affirmation originaire, attestation et reconnaissance. le cheminement de l’anthropologie...
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tudes Ricuriennes / Ricur Studies, Vol 2, No 1 (2011), pp. 12-34
ISSN 2155-1162 (online) DOI 10.5195/errs.2011.58
http://ricoeur.pitt.edu
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Affirmation originaire, attestation, reconnaissance Le cheminement de lanthropologie philosophique ricurienne
Jean-Luc Amalric
Jean-Luc Amalric enseigne Montpellier, professeur agrg et docteur en philosophie,
il est membre du groupe de recherches C.R.I.S.E.S de lUniversit Montpellier III.
Abstract
Through an analysis of the concepts of originary affirmation, attestation and recognition, this article aims at
redefining the meaning and motivations of the reflexive progress that leads Ricur from Faillible Man to
Oneself as Another and to The Course of Recognition. To that purpose, the article first tries to show the
profound continuity of the Ricurian anthropological project, both in its problematics and in method; it
then tries to elucidate the central difficulties inherent in the idea of a poetic constitution of the self that lead
Ricur to elaborate anew the key concepts of his hermeneutics of the self. In light of Ricurs constant
dialogue with Naberts philosophy, it finally attempts to show how the concepts of attestation and
recognition essentially originate in a closer examination of the notion of originary affirmation, itself
extended by a reflection on testimony.
Keywords: Originary affirmation, Attestation, Recognition, Testimony, Nabert
Rsum
A travers une analyse des concepts daffirmation originaire, dattestation et de reconnaissance, cet article
tente de reconstituer le sens et les motivations du cheminement rflexif qui conduit Ricur de LHomme
faillible Soi-mme comme un autre et Parcours de la reconnaissance. Pour ce faire, il sefforce dabord de
montrer ce qui fait la continuit profonde, de problmatique et de mthode, du projet anthropologique
ricurien; afin de dgager ensuite les difficults centrales lies lide dune constitution potique du soi,
qui conduisent Ricur rlaborer les concepts directeurs de son hermneutique du soi. A la lumire du
dialogue constant de Ricur avec la philosophie de Nabert, il tente enfin de montrer comment les concepts
dattestation et de reconnaissance trouvent, pour lessentiel, leur gense dans un approfondissement de la
notion daffirmation originaire, lui-mme prolong par une rflexion sur le tmoignage.
Mots-cls: Affirmation originaire, Attestation, Reconnaissance, Tmoignage, Nabert
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Affirmation originaire, attestation, reconnaissance Le cheminement de lanthropologie philosophique ricurienne
Jean-Luc Amalric
Universit Montpellier III
" vrai dire, on en aura jamais fini avec la question de lidentit et du soi"1
Lorsquon considre le massif immense que constitue luvre de Ricur, il ne parat pas
contestable quil existe au moins trois tats ou trois tapes distinctes de son anthropologie
philosophique. La premire tape, reprsente par LHomme faillible ouvrage publi en 1960 et
correspondant au premier volet du tome II de la Philosophie de la volont prend dabord la forme
dune anthropologie rflexive de la faillibilit, et elle trouve son principal fil conducteur dans la
notion daffirmation originaire, hrite de Nabert. La seconde tape, reprsente par Soi-mme
comme un autre - uvre publie en 1990, cest--dire trente ans plus tard renouvelle le projet
anthropologique de Ricur en dployant une phnomnologie hermneutique du soi dsormais
centre sur le concept fondamental dattestation. Enfin, la troisime tape, reprsente par la
publication en 2004 de Parcours de la reconnaissance, trouve dans lexploration mthodique de la
polysmie rgle du concept de reconnaissance le fil directeur de ce dernier "parcours"
anthropologique ricurien.2
Dans le reprage des grandes tapes de llaboration de cette philosophie rflexive du
soi, on pourrait tre tout dabord tent de souligner la continuit existant entre Soi-mme comme
un autre et Parcours de la reconnaissance, tout en marquant lcart qui spare ces deux uvres
tardives de LHomme faillible. Dans la mesure, en effet, o la seconde partie de Parcours de la
reconnaissance labore un concept synthtique de "reconnaissance-attestation" qui constitue la
fois une reprise et un approfondissement du sens du concept dattestation expos dans Soi-mme
comme un autre, il semble que ces deux ouvrages sinscrivent dans lhorizon commun dune
pense des capacits humaines. linverse, lanthropologie de LHomme faillible serait, quant
elle, entirement centre sur la question de la faillibilit, puisque sa situation charnire entre la
phnomnologie de lagir individuel dveloppe dans Le Volontaire et lInvolontaire et
lhermneutique des mythes et des symboles du mal dveloppe dans La Symbolique du mal,
consisterait justement mettre au jour la fragilit spcifique de la constitution affective de la
subjectivit humaine susceptible de rendre compte de la possibilit du mal, en de de
lvnement absurde et contingent de la faute. On serait pass, en ce sens, dune anthropologie
centre lorigine sur lexprience du mal et sur la ncessit dtablir une distinction entre
finitude et culpabilit, une anthropologie centre sur les diffrentes modalits de lexprience
du "Je peux".
Or, ce que nous aimerions prcisment montrer ici, cest que ce passage de lhomme
faillible lhomme capable,3 pour ntre pas contestable, risque cependant de masquer certaines
continuits dcisives dans le projet anthropologique ricurien - continuits sans lesquelles le sens
et les motivations du remplacement progressif de la notion initiale daffirmation originaire par les
concepts successifs et complmentaires dattestation et de reconnaissance ne seraient pas
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intelligibles. Selon nous, il existe en effet une continuit fondamentale dans le projet
anthropologique de Ricur qui sexplique avant tout par le fait que cest linspiration de la
philosophie rflexive de Nabert et de son concept daffirmation originaire qui ont initialement
donn la philosophie anthropologique dveloppe dans la Philosophie de la volont, la fois son
assise rflexive, sa mthode et son concept directeur.4 Si les apports de la phnomnologie, de
lhermneutique et de la philosophie analytique impliqueront lvidence une certaine prise de
distance avec Nabert dans les uvres ultrieures du philosophe, il nen reste pas moins que, du
dbut la fin, lhermneutique ricurienne du soi continuera de trouver son fondement et sa
mthode dans la philosophie rflexive.
Dans cette perspective, nous essaierons donc de montrer tout dabord ce qui fait la
continuit profonde, de problmatique et de mthode, du projet anthropologique ricurien; puis
nous tenterons de mettre en relief les difficults centrales lies lide dune constitution potique
du soi qui ont conduit le philosophe rlaborer les concepts directeurs de son hermneutique du
soi; enfin, la lumire du dialogue constant de Ricur avec Nabert, nous nous efforcerons de
montrer comment les concepts dattestation et de reconnaissance trouvent pour lessentiel leur
gense dans un approfondissement croissant de la notion daffirmation originaire, lui-mme
prolong par une rflexion sur la question du tmoignage. Si une analyse dtaille et complte des
concepts daffirmation originaire, dattestation et de reconnaissance excde le cadre limit de cet
article, cest, tout le moins, le sens, lorientation et la dynamique de ces trois tapes du
dveloppement progressif de lanthropologie ricurienne que nous aimerions restituer ici.
La continuit du projet anthropologique ricurien: cogito bris, mdiation imaginative et
mthode rflexive
Il nous semble quon peut interprter lensemble de la progression de la Philosophie de la
volont, depuis Le Volontaire et lInvolontaire jusqu La Symbolique du mal en passant par LHomme
faillible, comme lapprofondissement et la radicalisation croissante dune mme rflexion sur le
caractre bris de lexprience humaine. Comme laffirme Ricur dans L Introduction gnrale"
de louvrage, en utilisant une formule quil ne cessera de reprendre et dexpliciter ultrieurement:
"Le cogito est intrieurement bris."5 Si les deux premires uvres de la Philosophie de la volont,
savoir: Le Volontaire et lInvolontaire et LHomme faillible, sefforcent dabord de montrer en quoi
cette dchirure de notre exprience senracine dans notre finitude, la troisime tape, reprsente
par La Symbolique du mal, consiste ensuite oprer un passage de la finitude la culpabilit dans
le but de nous donner comprendre lexprience du mal comme une radicalisation tragique de
cette mme brisure du cogito. Dans cette progression, lanthropologie philosophique de LHomme
faillible reprsente une tape charnire car, dun ct, elle rcapitule et prolonge les principaux
acquis dune description phnomnologique des relations entre volontaire et involontaire qui
sest faite sous "lpoch de la faute et de la Transcendance," et de lautre, elle prpare et annonce
une hermneutique des symboles et des mythes du mal, seule mme de nous donner accs
une certaine comprhension de la volont mauvaise dans son caractre la fois contingent,
absurde et tragique. En amont de cette synthse anthropologique, ce que montre tout dabord la
phnomnologie de lexprience volontaire dveloppe dans Le Volontaire et lInvolontaire, cest
que notre exprience est intrieurement brise parce que le cogito est toujours aux prises avec une
altrit irrductible qui est celle du corps propre, du dsir et de la vie. Sil est vrai que le cogito se pose
et sapprhende dabord dans une position de soi par soi par laquelle il sarrache lattitude
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naturelle, la dcouverte de la dpendance du volontaire lgard dun involontaire qui le prcde
et le dynamise conduit la mise au jour dune relation primordiale au corps propre qui vient
mettre en chec la prtention du cogito lautoposition pure ou lautonomie radicale. Comme
lcrit Ricur: "Lextension du cogito au corps propre exige en ralit plus quun changement de
mthode : le moi plus radicalement doit renoncer une prtention secrtement cache en toute
conscience, abandonner son vu dautoposition, pour accueillir une spontanit nourricire et
comme une inspiration qui rompt le cercle strile que le soi forme avec lui-mme."6 Parce quelle
reoit du corps propre ses motifs, ses pouvoirs ainsi que la ncessit de sa condition, la volont
reste tributaire dune passivit et dune altrit fondamentales et elle ne cesse de vivre cette
dpendance sous la forme dun conflit blessant.
Partant de ce constat phnomnologique de la dchirure de lexprience humaine, tout
leffort de lesquisse danthropologie philosophique dveloppe dans LHomme faillible consiste
ds lors rendre compte rflexivement de cette brisure du cogito partir de lide directrice dune
disproportion constitutive de lhomme. En parcourant ces trois tapes principales que sont: la
"synthse transcendantale," la "synthse pratique" et la "fragilit affective," le but de Ricur est en
effet de montrer que si lexprience humaine est brise, cest parce quelle est lexprience dune
tension vivante entre un ple dinfinitude et un ple de finitude: mdiation fragile, lhomme est la
fois infinitude du discours et perspective finie, infinitude du bonheur et finitude du caractre,
ouverture du sentiment la totalit et fermeture de ltre affect. Ce qui fait alors tout loriginalit
de la conclusion de LHomme faillible, cest quelle propose une exgse rflexive de ce sentiment de
non-concidence de soi soi qui constitue la traduction affective de notre condition brise. Pour
Ricur, qui sinspire ici directement des Elments pour une thique de Jean Nabert, le sentiment
fondamental de discord originaire qui caractrise le soi humain nest pas dabord porter au
compte de la dmesure passionnelle de lhomme, mais il est au contraire ce qui tmoigne en
lhomme de la prsence dun acte dexister, dune affirmation originaire qui dpasse toute
exprience. Lintrt de la notion nabertienne daffirmation originaire que Ricur reprend donc
son compte pour la placer au cur de son anthropologie, cest quelle permet par l mme de
mettre au jour une seconde forme daltrit au sein de lexprience humaine: cette altrit nest plus
celle du corps propre, du dsir ou de la vie, mais elle correspond laltrit de notre acte dexister
lgard des signes et des uvres dans lesquels il sobjective. Comme le montre en effet cette
nouvelle lecture du sens de la disproportion humaine, si lexistence humaine se dcouvre avant
tout comme une existence brise, cest parce quelle est constitue par une double relation: entre
une affirmation originaire qui linstitue et passe sa conscience et un dfaut dtre qui satteste
aussi bien dans les expriences de linvolontaire absolu que dans lexprience ngative de la
faute. Lexprience humaine peut ainsi tre interprte comme la diffrence sans cesse
renaissante entre un acte originaire qui nous constitue et les signes, les valeurs et les uvres dans
lesquels cet acte sinvestit. Laffirmation originaire est cette puissance daffirmation qui dynamise
notre savoir, notre agir et notre sentir en nous ouvrant linfini : mme si elle nest jamais
accessible directement et si elle ne se donne jamais dans une intuition intellectuelle, elle fournit
nanmoins lhomme lhorizon dune possible unification de son exprience. Au-del de la
brisure du cogito, ce qui anime en ce sens lensemble de la Philosophie de la volont, cest une
tentative pour ressaisir lexprience vive de lunit de lhomme travers la reconqute de
laffirmation originaire de la subjectivit incarne; en dautres termes, cest la qute dun "cogito
intgral" par del la brisure du volontaire et de linvolontaire, de lacte et de ltre, mais aussi par
del la dchirure blessante de lexprience du mal.
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Dans cette premire esquisse danthropologie philosophique centre sur lide dune
affirmation originaire constitutive de ltre-homme, il nous semble ds lors que lon peut dgager
au moins trois acquis essentiels qui ne seront pas remis en question dans Soi-mme comme un autre
et dans Parcours de la reconnaissance.
1) Le premier de ces acquis, cest que, en raison mme de la dchirure et de la
disproportion qui le constituent, lhomme est un tre dont tout ltre consiste faire mdiation.
Que ce soit sur le plan thorique de la connaissance dobjet, sur le plan pratique de laction ou sur
le plan affectif, lhomme est ce dsir dtre qui ne parvient jamais sgaler leffort dexister qui
le constitue, car il est la mdiation sans cesse renouvele entre la finitude de son tat dexister et
linfinitude de son acte dexister. Le soi concret qui se trouve ainsi mis au jour dans les analyses
de LHomme faillible est donc un soi relationnel7 qui doit tre radicalement distingu de tout moi
substantiel comme de tout ego dont lautoposition absolue serait rige en instance fondatrice du
vrai. Pour le dire plus prcisment: le soi est cette relation tensionnelle entre "bios" et "logos" dont
le devenir perptuel implique une dialectique incessante entre ltre et lacte.
2) Ce qui constitue alors le deuxime acquis tout fait dcisif de cette premire esquisse
de lanthropologie philosophique ricurienne, cest quelle ne se contente pas de dfinir lhomme
comme un tre de mdiation: elle montre en outre que cette mdiation toujours imparfaite et
toujours inacheve en quoi consiste lexistence humaine est fondamentalement porte par une
certaine activit de limagination. ce titre, lapport essentiel des analyses de LHomme faillible, cest
quen dcrivant rflexivement la gense de ltre-homme comme mixte de fini et dinfini, elles
mettent au jour la fois au plan du connatre, de lagir et du sentir - une certaine productivit
de limagination capable de porter et de dynamiser tous les procs de mdiation par lesquels
advient une subjectivit concrte. Si au plan thorique et pratique cette imagination na pas de
"pour soi" et sabsorbe tout entire dans le vis--vis de lobjet et de lidal de la personne humaine
quelle permet la fois de poser et de penser, elle sintriorise et vient en quelque sorte se
rfracter dans ce lieu affectif indfini que constitue le cur ou le "thumos", mi-chemin entre le
dsir vital et lamour intellectuel. Ds LHomme faillible et sa thorisation du "cur" et des
sentiments "thymiques" de lhomme, Ricur met ainsi en relief lexistence dun "noyau mythico-
potique"8 de la subjectivit humaine, en dvoilant la prsence dune sorte de rflexion originaire
du soi sur ses actes qui se meut dans llment de limaginaire symbolique et mythique et opre
dj la faon dune interprtation spontane de soi.
3) Dans cette perspective, le troisime et dernier acquis fondamental de lanthropologie
de LHomme faillible, cest de montrer enfin que lenvers de cette puissance imaginative de
mdiation constitutive de la subjectivit humaine, cest sa fragilit mme. Si lhomme peut tre
qualifi de faillible, cest prcisment parce quil est une mdiation fragile: la puissance imaginative
qui uvre mdiatiser la formation du soi concret est indissociablement une faille imaginative
dans laquelle se lit la possibilit de la faute et de lillusion.
Le cogito est bris; la subjectivit humaine nadvient qu travers la mdiatisation de cette
disproportion du fini et de linfini quexprime son discord originaire; cette mdiatisation elle-
mme est tout entire porte par la puissance productive de limagination qui, si elle est seule
mme de confrer une certaine unit la subjectivit humaine fait cependant la fragilit et la
faillibilit du soi: on peut considrer que cet enchanement de thses qui structure la premire
esquisse anthropologique de Ricur ne sera pas fondamentalement remis en question dans Soi-
mme comme un autre et dans Parcours de la reconnaissance.
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Dans la mesure o elle prtend caractriser le positionnement stable et dfinitif de
Ricur lgard de la question du sujet, on peut en effet estimer que non seulement la "Prface"
de Soi-mme comme un autre sinscrit sans ambigut dans la continuit de LHomme faillible, mais
quelle dfinit en outre un certain cadre anthropologique qui sera encore celui de Parcours de la
reconnaissance.9 En situant son hermneutique du soi mi-chemin entre lapologie dun cogito
autopos et la destitution dun cogito bris, Ricur adopte en effet une position synthtique qui
fait la fois rfrence ce qui a constitu le point de dpart de sa rflexion savoir :
lexprience de la brisure du cogito et ce qui a caractris le mouvement mme de dploiement
de son anthropologie depuis LHomme faillible jusqu Temps et rcit et Du Texte laction
savoir: la tentative de penser les conditions de possibilit dune certaine unit et dune certaine
identit du soi humain, mme cette brisure. Tout en inscrivant son projet anthropologique dans
la tradition philosophique, cest--dire en situant sa dmarche dans lentre-deux de ces deux
figures extrmes du cogito et de lanti-cogito que reprsentent Descartes et Nietzsche, Ricur
annonce en mme temps une nouvelle squence dans le dveloppement de son uvre
philosophique marque par le dpassement de la querelle du cogito et le cong donn aux
philosophies du sujet entendues comme philosophies centres sur lide dun sujet formul en
premire personne (que cet ego cogito se dfinisse comme moi empirique ou comme sujet
transcendantal). Tandis quune partie des uvres antrieures de Ricur en particulier De
lInterprtation et Le Conflit des interprtations - tait effectivement consacre une discussion avec
les diffrentes dconstructions des illusions du sujet, que celles-ci manent de la psychanalyse,
du structuralisme ou de la dconstruction heideggrienne de la mtaphysique, on peut donc
considrer que Soi-mme comme un autre et Parcours de la reconnaissance sinscrivent dans une
nouvelle phase de la rflexion philosophique ricurienne qui est prcisment une phase
constructive de remembrement de la philosophie du soi.
Mais au-del de cette continuit de thse et de problmatique, ce qui nous frappe tout
autant, cest la continuit de la mthode ricurienne. Si Ricur a souvent caractris sa propre
philosophie comme une pense situe la confluence de la phnomnologie, de lhermneutique
et de la philosophie rflexive franaise, il nest pas exagr de dire que cest cette mme
philosophie rflexive qui, sous linfluence de Nabert, a donn sa vritable assise lanthropologie
philosophique ricurienne. Ce qui confre en effet cette entreprise anthropologique son
caractre spcifiquement rflexif de LHomme faillible Soi-mme comme un autre et Parcours de la
reconnaissance -, cest quelle se dfinit, dans sa tche principale, comme un travail de
rappropriation rflexive de notre effort dexister. Dans la mesure cependant o Ricur, comme
Nabert, rcuse lide dune intuition intellectuelle de lagir originaire qui nous constitue, il ne
conoit jamais cette rappropriation rflexive comme un procs intuitif. La leon fondamentale
que Ricur reoit au contraire de la philosophie nabertienne, cest que la rflexion philosophique
nest pas intuition mais interprtation. Si lanthropologie ricurienne prend donc ds le dpart
une forme la fois rflexive et hermneutique, cest prcisment parce que la tche quelle
sassigne savoir, celle dune rappropriation de notre acte dexister requiert titre
primordial une interprtation des signes, des symboles et des actions dans lesquels cet acte
dexister sest objectiv. On peut dire en ce sens que tous les dveloppements de lanthropologie
philosophique ricurienne dcoulent de cette conception fondamentale des rapports entre lacte
et les signes dans lesquels il sinvestit, et quils obissent pour cette raison une mme mthode
rflexive.10 Dans LHomme faillible, Soi-mme comme un autre et Parcours de la reconnaissance, cest une
mme mthode de dtour par lobjectivation que pratique Ricur, afin de garantir une
distinction irrductible entre le moi immdiat et le soi rflexif. linverse de la revendication
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dimmdiatet du cogito, lanthropologie ricurienne revendique depuis ses dbuts un "style
indirect,"11 un dtour de la rflexion par lobjectivation et lanalyse, qui est "le prix payer pour
une hermneutique caractrise par le statut indirect de la position du soi."12 Si LHomme faillible
partait dune analyse rflexive de style transcendantal partir de la chose devant moi, pour
passer ensuite une analyse de la personne conue comme idal du moi et aboutir enfin une
exploration de la fragilit affective dans laquelle se donne lire la subjectivit concrte; de mme,
dans Soi-mme comme un autre, la question centrale de lhermneutique ricurienne du soi
savoir, la question: qui suis-je? nest pas aborde directement, mais elle requiert elle-mme un
long dtour par la philosophie analytique (quil sagisse de la smantique, de la pragmatique ou
encore de la philosophie de laction). Ce nest qu partir de la cinquime tude que la question
de lidentit personnelle et narrative se trouve aborde et quil devient alors possible de dployer
les implications thiques, morales et ontologiques dune rappropriation philosophique du soi.
Dans Parcours de la reconnaissance, enfin, cest sans conteste ce mme mouvement du plus abstrait
au plus concret qui gouverne la mthode ricurienne, puisquon passe de la reconnaissance-
identification la reconnaissance de soi et de la reconnaissance de soi la reconnaissance
mutuelle. Si dans ce dernier ouvrage, Ricur reconnat explicitement sa dette lgard de
Nabert,13 il est toutefois remarquable que le style rflexif de louvrage prenne un tour nettement
moins systmatique que dans les uvres prcdentes. Alors que la "Prface" de Soi-mme comme
un autre, la diffrence de la dmarche plus synthtique de LHomme faillible, reconnaissait dj le
caractre fragmentaire de lhermneutique du soi et prtendait se situer mi-distance de la
simplicit rflexive et du "vertige de la dissociation du soi poursuivie avec acharnement par la
dconstruction nietzschenne,"14 Parcours de la reconnaissance ira encore plus loin dans
lacceptation de la contingence du questionnement philosophique, en prenant comme point de
dpart une analyse de la polysmie rgle de la reconnaissance au plan lexical pour dployer
ensuite un "parcours" rflexif susceptible de dployer une polysmie rgle des principales
occurrences du terme "reconnaissance" dans le discours philosophique.
Les limites de la mdiation imaginative: vers une constitution potico-pratique du soi
Cest dans le cadre de cette continuit forte, de problmatique et de mthode, que nous
aimerions maintenant tenter de penser ce qui fait la nouveaut et lapport spcifique des concepts
dattestation et de reconnaissance par rapport lide daffirmation originaire qui structure
initialement lanthropologie philosophique ricurienne. Dans la mesure o les concepts
dattestation et de reconnaissance tmoignent en effet de deux rformes successives de cette
hermneutique du soi, il nous faut donc tout dabord essayer de comprendre quelles sont les
difficults auxquelles sest heurt le projet anthropologique ricurien et qui ont motiv la refonte
de ses concepts directeurs.
Dans cette perspective, il nous semble que la difficult centrale sur laquelle vient buter
lanthropologie rflexive de LHomme faillible, cest quelle dbouche comme on la vu sur une
thorie du cur humain en tant que mdiation affective de la disproportion humaine, qui dcouvre
dans un mme geste: le lieu affectif de la faillibilit humaine cest--dire, la possibilit de
lalination passionnelle et du mal et le lieu affectif dune constitution mythico-potique de la
subjectivit humaine. Pour le dire autrement, le prix payer du renoncement philosophique
ricurien lide dune autoposition absolue du moi et de la mise au jour corrlative dun soi
relationnel et mdiateur, cest la dcouverte dune puissance productive de limagination dont le
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statut est fondamentalement ambigu car elle est capable de construire le soi comme de le
dconstruire. Pour Ricur, en effet, si la subjectivit humaine ne peut se poser et se saisir dans
une intuition intellectuelle de lagir originaire qui la constitue, cela signifie que la constitution du
soi nest jamais une ralit donne, mais quelle est une tche toujours expose au pril de la
dissmination dans le multiple et au risque de lillusion fictionnelle. Comme latteste avec force la
dconstruction nietzschenne du cogito voque dans la "Prface" de Soi-mme comme un autre, la
mise au jour dune puissance imaginative uvrant toujours dj en de de la subjectivit
humaine fait peser un doute redoutable sur la possibilit mme de la constitution de cette soi-
disant subjectivit. Il nous semble, en ce sens, que cest prcisment la prise de conscience de cette
difficult centrale qui conduit Ricur partir de LEssai sur Freud et du Conflit des interprtations
substituer progressivement une problmatique de lillusion la problmatique de la culpabilit
qui gouvernait lensemble de la Philosophie de la volont. Dun soi menac dun dchirement sans
recours en raison de lexprience tragique de la faute, on est ainsi pass un soi constamment
expos au soupon et menac de dissolution, en raison des diffrentes illusions dont il est
victime.
travers cette grille de lecture, on peut ds lors interprter la priode intermdiaire entre
LHomme faillible et Soi-mme comme un autre comme une priode durant laquelle Ricur ne cesse
de mettre son projet danthropologie philosophique lpreuve de la dconstruction des illusions
du sujet,15 tout en explorant conjointement dabord dans La Symbolique du mal, puis dans ces
deux uvres jumelles que sont La Mtaphore vive et Temps et rcit les potentialits cratrices de
limagination langagire16 susceptibles dtre ensuite rintgres dans le cadre anthropologique
dune hermneutique du soi. Comme le souligne le philosophe dans une formule qui rsume
admirablement le double front de ses recherches durant cette priode: "La dconstruction des
illusions du sujet est seulement laspect ngatif de ce quil faut bien appeler limagination."17 Or, il
nous semble prcisment que la mise au jour de cette corrlation dcisive entre dconstruction des
illusions du sujet et imagination projette un clairage nouveau sur les deux tapes ultimes de
lanthropologie ricurienne. Si Soi-mme comme un autre hrite de la problmatique du soupon et
si cette problmatique se prolonge et se transforme dans la question de la mconnaissance qui
accompagne chaque tape de Parcours de la reconnaissance, on peut en effet tenter de lire les
concepts dattestation et de reconnaissance comme les deux rpliques labores par Ricur pour
relever les dfis du soupon et de la mconnaissance qui menacent la possibilit mme de la
constitution dune certaine identit du soi. Dans cette perspective, ce qui fait alors la nouveaut
des concepts dattestation et de reconnaissance, cest que, tout en lgitimant lide dune
constitution potique du soi, ils viennent en mme temps poser une limite proprement pratique
cette constitution potique afin de lui confrer une forme de vrit pratique. Pour le dire en un
mot, les concepts dattestation et de reconnaissance reprsentent selon nous deux efforts
successifs de Ricur pour articuler une philosophie de limagination18 dj largement esquisse dans
les ouvrages prcdents avec une philosophie du tmoignage inspire de Nabert et capable de poser
la question de la vrit dune hermneutique du soi. On peut considrer en ce sens les deux
dernires tapes du projet anthropologique ricurien comme une tentative pour penser une
articulation du potique et du pratique susceptible de nous conduire lide dune constitution
potico-pratique du soi dans lhorizon dune ontologie de lacte et de la puissance.
nos yeux, cest prcisment la conqute progressive de cette ide dune affirmation
potico-pratique du soi qui explique un certain tournant de lanthropologie ricurienne partir de
Soi-mme comme un autre et de Parcours de la reconnaissance. Ce tournant, cest dune part celui de
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la question de lidentit, qui vient se substituer la question de lunit de la subjectivit humaine
au-del de la brisure du cogito, et cest, dautre part, le "tournant de lintersubjectivit,"19 marqu
par la dcision ricurienne daccorder une place croissante la relation autrui au sein de son
anthropologie philosophique.
Affirmation originaire, attestation, reconnaissance: la croise du dialogue avec Nabert et de la
question du tmoignage
Si ces deux tournants lis la mise au jour de la constitution potico-pratique dun soi
agissant et souffrant ne nous paraissent pas remettre en cause la continuit de problmatique et de
mthode de lanthropologie ricurienne, nous voudrions maintenant, pour parachever notre
rflexion, esquisser les grandes lignes dune gense des concepts dattestation et de
reconnaissance dans leur relation au concept plus ancien daffirmation originaire et la lumire
du dialogue constant de Ricur avec la philosophie de Nabert.
Le problme de laffirmation originaire
Dans cette perspective, il est dabord frappant de noter que cest seulement dans la
"Conclusion" de LHomme faillible cest--dire dans une sorte de dduction transcendantale des
catgories philosophiques susceptibles de rendre compte de la limitation humaine et du statut de
mdiation fragile de ltre-homme quapparat la notion pourtant centrale daffirmation
originaire. Quil sagisse du verbe infini, de lide de bonheur en tant que totalit pratique ou du
bonheur "sensible au cur" (cest--dire de cet infini de notre aspiration spirituelle bien exprim
par lEros platonicien), laffirmation originaire caractrise, selon Ricur, ce ple dinfinitude
partir duquel une subjectivit humaine est susceptible dadvenir. Cette polarit originaire qui
nous ouvre linfini ne devient cependant une subjectivit concrte qu travers une "ngation
existentielle" qui prend, dans lordre thorique, le nom de perspective, dans lordre pratique, le
nom de caractre et dans lordre affectif, celui de sentiment vital. Pour Ricur, cest seulement
partir de ce mixte de finitude et dinfinitude que peut se comprendre le sentiment fondamental
de non-concidence de soi soi qui caractrise en propre la subjectivit humaine.
Au vu de ce qui prcde, si on peut ds lors considrer que le concept daffirmation
originaire confre indiscutablement la dduction finale de LHomme faillible sa cohrence, son
ple dunification des diffrentes fonctions de la subjectivit, ainsi que son assise rflexive, le
problme est que la conclusion de louvrage ne donne aucune prcision sur le statut de ce concept
et sur les conditions rflexives de sa mise au jour. Si, en accord avec Nabert, Ricur considre que
laffirmation originaire ne peut tre conue comme un principe mtaphysique distinct du moi et
susceptible dtre connu spculativement avant dtre mis en relation avec la conscience, en
revanche, il ne nous montre pas explicitement comment la rflexion philosophique peut, dans
une dmarche thique de rappropriation de notre effort dexister, accder cette affirmation
originaire. Dans la mesure o LHomme faillible est une uvre qui est directement ddie Nabert
et dans la mesure aussi o l"Avant propos" de louvrage fait tat de la dette de Ricur lgard
de la notion daffirmation originaire labore dans les Elments pour une thique, puis reprise et
approfondie dans lEssai sur le mal, il ne fait pas de doute ici que Ricur sest bien propos une
certaine rappropriation du concept nabertien. Mais alors que, dans les Elments pour une thique,
cest partir dune analyse rflexive sur les expriences ngatives de lchec, de la solitude et de
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Jean-Luc Amalric
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la faute que Nabert tait conduit mettre au jour, au cur mme de ces expriences de non-tre,
une affirmation originaire et absolue, au principe mme de notre subjectivit; dans LHomme
faillible, tout se passe comme si Ricur considrait la conqute rflexive de la notion daffirmation
originaire comme un acquis susceptible dtre repris dans le cadre de sa propre anthropologie et
quil se contentait, pour cette raison, dinsrer directement ce concept daffirmation originaire
dans la dduction synthtique qui conclut son ouvrage.20
Quelles que soient les difficults qui entourent linterprtation de cette dette de Ricur
lgard de Nabert, il reste que sa premire esquisse danthropologie philosophique trouve
incontestablement son centre de gravit dans un concept daffirmation originaire directement
inspir de Nabert. Or, il est inexact de considrer que la notion daffirmation originaire
fonctionnerait en quelque sorte comme une solution par rapport aux problmes soulevs par
lanthropologie de la disproportion dveloppe dans LHomme faillible. En hritant de ce concept
daffirmation originaire, il semble au contraire que Ricur ait hrit dun problme double. Le
premier problme concerne dabord les limites du pouvoir dunification de laffirmation
originaire : si cette dernire parat en effet en mesure dunifier les trois fonctions principales de la
subjectivit humaine savoir, le connatre, lagir et le sentir - elle ne rend pourtant possible
quune unit encore abstraite21 car le plan du "thumos" ou de la subjectivit concrte reste encore
livr la multiplicit et la dissmination. En ce sens, cest prcisment parce que, dans LHomme
faillible, la notion daffirmation originaire ne permet pas de penser jusquau bout lunit concrte
du soi humain, quelle appelle un questionnement sur lidentit du soi qui deviendra justement le
problme central de lanthropologie ricurienne partir de Soi-mme comme un autre. A ce titre,
ni le concept dattestation ni le concept de reconnaissance ne sont intelligibles si lon ne se rfre
pas cet axe fondamental des deux dernires tapes de lanthropologie ricurienne que
constitue la question de lidentit du soi.
Mais au-del de ce problme de lidentit, la notion daffirmation originaire soulve
galement un second problme que Ricur hrite directement de Nabert. Sil ne fait pas de
doute, en effet, que lauteur des Elments pour une thique cherche surmonter une certaine dualit
de la rflexion et de lexprience dans lunit du concept daffirmation originaire, il nest toutefois
pas certain que laffirmation originaire chappe au final toute forme de dualit. En dautres
termes, il se pourrait bien quelle laisse subsister son tour une sorte de ddoublement entre la
certitude la fois irrelle et absolue quelle constitue et laction dans laquelle elle est cense
sobjectiver.22 Comme le souligne Nabert lui-mme dans un passage dcisif des Elments pour une
thique,23 la notion daffirmation originaire se prsente indissociablement comme une certitude
suprme conquise par la rflexion et comme un appel vrifier dans le monde et par laction la
puissance de ce jugement thtique qui la constitue. Parce que laffirmation originaire ne saurait en
effet se rduire une pure certitude intrieure, elle ne peut elle-mme se maintenir que si elle
sefforce constamment de sprouver ou de se "vrifier" dans laction. Il apparat en ce sens que la
notion daffirmation originaire soulve la fois un problme dexpression et un problme de
vrification; et on peut considrer que ce sont prcisment ces deux problmes que Ricur ne
cessera dapprofondir tout au long de sa rflexion philosophique, quitte abandonner finalement
le concept daffirmation originaire. Pour le dire autrement, il nous semble donc que les concepts
dattestation et de reconnaissance sont directement ns dun questionnement sur ces difficults
inhrentes au concept nabertien daffirmation originaire. Si, dans le chapitre des Elments pour
une thique quil consacrait "La promotion des valeurs"24, Nabert insistait dj sur la fonction
dcisive de limagination dans ce passage incessant de lacte au signe que reprsente la
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symbolisation de laffirmation originaire qui nous constitue, il est clair que toute la philosophie
de limagination de Ricur, en tant quelle sefforce de penser une constitution potique du soi,
sinscrit trs prcisment dans le cadre de cette "philosophie de lexpression." Mais, en accordant
une place croissante cette constitution mythico-potique du soi, Ricur ne fera en fait
quaccentuer et dramatiser davantage le problme, dj soulev par Nabert, de la possibilit
constante dune occultation de lacte dans le signe. Du mme coup, cest la problmatique de la
vrification qui sest ainsi trouve place au cur de lanthropologie ricurienne. On peut en effet
considrer que lide nabertienne dune "vrification" de laffirmation originaire prfigure
lvidence les concepts dattestation et de reconnaissance, car elle pointe dj la ncessit de
dpasser une simple interprtation des signes dans lesquels sobjective notre acte dexister,
travers lexigence thique dun dpassement de linterprtation dans laction.
Les raisons de labandon du concept daffirmation originaire
Comment expliquer ds lors que Ricur ait finalement choisi dabandonner le concept
daffirmation originaire pour forger ses propres concepts dattestation et de reconnaissance, alors
que son projet anthropologique hrite pourtant dune difficult directement lie au statut
pistmologique et ontologique de laffirmation originaire? Selon nous, cest avant tout le
positionnement de Ricur lgard de lEssai sur le mal de Nabert ainsi que ses rticences
conserver un concept de "conscience pure" ou de "moi pur" que la philosophie nabertienne a
toujours associ son analyse rflexive de la notion daffirmation originaire, qui expliquent son
abandon progressif du concept daffirmation originaire. Comme il sen est expliqu clairement
dans un article de 1959 consacr lEssai sur le mal, Ricur a toujours refus cette consquence
ultime de la rflexion nabertienne sur le mal qui conduit finalement le philosophe mettre
laltrit et lindividuation des consciences au compte du mal. Parce que Nabert interprte avant tout
le "commerce des consciences" comme une certaine exprience de lUn ou de la vie unitive des
consciences, il est en effet amen exclure lide dune pluralit numrique du moi pur et, par
voie de consquence, identifier la finitude de la pluralit des consciences au mal lui-mme. Ds
le dbut de son uvre philosophique et sous linfluence de Jaspers, Ricur dfend au contraire
lide dun caractre indpassable de la pluralit des consciences; et cest pourquoi, contre Nabert, il
tiendra toujours bien distinguer "la pluralit originaire des vocations personnelles et la jalousie
qui oppose et isole les consciences."25 Si cette affirmation dune bont originaire de la pluralit des
consciences, solidaire dune distinction irrductible entre finitude et mal, navait pas encore t
vraiment thmatise et approfondie dans lanthropologie de LHomme faillible, cest qu lpoque
de la Philosophie de la volont, Ricur considre cette anthropologie comme une simple "esquisse"
destine tre complte par une "empirique de la volont serve" - cense dcrire la volont captive
de la faute dans lhistoire en sappuyant sur un dialogue avec les sciences humaines, le droit et la
philosophie politique et par une "potique de la volont", dont la vise centrale aurait t le
dchiffrement potique des expriences de libration et de rgnration de notre volont. Cest
donc principalement dans le cadre de cette "potique" que Ricur aurait d aborder la question
de la pluralit humaine et de lintersubjectivit, puisquil prvoyait initialement dachever la
Philosophie de la volont par une rflexion potique sur lamour et la relation autrui comme
sources fondamentales de linspiration de notre vouloir. Or, si on peut estimer que les rflexions
de Ricur sur la psychanalyse et sur le droit remplissent une partie du programme initial de
l"empirique de la volont serve," en revanche, Ricur ncrira jamais la "potique de la volont"
telle quelle avait t projete dans l"Introduction gnrale" de la Philosophie de la volont. Dans la
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Jean-Luc Amalric
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mesure o cette "potique" en qute dun vouloir rgnr se serait nourrie dune certaine
rappropriation de lexprience religieuse, on peut considrer que cest la dcision prise par
Ricur - au sortir de la Philosophie de la volont de sen tenir finalement au suspens agnostique
dune "philosophie sans labsolu" qui la progressivement conduit renoncer cette "potique"
inspire de la mtaphysique jaspersienne des chiffres de Transcendance. En ce sens, nous
pensons quil faut donc interprter le renouvellement de lanthropologie ricurienne la lumire
de cette suspension de la question de labsolu : il nous semble en effet que cest dans un mme geste
que Ricur opre une suspension de labsolu dabord entendue comme suspension de lUn, quil
abandonne la notion nabertienne de moi pur trop lie ses yeux la fois au problme de lUn et
au concept de conscience -, et que se dcouvre lui la tche de penser nouveau frais une
hermneutique du soi susceptible de poser conjointement la question de la constitution du soi,
dans sa prtention la vracit, et la question de la relation autrui comme condition de possibilit
de cette formation identitaire du soi.
Du tmoignage lattestation
Le paradoxe ici, cest que le dialogue de Ricur avec la philosophie de Nabert nest
jamais rompu: nous pensons en effet que cest grce une mditation approfondie sur la question
du tmoignage,26 directement inspire de lhermneutique du tmoignage esquisse dans Le Dsir
de Dieu (cest--dire dans la dernire uvre inacheve de Nabert), que Ricur mettra en uvre
un travail conceptuel prparatoire qui lui servira en quelque sorte de laboratoire, pour
llaboration de ses concepts dattestation et de reconnaissance. Or, si, dans son article consacr
"LHermneutique du tmoignage", Ricur examine effectivement les conditions de possibilit
dune hermneutique du tmoignage conue comme hermneutique de labsolu puisque,
comme latteste lide dun "tmoignage absolu de labsolu", le projet de Nabert est bien de
joindre une exprience de labsolu cette ide de labsolu que constitue la notion daffirmation
originaire - il reste que les analyses de Soi-mme comme un autre et de Parcours de la reconnaissance
sen tiendront un plan intersubjectif situ en de de cette problmatique de labsolu, de LUn et
du divin qui gouverne la dernire philosophie de Nabert.
Quels sont donc les principaux lments dune philosophie du tmoignage que Ricur
reprend son compte? Pour tre bref, on pourrait dire que la notion de tmoignage ajoute lide
dune constitution imaginaire et potique du soi, lide dun engagement la fois pratique et thique.
Non seulement le tmoignage suppose un engagement pratique qui renvoie de linterprtation
laction et de la pluralit des actions lhistoire du soi, mais il implique en outre un engagement
thique, car cest toujours devant les autres que je tmoigne et que je suis prt rpondre
moralement de mes actes. Or, il nous semble prcisment que lon doit chercher dans ce double
engagement du tmoignage une double rplique: dune part, ce qui constitue le mauvais infini de
linterprtation potique de soi, et dautre part, au risque dillusion indfectiblement li lide
dune constitution imaginative de la subjectivit humaine.27 nos yeux, sans jamais sidentifier
totalement avec lide de tmoignage,28 la notion dattestation dveloppe dans Soi-mme comme
un autre a justement pour fonction de recueillir ces deux dimensions pratique et thique du
tmoignage, de faon les intgrer dsormais la construction identitaire du soi. Dun ct,
lattestation hrite bien de la dimension pratique du tmoignage puisque, comme le tmoignage,
elle donne un "coup darrt" au mauvais infini de linterprtation et de la constitution mythico-
potique du soi.29 Mais dun autre ct, ce coup darrt ne peut jamais faire lobjet dune certitude
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thorique ou dune connaissance spculative et cest pourquoi, en tant quil mane dune
affirmation pratique du soi, il implique, dans son exigence de vracit, un engagement moral
lgard dautrui. En dautres termes, si lattestation, comme le tmoignage, prtend nous donner
un accs lexprience vive, ce nest pas parce quelle pourrait faire lobjet dune vrification
empirique ou dune rappropriation spculative, mais cest quelle constitue la seule rplique
possible au soupon concernant la possibilit mme dune constitution potique du soi.30 On
retrouve en ce sens le double statut, pistmique et ontologique, du concept dattestation. Si, dun
point de vue pistmique, lattestation nest pas une opinion qui correspondrait un degr
infrieur du savoir mais une croyance non-doxique, une confiance dans nos pouvoirs (pouvoirs
de dire, de faire, de se reconnatre personnage de rcit et de rpondre de nos actes) qui
sapparente donc une certitude pratique; dun point de vue ontologique, elle est en mme temps
anime dune vise ontologique ou dune "vhmence ontologique" qui traverse le phnomne
du soi. En dautres termes, elle est la certitude pratique que chacun a dexister sur le mode de
lipsit, cest--dire selon un mode dtre susceptible de trouver son expression adquate dans une
ontologie de lacte et de la puissance.
On peut considrer, ce titre, que la question de lidentit narrative concentre tous les
enjeux anthropologiques de la nouveaut de ce concept ricurien dattestation. Le concept
didentit narrative, esquiss pour la premire fois dans Temps et rcit et pleinement labor dans
Soi-mme comme un autre, correspond en effet une reprise et un approfondissement de la
problmatique du "cur" sur laquelle sachevait LHomme faillible. Si le principal acquis de Temps
et rcit avait consist mettre au jour la fonction essentielle du pouvoir fictionnel du rcit dans la
constitution dune identit narrative du soi, lapport de la rlaboration conceptuelle du concept
didentit narrative dans Soi-mme comme un autre - la lumire de la double dialectique de lidem
et de lipse et de lipse et de laltrit - consiste justement rattacher dsormais le caractre fictionnel
du rcit de soi lattestation, de faon confrer lidentit narrative une vritable ancrage
pratique et ontologique. Pour voquer dabord la premire dialectique de lidem et de lipse,
lidentit narrative se prsente dans un premier temps comme la mdiation privilgie de ces
modes de permanence dans le temps constitutives du soi que sont, dune part, la "persistance-
mmet" du caractre et, dautre part, la "persvrance-ipsit" du maintien de soi dans la
promesse. Pour Ricur, si cette mdiation dialectique de lidentit-mmet du caractre et de
lidentit-ipsit de la promesse a bien pour vise lunit narrative de la vie du soi, elle nest
pourtant capable de produire quun "mixte instable de fabulation et dexprience vive."31 En ce
sens, mme si la fiction apporte sa contribution irremplaable la mise en forme du maintien de
soi de la promesse, elle ne suffit pas pour autant rendre compte de la capacit du soi
promettre. Selon Ricur, en effet, cette capacit excde doublement le pouvoir fictionnel que le
soi est susceptible de mette en uvre: non seulement elle trouve son origine dans la pluralit
humaine et non dans le soi isol mais en outre, elle repose fondamentalement sur lexigence
morale de rpondre de nos actes devant autrui. Aussi bien, ce qui confre en dernire instance sa
porte ontologique la notion didentit narrative, cest notre capacit tmoigner devant les
autres de notre ipsit, travers la promesse tenue.
Dans cette perspective, ce qui fait donc loriginalit de notre pouvoir de nous raconter,
cest quil nimplique pas seulement une dialectique de ltre et de lacte qui est au fond une
dialectique de lauto-affection, mais renvoie galement une dialectique de ltre, de lacte et de lautre
qui est une dialectique daffection et dauto-affection. En dautres termes, lidentit narrative, parce
quelle se situe la charnire entre description et prescription, comporte une dimension thique et
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intersubjective absolument capitale et implique, outre la dialectique de lidem et de lipse, une
dialectique complmentaire de lipse et de laltrit. Non seulement, en effet, toute histoire de vie
est enchevtre dans dautres histoires de vie, mais la thse de Ricur est que, pour au moins
deux raisons, une attestation de soi isole ne saurait se maintenir et se renouveler sans le secours
dautrui. La premire raison de cette dpendance lgard dautrui, cest que seule la relation
lautre permet au soi dactualiser ses pouvoirs, cest--dire de passer de la capacit auto-asserte
lexercice effectif de cette capacit. La seconde, cest que seule la responsabilit thique lgard des
autres est finalement susceptible de confrer lipsit sa consistance et sa cohsion. En ce sens, il
ne fait pas de doute que la rfrence lthique de Levinas joue un rle tout fait dcisif dans
lanthropologie philosophique de Soi-mme comme un autre: elle confre en effet lattestation
cette dimension thique et intersubjective sans laquelle la vhmence ontologique de lauto-
assertion de soi risquerait de se perdre dans les mandres de limaginaire. Sans cette injonction
thique de lautre et sans ce pouvoir qua le soi de rpondre laccusation par laccusatif: me voici!
selon une expression chre Levinas - limagination narrative, elle seule, ne saurait jamais
chapper aux risques dune dissolution du soi. En dautres termes, cest parce que le soi est rendu
responsable par lattente de lautre, quil est capable dun engagement pratique et moral qui
reprsente comme un "coup darrt" par rapport au mauvais infini de lerrance des variations
imaginatives sur le soi. On peut dire en ce sens que ce qui fait la nouveaut incontestable du
concept dattestation par rapport au concept antrieur daffirmation originaire, cest cette
dialectique de ltre, de lacte et de lautre quil enveloppe dans ses plis. Parce que, de faon
dsormais explicite, lacte nest plus identifi lUn, il apparat ds lors que ces trois figures de
laltrit que distingue la "Dixime Etude" de Soi-mme comme un autre savoir: le corps propre,
autrui et la conscience, entendue au sens de Gewissen correspondent en fait trois
modalisations possibles de lacte. Pour tre plus prcis, le corps propre, autrui et la conscience se
prsentent dsormais comme trois foyers irrductibles de lacte dont lunit ne saurait tre fonde
dans un Acte pur mais peut seulement tre apprhende travers lide dune "unit analogique de
lagir humain."32 Si lattestation est bien le type de certitude qui correspond un cogito bris et si
elle fait signe vers une ontologie de lacte et de la puissance, il nous faut donc en mme temps
ajouter quelle est une "attestation elle-mme brise, dans la mesure o laltrit jointe lipsit
ne satteste elle-mme que dans des expriences disparates.
De lattestation la reconnaissance
Il nous semble ds lors que la transition entre attestation et reconnaissance nous est donne
par le concept de capacit qui est certes dj prsent dans Soi-mme comme un autre, mais qui
simpose surtout dans la reprise rflexive que fait Ricur dans La Mmoire, lhistoire, loubli mais
aussi plus largement dans diffrents articles33 publis entre 1990 et 2004 - des principaux acquis
de lanthropologie de lattestation dveloppe dans cet ouvrage. Ce qui fait, en effet, tout lintrt
du concept de capacit, cest quil prsente un caractre synthtique qui transcende aussi bien
une opposition rigide entre puissance et acte quune opposition massive entre thique et ontologie.
Pour Ricur, parler dune phnomnologie hermneutique de lhomme capable, cest parler
dune anthropologie philosophique centre sur lexprience du Je peux, dans sa dimension la
fois virtuelle et effective. Le concept de capacit doit donc bien tre interprt comme un concept
mixte : non seulement parce quil dsigne la fois un pouvoir et lexprience effective de ce
pouvoir, mais aussi parce quil exprime la fois un pouvoir et une exigence morale lie
lexercice de ce pouvoir. Si on peut considrer quil sagit dun concept qui implique, comme on
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Affirmation originaire, attestation, reconnaissance
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la vu, une certaine dialectique de ltre, de lacte et de lautre, il ne fait pas de doute, en mme
temps quil fait signe vers une certaine exprience de ltre comme acte qui a toujours prcd la
prise de conscience de nos pouvoirs.
Au-del de labandon du concept daffirmation originaire, il nous semble par l mme
que, dans cette dernire phase de sa rflexion anthropologique qui conduit Parcours de la
reconnaissance, Ricur poursuit en fait, sa manire, une exgse toujours plus approfondie de la
notion nabertienne. Si, comme en tmoigne clairement son article de 1989 consacr "Levinas,
penseur du tmoignage", il tente dsormais, sur les pas de lhermneutique nabertienne du
tmoignage, de se frayer une voie mdiane, entre lontologie sans thique de Heidegger et lthique
sans ontologie de Levinas, on peut galement considrer que la mise au jour dun primat de ltre
comme acte sur nos pouvoirs et nos capacits le conduit directement la racine mme de lide de
reconnaissance. Car, titre primordial, il semble que la spcificit mme du concept de
reconnaissance soit de caractriser avant tout un certain rapport ce qui nous prcde ou nous
dpasse. Or, il est frappant de noter que Nabert caractrisait dj la prise de conscience de
laffirmation originaire qui nous constitue en des termes trs voisins de celui de reconnaissance.
Comme il le soulignait nettement dans les Elments pour une thique: "Bien loin, en effet, que le Je
suis soit position autonome dun sujet, il nest rien de plus que laffirmation absolue saffirmant
par lacte dune conscience qui devient conscience de soi, dans le moment o elle dcouvre
quelle nest pas par soi."34 En ce sens, on pourrait dire que le concept de reconnaissance, la
diffrence du concept dattestation qui quivaut une sorte de position pratique du soi, met
davantage laccent sur lexprience de la passivit et de laltrit au cur du soi: elle est la marque
de la passivit dun soi qui, dans le moment mme o il saffirme, dcouvre quil nest pas par soi.
A ce titre, ce qui fait lapport principal du concept de reconnaissance-attestation qui
caractrise la reconnaissance de soi dans Parcours de la reconnaissance, cest quil enracine
lattestation dans une exprience plus originaire de la reconnaissance implicite de nos pouvoirs et
de notre responsabilit et quil nous donne par l mme comprendre lattestation comme la
reprise rflexive dune prcomprhension plus originaire du Je peux. En mme temps, la liste des
capacits humaines sallonge, puisque, aux pouvoirs dj voqus dans lanthropologie de Soi-
mme comme un autre, viennent sajouter, dune part, le pouvoir de promettre et le pouvoir de se
souvenir tous deux lis la constitution temporelle du soi -, et dautre part, les capacits
sociales ou "capabilits" qui font la transition entre la reconnaissance de soi et la reconnaissance
mutuelle. Si jusqu Soi-mme comme un autre, lessentiel des analyses anthropologiques de Ricur
avait t consacr aux synthses mergentes, que celles-ci soient dordre thorique, pratique ou
langagier (comme cest le cas des synthses imaginatives de la mtaphore ou du rcit), il semble
que lapprofondissement croissant de la question diltheyienne de la "connexion de la vie"
(Zusammenhang des Lebens) en liaison avec la question de lipsit ait conduit progressivement
Ricur - surtout partir de La Mmoire, lhistoire, loubli mettre au jour une certaine
philosophie de ltre-au-monde et des "synthses passives," dans le but de dvoiler le soubassement
antprdicatif de la constitution potico-pratique du soi. Cest ainsi quau terme de litinraire
philosophique ricurien la problmatique de la reconnaissance recroise en partie la
problmatique du consentement linvolontaire absolu et la vie qui avait occup la dernire
partie du Volontaire et lInvolontaire. Si le mouvement densemble de Parcours de la reconnaissance
consiste passer de la reconnaissance active de quelque chose et de soi-mme la demande
dtre reconnu par les autres cest--dire de lusage du verbe "reconnatre" la voix active son
usage la voix passive - le dploiement interne de chacune des trois parties de louvrage est lui-
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mme anim dun mouvement de dcentrement de la subjectivit en direction des "choses mmes"
qui tombent sous la reconnaissance. Parce que louvrage tout entier revendique la possibilit de
rpliquer la premire rvolution copernicienne centre sur la subjectivit par une "seconde
rvolution copernicienne"35 qui rinsre le cogito dans ltre et dcentre la rflexion en direction des
"choses mmes et des personnes avec lesquelles le soi est en relation, on peut considrer en ce
sens que Parcours de la reconnaissance renoue galement, au moins de faon partielle, avec le projet
dune "potique de la volont" initialement formul dans la Philosophie de la volont.
Dans cette perspective, ce qui fait, nos yeux, la grande nouveaut du concept ricurien
de reconnaissance par rapport au concept dattestation, cest quil revendique la possibilit dun
accs direct lexprience vive qui va au-del dun simple engagement pratique port par une
vhmence ontologique. Comme en tmoigne le chapitre III de la Premire partie de Parcours de
la reconnaissance intitul: "Les ruines de la reprsentation", Ricur prend acte du cong donn aux
philosophies du sujet ainsi que de la sortie corrlative du "cercle magique de la reprsentation"36
pour sen rfrer dsormais des expriences qui dpassent fondamentalement les activits
constituantes de la conscience et oprent de faon dcisive un plan antprdicatif.37 Or, ce qui
est nouveau, dans ces expriences que Ricur met dornavant au centre de son anthropologie,
cest que, si, dun ct elles procdent bien de nos capacits, dun autre ct, elles nous affectent
en mme temps comme des vnements qui paraissent dpasser ces capacits elles-mmes. Cest,
par excellence, le cas de la reconnaissance mmorielle, car elle fonctionne prcisment comme
une exprience dans laquelle une certaine discrimination de lantrieur et de lirrel se manifeste.
Dans ce que Ricur appelle significativement "le petit miracle" de la reconnaissance mmorielle se
dvoile ainsi une capacit distinguer fiction et souvenir, cest--dire une capacit inoue de
dpartage entre limagination et la mmoire, qui fait signe vers la possibilit dun accs pratique au
rel, au-del mme de la constitution potique du soi.
Il nous semble, pour conclure, que cest ce mme rapprochement entre reconnaissance et
exprience que prsuppose au chapitre V de la Troisime partie de Parcours de la reconnaissance
intitul: "La lutte pour la reconnaissance et les tats de paix" - la rfrence que fait Ricur ces
expriences pacifies de reconnaissance mutuelle, capables selon lui de rpliquer lide hglienne
dune ncessaire conflictualit de la qute de reconnaissance. Ce qui est trs frappant, cest que
lexprience dune reconnaissance symbolique dans la mutualit du don parat jouer ici, lgard
du mauvais infini du dsir de reconnaissance, le rle que jouait le tmoignage lgard du mauvais
infini des variations imaginatives et des interprtations conflictuelles du soi. On pourrait dire, en ce
sens, que la dernire tape de lanthropologie philosophique ricurienne nous conduit par l
mme une certaine conception de la reconnaissance mutuelle comme tmoignage mutuel. De
mme que Jaspers parlait dun "rapport dexistence existence," de mme que Nabert parlait dun
"rapport dacte acte," le dernier Ricur tente de penser une communication des tmoignages
capable de porter lattestation de soi. Si, lvidence, la reconnaissance mutuelle apparat
dsormais comme une condition de possibilit de la reconnaissance-attestation de soi,
lintersubjectivit nest pas pour autant place en position de fondement absolu. Il faudrait dire
plutt que, dans ses rflexions toujours en route et jamais acheves sur la question de lidentit et
de la mdiation humaine, Ricur est en qute dun certain quilibre tensionnel entre ces deux
figures de laltrit que sont, dune part, la "Hauteur" de la conscience et dautre part,
l"Extriorit" dautrui.
Jusquau bout, le soi ricurien reste donc un soi relationnel: mais la relation verticale du
soi son principe anime par une dialectique de ltre et de lacte est venue progressivement
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Affirmation originaire, attestation, reconnaissance
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sajouter une relation du soi lautre, elle-mme gouverne par une dialectique de la dissymtrie
et de la rciprocit constitutive de toute reconnaissance humaine authentique. Si lanthropologie
ricurienne, en raison de son caractre rflexif, demeure bien dans lorbe dune philosophie du
jugement, et si lattestation reprsente en ce sens linstance du jugement qui fait face au soupon,
sa progression au cours du temps tmoigne en revanche dun effort constant pour librer ce
jugement pratico-thique de lemprise de toute thorie de la connaissance afin de nous donner accs
la signification profonde de notre exprience morale. Loin que la reconnaissance vienne donc se
substituer lattestation, elle est plutt ce qui la complte et lenrichit, en enracinant toujours plus
bas dans le dsir, dans lintersubjectivit et dans la vie laffirmation potico-pratique dun soi en
qute de vrit.
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Jean-Luc Amalric
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1 Paul Ricur, "Emmanuel Levinas, penseur du tmoignage," Lectures 3: Aux frontires de la philosophie
(Paris: Seuil, 1994), 103.
2 Lorsque nous distinguons ainsi trois tapes dans lanthropologie ricurienne, nous entendons
simplement souligner le fait que, dans luvre entire du philosophe, seuls les trois ouvrages que
nous citons exposent de manire synthtique une vritable anthropologie philosophique. Il va de soi
que, au-del de ces exposs de caractre plus ou moins systmatique, on peut considrer que toute
luvre de Ricur reste par ailleurs centre sur la question de lhomme agissant et souffrant.
3 Cette ide dun passage de "lhomme faillible" "lhomme capable" a donn son titre louvrage collectif
dirig par Galle Fiasse et prcisment intitul: Paul Ricur: de lhomme faillible lhomme capable
(Paris: P.U.F, 2008). Si, dans son introduction, Galle Fiasse souligne effectivement ce passage dune
philosophie du mal et de la faillibilit une philosophie davantage axe sur la thmatique du bonheur
et de la capacit, il faut en outre signaler quun tel mouvement avait dj t mis en relief dans
louvrage de Michal Fssel et Olivier Mongin intitul: Paul Ricur, de lhomme coupable lhomme
capable (ADPF Editions, 2005).
4 Dans la mesure o notre intention est de montrer ici limportance de linfluence de luvre de Nabert sur
lanthropologie philosophique de Ricur tout au long des quarante-quatre annes qui sparent
LHomme faillible de Parcours de la reconnaissance, nous ne pouvons que prendre nos distances avec
linterprtation dinspiration heideggrienne de luvre de Ricur que propose Bernard Stevens dans
son ouvrage intitul: LApprentissage des signes: Lecture de Paul Ricur (Dordrecht: Kluwer
Academic Publischers, 1991). Aussi riche et intressante soit-elle, il nous semble en effet que la
lecture de Bernard Stevens surestime linfluence de Heidegger sur Ricur, de la mme faon quelle
sous-estime linfluence de Nabert et de la philosophie rflexive franaise sur lanthropologie
ricurienne. Or, selon nous, seule cette dernire influence permet de bien comprendre le statut et la
porte de la mtaphysique de lacte et de la puissance qui sous-tend lhermneutique ricurienne du
soi.
5 Paul Ricur, Philosophie de la volont I: Le Volontaire et lInvolontaire (Paris: Aubier, 1950), 17.
6 Ricur, Philosophie de la volont I, 17.
7 Nous souscrivons, en ce sens, la thse de Marc Antoine Valle en ce qui concerne la nature
relationnelle du soi ricurien, mais nos yeux, ce caractre relationnel du soi est dj fortement
affirm dans lanthropologie de LHomme faillible, dans une perspective qui est prcisment celle de la
philosophie rflexive franaise. Le soi relationnel que dcrit Ricur tout au long de sa premire
esquisse anthropologique se trouve en effet sous la double influence du concept nabertien
daffirmation originaire et de la conception biranienne de la subjectivit comme effort et relation
originaire de lgot et du terme rsistant. cf. Valle Marc Antoine, "Quelle sorte dtre est le soi? Les
implications ontologiques dune hermneutique du soi," Etudes ricuriennes/Ricur Studies 1:1
(2010): 34-44.
8 Nous reprenons ici une expression que Ricur utilise dans un entretien au journal La Croix en 1971: "Je
crois, en effet, crit Ricur, que le cur de lexistence humaine nest ni la raison ni plus exactement
le dsir, mais ce que jai appel trs souvent le noyau mythico-potique. Cest l que lhomme se fait
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et se cre." Paul Ricur, Entretien avec Paul Ricur: "Jessaye dtre un mdiateur", Propos recueillis
par Yves de Gentil-Baichis, La Croix (17 novembre 1971): 2. A notre connaissance, cest
principalement dans Histoire et vrit, uvre contemporaine de la Philosophie de la volont, que
Ricur utilise cette expression propos des cultures humaines. Pour tre exact, cest alors dun
"noyau thico-mythique" (296) dont parle le philosophe, lorsquil voque lide dun noyau imaginaire
thique et mythique qui serait le "noyau crateur" des civilisations.
9 Nous rejoignons ici pleinement la thse soutenue par Yasuhiko Sugimura dans son article intitul:
"LHomme, mdiation imparfaite. De LHomme faillible lhermneutique du soi" publi en 1995 dans
louvrage collectif: Paul Ricur, Lhermneutique lcole de la phnomnologie (Paris: Beauchesne,
1995) 195-217. Non seulement, en effet, Sugimura y dfend dj lide dune continuit entre
lanthropologie de LHomme faillible et celle de Soi-mme comme un autre, mais il insiste galement
sur le caractre central de la notion de mdiation chez Ricur. Mme si cet article ne fait pas
directement rfrence Nabert, nous pensons enfin que Sugimura fait partie des interprtes de
Ricur qui sont toujours rests trs sensibles linfluence de la philosophie rflexive franaise sur
luvre du philosophe.
10 Si lhermneutique ricurienne hrite dans sa structure rflexive de la philosophie de Nabert, encore
faut-il prciser quelle sinscrit par l mme dans une tradition rflexive plus spinoziste et fichtenne
que proprement cartsienne. Elle est spinoziste dans son insistance sur le dsir dtre de lhomme et
sur la tche thique dune rappropriation de notre effort dexister, comme elle est fichtenne dans
limportance quelle accorde au jugement thtique et la philosophie de lacte qui laccompagne.
11 Paul Ricur, Soi-mme comme un autre (Paris: Seuil, 1990), 29.
12 Ricur, Soi-mme comme un autre, 28.
13 "A cet gard, crit Ricur, je suis redevable Jean Nabert pour cette attention porte au dtour par le
ct "objectal" des expriences considres du point de vue des capacits mises en uvre. Le dtour
par le "quoi" et le "comment", avant le retour au "qui", me parat explicitement requis par le caractre
rflexif mme du soi, qui, dans le moment dauto-dsignation, se reconnat soi-mme." Paul Ricur,
Parcours de la reconnaissance (Paris: Stock, 2004), 142.
14 Ricur, Soi-mme comme un autre, 30.
15 Il nous semble que cest Domenico Jervolino qui a la mieux cern le sens de cette mise lpreuve de la
question de la subjectivit, lorsquil caractrise la dmarche de Ricur comme "un extraordinaire
exercice asctique, dans la ligne de lpoch phnomnologique. Autrement dit, une rduction de la
subjectivit plutt quune rduction la subjectivit, dans laquelle jaillit le pouvoir fini de dire et
dagir qui peut encore relever du cogito." Jervolino Domenico, Ricur: Hermneutique et traduction
(Paris: Ellipses, 2007), 49.
16 La philosophie de limagination de Ricur est pourtant loin de se rsumer ces dernires uvres. Selon
nous, en effet, non seulement la phnomnologie du Volontaire et lInvolontaire contient dj une
thorisation au moins partielle de la fonction de limagination dans lagir humain, mais Ricur
dveloppera en outre dans LIdologie et lutopie une analyse tout fait dcisive de limaginaire social
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Jean-Luc Amalric
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qui viendra prolonger et approfondir ses rflexions antrieures sur les fonctions pratique et potique
de limagination. Signalons enfin que le philosophe nous livre lui-mme un expos synthtique des
grandes articulations de sa philosophie de limagination dans un article capital de 1976 intitul:
"Limagination dans le discours et dans laction: pour une thorie gnrale de limagination" et publi
dans Du Texte laction (Paris: Seuil, 1986), 213-236.
17 Paul Ricur, "Hermneutique philosophique et hermneutique biblique," Du Texte laction (Paris:
Seuil, 1986), 132.
18 Parmi les interprtes de Ricur, il est noter que Richard Kearney est lun des premiers avoir
beaucoup insist sur limportance de la question de limagination dans la philosophie ricurienne.
Cest le cas de son ouvrage intitul Potique du possible: Phnomnologie hermneutique de la
figuration (Paris: Beauchesne, 1984) qui dveloppe un constant dialogue avec la philosophie de
limagination de Ricur, mais aussi de plusieurs articles consacrs cette question. Voir en
particulier: "Limagination narrative, entre lthique et le potique" publi dans Paul Ricur,
Lhermneutique lcole de la phnomnologie, (Paris: Beauchesne, 1995), 283-304. Alain
Thomasset, dans son interprtation densemble de luvre de Ricur, a lui aussi mis en relief la
fonction centrale de lactivit imaginative dans lanthropologie ricurienne: Paul Ricur, une potique
de la morale (Louvain: Leuven University Press, 1996); voir galement ce sujet un article
synthtique du mme auteur intitul: "Limagination dans la pense de Paul Ricur, fonction potique
du langage et transformation du sujet," Etudes thologiques et religieuses 80 (2005): 525-541. Nous
ajouterons en outre que, dans la dernire partie de notre ouvrage consacr la question de la
mtaphore chez Ricur et Derrida, nous avons, pour notre part, esquiss la thse selon laquelle
lensemble de la philosophie ricurienne paraissait pouvoir se rassembler autour dune thorie
gnrale de limagination capable de penser la puissance cratrice du langage tout en inventant une
articulation indite entre le potique et le pratique: Jean-Luc Amalric, Ricur, Derrida: Lenjeu de la
mtaphore (Paris: P.U.F, 2006), voir en particulier les pages 137 152. Signalons enfin que dans
lintroduction de lanthologie quil consacre, avec Fabien Lamouche, aux textes de Ricur, Michal
Fssel suggre lui aussi de considrer limagination comme ce qui confre son unit thmatique la
philosophie de Ricur, dans la mesure o elle lui semble prcisment constituer le foyer mme vers
o convergent les diffrentes questions qui traversent luvre du philosophe: Paul Ricur:
Anthologie, textes choisis et prsents par Michal Fssel et Fabien Lamouche (Paris: Seuil, 2007),
7-22.
19 Nous reprenons ici une expression de Johann Michel qui, dans son ouvrage sur la philosophie
ricurienne de lagir, consacre un chapitre entier ce "tournant de lintersubjectivit." Johann Michel,
Paul Ricur: Une philosophie de lagir humain (Paris: Cerf, 2006), 73-119. Dans la mesure o nous
nous efforcerons de montrer dans la suite de cet article que les notions dattestation et de
reconnaissance impliqueront la substitution progressive dune dialectique de ltre, de lacte et de
lautre la dialectique de ltre et de lacte qui caractrisait la notion daffirmation originaire, au cur
de lanthropologie de LHomme faillible, nous ne pouvons que souscrire la thse de Johann Michel
selon laquelle Soi-mme comme un autre marque un tournant dcisif dans la rflexion
anthropologique et pistmologique de Ricur. Dsormais, ce sont bien les enjeux la fois pratiques
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et thiques de la relation lautre qui vont passer au premier plan dans lanthropologie philosophique
ricurienne.
20 Dans la mesure o une note de la "Conclusion" de LHomme faillible dans - Paul Ricur, Philosophie de
la volont II. Finitude et culpabilit. 1. LHomme faillible (Paris: Aubier, 1960), 152 - nous renvoie
directement un article intitul "Ngativit et affirmation originaire" et publi dans Histoire et vrit
Paul Ricur, Histoire et vrit (Paris: Seuil, 1964), 336-360 - on peut nanmoins supposer que
Ricur considre justement cet article dcisif comme lexpos de sa propre conqute rflexive de la
notion daffirmation originaire.
21 A ce titre, il faut signaler en outre que, chez Nabert, la rappropriation de laffirmation originaire
saccompagne dun acte de dpouillement aussi bien thique que spculatif qui ne cessera de se
radicaliser, et qui, de LEssai sur le mal au Dsir de Dieu, conduit finalement lide dun certain
effacement ou dune certaine dpossession de soi.
22 Cest l, en tout cas linterprtation quen fait Ricur, ds 1962, dans la "Prface" quil consacre aux
Elments pour une thique. Paul Ricur, Lectures 2: La contre des philosophes (Paris, Seuil, 1992),
225-236.
23 "Laffirmation absolue qui saffirme au travers de mon affirmation, crit Nabert, produit donc tout
ensemble une certitude et un appel. Lappel est lanc au moi pour que, dans le monde et dans la
dure, par le devoir et, sil le faut, par le sacrifice, il vrifie le je suis et en fasse une ralit. La
certitude, cest lactualit dun rapport que naffectent ni les dfaillances, ni loubli, parce quil est
immanence au je suis dune affirmation qui passe toute multiplicit autant quelle efface toute
sparation entre sujets." Jean Nabert, Elments pour une thique (Paris: Aubier, 1962), 69-70.
24 Nabert, Elments pour une thique, 77-102.
25 Ricur, "LEssai sur le mal," dans Lectures 2: La contre des philosophes, 248.
26 Nous nous rfrons ici deux articles tout fait essentiels de Ricur. Le premier, datant de 1972, est
intitul: "LHermneutique du tmoignage", et il est largement consacr une analyse du Livre III du
Dsir de Dieu ("Mtaphysique du tmoignage et hermneutique de labsolu"); le second, datant de
1989, est intitul "Emmanuel Levinas, penseur du tmoignage" et il propose une confrontation entre
trois approches philosophiques de la question du tmoignage, chez Heidegger, Nabert et Levinas. Voir
Ricur, Lectures 3: Aux frontires de la philosophie (Paris: Seuil, 1994): "Emmanuel Levinas,
penseur du tmoignage," 83-105; "LHermneutique du tmoignage," 107-139.
27 Mme si le prsent article est centr sur lvolution de lanthropologie ricurienne et de ses concepts
directeurs, il nous semble important de souligner le fait qu nos yeux, une enqute parallle sur
lvolution de lpistmologie ricurienne conduirait mettre au jour une troite corrlation entre ces
deux volutions. Pour tre plus prcis, la limitation progressive de la fonction potique assigne
limagination dans lhermneutique ricurienne du soi et limportance croissante confre la
fonction pratico-thique du tmoignage ont eu selon nous pour consquence la transformation
conjointe de lanthropologie et de lpistmologie ricurienne. A nos yeux, cest ce dont tmoigne
exemplairement lvolution de Ricur dans linterprtation du concept de reprsentance cens
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Jean-Luc Amalric
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exprimer selon lui le rapport spcifique de la connaissance historique au pass. De Temps et rcit La
Mmoire, lhistoire, loubli, on est en effet pass dune reprsentance essentiellement porte par les
ressources imaginatives de lanalogie une reprsentance dsormais soutenue au premier chef par la
puissance pratico-thique du tmoignage; ou, pour le dire autrement, on est pass du "comme" de la
mtaphore "lattestation/protestation" du "comme" du tmoignage. (Sur cette question, voir en
particulier larticle essentiel de Ricur intitul: "La marque du pass" et publi dans la Revue de
mtaphysique et de morale, janvier-mars 1998 n1, "Mmoire, histoire," 7-31; ainsi que les pages
201-208, 302-369 de La Mmoire, lhistoire, loubli).
28 Nous pensons que la distance entre les deux termes sexplique encore ici par le suspens agnostique de
la question de labsolu, de lUn et du divin qui marque la philosophie de Ricur au sortir de la
Philosophie de la volont; car cest dans lexprience religieuse que le sens du concept dattestation
semble recouper le plus compltement le sens du concept de tmoignage. Or, comme en tmoigne la
rfrence de Ricur au concept heideggrien dattestation dans Etre et Temps (rfrence que lon
retrouve aussi bien dans son article de 1989 consacr au tmoignage chez Levinas que dans Soi-
mme comme un autre), il semble que le philosophe ait justement cherch un concept plus neutre et
plus originaire afin de servir de soubassement son hermneutique du soi.
29 "Le tmoignage, crit Ricur, est lanankh stna de linterprtation. Une hermneutique sans
tmoignage est condamne la rgression infinie, dans un perspectivisme sans commencement ni
fin". Ricur, "LHermneutique du tmoignage," dans Lectures 3: Aux frontires de la philosophie,
130.
30 Comme lcrit Ricur: "On atteste l o on conteste", Ricur, "LHermneutique du tmoignage," dans
Lectures 3: Aux frontires de la philosophie, 132.
31 Ricur, Soi-mme comme un autre, 191.
32 Dans la mesure o la "Dixime Etude" de Soi-mme comme un autre, se rfre en outre pour la
premire fois lide dun "fond dtre la fois puissant et effectif"(357) sur lequel se dtache
prcisment lagir humain, la question est cependant ouverte de savoir si ce fond dtre la fois
puissant et effectif pourrait tre considr, dans une perspective dinspiration spinoziste, comme une
figure de lUn ou bien, sil nexprime au contraire dans une perspective qui nous semble plus fidle
aux vises profondes de lhermneutique ricurienne - que la transcendance du monde, en de de la
transcendance radicale de lUn.
33 Cest le cas notamment dun article dcisif de 1994 publi initialement dans la Revue de mtaphysique
et de morale, puis repris en 1995 dans Rflexion faite. Ricur, "De la mtaphysique la morale,"
dans Rflexion faite (Paris: Esprit, 1995), 83-115.
34 Nabert, Elments pour une thique, 70.
35 Ricur emploie cette expression de "seconde rvolution copernicienne" dans la Premire Etude de
Parcours de la reconnaissance (49), mais elle avait dj t utilise plusieurs reprises dans la
Philosophie de la volont pour caractriser la ncessaire rforme de la philosophie rflexive requise
par une "potique de la volont."
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Affirmation originaire, attestation, reconnaissance
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36 Ricur, Parcours de la reconnaissance, 90.
37 Ce sont alors les voies dune nouvelle philosophie de limagination, implique dans lexplicitation de
notre tre-au-monde et dans la constitution originaire du temps qui sont esquisses par Ricur.