adieu, esculape

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ADIEU, ESCULAPE !...

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DU MEME AUTEUR

dans la même collection :

L'équipage perdu. La chasse au renard. Cinq hommes dans un char. Six jours pour mourir. Le commando de Bou-Ficha. Le grand chef aux yeux bleus. Le pont de Sidi-Boubeker. Le fort de l'Est. Loup gris. Pour la « petite terre » Les boujadis.

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GEORGES CLAVERE

ADIEU, ESCULAPE !... ROMAN

COLLECTION « FEU »

EDITIONS FLEUVE NOIR 69, boulevard Saint-Marcel - PARIS-XIII

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La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'Article 41, d'une part, que les copies ou reproduc- tions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1er de l'Arti- cle 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanc-

tionnée par les Articles 425 et suivants du Code Pénal.

© 1975 « EDITIONS FLEUVE NOIR », PARIS. Reproduction et traduction, même partielles, interdites. Tous droits réservés pour tous pays, y compris l'U.R.S.S. et les pays scandinaves.

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CHAPITRE PREMIER

BASE SECRETE EN TURQUIE...

Ralph Talbot et John Morris se trouvaient en Turquie depuis une bonne semaine, venant de la Cyrénaïque, via Alexandrie.

Ils campaient à la base secrète de Port-Dere- men, simple mouillage, sans aucune installa- tion portuaire, point de ralliement des volon- taires du S.B.S., le Special Boat Service.

Les deux hommes en faisaient partie parce que Ralph Talbot était las de sécher au soleil de Libye, le jour, pour grelotter la nuit, et que John Morris avait suivi son ami, comme il le suivait toujours et partout, quel que fût l'en- droit où il pouvait aller.

John Morris devait son nom au fait qu'il

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avait été trouvé par un policeman, un soir d'hi- ver, juste devant le magasin Morris and Son, rue Saint-John, à Londres, alors qu'il devait être âgé d'une huitaine de jours...

C'était un petit homme dont le poil roux laissait supposer une ascendance irlandaise. Pour lui, l'armée avait été une sorte de moule dans lequel, vêtu d'un uniforme semblable à celui des autres, agissant et pensant comme eux, il pouvait se figurer n'être pas différent de ses camarades. Perdu au milieu de leur fou- le, il arrivait à oublier sa principale caracté- ristique : n'avoir pas de parents, ne pas savoir ce que pouvait être une affection maternelle.

Il ne se souvenait de la chose que lorsque ses compagnons recevaient des lettres de leur famille, son seul courrier provenant d'une « marraine de guerre » qui lui avait été trou- vée par le service social de l'armée.

Pour Morris, Ralph Talbot était le modèle de ce qu'il aurait voulu être... Grand, élégant, distingué, même revêtu de l'horrible uniforme kaki, Ralph était le dernier descendant d'une famille d'officiers (un de ses oncles était gé- néral), ce qui lui valait une considération dont il ne cherchait pas à profiter, mais leur avait permis, à tous les deux, de voir leur demande d'affectation au S.B.S. acceptée sans discus- sion.

Partout, Ralph évoluait avec aisance et par- tout il était heureux, se sentait à son aise, mê- me dans les situations les plus difficiles, alors que le petit John Morris, où qu'il fût et quoi

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qu'il fît, avait l'impression de n'être pas à sa place.

Même en cherchant bien, il aurait été diffi- cile de trouver deux êtres aussi dissemblables, deux caractères aussi opposés. Pourtant, du jour où ils se connurent, les deux hommes se sentirent attirés l'un par l'autre, s'entendirent parfaitement et ne se quittèrent plus.

Depuis qu'ils se trouvaient à Port-Deremen, on les voyait ensemble du lever au coucher du soleil et même la nuit, puisqu'ils dormaient sous la même tente.

Pour l'instant, les deux amis allongés sur une petite plage de sable fin, se disputaient, ce qui leur arrivait plus souvent qu'à leur tour mais ne diminuait aucunement leur amitié et leur joie de se trouver ensemble.

— Moi, je te dis que j'ai ai marre !... Marre, tu m'entends ?... criait Morris. — Bien sûr que je t'entends... Tu gueules

comme un âne !... dit Talbot. Mais de quoi as- tu marre ?... De manger à l'heure, de te repo- ser et de prendre des bains dans une mer tiè- de ?... Laisse-moi te dire qu'il y en a pas mal, parmi les copains que nous avons quittés qui voudraient bien être à notre place !

— Mais, dis donc, ce n'est pas pour ça que nous sommes venus au S.B.S. !... ragea le petit rouquin.

— Pour ça... Pas pour ça... Hum !... Si je me souviens bien, nous nous sommes portés vo- lontaires pour le S.B.S. parce que nous en avions assez de sécher au soleil et de grelotter

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à l'ombre, parce que nous avions envie de voir de l'eau à la place du sable, avant tout et, peut- être aussi, parce que le bruit a couru que les gars du S.B.S. étaient des petits mecs durs qui allaient faire du bon boulot.

— Ouais... Et tu as vu le boulot qu'ils font, tes petits mecs durs ?... Ils bouffent, ils ron- flent, ils se baignent de temps à autre et ils sont contents... Les voilà, tes héros !...

— Mais attends un peu, mon joli... Il y a tout juste dix jours que nous sommes là ! Laisse à l'état-major le temps de voir ce qu'ils vont faire de nous et ensuite, tu pourras râler tout à ton aise par ce qu'on t'aura donné un sale travail à exécuter...

Talbot se tut un instant et un sourire se des- sina sur ses lèvres.

— Rien que d'y penser, je te vois en train de râler comme un voleur, d'ici quelques jours, lorsque nous serons dans une quelconque île grecque...

Morris ouvrit la bouche pour répondre, hé- sita et se tut, car il réalisa brutalement que son ami avait raison. Quoi qu'il fasse et où qu'il soit, il ne serait jamais content, il trou- verait toujours les raisins ou trop verts ou trop mûrs.

N'ayant rien à dire, il regarda son camarade. Celui-ci avait cueilli quelques herbes ou plan- tes. Il les frottait entre ses mains et en respi- rait l'odeur, les yeux perdus dans le vague.

— Sens comme ça sent bon..., murmura le grand Ralph en tendant sa paume grande

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ouverte à son compagnon. C'est ça, l'odeur de la Turquie, de Port-Deremen... Dans dix ans ou dans vingt ans, il me suffira de renifler ce parfum pour me revoir couché sur une misé- rable plage, à côté d'une sale petit rouquin qui ne cessait pas de râler et que, pourtant, j'aimais bien...

Le « sale petit rouquin » se pencha sur la paume ouverte, regarda les plantes rabougries et les herbes sèches réduites en une sorte de bouillie, de foin, plus exactement.

Lorsqu'il fut assez près, il respira à fond et ferma les yeux.

— Ça sent comme la tambouille des souks..., affirma-t-il après réflexion.

— Comme la tambouille des souks !... Pau- vre vieille chose, tu n'as pas plus d'odorat qu'une chouette asthmatique... Comment veux- tu faire collection de souvenirs, si tu ne dis- tingues pas une odeur d'une autre!... La tam- bouille des souks, comme tu dis, a un parfum tout à fait spécial, à base de cumin et de pi- ment, que je reconnaîtrais entre mille, mais il n'a aucun point commun avec celui qui se dégage de ces herbes. Ça, je te le répète, c'est l'odeur de Port-Deremen, celle de la Turquie tout entière, peut-être...

Imitant son ami, Morris avait cueilli quel- ques herbes, au hasard, et, après les avoir frot- tées dans ses mains, il en respirait l'arôme avec une certaine volupté, maintenant que son mentor lui avait expliqué quelle était l'impor-

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tance de ce parfum et quels souvenirs il lui rappellerait, plus tard.

Talbot, d'ailleurs, n'espérait aucun commen- taire de son compagnon.

Comme chaque soir, il attendait le coucher du soleil, dans l'espoir d'apercevoir le « rayon vert », lequel, paraît-il, ne dure que quelques dixièmes de secondes, et qu'il n'avait encore jamais réussi à voir, malgré ses efforts.

Au moment où, peut-être, allait apparaître le fameux rayon, son attention fut détournée par les hurlements de Morris. — A la bouffe !... criait celui-ci. A la bouf- fe !...

Il était déjà debout, prêt à partir. Talbot se leva sans se presser, et ils prirent

tous les deux le chemin du camp, en suivant un sentier qu'ils avaient tracé eux-mêmes en allant et revenant par ce même itinéraire, de- puis un peu plus d'une semaine.

L'heure du repas devait être proche, car, dé- jà, les hommes circulaient entre les tentes, leurs plats de gamelle à la main, lorsqu'ils ar- rivèrent au camp.

— Il n'y a pas à dire, ils sont drôlement chouettes; les héros du S.B.S. !... grogna le rouquin, sarcastique. Ils ne pensent qu'à bouf- fer et pioncer, ils se foutent du reste !...

— Il y en a d'autres, en Libye, qui pleu- raient quand ils n'avaient rien à se foutre sous la dent. Maintenant ils râlent parce qu'ils mangent à heure fixe..., se contenta de répon- dre le grand Ralph, avec un soupir ironique.

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Leur sous-officier, le sergent Kennedy, était de jour. Au moment où les hommes se diri- geaient vers les cuisines, il les rassembla, à grands coups de gueule, devant la tente qui servait de bureau au capitaine commandant leur compagnie.

Celui-ci sortit aussitôt que le calme régna dans les rangs, salua la troupe présentée par le sergent, regarda les hommes en souriant.

— Je crois savoir, commença-t-il, que cer- tains, parmi vous, commencent à trouver le temps long et se demandent ce qu'ils font ici... Talbot se tourna vers son ami et souffla :

— C'est probablement pour toi qu'il dit ça... — Qu'ils se rassurent, continuait l'officier.

Nous allons bientôt partir. Pas plus tard que demain, très exactement. Quelques murmures répondirent à ses paro-

les, et il attendit que le silence revienne pour recommencer à parler.

— Je suppose que vous avez tous entendu parler des « accords Badoglio », mais, pour ceux qui ne seraient pas au courant, je préci- serai que, d'après ces accords, les Italiens, qui étaient nos ennemis, sont devenus, officielle- ment tout au moins, nos alliés.

Il se tut encore une fois en attendant que s'apaisent ce que l'on appelle, dans les comp- tes rendus parlementaires, des « mouvements divers ».

— Ce sont les Italiens qui tiennent les îles grecques, en dehors de Rhodes et de quelques

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autres, reprit-il. Leur nouvelle position vis-à- vis de nous-mêmes et de leurs alliés d'hier nous autorise à supposer que, dans le cas où nous voudrions prendre pied dans ces îles, non seulement ils ne s'opposeront pas à notre arri- vée mais encore participeront à la défense des territoires que nous aurons occupés, contre une attaque allemande, non seulement possi- ble mais probable.

Après un moment de silence, probablement destiné à permettre à ses auditeurs de com- prendre parfaitement ses paroles, le capitaine arriva à la fin de son exposé.

— Demain, donc, nous allons prendre pos- session de l'île de Kos, notre plus proche voi- sine, qui est tenue par quelques milliers d'Ita- liens. Afin qu'ils comprennent bien que nos intentions ne sont pas mauvaises, nous enver- rons d'abord une simple section à Marmari où se trouve un champ d'aviation installé par les Allemands, puis le reste de la compagnie à Kos même. Le bataillon suivra.

— C'est la section Mac Ivor, termina-t-il après un court silence, qui aura l'honneur d'aborder la première dans l'île de Kos !...

— Kennedy, dit-il encore en s'adressant au sergent, vous vous occuperez de la distribution des munitions et vivres de réserve après la soupe, en commençant par votre section, puis- que c'est elle qui prend le départ la première.

Son discours terminé, il réintégra sa tente, pendant que le sous-officier conduisait les

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hommes aux cuisines, où on leur distribua leurs repas.

— Qu'est-ce que tu en penses, de cette his- toire ?... demanda Morris à son ami Talbot, tout en mangeant.

— Que c'est beaucoup d'honneur pour notre section d'être la première à mettre le pied sur Kos, car cette île n'est qu'un premier jalon en direction de la Grèce et du « ventre mou de l'Europe »... Avec un peu de chance, ayant été les premiers à Kos, nous serons aussi les pre- miers à Berlin, ça serait un sacré coup de vei- ne, hein ?...

Le petit rouquin paraissait dubitatif, et c'est sans goût qu'il absorbait son repas, lui qui avait toujours un appétit d'ogre.

— Mais, dis donc..., demanda-t-il encore. Si les Ritals, malgré les accords de Badoglio, n'étaient pas d'accord, qu'est-ce qui se passe- rait ?

— Ce qui se passerait ?... Nous nous ferions probablement massacrer et l'état-major élabo- rerait d'autres plans, dans lesquels ils ne con- sidèreraient plus les Italiens comme nos alliés, rien de plus...

— Rien de plus ?... Mais, dis donc, tu n'es pas marrant, toi !... s'exclama le rouquin, en avalant de travers.

Ils avaient tout juste fini de manger lors- que le sergent Kennedy fit son apparition.

A grands coups de gueule, suivant son habi- tude, il rassembla les hommes de la section Mac Ivor et fit distribuer munitions et vivres

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de réserve avant de la conduire à son chef. Celui-ci était debout devant un tableau sur

lequel étaient fixées une carte de l'île de Kos et quelques photographies prises par avion. — Voici l'endroit où nous devrons aborder, indiqua le lieutenant. Non loin du village de Marmari. C'est un grand honneur qui nous est fait, de nous envoyer en détachement précur- seur, le capitaine vous l'a déjà dit, mais ce que je tiens à vous préciser, c'est que la posses- sion de l'aérodrome de Marmari est d'une im- portance primordiale, car, tant que nous le tiendrons, les Allemands de Rhodes ou d'ail- leurs seront incapables d'envoyer dans l'île as- sez de troupes aéroportées pour nous inquié- ter. Nous devons donc, aussitôt arrivés, le met- tre en état de défense, avec l'aide des Italiens.

— A condition qu'ils soient d'accord..., gro- gna une voix.

— A condition qu'ils soient d'accord, bien sûr, car, dans le cas où ils ne le seraient pas, toute l'affaire serait à réétudier sur d'autres bases, affirma Mac Ivor en s'en allant. — Et... et combien sont-ils, sir ?... demanda un homme.

Le lieutenant se retourna. — Oh, pas tellement, mille ou quinze cents,

pas plus..., répondit-il avec un sourire, avant de partir, définitivement.

— Tu as entendu ce qu'il a dit ?... demanda Morris à son ami. Les Ritals, à Marmari, ils sont quelque chose comme mille ou quinze cents...

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— Oui, et alors ?... Tu ne te figurais quand même pas qu'une petite section serait suffi- sante pour défendre un aérodrome de l'impor- tance de celui de Marmari, quand même ?

— Non, bien sûr... Mais je me dis que si les petits Ritals ne sont pas d'accord, on va avoir une bonne gueule, en face d'eux !...

— Probablement n'as-tu pas compris que si on envoie seulement une section, c'est juste- ment pour montrer aux Italiens que nous n'avons pas de mauvaises pensées à leur égard, et pour éviter que, se méprenant sur nos inten- tions, ils nous volent dans les plumes au lieu de nous recevoir amicalement. Toute la fines- se est là, encore faut-il la comprendre, rouquin de mon coeur !

— Ne te fais pas de bile, continua Talbot. Demain, nous prendrons pied sur l'île de Kos, la patrie d'Hippocrate, nous serons reçus à bras ouverts par nos amis Italiens et, après- demain ou le jour suivant, je t'emmènerai voir le platane qui fut planté, affirme-t-on, par le père de la médecine...

— Le « père de la médecine », Hippocra- te ?... Tu ne te sens pas bien ? Tout le monde sait que le père de la médecine, c'est Escu- lape !

Pendant une bonne demi-heure, les deux amis discutèrent des rôles exacts d'Hippocrate et d'Esculape, Talbot essayant d'expliquer à son ami que l'un était un Dieu et l'autre un homme, l'homme, Hippocrate, étant le père de la médecine dont l'autre était le Dieu, mais il

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dut y renoncer. Jamais le petit rouquin n'arri- verait à admettre que la médecine avait à la fois un père et un Dieu et qu'ils avaient pas le même nom.

Tout en bavardant, ils s'étaient machinale- ment dirigés vers la baie bien abritée qui avait donné le nom de « Port » au lieu dit Deremen.

Lorsqu'ils arrivèrent en haut de la colline qui domine cet abri naturel, il faisait déjà très sombre, aussi ne s'étonnèrent-ils pas trop de distinguer la flotte qui transporterait les trou- pes d'invasion dans l'île de Kos, la baie étant noyée dans le brouillard.

Quand ils furent assez près, ils durent se rendre compte du fait que s'ils ne voyaient pas cette flotte, la raison en était simple : elle n'existait pas...

Dans la baie, il y avait tout juste deux em- barcations, un caïque grec réquisitionné, en cours de chargement, et une chaloupe de la Royal-Navy, armée d'un petit canon et de mi- trailleuses jumelées.

— Tu... tu crois qu'ils tournent rond, les gonzes, à l'état-major ?... demanda Morris. Un caïque pourri et une chaloupe miteuse pour conquérir la terre qui vit naître Esculape, tu ne crois pas que c'est un peu juste ?... Ils se foutent de notre gueule, les gars, ou bien ils ne savent pas ce qu'ils font !...

— Moi, je ne trouve pas..., répondit l'autre. A mon avis, la chaloupe aurait largement suf- fi. Notre section y aurait facilement tenu... Ce n'est pas un débarquement en force, auquel

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nous allons nous livrer... On pourrait presque dire que nous allons en excursion à Kos. Nous n'avons donc pas besoin de cuirassés pour nous escorter. Une petite canonnière est large- ment suffisante, en supposant que le caïque soit chargé de nous transporter.

Ils continuaient à marcher, tout en parlant, aussi étaient-ils arrivés au rocher qui servait de quai.

Une planche avait été posée, qui reliait ce quai improvisé au caïque, et les marins grecs, les uns après les autres, empruntaient ce frêle passage, un sac, une caisse ou un tonneau sur le dos, pour décharger leur bateau.

Morris, qui était sujet au vertige, les regar- dait faire, le cœur battant, les membres cris- pés, car il se figurait être sur cette planche, croyait la sentir vaciller sous ses pieds.

— Je te garantis qu'on me paierait cher pour faire ce boulot !... bégaya-t-il. Rien que de les voir marcher sur cette planche, ça me retourne les tripes !

— Tu n'as qu'à ne pas les regarder, comme ça tu n'auras pas la frousse..., répondit Talbot en l'entraînant en direction du camp.

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CHAPITRE II

DIRECTION KOS

Lorsque les hommes de la section du lieute- nant Mac Ivor absorbèrent leur thé matinal, accompagné par un casse-croûte copieux, il faisait à peine jour.

Ils venaient juste de terminer la cigarette qui suit le petit déjeuner lorsque le rassemble- ment fut commandé.

Le sac sur le dos, les musettes pleines de munitions et de vivres de réserve, les soldats, suivant leur chef de section, se dirigèrent, co- lonne par un, vers le mouillage de Port-Dere- men.

Lorsqu'ils parvinrent en haut de la petite colline qui surplombe la baie, tous les hom- mes, les uns après les autres, se dressèrent

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sur la pointe des pieds afin de voir la flotte de débarquement qui allait les conduire ou les accompagner jusqu'à Kos.

Comme la veille au soir, il n'y avait, au mouillage, que la chaloupe du S.B.S. et le caïque réquisitionné...

— C'est pas sérieux, maugréa une voix, ex- primant l'opinion de tous. Nous n'allons quand même pas partir à trente pour conqué- rir une île, sans appui d'artillerie, sans même un bateau solide !...

— Pourquoi pas..., répondit une autre voix. Puisqu'ils affirment que nous allons être reçus avec des acclamations et des fleurs ?...

— Et si ils se sont gourrés, les mecs de l'état-major, si les Ritals ne sont pas d'accord, qu'est-ce qu'on va foutre ?

— On va se faire descendre, tout simple- ment... Ensuite, l'état-major, sachant qu'il y a erreur, recommencera l'opération, mais en mettant le paquet, cette fois... Ça tombe sous le sens, oui ?

— Quand même..., murmura un homme. Ça ne leur aurait pas coûté cher de nous faire ac- compagner par un destroyer, ou un petit tor- pilleur...

Tous ceux qui composaient le « détache- ment précurseur » pensaient la même chose, s'ils se taisaient. Seuls les plus optimistes se disaient :

— S'ils envoient seulement notre section avec cette foutue chaloupe, c'est qu'ils doivent

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être bien certains que tout se passera bien... On n'a donc pas à se faire de bile...

L'équipage grec du caïque, lui, n'avait pas l'air de s'inquiéter. Les marins vaquaient tran- quillement à leurs occupations et le capitaine, ou celui qui commandait le bateau, crachait dans l'eau pour faire des ronds.

Ils s'intéressaient si peu à la question que c'est à peine s'ils regardèrent les hommes qu'ils allaient transporter, lesquels avançaient toujours, le visage maussade, vers le rocher remplaçant le quai inexistant.

L'embarquement se fit dans le calme, sans la moindre précipitation, comme si ceux qui allaient partir n'étaient pas du tout pressés de prendre la mer.

Pour monter à bord, il fallait escalader le rocher, puis, lorsqu'on était en haut, s'engager sur la planche qui servait de passerelle, rejoi- gnait la terre au caïque. Quand un homme s'y engageait, elle vacillait dangereusement, se ba- lançait, et celui qui avançait écartait les bras comme un funambule, afin de garder son équi- libre.

A la seule idée qu'il allait devoir, comme les autres, marcher sur cette passerelle improvi- sée, le petit John Morris suait à grosses gout- tes, bien que la température fût relativement fraîche.

Pris par une panique non maîtrisable, il ser- rait les dents pour ne pas qu'elles claquent de peur, fermait les yeux...

Lorsqu'ils les rouvrit, ils étaient trois, sur

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la planche qui se courbait comme si elle allait casser, et il n'y avait plus que deux hommes à passer, avant Ralph Talbot et lui...

— Ne te fais pas de mousse, lui souffla son camarade, qui savait combien il était sujet au vertige. Tu te colles contre moi, avec les mains sur mes épaules et tu fermes les yeux... J'avan- cerai assez lentement pour que tu puisses tâter ce foutu bout de bois du pied, à chaque pas.

Tout en parlant, il avait pris son ami par la main et le tirait derrière lui, le forçant à pro- gresser.

— Allez, John, ce ne sont que quelques mauvaises secondes à passer..., l'encouragea- t-il. On y va ?...

Seul un grognement étouffé lui répondit. Morris était incapable d'articuler la moindre parole.

— En avant... On y va !... commanda Talbot, se mettant en marche.

Les mains crispées sur ses épaules, le petit rouquin suivit, suant plus abondamment en- core qu'au cours des moments passés.

— Attention à la planche !... recommanda le chef de file, en posant le pied sur celle-ci. Elle est beaucoup plus large qu'elle n'en a l'air, tu sais...

Les poignes de John se crispèrent un peu plus fort sur ses épaules.

Lorsque les deux hommes furent engagés sur la passerelle improvisée, Morris sentit son cœur se contracter, son petit déjeuner lui re- monter de l'estomac à la gorge...

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Cachés dans un trou, à mi-hauteur d'une falaise dominant la mer, les derniers survivants du groupe du Special Boat Service qui avait pris pied, le premier, sur l'île de Kos, déses- péraient d'être secourus un jour...

Dans le fond de la caverne, le lieutenant Mac Ivor agonisait.

Les trois autres, vêtus de loques, crevant de faim et de soif, regardaient les vagues en fureur battre la falaise, en se disant que si la tempête ne se calmait pas rapidement, la chaloupe du S.B.S. arriverait trop tard, qu'ils seraient tous morts et que nul ne retrouverait probablement leurs cadavres...

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