alain vaillant - autor como figura

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MODERNITÉ, SUBJECTIVATION LITTÉRAIRE ET FIGURE AUCTORIALE Alain Vaillant Armand Colin | Romantisme 2010/2 - n° 148 pages 11 à 25 ISSN 0048-8593 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-romantisme-2010-2-page-11.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Vaillant Alain, « Modernité, subjectivation littéraire et figure auctoriale », Romantisme, 2010/2 n° 148, p. 11-25. DOI : 10.3917/rom.148.0011 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Cité internationale universitaire de Paris - - 193.52.24.83 - 05/03/2013 18h00. © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - Cité internationale universitaire de Paris - - 193.52.24.83 - 05/03/2013 18h00. © Armand Colin

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Autor como Figura

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  • MODERNIT, SUBJECTIVATION LITTRAIRE ET FIGUREAUCTORIALE

    Alain Vaillant

    Armand Colin | Romantisme

    2010/2 - n 148pages 11 25

    ISSN 0048-8593

    Article disponible en ligne l'adresse:--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    http://www.cairn.info/revue-romantisme-2010-2-page-11.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

    Vaillant Alain, Modernit, subjectivation littraire et figure auctoriale , Romantisme, 2010/2 n 148, p. 11-25. DOI : 10.3917/rom.148.0011--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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  • Romantisme no 148 (2010-2)

    Alain VAILLANT

    Modernit, subjectivation littraireet gure auctoriale

    MODERNIT ET SUBJECTIVATION

    Une hypothse historique est la source de cet article 1 : que la csureprincipale, dans lhistoire littraire moderne, survient autour de 1830,lorsque la littrature cesse dtre essentiellement considre comme lamise en forme esthtique dun discours, cest--dire dune parole virtuel-lement adresse un destinataire selon le triple modle de la rhtoriqueantique, du dialogisme polic dAncien Rgime et de lloquence rvolu-tionnaire , pour tre dfinie comme texte, texte donn lire un publicindiffrenci, par le biais des nouvelles structures de diffusion delimprim public (priodique et non priodique), qui sarrogent alors lafonction mdiatrice traditionnellement dvolue la communication litt-raire. Le systme littraire public, du fait mme du rle central quyjouent les industries culturelles, enclenche un mcanisme de standardisa-tion et dimpersonnalisation dont lauteur risque dtre la premire vic-time. Lcrivain, sil veut persister tenir le discours lintrieur du texteet faire entendre sa voix or lcrivain reste par vocation un homme deparole , doit donc trouver les moyens dinscrire sa prsence auctorialeet, pour ainsi dire, de faire entendre sa voix dans le texte mme.

    Puisque les codes de la littrature-texte avaient pour effet de contraindreet dendiguer la parole de lauteur, une consquence inattendue de cettenouvelle culture de limprim fut dailleurs lextraordinaire prolifrationdune activit dcriture qui, chappant aux rgles gnriques dsormaisdtermines par le march public du livre, permettait aux crivains deperptuer sous les formes les plus diverses le principe de la littrature-dis-cours. Ainsi, en amont du texte publi, lcrivain tend de plus en plusdmesurment le temps et le travail de rdaction, de composition, dedcomposition et de recomposition, comme pour accrotre indfinimentla mobilit et la mutabilit de lart dcrire, hors de toute rgle commune.

    1. Cet article offre la synthse de propositions thoriques sur lhistoire littraire quonretrouvera dveloppes in A. Vaillant, LHistoire littraire, Paris, Armand Colin, coll. U ,2010.

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    Car cet interminable travail sapparente bien moins une tape prpara-toire et ncessaire la mise au point dun texte ultime qu un exercicedont la seule vise serait le plaisir immanent de lcriture, que lauteurassouvirait pour ainsi dire dans les marges de luvre raliser ; et lescrits qui en rsultent sont, plutt que des avant-textes ainsi que lesdsigne la critique gntique, de purs non-textes. Flaubert crira et r-crira plans, scnarios et brouillons de ses romans avec une patience infi-nie, non pas tant la recherche dune perfection de toute faonimprobable et immesurable, mais pour le bonheur goste du maniementplastique des mots. Au tournant des XIXe et XXe sicle, Mallarm puisValry transformeront cette stratgie de la non-publication en thique delinchoativit et en esthtique du non finito, compensant lextraordinaireraret des pomes achevs par la dynamique mme de la pense en mou-vement, dont ils tmoignent.

    Il y a donc lamont du texte publi, mais aussi ses entours, toutes lesformes dcriture qui, non destines la publication et appartenant lasphre intime ou prive, chappent aux lois culturelles de la textualisa-tion. Demeure, comme sous lAncien Rgime, la masse, presque inconce-vable pour lhomme daujourdhui, des correspondances dcrivains quipassaient plusieurs heures par jour crire des lettres : il est ainsi frappantde percevoir, la lecture, combien la pratique pistolaire reprsentaitpour un Balzac ou un Flaubert un immense dfouloir et un vase dexpan-sion pour un art du discours toujours comprim par lcriture desuvres. Il y a encore et la chose est sans doute plus nouvelle la maniedes carnets, des cahiers, des journaux intimes dont on saccompagneen voyage ou au caf, que lon noircit de notes, de penses , de fuses . Se dveloppe ainsi un nouvel espace priv de lcriture et de laparole, qui, aux antipodes de lancien rseau de la sociabilit aristocra-tique, garde intactes les zones dopacit de lauteur comme de lhommepriv.

    Mais surtout, cette fois au cur mme de luvre imprime doncconforme aux rgles de la littrature-texte , lcrivain apprend faireentendre indirectement une parole, se rendre prsent son lecteur, entant que sujet crivant : nommons subjectivation ce mcanisme quitouche la nature mme de la communication littraire moderne et quipermet au lecteur de deviner, derrire le texte quil lit, une instance non-ciative latente, puis didentifier cette instance textuelle la figure delauteur. Cette subjectivation na rien voir avec la subjectivit parlantequi affleure la surface des uvres de lAncien Rgime littraire parexemple, celles dun Montaigne ou dun Diderot : au contraire, cestjustement parce que la parole subjective na plus sa place, en tant quetelle, dans le livre moderne que le corps textuel, pour ainsi dire ractive-ment, prserve et protge grce la subjectivation la prsence du sujet

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  • Modernit, subjectivation littraire et figure auctoriale 13

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    scripteur. En fait, tout se passe comme si le sujet, interdit dapparatre surle plan nonciatif, se trouvait dissmin et clandestinement log danstous les plis de lnonc, si bien que sa prsence en devient la fois invi-sible mais immensment amplifie pour le lecteur qui sait la rechercheret qui veut sen donner la peine.

    Confront la logique moderne de la littrature-texte, lcrivaindcouvre que, ayant pour fonction de reprsenter le monde, il lui faut,pour persister parler en son nom propre, le faire de faon seconde etindirecte. Seconde, puisque cette parole singulire ne rsulte que de lasdimentation, de la concentration et du dtournement des discourssociaux ou des textes littraires qui lenvironnent ; indirecte, parce quecest en reprsentant le monde que lauteur de littrature parviendra, partoutes sortes de manuvres latentes, tenir son discours singulier. Maisil lui faudra, pour parler encore, dire les choses sans les dire vraiment, ouen feignant de ne pas les dire, ou en paraissant faire tout autre chose : seconstitue une vritable rhtorique de lindirection 2, qui est la marque laplus visible et la plus reconnaissable de lesthtique moderne de lcriture.Car cette indirection moderne na quune ressemblance partielle et trom-peuse avec la stratgie du contournement et du double sens qui, en destemps de rpression et de censure, permettait lcrivain de biaiser avecle pouvoir et que, en particulier, les jeux ironiques de la littrature duXVIIIe sicle ont pouss leur plus haut degr de raffinement, faisant decette technique discursive de lesquive et du ricochet un vritable artsocial. Selon cette forme traditionnelle dobliquit, il sagit seulement dedire une chose alors mme quon parat en dire une autre, de substituerun discours un autre. Lindirection permet, elle, de tenir un discoursalors mme quon parat ne pas mme parler, de transmuer du texte ceroman, par exemple, crit la troisime personne et qui parat droulersilencieusement le fil de ses pripties en discours.

    Le clbre style indirect libre jy reviendrai nest que lapplicationla plus reprable de lindirection. Mais on la retrouve dans toutes lescomposantes de lcriture littraire. Lcrivain moderne, born par lesnouvelles contraintes culturelles de la publication, doit utiliser toutes lesressources dont il dispose pour saturer son texte des manifestations de saparole. Mme les matriaux les plus trangers la logique discursive sontannexs ces manuvres. Depuis les dbuts de limprimerie, les profes-sionnels du livre avaient peu peu appris uniformiser la prsentationdu texte ; lart de la mise en page, les rgles de lalina et les usages de laponctuation avaient commenc tre fixs. Mais cette codification nerpondait qu une exigence de clart ou dhomognit ditoriale, et

    2. Sur cette modernit de lcriture indirecte, ou oblique, voir Ph. Hamon, LIronie. Essaisur les formes de lcriture oblique, Paris, Hachette, 1996.

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    restait aussi souple que fluctuante. Il suffit de jeter un il sur un manus-crit dauteur pour constater quel point cet art de la mise en livre restaitlaffaire des artisans du livre, et non des crivains. Cest donc le XIXe siclequi intgrera la potique littraire les conventions du livre. Tout estmatire un discours qui ne se tient plus comme tel. La matrise de lagrammaire, lexactitude de la syntaxe, la conformation lordre prsumde la langue deviennent les instruments de cette nouvelle loquence dutexte 3, dont je vais maintenant voquer les deux mcanismes (la potiquedu rire et lopacit textuelle) et les deux champs dapplication gnrique(la posie et le roman) principaux, avant de synthtiser ces diverses ana-lyses avec le concept de figure auctoriale.

    LE RIRE DE LAUTEUR

    Comme le note Baudelaire dans son essai De lessence du rire (1855),le rire est toujours dans le rieur, non dans la chose risible. De surcrot, sile rieur rit de quelque chose, cest que, derrire cette chose, il sait ousouponne la prsence dun autre rieur pour lequel il prouve un senti-ment diffus de complicit. Le rire impose le principe dune relation inter-personnelle et la reconnaissance de lautre : on rit toujours avecquelquun. Dans le cas dun rire artistiquement labor (par un crivain,un dramaturge, un comdien, un peintre), luvre comique enclencheun processus qui conduit, par une ncessit proprement anthropologique, simaginer le rieur derrire le texte, la performance ou limage. Le rire estdonc le principal instrument principal de la subjectivation auctoriale : ilsuffit que le lecteur repre une quelconque incongruit potentiellementrisible pour quil souponne une manipulation volontaire et que, plusgnralement, il se pose la question de lintentionnalit, quil fasselhypothse dun projet auctorial dont luvre fournirait les indices for-mels. Cest pourquoi toutes les uvres majeures de la modernit, auXIXe sicle, ont intgr le rire leur potique et lui ont assign une fonc-tion proprement structurante 4.

    Bien sr, ce rire subjectivant nest pas le rire univoque, franc, mcaniqueet massif qui, la mme poque, envahit la culture mdiatique et lesthtres du Boulevard mme sil en dtourne les codes et les mcanismes son profit. Au contraire, pour crer le lien de connivence inter-

    3. Voir Romantisme, Paris, 2009, n 146 [Polices du langage].4. Nous avons essay den mener la dmonstration pour Baudelaire (A. Vaillant, Baudelaire

    pote comique, Rennes, PUR, 2007). Voir aussi A. Vaillant, Portrait du pote romantique enhumoriste, et vice versa : lments dune potique de la subjectivation , in S. Hirschi, . Pilletet A. Vaillant (d.), LArt de la parole vive. Paroles chantes et paroles dites lpoquemoderne, Valenciennes, PUV, 2006, p. 17-28 ; Rire sans clat, ou les plaisirs du rire virtuel ,Humoresques, n 27, 2008, p. 131-144 [ propos de Flaubert] ; Victor Hugo esthte du rire ,publication lectronique sur le site du groupe Hugo (groupugo.div.jussieu.fr/).

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  • Modernit, subjectivation littraire et figure auctoriale 15

    Romantisme no 148

    personnelle, il doit jouer dune ambivalence systmatique, brouiller leplus possible les pistes textuelles, laisser le lecteur dans une indtermina-tion virtuellement infinie moins que celui-ci ne se rsolve simagi-ner complice de lauteur. Concrtement, il sensuit une criture littrairemlant constamment le srieux et le non-srieux, au point que les deuxcatgories finissent par se superposer et se confondre totalement. Cetteindcidabilit quinstaure le rire moderne est trs proche de ce queWayne Booth 5 a appel lironie instable (par opposition l ironiestable , aisment dcryptable, de lge classique) ou encore de l ironieromantique des romantiques allemands. ceci prs que lironie roman-tique est fondamentalement dordre philosophique et ontologique, alorsque le rire de la subjectivation auctoriale est, avant tout, communication-nel (ce qui nexclut nullement, bien entendu, dautres motivations) : illaisse entendre que le texte lu fait contradictoirement coexister undiscours public et une parole prive, que lauteur y est la fois prsent etabsent ou plutt quil nest pas prsent l o on le croyait.

    Logiquement, ce rire repose sur une subversion des codes communica-tionnels, grce ses deux mcanismes principaux que sont la parodie et lecalembour. Par la parodie (comprise dans lacception la plus large), lcri-ture moderne est toujours reprise et rcriture de textes antrieurs (autrestextes littraires ou noncs doxiques), que lauteur recycle sans que le lec-teur ait aucun indice tangible pour apprcier le degr dadhsion ou dedistanciation supposer quil ait pu seulement reprer leffet dcho.Trs loin des jeux ouvertement parodiques du journal et de la scne, letrouble que suscite une intertextualit latente et souvent insituable diffuseun soupon gnralis dont lauteur, en tant que matre duvre, est leprincipal bnficiaire. Quant au calembour (entendons par l toutes lesmanipulations ludiques du signifiant), il fait son entre fracassante dans lagrande littrature, alors quil tait considr lge classique, par opposi-tion aux mots desprit portant sur le sens, comme la forme la plus basse decomique et, pour cette raison, cantonn la culture populaire ou aux jeuxde socit mondains. Or les calembours mme les plus btes ou les plusobscnes pullulent aux longs des uvres de Hugo (posie et prose ru-nies), de Balzac, de Flaubert, de Rimbaud. Car le calembour a un tripleavantage. Venu de la culture orale ou populaire, il fait clater tous lescodes de la biensance sociale ; il instruit de facto le procs de la commu-nication littraire publique, laquelle il oppose, de lintrieur du texte, leslibres inconvenances de la parole prive : cest pourquoi les commenta-teurs ont tant de mal de les accepter donc, dabord, de les reprer ! ,parce quils ne savent quen faire et quils ont vaguement peur de nuire la respectabilit de leur auteur, voire la leur propre.

    5. Voir W. Booth, A Rhetoric of Irony, Chicago, University of Chicago Press, 1974.

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  • 16 Alain Vaillant

    Style dauteur, 2010-2

    Les calembours, qui sont comme des plaisanteries qui subvertissentlocalement le srieux des textes et adressent de discrets clins dil quelques rares happy few aussi blagueurs queux, nous apportent de pr-cieux enseignements sur le fonctionnement de la subjectivation par le rire.Ces signaux comiques sont presque invisibles (de fait, ils restent le plussouvent inaperus) et, pour quelques-uns que le hasard ou lintuition per-mettent de relever, on devine le nombre de ceux qui restent enfouis dansles textes, soit pour en dtourner le sens soit pour les doubler dune signi-fication infiniment plus profonde et plus intime quil ny parat. En effet,les figures du rire (cest particulirement vrai pour le calembour) plongentdans les zones les plus profondes de limaginaire de lauteur (voire de soninconscient) qui sont aussi, au moins selon les codes de lpoque, lesmoins publiquement dicibles : les identifier revient toujours rechercherune relation dempathie avec lauteur, ce quoi vise prcisment le proces-sus de subjectivation. cette limite extrme o le comique sert cettecommunion dmotion que cre paradoxalement lironisation de lcri-ture, le rire devient lune des sources du lyrisme moderne, et peut-tre laprincipale mais dun lyrisme dans la blague qui, ajoutait Flaubert, est pour moi tout ce qui me fait le plus envie comme crivain 6 .

    AUCTORIALIT ET OPACIT TEXTUELLE

    Le rire moderne procde en perturbant le processus dinterprtation,en crant le doute chez le lecteur, voire en rendant le sens absolumentindcidable. De ce point de vue, il est la forme la plus ludique dune stra-tgie gnrale dopacification textuelle qui caractrise la littrature lgi-time (au moins partir de la rupture des annes 1830), qui sintensifie mesure quon avance dans le sicle et laquelle peuvent tre assimilestoutes les techniques de subjectivation. Tout se passe comme si lcrivain,intgr malgr lui dans le systme de la communication publique, senabsentait par son refus de plier au nouveau code communicationnel etsignalait sa dissidence en se rendant inintelligible. Dans la mesure o lesindividualits de lauteur et de son lecteur sont menaces par la puissanceduniformisation des industries mdiatiques, elles semblent se rtracterdans le texte dont, paradoxalement, linintelligibilit est promesse dintel-ligence complice. Les idologies et les socits ont chang, sans modifierle principe du geste littraire : du point de vue de lcriture, lobscurit etle refus des conventions sont, pour le XIXe sicle, ce que reprsentaient lpoque classique lexigence de clart et les rgles de composition, savoir les conditions formelles dune communication russie.

    6. Flaubert, lettre Louise Colet du 8 mai 1852, Correspondance, Paris, Gallimard, coll. Bibliothque de la Pliade , t. II, p. 85.

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  • Modernit, subjectivation littraire et figure auctoriale 17

    Romantisme no 148

    Le premier mode dopacification, dj pratiqu puis thoris parVictor Hugo qui, dans le pome des Contemplations Rponse unacte daccusation , exalte Limagination tapageuse aux cent voix/Quicasse des carreaux dans lesprit des bourgeois , sest ce point gnra-lis quil parat parfois se confondre avec la modernit (qui impliquetoujours, selon Baudelaire, ce quil appelle le bizarre , l trange oule nouveau ). Sans entrer dans les longs dbats que suscite la dfini-tion des tropes et des figures, parlons simplement dincongruit mta-phorique. Alors que, dans la conception classique, toute image naquune fonction expressive et ne doit surtout pas entraver la compr-hension littrale du texte, lincongruit mtaphorique vise introduireune image originale, gnralement sous la forme elliptique de la mta-phore, qui nappartient pas un stock dimages connues et nest pasnon plus intgre un rseau textuel assez stable et identifiable pourtre immdiatement explicable. Limage intruse, perturbant la compr-hension du pome, cre un noyau dopacit qui nest rsorbable quepar les hypothses que le lecteur est contraint de faire sur les mcanismespsychiques de lauteur et sur ses procds associatifs. Lincongruitmtaphorique convie le lecteur assister, par le dtour de limage, autravail de la pense qui conoit et labore le texte : une fois laisses dect les considrations psychologiques ou philosophiques, elle est lasubstance mme du lyrisme moderne.

    Lhermtisme proprement parler, qui implique, lemploi volontairede codes dont ni la tradition ni luvre mme ne fournissent la cl au lecteur,est une gnralisation et une systmatisation du principe dopacification.Le nom de Mallarm demeure bien sr attach cette stratgie de lher-mtisme qui est aussi une thique, puisquelle vise recrer un lieninterpersonnel et intime, par-del le texte, entre les deux acteurs de lacommunication littraire. Mallarm sen explique longuement dans sonclbre plaidoyer pour lhermtisme potique, Le mystre dans leslettres , invoquant non sans ironie son souci de vouloir obligeam-ment dtourner loisif 7 , cest--dire le lecteur inattentif ou paresseux.Bien sr, cela nentrane pas que luvre obscure soit rductible unnonc explicite. Sil pouvait se traduire, en un message univoque, il serduirait sa fonction cryptique mais perdrait du mme coup sa vertuhermtique. Au contraire, lopacit du texte moderne fait rsider le plaisirde lecture dans la complicit que, grce au cryptage, lauteur tablit avecle lecteur et qui, pour cette mme raison, gagne se prolonger indfini-ment ce qui suppose, idalement, que lobscurit textuelle ne puissejamais tre totalement dissipe.

    7. Mallarm, uvres compltes, Paris, Gallimard, coll. Bibliothque de la Pliade , 2003,t. II, p. 229.

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  • 18 Alain Vaillant

    Style dauteur, 2010-2

    LE LYRISME DU VERS

    Trs logiquement, tous les mcanismes de subjectivation qui viennentdtre passs en revue (la potique de la page imprime et de la typogra-phie, les figures du rire, lopacit textuelle) sont mis en uvre de manireparticulirement concentre et ostensible en posie. bien des gards, laposie apparat mme, dans un monde des lettres traumatis par le poidscrasant des nouvelles industries culturelles de limprim, comme leconservatoire de lancienne littrature-discours : conservatoire toujoursmenac dobsolescence on le mesure sans peine au cortge de moque-ries, de ddains ou de quolibets qui accueille, de Hugo Mallarm, lasimple profession de foi potique , mais aussi, par une raction bienprvisible, conservatoire toujours plus solennis et sacralis, jusqu cettemystique profane du lyrisme, qui forme lessentiel du discours contem-porain sur la posie. Au cur de lunivers de limprim public, la posieest cet lot discursif o il est encore possible, et mme requis de parler la premire personne : sa vertu proprement artistique est de constituer enuvre littraire ce discours du je auquel se reconnat dsormais, plus qutout autre signe, le fait potique.

    Cependant, si le pote est bien cette sorte dcrivain qui persiste direje, le je du lyrisme moderne na plus grand-chose voir avec le je de lalittrature de lge classique. Si le pote dAncien Rgime employait aumoins autant la premire personne que ses successeurs du XIXe sicle, il lefaisait selon les codes de lloquence publique ou prive (pour discourirloquemment de choses et dautres, pour raconter une anecdote ou pourse conformer, de sa manire artistique, aux diverses obligations de la viemondaine), le pome ntant que la mise en vers de ce discours polymorphe.Le pome moderne est ou, du moins, se veut non plus seulementlexpression de la pense du pote, mais la manifestation, par et dans letexte, du pote lui-mme. Le je du pote tient donc en mme temps laplace du sujet nonciateur et de lobjet nonc : cest ce ddoublementdu je du ct de la prise de parole et du texte qui caractrise la moda-lit spcifiquement lyrique de la subjectivation littraire.

    Cette double prsence du je source auctoriale et prsence textuelle caractrise la posie lyrique moderne, o un auteur sadresse son publicde faon explicite mais indirecte, au travers dun je textuel : cest parceque le je subjectif est dplac et intgr la performance artistique (ou aurseau textuel, dans le cas du pome) quil acquiert un semblant duniver-salit, tout lecteur tant virtuellement ce je et pouvant lgitimement selapproprier et sy assimiler. Cette subjectivit adopte une forme trsparadoxale dimpersonnalit, fonctionnant comme une voix ou un masque,vide dun contenu trop prcisment dfinissable qui en limiterait et endlimiterait lextension. Pour signifier cette indfinition constitutive,

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  • Modernit, subjectivation littraire et figure auctoriale 19

    Romantisme no 148

    certains thoriciens du lyrisme parlent donc, commodment et par mta-phore, de voix ou de figura lyrique. Mais ces dnominations nedoivent videmment pas donner penser que ce je lyrique ne seraitquune pure instance linguistique, une construction textuelle, une don-ne conventionnelle sans lien, mme conjectural, avec la source aucto-riale : une telle conception contredit la simple observation des faits, quimontre au contraire la densit et lintensit de linvestissement personneldans la posie lyrique moderne. La ralit est la fois plus conforme lintuition et plus difficile analyser. Le discours tenu par la posielyrique est certes assum, en son nom propre, par le sujet auctorial,mais cette prsence est si bien dissmine dans le texte mme quellefinit par se confondre avec lui. La premire consquence de cettesubjectivation lyrique est la spectaculaire et inattendue rsurrection duvers syllabique et rim, dans la suite de la premire efflorescence roman-tique, sous la Restauration 8.

    AUCTOR IN FABULA

    Le roman sous la forme du roman raliste la troisime personnequi simpose prcisment au XIXe sicle est dans une position exacte-ment symtrique celle de la posie. La posie est la sublimation lyriquede la littrature-discours ; le roman raliste est la forme fictionnelle de lalittrature-texte qui, en principe, fait obstacle au discours de lauteur. Larussite de la subjectivation littraire implique donc que le romanciersoppose aux nouvelles lois du genre ou, dfaut, les adapte pour faireentendre sa voix.

    Constatons dabord que limpersonnalisation du roman, dontFlaubert fera un dogme esthtique, ne prend corps que trs progressi-vement au cours du XIXe sicle et quelle ne vaudra jamais que pour unepart limite de la production fictionnelle. La potique de la nouvellerepose trs largement sur une narration la premire personne, aupoint quil semble y avoir une rpartition des rles entre les deuxgrands genres fictionnels. Dans la nouvelle, le narrateur, qui est trssouvent un protagoniste du rcit, ne cesse de commenter, dapostro-pher son lecteur et dironiser ( lexception notable de Maupassant, enbon disciple de Flaubert). Au roman, au contraire, revient le rcit latroisime personne, o lauteur sefface derrire lhistoire. Ce partagesexplique dailleurs en grande partie par les modes respectifs dditiondes deux genres : alors que le roman est li au livre ( lexception duroman-feuilleton), la nouvelle est presque toujours publie dans lapresse, dont elle adopte naturellement les codes rhtoriques. En outre,

    8. Voir Romantisme, Paris, 2008, n 140 [Modernit du vers].

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  • 20 Alain Vaillant

    Style dauteur, 2010-2

    sen tenir au roman, lauteur est trs loin de se contraindre au silence :au contraire, la persistance de ce quil est convenu dappeler les intru-sions dauteur manifeste la tension permanente, au sein du genre,entre les contraintes fictionnelles et une discursivit latente qui prendtous les prtextes pour affleurer la surface du texte. Il est vident, parexemple, que Balzac est un romancier qui na pas totalement renonc tre un Pote ou un Philosophe et chez qui la volont de parleren son nom, hors du champ de la fiction, entre constamment enconcurrence avec la logique du roman ; que George Sand est reste trslongtemps la priphrie de la littrature lgitime parce quon luireprochait, davantage mme qu Balzac, de ne pas convertir sa subjec-tivit trs loquente en subjectivation littraire et, en consquence, dene pas savoir crire ; que, chez Hugo, la masse htroclite de luniversfictionnel est recouverte et pour ainsi dire enveloppe par la voix lyrique ;enfin, que, pour les crivains fournissant le gros de la productionfictionnelle ordinaire, il ntait pas question de se priver des commoditsquoffraient, pour la gestion du rcit, les interventions explicites (etsouvent dsinvoltes) de lauteur-narrateur.

    Le romancier na dailleurs pas besoin de dlguer la parole unepremire personne pour signaler sa prsence au lecteur. Le roman par-ticipe de la littrature-texte, dont la fonction premire tait, sur lemodle du mdia journalistique, de reprsenter le monde. Or la culturemoderne de la reprsentation ( luniversel reportage , selon la formuleclbre de Mallarm) a cette consquence insidieuse, que pointent tousles spcialistes des mdias, de confondre le rel et limage qui en estrenvoye. Prototype de lcrivain moderne, le romancier raliste naqu appliquer la fiction narrative cette confusion de lobjectif et dusubjectif pour apparatre travers le miroir que lui offre la reprsenta-tion du rel. Dabord, il lui suffit daccorder la plus large place possible la description au dtriment de la narration, puisque cest par la des-cription quil peut imposer sa propre subjectivit. Puis, il doit veiller,en mme temps quil reprsente le monde travers sa fiction raliste, dcrire indirectement le regard quil porte sur lui, donc se dcrireimplicitement comme sujet de conscience. Cest trs exactement cemode de subjectivation totalement invisible qulabore Flaubert, par samanire dcrire et dans son mode dapprhension du rel, les deuxtant indissolublement mls au fil de lcriture : lisant Flaubert, le lec-teur ressent limpression trange que cette instance auctoriale, dont ilperoit confusment lcriture, fait corps avec lnonc, comme silauteur appartenait lui-mme sa propre fiction ; il enregistre la pr-sence de cet auteur, mais continue sa lecture comme si, malgr tout, lercit se racontait de lui-mme.

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  • Modernit, subjectivation littraire et figure auctoriale 21

    Romantisme no 148

    Le phnomne de subjectivation dcoule prcisment de la contradic-tion apparente qui nat de la disparition de toute manifestation discursivede lauteur et, cependant, de sa prsence diffuse dans le texte. Le styleindirect libre, dont Flaubert fut le premier faire un usage systmatique,offre une illustration parfaite de cette subjectivation propre au romanraliste. Linguistiquement, le procd est facile dcrire. Il consiste rap-porter les paroles ou les penses dun personnage, non au prsent et lapremire personne ainsi quon le ferait au style direct, mais limparfaitet la troisime personne, comme si le personnage parlait ou pensait parlentremise de lauteur, sans que pour autant cette dpendance soit mar-que par un verbe dclaratif selon la technique du style indirect ( il [se]dit que , par exemple). Le style indirect libre est classiquement ana-lys en termes de polyphonie nonciative ce qui suppose que le narra-teur, tout en gardant la parole, donne voix ses personnages enfusionnant partiellement leur discours avec le sien. Mais les choses sontloin dtre aussi simples. En ralit, lorsque la narration emprunte unpersonnage ses propres mots, elle se les incorpore pour mieux se confondreavec lui : elle ne donne pas au personnage le droit la parole commeelle le ferait en recourant au style direct , mais elle annexe son langage ce qui est tout autre chose que son discours pour se donner les moyensde parler, de penser et, finalement, de se reprsenter sa place 9.

    Dans le roman raliste la troisime personne, lauteur est ainsi pr-sent la manire dun auctor absconditus, prsent par les mondes quilcre et par les fictions quil montre, sans presque jamais se dvoiler lui-mme. Cette trange prsence-absence permet de mesurer le terribleporte--faux o se trouve, quil le veuille ou non, le romancier. Dunct, ayant renonc parler en son nom propre et se fixant pour tchede reprsenter le rel, il parat illustrer lhgmonie de la nouvelle litt-rature reprsentative, et on pourrait en trouver la confirmation dansson mpris dclar pour le lyrisme potique et lloquence romantique cest particulirement net pour Stendhal et Flaubert. De lautre, il nade cesse de vouloir imposer au lecteur son regard singulier sur lemonde, sous couvert de ralisme, et de dessiner en creux sa proprefigure : de ce point de vue, il est clair que les chefs-duvre du ra-lisme, indpendamment de tout jugement esthtique, sont ceux quiparviennent imposer le plus puissamment la sensation et lide decette prsence auctoriale, et den tracer les contours grce aux mat-riaux de la fiction.

    9. Sur linterprtation du style indirect libre et le roman la troisime personne, voirA. Rabatel, Une histoire du point de vue, Metz, Publications de luniversit, 1997 ; S. Patron, LeNarrateur, Paris, Armand Colin, coll. U , 2009 ; Ch. Reggiani, Le texte romanesque : unlaboratoire des voix , in G. Philippe et J. Piat (d.), La Langue littraire, Paris, Fayard, 2009,p. 121-154.

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  • 22 Alain Vaillant

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    SUBJECTIVATION ET FIGURE AUCTORIALE : LE STYLE

    On ne peut penser la subjectivation sans la notion de style. Non pasau sens gnral que lui donne Buffon dans son clbre aphorisme lestyle, cest lhomme mme , o le style dsigne non seulement lcriture(avec ses caractristiques propres) mais, de faon plus gnrale, la manirede penser et dorganiser cette pense en texte : ce compte, tout crivaina peu ou prou un style, puisque celui-ci se confond avec les dispositionsidiosyncrasiques de son esprit. Dans le cas prcis de la subjectivation lit-traire, il serait plus exact de parler de style dauteur ; dans la mesureo lauteur sest incorpor dans son uvre, lauctorialit se mesure nonpas tant par luvre elle-mme mais par la cration dun style singulier etreconnaissable. Ou plutt, luvre et le style sont unis par des liens indis-solubles dimplication rciproque, que Hugo rsume en une phrase lapi-daire : Tout homme qui crit crit un livre ; et ce livre, cest lui 10 :lcriture (et le style qui en dcoule) nexiste quen fonction du livrequelle rend possible et, inversement, le livre ne se constitue comme livre(cest--dire comme uvre) que grce la prsence auctoriale avec lequelil se confond, sil veut accder la dignit littraire que, dans cetteconception hugolienne, seule la subjectivation est capable de confrer.Ou, pour le dire encore autrement : la cration dun style est le but vri-table que vise un crivain, tant bien entendu quil ny a pas de style sansuvre, et pas duvre sans auteur.

    Cest aussi trs exactement ce que Balzac qui me servira ici de filrouge rpondait ceux (trs nombreux) qui lui reprochaient de ne passavoir crire. Dune part, il faisait mieux quavoir un style, il ralisait uneuvre ; dautre part, il avait bien un style, puisquil faisait une uvre. Eneffet, dans la mesure o le premier effet de la subjectivation est de fairedeviner une subjectivit latente dans lpaisseur de luvre, la reconnais-sance de cette auctorialit va de pair avec celle de luvre elle-mmecomme fait artistique. Les marques textuelles de cette prsence ne per-mettent pas seulement de reprer une criture singulire celle, parexemple, que recherche le stylisticien en isolant les stylmes dun crivain ,mais les indices dun projet auctorial, dune intention duvre dont letexte serait lactualisation. Plutt que de style dauteur , je parleraidsormais de figure auctoriale pour dsigner lensemble structur de cesmarques textuelles une figure dont, pour reprendre la terminologieanglo-saxonne, luvre serait le vhicule (vehicle) et lauteur la teneur(tenure).

    Aborde de la faon la plus concrte, la figure auctoriale se manifestedabord au lecteur par un effet de signature comme Barthes parle dun

    10. Hugo, Prambule de ldition des uvres compltes dite ne varietur, cot daprsuvres compltes, vol. Politique, Paris, Robert Laffont, coll. Bouquins , 1985, p. 1081.

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  • Modernit, subjectivation littraire et figure auctoriale 23

    Romantisme no 148

    effet de rel : grce lui, lauteur signe ainsi son uvre par avanceet cette signature incluse dans le texte est dautant plus importante quecelui-ci napparat plus comme un discours. Cet effet de signature adailleurs trs vite entran, de la part des critiques, le soupon de mysti-fication ou de trucage, conu lencontre duvres quon rduit alors pol-miquement lexhibition de cette signature formelle. Quil sagisse desbrusques contrastes rythmiques, syntaxiques ou lexicaux de Hugo, delexcs descriptif de Balzac, de lobscnit impassiblement versifie deBaudelaire, de lhermtisme systmatis de Mallarm, laccusation visealors ramener la potique complexe de luvre une sorte de redouble-ment caricatural et tautologique de la signature : on le voit, le procs enmystification, dont on peut suivre chronologiquement la naissance et ledveloppement au XIXe sicle, est la consquence directe du processus desubjectivation littraire.

    Pourtant, cette signature ne se limite videmment pas un seulprocd, uniformment rpt, mais une pluralit de manifestationstextuelles mme si, il est vrai, lune dentre elles peut jouer une fonc-tion de signalement. Elle se confond encore moins (mme sil peut yavoir des recoupements ponctuels) avec des interventions explicites (ou intrusions de lauteur). Au contraire, le processus de subjectivation,qui repose sur la dissmination textuelle de la prsence auctoriale,saccompagne logiquement de la disparition progressive de ces formesrsiduelles de la littrature-discours , qui persistent faire entendre unnonciateur prsent dans son propre texte et qui risquent de limiter le jeauctorial, impliquant un rapport potique luvre, un je banalementbavard et interrupteur. Mme si le style balzacien se signale dabord parson apparence trs rhtorique et par la prsence dun nonciateur encom-brant que dsignent de trs nombreux indices dictiques, la figure aucto-riale ne se rsume pas ce personnage abondamment scnographi 11 demagister et de philosophe, mais repose au contraire sur lopposition signi-ficative et structurelle des deux figures antithtiques qui reprsententlauteur Balzac respectivement en pote (ou philosophe) hermneute eten ironiste blagueur et qui reproduisent sur le plan auctorial lintricationproblmatique de la spculation thorique et de la fiction raliste, inscriteau cur mme du projet de La Comdie humaine.

    Si elle ne se rduit pas un simple effet stylistique, la figure auctorialedoit en effet suggrer une double relation dhomologie. Dune part, elleest un fait dcriture complexe qui concentre et, en les concentrant, sym-bolise les structures formelles de luvre. Ainsi, chez Balzac, la tensionstylistique qui est immdiatement reprable reproduit sur le plan de

    11. Sur la scnographie balzacienne, voir J.-L. Diaz, Lcrivain imaginaire, Paris, Cham-pion, 2007.

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  • 24 Alain Vaillant

    Style dauteur, 2010-2

    lcriture la dualit fondamentale que rvlent la fois le processus gn-tique et larchitecture finale de luvre, partage entre les Contes drolatiqueset La Comdie humaine, et concrtise, lintrieur mme de la Comdie,par le presque diptyque que forment le ralisme analytique des tudes demurs et le systme explicatif vise synthtique, propos par les tudesphilosophiques et les tudes analytiques. Dautre part, cette architectureformelle, exhibe par la figure auctoriale, donne aussi voir la vision dumonde que luvre projette sur le plan des ralits artistiques. Ce trianglenotionnel que constituent le style (ou la manire ), luvre (entenduecomme uvre individuelle ou au sens unitaire duvre globale delauteur) et la vision du monde est la base de toute stylistique un peuconsquente (par exemple celle de Leo Spitzer), comme elle inspire lesentreprises critiques de la philologie allemande et, aussi bien, la sociocri-tique telle que pratique par Claude Duchet. Pour Balzac, il est parexemple vident que son esthtique littraire du mixte est parfaitementconforme ses conceptions ontologiques, sociologiques et psychologiquesdont elle est la transfiguration artistique.

    Mais il est une quatrime caractristique de la figure auctoriale qui, aumoins autant que les prcdentes, doit tre prise en compte. Puisquefigure de lauteur il y a, elle doit aussi symboliser son tre-auteur, cest--dire, en tout premier lieu, le mode de relation que lcrivain tablit avecle systme littraire, compte tenu des contraintes communicationnellesqui dcoule du contexte historique. On vient de voir que laprs-Rvolu-tion est le thtre dune transformation radicale du systme littraire,caractrise par la double mergence du march public de la littrature etde la culture mdiatique ; toutes les figures auctoriales du XIXe sicle per-mettent dinscrire dans les textes donc de signifier leurs lecteurs lamanire dont chaque auteur entend sadapter cette nouvelle configura-tion culturelle pour parvenir faire uvre. Revenons une dernire fois Balzac. Indiffremment philosophe et pote par vocation (selon les deuxmodles concurrents de la Restauration), Balzac devient crivain profes-sionnel et journaliste succs, au moment mme o la littrature entredans lre mdiatique. Son choix artistique a donc fondamentalementconsist subvertir lcriture journalistique de lintrieur, en la soumet-tant sa propre stratgie dauteur. Balzac, comme romancier, est ainsiamen inventer une criture originale, qui rsulte de lunion originaledes deux rgimes littraires de lpoque, le potico-philosophique et lejournalistique donc fondre ensemble les ressources de la posie et dujournalisme pour inventer un ralisme potico-comique dune nouveautabsolue. On comprend alors sans peine les jugements des contemporainssur le mauvais style de Balzac, qui nest rien dautre que la stupeurproduite, chez des lecteurs habitus aux contraintes stylistiques de laprose, par la transgression gnrique luvre en toute phrase de La

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  • Modernit, subjectivation littraire et figure auctoriale 25

    Romantisme no 148

    Comdie humaine et qui dsigne formellement le lieu singulier o Bal-zac a choisi de camper, dans le systme littraire de la monarchie deJuillet et o, de surcrot, la figure auctoriale lui sert marquer sa prsencetextuelle.

    Signature stylistique, double homologie avec luvre et le mondereprsent par luvre, indexation de la relation entre lcrivain et le sys-tme littraire, tels sont donc les quatre traits dfinitionnels de la figureauctoriale. Mais je ne peux achever cette premire esquisse dune potiquede la subjectivation littraire sans rappeler deux donnes historiques capi-tales. Dune part, la subjectivation, dont jai dit quelle se confondaitprogressivement avec le processus de littrarisation, ne concerne directe-ment que le canon littraire, que les auteurs qui, prcisment parce quilsont accept cette logique de singularisation textuelle, ont t dots de laplus forte lgitimit ; en revanche, cette potique auctoriale ne vaut paspour la masse (trs majoritaire) dune production journalistique ousrielle qui mrite dtre autant considre par lhistoire littraire. Dautrepart, la subjectivation (avec les phnomnes qui lui sont corrls : lindi-rection, limplicitation et la concentration de lcriture) est apparue dansun contexte de communication trs particulier : la mutation du systmelittraire lie au passage de la littrature-discours la littrature-texte.Aussi, quelles que soient nos prfrences ou nos habitudes de lecture (lesunes allant avec les autres), faut-il nous garder absolument du pige delillusion essentialiste qui consisterait croire, par exemple, quelle nousoffre, par nature, le meilleur de la littrature.

    Universit Paris-Ouest (Nanterre-La Dfense)

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