avicenne, livre de la genèse et du retour (kitâb al-mabda’ wa l-ma‘âd)

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Traduction française intégrale par Yahya Michot. Version exploratoire (Oxford, Mai 2002)

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AVICENNE

LIVRE DE LA GENESE ET DU RETOURTRADUCTION FRANAISE INTEGRALE PAR

YAHYA J. MICHOT

VERSION EXPLORATOIRE

Oxford Safar 1423 - Mai 2002

OUVRAGES ET TRADUCTIONS DE YAHYA J.

MICHOT

La destine de lhomme selon Avicenne. Le retour Dieu ( mad) et limagination, Acadmie Royale de Belgique, Fonds Ren Draguet, V , 1986, Peeters, Louvain, XLVIII et 240 p. ISBN 90-6831-071-2. Musique et danse selon Ibn Taymiyya. Le Livre du Sam et de la danse (Kitb al-sam wa l-raqs) compil par le Shaykh Muhammad al-Manbij. Traduction de larabe, prsentation, notes et lexique, tudes musulmanes, XXXIII , 1991, Vrin, Paris, 221 p. ISBN 2-7116-1089-6. Ahmad BAHGAT. Mmoires de Ramadan (Mudhakkirt sim). Traduit de larabe et annot, critures arabes, 66 , 1991, LHarmattan, Paris, 175 p. ISBN 2-7384-1112-6. IBN TAYMIYYA. Lettre Ab l-Fid. Traduction de larabe, prsentation, notes et lexique, Publications de lInstitut Orientaliste de Louvain, 44 , Universit Catholique de Louvain, Louvain-la-Neuve, 1994, 106 p. ISBN 90-6831-585-4. IBN TAYMIYYA. Lettre un roi crois (al-Rislat al-Qubrusiyya). Traduction de larabe, introduction, notes et lexique, Sagesses musulmanes, 2 , Academia, Louvain-la-Neuve - Tawhid, Lyon, 1995, 349 p. ISBN 2-87209-346-X. IBN TAYMIYYA, Les intermdiaires entre Dieu et lhomme (Rislat al-wsita bayna l-khalq wa lhaqq). Traduction franaise suivie de Le Shaykh de lIslam Ibn Taymiyya : chronique dune vie de thologien militant, Fetwas du Shaykh de lIslam Ibn Taymiyya, I , Paris, A.E.I.F. ditions, 1417/1996, 28 p. ISBN 2-90017-916-5. IBN TAYMIYYA. Le statut des moines. Traduction franaise, en rfrence laffaire de Tibhirine, par Nasreddin LEBATELIER (Rabbn al-ghriqn f qatl ruhbn Tbhirn), Beyrouth, El-Safna, 1417/1997, 36 p. IBN SN. Lettre au vizir Ab Sad. Editio princeps daprs le manuscrit de Bursa, traduction de larabe, introduction, notes et lexique, Sagesses Musulmanes, 4 , Paris, Albouraq, 1421/2000, xii, 130*, 61, 4 et 186 p. ISBN 2-84161-150-7. IBN TAYMIYYA. Le haschich et lextase. Textes traduits de larabe, prsents et annots, Fetwas dIbn Taymiyya, 3 , Beyrouth, Albouraq, 2001, viii & 200 p. ISBN 2-84161-174-4. Musulman en Europe. Rflexions sur le chemin de Dieu (1990-1998), Villemomble, ditions JSF, 2002, vii & 125 p. ISBN 2-911848-30-6.

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Yahya J. MICHOT, Oxford Centre for Islamic Studies, George Street, Oxford, UKTl : 00 44 1865 278 733 E-Mail : [email protected]

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AVERTISSEMENTCeci nest pas un livre mais un travail en chantier. Un chantier de longue haleine auquel je nai malheureusement pas le temps de me consacrer aussi intensment que je le souhaiterais. Je ne perds cependant pas lespoir (et la volont) de le conduire bien dans les annes venir. Sans doute ai-je vu trop grand en dcidant de consulter plus dune quarantaine de manuscrits pour revoir ldition Nrn du Livre de la gense et du retour. Et alors mme que je me suis finalement dcid ne tenir compte que de dix copies pour fonder cette rvision, leur collation reste une tche norme quand on na rien dun bndictin. Pour ne pas parler des comparaisons qui simposent entre le Livre de la gense et du retour et les autres grandes sommes avicenniennes Dans ce chantier, la traduction et les notes critiques des six premires sections du premier trait sont les seules pouvoir tre considres comme peu prs dfinitives. Elles tmoignent du genre de traitement auquel jentends soumettre toute luvre. La traduction du reste du premier trait et celle du second apportent ldition Nrn une srie de corrections rsultant dun examen des meilleurs manuscrits. Ces corrections sont indiques dans les notes mais sans que leurs rfrences soient prcises. La traduction du troisime trait a t ralise en 1981, avant mme la publication de ldition Nrn, directement sur manuscrits (les n 5, 7, 44 ci-dessous et les mss Kprl 869 et Ahmed III 3225 dIstanbul). Les divergences avec ldition Nrn ne sont pas indiques. De nombreuses correspondances entre le Livre de la gense et du retour, la Najt, le Shif et les Gloses sont dj signales dans les notes. Dautres ne manqueront certainement pas dapparatre encore, peut-tre mme avec dautres uvres du Shaykh al-Ras. Malgr son tat de total inachvement et son caractre htroclite, cette traduction devrait dj pouvoir rendre certains services. Ne serait-ce que du fait que, pour maints passages, elle apporte une meilleure leon que ldition Nrn. Cest la raison qui ma dcid rencontrer le souhait de ceux et celles qui me demandaient de pouvoir dj en disposer. Je la leur soumets donc telle quelle, ainsi quaux autres chercheurs avicennisants. Jose esprer que, sans oublier quil ne sagit que dun chantier, ils voudront bien me faire part de leurs remarques, suggestions et critiques. Je nai dailleurs aucune objection ce que, si besoin est, ils y rfrent dj dans leurs publications. Je suis trs reconnaissant Melle Ccile Bonmariage de mavoir aid identifier les passages des uvres des Anciens ou de lui-mme auxquelles Avicenne renvoie, ainsi que davoir patiemment relu ce travail. A peu de choses prs, la prsente version en format PDF pour linternet ne diffre pas de celle, sur papier, date de 1994 Bruxelles, fournie quelques amis. Les points des lettres diacritiques ont cependant t remplacs par des soulignements.

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Remarques ddition Dans lapparat critique, la base est le texte dit de Nrn, non ce que lon croit avoir t le texte original. Do, par exemple, : m kna E 5 signifie quen fait ce sont E et 5 qui ont ajout quelque chose au texte original. La leon non accompagne de sigle est donne par lensemble des mss lexception de ceux dont le(s) sigle(s) accompagne(nt) le(s) leon(s) concurrente(s). On ne signale pas les mots oublis par un seul manuscrit, les fautes videntes, les variantes anodines, pas mme dans le cas de la Najt. Mais bien les amliorations significatives dcriture apparaissant dans la Najt. E N 1 3 5 7 11 18 20 22 25 44

Sigles utiliss Kitb al-mabda wa l-mad, d. Nrn. Najt, d. Fakhry. Ms Leiden OR 1020 a Ms Milan, Ambrosienne 320 Ms Istanbul, Ahmed III 3268 Ms Istanbul, Fatih 3217 Ms Istanbul, Universit, A 4390 Ms Istanbul, Nuru Osmaniye 2291/2715 Ms Bursa, Huseyin elebi 1194 Ms Mashhad, Astn-e Qods 862 Ms Mashhad, Astn-e Qods 864 Ms Istanbul, Ragib 872

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TRADUCTIONAu nom de Dieu, Celui qui fait misricorde, le Misricordieux ![1,1]

LIVRE DE LA GENESE ET DU RETOUR compos par Avicenne pour le Shaykh Ab Muhammad b. Ibrhm al-Fris.

PROLOGUE Gloire Dieu, le Seigneur des mondes ! Ses prires sur son Prophte, notre matre Muhammad, et sur lensemble de sa famille de Purs. Le Shaykh al-Ras Ab Al al-Husayn b. Abd Allh Ibn Sn a dit ceci : Je veux dans cet ouvrage montrer la ralit de ce quon trouve chez les Pripatticiens accomplis propos de la gense et du retour. Mon ouvrage que voici comprendra les rsultats de deux grandes sciences, lune tant celle qui est caractrise par le fait quelle concerne ce qui vient aprs la physique, lautre tant la science caractrise par le fait quelle concerne les choses physiques. Le rsultat de la science qui concerne ce qui vient aprs la physique, cest la division que lon en connat par le terme Uthljiy - Thologie . Elle concerne la Seigneurie, le Principe Premier et le rapport que les existants, suivant leur arrangement, ont avec lui. Le rsultat de la science qui concerne les choses physiques, cest connatre que lme humaine demeure et quelle a un retour. Jai divis ce livre en trois traits : 1. Le premier trait a pour objet dtablir lexistence du Principe Premier du tout et son unicit, et de dnombrer les attributs qui lui conviennent. 2. Le deuxime trait a pour objet de montrer larrangement du flux de lexistence partir de lexistence du Principe Premier, en commenant partir de la premire chose qui existe partir de lui et en allant jusqu la dernire des choses qui existent aprs lui. 3. Le troisime trait a pour objet de montrer la demeurance de lme humaine, le bonheur vritable de lau-del et celui qui est un certain bonheur, non vritable, ainsi que la misre vritable de

lau-del et celle qui est une certaine misre, non vritable. Jai lintention, dans ces traits, de rendre clair ce que les Pripatticiens ont rendu abscons et de divulguer ce quils ont voil et cel, de runir ce quils ont spar et de dployer ce quils ont condens. Cela, dans la mesure des capacits limites qui sont celles de gens qui, comme moi, sont affligs par lextinction du temps des Savants, par le glissement des proccupations vers des objectifs diffrents de la Sagesse et par la domination de laversion sur ceux qui ont peru un bout de la ralit, affligs galement par la lassitude engendre par la violence et par le dcouragement trouv fuir ce qui frappe les gens qui sont soumis une preuve pareille la mienne et repousss l ou je lai t par les vicissitudes de ce temps. Dieu est Celui dont laide est demande ! lui la force et la puissance ![2,1]

PREMIER TRAITE1

Premire section 2 : O lon fait connatre lexistant ncessaire et lexistant possible [5] Lexistant ncessaire est lexistant3 qui est tel que, lorsquon le pose inexistant, il en rsulte4 une absurdit. Lexistant possible est celui qui est tel que voici : quon5 le pose inexistant ou existant, il nen rsulte6 pas dabsurdit. Lexistant7 ncessaire est lexistant obligatoire8.1. : f ithbt bi-hi E tablissement [de lexistence] du principe premier du tout et de son unicit. Dnombrement des attributs qui lui conviennent f ithbt al-mabda al-awwal wa wahdaniyyati-hi wa tadd sifti-hi 22 tablissement [de lexistence] du principe premier et de son unicit. Dnombrement de ses attributs 2. Le texte de cette section correspond Najt, Mtaph., II, 1 : Expos des sens de ncessaire et de ceux de possible (Fakhry, p. 261, 3-fin ; Carame, p. 66-68). Dans certains mss. de la Najt (voir Carame, p. 67, n. 4), le titre correspond lui aussi. Exposs parallles : Livre de science, Mtaph., Achena Mass, p. 175-179 ; Shif, Mtaph., I, 5 (Van Riet, p. 4041), I, 6 (Van Riet, p. 43-46) ; Ishrt, Goichon, p. 357-358. 3. al-mawjd : 1 18 est ce qui 4. arada : lazima 25 sen ensuit 5. mat : idh 3 44 hatt N 6. yarid : yalzam 25 ne sen ensuit 7. wa l-wjib : fa-l-wjib E 7 22 8. al-wujd + : al-darr E 5 (+ i. m. al-wujd) 7 (+ i. m. al-wujd) 11 [celui qui est] obligatoire. Voir Najt, Fakhry, p. 58 : Il y a entre le ncessaire et limpossible (mumtani) une diffrence extrme. Ceci tant, ils concordent pour ce qui est de lide dobligation (darra) : celui-ci est obligatoire pour ce qui est de lexistence, celui-l obligatoire

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Lexistant possible est celui en lequel il nest dobligation sous aucun aspect, cest--dire ni pour ce qui est de son existence, ni pour ce qui est de son non-tre. Voil donc1 ce que nous entendons, en cet endroit, par existant [10] possible ; [cela,] mme si, par existant possible , on a entendu quelque [chose] qui est en puissance2 , et que possible se dit de tout ce qui est dexistence admissible (sahh al-wujd) ; cela3 a t dtaill dans la Logique 4. En outre, lexistant ncessaire peut tre5 par essence comme il peut tre non6 par essence. Celui7 qui est existant ncessaire par essence est tel que voici : du fait de son essence, non dune autre chose quelle quelle soit , il deviendrait absurde8 de poser son non-tre. Lexistant9 ncessaire non par essence est tel que voici : du fait quil se trouve l10 quelque chose qui11 nest pas lui12, [15] il devient existant ncessaire. Cela, de mme que quatre existe ncessairement non par essence mais lorsquon pose deux et deux. [De mme] galement que la combustion13 existe ncessairement non par essence mais lorsquon pose la rencontre de la puissance agente par nature et de la puissance passive par nature, jentends la [puissance] comburante et la [puissance] combustible.pour ce qui est du non-tre . 1. fa-hdh : wa hdh E 5 11 2. Cfr Shif, Mtaph., IV, 2 (Van Riet, p. 195-196) : Rem igitur qu est in termino possibilitatis dixerunt esse in potentia ; Livre de science, Mtaph., Achena - Mass, p. 175 : Lorsquil est possible quune chose existe, mais nexiste pas encore, on nomme puissance sa possibilit dexister au moment o elle nexiste pas encore . 3. fussila : jam + 22 ; lensemble de cela a 4. Selon Avicenne, le commun entend, par possible , ce qui nest pas impossible (mumtani). Llite dont il fait partie dsigne en revanche par ce terme ce qui nest ni impossible, ni ncessaire , ce dont ni lexistence ni le non-tre nont rien dobligatoire , cest--dire ce qui, touchant les deux tats (hl), nest pas obligatoire (Najt, Fakhry, p. 56-58). Voir galement Shif, Ibra, I, 10 (AlKhodeiri, p. 73-74) ; Ishrt, Forget, p. 34-35, Goichon, p. 138 sv. ; A.-M. Goichon, Lexique, p. 329-331, 381-383. 5. yaknu : wjiban + N tre ncessaire par 6. yaknu l : inv. 7 44 peut ne pas tre par 7. wa : amm N 8. sra muhlan fardu : yalzamu muhlun min fardi N une absurdit sensuivrait de la supposition de son 9. inna huwa : alladh huwa huwa 1 amm fa-huwa N 10. li-wad : law wudia 3 5 N : sil se trouve l 11. m : mim-m N chose de ce qui 12. huwa : dhta-hu (?) 18 pas son essence, 13. wa l-ihrq : wa l-ihtirq wa l-ihrq E 5 7 11 la combustion et la comburation wa l-ihrq wa l-ihtirq 22 la comburation et la combustion

Section II14 : Que lexistant ncessaire nest pas ncessaire la fois par essence et par autre [chose] [20] Il ne se peut pas quune seule et mme chose existe ncessairement la fois par essence et par autre [chose]. Si en effet on lui15 enlevait cette16 autre [chose] ou17 quon ne considrait pas son existence, on nchapperait pas lalternative suivante : soit la ncessit de lexistence de [la premire chose] demeurerait18 telle quelle et elle ne serait donc pas par autre [chose], soit la ncessit de son existence ne demeurerait pas telle quelle19 et elle ne serait donc pas par essence. Section III20 : Quun21 existant ncessaire par autre [chose] est un existant possible par essence Tout ce qui est existant ncessaire par autre [chose] est existant possible par essence22. La ncessit de lexistence de ce qui est un existant ncessaire par autre [chose]23 fait en effet suite quelque rapport, une relation24, et25 [5] considrer le rapport, la relation, cest autre [chose] que considrer lessence mme de la chose qui a un rapport, une relation. En outre, la ncessit de lexistence ne saffirme quen considrant ce rapport. A considrer lessence seule, on nchappe en effet pas ce que soit exige soit la ncessit de lexistence, soit la possibilit de lexistence, soit limpossibilit de[3,1] 14. Le texte de cette section correspond aux premires lignes de Najt, Mtaph., II, 2 : Quil ne se peut pas que le ncessaire par essence soit ncessaire par autre [chose], et que le ncessaire par autre [chose] est un possible (Fakhry, p. 262, 3-6 ; Carame, p. 68). Exposs parallles : Shif, Mtaph., I, 6 (Van Riet, p. 44) ; Livre de science, Mtaph., Achena - Mass, p. 179. 15. an-hu + 1 3 7 44 : rufia on enlevait 16. dhka : 1 44 N enlevait lautre dhlika 7 17. aw : wa 1 5 11 44 chose et quon 18. wujdi-hi : bi-dhti-hi + 3 resterait par essence, telle 19. al hli-hi : 18 N demeurerait pas et 20. Le texte de cette section, moins sa dernire phrase, correspond Najt, Mtaph., II, 2, suite et fin (Fakhry, p. 262, 6-18 ; Carame, p. 68-69). Exposs parallles : Livre de science, Mtaph., Achena Mass, p. 178-179 ; Shif, Mtaph., I, 5 (Van Riet, p. 44); Ishrt, Goichon, p. 358. 21. anna : kull + 7 11 22 Que tout existant 22. wa kull bi-dhti-hi : hom. 18 23. fa-inna-hu mumkin bi-ghayri-hi : hom. 1 25 44 La ncessit de lexistence de tout ce qui est existant ncessaire par autre [chose] fait suite 24. idfa : m + 22 i.l. , quelque relation, 25. itibru-hum : azunnu + 3 , et, je pense, considrer

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lexistence. Il ne se pourrait cependant pas que soit exige limpossibilit de lexistence tant donn que tout ce dont lexistence est impossible par essence, cela nexiste pas1, pas mme par autre [chose]. [Il ne se pourrait]2 pas non plus que soit3 [10] exige la ncessit de lexistence puisque, nous lavons dit 4, ce dont lexistence est ncessaire5 par essence, il serait absurde que la ncessit de son existence soit par autre [chose]. Il demeure donc que, considrer son essence, [tout existant ncessaire par autre chose] est un existant possible tandis que, considrer leffectivit6 de [son] rapport cette autre [chose], cest un existant ncessaire et, considrer la rupture du rapport quil a cette autre [chose], un existant impossible. Par essence, sans [qu]aucune condition [soit introduite], son essence est un existant possible7. Il est donc vident que tout 8 existant ncessaire [15] par autre [chose] est un existant possible par essence. Section IV9 : Quun existant possible par essence nexiste quen tant que son existence est ncessaire par autre [chose] Ceci10 sinverse galement : si son existence se produit, tout11 existant possible par essence est un existant ncessaire par autre [chose]. On nchappe en effet pas lalternative suivante : soit il est admissible quil existe en acte, soit il nest pas admissible [20] quil existe en acte. Il serait cependant absurde quil ne soit pas admissible quil existe en acte sinon il serait un existant impossible. Il demeure donc quil est admissible quil1. yjad : l bi-dhti-hi + 22 i.l. 25 pas, ni par essence, ni par autre [chose]. 2. wa l : yajzu + 18 Il ne se pourrait pas 3. yakna : mawjdan maan yakna mawjdan + N (Fakhry, p. 262, 13-15). Contrairement M. D. S. al-Kurd dans ses deux ditions, M. Fakhry ne signale pas le caractre fautif de cette addition. 4. Voir la section II. 5. wajaba : wujb 1 44 kna wujb 3 , ce dont la ncessit de lexistence est par wajaba wujb 25 6. q : irtif E 5 7. Fin de Najt, Mtaph., II, 2. 8. kull : m huwa + 1 44 tout ce qui est existant 9. La dernire phrase de la section III et le texte de cette section correspondent Najt, Mtaph., II, 3 : Que ce qui nest pas ncessaire nexiste pas (Fakhry, p. 262, 20 263, 12 ; Carame, p. 69-70). Exposs parallles : Livre de science, Mtaph., Achena Mass, p. 181 ; Shif, Mtaph., I, 6 (Van Riet, p. 45-46) ; Ishrt, Goichon, p. 358-359. 10. Cest--dire ce qui a t dmontr dans la section III et rnonc dans son dernier paragraphe : tout existant ncessaire par autre [chose] est un existant possible par essence. 11. kull : m huwa + 1 tout ce qui est existant

existe en acte et, ce moment, soit son existence est ncessaire, soit son existence nest pas ncessaire. Si12 cependant son existence ntait pas ncessaire, il serait encore un existant possible, dont lexistence ne se serait pas distingue de son non-tre, et, en ce qui le concerne13, il ny aurait pas de diffrence entre cette situation et la premire situation. Avant dexister, il tait en effet [4,1] un existant possible et maintenant, il serait [encore] tel, comme il tait. Si lon supposait quun tat se serait renouvel, la question14 subsisterait propos de cet tat : serait-ce un existant possible15 ou un existant ncessaire ? Si cet tat tait un existant possible16, il aurait galement exist, auparavant, en sa possibilit, et ne se serait donc pas renouvel17. Tandis que si son existence tait ncessaire et quil ft rendu ncessaire pour le premier [existant voqu]18, [5] lexistence de son tat19, pour ce premier existant, aurait t ncessaire ; comme, [par ailleurs], cet tat20 ne serait rien dautre que la sortie de ce [premier existant] vers lexistence, la sortie de ce [premier existant] vers lexistence serait donc ncessaire. Lexistence de tout existant possible, par ailleurs, se fait soit par essence, soit par quelque cause. Si ctait par essence, son essence serait un existant ncessaire, non un existant possible. Si ctait par une cause, soit son existence serait ncessaire de par lexistence de [cette] cause, soit elle demeurerait telle quelle serait si [cette] cause nexistait pas, [10] ce qui serait absurde21. Il faut12. fa-in : wa m N Tant cependant que son existence ne serait pas 13. min-hu : f-hi N 14. fa-l-sul : fa-inna l-sul E 5 7 11 22 25 15. inna-hu mumkin wjib : bi-anna-hu mumkin wjib 22 inna-h mumkina wjib 25 hal hiya mumkina wjiba N 16. kna mumkin : knat mumkina 25 N 17. tatajaddad : hlu-hu + 11 N , et ltat [ du premier existant voqu] ne se 18. li-l-awwal : li-l-l add il l-dawr 3 voqu], cela mnerait un cercle : lexistence 19. hli-hi : hla 3 11 22 25 44 N de [cette] situation, 20. al-hl : al-hla 1 3 18 22 25 N , [cette] situation ne 21. law lam yjad al-sabab wa hdh muhl : alay-hi qabla wujd al-sabab wa hdh muhl aw lam yjad al-sabab wa hdh muhl E 5 (corr. i.m. hshiya m kna law lam yjad al-sabab ) quelle tait avant lexistence de [cette] cause ce qui serait absurde , ou bien [cette] cause nexisterait pas ce qui serait [galement] absurde. alayhi qabla wujd al-sabab wa hdh muhl 18 N quelle tait avant lexistence de [cette] cause ce qui serait absurde. wa lam muhl 11 quelle tait alors que [cette] cause nexistait pas ce qui serait absurde. aw lam muhl 44 quelle tait, ou bien [cette] cause nexisterait pas ce qui serait absurde.

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ainsi, ncessairement, que son existence soit ncessaire1 de par lexistence de [cette] cause. Tout2 existant possible par essence nest donc un existant ncessaire que par autre [chose]. Section V3 : Quil4 ne se peut pas quun seul et mme existant ncessaire advienne partir de deux [choses]5 et quil ny a6, dans lexistant ncessaire, de multiplicit sous aucun aspect [15] Il ne se peut pas quil y ait deux choses, dont celle-ci ne serait pas7 celle-l, ni celle-l celle-ci, qui seraient chacune un existant ncessaire par essence et par lautre. Nous lavons en effet expos8, un existant ncessaire par essence nest pas existant ncessaire par autre [chose]. Il ne se peut pas non plus9 que chacune de ces deux [choses] soit un existant ncessaire par lautre, de telle manire que A serait un existant ncessaire par B, non par essence, B un existant ncessaire par A, non par essence, et que [20] la somme des deux [constituerait] un seul et mme existant ncessaire10. Cela, parce que considrer ces deux [choses] comme deux essences est autre [chose] que les considrer comme deux [choses] corrlatives. Chacune de ces deux [choses] ayant une ncessit dexistence non par essence, chacune11 delles est un existant possible par essence. Or tout existant possible par essence a, eu gard son existence, une cause qui lui est antrieure toute cause est en effet antrieure au caus, pour

ce qui est de lexistence12 de lessence, mme si ce nest pas dans le temps. Pour chacune de ces deux [choses]13, [5, 1] il y a donc une autre chose, par laquelle elle subsiste14 et qui est antrieure son essence. Comme lessence daucune de ces deux [choses] nest antrieure lessence de lautre, ainsi que nous lavons dcrit15, elles ont par consquent des causes16 qui leur sont extrieures et antrieures. La ncessit dexistence daucune de ces deux [choses] nest par consquent tire de lautre mais, plutt, de la cause extrieure qui a fait se produire lattache [existant] entre elles. Par ailleurs, ce dont lexistence17 est ncessaire par autre [chose], son existence dpend de 18 lexistence de cette autre [chose] et est [5] postrieure elle en essence19. Il serait cependant absurde que, pour exister, une essence dpende dune essence qui existerait par elle. Ce serait en effet comme si elle dpendait, eu gard lexistence, de son existence elle-mme. Si son existence elle-mme lui appartenait par essence, elle pourrait se passer de lautre [essence. En revanche], si elle ntait pas jusqu ce que [quelque chose d]autre soit qui ne serait quaprs quelle ait exist, son existence dpendrait dune affaire postrieure, en essence, son existence, et son existence serait donc impossible20. Il21 ne se peut pas, dirons-nous galement, que lessence de lexistant ncessaire ait des principes formant un ensemble et dont [cet] [10] existant ncessaire serait constitu22, quil sagisse de parties dune quantit ou de parties dune dfinition,wujd : wujb E 5 de la ncessit de lessence, min-hum : f l-dht + N [choses], eu gard lessence, il 14. yaqmu : yaqrinu E 5 (corr. i.l. yaqmu ?) chose, laquelle elle est associe et qui yaknu 3 chose, par laquelle elle est et qui 15. wasafn : wadan 1 avons pos, 16. ilal : illa 1 44 consquent une cause qui 17. wujdu-hu : 18 N ce qui est 18. mutawaqqif al : bi-l-dht mutaakhkhir an N existence, en essence, est postrieure lexistence de 19. mutaakhkhir an-hu bi-l-dht : mutaakhkhir bi-ldht an-hu 3 18 25 et est en essence postrieure elle. mutawaqqif alay-hi N et en dpend. 20. fa-in kna wujd fa-wujdu-h muhl : wa bi-ljumla fa-wujdu-hum muhl N (Fakhry, p. 264, 5-7) elle-mme. En somme, cette autre [chose] tant ncessaire par elle, celle-ci serait antrieure une [chose] qui lui serait antrieure et dpendrait dune [chose] qui dpendrait delle. Leur existence toutes deux serait donc impossible. 21. Dbut de la seconde partie de cette section, correspondant Najt, Mtaph., II, 5. 22. fa-yataqawwamu min-h : fa-yataqawwamu bi-h E 5 fa-yataqaddamu min-h 3 11 fa-yataqawwamu min-hu 18 fa-yaqmu min-h 25 N fa-yaqmu min-hu 4412. 13.

yajiba : yakna N existence se fasse de par : m kna E 5 Tout ce qui est existant Le titre et la premire partie (p. 4, 13 - 5, 8) du texte de cette section correspondent Najt, Mtaph., II, 4 : De la perfection de lunicit de lexistant ncessaire. Que deux [choses] concomitantes et cosuffisantes pour ce qui est de lexistence ont toujours une cause extrieure elles deux (Fakhry, p. 263, 15 - 264, 7 ; Carame, p. 71-72); la seconde partie (p. 5, 9 - 6, 5) Najt, Mtaph., II, 5 : De la simplicit du ncessaire (Fakhry, p. 264, 9 - 265, 1 ; Carame, p. 72-74). Exposs parallles : Livre de science, Mtaph., Achena Mass, p. 179-181, 185-186; Shif, Mtaph., I, 6 fin (Van Riet, p. 46-48) ; Ishrt, Goichon, p. 364. 4. f anna-hu : wa N Il ne se peut pas 5. : wa l kull whid min-hum wjib al-wujd bi-lkhar E 5 7 22 [choses], ni que chacune de ces deux [choses] soit un existant ncessaire par lautre, et 6. l : an yakna + N [choses], ni quil y ait, dans 7. : huwa E 5 7 11 22 25 8. Voir la section II. 9. : aydan E 5 7 22 10. whid : f wujdi-hi + 18 ncessaire eu gard son existence. 11. fa-kull : wa kull 3 11 25 [choses] a une ncessit dexistence non par essence et chacune delles

1. 2. 3.

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dun discours, et que ces parties soient comme la matire et la forme ou dun autre type, en ce [sens] quelles seraient les parties du discours explicitant la signification du nom de cet [existant ncessaire], chacune1 indiquant une chose par essence diffrente des autres, eu gard lexistence. Cela, parce que tout ce dont cest l lattribut, lessence daucune de ses parties nest ni lessence dune autre [partie], ni lessence de lensemble. Si une existence autonome2 est admissible pour chacune de ces [parties] 3 et4 quil nest pas admissible, pour lensemble, dexister sans ces dernires, cet [15] ensemble nest pas un existant ncessaire. Sil est admissible pour certaines [parties dexister de manire autonome] mais quil nest pas admissible pour lensemble dexister sans elles, ce pour quoi, de lensemble et des autres parties, il nest pas admissible [dexister de manire autonome]5, nest pas un existant ncessaire. Lexistant ncessaire, cest plutt ce6 pour quoi il est admissible [dexister de manire autonome] 7. Sil nest pas admissible pour ces parties de se sparer, pour ce qui est de lexistence, de la somme, ni pour la somme de se sparer des parties, mais que lexistence de chacune8 se rattache aux autres alors quaucune nest9 antrieure en essence10, [20] rien parmi elles nest un existant ncessaire. Et nous voil en train dexpliquer une telle [chose]11 alors que les parties sont, en essence, antrieures au tout ! La cause qui rend ncessaire lexistence fait donc exister12 premirement13 les parties, ensuite14 le tout, rien parmi eux ntant un existant ncessaire. Il ne nous est pas possible de dire que le toutmin-h : min-hum E 5 7 11 munfarid : mufrad E 5 min-h : min-hum E 3 5 7 11 de ces deux [parties] et juzay-hi mathal an min-hum 18 min ajzi-hi 25 de ses parties et min juzay-hi mathalan N de ses deux parties par exemple et 4. wa : aw 5 wa-lkinna-hu 18 N [parties] mais quil 5. al-ukhr : wujd munfarid + N admissible dexister de manire autonome, 6. bal wjib al-wujd huwa : wa lam yakun wjib alwujd ill N ncessaire, ce nest rien que ce 7. alladh : wujdu-hu munfarid + 22 i.l. admissible dexister de manire autonome. 8. : whid E 5 i.m. 22 whid min-hum 7 9. laysa : wa l + 44 10. inv. : bi-l-dht aqdama E 5 7 11 22 nest en essence antrieure, 25 11. hdh : hun E 12. tjidu : tjibu E N lexistence rend donc ncessaire les mjib 5 yjibu 25 (corr. i.m. yjidu) 1 22 (corr. i.m. tjidu) yjidu 11 13. inv. : al-ajz awwalan E 5 7 11 14. thumma : bi-hi + 44 , ensuite, par l, le tout.1. 2. 3.

est antrieur, en essence, aux parties ; il [leur] est ou postrieur [6, 1] ou contemporain et, quel quil soit, il nest pas un existant ncessaire. Il est clair, partir de ceci, que lexistant ncessaire nest ni un corps, ni la matire dun15 corps, ni la forme dun corps, ni une matire16 intelligible dune forme intelligible 17, ni une forme intelligible dans une matire intelligible. Il ne comporte pas de division, ni pour ce qui est de la quantit, ni pour ce qui est des principes, ni pour ce qui est du discours. Il est un18 sous ces [5] trois aspects. Section VI19 : Que lexistant ncessaire par essence est existant ncessaire sous lensemble de ses aspects Lexistant ncessaire par essence, dirons-nous, est existant ncessaire sous lensemble de ses aspects. Sinon, sil tait existant ncessaire sous un aspect et existant possible sous un autre, il aurait cet aspect [10] et il ne laurait pas, il nchapperait pas ces [deux situations] et chacune20 dentre elles rsulterait dune cause laquelle laffaire se rattacherait obligatoirement. Son essence serait donc21 rattache, pour ce qui est de lexistence, [ces] deux causes [constitues par] deux affaires auxquelles elle nchapperait pas. Il ne serait donc pas un existant ncessaire par essence de manire absolue mais, plutt, de par [ces] deux causes ; [et cela,] que lune soit une existence et lautre un non-tre, ou que toutes deux soient des existences. partir de l, il est vident quaucune existence qui serait attendre nest postrieure lexistence de lexistant ncessaire. Tout [15] ce qui est possible pour lui est au contraire, pour lui, ncessaire. Il ny a donc, en ce qui le concerne, ni volition attendre, ni22 nature attendre, ni science attendre, et aucun des attributs appartenant son essence nest attendre.

15. mdda : bi-mdda f 18 , ni une matire dans un corps, 16. mdda : ay al-jins + 22 i.m. glos. , cest--dire le genre, 17. maqla : ay al-fasl + 22 i.m. glos. , cest--dire la diffrence, 18. whid : ahad 25 19. Le texte de cette section correspond Najt, Mtaph., II, 6 : Que l[existant] ncessaire est complet et que, pour lui, aucun [nouvel] tat nest attendre (Fakhry, p. 265, 3-11 ; Carame, p. 74-75). Exposs parallles : Livre de science, Mtaph., Achena Mass, p. 188 ; Shif, Mtaph., I, 7 fin (Van Riet, p. 55) ; Ishrt, Goichon, p. 370 fin. 20. : whid E 5 7 11 22 21. wa knat 18 : knat E 1 3 5 7 11 22 25 44 fa-knat N 22. : la-hu E 1 5 7 11 22 25

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Section VII : Que lexistant ncessaire est intelligible en essence et intelligence en essence. Expos que toute forme ne se trouvant pas dans une matire est galement ainsi. Que lintelligence, lintelligent et lintelligible sont un [20] Lexistant ncessaire, disons-nous galement, est intelligible en essence, pas du tout sensible en essence, tant donn quil nest pas un corps, ne se trouve pas en un lieu et ne supporte pas les accidents que les corps supportent. Parce que sa quiddit nest pas dans une matire, elle est intelligible en acte. Nous rendrons la chose claire par la suite, la forme intelligible de toute quiddit qui est spare de la matire et des attaches de la matire, si cette sparation se fait [7,1] par le dgagement de lintellect, nest pas intelligible par essence en acte mais, plutt, en puissance ; ainsi en va-t-il des corps naturels et artificiels. Mais si cette sparation lui appartient par essence, son essence est intelligible par essence et son existence dans lintellect en puissance constitue lintellect en acte. Lintellect en acte est en effet une forme universelle dgage de la matire et les accidents qui arrivent cette forme cause de la matire sont un ajout ce qui lui appartient par essence. [5] Les formes qui se trouvent dans limagination et la mmoire sont dpouilles de leurs matires mais accompagnes des accidents qui leur viennent de la matire. La forme de Zayd qui se trouve dans limagination sy trouve avec ses proportions longueur, largeur et sa couleur, en une certaine position, en quelque lieu. Ce sont l des accidents qui sont arrivs son humanit mais dont sa quiddit essentielle nexige rien ; sinon chacun les aurait en commun. Plutt, ces accidents sont seulement arrivs Zayd cause de la matire qui a reu lhumanit avec ces consquents ncessaires. [10] Quant la puissance intellectuelle, elle retire des quiddits des choses tous ces consquents ncessaires et elle les dgage en leur puret, de telle sorte que si de la multiplicit rentre sous elles 1, elles puissent tre communes ces multiples choses. Lhomme intelligible naura donc ni proportion en longueur et largeur, ni couleur, ni position, ni lieu. Sil avait lune de ces choses, il ne pourrait en effet pas reprsenter ce qui naurait pas ces longueur, largeur, couleur, lieu et position. [15] Toute forme dgage de la matire et des accidents, quand elle sunit lintellect en puissance, fait que ce dernier devient un intellect en1. kathra : al-mhiyya kathra

acte ; et cela, non en ce sens que lintellect en puissance serait distinct dune telle forme comme la matire des corps est distincte de leur forme. Si en effet lintellect en puissance tait par essence distinct dune telle forme et quil lintelligeait, il obtiendrait delle une autre forme intelligible, la question se poserait propos de cette forme-l comme propos de la premire et il en irait ainsi linfini. Pour dtailler ceci, je dirai que lintellect en acte serait soit, alors, cette forme2, [20] soit lintellect en puissance auquel cette forme advient, soit lensemble des deux. Il ne se peut cependant pas que lintellect en puissance soit lintellect en acte, en tant que cette forme lui adviendrait. Lessence de lintellect en puissance nchappe en effet pas lalternative suivante : soit elle intellige cette forme, soit elle ne lintellige pas. Si elle nintellige pas cette forme, elle ne sort pas encore vers lacte. Si lessence de lintellect en puissance intellige cette forme, soit elle [8,1] lintellige en tant que, de cette forme, une autre forme lui arrive, soit elle lintellige en tant que cette forme seulement advient son essence. Si elle lintellige en tant seulement que, de cette forme, une autre forme lui arrive, il en ira ainsi linfini. Si elle lintellige en tant que cette forme existe pour elle, soit ce sera dune manire absolue, soit ce ne sera pas dune manire absolue. Si cest dune manire absolue, toute chose laquelle [5] cette forme adviendra sera un intellect. Comme cette forme advient la matire et ces accidents qui se joignent elle dans la matire, il faudrait donc ncessairement que la matire et les accidents soient un intellect du fait de la jonction de cette forme. Si la forme intellectuelle existe dans les choses singulires naturelles, cest cependant en tant mlange dautres choses, sans tre dgage, et la ralit de lessence de ce qui se mlange ne rend pas inexistant ce quoi cela se mlange. Si ce nest pas dune manire absolue mais parce que cette forme existe pour une chose dans la nature de laquelle il est dintelliger, [10] ce moment, de deux choses lune : soit le sens d intelliger est son existence mme et cest comme si on avait dit parce que cette forme existe pour une chose dans la nature de laquelle il est que cette forme existe pour elle ; soit le sens d intelliger nest pas lexistence mme de cette forme pour cette chose. On a cependant pos que lintellection de cette forme tait son existence mme pour cette chose et cest donc contradic-

2. Cest--dire la forme dgage de la matire et des accidents .

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toire. Lintellection de cette 1 forme nest par consquent ni son existence mme pour lintellect en puissance ni lexistence dune autre forme qui en serait tire. Lintellect en puissance nest, par consquent aussi, absolument pas lintellect en acte, moins de ne pas identifier [15] leur situation celle de la matire et de la forme qui ont t voqus. Il ne se peut par ailleurs pas que lintellect en acte soit ici cette forme elle-mme. Lintellect en puissance ne sortirait en effet pas vers lacte tant donn quil ne serait pas cette forme elle-mme mais la recevrait on a en effet pos 2 que lintellect en acte tait cette forme mme. Lintellect en puissance ne serait donc pas un intellect en acte mais, plutt, un subject pour lintellect en acte et un rceptacle. Il ne serait donc pas un intellect en puissance tant donn que lintellect en puissance est celui dans [20] la nature duquel il est dtre un intellect en acte. Il ny aurait donc rien ici qui serait intellect en puissance. Ce qui est analogue la matire, nous lavons expos. Ce qui est analogue la forme, si cest un intellect en acte, cest un intellect en acte perptuellement, auquel il nest pas possible dexister en tant un intellect en puissance. Enfin, il ne se peut pas que cet intellect en acte soit lensemble des deux3 tant donn que lon nchappe pas lalternative suivante : soit il intellige [9,1] son essence, soit il intellige autre chose que son essence. Il ne se peut cependant pas quil intellige autre chose que son essence tant donn que ce qui est autre que son essence, cest soit les parties de son essence, savoir la matire et la forme voques, soit une chose extrieure son essence. Si cest une chose extrieure son essence, il lintellige en tant quil en reoit la forme intelligible, tient donc lieu de matire vis-vis de cette forme et cette forme nest pas celle dont nous sommes en train dexposer laffaire [5] mais une autre forme, par laquelle il devient intellect en acte. En outre, si nous4 posons ici que la forme par laquelle lintellect en acte devient intellect en acte5, cest seulement cette forme, eh bien, cela tant, le problme concernant lensemble plus cette forme trangre subsiste. Il ne se peut pas non plus que ce soient les parties de son essence. Soit en effet il intelligerait la partie qui est comme la matire, soit celle qui est comme la forme, soit les deux. Et chacune de ces parties, [10] il lintelligerait soit par la partie qui est comme la matire1. 2. 3. 4. 5.

hdhihi : bi-hdhihi : la-h Cest--dire la forme et lintellect en puissance. inna-m nahnu : inn + aql an bi-l-fil : bi-l-fil

soit par celle qui est comme la forme, soit par les deux. Or, si tu examines lune aprs lautre ces divisions, la faute quelles comportent toutes te deviendra vidente. Si en effet il intelligeait la partie qui est comme la matire par celle qui est comme la matire, la partie qui est comme la matire serait intelligente de son essence et intelligible pour son essence, et la partie qui est comme la forme naurait point, ici, dutilit ce propos. Sil intelligeait la partie qui est comme la matire par celle qui est comme la forme, la partie qui est [15] comme la forme serait le principe qui serait en puissance et la partie qui est comme la matire le principe qui serait en acte, ce qui serait linverse de ce quil faut. Sil intelligeait la partie qui est comme la matire par les deux parties ensemble, la forme de la partie qui est comme la matire infonderait la partie qui est comme la matire et celle qui est comme la forme. Elle serait donc plus grande que son essence, ce qui est contradictoire. [20] Considre semblablement les choses du ct de la partie qui est comme la forme et, de mme, en posant quil intellige chaque partie par chaque partie. Les trois divisions 6 sont par consquent vaines et il est vrai que le rapport de la forme intellectuelle lintellect en puissance nest pas le rapport de la forme naturelle la hyl naturelle. Quand la forme intellectuelle infonde lintellect en puissance, leurs deux essences sunissent plutt en une seule et mme chose : il ny a pas un rceptacle et quelque chose de reu [10,1] qui seraient distincts en essence. Lintellect en acte est ds lors, en ralit, la forme dgage, intelligible. tant donn que cette forme rend intellect en acte une autre chose par le fait dtre en elle, si elle subsiste par essence, elle est plus digne dtre intellect en acte : si la particule de feu subsistait par essence, elle serait plus digne de brler ; si la blancheur subsistait par essence, elle serait plus digne dblouir le regard. [5] Il ne faut pas ncessairement non plus que la chose intelligible soit immanquablement intellige par quelque chose dautre. Lessence de lintellect en puissance intellige immanquablement quelle est une chose dans la nature de laquelle il est dtre intellige par quelque chose dautre. Il est donc clair, partir de l, que toute quiddit dgage de la matire et des accidents de la matire est intelligible par essence en acte, est un intellect en acte et na pas besoin, pour tre intelligible, de quelque chose dautre qui lintelligerait. [10] Il y a de ceci des dmonstrations ngligeables ;6. savoir que lintellect en acte est soit la forme dgage de la matire et des accidents, soit lintellect en puissance auquel cette forme advient, soit lensemble des deux.

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nous les avons dlaisses et nous nous sommes bass sur celles qui sont les plus manifestes. Il est par consquent manifeste quil faut ncessairement que lexistant ncessaire par essence soit intelligible par essence et intelligent par essence en acte. Et toute quiddit dgage de la matire spiphanise en essence. Ce quelle a par essence nest pas seulement par rapport autre chose mais, plutt, par rapport toute chose : dabord son essence, ensuite ce qui est autre que celle-ci. Si cela nest pas manifeste pour quelque chose, cest du fait de la faiblesse de sa rception de son piphanie.[15]

Section VIII1 : Que lexistant ncessaire est Bien pur Tout existant ncessaire par essence est Bien pur et perfection pure. Le bien, en bref, est ce que toute chose dsire et par quoi son existence sachve. Quant au mal, il na pas dessence mais est soit le non-tre dune substance, soit le non-tre de la bont dun tat pour une substance. Lexistence est un bien et la perfection de lexistence est le bien de lexistant. [20] Lexistence laquelle le non-tre nest pas joint ni le non-tre dune substance, ni le nontre dune chose pour une substance mais qui, plutt, est perptuellement en acte, est Bien pur. Quant lexistant possible par essence, il nest pas Bien pur tant donn que son essence, par essence, lexistence nest pas ncessaire pour elle. Son essence, par essence, peut recevoir le non-tre et ce qui peut recevoir le non-tre dun certain point de vue nest pas exempt, de tous les points de vue, du dfaut et du mal. Le Bien pur nest par consquent que lexistant ncessaire par essence. [11,1] Bien peut galement tre dit de ce qui est utile et procure les perfections des choses. Il faut ncessairement, nous lexposerons, que lexistant ncessaire2 procure en essence toute existence et toute perfection dexistence. Il est donc galement, de ce point de vue, un bien dans lequel nentre ni mal ni dfaut.[5]

essence est rel pur Tout existant ncessaire est rel pur tant donn que la ralit de toute chose est la proprit de son existence, existence qui est stable pour elle. Il ny a par consquent rien de plus rel que lexistant ncessaire. Rel peut galement se dire de ce en lexistence de quoi la croyance est vridique. Il ny a donc rien de plus rel, de cette ralit-ci, que ce en [10] lexistence de quoi la croyance est non seulement vridique mais, en plus de cette vridicit, continuelle et, en plus de cette continuit, due lessence de cette chose, pas quelque chose dautre. Section X4 : Que lespce de lexistant ncessaire ne se dira pas de plusieurs choses et que son essence, de ce fait, est complte Il ne se peut pas que lespce de lexistant ncessaire comprenne autre chose que son essence. Lexistence de son espce, pour lui, est en effet soit exige par lessence de son espce, soit non exige par lessence de son espce mais, plutt, par quelque cause. Si la signification de son espce vaut pour lui [15] du fait de lessence de la signification de son espce, celle-ci nexiste que pour lui. Si cest d quelque cause, lexistant ncessaire est quelque chose de caus, de dficient, et nest donc pas existant ncessaire. Comment par ailleurs serait-il possible quune quiddit dgage de la matire appartienne deux essences ? Deux choses ne sont en effet deux quen raison soit de la signification, soit du support de la signification, soit de la position et du lieu, soit du temps et du moment ; en somme, du fait dune cause quelconque. Deux choses qui ne diffrent pas [20] par la signification diffrent seulement par quelque chose dautre que cette dernire. Toute signification existant en sa particularit pour plusieurs choses diffrentes a donc son essence rattache une des choses que nous avons voques parmi les causes et les consquents des causes. Elle nest donc pas un existant ncessaire. Tout ce dont la diffrence nest due qu une signification et peut seulement se rattacher [12,1] son essence, dirai-je dune manire libre, ne diffre pas de ce qui lui est semblable numriquement et na par consquent pas de semblable. En effet, ce qui est semblable diffre numriquement. Il est vident, partir de l, que lexistant ncessaire na ni gal, ni semblable, ni contraire. Les4. Le texte de cette section correspond Najt, Mtaph., II, 9 : Que lespce de lexistant ncessaire ne se dira pas de plusieurs choses, tant donn quIl na ni pareil, ni gal (Fakhry, p. 265, l. 9-21 ; Carame, p. 78-79).

Section IX3 : Que lexistant ncessaire par

1. Le texte de cette section correspond Najt, Mtaph., II, 7 : Que lexistant ncessaire par essence est bien pur (Fakhry, p. 265, l. 13-23 ; Carame, p. 75-76) ; Shif, Mtaph., VIII, 6, Caire, p. 355, l. 15 - p. 356, l. 8 (Van Riet, p. 412-413). 2. al-wjib : al-wajib 3. Le texte de cette section correspond Najt, Mtaph., II, 8 : Que lexistant ncessaire est rel, selon tous les sens de la ralit (Fakhry, p. 266, l. 2-6 ; Carame, p. 76-77) ; Shif, Mtaph., VIII, 6, Caire, p. 356, l. 8-11 (Van Riet, p. 413).

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contraires se corrompent en effet lun lautre dans un subject, ont un subject en commun, alors que lexistant ncessaire est exempt de la matire. Section XI1 : [5] Que lexistant ncessaire est un de divers points de vue. Dmonstration quil ne se peut pas quil y ait deux existants ncessaires Lexistant ncessaire, en outre, est dexistence complte tant donn que son espce lui appartient lui seulement : rien nest de son espce en dehors de lui. Or, un des aspects de lUn est dtre complet le multiple et ce qui saccrot ne sont pas un. Lexistant ncessaire est donc un du point de vue de la compltude de son existence. [Lexistant ncessaire] est galement un en tant que sa dfinition lui appartient. Il est un en [10] tant quil ne se divise pas : ni suivant la quantit, ni suivant des principes qui le constitueraient, ni suivant des parties de dfinition. Il est un en tant quil y a pour toute chose une unit qui lui est propre et dont dpend la perfection de sa ralit essentielle. Il est en outre un sous un autre aspect encore, savoir en tant que son degr dexistence cest-dire la ncessit de lexistence nappartient qu lui et quil ne se peut pas que la ncessit de lexistence soit quelque chose que lon ait en commun. [15] La ncessit de lexistant ncessaire, dironsnous pour dmontrer ceci, pourrait tre une chose sensuivant ncessairement dune quiddit. Cest cette quiddit quappartiendrait la ncessit de lexistence, de mme que nous disons dune chose quelle est un principe : cette chose a une essence, une quiddit, et le principe est, ensuite, un consquent ncessaire de cette essence. Ainsi la possibilit de lexistence peut-elle exister comme consquent ncessaire dune chose ayant en ellemme une signification : nous disons existant possible dune chose qui a en elle-mme une signification par exemple tre un corps, de la blancheur ou une couleur et qui, ensuite, est existant possible. La possibilit dexistence sensuit ncessairement de cette chose mais ne rentre pas dans [20] sa ralit. Soit galement lexistant ncessaire pourrait tre existant ncessaire de par le fait mme quil est existant ncessaire, la ncessit mme de lexistence tant une nature universelle, essentielle pour lui.1. Le texte de cette section correspond Najt, Mtaph.,

Il nest pas possible, dirons-nous premirement, que la ncessit de lexistence compte parmi les choses sensuivant ncessairement de la quiddit de [lexistant ncessaire]. Cette quiddit serait en effet, ce moment, cause [13,1] de la ncessit de lexistence. La ncessit de lexistence se rattacherait donc une cause et la ncessit de lexistence nexisterait pas par elle-mme. Par ailleurs, soit cette quiddit appartiendrait, en soi, chacune de ces deux choses2 et lespce de la ncessit de lexistence serait de ce que des choses peuvent avoir en commun hypothse dont nous avons montr la vanit , soit chacune de ces deux choses aurait une autre quiddit3. [5] Si ces deux choses navaient rien en commun, il faudrait cependant4, ncessairement, que chacune delles deux subsiste indpendamment dun subject. Or cest l ce que lon signifie par la substantialit et on en parlerait donc, leur propos, dune gale manire, sans que cela appartienne premirement lune, finalement la seconde. De ce fait, ce serait donc un genre pour ces deux choses. Tandis que si ce ntait pas ncessaire5, lune de ces deux choses subsisterait dans un subject et ne serait donc pas un existant ncessaire. Si ces deux choses avaient quelque chose en commun et quen outre, chacune delles deux avait, en plus de ce quelque chose de commun et selon son caractre distinct, une chose par laquelle [10] sa quiddit sachverait et qui rentrerait sous cette dernire, elles seraient toutes deux divisibles par le discours. Or il a t dit que lexistant ncessaire ne se divise pas par le discours. Aucune de ces deux choses ne serait donc un existant ncessaire. Si une de ces deux choses avait seulement ce que les deux auraient en commun tandis que la seconde aurait quelque chose de plus quelle, cette premire chose se sparerait de la deuxime par le non-tre de ce quelque chose de plus et lexistence de cette chose quelles auraient en commun, existence conditionne par son dgagement et le nontre de ce qui appartiendrait autre chose. Ceci se pourrait. La deuxime chose, cependant, serait quelque chose de compos, pas un existant ncessaire ; ce serait cette [premire chose] seulement2. savoir chacun de ces deux existants ncessaires dont on imagine lexistence. 3. mhiyyatun : mhiyyatin 4. : lam. Correction incertaine. Le passage est peu clair. 5. Cest--dire sil ne faut pas ncessairement que chacune de ces deux choses ne subsiste pas indpendamment dun subject.

II, 10 : Quil est un de divers points de vue (Fakhry, p. 266, l. 22 - p. 267, l. 6 ; Carame, p. 80) et II, 11 : Dmonstration quil ne se peut pas quil y ait deux existants ncessaires, cest--dire que lexistence par laquelle il est dcrit nest pas identique pour autre que lui, quand bien mme ce nest pas de son genre et de son espce (Fakhry, p. 267, l. 10 - p. 271, l. 16 ; Carame, p. 81-91).

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qui [15] serait lexistant ncessaire et la chose commune aux deux ne ncessiterait de ncessit dexistence qu la condition du non-tre dautre chose et sans que ces non-tres ne soient des existences de choses et des essences sinon, pour une seule et mme chose des choses existeraient linfini ; pour chaque chose, il y a en effet des nontres de choses linfini. En plus de tout ceci, lexistence de chaque chose dont lexistence serait ncessaire ne serait pas ncessaire de par ce quelle aurait en commun avec [20] autre chose et par quoi seul lexistence de son essence ne sachverait pas. Au contraire, son existence sachverait seulement de par lensemble de ce quelle aurait en commun avec autre chose et par quoi lexistence de son essence sachverait. Soit ce par quoi son existence sachverait et qui sajouterait ce quautre chose aurait en commun avec elle1 serait donc une condition de la ncessit mme de lexistence, soit ce ne le serait pas. Si tout cela tait une condition de [14,1] la ncessit mme de lexistence, il faudrait ncessairement que cela appartienne tout existant ncessaire. Tout ce qui existerait pour chacune des deux quiddits existerait donc pour lautre et il ny aurait entre elles deux absolument aucune distinction rsultant dun constituant. Or lon a pos, entre elles deux, une diffrence pour ce qui est de lespce. Ce serait donc contradictoire. Par contre, si ce ntait pas une condition de la ncessit mme de lexistence, la ncessit de lexistence sachverait sans ce en quoi eux deux diffreraient ce qui nest pas condition dune chose, [5] cette chose sachve en effet sans lui. Ce en quoi ils diffreraient serait donc accidentel pour la ncessit de lexistence, eux deux concorderaient pour ce qui est de la quiddit de la ncessit de lexistence, pour ce qui est de sa spcificit, et diffreraient par les accidents, lexclusion des espces. Ce serait donc contradictoire. Si lon faisait dune des deux choses, en soi indtermine, la condition de la ncessit de lexistence, lune de ces deux choses, en soi dtermine, ne serait pas condition, lautre, en soi dtermine, ne le serait pas non plus2, et elles seraient toutes deux gales en tant quaucune delles ne serait condition. Comment ds lors lune delles deux, en soi indtermine, serait-elle condition ? [10] Il en va comme de la matire : ne sont une condition pour elle ni cette forme-ci, en soi dtermine, ni [celle qui est] son contraire mais, plu1. yushriku-hu : yashtariku 2. + wa l l-khar bi-ayni-hi shart an : shart an

tt, lune delles deux, en soi indtermine. Ou bien il en va comme de la couleur : son existence nest ferme que si elle est noirceur ou blancheur, non point cette noirceur en soi dtermine ou cette blancheur en soi dtermine, mais lune delles deux. Si quelquun nous dit cela, cest que la diffrence lui a chapp. Une des deux formes, en soi dtermine, est en effet condition de la matire durant un certain temps, tandis que lautre forme, pendant ce temps, ne lest pas. Et en un autre temps la matire a comme condition cette [15] autre forme, en soi dtermine, tandis que la premire ne [l]est plus3. En elle-mme, chacune des deux formes est possible pour la matire, celle-ci tant prise dans labsolu, sans condition. [Par ailleurs], la matire est galement possible et, lorsquelle est ncessaire, elle lest cause de lune des deux formes, cette forme tant ncessaire du fait de sa cause4. Quelle que soit donc la situation, que lune des deux formes soit condition de sa ncessit en tant en soi dtermine ou en tant en soi indtermine, la matire aura, pour ce qui est de [sa] ncessit, une autre condition que sa nature mme. Or, si la ncessit de lexistence avait une condition se rattachant quelque chose dextrieur [20] elle, elle ne serait pas ncessit de lexistence par essence. Quant la colorit, elle ne devient pas colorit par de la noirceur ou de la blancheur. Elle est colorit, bien plutt, par une affaire gnrale qui les englobe toutes deux. Par ailleurs cependant, elle nexiste individuellement quaccompagne de la diffrence de chacune delles deux. Aucune des deux affaires nest donc condition de la colorit pour ce qui est de la colorit, mais lest pour ce qui est de lexistence. De plus, en chaque temps, en chaque matire, [15,1] la condition est lune de ces deux affaires, en soi dtermine, non lautre : cette colorit qui tient ce temps-ci et cette matire-ci, cest seulement la diffrence de la noirceur qui la fait exister, tandis que cette autre colorit, celle-l, cest seulement la diffrence de la blancheur qui la fait exister. Quant la colorit absolue, soit aucune delles deux nen est une condition du tout, pour ce qui est de son existence, soit leur runion, ensemble, toutes deux, [en] est une condition, [5] pour ce qui est de son existence. Chacune delle deux sera donc une condition, pour ce qui est de son existence, en tant quelle sera une certaine condition, non point une condition complte, la condition complte tant leur runion toutes3. : bi-ayni-h 4. bi-illati-h ? : bi-ayni-h

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deux. En somme, une chose une, dun seul et mme point de vue, a pour condition une seule et mme chose, non point nimporte laquelle de deux choses1. Ce serait seulement le cas si elle avait deux points de vue, dont chacun aurait une condition en soi dtermine et dont elle ne pourrait pas se dfaire. [Ceci tant], elle ne se rattacherait pas lun de ces deux points de vue, en soi dtermin, par son essence mais, plutt, du fait de lintervention de la cause de son point de vue. Quant son essence, [10] en elle-mme elle naurait quune seule et mme condition, de mme que la colorit, en son essence, a comme condition une seule et mme chose, tandis quelle a comme condition, pour ce qui est des points de vue suivant lesquels elle existe, des affaires [diverses], pour chaque 2 moment, en soi dtermin, qui est sien3. La colorit, en tant quelle est colorit, aucune des deux affaires, quelle soit en soi dtermine ou indtermine, nen est donc une condition pour ce qui est de la quiddit de sa colorit, mais en est plutt une pour ce qui est de lhccit de sa colorit et de sa production en acte. De mme, il faudrait ncessairement quaucune des deux affaires ne soit une condition, pour ce qui est de la ncessit de lexistence, du point de vue de la quiddit de son tre de ncessit de lexistence mais, plutt, quelle en soit une [15] du point de vue de son hccit. Lhccit de la ncessit de lexistence serait donc autre que sa quiddit et ceci serait contradictoire. Il sensuivrait en effet ncessairement que, lexistant ncessaire, une existence adviendrait qui ne lui appartiendrait pas, [qui ne rentrerait pas] dans sa dfinition de lui-mme, tout comme il en advient une lhumanit, lquinit, et tout comme cest le cas pour la colorit. Bien plus, de mme quil est permis de dire que lune des deux affaires, en soi indtermine, est une condition, pour ce qui est de la colorit, non pour la colorit mme mais, plutt, pour la diffrenciation des existences de la colorit, ainsi en irait-il de la ncessit de lexistence, en tant quelle serait [20] ncessit de lexistence. Lune des deux affaires4 devient une condition, pour la colorit, lors de ladvention dune cause dtermine, dans une situation dtermine pour [cette] colorit, et il est seulement permis de dire que lune delles deux, en soi indtermine, est une condition, concernant la colorit, non pour la1. 2. 3. 4.

colorit mme mais, plutt, pour la diffrenciation des existences de la colorit. De mme, si une des deux diffrences, en soi indtermine, tait une condition pour la ncessit de lexistence, [16,1] il faudrait ncessairement que ce ne soit pas pour quelle soit ncessit de lexistence. Sans elle, ferme est en effet la ncessit de lexistence ; elle na pas besoin delle. Elle serait cependant condition de la diffrenciation des accidents de la ncessit de lexistence ; or, nous lavons dit, la ncessit de lexistence nest pas affecte par diffrents tats extrieurs ce que la ncessit de lexistence exige. Ce serait donc contradictoire. [5] En outre encore, la colorit est une ralit cause. Il faut donc ncessairement quelle soit affecte par des conditions, postrieures la colorit, grce auxquelles elle existe diffrencie. La ncessit de lexistence, par contre, nest affecte par aucune condition, postrieure la ncessit de lexistence, grce laquelle elle existerait. Cest donc patent, aucune des deux proprits des deux quiddits voques nest une condition, pour ce qui est de la ncessit de lexistence, daucun point de vue, quelle soit en soi dtermine ou en soi indtermine. Il serait ds lors vain [de penser] que la ncessit5 de lexistence, en tant que consquent ncessaire [dune quiddit], est quelque chose que lon pourrait avoir en commun. [Il serait par ailleurs] galement [vain de penser], dirons-nous, [que la ncessit de lexistence est quelque chose que lon pourrait avoir en commun] en tant quelle serait essentielle, constitutive [10] de la quiddit de la chose. Ceci, mme, est plus apparent encore. Si en effet la ncessit de lexistence tait par elle-mme une nature, quelle tait A , puis quelle se divisait en plusieurs [affaires], soit elle se diviserait en des [affaires] numriquement diffrentes seulement chose que nous avons interdite , soit elle se diviserait en des [affaires] spcifiquement diffrentes. Elle se diviserait donc en des diffrences, soit B et C , mais ces diffrences ne seraient pas une condition pour que la ncessit de lexistence soit fermement tablie. Si ce ntait pas le cas l-haut, alors que6 la ncessit de lexistence tait un consquent ncessaire7, ici 8, [maintenant] quelle est une nature mme, fermement tablie, [la chose] est plus apparente encore. Si la nature [15] de la ncessit de lexistence avait besoin de B et de C pour tre ncessit de lexistence, la nature de la ncessit de lexistence ne serait pas la nature de la5. 6. 7. 8.

al-shayayn : shay li-kull : fa-kull : shart : bi-ghayr shart al-lawniyya

wujb : wujd + wa : hunka lzim : lziman fa-hhun : wa hhun

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ncessit de lexistence, ce qui serait contradictoire. Il nen va donc pas comme pour la nature de la couleur et de lanimal, qui ont tous deux besoin de lune ou lautre diffrence pour que leur existence soit fermement tablie. Ce sont l, en effet, des natures causes, et toutes deux ont seulement besoin des diffrences, non pour ce qui est de lanimalit et de la colorit mmes, qui peuvent tre communes, mais, plutt, pour ce qui est de lexistence. Ici, la ncessit de lexistence tient [20] lieu de la colorit et de lanimalit et, de mme que ces dernires nont pas besoin de diffrences pour ce qui est dtre couleur ou animal, ainsi celle-l na pas besoin de diffrences non plus pour ce qui est dtre ncessit de lexistence. Ensuite, [cependant], la ncessit de lexistence na pas de deuxime existence, dont elle aurait besoin comme, l, aprs la colorit et lanimalit, il est encore besoin de lexistence qui sensuit ncessairement de la colorit et de lanimalit. [17,1] Il est donc apparu quil nest pas possible que la ncessit de lexistence soit quelque chose que lon puisse avoir en commun, quelle sensuive ncessairement dune nature ou quelle soit par elle-mme une nature. Lexistant ncessaire est par consquent un non seulement par lespce, par le nombre, par labsence de division ou par la compltude mais, galement, en tant que son existence nappartient pas autre chose1 que lui, cette autre chose ne ft-elle pas de son genre. Il ne serait pas permis non plus de dire que deux existants ncessaires nauraient rien en commun. Comment en effet [cela se pourrait-il] alors que tous deux [5] auraient en commun dexister ncessairement et dtre dnus de subject. Si ctait de manire quivoque que lon parlait, au sujet deux deux, de ncessit dexistence, eh bien nos propos ont pour sens dinterdire la multiplicit de ce au sujet de quoi on parle de ncessit dexistence non pour lui donner un nom [simplement] mais, plutt, selon un seul des sens de ce nom. Si ctait de manire univoque, on obtiendrait un sens2 gnral, qui aurait la gnralit dun consquent ncessaire ou celle dun genre. Comment cependant la gnralit de la ncessit de lexistence appartiendrait-elle deux choses la manire des consquents ncessaires qui arrivent de lextrieur alors que les consquents ncessaires sont [10] causs et que la ncessit de lexistence pure est incause ?

Section XII3 : Que lexistant ncessaire est par essence aimable et aimant, plaisant et trouvant du plaisir. Que le plaisir consiste en la saisie du bien qui convient Il nest pas possible quil y ait de beaut ou de splendeur suprieures au fait, pour une quiddit, dtre purement intellectuelle, purement bonne, exempte de chacun des modes de la dficience, une sous tout aspect. [15] Lexistant ncessaire est donc la beaut, la splendeur pures, et il est le principe de tout quilibre. Tout quilibre en effet stablit dans une multiplicit consistant en une composition ou une complexion ; il fait advenir de lunit dans de la multiplicit. La beaut de toute chose et sa splendeur consistent pour elle tre telle quil lui faut ncessairement tre. Comment ds lors sera la beaut de ce qui est tel que cela doit ncessairement tre, dans lexistence4 ncessaire ? Toute beaut, convenance, bien qui est saisie, est aimable et objet de dilection. Le principe de ceci, cest la saisie de cette chose, saisie sensorielle, imaginative, estimative, opinative ou [20] intellectuelle. Plus la saisie pntre et ralise fortement lobjet saisi, plus celui-ci est dune essence belle et noble, et plus la dilection de la puissance qui le saisit et le plaisir quelle trouve lui sont grands. Lexistant ncessaire se trouve au degr ultime de la perfection, de la beaut et de la splendeur. Il intellige son essence comme se trouvant en ce degr ultime, en cette beaut et en cet clat ; cela, en une intellection accomplie5, lintelligent et lintelligible tant joints [18,1] en tant quils sont un en ralit. Son essence est donc par essence ce qui aime le plus et ce qui est le plus aimable, ce qui est le plus plaisant et ce qui trouve le plus de plaisir. Le plaisir en effet nest rien que la saisie de ce qui convient en tant que cela convient : le plaisir sensoriel est la sensation de ce qui convient ; lintellectuel, lintellection de ce qui convient, etc Le Premier est le plus noble sujet saisissant, en la plus noble saisie, du plus noble objet de saisie. Il est donc la plus noble chose qui plaise [5] et trouve du plaisir6. Cest une affaire laquelle rien nest comparable et nous ne disposons pas, pour3. Le texte de cette section correspond Najt, Mtaph., II, 17 : Quil est par essence aimable et aimant, plaisant et trouvant du plaisir. Que le plaisir consiste en la saisie du bien qui convient (Fakhry, p. 281, l. 18 - p. 282, l. 27 ; Carame, p. 115-118) ; Shif, Mtaph., VIII, 7, fin, Caire, p. 368, l. 14 - p. 370, l. 7 (Van Riet, p. 431-433). 4. Faut-il lire al-mawjd plutt qual-wujd ? 5. al-taaqqul : al-aql 6. : bi-hi

1. li-ghayri-hi : bi-ghayri-hi 2. manan : bi-manan

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ces choses, dautres noms que ceux-l. Celui qui ils rpugnent en utilisera dautres ! La saisie de lintelligible par lintellect, il faut le savoir, est plus puissante que la saisie du sensible par le sens. Il je veux dire lintellect intellige et saisit en effet la chose qui demeure, la chose universelle ; il sunit elle et lui devient identique ; il la saisit en sa nature profonde, non en son apparence. Il nen va pas ainsi pour le sens par rapport au sensible et [10] le plaisir quil nous faut ncessairement trouver intelliger quelque chose qui convient est donc suprieur celui que nous trouvons sentir quelque chose qui convient. Il ny a pas de rapport entre eux deux. Il peut cependant simposer quune puissance fortement saisissante, du fait daccidents, ne trouve pas de plaisir ce quoi il faudrait ncessairement quelle en trouve. De mme quun malade, du fait dun accident, ne trouve pas de plaisir ce qui est doux et dteste cela, ainsi en va-t-il de notre situation, il faut le savoir, tant que nous sommes dans le corps : lorsque sa perfection advient en acte notre puissance intellectuelle, nous ne trouvons pas [15] le plaisir qui devrait ncessairement advenir du fait de la chose considre en elle-mme ; cela, du fait de lobstacle du corps. Mais si nous nous isolions du corps, de par notre considration de notre essence laquelle serait devenue un monde intellectuel correspondant aux existants vritables, aux beauts vritables, aux perfections vritables, aux choses plaisantes vritables, en tant jointe ces dernires en une jonction dintelligible intelligible , nous trouverions un plaisir et une splendeur sans fin. Nous rendrons ces choses claires par la suite. [20] Le plaisir de toute puissance, sache-le, consiste en ladvention de sa perfection : pour le sens, les sensibles qui conviennent ; pour la colre la vengeance ; pour lespoir la victoire ; pour chaque chose ce qui lui est propre et, pour les mes rationnelles, devenir un monde intellectuel en acte. Lexistant ncessaire est intelligible, quil soit intellig ou non. Il est aimable quil soit aim ou non. [19,1] Il est plaisant, que ceci soit, son propos, ressenti ou non. Section XIII1 : Comment lexistant ncessaire intellige son essence et les choses

Il ne se peut pas que lexistant ncessaire intellige les choses partir des choses. Sinon, soit son essence serait [5] passive par rapport ce quelle intelligerait et sa constitution se ferait par ces choses, soit ce serait un accident pour elle quintelliger. Elle ne serait donc plus dexistence ncessaire de tout point de vue, ce qui est absurde. Comme nous lexposerons, le principe du tout intellige en effet partir de son essence ce dont il est principe. Il est principe des existants complets en leur singularit et des existants gnrables et corruptibles en leurs espces. Il ne se peut pas que lexistant ncessaire intellige ces choses changeantes en tant quelles sont changeantes. [10] Tantt en effet, delles, il intelligerait quelles sont existantes, non pas nontantes, tantt quelles sont non-tantes, non pas existantes. Il y aurait pour chacun de ces deux cas une forme intellectuelle singulire et aucune de ces deux formes ne demeurerait avec lautre. Lexistant ncessaire serait donc dexistence changeante. De plus, si les choses corruptibles taient intelliges selon la quiddit dgage et selon ceux de ses consquents qui nindividualisent pas, elles ne seraient pas intelliges en tant que corruptibles. Et si elles taient intelliges en tant quelles sont lies la matire, aux accidents dune matire, un moment, [15] une individuation, elles ne seraient pas intelliges mais, plutt, senties ou imagines. Nous lavons montr dans dautres livres, toute forme de sensible, toute forme imaginable, cest seulement par un instrument divisible que nous la saisissons en tant que sensible et limaginons. De mme que lexistence dune pluralit dactions serait, pour lexistant ncessaire, un dfaut, ainsi en irait-il galement de lexistence dune pluralit dintellections. Section XIV 2 : [20] O lon ralise lunicit de lexistant ncessaire : sa science ne diffre pas, pour ce qui est du concept, de sa puissance, de sa volont, de sa sagesse et de sa vie. Tout ceci, au contraire, est un et lessence de lUn pur ne se divise pas du fait de ces choses2. Le titre de cette section correspond celui de Najt, Mtaph., II, 20 (Fakhry, p. 286, l. 5-7 ; Carame, p. 126): O lon ralise lunicit du Premier : sa science ne diffre pas, pour ce qui est du concept, de sa puissance, de sa volont et de sa vie. Tout ceci, au contraire, est un et lessence du Premier rel ne se divise du fait daucun de ces attributs . Le texte mme de cette section ne correspond cependant pas celui de ce chapitre de Najt. Par contre, p. 19, l. 23 p. 20, l. 8 li-l-hrr = Shif, Mtaph., VIII, 7, Caire, p. 363, l. 5-11 (Van Riet, p. 423-424) ; p. 21, l. 1-7 = Shif, Mtaph., VIII, 7, Caire, p. 366, l. 18 - p. 367, l. 5 al-muharrik (Van Riet, p. 428-429).

1. Le texte de cette section correspond Najt, Mtaph., II, 18, moins la fin : Comment lexistant ncessaire par essence intellige son essence et les choses (Fakhry, p. 283, l. 1-19 ; Carame, p. 118-121). Les l. 4 wa laysa - l. 6 muhl = Shif, Mtaph., VIII, 6, Caire, p. 358, l. 14-16 (Van Riet, p. 417).

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La forme intelligible, sache-le, peut tre tire de la chose existante de la mme faon que nous, [20,1] par lobservation et la sensation, nous tirons, de la sphre, sa forme intelligible. Mais la forme existante peut galement tre tire de lintelligible. Cela, de la mme faon que nous intelligeons quelque forme que nous inventons et que cette forme intelligible meut ensuite nos membres afin que nous la fassions exister. Elle naura donc pas exist dabord puis t intellige par nous, mais nous lavons intellige et elle existe. Tel est [5] le rapport du tout lintelligence premire qui existe ncessairement : elle intellige son essence ainsi que ce que son essence exige ncessairement comme modalit de ltre du Bien dans le tout et la forme intellige par elle est suivie par les formes des existants, selon lordre intellig chez elle. Ces formes ne sensuivent pas comme la lumire suit ce qui illumine et la calfaction ce qui est chaud mais lexistence mme de lintelligible du tout qui se trouve chez elle est le Bien pur qui lui est propre ; elle intellige que ce sont l des intelligibles dont les essences sont les causes qui feront exister le tout. [10] Voil la volont qui est propre lexistant ncessaire. Sa volont, en effet, nest pas comme la ntre. Dans notre cas, il y a une vise, qui est aprs ne pas avoir t et qui appartient une autre puissance que celle de la reprsentation. Cela, du fait que nous sommes parfois en puissance et parfois en acte, du fait que nos puissances sont diverses et du fait que nous avons besoin, pour excuter ce qui nous est propre, dutiliser des puissances diverses. Quant lexistant ncessaire, sil est principe du tout, il ne se peut pas que cela soit 1 dun autre point de vue que celui-ci. Si, en effet, il intelligeait le tout et nintelligeait pas que les choses proviennent de lui et se rattachent lui, il intelligerait le tout partir du tout, non partir de son essence, [15] chose que nous avons interdite. Il intellige donc le tout en tant que celui-ci, en son arrangement, provient de lui, est ce quil intellige, ce quil aime et ce qui est plaisant pour lui, ainsi que nous lavons rendu clair. Son intellection du tout, du point de vue qui lui est propre, est donc volont, pas autre chose. Ce point de vue, cest quil intellige son essence comme principe du tout en une vise seconde. Il intellige le tout en une vise seconde, ce quil intellige est un en ralit, et son essence a avec le tout un rapport de principe. Cest cela sa vie. La vie, chez nous, se parfait par une saisie et une action la mise en mouvement qui jaillissent toutes deux de deux puissances [20] diff1. + al : yakna

rentes. Quant lexistant ncessaire, on la dmontr, cela mme quil saisit, savoir ce quil intellige du tout, est la cause du tout, est en soimme le principe de son action. Cest cela lexistentialisation du tout : cest une seule et mme chose, chez lui, qui est saisie et disposition lexistentialisation. La vie, chez lui, ne se complte pas par deux puissances. La vie, chez lui, nest pas autre chose que la science. Et rien de cela nest autre que son essence. [21,1] En outre, si la forme intelligible qui advient en nous et est cause de la forme existante artificielle tait par son existence mme suffisante pour que cette forme artificielle sengendre delle en ce sens que ces formes intelligibles seraient des formes qui seraient en acte principes de ce dont elles sont formes , lintelligible serait chez nous2 ce quest en soi-mme la puissance. Il nen est cependant pas ainsi. Au contraire, lexistence de lintelligible ne suffit pas pour cela mais elle a besoin [5] dune volont qui se renouvelle et jaillisse dune puissance de dsir, la puissance motrice se mettant en mouvement partir delles deux et mouvant alors les nerfs et les membres instrumentaux, ces instruments se mouvant 3 ensuite. Voil pourquoi lexistence mme de cette forme intelligible nest ni puissance ni volont. Peut-tre la puissance, en nous, se trouve-t-elle plutt dans le principe moteur. Quant lexistant ncessaire, il ne se peut pas que son essence comporte une volont ou une puissance autres que la quiddit, ou des puissances diffrentes eu gard la quiddit et qui seraient autres que la quiddit intelligible qui est son essence. [10] En effet, si elles taient dexistence ncessaire, lexistant ncessaire serait double ; et si elles taient dexistence possible4, lexistant ncessaire serait dexistence possible dun point de vue, chose dont nous avons montr la vanit. La volont de lexistant ncessaire nest donc pas autre que sa science ni pour ce qui est de lessence ni pour ce qui est du concept. Nous avons expos que la science qui lui appartient est en elle-mme la volont qui lui appartient. De mme, il a t expos5 que la puissance qui lui appartient consiste ce que son essence intellige le tout en une intellection qui est le principe du tout, non pas tire du tout, et principe par soi, non pas en dpendant [15] de lexistence de quelque chose. Il a aussi t expos que la puissance nest pas un attribut de son essence ni une partie de celle-ci. Bien plutt,2. 3. 4. 5.

inda-n : an-hu yataharraku : taharraka knat mumkina : kna mumkin tabayyana : sa-nubayyinu

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la chose qui, pour lui, est la science, est en ellemme, pour lui, la puissance. Cest donc vident, le concept de la vie, de la science, de la puissance, de la libralit et de la volont, dont on parle propos de lexistant ncessaire, est un seul et mme concept. Ce ne sont ni des attributs de son essence, ni des parties de son essence. Quant la vie dans labsolu, la science dans labsolu et la volont dans labsolu, [20] elles ne sont pas une seule et mme chose pour ce qui est du concept. Les absolus, cependant, sont estimatifs, et les existants ne sont pas absolus mais appartiennent plutt ce quoi il se peut quils appartiennent. Or nous, nos propos concernent lexistant ncessaire seulement, la science et la puissance par lesquelles il peut tre dcrit. Les choses tant telles, lexistence de ses consquents ncessaires, en tant quils manent de lui, consiste en la ncessit de leur existence et, galement, en sa science de la ncessit de leur existence. Section XV1 : tablissement de lexistence de lexistant ncessaire Il ny a pas de doute quil y a de lexistence. Or toute existence est soit ncessaire, soit possible. Si elle est ncessaire, lexistence du ncessaire est prouve, ce que lon cherchait ; si elle est possible, [5] lexistence du possible aboutit, nous allons lexposer, lexistant ncessaire.[22,1]

Section XVI2 : Quil nest pas possible que, pour chaque existant possible, il y ait linfini une cause qui soit galement possible Auparavant, nous prsenterons diverses prmisses. Il y a notamment quil nest pas possible que, en un seul et mme temps, il y ait linfini, pour chaque chose dessence possible, des causes dessence possible. Cela, parce que leur ensemble, soit [10] serait existant simultanment, soit ne serait pas existant simultanment. Si cet ensemble ntait pas existant simultanment, il ny aurait pas quelque chose dinfini en un seul et mme temps mais une chose avant lautre, ou aprs lautre, et, cela, nous ne linterdisons pas. Par contre, si cet ensemble tait existant simultanment et quil ne sy trouvait pas dexistant ncessaire, on nchapperait pas lalternative suivante : soit cet ensemble, en tant quil est cet ensemble, serait par1. Le texte de cette section correspond Najt, Mtaph., II, 12, dbut : tablissement de lexistence de lexistant nccessaire (Fakhry, p. 271, l. 17-20 al-wujd ; Carame, p. 91). 2. Le texte de cette section, moins les deux dernires lignes, correspond Najt, Mtaph., II, 12, suite et fin (Fakhry, p. 271, l. 20 wa qabla - p. 272, l. 12 ; Carame, p. 9193).

essence dexistence ncessaire, soit il serait [15] par essence dexistence possible. Sil tait par essence dexistence ncessaire alors que chacun de ses lments serait dexistence possible, lexistant ncessaire serait constitu dexistants possibles ; ce qui est absurde. Sil tait par essence dexistence possible, cet ensemble aurait besoin, pour exister, dun donateur de lexistence, et ce dernier se trouverait soit lextrieur, soit lintrieur de cet ensemble. Sil est lintrieur de cet ensemble, soit chacun des lments de celui-ci est un existant ncessaire, mais comme [20] chacun de ces lments est un existant possible, cest contradictoire ; soit ce donateur de lexistence est un existant possible et est, lui, la cause de lensemble et de son existence lui-mme parce quil est un lment de lensemble, son essence ntant pas suffisante pour faire exister son essence. Il est donc existant ncessaire alors quil nest pas existant ncessaire et cest contradictoire. Il reste que le donateur de lexistence est extrieur cet ensemble et il ne se peut pas quil soit une cause possible puisque nous avons runi toutes [23,1] les causes dexistence possible dans cet ensemble : cette cause est extrieure cet ensemble et par essence dexistence ncessaire. Les possibles aboutissent donc une cause dexistence ncessaire et il ny a pas, pour chaque possible, une cause galement possible. Ceci, dis-je en outre, devient clair partir de ce qui se trouve dans dautres livres, savoir que lexistence de causes infinies en un seul et mme temps est impossible. Nous nallongerons cependant pas notre propos en nous occupant de cela.[5]

Section XVII 3 : Quil nest pas possible que les choses possibles eu gard lexistence soient, en un seul et mme temps, causes les unes des autres dune manire circulaire, leur nombre ft-il fini Prsentons une autre prmisse. Si, dirons-nous, lon pose un nombre fini dexistants possibles qui seraient causes les uns des autres de manire circulaire, cest galement absurde. La chose sexpose dune manire semblable la premire question [10] mais a cependant ceci de propre que chacun de ces existants possibles serait une cause de sa propre existence ainsi quun caus de sa propre existence et obtiendrait lexistence dune chose qui adviendrait seulement aprs quelle serait elle-

3. Le texte de cette section correspond Najt, Mtaph., II, 13, moins les deux premires lignes : Quil nest pas possible que les choses possibles eu gard lexistence soient, en un seul et mme temps, causes les unes des autres dune faon circulaire, leur nombre ft-il fini (Fakhry, p. 272, l. 16 - p. 273, l. 4 ; Carame, p. 93-94).

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mme advenue en essence. Or ce dont lexistence dpend de lexistence de quelque chose qui nexiste quaprs postriorit essentielle que cela existe, est dexistence impossible. Tel nest pas ltat de deux choses relatives lune lautre. Toutes deux sont en effet simultanes pour ce qui est de lexistence, et lexistence de lune nest pas suspendue de manire tre postrieure lexistence de lautre. La cause qui les fait exister1, la chose qui les rend ncessaires, les fait au contraire exister simultanment. [15] Si lune des deux a de lantriorit et lautre de la postriorit, lexemple dun pre et dun fils, lantriorit de la premire chose se fait dun autre point de vue que celui de la relation, cette chose est antrieure du point de vue de ladvention de lessence et les deux sont simultanes du point de vue de la relation qui se fait aprs ladvention de lessence. Si lexistence du pre dpendait de celle du fils et que le fils dpendait de lexistence du pre, si, en outre, ils ntaient pas simultans mais que lun des deux venait, en essence, aprs, pas mme un seul deux deux nexisterait. Limpossible, ce nest pas que lexistence de ce qui existe avec une chose soit une condition de [20] son existence mais, plutt, que lexistence de ce qui existe partir dune chose et aprs elle soit une condition de son existence. Section XVIII2 : O lon se consacre tablir lexistence de lexistant ncessaire. Expos que les vnements adviennent par le mouvement mais quils ont besoin de causes qui demeurent. Expos des causes motrices prochaines ; quelles sont, toutes, changeantes [24,1] Aprs ces deux prmisses, nous allons dmontrer quil y a immanquablement quelque chose de ncessairement existant. Cela, parce que si tout existant est possible, soit, en tant possible, il advient, soit il nadvient pas. Sil nadvient pas, soit ltablissement de son existence se rattache une cause, soit il est par essence. Sil est par essence, il est ncessaire, non pas possible. Sil est par une cause, sa cause se trouve inluctablement avec lui et on en parlera comme on a parl [5] du dbut3 : si on ne sarrte pas une cause dexistence ncessaire, on obtient1. al-mjida : al-mjiba 2. Le texte de cette section correspond Najt, Mtaph.,

des causes et des causs possibles soit linfini, soit en cercle, ventualits que nous avons dites toutes deux vaines. Une telle hypothse4 est par consquent vaine. Si lexistant possible advient, tout ce qui advient, en advenant, ayant une cause, on nchappe pas aux trois hypothses suivantes : soit il advient mais svanouit, en advenant, sans demeurer aucun temps ; soit il svanouit, aprs tre advenu, sans intermde temporel ; soit, aprs tre advenu, il demeure. [10] La premire hypothse est absurde, dune absurdit vidente. La deuxime hypothse est galement absurde. Cela, parce que les instants ne se suivent pas lun lautre. Ladvenue de choses singulires, lune aprs lautre, conscutives et distinctes numriquement, non pas dune manire continue comme dans le mouvement, rendrait ncessaire la conscution des instants, or cela a t dit vain dans la Physique5. Ceci tant, il nest cependant pas possible de dire quil en va ainsi de tout existant : parmi les existants, il en est qui demeurent en leurs singularits. Nous imposant de parler de ces derniers, nous dirons que tout ce qui advient [15] a une cause eu gard son advention et une cause eu gard sa stabilit. Il est en outre possible que ces deux causes soient une seule et mme essence lexemple dun moule pour ce qui est de donner un volume de leau comme il est possible quelles soient deux choses lexemple de la forme dune idole, dont ladventeur est lartisan et le stabilisateur la siccit de la substance de llment dont elle est faite. Section XIX 6 : Que la stabilit de tout ce qui se produit est due une cause ; expos servant de prmisse concourant lobjectif voqu auparavant [20] Il ne se peut pas que ce qui advient soit par essence, aprs son advention, dexistence stable ; en ce sens que lorsquune telle chose adviendrait, elle existerait et serait stable ncessairement, sans que cela ne ft d, pour ce qui est de lexistence et de la stabilit, quelque cause. La stabilit et lexistence dune telle chose, nous le savons, nest pas ncessaire par elle-mme. Il est donc impos4. savoir que lexistant possible, en tant possible, nadvienne pas. 5. Voir Aristote, Physique, IV, 10, 218 a 14-15 ; trad. Carteron, p. 147 : de mme aussi les instants ne coexisteront pas les uns avec les autres ; trad. Ibn Hunayn (d. Badaw), p. 406, l. 9-10 : Cest quil est absurde que les deux instants soient quelque chose de continu lun par rapport lautre comme la goutte est continue par rapport la goutte. 6. Le texte de cette section correspond Najt, Mtaph., II, 14, suite et fin (Fakhry, p. 273, l. 22 wa l - p. 276, l. 12 ; Carame, p. 96-102).

II, 14, dbut : Autre section o lon se consacre tablir lexistence de lexistant ncessaire. Expos que les vnements adviennent par le mouvement mais quils ont besoin de causes qui demeurent. Expos que les causes motrices prochaines sont toutes changeantes (Fakhry, p. 273, l. 5-22 min-hu ; Carame, p. 94-96). 3. Voir les deux sections prcdentes.

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sible quelle devienne ncessaire de par son advention, laquelle nest ni ncessaire par ellemme ni stable par elle-mme. Quant devenir ncessaire cause de son advention, cela se pourrait seulement si cette cause demeurait avec cette chose [25,1] tandis que, si elle sanantissait, ce quelle exige sanantirait aussi sinon en effet il serait gal, pour ce qui est de lexistence de ce que cette cause exige, quelle-mme existe ou ne soit pas, et elle ne serait donc pas cause. Nous allons expliquer ceci plus amplement. Avant dadvenir, dirons-nous, cette essence nest ni impossible ni ncessaire : elle est possible. Ds lors, de trois choses lune : soit sa possibilit est conditionne par son essence et due son essence ; soit [5] sa possibilit a pour condition quelle soit non-tante ; soit sa possiblilit est relative ltat consistant ce quelle soit existante. Il serait cependant absurde que sa possibilit ait pour condition son non-tre. Il lui serait en effet impossible dexister tant quelle serait non-tante et que lon mettrait comme condition, pour elle, de ne pas tre. De mme que, tant quelle est existante et sous cette condition quelle est existante, elle est dexistence ncessaire. Il reste donc une des deux hypothses suivantes : soit la possibilit est une affaire qui se trouve dans la nature de la chose, dans sa substance mme, et cette ralit ne la quitte en aucun tat, soit la possibilit est relative ltat de lexistence, a pour condition lexistence et, mme si [10] cest absurde tant donn que, lorsque nous mettons comme condition lexistence, la chose est ncessaire, cela ne nous cause pas de tort touchant notre objectif. La vrit, cependant, est que lessence de la chose est possible en elle-mme ; cela, mme si elle est dexistence impossible si lon met comme condition son non-tre et ncessaire si lon met comme condition son existence. Il y a une diffrence entre dire lexistence de Zayd, qui est existant, est ncessaire et dire lexistence de Zayd, tant quil est existant, est ncessaire ; cela a t expos en logique. De mme, il y a une diffrence entre dire [15] la stabilit de ce qui advient est ncessaire par essence et dire quelle est ncessaire la condition suivante : tant quil est existant. Le premier nonc est mensonger, le second vridique, du fait de ce que nous avons expos. Lorsque lon enlve cette condition, la stabilit de ce qui existe nest par consquent pas ncessaire. Sache-le, ce quoi lexistence fait acqurir de la ncessit, le non-tre lui fait acqurir de limpossibilit. Il est absurde quune chose soit possible dans ltat de non-tre puis que, dans ltat dexistence, elle existe en tant ncessaire. Une

chose est au contraire, en elle-mme, possible ; elle nest pas, [20] elle existe et, quel que soit celui de ces deux tats en lequel on mette comme condition quelle reste, elle devient, la condition de rester en cet