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Spécialité : Anthropologie des pratiques corporelles et apprentissages moteurs
Analyse de l’activité d’un
élève « expert » en cours
d’EPS Nature et dynamique de ses préoccupations
en classe
Crance Marie Cécile
Sous la direction de Jean Trohel
MASTER STAPS
SPORT, SANTE, SOCIETE
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Année 2005-2006
SOMMAIRE INTRODUCTION …………………………………………………………. 4
1. Le cœur de l’interrogation …………………………………….…………………..……..4
2. Pourquoi s’intéresser à l’élève expert ?…………………………………………………..5
3. Une problématique concrète d’enseignement ……………………………….…………..8
Chapitre 1 : REFLEXION THEORIQUE………………………………...13
Partie 1 : Exploration théorique
1. Un premier éclairage scientifique………………………………………………….…….13
2. Les apports d’une approche écologique…………………………………………………20
3.Un cadre d’analyse pertinent : Les théories de l’action située…………………….……..22
4. Un positionnement scientifique pour éclairer une question pratique…………………....32
Partie 2 : Choix d’un cadre théorique
1. Un objet théorique particulier : le « cours d’action »……………………………………34
2. Organisation intrinsèque, contraintes et effets extrinsèques du cours d’action………….34
3. Cadre sémiologique d’analyse du cours d’expérience…………………………………...36
4. Problématique…………………………………………………………………………...40
Chapitre 2 : METHODOLOGIE…………………………………………...42
1. Une boite à outils adéquate et partagée…………………………………………………42
2. Un travail préalable : Trouver un terrain de recherche………………………………….42
3. Recueil des matériaux empiriques………………………………………………………44
4. Analyse des matériaux empiriques et construction des données………………………...46
Chapitre 3 : RESULTATS…………………………………………………..52
1. Nature des préoccupations d’Alexandre………………………………………………….52
2. Dynamique des préoccupations : la séance « vécue » par Alexandre…………………….61
3. Synthèse sur l’activité d’Alexandre au sein de la classe………………………………….66
3
Chapitre 4 : DISCUSSION…………………………………………………72
1. Analyse de l’activité d’Alexandre………………………………………………………72
2. La question de l’hétérogénéité…………………………………………………………..86
3. Limites et perspectives………………………………………………………………….92
CONCLUSION……………………………………………………………...95
REMERCIEMENTS…………………………………………….………….98
BIBLIOGRAPHIE…………………………………………………………..99
4
INTRODUCTION
1. Le cœur de l’interrogation
« Ouai madame il tire des boulets de canon » dit Mathilde à son enseignante en
refusant de retourner dans les buts. De telles remarques, courantes en cours d’EPS, sont
révélatrices d’une difficile gestion de l’hétérogénéité et renvoient « à une réalité bien
prosaïque qui met en présence des élèves avec des niveaux d’expertise extrêmement
disparates » (Méard et Klein, 2001). Aussi la présence d’un élève expert important sa culture
institutionnelle au sein d’une classe devrait à priori renforcer cette tendance et compliquer le
travail du praticien.
En effet quel enseignant d’EPS peut affirmer n’avoir jamais connu de situations où,
décidant d’effectuer un cycle de gymnastique, il se rend compte que l’un de ses élèves est
champion régional, voire national de la spécialité ? Comment a-t-il réagi face à cet élève
« expert » ? Cela a-t-il suscité un sentiment de soulagement ou au contraire a-t-il été
déstabilisé par cette expertise au sein d’une classe où la plupart des élèves ne maîtrisent pas
encore la roulade avant ?
Cette très grande hétérogénéité entre élèves constitue une caractéristique fondamentale
et un problème historique de l’EPS. En effet cette discipline, en s’appuyant sur les objets
culturels forts que sont les APSA, est encore bien souvent assimilée à une leçon de sport où la
référence reste la pratique institutionnelle véhiculée par les clubs sportifs. Ainsi ces habiletés
et connaissances de haut niveau importées au sein de l’école par certains élèves sont en partie
à l’origine de la forte hétérogénéité à laquelle les enseignants doivent faire face au quotidien.
En effet, dans une société souffrant de sédentarité et où l’activité physique des individus est
de moins en moins sollicitée, l’écart semble de plus en plus grand entre la pratique sportive de
haut niveau et la motricité du citoyen moyen. L’existence de classes sportives où se trouvent
regroupés les élèves experts d’une activité facilite en partie l’activité de l’enseignant mais
elles contribuent en même temps à accentuer les différences et enferment ces élèves dans une
logique institutionnelle.
Mais comment réagir lorsque ces « experts » se trouvent isolés dans une classe dite
« classique » où l’hétérogénéité se trouve démesurée et où l’élève est amené à évoluer à côté
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de camarades totalement novices ne sachant à peine rattraper un ballon et éprouvant une
complète aversion pour l’EPS et la pratique physique ?
La présence de cet individu particulier peut être investie par l’enseignant comme une
« ressource » supplémentaire, une référence sur laquelle s’appuyer tout au long du cycle,
servant de moteur à toute la classe, faisant les démonstrations, aidant à diriger les
échauffements… Mais cette « expertise» peut au contraire être perçue comme une contrainte
supplémentaire qui inhibe les autres élèves, remet en cause les exercices proposés, perturbe le
déroulement du cours…
La posture d’un élève « expert » en EPS peut donc s’apparenter à un cas extrême
d’hétérogénéité qui pose à l’enseignant un certain nombre de questions articulant une
dimension individuelle et collective. Que vais-je pouvoir enseigner à cet élève ? Comment
vais-je l’évaluer ? Ai-je les connaissances suffisantes dans cette activité pour lui faire acquérir
de nouvelles compétences ? Comment vais-je pouvoir intégrer et gérer la présence de cet
élève au sein du cours d’EPS ? Quelle va être son attitude vis à vis des autres élèves ?
Comment ces derniers vont-ils réagir ?
Ainsi notre travail, dont ce mémoire souhaite reprendre le cheminement, aborde la
problématique de l’hétérogénéité à partir d’un angle d’attaque particulier : l’activité de
l’élève « expert » au cours de séances d’EPS portant sur son activité de prédilection.
Nous considérons comme « expert » un individu dont le niveau moteur est largement
supérieur à ses camarades et aux exigences scolaires, témoignant d’une forte spécialisation
dans l’activité issue d’une pratique extra-scolaire régulière de haut niveau.
2. Pourquoi s’intéresser à l’élève expert ?
Au premier abord cet objet d’étude peut sembler un peu étonnant puisqu’il recentre le
regard sur une catégorie très particulière d’élèves représentant une portion restreinte de la
population scolaire et étant déjà fortement sensibilisée à la pratique sportive. Ne serait-il pas
plus urgent de s’intéresser aux élèves réticents à la pratique physique, n’ayant pas ou peu
d’expérience sportive extra-scolaire et vis à vis desquels l’enseignant d’EPS a pour mission de
favoriser une nouvelle motricité ainsi qu’un goût pour ces activités ?
Ces cas atypiques d’élèves « experts » représentent aux yeux de nombreux enseignants la
frange d’individus ayant le moins besoin des cours d’EPS et mobilisant peu leur attention. En
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effet il est souvent courant d’entendre affirmer que ces élèves perdent leur temps en EPS,
n’apprennent rien et font déjà bien assez de sport en dehors.
Alors pourquoi s’engager dans une recherche qui leur accorde toute son attention ?
Cette première réflexion envisage la problématique de l’élève « expert » dans un seul
sens descendant allant de l’enseignant vers l’élève. Ce dernier est alors envisagé du point de
vue unique du professeur qui tente de gérer au mieux cette forte hétérogénéité. Toutefois cette
vision occulte un élément fondamental : le point de vue de l’élève lui-même.
Pourtant, comme nous allons le voir, la compréhension et la prise en compte de l’activité d’un
individu « expert » au sein de la dynamique d’une classe peut apporter à l’enseignant un
regard neuf, vecteur de pistes de réflexions intéressantes pour sa pratique quotidienne
d’enseignement. Pour cela, il est indispensable de retourner le sens de notre réflexion en
envisageant la situation éducative à travers le vécu personnel de l’élève « expert ».
2.1 « Souvenirs - Souvenirs … » dans la peau d’un élève « expert »
Tutoyer l’activité d’un élève expert ne devrait pas poser trop de difficultés à la
communauté des enseignants d’EPS qui constituent, dans leur grande majorité, d’anciens
sportifs de plus ou moins haut niveau mais ayant eu, pour la plupart, une pratique sportive
importante et supérieure à la moyenne. Ainsi, pour entamer notre voyage, laissez vous revenir
quelques années en arrière lorsque, encore élève adorant l’activité physique et éperdu de
sport, vous entamiez un cycle d’EPS dans votre activité de prédilection. Souvenez-vous
également des séances où l’un de vos camarades, spécialiste de l’activité, évoluait à vos côtés.
Qu’avez vous appris lors de ce cycle ? Que faisiez-vous ? Quels étaient vos sentiments ? Quel
attitude adoptiez-vous vis à vis de vos camarades ? Comment réagissaient vos enseignants ?
Vous donnaient-ils des consignes particulières ? Que pensiez-vous de leur façon d’aborder
l’activité ?
Nous avons, pour notre part, effectué ce voyage de nombreuses fois et c’est bien de
cette expérience personnelle qu’a émergé notre intérêt pour l’exploration approfondie de
l’activité d’élèves « experts ». En effet, pratiquant une activité physique à un niveau
international, nous nous sommes souvent retrouvés dans une situation d’expertise en cours
d’EPS. Ne pouvant nous exprimer pleinement sur le plan moteur nous avons pourtant toujours
eu le sentiment de vivre des expériences singulières et enrichissantes au cours de ces cycles
qui nous permettaient d’aborder notre activité de prédilection dans une perspective
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inhabituelle. Les réactions de nos camarades étaient très diverses allant de l’admiration à la
jalousie, de la crainte à l’amitié ou encore nous considérant comme une personne ressource
vers laquelle se tourner pour trouver des réponses à leurs questions portant sur cette activité.
De même nous avons souvent été étonnés des réactions diverses de nos enseignants. Certains
fermaient les yeux et ne faisaient absolument pas de différence avec les autres élèves, d’autres
au contraire semblaient gênés et nous disaient que nous devions vraiment nous ennuyer,
d’autres encore nous sollicitaient inlassablement pour les démonstrations ou pour nous
demander de confirmer certaines connaissances relatives à l’activité. Face à cette diversité
d’enseignement nous adaptions notre comportement aux situations proposées et nous
choisissions parfois de faire profiter les autres élèves de notre expertise. Nous avons
également connu le cas d’une enseignante nous ayant proposé clairement de ne pas pratiquer
et au contraire de l’aider à encadrer la classe en nous occupant des élèves les plus faibles.
Cette expérience particulière, bien qu’extrême, a posé question au futur enseignant que nous
sommes et nous a poussé à envisager la problématique de l’élève « expert » dans une nouvelle
dimension : aborder la question de l’hétérogénéité et plus particulièrement de l’élève
« expert » dans un sens ascendant. En partant de son point de vue et en s’intéressant à son
activité réelle, telle qu’il la vit et passant le plus souvent inaperçue, nous pensons pouvoir
découvrir des éléments intéressants quant à la place et au rôle qu’un tel élève peut jouer au
sein d’une classe et notamment vis à vis des élèves en difficulté. Il n’est plus cet individu
étranger dont l’expertise fait peur et face auquel nous ne savons pas comment réagir, il prend
vie, s’exprime, et pourrait devenir un partenaire porteur de perspectives intéressantes pour
l’enseignement.
2.2 Le « train-train quotidien … » dans la peau d’un enseignant d’EPS
Après ce petit détour un peu idéalisé par nos souvenirs d’écoliers nous pouvons revêtir
notre costume d’enseignant d’EPS et nous interroger à nouveau sur les problèmes concrets
posés par l’hétérogénéité et se trouvant accentuées à l’extrême avec la présence d’un élève
« expert ». Toutefois cette interrogation sur votre pratique d’enseignant actuel doit être menée
en gardant en tête ce vécu d’écolier et de sportif. Quelle est votre attitude face à la présence
de cet « expert » ? Avez-vous remarqué une attitude particulière de sa part ? Ne pourriez-vous
pas lui donner des rôles particuliers ? N’aurait-il pas une certaine légitimité face à ses
camarades qui pourrait servir à la gestion de la classe ? Est-il bien accepté par les autres ?
Comment vit-il le fait d’être constamment sollicité comme modèle ?
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Ces questions, qui se tournent davantage vers l’activité de l’élève en envisageant son
point de vue, semblent élargir notre regard. En effet il est souvent reproché aux chercheurs de
ne pas assez ancrer leurs réflexions sur le terrain et sur les pratiques réelles d’enseignement en
interrogeant insuffisamment les professeurs. Nous pouvons renvoyer cette critique aux
enseignants eux-mêmes qui voudraient trouver des solutions à l’hétérogénéité en occultant les
pratiques réelles et le point de vue de leurs élèves.
C’est pour ces raisons que nous partirons de l’activité de l’élève « expert » pour
aborder le problème de l’hétérogénéité qui reste pourtant une problématique de la
responsabilité de l’enseignant.
3. Une problématique concrète d’enseignement
Comprendre la dynamique d’une classe nécessite donc de rester proche du terrain en
restant en contact avec l’ensemble des acteurs du système : l’enseignant mais également et
prioritairement les élèves qui restent les principaux acteurs de l’école. Nous commencerons
par envisager la problématique de l’hétérogénéité du point de vue de l’enseignant afin de
comprendre quelle est sa traduction concrète sur le terrain. Puis nous convoquerons
directement l’activité particulière de l’élève « expert » afin d’apporter de nouvelles pistes de
réflexion.
3.1 Un regard professionnel sur l’hétérogénéité
L’hétérogénéité des élèves, à laquelle sont confrontés quotidiennement enseignants et
élèves, associée au souci de lutter contre la massification de l’échec scolaire, a donné lieu à de
nombreuses interrogations et réflexions. Notamment en EPS, Méard (1993) affirme que
« l’hétérogénéité d’un groupe est encore plus sensible qu’ailleurs » (p.16) puisque l’échec et
la réussite semblent accentués dans une discipline où la totalité de l’individu est mise en jeu et
où l’on est continuellement confronté au regard des autres.
Afin de répondre au mieux à cette réalité de nombreuses propositions didactiques et
pédagogiques ont vu le jour dans les années 80 avec notamment l’essor de la pédagogie
différentiée qui fut très rapidement investie par le monde de l’EPS. Il semble en effet que
cette dernière « soit la discipline où la différentiation de la pédagogie est simultanément la
plus nécessaire et la plus facilement réalisable » (Méard, 1993, p. 16).
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S’intéressant à ce phénomène de l’hétérogénéité des élèves, Méard (1993), qui a
analysé les pratiques quotidiennes des enseignants, met en avant principalement trois
procédés qu’il nomme successivement : niveau plancher, intermédiaire et souhaitable.
Le premier niveau renvoie à un seuil où les différences au sein du groupe classe sont
éludées et perçues comme des obstacles à l’apprentissage. L’hétérogénéité est niée et rejetée.
Dans le second niveau les différences sont réellement prises en compte et se pose alors
la question des progressions individuelles. Les projets personnels sont valorisés, l’enseignant
tente d’adapter les tâches aux possibilités de chacun. Toutefois cette approche envisage
l’individu seul face à son projet, confronté à la tâche, la fonction du reste du groupe et les
potentialités qu’il renferme ne sont pas exploitées.
Enfin le dernier niveau utilise « les différences comme tremplin pour les
apprentissages » (Méard, 1993, p. 17) à travers des procédures où les facteurs émotionnels,
relationnels sont pris en compte et constituent des leviers pour la participation et la
progression de tous les élèves.
Toutefois si ces procédures de pédagogie différentiée permettent à priori de gérer
l’hétérogénéité, elles conservent tout de même les injustices créées par les déterminismes
génétiques et socioculturels. En effet, l’EPS qui représente un temps d’apprentissage très
faible dans le cursus des élèves (1000 heures tout compris), dépend fortement du code
génétique de l’adolescent, de son vécu corporel en dehors de l’école et de son capital culturel
vis à vis des APSA proposées (Méard et Klein, 2001). Ce constat pose problème face à la
revendication d’une « égalité des chances » (loi d’orientation 1989) prônée par un système
scolaire qui souhaite favoriser la réussite de tous. Aussi l’analyse des programmes d’EPS
(collèges 1996, 1997, 1998 et lycées 2000, 2001, 2002) révèle une volonté « légitime et
ambitieuse de limiter la part des déterminismes physiques et culturels dans les prestations des
élèves et de rendre l’école plus juste » (Méard et Klein, 2001, p.13 ) : les concepteurs des
programmes lycées ont associé une « composante méthodologique » à la composante motrice
(appelée composante culturelle), de même les programmes collège formulent des
compétences et connaissances générales et revendiquent une éducation à la citoyenneté. Ces
« innovations », en rendant explicite ce qui existait déjà en EPS, ont pour ambition de mettre
en avant et de spécifier un « autre chose » accessible à tous.
Cependant Méard et Klein (2001) font remarquer que cette volonté de faire réussir la
« lycéenne » et le « petit gros » peut s’opposer à la valorisation des « bons en gym » qui par
ailleurs peuvent être « nuls en maths ». En effet, face à cette dévalorisation de la
« composante motrice » au profit d’une « composante méthodologique », on peut se demander
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comment un élève « expert », à qui on demandera constamment de s’adapter au niveau de ses
camarades, pourra valoriser son « expertise » et mettre en avant ses compétences. Cette
retenue et cette « régression » peut être perçue comme une injustice, qui mal vécue par
l’élève, peut-être vecteur de conflits.
Ainsi cette première réflexion sur les pratiques réelles et quotidiennes des enseignants
met en évidence une très grande diversité de réponses professionnelles à la problématique de
l’hétérogénéité des élèves. La volonté d’une « réussite de tous » est porteuse de difficultés et
de contradictions qui paradoxalement posent également problème au cas extrême de l’élève
« expert ».
3.2 L’élève « expert » comme cas extrême de l’hétérogénéité en EPS
Une question individuelle :
Tout d’abord l’enseignant est amené à s’interroger sur les acquisitions et les
apprentissages de cet individu au sein de la classe. En effet tout le monde sera d’accord pour
considérer que sur le plan moteur il semble peu probable que cet élève fasse des acquisitions
importantes étant donné son vécu dans l’activité et sa pratique de haut niveau. Cependant en
référence aux textes officiels, l’EPS vise comme nous l’avons vu, d’autres finalités et d’autres
acquisitions qui peuvent par contre faire l’objet d’un travail important pour cet élève.
Ainsi, pour l’élève « expert » qui surpasse ses camarades au niveau des habiletés
motrices et des connaissances institutionnelles, rien ne garantit qu’il en soit de même sur les
autres compétences « méthodologiques » ou « générales » (programme collège 1996, 1997,
1998 et lycée, 2000, 2001, 2002). A cet égard Méard (1993) considère que « la disparité sur
le plan moteur n’est rien par rapport à la différence des représentations, des niveaux
d’engagement » (p. 16) et donc qu’il est plus dur de gérer les « différences d’attitudes ». Aussi
une expertise motrice n’est pas forcément associée à une expertise dans d’autres domaines,
comme par exemple la gestion de la sécurité, du risque, le respect d’un projet collectif… De
plus la culture scolaire est plurielle et ne saurait être réduite à la logique institutionnelle
souvent compétitive. En effet même si l’école s’appuie sur les objets culturels que sont les
APSA, elle les transforme, invente ses propres règles, ses propres modalités de pratique
(Goirand, 2001 ; Metzler, 2002). Cette transformation des activités peut questionner et
remettre en cause les pouvoirs moteurs et cognitifs d’un élève enfermé dans la logique
institutionnelle. Ainsi l’hétérogénéité des élèves ne doit plus se restreindre au pôle moteur et il
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semble important d’envisager la richesse culturelle, les différences de représentations, les
modalités de pratiques différentes dont sont porteurs les élèves.
D’un point de vue individuel la présence de l’élève « expert » pose un certain nombre
de questions relatives à la nature des apprentissages envisagés et à la confrontation d’une
logique institutionnelle avec une logique éducative et scolaire.
Une question collective :
L’activité de l’élève « expert » s’intègre au sein du groupe classe et ses apprentissages,
bien que personnels, prennent place au sein d’un collectif dont on ne peut occulter l’influence
et qu’il influence également. La présence de cet élève particulier peut ainsi être analysé à
travers les trois logiques de gestion de l’hétérogénéité mises en avant par Méard (1993) et que
nous avons décrites précédemment.
Face à une situation qui s’apparente au « niveau plancher » on peut penser que la
présence de cet élève pose de sérieux problèmes à l’enseignant. Toute la classe étant
confrontée à des situations identiques, il semble évident que le niveau de contrainte ne sera
adapté qu’à certains individus. De par son vécu dans l’activité, « l’expert » bien plus que les
autres, risque de ne rien apprendre sur le plan moteur et de s’ennuyer ne comprenant pas le
sens d’un investissement quelconque dans des tâches qu’il estimera certainement « trop
simple ».
Le second niveau, beaucoup plus fréquent, semble mieux maîtriser l’hétérogénéité des
élèves. Cependant si bien souvent les tâches peuvent être simplifiées ou complexifiées pour
répondre aux besoins spécifiques de groupes de niveaux, le cas isolé de l’élève « expert »
semble être difficile à prendre en compte.
Dans ces deux cas de figure les différences sont comprises uniquement sur le plan moteur et
sont perçues comme des obstacles à l’éducation. L’expertise motrice de cet élève peut donc
être vécue par l’enseignant comme une contrainte importante que bien souvent il choisira de
laisser de côté en se focalisant sur les apprentissages moteurs d’élèves plus en difficulté. De
même, en se plaçant du point de vue de l’élève, ces deux cas de figure ne semblent pas
satisfaisants. Occultant et ne prenant pas en compte cette expertise et ce statut particulier au
sein de la classe, elles peuvent conduire à des réactions diverses de sa part et non contrôlables
par l’enseignant. Livré à son initiative personnelle et ne pouvant s’épanouir dans les activités
proposées il peut se révéler être une contrainte importante en adoptant des comportements
inadaptés et perturbateurs : s’opposer ou remettre en cause les propositions du professeur,
modifier la tâche, perturber le cours… Mais il peut également se révéler être une ressource
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importante en adoptant spontanément des attitudes favorables aux acquisitions scolaires et à la
dynamique classe : conseiller ses camarades, expliquer, aider, parer, assurer la
sécurité… Toutefois cette attitude, développée ici à l’insu de l’enseignant, va dépendre
fortement de la personnalité de l’élève considéré, de la logique interne de l’activité et du
contexte particulier de la classe.
Enfin le dernier niveau semble quant à lui plus pertinent. L’hétérogénéité du groupe
est ici une ressource et l’expertise d’un élève est manipulée par l’enseignant afin de devenir
un levier intéressant pour l’apprentissage de tous.
Ainsi l’activité de l’élève « expert » qui s’intègre dans un collectif semble pouvoir être
envisagée, aussi bien comme une contrainte que comme une ressource en fonction, d’une part
des choix de l’enseignant, du regard qu’il porte sur cette expertise et d’autre part de l’attitude
de l’élève qui émerge de ce contexte classe particulier.
La problématique de l’élève « expert », envisagée conjointement d’un point de vue
individuel et collectif, doit prendre en compte l’ensemble de la situation éducative qui intègre
à la fois cet acteur, l’enseignant, les autres élèves et le contexte scolaire dans lequel elle prend
place. Espérer comprendre cette question nécessite l’interrogation de ces différents pôles qui
sont inter-reliés. Or si leur prise en compte simultanée est impossible nous devons rester
vigilants et conserver à l’esprit leur présence et leur influence.
Au terme de cette première réflexion nous espérons avoir montrer l’ancrage de
notre travail sur une problématique quotidienne des enseignants d’EPS. Partant du
terrain cette recherche a donc prioritairement une visée utilitaire, ambition qui n’est pas
anodine et qui va orienter notre regard de chercheur, notre positionnement théorique et
nos choix méthodologiques.
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Chapitre 1 : REFLEXION THEORIQUE
Partie 1 : Exploration théorique du chercheur
En convoquant différents paradigmes scientifiques, renvoyant à des conceptions
différentes de l’activité humaine, nous interrogerons l’activité de l’élève « expert » puis nous
adopterons une posture scientifique en adéquation avec notre objet d’étude.
1. Un premier éclairage scientifique
1.1 L’activité de l’élève envisagée à partir des théories cognitivistes
A l’origine, les théories cognitivistes ou computo-symboliques ont envisagé l’individu
avec un regard externe sur le modèle de l’ordinateur. Ce modèle est basé sur un système
explicatif prescriptif où l’action des individus est déterminée par leur activité mentale elle-
même prescrite en partie par des contraintes externes issues de l’environnement. Ce dernier
est considéré indépendamment du sujet et de son action comme un système de contraintes
auxquelles l’individu doit s’adapter. La notion d’activité renvoie aux processus internes et
mentaux mobilisés par l’individu afin de répondre à un problème en tenant compte des
conditions et contraintes présentes dans l’environnement tandis qu’accomplir une action
consiste à exécuter ce plan préalablement formé (Schmidt 1993).
Dans ce cadre l’activité d’un élève « expert » se pose en terme de processus cognitifs
considérant l’élève comme un système de traitement de l’information. L’application de ce
modèle à notre objet de recherche permettrait par exemple d’analyser le traitement cognitif de
l’élève « expert » en comparaison avec celui de novices. Les études se référant à ce paradigme
sont principalement menées dans le milieu artificiel du laboratoire à partir de tâches
expérimentales évinçant la singularité du milieu naturel et quotidien au sein duquel s’insère
l’activité de l’élève et ne prenant pas en considération le caractère collectif des
apprentissages.
Ainsi, cette perspective, si elle peut nous renseigner sur l’origine cognitive des
différences d’habiletés entre experts et novices en terme de traitement de l’information,
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semble inopérante pour s’intéresser à la place de l’élève « expert » dans une situation réelle
de classe où dominent les interactions interindividuelles.
1.2 L’activité de l’élève à travers les théories socio-cognitives
En complémentarité de ces approches, les théories socio-cognitives se sont intéressées
plus spécifiquement aux relations entre individus, postulant que les apprentissages sont
influencés par les relations sociales. L’activité est envisagée ici comme une construction
interactive avec des pairs. Cette perspective semble donc intéressante pour envisager le rôle et
l’influence d’un élève « expert » en interaction avec ses camarades.
Ces travaux prennent notamment leur source dans les idées développées par la
psychologie sociale de Bandura (1977) et de Vygotsky (1934).
En effet Bandura (1977) dans une perspective interactionniste de l’apprentissage, déplore le
fait que la plupart des études portent sur l’individu sans tenir compte des réseaux sociaux où il
se trouve nécessairement engagé. A cet égard il affirme qu’un contexte interactif influence de
manière positive le développement des individus. Le comportement est la résultante de
l’interaction des personnes et des situations plutôt que l’influence d’un des deux facteurs
considérés séparément. C’est sur cette conception de l’interaction que se base la théorie de
l’apprentissage social développée par Bandura (1977). Si les comportements sont acquis soit
par expérience directe soit par observation, il pense que c’est cette dernière qui prévaut.
L’apprentissage social par observation consiste à se faire une idée sur la façon de produire un
comportement, à partir d’un modèle qui permet « la représentation symbolique » de l’action à
réaliser. Dans cette perspective l’action de l’élève « expert » pourrait jouer ce rôle de modèle
véhiculant une information continue et légitime quant à l’action que l’on souhaite voir réalisée
par les autres élèves. La présence d’un élève « expert » au sein d’une classe serait ici
envisagée de façon positive bien que cette influence reste passive.
En psychologie sociale du développement cognitif, Doise et Mugny (1981) s’inspirant
des travaux sur l’apprentissage social par observation ont mis sur pied des études qui visent à
combiner une approche individuelle et sociale de l’apprentissage intellectuel. Ils ont ainsi mis
en évidence que le contexte de travail collectif génère des coordinations interindividuelles que
les individus ne sont pas capables de réaliser individuellement : un contexte interactif entre
pairs permet un meilleur développement que lors d’un travail en solitaire. Ces auteurs vont
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plus loin en considérant désormais les individus engagés dans ces interactions comme étant
actifs.
Ces conclusions ont également été retrouvées dans le domaine des apprentissages
moteurs qui seraient eux aussi favorisés par un contexte interactif. Notamment les travaux
menés par D’Arripe-Longueville (1998, 2000, 2002) mettent en évidence que le contexte
interactif favorisant la constitution de dyades est plus efficace que le travail en solitaire.
Ces travaux, qui permettent de conclure que l’individu apprend plus efficacement avec
un pair qu’individuellement, semblent intéressants pour poursuivre notre réflexion sur la
gestion de l’hétérogénéité des élèves en classe. Pour cela il faut comprendre désormais en
quoi et de quelles manières les caractéristiques de ces dyades et des tâches proposées peuvent
influencer le type d’interaction et les progrès des élèves.
1.2.1 Le cas des dyades symétriques
Selon Doise et Mugny (1981) l’interaction sociale n’est constructive que si elle induit
une confrontation entre les solutions divergentes des partenaires. Ces auteurs se sont
principalement intéressés au cas de dyades symétriques avec des compétences à peu près
similaires dans la tâche proposée. Ils ont mis en évidence la notion de « conflit socio
cognitif » (CSC) comme source principale de progrès chez les élèves. Pour que le CSC se
produise et soit bénéfique, il faut que le niveau des partenaires soit identique face à la tâche,
mais que leurs centrations soient opposées et que les régulations se fassent au niveau cognitif
et non par soumission.
Ces conclusions nous amènent à relativiser l’influence positive d’un élève « expert »
au sein d’une dyade. En effet ce dernier étant constamment engagé dans des interactions
caractérisées par leur forte dissymétrie ne permet pas l’émergence d’un CSC qui serait
pourtant vecteur de progrès chez son partenaire. Toutefois si l’élève expert n’est pas
favorable au développement de CSC il semble légitime de s’interroger sur l’existence d’autres
mécanismes qui pourraient prendre naissance au sein de ces dyades dissymétriques que l’on
retrouve fréquemment en cours d’EPS et notamment dans un contexte de forte hétérogénéité.
16
1.2 .2 Le cas des dyades dissymétriques
A cet égard une autre branche de la psychologie sociale s’est intéressée aux dyades
dissymétriques avec inégalités de compétences. Cette perspective paraissant particulièrement
intéressante par rapport au rôle de notre élève « expert » nous nous attarderons plus
longuement sur ces travaux.
Ces études prennent leur source dans les idées développées par Vygotsky (1934) sur la
médiation sociale où les interactions avec des partenaires plus compétents, loin de constituer
un frein au développement d’une pensée autonome, lui sont indispensables. Il considère donc
le développement comme un processus d’assistance et il est notamment le précurseur de la
notion de « Zone Proximale de Développement » qui renvoie à la distance entre ce qu’un
sujet est capable de faire seul et ce qu’il peut réaliser avec l’aide d’un adulte ou d’un expert.
Prolongeant cette idée, Bruner (1983) dans une perspective de psychologie culturelle
de l’éducation, met l’accent sur l’importance de la culture humaine dans le modelage de la
conduite individuelle à travers des relations sociales interactives tutorielles. Le
développement humain est conçu comme un processus d’assistance, de collaboration, entre un
enfant et un adulte. Ce dernier peut être considéré comme un « expert » représentant et
vecteur d’une culture, l’enfant quant à lui serait le « novice ». Cette dyade très fortement
dissymétrique vise un projet commun : faire accéder le novice à cette culture. Finalement
l’expert joue en réalité un rôle de tuteur : on parle d’interactions de tutelle.
Ces premières données débouchent sur la notion fondamentale de « tuteur » qu’il nous
faut dès lors différencier de celle d’ « expert ».
Expertise et tutorat
Dans ce cadre d’analyse les notions de « novice » et d’ « expert » désignent deux
positions sur un continuum représentant les degrés de compétence, de savoir, ou de savoir
faire face à un domaine spécifique. En revanche Bruner (1983) définit le tutorat comme une
situation dans laquelle l’un des membres « connaît la réponse » et l’autre « ne la connaît
pas ».
Ainsi au premier abord la différence peut sembler minime entre ces deux notions
pourtant il est indispensable de ne pas confondre les dyades dites « expert / novice » de celles
désignées « tuteur / novice ». Elles se différencient par les objectifs que s’assignent les
partenaires « l’expert devient tuteur s’il assume volontairement ce rôle et se met en mesure
d’aider le novice à résoudre le problème ; il reste expert sans assumer les fonctions
17
tutorielles lorsque, s’avisant de la moindre compétence du partenaire dans une tâche qu’ils
doivent mener à bien, il prend en charge la planification des actions et leur exécution, en
laissant au novice un rôle mineur » (Winnykamen, 1996, p. 18). Les interventions du tuteur
ont pour objectif de transmettre au novice ce qui lui permettra de progresser dans la résolution
de la tâche. Ainsi « l’étayage » que l’expert apporte au novice est d’importance majeure
autant que l’est l’activité du novice que cet appui autorise.
D’un point de vue développemental le guidage de l’activité est d’abord exercé par des
partenaires sociaux (notamment les parents) puis progressivement elle sera prise en charge par
l’enfant lui-même (Wertsch 1985). A cet égard Pécheux et Labrell (1993) ont montré
comment, dans la relation à la mère le jeune enfant peut développer ses propres capacités en
se détachant progressivement de sa mère et en devenant de plus en plus autonome. Ces
travaux mettent en évidence comment l’enfant découvre son environnement et apprend à agir
sur les objets à travers ses interactions avec autrui. De même l’enseignant contribue à motiver
l’élève et à orienter son activité en lui signalant “les caractéristiques déterminantes” de la
situation. De toute évidence les progrès, dans le cadre de ces dyades fortement dissymétriques
(adulte / enfant ) où l’un des deux individus est « expert » et assume des fonctions tutorielles,
semblent relativement important avec une forte ambition de l’adulte à aider l’enfant à
apprendre.
Ces résultats obtenus dans le domaine intellectuel ont été confirmés dans le domaine
moteur où les interactions sont des échanges en situation de construction motrice et de
transmission de connaissance. Notamment Winnykamen et Lafont (1990) expliquent que les
processus d’ajustement réciproques ne peuvent être négligés lorsqu’un sujet apprenant et un
sujet modèle sont en interaction. Elles mettent en avant le phénomène « d’imitation /
modélisation interactive » : l’imitation est un processus actif de transmission et d’acquisition
des savoirs où les modifications des conduites d’un des partenaires de l’interaction entraînent
la modification des conduites de l’autre, et réciproquement. Ainsi Lafont (2002) montre que
l’« imitation-modélisation interactive » serait plus efficace en terme de progrès que la
« démonstration explicitée » classique. En effet le modèle (expert), en situation de tuteur,
apporte à sa performance les modifications qu’il juge utile, en fonction de ce qu’il observe à
son tour de la production imitative du sujet imitant. On peut là encore faire référence à Bruner
(1983) qui met en évidence deux grandes phases dans la relation tuteur-novice : la
démonstration et la régulation dans l’action où le tuteur imite une action du novice allant dans
le sens de la solution et la complète jusqu’au produit fini. Les actions du novice agissent donc
18
sur l’action de « l’expert tuteur » qui elle-même est source de nouvelles actions de
l’apprenant.
Suite aux conclusions de ces études il semble que tout comme les dyades paritaires, les
relations dissymétriques « expert-novice » sont elles aussi vecteurs de progrès pour le novice.
Toutefois le mécanisme à la source de ces transformations n’est pas le même et semble
particulièrement efficace lorsque l’expert développe une conduite de tutelle. Dans le cadre
scolaire qui nous intéresse il est évident que, si elles semblent pertinentes, les interactions
« tuteur / novice » menées par l’enseignant sont plutôt rares étant donné que ce dernier est
seul face à 25 ou 30 élèves. Les situations dyadiques fréquemment observées ont donc
majoritairement lieu entre élèves qu’elles soient suscitées par l’enseignant à des fins
d’apprentissage ou qu’elles apparaissent de façon spontanée. Par exemple D’Arripe-
Longueville, Huet, Guernigon (2000), dans une expérience d’apprentissage du virage en
brasse, mettent en évidence que le contexte interactif au sein des dyades engendre le
développement de conduites sociales différenciées. Les conduites de tutelle ont été
exclusivement identifiées dans les dyades dissymétriques, tandis que les conduites de
coopération se sont exclusivement manifestées dans les dyades symétriques. Enfin, les
conduites parallèles ont été observées aussi bien dans des dyades dissymétriques que dans des
dyades symétriques.
Les conclusions de cette étude sont particulièrement fructueuses par rapport à notre
objet d’étude en mettant en évidence qu’au sein de dyades dissymétriques deux types de
relation peuvent avoir lieu : ou bien l’élève « expert » s’engage dans une relation de tutelle
avec le souci partagé de faire progresser le novice ou bien l’élève reste passif et ne se soucie
pas de faire profiter son partenaire de son expertise. Cependant, si des situations de tutelle
semblent pouvoir émerger spontanément au sein d’un cours d’EPS, elles ne sont pas
systématiquement adoptées par l’élève « expert » et il semble indispensable de nous interroger
quant à leur efficacité réelle.
A cet égard toutes les études qui se sont intéressées à la relation « expert – novice »
montrent que dans des dyades dissymétriques la relation « adulte / enfant » donne des
résultats supérieurs à celles « enfant / enfant » (Winnykamen, 1996). Cette différence venant
principalement selon Gartner, Conway-Kohler, et Riessman, (1971) d’une faible prise en
charge spontanée des fonctions tutorielles par l’enfant et d’une capacité distincte à s’adapter
aux besoins du novice. Ainsi nous sommes en droit de penser que les interactions en classe
qui mettent en jeu deux élèves de niveau hétérogène risquent de rester sur une relation
19
« novice - expert » où ce dernier ne pourra pas assumer un rôle de tuteur. Face à ce constat
deux travaux nous ont semblé particulièrement éloquents. Tout d’abord celui de Vandenplas-
Holper (1987), cité par Winnykamen (1996), qui s’est penché sur la gestion tutorielle par
l’adulte des activités tutorielles des enfants. Il montre en quoi les échanges entre enfants
doivent permettre à l’expert d’aider les plus novices dans leur progression. Mais ils ne le font
pas spontanément, l’adulte doit les inciter à se comporter en tuteur. Ainsi dans le cadre
scolaire de l’élève « expert » il est fort probable que l’enseignant ait un rôle important à jouer
dans le développement d’une attitude de tutelle. Enfin celui de Legrain et D’arripe-
Longueville, (2000) mettant en évidence que le tuteur peut tirer bénéfice d’une formation au
managérat. Là aussi il peut être intéressant d’amener l’élève « expert » à acquérir des
compétences dans le domaine du tutorat. Enfin il est intéressant de noter que certaines études
menées par Topping et Ehly (1998) montrent un bénéfice commun pour le tutoré et le tuteur
car celui qui enseigne apprend une seconde fois et l’exercice d’un tutorat génère des bénéfices
motivationnels plus élevés qu’une simple pratique. L’élève « expert » assumant un rôle de
tuteur pourrait ainsi également tirer des bénéfices de cette interaction.
Ces réflexions offrent des pistes pour l’enseignant qui souhaite s’intéresser à la place
et aux acquisitions autres que motrices de l’élève « expert» en lui permettant de développer de
nouvelles compétences relatives au rôle de tuteur et favorisant parallèlement les
apprentissages moteurs de ses partenaires.
Cependant toutes ces études, si elles apportent un éclairage très intéressant aux
interactions dyadiques, n’ont lieu qu’à partir de protocoles expérimentaux où l’individu
« expert » est le plus souvent entraîné à la tâche préalablement pour les besoins de
l’expérience. Cette « expertise » semble donc un peu artificielle et n’est pas le résultat d’un
vécu important dans l’activité. Dans le cadre des habilités motrices et de l’hétérogénéité en
classe, un élève « expert » possède une « réelle expertise » inscrite dans le passé et résultat de
nombreuses heures d’entraînement. Elle semble donc plus complexe qu’une tâche qui peut
s’apprendre en quelques heures pour les exigences d’une expérience. C’est pourquoi nous
sommes en droit de nous interroger si, dans le cadre d’acquisitions motrices, un élève
« expert » ne pourrait pas être vecteur d’apprentissages au sein d’une dyade enfant / enfant au
même titre qu’une dyade adulte / enfant. De plus il faut ajouter que nous nous intéressons à
l’enseignement secondaire qui concerne certes des enfants mais également des adolescents et
même de jeunes adultes qui possèdent donc a priori les capacités à adopter spontanément des
rôles de tuteur.
20
De plus on peut se demander si ces conclusions issues d’études qui se sont focalisées sur des
dyades sont effectivement opérationnelles dans le cadre d’un cours d’EPS qui met en
collaboration toute une classe. En effet il nous semble que les contraintes liées au contexte
social peuvent jouer un rôle dans l’établissement et le maintien des relations dyadiques et de
leur caractère symétrique ou dissymétrique. Notamment le statut des partenaires (bon,
mauvais élève…) et la représentation qu’ils ont des autres peuvent induire des conduites
relationnelles différentes. Aussi, si ces approches dites « traditionnelles » nous ont apporté
des éléments pertinents pour appréhender certaines dimensions de l’influence d’un élève
« expert » au contact d’autres individus, elles ne permettent pas d’atteindre un modèle
intégrateur de l’ensemble des actions et interactions existantes dans la situation éducative et
les résultats ne peuvent être transposés directement sur la réalité des contextes scolaires. Il
paraît donc indispensable de vouloir adopter une autre démarche scientifique privilégiant un
ancrage sur les pratiques réelles et permettant d’envisager l’activité de l’élève expert au sein
de la situation éducative dans toute sa complexité et sa globalité.
2. Les apports d’une approche écologique
Face aux limites de cette decontextualisation issue de « l’orthodoxie cognitiviste »
(Varela 1989) qui domine les études scientifiques depuis 1950, une approche dite
« écologique » s’est construite autour de l’hypothèse d’une influence importante du contexte
dans lequel prend scène l’activité de l’individu. Cette approche postule que l’authenticité du
cours d’EPS à partir duquel s’est progressivement construit notre objet d’étude ne peut être
reconstruit artificiellement en laboratoire. Ainsi pour aborder de manière satisfaisante
l’activité d’un élève expert en EPS nous sommes contraints de travailler à partir d’une
situation naturelle, c'est à dire dans le contexte réel d’une classe.
A cet égard Doyle (1986) s’inscrivant dans le paradigme de "l’écologie de la classe"a pour
ambition d’appréhender les relations entre les demandes de l’environnement, c'est-à-dire les
situations scolaires réelles et la manière dont les différents acteurs y répondent. Prolongeant
ces travaux Siedentop (1994 p.98) envisage le processus d’enseignement-apprentissage
comme composé de trois « systèmes de tâches » dont l’interrelation fonde l’écologie de la
classe. Le système des tâches d’organisation, relié « à des aspects comportementaux et
organisationnels de l'éducation physique » (fonctions qui n'ont pas de rapport direct avec la
matière) ; le système des tâches d’apprentissage, relié à la matière enseignée aux
« apprentissages que l'enseignant a l'intention de faire réaliser aux élèves pendant leur
21
participation aux activités proposées » ; et le système d’interactions sociales entre les élèves
qui fait référence « à leurs intentions d'entretenir des relations sociales avec les autres
participants pendant les leçons d'éducation physique ». C’est la façon dont ces systèmes se
développent, s’influencent en relation avec les contingences scolaires qui forme « l’écologie
de la classe ». Peu prévisible et difficilement observable le système des interactions sociales
tient une place particulière car il n’est pas prescrit par l’enseignant et traduit les
préoccupations propres des élèves qui peuvent dépasser celles liées au travail scolaire.
Cette approche originale des contextes scolaires nous a semblé intéressante par rapport
à notre objet d’étude car les travaux réalisés apportent de nouvelles conclusions sur l’activité
réelle des élèves et sur les stratégies mises en place face aux exigences scolaires. Dès 1968,
Becker, Geer et Hughes pointent le rôle majeur de l’évaluation scolaire dans le
fonctionnement de la classe. Cette tendance fut confirmée par Doyle (1986) qui parlant de
« transaction des performances contre des notes » montre que l’évaluation serait l’un des
facteurs contrôlant l’équilibre et le développement des systèmes de tâches. D’autres études
ont également mis en avant la tendance des élèves à modifier les tâches initialement prescrites
(Marks 1988 et Son 1989) à négocier les exigences de ces tâches ( Hastie et Pickwell, 1996), à
esquiver les demandes tout en s’acquittant ostensiblement des tâches d’organisation,
manifestant ainsi un comportement scolaire acceptable (Tousignant et Siedentop, 1983). Tous
ces éléments se trouvent synthétisés dans la formule d’Allen (1986) qui considère que
l’activité des élèves en classe serait guidée par deux tendances : « éviter l’ennui » et « éviter
les ennuis ».
Cependant ces approches réalisées en situation naturelle bien que renouvelant le regard
scientifique posé sur notre objet d’étude possèdent une limite importante : la désincarnation
c’est à dire l’absence de prise en compte du point de vue singulier de chaque individu face à
la situation avec le risque d’aboutir à des prescriptions déshumanisées et dépersonnalisées. En
effet ces études en s’intéressant uniquement au comportement externe et observable à partir
du recueil des actions, verbalisations et interactions entre élèves ne permettent pas de
comprendre l’activité réellement vécue par l’acteur. Ainsi l’observation extrinsèque menée
par le chercheur dans un cadre « écologique » permettrait une première analyse de l’activité
d’un élève « expert ». Toutefois cette dernière resterait superficielle en évinçant les
préoccupations, signification et intentions réelles qui guident à chaque instant son activité.
22
3. Un cadre d’analyse pertinent : Les théories de l’action située
Pour dépasser ces limites portées par les modèles « cognitivistes » et « écologiques »
un nouveau paradigme se développe depuis les années 1980. En plein essor aujourd’hui il
regroupe différents courants sous l’appellation des théories « situées » de l’action. Néanmoins
malgré de nombreuses recherches dans les sources bibliographiques que nous avions à notre
disposition nous n’avons pu relever de travaux se réclamant des approches situées et portant
spécifiquement sur notre objet d’étude. Aussi tout en effectuant un détour par quelques
considérations théoriques issues d’autres champs que celui de l’enseignement nous nous
efforcerons de montrer en quoi un positionnement théorique au sein des approches « situées »
semble pertinent pour appréhender l’activité d’un élève « expert » au sein d’une classe.
3.1 Un renversement épistémologique : Une activité « auto-organisée »
Les théories de l’activité et notamment de « l’action située » abordent l’activité
humaine en récusant l’idée d’une séparation entre l’individu et son environnement. Les
travaux de Varela (1989) ont servi de base au développement de ces approches qui se veulent
en rupture avec les paradigmes traditionnels du cognitivisme.
La réflexion initiale prend ses racines dans le domaine biologique à partir de
l’hypothèse de l’« autopoïese ». Cette dernière envisage les systèmes vivants comme
autonomes et dynamiques, interagissant avec l’environnement selon un « couplage
structurel ». Le système est alors dit « auto-organisé » en ce sens qu’il auto-détermine son état
d’instant en instant, considérant simultanément l’environnement et sa propre dynamique. Le
concept de « clôture opérationnelle » vient préciser ce modèle en affirmant que les
perturbations ne peuvent être appréhendées que sous le regard intrinsèque du système lui-
même. En effet les éléments de perturbation externes et internes sont indistincts et ne prennent
sens que du point de vue interne du système, révélant le caractère asymétrique de cette
relation.
Selon Varela (1989), l’activité humaine répond à ce modèle de l’autopoïese. Ainsi le
monde ne se présente pas à nous comme un ensemble de caractéristiques bien nettes : c’est
notre engagement dans les situations qui fait émerger les éléments pertinents du monde avec
lesquels nous interagissons. Notre activité a donc une autonomie, des propriétés d’auto-
organisation, elle est improvisée, imprévisible et fruit d’une dynamique intrinsèque résultat
d’un couplage structurel avec le monde.
23
Deux éléments essentiels se dégagent alors par rapport à la compréhension de
l’activité humaine qui est dite « autonome » :
- elle est indissociable du milieu dans lequel le sujet évolue et avec lequel il entretient
une relation dynamique et circulaire : il nous faut l’étudier in situ.
- elle est considérée comme une activité cognitive de production de significations car
l’acteur interagit avec les caractéristiques de la situation qui sont pertinentes par rapport à sa
dynamique interne : il nous faut l’envisager à partir du point de vue intrinsèque de l’acteur.
Autour de ces postulats de base plusieurs courants se sont développés abordant
l’activité humaine selon un niveau d’analyse et un angle d’attaque différents dont nous allons
maintenant rendre compte en pointant leur intérêt par rapport à l’analyse de l’activité d’un
élève « expert ».
3.2 L’activité comme couplage entre l’individu et son environnement
3.2.1 Une activité située dans un contexte particulier
Travaillant dans le domaine de l’ergonomie, Suchman (1990) a développé l’idée selon
laquelle l’action n’est pas l’exécution d’un programme établi à l’avance qui l’organiserait de
manière préscriptive mais est singulière, indéterminée résultant de l’intrication entre un
individu et son environnement. Elle parle de « plan ressource » en ce sens qu’il ne prescrit pas
l’action des individus mais qu’il reste un guide indispensable. De plus cette action personnelle
de l’acteur va modifier en retour l’environnement offrant ainsi de nouvelles possibilités au
déploiement de son action.
Dans le champ de l’EPS, l’environnement particulier et varié au sein duquel se déploie
l’activité des élèves est une ressource qui délimitent le champ des possibles en jouant un rôle
d’affordance (Gibson, 1979). Cependant il « ne prescrit pas l’action, il est juste un soutien
face au caractère indéterminé de son issue » (Hauw, 2002, p. 55 ). En effet il est évident que
si le contexte est commun à tous les élèves de la classe chacun déploie à son contact une
action autonome et imprévisible selon un processus complexe de co-détermination.
C’est pourquoi la compréhension de l’activité de l’élève « expert » au sein du cours
d’EPS ne peut faire abstraction de l’environnement au sein duquel elle prend scène et avec
lequel elle entretient une interaction singulière et circulaire.
24
3.2.2 Une perspective d’activité incarnée
Les actions, prenant scène au travers d’un corps, suscitent une expérience corporelle
singulière. Cette dernière serait à l’origine du rapport particulier que l’individu engage avec le
monde qui l’entoure et duquel découlerait des actions qui lui sont propres. Par exemple en
neurophysiologie de l'action, Berthoz (1997) affirme que « la perception est une action
simulée » (p 287). Autrement dit, si la perception guide les actions de l’individu, ces
dernières ouvrent elles-mêmes un monde perceptif pertinent pour le sujet par rapport à une
action à réaliser. De même les travaux de Damasio (1995) postulent l’existence de
« marqueurs somatiques ». Issues des expériences émotionnelles passées ils orientent les
intentions et contribuent à la spécificité des actions. Ainsi cette perspective incarnée nous
invite à considérer la cognition et l’action comme dépendants des types d’expériences liées au
fait d’avoir un corps doté de capacités sensori-motrices et s’inscrivant dans un contexte
particulier.
Dans le cadre d’une réflexion ayant trait à l’activité d’un élève en cours d’EPS, cette
perspective nous a semblé incontournable étant donné la spécificité corporelle de la discipline.
L’élève « expert » se caractérisant par des capacités motrices de haut-niveau entretient
certainement un rapport tout à fait spécifique à un environnement alors adapté au cadre
scolaire. Par exemple si la présence de haies lors d’une séance d’athlétisme appelle chez cet
individu une reprise active derrière l’obstacle qu’il jugera trop bas, elle renvoie en revanche à
une impulsion très verticale de l’élève débutant auquel cet obstacle démesurément haut posera
un véritable problème moteur. De même son expérience corporelle et notamment
émotionnelle diverge certainement beaucoup de celle des autres élèves. En effet la perspective
de réaliser un salto avant à partir d’un trampoline, si elle peut susciter chez le débutant de la
crainte ou une forte excitation liée à la découverte de nouvelles sensations aériennes, le
gymnaste habitué à réaliser des doubles saltos arrières tendus n’éprouve sûrement pas les
mêmes émotions.
Cette première série de travaux s’est intéressée à l’activité humaine en se centrant plus
particulièrement sur la dynamique des relations entre un individu et son environnement en
adoptant un regard extérieur décrivant et mettant en rapport des actions et des spécificités
environnementales. Ainsi la singularité de l’activité, interprétée comme émergeante d’un
25
rapport singulier au monde, est reconnue et prise en compte mais elle n’est pas envisagée à
partir du point de vue de l’individu et des significations qu’il développe.
3.3 L’activité comme construction de significations
3.3.1 Une activité vécue
Ces courants défendent l’idée d’une autonomie de la cognition humaine et d’une
construction permanente de significations au cours de la situation. A cet égard Lave (1988)
établit une distinction entre « arena » et « setting ». Par « arena » il fait référence à la
dimension objective du contexte, c’est-à-dire au cadre matériel et social qu’offre
l’environnement où se déploie l’activité de l’acteur et qui est commun à tous les sujets. Par
« setting » il désigne au contraire la dimension subjective du contexte, c’est-à-dire celle vécue
par chaque acteur et construite par son activité. L’acteur puise dans « l’arena » certains
éléments qui lui sont significatifs et lui permettent de déployer de façon autonome une action
unique et non déterminée à l’avance. Ainsi, engagés dans le même « arena » deux acteurs
construisent des « settings » différents. Contrairement à l’approche cognitiviste, le milieu est
ici moins une contrainte qu’une ressource pour l’activité humaine.
De même dans le domaine de l’enseignement et des apprentissages moteurs Hauw
(2002) parle de « situation » pour désigner « ce que le sujet prend réellement en compte pour
effectuer son action » (p.55). Ainsi l’ « arène » du cours d’EPS oriente le développement des
actions des élèves, sans toutefois les prescrire puisque chaque élève leur attribue une
signification et une interprétation particulière. En effet comme le précise Durand (2001)
« c’est l’intention ou le projet de l’acteur qui ouvre un champ de possible au sein duquel se
construit pas à pas de façon indéterminée une action organisée » (p.49). Finalement
l’enseignant dépose des signes dans l’environnement avec l’espoir qu’ils soient significatifs
pour les acteurs. Cependant la situation vécue par l’élève reste une construction personnelle
en fonction de ses relations avec le milieu matériel, les autres élèves et l’enseignant.
De part la spécificité du vécu important d’un élève « expert » dans l’APSA pratiquée,
la prise en compte de ces significations semble indispensable à la compréhension de son
activité.
26
3.3.2 Une activité cultivée qui s’inscrit dans une histoire personnelle
Ces approches considèrent l’activité comme s’inscrivant dans une histoire particulière
issue d’événements passés et prenant racine dans une culture particulière.
En effet en dépit de son caractère singulier, l’action présente et exploite des
régularités, des invariants issus du passé selon un processus de typification (Gal et Durand,
2001). Rosch (1999) définit cette notion comme la tendance à catégoriser les expériences à
partir de jugements de ressemblance. L’individu au fur et à mesure de ses actions, établit des
normes propres, se construit un monde subjectif, par la reconnaissance de certaines
expériences singulières en tant que phénomènes typiques, c’est à dire récurrents dans des
contextes perçus comme similaires. Ainsi le contexte de la classe sera perçu différemment par
chaque élève en fonction de son expérience passée.
Toutefois l’élève « expert » possède vis à vis de l’APSA une double histoire qui va
guider ses actions par la reconnaissance de formes typique dans l’environnement. Tout
d’abord une expérience sportive de haut niveau solidement ancrée et qui peut ne pas être en
adéquation avec les exigences scolaires. Mais également une expérience scolaire l’engageant
dans un rapport nouveau à l’activité. On peut ainsi supposer que ces deux expériences vont
rentrer en compétition et peuvent être à l’origine de réactions inadaptées. Pour illustrer notre
propos nous pouvons envisager le cas où l’élève « expert », en situation de tirer au but, va
utiliser toute la puissance dont il a besoin pour marquer habituellement lors de sa pratique
compétitive alors qu’il se trouve face à un gardien de but novice.
Prolongeant cette analyse dans une perspective dite « cultivée », Bruner (1996) affirme
qu’on ne peut véritablement prétendre étudier l’activité humaine sans prendre en
considération comme fait central qu’elle est toujours empreinte d'une culture au sens de
significations partagées. La nature et la culture donnent forme à la fabrication de
significations : « la biologie contraint, la culture façonne » (p.38)
Vis à vis de l’élève « expert » en EPS on peut faire les mêmes conclusions que
précédemment en suspectant un risque de contradiction entre une culture sportive et une
culture scolaire.
L’ensemble de ces approches nous a donc apporté des éléments intéressants pour
l’analyse de l’activité d’un élève. Cependant le regard est resté axé sur une relation acteur /
environnement. Les activités des sujets impliqués dans la situation sont juxtaposées et
27
analysées de façon isolée, de plus la situation éducative est scindée artificiellement en sous
domaines d’activité. Aussi il nous faut désormais envisager la situation éducative
simultanément dans sa globalité (le système classe) et sa complexité (les interactions).
3.4 L’activité comme inscription dans un système complexe
3.4.1 L’apprentissage situé
Ces travaux menés initialement par Brown, Collins, Duguid (1989) s’intéressent plus
particulièrement à la question des apprentissages. Ces auteurs mettent en question une approche
classique qui postule le savoir comme un objet autonome. Au contraire ils affirment que ce
dernier est toujours « situé » et « incarné » c’est à dire que les situations desquels il est issu font
partie intégrante de ce qui est appris. Notamment dans l’enseignement, le savoir alors
« scolairement situé » est indexé aux situations et aux exigences de la réussite à l’école.
Les mêmes constats ont été réalisés par Kirk et Kinchin (2003) qui dénoncent une conception
« décontextualisée » de l’éducation physique scolaire et concluent que tout apprentissage est
incorporé dans l’activité collective d’une communauté dont la spécificité définit des possibilités
d’apprentissage.
Cette idée semble particulièrement importante à prendre en compte dans une classe où évolue
un élève « expert ». En effet il est évident que si son expertise est incontestable et se révèle
parfaitement dans la logique fédérale, son efficacité dans le domaine scolaire ne va pas de soit.
Prenons par exemple le cas d’un volleyeur. Lors d’un match nécessitant une collaboration avec
des élèves ne possédant pas la capacité d’effectuer une attaque smashée, la passe arrière tendue
qu’il maîtrise si bien ne sera pas adaptée. Nous sommes donc amenés à nous interroger, d’une
part sur l’adaptation des compétences de haut niveau de cet élève et d’autre part sur la
construction probable de nouveaux savoirs et savoir faire relatifs au contexte de la classe.
Parallèlement, il est important de s’interroger sur l’influence qu’un élève « expert » peut avoir sur
les apprentissages de ses camarades. En effet la présence de cet individu dans une équipe de sport
collectif va offrir à ses partenaires des potentialités d’apprentissage nouvelles et inattendues qui
peuvent sembler élever artificiellement le niveau de chacun. Ainsi, l’activité de l’élève « expert »
se coordonne à celle des autres, en faisant émerger des comportements et des apprentissages que
l’on peut qualifier de « situés » car porteurs des circonstances de leur acquisition en l’absence
desquelles ils peuvent ne plus être opérationnels.
28
3.4.2 Une activité inscrite au sein d’une communauté de pratique
Dans une perspective d’anthropologie sociale Lave et Wenger (1991) sont à l’origine de
la notion de communauté de pratique. Ce terme renvoie à « un groupe qui interagit, apprend
ensemble, construit des relations et à travers cela développe un sentiment d’appartenance et
de mutuel engagement ». L’activité de ce groupe passe par la définition d’une entreprise
commune, l’élaboration d’intérêts, préoccupations et buts communs, la négociation de normes
collectives légitimes, l’utilisation de ressources communes. Le savoir y est socialement
négocié à travers des formes spécifiques de communication à propos des activités partagées.
Dans cette perspective la classe peut être assimilée à une communauté de pratique. A cet
égard les travaux menés par Casalfiore, Bertone et Durand (2003) ont notamment montré en
quoi les transactions pédagogiques et les négociations de significations partagées qui ont lieu
en classe favorisent le maintien d’un équilibre viable entre les différents acteurs.
L’activité de l’élève expert peut être interroge par rapport à son rôle vis à vis de
l’élaboration de cette entreprise commune. En effet porteur de références et de compétences
de haut niveau il peut susciter une dynamique positive et permettre à la communauté
d’adopter des objectifs qu’elle n’aurait pas envisagée sans sa présence. De plus il peut être
intéressant de s’intéresser à la nature et à l’impact des négociations engagées par un élève
« expert » que ce soit vis à vis de ses camarades ou de l’enseignant. Par exemple lors d’un
cycle de volleyball la force des services peut faire l’objet de négociations entre un élève qui
voudrait s’amuser et montrer ses compétences, un enseignant qui souhaite favoriser la
continuité du jeu et des camarades qui n’osent pas essayer de réceptionner.
Malgré ces normes communes, négociées et partagées par l’ensemble de la
communauté, les élèves s’engagent parfois dans les tâches d’apprentissage selon de nouvelles
normes qui peuvent passer inaperçues et rentrer en contradiction avec les choix de
l’enseignant. Dans le cadre d’études récentes cet engagement a été envisagé à travers
l’identification du faisceau de préoccupations de l’élève à chaque instant. Notamment Rossard
et Saury (2004) ont montré que la structure coopérative ou compétitive des tâches
d’apprentissage en badminton ne détermine pas à elle seule l’engagement des élèves dans une
activité coopérative ou compétitive. Ainsi ils mirent en évidence une tendance à la
coopération dans les tâches d’opposition avec un enjeu évaluatif perçu et à l’opposition dans
les tâches de coopération sans enjeu évaluatif. De même Huet, Saury et Rossard (2006) se
29
sont intéressés à la fluctuation du faisceau de préoccupations de collégiens pendant les leçons.
L’élève serait ainsi engagé dans différentes préoccupations en relation avec les conditions
sociales et les systèmes de tâches. Ces travaux ont également mis en évidence l’existence d’un
nombre important d’activités dites « clandestines » car passant inaperçues aux yeux de
l’enseignant et perturbant les activités dites « scolaires » à visée d’apprentissage.
L’engagement de l’élève « expert » dans ces activités nous semble particulièrement
intéressant à interroger, d’autant plus que l’enjeu évaluatif ne sera pas le même que ses
camarades. En effet s’ennuyant dans des activités scolaires inadaptées, il est possible qu’il
investisse de manière importante ces comportements non souhaités perturbant les réalisations
de ses camarades. Appréhender l’activité de cet individu dans son rapport à la communauté de
pratique « scolaire », permet une analyse qui se réfère à des normes collectives qu’il participe
à construire.
3.4.3 Une activité construisant et révélant une culture commune partagée
Cette idée de communauté de pratique peut être prolongée en considérant avec Lave et
Wenger (1991) qu’apprendre consiste finalement à co-construire cette communauté par
l’élaboration de significations et de savoirs partagés à l’origine d’une culture commune.
Mottier-Lopez et Allal (2004) insistant sur cette dimension culturelle et socialement située des
apprentissages scolaires confirment que ces derniers passent par l’appropriation et la
construction collective d’une micro-culture de classe.
Dans le contexte de l’EPS, ce phénomène se reflète à travers l’évolution des relations
que l’élève entretient avec les autres acteurs, le matériel et l’APSA enseignée. L’engagement
de l’élève est en effet constitué par un faisceau de préoccupations multiples et récurrentes
révélateur de cette micro culture et pouvant évoluer au cours du cycle (Durand, Saury et Sève,
2005).
L’activité de l’élève « expert » peut être envisagée au travers la construction et
l’appropriation de cette culture commune dont la spécificité scolaire risque d’entrer en conflit
avec la culture fédérale qu’il véhicule. A cet égard Cobb et Bowers (1999) cités par Mottier-
Lopez et Allal (2004) envisagent l’apprentissage, comme « à la fois un processus actif de
construction individuelle et un processus d’acculturation aux pratiques sociales et culturelles
institutionnalisées dans la société » (p.76). L’analyse du faisceau de préoccupation d’un élève
30
« expert » peut être un bon indicateur de l’évolution du rapport entretenu vis à vis de la micro-
culture classe et du phénomène d’acculturation à la référence fédérale.
3.4.4 Une activité comme trajectoire de participation
Au sein d’une communauté de pratique les individus peuvent être engagés à des
degrés divers avec une place et un rôle particulier fonction notamment de la distance qui les
sépare du modèle de référence. Cependant cet engagement et ce positionnement n’est pas
statique et peut changer soit par une modification personnelle en direction du centre de la
communauté soit à cause d’une évolution de la référence légitime. Aussi Lave et Wenger
(1991) envisagent l’apprentissage comme une trajectoire de participation au sein de la
communauté de pratique où il prend scène. Ils développèrent cette idée à travers la notion de
« participation périphérique légitime » selon laquelle la participation d’un individu se
développerait graduellement dans le cadre d’une participation de plus en plus active à la
communauté de pratique et s’effectuant de la périphérie vers le centre. Ce processus
s’accompagnerait d’un « compagnonnage cognitif » dans lequel, grâce aux interactions entre
membres, chaque personne prend davantage de responsabilités, et s’intègre de plus en plus à
la culture de cette communauté.
Ainsi au sein d’une classe il existerait une organisation collective où certains élèves
plus au centre serviraient de référence alors que d’autres adopteraient une position plus
périphérique. De plus l’apprentissage s’accompagnerait d’un effort pour ces élèves de se
rapprocher de l’activité considérée comme légitime au sein de cette communauté de pratique.
L’activité de l’élève « expert » peut ainsi être questionnée par rapport à son
positionnement au sein de la communauté de pratique et donc à son influence sur ses
camarades. Comme nous l’avons vu, il est porteur de normes particulières, certainement
proches de la pratique fédérale, qu’il ne partage pas avec les autres élèves et qui vont
certainement influencer son engagement. On peut penser que gardant des références
inaccessibles aux autres élèves il puisse être relégué à la périphérie mais modifiant son cadre
de référence et adoptant des normes en adéquation avec ses camarades il puisse être amené à
occuper une place centrale servant alors de modèle. Enfin il semble intéressant de s’interroger
sur le rôle de cet élève dans l’intégration des autres au sein de la communauté de pratique.
31
3.4.5 Une activité distribuée : notion de format pédagogique
Cette dernière perspective souhaite embrasser la situation éducative dans toute sa
complexité en intégrant l’ensemble des éléments co-présent et participant à sa dynamique,
notamment à travers les interactions entretenues avec les objets. Les travaux de Norman
(1993) sont à l’origine du rôle « artefactuel » reconnu aux objets : ces derniers ne sont plus
des éléments neutres et périphériques mais ils acquittent pour nous des fonctions cognitives
(représentation, mémorisation et planification). De plus ils jouent un rôle important dans la
relation entretenue par les sujets co-présents en offrant la possibilité d’un partage
d’informations collectives. Prolongeant cette perspective, Hutchins (1995) a développé l’idée
de « cognition distribuée » selon laquelle, au sein de tout système collectif, les éléments
environnementaux font partie intégrante de son fonctionnement au même titre que les
individus avec lesquels ils interagissent. Aussi l’activité d’un sujet envisagée isolément n’a
aucun sens. Ainsi ces courants dépassent l’idée de fonction de « contrôle » sur l’action de
l’environnement développée par Suchman (1990) en lui donnant finalement une fonction
« cognitive » à part entière qui se diffuse entre « agents et éléments de la situation ».
(Salembier 1996).
Aussi adaptant cette approche au domaine particulier de l’enseignement Durand
(2001) considère le système classe comme une unité cognitive au sein de laquelle
l’enseignant, les élèves et les objets présents ne sont que des composantes. L’activité
individuelle de chaque élève ne peut être comprise qu’en rapport avec le système classe. Ce
dernier déploie une dynamique collective complexe et mouvante qui elle-même évolue au gré
de la coordination d’actions personnelles et imprévisibles. Ainsi l’enseignant prépare sa
séance, organise l’environnement, place le matériel, délimitant ainsi l’ « arène » au sein de
laquelle va se déployer l’activité collective et individuelle des élèves. Ce cadre de travail ou
« format pédagogique » (Hauw 2002) oriente la façon dont les acteurs interagissent. A titre
d’illustration Gal Petitfaux et Durand (2001) ont montré comment en natation, l’adoption d’un
travail en « file indienne » influence un développement particulier des actions. Du côté des
élèves, ce format pédagogique impose un rythme, une intensité de nage et du côté de
l’enseignant, ce contexte de travail l’informe directement des actions des élèves tout en
l’incitant à organiser spatialement ses interventions.
L’activité de l’élève « expert » serait une composante particulière du système classe.
Notamment il semble intéressant de l’étudier à travers le format pédagogique où elle prend
place et à la dynamique duquel elle participe. Par exemple, en reprenant l’idée de la file
32
indienne, on peut se demander comment l’activité d’un nageur confirmé et beaucoup plus
rapide que les autres va pouvoir s’y intégrer.
3.5 Une synthèse indispensable : Vers une distinction Activité – action
Ces considérations théoriques nous amène à opérer une distinction entre activité et
action. Nous adopterons pour cela le point de vue de Vermersch (1994) pour qui
l’activité renferme tous les processus qui sont mis en jeu par un acteur dans une situation
tandis que l’action renvoie à ce qui, dans cette activité, est significatif pour l’acteur. L’analyse
globale de l’activité nécessite donc d’appréhender l’action réellement vécue en prenant en
compte le point de vue de l’acteur qui sera ici un élève « expert ». L’activité sera donc
envisagée comme une totalité « au sein de laquelle cognitions, émotions, actions… ne sont
que des facettes d’une même réalité indécomposable » (Durand, 2001, p. 47).
Adoptant un nouveau regard sur l’activité humaine les perspectives « situées » nous
ont ainsi amenés à considérer que l’action possède une dynamique singulière évoluant au fil
du temps dans une relation circulaire de co-détermination avec la situation. A cet égard Varela
(1989), en affirmant que l’on s’adapte au monde que l’on crée en créant le monde auquel on
s’adapte, illustre ce refus de séparer l’individu de son environnement qu’il soit matériel,
humain ou symbolique.
4. Un positionnement scientifique pour éclairer une question pratique
4.1 Vers l’affinement de notre objet d’étude
Comme nous l’avons argumenté en point de départ de notre réflexion, la présence de
l’élève « expert » au sein d’une classe peut être assimilée à un cas extrême d’hétérogénéité
souvent délaissé par les enseignants. Au contraire, cette situation éducative particulière nous a
semblé être une problématique originale et intéressante pour l’enseignement. Différents
angles d’attaque se proposaient à nous et nous avons choisi de l’aborder non pas par le biais
traditionnel de l’enseignant mais au contraire à travers l’activité de l’élève lui-même. A cet
égard, notre analyse théorique nous a permis d’explorer un certain nombre de paradigmes
scientifiques qui, adoptant des postures particulières mais complémentaires vis à vis de
l’activité humaine, ont permis d’affiner nos connaissances relatives à ce cas particulier. Aussi
33
au terme de nos réflexions nous confirmons notre hypothèse de départ qui envisageait la
présence de ce type d’élève comme potentiellement porteuse de « problèmes » mais aussi de
« richesses» au regard de l’hétérogénéité dont il est vecteur.
Notre question de recherche porte donc de manière générale sur l’activité de
l’élève « expert » en tant que ressource ou contrainte au sein du système classe.
4.2 L’activité de l’élève « expert » à travers un filtre « situé »
Nous avons pu mettre en avant les limites des études dites extrinsèques et ce sont
finalement les théories dites de « l’action située » qui se sont révélées particulièrement
adaptées pour répondre à cette question. Accordant le primat à l’intrinsèque et prenant en
compte le caractère « situé » de l’activité humaine, l’inscription au sein de ces approches
semble cohérente pour caractériser l’activité singulière et signifiante d’un élève « expert »
s’intégrant au sein d’une communauté de pratique scolaire que l’on ne peut occulter. Ce choix
initial d’une centration sur le point de vue de l’élève a été conforté par les conclusions des
premiers travaux menés en « action située » et révélant le caractère clandestin, original et
dynamique de l’activité des élèves en classe (Rossard et al, 2004, Huet et al, 2006 , Guerin et
al, 2005).
Aussi cette recherche tournée prioritairement vers les praticiens cherchera à répondre à
la question suivante : Y-a-t-il une spécificité dans l’activité d’un élève « expert » confronté
à une communauté de pratique « scolaire » ?
Enfin ces recherches, proches de notre objet d’étude, ont utilisé la méthodologie du
cours d’action qui s’est avérée produire des résultats scientifiquement valides et utiles. Elle
permet en outre de mettre en avant la singularité de l’activité des élèves à partir d’une analyse
intrinsèque. De là, nous tenterons d’éclairer notre objet de recherche par ce même cadre
théorique en couplant deux regards, celui « externe » du chercheur, s’immisçant dans
l’intimité d’un cours d’EPS et celui interne de l’élève « expert » dont nous voulons
appréhender l’activité.
Après ce long détour théorique nécessaire à la maîtrise et à l’affinement de notre
objet d’étude et ayant orienté notre positionnement au sein des approches « situées », il
nous faut désormais adopter et présenter notre cadre théorique et méthodologique.
34
Partie 2 : Choix d’un cadre théorique
Vouloir étudier l’activité d’un élève « expert », au cœur d’une situation éducative
envisagée comme un système d’activités collectives, nous a conduit à adopter une démarche
particulière choisissant pour mode d’entrée le « cours d’action » (Theureau 2004).
1. Un objet théorique particulier : le « cours d’action »
Le cours d’action est un objet théorique construit spécifiquement par Theureau (2004)
pour le cadre des approches « situées ». Notamment il souhaite offrir une piste intéressante
pour rendre compte des interactions entre un acteur et son environnement, c’est a dire des
éléments de l’environnement « sélectionnés comme pertinents pour l’organisation interne, à
chaque instant, de l’acteur » (p.8). Ce cadre théorique et méthodologique du « cours
d’action » permet de décrire « l’activité d’un (ou plusieurs) acteur(s) engagé(s) dans une
situation, qui est significative pour ce (ou ces) dernier(s), c’est à dire montrable, racontable
et commentable par lui (ou eux) à tout instant, moyennant des conditions favorables »
(Theureau, 2004, p. 48).
Ainsi en accord avec les postulats théoriques des approches situées, l’application de
cet objet théorique nous offre la possibilité d’accéder à la signification personnelle que l’élève
engage dans la situation à laquelle nous nous intéressons.
2. Organisation intrinsèque, contraintes et effets extrinsèques
du cours d’action Le cours d’action est une totalité dynamique qui présente des propriétés d’auto
organisation (Theureau, 1992, 2004 ; Theureau et Jeffroy, 1994) qui se concrétisent à trois
niveaux : dans l’organisation intrinsèque du cours d’action, dans ses contraintes extrinsèques
et dans ses effets extrinsèques.
2.1 L’organisation intrinsèque du cours d’action : le cours d’expérience
Au niveau de l’activité montrable, racontable et commentable par l’acteur,
l’organisation intrinsèque du cours d’action, ou cours d’expérience est « l’organisation
dynamique des actions, communications, interprétations, focalisations et sentiments d’un
35
acteur » (Theureau et Jeffroy, 1994, p. 25) c’est à dire qu’il renvoie à son organisation propre,
liée à l’affirmation par l’acteur de son point de vue sur le monde.
L’idée d’organisation dynamique sous entend :
(1) que chacune des unités élémentaires du cours d’expérience (c’est à dire, chaque action,
communication, interprétation, focalisation ou sentiment) est reliée aux autres, formant une
totalité ; (2) que cette totalité présente des formes reconnaissables et intelligibles (on peut
décrire des régularités) ; (3) qu’elle est sujette à des transformations ou variations au cours du
temps.
2.2 Les contraintes et effets extrinsèques du cours d’action
Le cours d’action inclut donc le cours d’expérience mais ce dernier est conditionné par
des contraintes extrinsèques (la délimitation et la structuration de l’environnement avec lequel
l’acteur interagit) et produit des effets extrinsèques (les transformations que le cours d’action
produit dans cet environnement) qui sont relatifs à l’état de l’acteur, à sa situation et à sa
culture. Par exemple dans le cas d’un élève « expert », la culture institutionnelle dont il est
porteur ou la relation récurrente qu’il possède avec les autres s’apparentent à des contraintes
extrinsèques influençant son cours d’expérience.
Le cours d’expérience est fondé sur le postulat que le niveau d’activité, montrable,
racontable et commentable, est un niveau d’organisation relativement autonome par rapport à
d’autres niveaux d’analyse de l’activité, et qu’il peut donner lieu à des observations,
descriptions et explications valides et utiles (Theureau, 1992, 2004). Ainsi l’analyse du cours
d’expérience nous livre finalement une « description symbolique acceptable » (Varela, 1989,
p. 183) de la dynamique du couplage structurel d’un acteur avec la situation.
Le cours d’action est fondé sur le postulat selon lequel il est possible de rendre compte
des contraintes et effets extrinsèques qui pèsent sur la construction d’expérience par un acteur.
Mais pour que ces deux objets théoriques, cours d’action et cours d’expérience soient en
cohérence, il est nécessaire de prendre en compte ce qui, dans les contraintes et effets
extrinsèques, est pertinent au yeux des acteurs. Ce principe est la traduction du primat à
l’intrinsèque dans l’analyse des données.
Finalement dans l’étude d’un élève « expert » en situation scolaire, le cours d’action
permet de prendre en compte le point de vue de l’acteur et de décrire la dynamique de son
activité.
36
3. Cadre sémiologique d’analyse du cours d’expérience
La théorie sémiologique du cours d'expérience s’inspire de l’hypothèse de la
« pensée signe » de Peirce (1978) ou de « l’activité signe » (Theureau, 1992, 2000, 2004)
selon lesquels l’homme pense et agit par signes « Toute action toute pensée est un signe dans
un cours de signes » (Theureau, 2004, p52 ). Chacun de ces signes émerge de l’interaction de
l’acteur avec le contexte au sein duquel il évolue. L’analyse de l’activité procède finalement
de l’analyse de la succession de ces unités de signification pour l’acteur.
3.1 Deux notions essentielles
Ainsi Theureau (2004) présente deux notions essentielles à la base du cours
d’expérience de l’acteur : le signe hexadique, d’une part, et les structures significatives
d’autre part.
3.1.1 Le signe hexadique
Theureau (2004) considère qu’un cours d’expérience est composé d’un enchaînement
d’unités d’activité significatives pour l’acteur, ou unités significatives élémentaires (USE).
Chacune de ces unités se rattache à un signe dit hexadique reliant entre elles six composantes
susceptibles de rendre compte de la construction de l’expérience humaine à un niveau local.
Ces 6 composantes sont à la fois indissociables et distinctes les unes des autres.
Les trois premières composantes l’Engagement dans la situation, l’Actualité potentielle et le
Référentiel constituent la « structure d’attente » de l’acteur (liée à son histoire, son vécu) et
délimite le champ des possibles pour cet acteur à l’instant t. Les deux composantes suivantes,
le Représentamen et l’Unité du cours d’action constituent l’actualité de l’acteur à l’instant t.
L’Interprétant quant à lui traduit l’hypothèse de la constante transformation des connaissances
de l’acteur au cours de ses interactions.
3.1.2 Les structures significatives
La notion de structure significative est complémentaire de celle de signe hexadique.
Par hypothèse, l’articulation ou « concaténation » (Theureau, 2000) des signes hexadiques
construit des structures significatives continues, discontinues et enchâssées. Ces structures
traduisent des continuités et discontinuités d’ouverture, de création, de transformation et de
fermeture des possibles.
37
Ces notions, et les hypothèses qu’elles traduisent, mettent en évidence deux niveaux
d’organisation du cours d’action qui s’articulent : l’organisation intrinsèque locale et
l’organisation intrinsèque globale.
3.2 Organisation intrinsèque locale du cours d’action
L’organisation locale du cours d’action spécifie l’hypothèse selon laquelle le cours
d’action consiste en un enchaînement de signes. Décrire et analyser le cours d’expérience
implique alors de reconstruire les processus de construction de ces signes en action.
Selon ces hypothèses, la concaténation des composantes du signe permet de déterminer une
ouverture de possibles sur l’avenir. En fonction de ses attentes à un instant t, l’acteur est plus
ou moins sensible à tel événement susceptible de s’inscrire dans cet « ouvert » ou de le clore.
L’ensemble des préoccupations à un instant t, dont la synthèse peut être définie comme
l’engagement dans la situation, est constitué par les préoccupations qui ont été ouvertes dans
le passé et n’ont pas encore été refermées.
Cette analyse précise ne sera pas utilisée dans le cadre d’une recherche pionnière qui
ne cherche pas pour l’instant à analyser finement la construction locale de chaque signe. Notre
questionnement nécessite en effet d’adopter un regard plus « macroscopique » sur l’activité
d’un élève « expert » afin de pouvoir caractériser ses préoccupations et son engagement
général au cours de séances d’EPS. A cet égard l’analyse globale du cours d’action nous a
semblé plus appropriée.
3.3 Organisation intrinsèque globale du cours d’action
La construction globale du cours d’action spécifie l’hypothèse selon laquelle le cours
d’expérience consiste en un enchaînement et un enchâssement d’unités significatives
élémentaires (Theureau, 2004). Chaque USE est insérée dans une succession d’USE qui lui
donne du sens et elles peuvent se succéder, s’enchâsser et composer des unités plus larges.
Ainsi trois niveaux d’analyse de l’organisation globale du cours d’action peuvent être
décrits : le niveau de chacune des unités significatives élémentaires (USE), le niveau de
38
l’enchaînement des USE dans un cours d’action particulier et le niveau des relations de
composition entre les USE à l’intérieur d’un cours d’action.
3.3.1 Unité significative élémentaire (USE)
L’unité significative élémentaire du cours d’action est la fraction pré-réflexive de l’activité de
rang le plus bas pour l’acteur (Theureau, 2000). Elle est l’expression synthétique de son
activité, au niveau où il peut en rendre compte de la façon la plus détaillée. On trouve cinq
catégories fondamentales d’USE organisées dynamiquement : les actions, les
communications, les interprétations, les émotions et les focalisations.
3.3.2 Enchaînement des USE
Chaque USE est insérée dans une succession d’USE qui lui donne du sens.
L’enchaînement des USE d’un cours d’action particulier peut déboucher sur un « récit
réduit » (Theureau et Jeffroy, 1994) du cours d’action de l’acteur. Aussi la réalisation de
certaines actions dépend directement de celles qui précèdent, certaines actions participent à la
composition d’une action plus large, enfin certaines actions engagées peuvent être
momentanément interrompues par d’autres, puis poursuivies ultérieurement.
3.3.3 Relations de composition entre les USE
La construction globale du cours d’action rend compte de la concaténation et de
l’enchaînement des unités élémentaires dans différents empans temporels. Ces unités
élémentaires s’enchâssent au sein d’unités plus larges extraites de différentes structures
significatives qui permettent de prendre en compte plusieurs aspects du cours d’action :
- La réalisation de certaines actions dépend directement de celles qui précèdent : par exemple,
l’élève expert peut corriger un camarade que s’il a observé l’action de ce dernier auparavant.
- Certaines actions participent à la composition d’une action plus large : par exemple donner
une consigne défensive à un coéquipier peut faire partie d’une préoccupation plus large qui
est de gagner le match.
- Certaines actions engagées peuvent être momentanément interrompues par d’autres, puis
poursuivies ultérieurement : par exemple, cette préoccupation de gagner le match peut être
interrompu par l’émergence d’un conflit avec l’enseignante relatif à la force d’un de ses tirs.
39
Aussi trois grandes sortes de structures significatives fondamentales (de rang supérieur
à celui des structures significatives élémentaires) peuvent être analysées : les structures
significatives à caractère séquentiel (les séquences), sériel (les séries) et synchrone (les
synchrones) (Theureau, 1992, 2004).
- Les « séquences » sont composées d’unités ou de structures significatives entretenant
entre elles des relations diachroniques (s’inscrivant à des moments différents de l’histoire du
cours d’action) et dyadiques (se succédant de proche en proche, l’une déterminant l’autre).
- Les « macro-séquences » sont des unités significatives du cours d’action plus larges
que les séquences. Elles sont composées de plusieurs séquences entretenant des relations de
cohérence séquentielle, c’est-à-dire que les préoccupations de chacune de ces séquences
participent à une préoccupation plus globale qui les relie (Theureau, 2000).
- Les « séries » composées de plusieurs séquences (ou de plusieurs unités élémentaires
ne composant pas des séquences) traduisent la cohérence entre les objets des USE qui la
composent. C’est le caractère global qui différencie les séries des séquences : les USE ne
s’inscrivent pas dans une relation de dépendance séquentielle (une USE n’est pas déterminée
par la précédente) mais participent à une préoccupation globale de l’acteur.
- Les « synchrones » sont composés d’USE entretenant entre elles des relations de
cohérence synchronique. Une relation synchronique traduit le fait que les objets de différents
signes sont sélectionnés à partir de l’engagement de l’acteur dans la situation globale, dans un
laps de temps donné. Les synchrones peuvent ainsi être composés de plusieurs structures
significatives à caractère séquentiel et/ou sériel, de différents rangs.
3.3.4 Les « structures archétypes »
Les séquences, les macro-séquences, les séries et les synchrones peuvent donner lieu à
la construction de structures archétypes : les séquences archétypes, les macro-séquences
archétypes et les séries archétypes. Ces structures archétypes regroupent (ou classent) des
séquences, des macro-séquences et des séries présentant des similarités (critères de typicalité).
Ces structures archétypes révèlent les propriétés d’auto-organisation du cours d’action : son
organisation émerge de sa dynamique intrinsèque et de phénomènes d’ajustement à des
40
contraintes extrinsèques. La construction de ces structures archétypes procède d’une
démarche de modélisation qualitative et d’abstraction, qui ne reflète pas forcément une
fréquence d’occurrence au sein du corpus.
Ainsi la construction globale du cours d’action va nous permettre de caractériser la
dynamique globale de l’activité d’un élève expert en identifiant et décrivant les structures
significatives de son cours d’action, et leur agencement temporel.
4. Problématique
4.1 Une recherche pionnière explorant l’activité d’un élève « expert »
Notre étude « pionnière » sera menée de façon exploratoire à partir d’une analyse
intrinsèque globale du cours d’action. En effet à partir de l’identification des structures
archétypes nous souhaitons identifier des préoccupations typiques et ainsi dégager les
composantes fondamentales de l’activité de l’élève « expert » sur lequel portera notre étude.
Notre problématique sera donc d’envisager la nature et la dynamique de
l’engagement d’un élève « expert » au sein d’une communauté de pratique « scolaire ».
4.2 Une recherche porteuse d’une double ambition pratique et théorique
S’inscrivant à la suite des travaux menés jusqu’alors en anthropologie cognitive dans
le domaine de l’EPS, l’ambition de cette recherche est double. Tout d’abord elle souhaite
répondre à une visée « transformative » (Schwartz, 1997) en abordant une problématique
actuelle et quotidienne des cours d’EPS : la question de l’hétérogénéité. En effet la meilleure
compréhension de l’activité d’un élève « expert » devrait nous permettre d’apporter un
éclairage utile sur le rôle qu’un tel individu peut jouer au sein d’une communauté de pratique
scolaire.
Parallèlement cette étude souhaite répondre à une visée plus générale dite « épistémique »
(Schwartz, 1997) en apportant sa contribution, aussi modeste soit elle, à l’enrichissement et
l’affinement de l’objet théorique du cours d’action en l’appliquant et l’adaptant à un domaine
qu’il commence à investir : l’analyse in situ de l’activité des élèves.
41
Nos objectifs seront donc de compléter les résultats actuellement disponibles quant
aux préoccupations des élèves en soulignant, si elle existe, la spécificité de l’élève « expert »
qui pourrait être révélateur d’un rôle particulier dans la classe. Nous espérons également
susciter la réflexion des enseignants en contribuant à une meilleure compréhension de
l’activité de cet élève. Enfin nous souhaitons aboutir à des perspectives de recherches futures
qui viseraient à approfondir cet objet d’étude et cette question de l’hétérogénéité en EPS.
Armés du soutien théorique et méthodologique qu’offre le « cours d’action » il
nous faut désormais passer à l’action et repartir à la rencontre du terrain d’où était
partie notre réflexion.
42
Chapitre 2 : METHODOLOGIE
1. Une boite à outils adéquate et partagée
Le cadre théorique du « cours d’action » renvoie à une méthodologie particulière
caractérisée par une collaboration entre chercheurs et acteurs.
Tout d’abord elle repose sur des matériaux empiriques de terrain, nécessitant une
observation de l’élève au cœur d’une situation naturelle. Mais accéder à l’organisation
intrinsèque du cours d’action suppose également une interrogation de l’acteur vis à vis de son
activité. Pour cela nous utilisons une méthode à posteriori, « la verbalisation par entretien
d’auto confrontation » (Theureau, 2004), qui consiste à placer ce dernier devant
l’enregistrement vidéo réalisé in situ en l’interrogeant et en l’incitant à commenter son action.
Ainsi l’élève occupe un rôle central au sein de ce processus de recherche en
fournissant au chercheur des éléments qu’il est le seul à pouvoir révéler et qui sont pourtant
indispensables à la compréhension de son activité. Finalement l’acteur apporte les contenus
empiriques de son expérience tandis que le chercheur médiatise cette expérience par le
système des concepts scientifiques.
2. Un travail préalable : Trouver un terrain de recherche
Etape 1 : Partir à la recherche d’élèves « experts »
Nous avons recherché un élève possédant une réelle expertise dans une activité donnée
et prenant part à un cycle d’EPS dans cette même APSA. Pour cela des mails ont été envoyés
à un grand nombre d’enseignants de l’agglomération rennaise et des environs. Cinq réponses
positives ont été obtenues mais seulement deux ont été retenus car pouvant correspondre
réellement à notre objet d’étude : un élève de seconde ancien joueur de handball au niveau
national dans une classe mixte, un élève de troisième pratiquant le basket-ball en club.
Après avoir obtenu l’accord des enseignants une lettre a été remise à chaque élève afin de leur
expliquer brièvement la procédure sans toutefois révéler l’objet réel de la recherche (cf
annexe).
43
Remarque :
Malgré ces précautions un des deux élèves ne correspondait pas au profil recherché. En effet
notre basketteur, bien qu’il pratiquait en club, ne possédait pas une réelle expertise de
l’activité. L’analyse de l’activité de cet élève a donc été arrêtée.
Ainsi notre étude porte finalement sur le cas particulier d’Alexandre, élève de seconde,
que l’on considère comme « expert » en handball et engagé dans un cycle d’EPS portant sur
cette même activité.
Etape 2 : Choisir les séquences à observer
Les enregistrements ont porté sur deux séances consécutives d’un cycle de handball.
Principalement il nous est apparu indispensable d’effectuer nos observations sur deux séances
pour pouvoir les comparer et ainsi vérifier si les résultats que nous mettrions en évidence pour
la première concorderaient avec la suivante. Elles correspondent à la fin du cycle (6ème et 7ème
séances d’un cycle comprenant 8 séances).
Etape 3 : S’intégrer au cœur d’une situation concrète d’enseignement Rencontre et contrat avec les acteurs
Pour garantir l’authenticité des données recueillies et notamment la franchise des
acteurs étudiés nous avons veillé à instaurer un respect et une confiance mutuelle. Notamment
nous leur avons laissé la possibilité d’interrompre ou de mettre un terme à la collaboration si
la poursuite de l’étude s’avérait ne plus être souhaitée. Enfin nous avons essayé de ne pas
dévoiler totalement notre objet de recherche.
Collaboration avec l’enseignant
L’enseignante fut mise au courant de la méthodologie employée et de l’usage supposé des
données. Il a été convenu avec elle de ne pas modifier ce qui avait été prévu et d’essayer de
rester aussi naturelle que possible. Il est important de noter que cette enseignante connaissait
la méthodologie du cours d’action.
Collaboration avec les élèves de la classe
44
Nous avons insisté sur notre volonté d’observer la réalité d’un cours d’EPS en précisant que
les images ne seraient pas diffusées et qu’ils pouvaient ainsi continuer leurs « mauvaises
habitudes » si elles existaient.
Collaboration avec l’élève expert
Nous avons insisté sur le fait que l’enseignante n’aurait pas accès aux enregistrements audio
de son micro HF. Aussi nous lui avons demandé de ne pas changer ses habitudes et de se
comporter naturellement, de discuter, de faire l’imbécile, d’être sage …
Il nous est apparu assez à l’aise répondant spontanément qu’il avait l’habitude d’être filmé
dans le cadre de ses entraînements de handball.
Découvrir et investir les lieux
L’enseignante m’ayant signalé globalement comment se déroulerait la séance, j’ai choisi
de me placer dans le coin du gymnase me paraissant le plus adéquat pour perturber le moins
possible le bon déroulement du cours : côté opposé au tableau, à la porte d’entrée et aux
vestiaires.
Ayant conquis, nous l’espérons, la confiance de nos collaborateurs et étant
confortablement et discrètement installé au cœur de la scène, le rideau peut désormais se
lever et laisser place aux acteurs.
3. Recueil des matériaux empiriques
Etape 4 : Un travail discret au cœur de l’action
Les deux séances de 1H40 environ ont été filmées dans leur intégralité par deux caméras
vidéo VHS montées sur pieds. La première filmait d’un point fixe avec un plan large
l’ensemble du groupe classe en enregistrant le son de manière continue. La deuxième caméra
zoomait sur les actions d’Alexandre. Ce dernier était muni d’un micro cravate relié par
récepteur à la caméra et permettant d’enregistrer ses verbalisations ainsi que celles des acteurs
présents dans son environnement proche. L’enseignante était également munie d’un micro
cravate relié à un dictaphone.
Nous avons complété ces informations par quelques données relevées sur le vif quant à des
événements particuliers, des impressions personnelles et des communications d’Alexandre
n’ayant pas été enregistrées par le micro.
45
Etape 5 : Un travail a posteriori mené en collaboration avec les acteurs
A l’issue des deux séances et à partir des enregistrements recueillis sur le terrain, nous
avons procédé à des entretiens d’auto confrontations individuels afin de faire verbaliser
Alexandre ainsi que l’enseignante sur leurs actions. Repositionné dans une posture favorable
de « re-évocation » et « re-énaction » (Theureau-2004) cette projection leur permet de revivre
la situation artificiellement et ainsi facilite l’accès à la signification singulière de leurs actions
à chaque instant. Ces entretiens ont été filmés et enregistrés dans leur intégralité.
Un contrat préalable
Les conditions relationnelles entre l’acteur et l’observateur sont déterminantes pour
l’authenticité des informations recueillies. Elles doivent être autant que possible basées sur
des principes d’égalité, de confiance mutuelle, d’accord commun.
Il a ainsi été décidé et accepté par les deux acteurs qu’Alexandre réaliserait les entretiens à
partir des images et du son de la caméra qui le concernait directement tandis que l’enseignante
n’aurait accès qu’aux traces de la caméra avec plan fixe. De plus il fut entendu que les
données recueillies resteraient confidentielles.
Des conditions adéquates
Afin de favoriser les mécanismes mémoriels (Theureau, 2004), les entretiens ont été
réalisés dans une salle du lycée à partir d’images visualisées sur une TV et dans un délai d’au
maximum cinq jours. Avant chacun des entretiens il a été précisé aux acteurs les objectifs de
l’auto confrontation. Ils avaient également la possibilité d’arrêter la vidéo ou de revenir en
arrière s’ils le souhaitaient.
Déroulement des entretiens
La posture du chercheur est assez particulière lors de ces entretiens car elle doit
permettre de favoriser la verbalisation tout en restant neutre et le plus objectif possible.
Réaliser un entretien avec un élève de seconde et avec une enseignante a nécessité une
adaptation notamment sur le plan du langage utilisé.
Pour Alexandre les entretiens ont été effectués sur l’ensemble de la séance. Le
questionnement qui suivait le déroulement chronologique de l’enregistrement visait
46
l’explicitation des actions et communications d’Alexandre. Nous cherchions à avoir accès à ce
qu’il faisait, pensait, prenait en compte pour « agir » (au sens large), percevait, ressentait. Nos
relances portaient essentiellement sur la description des actions et des événements vécus en
évitant les demandes d’interprétations et les généralités (Theureau, 1992 ; Vermersch, 1994).
En revanche pour les entretiens avec l’enseignante nous nous sommes restreints aux
périodes d’interactions avec Alexandre ainsi qu’aux regroupements collectifs. En effet ces
entretiens ne visaient pas à construire le cours d’expérience de l’enseignante mais au contraire
ils devaient nous permettre de pouvoir analyser et mieux comprendre l’activité d’Alexandre
au regard de la classe. Ces matériaux devraient nous permettre de valider et d’étayer des
informations données par Alexandre ou perçues par le chercheur.
Etape 6 : Compléter par des entretiens semi-directifs
En accord avec notre cadre théorique ayant soulevé l’importance de considérer que les
acteurs et leurs actions font partie intégrante du contexte matériel, historique, social, culturel
et symbolique dans lequel ils s’inscrivent, il nous a semblé indispensable et intéressant de
compléter nos données par des informations supplémentaires. Ainsi au terme de ces deux
séances des entretiens individuels de 1h environs avec les deux acteurs ont été réalisés.
Parmi les thèmes abordés figure l’histoire personnelle d’Alexandre, ses
caractéristiques, son vécu sportif, scolaire… L’histoire de la classe a également été abordée
que ce soit du point de vue de l’enseignante que de l’acteur lui-même.
Etape 7 : Ne pas négliger le contexte de recueil des matériaux
Un certain nombre d’informations relatives au contexte du recueil des matériaux ont
été récoltées. (contexte établissement, classe, cycle, séances, auto-confrontations … ) (cf
annexe).
4. Analyse des matériaux et construction des données
Comme nous l’avons justifié en amont nous avons opté pour une réduction de
l’activité de notre élève à un certain niveau d’organisation, en référence à l’objet théorique du
cours d’action (Theureau, 1992, 2004 Theureau et Jeffroy, 1994) .
47
4.1 Construction des données du cours d’action : protocole à 3 volets
Volet 1 : transcription des enregistrements de la séance
A partir du visionnage des images l’intégralité des deux séances a été retranscrit à
partir d’un protocole comprenant : une description comportementale de l’activité de l’élève
ainsi que toutes ses verbalisations durant l’action. De même les actions et verbalisations des
acteurs avec lesquels Alexandre interagit directement ont été retranscrites de la même
manière. Toutes ces données ont été mises en relation avec le décours temporel des séances
(30s).
Volet 2 : transcription des auto-confrontations
Les données de verbalisation obtenues lors des auto-confrontations ont été
intégralement retranscrites.
Volet 3 : description des contraintes extrinsèques
Nous avons recueilli l’ensemble des contraintes liées aux acteurs ou à la situation
susceptible d’influencer le cours d’action (horaires, lieux…). Notamment les deux entretiens
semi-directifs ont été retranscrits.
4.2 Construction progressive du « cours d’expérience »
Etape 1 : Découpage et nomination des USE
La reconstitution de la dynamique temporelle et significative de l’activité s’est faite à
partir du découpage de l’activité en unités significatives élémentaires (USE) selon cinq
catégories génériques : les actions, communications, interprétations, focalisations et
sentiments. Grâce à l’examen des matériaux recueillis (Volets 1, 2, 3) il s’agissait de
documenter pas à pas, sur l’ensemble des deux séances, les éléments de signification
accompagnant l’activité d’Alexandre. De façon pratique nous cherchions à chaque instant de
son activité à répondre aux questions suivantes : Que fait Alexandre (de son propre point de
48
vue) ? Que communique t-il et avec qui ? Que pense t-il ? Sur quoi concentre t-il son
attention?
Les réponses à ces questions ont permis la construction d’un « récit réduit »
(Theureau et Jeffroy, 1994) pour traduire le plus étroitement possible la description
significative des actions d’Alexandre. (au sens large incluant les cinq catégories d’unités
élémentaires fondamentales). Chaque USE a été dénommée par une proposition contenant un
verbe d’action conjugué à la troisième personne du présent de l’indicatif (par exemple,
« écoute l’enseignante ») et des arguments complétant le verbe (par exemple, «explique à
Olivier comment il doit placer son bras pour tirer »). De plus lorsque Alexandre était engagé
simultanément dans une double préoccupation nous avons utilisé l’un des deux verbes
d’action au participe présent en conservant le verbe conjugué pour la préoccupation prioritaire
(par exemple « discute avec Olivier du blocus du lycée en écoutant l’enseignante »).
Les cours d’action d’Alexandre sur les deux séances ont été présentés dans un tableau
à trois colonnes : la première est constituée par la numérotation des USE ; la deuxième
indique les repères temporels avec une périodicité de 30 secondes et la troisième regroupe les
récits réduits de chaque USE.
Tableau 1 : Extrait du cours d’expérience de la séance 2 alors qu’Alexandre est arbitre.
USE Temps Description 268 16'30 regarde le jeu en avançant reculant en suivant l'action
269 regarde les rouges qui marquent
270 siffle deux fois en baissant la tête
271 pense que les filles vont avoir du mal à s'en sortir face à l'équipe rouge car il y a deux garçons dans l'équipe d'en face et que seulement Anaëlle a fait du HB au collège
272 se dirige vers les filles pour les conseiller en pensant qu'elles ne bougent pas assez
273 chuchote aux filles "de bloquer les mecs"
274 entend la prof qui leur dit qu'elles doivent s'organiser en défense 275 répète aux filles en chuchotant de "bloquer les mecs" de se mettre en V
276 siffle
Etape 2 : Analyse de l’organisation séquentielle et sérielle du cours d’action
Afin de rendre compte des caractéristiques de l’organisation globale du cours
d’expérience d’Alexandre, les séquences et les séries ont été identifiés. Nos données, ainsi
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que les contraintes temporelles inhérentes à un Master 1, ne nous ont pas permis de nous
intéresser aux synchrones.
Organisation séquentielle
Les séquences
Pour l’identification des séquences nous avons utilisé la dynamique d’engendrement
des USE et la formulation des préoccupations d’Alexandre pendant les auto-confrontations.
L’identification des séquences a permis de mieux comprendre le sens de chacune des USE qui
les composaient. La nomination des séquences s’effectue par un verbe d’action noté à
l’infinitif et traduisant la préoccupation de l’acteur. (par exemple : « encourager ses
camarades »).
Tableau 2 : Exemple d’identification des séquences.
USE Temps Description Séquences
268 16'30 regarde le jeu en avançant reculant en suivant l'action
269 regarde les rouges qui marquent
S1. se concentrer sur l'action et les
fautes
270 siffle deux fois en baissant la tête S2. siffler un but
271 pense que les filles vont avoir du mal à s'en sortir face à l'équipe rouge car il y a deux garçons dans l'équipe d'en face et que seulement Anaëlle a fait du HB au collège
272 se dirige vers les filles pour les conseiller en pensant qu'elles ne bougent pas assez
273 chuchote aux filles "de bloquer les mecs"
S3. conseiller les filles qui perdent face aux garçons
274 entend la prof qui leur dit qu'elles doivent s'organiser en défense
S4. écouter la prof qui donne des conseils à
l'équipe de filles
275 répète aux filles en chuchotant de "bloquer les mecs" de se mettre en V
S3. conseiller les filles qui perdent face aux garçons
276 siffle S5. siffler
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Les macro-séquences
L’identification des macro-séquences renvoie à un niveau d’engagement plus global
de l’acteur. Cette catégorisation s’effectue sur la base d’une cohérence dans la succession des
séquences et des verbalisations des acteurs en auto-confrontation. La nomination des macro-
séquences rend compte de l’engagement des acteurs à un niveau plus global et le verbe
d’action a été remplacé par un thème général (par exemple :« attente pour la réalisation de
l’exercice »).
Organisation sérielle
Les séries ont été identifiées sur la base de structures significatives récurrentes dans le
cours d’action mais non organisées séquentiellement et à l’aide des verbalisations des acteurs
en auto-confrontation. Les séries sont nommées selon les mêmes principes que les séquences
par des verbes d’action à l’infinitif afin de rendre compte de l’engagement d’Alexandre.
Etape 3 : Construction des structures archétypes
Le caractère archétype d’une séquence, d'une macro-séquence ou d’une série traduit
l’idée d’une similarité entre différentes séquences, macro-séquences ou séries qui peuvent être
regroupées selon des critères de typicalité (Gal-Petitfaux et Durand 2001). Ces similitudes
étaient repérées au niveau de l’organisation globale, en repérant des ressemblances dans la
composition des structures significatives.
La nomination des structures archétypes constitue une étape supplémentaire de
généralisation. Le « récit réduit » de la structure archétype doit englober celui de chacune des
structures significatives particulières qu’elle représente. Par exemple, la séquence archétype
« faire travailler ses camarades» constitue un niveau de généralisation supérieur par rapport à
celui des séquences « faire jouer ses coéquipiers » et « faire courir Olivier pour qu'il
s'échauffe ».
Etape 4 : Catégorisation des préoccupations typiques
A partir de cette construction des structures archétypes nous avons établi une
catégorisation s’échelonnant sur trois niveaux. Un premier renvoie aux préoccupations
typiques d’Alexandre pendant la séance et correspondent globalement aux structures
51
archétypes (par exemple : « modifier la tâche pour se donner physiquement »). Un deuxième
niveau vise à mettre en avant des catégories d’engagement de rang plus élevé regroupant ces
préoccupations selon des critères de typicalité (Gal-Petitfaux et Durand 2001). Cette
préoccupation typique, « modifier la tâche pour se donner physiquement », renvoie ainsi à un
engagement plus large : « s’investir sur le plan moteur » englobant également « se lâcher » et
« ne pas perdre de temps ». Enfin le troisième niveau s’organise en fonction du destinataire
principal de ces engagements (ici « vers soi »).
Aussi ce découpage n’opère pas de distinction entre séquences, séries et macro-
séquences ne prenant pas en compte le caractère global ou récurent des préoccupations
d’Alexandre.
Remarque : une présentation complète de nos données figure en Annexes.
Après ce premier contact avec les acteurs et cette explication méthodologique,
nous pouvons désormais rentrer au cœur de notre travail par la présentation des
résultats et le dévoilement de l’activité d’Alexandre.
52
Chapitre 3 : RESULTATS
Les résultats s'organisent en trois sections. La première présente la nature des
préoccupations d’Alexandre qui ont émergé au cours des deux séances. La deuxième section
s’intéresse à la dynamique de ces préoccupations à travers l'analyse de leur évolution en
relation avec les macro-séquences identifiées. Enfin la dernière section expose une synthèse
de l’activité d’Alexandre à partir d’une analyse de ces deux premières sections prenant en
compte également le point de vue de l’enseignante recueillie lors des entretiens.
1. Nature des préoccupations d’Alexandre
L'analyse de l’engagement d’Alexandre pendant ces deux séances révèle 21 préoccupations
typiques, qui ont été regroupées dans huit catégories d’engagement (Tableau 3). Nous
exposons une synthèse relative aux deux séances étudiées car nos analyses révèlent que ces 21
préoccupations se retrouvent dans les deux leçons même si elles peuvent s’actualiser de
manière légèrement différente à l’échelle des USE.
Nous exposerons ces différentes catégories à partir d’un découpage effectué sur la
base des destinataires prioritaires de ces préoccupations. Aussi nous distinguons des
préoccupations tournées vers soi, vers les autres élèves et vers l’enseignante. Ce découpage
vise à faciliter la compréhension de l’activité d’Alexandre mais elle reste subjective et
certaines préoccupations pourraient appartenir à plusieurs catégories. Pour illustrer la
présentation des différentes catégories de préoccupations, nous nous référerons, à la fois à la
séance (ex : S1), aux auto-confrontations réalisées après les séances (ex : ACS1) et aux
entretiens semi-directifs (ESD).
Tableau 3: Catégories de préoccupations typiques d’Alexandre pendant les deux séances.
53
54
Catégories de
préoccupations Préoccupations
typiques n° Exemples de séquences, séries
Modifier la tâche pour se donner
physiquement 1
expliquer à Olivier qu'il veut essayer de faire des figures / varier les passes pour complexifier / réaliser un kung fu avec Vincent / expliquer à Lancelot qu'avec l'infériorité
numérique c'était plus équilibré
Se lâcher 2 essayer de faire rentrer la balle dans le but / tirer très fort
en se libérant comme en match
A S’investir sur le
plan moteur
Ne pas perdre de temps 3 conserver sa place dans la file d'attente / récupérer la balle pour reprendre rapidement l'échauffement / ramasser les
plots pour commencer plus rapidement les matchs
Jouer un rôle de capitaine d’équipe
4 penser à ce qu'il va dire à ses coéquipiers pour le
match/réunir ses coéquipiers / ranger les maillots de ses coéquipiers
Superviser l'arbitrage 5 vérifier que quelqu'un prend le temps / faire respecter le
règlement de la remise en jeu / rectifier une faute d'arbitrage
Vers soi
B Trouver un intérêt dans les situations
proposées Se concentrer sur la
réalisation de l'exercice 6
penser à la réalisation de l'exercice / réfléchir à l'action qu'ils viennent de réaliser
Respecter les normes établies dans la classe
7 s'excuser d'avoir bousculé Fabien / rendre la balle à son propriétaire / laisser passer Marion qui était devant lui
Modifier sa pratique habituelle de club
8 penser qu'il ne faut siffler que les grosses fautes / retenir
la force de son tir
C Adopter les
comportements reconnus comme légitimes par la
classe Chercher à légitimer ses actions
9 chercher à convaincre Morgane que son tir était fort mais
maîtrisé / se justifier par rapport à la force de son tir / reconnaître qu'il a joué personnel
Penser et discuter avec ses camarades de sujets
hors EPS 10
discuter avec Lancelot de la grève et du blocus / demander des nouvelles de Severine
D Se divertir avec ses
camarades S'amuser 11
attendre son tour en s'amusant avec la balle / taquiner Charlotte / faire semblant de boxer Marc
Gagner le match 12 penser qu'il faut gagner le match / marquer un but E Entretenir son
image d’expert dans le groupe
Se justifier d’avoir perdu
13 expliquer aux filles qu'ils étaient en infériorité numérique / faire remarquer qu'ils étaient en infériorité numérique
Faire travailler ses camarades
14 faire tirer Olivier depuis l'aile pour qu'il s'améliore / faire
jouer ses coéquipiers / faire courir Olivier pour qu'il s'échauffe
Donner des conseils à ses camarades
15 expliquer à Olivier qu'il doit accélérer pour prendre la passe / conseiller Charlotte / ré-expliquer à Charlotte
qu'elle doit rester entre son joueur et le but
Observer l'action de ses camarades
16 vérifier le placement de ses coéquipiers / observer l'action
de ses camarades
Vers les
autres élèves
F Faire progresser ses
camarades
Motiver ses camarades 17 encourager Charlotte / penser qu'il faut encourager les
filles qui n'ont pas confiance en elles
Avoir une oreille sur l’enseignante
18 écouter la prof qui répète les mêmes consignes / entendre
la prof qui dit qu'il reste 10s / écouter la prof qui leur demande de faire moins de bruits
Ne pas se faire repérer 19 vérifier qu'il n'est pas repéré / regarder la prof en écoutant
les autres élèves parler de la grève
G Se conformer aux
attentes de l’enseignante Trouver un accord avec
l'enseignante 20
se proposer d'être défenseur / accepter la proposition de l'enseignante de rééquilibrer les équipes en échangeant
Marc contre une fille
Vers l'enseignante
H Réfléchir à l'action de l'enseignante
21 penser que la prof répète toujours les mêmes consignes /
penser que la prof va encore perdre du temps
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1.1 Préoccupations tournées vers soi
A. S’investir sur le plan moteur
Le premier type d’engagement correspond à la préoccupation de l’élève de s’exprimer
physiquement pendant la séance. Il se manifeste sous la forme de trois préoccupations
typiques.
1 « Modifier la tâche pour se donner physiquement »
Alexandre modifie et adapte les situations proposées pour trouver un intérêt nouveau
dans l’exercice et pouvoir s’exprimer sur le plan moteur. Ces préoccupations renvoient le plus
souvent à une complexification des tâches qui se traduisent en ACS1 par des verbalisations
telles que : « j’essayais plus de faire des passes dans le dos ça m’intéressait pas de faire
seulement des passes normales » ou encore : « ah ouai si on a cherché le kung-fu ». De même
tous les matchs de l’équipe d’Alexandre ont été réalisés en infériorité numérique sur sa propre
initiative et à l’insu de l’enseignante et des autres élèves.
2 « Se lâcher »
A plusieurs reprises dans la séance Alexandre ne se retient plus et réalise des actions
qui semblent totalement décontextualisées et en rupture totale avec le cadre scolaire comme le
montre cette verbalisation en ACS2 : « elle me fait t’es fou euh Morgane (…) c’est normal j’ai
tiré comme je fais en match (…) j’aime bien me lâcher une fois de temps en temps quand
même (…)c’est chiant de se retenir à la fin »
3 « Ne pas perdre de temps »
Alexandre est fortement préoccupé par la mise en action tout au long de la séance.
Il cherche continuellement à être en activité, regarde sa montre, récupère en premier un
ballon, cherche à mettre en activité ses camarades, range rapidement le matériel, conserve sa
place dans la file d’attente… comme le confirme ses propos en ACS2 : « c’est pour qu’on
passe plus vite aux matchs en fait» ou encore : « j’suis en train de leur dire de tirer plus vite
parce que en fait ils étaient chiant (…) ils avaient mis vachement de temps ».
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B. Trouver un intérêt dans les situations proposées
Le second type d’engagement d’Alexandre correspond à un investissement dans des
rôles particuliers, l’engageant personnellement dans des activités non prescrites par
l’enseignant et qui lui permettent de trouver un intérêt à la séance.
4 « Jouer un rôle de capitaine d’équipe »
Il est fortement investi dans un rôle de « capitaine d’équipe » et de « coach » qu’il a
choisi de manière autonome et qui guide son activité avant pendant et après les matchs.
Il réfléchit à l’organisation de l’équipe pour gagner le match : « j’suis en train de visualiser
comment on pouvait gagner le match » (ACS1), il distribue les maillots à ses coéquipiers :
« comme je suis capitaine d’équipe je vais chercher les maillots et je les distribue » (ACS1),
il rassemble ses coéquipiers pour leur donner des consignes de jeu : « je les prends et je leur
explique ce que l’on va faire en défense » (ACS1). Pendant les matchs il gère son équipe en
supervisant le placement et l’activité de ses coéquipiers : « j’essaye de visualiser le jeu
j’essaye de voir comment on joue» (ACS1). Il leur donne des consignes de jeu, les motive, les
encourage. Après le match il réfléchit à l’activité de son équipe : « le match défensivement il
s’est vraiment super bien joué (…) franchement moi là j’étais content de ce qu’ils ont fait … »
(ACS1) et il retrouve ses coéquipiers dans les vestiaires où ils font un bilan collectif.
De plus il s’occupe de récupérer et de ranger les maillots de ses coéquipiers car : « ben je suis
capitaine de l’équipe donc euh j’pense que c’est mon rôle » (ACS2).
5 « Superviser l’arbitrage »
Alexandre est fortement préoccupé par la supervision de l’arbitrage.
Il adopte de manière spontanée et presque systématiquement le rôle d’arbitre lorsque son
équipe ne joue pas et lorsqu’il est en position de joueur il supervise l’arbitrage en faisant
respecter le règlement et en aidant les arbitres qui ont parfois des difficultés. Il précise en
ACS1 : « donc là en fait j’fais comme si j’étais l’arbitre (…) parce que il sait pas trop il est
un peu nul ils savent pas trop les règles alors j’dis y-a pénalty ».
6 « Se concentrer sur la réalisation de l’exercice »
Cette préoccupation renvoie tout le long de la séance à la concentration d’Alexandre
sur la réalisation des tâches où il se trouve engagé. Notamment lorsqu’il joue le rôle de
défenseur dans une situation d’apprentissage il nous explique en ACS2 : « là je pense à la
57
défense ce que je vais faire ils sont deux contre un évaluer le poids (…) j’suis concentré à
fond » de même lorsqu’il est arbitre : « là euh j’pense à mon arbitrage j’suis à fond ouai
quand j’fais un truc j’le fais à fond ».
1.2 Préoccupations tournées vers les autres élèves
C . Adopter les comportements reconnus comme légitimes par la classe
Cette préoccupation correspond à une volonté d’Alexandre d'adopter un ensemble de
normes collectives et de comportements communément admis par la classe.
7 « Respecter les normes établies dans la classe »
Alexandre a tendance à respecter un ensemble d'attitudes et de modes de
communications significatifs et instaurés dans la classe. Cette préoccupation s'actualise, par
exemple, lorsqu’il attend son tour pour commencer à jouer, remercie un coéquipier pour sa
passe, s’excuse d’avoir bousculé un camarade. Elle se traduit par des verbalisations du type
« merci Marion», « excuse moi pour tout à l’heure » (S1).
8 « Modifier sa pratique habituelle de club »
Alexandre essaye constamment d’adapter ses interventions qu’elles soient verbales ou
motrices au contexte de la classe. Sur le plan moteur il se retient particulièrement lors des tirs
que ce soit en match ou en situation d’apprentissage. Par exemple lors d’une action où il tire
doucement en lobant le gardien alors qu’il arrivait à toute vitesse en contre attaque il nous
explique en ACS1 : « ouai ben en fait quand je suis en l’air j’me dis ah hop hop (rigole) ». De
même il adapte l’arbitrage par rapport à celui qu’il connaît en club : « là il a mis le pied dans
la zone (…) c’est des ptites fautes qui sont comptés en match mais là bon je les compte pas ».
9 « Chercher à légitimer ses actions »
Alexandre cherche à se justifier et à se protéger lorsqu’il adopte des attitudes qui ne
correspondent pas aux normes admises par la classe. Notamment par rapport à la force de ses
tirs qui parfois sont perçus comme trop puissants par ses camarades on retrouve des
verbalisations du type « j’étais au 10m quand j’ai tiré c’est bon », « mais attend j'aurais visé
dans un coin si t'étais dans le but j'ai visé au milieu il n'y avait personne au milieu » (S1).
58
D. Se divertir avec ses camarades
Dans certaines situations Alexandre s’engage dans des activités de divertissement avec
ses camarades le plus souvent pour passer le temps et attendre de pouvoir se mettre en
activité.
10 « Penser et discuter avec ses camarades de sujets hors EPS »
Principalement cette préoccupation apparaît lorsque Alexandre se perd dans des
pensées ou des discussions étrangères aux activités scolaires. Elle est très prégnante mais elle
prend place à des moments précis de la séance où les élèves sont en phase inactive.
Notamment dans la file d’attente, en attendant la mise en place de la situation suivante, ou
pendant la délivrance des consignes lors des regroupements collectifs comme il le précise en
ACS2 : « pfou je zappe (…) là je zappe je zappe tout ce qu’elle dit là on parle voilà machin ».
11 « S’amuser »
Cette préoccupation rend compte des intentions d’Alexandre qui cherche à se divertir,
s’amuser dans les moments d’inaction. Principalement on retrouve cette volonté dans la file
d’attente avant la réalisation de chaque exercice. Il explique en ACS2 : « rien on s’occupe
comme on peut ». Certaines occurrences apparaissent de manière très ponctuelle lors de
l’échauffement et pendant les périodes de battement entre deux situations comme le montre
cette verbalisation en ACS1 : « donc là c’est bon j’avais déjà réfléchi donc j’m’eclatais euh
j’faisais le zouave »
E . Entretenir son image d’expert dans le groupe
Alexandre est attaché à conserver son image d’expert dans le groupe classe. Cette
préoccupation est fortement prégnante dans les situations de matchs et notamment lorsque son
équipe est en difficulté ou perd.
12 « Gagner le match »
Lors de chaque match une des préoccupations d’Alexandre est de remporter la victoire
sans toutefois écraser les autres équipes. On retrouve cette préoccupation avant les matchs
lorsqu’il réfléchit à comment il peut organiser son équipe pour gagner. Il précise en ACS1 :
« j’suis en train de visualiser comment on pouvait gagner le match ». De même pendant les
59
rencontres cette préoccupation est fortement prégnante lorsque son équipe a un but de retard
et se traduit après avoir marqué par des verbalisations du type : « c’est bon il y a 4-4 j’te
passe la balle » (S1).
13 « Se justifier d’avoir perdu »
Lorsque finalement il perd, sa préoccupation principale consiste à justifier la défaite
auprès de ses camarades comme il le reconnaît en ACS1 : « en fait jsuis toujours en train de
chercher à vouloir me justifier ». Notamment il met très souvent en avant le fait qu’ils ont
joué en infériorité numérique comme le montre cet extrait de l’ACS1 : « là au début en fait ils
me chambraient alors je leur dis ben attends vous étiez un de plus sur le terrain ».
F. Faire progresser ses camarades
Durant toute la séance, Alexandre est préoccupé par la progression de ses camarades.
14 « Faire travailler ses camarades »
Alexandre essaye constamment de mettre ses camarades en action pour qu’ils
s’améliorent. Pendant l’échauffement il essaye de faire courir Olivier comme il le précise en
ACS2 : « il court pas assez et il va se blesser(…) donc j’essayais de lui faire des passes un
peu plus sur le côté pour qu’il court et voilà pour qu’il s’échauffe ». Pendant les situations
d’apprentissage il oriente son action vers la progression de ses camarades comme le montre
cette verbalisation en ACS1 : « donc là ouai je le fais tirer à l’aile pour qu’il s’améliore à
tirer dans un angle fermé ». Enfin pendant les matchs il s’attache à faire jouer et marquer un
maximum ses coéquipiers. Il affirme en ACS1 : « en attaque j’essaye de faire jouer les
autres ».
15 « Donner des conseils à ses camarades »
Sur l’ensemble de la séance Alexandre donne des conseils, par exemple en ACS1 :
« là j’lui dis comment placer son bras (…) tire pas comme ça ou comme ça pour le
conseiller», explique le but des exercices à ses camarades pour les faire progresser que ce soit
sur le plan moteur ou sur l’arbitrage. Par exemple, en ACS1 il explique : « ben mon objectif là
c’est qu’Olivier il progresse (…) ce que je veux faire c’est qu’il comprenne que quand il a
attrapé la balle il faut qu’il soit en accélération».
60
16 «Observer l’action de ses camarades »
Cette préoccupation renvoie à la volonté d’Alexandre d’observer ses camarades pour
voir comment ils réalisent les exercices, afin éventuellement de les corriger, mais également
de regarder les effets de ses interventions. Il les observe et regarde s’ils mettent en application
ses conseils comme en témoignent ses propos en ACS1 : « donc là tu vois il va mettre en
application ce qu’on a fait pendant l’échauffement il a accéléré pour la passe ». De plus il
réfléchit à la pertinence de ses interventions. En effet il précise en ACS1 : « ben tu vois
souvent j’pense à l’exercice qu’on a fait (…)si ça a servi à Olivier si ça lui a pas servi (…)
voilà là je pense à ça (…) à ce que je pourrais faire la prochaine fois ».
17 « Motiver ses camarades »
Alexandre cherche à féliciter et encourager ses camarades lorsque ces derniers
réalisent de belles actions, font des efforts ou semblent un peu démotivés comme le montre
cet extrait de l’ACS1 : « j’essaye surtout c’est les filles (…) de pouvoir les booster voilà parce
que elles se disent nulles tout le temps en sport alors que elles se débrouillent bien ».
1.3 Préoccupations tournées vers l’enseignante
G . Se conformer aux attentes de l’enseignante
Cette préoccupation globale est présente pendant toute la séance et renvoie à une
volonté de se plier aux exigences scolaires incarnées par l’enseignante ou du moins de faire
semblant.
18 « Avoir une oreille sur l’enseignante »
Cette préoccupation est importante et témoigne d’une volonté d’être attentif à ce que
demande l’enseignante afin d’adopter les comportements adéquats. Elle apparaît tout au long
de la séance mais prioritairement pendant les consignes. A ce moment il est le plus souvent
engagé sur d’autres préoccupations en parallèle mais se débrouille pour récupérer les
informations nécessaires à la réalisation de l’exercice comme le montre cet extrait de
l’ACS2 : « euh donc j’écoute des bribes (…) et quand ça m’intéresse je l’écoute en fait c’est
ma façon d’écouter deux conversations en même temps ». De plus pendant le reste de la
séance il est attentif aux informations relatives à l’organisation de la séance (le choix des
équipes, la recherche d’un arbitre, d’un défenseur…).
61
19 « Ne pas se faire repérer »
Cette préoccupation apparaît fortement pendant que l’enseignante délivre les
consignes et qu’il est investi dans une autre activité qu’il souhaite masquer. Notamment elle
se repère par les coups d’œil furtifs lancés sur l’enseignante et par les chuchotements.
20 « Trouver un accord avec l’enseignante »
Lors des rares interactions verbales, provoquées exclusivement par l’enseignante,
Alexandre essaye de trouver un compromis en répondant aux attentes de cette dernière tout en
protégeant ses intérêts personnels. Ces interactions apparaissent principalement lorsque le
comportement d’Alexandre pose problème pour le bon déroulement de la séance, notamment
lorsqu’il se regroupe avec ses coéquipiers dans les vestiaires ou lorsqu’il tire trop fort. En
effet en ACS1 il explique : « donc là en fait elle est en train de me faire un sermon elle me dit
que j’ai pas besoin de tirer fort pour marquer et voilà ». Ces interactions portent également
sur des questions organisationnelles quand l’enseignante le sollicite pour rééquilibrer les
équipes.
21 « Réfléchir à l’action de l’enseignante »
Cette préoccupation renvoie aux moments où Alexandre réfléchit et pense à l’activité
de l’enseignante. Elle porte principalement sur les exercices proposés comme lors de S2 où il
marmonne « pfoufou c’est chiant c’est tout le temps les mêmes exos », les explications
délivrées ou encore l’attitude de l’enseignante vis à vis de la classe comme lors de l’ACS2 :
« ouai faut pas nous prendre pour un débile quand même (…)disons que pour elle j’pense on
est encore des petits 6ème».
1.4 Conclusion
Cette analyse a permis de spécifier et de caractériser la nature des préoccupations
d’Alexandre. Elle révèle que, parallèlement aux préoccupations répondant aux exigences
académiques des situations de classe, l'activité de l'élève recèle une multiplicité d'autres
préoccupations. Cette catégorisation des préoccupations typiques permet de mettre en avant
différents "types d'activités" qui semblent pour certaines répondre à la qualité d’expert de cet
élève. Enfin il apparaît que la nature de ces préoccupations peut se caractériser de façon assez
spécifique par rapport à l’acteur qui en est le destinataire.
62
2. Dynamique des préoccupations : la séance « vécue » par
Alexandre
Cette section s’attache à mettre en avant la dynamique des préoccupations de cet
élève. A l’aide des macro-séquences nous avons pu établir un découpage des deux séances qui
soit significatif de son point de vue. Nous avons ensuite étudié les fluctuations de ses
préoccupations au sein de ces macro-séquences révélant la pluralité et la spécificité de ses
engagements par rapport aux différents temps de la séance.
2.1 Découpage du cours d’expérience à partir des macro-séquences
Le Tableau 4 ci-dessous présente ce découpage pour les deux séances en parallèle.
Tableau 4 : Découpage des deux séances à partir de l’identification des macro-séquences.
Temps 0’ 5’ 10’ 15’ 20’ 25’ 30’
35’
SEANCE 1
Temps Macro-séquences
0' - 2' Connaissance des consignes en évitant
l'ennui
2' - 8' Investissement actif dans l'échauffement
8' - 10'30 Attente pendant la mise en place de la
situation suivante
10'30 - 13'30 Connaissance des consignes en évitant
l'ennui
13'30 - 24' Investissement dans un rôle d'arbitre
24' - 34'30 Investissement dans un rôle de capitaine
d'équipe
SEANCE 2 Temps Macro-séquences
0' - 3' Connaissance des consignes en évitant
l'ennui
3' - 11' Investissement actif dans
l'échauffement
11' - 16'30 Connaissance des consignes en évitant
l'ennui
16'30 - 18'30 Attente pendant la mise en place de la
situation suivante Attente pour la réalisation de l'exercice
Concentration sur la réalisation de l'exercice
Attente pour la réalisation de l'exercice 18'30 - 29'
…
29' - 33' Connaissance des consignes en évitant
l'ennui
33' - 34' Attente pendant la mise en place de la
situation suivante
63
Temps
35’
40’
45’
50’
55’
60’
65’
70’
75’
80’
A la suite de ce découpage on remarque qu’il y a une dynamique similaire sur les deux
séances avec une alternance d’engagements identiques qui semblent bien correspondre à
l’organisation globale impulsée par l’enseignante. En effet les deux séances se sont déroulées
sur le même modèle :
- Un échauffement identique avec un travail par deux. Alexandre s’est mis avec Olivier
pour chaque séance.
- Une période de matchs où chaque équipe jouait deux fois. Alexandre a également
participé à l’arbitrage.
- Un exercice identique pour les deux séances. Par binôme il s’agissait de se faire des
passes pour franchir un défenseur et aller marquer au but. Alexandre était là aussi
principalement avec Olivier.
SEANCE 2 Temps Macro-séquences
Attente pour la réalisation de l'exercice
Concentration sur la réalisation de l'exercice
Attente pour la réalisation de l'exercice
34' - 44'
…
44' - 46' Attente pendant la mise en place de la
situation suivante
46' - 53' Connaissance des consignes en évitant
l'ennui
53' - 58'30 Attente pendant la mise en place de la
situation suivante
58'30 - 67' 30 Investissement dans un rôle de
capitaine d'équipe
67'30 - 70' Attente entre deux matchs
70' - 74' Investissement dans un rôle d'arbitre
74' - 84' Investissement dans un rôle de
capitaine d'équipe
SEANCE 1 Temps Macro-séquences
34'30 - 41' Attente entre deux matchs
41' - 50' Investissement dans un rôle de capitaine
d'équipe
50' - 59' Attente pendant la mise en place de la
situation suivante
59' - 65' Connaissance des consignes en évitant
l'ennui
65' - 66' Attente pendant la mise en place de la
situation suivante
Attente pour la réalisation de l'exercice
Concentration sur la réalisation de l'exercice
Attente pour la réalisation de l'exercice
66' - 79'30
…
64
2.2 Préoccupations typiques d’Alexandre
Nous avons ensuite regardé précisément qu’elles étaient les différentes préoccupations
d’Alexandre au sein de ces macro-séquences. Nous exposons dans les Tableaux 5, 6 et 7 une
synthèse englobant les deux séances étant donné que notre travail d’analyse révèle que la
dynamique des préoccupations est globalement la même.
Tableau 5 : Dynamique des préoccupations tournées vers soi
Catégories
Préoccupations typiques
n°
Ecoute des
consignes tout en évitant l’ennui
Attente pour la mise en place de
la situation suivante
Attente entre deux
matchs
Attente pour la
réalisation de
l’exercice
Investissement actif à
l’échauffement
Investissement dans un
rôle d’arbitre
Investissement dans un rôle de capitaine
d’équipe
Concentration sur la
réalisation de l’exercice
Modifier la tâche pour se
donner physiquement
1 * * *
Se lâcher 2 * A
Ne pas perdre de temps
3 * * * * * * * Jouer un rôle de capitaine
d’équipe 4 * *
Superviser l'arbitrage 5 * * * B
Se concentrer sur la
réalisation des exercices
6 * * * * * *
65
Tableau 6 : Dynamique des préoccupations tournées vers les autres élèves
Catégories
Préoccupations typiques
n°
Ecoute des consignes
tout en évitant l’ennui
Attente pour la mise en place de
la situation suivante
Attente entre deux
matchs
Attente pour la
réalisation de
l’exercice
Investissement actif
à l’échauffe
ment
Investissement dans un rôle
d’arbitre
Investissement dans un rôle de capitaine
d’équipe
Concentration sur la
réalisation de l’exercice
Respecter les normes établies dans la classe
7 * * * * * * *
Modifier sa pratique
habituelle de club 8 * * * * C
Chercher à légitimer ses
actions 9 * *
Penser et discuter avec ses
camarades de sujets hors EPS
10 * * * * D
S'amuser 11 * * * Gagner le match 12 * * *
E Se justifier
d’avoir perdu 13 *
Faire travailler ses camarades 14 * * * *
Donner des conseils à ses camarades
15 * * * * * * *
Observer l'action de ses camarades
16 * * * * *
F
Motiver ses camarades
17 * * * * * * *
66
Tableau 7 : Dynamique des préoccupations tournées vers l’enseignante.
Catégories
Préoccupations typiques
n°
Ecoute des
consignes tout en évitant l’ennui
Attente pour la mise en place de
la situation suivante
Attente entre deux
matchs
Attente pour la
réalisation de
l’exercice
Investissement actif
à l’échauffe
ment
Investissement dans un rôle
d’arbitre
Investissement dans un
rôle de capitaine d’équipe
Concentration sur la
réalisation de l’exercice
Avoir une oreille sur
l’enseignante 18 * * * * * * *
Ne pas se faire repérer
19 * G
Trouver un accord avec l'enseignante
20 * *
H Réfléchir à l'action de
l'enseignante 21 * *
Cette analyse met en évidence la pluralité des engagements d’Alexandre qui ne se
réduisent pas à la poursuite des buts donnés par l’enseignante. Ils intègrent un faisceau de
préoccupations multiples, relatives à différents moments de la séance. Certaines
préoccupations semblent récurrentes tandis que d’autres apparaissent ponctuellement à des
moments précis. De plus ce faisceau de préoccupations s’organise sous des formes
« typiques », qui traduisent des convergences ou des contradictions entre les préoccupations
d’Alexandre. En effet certaines préoccupations sont à priori contradictoires et risquent de
soulever certaines tensions favorables à l’émergence de dilemmes (Ria, Saury, Sève et
Durand, 2001). Par exemple quand il est investi dans un rôle de capitaine d’équipe il peut être
partagé entre « Modifier sa pratique habituelle de club » et « Maintenir son image d’expert ».
Mais cette dimension potentiellement contradictoire des préoccupations d’Alexandre peut ne
pas l’être si ces dernières ne sont pas synchrones.
2.3 Conclusion
Cette analyse dynamique a mis en avant la pluralité et la fluctuation des
préoccupations de cet élève en lien avec les différents temps de la séance (de son point de
vue) qui semblent peser comme une contrainte « extrinsèque » (Theureau 2004) sur son cours
d’action.
67
3. Synthèse sur l’activité d’Alexandre au sein de la classe
Nous proposons désormais une synthèse de l’activité d’Alexandre en classe à partir
d’un triple éclairage. Les résultats obtenus quant à la nature et à la dynamique des
préoccupations d’Alexandre seront couplés au regard de l’enseignante à partir des données
recueillies en entretiens et de celui extérieur du chercheur.
3.1 Un perturbateur
Certains éléments de l’activité d’Alexandre renvoient à des dimensions qui semblent
s’opposer ou remettre en cause le bon déroulement de la séance.
Discuter avec ses camarades
Alexandre passe beaucoup de temps à discuter avec ses camarades de sujets hors EPS.
Par exemple il confirme en ACS1 : « là je parlais avec Charlotte des métiers plus tard ». Ces
discussions ont principalement lieu pendant les phases d’attente entre les situations
d’apprentissage, entre les matchs ou dans les fils d’attente. A ces moments précis il ne
perturbe pas le bon déroulement de la classe. Toutefois ces discussions apparaissent aussi
pendant la délivrance des consignes ce qui devient plus problématique et l’oblige dans le
même temps à trouver des stratégies pour masquer cette activité, ce qui n’est pas toujours le
cas comme le montre cette affirmation de l’enseignante lors de l’ESD : « ils ont toujours des
tas de choses à se raconter il discute avec ses copines ».
S’amuser pour passer le temps
L’activité d’Alexandre est également tournée vers l’amusement. Cette dimension
semble être une réponse à l’ennui car elle apparaît principalement pendant les phases d’attente
et non pendant les phases d’activité. Ces actions sont collectives mais également individuelles
mais semblent rester acceptables puisqu’elles ne furent l’objet d’aucune réprimande de la part
de l’enseignante. Elles consistent principalement en des jeux de ballons, de dribbles comme le
montre ces propos en ACS1 : « on s’occupait avec le ballon (…) on s’occupait »
68
Taquiner ses camarades
L’activité d’Alexandre révèle également un certain nombre d’actions où il embête
gentiment ses camarades. Par exemple lorsqu’il chatouille, dérobe les ballons, ébouriffe les
cheveux, fait peur … comme en témoigne l’ACS2 : « je l’embêtais en fait (…) t’as vu j’étais
en train de lui jeter le ballon sur elle (…) mais en fait je faisais semblant». Ces actions
apparaissent principalement dans les moments d’attente mais également de façon très
ponctuelle pendant toute la séance.
Porter un jugement sur l’activité de l’enseignante
L’activité d’Alexandre fait également état de réflexions sur la séance en elle-même, les
choix et les comportements de l’enseignante. En effet il porte un regard critique vis à vis des
exercices proposés, il regrette « l’inefficacité » de l’enseignante qui perd beaucoup trop de
temps, il trouve qu’elle les prend pour des « idiots » comme en témoigne cet extrait de
l’ACS2 : « on fait un nouveau truc mais bon ça se devine donc euh pfou on l’écoute euh mais
c’est tellement simple que pfou euh (…)faut pas nous prendre pour des débiles ». Ces
éléments apparaissent principalement pendant les phases de regroupements collectifs et font
parfois l’objet de discussions avec d’autres élèves.
Aller dans les vestiaires
Cet élément apparaît de manière récurrente dans les deux séances et sur l’ensemble du
cycle comme le précise l’enseignante en ACS1 « j’ai du mal à leur faire changer d’habitude
ils s’étaient rassemblés à mon insu et depuis c’est récurrent ». Ils y discutent des rencontres,
de la séance mais également de sujets hors EPS ou encore ils font leurs devoirs.
L’activité d’Alexandre révèle des éléments potentiellement vecteurs de perturbations
pour la leçon et qui correspondent aux activités habituellement soupçonnées chez les élèves.
3.2 Un expert
Une expertise incontestable dont l’activité d’Alexandre est révélatrice
L’expertise et la pratique compétitive d’Alexandre est incontestable tout au long de la
séance. Certaines de ses actions rendent compte de cette forte hétérogénéité et du décalage
énorme qui existe avec ses camarades. Notamment en match lorsqu’il cherche à réaliser une
belle action pour se faire plaisir ou lorsqu’il se lâche involontairement au niveau des tirs.
69
Aussi il dit lui même en ACS1 : « pour moi à chaque fois ça part pas assez fort (…) ben voilà
c’est parti tout seul ». L’enseignante reconnaît également cet aspect qu’elle ne condamne pas
comme le montre ces propos en ESD : « je trouve tout à fait normal qu’il s’exprime en HB ».
De même lorsqu’il arbitre les matchs il fait référence à sa pratique de club comme lors de
l’ACS1 : « en fait quand on arbitre ça c’est comme si tu arbitrais des moins de 11 en fait tu
vois presque le même niveau ».
Une expertise au service des autres élèves
Cette expertise apparaît tout de même bénéfique pour les apprentissages de ses
camarades comme le confirment ces propos de l’enseignante en ACS2 quand Alexandre
investit le rôle de défenseur lors de la situation d’apprentissage : « c’est pas négligeable
d’avoir des défenseurs du niveau d’Alexandre parce que (…) avec un défenseur fort ça oblige
le non porteur à se démarquer beaucoup sinon la balle est interceptée ». De plus on remarque
que ses camarades viennent spontanément le solliciter lorsqu’ils ont des questions ou des
problèmes relatifs au handball que ce soit sur l’arbitrage ou sur des conseils moteurs.
Une expertise qui pose problème
Il y a une très forte hétérogénéité entre l’expertise d’Alexandre et ses camarades. Ce
grand décalage est vecteur de tensions et de problèmes au sein de la classe dont l’enseignante
nous fait part en ESD : « ça se passe pas toujours bien (…)parce qu’il y a un peu
d’appréhension des autres (…) il impressionne beaucoup les gens de sa classe par sa
puissance physique ». Cette expertise contraint donc Alexandre à se retenir constamment et à
adapter son comportement au niveau de ses camarades, comme le souligne cette verbalisation
en ACS1 : « je fais déjà assez d’efforts pour ne pas tirer fort » ; pour éviter les conflits avec
les autres élèves et avec l’enseignante qui reconnaît en ESD : « il faut négocier un peu entre
Alexandre (…) et puis les autres qui ont la trouille ».
Une expertise à mettre en avant pour conserver son statut dans la classe
Cette expertise semble être également un moyen investi par Alexandre pour s’affirmer
au sein du groupe. L’enseignante nous précise en effet en ESD : « vis à vis des gens de la
classe il semblait un petit peu gêné et depuis qu’on a abordé le cycle HB il m’a semblé plus à
l’aise plus sûr de lui ». Notamment pendant les matchs qu’il désire remporter, il laisse
l’initiative à ses camarades quand il y a égalité ou qu’ils gagnent et joue davantage « perso »
pour aller marquer et revenir au score quand ils perdent. Par moment il réalise de manière
70
volontaire des actions spectaculaires complètement décontextualisées mais mettant en scène
ses habilités de handballeur comme il le reconnaît lui même en ACS2 : « là ils sont en train
de me dire ouai tu te l’a pète et tout (…) j’leur dis j’avoue j’avoue (…) ouai c’était ça
(sourit) ». Cet élément est confirmé par l’enseignante qui nous explique en ACS2 : « ils ont
tendance à dire oui mais il se l’a pète il fait son festival un peu (…) donc voilà les réactions
sont multiples et teintées d’admiration quand même aussi ».
Cette expertise, révélée par son activité, permet à Alexandre de s’affirmer et d’obtenir
un statut particulier et positif au sein de la classe. Toutefois elle est également à la source de
conflits en l’obligeant à s’adapter au contexte scolaire tout en se lâchant de temps en temps et
trouver un intérêt à la séance.
3.3 Un leader
Un certain nombre d’actions et de préoccupations d’Alexandre semble lui conférer un
statut de leader dans la classe.
Un rôle de capitaine d’équipe
L’investissement d’Alexandre dans un rôle de capitaine d’équipe est très marqué. Il
prend en main son équipe avant, pendant et après les matchs comme le reconnaît
l’enseignante en ESD : « il assure quand même ce rôle de coach conseillé (…) oui sa
présence dynamise l’équipe je pense ». Il organise l’action collective, donne des consignes,
supervise et oriente le jeu … Ce rôle de leader est légitimé et apprécié par l’enseignante qui
affirme en ACS1 : « alors c’est vrai que j’interviens pas toujours auprès d’Alexandre comme
il est autonome (…) je le laisse un peu se gérer et gérer son équipe». Enfin il est important de
noter que cette attitude apparaît au cours de ces deux séances de façon spontanée et n’est pas
imposée par l’enseignante.
Une volonté de dynamiser la séance
Alexandre est constamment engagé dans une volonté de mise en action personnelle
mais aussi collective. Il cherche à accélérer la mise en place des situations, range rapidement
le matériel, appelle ses camarades pour réaliser l’exercice, court ramasser les ballons… Par
exemple lors de la séance 2 Alexandre pressé de faire les matchs tente d’attirer l’attention de
l’enseignante pour accélérer la formation des équipes par des verbalisations du type
71
« madame on fait les équipes on fait les équipes » mais cette dernière ne l’entend pas comme
elle le confirme en ACS2 « et j’ai pas réagi (…) ah ouai c’est bien possible que j’ai pas
entendu ». Toutefois elle reconnaît cette attitude qu’elle juge positive pour la classe. Par
exemple elle affirme en AC S2 lorsque Alexandre s’empresse de ramasser tous les plots « ce
genre de choses il le fait de façon très très volontiers (…) finalement c’est quand même un
plus pour le groupe de voir qu’un très bon élève se montre respectueux de la consigne on
demande de ramasser les plots et il ramasse les plots naturellement sans rechigner (…) il est
donc un peu un modèle pour les autres finalement ».
Ainsi Alexandre ne se contente pas d’être un « expert » mais son activité révèle
également une position de « leader » assez influente sur la dynamique du groupe classe mais
vécue de manière positive par l’enseignante car plutôt convergente avec les intérêts scolaires.
3.4 Un tuteur
Cette dimension de l’activité d’Alexandre renvoie à toutes les préoccupations
orientées vers la progression de ses camarades et qui apparaissent tout au long de la séance.
Une volonté de faire progresser ses camarades
Alexandre est fortement préoccupé par la progression de ses camarades afin qu’ils
puissent avoir de bonnes notes au BAC. Cet objectif est clairement affiché dès le début de
l’ACS1 où il affirme : « toujours mon objectif dans le cours entier c’est que les autres ils
progressent (…) même si moi j’ai à progresser mais que les autres en premier ils
progressent ». Cette volonté est récurrente tout au long des deux séances comme en témoigne
sa forte présence pendant les entretiens que nous avons menés.
Une démarche de tutorat
Cette posture de tuteur se révèle à travers un ensemble d’actions (au sens large) telles
que l’observation de l’activité de ses camarades, la réflexion sur les objectifs des exercices, la
délivrance de conseils, d’explications, la réalisation de démonstrations, de mimes… Il donne
des feedback, réfléchit aux conséquences de son action, adapte son comportement : la
résistance lorsqu’il est défenseur, les objectif selon le camarade avec lequel il effectue
l’exercice, ses passes pour faire travailler des points précis ... Cette posture de tuteur est
particulièrement dominante par rapport aux questions d’arbitrage où il fait réfléchir les autres
72
arbitres, leur pose des questions, leur laisse l’initiative, les encourage à participer... Ce rôle
investi dès l’échauffement se retrouve tout au long de la séance à des intensités plus ou moins
fortes et en fonction des réactions des élèves.
Une démarche pas toujours efficace
Alexandre adopte ce rôle de tuteur avec certains individus et pas d’autres comme il le
précise en ACS1 : « ouai avant j’lui disais mais maintenant ça sert plus à rien (…) j’dis à
ceux qui m’écoutent j’dis à Charlotte Olivier et euh Marion » De même lors de
l’échauffement on voit qu’Alexandre est engagé sur une activité tutorielle pour faire
progresser Olivier tandis que ce dernier préfère s’amuser, se divertir en tirant sur les autres.
Aussi il finit par abandonner car comme il nous explique lors de l’ACS2 Olivier « n’écoutait
rien il était vououou il volait tu vois il était sur son petit nuage (…) c’était le jour où il avait
fumé avant de venir en cours ». Enfin il n’adopte pas cette attitude à n’importe quel moment.
Par exemple pendant les consignes avant le match, Alexandre réfléchit à ce qu’il va dire à ses
camarades mais il précise en ACS1 : « j’leur en parlerai après (…) là ça sert à rien parce que
ils n’écouteraient pas ».
Toutefois si les deux dimensions précédentes : « expert » et « leader » sont conscientes
chez l’enseignante cette posture de « tuteur » semble lui échapper comme nous le confirme
cet extrait de l’ESD : « je ne sais pas toujours de quelle façon il intervient auprès de ses
camarades (…) j’ai l’impression qu’ils communiquent pas mal entre eux (…) mais sans en
être sûr bien sûr et j’ai l’impression qu’ils en prennent et qu’ils en laissent (…)».
3.5 Conclusion
L’activité d’Alexandre apparaît comme l’expression de 4 rôles interdépendants : « un
perturbateur », « un expert », « un leader », « un tuteur ». Ces derniers sont plus ou moins
prégnants selon les temps de la séance et selon les acteurs avec lesquels Alexandre interagit.
Finalement il nous semble que ces quatre rôles originaux peuvent rendre compte d’une
spécificité de l’activité d’un élève « expert » en EPS, résultat que nous allons mettre en débat
dès maintenant dans la discussion.
73
Chapitre 4 : DISCUSSION
La discussion s’organise en trois parties : la première concerne l’analyse de l’activité
d’Alexandre ; la seconde aborde la question de l’hétérogénéité à partir des éléments discutés
dans la partie précédente ; enfin la dernière partie met en lumière les limites et perspectives
de notre travail.
1. Analyse de l’activité d’Alexandre 1.1 Un élève ordinaire
L’analyse de l’activité d’Alexandre confirme les conclusions des travaux antérieurs,
malgré son « expertise » Alexandre reste un élève ordinaire.
Eviter l’ennui / éviter les ennuis
L’ensemble des préoccupations d’Alexandre peuvent être rattachées aux travaux
d’Allen (1986) qui envisage l’activité de l’élève en classe comme la recherche d’un « modus
vivendi » qui consiste à poursuivre conjointement deux objectifs pouvant se résumer par la
formule « éviter l’ennui / éviter les ennuis ». Selon cet auteur la première orientation s’axe
vers « la convivialité, l’entretien des relations amicales » et concerne des attitudes colorées
d'amusement, le bavardage… la seconde consiste à « satisfaire les exigences minimales de
chaque enseignant », autant d’éléments que l’on retrouve dans les préoccupations
d’Alexandre. Nos résultats confirment également en référence à Siedentop (1994)
l’importance prise par le « système des interactions sociales » et sa dimension fortement
clandestine échappant à l’enseignant. Notamment lors de la délivrance des consignes, on
retrouve fortement cette dimension dans l’activité d’Alexandre. Cependant Siedentop (1994)
parle d’une "dissimulation des interactions sociales à l'intérieur des tâches
d'apprentissage"(p.107) permettant d'accomplir la tâche à la vue de l'enseignant, en la
modifiant clandestinement, afin de pouvoir y intégrer des interactions qui ne concernent
nullement la tâche prescrite par l'enseignant et perturbant les acquisitions scolaires. Chez
Alexandre, nous retrouvons ce caractère « clandestin » des interactions sociales pendant les
tâches d’apprentissage mais étrangement comme nous allons le voir, elles ont le plus souvent
trait à la tâche elle-même et à des préoccupations favorisant ou ne perturbant pas les
apprentissages.
74
Ces travaux menés à partir d’une perspective écologique semblent insister sur le
manque d'intérêt que l'élève porte à son activité et à son apprentissage en classe et ils donnent
une vision assez dichotomique de l’engagement des élèves dans les situations de classe (soit
engagés dans les tâches académiques, soit faisant "autre chose" de façon dissimulée).
Les études réalisées en action située à partir du point de vue intrinsèque de l’acteur ont permis
de confirmer et d’affiner cette idée de « modus vivendi » (Rossard et al. 2004, De Keukelaere.
2005, Huet et al. 2006). « Eviter l’ennui » se déclinerait en deux grandes préoccupations
d’ordre plutôt individuel « trouver un intérêt à son activité et à son apprentissage » et
«investir une part de sa liberté dans la classe ». De même « Eviter les ennuis » aurait trait à
des normes collectives renvoyant à « s’adapter individuellement ou collectivement au travail
scolaire » et « agir de façon plus ou moins légitime au sein des collectifs de la classe ».
L’engagement de l’élève résulterait d’un équilibre complexe entre ces différentes dimensions
contribuant à une adaptation viable aux situations scolaires. Il chercherait ainsi simultanément
à se conformer aux attentes scolaires et aux normes collectives tout en y intégrant des
préoccupations personnelles afin de préserver un intérêt et un plaisir à la pratique. Au regard
de nos résultats, l’activité d’Alexandre s’inscrit pleinement dans ce modèle. Toutefois en
affinant le grain d’analyse nous avons pu mettre en évidence que ces grandes dimensions
renvoient en fait à des préoccupations tout à fait originales chez cet individu.
En effet « éviter les ennuis » semble s’actualiser de manière spécifique pour l’élève
« expert ». Au delà des contraintes relatives à l’institution scolaire, aux attentes de
l’enseignant et aux règles collectives de la classe, les ennuis proviennent également de son
« expertise ». Notamment pour cet élève c’est paradoxalement, lorsqu’il s’engage pleinement
dans les tâches d’apprentissage, qu’il risque des ennuis. La forte hétérogénéité dont il est
porteur et le caractère « décontextualisé » de ses réalisations motrices pose problème. Ainsi
pour « éviter les ennuis », Alexandre doit faire preuve de retenu et d’un contrôle de soi sur le
plan moteur (adapter ses actions) mais aussi au niveau de ses connaissances (laisser les autres
élèves réfléchir, ne pas donner toutes les réponses).
De même, l’élève « expert » cherche à « éviter l’ennui » en s’engageant dans des
activités plus ou moins en accord avec les attentes scolaires. Mais globalement l’ennui n’a pas
la même origine chez l’élève « expert » et il ne se traduit pas par les mêmes comportements.
Nos résultats confirment les activités « clandestines » classiques des élèves (discuter,
s’amuser, modifier les tâches …) (Rossard et al. 2004, Huet et al. 2006, Guerin et al. 2005). A
cet égard, il est intéressant de préciser que la plupart des discussions ayant trait à des sujets
extérieurs à la séance d’EPS sont marquées par l’expertise d’Alexandre et renvoient à des
75
préoccupations de sportifs (par exemple : son entraînement du soir, la musculation, les abdos,
la diététique, le surpoids ...). Par contre les interactions sociales « clandestines »,
potentiellement vecteurs de perturbations car non tournées vers la séance ou l’apprentissage,
apparaissent uniquement pendant les moments d’attentes ou pendant la délivrance des
consignes. Cet élément s’expliquant par le fait qu’Alexandre possède déjà les connaissances
que l’enseignante tente de leur faire découvrir. De plus son « expertise » confère aux situations proposées un caractère passablement
ennuyeux étant donné qu’elles ne lui posent aucun problème moteur et qu’il est obligé de se
retenir sous peine d’avoir des ennuis. Aussi il met en place un certain nombre de stratégies
consistant à modifier les tâches afin de pouvoir quand même s’investir physiquement (réaliser
un kung fu lors des tâches d’apprentissage, jouer en infériorité numérique). Ces modifications
clandestines ne lui permettant toujours pas de s’investir sur le plan moteur Alexandre investit
également des rôles très particuliers de « leader » ou encore de « tuteur » sur lesquels nous
reviendrons. Ces derniers l’engagent dans des interactions sociales « clandestines » par
rapport à l’enseignante et divergentes de la tâche initialement prescrite mais qui restent
tournées vers l’apprentissage, non pas le sien mais celui de ses camarades.
Une pluralité d’engagements
Prolongeant cette idée d’activité « clandestines » les travaux menés par Huet et al.
(2006) et Rossard et al. (2004) ont mis en évidence la pluralité des préoccupations des élèves
pendant la séance. Plus précisément, ils montrent que les élèves peuvent être engagés dans
plusieurs activités en même temps. Ces différents « ouverts » à un instant donné évoluent
selon les différents temps de la séance, la structure des tâches d’apprentissage ou les acteurs
avec lesquels ils interagissent. La dynamique des préoccupations d’Alexandre confirme ces
conclusions et nous avons mis en évidence plusieurs grands faisceaux de préoccupations en
lien avec différents moments de la séance. A chaque instant, Alexandre est investi sur
plusieurs préoccupations qui peuvent entrer en contradiction (par exemple discuter de sujets
hors EPS avec ses camarades sans se faire repérer par l’enseignante tout en prenant
connaissance des consignes de l’exercice). Nous interprétons ces résultats en avançant l'idée
que la participation d’Alexandre correspond à une construction d' « îlots de cohérence
locale » (Durand et al. 2005 p.5). Cette notion renvoie à la construction d’un référentiel, non
tenu par une cohérence logique mais issu des expériences passées et fluctuant selon les
situations et les acteurs avec lesquels l’individu interagit à chaque instant. Cet élément
confirme le caractère auto-organisé de l’activité et l’existence d’un « couplage structurel »
76
avec l’environnement. Ainsi chaque moment de la séance définit un état dynamique global,
inséparable de l’histoire des couplages passés, et orientant l’action d’Alexandre, en jouant un
rôle d’attracteur « ouvrant préférentiellement certains possibles et en rendant d’autres
improbables » (Durand et al, 2005, p.5). Plus précisément, certains engagements vont émerger
de la situation tandis que d’autres, non adaptés par rapport à cette configuration de
l’environnement, n’apparaissent pas.
Les contraintes issues des systèmes de tâche
Les études antérieures révèlent que l’activité des élèves en classe émerge des
contraintes posées par les systèmes de tâches. Notamment les recherches sur l’écologie de la
classe menées par Siedentop (1994) indiquent que lorsque le caractère évaluatif d'un cycle
disparaît, "le système de tâche lui-même disparaît". C’est ce que Doyle (1979) appelait le
"système d'échange de performance contre des notes dans le bulletin scolaire" (p.103) où les
enjeux évaluatifs viendraient « rigidifier » le système de tâches. Rossard et al. (2004)
prolongeant cette idée dans une perspective « située » confirme que l’évaluation scolaire, en
tant que contrainte significative perçue par les élèves, les conduirait à stabiliser leur
engagement dans les tâches d’apprentissage, et constituerait ainsi une « contrainte
extrinsèque » essentielle de leur cours d’action (Theureau, 1992, 2004). Nos résultats viennent
confirmer ces conclusions en montrant que la certification scolaire est à la base de
l’engagement d’Alexandre dans les tâches d’apprentissage mais là encore le mécanisme est
différent. Au regard de l’expertise dont il fait preuve on peut s’attendre à ce que sa note ne
fasse pas l’objet d’une grande incertitude ni d’un enjeu important. Effectivement à aucun
moment (pendant la séance ou durant les entretiens) il ne fait référence spontanément à son
évaluation. Pourtant cette contrainte certificative pèse fortement sur son engagement. C’est la
perspective de l’évaluation future (BAC) de ses camarades qui oriente son activité dans les
tâches d’apprentissages afin de les faire progresser pour qu’ils aient une bonne note. Il est de
plus important de noter qu’à aucun moment de nos deux séances il n’a été question
d’évaluation de manière explicite. Même le résultat des matchs n’était pas pris en compte par
l’enseignante. En effet Alexandre confirme en ESD « y-a pas d’évaluation vraiment elle nous
note sur tout le trimestre elle regarde comment ça marche ».
De plus Durand (1996) rappelle que face à une perspective de certification scolaire les
élèves adoptent des attitudes stratégiques qui relèveraient plus du réinvestissement de valeurs
et de normes socioculturelles telles que le fait d'être « présent au cours » de porter « un
costume approprié » ou encore de se comporter de « façon acceptable » (Siedentop, 1994, p.
77
112) que de l'acquisition d'habiletés et de compétences motrices. Précisément l’activité
d’Alexandre n’est pas orientée vers la performance motrice mais bien vers une adaptation de
son « expertise » au contexte scolaire dans le respect des normes collectives de la classe.
Notamment dans la perspective d’une évaluation future il explique en ESD : « je vais essayer
de jamais tirer en fait et je vais passer tout le temps aux autres (…)parce que c’est souvent
sur ça que les profs ils notent ».
Ainsi l’activité d’Alexandre résulte bien d’un équilibre précaire entre ces deux
dimensions « éviter les ennuis » « éviter l’ennui » évoluant au grès du contexte et notamment
des tâches proposées et témoignant de sa qualité d’élève. Cependant pour le cas d’un
« expert » l’articulation semble d’autant plus difficile étant donné que son « expertise » est
doublement vecteur d’ennui et d’ennuis.
1.2 Spécificité de l’élève expert
1.2.1 Un expert
L’activité d’Alexandre est fortement marquée par son expérience personnelle de haut
niveau en handball répondant à une logique institutionnelle. Comme nous l’avons vu l’activité
est « située » et « cultivée » c’est pourquoi face à une même « arena » (le contexte de la
classe) Alexandre développe un « setting » (Lave 1988) particulier en référence à sa pratique
de haut niveau. On remarque ainsi à plusieurs reprises que les significations accordées par
Alexandre aux situations qu’il rencontre et qu’il contribue à développer sont en totale rupture
avec celles vécues par ses camarades (par exemple ses tirs sont assimilés à des boulets de
canon). De même, interrogé sur son niveau en handball, il nous explique en ESD : « j’ai
beaucoup perdu maintenant j’suis nul », témoignant là aussi d’un référentiel différent.
Cette forte hétérogénéité de significations perturbe l’équilibre fragile du système
classe par la rencontre entre une culture scolaire et une culture institutionnelle. Dans une
perspective « d’apprentissage situé », Brown et al (1989) parlent d’indexation du savoir pour
souligner le caractère indissociable des contenus, des contextes, des activités et des conditions
sociales d’acquisition. A cet égard on remarque qu’Alexandre a été contraint d’adapter son
« expertise » au cadre scolaire que ce soit d’un point de vue moteur (tirer moins fort) mais
aussi sur les connaissances (règlement scolaire / règlement fédéral). Par exemple
encourageant Olivier à tirer alors que ce dernier est encore très loin du but il reconnaît en
78
ACS2 : « ouai tire c’est vrai qu’avec le bras qu’il a c’est pas très réaliste sur ce moment là ».
Ainsi les circonstances d’acquisition de ses savoirs et savoirs faire (le contexte club), si elles
réapparaissent de temps en temps, ont été remplacées par un nouveau référentiel selon un
processus de typicalisation, de construction (validation / invalidation) de types ( Rosch, 1999 ;
Theureau, 1992). Cette adaptation est un processus complexe et dynamique à la recherche
d’un équilibre "viable" mais toujours précaire et plus ou moins "satisfaisant" qui à la fois
typicalise l’expérience dans l’immédiateté de l’action et exprime une expérience
préalablement typicalisée. De plus selon Canguilhem (1965/2003), cité par Durand et al (2005, p.5), « même si
l'acteur est toujours soumis à des contraintes extrinsèques, son activité est créatrice de
normes propres ». On retrouve ici l’idée de couplage structurel prenant place entre l’élève et
l’environnement scolaire (au sens large). Ce dernier modifie et questionne la culture
« experte » d’Alexandre obligé de s’adapter. Mais inversement la culture commune de cette
classe porte la marque d’une logique institutionnelle qu’il a importée. En effet le respect, la
négociation et l'élaboration de ces normes collectives occupent une place importante dans ses
préoccupations. Cet aspect de l’activité d’Alexandre est bien pris en compte par l’enseignante
qui intervient de temps en temps à la recherche du meilleur compromis. Elle essaye d’articuler
le point de vue des élèves qui ont « peur » et ne comprennent pas l’attitude d’Alexandre et le
point de vue de ce dernier qui faisant déjà beaucoup d’effort se lâche de temps en temps.
Ainsi l’élève « expert » développe une activité dans laquelle s’articulent des intérêts
personnels (liés à sa culture et son vécu institutionnel) et collectifs (l’adaptation de cette
culture au cadre scolaire) exprimant une culture partagée et des normes collectives
constamment négociées au sein de la classe. Cet aspect ne peut s’effectuer indépendamment
de l’enseignante qui sert de médiateur en permettant à ces deux cultures d’évoluer, de se
rencontrer et de s’accepter.
1.2.2 Un leader
L’analyse de l’activité d’Alexandre révèle également selon nous un rôle de « leader ».
Bales (1950) définit les rôles comme des modes d’intervention au sein d’un groupe se
différentiant selon trois dimensions : l’activité, le type de sociabilité et l’investissement dans
la tâche. Alexandre est très actif, il adopte spontanément des attitudes positives vis à vis des
autres, favorise l’inertie en faisant en sorte que les choses se passent bien, et il est très
fortement engagé dans les tâches proposées. Ces caractéristiques concordent bien avec les
travaux de Rey (2000) qui définit le leader comme « l’individu le plus influent dans un groupe
79
qui engage et oriente les conduites de l’ensemble des membres (…) le pouvoir du leader est
spontané et n’est pas attribué de l’extérieur » (p 36). Nous interprétons ce rôle de leader
adopté par Alexandre comme une conséquence de son expertise motrice mais également
comme une réponse à l’ennui suscité par les activités scolaires.
Ce rôle peut être perçu à deux niveaux : celui restreint de son équipe où il occupe une
position dominante et dynamisante de « capitaine » et celui plus global du système classe.
Cette position de « capitaine » adoptée spontanément par Alexandre s’explique selon nous par
le type d’organisation mis en place par l’enseignante. En effet les équipes constituent des
collectifs stables qui ne sont pas modifiés tout au long du cycle. Cette organisation renvoie à
la « sport education » dont parle Siedentop (1994) quand il propose d'aménager des cycles
d'EPS, à l'image des saisons sportives. Reprenant cette idée Kirk et Kinchin (2003)
considèrent que cette organisation des cycles d'EPS, permettrait à l'élève de donner un sens à
son activité, de trouver un intérêt à sa pratique qui se rapprocherait de celle véhiculée par les
pratiques sportives sociales de référence. En effet dans le cas de cette classe et plus
précisément dans l’équipe d’Alexandre les matchs s’organisent et se déploient à partir d’une
référence « club » très prégnante. La stabilité des équipes a favorisé l’émergence de règles
communes (« c’est bon il y a 4-4 j’te passe»), d’un langage commun (« entre ton joueur et le
but »), d’une organisation particulière (défense individuelle) et de rôles spécifiques à chacun
des joueurs (Marion dans les buts, Olivier en attaque). Au sein de ce collectif, Alexandre a pu
prendre une place dominante gérant son équipe sur le modèle des rencontres sportives
(consignes de jeu, gagner le match, bilan de la rencontre). Cette position de leader est bien
acceptée par ses coéquipiers certainement car tout en dirigeant l’équipe il adapte son
comportement en les faisant jouer au maximum.
Ce rôle de capitaine d’équipe semble positif. Il permet de satisfaire Alexandre qui trouve un
intérêt à prendre part aux matchs et à s’intégrer au sein d’un collectif qui pourtant ne
correspond pas du tout à sa pratique de club. Parallèlement il impulse une dynamique
favorisant la mise en action de ses coéquipiers et soulageant l’enseignante qui laisse une
grande liberté d’initiative à Alexandre et n’intervient jamais dans leur équipe comme il le
reconnaît lui même en ESD : « c’est moi qui gère (…) j’pense pas que les autres le voient
mais elle nous parle jamais à notre équipe ».
En même temps ce rôle de leader peut aussi être perçu comme négatif car lorsqu’il
enfile ce costume, son attitude est prescriptive avec beaucoup d’ordres et de consignes. En
référence aux travaux menés en psychologie sociale nous sommes ici sur une relation d’expert
80
à novice (Bruner 1983) peu favorable aux apprentissages car laissant peu d’initiative et de
choix à ses coéquipiers. Alexandre reconnaît lui même en ESD : « ouai souvent ben je donne
mes petits ordres (…) j’y vais fort (…) mais des fois ils écoutent pas ».
Cette position dominante résulte bien sûr de sa qualité d’expert le dotant de savoirs et de
savoir-faire de haut niveau faisant autorité sur ses camarades et ne permettant pas l’émergence
de conflit socio-cognitif (Doyse et Mugny 1981). En référence à Gilly, Fraisse et Roux (1988)
qui ont mis en évidence différents types de dynamique interactive, nous analyserons ces
interactions comme une « coélaboration acquiesçante » où l’un des individus propose une
solution à l’autre qui sans marquer d’opposition écoute et acquiesce.
Ce collectif stable est organisateur de l’activité d’Alexandre tout au long des deux
séances. En effet lorsqu’on s’attache à regarder le réseau d’acteurs avec lesquels il interagit en
dehors des situations de matchs on remarque qu’il s’agit très majoritairement de ses
coéquipiers que ce soit pour discuter de sujets hors EPS, s’amuser ou encore réaliser les
exercices. De plus il semble particulièrement attaché tout au long de la séance à faire
progresser particulièrement ses coéquipiers comme il nous le précise lui-même en auto-
confrontation.
Du point de vue de la classe entière ce rôle de leader apparaît également mais de façon
moins dominante. Il semble impulser une dynamique notamment dans sa volonté constante
d’être en activité, d’accélérer la mise en place des situations et de diminuer les temps
d’attente. De plus son « expertise » lui confère un statut particulier et les autres élèves le
considèrent comme une personne ressource qu’ils sollicitent pour trouver des réponses à leurs
problèmes relatifs au handball et qu’ils prennent souvent en modèle. Il explique lui même en
ESD : «les autres ils te voient plus comme (…)le spécialiste de l’activité qui peut te dire
comment faire ». Ce rôle d’interface entre l’enseignant et la classe résulte ici uniquement des
initiatives d’Alexandre. En effet l’enseignante reconnaît l’existence de ce rôle et considère de
façon très positive son influence sur la classe mais ne semble pas l’orienter de manière
directe. Rey (2000) souligne qu’il faut contrôler le pouvoir des leaders pour éviter qu’ils ne
prennent le contrôle de la classe. Dans le cas d’Alexandre on remarque que son attitude reste
globalement en accord avec les exigences scolaires comme il le reconnaît en ESD : « moi
dans mon esprit c’est normal quand un prof me demande quelque chose ben voilà je le fais ».
Aussi ce rôle de leader ne semble pas présenter de « dangers ». Même pendant les consignes
où il s’ennuie et ne cautionne pas les choix de l’enseignante, il essaye de garder pour lui ses
impressions n’influençant pas le reste du groupe.
81
Ainsi au sein de cette communauté de pratique Alexandre occupe un rôle de leader
reconnu comme positif par l’enseignante et ses camarades. Nous interprétons cette
reconnaissance comme le résultat de l’incorporation de son « expertise » au contexte scolaire.
Sa pratique de haut niveau lui confère une légitimité et un certain prestige mais en même
temps c’est parce qu’il s’efforce d’adapter cette expertise au contexte scolaire et de respecter
les normes communes qu’il peut occuper cette position centrale et reconnue dans la classe.
1.2.3 Un tuteur
L’activité d’Alexandre a également révélé un rôle très intéressant et étonnant de
« tuteur » pris de manière spontanée et que nous interprétons là aussi comme une réponse à
l’ennui véhiculé par les tâches d’apprentissage.
Une démarche de tutorat
Ce rôle original semble particulièrement développé et abouti chez cet élève. En effet
son activité semble concorder avec les travaux de Winnykamen (1996) selon lesquels
l’interaction tutorielle « peut se définir par des échanges en situation de construction,
d’acquisition, et de transmission de connaissances, les interventions d’un sujet (le tuteur)
ayant pour objectif de permettre à l’autre (le novice) de progresser dans la résolution de la
tâche » (p. 16). Cette volonté de faire progresser est omniprésente chez Alexandre. De même
transposé dans le cadre scolaire, le rapport de l’équipe IUFM d’Aix-Marseille / LAMES
(2000) énonce le principe de base du tutorat de la manière suivante : « un élève plus
compétent qu’un autre dans un domaine ou par rapport à une tâche particulière, vient en aide
à un autre élève, non pour faire à sa place ni pour lui dicter ce qu’il faut faire, mais en lui
expliquant comment s’y prendre pour qu’il parvienne à mieux réussir par lui-même ». Tout au
long de la séance, on remarque que l’activité d’Alexandre est porteuse d’éléments qui
semblent correspondre à cette démarche. Notamment, il observe ce que font ses camarades, il
réfléchit à ce qui ne va pas, explique, donne des conseils, réfléchit à ce qu’il leur dit, fait des
démonstrations, encourage, vérifie les effets de ses interventions. Par exemple, lorsque
Alexandre joue le rôle de défenseur pendant la situation d’apprentissage son action s’ajuste
constamment à celle de ses camarades, il s’investit dans une démarche de tutorat renvoyant
dans un autre registre à la notion d’ IMI (imitation modélisation interactive) de Winnykamen
et Lafont (1990) selon laquelle le modèle après avoir observé et évalué la production du sujet
imitant, modifie sa production en fonction de la réalisation momentanée de celui-ci . Son
82
« expertise » est certainement là encore à l’origine de cette attitude. En effet s’il n’adaptait pas
son comportement l’exercice n’aurait plus vraiment d’intérêt étant donné qu’il récupèrerait
toutes les balles et ses camarades ne seraient certainement pas très satisfaits.
Il modifie également son comportement selon la personne avec laquelle il réalise les exercices
(son engagement moteur n’est pas le même lorsqu’il travaille avec Olivier ou Vincent) il
adapte ses conseils selon les élèves avec lesquels il interagit (les mots utilisés pour expliquer
l’organisation défensive ne sont pas les mêmes lorsqu’il s’adresse à Charlotte ou à Marc).
Cette attitude de tutorat est forte pendant les situations d’arbitrage où il est investi dans une
démarche d’enseignement vis à vis de son arbitre « adjoint ». Il n’impose pas ses réponses
mais sollicite la réflexion de son camarade, le pousse à prendre des initiatives, le corrige en
expliquant ses choix. Enfin pendant les matchs Alexandre cherche constamment à faire jouer
un maximum ses coéquipiers, il vérifie leur placement sur le terrain, observe leurs actions et
les corrige ponctuellement.
Ce processus d’étayage où s’articulent pensée, parole et action crée une situation
potentiellement vecteur d’apprentissages aussi bien du côté du tutoré que du tuteur (Topping,
1998). Pléty (1996) qui cherchait à savoir si un élève pouvait enseigner à un autre et s’il
pouvait apprendre d’un autre a mis en évidence le côté bénéfique de la pratique du tutorat.
Bénéfices pour le tutoré ?
Cependant face à la très grande distance qui sépare Alexandre de ses camarades on
peut s’interroger sur l’efficacité de ce rôle de tutelle. Les travaux réalisés en action située
nous ont amenés à considérer que chaque individu donne une signification personnelle au
contexte dans lequel il agit. Aussi la réussite d’une interaction repose sur une production
« d’intelligibilité mutuelle » (Suchman 1990), favorisée par l’accès mutuel aux ressources
disponibles dans l’environnement. Cette idée renvoie à la notion de « contexte partagé »
(Garfinkel, 1967) cherchant parmi les informations qui sont pertinentes pour les acteurs dans
une situation celles qu’ils partagent ou non à un instant donné (Salembier et Zouinar, 2004).
Dans le cas d’Alexandre et compte tenu de l’écart important avec ses camarades, on peut à
juste titre s’interroger sur le caractère « partagé » et « intelligible » de ses interventions
verbales et motrices. En effet, malgré ses efforts d’adaptation, Alexandre conserve une
activité fortement chargée de référence au haut niveau qui échappe parfois certainement à ses
camarades. (notion d’intervalle, réalisation de passes un peu forte sur Olivier ).
Si ce rôle de tuteur est investi par Alexandre il ne l’engage pas forcément toujours
dans une relation de tutelle. En effet trois caractéristiques relevées par Winnykamen (1990)
83
sont indispensables à l’émergence d’une interaction tutorielle : une dissymétrie de
compétence, un engagement des deux partenaires, des objectifs complémentaires.
Si l’expertise dont fait preuve Alexandre remplit systématiquement la première exigence les
deux autres sont beaucoup moins systématiques. En effet les camarades avec lesquels il
interagit ne souhaitent pas forcément s’engager ou ne sont pas toujours orientés vers des buts
d’apprentissage ou de progrès. Notamment lors de l’échauffement Séance 2, Alexandre va
abandonner sont rôle de tuteur vis à vis d’Olivier qui ne cherche qu’à s’amuser et avait fumé
avant de venir en cours. Ainsi l’investissement dans ce rôle dépend également de la réaction
de ses camarades.
Bénéfices pour le tuteur ?
Les études menées sur le tutorat mettent en avant un « effet – tuteur » qui désigne le
bénéfice personnel retiré par les élèves qui apportent une aide. Ces « relations interactives
d’instruction » (Bruner, 1983) permettent un « apprentissage par la reformulation » (Gartner
et al. 1973) en amenant les élèves tuteurs à revisiter des connaissances, à les réorganiser, à
produire des explications, à mieux voir l’essentiel à travers une activité métacognitive pour
apprendre à apprendre. Ayant à apporter une aide, le tuteur produit des explications : il est
sollicité sur un plan métacognitif, au niveau des fonctions régulatrices de l’action (capacités
d’organisation, de contrôle, d’évaluation et de vérification). Il apprend à porter un regard
critique sur ce qui est fait, à se distancier par rapport à sa propre manière de faire, à réfléchir
afin de mieux agir.
Comme nous l’avons vu, cette activité métacognitive est présente chez Alexandre et
nous émettons l’hypothèse qu’elle est vecteur d’apprentissages. Toutefois ce rôle de tuteur
prend place principalement sur des acquisitions motrices. A cet égard on peut supposer
qu’obligeant Alexandre à s’adapter, à doser ses gestes, à mettre en mots son action il puisse
également faire des acquisitions sur le plan moteur en affinant et explorant de manière
réflexive sa motricité de handballeur.
Un choix personnel ?
L’engagement d’Alexandre dans ce rôle de tuteur est là aussi tout à fait spontané et ne
fut pas l’objet de directives ou de consignes particulières. La réalisation des entretiens a
confirmé cette méconnaissance de l’enseignante sur cet élément pourtant omniprésent. Là
encore, selon nous, cette attitude peut s’expliquer par l’ « expertise » de cet élève. En effet les
le rapport de l’équipe IUFM d’Aix-Marseille / LAMES (2000) souligne que le rôle de tuteur
84
est une manière de davantage exister par rapport aux autres, de se sentir utile et porteur de
connaissances profitables à d’autres, de prendre plus de plaisir dans l’acte d’apprentissage
tout cela dans un contexte communicationnel où la composante affective joue un rôle. On
retrouve ici l’idée « d’éviter l’ennui » et « d’éviter les ennuis » auquel s’ajoute la valorisation
de l’image de soi. Nous avons déjà souligné qu’Alexandre ne peut pas trouver d’intérêt
moteur dans les tâches d’apprentissage car devant constamment se retenir. Le rôle de tuteur
semble ainsi être un moyen de répondre à ce manque et de s’affirmer au sein de la classe. Il
lui permet en effet de valoriser et de réinvestir son « expertise » dans la tâche d’apprentissage
sans toutefois rencontrer d’opposition de la part de ses camarades qu’il contribue à faire
progresser, comme en témoigne cette affirmation en ESD : « en fait tu aides les autres à
s’améliorer (…) ils le savent très bien ».
Ainsi l’activité d’Alexandre est porteuse d’un rôle de tuteur très développé qu’il
investit de manière spontanée et méconnue de l’enseignante et que nous interprétons comme
une forme d’expression et de valorisation de sa qualité d’ « expert » au sein du groupe classe.
1.3 Quatre rôles en interaction
L’analyse et la discussion de nos résultats nous ont amené à considérer l’activité
d’Alexandre comme le résultat d’un équilibre dynamique entre quatre rôles interdépendants : un
perturbateur, un expert, un leader, un tuteur. Fortement marqué par le caractère « expert » de cet
élève, ils sont une adaptation originale à la formule « éviter l’ennui / éviter les ennuis » (Allen,
1986). Cette dynamique qui émerge du contexte classe dépend des moments de la séance, des
situations d’apprentissages, du rapport de force lors des matchs, des acteurs avec lesquels il
interagit… Même si ces quatre rôles sont toujours présents, le rôle de perturbateur apparaît
surtout pendant les phases d’attente, le rôle d’expert est constant mais problématique pendant
les matchs, le rôle de leader est très présent pendant ces derniers, enfin celui de tuteur est très
marqué pendant les tâches d’apprentissages, d’arbitrage ou l’échauffement.
Les situations de matchs sont particulièrement intéressantes à étudier du point de vue
de cette dynamique. En effet il y a continuellement une co-influence, des tensions et des
glissements d’un rôle à l’autre en fonction principalement de l’évolution du score et du rapport
de force. Par exemple, lorsqu’il perd, il est fortement engagé dans un rôle d’expert et de leader
avec pour objectif de revenir au score. Dans cette situation il retrouve ses habitudes
compétitives et s’engage principalement dans une relation expert / novice avec ses camarades.
85
En revanche, dès qu’il y a égalité ou qu’il gagne, il adopte à nouveau son costume de tuteur
bienveillant visant à faire progresser ses camarades et à adapter son niveau de jeu.
1.4 Une activité résultant d’une histoire collective
A la lecture de nos résultats et de nos conclusions relatifs à ces deux séances de
handball, il se dégage une impression d’équilibre et de routine où l’activité d’Alexandre
semble parfaitement intégrée à la classe malgré quelques petits conflits liés à la force de
certains tirs. On a également le sentiment qu’Alexandre possède une activité totalement
indépendante de celle de l’enseignante. Leurs interactions sont très peu nombreuses, elles
portent essentiellement sur la régulation d’un conflit lié à un tir ou sur des problèmes
d’organisation liés à son expertise mais elles ne font jamais l’objet de conseils, de consignes
ou de rôles particuliers à tenir. (s’adapter en défense, gérer son équipe, arbitrer …). Cette
« liberté » laissée à Alexandre est reconnue par les deux acteurs qui nous le confirme lors des
entretiens. Notamment il nous dit en ESD : « la prof j’ai aucun rapport avec elle euh ben
bonjour et voilà ». Ainsi à première vue il semble faire preuve d’une grande autonomie
l’engageant dans des rôles multiples lui permettant d’assurer un équilibre « viable » avec les
autres élèves.
Pourtant la réalisation des entretiens semi-directifs nous a permis de découvrir
l’histoire de cette classe, l’élaboration progressive de normes communes et le rôle joué par
l’enseignante dans l’intégration d’Alexandre et de son « expertise » à cette communauté de
pratique. En effet ce dernier nous raconte en ESD : « ben en fait au départ pour leur montrer
que j’avais fait du handball (…) j’ai tiré comme un gros bourrin (rigole) et là ils se sont dit
putain c’est qui ce bonhomme ». En accord avec les postulats des théories situées, ce vécu
collectif s’est révélé indispensable pour comprendre l’activité déployée au cours de ces deux
séances qui prenaient place à la fin du cycle.
L’enseignante, quant à elle, fait référence à un début de cycle assez difficile car
n’ayant pas eu de très bon rapport avec cette classe dans l’activité précédente. Aussi, dès la
première séance, elle a essayé de reprendre le contrôle des élèves, notamment elle nous
indique en ESD que elle a « fait défenseur et donc là ils ont vu que je leur piquais les ballons
et donc bon ils ont compris que bon voilà je savais de quoi je parlais ». Nous pensons que cet
investissement a eu un impact sur la reconnaissance d’une certaine légitimité de l’enseignante
aux yeux d’Alexandre qui a pu orienter son engagement ultérieur. Parallèlement l’acceptation
86
d’Alexandre par ses camarades fut l’objet de nombreuses négociations. Particulièrement au
niveau du tir, l’enseignante est beaucoup intervenue au début du cycle pour qu’il tire moins
fort mais également auprès des autres élèves pour qu’ils acceptent sa présence. En effet
l’enseignante en ESD nous explique que « des fois je disais à Alexandre de pas tirer trop fort
et des fois je disais aux autres ben c’est bon il te tire pas dedans (…)ils se sont acceptés tous
avec leurs différences ». Lors des deux séances que nous avons analysées, si parfois il lui est
arrivé de se lâcher involontairement, Alexandre a fait preuve d’une grande retenue dans la
force de ses tirs et cela indépendamment d’interventions de l’enseignante. De même son
adaptation motrice dans les tâches de « défenseur », autonome sur ces deux séances, semble,
elle aussi, avoir été l’objet de consignes particulières données en début de cycle comme nous
en fait part l’enseignante en ESD « ça m’est arrivé de lui dire mais je crois que c’était au
début du cycle (…) de doser son intervention en défense ». Alexandre nous explique
également en ACS1 comment il a adapté sa façon d’arbitrer au fil des séances « j’arbitre à
tous les matchs (…) au début j’étais dur et elle(l’enseignante) m’a dit d’être moins dur donc
voilà ». Enfin on peut noter que cette attitude de prise de responsabilités, d’initiative semble
être un trait de caractère d’Alexandre puisque déjà lors du cycle précédent en athlétisme,
l’enseignante nous révèle en ESD que « lui faisait le travail sérieusement, il prenait des
responsabilités, il participait pour aider au fonctionnement».
Aussi il apparaît que l’équilibre qui se dégage du fonctionnement de cette classe au
terme du cycle, avec une grande « liberté » laissée à Alexandre, est le résultat d’une histoire
collective impliquant l’ensemble des acteurs. D’un côté l’enseignante a certainement
influencé l’émergence et le déploiement de ces quatre rôles investis par Alexandre, mais de
l’autre elle ne semble pas être au courant de ce que réalise réellement Alexandre et le laisse
prendre ses propres initiatives tant qu’il ne perturbe pas le déroulement de la classe.
87
2. La question de l’hétérogénéité
Au terme de cette analyse il nous faut désormais revenir à notre question de départ : la
problématique de l’hétérogénéité envisagée du point de vue d’un élève « expert » et de ses
conséquences vis à vis de l’enseignement.
2.1 L’hétérogénéité sur le plan moteur
Alexandre, du fait de sa pratique de haut niveau, ne rencontre aucun problème moteur
dans les situations d’apprentissage proposées et l’enseignante reconnaît elle même en ACS1
que « il n’y a pas suffisamment d’opposition pour qu’il soit réellement en difficulté (…) c’est
pas forcément une situation intéressante ». Pourtant elle ne propose aucune adaptation des
situations et ne lui donne pas d’objectifs particuliers. Ainsi l’enseignante n’est pas préoccupée
par les apprentissages moteurs d’Alexandre et propose des contenus indifférenciés. Nous
sommes donc a priori dans le niveau plancher dont parle Méard (1993) où les différences sont
éludées et non prise en compte par l’enseignant.
Aussi comme nous avons pu le mettre en évidence, face à ces tâches identiques pour
tous, Alexandre se donne des buts particuliers en modifiant les consignes et les mises en
œuvre afin de trouver un intérêt dans leur réalisation. Notamment lors des matchs nous avons
remarqué qu’Alexandre se débrouille pour conserver une infériorité numérique afin de
pouvoir s’investir davantage physiquement. Cette adaptation est le fruit de sa propre initiative
et s’effectue très étrangement sans que l’enseignante ou les autres élèves de la classe ne s’en
rendent compte. Cette volonté se retrouve également lorsqu’il prend des rôles particuliers
comme celui de défenseur pendant les tâches d’apprentissages. L’enseignante confirme en
ESD : « finalement ceux qui sont en défense ont un gros investissement physique donc lui je
pense qu’il se fait plaisir sur ce genre de rôle». Etant donné que ces adaptations ne perturbent
pas la classe et qu’Alexandre ne s’ennuie pas pendant le cours, cette « expertise motrice »
n’est pas vécue par l’enseignante comme une contrainte puisqu’elle affirme pendant l’ESD :
« comme il adhère quand même au travail et qu’il n’a pas l’air de s’ennuyer ben je me euh je
me contente de peu en fait ».
Au contraire cette « expertise » peut être mise au service des apprentissages des autres
élèves. Notamment sa présence impulse une dynamique positive à son équipe. Tourné vers la
mise en action et le désir de gagner (un leader), faisant jouer au maximum ses coéquipiers (un
tuteur) Alexandre met son expertise (un expert) au service du collectif. L’enseignante
88
reconnaît elle-même en ESD : « il y a eu des actions très intéressantes dans son équipe (…)
ils ont joué collectif c’était un jeu de qualité (…) j’étais vraiment contente ». De même
lorsqu’en Séance 2 il se place défenseur pendant la situation d’apprentissage, son expertise lui
permet d’offrir une résistance adaptée au niveau de ses camarades qui ainsi peuvent travailler
de manière plus efficace. De plus il faut noter qu’il est particulièrement concentré et engagé
dans ce rôle qu’il adopte spontanément sans que l’enseignante n’ait à intervenir. Ainsi la
situation d’apprentissage proposée remplit d’autant mieux ses objectifs lorsque Alexandre est
défenseur. Il apparaît finalement que tous les acteurs profitent de cette situation : Alexandre
qui peut s’investir physiquement et éviter l’ennui, les autres élèves qui sont contraints de
chercher des solutions motrices et l’enseignante qui trouve dans cette expertise le moyen de
maximiser les apprentissages sans toutefois avoir à s’en préoccuper.
Toutefois on peut émettre quelques réserves et se demander en quoi cette activité
d’Alexandre est réellement favorable aux apprentissages. Notamment son implication lors des
tâches collectives comme celles de match pose question dès lors que l’on envisage
l’apprentissage comme « situé » (Brown et al 1989 ; Lave, 1988 ; Lave et Wenger, 1991).
Kirk et Kinchin, 2003 dans le domaine de l’EP considèrent que tout apprentissage est
incorporé dans l’activité collective d’une communauté dont la spécificité définit
des possibilités d’apprentissage. A cet égard la présence d’Alexandre au sein d’une équipe
offre des possibilités d’action collective très particulières. Son « expertise » donne des
possibilités nouvelles à ses camarades dont l’activité semble facilitée. En effet il réalise des
passes adaptées, bien dosées ne posant pas de problème de réception, il gère la défense,
supervisant le placement de chacun, il permet à ses camarades d’être en position favorable
pour tirer. Il est ainsi fort probable que sa présence élève artificiellement le niveau de ses
camarades qui, en son absence, ne seront plus capables des mêmes prouesses.
On voit à travers l’exemple d’Alexandre qu’un élève expert peut s’intégrer et
s’investir dans des situations d’apprentissage inadaptées par rapport à son niveau moteur sans
toutefois perturber le déroulement de la séance et en favorisant les acquisitions motrices de
ses camarades. Loin d’être une contrainte, l’expertise apparaît ici être une ressource dont les
effets, reconnus par l’enseignante, s’effectuent indépendamment de son action.
89
2.2 L’hétérogénéité comme confrontation des cultures
Sur le plan des connaissances de l’activité, du règlement, de la tactique ou technique
spécifique au handball Alexandre n’apprend rien de l’enseignante. Aussi, là encore il adopte
une attitude plutôt favorable à la gestion de l’hétérogénéité notamment par son silence lors
des questions de l’enseignante. Elle reconnaît elle même en ACS1 « à l’oral il intervient
assez peu (…)si mon souvenir est bon il devait intervenir au tout début du cycle et très
rapidement il a arrêté » Cet élément est intéressant car il permet à l’enseignante de mener sa
classe sans se soucier des réactions d’Alexandre qui laisse ses camarades réfléchir et chercher
par eux-mêmes des solutions aux problèmes qu’elle leur soumet. Toutefois ce point positif est
à nuancer car nous avons remarqué que c’est justement dans ces périodes de regroupement
collectif qu’Alexandre adopte la figure du « perturbateur » en s’engageant dans des activités
clandestines n’ayant pas trait à la séance et visant à éviter l’ennui.
Inversement, dans d’autres circonstances, il fait profiter aux autres de ses connaissances
(arbitrage, règlement, tactique …) et il est reconnu comme une personne ressource par ses
camarades qui viennent souvent le solliciter plutôt que l’enseignante pour trouver une réponse
à leurs problèmes. Il nous explique en effet en ESD : « des fois ouai c’est eux qui viennent
vers moi (…) ils me demandent sur certains trucs (…) parce que avec la prof (…) ça passe
au-dessus de la tête quand c’est un élève qui fait l’activité avec eux ça touche plus ».
Enfin comme nous l’avons vu, le contexte scolaire questionne les connaissances
institutionnelles d’Alexandre. Le cadre « club » ne convient pas en classe et il fut l’objet
d’une adaptation et d’un apprentissage progressif par rapport à l’arbitrage (assouplissement du
règlement) mais également par rapport à la tactique et technique de jeu (défense individuelle
plutôt que défense de zone). Si en début de cycle l’enseignante est intervenue auprès
d’Alexandre sur des problèmes d’arbitrage, ces apprentissages se réalisent plutôt en action, de
façon autonome au contact de la réalité scolaire et d’une nécessaire coordination avec ses
camarades.
Sur ce plan nous remarquons que les apprentissages de l’élève « expert » sont
particuliers puisqu’ils ne vont pas dans le sens d’une meilleure connaissance de l’activité mais
au contraire ils viennent questionner la rigidité de son référentiel institutionnel. Cet
engagement dans un handball scolaire aura modifié son rapport à l’activité en lui faisant
découvrir d’autres modalités de pratique de cette APSA. Toutefois cet élément est à nuancer
car ces deux séances se sont déroulées sur un modèle fortement institutionnel avec beaucoup
de matchs n’ayant pas fait l’objet de consignes originales. On peut se demander si cette
90
caractéristique vient uniquement d’un choix didactique de l’enseignante (elle considère cette
activité comme l’une de ses spécialités) ou si la présence d’un élève « expert » l’a encouragée
à adopter ce type de fonctionnement. Quoi qu’il en soit, la culture institutionnelle d’Alexandre
n’est pas vécue comme une contrainte par l’enseignante.
2.3 L’hétérogénéité et la question des apprentissages « citoyens »
Comme nous l’avons vu, ne pouvant s’exprimer sur le plan moteur Alexandre investit
durant le cours un certain nombre de rôles que nous avons déjà détaillés. Ces éléments
peuvent être rattachés à la notion de « Coopérative learning » développée par Dyson et
Grineski (2001) et faisant référence à de petits groupes qui utilisent les interactions positives
entre élèves pour accomplir des buts collectifs où la contribution de chacun est nécessaire.
Selon ces perspectives la composition des groupes doit être hétérogène pour tirer des
bénéfices de la diversité. De même Johnson (1981) qui définit quatre structures de travail
(coopération avec compétition inter groupes, coopération sans compétition inter groupes,
compétition inter individuelle, et travail individuel) met en évidence que la coopération donne
de meilleurs résultats que les deux autres structures. L’apprentissage coopératif pousserait les
élèves à prendre des responsabilités : organiser leur groupe, enseigner aux autres membres,
donner des feedbacks pour améliorer les prestations individuelles au service du collectif…
Les situations de match correspondent à une coopération avec compétition inter groupes.
Cette structure est positive car elle pousse Alexandre à prendre des responsabilités : il est
capitaine d’équipe, gère le collectif, s’adapte au niveau de ses coéquipiers, réfléchit à
l’organisation défensive la plus adaptée… autant d’éléments vecteurs d’apprentissage
« citoyens » et « sociaux » pour cet élève « expert ». Toutefois si cet élément est positif du
point de vue d’Alexandre, il contribue, à première vue, à l’adoption d’un rôle de « leader »
prenant en charge toutes les responsabilités (il va jusqu’à distribuer et ranger les maillots) et
laissant très peu de liberté à des coéquipiers qui se contentent de suivre ses directives ne
pouvant remettre en cause les savoirs et savoirs faire d’un « expert ». En effet, du point de vue
d’Alexandre la coopération pour gagner le match est nécessaire mais pas indispensable et il
pourrait jouer tout seul en marquant tous les buts. Pourtant, comme nous l’avons vu, cette
forte hétérogénéité, que l’infériorité numérique ne suffit pas à combler, permet l’émergence
d’un autre rôle, celui de « tuteur » qui vient renverser les effets « négatifs » du « leader ».
Nous avons déjà mis en avant les bénéfices qu’il procure en terme d’apprentissages pour
l’ensemble des acteurs.
91
De plus, face à des activités qu’un regard extérieur qualifiera de « travail individuel »
(défenseur dans la situation d’apprentissage ou arbitre), l’adoption de ce rôle de « tuteur »
l’engage plutôt dans une démarche de coopération. Il n’est pas engagé par rapport à soi mais
par rapport à ses camarades. Cette idée prolonge les travaux de Rossard et al. (2004) qui
mettaient en avant que si la structure des tâches, qui tendent à imposer certaines formes de
relations, constitue une contrainte extrinsèque significative pour les élèves, d’autres
contraintes inhérentes à la situation de classe et aux caractéristiques des acteurs permettent de
comprendre leurs préoccupations.
Finalement les situations de coopération qui engagent un élève « expert » semblent
tout à fait satisfaisantes à partir du moment où il ne se contente pas de jouer un rôle de
« leader », qui impose ses choix aux autres, mais qu’il investit également un rôle de « tuteur »,
laissant une initiative à ses camarades, prenant en compte leur point de vue et les guidant dans
leur activité.
Enfin à un niveau plus global, Alexandre possédant une position de « leader » est une clef
pour la gestion de l’hétérogénéité des attitudes. En effet, comme le souligne Rey (2000) le
« leader » est un élément très efficace pour manœuvrer les groupes et le recours aux élèves
leaders se révèle très efficace pour faciliter l’engagement des autres. Dans le cas d’Alexandre,
cet élément se confirme mais il n’est pas investi directement par l’enseignante car ce dernier
adopte de lui-même une attitude positive (résultat d’une histoire collective et de
caractéristiques individuelles) et allant le plus souvent dans le sens des attentes de
l’enseignante. Aussi il nous explique en ESD : « ben quand même sur certains trucs c’est moi
qui booste la classe ».
2.4 Vers une hétérogénéité autorégulée
La forte hétérogénéité générée par Alexandre fut lors des premières séances une
contrainte pour l’enseignante. Toutefois en cette fin de cycle, elle ne se soucie plus de lui
puisqu’il semble satisfait et ne perturbe pas l’équilibre de la classe.
Comme nous l’avons vu, les modifications effectuées par Alexandre de manière
spontanée, autonome et le plus souvent à l’insu de l’enseignante visent principalement à
« éviter l’ennui » en « évitant les ennuis » (Allen, 1986). Paradoxalement elles permettent
également de donner à l’hétérogénéité un caractère de ressource pour les apprentissages de
tous. Notamment à travers le rôle de « tuteur », il met son « expertise » au profit de la
progression de ses camarades et en retour lui-même effectue des acquisitions. On retrouve en
92
fait ici les caractéristiques du niveau souhaitable (Méard, 1993) où les différences deviennent
des tremplins pour les apprentissages (savoirs et savoir faire). Mais cette caractéristique de
« ressource » émerge de la situation et si elle est parfois reconnue par l’enseignante cette
dernière ne cherche pas réellement à l’utiliser et ne semble pas mesurer toute son ampleur.
Il nous semble finalement, que ce soit ce rôle de « tuteur » qui a permis de faire passer
la présence d’un élève « expert » du statut de contrainte à celui de ressource, aussi bien pour
les apprentissages que pour la gestion de la classe par l’enseignant. On serait passé
progressivement d’une gestion de l’hétérogénéité fortement contrôlée par l’enseignante à une
forme d’auto régulation par les élèves dont l’activité d’Alexandre semble être la pièce
centrale.
Ces conclusions viennent compléter les travaux de Plety (1996) sur le tutorat qui
visaient à déterminer si de telles pratiques situées à l’articulation de l’acte d’enseigner et de
celui d’apprendre pouvaient être érigées en méthode d’enseignement. Ce « learning through
teaching » ou apprentissage réalisé en enseignant (Gartner, Kohler et Riessman, 1971-1973)
se référe aux dispositifs de guidage, d’entraide et de tutorat qui se mettent en place sur
initiative des enseignants. La place centrale de l’élève dans le système éducatif (loi
d’orientation, 1989) et l’essor des pratiques de pédagogie différenciée ont favorisé le
développement du tutorat entre pairs par rapport à la citoyenneté, à la socialisation, à
l’intégration d’élèves dans un groupe classe, mais également par rapport à l’apprentissage
considérant que la capacité à apprendre est corrélative de celle d’expliquer, d’enseigner.
L’enseignant devient alors davantage celui qui encadre, accompagne les élèves dans des
activités didactiques, une personne ressource, un régulateur des échanges. Notre étude révèle
que l’activité d’un élève « expert » au sein d’une classe est particulièrement propice à
l’adoption de tels dispositifs qui pourraient être une réponse intéressante et positive à la
question de l’hétérogénéité. A cet égard les propos de l’enseignante en ACS1 sont éloquents :
« finalement c’est vrai que je me repose un peu sur (rigole) les interventions d’Alexandre ».
Encore faut-il que les enseignants acceptent de reconnaître, d’exploiter et de guider le
potentiel « didactique » de ces élèves particuliers.
93
3. Limites et perspectives
3.1 Limites de l’étude
Aucune démarche scientifique ne peut se prémunir de difficultés. Ne pouvant s’en
affranchir l’honnêteté scientifique exige d’en avoir conscience et de les exposer lors de la
discussion des résultats.
Tout d’abord s’inscrivant dans le cadre d’une étude qualitative, ce travail apporte une
certaine finesse et originalité dans les résultats, mais il impose de prendre en compte plusieurs
limites relatives à leur généralisation. La première limite porte sur le caractère éminemment
singulier de notre étude de cas. L’échantillon d’un seul participant s’avère relativement limité.
En effet ces résultats obtenus pour Alexandre ne peuvent en aucun cas être généralisés et
révèlent le caractère et l’activité d’un seul élève. Cette spécificité de l’élève « expert » qui
articule quatre rôles, dont la dynamique apporterait une réponse positive à la gestion de
l’hétérogénéité, reste à vérifier. Notamment le contexte scolaire et social de la situation
étudiée reste singulier (cf annexes). Une même étude conduite dans un milieu dit « défavorisé
» avec des élèves en grande difficulté scolaire aurait certainement eu une incidence sur les
résultats.
Egalement les caractéristiques même de l’activité ont pu être déterminantes. En effet le
caractère collectif du handball confère à l’activité une forte dimension coopérative qui peut
certainement avoir favorisé l’orientation de l’activité d’Alexandre. Nous pouvons penser que
dans une activité dite « individuelle » où les performances motrices sont moins dépendantes
de celles des autres, un élève « expert » pourra s’exprimer davantage sur le plan moteur. Ne se
confrontant pas aussi directement à l’activité des autres, l’adaptation au contexte scolaire sera
certainement moins visible. A cet égard les propos d’Alexandre en ESD sont éloquents : « là
c’est un truc esprit d’équipe mais en athlétisme on est en individuel donc ben (…) tout le
monde s’en fou en fait (…) quand tu arrives ils font ben quel temps t’as fait et euh voilà ».
On peut également relever des biais méthodologiques. Tout d’abord au niveau du
recueil de données nous nous sommes introduits dans une classe sans prendre de réelles
précautions préalables. En effet il aurait été nécessaire de procéder à une période d’adaptation
à la classe avant de commencer le recueil des données afin que les élèves puissent s’habituer à
notre présence. Pourtant la spontanéité dont ont fait preuve les acteurs nous permet de penser
94
que notre présence n’a pas énormément perturbé le déroulement des séances. Ces élèves, issue
d’un lycée très favorisé, n’ont pas paru déconcentré par cet outil de classe inhabituel, élément
qui peut s’expliquer par le type de population étudiée.
Notre travail ne confirme pas les résultats de Guerin, Riff et Testevuide (2004) qui
montrent que la verbalisation par les élèves en auto confrontation ne serait pas spontanée et
demanderait un certain temps d’adaptation et de familiarisation. Leur travail met en évidence
les difficultés qui marquent la construction progressive d’une position réflexive des élèves
pour rendre compte de la signification de leur expérience vécue en classe. Aussi, cet élément
semble a priori remettre en cause la pertinence des données recueillies en auto confrontation
avec un élève. Pourtant malgré le peu d’entretiens réalisés (deux) nous n’avons pas rencontré
ce type de difficultés. Cependant comme nous l’avons précisé dans notre méthodologie,
Alexandre avait l’habitude de se voir à la caméra, d’être filmé et d’analyser sa pratique de
handballeur. Cet élément semble avoir été déterminant dans la spontanéité et le naturel dont il
a fait preuve pendant les séances et les entretiens. Clot (1999) précise également que cette
méthode de rappel en permettant une prise de distance de l’acteur avec son action réalisée in
situ, l’engage souvent à porter un jugement sur son vécu. Cette démarche de réflexivité certes
intéressante perturbe le recueil d’informations qui rend compte du vécu réel de l’individu
pendant la situation initiale. Par exemple Alexandre découvre à travers le biais de l’auto
confrontation son attitude prescriptive vis à vis de ses camarades comme en témoigne cette
verbalisation en ACS2 : « oh les ordres que je donne (…) comment je parle (rigole gêné) (…)
mais on se rend pas compte de ce qu’on fait en fait ». Mais apparaissant de manière très
ponctuelle ce genre de verbalisations n’est pas venu perturber le bon déroulement des
entretiens. Enfin notre « jeunesse » de chercheur dans le courant de l’action située pose
problème quant à la qualité et la pertinence des entretiens que nous avons menés (type de
questions posées).
D’autres limites concernant le traitement des données sont également à relever.
Notamment le découpage en USE, séquences, séries, macro séquences et l’élaboration des
séquences archétypes ont été effectués par une seule personne. Bien que nous nous soyons
efforcés de conserver un regard le plus neutre et le plus objectif possible il aurait été
souhaitable de coupler le point de vue de plusieurs individus pour valider ces résultats. De
plus, l’organisation représentant les différentes préoccupations typiques de l'élève semble
réductrice, figée, puisque certaines préoccupations typiques peuvent aussi bien se retrouver
dans une ou deux catégories plus globales. Ce découpage et ce regroupement porte finalement
qu’on le veuille ou non les traces de la subjectivité du chercheur.
95
3.2 Un travail à poursuivre
Prenant comme point de départ cette éternelle problématique de l’hétérogénéité notre
étude se donnait pour objectif de caractériser l’activité d’un élève « expert » au sein du
système classe. Se posant comme une étude pionnière elle visait principalement à ouvrir des
perspectives de questionnement.
Tout d’abord nous sommes conscients qu’il serait intéressant d’élargir cette étude à
d’autres cas d’élève « expert » afin de rendre les résultats plus significatifs. Il faudrait vérifier
si l’on retrouve ces mêmes caractéristiques notamment l’oscillation entre ces quatre rôles :
perturbateur, expert, leader, tuteur en variant le sexe, les caractéristiques de l’établissement,
de la classe, l’âge, mais aussi le niveau scolaire de l’élève. Il nous semble particulièrement
intéressant de s’intéresser au cas d’un élève « expert » d’une activité mais qui serait en échec
scolaire dans les autres matières, ce qui n’était pas le cas d’Alexandre. En effet Verba (1987)
s’intéressant aux apprentissages intellectuels avait mis en évidence un phénomène de
« tutelles inversées ». Il serait également intéressant de réaliser cette étude dans une activité
dite « individuelle » ne nécessitant pas de collaboration explicite entre les élèves.
Au regard de nos résultats qui ont porté uniquement sur deux séances il nous semble
qu’une étude longitudinale se déroulant sur l’ensemble d’un cycle serait tout à fait
intéressante afin d’analyser finement comment s’effectue l’adaptation de l’ « expertise » au
contexte de la classe et comment se construit progressivement l’équilibre et l’adoption de ces
quatre rôles.
On pourrait également s’intéresser dans une perspective de « contexte partagé » aux
configurations collectives c’est à dire à l’articulation de cours d’action individuel en prenant
le point de vue d’un autre élève de la classe. Notamment pour le cas d’Alexandre il aurait été
particulièrement intéressant d’avoir le point de vue d’Olivier avec lequel il interagit
énormément, notamment sous forme de tutelle.
De plus nos données pourront faire l’objet d’un travail ultérieur portant cette fois sur
l’organisation intrinsèque locale du cours d’action d’Alexandre. Notamment l’analyse fine des
situations de match nous semble intéressante à explorer. Elle pourrait porter sur le passage
d’un rôle à l’autre (tuteur, leader…) en se centrant sur ce qui fait réellement signe chez
Alexandre à chaque instant de son activité. De plus une analyse locale permettrait de mettre
en avant les connaissances mobilisées, validées ou invalidées par Alexandre au cours de la
séance, et ainsi rendre compte finement de cette confrontation entre une culture scolaire et
institutionnelle.
96
CONCLUSION
L’analyse des programmes de lycée publiés en 2000 révèle une revalorisation de la
place faite à la « lycéenne » et au « petit gros » au détriment parfois du « bon en gym ».
(Méard et Klein, 2001, p. 9-14) Abordant la question de l’hétérogénéité à partir de l’activité
réelle d’un élève « expert » dans son activité de prédilection, cette étude montre que la
présence et la valorisation du « très bon en gym » n’est pas un obstacle à la réussite de tous.
Notre questionnement portait sur l’identification d’une spécificité de l’engagement
d’un tel élève compte tenu de son « expertise » et de la confrontation d’une culture
« scolaire » et d’une culture « experte » de l’activité. Pour cela nous avons adopté une posture
théorique au sein des approches situées envisageant l’activité comme résultant d’un couplage
structurel entre l’individu et son environnement. Dans cette perspective, les travaux relatifs à
l’activité de l’élève sont en plein essor mais n’avaient pas encore porté sur ce cas particulier.
Aussi il s’agit avant tout d’une recherche exploratoire, permettant d’apporter un premier
éclairage sur l’activité des élèves « experts » au sein de communautés de pratique
« scolaires ». L’outil méthodologique du « cours d’action » (Theureau, 2004) en accordant le
primat au point de vue intrinsèque de l’acteur nous a permis d’envisager à partir d’une analyse
globale la nature et la dynamique des préoccupations d’un élève « expert » au cours de deux
leçons d’EPS portant sur son activité de prédilection.
Nos résultats, en continuité avec les études antérieures, montrent que l’élève « expert »
reste avant tout un élève « ordinaire ». Son engagement lors des séances d'EPS est lié à
l’intégration d'une communauté de pratique particulière à la recherche d'un équilibre entre
l'élaboration de normes collectives et de normes individuelles consistant à « éviter l’ennui »
tout en évitant « les ennuis ». (Allen, 1986). Son activité révèle la constitution d’ "îlots de
cohérence locale" (Durand et al. 2005, p.5), nettement dépendants du milieu humain et
symbolique à l'intérieur duquel émerge des « modus vivendi ».
Nous avons également identifié trois autres rôles révélateurs d’une activité originale.
Un rôle d’ « expert » issu de la confrontation entre une logique scolaire et une logique
institutionnelle et qui semble être à la fois une ressource et une contrainte pour le système
classe. Un rôle de « leader », facilité par son statut d’« expert», qui permet notamment à cet
97
élève de trouver un intérêt dans la séance. Enfin un rôle tout à fait étonnant de « tuteur »,
exprimant un « modus vivendi » (Allen 1986) particulier et que nous interprétons comme
l’aboutissement de l’intégration et de l’adaptation d’un élève « expert » au sein d’une
communauté de pratique « scolaire ».
Finalement c’est de l’articulation de ces quatre rôles qu’émerge un équilibre
dynamique permettant la rencontre « viable » et « positive » d’une culture institutionnelle et
d’une culture scolaire au sein de la classe. Cet équilibre fragile est le résultat d’une
construction progressive que révèle l’histoire de cette communauté de pratique où
l’enseignante, consciemment ou non, joue un rôle important. Cette activité spécifique révèle
une forme d’auto organisation œuvrant dans le sens d’une régulation positive de
l’hétérogénéité que ce soit en terme d’organisation ou d’apprentissages pour tous.
L’adoption d’un regard ascendant partant du point de vue de l’élève, pour aborder
paradoxalement une problématique d’enseignement, s’est révélé fructueuse. En effet cette
démarche conforte l’idée selon laquelle l’enseignant ne détermine pas à lui seul les activités
prenant scène au sein de sa classe : une partie d’entre elles lui échappe même s’il contribue à
leur émergence. Aussi il apparaît que l’activité des élèves peut se coordonner de façon
relativement autonome conférant à un contexte de forte hétérogénéité une dimension plutôt
positive et mieux vécue que ne pouvait le laisser penser un regard extérieur.
Notre travail n’avait pas pour objectif de prescrire des réponses toutes faites aux
enseignants sous forme de recettes miracles à mettre en œuvre. L’enseignant qui agit dans
l’urgence est englué dans l’immédiateté de la situation et il est en cela porteur des problèmes
pratiques rencontrés quotidiennement par la communauté éducative. A l’inverse le chercheur
possédant un regard externe soutenu par des outils méthodologiques appropriés cherche à
faire évoluer la compréhension d’une pratique en apportant des pistes de réflexion permettant
de renouveler et questionner les croyances et connaissances de terrain en vue d’accroître leur
efficacité. Pourtant au terme de la recherche c’est à l’enseignant et à lui seul de trouver des
solutions nouvelles en adaptant, actualisant les résultats « scientifiques » aux problèmes
concrets qu’il rencontre sur le terrain. Chercheurs et praticiens sont donc envisagés comme
des « experts » de leur champ d’activité respectif, et c’est de leur étroite complémentarité que
l’utilité d’une telle recherche peut s’actualiser. Aussi nous espérons que les conclusions de
notre travail permettront de susciter une pratique réflexive (Schön 1983) des enseignants
quant à la place et à l’utilisation d’un élève « expert » comme « contrainte » mais aussi
98
« ressource » potentielle pour l’enseignement dans un contexte de forte hétérogénéité.
Finalement un approfondissement de ce premier regard reste indispensable s’il veut
réellement être utile aux praticiens.
99
REMERCIEMENTS
Tout d’abord je tiens à remercier particulièrement Alexandre, pour sa spontanéité et
son naturel. Contribuant à la richesse de nos données, cette collaboration fut la clef de notre
travail sans laquelle cette recherche n’aurait pu atteindre ses ambitions.
Je remercie également son enseignante d’avoir accepté de m’ouvrir les portes du
gymnase et de m’avoir reçue à maintes reprises.
Je les remercie également tous les deux pour leur grande disponibilité et leur patience
pendant les entretiens.
Un grand merci à Jean Trohel pour m’avoir aidée, orientée, conseillée tout au long de
l’année. Notamment je le remercie pour sa patience et la rapidité de ses réponses face à
l’afflux de mes questions.
Je remercie également mes colocataires :
Pauline pour ses critiques, ses conseils et la pertinence des articles qu’elle m’a recommandés.
Briag pour son soutien psychologique tout au long de l’année.
Julien et Fabien pour leur enthousiasme des derniers jours.
Enfin merci à Annie, Martial, Elodie et Juliette pour leur soutien et pour leurs
corrections de dernière minute.
100
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Analyse de l’activité d’un élève expert en cours d’EPS
Nature et dynamique de ses préoccupations en classe
RESUME
Cette étude s’intéresse à l’activité d’un élève « expert » au cours de deux séances d’EPS portant sur son activité de prédilection. Important sa culture institutionnelle au sein du cadre scolaire et accentuant la disparité des niveaux, il devrait à priori compliquer la tâche de l’enseignant. Notre travail questionne cette idée préconçue en adoptant un regard original sur la problématique de l’hétérogénéité. L’inscription dans les théories des approches situées et plus particulièrement l’adoption du cadre théorique et méthodologique du « cours d’action » (Theureau, 2004) nous ont permis d’explorer l’activité d’un élève « expert » à partir d’une démarche ascendante donnant le primat au point de vue intrinsèque de l’acteur. Rentrant de plein pied dans la peau d’un de ces élèves cette étude « qualitative » révèle un équilibre dynamique entre quatre rôles particuliers et parfois contradictoires : un « perturbateur », un « expert », un « leader », un « tuteur ». Cette spécificité favorise l’émergence d’une autorégulation positive de l’hétérogénéité dont il est pourtant vecteur, régulation autonome à laquelle même inconsciemment l’enseignant peut contribuer. Mots clefs : expertise, hétérogénéité en EPS, communauté de pratique scolaire, action située, cours d’action
Analyse of an « expert » pupil activity during physical education lessons
Nature and dynamic of his preoccupations in class
ABSTRACT
The purpose of this study was to analyse the activity of an “expert” pupil during two physical education lessons on his favourite activity. Importing his institutional culture at school and reinforcing level différences, he may become a source of problems for the teacher. This work questiones this preconceived idea and gives a new vision of heterogeneity.
The study was lead with reference to “situated action” theories. Giving the primacy to the actor point of view and using a upward process, the course of action methodology (Theureau, 2004), permitted to discover the activity of an “expert” pupil in class.
This “qualitative” analysis reveles a dynamique balance between four specific and sometimes conflictual roles : a “troublemaker” , an “expert”, a “leader”, a “mentor”. The specificity of this “expert” pupil activity, assistes a positive auto regulation of heterogeneity. A self-regulation to which the teacher, even subconsciously, can contribute to. Key words : expertise, heterogeneity , school community of practice, situated action, course of action
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