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M LE MAGAZINE DU MONDE80 BOULEVARD AUGUSTE-BLANQUI75707 PARIS CEDEX 13 - 01 57 28 20 00

25 OCT 14HebdomadaireOJD : 249191

Surface approx. (cm²) : 1570N° de page : 51-57

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GRENOUILLERE3569181400506/GTG/ALA/1

Tous droits réservés à l'éditeur

de la restauration française, la cuisine a toujours étéune affaire de transmission, de propagation dessavoirs et des savoir-faire En France la gastronomieest un patrimoine, dont les chefs sont les gardiens - etles passeurs Pourtant, s'il est inhérent au métier, leprocessus de passation n'en est pas moins difficilePas évident d'hériter d'une cuisine, d'une réputation,d'un univers, d'une clientèle et d'étoiles Michelin...Comment apprendre d'un très grand chef, pere bio-logique ou spirituel, puis se libérer de son influence?

Comment préserver l'identité culinaire d'une « mai-son » ? Faut-il suivre les sillons de ses prédécesseurs,ou rompre avec le passé pour s'afhrmer? Et que peut-on transmettre, en fin de compte, aux fourneaux? Auxquatre coms de la France, dans les grandes maisonsétoilees lourdes d'enjeux patrimoniaux, les histoiresse suivent et ne se ressemblent pasLa maison Troisgros est un exemple éclatant de« dynastie culinaire » perpétuée. Installée face à lapetite gare de Roanne depuis quatre-vingt-quatre ans, fondée par Jean-Baptiste, l'ancêtre bonvivant, reprise par ses fils, les célèbres frères Jean etPierre, elle est aujourd'hui menée par Michel, fils dePierre, qui, à son tour, forme ses fils en cuisine. D'ap-parence fluide, la succession a pourtant été jalonnéed'hésitations et de coups du hasard Alors qu'il avaitune âme de globe-trotteurs, le jeune couple formépar Michel et Marie-Pierre s'est vu contraint de res-ter à Roanne suite au décès brutal de l'oncle Jean en1983 « Même st nous en sommes heureux maintenant,se souvient Marie-Pierre, nous n'avions pas choisi derester Et maintes fois, nous avons failli repartirailleurs » Partir, comme pour échapper à une des-tinée trop tracée, à l'instar du frere de Michel,Claude, installe à Rio depuis des lustres Et pour-tant, ici ou là-bas, c'est bien la cuisine, leur cuisine,que les Troisgros diffusent des créations limpides,jouant sur les notes acides (leur signature), dénuéesde superflu - héritage du grand-père qui martelait àses fils, bien avant l'heure « Faites de la cuisine sau-vage, faites de la cuisine simplef » Pour ]\ Iichel commepour ses fils César, 28 ans, qui l'épaule désormais, etLeo, 20 ans, qui fait ses débuts dans la brigade, lechoix de la cuisine s'est imposé de lui-même « Chezles Troisgros, la transmission s'estf aife avec intelligence,teîidresseethuma?iité, observe l'auteur gastronomiqueBénédict Beaugé Pierre comme Michel semblent avoir

toujours donné a leurs enfants la capacité de choisir, des'émanciper et de s 'affirmer dans et hors de la cuisine »C'est sans doute pour cela que la maison perdure,évoluant lentement, au rythme des générations Etsi Michel a eu besoin de s'affranchir du saumon àl'oseille, plat emblématique de Jean et Pierre, qu'ila retiré de la carte, il se replonge désormais dans lesarchives familiales avec César < Le répertoire, dit lechef, il faut le connaître et le transmettre, maîs ne pass'enfermer dedans II faut rester dynamique »Aujourd'hui, la famille Troisgros regarde vers unnouvel horizon un grand déménagement, prévupour 2017, dans un domaine en pleine campagne, à7 km de Roanne Une révolution? Plutôt une évo-lution bénéfique Nous pouvons envisager cela main-tenant, poursuit Michel, car nous savons que la maisona un avenir à travers nos fils C'est un projet que nousconstruisons avec eux, un lieu qu 'ils pou rmn tf aire a leurimage et qui kurpermettra de s'épanouir plus librementque s'tfs devaient reprendre les murs historiques »A La Grenouillère, dans le Nord-Pas-de-Calais,Alexandre Gauthier est, quant à lui, resté dans lesvieux murs de l'auberge familiale, tout en la reinven-tant complètement, avec l'aide de l'architecte vision-naire Patrick Boucham (le même qui plancheaujourd'hui sur la future adresse des Troisgros).Lorsque Roland Gauthier, anéanti par la perte de sonétoile Michelin, demande à son fils de reprendre l'af-faire en 2003, celui-ci accepte à une condition Tume laisses f aire, même st je change tout » Alors que papamitonnait des plats à la sauce traditionnelle, le filsinsuffle un vent de liberté et d'audace en cuisine.Aujourd'hui, La Grenouillère brille a nouveau detous ses feux (et de son étoile retrouvée), Roland està l'accueil et Alexandre s'est hissé au rang des chefsles plus créatifs de l'époque D'ici quèlques mois, ilouvrira une nouvelle adresse à Montre u il-sur-Mer,toujours dans le Pas-de-Calais • une brasserie dont lacarte sera, à la virgule près, celle conçue par Rolandpour La Grenouillère en 1979 < Ecarté comme il f utdes cuisines il ̂ a dix ans, explique le fils, c'est lamoindre des choses que de lm rendre cet hommage » Onimagine bien que les « cuisses de grenouille », « truitesau bleu », « écrevisses à la nage » ou « crêpes Suzette »seront quelque peu modernisées par le bouillonnantAlexandre, maîs ce témoignage filial résume bien l'es-prit des Gauthier < Evoluer sans cesse, en intégrantFhistoire, tout en regardant vers le futur > Même si c'estle motta revendiqué par la plupart des « familles culi-naires », la réalité n'est pas toujours aussi simple

A LAGUIOLE, DANS L'AVEYRON, dans le futUTlStevaisseau-restaurant de Michel Bras, la transmissions'est faite dans la douleur Bien qu'il ait « grandi encuisine », Sebastien a dû attendre ses 40 ans pourprendre les rênes de la maison, maîs toujours dansl'ombre omniprésente de son géniteur Pourtant, lechef est allé jusqu'à faire appel à une consultante« spécialiste de la transmission familiale », Marie-José Heimendmger, qui les a assistés sur les planspatrimonial et psychologique « & est compliqué d'uncôté comme de l'autre, analyse celle-ci pourle repre-neur, ilfauttrouverFéquilibreentrelaf délité au passéet l'affirmation de soi, et pour le cédant, c'est la find'un e vie et la peur du vide » II y a deux ans, le réa-lisateur Paul Lacoste a filmé cette passation •••

"Pour lerepreneur,

il faut trouverl'équilibre

entrela fidélité

au passé etl'affirmation

de soi, etpour le

cédant, c'estla fin d'une

vie et la peurdu vide."Ma ne-José Heimendinger,

spécialiste de la transmission familiale

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••• délicate, parfois d'une violence sourde inouïe,dans son documentaire Rntre /es Bras U y a unaspect tmgqm dans cette histoire, observe le cinéaste,a/ors que Sébastien était prêt depuis longtemps, il étaitencore beaucoup trop tôt pour Michel > Difficile, pource génie autodidacte et taiseux, fou de son terroir, deses herbes et de ses lumières, de lâcher sa création,fût-ce pour son fils Difficile, pour celui-ci, de se faireun nom dans un univers et auprès d'une clientelemarques au fer rouge parle père « Les gens sot? f telle-ment convaincus que la cuisine, c'est une seule paire demains, une seule tête, un seul être, regrette LacosteMaîs il s'agit aussi d'un esprit, d'un discours, d'un ter-ritoire réel et imaginaire Rt ça, ça appartient toutautant à Sébastien » Quand certains critiques dou-tent que la maison Bras parvienne à conserver sesétoiles et son rayonnement, le légataire affiche uneconfiance solide < Mon pere et moi sommes sur deuxvoies parallèles et complêmentaires Sa cuisine est brute,presque empirique, f apporte de la technique et desinfluences d'ailleurs Maîs cela reste l'expression cohé-rente d'un e f am 11 le et d'un lieu » S'il a émaillé le menude ses inspirations voyageuses (ce qui n'est pas for-cément du goût des hdèles de la maison avevron-naise), il a maintenu le fameux Gargouillou, platsignature de Michel Bras qui associe librementlégumes, feuilles, herbes, bulbes et fleurs de saisonImpossible de se débarrasser d'un tel symbole Peuimporte, assure Sébastien, car e'est un plat vivant, quichange sans arrêt, et qui représente les parfums, les couleurset les saveurs de l'Aubrac » Maîs peut-on encore alorsparler de cuisine d'auteur?Du côté de Valence, Anne-Sophie Pic, seule femmetnple-étoilée de France, a réussi à s'inscrire dans lagénéalogie familiale à force de patience et d'endu-rance La succession fut chaotique, puisqu'elle a dû,dans la discorde, prendre la place de son grand frèreAlain, qui n'avait pas su maintenir les trois étoiles dela maison après la mort de leur pere en 1992. « On nem'attendait pas en cuisine >, se souvient celle qui ad'abord fait des études de commerce Elle n'avaitpasse que quèlques mois au piano au côté de sonpère a\ant sa disparition « Je ne savais pas cuisiner etmon entourage estimait que c'était "trop dur"pourmoi Maîs avec l'envie, tout s'apprend » Com-prendre les techniques, assimiler les recettes de sonpère, pour pouvoir s'en affranchir et inventer sa cui-sine bien à elle, subtile, féminine, jouant sur les asso-ciations de sa\eurs tels ont été les objectifs et lesobsessions d'Anne-Sophie qui, avec le soutien indé-fectible de son man David Smapian, a su gagner, en2007, le troisième macaron tant convoité J'ai éteélevée aux étoiles Michelin pou r moi e'est la récompenseultime du travail bien fait Rire à la hauteur de monpère et de mon grand-père, c'était un devoir demémoire > L'expression est lourde de sens, pourcette cuisinière qui « donnerait tout » pour avoirencore son père à ses côtes, maîs admet qu'elle n'enserait sans doute pas là sans sa disparition Etd'é\ oquer ce que son père lui soufflait un mois avantsa mort « Inexpérience ne se trans met pas II faut faireses propres expériences, ses propres erreurs On ne peutpas tout prévoir, il faut laisser vivre »Ironie du sort, Pierre Gagnaire, qui dit être de\ enucuisinier par obligation >, a, lui, dû « tuer le pere »pour exister « Mes parents étaient restaurateurs, je

n 'aimais pas la cuisine, maîs j'ai eté contraint dereprendre l'affaire familiale C'était une successionoppressante et opprimante » Au bout de quatre annéesdans la maison paternelle à Saint-Etienne, PierreGagnaire claque la porte pour aller om nr sa propreenseigne « J'ai passé une partie de ma vie à démonterce sur quoi f avais grandi » Pas étonnant qu'il ait misdu temps à aimer son métier, à construire < ce foutudiscours », et même à goûter ses plats Aujourd'hui,dans son restaurant parisien triplement étoile, le chefprolifique fonctionne à l'émotion, s'appuyant sur descollaborateurs fidèles qui savent mettre en forme [ses]délires » Sa brigade, c'est un peu sa famille C'estune maison paisible, ici, pleine d'énergie positive C'esttout le contraire de ce quej 'aipu connaître » Son talent,Pierre Gagnaire ne l'a pas hérité, maîs plutôt forgé enmangeant chez les plus grands, tels Chapel ouGirardet, ou en piochant dans les classiques commeLa Grande Cuisine bourgeoise, li\ re de référence dutrop méconnu André Guillot, considéré comme l'ini-tiateur de la nouvelle cuisine « Post-moderne » parson style, il est aussi réputé pour sa maîtrise des basesclassiques, qu'il diffuse allègrement « Plus que detransmission, il s'agit pour moi de partage ceux quicuisinent avec moi ont chacun leurpersonnalité, je leuroffre un univers, des mtentiojis, et je leur donne la possi-bilité de f aire » Jean-Marie Baudic (Youpala Bistrot, àSaint-Brieuc) est de ceux qui ont acquis leur précieuxsa\oir-faire auprès de Pierre Gagnaire, notammentsur les jus et les sauces Jim 'a appris a goûter, confieBaudic, et à constamment dépasser mes limites Hy aforcement beaucoup d'amour dans tout ça, car c'est parcequ 'on aime l'autre qu 'on essaie de se surpasser pourlm •" Le jeune chef parle de Gagnaire comme de son« père spirituel >

ILS SONT NOMBREUX ceux qui, tel Jean-MarieBaudic, considèrent leurs maîtres comme despères D'ailleurs, la métaphore se glisse unpeu partout en cuisine ne parle-t-on pas de« maisons » pour désigner les grands restau-

rants ? Dans les cuisines d'Alain Passard, à L'Arpège(Pans 7L), tout le monde appelle le chef « Papa »,du moins derrière son dos Et lui, dont le fils a pre-féré se consacrer au théâtre, appelle ses apprentisses « enfants », ses « petits » - même s'il distribuedes « Monsieur » et « Madame » durant le serviceAlain Passard est l'un de ceux qui ont le plusinfluence la cuisine contemporaine De Pascal Bar-bot (l'Astrance) à David Toutam, en passant parMauro Colagreco (Mirazur), Guillaume Iskandar(Garance) ou Sven Chartier (Saturne), on necompte plus les chefs en vogue qui sont passés parL'Arpège - au risque d'une certaine uniformisationdes assiettes Chez Alain Passard, la transmission sefait moins par la parole que parle geste < Je ne veuxpas laisse r des recettes à mes petits, je veux leur laissermi style, une façon défaire, une beaute et u ne économiedu geste » Un côté théâtral qui marque les esprits.Les talentueux Bertrand Grébaut (Septime) etTatiana Le\ ha (Le Servan) se souviennent en nantdes expressions fétiches de leur mentor, qu'ils res-sortent aujourd'hui, presque machinalement, àleurs équipes' « Prends de la vitesse », « Tu localises,Madame, voyage ! > ou « Branche ta caméra, •••

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•••Monsieur, regarde ce que je vais faire ' » AL'Arpège, le menu est conçu au jour le jour, enfonction des arrivages des propres potagers du chefet selon l'inspiration du moment « C'est cette impro-visation qui est passionnante, jubile Passard, noussommes des musiciens, nousjouons avec fous les sens »A chacun, ensuite, de s'émanciper du solfège« arpegien » pour composer ses propres mélodies,ailleurs Maîs une fois que ses disciples ont prisleur envol, le chef ne va jamais manger chez euxBeaucoup s'en désolent, et Passard s'en sort parune pirouette • « Je la connais mieux que personne, lacuisine de mes enfants, je n 'ai pas besoin d'aller lamanger Rt puis, je ne sors jamais de mon restau-rant ! > Cette année, le guide Le Fooding a doncréussi un sacré coup médiatique en convaincantAlain Passard de rejoindre huit de ses anciens« Arpégiens », pour une série de dîners (les 15 et16 novembre), ou ils œuvreront en chœurSi, comme le dit Passard, < un grand chef est un chefqui fait ecole >, comment ne pas également évoquerAlain Ducasse - même si, de son propre aveu, cedernier est désormais plus « directeur artistique »que cuisinier ? Quand Passard compose, Ducasseorchestre Et il y a du monde dans la fosse '480 « vestes blanches » officient pour un établisse-ment « ducassien » ou un autre, quelque part dansle monde Un chiffre qui ne se réduirait qu'à du bonbusiness si Ducasse ne savait diffuser, mieux quequiconque, sa philosophie culinaire, ses méthodeset son attachement à l'excellence de la cuisine fran-çaise • Mon principe de base, explique- t-il, c'est qu'unjeune, il faut le f aire progresser, le f aire bouger, en le dés-tabilisant pour qu'il aille toujours de F avant > Aprèsles avoir formés, Ducasse n'a donc de cesse d'en-voyer ses cuisiniers aux quatre coms du monde, pourtravailler, maîs aussi pour explorer et goûter à tout« La transmission, affirme-t-il, cela passe par la décou-verte de ce que font les autres et le partage des connais-sances I I faut échanger, déclois on mr les cuisines, esso} ertous les postes ct apprendre à tout f aire > De plus enplus fréquentes, les « cuisines communautaires »(sans hiérarchie dans la brigade) sont, selon lui, unbon terreau pour cet apprentissage tous azimuts,même si la transmission se heurte aujourd'hui à unadversaire de taille l'industrie agroalimentaire

ENSES FACILITER LA TÂCHE des IT! ami I -tons (maîs servant surtout les inté-rets des multinationales), les pro-duits industriels ont déboulé dansles cuisines depuis une quinzaine

d'années Jusqu'à s'immiscer dans les menus deprès de 75 % des restaurants français Et les écoleshôtelières ne sont pas en reste Le chef \ves Cam-deborde s'en désole dans le dernier h\re du jour-naliste Jean-Claude Renard Arrière-cuisines (LaDécouverte), qui dévoile les dessous de la gastro-nomie moderne Les élevés sont scolarisés pendantdeux ou trois ans Ils savent a peine ce qu'est unevolaille et cuisinent des blancs de poulet comme unsteak, incapables de travailler un foie, un cœur, derécupérer la graisse, de servir les ailerons Plus per-sonne ne sait brider une volaille Pourquoi ? Parcequ'elle arrive vidée, désossée Du coup, quand ils

entrent dans une maison authentique, les frais diplô-més regardent les chefs comme des extraterrestres »Les vrais cuisiniers artisans (ces extraterrestres) ontdonc plus que jamais du pam sur la planche pourformer les chefs de demain Maîs en ont-ils encorele temps ? II y a peu, il fallait dix ans pour formerun cuisinier, rappelle l'historien de l'alimentationAlain Drouard Aujourd'hui, il y a une accélération del'histoire, liée en grande partie à la médiatisation de lacuisine Comme dans le cas de Cy ni Lignac, devenu chefen quèlques mois grâce a la télévision » Surexposes,courtisés de toutes parts, certains chefs ne pensentplus qu'à innover, voyager, briller « Longtemps, lemétier de cuisinier était honteux, enterre, poursuit l'his-ton&n. Maintenant, les chefs prennent leu r revanche, ilsont la fête dans les étoiles et deviennent des stars Ducoup, ils sont constamment occupés a autre chose qu 'àcuisiner Lt s'ils ne cuisinent plus, co rn rn eiitpeuvent-ilstransmettre? Le chef Jean-Louis Nomicos, qui afait ses armes chez Alain Ducasse et vient d'êtrenommé à la tête des cuisines de la Fondation Louis-Vuitton, s'interroge < Pour apprendre et transmettre,il faut mouiller sa veste, maîs aussi écouter, discuter,lire, s'intéresser a tout Maîs est-ce que les jeunes ontenvie de passer du temps à s'abreuver d'histoires ? »Rares sont ceux qui, aujourd'hui, se réfèrent encoreaux classiques, considérés comme dépassés EnFrance, on oppose constamment l'ancien et le moderne,note le journaliste allemand Jorg Zippnck ̂ pourtant,il faut connaître la tradition, maîtriser les bases pourpouvoir créer et évoluer » Pour Pierre Meneau, qui aouvert son bistrot Crom'Exquis, à Pans, en hom-mage aux créations de son père Marc, < il fautprendre le temps de lire, pour connaître son patri-moine » Le jeune chef de 28 ans cite dans un mêmesouffle Grimod de La Re\mère, Antonin Carême,Brillat-Savarm, Curnonsky, Edouard Nignon ouAuguste Escoffier, auteurs d'ouvrages fondamen-taux de la cuisine française dans laquelle < le bonprimait encore sur le beau »Pierre Meneau fait figure d'oiseau rare dans uneépoque où l'instantané est roi. Et c'est sans doute làque la transmission connaît une autre césure Carmême si, selon le mot d'Alain Chapel, < la cuisine,c'est beaucoup plus que des recettes », les écrits pren-nent une place essentielle dans l'inscription de lagastronomie dans la durée. « La transmission orale,assure Jorg Zippnck, ça marche pour une ou deuxgénérations Maîs ce qui reste, e'est ce qui est écrit » A.condition que cela soit aussi lu et utilisé Dans lefoisonnement actuel de livres de cuisine, ultravi-suels, souvent anecdotiques, purs produits marke-ting ou beaux miroirs de chefs a l'ego surdimen-sionné, on peut se demander quels sont ceux quitransmettent encore quelque chose Pour certains,la nouvelle bible culinaire pourrait être ModernistCuisine de Nathan Mv hrvold, un ouvrage massif quimet à plat toutes les techniques d'hier et d'au-jourd'hui Maîs il est sans doute encore trop tôt poursavoir ce qui, demain, fera référenceAlain Drouard, l'historien qui n'aime rien tant quecuisiner et partager son savoir et ses bons petits plats,aime rappeler que la cuisine, ce n 'estpas un spectacle,rn un concours c'est quelque chose de fondamental et desimple aussi, c'est un acte d'amour et un don » Dans lesens de ce qui se donne, et donc, se transmet O

"La trans-mission, celapasse par ladécouvertede ce que

font lesautres et le

partagedes connais-sances. Il faut

échanger,décloisonnerles cuisines,essayer tousles postes etapprendre

à tout faire."Alain Ducasse