les ateliers sauniers de sorrus (pas-de-calais) : un apport majeur aux techniques de production de...
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ARCHÉOLOGIE DU SEL : TECHNIQUES ET SOCIÉTÉSédité par O. Weller, 2002
Internationale Archäologie, ASTK 3Table Ronde du Comité des Salines de France, Paris, mai 1998
RésuméSitués sur le tracé de l’autoroute A16 et fouillé de janvier à avril 1996, les deux ateliers de Sorrus ont livré desfourneaux à sel et de nombreuses fosses, souvent de très grande taille. Elles abritaient une série de puits et diversaménagements et outils en bois particulièrement bien conservés. Le matériel céramique et l’étude den-drochronologique ont permis de rattacher ces ateliers à La Tène C. Pour la première fois, les premières étapesde la chaîne opératoire, à savoir la concentration de l’eau de mer en saumure, ont pu être reconstituées avec pré-cision. L’hypothèse privilégiée est celle de l’utilisation du lavage de sable salé à l’intérieur d’une grande caisseen bois, sable naturellement imprégné par l’eau de mer. L’étude des moules à sel a permis de mettre en évidencel’utilisation d’aérateur et d’envisager deux types de production de qualités différentes. Enfin, à l’aide des toutespremières dates dendrochronologiques disponibles sur ce type d’atelier, l’un des auteurs propose une chronolo-gie fine des techniques utilisées par les sauniers entre la fin du IVe et le milieu du IIe siècle avant J.-C. en rela-tion avec la gestion du milieu et l’organisation de la production.
AbstractLocated on the future A16 motorway and excavated from January to April 1996, the two Sorrus saltern sites pro-duced salt ovens and numerous pits, often of considerable size. The latter include a series of wells and a varietyof other features. Wood is particularly well preserved. The salterns are dated to La Tène C1 and C2 by potteryand dendrochronological analysis.For the first time, the initial stages of the chaîne opératoire, that is the production of brine from sea water, canbe precisely reconstructed. The most likely procedure is washing the salt out of sand naturally impregnated withsea water, in a large wooden container. Study of the salt moulds has shown the use of a ventilator and has indi-cated the possibility of two types of production of different quality. Lastly, thanks to the very first dendrochrono-logical dates available for this kind of saltern, one of the authors proposes a detailed chronology of techniquesused by saltmakers from the late 4th to the mid-2nd centuries BC, in relation to management of the environmentand production organisation.
ZusammenfassungDie beiden Anlagen von Sorrus befanden sich auf der Trasse der Autobahn A16, sie wurden zwischen Januar undApril 1996 ausgegraben. Dabei wurden Siedeöfen und viele, oft sehr große Gruben entdeckt. In den Gruben ent-deckte man einige Brunnen sowie diverse Holzkonstruktionen sowie Holzgeräte, die sich besonders gut erhaltenhatten. Der Keramik und den dendrochronologischen Untersuchungen nach zu urteilen, stammen diese Salinenaus den Stufen Latène C. Zum ersten Mal konnten die ersten Schritte der Salzproduktion, d. h. die Aufbereitungdes Meerwassers zu Sole, im Detail nachvollzogen werden. Die wahrscheinlichste Hypothese ist die, wonach derdurch das Meerwasser auf natürliche Weise salzhaltig gewordene Sand in großen Holztrögen gewaschen wurde.
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Les ateliers sauniers de Sorrus (Pas-de-Calais) : un apport majeuraux techniques de production de sel et à leur évolution
durant le second Âge du Fer
Olivier WELLER et Yves DESFOSSES
Post doctorantProtohistoire européenne, UMR 7041 CNRSMaison de l’Archéologie et de l’Ethnologie
21, allée de l’Université F-92023 Nanterre cedexweller@mae.u-paris10.fr
Ingénieur d’étudeSRA Nord-Pas de Calais
Ferme Saint-Sauveur Av. du boisF-59 650 Villeneuve d’Ascq
O. WELLER ET Y. DESFOSSÉS
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Le nord de la France restait encoreil y a peu une région bien mal connuepour l’exploitation du sel, même si lesramassages et quelques fouilles anci-ennes avaient mis au jour des indicesdirects d’exploitation (Mariette,1970, 1972, 1983). Entre 1994 et1996, les fouilles de sauvetagemenées dans le cadre de la réalisationde l’autoroute A16 (Amiens àBoulogne-sur-Mer) allaient apporterune documentation unique en Franceet relancer l’intérêt pour l’archéologiedu sel.
Parmi les sites de productionfouillés lors de cette opération, le sitede Sorrus est le plus exceptionnel parla qualité de conservation des struc-tures et du mobi-lier, en particulier enmatière périssable. Suite à l’interven-tion de terrain, l’approche résolumentpluridisciplinaire choisie par leresponsable de la fouille(Y. Desfossés) a permis d’obtenir detout nouveaux résultats concernant lachaîne opératoire de fabrication, lachronologie ou encore la gestion desressources naturelles.
Un site exceptionnel dans uncontexte archéologique trèsriche
Au niveau du franchissement de laVallée de la Canche, l’autoroute A16adopte un tracé d’axe nord-sud, paral-lèle à la côte, dont il n’est distant quede 8 à 10 km. Entre Étaples et Sorrus,le fond de vallée a une largeur de prèsde 2 km et est bordé par des versantsbien marqués qui débouchent sur des rebords deplateau dont l’altitude oscille entre 30 et 60 m. Voied’échange et de pénétration par excellence, l’em-bouchure de la Canche a donc été fortement fréquen-tée, comme le soulignent les nombreuses découvertesarchéologiques faites sur ses deux rives. Si le potentielarchéologique de ce secteur est particulièrementimportant, toutes ces découvertes ont le plus souventété faites anciennement et sont assez mal connues, ousont le résultat de fouilles réalisées sur des surfaces
réduites et donc de portée relativement limitée.À Sorrus, le tracé de l’autoroute A16, traversant
pour partie une importante zone boisée, n’a été renduaccessible que très tardivement aux sondagesarchéologiques. Ceux-ci n’ont donc débuté qu’en jan-vier 1996 sur « la Pâture à Vaches » et en mars sur « laBruyère », les deux secteurs principaux du site deSorrus.
Le site occupe la zone centrale de la pointe duplateau formant le versant sud de la Canche et qui s’a-
Die Analyse der Salzbecher erwies die Benutzung eines Belüftungssystems und deutet auf zwei verschiedeneArten der Salzproduktion für Salze unterschiedlicher Qualität hin. Schließlich schlägt einer der Verfasser, auf-grund der ersten dendrochrologischen Datierungen einer solchen Anlage, eine genaue, chronologische Abfolgeder von den Salzsiedern benutzten Techniken zwischen dem Ende des 4. Jh. v. Chr. und der Mitte des 2. Jh. v. Chr.vor, die auch die Nutzung und Kontrolle des Umfeldes und die Organisation der Produktion miteinbezieht.
Boulogne-sur-Mer
Etaples
Tr�pied
BerckWaben
Rue
Le Crotoy
Saint ValeryLe Hourdel
Cayeux
Port le Grand
Abbeville
Eu
Le Tr�port
Estuaire de la Liane
Estuaire de la Canche
Estuaire de l'Authie
Estuaire de Rue
Estuaire de la Somme
Estuaire
de la Bresle
Sorrus
La Manche
0 10 km
N
formations holoc�nes
plateau crayeux
falaises mortes
Fig. 1 : Localisation paléo-géographique des ateliers de sauniers latèniensde Sorrus (d’après Briquet 1930)
(DAO E. et M. Middleton)
LES ATELIERS SAUNIERS DE SORRUS : UN APPORT MAJEUR
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CD145
la Bruy�re
Zone I
Zone II
Zone I
la P�ture � Vache
0 100 m50
554800
Zone III
Zone III
Zone II
554700
307 100
Fig. 2 : Localisation topographique des sites de Sorrus la Pâture à Vache et la Bruyère dans lecontexte de l’autoroute A16 (d’après la carte IGN au 1/25 000ème, 2105 est ; DAO E. et M. Middleton)
vance vers son estuaire, aujourd’hui ensablé (fig. 1).Situé entre 40 et 50 m d’altitude NGF, il n’est distanten ligne droite que de 2 km de la vallée, et de 4 km del’ancien trait de côte aujourd’hui occupé par les« Marais de Balançon » (fig. 2). Le premier secteur alivré du sud au nord une petite occupation néolithiquefortement érodée, puis un atelier de saunier protohis-torique en limite ouest d’emprise à la Pâture à Vaches.Un second atelier a ensuite été dégagé 150 m plus aunord, sur le second secteur de la Bruyère. Enfin, 200 mplus loin se trouvaient deux petites concentrations defosses latèniennes.
L’ensemble du site se développe sur une butte desable tertiaire, recouvrant un niveau d’argile très plas-tique sur environ 1 à 2 m d’épaisseur. Cette situationtopo-géologique bien particulière a permis la conser-vation de très nombreux bois d’époque gauloise, boisqui sont toujours restés gorgés d’eau depuis leurenfouissement et nous sont donc parvenus dans un étatde conservation inespéré. C’est d’ailleurs leur présenceen grande quantité dans les puits-citernes accompa-gnant les fourneaux à sel de La Tène C1-C2, où ils ontservi à étayer ces structures particulières et jusque làinconnues, qui donne au site de Sorrus l’essentiel deson intérêt. En effet, au-delà de la découverte déjànovatrice pour le nord-ouest de laFrance de plusieurs fourneaux à selscomplets, l’étude dendrochrono-logique de près de 120 bois prélevéssur le site a permis d’établir une data-tion extrêmement précise des struc-tures saunières. Enfin, le site a aussilivré plusieurs outils ou récipients debois parfaitement conservés, piècesarchéo-logiques exceptionnelles parleur rareté, surtout dans un contexteaussi ancien.
Une étude complexe et denombreux intervenants
Pour des raisons de calendrier detravaux, la fouille du site a du êtremenée dans des délais très courts. Eneffet, les terrains devant être intégra-lement libérés dès la mi-mai 1996,l’équipe de fouille a souvent été con-trainte de travailler dans des condi-tions très difficiles (terrain per-pétuellement gorgé d’eau et struc-tures en grande partie inondées),dans des délais très courts (enmoyenne 1 mois et demi par secteur)et ce, durant une période peu propiceaux travaux d’extérieur, à la fin del’hiver. S’il n’a pas alors étématériellement possible de fouillerl’ensemble des structures avec le
même soin que les fourneaux et certains puits-citernes,tous les vestiges ont été testés, ce qui a permis la col-lecte d’une exceptionnel mobilier archéologique, maisaussi d’effectuer de nombreux prélèvements aussi bienorganiques que minéralogiques. En effet, les condi-tions de conservation exceptionnelles observées sur lesite de Sorrus permettaient de suivre de très nom-breuses pistes de recherche, dans des domaines trèsvariés. L’ensemble de ces études arrive aujourd’hui àson terme, mais ne peut être abordée ici dans le détail(Desfossés dir., à paraître) ; seuls les principaux ap-ports seront présentés un peu plus loin. En revanche, ilparaît important de citer l’ensemble des intervenantsqui ont contribué à la mise en valeur des résultatsobtenus sur ce site majeur pour la compréhension destechniques protohistoriques de production du sel :Vincent BERNARD, étude dendrochronologiqueGeertrui BLANCQUAERT, étude du matériel céramiqueMuriel BOULEN, étude palynologiqueFabien CONVERTINI, étude minéralogiqueJean-Pierre LEGIGAN, étude des sablesVéronique MATERNE, étude carpologiqueJean-Marie PERNAUD, étude anthracologiqueOlivier WELLER, étude des briquetages et synthèse surle sel
O. WELLER ET Y. DESFOSSÉS
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Fourneau ?
Puits ?
Fig. 3 : Plan de détail du site de Sorrus “la Pâture à Vache”(DAO E. et M. Middleton)
Présentation des vestiges
Sur le secteur de La Pâture à Vaches, deuxfourneaux allongés (fig. 3, fourneaux 1 et 2) ont étépresque totalement dégagés en limite ouest de l’em-prise. De nombreuses fosses, souvent de très grandetaille et présentant des comblements détritiques (char-bon de bois, résidus de briquetage, matériel céramiquede La Tène moyenne) occupaient la périphérie de cesstructures (fig. 3). Elles abritaient une série de puits,qui n’ont malheureusement pu être que très partielle-ment fouillés, seul le plus proche des deux fourneauxayant été totalement observé. Il a livré un cuvelage enfascine.
Cette disposition se répète à la Bruyère, mais demanière plus organisée. De plus, cette occupation étaitparfaitement centrée sur l’emprise autoroutière et adonc pu être fouillée dans son intégralité (fig. 4).
Le principal atelier de saunier se présentait doncsous la forme d’un petit enclos ovalaire, dont l’aireinterne était occupée par un fourneau allongé et unegrande fosse quadrangulaire, interprété comme bac à
saumure (fig. 5). Le fossé d’enclos débouchait sur unetrès grande dépression comblée de limon sableux trèsriche en résidus de briquetage et en charbons de bois.La fouille de cette structure, qui sépare l’enclos d’unesérie de trois autres fourneaux étroitement imbriqués(fig. 4, fourneaux 2a, 2b et 2c) a permis de dégager enprofondeur 6 puits (fig. 4). Comme sur la Pâture àVaches, le contexte géologique très particulier dusecteur (niveau de sable étanchéifié à sa base par unecouche d’argile) a permis la conservation de l’ensem-ble des boisages des puits, ainsi que de nombreuxobjets en bois (écuelles, auges, cuiller, pelle, fragmentde douve) associés à du matériel céramique de LaTène moyenne (fig. 6). Un peu plus au nord du déca-page se trouvait également un petit fourneau ovalaire(fig. 4, fourneau 3).
Les structures des ateliers
La fouille de ces occupations améliore consi-dérablement notre perception des mécanismes de pro-duction de sel pour la protohistoire, jusque là
appréhendés par le biais de ramas-sages d’éléments de briquetage(augets, piliers et hand-bricks) dansdes contextes plus ou moins biendéfinis, ou bien par la découverteisolée d’un ou deux petits fourneaux.
Les 6 plus grands fourneaux deSorrus présentent tous la mêmeorganisation, avec des dimensionsassez standardisées (fig. 7). Ce sontdes fosses oblongues, aux paroisd’argile fortement rubéfiées et quimesurent 4 à 5 m de longueur, pour1,2 à 1,5 m de large (fig. 8). Chaqueextrémité de la fosse marque un netrétrécissement et devient un peumoins profonde. Ces dernières étaienttoutes comblées par un sédiment con-tenant de nombreux charbons de bois.Il semblerait qu’elles aient servi decendrier (aire de chauffe) et permisl’alimentation en air chaud de la par-tie centrale du fourneau (aire de cuis-son et d’évaporation), qui accueillaitla sole (ou grille) sur laquelle étaientdisposés les godets remplis desaumure. De nombreux fragments desole ont d’ailleurs été découvertsdans cette partie du fourneau. Leniveau d’accrochage de cette grille aaussi été observé à de nombreusesreprises sur les parois latérales del’aire de chauffe, à une vingtaine decm au-dessus de son fond. À toutesces structures de combustion étaientassociés de petits piliers trapus en
LES ATELIERS SAUNIERS DE SORRUS : UN APPORT MAJEUR
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Fig. 4 : Plan de détail du site de Sorrus “la Bruyère”(DAO E. et M. Middleton)
Fourneau 2
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Fourneau 3
Puits
Puits
Puits
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Puits
argiles ou hand-bricks, intercalés avant cuisson entrela sole et les godets.
Comme nous l’avons vu un peu plus haut, le site dela Bruyère a aussi livré un petit fourneau de formeovalaire (fourneau 3). Deux autres structures de com-bustion de forme similaire ont aussi été dégagées200 m au nord de ce fourneau. Bien que toutes les 3soient relativement mal conservées, elles ont unique-ment livré des fragments de piliers allongés et non deshand-bricks comme les autres fourneaux de Sorrus.
Ce sont en fait aussi des fourneaux à sel, maislégèrement plus anciens (matériel céramique daté de lafin de La Tène ancienne) que ceux précédemmentdécrits et qui utilisent une technologie légèrement dif-férente (absence de sole et utilisation de piliers). Grâceaux résultats de l’étude dendrochronologique menée surles bois extraits des 2 puits associés au fourneau 3 de laBruyère, il est possible de placer l’utilisation de ce type« archaïque » de fourneau aux alentours de 300 avant J.-C. (transition La Tène B-La Tène C1). Leur succèdentalors les fourneaux allongés à grille et hand-bricks dontl’utilisation est attestée sur le site de Sorrus tout au longdu IIIe siècle avant J.-C. et durant le premier quart du
second siècle (La Tène C1 et C2). Ce qui corrobore lespremiers résultats obtenus sur l’étude du matérielcéramique.
Si les fourneaux à sel étaient déjà assez bien connusdans de nombreuses régions côtières, la présence denombreux puits en périphérie de ces structures de com-bustion est assez surprenante. Ils ont été creusés à labase de grandes dépressions, qui ont peut-être servi àl’extraction du sable et de l’argile nécessaires à la con-struction des fourneaux et des éléments de briquetage.Leur profondeur ne dépasse pas 2,50 m à 3 m, car ils ontalors entamé sur plus d’un mètre la couche d’argile par-faitement étanche et sont approvisionnés régulièrementen eau qui ruisselle en permanence dans la strate desable recouvrant tout le secteur sur une épaisseur de1,50 m à 2 m. Les parois de chaque puits ont étésoigneusement renforcées par l’installation d’un clayon-nage, ceci afin d’éviter un comblement rapide par éro-sion de la partie supérieure, uniquement constituée desable fin. Cela n’a d’ailleurs pas toujours empêché cephénomène. Ainsi, le puits 210 de la Bruyère a connud’importants réaménagements sur près de 80 ans. Unpremier puits s’est ainsi comblé. Devenu inutilisable, il
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Fourneau 1
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0 10m
Plan
Bac � saumure
Puits 05
Puits 221
Fig. 5 : Plan de détail du principal atelier de saunier de Sorrus la Bruyère(DAO E. et M. Middleton)
Vue générale de la fouille
Pelle en bois (puits 210)
Dispositif probable de filtrage du sable (puits 210)Ouverture et comblement de puits
Puits clayonné 05
Fig. 6 : L’atelier saunier « la Bruyère » (Sorrus)(photo Y. Desfossés)
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Fig. 7 : Les fourneaux de l’atelier « la Pâture à Vache » (Sorrus)(photo Y. Desfossés)
Fourneau 2
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Profil 1
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Aire de chauffe
(Cendrier)
Aire de chauffe
(Cendrier)
Aire de cuisson et d'�vaporation
Paroi
Grille
(restitution)
A
A : morphologie g�n�rale du fourneau
B : localisation des coupes et fragments de sole bris�e retrouv�s en place
(fouille du niveau sup�rieur)
C : localisation des profils et morphologie apr�s fouille du remplissage
1 - trous de piquets destin�s � supporter la sole
2 - traces d'accrochage de la sole (argile vitrifi�e)
3 - parois (argile rub�fi�e).
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Fig. 8 : Plan d’ensemble du fourneau 1 de Sorrus la Bruyère avec restitution de sa grille en place(DAO E. et M. Middleton)
a été totalement rebouché par ses utilisateurs avec denombreux troncs et souches et remplacé par une nou-velle structure un peu plus au nord. La zone située entreces deux puits est alors aménagée en une sorte de bacquadrangulaire, délimité par un clayonnage et troislarges planches de chêne se chevauchant à angle droit.Outre cet abondant boisage, le puits a livré de nombreuxobjets façonnés en bois, totalement inédits pour l’Âgedu Fer.
Cette abondance de structures destinées à récolterl’eau de ruissellement dans la couche de sable superfi-cielle témoigne de la nécessité d’avoir en permanenceà disposition un approvisionnement conséquent eneau, même si tous les puits n’ont pas été utilisés enmême temps. Une telle consommation d’eau peuts’expliquer par le besoin de diluer les boues ou sablessalés ramenés du littoral beaucoup plus prochequ’actuellement (3,5 km contre 9 km) et de les trans-former en saumure, directement utilisable dans lesfourneaux. Les résidus de cette dilution ont certaine-ment servi à remblayer certains puits devenus inutili-sables et comblés par un sable très pur, comme le puitssitué le plus au sud du four 1 de la Bruyère. On peutdès lors se demander pourquoi les sites de productionn’ont pas été implantés directement en bordure du lit-toral, pour permettre un approvisionnement direct ensédiments à forte salinité, mais sur la butte de Sorrus.
Les éléments de briquetage
L’étude de la très grande quantité d’éléments debriquetage a permis de distinguer deux types demoules à sel ou godets, différents supports utilisés lorsde la chauffe artificielle à l’intérieur des fourneaux(piliers à section carrée ou sub-circulaire, hand-bricks,éléments de grille) et divers éléments de calage(bâtonnets). L’étude détaillée de l’ensemble de cematériel est présentée dans la monographie (Weller inDesfossés dir., à paraître). Sans revenir sur cette étude,nous souhaiterions aborder la question de la répartitionspatiale de ce matériel qui reste essentielle pourappréhender les modes de production (aire de disper-sion, aspects fonctionnels) et la chronologie des ate-liers de production.
Dans le cas de La Bruyère (fig. 9), les fragments demoules à sel se présentent sous forme de concentra-tions aussi bien au sein des fourneaux, des puits, despetites fosses qu’à la surface de la grande dépressioncentrale où ces rejets devaient former de plus ou moinsimportants monticules aujourd’hui érodés. On noteraaussi que les autres éléments de briquetage s’associentou bien s’excluent dans l’espace. Par exemple, lespiliers ne se rencontrent jamais avec les hand-bricks,les bâtonnets ou les éléments de sole qui forment euxune combinaison fréquente, quoique les éléments desole puissent être aussi rencontrés isolés. Par ailleurs,seuls les hand-bricks sont rejetés en dehors desfourneaux qui conservent leur garniture de piliers, élé-
ments de sole, bâtonnets et godets. Parmi les structuresde l’atelier, seul le réservoir à saumure ne présente pasde matériel archéologique.
En tout état de cause, la production de sel au milieudu second Âge du Fer et à l’embouchure de la Cancheest une activité très structurée et qui se fait à grandeéchelle sur des zones artisanales bien spécifiques,longtemps utilisées comme telles. Mais à ce stade dela réflexion, il reste encore de nombreuses interroga-tions sur la chaîne opératoire ou le choix des implan-tations des ateliers que l’archéologie seule ne peutrésoudre. Les approches ethnohistoriques et eth-noarchéologiques menées par l’un d’entre nous(Weller in Desfossés dir., à paraître) permettent alorsde proposer de nouvelles hypothèses qui ont pu êtretestées sur ce site.
L’extraction du sel marin : de l’histoire àl’archéologie des techniques
Les structures caractéristiques des ateliers deSorrus sont sans aucun doute les fourneaux à grille etles grandes fosses d’extraction de sable et d’argile,mais la nouveauté réside ici surtout dans la découverted’une sorte de bac ou caisse en bois, de plusieurs puitsclayonnés et de nombreux outils en bois.
À la suite de B. Edeine (1970), nous avons choiside mener une étude ethnohistorique sur les techniquesd’exploitation du sel par lavage de sable salé dans lenord de la France entre le Moyen Âge et le XIXe siè-cle (Weller in Desfossés dir., à paraître ; Rouzeau cevolume en annexe). Les étapes documentées sont prin-cipalement la préparation du sable de grève parlabourage, sa récolte, son stockage, son lessivage puisla chauffe de la saumure obtenue dans de grandeschaudières. L’ensemble de ces descriptions souventtrès fines nous renseignent sur les premières étapes dela chaîne opératoire, à savoir la concentration de l’eaude mer en une saumure, étape qui généralement n’estpas présente sur les sites archéologiques. À Sorrus, ladécouverte de puits, d’installations et d’outillage enbois (pelle, auges, écuelles, couvercle…) mais ausside sable et de vase colmatant le fond des puits ontpermis de proposer une chaîne opératoire complète dela fabrication du sel (fig. 10) s’appuyant sur les résul-tats des études minéralogiques des matériaux et desanalyses exoscopiques des sables (Legigan etConvertini in Desfossés dir., à paraître).
L’hypothèse privilégiée est l’utilisation du lavagede sable fin salé à l’intérieur d’une grande caisse enbois, sable préalablement récolté sur le site etimprégné naturellement d’eau de mer lors des grandesmarées. Les grands plats en bois étaient probablementutilisés pour la récolte du sable à l’image de ceuxactuels de Kibiro en Ouganda utilisés eux aussi pour larécolte de sable fin apporté (Connah et al., 1990).Lorsqu’il s’agit de sable en place, souvent plusgrossier, on utilise de préférence des outils plus lourds.
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Pilier
Hand-bricks
El�ment de sole du fourneau
B�tonnet
El�ment de paroi vitrifi�
Pilier � section carr�e
?
Fourneau 3
Les �l�ments de briquetage
Godet en structure (pr�sence relative)
Godet en surface (pr�sence relative)
Les godets ou moules � sel
Fig. 9 : Répartition spatiale du matériel de saunier à Sorrus la Bruyère(Weller 1998)
Le sable après imprégnation était transporté surl’atelier où il pouvait soit être stocké, soit être lessivéà plusieurs reprises dans cette grande caisse en boissituée juste en amont d’un puits clayonné soigneuse-ment imperméabilisé destiné à conserver la saumure.Les puits situés à proximité de cette caisse servaientvraisemblablement comme réserve d’eau nécessaireen grande quantité pour le lessivage. Ajoutons enfin,que le lessivage ne concernait sûrement pas que lesable imprégné, mais les sauniers devaient y ajouterl’ensemble des résidus des anciennes cuissons chargésencore de sel. Il n’est donc pas étonnant de trouvercharbons, éléments de fourneaux ou fragments degodets autour de ces structures de filtrage (fig. 9).
Quant à l’argile recueillie au cours du creusement
des structures profondes, en particulier lespuits pouvant atteindre jusqu’à 3 m, elleétait utilisée pour la réalisation du matérielde briquetage (Convertini in Desfossés dir.,à paraître). Les dégraissants choisis pourles godets sont soit sableux, soit végétaux,soit coquillés, mais ils ne jouent pas seule-ment ce rôle. La forte porosité observée surles godets, à l’aspect parfois de pierreponce, semble être liée à l’abondance deces dégraissants qui agissent plutôt icicomme des aérateurs permettant de maxi-miser les échanges thermiques entreintérieur et extérieur du récipient au coursde l’évaporation dans le fourneau. Dans lecas des dégraissants carbonatés, il est pos-sible que les sauniers aient volontairementrecherché leur disparition probable sous leseffets conjugués de la longue durée dechauffe et du sel agissant comme fondant.
Chronologie des ateliers et évolu-tion des techniques
En général, seuls quelques fragmentsde céra-mique domestique présents sur lesateliers per-mettent de dater leur fonction-nement. Dans le cas de Sorrus, l’étude den-drochronologique réalisée par V. Bernard(in Desfossés dir., à paraître) enrichie parl’analyse des principales tendances évolu-tives du briquetage (Weller in Prilauxet al., 1997) permettent de proposer unepremière chronologie fine des techniquesde briquetage déduite du fonctionnementdes puits de Sorrus où nous avons tenté dereconnaître les différentes phases de cons-truction, d’utilisation et d’abandon(fig. 11).
Les ateliers de Sorrus semblent se suc-céder durant au moins 150 ans sans qu’iln’y ait eu d’abandon durable de l’activitémais des réaménagements successifs de
certains puits et la construction de nouveauxfourneaux. Entre la fin du IVe siècle et la moitié du IIesiècle avant J.-C., nous proposons de distinguer àSorrus la Bruyère trois ateliers différenciés par leurtype de fourneaux, leurs puits associés et leurs brique-tages (fig. 12).
Si cette évolution suggère une volonté de standar-disation de l’outillage et une augmentation de la pro-ductivité des ateliers (grille allongée, hand-bricks con-stituant un second niveau de moules sur lefourneau…), il ne semble pas que ces innovations tech-niques soient le produit d’une diffusion des idées oudes sauniers mais qu’elles soient à mettre en relationavec une augmentation de la demande extérieure et uneadaptation locale (id.). C’est en terme diachronique
O. WELLER ET Y. DESFOSSÉS
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sable �tal�
et labour�
Creusement des puits
et des fosses
R�cup�ration du sable
et de l'argile
sable transport�
sur l'estran
impr�gnation par l'eau de mer
r�colte et
transport sur
l'atelier
filtrage dans une caisse en bois
� l'eau douce ou � l'eau de mer
(stockage de l'eau dans certains puits)
Ecoulement de la saumure
dans un puits clayonn�
(toujours au plus proche du fourneaux)
fabrication des godets, parois de
fourneaux, grille...
Cuisson de la saumure
dans les godets au sein du fourneau
pains de sel
(emball�s ?)
ajout de d�graissants sp�cifiques
sable pour fixer l'eau sal�e argile pour confectionner les briquetages
Fig. 10 : La chaîne opératoire de la production de sel à Sorrus(Weller 1998)
qu’il faut maintenant caractériser l’organisation de laproduction puisque les données issues de l’ensembledes ateliers fouillés sur ce tracé autoroutier permettentenfin une vision chronologique fine dans le nord de laFrance.
Évolution de la production et de sonorganisation
Les sites producteurs fouillés sur le tracé de l’au-toroute A16 représentent une source documentaireunique où la production de sel évolue depuis le Bronzemoyen jusqu’à la période augustéenne (voir F. Lemai-re, ce volume).
Outillage et produits finisPar la typo-chronologie des différents éléments de
briquetage de l’ensemble des côtes atlantiquesfrançaises (Weller, 1998), une évolution se dessinaitdéjà nettement : aux premiers piliers massifs duBronze Final succédaient les piliers tripodes, qui lais-seront place sur les côtes bretonnes à La Tène C/D, ausud, aux fourneaux à grille à voûtains et entretoisesgarnis d’augets et, au nord, aux fourneaux à barres ethand-bricks équipés de godets.
Sur les côtes de la Manche, les sauniers au cours deLa Tène ancienne abandonnent l’usage de supportsverticaux qui encombrent le foyer et développent des
structures horizontales aboutissant à desgrilles parfois complexes et desfourneaux de plus en plus importants(fig. 13). À l’aube de la Conquête, surl’ensemble des côtes gauloises, six àsept grandes régions produisent despains de sel de forme et de volume dif-férents, mais identiques à l’intérieur dechaque région productrice.
À ce propos, sur l’ensemble des ate-liers fouillés sur l’A16, on distinguesystématiquement deux types de moulesà sel de module distinct ou bien deforme différente (tronconique et cylin-drique) (fig. 14). Les deux types degodets étaient utilisés au cours d’unemême cuisson au sein des mêmesfourneaux. En fait, il semble bien quedepuis la Tène ancienne les sauniersaient simultanément produit deux typesde pains de sel en quantité bien dif-férente dans un rapport d’environ 1pour 4. Dans un contexte d’importationet de consommation, on retrouveencore, sur l’oppidum de Villeneuve-Saint-Germain (Aisne), ces deux typesde moules (Weller et Robert, 1995).
L’explication de ces productionsconcomitantes semble devoir êtrerecherchée du côté de la qualité du pro-
duit fini. Comme le soulignait déjà P. Gouletquer(Gouletquer et al., 1994), la nature des sels produitsnous échappe en grande partie. Les techniques delessivage de sables salés peuvent conduire à de multi-ples sels différents dont les propriétés et les usagespeuvent être très divers (id. ; voir C. Liot, ce volume).Les auteurs anciens signalent aussi l’existence de deuxtypes de sel : d’après Festus, les Vestales utilisaient unsel gris, âcre au goût, dit sel ordinaire (sal durum) etun sel blanc assez pur (sal coctum).
Dans le cas des ateliers de Sorrus, où la chaîneopératoire a pu être précisée dans sa totalité, nous pen-sons que cette différence de produit fini repose surl’utilisation soit d’eau douce soit d’eau de mer lors dulessivage du sable salé. En effet, en utilisant de l’eaude mer, le saunier introduit dans la saumure des selsdéliquescents (chlorure de magnésium, sulfate demagnésie, de chaux, etc.) qui donneront au produitcristallisé une couleur grise et plus âcre au goût du faitde la présence de magnésium. À l’inverse, l’utilisationd’eau douce peu minéralisée conduira à l’obtentiond’un sel blanc assez pur recommandé pour lessalaisons. Les quantités d’eau nécessaires au filtrageétant assez importantes, on comprend mieux laprésence de certains puits sur le site de Sorrus destinésà capter et stocker les eaux douces de ruissellement ouencore la forte proportion de grands récipientscéramiques de stockage (Blancquaert in Desfossés
LES ATELIERS SAUNIERS DE SORRUS : UN APPORT MAJEUR
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Fig. 11 : Chronologie des puits et évolution des briquetages de Sorrus(Weller 1998)
puits 203 puits 01 puits 221
puits 210 puits 05
puits 122 (P�ture � Vache)
300 250 200 150 avant J.-C.
303 249 190 175
292/291 208
Phase de construction et premi�re utilisation
Phase d'utilisation et d'entretien
Phase de fonctionnement probable
Chronologie du fonctionnement des puits(d'apr�s les donn�es dendrochronologique et le mat�riel arch�ologique)
300 250 200 150 avant J.-C.
Fourneau � grille ?
Chronologie et �volution des briquetages
Phase d'utilisation
Phase d'utilisation probable
250/248
Piliers et godets rouges sableux
Fourneau � grille et hand-bricks
dir., à paraître). Paradoxale-ment, l’abondance d’eaudouce à proximité des ateliers était une des contraintesmajeures pour la production de sel. La question del’implantation lointaine de certains ateliers du littoraltrouve ici une explication, mais cette dernière nesaurait être aussi simple ; contraintes techniques géné-rales, contextes environnementaux et organisation dela production doivent être étudiées de front.
Modes d’implantation des ateliersLa cartographie générale des ateliers du nord de la
France superposée à celle des plus hautes mers autourde La Tène finale souligne la proximité quasi systé-matique des sites de production avec de profonds estu-aires, des zones basses de marais ou d’étangs, ouencore avec la limite atteinte par les pleines mers envives eaux extraordinaires, c’est à dire lors des marées
O. WELLER ET Y. DESFOSSÉS
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Fourneau 2
b
NN
Fourneau 1
Bac � saumure
ac
0 20 m
Fourneau 3
puits 05
puits 221
puits 01
puits 210
puits 203
ATELIER FOURNEAU 1
ATELIER FOURNEAU Ë PILIER
ATELIER FOURNEAU 2
Fin IVe-d�but IIIe si�cle BC
IIIe si�cle BC
1�re moiti� IIe si�cle BC
Sens de l'�coulement
Fig. 12 : Chronologie spatiale des trois ateliers de Sorrus la Bruyère(Weller 1998)
LES ATELIERS SAUNIERS DE SORRUS : UN APPORT MAJEUR
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d’équinoxe (fig. 15). C’est en effet cette limite quinous intéresse dans le cadre de la production du selbien plus qu’une courbe approximative du trait decôte. N’oublions pas qu’avant les travaux de drainageet de canalisation du réseau hydrographique de cetterégion, les eaux salées pénétraient sur plus de 50 km àl’intérieur des terres le long de la Somme, phénomènequi devait être encore plus important auparavantcompte tenu de la grande vitesse de comblement deson embouchure.
Pour l’ensemble des salines protohistoriques maisaussi médiévales, on a clairement privilégié les zonestrès planes à sédiment fin (sable ou sable limoneux) oùla mer pénétrait profondément lors des grandesmarées. Pourquoi alors certains ateliers s’implantentsur les plateaux, parfois à plusieurs kilomètres de ceszones basses propices à l’obtention d’une matièresalée ?
Un premier élément de réponse consiste à prendreen considération l’ensemble des autres ressourcesnaturelles nécessaires pour la production du sel : eaudouce, sable, argile et bois de chauffe. Le transport dela matière salée peut alors se révéler plus rentable,comme l’illustre l’exemple des ateliers de Sorrus.Mais l’étude de l’ensemble des sites fouillés dans lenord de la France suggère aussi un changement desmodes de production à partir de La Tène moyenne -peut-être même plus anciennement - où la chaîne
opératoire serait segmentée dans l’espace. La matièresalée transportée pourrait être stockée sur l’atelier etpermettre une production non plus saisonnière maiscontinue tout au long de l’année, ou du moins réali-sables dès que la demande l’exige. À La Tène finale,les ateliers sauniers ne sont plus isolés mais font par-tie intégrante des habitats comme l’illustre remar-quablement le site de Pont Rémy (Prilaux dir., 1997).Le contrôle des stocks de matière salée et la gestiond’un combustible préférentiel (hêtre et chêne) néces-saire en grande quantité ont pu pousser les ateliers às’intégrer aux espaces d’habitat, à moins que cettenouvelle organisation ne résulte d’une volonté de con-trôle de la production et de sa diffusion dans le cadrede sites spécialisés capables de produire toute l’année.C’est précisément à cette époque que s’intensifiel’ensemble de la production gauloise tout le long de lacôte atlantique avec près de 300 ateliers répertoriés.
Circulation et usages du sel
Même s’ils demeurent peu documentés, parmanque d’identification des petits fragments demoules sur les habitats, les débouchés commerciauxde la production de sel ne font aujourd’hui aucundoute. L’identification de moules à sel sur les oppidade Condé-sur-Suippe et de Villeneuve-Saint-Germaindans l’Aisne (Weller et Robert, 1995) ou, plus récem-
Fig. 13 : Évolution des fourneaux à seldécouverts sur l’autoroute A16
(d’après Prilaux dir., 1997 complété)
Fig. 14 : Évolution des moules à sel(d’après Prilaux dir., 1997 complété)
O. WELLER ET Y. DESFOSSÉS
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Zone de marais actuels
62
canal
canal
63
36
111
110
53
62
107
102
85
0 1 5 10 km
Atelier de production de sel protohistorique (datation)
Sorrus (Ta-Tm)
Etaples
Conchil-
Nampont-
St-Martin(Hf-Ta, Tf)
Arry (Tf)
Camiers(Tm-Tf)
Pont-R�my(Tm-Tf)
Vignacourt(Hf-Ta)
Airon-St-Vaast (Ta)
Ault
Sallenelle
Boismont
Salgneville
Port-le-Grand
Nolette
Noyelles-sur-Mer
Rue
Verton
Goffiers
Zone probable d'influence des grandes mar�es
(plages, marais, lagunes, rias...)
178
Vron
Waben (Tf-GR)
Salines m�dievales (IXe-XVe si�cle)
LA MANCHE
le-Temple (GR)
(Bm, Hf-Ta)
Canche
Authie
Somme
Waben
Zones suppos�es recouvertes par la mer lors des trangressions
flandriennes. Les limites de l'ancien littoral correspondent peu
ou prou au maximum atteint par la mer durant la premi�re trans-
gression dunkerquienne (flandrien sup�rieur), entre le IIe av. J.-C.
et le Ier ap. J.-C.
Fig. 15 : L’accès à la matière salée : implantation des sites de production de sel depuis la Protohistoireet évolution des influences maritimes dans le nord de la France
(Weller 1998)
LES ATELIERS SAUNIERS DE SORRUS : UN APPORT MAJEUR
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ment, sur le site de Bobigny en Seine-St-Denis parB. Robert (IIe siècle avant J.-C.), dans un contextenaturel démuni de ressources salifères, va dans cesens. Mais nous sommes bien incapables aujourd’huide préciser ces voies de commercialisation et d’enmesurer l’intensité.
En revanche, les hypothèses concernant l’utilisa-tion du sel ont été remarquablement enrichies par desapproches pluridisciplinaires. À Villeneuve-Saint-Germain, l’utilisation envisagée par F. Gransar degrands dolias aux parois corrodées comme récipients àsalaison (Gransar, 1991) a pu être confortée par ladécouverte de moules à sel sur le site ainsi que par unepremière série d’analyses chimiques de ces récipients.En revanche, cette pratique n’a probablement pas étédestinée à un commerce puisqu’on ne repère pas dansla faune une absence significative des partiesanatomiques concernées (Auxiette, 1996).
À Condé-sur-Suippe, la présence de moules à seldans le secteur A de l’oppidum, secteur destiné au tra-vail des métaux précieux (Pion et al., 1997), s’ex-plique d’après nous par l’utilisation du sel dans letraitement métallurgique de l’or ou de l’argent commele souligne Pline. Plus encore, c’est un ingrédientirremplaçable pour l’orfèvre actuel dans des opéra-tions très diverses comme la fixation des teintures etdes oxydes sur les objets en or (Armbruster, 1995,p. 150 et communication personnelle).
Si l’utilisation du sel comme agent conservateur etfixateur ne fait vraisemblablement plus de doute, ladocumentation archéologique relative à la peausserie,à la verrerie, à la pharmacie ou aux pratiques alimen-taires humaines et animales (conservation du four-rage, amélioration de la production laitière, fro-magerie, etc.) ne laisse encore place qu’aux hypothès-es indémontrables. Il en va d’ailleurs de même pourl’utilisation des pains de sel comme monnaied’échange.
Maintenant que les techniques de production etleur évolution sont bien établies, il reste à caractériserplus précisément les modes et les intensités de circula-tion du sel, les usages aussi bien domestiques quesymbo-liques de ce minéral et à mieux cerner lesenjeux politiques de sa production, avant que l’occu-pation romaine ne vienne systématiquement mettre finaux centres de production à travers l’ensemble de laGaule et ainsi écouler sa propre production méditer-ranéenne.
RemerciementsY. Desfossés tient à remercier ici tous les membres
de l’équipe de fouille, P. Feray, J. Lantoine etP. Lefevre, qui se sont impliqués bien au-delà de leursseuls impératifs professionnels, ainsi que G. Dilly,conservateur du Musée de Berck-sur-Mer.
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