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179 Mono-fonctionnalité, éparpillement, coûts cachés : autant en emporte le territoire Mono-Functionality, Scattering, Hidden Costs: All down to the Territory H. Ancion et B. Assouad 1 1 Afin de susciter la réflexion citoyenne sur les effets pervers de l’habitat éparpillé, Inter-Environne- ment Wallonie s’est doté d’un nouvel instrument de sensibilisation, un poster qui représente un jeu de l’oie. A travers cet outil, IEW aborde les conséquences de la mono-fonctionnalisation des espaces et de l’émiettement de l’habitat, ainsi que les coûts cachés de ces modes d’urbaniser. La communication conclut par des recommandations sur la forme et le champ d’action d’un SDER actualisé. In order to encourage public reflection on the perverse effects of the scattered habitat, Inter-Envi- ronment Wallonia has procured a new awareness-raising device, a poster that represents a game of snakes and ladders. Through this tool, IEW approaches the consequences of mono-functionali- sation of the spaces, the dilapidation of the habitat and hidden costs of these urbanisation modes. The communication concludes with recommendations on the form and the field of action of an updated RSDS. Mots-clé : rurbanisation, ruralité, mitage de l’habitat, mobilité Keywords : rurbanisation, rurality, intensive habitat building, mobility

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Page 1: autant en emporte le territoire - Conférence Permanente du ......183 Autant en emporte le territoire La Wallonie souffre d’une maladie rampante, peu re-marquée tant elle fait partie

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Mono-fonctionnalité, éparpillement, coûts cachés : autant en emporte le territoire

Mono-Functionality, Scattering, Hidden Costs: All down to the Territory

H. Ancion et B. Assouad1

1

Afin de susciter la réflexion citoyenne sur les effets pervers de l’habitat éparpillé, Inter-Environne-ment Wallonie s’est doté d’un nouvel instrument de sensibilisation, un poster qui représente un jeu de l’oie. A travers cet outil, IEW aborde les conséquences de la mono-fonctionnalisation des espaces et de l’émiettement de l’habitat, ainsi que les coûts cachés de ces modes d’urbaniser. La communication conclut par des recommandations sur la forme et le champ d’action d’un SDER actualisé.

In order to encourage public reflection on the perverse effects of the scattered habitat, Inter-Envi-ronment Wallonia has procured a new awareness-raising device, a poster that represents a game of snakes and ladders. Through this tool, IEW approaches the consequences of mono-functionali-sation of the spaces, the dilapidation of the habitat and hidden costs of these urbanisation modes. The communication concludes with recommendations on the form and the field of action of an updated RSDS.

Mots-clé : rurbanisation, ruralité, mitage de l’habitat, mobilité

Keywords : rurbanisation, rurality, intensive habitat building, mobility

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Eparpillement de la résidence, urbanisation galopante, prolifération des routes, voilà des maux qui ne datent pas d'hier. La Fédération Inter-Environnement Wallonie a malheureusement dû constater année après année leur persistance et leur aggravation. Si le modèle de la résidence isolée en quartier résidentiel continue sur sa lancée, à l'horizon 2040, les conséquences environne-mentales seront ingérables. Derrière le chaos apparent des causes et des conséquences, il y a une logique implacable. Les lamentations ne sont cependant pas de mise, elles seraient d'ailleurs bien inutiles. Ce mode de vie, on l'a voulu.

Il faut le regarder avec empathie, pour s'en détacher, et inventer d'autres solutions.

Nous avons pris le parti d'en rire avec le grand public, afin de mieux apprendre ensemble à se départir d'ha-bitudes ancrées très solidement dans notre société.

C'est ainsi que l'idée d'un poster a vu le jour, avec sa face « jeu de l'oie» qui fonctionne grâce à des règles diffusées sur notre site Internet, et sa face « presse quotidienne » dont les articles incisifs se mêlent aux dessins satyriques, avec les inévitables petites an-nonces où des villas laissées en rade vantent leurs mérites séduisants.

Ce poster existe parce que nous avons voulu sortir le débat des cénacles. La Fédération IEW considère que les citoyens sont à même de prendre part au débat et de l'enrichir. Nous souhaitons lancer la discussion à l'aide d'un objet facile d'accès. Le poster en version papier est d'ailleurs disponible sur simple demande auprès de notre secrétariat.

Les spécialistes en aménagement du territoire s'accor-dent à reconnaître la dimension culturelle du phéno-mène de la rurbanisation, et la nécessité de sensibiliser la population aux effets pervers de l'habitat éparpillé.

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Mono-fonctionnalité

Pour des besoins aussi vitaux que travailler, aller à l’école, se faire soigner ou visiter des amis, on est obligé d’aller voir ailleurs. De préférence en voiture, seul moyen de transport qui permette d’assumer cet éloignement.

Shopping centers, centres sportifs, complexes hospi-taliers, parcs d’activité économique : le territoire s’est entièrement remodelé autour de la voiture. Il y a abon-dance de lieux spécialisés et excentrés, bien pourvus en parkings, qui semblent créés à destination exclu-sive des usagers d’un véhicule privé.

Il est commun de répéter que l’habitat éparpillé empri-sonne ses adeptes dans un urbanisme en trompe-l'œil. Un fait moins reconnu : l'habitat éparpillé limite aussi la liberté des habitants des villes. Il les condamne à subir les pénétrantes routières, le stationnement sau-vage, la pollution, la paupérisation. Cette situation a déjà donné à plus d’un Wallon l’envie d’aller rejoindre

Vivre au bon air ou vivre dans un village-dortoir ?© skutt

Éparpillement

Depuis les années 1950, les villes se vident de leurs habitants. L’urbanisation de la Wallonie a usé et abusé de la campagne, sans obéir à d’autre logique que celle du terrain au prix le plus bas. Cette conquête de l’es-pace s’est matérialisée en de longs tentacules, et par un émiettement sous forme de taches ici et là, et en-core ici, et encore là. Ça n’en finit pas!

Par repli sécuritaire, chaque famille substitue ses propres arpents verts aux « espaces sauvages » que sont les champs voisins et la voirie. Irrésistiblement, l’ennui s’insinue dans ce décor aseptisé. Quand – comble de déception ! – les terrains agricoles envi-ronnants se construisent eux aussi, la vue sur champs se réduit à peau de chagrin. De pseudo-rural, le cadre devient pseudo-urbain. Rien d’étonnant à ce que les

La conquête de l’espace wallon s’est matérialisée en de longs tentacules, et par un émiettement sous forme de taches - © skutt

les paradis fiscaux péri-urbains, même en sachant que ce ne sont que des dortoirs !

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odeurs, les bruits, les routes secondaires étroites, la vie publique limitée, bref, ce qui reste de la campagne,

soient ressentis comme une agression par les popula-tions urbaines exilées en milieu historiquement rural.

Coûts cachés

Le grand air coûte cher. L’installation d’une famille en quartier résidentiel excentré implique des frais im-portants, dont certains sont oubliés dans le calcul de départ. Achat et viabilisation du terrain, construction, aménagement du jardin, home cinema, station d’épu-ration individuelle : le kit de base ne pourrait être com-plet sans une ou plusieurs voitures et les inéluctables frais d’essence liés aux déplacements incessants. Ra-rement appréhendé par les candidats au péri-urbain, le poste « transports » constitue pourtant une part très importante du budget. Il peut même engendrer un en-dettement spatial, responsable de la fragilisation des ménages.

Celui qui fait bâtir sa villa au creux des champs dans un clos idyllique et propret ignore ce que cela coûte à la collectivité. Les budgets publics font pourtant face à des frais tout à fait directs tels que l’entretien des routes et des réseaux, l’éclairage public, la construc-tion des infrastructures, la sécurité routière. La distri-bution du courrier et le ramassage des ordures sont également d’autant plus coûteux s’ils sont effectués dans des zones éloignées et complexes.

Tôt ou tard, les sols de plus en plus imperméabilisés et l’égouttage mal calibré impliquent des travaux de réfection ou de mise à gabarit, voire des indemnisa-tions en cas d’inondation. En conséquence, il n'est pas abusif d'affirmer que « Tout le monde paie pour les quatre-façades ».

Vaste Wallonie, on peut te dépenser sans compter ! L’immensité de la Wallonie est toute relative, mais on utilise le territoire sans retenue. Les techniques automobiles, le béton préfabriqué, l’apparition des frigidaires ont transformé le rapport au sol et aux dis-tances. Ils ont donné corps à des envies qui se sont

Entretien des routes et des réseaux, éclairage public, construction des infrastructures, sécurité routière, distribution du courrier et ramassage des ordures : construire une villa isolée coûte cher à la collectivité.© skutt

muées en fait de société puis en normes consacrées par la législation.

Et pendant ce temps, les ressources naturelles trin-quent : l’eau des ruisseaux, les bois et les taillis, les nappes phréatiques, les prés de fauche ont été large-ment mis à mal par cette urbanisation tous azimuts. Le territoire est devenu une marchandise comme une autre, une source de profit sur laquelle spéculer.

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Autant en emporte le territoire

La Wallonie souffre d’une maladie rampante, peu re-marquée tant elle fait partie des mœurs. Elle pourrait s’appeler le Syndrome Kleenex : après avoir « usé » un endroit, on en utilise un autre. Pour cela, on entame le capital naturel, notre fameux « patrimoine commun ». Il en résulte une perte sèche en surface répercutée sur l’ensemble de la population. A chaque éternuement immobilier, celle-ci dispose en effet d’un peu moins de champs, de friches, de forêts, de zones naturelles, bref, de respirations dans le paysage.

Ce n’est rien, c’est juste un gros lotissement.

Un shopping center, deux shopping centers.Un centre sportif, deux centres sportifs.Un complexe hospitalier, deux complexes hospitaliers.Un parc d’activité économique, deux parcs d’activité éco-nomique.Un lotissement, deux lotissements.

Une épidémie que le SDER actuel voulait déjà enrayer à tout prix. Il n'y est pas parvenu.

Recommandations pour le futur SDER

Le SDER doit être le document faîtier des politiques régionales

1. Une véritable feuille de route pour tout le Gouver-nement, pour l'ensemble des ministres. Toute poli-tique publique se matérialisant physiquement, elle doit trouver dans le SDER un appui et un éclairage pour son mode d'implantation.

2. Un tableau de bord de données environnemen-tales à l’image du document éponyme (Tableau de Bord de l'Environnement Wallon), avec lequel une collaboration devrait être envisagée.

3. Une cartographie, qui incorpore les données spécifiques dans des cartes complexes : accès à l'énergie, tourisme, stratégie de développement ferroviaire, agriculture, réseau électrique, gaz, voies d'eau, Natura 2000 doivent être superposés à la carte de structure spatiale du nouveau SDER.

4. Un vocabulaire précis et rigoureux. Les termes « habitat », « centre », « pôle », « entrée de ville », « zone », « réseau » … tels qu’utilisés dans le SDER, devront être mis en cohérence avec tous les docu-ments officiels qui utilisent le même vocabulaire.

5. Un crible en fonction duquel tout projet d'aména-gement et d'urbanisme devra être étudié et motivé,

tant dans la demande de permis que dans la déci-sion de l'autorité compétente.

Le SDER doit être un document que les pouvoirs pu-blics s'approprient

1. Un SDER qu'on ne range pas dans les cartons une fois adopté.

2. Un SDER qui se décline localement dans des do-cuments d'initiative communale ou supra-commu-nale, de préférence dans un schéma de structure communal.

3. Un SDER qu'on évalue régulièrement, sur base d'indicateurs spécifiques : pourquoi pas un rap-port annuel du Gouvernement devant le Parlement ?

4. Un SDER qui a l'ambition de se positionner cou-rageusement sur des typologies urbanistiques du-rables, notamment celles qui facilitent la vie aux PMR.

5. Un SDER qui aide les communes à mettre fin à la compétition mesquine qui a souvent marqué leur his-toire : les thématiques de supra-communalité et de bassins de vie doivent dans cette logique être forma-lisées dans le SDER, car elles permettent d’aborder des développements axés sur la collaboration.

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Le SDER aura avantage à varier les modes de pré-sentation graphique

En plus d'un état des lieux scrupuleux, dans la conti-nuation de l'album cartographique du SDER actuel, nous proposons :1. Un volet reprenant de l'information visuelle sur

des phénomènes diffus comme le développement de l'habitat, la consommation individuelle de sur-face réservée à la résidence, la paupérisation des centres des villages et des villes. Toutes notions qui, sans être perceptibles à l'échelle macro, ont pourtant un impact décisif sur le territoire et doi-vent être prises en compte dans les décisions.

2. Un volet localisant sur carte les projets immi-nents : nouveaux gazoducs, agrandissement d'écluse, gares RER, centres commerciaux, exten-sion de piste d'atterrissage, etc.

3. Un volet de pure projection, à savoir la carte de structuration spatiale. Sa stylisation serait suffi-samment forte pour permettre la compréhension des enjeux tout en évitant le travers de la lecture « au centimètre près ».