet 1997:42)28.

    Kuliaman na pas connu les guerres de Kailawa et les chants qui luiont t chants lont t en dehors de leur contexte normal de profration,

    par une personne qui na pu, elle non plus, connatre ces guerres. Onpourrait donc penser a priori que ces chants se sont rapidement fossiliss la fin des dernires guerres de Kailawa, puis transmis degnration en gnration jusqu nos jours. Il faudrait admettre en ce cas

    que les Wayana ont pu aller la guerre, ensuite (contre les Waypi parexemple), en profrant des chants au contenu obsolte, dj fig. Pourquoipas ? Aprs tout, un matre de guerre wayana (uhmot tnotpaton'connaisseur de guerre') pouvait ordonner allez ! (to-ko !) sesouvriers de mort comme, en dautres lieux et travers les sicles, lesEnfants de la Patrie chantent Allons !. Nous avons cependant quelquerticence concevoir que les ennemis dsigns, si facilement substituablesau regard de larchitecture potico-musicale et smantique des chants,naient pas t ceux que les guerriers allaient combattre.

    Deux hypothses : soit les Wayana avaient dj cess la pratique detels chants au moment des dernires guerres du XIXesicle (des chants quise sont, malgr tout, maintenus ex situ dans la littrature orale), soit ilsractualisaient les paroles au fur et mesure des guerres. Selon les cas, lelegs reu par Kuliaman nest pas le mme. En effet, la ractualisation deschants pourrait constituer un obstacle dans la mmoire chante wayana, enen empchant la remonte dans le temps, tandis que des chants transmis defaon dcontextualise, bravant les conflits successifs, pourraient, dansleur fixit quand mme toute relative, engranger des informations

    postrieures lpoque qui les a vu natre. Do de possibles dfauts deparallaxe de temps dans la mention des ethnies.

    Kuliaman sait que les ennemis taient expressment dsigns dansles chants. Alors, sur une trame authentique et peut-tre ancienne (XVIIIesicle), il a pu distribuer quelques-uns des meilleurs dentre eux, ceux dont

    28Ils ne doivent pas non plus tre confondus avec dautres musiques collectives wayana non

    spcifiquement ddies cette activit, mais qui pouvaient tre galement joues avant et aprsune expdition.

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    la simple vocation suffit rappeler aux groupes fondateurs des Wayanaque leur identit communautaire se fonde aussi, pour une bonne part, surdes massacres perptrs au nom dintrts convergents. Et quimporte sices ennemis ne ltaient pas tous au mme moment.

    Kailawa recrutait ses soldats un peu partout. Ainsi Mayamayalitait-il dorigine waypi29 (il avait t captur lorsquil tait enfant30),Palalipana tait Kukuyana (il habitait sur le Paru de lEst) ; Alimamhe taitOpakwana, etc. La plupart des noms tait des noms que Kailawa avait lui-mme attribus ses guerriers : ainsi Tunakult ('traverse rivire') avait-ilt rebaptis de la sorte parce quil avait travers une rivire pour aller tuerles Tlo ; Plemo avait reu ce nom aprs avoir manipul des flches

    (plu) ; hehalala ('gorge tachete'), en clatant la tte dun gibier, avaitfait gicler le sang sur son cou ; Wewe-Amat ('branche darbre') achevait coups de branches les animaux quil chassait ; Kalakuml tait appel dunom du bois dont les gourdins taient faits. Panamutopi portait enrevanche son vrai nom.

    Tous ces hommes avaient pass des rites spcifiques pour devenirdes guerriers31. Ils mangeaient la chair de tout ce quils tuaient. Kailawavoulait du sang et de la cervelle, il voulait (ctait son obsession) casserdes ttes (tmoignage de Kuliaman rapport par Jean Chapuis, 1998:782)(cf., cet gard, le vers I-31)32.Cette frocit (Kailawa tuait les membresde sa propre famille) marginalisait grandement les guerriers : ils nesjournaient gure dans les villages, de crainte dy tre tus. Ilsdemeuraient le plus clair de leur temps en fort. Ils navaient pasdpouses.

    29 "Mayamayali" serait galement utilis pour dsigner une fraction waypi (Hurault 1968: 126 et

    152). Chez ces Waypi, il est le nom dun des fils jumeaux du dmiurge Yaneya (F. Grenand1989:280). Daniel Schpf propose une interprtation du terme par la langue kalau(1993-94:84) :les gens qui prparent ou qui ont prpar leurs affaires, leur bagage pour sen aller. Il est vrai quele vers I-25 (majamaja ka-topo-np, majamaja ka-topo-np) de la version du chant kalauquenous avons recueillie auprs de Kuliaman en 1991 nous a t traduit par : l o nous avons rangnos affaires (bis). Daniel Schpf a donc d noter, pour la version quil a recueillie, majamajalilo, pour notre part, nous avons relev majamaja. Cette acception de majamaja(li) ne faitcependant pas oublier que le guerrier de Kailawa est bel et bien nomm plus loin dans le kalau(vers VII-76), sans ambigut possible.

    30Kailawa recueillait les orphelins quil avait faits aprs avoir extermin leur groupe (Chapuis1998:722).

    31Selon Ina-Ina. Nous nen avons aucune description, mais peut-tre sont-ils rechercher dans le

    marak daujourdhui.32Sur le canibalisme de guerre, on se reportera la thse de Jean Chapuis (1998).

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    Kailawa tait un fin connaisseur de ces onguents, plantes, fumes,parfums, mixtures en tout genre aux vertus magiques que lon appellehemt(semtdans les prsents chants, I-20, I-44). Les guerriers (uhmotn,iln) senduisaient de hemt base de cervelle de jaguar, quilsappliquaient galement sur leurs armes (massues, flches, arcs) (cf.vers I-2033). Le pouvoir reconnu ce hemtest la mesure de ces prdateurs quilest difficile et dangereux daller tuer le meliwalai(III-19) est trs vif, lekutakutaluattaque lhomme, le kunawalu(kunawalim) exhale une odeurqui suffit tuer34

    Pour tre comme invisible, rien de tel quune prparation base decervelle de holoho, un oiseau (Eurypyga helias, daprs Magaa 1987)35

    qui, comme le kulai-kulai (Amazona amazonica, daprs Schpf1986:136), est difficile discerner lorsquil se tient immobile dans lesfeuillages. Pour rester veill, cervelle et sang doiseaux nocturnes fonttrs bien laffaire. Pour devenir combatif, on optera plutt pour de lacervelle et du sang daigle. Pour rester discret, l encore de la cervelle etdu sang, mais de grands serpents cette fois.

    Le comportement de certains animaux est tenu pour exemplaire parle bon guerrier. Ainsi, le poisson mulok (Astyanax abramoides, A.bimaculatus,A. validus, CHARACIDAE) (I-23) nest pas toujours bien visibleet le bon guerrier se doit dtre tout aussi discret. Le serpent (I-10, I-17, II-13), lanaconda (I-4, I-17), la biche kapau(Mazama americanaErxleben,CERVIDAE) (II-2, II-6), la grenouille mawaim(II-4), laigle (I-11, I-12, I-22), le jaguar (I-4, I-11, I-14, I-16, I-18, I-24), le tamanoir (I-12), letulupele (saurien mythique des Wayana et des Apalai, mais galementmonstre dans dautres cultures amrindiennes) (I-18) (cf. Hussak VanVelthem 1995), le flin alakapai(I-23), le lzard (II-12), le colibri (II-17,II-22) ont chacun leurs pouvoirs et proprits qui font les qualits du bonguerrier.

    Les jours prcdant une expdition, les guerriers quils soientceux de Kailawa ou ceux des guerres postrieures mangeaient peu, afin

    33Voir galement le kalau, vers IX-53 IX-57. Jean Chapuis (1998:473), traduisant kaikusi par'ennemi', laisse comprendre que cest de sang humain que sont rougies les massues.Linterprtation est dlicate. Non pas que kaikusi 'jaguar' ne puisse pas prendre, ailleurs, le sensd'ennemi' (cf.galement Hussak Van Velthem 1995:252), mais dans le passage incrimin, cest dujaguar quil semble tre question et de lapplication, sur des armes, du hemtquon en tire.

    34Le hemtquon en tire est cit dans le kalau, vers V-6.35 moins que ce ne soit le serpent du mme nom (Bothriopsis bilineataou Corallus caninus ?).

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    de ne pas tre fatigus. Ils se devaient de capturer et de manger tous lesjours des tukui des colibris. Ne pas capturer cet oiseau tait le signedune mort certaine ; mieux valait en ce cas pour le guerrier bredouillerester chez lui36.La consommation de bire tait galement restreinte.

    Des dessins taient peints sur le visage des guerriers, laide deroucou (onot) et desip(I-21). Cela les rendait mchants. Les guerrierstaient protgs par une armure (tkaptp) faite notamment de lamelles de'bambou' kulumuli (Guadua latifoliaHBK, POACEAE) assembles au moyende ficelle de kulaiwat (Bromelia karatas L., BROMELIACEAE) et de coton(mau) ; ils portaient par ailleurs une ceinture confectionne dans une peaude jaguar. Leurs flches, aux empennages spcifiques, taient transportes

    dans un carquois (wama plu en)37.Ils dansaient avant de partir.Les expditions taient rgles comme du papier musique. La

    troupe partait de nuit en direction du village incrimin et attaquait parsurprise avant le lever du jour. Elle entrait hardiment dans le village,dversait une vole de flches enduites de uwet38 sur les maisonnesendormies, et achevait ses victimes coups de massue. Une fois la

    besogne accomplie, les guerriers comptaient les nattes ou les hamacs puiscomparaient avec le nombre des cadavres. Si le compte ny tait pas, ilsdguerpissaient, de crainte dune contre-attaque. Si le compte tait bon, ilsrecueillaient les cervelles et les rapportaient au chef et aux vieux du village

    qui en prparaient des onguents (hemt). Les Upului arrachaient de plusle cur et en mangeaient la pointe, afin de ne pas avoir le ventre enfl le

    jour de leur propre mort39.Quand ils avaient le temps, ils dcoupaient lescorps et les broyaient40.

    Dans le massacre, seuls les enfants en trs bas ge taient pargns.Ils taient ramens au village o ils taient intgrs dans la communaut ;on en faisait plus particulirement les futurs guerriers.

    36Sur la symbolique du colibri dans les relations interpersonnelles, voir Schpf 1998.37Sur lquipement militaire, voir U. Rauschert 1981-1982. Une armure tlo, recueillie par Protsio

    Frikel en 1965 sur le Paru de lOuest, est conserve au Muse Goeldi Blem (n dinventaire :11287).

    38Selon Kuliaman, uwet est une plante toxique diffrente du curare (ulali). Sur linterprtation donner au terme (vers I-45), ainsi que sur lusage du curare, les sources sont contradictoires.

    39Sur la relation entre meurtre, nourriture et gros ventre, cf.Chapuis 1998: 369, chapitre XIII (537-571).

    40La pratique des ttes fiches sur des piques, voque dans Chapuis 1998:562, est considre parKuliaman comme un emprunt upului aux Waypi.

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    Une fois rentrs, et aprs des chants (dont nous ignorons la nature),les combattants passaient des preuves de morsures de fourmis afin derecouvrer de la vigueur, et les vieux leur gravaient des dessins sur le front,les joues, les paules, les biceps et les cuisses, laide de dents dcureuilmeli. Des hemt (notamment ceux de laigle et du serpent) taientappliqus sur les taillades saignantes, l encore pour devenir fort,courageux, pour pouvoir se dplacer la nuit sans torche, devenir mchantet ne pas craindre la guerre. Les motifs dessins taient ceux de laigle, desflins melimaet kutakutaluet des chenillesplitet matawatnotamment41.

    Kailawa ou, moins spcifiquement, le chef du village (utumtn) entamait le troisime chant. Les guerriers demeuraient

    silencieux, guettant le chant de loiseau sikale42. Si loiseau ne chantaitquune seule fois, ils navaient pas craindre de vengeance. Sil chantaitdeux fois Lattente durait ainsi jusqu minuit.

    PREMIER CHANT43

    plu kalauflche chant

    Le chant de la flche

    I-1 kapalu-ma j-al-ta j-al-ta kene44 j-al-ta kenemassue-ITER 1-apporter-HORT1-apporter-HORT ASS 1-apporter-HORT ASS

    Reprenons les massues ! Emportons-les ! Emportons-les !

    I-2 isanutp-pona itoto-l-pona jaja45isanutp-LOC ennemi-l46-LOC jaja

    Chez celui qui a cherch la guerre, chez lennemi,yaya.

    I-3 itoto-ke s-ene-ta kapalu-ma s-al-taennemi-INSTR 1PL-regarder-HORT massue-ITER 1PL-apporter-HORT

    Voyons lennemi ! Reprenons les massues !

    41Pour un extrait de la geste de Kailawa affrent au rituel post-expditionnaire, on se reportera Chapuis 1998:722. Voir galement Matos 1940.

    42Le nom sikalerenvoie en premier lieu Piaya cayana, CUCULIDAE (cf.Schpf 1986:134), mais ildsigne galementPiaya melanogaster, autrement nomm alilikale.

    43La segmentation en vers , intuitive, na pas t soumise validation auprs de Kuliaman.44Afin de ne pas alourdir le texte franais, lassertif kene(lkene, ke) ne sera pas traduit.45 Sans doute cri de guerre (cf. Schpf 1993-94:78, qui en parle propos des Waypi, mais le

    narrateur est wayana).46galement en I-7, II-17 et I-24 (le) (cf.Jackson 1972:75).

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    I-4 kju-me t-k s-al-ta kene kaikuji-me t-k jaanaconda-ETAT aller-IMPER 1PL-apporter-HORT ASS jaguar-ETAT aller-IMPER ja

    Allez comme lanaconda ! Allez comme le jaguar ! ya.

    I-5 kapalu j-al-ko plwu j-al-kmassue 1-apporter-IMPER flche 1-apporter-IMPER

    Emportez les massues ! Emportez les flches !

    I-6 tak-ma j-al-ko isanutp-ponaarc-ITER 1-apporter-IMPER isanutp-LOC

    Amenez les arcs chez celui qui a cherch la guerre !

    I-7 kalipono-l-pona kalipono-l-ponaennemi47-l-LOC ennemi-l-LOC

    Chez lennemi, chez lennemi.

    I-8 Alamajana-pona to-ko kene isanutp-pona isanutp-ponaAlamayana-LOC aller-IMPER ASS isanutp-LOC isanutp-LOC

    Chez lAlamayana. Allez chez celui qui est belliqueux, chez celui qui est belliqueux !

    I-9 kajali-tomo kajali-me t-kvaillant-PL vaillant-ETAT aller-IMPER

    Allez, les braves ! Allez-y vaillamment !

    I-10 kajali-me t-ko t-ko kene kju-me t-kvaillant-ETAT aller-IMPER aller-IMPER ASS serpent-ETAT aller-IMPER

    Allez ! Allez-y vaillamment ! Allez comme le serpent !

    I-11 kaikusi-me t-k piana-me t-kjaguar-ETAT aller-IMPER aigle-ETAT aller-IMPER

    Allez comme le jaguar ! Allez comme laigle !

    I-12 piana-me t-k alisim t-k it-ko keneaigle-ETAT aller-IMPER tamanoir aller-IMPER aller-IMPER ASS

    Allez comme laigle ! Allez comme le tamanoir !

    I-13t-k kenealler-IMPER ASS

    Allez-y !

    I-14 kaikusi ene-ta etapa-tome leja48 ja ja ja jajaguar voir-HORT tuer-FIN vraiment ja ja ja ja

    Voyons le jaguar pour le tuer vraiment !ya ya ya ya.

    I-15tkle-ma tkle-ma itoto-np j-ene-tapartir-INTFR partir-INTFR ennemi-EX 1-voir-HORT

    Allez-y ! Allez-y ! Voyons-nous dbarrasss des ennemis.

    47Kaliponodsigne aujourdhui les 'autres', les 'gens', sans connotation hostile.48Jackson 1972:76 : -leya'really'.

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    I-16 itoto-np j-ene-ta kaikusi-me to-ko kaikusi-me t-ko n-a-iennemi-EX 1-voir-HORT jaguar-ETAT aller-IMPER jaguar-ETAT aller-IMPER 3-tre-SIT

    Voyons-nous dbarrasss des ennemis. Allez comme le jaguar ! Allez bien comme

    lui !I-17 kju-me t-ko kjuim-me t-k kji-me t-k

    serpent-ETAT aller-IMPER anaconda-ETAT aller-IMPER serpent-ETAT aller-IMPERAllez comme le serpent ! Allez comme lanaconda ! Allez comme lanaconda !

    I-18 itoto-me t-ko kajali-me t-ko kaikuji-me kunawalu-meennemi-ETAT aller-IMPER vaillant-ETAT aller-IMPER jaguar-ETAT kunawalu-ETAT

    [ t-ko tulupele-me t-ko[ aller-IMPER tulupele-ETAT aller-IMPER

    Allez comme lennemi ! Allez vaillamment ! Allez comme le jaguar, comme le

    [ kunawalu! Allez comme le tulupele!I-19to-ko itoto j-ene-ta plwu j-al-ta

    aller-IMPER ennemi 1-voir-HORT flche 1-apporter-HORTAllez ! Voyons les ennemis ! Apportons les flches !

    I-20 kapalu j-anon-me kaikusi t-uw-k-m kun-al-l-me kene ku-semt-memassue 1-enduire-ETAT jaguar49 3-tuer-k-ITER 3-apporter-l-ETAT ASS 1+2-hemt-ETAT

    Nous tuons le jaguar et en rapportons du hemtpour en enduire les massues.

    I-21 ku-sip-me kene ku-sip-me kene ja ja ja1+2-sip-ETAT ASS 1+2-sip-ETAT ASS ja ja ja

    Nous nous peignons ausip, nous nous peignons ausip,ya ya ya.I-22 pija-ja-me etapa-ko kene [p]ija-ja-me

    aigle-ja-ETATtuer-IMPER ASS aigle-ja-ETATTuez comme laigle, comme laigle !

    I-23 mulo[k]-me t-ko itoto-me t-ko to-ko alakapai-me t-komulok-ETAT aller-IMPER ennemi-ETAT aller-IMPER aller-IMPER alakapai-ETAT aller-IMPER

    Allez comme le mulok! Allez comme lennemi ! Allez-y ! Allez comme lalakapai!

    I-24 kaikusi-me t-ko-lejaguar-ETAT partir-IMPER-le

    Allez-y comme le jaguar !I-25 tunakwa-ma-me t-ko

    rivire-ITER-ETAT aller-IMPERAllez-y nouveau par la rivire !50

    49ventuellement : 'ennemi'.50Il peut sagir de prendre un chemin longeant la rivire, et non la rivire elle-mme. En 1697, cest

    par un tel chemin amrindien que Drouillon visite le haut cours du Camopi (cf. Hurault 1972:40).Un peu moins de deux sicles plus tard, Coudreau note encore : Il est remarquer que les sentiers

    indiens longent presque toujours les criques et ne leur sont presque jamais perpendiculaires(1893:95).

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    CAMARGO E. & RIVIERE H.: Trois chants de guerre wayana 103

    I-26 tunakuwa-ma-me t-ko tunakuwa-ma-me t-ko t-ko kene t-ko kenerivire-ITER-ETAT aller-IMPER rivire-ITER-ETAT aller-IMPER aller-IMPER ASS aller-IMPER ASS

    Reprenez par la rivire ! Reprenez par la rivire ! Allez-y ! Allez-y !

    I-27 kapalu-maj-al-ta ijajamena ijajamanumassue-ITER1-apporter-HORT [] []

    Rapportons les massues [] !

    I-28 Akulio j-ene-ta Tilio j-ene-ta isanutp j-ene-ta MklAkulio 1-voir-HORT Tilo 1-voir-HORT isanutp 1-voir-HORT Meikolo

    [ j-ene-ta Akulio [j]-ene-ta etapa-ta kene etapa-ta kene[1-voir-HORT Akulio [1]-voir-HORT tuer-HORT ASS tuer-HORT ASS

    Voyons lAkulio ! Voyons le Tilo ! Voyons celui qui a cherch la guerre ! Voyons le[ Meikolo ! Voyons lAkulio ! Tuons-les ! Tuons-les !

    I-29 alatumle kene alatumle keneAlatumle ASS Alatumle ASS

    Alatumle ! Alatumle !

    I-30 alema-me {w}ja etapa-po-nela etapa-po-nela[ ] tuer-CAUS-nela tuer-CAUS-nela

    []

    I-31 etapa-po-nela akulima-k kene -uputp-l -uputp-l hetuer-CAUS-nela craser51-IMPER ASS 3-tte-INAL 3-tte-INAL vouloir

    [ kole-nma []kne akulima-ko kene[ beaucoup-INTRF []kne craser-IMPER ASS

    Tuons ! crasez la tte ! crasez beaucoup de ttes ! crasez !

    I-32 akulima-ko kene tunakulet majamajalicraser-IMPER ASS Tunakulet Majamajali

    crasez ! Tunakulet ! Mayamayali !

    I-33 majamajali majamajali jajaMajamajali Majamajali jaja

    Mayamayali ! Mayamayali !yaya.

    I-34tto-me k to-ko toto-me k to-ko Palulumhe keneennemi-ETAT ASS aller-IMPER ennemi-ETAT ASS aller-IMPER Palulumhe ASS[ Palulupana kene Sihtan kene ito-ko kene etapa-ta kene[ Palulupana ASS Sihtan ASS aller-IMPER ASS tuer-HORT ASS

    Allez comme des ennemis ! Allez comme des ennemis ! Palulumhe, Palulupana, Sitan.[ Allez-y ! Tuons !

    51'craser', 'broyer', 'concasser', 'rduire en bouillie'

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    I-35 etapa-ta kene akulika-ta kene -uputp-l-pje akulika-tatuer-HORT ASS broyer-HORT ASS 3-tte-INAL-pje broyer-HORT

    [-uputp-l-pje[ 3-tte-INAL-pjeTuons ! Broyons les ttes ! Broyons les ttes !

    I-36 elo-ko kenetravailler-IMPER ASS

    la tche !

    I-37 iwtawai-kal malachever-kal avec

    Achevons-les !

    I-38 etapa kene etapa-ko kenetuer ASS tuer-IMPER ASS

    Tuer. Tuez !

    I-39 etapa-ko kene etapa-ko kene akulima-ta kene itoto-me ito-kotuer-IMPER ASS tuer-IMPER ASS craser-HORT ASS ennemi-ETAT aller-IMPER

    Tuez! Tuez ! crasons ! Allez comme des ennemis !

    I-40 i-pata-ka t-k takloje t-ko takloje t-ko plu [52]3-village-DIR aller-IMPER haine aller-IMPER haine aller-IMPER flche []

    Allez dans son village ! Allez dans son village ! Allez-y haineux ! Allez-y haineux ![ [Apportez] les flches !

    I-41 talalame53 plwu j-al-k talalame plwu j-al-kONOM flche 1-apporter-IMPER ONOM flche 1-apporter-IMPER

    [ [j]-al-k kene[ [1]-apporter-IMPER ASS

    Apportez les flches ! Apportez les flches ! Apportez !

    I-42jaja jajajaja jaja

    yaya yaya.

    I-43 w-enuma-ka kene w-enuma-ka kene w-enuma-ka kene [w-e]numa-ka kene1A-ruser-IMPER ASS 1A-ruser-IMPER ASS 1A-ruser-IMPER ASS 1-ruser-IMPER ASS

    Recourez la ruse ! Recourez la ruse ! Recourez la ruse !

    I-44 semt j-al-ta semti j-al-tahemt 1-apporter-HORThemt 1-apporter-HORT

    Apportons le hemt! Apportons le hemt!

    52Inaudible.53Onomatope suggrant le bruit des flches.

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    CAMARGO E. & RIVIERE H.: Trois chants de guerre wayana 105

    I-45 uwet ken al-ta uwtma-ko keneuwet ASS apporter-HORT exterminer54-IMPER ASS

    Apportons luwet ! Exterminons-les !

    I-46 i-pata-ka lkene3-village-DIR ASS

    Vers son village.

    I-47 wenuma-k wenuma-k jajaruser-IMPER ruser-IMPER jaja

    Recourez la ruse ! Recourez la ruse !yaya.

    DEUXIEME CHANT

    asimhak t-topvite aller-NSR

    Pour aller vite

    II-1to-ko kene to-ko kene to-ko kenealler-IMPER ASS aller-IMPER ASS aller-IMPER ASS

    Allez-y, allez-y, allez-y !

    II-2to-ko kene kapau-me t-ko kapau-me t-ko kapau-me t-kaller-IMPER ASS biche-ETAT aller-IMPER biche-ETAT aller-IMPER biche-ETAT aller-IMPER

    Allez-y ! Allez-y comme la biche, allez-y comme la biche, allez-y comme la biche !

    II-3to-ko kenealler-IMPER ASS

    Allez-y !

    II-4 mawaim-me t-ko mawaim-me t-ko mawaim-me t-komawaim aller-IMPER mawaim-ETAT aller-IMPER mawaim aller-IMPER

    Allez comme la mawaim, allez comme la mawaim, allez comme la mawaim!

    II-5 t-uw-pla t-uw-plaREFL-tuer-NEG REFL-tuer-NEG

    Sans vous faire tuer, sans vous faire tuer.

    II-6 t-uw-pla-ke t-ko kapau-me t-ko aipme t-koREFL-flcher-NEG-INSTR aller-IMPER biche-ETAT aller-IMPER rapide aller-IMPER

    Allez sans vous faire tuer ! Allez comme la biche ! Allez-y rapidement !

    II-7t-uw-po-pn-me to-ko t-uw-po-pn-meREFL-tuer-CAUS-DET NEG-ETAT aller-IMPER REFL-tuer-CAUS-DET NEG-ETAT

    Allez, invincibles ! Invincibles !

    54T-uwetma-i'exterminer'.

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    106 AMERINDIA n26/27, 2001-2002

    II-8to-ko kene to-ko kenealler-IMPER ASS aller-IMPER ASS

    Allez-y ! Allez-y !

    II-9 asimhak to-ko asimhak to-kovite aller-IMPER vite aller-IMPER

    Allez, vite ! Allez, vite !

    II-10[]-po-pn-me t-uhmo-po-pn-me t-ko[]-CAUS-DET NEG-ETAT REFL-frapper-CAUS-NEG-ETAT aller-IMPER

    Allez ! Invulnrables !

    II-11 t-uhmo-po-pn-me t-ko keneREFL-frapper-CAUS-DET NEG-ETAT aller-IMPER ASS

    Allez-y, invulnrables !

    II-12 ijosi-me t-ko t-ko kenelzard-ETAT aller-IMPER aller-IMPER ASS

    Allez comme le lzard ! Allez-y !

    II-13 okoji-me t-ko asimhak t-k t-uw-po-pn-meserpent-ETAT aller-IMPER vite aller-IMPER REFL-tuer-CAUS-DET NEG-ETAT

    Allez comme le serpent ! Allez vite, sans vous faire tuer !

    II-14to-ko kene to-ko kenealler-IMPER ASS aller-IMPER ASS

    Allez-y ! Allez-y !

    II-15 ipl-pla kene to-ko kenefatigue-NEG ASS aller-IMPER ASS

    Allez sans fatigue ! Allez-y !

    II-16 ipl-pla kene to-ko kuluji-me to-kofatigue-NEG ASS aller-IMPER tocro-ETAT aller-IMPER

    Allez sans fatigue ! Allez comme le tocro, allez !

    II-17 kuluji-me-l t-k kenetocro-ETAT-l aller-IMPER ASS

    Allez-y comme le tocro !

    II-18 elku-pn-me to-ko kene to-ko kene to-ko kenetuer-DET NEG-ETAT aller-IMPER ASS aller-IMPER ASS aller-IMPER ASS

    Allez-y sans vous faire tuer ! Allez-y ! Allez-y !

    II-19 minekat[n]-me t-k kene t-k keneagile-ETAT aller-IMPER ASS aller-IMPER ASS

    Allez-y la drobe ! Allez-y !

    II-20 et-uw-po-pn-me t-k keneREFL-tuer-CAUS-DET NEG-ETAT aller-IMPER ASS

    Allez-y sans vous faire tuer !

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    CAMARGO E. & RIVIERE H.: Trois chants de guerre wayana 107

    II-21t-k kenealler-IMPER ASS

    Allez-y !

    II-22 tukuji-me t-k tukuji-me t-kcolibri-ETAT aller-IMPER colibri aller-IMPER

    Allez comme le tocro ! Allez comme le colibri !

    II-23 asimhakan-me [a]simhakan-me javite-ETAT vite-ETAT ja

    Vite ! Vite !ya.

    II-24 ijaja ijajaijaja ijaja

    iyaya iyaya.

    TROISIEME CHANT

    epu-l-m-toppiquer-l-ITER-NSR

    Pour se refaire piquer

    III-1 w-ata-ka kene knele lopa kun-mk[] lpa1-village-IMPER ASS [] nouveau 3-venir-PSE nouveau

    Rentrons au village []. Ils reviennent.

    III-2 w-ata-l s-ene w-ata-l s-ene1-village-INAL 1PL-voir 1-village-INAL 1PL-voir

    Nous voyons notre village ! Nous voyons notre village !

    III-3 itoto j-osan-me-la sesine kene sesine keneennemi 1-rchapper-ETAT-NEG vaincre ASS vaincre ASS

    [55]

    III-4 elku-pn-me elku-pn-metuer-DET NEG-ETAT guerre-DET NEG-ETAT

    [Nous sommes] indemnes, indemnes.

    III-5 eliku-pn-me kene hehatu ipoke-nma ipoke-nmatuer-DET NEG-ETAT ASS 1PLCOL bien-INTFR bien-INTFR

    Indemnes. Nous tous, nous tions trs bien, trs bien.

    III-6 sikale luwa kene sikale luwa kene sikale luwasikale ASS sikale ASS sikale

    Lesikale! Lesikale! Lesikale!

    55Lanalyse linguistique ntant pas sre, nous rservons notre traduction.

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    108 AMERINDIA n26/27, 2001-2002

    III-7 sikale luwa kene -ja k esiko sikale luwa kesikale ASS 1- [56] sikale ASS

    Lesikale! [] Lesikale!

    III-8 sikale luwasikale

    Lesikale!

    III-9-panakmasa-se sikale luwa sikale luwa(3A)1O-couter-se sikale sikale

    Je veux couter lesikale, lesikale!

    III-10toto kene j-akulim-ja-i j-akulim-ja-i j-akulim-ja-i jaennemi ASS 1-frapper-HAB-SIT 1-frapper-HAB-SIT1-frapper-HAB-SITja

    Lennemi. Il me frappe, il me frappe, il me frappe,ya.

    III-11 ijek-l uhmo-tpo nul itoto kene itoto kenefamille-INAL tuer-EX nul ennemi ASS ennemi ASS

    Lennemi a tu notre famille. Lennemi. Lennemi.

    III-12 ijaja ijajaijaja ijaja

    iyaya iyaya.

    III-13-ja []ase sikale luwa sikale luwa1- [] sikale sikale

    []sikale, lesikale.

    sikweuONOM

    sikweu!

    III-14 ijaja ijajaijaja ijaja

    iyaya iyaya.

    sikweu sikweuONOM ONOM

    sikweu!sikweu!

    III-15 ijukuli j-enm-k j-enm-k kene itoto-npjukuli 1-passer-IMPER1-passer-IMPER ASS ennemi-EX

    Passez sur moi les fourmisyukuli! Passez-les sur moi ! Il ny a plus dennemi.

    III-16 itoto-np kene ijukuli j-enm-kennemi-EX ASS jukuli 1-passer-IMPER

    Il ny a plus dennemi. Passez sur moi lesyukuli!

    56Peut-tre faut-il comprendre kesi-ko, par rapprochement avec lapalai kasi-ko [kaiko] (E. et S.Koehn 1986:35 : kaxi-ko 'do-IMP') (way. cont. kai-k'faites!', 'dites!').

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    CAMARGO E. & RIVIERE H.: Trois chants de guerre wayana 109

    III-17 kajali-me u esi-ke57 ijukuli j-enm-k j-enm-k kenepuissant-ETATmoi tre- cause jukuli 1-passer-IMPER1-passer-IMPERASS

    Je suis puissant ! Passez sur moi les fourmis ! Passez-les sur moi !

    III-18 meli je tl-k meli je tl-k -kajawali -kajawali kenejacureuil dent faire-IMPER cureuil dent faire-IMPER 1-puissance 1-puissance ASS ja

    Avec des dents dcureuil, scarifiez-moi ! Avec des dents dcureuil, scarifiez-moi ![ Ma puissance, ma puissance,ya!

    III-19 meli58 je tl-k meliwalai tl-k Alatumle Alatumlecureuil dent faire-IMPER meliwalai faire-IMPER Alatumle Alatumle

    Avec des dents dcureuil, scarifiez-moi ! Dessinez le meliwalai! Alatumle, Alatumle !

    III-20 Alimamhe meliwalai tl-kAlimamhe meliwalai faire-IMPER

    Alimamhe ! Dessinez le meliwalai!III-21 piana tl-k Palulumhe Palulumhe

    aigle faire-IMPER Palulumhe PalulumheDessinez laigle ! Palulumhe ! Palulumhe !

    III-22 piana tl-k piana tl-k piana tl-kaigle faire-IMPER aigle faire-IMPER aigle faire-IMPER

    Dessinez laigle ! Dessinez laigle ! Dessinez laigle !

    III-23 piana-ke tl-k kju-ke tl-kaigle-INSTR faire-IMPER serpent-INSTR faire-IMPER

    Dessinez laigle ! Dessinez le serpent !III-24 Alatumle kene Sihtan kene Majamajali kene

    Alatamule ASS Sihtan ASS Majamajali ASSAlatumle, Sihtan, Mayamayali.

    III-25 Majamajali MajamajaliMajamajali Majamajali

    Mayamayali, Mayamayali.

    III-26 [h]mel-ke tl-k meli je-ke tl-ktout-INSTR faire-IMPER cureuil dent-INSTR faire-IMPER

    Dessinez tout ! Dessinez avec les dents de lcureuil !III-27 tulupele t[l]-k kunawalu tl-k

    tulupele faire-IMPER kunawalu faire-IMPERDessinez le tulupele! Dessinez le kunawalu!

    57Jackson 1972:76 : -ke 'because of'.58 Odile Renault-Lescure (1999:278) retrouve le kalina me:l 'dessin' dans des formes carabes,

    consignes par le R. P. Breton dans son dictionnaire de 1665, renvoyant 'graver', 'peindre','crire'.

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    110 AMERINDIA n26/27, 2001-2002

    III-28 Majamajali MajamajaliMajamajali Majamajali

    Mayamayali, Mayamayali !

    III-29 Palulumhe PalulumhePalulumhe Palulumhe

    Palulumhe, Palulumhe !

    III-30 Palalipana PalalipanaPalalipana Palalipana

    Palalipana, Palalipana !

    III-31 tl-kom kene ijuku j-enum-k ijuku j-enum-k j-enm-kfaire-PL59 ASS jukuli 1-passer-IMPERjukuli 1-passer-IMPER 1-passer-IMPER

    [kene palalipana kene[ ASS Palalipana ASS

    Appliquez-moi les fourmis ! Appliquez-moi les fourmis ! Appliquez-les moi ! Palalipana !

    III-32 Palalipana Tunakulet kenePalalipana Tunakulet ASS

    Palalipana ! Tunakulet !

    III-33 tunakulet kene tunakulet kenetunakulet ASS tunakulet ASS

    Tunakulet, Tunakulet !

    III-34 Same kene ijukuli j-enm-k itoto-np itoto-npSame ASS jukuli 1-passer-IMPER ennemi-EX ennemi-EX

    Same ! Appliquez les fourmis ! Lennemi nest plus, lennemi nest plus.

    III-35 ijaja ijajaijaja ijaja

    iyaya iyaya.

    Quelques items lexicaux de la langue chante ne sont pas enusage dans le wayana actuel. Dautres se prsentent sous des aspectsinhabituels. Ils sont au nombre dune douzaine, dont nous faisons ci-

    dessous le recensement.aipme'vite' (II-6) : mot tlo (asimhaken wayana).alisim(I-12) : walisimen wayana, malisimoen apalai60.

    59T--l-kom: 3-fait-INAL-PL, 3-faire-NSR-PL(?)60La forme alisim des chants de guerre, bien que ntant pas celle de lapalai, renvoie un

    phnomne assez rgulier de chute du w- initial de lapalai par rapport au wayana. Ainsi a-t-on ap.

    akalapour way. wakala(Pilherodius pileatusBoddaert, ARDEIDAE), ap. alamisipour way. walami(Leptolila rufaxilla, COLUMBIDAE), ap. apoto'feu' pour way. wapot, etc.

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    CAMARGO E. & RIVIERE H.: Trois chants de guerre wayana 111

    elo (I-36) 'travailler' :elk en wayana (du Paru61), elohen apalai.etapa 'tuer (avec un instrument)', 'frapper' (I-14, I-22, I-28, I-30) : mot apalai et

    waiwai (uhmoen wayana).ijukuli'fourmi' (Neoponera commutata, FORMICOIDAE) (III-15, III-16, III-17, III-34)

    (ijukuIII-31) : ijuk[u] en wayana.lkene particule assertive. Cette forme apparat en I-46. Ailleurs, elle est rduite

    kene(on trouve aussi k, en I-34, keen III-7). En wayana parl contemporain, elleest rduite lken62. On rapprochera la forme pleine lkene de lapalaicontemporain rokene.

    meliwalai'flin sp.' (III-19, III-20) : pour melima.-pla suffixe marquant la ngation (II-5, II-6, II-15, II-16) : forme apalai (-la en

    wayana).piana'aigle' (III-21 et sq.) : pour pia. La forme est rapprocher notamment de lapalai

    piano(que lon retrouve par ailleurs dans le kalau).sesine (III-3) : dsigne la victoire, dans le sens o les guerriers sont de retour et ne

    courent plus aucun danger.tak'arc' (I-6) : mot apalai (pailaen wayana, du nom de larbre dont sont faits les arcs,

    Brosimum guianensisAubl., MORACEAE).takloje'mchancet' (I-40) : mot tenu pour kukuyana (ileen wayana).

    Dautres termes, pour des raisons de ralisation phontique ou de

    structure syllabique, contribuent singulariser la langue des chants parrapport celle du quotidien. Sur le plan des ralisations phontiques, onobserve que la fricative coronale /s/ demeure productive dans les chants lo, dans le parler wayana contemporain, elle connat une postriorisationet se ralise comme une laryngale [h]63:

    (1) a. s-al-ta(I-3) 'apportons !' h-al-taen way. cont.b. s-ene-ta(I-3) 'regardons !' h-ene-tac. semti(I-24, 51) 'hemt' hemt

    61Elkest attest sur le Litani dans le sens 'avoir mal' ('travailler' est dsign par -emaminum-). Surle Paru, il dsigne galement 'avoir une plaie'.

    62Parfois galement kene, sur le Litani (surtout en dbit rapide).63 En apalai, la fricative coronale se maintient en synchronie comme phonme (Koehn et Koehn,

    1971). Ce segment phonique se maintient galement en wayana, dans certains lexmes, danslenvironnement vocalique de /i/ ou de /u/ : kasulin ( portugais gasolina ou franais gazoline ) 'essence' ; katusu ( fr. cartouche ) 'cartouche' ; kasili 'cachiri' ; sukulu ( (?)crole sranan soekroe ) 'sucre', etc. Pour dautres lexmes, elle rapparat dans un telenvironnement de /i/ : n-i-sapa-ta'he used a machete' (Jackson 1972:71) (hapa 'machette'). Dansla flexion verbale, /s/, marqueur de 1re personne du pluriel, [s] apparat devant la voyelle /i/, alorsque cest [h] qui apparat ailleurs :

    pluna s-ipokm-, (harpon 1pl-faire-ASP) 'nous avons fabriqu des harpons' ;tamn h-apo- (tabac 1pl-mcher-ASP) 'nous avons mch du tabac'.

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    112 AMERINDIA n26/27, 2001-2002

    La coronale /s/ se ralise [s] dans la langue parle lorsquelle setrouve derrire locclusive coronale /t/ :

    (2) a. t-nat-se'cest fini'b.t-h-emat-se'se laver les mains'c.akuwat-sem'celui qui prend les sentiers', 'celui qui traverse les abattis'

    Elle se ralise galement [s] dans lenvironnement vocalique de lapalatale /i/, chez la plupart des locuteurs du Litani ; elle se palatalise []dans le parler du Paru de lEst :

    (3) a. i-se'(il) le veut' [ise] sur le Litani[ie] sur le Paru

    b. kasili'cachiri' (bire de manioc) [kasili] sur le Litani[kaili] sur le Paru

    Dans la langue chante, la coronale /s/ se ralise autrement commeapproximante palatale [j], ou comme fricative palatale [] :

    (4) a. s-al-ta(I-3),j-al-ta(I-1) 'apportons !'b. s-ene-ta(I-3),j-ene-ta(I-15) 'regardons !'c. kaikusi(I-11), kaikuji(I-18) 'jaguar'd. isanutp[ianutp]64(I-2) 'celui qui a dclench les hostilits'

    La ralisation /s/[j] na pas cours en wayana daujourdhui. Ilnest cependant pas possible dinfrer de ces diffrentes ralisations de /s/dans la langue chante que, sur le plan diachronique, la coronale a passdalvolaire palatale pour aboutir une postriorisation et se raliserlaryngale. Coudreau, qui crit une page tapsem(1893:187) 'objet rituelsp.' ce quil crit une autre tapehem (ibid.:552), nous donne les deuxralisations [s] et [h] de /s/ en synchronie (la premire forme nous rappellelapalai tasem, tandis que la seconde est trs proche du wayanadaujourdhui taphem) (De Goeje 1943:34 : taphem).

    Le passage de [s] [h] nest pas stabilis la fin du XIXesicle.Les formes en [s] sont frquentes cf., par exemple, mamsali (Coudreau1893:187) 'agami' (Psophia crepitans, PSOPHIDAE), forme mi-cheminentre lapalai mamisali et le wayana mamhali. Chez Crevaux, commechez Coudreau, les formes en [s] ou [] sont nombreuses : cachourou(Crevaux [1/1883] 1987:270), cashourous (ibid.:282) pour kahulu'perle, collier' ( portugais casulo, Renault-Lescure 1999:276) ; sakn

    64La ralisation [] na pas t note dans les transcriptions.

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    CAMARGO E. & RIVIERE H.: Trois chants de guerre wayana 113

    (Crevaux, ibid.:325) pour hakene 'deux' ; sapa (ibid.:270, 288) pourhapa 'sabre, machette' ( franais sabre65) ; cacouchi (ibid.:325)'jaguar' pour kaikui. tamouchi (Coudreau 1893:passim) pour tamusi'vieux, chef'. Mais cac[o]ui (Crevaux 1987:324) 'jaguar' ; hl-ua(ibid.:325) pour eheluao'trois' (apalai aseruao)

    Le wayana contemporain connat un phnomne de rductionconsonantique par perte de la coronale /s/ lorsque celle-ci, suivie de /i/, esten syllabe finale de mot (kaikusi(I-14) 'jaguar' way. cont. kaikui)66.Lesformes pleines rapparaissent cependant lorsque des morphmes comme-ja (suffixe dagentivit) ou -me (suffixe aspectuel renvoyant un tatcontingent, glos ici ETAT) sont associs au lexme. Ce qui est galement

    le cas dans les chants de guerre ceci prs que /s/ peut tre ralis [j](5e-f-g) :

    (5) a. kaikusi-ja'par le jaguar'(kaikui)b. ijosi-ja'par le lzard' (ijoi)c. tukusi-ja'par le colibri' (tukui)d. kaikusi-me(I-11, I-16, I-24) 'comme le jaguar'e. kaikuji-me(I-4, I-18) 'comme le jaguar'f. tukuji-me(II-22) 'comme le colibri'g. kuluji-me(II-16, II-17) 'comme le tocro' (Odontophorus gujanensis,

    PHASIANIDAE) (kului)

    Toujours sur le plan phontique, on observe une instabilitvocalique entre [o] et [] dans nombre de lexmes. Ainsi trouve-t-on :

    (6) a.t 'aller' (I-9 etpassim) (idemen wayana contemporain),b. -k (morphme impratif) (I-9,passim) (-k,-ken way. cont.),c. kji(I-17), kju'serpent' (I-17, III-22) (kien way. cont.),d. lpa(III-1) ' nouveau' (semble ne pas exister en way. cont.) (lopaet lepasont

    rapports en way. cont. par De Goeje 1946:132),

    aux cts, respectivement, de :

    (7) a.to(I-8,passim) (idemen apalai contemporain),b. -ko(I-8,passim) (id.en ap. cont.),c. okoji(II-13) (ap. okoi) (okojien waiwai),d. lopa(III-1) (ropaen apalai).

    65 moins que ce ne soit un emprunt lespagnol espada (cf.kalina supala).

    66 Quelques termes maintiennent le /s/. Par exemple : awale ksi 'serpent sonnette' (Crotalusdurissus dryinus), sur le Paru.

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    114 AMERINDIA n26/27, 2001-2002

    Le lexme itoto 'ennemi' (I-2, passim), aujourdhui prononc itten wayana, nest attest dans les chants que sous la forme avec [o] (itotogalement en apalai)67.

    Les morphmes -ko, -k de limpratif et -tomo du pluriel ontperdu la voyelle finale :

    (8) a. akulima-k'coupez !' (I-31) akulima-k,b.t-k'allez !' (I-4) t-k,c. kajali-tomo(I-9) kajali-tom(lapalai conserve la forme pleine : kajalima-

    tomo).

    Dans III-30, le pluriel restrictif -kom (tl-kom 'ils font') est une

    rduction similaire dune forme -komo, toujours prsente en apalai (i-pa-ry-komo, (3POS-petit-fils-INAL-PL), 'mes petits-enfants'). Dans le parler wayanacontemporain, les formes pleines de -tomoet de -komorapparaissent lorsd'une frontire morphmique : eluwa-komo-mna (homme-PL-PRIV)'sans aucunhomme'.

    Ces quelques exemples mettent au jour que la structure syllabiquedes termes des chants ainsi que leur ralisation phonique rpondentdavantage lapalai quau wayana. Sur le plan syntaxique, les chants font

    usage dune construction limpratif (indique par le suffixe -k ) danslaquelle le verbe est index, par j-ou w-(1sg)68et par t-(3sg/pl). Aucunquivalent dans le parler actuel naccepte une telle indexation.

    (9) a.j-al-k(I-5, I-6, I-43) 'apportez !' al-ken way. cont.b. w-enuma-ka(I-43) 'recourez la ruse !' enuma-ken way. cont.c. w-ata-ka(III-1) 'au village !'d. t--l-k69(III-18) 'faites !'

    Dans la construction hortative marque par le suffixe -ta, lapersonne indicielle, indique par la palatalej-(h-dans le parler moderne, s-), est, en revanche, rgulire.(10) a.j-ene-ta(I-15) 'regardons !' h-ene-taen way. cont.

    b.j-al-ta(I-19) 'apportons !' h-al-taen way. cont.

    67En kalina, le terme dsigne lensemble des Amrindiens de lintrieur des Guyanes (Collomb etTiouka 2000:42-43) (Lescure 1999:283).

    68La premire forme sapplique aux verbes statifs, la seconde aux verbes actifs. Dans la constructiondappartenance, la premire personne est marque par lindice personnel w- (w-ata-l, III-2),

    agrammatical en wayana moderne qui emploiej-/-:-pata'mon village' (-pata-len apalai).69Cette segmentation correspond 3-faire-NSR-k(?).

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    CAMARGO E. & RIVIERE H.: Trois chants de guerre wayana 115

    Deux suffixes aspectuels expriment des valeurs dtat transitoire :-memarque ltat contingent, -tp(-tp, -np) marque ltat terminatif oucaducitif.

    Le suffixe -me signale les tats par lesquels passentsymboliquement les guerriers. tout le moins sont-ils appels faire leursles qualits des animaux numrs. Ainsi trouve-t-on, notamment :

    (11) a. kaikusi-me(I-11)'comme le jaguar', 'en (tant que) jaguar'b. kji-me(I-17) 'comme le serpent', 'en (tant que) serpent'c. kapau-me(II-2)'comme la biche', 'en (tant que) biche'd.ijosi-me(II-12) 'comme le lzard', 'en (tant que) lzard'

    Le suffixe -me sassocie galement itoto 'ennemi' : itoto-me (I-23) '[tre, agir] en ennemi'. ce syntagme fait pendant la constructionitoto osan-me-la(III-3) par laquelle le chanteur demande aux combattantsde ne pas tre comme lennemi vaincu. Avec minekaten-me (II-19), lechanteur incite tre agile et se mouvoir rapidement et discrtementcomme peut le faire un fugitif.

    Le changement dtat, indiqu par le suffixe -np, peut tre relev plusieurs reprises en rapport avec itoto'ennemi' :

    (12) itoto'ennemi' itoto-np(I-15, III-15, III-34) 'dbarrass des ennemis'

    Un exemple tir de la langue parle serait :

    (13) je'mre' je-np'la mre qui nest plus mre (celle dont lenfant est dcd)'

    Dans la littrature caribe, les suffixes -np, -tpet-tpsont glosspar 'ex-' et sont interprts comme terminated possession (Jackson1972:64) ou simplement 'terminatif' (Gildea 1998).

    Le sens dun participe pass est exprim lorsque -tp (ou, plusexactement, -tpodans les chants) sassocie des lexmes verbaux commeuhmo'tuer', 'combattre (avec une massue)' :

    (14) ijek-l uhmo-tpo(III-11) 'sa famille est tue'

    Les suffixes -tp et -tp sont des marqueurs smantiquementdistincts. Par exemple :

    (15) a.-uputp(3pos-tte) 'sa tte' (personne connue)b.-uputp(3pos-tte) 'sa tte' (personne inconnue)

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    La construction que lon trouve en I-31 et I-35, upupt-l (tte-INAL),est vue, nous semble-t-il, comme une lexicalisation et dsigne une 'tte demort'70.

    Le dmonstratif ngatif -pn (cf. Jackson 1972:70) (associ unprdicat) est suffix aux lexmes verbaux uw-'flcher' (et 'perforer de lachair' selon Chapuis 1998:193), uhmo- 'tuer (avec des flches ou laidedune massue), frapper, combattre' et elku-'tuer' :

    (16) a. t-uw-po-pn-me (II-7, II-13)REFL-flcher-CAUS-DET NEG-ETAT

    'celui qui ne se fait pas flcher'b. t-uhmo-po-pn-me (II-10, II-11)

    REFL-frapper-CAUS-DET NEG-ETAT'celui qui ne se fait pas frapper'

    c. elku-pn-me (II-18, III-4)tuer-DET NEG-ETAT

    'celui qui nest pas tu'

    Dans le parler contemporain, ce morphme est galement suffixaux lexmes non verbaux :

    (17) i-kanawa-pn

    3POS-canot-DET NEG'celui qui na pas de canot'71

    Conclusion

    Sur le plan morphosyntaxique, la langue des chants de guerre esttrs proche du wayana actuel. Sur le plan phonologique, elle se rapprochedavantage et mme fortement de lapalai. Sur le plan lexical, elle

    prsente des termes absents du wayana actuel mais attests, le plussouvent, dans dautres langues caribes voisines, telles que lapalai ou le

    tlo. En cela, lanalyse linguistique rejoint lopinion autochtone quireconnat communment de lapalai dans la langue kalau.

    70Il existe galement une nuance smantique entre uputpl-tp'tte de mort' (tte de quelquun quelon connat) et uputpl-np'tte de mort' (tte dun inconnu, en loccurrence celle dun ennemi).Nous ne pouvons cependant pas affirmer que cette distinction entre -tpet -np, qui relve de lamodalit pistmique, est gnralise.

    71Au morphme -pn, qui marque un tat contingent, fait pendant le morphme -mn, qui marque untat constant : i-kanawa-mn'celui qui n'a pas de canot (et nen aura probablement jamais)'.

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    Ces chants, toujours selon le tmoignage autochtone, sont parfoisattribus Kailawa. Or, ce personnage vraisemblablement du XVIIIesicle

    sil a exist est revendiqu par les Wayana comme un de leurs hros. Sices chants sont ceux de Kailawa, ils pourraient vhiculer une parole plusou moins fige dun tat ancien du wayana. Ce qui permettrait de prendrela mesure des carts pris par les langues wayana et apalai, lune par rapport lautre, depuis le XVIIIesicle72.

    Mais il est galement plausible que la langue de ces chants ne soitquindirectement affilie au wayana. Elle pourrait tre la trace dunevarit dialectale disparue dun des groupes formateurs de lethnieactuelle. En loccurrence, celle du groupe auquel appartenait Kailawa. La

    puissance militaire dun temps naurait pas suffi imposer sa langue etcette dernire aurait t submerge, par exemple, par celle dun groupedmographiquement plus nombreux ou conomiquement mieux organis.

    Linguistiquement, nous ne possdons pas dlments pour asseoirtelle ou telle hypothse et nous attendons beaucoup de lanalyse en coursdu vaste kalau chant dans la mme langue. Ce kalau, limportantrituel dit du marak dans lequel il sinscrit, et la guerre semblentorganiquement lis. Autant sinon plus qu la distance linguistique,cest la distance culturelle des jeunes gnrations de Wayana par rapport leur propre histoire quil semble falloir imputer les difficults decomprhension de la langue kalau par ces Wayana. Cette langue estdevenue langue rituelle alors quelle nest sans doute gure loigne decelle, quotidienne, parle par les aeux dau moins une partie dentre eux, ily a un peu plus de cent ans.

    Linguistique, ethnologie, histoire, ethnomusicologie, ont clairementdes intrts convergents travailler en interdisciplinarit ds lorsquentrent en jeu des documents de la littrature chante ; plus largement,

    ds lors que les travaux des uns nourrissent les problmatiques des autres ce qui, typiquement, est le cas des recherches en ethnohistoire.

    72Les divergences phontiques entre le wayana actuel et la langue des chants sont sans doute,

    cependant, bien postrieures lpoque envisage de production des chants par Kailawa, comme lesuggrent les relevs linguistiques de la fin du XIXesicle.

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    Abrviations

    1+2 forme sagittale 'nous' :'moi et toi'1O premire personne objet1 premire personne3 troisime personneA actant-agentASP aspectASS assertifCAUS causatifCOL collectifDET NEG dmonstratif ngatif

    DIR directionnelESP. espceETAT aspect contingentEX aspect terminatif

    ou caducitifFIN finalitHAB aspect habituel

    HORT hortatifIMPER impratifINAL lment inalinableINSTR instrumentalINTFR intensificateurITER aspect itratifLOC locatifNEG ngatifNSR nominalisateurONOM onomatopePL pluriel

    PRIV privatifPSE passREC rciproqueREFL rflexifS sujet dun verbe intransitifSG singulierSIT situationnel

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