acte de gouvernement

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Acte de gouvernement Si le Conseil d'Etat a progressivement soumis l'Administraon au droit depuis la fin du 19° siècle, il reste encore des domaines dans lesquels son controle ne s'aventure guère. Il en va, ainsi, des mesures d'ordre intérieur, parce que ces décisions sont de trop faible importance. Et, c'est aussi le cas des actes de gouvernement, cee fois-ci en raison de la nature polique des maères dans lesquelles ils sont pris. C’est cee dernière problémaque qui est en cause dans l'affaire qui nous est soumise. Ici, le comité naonal des interprofessions des vins à appellaon d'origine demande au Premier ministre et au ministre de l'agriculture de nofier, en vertu de la réglementaon européenne des aides d'Etat, à la Commission européenne le disposif prévu par l'arcle L 632 - 6 du code rural. Saisis de plusieurs demandes au cours de l'année 2005, les autorités gouvernementales gardent le silence. Ce sont les décisions nées de ce silence qui sont aaquées devant le Conseil d'Etat. Ce dernier statue en assemblée le 7 novembre 2008 en rejetant la requete du comité, mais non sans avoir relevé sa compétence pour statuer sur la décision aaquée. Cee affaire concerne la réglementaon européenne des aides d'Etat. Le traité instuant la communauté européenne prévoit qu'en cas de créaon de nouvelles aides, l'Etat concerné doit nofier le projet en cause à la Commission européenne pour que celle-ci analyse sa conformité au marché commun. La queson posée au Conseil d'Etat est de savoir si le refus d'une telle noficaon constue ou non un acte de gouvernement. Pour comprendre cee dernière noon, il faut remonter aux origines du droit administraf. Caractérisée à l'origine par le mobile polique, cee catégorie juridique se voit considérablement réduite en 1875 par l'abandon de ce fameux critère. Désormais, les actes de gouvernement sont uniquement les actes poliques en raison des maères dans lesquelles ils sont accomplis. Ils se rencontrent dans deux sphères : les rapports entre pouvoirs publics, et la conduite des relaons internaonales. Afin de diminuer le champ des actes non soumis à son contrôle, le juge administraf a été amené à disnguer les actes détachables des actes non détachables. Seuls les seconds sont des actes de gouvernement. Quant, aux premiers, l’on esme, s’agissant par exemple de la sphère internaonale, qu’ils sont plus tournés vers l’ordre interne que vers l’ordre internaonal. La parcularité de la décision qui

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Acte de gouvernement

Si le Conseil d'Etat a progressivement soumis l'Administration au droit depuis la fin du 19° siècle, il reste encore des domaines dans lesquels son controle ne s'aventure guère. Il en va, ainsi, des mesures d'ordre intérieur, parce que ces décisions sont de trop faible importance. Et, c'est aussi le cas des actes de gouvernement, cette fois-ci en raison de la nature politique des matières dans lesquelles ils sont pris. C’est cette dernière problématique qui est en cause dans l'affaire qui nous est soumise.

Ici, le comité national des interprofessions des vins à appellation d'origine demande au Premier ministre et au ministre de l'agriculture de notifier, envertu de la réglementation européenne des aides d'Etat, à la Commission européenne le dispositif prévu par l'article L 632 - 6 du code rural. Saisis de plusieurs demandes au cours de l'année 2005, les autorités gouvernementales gardent le silence. Ce sont les décisions nées de ce silence qui sont attaquées devant le Conseil d'Etat. Ce dernier statue en assemblée le 7 novembre 2008 en rejetant la requete du comité, mais nonsans avoir relevé sa compétence pour statuer sur la décision attaquée.

Cette affaire concerne la réglementation européenne des aides d'Etat. Le traité instituant la communauté européenne prévoit qu'en cas de création de nouvelles aides, l'Etat concerné doit notifier le projet en cause à la Commission européenne pour que celle-ci analyse sa conformité au marché commun. La question posée au Conseil d'Etat est de savoir si le refus d'une telle notification constitue ou non un acte de gouvernement. Pour comprendre cette dernière notion, il faut remonter aux origines du droit administratif. Caractérisée à l'origine par le mobile politique, cette catégorie juridique se voit considérablement réduite en 1875 par l'abandon de ce fameux critère. Désormais, les actes de gouvernement sont uniquement les actes politiques en raison des matières dans lesquelles ils sont accomplis. Ils se rencontrent dans deux sphères : les rapports entre pouvoirs publics, et la conduite des relations internationales. Afin de diminuer le champ des actes non soumis à son contrôle, le juge administratif a été amené à distinguer les actes détachables des actes non détachables. Seuls les seconds sont des actes de gouvernement. Quant, aux premiers, l’on estime, s’agissant par exemple de la sphère internationale, qu’ils sont plus tournés vers l’ordre interne que vers l’ordre international. La particularité de la décision qui

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nous occuppe est que, dans ses conclusions, Mr. Glaser considère que le refus de notification se détache tant des relations internationales de la France, que des rapports entre pouvoirs publics.

Il convient donc, dans une première partie, de tenter de définir ce que sont les actes de gouvernement (I), et, dans une seconde partie, de s’attacher à comprendre les motifs de la qualification retenue par le juge administratif en l’espèce (II).

I – Essai de définition des actes de Gouvernement

Comprendre cette catégorie d’actes juridiques implique d’en délimiter les contours (A), et d’en donner quelques illustrations (B)

A – La notion d’actes de Gouvernement

Il importe de définir les principes qui sous-tendent cette notion (1) et d’en fixer le régime juridique (2)

1 – Les principes

Les actes de Gouvernement correspondent aux actes des autorités administratives qui ne sont susceptibles d’aucun recours, tant devant les tribunaux administratifs que les tribunaux judiciaires. Entendue extensivement à la fin du dix-neuvième siècle, cette notion va voir son champ d’application se réduire de façon drastique.

Ainsi, au tout début du droit administratif, la théorie des actes de Gouvernement ne paraît pas anormale. Elle consiste à refuser tout recourscontre certains actes touchant à la « haute politique ». Ce qui caractérise l’acte de Gouvernement à cette époque est le mobile politique de l’acte. Par exemple, en 1822, le Conseil d’Etat qualifie de la sorte une décision duministre des finances au motif que, intéressant le statut de la famille

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Bonaparte, elle touche à une question relevant exclusivement du Gouvernement (CE, 1/05/1822, Laffite).Suite au bouleversement induits par la loi de 1872 opérant le passage de la justice retenue à la justice déléguée, le Conseil d’Etat abandonne le critère tiré du mobile politique (CE, 19/02/1875, Prince Napoléon). Désormais, au terme des analyses du professeur Chapus, les actes de Gouvernement sont ceux « qui apparaissent comme des actes politiques en raison des matières dans lesquelles ils sont accomplies ». Cette nouvelle définition réduit considérablement le domaine des actes du Gouvernement. Cette nouvelle définition substitue à un critère subjectif, l’intérêt politique, un critère objectif lié à la nature de la matière traitée.

Cette théorie se justifie par le souci d’éviter un gouvernement des juges. En effet, si le Conseil d’Etat acceptait de contrôler ce type d’acte, il serait conduit à substituer sa propre appréciation à celle de l’auteur de l’acte. D’un contrôle de légalité, l’on glisserait vers un contrôle d’opportunité.

Ces actes peuvent se ranger dans deux catégories : les actes qui se rattachent aux rapports entre les pouvoirs publics, et ceux qui se rattachent à la conduite des relations internationales de la France. Dans les deux cas, le régime juridique est le même.

2 – Le régime juridique

Les actes de Gouvernement bénéficient d’une totale immunité juridictionnelle, tant devant les juridictions administratives que devant les juridictions judiciaires. Elle se traduit dans les arrêts par différentes formules telles que « la requête doit être rejetée comme portée devant une juridiction incompétente », ou encore « la décision n’est pas détachable de la conduite des relations internationales ». Cette immunité s’explique par le fait que le juge ne souhaite pas interférer soit dans les rapports constitutionnels entre pouvoirs publics, soit dans la conduite des relations internationales de la France.

Cette immunité touche aussi bien le contentieux par voie d’action que celui par voie d’exception. Quant à celui de la responsabilité, les conséquences de l’acte de Gouvernement ne peuvent donner lieu à réparation. Il faut, cependant, noter qu’il est possible d’obtenir l’indemnisation des préjudices causés par une convention internationale (CE, ass., 30/03/1966, Cie. Générale d’énergie radio-électrique).

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Bien que cette catégorie existe au niveau communautaire, la conception française, qui est extensive par rapport à celle retenue par d’autres juridictions étrangères, peut donner lieu à des sanctions de la part de la Cour européenne des droits de l’homme.

Afin d’étendre son contrôle, le juge administratif a progressivement introduit la notion d’acte détachable. Il s’agit d’acte qui ont un lien avec lesrapports entre pouvoirs publics ou la conduite des relations internationales, mais ce lien n’est qu’indirect, lointain. Ces actes sont des actes administratifs soumis au contrôle du juge administratif. Il est possible d’en donner quelques illustrations.

B – Quelques illustrations significatives

Les actes de Gouvernement se subdivise en deux grandes catégories : les uns se rapportent aux rapports entre les pouvoirs publics (1), les autres se rattachent à la conduite des relations internationales (2).

1 – Les actes se rattachant aux rapports entre les pouvoirs publicsC’est d’abord le cas de nombre d’actes qui intéressent les rapports entre leGouvernement et le Parlement. A titre d’exemple, le Conseil d’Etat s’est déclaré incompétent pour connaître du décret du président de la République prononçant la dissolution de l’Assemblée nationale (CE, 20/02,1989, Alain), ou encore du décret de promulgation des lois (CE, 29/11/1968,Tallagran).

Les rapports d'ordre constitutionnel entre le président de la République etle gouvernement sont aussi le terrain d'élection des actes de Gouvernement. Ainsi, la décision du président de la République de modifier la composition du Gouvernement (CE, 29/12/1999, Lemaire).

Il en va de meme pour certains actes de l'exécutif dans ses rapports avec le Conseil constitutionnel. Ainsi, du refus du Premier Ministre d'invoquer l'urgence lors de l'examen d'une loi par le Conseil constitutionnel (CE, 9/10/2002, Meyet et Bouget), ou de la décision de nommer un membre du Conseil constitutionnel (CE, ass., 9/04/1999, Mme. Ba).

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Plus généralement, le juge administratif qualifie de la sorte la décision de mise en application de l’article 16 de la Constitution (CE, ass., 2/03/1962,Rubin de Servens).Afin d’accroître son contrôle, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de consacrer dans cette catégorie des actes détachables. C’est ainsi qu’il juge détachable des rapports entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif le décret par lequel le Premier ministre charge un parlementaire d’une mission auprès d’une administration (CE, sect., 25/09/1998, Mégret).

2 - Les actes se rattachant à la conduite des relations internationales de la France

Sont généralement qualifiés d’actes de Gouvernement, les actes préparatoires à la conclusion d’un traité, les mesures d’exécution ou encore de ratification. Il faut y rajouter les actes diplomatiques unilatérauxtels que l’envoi de diplomates ou le rappel d’ambassadeur.

Il est possible de citer la circulaire du ministre de l’éducation nationale relative à la coopération universitaire avec l’Irak et interdisant aux irakiens de s’inscrire dans les universités françaises (CE, 23/09/1992, GISTI et MRAPP), ou encore le vote du représentant français au sein d’une organisation internationale (CE, ass., 23/11/1984, Association Les Verts). De meme, la décision du président de la République de reprendre les essais nucléaires est un acte de gouvernement (CE, ass., 29/09/1995, Ass. Greenpeace).Quant aux actes détachables de la conduite des relations internationales, il est possible de citer la décision relative au permis de construire demandé par un Etat étranger pour construire une ambassade (CE, sect., 22/12/1978, Vo Thank Nghia). Il ne faut pas oublier une décision fondamentale par laquelle le Conseil d’Etat a admis la compétence du jugeadministratif pour apprécier la validité des dispositions d’un décret de ratification d’une convention internationale qui se détachent de cette convention (CE, 4/02/1926, Dame Caraco).

Les contours de la notion d’acte de Gouvernement étant maintenant précisés, il est possible d’en venir à la décision attaquée.

II – La décision de refus de notification à la Commission européenne n'est pas un acte de gouvernement

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Le Conseil d'Etat juge, en l'espèce, que la décision du Premier ministre refusant de notifier l'article L 632-6 du code rural à la Commission européenne au titre de la réglementation communautaire des aides d'Etatne constitue pas un acte de gouvernement. En effet, cette décision est détachable tant de la conduite des relations internationales de la France (A), que des relations du pouvoir exécutif et du Parlement (B).

A – La décision est détachable de la conduite des relations internationales de la France

Avant d'examiner les arguments soutenant cette thèse (2), il convient au préalable, d'examiner la réglementation européennes des aides d'Etat (1). En effet, comprendre cette réglementation est nécessaire pour détermineren quoi la décision du Premier ministre est détachable des relations internationales de la France.

1 – La réglementation européenne des aides d'Etat

D'une façon générale, les aides d'Etat sont prohibées par le traité instituant la Communauté européenne (art. 87, 88 et 89). Mais, certaines exceptions à ce principe sont prévues. Pour déterminer si une aide d'Etat est licite, le traité précité a donc mis en place une procédure qui confie un role majeur à la Commission européenne. Cette procédure distingue les aides existantes des nouvelles aides. S'agissant des premières, la Commission doit proposer à l'Etat concerné "les mesures utiles" en vue derégulariser la situation. En revanche, pour les aides nouvelles, l'Etat concerné est tenu de notifier le projet d'aide à la Commission, et ce avant son adoption. Cette procédure a pour but de permettre à la Commission de vérifier la compatibilité entre ce projet d'aide et le marché commun. Lamesure projetée ne peut etre mise en oeuvre avant que la Commission ne se soit prononcée. En cas d'incompatibilité, la Commission propose les mesures nécessaires pour la rendre compatible ou demande sa suppression.

L'appréciation de la compatibilité entre l'aide et le marché commun relèvedonc de la Commission européenne, sous le controle de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), alors que le controle du respect

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de l'obligation ne notification appartient au juge administratif. Lorsque le Conseil d'Etat est saisi, il doit donc vérifier si une mesure projetée peut etre qualifiée d'aide d'Etat et au besoin renvoyer une question préjudicielle à la CJCE. En cas de réponse affirmative à cette question, il lui appartient de vérifier si ce projet d'aide a bien eté notifié à la Commission.

C'est une décision de refus de notifier qui est attaquée en l'espèce. Pour que le Conseil d'Etat puisse déterminer si l'Etat avait l'obligation de notifier, encore faut-il qu'il s'estime compétent pour controler cette décision. L'on peut, à ce stade, prendre la première branche de l'alternative posée précédemment en démontrant que cette décision de refus de notifier est détachable des relations internationales de la France.

2 – Une mesure détachable des relations internationales de la France

Pour savoir si une mesure se détache ou non de la conduite des relations internationales de la France, il importe de déterminer si cette mesure est tournée vers l'ordre international ou vers l'ordre interne.

En l'espèce, la décision attaquée a un lien avec les relations internationales de la France puiqu'elle concerne les relations entre l'Etat français et le Commission européenne. Mais, au terme des conclusions de Mr. Glaser, commissaire du gouvernement, il semble que cette mesure soitplus tournée vers l'ordre interne. En effet, l'obligation de notification ne s'impose qu'à l'Etat français. De plus, comme nous l'avons dit plus haut, le controle de l'obligation de notification relève du juge administratif françaiset non des juridictions communautaires. Toutes ces condiérations montrent que la règle de la notification préalable met en cause des acteurs exclusivement français. Cette mesure semble donc tournée vers l'ordre interne.

La meme solution semble pouvoir etre retenue s'agissant du lien de la mesure attaquée avec les relations entre le pouvoir exécutif et le Parlement.

B- La décision est détachable des relations entre le pouvoir exécutif et le Parlement

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Il importe, au préalable, de démontrer en quoi cette mesure est détachable des relations entre l'exécutif et le Parlement (1), puis d'en venir à la solution retenue par le Conseil d'Etat en l'espèce (2).

1 – Les arguments en faveur du caractère détachable de la mesure

Deux arguements peuvent etre relevées. Pour déterminer, si un acte est ou non détachable des relations entre le pouvoir exécutif et le Parlement, il importe de dterminer la nature du lien entre l'acte en cause et l'activité législative. Ainsi, tous les actes qui "font participer intimement le pouvoir exécutif à la fonction législative" (Mr. Glaser) sont des actes de gouvernement. En d'autres termes, pour etre un acte de gouvernement l'acte doit avoir un effet direct sur la procédure législative. C'est le cas, par exemple, de la décision de promulguer une loi. Ce n'est pas le cas de la décision de refus de notifier. En effet, cette décision n'a aucune influence juridique sur une loi déjà votée ou en cours de discussion. L'annulation d'un tel refus n'aura qu'une incidence politique mais en aucun cas un caractère contraignant juridiquement sur le processus parlementaire.

Le second argument concerne l'obligation faite à la France de respecter ses engagements communautaires. On le sait, la France est tenue, en vertu du traité instituant la communauté européenne, de notifier les projets d'aide d'Etat à la Commission européenne. Qualifier une décision de refus de notifier d'acte de gouvernement conduirait le juge administratif à s'abstenir de sanctionner la méconnaissance du droit communautaire. C'est pour cela que le Conseil d'Etat juge que cette décision "se rattache à l'exerice par le Gouvernement d'un pouvoir qu'il détient seul aux fins d'assurer l'application du droit communautaire et le respect des exigences inhérentes à la hiérarchie des normes". La décision de refus de notifier n'est donc pas, meme lorsque l'acte à notifier est une loi, un acte gouvernement. Le juge administratif peut donc controler la légalité de ce refus de notifier. Quelle est sa décision ?

2 – La solution du 7 novembre 2008

Pour déterminer si le Premier ministre avait l'obligation de notifier à la Commission européenne, il faut déterminer si le texte dont la notification

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est demandée est relatif à une aide d'Etat. En effet, l'obligation de notification ne concerne que les aides d'Etat.

En l'espèce, le juge administratif considère que le le mécanisme institué par l'article L 632-6 du code rural n'institue pas une aide d'Etat. La question de l'exsitence d'une aide d'Etat ne peut se poser que s'agissant des arretés procédant à l'extension des accords interprofessionnels instituant des cotisations obligatoires. Et encore, il a lieu à apprécier si ces arretés instituent des aides d'Etat. L'obligation de notification ne s'imposerait que dans ce seul cas. La Haute juridiction juge l'affaire suffisamment simple pour ne pas poser une question préjudicielle à la CJCE s'agissant de la qualification d'aide d'Etat (voir II-A-1). Les décisions de refus de notifier à la Commission européenne sont donc bien légales. La requete du comité est donc rejetée.

Appilcation et euperiorité des directives arretphilipp moritz

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Dans le cadre de son action, l’Administration est soumise à un ensemble de règles que l’on appelle bloc de légalité. Composé principalement de la Constitution, de la loi et le jurisprudence au départ, ces règles se sont vues complétées par les normes du droit international. Si celui-ci se compose principalement des traités et accords internationaux, il faut aussi compter avec le droit communautaire dérivé qui correspond au droitédicté par les institutions européennes sur la base des traités communautaires. Au titre de cette dernière catégorie, l’on trouve principalement les règlements et les directives communautaires. C'est ce dernier type de règles qui est en cause dans l'affaire étudié.

En l’espèce, les sociétés Rothmans International France et Philipp Morris France demandent au Conseil d’Etat d’annuler les deux décisions implicites de rejet par lesquelles le ministre de l’économie a refusé de revaloriser le prix de vente du tabacs au 1° septembre 2003. Celui-ci fait droit à cette demande par un arrêt d’assemblée du 28 février 1992 au motif que ces deux décisions se basent sur des textes incompatibles avec la directive du 19 décembre 1972.

La solution retenue par le Conseil d’Etat appelle deux développements. Le premier concerne l’effet direct de la directive. En effet, à la différence des règlements les directives n'étaient pas, jusqu'à récemment, dotées de l’effet direct. Ainsi, la directive en cause, en l’espèce, ne devrait pas, en vertu de la jurisprudence Cohn-Bendit, s’imposer aux deux actes individuels attaqués. Il a, cependant, été admis par le Conseil d’Etat, la possibilité d’annuler un acte administratif individuel contraire à une directive dans le cas où cet acte se base sur une réglementation nationale elle-même contraire aux objectifs de la directive. Cette invocabilité de substitution de la directive trouve ici une nouvelle illustration puisqu’elle s’applique au cas de décisions individuelles prises sur le fondement d’un décret lui-même pris sur la base d’une loi. Par cet arrêt, le Conseil d’Etat reconnaît que, même non transposée, une directive s’impose pleinement aux différentes réglementations nationales qui, dès lors qu’elles ne sont pas compatibles avec les objectifs de la directive, ne peuvent plus servir de base légale aux actes administratifs individuels. Et, c’est là le deuxième apport de cet arrêt. En effet, le Conseil d’Etat poursuit l’œuvre, commencée en 1989, en matière de supériorité du droit international sur la loi française. Le juge administratif distinguait, en effet, par le passé, les lois antérieures des lois postérieures. Seules les premières étaient supérieures au droit international. Ce n’est qu’en 1989 avec l’arrêt Nicolo

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que le Conseil d’Etat a donné son plein effet à la règle de la supériorité destraités sur la loi française énoncée par l’article 55 de la Constitution. L’arrêtétudié est l’occasion pour le Conseil d’Etat de faire bénéficier de cette règle aux directives communautaires comme il l’a fait pour les règlements communautaires.

Il convient donc d’étudier, dans une première partie, l’applicabilité de la directive du 19 décembre 1972 (I), pour analyser dans une seconde partie la supériorité de ce texte sur les lois françaises (II).

I – L’applicabilité de la directive du 19 décembre 1972

L’applicabilité d’une directive présente des spécificités par rapport à celle des conventions internationales (A). En la matière, le point le plus important concerne la question de l’effet direct (B).

A – La spécificité de l’applicabilité de la directive

Il faut, au préalable, délimiter les conditions d’applicabilité se rapportant aux directives (1), et réserver la condition relative à l’effet direct.

1 – Les conditions générales d’applicabilité

Toutes les conditions d’applicabilité énumérée par l’article 55 de la Constitution ne trouvent pas à s’appliquer en matière de directive. Il y donc lieu de distinguer celles qui concernent seulement les conventions internationales de celles qui visent toutes les catégories d’actes de droit international.

Au titre des conditions ne concernant que les conventions internationales,figurent, d’abord, la ratification et la publication. Ces dernières impliquent que pour être applicables en France, une convention doit avoir été

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régulièrement ratifiée et publiée. Il s’agit, là, pour l’Etat de manifester son adhésion au texte international et de le faire connaître aux citoyens. Les directives étant des actes de droit international dérivé, ces conditions ne ‘appliquent pas à elles. En effet, c’est lors de la ratification des traités sur l’Union européenne que la France a manifesté son accord pour l’édiction de telles mesures. Quant à la publication, les directives sont publiées au journal officiel des communautés européennes.

La condition de réciprocité, qui stipule que, pour être applicables en France, les conventions internationales doivent être appliquées par l’autre partie, semble, elle-aussi, devoir être écartée. En effet, en signant les traités créant la catégorie des directives, l’Etat a donné son accord pour que de telles mesures soient prises à son encontre. De plus, il existe des mécanismes de sanction aux manquements aux traités sur l’Union européenne. Un Etat qui n’appliquerait pas une directive se verrait sanctionné par la cour de justice des communautés européennes (CJCE).

La seule condition trouvant à s’appliquer aux directives concerne l’interprétation. Il y a lieu de distinguer ici entre interprétation du droit international classique et interprétation du droit communautaire. S’agissant du premier, le Conseil d’Etat s’estime compétent pour interpréter les traités depuis 1990, alors qu’auparavant, il renvoyait la question au ministre des affaires étrangères et s’estimait lié par son avis (C.E., ass., 29/06/1990,GISTI). Ce revirement de jurisprudence est à mettreen relation avec la jurisprudence Nicolo. En effet, après avoir consacré la pleine supériorité des traités sur les lois françaises en 1989, le juge s’est engagé dans un mouvement jurisprudentiel visant à s’approprier tous les outils impliqués par ce contrôle. La contrariété entre un traité et une loi dépendant souvent du sens à donner au traité, le Conseil d’Etat s’est ainsi donné les moyens de rester maître de tous les leviers, ou presque, de la décision.

En matière de droit communautaire, en revanche, l’article 233 du traité d’Amsterdam impose un renvoi préjudiciel à la cour de justice des communautés européennes en cas de difficulté d’interprétation. Le Conseil d’Etat ne s’estime, cependant, obligé de suivre cette procédure que si deux conditions sont réunies. La première est que se pose une difficulté sérieuse sur le sens et la portée d’une disposition du droit communautaire. Il faut, ensuite, que l’issue du litige dépende de la résolution de ce problème. En l’espèce, ces questions n’ont pas eu à être tranchées, puisque la directive en cause a déjà fait l’objet d’une interprétation par la CJCE les 21 juin 1983 et 13 juillet 1988. Il suffit donc

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au Conseil d’Etat de s’y référer. Au terme de cette interprétation, les seules législations nationales permettant de limiter l’application du principe de liberté des prix en matière de tabac fixé par la directive sont les législations nationales, de caractère général, destinées à enrayer la hausse des prix.

Ces questions résolues, il est possible de passer à l’analyse du problème le plus important en matière d’applicabilité des directives

2 – L’absence initiale d’effet direct des directives

Cette expression mérite d’abord d’être définie. Ainsi, une convention internationale est dite d’effet direct si elle a une influence sur la situation juridique des administrés, en créant des droits ou des obligations à leur profit ou à leur charge. Ce n’est pas le cas le cas des conventions ne créantd’obligations qu’entre les Etats, et, surtout, des engagements trop vagues et généraux. Cette question pose beaucoup de problèmes s’agissant, notamment, de la convention des Nations-Unies relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990. La Cour de cassation lui dénie un effet direct (Civ. 1°, 10/03/1993), alors que la jurisprudence administrative distingue selon ses stipulations.

Mais, c’est en matière de directive que la question de l’effet direct a posé le plus de problème. En effet, le juge administratif considérait, jusqu'à récemment, que les directives n'étaient pas dotées de l'effet direct. Pour comprendre pourquoi, la directive n’avait pas d’effet direct, il faut rappelerson mécanisme. Celui-ci peut se résumer de la façon suivante : la directivefixe aux Etats qu’elle désigne un résultat à atteindre et l’Etat est tenu de réaliser cet objectif dans le délai imparti, mais il est libre de choisir les moyens qui lui semblent le plus appropriés (voie législative ou réglementaire). Ce qui doit retenir l’attention est que la directive ne concerne que les Etats, et non les administrés. Elles ne créent pas de droits et d’obligations à leur profit ou à leur charge. Elle ne peut donc avoir d’effet direct à leur égard, c’est-à-dire influencer leur situation juridique. Pour que les objectifs de la directive trouvent à s’appliquer concrètement aux individus, il faut que l’Etat transpose la directive, c’est-à-dire crée en droit interne les normes conformes aux objectifs de la directive ; et, ce sont ces normes qui s’appliqueront aux individus et qui pourront être invoquées par eux. En d’autres termes, la directive ne se

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suffit pas à elle-même. Elle a besoin d’une norme nationale de transposition pour pouvoir produire des effets.

Ainsi s’explique, l’impossibilité initiale d’obtenir de la part du juge administratif l’annulation d’un acte administratif individuel directement incompatible avec les objectifs de la directive (CE, ass., 22/12/1978, Cohn Bendit). Cette hypothèse vise aussi bien le cas où il y a bien une réglementation nationale de transposition mais elle n’est pas prise en compte par le requérant, que celle où il n’y a pas de réglementation nationale de transposition. Ce cas de figure est d’autant plus important que, très souvent, les Etats ne transposent pas les directives.

Pour en revenir à l’espèce, le recours est dirigé contre un acte administratif individuel. Il devrait donc être rejeté. Pourtant, le Conseil d’Etat n’invoque pas l’absence d’effet direct de la directive. En effet, des solutions de substitution ont été inventées par le juge administratif avant de procéder au revirement de 2009.

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B – L’effet direct de substitution de la directive du 19 décembre 1972

Il faut, en la matière distinguer, selon que le délai de transposition est ou non écoulé. Ainsi, lorsque le délai de transposition n’est pas expiré, l’Etat garde normalement sa liberté. Une jurisprudence a, cependant, reconnu, sous l’influence de la CJCE, qu’il lui est interdit de prendre des mesures de nature à compromettre sérieusement la réalisation du résultat prescrit parla directive durant cette période (CJCE, 18/12/1997, Inter-Environnement Wallonie ; C.E., 10/01/2001, France nature environnement). Dans l’hypothèse, où le délai de transposition est écoulé, il y a lieu de distinguerselon qu’est en cause un acte réglementaire (1) ou un acte administratif individuel (2).

1 – La contrariété entre une directive et un règlement

Ce qu’il faut retenir est que le Conseil d’Etat accepte d’écarter l’applicationdes lois et règlements qui sont contraires aux objectifs des directives même si elles ne sont pas transposées. Est, ainsi, consacrée une invocabilité de substitution. Tout d’abord, le juge sanctionne le refus

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d’abroger les dispositions réglementaires non compatibles avec ces objectifs. En d’autres termes, c’est une obligation d’abrogation qui se trouve consacrée (CE, Ass, 3/02/1989, Cie Alitalia). Pour la faire sanctionner, il suffit de saisir l’Administration d’une demande et de soumettre au juge administratif son éventuelle décision de refus.Le Conseil d’Etat interdit aussi d’édicter des règlements incompatibles avec les objectifs définis par la directive. Il peut s’agir de l’acte de transposition lui-même (CE, 28/09/1984, Confédération nationale des SPA)ou de tout autre acte réglementaire (CE, 7/12/1984, Fédération française des sociétés de protection de la nature). De plus, le pouvoir réglementaire ne doit pas édicter les mesures d’exécution d’une loi incompatible avec lesobjectifs d’une directive (CE, 24/02/1999, Association des patients de la médecine d’orientation anthroposophique).Il a été, aussi, admis que l’existence d’une disposition législative incompatible avec les objectifs d’une directive ne justifie pas le refus de prendre les mesures réglementaires conformes à la directive (CE, sect., 3/12/1999, Assoc. Ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire) . Dans cette affaire, les dates d’ouverture de la chasse avaient été fixées parla loi afin de contourner le droit communautaire. Ainsi, la censure juridictionnelle était évitée : constitutionnelle pour des raisons politiques, administrative du fait de l’absence de décision préalable. Les associations demandèrent, alors, au ministre de fixer ces dates, mais il refusa. C’est cet acte administratif qui est attaqué et le juge considère que les dispositions législatives en cause sont incompatibles avec les objectifs de la directive. Etant inapplicables, elles ne peuvent servir de fondement au refus du ministre. Ce dernier devait donc appliquer la directive en fixant des dates conformes à ses objectifs.

La jurisprudence en matière d’acte administratif individuel est tout aussi fournie.

2 – La contrariété entre une directive et un acte administratif individuel

Il faut d’abord rappeler la position initiale du Conseil d’Etat. Celui-ci refuse de sanctionner un acte administratif individuel directement contraire aux objectifs d’une directive. Cette position fit scandale à l’époque tant elle s’opposait à celle soutenue par la CJCE en vertu de laquelle une directive comprenant des dispositions « …inconditionnelles et suffisamment précises » peut être invoquée par les administrés après l’expiration du

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délai de transposition s’il n’y a pas eu de transposition (CJCE, 4/12/1974, Van Duyn c. Home Office). En d’autres termes, la CJCE reconnaît un effet direct à certaines directives. Cette jurisprudence est importante, car en pratique ces directives sont les plus nombreuses. Il y a une assimilation des directives aux règlements. En ne respectant pas la distinction établie par le traité de Rome, la CJCE augmente par là l’importance du droit communautaire.

La jurisprudence du Conseil d’Etat devait, cependant, connaître une remarquable évolution. Le principe qui la sous-tend est qu’un acte administratif individuel contraire aux objectifs d’une directive peut être annulé s’il prend pour base une réglementation nationale elle-même contraire aux objectifs de la directive. Ainsi, cette norme ne peut plus servir de fondement à la mesure individuelle contestée et c’est pour absence de base légale que l’acte individuel sera annulé.

Ces principes ont d’abord été appliqués au cas de mesures individuelles prises sur la base d’un règlement qui a transposé incorrectement une directive (CE, 8/07/1991, Palazzi). Mais, l’exception d’illégalité peut concerner n’importe quel autre règlement.

Le Conseil d’Etat a aussi admis, ce qui nous ramène à l’espèce, la possibilité d’obtenir l’annulation d’un acte administratif individuel pris sur la base d’un règlement lui-même pris sur la base d’une loi incompatible avec les objectifs d’une directive non transposée. Ainsi, les décisions implicites de rejet attaquées se basent sur le décret du 31 décembre 1976,mais ce décret a été pris sur le fondement de la loi du 24 mai 1976 qui est incompatible avec la directive du 19 décembre 1972. Elle ne peut donc servir de base légale au décret qui ne peut lui-même servir de fondement aux décisions attaquées.

Cette jurisprudence sera même appliquée à l’hypothèse où la norme nationale qui sert de fondement à l’acte individuel est une jurisprudence (CE, ass., 6/02/1998, Tête). Est, ainsi, admise l’exception d’illégalité tirée de l’incompatibilité d’un principe jurisprudentiel avec une directive.

Tous ces arrêts attestent que, si le principe de la jurisprudence Cohn-Bendit, était toujours maintenu en droit, il était, dans les faits, abandonné. En effet, le mécanisme de l’exception d’illégalité de la réglementation nationale en permettait un large contournement. C'est, ainsi que, récemment, le Conseil d'Etat a mis le droit en accord avec les faits en abandonnant formellement la jurisprudence Cohn-Bendit. En effet, celui-ci a jugé que les dispositions inconditionnelles et suffisamment

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précises d'une directive sont dotées de l'effet direct dès lors que l'Etat n'a pas procédé à leur tranposition dans les délais prévus (CE, 30/10/2009, Mme. P.)

Pour en revenir à l'affaire étudiée, c’est en reconnaissant à la directive du 19 décembre 1972 une invocabilité de substitution que le Conseil d’Etat annule les deux décisions attaquées. Mais, il ne faut pas oublier que cette décision est aussi le fruit de toute la jurisprudence en matière de supériorité du droit international sur la loi française.

II – La supériorité de la directive du 19 décembre 1972

Si la supériorité du droit communautaire sur les lois est évidente aujourd’hui, il n’en a pas toujours été ainsi. Le Conseil d’Etat distinguait, en effet, auparavant la situation des lois antérieures de celle des lois postérieures (A). Le célèbre revirement de jurisprudence de 1989 met fin à cette partition en donnant son plein effet à la règle de l’article 55 (B).

A – Un contrôle originellement partiel : la distinction loi antérieure / loi postérieure

La position tranchée du Conseil d’Etat (1) va susciter de vives réactions de la part des autres juridictions (2).

1 – L’absence de supériorité des traités sur la loi postérieure et contraire devant le Conseil d’Etat

A l’origine, le Conseil d’Etat faisait la distinction entre les lois antérieures et les lois postérieures. Concernant les lois antérieures aux conventions internationales, la solution est simple. Le juge administratif a toujours considéré que la norme internationale prime sur la loi française. S’il y a contradiction entre les deux textes, il fait prévaloir le traité et la loi est considérée comme abrogée.

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En revanche, dans le cas des lois postérieures et contraires aux traités, le Conseil d’Etat refusait de faire primer le traité au motif que cela revenait àopérer un contrôle de constitutionnalité des lois (CE, sect., 1°/03/1968,Syndicat général des fabricants de semoules de France). En effet, en adoptant une loi contraire à un traité déjà ratifié, le législateur viole, dans un premier temps, le traité ; mais, dans un second temps, il méconnaît la règle posée par l’article 55 de la Constitution instituant la supériorité des traités sur les lois. Dès lors, faire primer un traité sur une loi postérieure et contraire revient, selon lui, à sanctionner le non-respect par le législateur de l’article 55 de la Constitution, et donc à opérer un contrôle de constitutionnalité des lois même limité. Or, comme on le sait, dans cette hypothèse, il considère qu’il n’a pas ce pouvoir. Il juge donc quela loi fait écran entre le traité et l’acte administratif. Et, ce dernier n’est pasannulé.

Cette position va faire l’objet des critiques les plus vives de la part de la doctrine dans la mesure où c’est le traité qui, au premier chef, n’est pas respecté, la violation de la Constitution n’est qu’indirecte et limitée. Surtout, l’article 55 de la Constitution se voit privé d’une partie importantede son effet devant les juridictions administratives. Il y a, en effet, lieu selon la doctrine à distinguer contrôle de constitutionnalité et contrôle de conventionnalité.

2 – La distinction contrôle de constitutionnalité / contrôle de conventionnalité devant les autres juridictions

C’est le Conseil constitutionnel qui, dans sa célèbre décision IVG du 15 janvier 1975, va systématiser cette distinction en qualifiant le contrôle de constitutionnalité d’absolu et définitif et le contrôle de conventionnalité de relatif et contingent. Pour le comprendre, il suffit d’opposer chacun termes de l’équation.

Les termes absolu et relatif font référence au champ d’application de la loi et du traité. Une loi n’a à respecter un traité qu’à partir du moment où ellea le même champ d’application que lui. A partir du moment où le champ d’application diffère, la suprématie du traité ne s’applique plus et la loi n’a plus à le respecter. Il faut donc vérifier pour chaque espèce l’identité ou la différence de champ d’application, chose que ne peut pas faire le Conseil constitutionnel qui juge l’affaire de façon abstraite et non par rapport à un cas particulier.

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Les termes définitif et contingent ont trait à la condition de réciprocité. Ici aussi, une loi ne doit respecter un traité que si l’autre partie applique le traité. A partir du moment où l’autre partie ne l’applique plus, le législateur est délié du respect qu’il lui doit. La suprématie des traités est donc variable dans le temps, ce qui nécessite un contrôle en continu. Or, le contrôle opéré par le Conseil constitutionnel est a priori : il intervient une fois pour toute avant la promulgation de la loi et sa décision est définitive.

Le contrôle de conventionnalité doit donc tenir compte d’éléments très variables, et doit être opéré au cas par cas, litige par litige, chose que ne peuvent faire que les juridictions ordinaires, tant administratives que judiciaires. Ce sont elles qui jugent les cas d’espèce. Elles peuvent adapter leurs décisions au rapport hiérarchique existant entre le traité et la loi dans l’affaire considérée. Alors que le Conseil constitutionnel, du fait de sa position dans la procédure de contrôle, ne le peut pas. Celui-ci refuse donc d’opérer ce contrôle et en renvoie la charge aux juridictions ordinaires.

La Cour de cassation décide, la même année, de suivre la voie tracée par le Conseil constitutionnel (C.Cass., 24/05/1975, Société des cafés Jacques Vabre). En revanche, le Conseil d’Etat continue dans son attitude de refus quatre ans plus tard (C.E., ass., 22/10/1979, UDT). Il lui faudra ainsi encoredix ans pour appliquer de façon totale l’article 55 de la Constitution.

B – Un contrôle pleinement établi aujourd’hui : la supériorité de la directive sur les lois mêmes postérieures

C’est par un arrêt majeur en droit administratif que le conseil d’Etat fait primer, pour la première fois, un traité sur une loi postérieure (1). Désormais, toutes les lois doivent être compatibles avec les traités. Cette jurisprudence sera, par la suite, étendue au droit communautaire dérivé (2).

1 – Le revirement de jurisprudence de 1989 : l’arrêt Nicolo

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Ce revirement de jurisprudence a été fortement encouragé. La position duConseil d’Etat devenait, en effet, intenable. N’importe quel tribunal d’instance se reconnaissait le pouvoir d’écarter l’application d’une loi postérieure et contraire à un traité, quand la plus haute juridiction de l’ordre administratif se refusait à le faire. De plus, les juridictions internationales (Cour de justice des communautés européennes, Cour européenne des droits de l’homme) pouvaient sanctionner ces mêmes lois, et par la même sanctionner l’attitude du conseil d’Etat.

Il faudra donc attendre son arrêt d’assemblée du 20 octobre 1989 pour que le Conseil d’Etat fasse primer un traité sur une loi postérieure, et n’applique ainsi plus la théorie de la loi-écran. Dans cette affaire, le juge n’applique ainsi les lois en cause qu’après avoir relevé qu’elles ne sont pas incompatibles avec le traité de Rome. Désormais, lorsqu’une loi postérieure est contraire à un traité, le juge administratif en écarte l’application. L’acte administratif se retrouve alors directement contraire au traité et peut donc être annulé.

Il faut ici insister sur le fait que la loi postérieure n’est pas annulée, elle estjuste écartée de l’affaire. Si l’autre partie n’applique plus le traité en question par exemple, la loi pourra à nouveau s’appliquer. C’est pour cela que le contrôle du Conseil d’Etat (ou de la Cour de cassation d’ailleurs) estplus adapté que celui du Conseil constitutionnel.

Il faut pour terminer faire une remarque s’agissant de la nature du contrôle opéré par le Conseil d’Etat en matière de supériorité des traités sur les lois. Celui-ci est, en effet, un contrôle relativement souple. Ainsi, le juge ne pose-t-il qu’une simple exigence de compatibilité et non de conformité, le rapport de conformité étant beaucoup plus strict. De plus, le juge note parfois, comme en l’espèce, que les lois « ne sont pas incompatibles » et non qu’elles sont compatibles, ce qui, là encore, traduitune certaine souplesse dans l’appréciation de la contrariété entre une loi et un traité. Dans le même sens, le Conseil d’Etat relève que les lois ne sont pas incompatibles avec les traités « dans leur ensemble ». Il ne faut pas voir ici de rapport avec la nature de la question posée, en l’espèce, au juge, mais bien plutôt un trait général du contrôle de conventionnalité. Ainsi, si la supériorité des traités internationaux sur la loi française est aujourd’hui totale, le Conseil d’Etat garde une grande liberté d’appréciation dans sa mise en oeuvre. Une façon peut-être pour lui de ne pas se montrer trop révérencieux face au droit international.

Cette jurisprudence va faire l’objet de multiples applications.

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2 – L’extension au droit communautaire dérivé

La jurisprudence Nicolo va, rapidement, être étendue au droit communautaire dérivé, à savoir les règlements (C.E., 24/09/1990, Boisdet)et les directives communautaires, avec l’arrêt étudié en l’espèce. Ainsi, la loi du 24 mai 1976 est jugée incompatible avec la directive du 19 décembre 1972 au motif qu’elle prévoit des possibilités de fixation de prix de vente du tabac non prévues par la directive. En effet, au terme de la directive les seules législations nationales à pouvoir limiter ses effets sont les législations, de caractère général, destinées à enrayer la hausse des prix. Or, la loi de 1976 confère au gouvernement un pouvoir spécifique de fixation du prix des tabacs importés, indépendamment de la législation nationale sur le contrôle du niveau des prix. Cette contrariété entache le décret du 31 décembre 1976 et les décisions implicites de rejet.D’un point de vue plus général, si l’on peut comprendre la jurisprudence Nicolo, il est possible, en revanche, d’émettre des réserves s’agissant de ces derniers arrêts. En effet, il s’agit ici pour le juge de faire primer des règles adoptées par quelques personnes, les exécutifs nationaux et l’exécutif communautaire, sur des textes adoptés par les parlements nationaux. Or, une chose est de faire primer un traité, souvent adopté par la représentation nationale d’ailleurs, sur une loi, autre chose est de faire prévaloir un simple règlement communautaire sur la norme par laquelle s’exprime la volonté générale. Le juge ira d’ailleurs jusqu’à consacrer la suprématie des principes généraux du droit communautaires, dégagés par la Cour de justice des communautés européennes, sur les lois, qu’elles soient antérieures ou postérieures (CE, 3/12/2001, Synd. nat. de l’industrie pharmaceutique). Ainsi une simple jurisprudence communautaire prime désormais sur la loi française. Il faut cependant noter que ces extensions de la jurisprudence Nicolo concernent l’ordre juridique communautaire qui est un ordre juridique spécifique et fortement intégré. Les solutions ne sont pas les mêmes s’agissant du droit dérivé des autres institutions internationales.

De fait, après avoir été connu pour ses positions peu favorables au droit international, le Conseil d’Etat se découvre fervent défenseur de la suprématie du droit communautaire sur la loi nationale. Il garde, cependant, une grande liberté d’appréciation lorsqu’il s’agit de mettre en application cette règle.

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Le controle de constitutionnalité des normes internestransposant des directives (CE, 8/02/2007, Société

Arcelor Atlantique et Lorraine)Sommaire

Début

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II - Le controle de constitutionnalité des normes internes transposant des directives

Longtemps, la question de la place du droit international au sein de l’ordrejuridique français aura suscité de nombreux débats. Si l’article 55 de la Constitution donne aux conventions internationales une autorité supérieure à celles des lois, il faut, cependant, attendre 1989 et le célèbre arrêt Nicolo pour que cette supériorité s’applique à toutes les lois. Quant àla question de la place de ces engagements vis-àvis du texte constitutionnel, il pouvait y avoir lieu à débats. Toutes les incertitudes ont,cependant, été levées par le Conseil d’Etat en 1998 lorsqu’il a affirmé la suprématie de la Constitution sur les engagements internationaux. L’arrêt qu’il nous est donné de commenter vient compléter cette jurisprudence.

Cette affaire met en cause, comme bien souvent de nos jours, une directive communautaire, et plus précisément celle du 13 octobre 2003 relative aux quotas d’émission de gaz à effet de serre. Cette dernière est transposé par une ordonnance du 15 avril 2004, dont les modalités d’application sont fixées par le décret du 19 août 2004. Ce dernier rend applicables les règles qu’il édicte aux installations du secteur sidérurgique.Affectée par cette extension, la société Arcelor Atlantique et Lorraine demande l’abrogation de son article 1° au président de la République, au Premier ministre, au ministre de l’écologie et du développement durable, ainsi qu’au ministre délégué à l’industrie. Aucune de ces autorités ne répondra, cependant, à la demande. Ce sont les décisions de rejet nées dusilence gardé par ces autorités qui sont attaqués par la société, cette dernière demandant en plus l’abrogation du fameux article 1°. La solution rendue par l’assemblée du contentieux du Conseil d’Etat le 8 février 2007 laisse en suspend la solution de fond, puisqu’un renvoi préjudiciel est opéré devant la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), mais elle vient compléter, sur le plan des principes, la jurisprudence du Conseil d’Etat relative à la place de la Constitution au sein de l’ordre juridique français.

C’est, ainsi, que le considérant de principe de l’arrêt étudié reprend presque mot pour mot les termes de l’arrêt Sarran. Il y est réaffirmé la suprématie du texte constitutionnel sur les dispositions conventionnelles, la supériorité conférée à ces dernières ne s’appliquant qu’aux dispositionslégislatives. Si cette solution fit l’objet de critiques, notamment de la part des spécialistes du droit international, elle a pour elle de solide fondements juridiques qui trouvent leur source dans le texte constitutionnel lui-même. La décision rendue par le Conseil d’Etat s’inscrit

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aussi dans la lignée de la décision du Conseil constitutionnel de 2004 par laquelle la Haute juridiction a jugé ne pas pouvoir statuer sur la constitutionnalité d’une loi qui ne ferait que transposer une directive. La solution retenue par le Conseil d’Etat se veut proche et en même temps plus précise que celle du juge constitutionnel. En effet, les rapports entre Constitution et directives communautaires y sont beaucoup plus approfondis que dans la décision de 2004. C’est, ainsi, que le juge administratif considère que lorsqu’il a à statuer sur la constitutionnalité d’un décret ne faisant que transposer une directive, il ne peut apprécier la validité de la directive, l’affaire le conduisant logiquement à cela, qu’au regard d’un règle communautaire apportant une protection équivalente à celle des dispositions constitutionnelles. En revanche, lorsqu’il n’existe aucun équivalent communautaire, la Constitution retrouve toute sa place. Par cette décision, le Conseil d’Etat parvient à concilier tant la suprématie de la Constitution que le respect du à l’exigence de transposition des directives.

Il faut, enfin préciser que l’attention sera retenue par les questions énoncées précédemment, puisque ce sont elles qui produisent le plus de nouveauté. Il n’y a, ainsi, pas lieu de s’arrêter sur la jurisprudence relative à l’obligation d’abroger, sur l’absence d’erreur manifeste d’appréciation ainsi que sur l’absence de violation du principe de sécurité juridique, ces questions étant fort connues.

Il convient donc d’étudier, dans une première partie, la réaffirmation de la suprématie de la Constitution sur les dispositions conventionnelles (I), et d’analyser, dans une seconde partie, le contrôle de constitutionnalité des normes internes transposant des directives (II).

I – La réaffirmation de la suprématie de la Constitution sur les dispositions conventionnelles

La décision du 8 février 2007 est l’occasion pour le juge administratif de réaffirmer la suprématie des dispositions constitutionnelles sur les engagements internationaux. Cette solution s’appuie sur des dispositions du texte constitutionnel lui-même (A), et s’inscrit dans la lignée de la jurisprudence du Conseil d’Etat (B).

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A – Les fondements textuels

Deux articles de la Constitution permettent d’appuyer la solution réitérée par le Conseil d’Etat en l’espèce. Le premier affirme indirectement la supériorité de la Constitution sur les dispositions conventionnelles (1), tandis que le second positionne explicitement ces dernières au sein de la hiérarchie juridique française (2).

1 – L’article 54 de la Constitution

Cet article concerne le contrôle préventif dont peuvent faire l’objet les conventions internationales avant leur ratification. Ce faisant, est affirmée implicitement la suprématie de la Constitution sur les engagements internationaux.

Concrètement, cet article donne le pouvoir au président de la République, au Premier ministre, ou à soixante députés ou soixante sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel afin qu’il se prononce sur la conformité à la Constitution de l’engagement international. Deux situations peuvent se présenter. L’engagement international est conforme au texte constitutionnel, dans ce cas, il peut être procédé à sa ratification. Ou, alors, le juge constitutionnel relève une contrariété entre les deux textes. Dans cette dernière hypothèse, l’engagement international ne peut être ratifié qu’après une révision de la Constitution. Ainsi, soit il est procédé à une telle révision, soit l’engagement n’est pas ratifié.

Il est possible de déduire de cet article la supériorité des dispositions constitutionnelles sur celles des engagements internationaux. En effet, dans la mesure où le texte international ne peut pas être ratifié s’il est contraire à la Constitution, cela signifie indirectement que c’est cette dernière qui prime. Il est vrai que la plupart du temps, en pareille hypothèse, la Constitution sera révisée afin d’introduire dans l’ordre interne l’engagement international. Cette considération a fait dire à certains que, dans les faits, c’est la Constitution qui s’incline devant l’engagement international, puisque c’est son contenu qui doit s’adapter. Mais, il faut relever que, en droit pur, rien n’impose de réviser la Constitution. Ce choix relève d’une appréciation qui reste politique. En

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d’autres termes, juridiquement, c’est la Constitution qui prime sur l’engagement international.

Cette position se trouve renforcée par un autre article constitutionnel, sur lequel, cette fois, le Conseil d’Etat appuie sa décision.

2 – L’article 55 de la Constitution

Cet article fait l’objet d’un renvoi explicite dans la décision commentée, ainsi d’ailleurs que dans le célèbre arrêt Sarran (voir I-B). Au terme de cet article, « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, un autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ». Cet article est le seul du texte constitutionnel à faire mention de la valeur à accorder aux engagements internationaux. Dans la mesure où il ne vise que les lois, le Conseil d’Etat en déduit que la supériorité des engagements internationaux ne concernent que les dispositions législatives et non les dispositions constitutionnelles. Eu égard au caractère express de cet article, si le pouvoir constituant avait voulu accorder aux engagements internationaux une valeur supérieure à celle de la Constitution, il l’aurait mentionné.

Il est vrai que l’alinéa 13 du préambule de la Constitution de 1946, auquel renvoi l’introduction du texte constitutionnel de 1958, stipule que « sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la paix ». Mais, rien n’est dit sur la position du droit international vis-à-vis du texte constitutionnel. L’indication de l’article 55 garde, alors, toute sa valeur.

C’est de cet article que le juge administratif a déduit la position de principe qu’il renouvelle en l’espèce.

B – Les solutions jurisprudentielles

La suprématie de la constitution est d’abord affirmée de façon implicite en 1996 (1). Elle fera deux ans plus tard l’objet d’une consécration explicite (2). C’est cette solution que le Conseil d’Etat réitère en l’espèce.

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1 – Le précédent : l’arrêt Koné C’est à l’occasion d’une affaire portant sur l’extradition d’un étranger demandé dans un but politique que le Conseil d’Etat affirme, pour la première fois, la suprématie de la Constitution sur les engagements internationaux (CE, ass., 3/07/1996, Mr. Koné). Mais, il ne s’agissait que d’une consécration implicite. Concrètement, le Conseil d’Etat interprète l’accord franco-malien à l’aune d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République (PFRLR). Mais, sous couvert d’interprétation, c’est bien une confrontation qui est opérée. En effet, il considère, ainsi, que la disposition de l’accord selon laquelle l’extradition ne sera pas exécutée si l’infraction pour laquelle elle est demandée est considéré par la partie requise comme une infraction politique ou une infraction connexe à une telle infraction, doit être interprété à l’aune du nouveau PFRLR. Ainsi, si l’accord en question ne prévoit pas l’interdiction d’extrader un étranger dans un but politique, il faut, quand même, considérer que ce silence ne limite pas les possibilités de refus d’extradition de la France. En d’autres termes, en semblant interpréter l’accord conformément au principe, le Conseil d’Etat lui substitue, en fait, la nouvelle norme constitutionnelle elle-même.

Par cette solution, le Conseil d’Etat affirme indirectement la supériorité dela norme constitutionnelle sur la norme internationale. En effet, substituerla solution telle qu’elle résulte de la Constitution à celle résultant de la norme internationale revient à faire primer la première sur la seconde. Cette solution fera l’objet d’une consécration explicite deux ans plus tard.

2 – La consécration : l’arrêt Sarran

C’est à l’occasion d’une affaire portant sur un référendum en Nouvelle-Calédonie que le Conseil d’Etat consacre pleinement la supériorité, dans l’ordre interne, de la Constitution sur les engagements internationaux (CE, sect., 30/10/1998, Sarran). Dans cette affaire, était en cause la légalité d’un décret au motif d’une contrariété avec divers engagements internationaux. Mais, dans la mesure où le décret faisait une exacte application de la Constitution, cela revenait à se placer au niveau des rapports entre la Constitution et les traités. Si le Conseil d’Etat avait annuler le décret pour ce motif, il aurait par la même dit que la Constitution était contraire aux normes internationales. Il aurait donc fait primer ces dernières sur la Constitution.

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Ce n’est pas cette position que prend le Conseil d’Etat. Il considère que dans le cas où un acte administratif contrevient à un traité, tout en faisant une exacte application de la Constitution, cet acte administratif n’est pas annulé. Sinon, cela reviendrait à faire primer le traité sur la Constitution. Ce faisant, il affirme pleinement le principe de la supériorité de la Constitution sur les engagements internationaux dans l’ordre interne. Ce faisant, une disposition réglementaire qui reprend une disposition constitutionnelle se voit affecté d’une immunité contentieuse.

La Cour de cassation prendra la même position deux ans plus tard, en réservant, il est vrai, le cas des traités communautaires (C.Cass., 2/06/2000, Fraisse).

Ces deux arrêts vont à l’encontre de la position de la Cour de justice des communautés européennes pour qui le droit communautaire doit l’emporter sur toutes les normes nationales, fussent-elles constitutionnelles (CJCE, 15/07/1964, Costa c/ ENEL).

La solution de 1998 est reprise, presque à l’identique, par le Conseil d’Etat dans sa décision du 8 février 2007. Cette dernière est aussi porteuse de précision quant à l’attitude que doit adopter le juge national à l’égard de latransposition des directives.

II – Le contrôle de constitutionnalité des normes internes transposant des directives

En moins de trois ans deux décision sont venus expliciter l’attitude du juge national à l’égard de la transposition des directives. L’une émane du juge constitutionnel (A), l’autre du juge administratif (B). C’est cette dernière qui fait l’objet de cette analyse.

A – La position du juge constitutionnel

Il convient de rappeler les principes qui la sous-tendent (1), et d’en dégager la signification (2).

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1 – Les principes

A l’occasion de sa décision du 10 juin 2004 relative à la loi sur l’économie numérique et la diffusion sur internet, le Conseil constitutionnel est amené à préciser la position qui doit être la sienne à l’égard d’une loi qui ne ferait que transposer une directive. Le principe est le suivant : le Conseil indique qu’il s’interdit de censurer une loi qui ne ferait que transposer une directive communautaire en droit interne. Ce faisant, la Haute juridiction affirme son incapacité à statuer sur la compatibilité d’une directive européenne avec la Constitution française. En effet, vérifier la constitutionnalité d'une loi qui ne serait que le décalque d'une directive européenne, reviendrait pour le Conseil à statuer sur la directive elle-même au regard de la Constitution. Or, le Conseil constitutionnel considère que la transposition d’un directive communautaire en droit interne résulte d’une exigence constitutionnelle inscrite à l’article 88-1 de la Constitution. Il ne peut y être fait obstacle qu’en raison d’une disposition expresse contraire de la Constitution. Cela fait référence aux dispositions spécifiques de notre Constitution qui ne se retrouve pas à l’échelon communautaire, telle que l’article 6 de la Déclaration de 1789 ausujet des critères d’accès aux emplois publics. Dans cette hypothèse, c’est la Constitution française qui retrouve application.

Cette solution connaît, cependant, des limites. Elle ne concerne que les lois qui « se bornent à tirer toutes les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises ». Ce choix s’avère logique dans la mesure où si la directive laisse plusieurs options possibles à l’autorité nationale, il y lieu à contrôler la constitutionnalité du choix effectué. L’appréciation du degré de précision de la directive soulève, cependant, des difficultés pratiques. Ainsi, les directives font souvent l’objet de multiples considérants qui viennent compléter ses articles de fond. Il est souvent fait référence à d’autres directives. Le choix de faire ou non jouer cette limite peut donc s’avérer difficile. Il faut rajouter que certaines directives peuvent être mixtes et contenir des dispositions qui sont tantôt précises et inconditionnelles, tantôt non. Le juge constitutionnel devra, alors, faire preuve d’une grande virtuosité dans son contrôle.

Cette solution a été précisée récemment (CC, 27/07/2006, Loi sur les droits d’auteur). Tirant les conséquences de la décision de 2004, le Conseilconstitutionnel a admis qu’il pouvait censurer une loi de transposition ne respectant pas une directive. Cette jurisprudence a fait l'objet d'une application positive quelques mois plus tard (CC, 30/11/2006, Loi relative au secteur de l'énergie). Confronté à un tel cas de figure, le loi

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n’échapperait à la censure du Conseil constitutionnel que dans le cas ou les objectifs de la directive seraient contraires à l’identité constitutionnelle de la Fance, le Conseil constitutionnel faisant ici référence à la notion de disposition expresse de la Constitution contenu dans la décision de 2004.

Quelle est la signification de cette jurisprudence ?

2 – La signification de la décision

Cette décision donne des indications tant sur la valeur que le juge constitutionnel accorde au droit communautaire dérivé, que sur la place qu’il entend lui accorder.

Cette décision semble, au premier abord, faire primer la directive sur la Constitution française. En effet, en jugeant qu’il ne peut statuer sur la compatibilité avec la Constitution d’une loi qui ne ferait que transposer une directive, le Conseil constitutionnel fait passer l’application de la directive avant celle de la Constitution française. Ce faisant, il affirme, d’une certaine façon, la primauté des normes communautaires sur la norme constitutionnelle. Mais, comme le note le Conseil constitutionnel lui-même, la transposition résulte d’une exigence constitutionnelle. En d’autres termes, la suprématie ainsi acquise tire sa source de la Constitution elle-même. Dès lors, le principe général selon lequel la Constitution est la norme suprême ne souffre q’une exception qui tire sa source du texte constitutionnel lui-même. Cette considération conduit à relativiser la portée de la décision du Conseil constitutionnel sur ce point. Ce constat est renforcé par le fait que la directive perd son effet dès lors qu’elle entre en confrontation avec une disposition expresse de la Constitution. Ainsi, si la Constitution admet une exception à sa suprématie, l’exception connaît elle-même une exception qui replace le texte constitutionnel au sommet de la hiérarchie juridique.

La décision revêt également une importance quant à la place qu’accorde lejuge constitutionnel au doit communautaire. Dans sa décision, le Haute juridiction note « qu’il n’appartient qu’au juge communautaire … de contrôler le respect par une directive communautaire tant des compétences définies par les traités que des droits fondamentaux garantispar l’article 6 du traité sur l’Union européenne ». Au-delà de ce rappel de son incompétence à statuer sur la validité d’une directive, le juge

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constitutionnel français semble bien s’être situé, par avance, dans la lignéede la solution retenue par le Conseil d’Etat. En effet, en posant que seule une disposition expresse et spécifique de la Constitution peut faire obstacle à l’absence de contrôle de la loi de transposition, le Conseil semble indiquer qu’il n’entend pas faire porter son contrôle sur des exigences touchant à la protection des droits et des libertés constitutionnellement garantis qui ont leur équivalent en droit communautaire. En d’autres termes, chaque fois qu’un principe fait déjà l’objet d’un protection au niveau communautaire, c’est à l’aune de cet ordre juridique qu’il faut juger la loi de transposition ou la directive. Ce choix est déterminant puisque c’est le juge communautaire qui interprète en dernier ressort le droit communautaire. En revanche, lorsqu’il n’existe pas d’équivalent communautaire, la Constitution retrouve pleine application et le juge constitutionnel récupère la plénitude de son contrôle.

Cette solution a aussi été choisi par la Cour constitutionnelle allemande. Ainsi, cette dernière substitue le contrôle opéré par le juge communautaire en matière de droit fondamentaux à son contrôle de constitutionalité. Concrètement, tant que le contrôle communautaire permet d’assurer la garantie des droits fondamentaux, elle estime qu’il n’y a pas lieu pour elle de rechercher si un acte de droit dérivé méconnaît les droits garantis par la Constitution allemande.

C’est une démarche identique que choisit le juge administratif en l’espèce.

B- La position du juge administratif

Il convient, comme il y quelques lignes, de préciser les principes posés par cet arrêt (1), et d’en dégager la signification (2).

1 – Les principes

Le Conseil d’Etat rappelle, dans un premier temps, l’exigence constitutionnelle de transposition qui découle de l’article 88-1 de la Constitution, puis, limite sa jurisprudence au cas des directives inconditionnelle et écarte le cas du contrôle des règles de compétence et de procédure. Il faut ici préciser que c'est sur ce fondement que

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récemment le juge administratif a abandonné la jurisprudence Cohn-Bednit en reconnaissant un effet direct aux dispositions inconditionnelles et suffisamment précises d'une directive dès lors que l'Etat n'a pas procédé à leur transposition dans les délais prévus (CE, 30/10/2009, Mme P.). La notion de directives inconditionnelles et suffisamment précises étant meme reprise.

Ces précisions étant faites, le juge administratif énonce que « le contrôle de constitutionnalité des actes réglementaires assurant directement cette transposition est appelé à s’exercer selon des modalités particulières ».

L’exposé des ces modalités de contrôle appelle certaines explications. Lorsqu’un requérant invoque la violation par un règlement transposant une directive inconditionnelle et suffisamment précise d’une disposition constitutionnelle, cela revient à apprécier le respect par cette directive de la disposition constitutionnelle. Dans cette hypothèse, le juge doit rechercher s’il existe au niveau communautaire une règle équivalente, telle qu’interprétée par la CJCE, permettant d’assurer la même protection que la disposition constitutionnelle. Il doit, pour cela, se baser sur l’interprétation faite des traités par le juge communautaire. Dans l’affirmative, il doit se demander si la directive transposée respecte cette règle communautaire, ce contrôle étant substitué au contrôle de constitutionnalité du décret de transposition. En effet, soutenir que le décret est contraire à la Constitution revient à soutenir que la directive estelle-même contraire au droit communautaire. Le Conseil d’Etat ne fait quesubstituer au contrôle de constitutionnalité du décret un contrôle de la directive à l’aune du droit communautaire.

Ici, deux alternatives sont possibles. Soit, l’affaire ne présente pas de difficulté sérieuse, et le moyen peut être facilement écarté. Soit, elle présente des difficultés et il y a lieu de surseoir à statuer et de renvoyer l’affaire devant la CJCE. Son appréciation de la validité de la directive au regard de la règle communautaire commandera, alors, l’issue du litige portant sur la constitutionnalité de l’acte réglementaire de transposition. Ainsi, dans la mesure où contrôler la constitutionnalité d’un acte de transposition revient à apprécier la constitutionnalité de la directive elle-même, le Conseil d’Etat préfère substituer, pour juger de la validité de la directive, une norme communautaire à une norme constitutionnelle. Par exemple, en l’espèce, les requérants soutiennent que seraient méconnus la droit de propriété et la liberté d’entreprendre. Le juge constate que ces droits constitutionnellement garantis font l’objet d’une protection identique au niveau communautaire, et estime, aucune difficulté sérieuse

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ne se posant, que l’inclusion des entreprises du secteur sidérurgique dans le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre n’est pas contraires aux principes généraux du droit communautaire. Ce constata pour conséquence que la constitutionnalité du décret ne peut plus être mise en cause sur cette base là. S’agissant, ensuite, de la violation du principe d’égalité, le Conseil d’Etat juge qu’il y a un équivalent communautaire, mais décide d’émettre une question préjudicielle à la CJCE eu égard à la difficulté de cette question.

En revanche, dans le cas où il n’existe pas d’équivalent en droit communautaire, la Constitution retrouve toute sa place. Et, l’acte réglementaire de transposition doit être apprécié directement au regard de la Constitution.

Que faut-il penser de cette solution au regard des rapports entre droit communautaire dérivé et Constitution ?

2 – La signification de la décision

Le Conseil d’Etat semble avoir réussi à concilier la suprématie de la Constitution avec le respect dû au droit communautaire, et notamment l’exigence de transposition des directives. En effet, cette solution permet d’assurer une coexistence harmonieuse des deux ordres juridiques en effaçant l’obstacle tiré de l’opposition entre directive et Constitution. Ainsi,dans la mesure où la directive est jugée à l’aune d’une règle communautaire, la primauté de ce dernier n’est pas mise en question. Mais, dans le même temps, le respect de la Constitution est aussi assuré puisque la directive est jugée à l’aune d’une règle apportant autant de garantie, autrement dit faisant office de doublon. De plus, elle retrouve toute sa place lorsque aucune règle équivalente n’existe au niveau communautaire. La substitution d’une règle communautaire à une règle constitutionnelle n’est donc là que pour effacer l’obstacle des rapports hiérarchiques entre droit communautaire dérivé et Constitution. Mais, dans le même temps, elle ne renie en rien le principe affirmé au début de la décision au terme duquel la suprématie des engagements internationaux ne s’impose pas, dans l’ordre interne, à la Constitution.

Si l’on veut être plus précis, l’on dira que dans la cas où il existe une règle communautaire équivalente à la disposition constitutionnelle, cette dernière n’est pas affectée puisque c’est une règle de même contenu qui s’applique. Ainsi, soit la directive respecte la règle communautaire, et il n’ya aucune violation de la Constitution, soit, la directive ne respecte pas la

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norme communautaire, et l’acte réglementaire de transposition peut être annulé ; dans ce dernier cas encore, le respect de la Constitution est assuré par la sanction du réglement de transposition. Dans l’hypothèse où il n’existe aucune règle équivalent en droit communautaire, c’est la Constitution qui s’impose directement et pleinement au décret de transposition, la directive n’ayant, dans ce mécanisme, aucun rôle à jouer. Cette solution permet donc de concilier suprématie de la Constitution et respect de l’exigence de transposition des directives.

L’EFFET DIRECTE CONDITIONNE LESDIRECTIVES

L'Administration se doit de respecter les règles composant le bloc de légalité. Parmi, celles-ci figurent les règles du droit international. Il peut s'agir du droit international originaire, comme les traités, ou du droit international dérivé, comme les réglements ou les directives communautaires. C'est cette dernière catégorie de règles qui est en cause dans l'espèce étudiée.

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L'affaire concerne Mme P., juge d'application des peines au TGI de Bordeaux depuis 20002. Celle-ci fait acte de candidature pour occupper le poste de chargé de formation à l'Ecole Nationale de la Magistrature (ENM)à trois reprises, mais à chaque fois sa demande est rejetée. Par un décret du Président de la République en date du 24 Aout 2006, elle est nommée vice-présidente chargée de l'application des peines au TGI de Périgueux, tandis que les poste de chargé de formation à l'ENM est attribué, par arreté du ministre de la justice du 29 Aout 2006, à Mme Dunand. C'est la légalité de cet arreté qu'il est demandé au Conseil d'Etat d'analyser, les conclusions dirigées contre le décret du 24 Aout 2006 ayant été abandonnées par Mme P. ou déclarées irrecevables. L'un des moyens invoqués par Mme P. concerne la contrariété entre l'arreté du 29 Aout 2006 et la directive du 27 Novembre 2000. On le voit, la requérante demande l'annulation d'un acte administratif individuel au motif qu'il est contraire à une directive. D'emblée, ce moyen situe le Conseil d'Etat sur un des terrains les plus importants du droit administratif. En effet, il est ici question de l'effet direct des directives communautaires, et cette analyse ne retiendra que ce problème. On sait, depuis l'arret Cohn-Bendit de 1978, que le Conseil d'Etat dénie tout effet direct à cet type d'acte. En d'autres termes, il n'est pas possible de faire annuler un acte administratif individuel directement contraire à une directive communautaire. Cette solution s'opposait à la celle retenue par la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) qui reconnaissait un effet direct aux dispositions des directives inconditionnelles et suffisamment précises. Là ou le Conseil d'Etat faisait une lecture littérale des traités communautaires, la CJCE adoptait, elle, une lecture pour le moins constructive. Malgré cette position, le juge administratif français reconnaissait aux administrés le droit de demander l'annulation d'actes administratifs réglementaires contraires à une directive, ou d'actes individuels à condition que ceux-ci se fondent sur une réglementation nationale elle-meme contraire à une directive. Ces solutions faisaient dire à nombre de membres de la doctrine que la jurisprudence Cohn-Bendit subistait en droit, mais était abandonnée en fait. Avec l'arret du 30 Octobre 2009, le Conseil d'Etat vient mettre le droit en accord avec les faits en reconnaissant un effet direct aux directives indonditionnelles et suffisamment précises dès lors que qu'elle n'ont pas été transposé dans les délais prévus.

Il convient donc d’étudier, dans une première partie, la jurisprudence traditionelle en matière de directives (I), pour analyser, dans une seconde partie, la reconnaissance conditionnée de l'effet direct des directives (II).

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I – La jurisprudence traditionnelle en matière de directives : l'absence d'effet direct

C'est en 1978 que le Conseil d'Etat a posé le principe selon lequel les directives ne sont pas dotées de l'effet direct (A). Mais, progressivement, la Haute juridiction va admettre l'invocation des directives à l'encontre de certains actes administratifs (B).

A – Les directives ne sont pas dotées de l'effet direct

Il faut, au préalable, définir ce qu'il faut entendre par effet direct, notamment au regard des directives communautaires (1). Pourront, ensuite, etre analysées les solutions retenues par le Conseil d'Etat et la CJCE (2).

1 – La notion d'effet direct

Cette expression mérite d’abord d’être définie. Ainsi, une convention internationale est dite d’effet direct si elle a une influence sur la situation juridique des administrés, en créant des droits ou des obligations à leur profit ou à leur charge. Ce n’est pas le cas le cas des conventions ne créantd’obligations qu’entre les Etats, et, surtout, des engagements trop vagues et généraux. Cette question pose beaucoup de problèmes s’agissant, notamment, de la convention des Nations-Unies relative aux droits de l’enfant du 26 janvier 1990. La Cour de cassation lui dénie un effet direct (Civ. 1°, 10/03/1993), alors que la jurisprudence administrative distingue selon ses stipulations.

Mais, c’est en matière de directive communautaire que la question de l’effet direct pose le plus de problème. Pour comprendre pourquoi, la directive n’a pas d’effet direct, il faut rappeler son mécanisme. Celui-ci peut se résumer de la façon suivante : la directive fixe aux Etats qu’elle

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désigne un résultat à atteindre et l’Etat est tenu de réaliser cet objectif dans le délai imparti, mais il est libre de choisir les moyens qui lui semblent le plus appropriés (voie législative ou réglementaire). Ce qui doitretenir l’attention est que la directive ne concerne que les Etats, et non les administrés. Elles ne créent pas de droits et d’obligations à leur profit ou à leur charge. Elle ne peut donc avoir d’effet direct à leur égard, c’est-à-dire influencer leur situation juridique. Pour que les objectifs de la directive trouvent à s’appliquer concrètement aux individus, il faut que l’Etat transpose la directive, c’est-à-dire crée en droit interne les normes conformes aux objectifs de la directive ; et, ce sont ces normes qui s’appliqueront aux individus et qui pourront être invoquées par eux. En d’autres termes, la directive ne se suffit pas à elle-même. Elle a besoin d’une norme nationale de transposition pour pouvoir produire des effets.

Cette analyse de la question de l'effet direct des directives a opposé le Conseil d'Etat et la CJCE.

2 – L'opposition du Conseil d'Etat et de la CJCELa CJCE va faire une interprétation pour le moins constructive des taités européens. En effet, alors que la lecture de l'article 189 du traité de Rome définissant les différents actes communautaires dérivés laisse penser que seul le réglement est doté de l'effet direct, la CJCE va considérer que les directives sont dotées de l'effet direct. (CJCE, 4/12/1974, Van Duyn c. Home Office). En d’autres termes, la CJCE reconnaît un effet direct aux directives qui peuvent donc etre invoquées à l'encontre des décisions administratives individuelles. Ce faisant, elle assimile les directives aux réglements communautaires. . En ne respectant pas la distinction établie par le traité de Rome, la CJCE augmente par là l’importance du droit communautaire, et donc son pouvoir.Le Conseil d'Etat va, lui, s'en tenir à une lecture littérale des traités communautaires. Ainsi, par son célèbre arret d'assemblée Cohn-Bendit du22 Décembre 1978, il dénie tout effet direct aux directives communautaires. Plus précisément, il pose l’impossibilité d’obtenir de la part du juge administratif l’annulation d’un acte administratif individuel directement incompatible avec les objectifs d'une directive (CE, ass., 22/12/1978, Cohn Bendit). Cette hypothèse vise aussi bien le cas où il y a bien une réglementation nationale de transposition mais elle n’est pas prise en compte par le requérant, que celle où il n’y a pas de réglementation nationale de transposition. Ce cas de figure est d’autant

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plus important que, très souvent, les Etats ne transposent pas les directives.

. Pour autant, le Conseil d'Etat va reconnaitre un "effet indirect" aux directives.

B – "L’effet indirect" des directives

Il faut, en la matière distinguer, selon que le délai de transposition est ou non écoulé. Ainsi, lorsque le délai de transposition n’est pas expiré, l’Etat garde normalement sa liberté. Une jurisprudence a, cependant, reconnu, sous l’influence de la CJCE, qu’il lui est interdit de prendre des mesures de nature à compromettre sérieusement la réalisation du résultat prescrit parla directive durant cette période (CJCE, 18/12/1997, Inter-Environnement Wallonie ; C.E., 10/01/2001, France nature environnement). Dans l’hypothèse, où le délai de transposition est écoulé, il y a lieu de distinguerselon qu’est en cause un acte réglementaire (1) ou un acte administratif individuel (2).

1 – Les réglements internes confrontés aux directives communautairesCe qu’il faut retenir est que le Conseil d’Etat accepte d’écarter l’applicationdes lois et règlements qui sont contraires aux objectifs des directives même si elles ne sont pas transposées. Tout d’abord, le juge sanctionne le refus d’abroger les dispositions réglementaires non compatibles avec ces objectifs. En d’autres termes, c’est une obligation d’abrogation qui se trouve consacrée (CE, Ass, 3/02/1989, Cie Alitalia). Pour la faire sanctionner, il suffit de saisir l’Administration d’une demande et de soumettre au juge administratif son éventuelle décision de refus.Le Conseil d’Etat interdit aussi d’édicter des règlements incompatibles avec les objectifs définis par la directive. Il peut s’agir de l’acte de transposition lui-même (CE, 28/09/1984, Confédération nationale des SPA)ou de tout autre acte réglementaire (CE, 7/12/1984, Fédération française des sociétés de protection de la nature). De plus, le pouvoir réglementaire ne doit pas édicter les mesures d’exécution d’une loi incompatible avec lesobjectifs d’une directive (CE, 24/02/1999, Association des patients de la médecine d’orientation anthroposophique). Enfin, il faut préciser que le

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Conseil d'Etat a écarté l'application d'une loi contraire à une directive communautaire (CE, ass., 28/02/1992, SA Rothmans International France).Il a été, aussi, admis que l’existence d’une disposition législative incompatible avec les objectifs d’une directive ne justifie pas le refus de prendre les mesures réglementaires conformes à la directive (CE, sect., 3/12/1999, Assoc. Ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire) . Dans cette affaire, les dates d’ouverture de la chasse avaient été fixées parla loi afin de contourner le droit communautaire. Ainsi, la censure juridictionnelle était évitée : constitutionnelle pour des raisons politiques, administrative du fait de l’absence de décision préalable. Les associations demandèrent, alors, au ministre de fixer ces dates, mais il refusa. C’est cet acte administratif qui est attaqué et le juge considère que les dispositions législatives en cause sont incompatibles avec les objectifs de la directive. Etant inapplicables, elles ne peuvent servir de fondement au refus du ministre. Ce dernier devait donc appliquer la directive en fixant des dates conformes à ses objectifs.

La jurisprudence en matière d’acte administratif individuel est tout aussi fournie.

2 – Les actes administratifs individuels confrontés aux directives

Il faut d’abord rappeler la position du Conseil d’Etat. Celui-ci refuse de sanctionner un acte administratif individuel directement contraire aux objectifs d’une directive. La jurisprudence du Conseil d’Etat devait, cependant, connaître une remarquable évolution. Le principe qui la sous-tend est qu’un acte administratif individuel contraire aux objectifs d’une directive peut être annulé s’il prend pour base une réglementation nationale elle-même contraire aux objectifs de la directive. Ainsi, cette norme ne peut plus servir de fondement à la mesure individuelle contestée et c’est pour absence de base légale que l’acte individuel sera annulé.

Ces principes ont d’abord été appliqués au cas de mesures individuelles prises sur la base d’un règlement qui a transposé incorrectement une directive (CE, 8/07/1991, Palazzi). Mais, l’exception d’illégalité peut concerner n’importe quel autre règlement.

Le Conseil d’Etat a aussi admis la possibilité d’obtenir l’annulation d’un acte administratif individuel pris sur la base d’un règlement lui-même pris sur la base d’une loi incompatible avec les objectifs d’une directive non transposée (SA Rothmans).

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Cette jurisprudence sera même appliquée à l’hypothèse où la norme nationale qui sert de fondement à l’acte individuel est une jurisprudence (CE, ass., 6/02/1998, Tête). Est, ainsi, admise l’exception d’illégalité tirée de l’incompatibilité d’un principe jurisprudentiel avec une directive.

Deux ans auparavant, le juge administratif avait écarté l'application d'une règle nationale au motif qu'elle n'avait pas prévu une mesure impliquée par une directive dont la délai de transposition était écoulé (CE, ass., 30/10/1996, SA Cabinet Revert et Badelon).

Tous ces arrêts attestent que, si le principe de la jurisprudence Cohn-Bendit, était toujours maintenu en droit, il était, dans les faits, abandonné. En effet, le mécanisme de l’exception d’illégalité de la réglementation nationale en permettait un large contournement. La voie était donc ouverte pour un abandon, cette fois-ci formel, de la jurisprudence Cohn-Bendit.

II – Les directives communautaires aujourd'hui : un effet direct conditionné

La reconnaissance de l'effet direct des directives communautaires (A) opérée dans cette affaire, a été précédée de multiples solutions émanant de juridictions étrangères (B).

A – Les solutions des juridictions étrangères

Il faut revenir sur l'évolution restrictive de la jurisprudence de la CJCE(1), puis analyser ce que sont les solutions rendues par les différentes juridictions supremes européennes(2).

1 – Les limites posées par la CJCE à sa jurisprudence Van Duyn c. Home Office

La première évolution est le fait de la CJCE elle-meme qui semble avoir tenu compte de la position adoptée par le Conseil d'Etat en 1978. Ainsi, le juge communautaire est venu limiter sa jurisprudence Van Duyn c. Home Office en posant des conditions à l'effet direct des directives (CJCE,

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5/04/1979, Ministère public c/ Ratti). D'abord, pour que la directive soit dotée de l'effet direct, il faut que l'Etat n'ait pas, après l'expiration du délaide transposition, transposé en droit interne la directive. L'invocabilité de la directive vient donc sanctionner la carrence de l'Etat à respecter ses obligations communautaires. De plus, il faut que les dispositions de la directive présente un caractère inconditionnel et suffisamment précis. Seules les dispositions présentant ce caractère sont dotées de l'effet direct. La CJCE restreint donc l'effet direct des directives à ces seules dispositions, et opère par là une nette distinction entre les règlements qui sont tous dotés de l'effet direct et les directives qui ne se voient dotées del'effet direct que si certaines conditions sont remplies. Ce faisant, le juge communautaire fait un pas vers le Conseil d'Etat en optant pour une solution que ce dernier serait plus diposé à admettre.

Ces positions vont etre suivies par de nombreuses juridictions étrangères.

2 – Les solutions des juridictions européennes

D'abord, la Cour constitutionnelle allemande a reconnu, en 1987, qu'une directive communautaire non transposée à temps est directement invocable par les particuliers à l'encontre de l'Etat. Les juridictions belges, espagnoles, anglaises et italiennes ont suivi la meme voie. Au plan interne,la Cour de cassation a reconnu un effet direct aux directives qui ne laissaient pas de marge d'appréciation à l'Etat pour leur tranposition (C.Cass., 1°civ., 23/11/2004).

L'existence de cette concordance de jurisprudence a pu pousser le Conseil d'Etat à faire évoluer sa jurisprudence.

B – La reconnaissance de l'effet direct des directives

Les fondements de la solution du Conseil d'Etat doivent d'abord etre analysés (1), avant d'analyser le principe retenu par le juge administratif supreme (2).

1 – Le fondements de la solution du Conseil d'Etat

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Pour le rapporteur public, Mr. M. Guyomar, tout pousse à abandonner la jurisprudence Cohn-Bendit. D'abord, celui-ci relève que si les Etats avaientvoulu mettre un terme à la jurisprudence de la CJCE au sujet de l'effet direct des directives ils auraient utilisé les négociations portant les différents traités intervenus depuis 1992 pour poser une règle explicite contraire. Or, cette possibilité qu'ils ont utilisés pour d'autres questions n'apas été utilisée s'agissant des directives.

Par ailleurs, diverses dispositions, faisant de la transposition des directives une obligation s'imposant à l'Etat, sont intervenues depuis 1978. Ainsi, le traité communautaire impose aux Etats de prendre toutes les mesures "propres à assurer l'exécution des obligations découlant du présent traité ou résultant des actes des institutions de la Communauté". Surtout, les juridictions internes sont venues reconnaitre le caractère constitutionnel de l'obligation de transposition des directives posé par l'article 88-1 de la Constitution. Ainsi, le Conseil constitutionnel a jugé que "la transposition en droit interne d'une directive résulte d'une exigence constitutionnelle" CC, 10/06/2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique). Le Conseil d'Eta a pris la meme position trois ans plus tard (CE, ass., 8/02/2007, So. Arcelor). Au travers de cette dernière décision, le Conseil d'Etat a, d'ailleurs, fait évoluer la conception qu'il se fait des rapports entre l'ordre juridique interne et l'ordre communautaire. Il a, ainsi, remplacé le controle de constitutionnalité d'un réglement de transpositiond'une directive par le controle de cette directive au regard du droit communautaire, ce qui lui a permis d'effacer l'obstacle tiré de l'opposition entre directive et Constitution.

Cette reconnaissance de l'obligation, communautaire et constitutionnelle, de transposition des directives s'imposant à l'Etat renouvelle donc la question de l'effet direct des directives communautaires, ce qui a pu pousser le Conseil d'Etat a faire évoluer sa jurisprudence en la matière.

2 – Les principes posés par le Conseil d'Etat

Le juge administratif reconnait ici la possibilité pour un administré d'invoquer à l'encontre d'un acte administratif individuel une directive communautaire. Mais, deux limites sont posées. Ainsi, il faut que la directive n'ait pas été tranposée dans le délai prévu. Surtout, l'effet direct ne concerne que les "dispositions inconditionnelles et suffisamment précises". En d'autres termes, il ne faut pas que l'Etat dispose d'une marge

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d'appréciation dans la transposition de la directive. S'il en possède une, la directive ne sera pas dotée de l'effet direct. Cette seconde condition s'explique par le fait que lors du vote d'une directive ne laissant aucune marge de manoeuvre à l'Etat, celui-ci a implicitement accepté de ne disposer d'aucun pouvoir lors de la transposition. Il a donc indirectement accepté l'application immédiate de la directive.

Cette notion de "dispositions inconditionnelles et suffisamment précises" n'est pas étrangère à la jurisprudence administrative. Ainsi, c'est à propos des directives de cette nature, que le juge administratif adapte les modalités de controle des réglements transposant une directive (voir l'arret Arcelor). Le Conseil constitutionnel fait de meme à propos du controle des lois de transposition des directives (voir la décision de 2004).

Appliquée à l'affaire concernant Mme P., le Conseil d'Etat juge que la directive du 27 Novembre 2000 n'est pas dotée de l'effet direct faute de remplir la deuxième condition.