adieu aux espadrilles

28

Upload: others

Post on 19-Jun-2022

14 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Adieu aux espadrilles
Page 2: Adieu aux espadrilles

Adieuauxespadrilles

Page 3: Adieu aux espadrilles

Dumêmeauteur:

Stèle pour Edern (récit), éditions Jean Picollec,2001.

Nos amis les chanteurs, dernière salve(pamphlet),éditionsAlphée/Jean-PaulBertrand,2009(avecThierrySéchan).

Dusoufreaucœur(roman),éditionsAlphée/Jean-PaulBertrand,2010.

Une âme damnée - Paul Gégauff (récit), Pierre-GuillaumedeRoux,2012

Page 4: Adieu aux espadrilles

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 5: Adieu aux espadrilles

lesfélicitationsdujury.Lavieetl’œuvredeDrumont,ProudhonouFourier n’ont pas de secrets pour toi.Notre amiCorneliust’appelle « la plus jolie fouriériste de Paris », ce qui estimprécis ; tu lui as déjà dit que tu goûtais peu Fourier. Desthésardstecontactent,s’appuientsurtestravaux.Surlesujet,tues restée une tueuse. La prétention de Claude Lanzmannt’horripile.Iln’yauraitplusrienàdireaprèsShoah.C’estuneplaisanterie.Tesdébats imaginairesavec luisontdesmorceauxde bravoure. Je peux en témoigner. Les quatre heures duChagrinetlapitiénetelassentjamais.Combiendefoisavons-nous vu ce documentaire ?Une dizaine.Tu es intarissable surChristian de la Mazière, dandy aux verres fumés, et sur unpaysanmaquisard qui te rappelle ton grand-père savoyard. Tuaurais aimé les rencontrer, leur parler. Ils sont tous les deuxmorts.Tuesnéetroptard.Çadoitêtreça.Tun’aspasleprofildel’époque.

Je pense à Berlin, je ne sais pas pourquoi. Sans doute àcauseduChagrinetlapitié,del’ex-WaffenSSDeLaMazière.Je nous revois à Treptower Park, auMemorial des soldats del’ArméeRougemortspourlibérerl’Allemagne.Sousnospieds:4 800 morts. Puis nous avions gagné Kreuzberg, Mitte, Karl-MarxAvenue.Nousnousbaladionssansbut,danslehalod’unsoleilpâle.Tuavaiscasséuntalondetesbottines,t’étaisachetéunepairedeConverseblanches.OnmangeaitdesCurryWurtz.Ilyavaitdesbobos,desbabasetdespoussettes triomphantes.L’enseigned’unbaraffichait«MadameClaude»enlettresfluo.Tul’avaispriseenphoto.Lanuit,dansdestavernesimprobablesoùlescanapésavaient lapatineducuirdéfoncé,nousfumionsdesWinstonbleuetnousbuvionsdelavodkarussecommesilemonde d’avant n’était pas mort. Le monde d’avant, ça t’avaitintrigué.Tumeprenaispourunvieuxschnock.

Page 6: Adieu aux espadrilles

–Tuesnostalgique?–Non.–Maistutrouvesquec’étaitmieuxavant?–C’étaitmieuxtoujours.–Laformuleestjolie.–Ellen’estpasdemoi.–Jeneparvienspasàsavoirquitues.–Moinonplus…–Tunem’aidespaset tesréponsessonttropfaciles.Jene

suispasl'idiotequetusemblesimaginer.–J’aimelescontoursflousdecemonded’avant.–Lescontoursflous,quandonparledumonde,mêmecelui

d’avant,çan’existequedansX-Files!

Tu touchais juste. Souvent le monde d’avant me rappelaitune série de science-fiction dans laquelle le héros, à la suited’unaccident,seréveillevingtansplustôt,en1973.Cesoir-là,j’avais peiné à trouvermesmots pour te l’expliquer.Mémoiretitubante des années précédant ma naissance. Je m’étaisembrouillé. J’avais juste envie de réinventer un temps où lesfumées n’étaient pas interdites, où les ivresses incitaient à ladouceurdeschosesetauxbaisersvolés.Untempsoùunromanpouvaitcommencerparlarêveried’unjeunehommesurlecorpsdévoilé d’une actrice. Un temps où une actrice, quand on luidemandait : «Quel a été votre plus beau jour ? », répondait :«Unenuitd’été».Tun’avaispasétéconvaincue.

–Riennet’empêchedevivreainsi.–Lachasseauxplaisirsaétéouverteilyalongtemps.Etil

n’yaplusd’actrices.– Tu oublies Isabelle Huppert, Sara Forestier, les sœurs

Lamy…

Page 7: Adieu aux espadrilles

–C’estuneblague?–VirginieEfira,situpréfères.–Jepréfère.FilméeparEmmanuelMouret.

Nousavionsévitédepeuunefâcheriedéfinitive.

Page 8: Adieu aux espadrilles

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 9: Adieu aux espadrilles

voiture. Tu l’as définitivement quitté, un 24 juillet, à L’Ami-Pierre. Il ne t’a pas pardonné. Il n’était pas, paraît-il, hommequ’ondélaisse.

SurlechemindelaplagedesMouettes,leshorlogessesontarrêtées. Je ne vois pas le manège et les chevaux de bois quitournent à vide au rythme de tubes disco des années quatre-vingt,ni lesbambinsen traindedémonter leurvoile au retourd’unematinéedeHobieCat.JemeretrouvedenouveauruedelaMain-d’Or.

Il est onze heures, il est minuit. Ma main se pose sur tacuisse,letempsdenosvolutes.Turetienstesmots,auborddeslèvres.Lesmiennestrouventtoncou,puistapulpe.Lepremierbaiser,lesecond,ceuxquisuivront.Leparfumdetabouche,detapeau.Nosdoigtsenlacés.Ilestuneheure,ilestdeuxheures.Nous traversons les rues de Paris, ivres, en taxi. Tes cheveuxtombentsurmonépaule.LechampagnerosécouleàLaCloseriedes Lilas. Tu maltraites le serveur, qui nous refuse une autrebouteille : « Enculé ! » Nous éclatons de rire. Sur un bancpublic, le maréchal Ney veille sur nos caresses. Il est quatreheures, il est cinq heures. Nous pénétrons dans un bar, rueDelambre.Des filles sans joie sont perchées sur des tabouretsaméricains. Pour 50 euros, l’une d’entre elles propose de mesucer. Les prix baissent dangereusement. Des hommes agitentgourmettes et CB. Tu hais leurs yeux sur toi, puis tu t’enmoques.Lesvodkastoniccognentlestêtes.Tesmots,àlasortiedubar:«Jen’aimepasvoirlejourselever,saufavectoi.»Lesmiens:«Nedisrien,suismoi…»

Je t’amène rueBeaunier.Louise est envacances ; samère,lovée dans d’autres bras. Le chat Pablo t’accueille, se laisse

Page 10: Adieu aux espadrilles

câliner.Tuobservesmeslivresdanslabibliothèque,ensorsunoùlesplagesetlesscooterssontfêtés.JenoussersdeuxverresdeBelvedere,quenousnebuvonspas.Lasuitesejoueduboutdes doigts, des sens. Lumières éteintes. Autour de ton cou,éclatantelarmed’Éros,unepierrebleued’Afghanistan.

Alors que le soleil nous réveille, filtrant par les volets, lalarmeestentremesdents.Jeteregarde,deboutetsouriante.Surlapointede tesescarpins, tu files. Je te rejoinssur le seuildel’appartement. Tu m’embrasses, puis traces dans la ville. Laporte refermée, je t’envoie par SMS un poème que j’aidétourné:

J’aimangédel’AmorAmortoutautourdetaboucheEtj’aibulaluxureaufonddetesyeuxnoirs;Etj’aipurespirer,voluptéquiembaume,LebruitdélicieuxquefontlesescarpinseffilésDanslaclartépropreetsonoredescouloirs.

Page 11: Adieu aux espadrilles

V

Midi tout juste passé. Nous arrivons aux Mouettes. Pasvraiment une plage ; plutôt une crique, l’ancienne dépendanceprivée d’une villa bourgeoise. Tout est bourgeois ici, mêmequandlapeinturedesfaçadesblanchiess’écaille.

OnnevoitpaslesMouettesdepuislequai.Lesbateauxdesplaisanciers bouchent la vue. Pas de panneau indicateur, nonplus.Ilfautconnaîtreleslieux.Unepasserelleenpierrepermetd’yaccéder.Jepassetoujoursderrièretoi,jamaislassédesuivreta nuque, tes cheveux relevés dans un chignon que fixe uncrayon, tes épaules, l’ondulation de tes hanches, tes fesses, lecompasdetesjambesbronzées.Unécriteauéloignelesfrileux:«Baignadeauxrisquesetpérilsdesusagers.»Nousnesommespasdesusagers.Nousnecraignonsni les risquesni lespérils.C’estparfait.

AuxMouettes,tuastesrituels.Tufixesl’horizon,Lausanneau loin, puis le ciel, bleuMonory, que strie la traîne blanched’unaviondeligne.Pasdenuagesmenaçants,toutestbien.Tusors taserviette, ladépliessur lespetitsgalets.Tudénouesleslanièresdetessandales,avantdefaireglisserlesbretellesdetarobe.Lesoleilseposesurtoi,câlininaugural.Tut’allongesenéquilibre sur les coudes. Ton regard se perd sur la surface del’eau. Tu ôtes le haut de ton bikini. Tes seins braquent lesrayonschauds.

La plage est quasi vide. Bobonnes et ventripotents nel’envahirontqu’àl’heuredugoûter.Aularge,unvieuxmonsieur

Page 12: Adieu aux espadrilles

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 13: Adieu aux espadrilles

VI

AuretourdesMouettes,tuinsistespourquenouspassionsàlaCapitainerieduportconsulterlesprévisionsmétéo.Laseulequestionimportante :quel tempsfera-t-ildemain?Soleil,ventléger,eauà22°C.Tuesrassurée.

NousnousarrêtonsensuiteàLaVoile,restaurant-bar-glaciersurlequai.Onprendplacesousunkiosqueenbois.L’ombresepose sur nos têtes.Desmoineauxnous rejoignent. Ils pépient,guettentdesmiettesquineviennentpas.Laserveusenoussertdeux Perrier menthe avec des glaçons. Parfois, tu commandesune Dame blanche : glace vanille, meringues, chocolat noirfondu,chantilly.Aujourd’hui,non.

À part nous, personne n’est attablé. On retrouve latranquillitéoriginellede laplage.Sur lepontd’unbateau,unefemme allume une cigarette. Elle porte des lunettes noires, unhaut de maillot de bain bleuté, un mini-short en jean. Je neparvienspasàdéterminer si elleest jolie.Soncorpsmeparaîttrop sec. Elle joue avec son chien, lui lance un bâton de boisqu’ilramèneàlanage.Ellesembleailleurs.Tuboisunegorgéede fraîcheur mentholée. Une goutte s’incruste sur ta lèvresupérieure. On dirait un fin diamant. Tu passes de l’huile deMonoïsurtapeau.Cou,épaules,bras.Parfumdel’été.Danstabouche, les glaçons fondent. Tu me regardes comme si tutombaisamoureuse.

–Nousreviendronsl’étéprochain?–Tuenasenvie?

Page 14: Adieu aux espadrilles

–Jepassemonannéeàattendrecessemaines.–Ilfaudraquetumesupportespendantdouzemois.–Jedevraisyarriver.–Vraiment?–Mêmesitupeuxêtrelepiredesmufles…–Jelesuisrarement.–Demoinsenmoins.–Jevieillis.–Ettuboismoins,surtout.–C’estgentildeleremarquer.–TuferasattentionàParis?–Àquoi?–Tesdéjeuners,tesdîners.–Promis.–Jenesupportepasquandturentressaoul.Tunetiensplus

debout.Tavoixestpâteuse…

Sous le kiosque en bois, pas d’idées noires. Nouscommandons deux autres Perrier menthe. À quelques mètres,desadolescentsinvestissentunerampedeskateboard.Bronzés,torsenu,caleçondépassantdubaggy.Surleurplancheousurunvélocross, lesgarçonsrivalisentdefiguresrisquéespourépaterles filles. Ça fonctionne. Les filles ont le regard frisé et unsourireauxlèvres.Ellessontcraquantesavec leursdébardeurs,leurs leggings et leursBensimon. Je leur donnedes surnoms :Fermina, Dolores, Vanina, Chris. Dans trois ou quatre ans,Louisesejoindrapeut-êtreàlabande.Tuenescertaine:«Ellet’en fera voir de belles ! » Je n’en doute pas. Des cigarettesclandestines sontallumées, tournent.Lespremiersbaisers sontéchangés.Nousnousamusons,ne ratons riendu spectacle.Tum’imaginessurunskate.Jem'ysuisessayé.Mêmesurlequai,enlignedroite,jepeinaisàavancer.Çaprovoquetonrire.

Page 15: Adieu aux espadrilles

– Tu nem’aurais pas fait chavirer avec tes exploits sur larampe.

–Ellen’existaitpasencore.–Quefaisais-tupendanttesvacances?

Jet’enaidéjàparlé,sansinsister.Maistuveuxtoutsavoir.Meconnaîtreàchaqueâgedemesséjourséviannais.J’essaiederassembler mes souvenirs. Je me rappelle dates, lieux etsilhouettes.Broutillesd’unmondelointain.

J’ai2ans,jeretourneunegifleàmonarrière-grand-père.Ilavait mal parlé à mon arrière-grand-mère, en regardant Leschiffres et les lettres. Stupéfaction gênée autour demoi.Monarrière-grand-pèreavait90ans,mesurait1m80etpesait120kg.Réprimandeminime.Tucommentes :«J’ai toujoursditquetun’avaispasreçuassezdefesséesdanstonenfance.»Pasfaux.Monarrière-grand-pèreestmortl’annéesuivante.Lejourdesonanniversaire,justeavantdeboirelapremièregorgéedeSuzequevenaitdeluiservirmagrand-mère.

J’ai5ans,jemanquedemenoyerdanslepetitbassindelapiscinepleinair.Àl’époque,ilétaitindiquéàl’entrée:«Plusgrandepiscined’Europe.»J’avaiscru intelligentd’enfilermesbrassards autour des chevilles. L’effet est immédiat. Pieds etchevillesflottent;leresteducorpscouleàpic.Àdéconseiller.Tuéclatesderireunenouvellefois.

J’ai 8 ans, je veille sur ma grand-mère, qu’une cruralgieoblige à rester alitée. Elle me demande d’aller chercher mongrand-père auxClématites. Je traverse le jardin en courant.Lechiendemononcleetmatante,Vidocq,sejettesurmoi.Ilgriffemescuisses.Lesang l’excite ; ilplante sescrocs. Jehurle ; il

Page 16: Adieu aux espadrilles

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 17: Adieu aux espadrilles

annoncedesheuresgrisantes:alcooletsensualitéenlacés.Nosbellespromesses.

Page 18: Adieu aux espadrilles

VIII

Tuviensdet’endormir.Corpschaudetronronnementapaisé.Ilesttroisheuresdumatin.Jenetrouvepaslesommeil.Envied’eau très fraîche. Je me relève. Nous avons encore trop bu.Ivresseplaisanteetsensaiguisés.J’esquissesurlacouvertureduNote book la silhouette du mannequin qui te ressemble. Quepenserais-tu de sa robe ? Je la déshabille du bout du doigt,commej’aiôtétesétoffes.

Nous avons fait l’amour en rentrant, après quelques verresde bandol rosé. Jouissances longues sur le canapé, sur leparquet.Tu t’es ensuitevêtued’une culotte et d’un caraco.Lasaladequetuavaispréparéeétaitdélicieuse.Je l’aiagrémentéede tranches de jambon fumé, de saucisson au pimentd’Espelette.Tut’esmoquéedemoi:«Tut’imaginesvivresanscharcuterie?»J’aidébouchéunedeuxièmebouteillederosé.Lesoleilsecouchaitendouceursurlelac.Dubleu,dujaune,desteintesorangéesquiéclaboussaientlesalon.Jerevoistesdentsseplanterdanslachairdesbrugnons.Unpeudejusperlaitsurteslèvres.Turegardais,fenêtreouverte,lanuitchoirlentement.Danstesyeux,unsoupçondemélancolie.

–Onestbien,non?–Restonslà!–Jen’aipasenviederepartir.–Riennenousoblige.–Tusaisbienquecen’estpasvrai.–Pourquoi?–Montravail,tafille.

Page 19: Adieu aux espadrilles

–Louisenousrejoindra.–Etsamère?–Jeluiparlerai.–Cen’estpaspossible.–Dommage.–Tucoulesentremescuisses…

Tu avais allumé une cigarette, avant de danser. BernardLavilliersetNicolettas’enchaînaientavecMickJagger ;JulienDoréreprenaitlamain.J’admiraischacundetesdéhanchements.Tuétaisdéchaînée, commedansnos sauteriesparisiennes. Il yavait eu L’Ami-Pierre, longtemps, puis Le Cornichon, rueGassendi,etLeJeudequilles,rueBoulard.Partoutnousétionscheznous.Nosrésidencessecondaires.

Au Jeu de quilles, après avoir dîné et bu d’excellentsflacons, nous restions avec des amis du chef : bons vivants,joliesfilles,vigneronsetparasites.Benoîtfermaitlaporte,nousresservait à boire, augmentait le volume de la musique. Ilprogrammaitdelapopanglaisedesannéesquatre-vingt-dix,durapaméricain,destitresplusrécents.

Tu commençais à onduler, ton verre à la main. Tes yeuxprenaientunéclatdebeauplaisir.L’assembléeteregardait:lesmessieurs,envieux; lesfemmes,jalousesouattirées.Certainesse joignaient à toi. Je me souviens d’une grande blonde, lesmainsposéessurteshanches.Tudansaisencore,deplusbelle.Escarpinsôtés,piedsnussurlatable.Auboutd’unmoment,levin te lassait. Tu demandais une vodka à Benoît. Belvedere ?GreyGoose.Ilnesortaitlabouteillequepourtoi.Tutelaissaisdraguerparunjeunehomme.Jel’observaist’approcher.

Page 20: Adieu aux espadrilles

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 21: Adieu aux espadrilles

Ambassador.–Cesontpeut-êtreellesqu’onavuesauxMouettes.–J’aibienenviedel’imaginer.Appelons-lesLeitoetTati.– On y va, aux Mouettes ? Elles seront peut-être là. Et

LindsayLohan,aussi.

Page 22: Adieu aux espadrilles

XI

Midi, l’heure des Mouettes. Nous sommes seuls avec lescygnes, qui paressent sur les petits galets. La plage nousappartient.Nousnousbaignonsunefois,deuxfois,troisfois.Jene fais rien,hormis lireMorand, alterner soleil et fraîcheurdel’eau,etteregarder.Cedevraitêtrel’uniqueoccupationdemesjours.

Jeteprendsencoreenphoto.Quandtufaisglissertajupe.Quandtuôtestoncaraco.Quandtut’approchesdulac.Quandtu ressors de l’eau.Quand tu allumes une cigarette.Quand turefermesLemaîtredes illusions.Tesyeuxseplantentdans lesmiens.

–TudevraislireDonnaTartt…–Jel’aidéjàlu.–Leromann’avaitjamaisétéouvert.–J’avoue.C’esttroptarte…–C’estmalin!Tunelisjamaisdefemmes.–JelisSaganetDorothyParker.– Sagan et Parker ne sont pas des femmes. Elles vivaient

comme des hommes. Et elles sont mortes. Tu délaisses lesvivantes.

–JelisAnneBerest.–Qui?–AnneBerest, une petite sœur brune de Sagan.Une fille

née,commetoi,en79.–Jen’enaijamaisentenduparler.– Une de ses nouvelles recèle la plus belle des phrases :

Page 23: Adieu aux espadrilles

«Noussommesentréesdansunechambresouslestoits,commeunnidauxcouleursdechampagneetauxmursdorés.»

– Dès qu’il est question de champagne, tu as l’eau à labouche.

–Peut-être.Maisjenemenspas:jelisdesfemmesetj’écrissurleurpeau.

–Surleurpeau?–Surlatienne.–Jesuiscurieusedevoirça…

Vers 14 h 30, la plage commence à se remplir. LindsayLohann’estpasrevenue;leRusseetsespineupes,LeitoetTati,nonplus.Çamanquedejoliesfilles.Tuleremarques.

–EtcetteBlack,avecsoncompagnonetleurbébé,ellen’estpasàtongoût?

–Elleestpasmal.–Tuesexigeant.Elleestvraimentmignonne.–Tuasraison.–J’aimesoncorpslongetmusclésansexcès.–Commeletien.– Mon corps n’est plus musclé depuis que j’ai arrêté la

gym!–Tutetrompes…–TuasdéjàcouchéavecuneBlack?–Jenemerappelleplus.–Netemoquepasdemoi.–J’ailamémoiredessens;pasdesvisages.–Cen’estpasuneréponse.–J’aicouchéavecplusieursBlacks!–Aussijoliequelafilledelaplage?–Jenerépondraiqu’enprésencedemonavocate.

Page 24: Adieu aux espadrilles

Ces pages ne sont pas disponibles à la pré-visualisation.

Page 25: Adieu aux espadrilles

JeretrouveraiLouiseetnoschats,findelaterre.Jenevaispas écrire sur Lindsay Lohan. Plus envie. Mon éditeur m’envoudra. Je trouverai un autre sujet. Je tiens rarement mespromesses. The Canyons m’a suffi. Ce n’est pas très bon.Lindsay est pourtant touchante. Elle joue le rôle de sa vie.Actriceàboutdesouffle,surlereborddestombes.Elleavieilli,ça lui va bien. Ses seins prennent beaucoup de place. Elles’offreenrobenoire,ennuisetteounue.Quandellefumesuruntransat,paréed’unmaillotdebainrougeetdelunettesnoires,savoixmerappellelatienne.Vostimbresdégagentlamêmehautetensionsensuelle.

J’achèvedenoircirleNotebook,alorsquel’eaucommenceàcoulersurtoi.JeledéposeraisoustonoreillerlejourdemondépartenBretagne.Tuledécouvriraslesoir.Légèretédesdrapsd’unefind’été,àpeinesoulevés.Mesmots.Tasurprise.

Sur la couverture, ce mannequin qui te ressemble. Tu neseraspasd’accord,latrouverasplusbelle.Jet’imaginemelire,entre Winston et fumées interdites. Tu souris, fronces lessourcils. Tes yeux s’embuent quand j’évoque ton père, tongrand-père.Tunousrevoisdansl’appartement,quaiPaul-Léger,aux Mouettes, en terrasse des Cygnes ou du Riva. LindsayLohan est là ; les pineupes russes aussi. Tu ne les as pasoubliées. Tu revis nos disputes passées, réentends mes motsdégueulasses.Àdégager.Préférer la nuit de ton apparition.Lacaressedemeslèvrestehappeànouveau.Tuserreslamaindemagrand-mère,l’embrasses.Tuneveuxpasquemongrand-pèrela rejoigne. Il ne mérite pas d’être enfermé. Mon oncle, matante:tespenséescensurées.Tuasenviedem’appeler.Tantdechosesàmedire.Tum’appelleras.

Page 26: Adieu aux espadrilles

JetraîneunvieuxbluesdeHankMoody.J’aiécritpourmesouvenir, pour oublier. Se souvenir de nos étés.Oublier qu’ilsmeurent. La fin de l’été me tue. Cette sensation persistanted’étouffer. Je n’en sors pas.Mes espadrilles sont usées. Ellesontfaitlasaison.Jevaisbientôtlesranger,commeonsepend.Ma comparaison ne te fera pas rire. Sois rassurée, la place dumort,danslafamille,aétépriseparPierre.Ilaréussisoncoup.Bien joué. Être le second, quelle vulgarité. Il y a toi, Louise,d’autres étés peut-être. Même si nous les mettrons à mal. Laligne téléphoniqueentrePariset la finde la terresebrouillerarapidement.Chut.Nepass’extrairetropviteduborddelac.

Je regardeunecartepostale, illustréeparMelRamos.Elleme quitte rarement. Tu me l’avais offerte à Vienne, au palaisAlbertina.Sur lacartepostale :MissOrangeNaval1964.Unefille brune et bronzée, aux seins hauts et beaux. Elle sembleprendreforme,s’adresseràmoi:

–Ilfautcontinuer.Ladolcevita,lespetitsluxes,lesexe,lapeau bronzée, les lèvres effleurées, la quête du soleil et desterrasses, les lunettes noires, les volutes, les bars d’hôtel, lesbains de mer et d’eau douce, la clandestinité aux yeux del’immonde.Nejamaiss’arrêter.

C’estcequenousavonsmisenœuvre,uneultimefois,auxMouettes.Nosdernièresbaignadessous le soleil. Il étaitmidi.LindsayLohan et les pineupes russes étaient absentes. Étoilesfilantes et fugueuses. Trois autres filles de l’Est ont fait leurapparition.Russes,Ukrainiennes,Lituaniennes?Ilfaudraitqueje relise les aventures deMalko Linge. Il était 13 h 30. Ellesparlaient fort, rigolaient, mimaient des scènes connues d’ellesseules.Ont enfilé leurmaillot sur la plage, se contorsionnant,relevant leur robe avec discrétion.Mission accomplie. Tu fais

Page 27: Adieu aux espadrilles

des émules : l’une d’elles bronzait seins nus. Elle portait unecasquette blanche.Ça lui donnait un air de joueuse de tennis.Minois enjôleur et jambes interminables. Il était 15 h 30. Labrindillebruneestrevenue.Elleentamesesvacancestandisquenous achevons les nôtres.Caraco noir et short en jean avaientremplacé la robe rouge. Elle ne portait ni ballerines niespadrilles,mais des tongs. Ses jolis pieds aux ongles ombrésd’un bleu turquoise. Elle bronzait, une cuisse légèrementremontée, en feuilletant unmagazinepeople. Tu trouvais cetteposition très érotique. Je ne pouvais qu’acquiescer. Elle avaitdénouécommehierleslacetsduhautdesonbikini.Counuetétoffe toujours en équilibre sur ses seinsmenus.Elle renouaitleslacetspoursebaigner.Avantquenousfilions,elleavaitsourienremontantseslunettesnoiresdanssescheveux.

Lesouriredanssesyeux;lesouriresurseslèvres.Ilenfautpeu pourmemettre en joie. Ta sensualité, une plage, la grâcelégèred’unebrindillebrune.Maisnosgorges se serraient.LesMouettes étaient derrière nous. Tu as voulu passer à laCapitainerie du port. Nos habitudes précieuses. Quel tempsferait-il demain?De lapluie,desorages, coupde froid sur lelac. Demain, nous partons. L’été s’en allait avec nous, avecl’échodetavoix:

–Ilfautcontinuer.Ladolcevita,lespetitsluxes,lesexe,leslèvreseffleurées,laquêtedusoleiletdesterrasses,leslunettesnoires, lesbarsd’hôtel, lesbainsd’eaudouce, la clandestinitéauxyeuxdel’immonde.Nejamaiss’arrêter.

C’estceque tum’asdit,auxCygnes, toutà l’heure.Notredînerd’amouretdemélancolie,arroséd’unpouillyfumé.L’airétaitencorechaud;levent,câlin.Tuportaistarobevertd’eauauxfinesbretelles,lesdessousdedentellesnoires,dessandales

Page 28: Adieu aux espadrilles

dontleslanièresenlaçaientteschevilles.Jen’enrevenaispasdetabeauté.Jemesuissouvenudetonapparition,dechacunedetesapparitions.NousavonsreparlédesMouettes,delabrindillebrune. J’ai oublié dans tes yeux la fin de l’été. Tu as prismamain,mêlétesdoigtsauxmiens.Onnousamenaitnosdesserts,descrêpes flambéesà l’orangeetauGrandMarnier.Tes lèvressesontrapprochées:

–Ellesétaientbelles,nosvacances.–Trèsbelles.–Unétédesoleil,deplaisirs,d’amourfou.–Unété,toutcourt.–Commeunechansondouce.–Commeunepetitemort.

Alorsquejeterejoinssousladouche,Notebookrefermé,jetiens ma fugue finale. Je ne suis pas mort, la corde au cou,commemononcle.Ni lagorge tranchéed’un tessonquerelleurmanié par une demoiselle cocaïnée. Pas plus d’un sevragemanqué au Val-de-Grâce, entre une beurette colérique, unemuette anorexique et un multirécidiviste des tentatives desuicide.J’aimieux.L’eauchaudesurnous,jemourraientretescuissesbronzéesdelaplusexquisedespetitesmorts:lesoufreaucœuretl’étédanslatête,déposantsurlapulpedeteslèvresunlongbaiser.Soufflecoupé.