1 la deduction et l'induction

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primer libro del libro de Emile Meyerson Du cheminement de la pensee

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  • 30 LE PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    conception de M. Russell, . C'est la ce constatation d'un fait Jl, mais ce ce fait lui-mme est un raisonnement81 ll, Nous aurons l'occasion de discu-ter plus amplement les opinions de M. Goblot en cette matiere. Contentons-nous de noter ici qu'introduire ce terme de constatation, ce ce n'est pas rsoudre la difficult, c'est seulement la baptiser >l, comme l'a dit Poincar, parlant de la maniere dont Kant a recours a la notion des ce jugements synthtiques a priori82 >J.

    En effet, ce que l'on voudrait connaitre, c'est la voie par laquelle !'esprit est parvenu a cette constatation de quelque chose qui n'tait pas en lui auparavant. Hatons-nous d'ajouter que M. Goblot ne s'est pas arret a ce bap-teme et a tout au contraire, au sujet de la difficult dont nous parlons, une thorie dont il y a, a notre avis, beaucoup a retenir. Pour le moment, nous ne faisons que formuler, a notre tour, le probleme.

  • 32 LE PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    A ce point de vue, 18. L'UNIVERSEL ET LE PARTICULIER 1 1 b a ogque aco-

    nienne parait tout d'abord suprieure a sa rivale (et c'est d'ailleurs manifestement ce qui a pouss a la concevoir ou a l'adopter). Ici l'on aper9oit en effet clairement d'ou vient a la raison le nouveau : il Jui parvient de l'extrieur, de la sensation ou de l'exprience. Mais alors une difficult autre, mais tout aussi grave, surgit : cet lment qui lui est tranger, comment la raison parvient-elle a se l'appro-prier?

    > . M. Lalande note cette q uivalence entre l'ide de pense et 1 'ide de pense gn-rale (il vaudrait mieux dire universelle, si le mot dans ce cas ne risquait d'etre quivoque) , et M. Roustan expose que tout ce qui est perfu par nos sens se morcelle en sensa-tions particulieres , alors que que tout ce qui est COnfU par notre entendement prend la forme d'ide gnraJe86 1,

    Constatons cependant que, comme M. Roustan l'a videm-ment sent, la diversifioation a l'infini du rel est l'apanage d 'une perception dja pousse. Avant de percevoir tel homme, tel chien ou telle maison, nous avions surement reconnu qu'il y avait un homme, un chien ou une maison. En ce sens, le gnral semble done prcder l'individuel. Ou plutot, oomme l'a expos M. Bergson avec sa pntra-tion coutumiere, il semble bien que nous ne dbutions ni par la perception de l'individu, ni par la oonception du genre, mais par une connaissance intermdiaire, par un sentiment confus de qu,alit marquante ou de ressemblance : ce sentiment, galement loign de la gnralit pleinement con9ue et de l'individualit nettement per9ue, les engendre l'une et l'autre par voie de dissociation. L'ana.Iyse rfl.-chie l'pure en ide gnrale; la mmoire discriminative le solidifie en perception de l'individuel87 . Comme on voit, M. Bergson aussi const ate que, dlibrment exercs, percep-tion et raisonnement s'opposent dans cet ordre d 'ides. Cependant il y a incontestablement, dans cette constitu-tion du genre quasi inconsciente, ayant sa base dans la perception meme, quelque chose qui ne permet pas de

    HEYEnso~. - l. 3

  • 34 LE PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    l'assimiler de plain-pied a celui a l'aide duquel la pense rflchie constitue, en partant des genres perc;us, des classes suprieures. On sait d'ailleurs que M. Peano traduit ces deux rapports par des symboles de copule diffrents (selon que le su jet est une ralit individuelle ou une classe logique), et que cette maniere de voir a t gnralement accepte par les logisticiens; on ne saurait douter qu'au point de vue de la rigueur du processus de raisonnement impliqu, ils n'aient parfaitement raison.

    Mais Helmholtz a fait ressortir a juste titre que cette classification immdiate, par la perception et le langage quila suit, n 'en contient pas moins les rudiments d'un vri-table savoir. La circonstance seule, crit-il, que dans le langage d'un peuple observateur un certain nombre de choses se trouvent dsignes par un seul et meme vocable, indique que ces choses ou ces cas sont soumis a une rela-tion naturelle et lgale commune; par ce fait seul une cer-taine somme d'expriences excutes par la gnration prcdente se trouve transmise sans qu'il le paraisse88 ,

    Dans notre second 19. L'UNIVERSEL DANS LA SCIENCE li ( 73 t ) vre e su1v. ,

    6n examinant l'influence, en logique, des conceptions transformistes, nous aurons l 'occasion de revenir sur les opinions prof..:sses par M. Roustan. Nous verrons alors que, tout en insistant si vigoureusement sur le caractere de gnralit que l'intellect imprime a tout ce qui constitue le point de dpart d'un raisonnement, ce philosophe rpu-die cependant le concept de genre dans le sens aristotlicien du t erme. Or, ce concept nous semble, par un cot tres essentiel, se rattacher de pres aux opinions d' Aristote sur les rapports de la science avec l'universel et l'individuel.

    En effet, a l'encontre des dclarations concordantes que nous avons cites, on affecte quelquefois de croire que les principes proclams, dans ce domaine, par le Stagirite

    J

    LA DDUCTION ET L'INDUCTION 35

    ne s'appliquent qu'a la science telle que la pratiquaient les anciens ou les penseurs du moyen age; mais c'est a tort. Il est vrai que M. Hoffding, dans un travail rcent, a l'air de dire qu'il y a la, en ce qui concerne la science, une limi-tation injustifie, que la science doit parfaitement descendre a l'individuel, expliquer l'individuel89 Mais il faut bien remarquer qu'il ne lui impose cette tache qu'en surcroit en quelque sorte de celles qu'elle cherche a accomplir a l'heure actuelle. A ce point de vue, il a Sltns doute raison. Car si l'on se figure une science idale, expliquant l'univers entier (nous reviendrons tout a l'heure a cette image, 95 et suiv., et nous l'examinerons d 'un peu plus pres), on ne peut que supposer qu'aucun trait, si individuel soit-il, ne lui chappera, de meme qu'on est contraint d'affi.rmer qu'elle comprendra dans son systeme les apparences et par consquent reviendra sur l'ostracisme dont notre physique actuelle (a l'exemple de Dmocrite) frappe l'lment quali-tatif, le quid proprium de la sensation. Mais ce sera alors une science quasi di vine, science qualitativement diffrentede lantre, laquelle s'arrete sagement au seuil de ce mystere, en reconnaissant, comme le fait Leibniz dans la suite du passage que nous avons cit plus haut, que . Si le mdecin s'abstenait rigoureusement de classer le malade, il ne pourrait se prononcer en ren sur son cas et, par consquent, lu etre d'aucune utilit.

  • 36 LE PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    Constatons maintenant qu'il est ais de se convaincre de maniere immdiate que la science de nos jours obit sans rechigner aux prncipes d' Aristote. Il suffit d'ouvrir un livre de physique. En voici un qui fait autorit, le Cours de physique mathmatique ( Electricit et optique, la lumiere et les thories lectro-dynamiques) d'Henri Poincar (Pars, 1901). Le premier nonc affirme que deux corps placs dans l'air et chargs de quantits m et m' d'lectricit exercent entre eux une force , etc. ( 3); a la page suivante il est dit de mme ( 5) :

  • 38 LE PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    l'tymologie du termo fran

  • 40 LE PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    de la maniere dont le sont les objets de la perception imm-diate.

    Quant au role de l'uni-22. L'UNIVERSEL l d l ,

    DANS LA PENSE:E COMMUNE verse ans a pensee COID-mune, il cst impliqu

    videmment par les dclarations que nous avons cites plus haut. Mais Bradley a insist avec une vigueur particu-liere sm ce que, de ce chef, tout nonc doit etre considr, en un certain sens, comme un nonc universel. Il n'est pas vrai, dit-il, en combattant les conceptions de l'cole associationniste, que l'on associe jamais des images particulieres n. Tout au contraire, >98.

    1 .:11 1 s1f

    :~~ ' \

    LA DDUCTION ET L 'INDUCTION 41

    Mais par quelle voie sera-23. L'INDUCTION INCOMPLETE t 1 l

    -1 perrrus a a ra1son rflchie de passer ainsi du particulier au gnral, qui seul lui convient ~ Aristote avait, comme on sait, indiqu le processus de l'numration de tous les cas particuliers, processus dont il avait fourni le modele dans son fameux

  • 42 LE PROBLEME ET LA SOLUTION E NVISAGE

    le droit chemin de la vrit ne doivent s'occuper d'aucun objet dont ils ne puissent avoir une certitudc gale aux dmonstrations de l'arithmtique et de la gomtrie , les-quelles ne consistent entierement que dans des cons-quences a dduire par la voie du raisonnemcnt )). L'intui-tion et la dduction sont les deux voies les plus sures pour arriver a la science; l 'esprit ne doit pasen admettre davan-tage; toutes les a u tres, a u contraire, doivent etre rejetes comme suspectes et sujettes al'erreur103 . Teltait encare le point de vue de Leibniz, qui opposait aux conscutions empiriques, qui nous sont communes avec les betes, les conscutions rationnelles, c'est-a-dire les raisonnements dductifs, propres a l'homme104 ; c 'tait, comme le dit tres justement Couturat, condamner absolument l'induction105.

    Tel tait aussi le sentiment de Kant, aux yeux de qui n'tait vritablement scientifique que ce qui tait suscep-tible d'etre dduit. (( La seule science qui mrite proprement ce nom, dit-il, est celle dont la certitude est apodictique; la connaissance qui ne peut contenir qu'une certitude empi rique est ce qu'on n'appelle qu'improprement un savoir . Et l'on sait de reste que pour Hegel tout ce qui ne releve que de l' empirie se trouve rigoureusement exclu de la science106

    On peut constater aussi qu'en ce qui concerne cette msestime du raisonnement inductif, les logisticiens appar-tiennent a la meme ligne. (( Ce qu'on appelle induction, dit M. B. Russell, m'apparait comme tant ou bien de la dduction dguise, ou bien une simple mthode pour for-muler des conjectures ( guesses) plausibles107 "

    On est oblig de 25. LES DIFFJCUL1'S DE L'INDUCTJON t d' 1 reconna1 re a1 -

    leurs que les dfenseurs memes de l'induction ne nous sont point, dans cet ordre d'ides, d'un grand secours. Ainsi J . S. Mill affirme bien que (( l'induction a autant de titres

    1 ,,

    LA DDUCTIO~ ET L'INDUCTION 43

    que les dmonstrations de la gomtrie a etre appele un raisonnement, et que ((la question de la nature del'induc-tion et des conditions qui la rendent lgitime est incontes-tablement la. question fondamentale de la logique, celle qui embrasse toutes les autres . Mais c'est apres avoir tacitement adns, dans sa prface, l'impossibilit de toute justification rationnelle de ce mode de raisonnement, puisque, ayant cit les arguments de Macaulay et de Wha-tely qui militent en faveur de cette these, il dclare qu'il se contentera (( de les rfuter par l'argument de Diogene108 . Et si, dans le cours de son ouvrage, il a tout de meme avanc une thorie109, elle n'a eu, en dpit de la grande autorit de son auteur, qu'un succes mdiocre. Lachelier l'a criti-que de maniere dcisive110, J. Venn a tax les vues de Mill dans cet ordre d'ides d'inconsistantes111, et les logiciens postrieurs de l'cole anglaise, tels que M. J. N. Keynes et J . Nicod (sans parler de M. B. Russell dont on a vu plus haut l'attitude envers l'induction), ne lu sont pas plus favo-rablesm. Venn dclare d'ailleurs nettement que la difficult est insoluble au point de vue logique et constate en meme temps (( le mpris tantt mal dguis, tantt ouvertement avou des physiciens pour toute thorie logique de l'induc-tion113 , alors que Nicod estime que le probleme est obscur au point que l'on (( n'est jamais encare parvenu, non pas meme a prouver , mais bien a. noncer des prncipes capables de justifier pleinement l'induction dans les conditions ou elle s 'exerce .

    Telle parait galement, en dfinitive, l'opinion de M. Rus-sell qui, mitigeant quelque peu le verdict extreme que nous avons cit, dclare, dans une ceuvre postrieure, que (( l'in-duction, si importante qu'elle soit, considre en tant que mthode d'investigation, ne parait point demeurer, une fois son travail accompli; dans la forme finale d'une science parfaite, il semble bien que tout devrait etre dductif. Si

  • 44 LE l'ROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    toutefois l'induction persiste, ... elle persistera uniquement en tant qu'un des prncipes suivant lesquels la dduction

    s'effectue )) . Plus rcemment encore, ce penseur, tout en constatant

    que '' les difficults souleves par Hume concernant la mthode scientifique en gnral et, plus particum~rement, l'induction n'ont pu encore tre rsolues, crit: ceJe me pro-pose d'admettre la validit de l'induction non point paree que je connais des raisons concluantes quelconques qui militent en faveur de cette these, mais paree que l'induc-tion, sous une forme ou une autre, semble essentielle a la science, et qu'elle ne me parait pas pouvoir tre dduite de quoi que ce soit qui serait tres diffrent d'elle mme

    114 )),

    On verra cependant tout a l'heure que des vues justes avaient t mises, dans cet ordre d'ides, des la premiere partie du xrxe siecle, par Whewell. Elles n'ont point pr-valu et semblent, on vient de le consta ter, a peu pres oublies en Angleterre mme, ou les crits de ce penseur ont cepen-dant joui, pendant toute une poque, d'une autorit consi-drable. Cela tient sans doute a la maniere peu nette dont il les avait formules. C'est pourquoi aussi nous croyons prfrable de n'en traiter qu'apres avoir clairci quelque

    peu la question. Ainsi 1' on en arrive a souscrire a l' opinion de Lotze

    affirmant : > .

    Des lors, on comprend que Sigwart, apres avoir constat qu'il y a la une nigme qui demande a tre rsolue, s'crie: >

    D'ailleurs, le fait seul de 26. LE CHOIX DU CHERCHEUR l rf te t ' .lit' d a pa a1 s en e es

    schmas baconiens ( lO), prouve clairement que ce ne peut tre la la voie par laquelle la raison progresse rellement. Et, nous croyons l'avoir montr (ES, p. 596 et suiv.), cette strilit n'est aucunement accidentelle, mais fonde sur la nature meme des choses. Car il est parfaitement impossible d'arracher a la nature ses secrets en l'interrogeant directe-ment et en quelque sorte au hasard, comme proposait de le faire le grand chancelier118. Les conditions d'un ph-nomt'me sont d'une multiplicit strictement infinie, et des conditions completement identiques ne peuvent jamais se retrouver dans la nature. Pour reconnaitre a quel point cette conviction est fermement ancre en nous, mme en ce qui concerne les phnomtmes les plus coutumiers et qui nous apparaissent le mieux connus, il suffit de considrer que c'est la, proprement, le fondement intellectuel des jeux (et non seulement, comme on l'a affirm quelquefois, des jeux dits de hasard). En effet, le joueur de billard, si exerc qu'il soit a prvoir la marche des billes, sait d'avance qu'il aura beau tendre tous ses efforts pour galiser toutes les circonstances, il n'arrivera cependant jamais a les rendre tout a fait identiques, que toujours ce qu'il qualifi.e de hasard (et qu'il sait fort bien tre dfi. a une circonstance, a

  • 46 LE PROBLE.ME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    une diversit restes insaisissables) est intervenu pour constituer a son coup un caractere individue!.

    Tout observateur ou exprimentateur est done, qu'ille veuille ou non, amen a oprer un choix, a dclarer d'avance indiffrentes, au point de vue qui l'intresse, une foule de

    conditions particulieres qu'il a per~ues. Ainsi la recherche directe des rapports lgaux, par

    exemple a l'aide de tables de concordance et de dsaccord, telles que les dressait Bacon, est manifestement chimrique: rien ne nous indique tout d 'abord quelles sont les circon-stances que nous devons observer. Un coup d'reil sur l'histoire des sciences suffit d'ailleurs a nous dmontrer combien frquemment la raison humaine s'est fourvoye dans cet ordre d'ides, avec quelle assurance on a affirm et combien fermement on a cru pendant de longs siecles al'existence d'un lien lgalla ou nous n'en percevons plus la moindre tracel19.

    C'est la un fait a tel point patent qu'il n 'a pu entiere-ment chapper al'attention des partisans les plus dtermi-ns des conceptions empiristes. Ainsi J. S. Mili, tout en constatant qu'en ralit la cause d'un phnomene est cons-titue par !'ensemble des antcdents, reconnait cependant que, dans nos recherches, nous nous bornons aux lments que nous savons etre significats ( relevant), et Venn nous certifie que cette maniere de voir, qui implique l'omission des

  • 48 LE PROBLEME ET LA SOLUTION "ENVlSAGE

    c'est, semble-t-il, son contenu propre; par contre, on ne saurait absolument pas comprendre comment cette certi-tude, se transgressant elle-meme, pourrait en fournir une autre, distincte d'elle-meme. A supposer que cela s'accom-plit, ce savoir se transgressant lui-meme ne serait point gal a lui-meme, il serait autre avant la transgression, autre pendant la transgression, et autre apres la transgression; il serait done en contradiction avec lui-meme. )) Comment saisir le rapport entre la raison et la consquence ~

  • 50 LE PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    et comme le conc;oivent les relativistes avancs de nos jours), soit par le dtour de l'unit de la matiere, dont on forme ensuite les atomes a l'aide d'un ther, lequel se rvele enfin lui-meme comme tant une hypostase, un prete-nom de l'espace. Et d'autre part, la dmonstration mathmatique nous est apparue comme une suite d'identifications d'une espece tres analogue, paree que composes essentiellement d'une ((cascade d'galits (selon l'expression tres approprie d'Henri Poincar), chaque galit affirmant l'identit, sous un certain aspect, de termes qui, par ailleurs, taient manifestement con

  • 52 LE PROBLh1E E'f I~A SOLUTION ENVISAOE

    mation sur laquelle repose le travail entier de l'intellect humain, c'est ce qui a d'ailleurs t reconnu des l'aube de la spculation philosophique. Anaxagore et avant lu Her-motime, nous dit Aristote, ont proclam que c'est une intelligence qui, dans la nature aussi bien que dans les etres anims, est la cause de l'ordre et de la rgularit qui clatent

    partout dans le monde5 >>. Ma.is cette foi est tout a.ussi solide chez le chercheur

    moderne. M. Planck observe qu'il est remarquable que ce soit la ferme conviction d'une connexit intime entre les lois de la nature et le regne d'une intelligence supreme qui ait form le point de dpart de la dcouverte >> du prncipe de moindre action, aussi bien chez Leibniz et chez Maupertuis que chez leurs successeurs, et M. Wien insiste sur ce que le physicien doit .

    Milhaud ajoute que s'ils sont devenus moins intransi-geants a cet gard, les savants modernes montrent cepen-dant une ardeur instinctive a perfectionner leur science dans un sens qui peut se dfinir d'un mot: ils cherchent a trans-former ce qui n'tait qu'un registre de faits en une connais-sance rationnelle8 .Cela est on ne peut plus juste, et d'autres penseurs modernes encare ont, en dpit d'Auguste Comte, insist sur l'action puissante de cette tendance rationali-sante. Ainsi, pour Hamilton, la simple connaissance de ce qui s'est pass ou de ce quise passe d'habitude, la connais-sance historique ou empirique , ne suffit point a !'esprit de l'homme; il aspire en outre a la connaissance (( philoso-phique ou scientifique, ou rationnelle9 , et le logicien Sig-wart a, de son cot, fait ressortir cet aspect de la pense scientifique10

    Ce que nous cherchons, quand nous parlons de com-prendre un phnom(me, c'est a faire voir (( qu'il dpend ncessairemf'.nt de jugements ncessaires comme le dit e:xcellemment M. Lalande11, en lucidant ce terme de l'expli-cation. Cicron, dja, avait dfini le concept de cause en dclarant que n'est pas cause ce sans quoi quelque chose ne se fait point, mais bien ce qui quand cela s'ajoute, fait que ce dont cela est cause s'accomplit ncessairementl2 . Malebranche, de meme, dclare que la cause vritable est une cause entre laquelle et son effet !'esprit aper9oit une liaison ncessaire18 , et Hamelin affirme que l'on ne

  • 56 LE PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    cette perception parvient tout d 'abord a nous faire saisir dans l'objet un ensemble d'attributs diffrents, c'est-a-dire a distinguer entre ces attributs, c'est la un problema de psychologie que nous nous abstiendrons de traiter ici; de meme cette autre face du problema qui consiste a se demander comment, dans un objet diffra.nt du premier, nous retrouvons un trait, un attribut ressemblant a celui aper>. C'est done bien de l'unification du divers, et elle est faite tres certainement en vue de l'explication de ce divers : quand j'aurai constitu le concept de ce fau-teuil, je saurai pourquoi l'objet, restant toujours identique a lui-meme, m'offre cependant des sensations si diffrentes dans la suite des moments. Frege a dit que la dcouverte que c'tait un meme soleil, et non un soleil nouveau, quise levait chaque matin, est bien l'une des plus fcondes que l'astronomie ait faite27 )), Frege a raison sans doute, et c'est avec raison aussi qu'il classe cette dcouverte comme rentrant dans le domaine de l'astronomie: on sait, en effet, qu'il y eut, dans l'antiquit, des thories affirmant qu'un nouveau soleil tait form chaque matin pour s'teindre au coucher. Mais sur ce point prcisment, nous voyons a quel point sens commun et science sont troitement joints l'un a l'autre, car le soleil, pour l'astronome de nos jours,-et, l'on ne saurait en douter, pour l'immense majorit des hommes instruits qui, tout en n'ayant jamais contempl un corps cleste a l'aide d'un tlescope, accueillent avec une foi parfaite ce que les hommes comptents leur ensei-gnent a ce sujet - est tres certainement un objet entiere-ment analogue a tous ceux que nous fait connaitre l'onto-logie du sens commun, en particulier a ce fauteuil dont nous

  • 58 LE PROBLE!'IIE ET LA SOLUTION ENVISAG F.

    venons de parler. Et l'on ne saurait douter non plus, semble-t-il, que le processus de la pense qui a serv a les constituer l'un et l'autre a du etre le meme.

    35. LE PARA DO X E DE L ' I DENT !PICA T ION

    Nous nous tions appliqu, en meme temps, a montrer com-ment cet lment constitutif

    et si essenticl de la pense scientifique avait gnralement chapp a l'analyse. C'est que le but ultime, pourtant pour-suivi avec une tnacit inlassable, non seulement semble plac dans un lointain infini, mais apparait en outre comme invraisemblable et en quelque sorte absurde, puisqu'en identifiant le tout on ferait disparaitre le rel ent ier et l'on nierait la sensation elle-meme. Des lors !'esprit, comme par une sorte de pudem devant ce paradoxe, est heureux de s'arreter en chemin, se contentant de satisfactions partielles

    (ES, p . 664 et suiv.). Insistons cependant sur

    36. LA TIJORIE DES QUAN TA t t' li d un aspec par 1cu er es

    rsultats auxquels nous croyons tre ainsi parvenu. C'est un aspect qui a t parfois mconnu et qu'il nous parait utile de prciser a l'encontre d 'objections que semble faire naitre le bouleversement que la physique est en train de subir en ce moment, bouleversement bien plus profond encore que celui qui a t conditionn par les ides de M. Einstein sur le t emps et l'espacc. On devine que nous faisons allusion a la thorie des quanta. C'est en 1900 que M. M. Planck en a mis l'ide fondamentale, qui est celle de la discontinuit fonciere des phnomenes de radiation. Elle parut tout de suite formidablement rvolutionnaire ; non seulement elle contredisait ce qui, depuis Fresnel, .avait paru tabli de fa9on incontestable, mais elle choquait violemment nombre de nos conceptions intuitives sur la nature du rel28 M. Planck t ait parvenu a son affirmation par une voie passablement indirecte, mais, depuis, deg con-

    f

    .....

    ;.~;~ \

    iJ

    LE PHYSIC'IEN ET L'HOMME PRIMITIF 59

    firmations exprimentales directes ont t prsentes en grand nombre.

    Il convient de remar-37. SES BASES E XPR I MENTALES ,

    quer a ce propos que les bases exprimentales de la thorie sont extraordinaire-ment larges, beaucoup plus larges, on peut l'a:ffirmer har-diment, que celles de n 'importe quelle conception de mme envergme dans le pass de la science29 11 n 'est d'aillems pas trop malais, a un point de vue gnral, de comprendre pourquoi il doit en etre ainsi. Prenons, par exemple, la thorie de Fresnel (c'est une comparaison que les conceptions nou-velles, qui ruinent en grande partie cette hypothese, sug-gerent infailliblement). Une fois que l'on avait jug tabli, a l 'aide d 'un petit nombre d'expriences, que le rayon lumineux se comportait non pas comme une mission dans le sens de Newton, mais au contraire comme un mouvement ondula-toire, et que !'ensemble des phnom(mes de cet ordre semblait se dduire logiquement de cette supposition premiere, quel physicien aurait prouv le besoin de chercher des exp-riences nouvelles la confirmant 1 Il y eut un grand nombre de ces confirmations, mais elles sont venues en quelque sorte toutes seules: a u fur et a mesure que l'on dduisait de nou-velles oonsquences, l'exprience les vrifiait, sans que l'on songeat meme a souligner particulierement cette circons-tance, a la considrer comme largissant les bases exprimen-tales de la thorie, laquelle, au jugement des hommes com-ptents, ne paraissait videmment point en avoir besoinao. 11 n'y a rien de pareil pom les quanta. Sans doute, le nombre des constatations qui viennent prendre place dans ce cha-pitre est-il fort considrable et grandit-il tous les jours ; ce ne sont plus seulement des faits optiques et lectriques qui en sont tributaires, on a commenc aussi a appliquer la thorie a des phnomenes d 'ordre diffrent, tels que par exemple ceux de la valence en chim.ie31.

  • 60 LE PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAOE

    Mais a cot de ces con-38. L'ESSENCE CONTRADICTOIRE fi

    DE LA RADIATION rmat10ns , y a aUSSl des facteurs contraires,

    et notamment tout ce dont Fresnel s'tait servi pour ruiner l'mission newtonienne et ce qui, depuis, a paru aller dans le me me sens32

    Par le fait on est oblig de supposer que la radiation est a la fois mission de particules et ondulation, et. que ces deux ohoses si distinotes ne oonstituent cependant, comme le dit M. Heisenberg, que

  • 62 LE PROBJ,EME E T LA SOLUTION E NVISAGE

    toutes circonstances, a l'infini en quelque sorte, alors que les quanta ne promettent rien de pareil.

    Sans doute la simple 39. LA PRDIC T ION ET LE FLA IR d' d

    D U PHYSICIEN DES QUAlVTA pr ~CtWn U compor-tement est-elle fort

    avance; les savants qui, en suivant M. Planck, ont cr !'ensemble imposant de ce savoir, les Einstein, les Bohr, les de Broglie, les Sommerfeld, les Compton, les Dirac, les Schrodinger, les Heisenberg (nous ne prtendons point citer les noiOS de tous ceux qui se sont illustrs dans ce domaine) ont acquis une sorte de sentiment dans cet ordre d 'ides, un vritable flair- ce que les Allemands dsignent par le terme intradusible de EinjUhlung; M. Heisenberg parle a ce propos de la (( pntration par le sentiment ( gef'ilhlsmaessiges Eindringen) dans l'univers conceptuel de la thorie des quanta >> et d'une

  • 64 LE PROBLEME ET I.A SOLUTION EXVISAGE

    employ par le physicien des quanta.le plus souventjdans un sens pjoratif, comme un synonyme de prim). Et il est plus troublant encore que ce que l'on avait jug jusqu'ici constituer le fondement le mieux assur de la science, a savoir la conviction de la dtermination absolue des phnom(mes, se trouve dsormais frapp de doute, voire 'completement rejet. La dtermination n'existe qu'a notre chelle, dansle molaire; au dessous il y a un monde ou regne l'indtermin, pour lequel il est impossible de prciser a la fois les condi-tions de position et de vitesse, de telle sorte que les concepts de temps et d'espace memes se trouvent bouleverss, et bouleverss de maniere bien plus profonde qu'ils ne l'taient par la relativit40 Il est vrai que ce n'est pas la l'avis de M. Planck lui-meme, qui incline plutt a croire que, pour le moment, il n'y a pas de ra.isons suffisantes pour accom-plir un tel acte de rsignation '' lequel, comme ille dit tres justement,

  • 66 LE PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    jamais etre prcisment qu'un idal, vers lequella raison marche sans cesse, mais qu'elle sent nanmoins fort bien - quoique obscurment - etre situ hors de son

    atteinte. On voudra bien se rap-

    43. LES VOIES DE LA PENSE l , pe er auss1 a ce propos

    que, des notre prface, nous avons dclar vouloir nous borner (comme !'indique du reste le titre meme du livre) a l 'tude des voies suivies par la pense. En ce faisant, nous

    exclurons, non pas tm~te mtaphysique,- cela serait, assu-rment, impossible, - mais toute recherche de cet ordre; c'est-a-dire que nous nous contenterons de la mtaphysique,

    essentiellement dualiste, qu'impliquent aussi bien la phy-

    sique que le sens commun. La recherche scientifique ne nous intresse done pas ici

    par les rsultats auxquels elle aboutit, mais par les raisonne-ments qui ont t mis en ceuvre pour y aboutir; la science n'est pour nous qu'un ensemble d'oprations de l'intellect, oprations plus aises a saisir la qu'ailleurs. Ainsi, nous admettons de maniere implicite le postulat auquel Helm-holtz faisait allusion en affirmant, dans l'Optique physiolo-gique, avoir constat une parfaite uniformit dans l'action des processus psychiques; traitant, de maniere plus gn-rale, des faits dans la perception, il a prcis qu' en fin de compte les lois de la pense ne sont point, chez les hommes s'occupant de science, autres que chez ceux qui font de la philosophie . Helmholtz considere une telle proposition comme naturelle43 , et elle nous parait telle en effet; il semble qu'il faudrait des preuves bien topiques pour faire admettre une maniere de voir selon laquelle il y aurait, au point de vue du cheminement de la pense, des processus bien diff-rents d'essence. Nous verrons cependant, dans la derniere partie de ce livre, que telle est, au fond, l'opinion formule par des penseurs tres autoriss. Nous tcherons de l'exa-

    ,:

    LE PliYSICIEN ET L'HOMME PRil\'IITIF 67

    rniner a ce moment. Pour le moment restons-en au postu-lat de l'unorrnit.

    Que l'on veuille bien remarquer, d'ailleurs, qu'tant donn le but que nous poursuivons, il nous est bien plus ais de nous abstenir d'incursions dans le domaine de la mtaphy-sique qu'a ceux qui recherchent les voies que notre pense devrait suivre. En effet, le logicien qui entend que les sch-mas qu'il tablit aient une valeur normative, c'est-a-dire que les conclusions auxquelles on parviendra par leur emploi concordent avec les constatations, tout comme le thoricien de la connaissance part a la recherche de celle que l'on devra considrer comme vraie ou valable, sont presque ncessairement amens a spculer sur l'essence in-time du rel, source de ces constatations et critere de ces vrits. C'est ce qui explique l'atittude de M. Schlick ( 9), et comment il se fait que la notre soit si diffrente de la sienne dans cet ordre d'ides.

    Cela dit, reconnaissons 44. L 'ESSENCE ABERRANTE d

    DE LA THORIE DES QUA NTcl tout e smte que, par rapport a toutes les tho-

    ries scientifiques que nous avons exarnines dans nos livres, celle des quanta occupe une situation a part, et qu'il ne nous semble pas possible, notamment, de tenter dans ce cas ce que nous croyons avoir russi a accomplir pour la thorie de la relativit. Des critiques nous avaient reproch de trop nous appuyer sur le savoir du pass et de cons-truire, par ce moyen, un schma en ralit tranger a la science de nos jours; nous avions alors tenu a montrer que la physique tres rcente, sous sa forme relativiste (encare assez discute au moment ou nous crivions) tait tribu-taire du meme schma, qu'elle n'tait point, contrairement a ce que prtendaient certains de ses adversaires, une mons-truosit, une cration tratologique, mais bien un produit normal de !'esprit scientifique. C'est la une conviction qui,

  • 68 LE PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    depuis, semble etre devenue a peu pres gnrale; non seule-ment M. Einstein lui-meme s'est dclar d'accord, a ce point de vue, avec notre maniere d'envisager ses conceptions44, mais M. Bohr, en opposant les conceptions relativistes a celles que conditionne la thorie des quanta, reconnait que les premieres constituent en quelque sorte le couronne-ment de la physique classique. La thorie de la relativit, crit-il, se conforme, dans une mesure particulierement leve, a l'idal classique de l'unit et de la connexit can-sale dans la description de la nature. Surtout l'ide de la ralit objective des phnomenes soumis a l'observation y est encore maintenue avec riguem.45 ''

    Ces dclarations du clebre physicien que nous avons nomm en dernier lieu nous montrent, du meme coup, a quel point il serait vain de vouloir plier la physique des quanta au schma accoutum :elle est manifestement, par rapport a celui-ci, aberrante. Mais quant a l'ensemble des conclusions que nous avions formules relativement aux: prncipes guidant l'intellect scientifique, nous croyons qu'il suffit d'y prendre garde pour se conva.incre que l'action de ces facteurs se voit plutt confirme par le nouvel avatar.

    Eneffet, ce qui est profon-45. ELLE BOULEVERSE L'IMAGE dment boulevers par

    DU REL la physique des quanta,

    c'est l'image que le savant se faisait du rel. Pour prciser ce point encore: si un physicien a cru que les a tomes de Gouy et de M. Perrin taient autre eh ose que la reprsentation d'un aspect du rel, qu'ils taient un rel dans le sens philoso-phique du terme, et qu'il t enait Ht une vritable chose en soi , en fixant sa mdi.tation '' comme avec un clou ,,, selon la fameuse exprcssion de Leibniz, eh bien , ce physicien a, en effct, t out lieu d'etre d~u par ce qu'enseigne la thorie des quanta4o.

    Mais il est vident que ce physicien faisait vritablement

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    LE PHYSJCIEN ET L'HOMME PRil\IITIF 69

    de la philosophie de la nature, expression qui n'a ici, bien entendu, aucun sens pjorat, car en un certain sens tout physicien est oblig d'en faire :si circonscrit que soit son champ de travail et si minutieuse que soit sa reoherche, il ne parviendra jamais a tout dterminer exprimenta-lement, il y aura toujours chez lu de !'interpol, de l'infr; c'est dire qu'a ces mom~nts il aura suppos impli-citement que la marche des choses est conforme a oelle de sa raison.

    Toutefois, pour que cette rvolution put nous atteindre pleinement a notre tour, il eut fallu que nous eussions spcul sur la nature de ce rel. Or c'est ce dont nous nous sommes abstenu. Avons-nous toujours opr, a cet gard, avec un soin suffisant 1 Ne peut-on trouver chez nous, par-ci, par-la, des phrases ou nous paraissons prdire le cours que la science prendrait a l'avenir? I1 est certain qu'il est malais de chatrer completement !'esprit d'une propen-sion qui lui parait inne, et il est done possible que nous ayons commis, dans cet ordre d'ides, quelque cart . Nan-moins, la tendance gnrale de nos travaux est , croyons-nous, suffisamment claire : il s'agit toujours des prncipes, non du rel, mais de la pense qui le saisit. Nous avons, dans une oirconstance prcise, t enu a exposer qu'il nous paraissait strictement impossible de prdire d 'avance comment la raison se comporterait a l'gard d'un probleme qui ne s'tait pas encore pos et comment, pour avoir tent de le faire, des esprits aussi profonds et aussi judicieux que Lotze et H. Poincar avaient, indpendamment l'un de l'autre, fait fausse route47. Nous avons aussi affirm (DR, p. XIV et 121) que la validit de nos conclusions ne dpendait p1s des vicissitudes des thories scienti-fiques et que, par exemple, a supposer que la thorie de la relativit tout entiere disparut sans trace de la science, les enseignements que nous avions tirs du fait de son

  • 70 LE PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    apparition et de son adoption par l'opinion gnrale des physiciens ne se trouveraient nullement infirms.

    Ainsi, pour nous r-16. CE QU' IL FAUDRAIT DMONTRER f t 1 f dr t u er,1 au a1 que

    l'on put montrer, non pas que des constatations expri-mentales ont ruin l'image accoutume, mais qu'en raison-nant sur ces constatations, l'intellect du physicien des quanta a chemin par des voies diffrant de celles qu'a-

    vaient suivies ses prdcesseurs. Or ce n'est pas la, a ce qu'il nous semble, l'impression qui se dgage des exposs que contient le recueil par lequel un certain nombre de savants ont tenu a honorer rcemment les mrites de M. Planck (c'est a ce recueil que nous avons emprunt les dclarations de M. Bohr). Et cette impression tend a s'accentuer encore si l'on parcourt l'article de M. Planck dont nous avons parl plus haut. Ma.is peut-etre sera-t-il

    utile de prciser un peu ce point important. La phrase de M. Bohr

    47. QU. lNT.-1 ET REL OBJECTIF t, que nous avons c1 ee au

    44 semblerait impliquer que la physique des quanta aurait

    entierement abandonn l'ide d'un rel objectif. Peut-etre forc;ons-nous le sens de la dclaration en l'interpr-tant ainsi; en tout cas, il nous semble vident que tel n'est pas le cas au fond. La physique, du fait des quanta, n'est point devenue subjectivc; quand le sa7ant fait une consta-tation, il considere toujours qu'un autre, observant le meme phnomene, en fera une analogue. En quoi faisant, il sup-pose manifestement qu'en dehors de son moi a lui et du moi de l'autre, il existe quelque chose, quelque chose d'objectif dans le sens courant du terme, c'est-a-dire d'in-dpendant de lcur moi a tous deux. C'est la sur quoi M. Planck a insist avec beaucoup de vigueur. ((La raison (Vernunft) nous dit que, quand nous tournons le dos a un objet ou quand nous le quittons, il demeure nanmoins

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    LE PHYSICIEN ET L'HOMME PRIMITIF 71

    quelque chose de lui ll, crit-il. ll ajoute un peu plus loin : (( L'histoire de la physique nous montre a chaque page que sa tache la plus malaise [il s'agit de la tache consistant a difier, a l'aide d'un certain nombre de mesures donnes, une thorie physique] n'a jamais pu etre accomplie qu'en supposant un monde rel indpendant des sensations humaines, et l'on ne saurait douter que tel sera encore le cas a l'avenir48 >>. Au cours de notre expos, nous aurons l'occasion de revenir plus d'une fois a cette importante question du rel physique; nous reconnaitrons notamment que, contrairement a ce qui est affirm couramment, le physicien suppose une vritable primaut de la ralit sur la mesure ( 74) et qu'il admet meme implicitement l'exis-tence d'un rel en dehors de toute vrification possible par l'observation directo ( 216).

    Il va sans dire que nous n'entendons pas nier que le physicien des quanta ne puisse chercher a son tour a tirer le rel vers le moi; mais ille fera a l'aide de considrations ida-listes qui n'auront que peu de commun avec son travail de laboratoire. Ce qui est exact, en revanche, c'est que, dans cette physique nouvelle, la dtermination de ce qui est pos comme rel ne s'opere plus avec la meme nettet, ni surtout avec la meme aisance que dans l'an-cienne. Car la physique classique connait aussi le sub-jectif, ne serait-ce que pour l'liminer et pour le confiner dans la physiologie : ce sont les qualits sensibles, dclares pures apparences depuis Dmocrite, et que M. Whitehead, nous le verrons ( 77), tente de rintgrer dans la science (a notre avis vainement). Il y a quelque chose de plus dans la physique rcente : pour les phnomenes du mouve-ment meme, censs jusqu'ici constituer la trame propre du rel, nous devons, du moment qu'il s'agit de ce qui s'accom-plit sur l'chelle atomique, renoncer a sparer ce qui appar-tient au rel et ce qui est le fait de l'observateur49, tant

  • 72 LE PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    donn qu'afin d'observer le phnomene nous devons faire agir la lumiere, et que celle-ci modifie la nature meme de ce qu'on entend observer.

    48. LES RSERVES CONCERNANT L'AVENIR

    Il y a la un probleme infiniment complexo et qui n'est peut-etre pas

    encore entierement clairci. Notons tout d'abord qu'il est abusif de parler a ce propos (comme semblent le faire MM. Bohr et Heisenberg) de sujet et d'objet dans le sens que les philosophes, en scrutant ces matieres, donnent aux termes. Le sujet du philosophe, c'est tantot l'etre intel-lectuel seul, et tantt l'etre intellectuel et sentant : il y a la videmment quelque imprcision, laquelle peut, a l'occa-sion, amener des malentendus, mais qu'il est sans doute difficile d'viter. Mais meme en supposant la conception largie a l'extreme, elle ne comprend jamais ce qui a trait a l'action extrieure: le corps de l'homme, a ce point de vue, fait partie, non de son moi, mais du rel. Ainsi quand le savant agit pour connaitre, cette action et ses modalits n'appartiennent point au sujet, dans le sens strict. Le qualitatif de la sensation, l'nergie du nerf est cense l'y ajouter a l'aide d'un processus entierement indpendant de notre action, puisque inconscient par essence. Tout au contraire, quand, clairant le corpuscule, nous drangeons le rel de maniere telle que son essence (a l'tat de ce qui prcdait cet clairage) nous devient impntrable, nous avons fait agir notre corps; cela ne se rapporte done pas au moi purement mental du philosophe. Au point de vue philosophique, a supposer que les constatations quantiques fussent dfinitives, il conviendrait d'en conclure, a ce qu'il nous semble, que le rel, ici, est foncierement inconnais-sabh Mais serait-o'1 en droit d'affirmer que, paree qu'incon-naissable, il n'existe point, ou se confond avec le moi? Ce serait la une dmarche analogue a celle qui a conduit la

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    LE PHYSICIEN ET L'HOMME PRIMITIF 73

    philosophie romantique allemande a liminer la chose en soi kantienne pour instaurer l'idalisme parfait. Mais prcisment, ce serait un changement de front, on pourrait dire un saut d'esprit vritable. Que si, cependant, sans ide prconc;ue, on regarde simplement travailler le physi-cien des quanta, on s'aperc;oit bien vite qu'il recherche le rel comme tout autre physicien, et que, comme ses prd-cesseurs, il limine le moi mental en recherchant l'lment qui en est indpendant.; le rel quantique est encore plus loign de l'anthropomorphisme (pour parler le langage de M. Planck) que la physique qui l'a prcd. La physique des quanta n'est pasen mesure de preter au rel une forme dfinie ~t se rsigne a en ignorer l'essence, tout en conti-nuant a croire fermement a son existence.

    Nous reviendrons a cette situation au 447 et l'exami-nerons a un point de vue un peu diffrent.

    Constatons maintenant que la conquete de ces phno-menes a suivi un rythme extraordinairement rapide, surtout depuis quelques annes, et que le dernier mot n'est sans doute pas dit. Nous avons vu ( 38) que M. Heisenberg juge la thorie, sous sa forme actuelle, '' parfaite et logique )), Mais, dans le travail ou nous avons emprunt cette citation, l'auteur lui-meme, en rsumant L'volution de la thorie des quanta, distingue di verses phases de ce dveloppement; il intitule un chapitre La crise de la thorie des quanta et place cette crise de 1923 a 1925. Il fait suivre cette phase de celle de L'lucidation des rapports formels, 1925-1927, d'une autre de L'lucidation des fondements physiques, 1927, et enfin des Application8 et confirmations exprimentales, 1928. On voit que tout cela est rcentissime. On n'a d'ailleurs qu'a s'adresser a M. Planck lui-meme pour constater a quel point il croit ncessaire de rserver l'avenir. {( Depuis l'apparition de l'quation ondulatoire, dit-il, une volution et un mouvement de progres vritablement tumultueux

  • 74 LE PROBLEME ET LA SOLTTTION ENVISAGE

    de la thorie se sont produits. >> Mais il reste encore des questions obscures qui devront etre lucides ll, et ((a u total l'impression est assurment encore bien peu satisfaisante50 >>. Et M. L. de Broglie crit : >.

    49. LE PHYSICIEN NE SE ReSIGNE QU'.J. REGRET

    Cependant, ngli-geons encore doutes e t restrictions e t

    considrons, >, comme entierement tablie et agre par la majorit des hommes comptents cette nouvelle physique, y compris ses affirmations les plus hardies au sujet de l'indtermination fonciere de l'atomique. Allons plus loin encore, en > comme disent les mathmaticiens. Admettons que la thore ait russi a mettre hors conteste le fait que le rel physique tout entier est constitu par un ensemble d'expressions mathmatiques. Ce serait le triomphe du panmathma-tisme, non pas sous la forme d'un pangomtrisme, comme le concevait Descartes, mais sous celle, plus radi-cale, qui fait le fond des reuvres si remarquables, si jus-tement clebres de M. Brunschvicg, et dont la formule serait a peu pres la suivante : le rel devenu un physique sans image d'objet, sans intuition de support, meme ima-ginaire, et le spatiallui-meme disparaissant pour faire place a des combinaisons analytiques non reprsentables, de telle sorte que la pense mathmatique, toute en analyse constructive, puisse le recrer. Au point de vue ou nous nous pla~ons, il en rsulterait simplement que la raison, pousse

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    LE PHYSICIEN ET L'HOMME PRIMITIF 75

    a bout en quelque sorte et force d'abandonner tout espoir de constituer du rel une image cohrente telle qu'elle avait accoutum d'en former en physique, se serait rsigne a se contenter de quelque chose qui, a certains gards, peut y suppler, d'un pis-aller, d'un succdan, d'un ersatz, comme on disait a la dure poque des restrictions imposes par la guerre. Mais cela ne signifierait aucunement que l'intellect aurait abandonn la moindre parcelle de ce qui, selon nous, constitue l'essentiel de ses tendances. Il n'y aura plus de substance dans la physique nouvelle, nous dira-t-on 1 Soit, admettons-le (nous le faisons pour pouvoir pousser a bout l'argument, nous aurons l'occasion, au 373, de revenir sur la situation et de l'examiner d'un peu plus pres). Cela prouvera-t-il que l'intellect n'en dsire plus 1 Pour le dmon-trer, il faudrait pouvoir tablir que, dans une circonstance donne, la raison, ayant le choix entre deux voies, deux hypotheses, dont l'une postulait sciemment ou impliquait inconsciemment l'existence substantielle, alors que l'autre ne ncessitait aucune supposition de ce genre, a choisi la seconde a u lieu de la premiere. C'est-a-dire, dans le cas prcis, qu'en traitant des quanta, le thoricien a, de propos dlibr, renonc a se prvaloir de l'interprtation physique d'une expression mathmatique, alors que les observations per-mettaient d'en concevoir une52.

    Or, non seulement il n'y 50. LE RETOUR .J. L'IMAGE 1 d

    a aucun exemp e e ce genre, mais on aper~oit facilement des faits opposs. Chaque fois que cela apparait humainement possible, les physiciens retournent- on oserait dire avec allgresse- aux images, d'essence substantialiste, cela va sans dire, dont nous avons tous l'habitude. 11 y ala, nousle verrons plus tard ( 413, 418), une ncessit intime de tout raisonnement, si abstrait qu'il puisse etre en apparence. N'empeche que cela est aussi significatif a la lumiere des principes dont nous sommes en

  • 76 LE PROBLEME ET LA. SOLUTION ENVISAGE

    tram de nous occuper en ce moment. Nous nous contenterons de citer deux exemples qui nous apparaissent comme typiques dans cet ordre d'ides. On sait que, d 'apres la thorie de M. Bohr, qui s'est montre si extraordillairement fconde, l'atome est cens Hre compos d'un noyau entour d'lectrons dont les mouvements obissent a des lois ana-logues a celles qui rgissent les mouvements plantaires (l'attraction lectrique jouant le role de la gravitation). Or la thorie stipulait qu'a l'encontre de ce qui se passe pour les planetes, les lectrons ne devaient suivre que cer-taines orbites se distinguant de maniere discrete les unes des autres. Cela paraissait incontestablement choquant (DR, 130). Mais la conception la plus rcente parvient a expliquer cette anomalie. L'orbite d'un lectron devant constituer une figure ferme, il faut qu'elle soit compose d'un nombre entier de longueurs d'ondes, a peu pres comme une chaine compose de chainons gaux de longueur dtermine. Amsi l'on ne peut plus parler d 'un endroit prcis que l'lectron occuperait dans sa trajectoire, et la circulation de l'lee-tron autour du noyau s'assimile non pas a la rvolution d'une planete autour du soleil, mais plutot a la rotation d'un anneau symtrique qui, en dpit de son mouvement, continue a oc0uper un meme lieu dans l'espace. M. Planck, dont nous avons suivi de tres pres le rsum53 fait ressortir, avec infiniment de raison, que l'on s'est rapproch ainsi davantage de la reprsentation intuitive ( Anschauung), et il est clair que le physicien a saisi avec empressement l'occasion ainsi offerte64.

    Dans un autre cas, les choses ont march en sens inverse. Quand M. L . de Broglie a mis en avant sa conception fon-damentale des ondes, il considrait celles-ci comme ana-logues aux ondes de la thorie de Fresnel, ou du moms de celle de Maxwell, c'est-8.-dire comme matrielles (ou semi-matrielles) et se produisant dans l'espace que nous connais-

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    LE PHYSICIEN ET L 'HO:MME PRII\1I1'IF 77

    sons55. Mais, de par l'intervention de M. Schrodinger princi-palement, ce caractere de la thorie se trouve profondment altr56 En effet, dsormais, nous dit M. Planck, on doit se figurer l'onde, non pas dans l 'espace ordinaire a trois dimen-sions, mais dans ce qu'on a appel l'espace de configuration, dont les dimensions sont fournies par le nombre des degrs de libert de son systeme57 Or il est tout a fait maneste que le physicien n'a procd a cette transformation que con-tramt et forc, pouss qu'il tait par le souci de se conformer aux constatations exprimentales58 C'est paree qu'il a voulu, a tout prix, mamtenir entre celles-ci un accord aussi par-fait que possible, qu'il a sublim l'image prirnitive, qu'il l'a de plus en plus loigne du rel anthropomorphique du sens commun, selon le schma tres juste de M. Planck. L'illustre physicien a d'ailleurs montr aussi que c'est le fait que, dans la phase la plus rcente de la physique, regnent (( le changement et l 'mcertitude)) qui est cause que le positivismo se trouve actuellement mis en avant9 Done, a supposer, comme nous l'avons fait plus haut, le panmathmatisme tabli de maniere dfinitive, on pour-rait (et devrait meme) enjoindre au physicien de ne penser que selon un mode strictement et abstraitement math-matique. Mais prcisment, ce ne serait la qu'une injoru;-tion, et il y aurait danger, selon nous, a mconnaitre que la pense, spontanment, se coule dans un moule tout diff-rent, car alors meme, si la momdre possibilit s'en offrait, le rel substantiel opererait sans doute Wl retour offens60

    En effet, quelles que soient l'admirationquel'onprofesse a l'gard de !'ensemble de la conception des quanta et la confiance avec laquelle on contemple la forme la plus rcente de cette structure, il n'est pas, semble-t-il, mterdit de croire ( 48) qu'ayant si grandement chang d'aspect tout pres du moment actuel, elle pourra subir des avatars nou-veaux dans !'avenir. Qui saitsi ses ngations les plus premp-

  • 78 LE PROBLEME ET LA. SOLUTION ENVISAGE

    toires memes ne se trouveront point mises de cot a la suite d 'un progres nouveau de nos moyens de recherche 1 On ne peut, nous dit-on, sparer nettement l'observ de l' observateur, et l' on fait de cette impossibilit une des pi erres angulaires de la thorie. Or, elle tient videmment a la nature des instruments a l'aide desquels on observe. Mais si l'on travaille en fait, dans ces recherches, comme l'a rappel M. W. L. Bragg, >, est-il contradictoire d'esprer, comme le fait ce physicien, que de nouveaux progres techniques nous permettront de pntrer plus avant dans le mystere 1 Rappelons-nous l'affirmation d'Auguste Comte concernant l'impossibilit de toute connaissance relative a la constitution chimique des astres. Ce trait de vritable dogmatisme ngatif >> pouvait paraitre entierement justifi a son poque. Et pour-tant, quelques lustres a peine apres ce moment, l'analyse spectrale - moyen d'investigation dont le crateur du positivisme n'avait pu, videmment, concevoir aucune ide- est venue dtruire a jamais la barriere par laquelle on avait entendu borner de ce cot les recherches futures.

    On pourrait peut-etre faire valoir que la situation a cet gard n'est pas, dans la thorie des quanta, diffrente de ce qu'elle tait naguere dans la relativit. La aussi, quand, a la suite d'expriences, il avait t tabli que l'on ne pourrait parvenir a connaitre un mouvement de la terre par rapport a l'ther, il y cut des physiciens qui affirmerent que cette impossibilit pourrait bien n'etre que provisoire, et qu'un moyen de recherche autre que le rayon lumineux pourrait bien un jour mieux nous renseigner. Mais l'analogie est loin d'etre complete. Car la confiance en la relativit -les rsultats des expriences mis a part - vient videmment de ce qu'elle constitue (tout comme la thorie de Fresnel) une construction dductive d 'une trame tres serre : une

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    LE PHYSICIEN ET L'HOMME PRIMITIF 79

    fois la supposition fondamentale agre, le reste en dcoule avec une grande rigueur. Or, nous l'avons vu, il n'y a ren de pareil dansla thorie des quanta: on est oblig de partir de la dualit contradiotoire des ondes et des corpuscules, et ce que l'on rige sur cette base ne saurait, par consquent, prsenter a la pense une rigueur du meme ordre que l'di-fice bat par M. Einstein. C'est ce qui fait que le tout, quoi que l'on fasse , ne parait point inspirer la meme foi en sa solidit, et qu'on est amen a envisager plus ais-ment une volution profonde dans !'avenir, volution au cours de laquelle, a notre avis, des considrations issues des tendances fondamentales de !'esprit humain ne pour-raient guere manquer de faire sentir leur poids.

    Par consquent, et contrairement a ce que l'on entend affirmer parfois, il n'y a, dans cet avatar de la thorie des quanta, ren qui confirme le point de vue positiviste ou phnomniste. Car ce que prescrivent ces conceptions, c'est de faire abstraction de l 'ide de substance la ou elle semble s'offrir spontanment a l'entendement. Or, ce n'est pas ainsi qu'a raisonn le physicien; tout au contraire, son attitude mentale confirme nettement la supposition que la science, la raison scientifique, aspirent profondment a conoevoir un rel de substances en tant que substrat et explioation des phnomenes changeants. Tout pas accompli dans la direction oppose apparait au savant comme un sacrifice, un renoncement62.

    Maintenant, jusqu'ou ce 51. PEUT-ON FIXER LA LIMITE "fi

    nu SACRIFICE~ ce sacn ce peut-1 etre pouss et quels sont les

    concepts que le physicien pourra, le cas ohant, accepter en tant que rempla~ants du rel substantiel1 C'est ce qu'il est, selon nous, impossible de prdire. En effet, nous nous retrouvons la sur le terrain ou le puissant esprit de H. Poin-car a trbuch ( 45), puisqu'il faudrait pouvoir prvoir

  • 80 L.E PROBLEME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    l'attitude de la raison en face d'un probleme qui ne s'tait pas encore effectivement impos a son attention.

    Par oontre, l'volution de la thorie des quanta permet de constater que le lgal ne jouit, a cet gard, d'aucun privi-lege exclusif, que la raison, pousse dans ses derniers retran-chements, est susceptible de l'abandonner, tout comme elle abandonne le substantiel et le causal. Nous avons vu, en effet , tout a l'heure que l'on a com;u un sous-atomique ind-termin. On pourrait, i1 est vrai, invoquer a ce propos les ides d'Auguste Comte, qui avait, comme on sait, con9u les phnomenes au-dessous d'une certaine chelle comme n 'obissant a aucune loi. Mais ce serait oublier qu'il avait rigoureusement interdit toute recherche pouvant amener des constatations de ce genre et meme, en gnral, toute investigation trop minutieuse et accomplie a l'aide d'ins-truments trop perfectionns. Ainsi, et tout en admirant, comme il convient, le puissant instinct scientifique du cra teur du positivisme, instinct qui lui a permis (du moins si l'on admet comme dfinitivc la maniere de voir de M. Bohr), de prvoir un avenir lointain, on n 'en est pas moins oblig de reconnaitre que la soience, dans ce domaine, n'a pas suivi les voies indiques par lui, et que si elle a touch a la subs-tance, elle n'a pas non plus respect la loi.

    Nous objectera-t-on cepen-52. LE PRTENDU POS ITI V JS ME dant qu'en re "etant l'pis-

    D U PHYSICIEN J t mologie positiviste nous

    nous mettons en contradiction avec celle que professe ostensiblement la presque totalit des savants de nos jours 1 Sans doute, mais, prcisment, nous croyons avoir tabli qu'il s'agit la d'une sorte de leurre, que le physicien ne fait que se prtendle positiviste, alors qu'en ralit ses prncipes sont tout autres, pwsqu'il croit, dur comme fer (seln la locution populaire), a l'existence de l'objet

    extrieur a la sensation.

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    LE PHYSICIEN ET L'HOMME PRIMITIF 81

    53. LA PARTICIPATION CHEZ LES PJUMITIFS

    Nous pouvons a prsent a la fois confirmer et tendre ces affirmations,

    en montrant que le processus ainsi conc;u n'est nullement limit a l'int: llect de l'homme civilis, que l'on peut suppo-ser infl.uenc par la science ou la philosophie. Pour ce faire, il nous suffira d'examiner la pense telle que nous la pr-sentent, a l'autre extrmit en quelque sorte de l'volu-tion humaine, les travaux si importants, si rvlateurs, de M. Lvy-Bruhl sur la, mais qu'au contraire l'effort le plus srieux de notre raison est coul dans le meme moule.

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  • 82 LE PROBLEME :r.:T LA. SOLUTIO~ ENVISAG"E

    La pense primitive, nous dit M. Lvy-Bruhl, en usant de la participation, ne s'astreint pas, comme la ntre, a viter la contradiction, meme flagrante. Elle ne s'y com-plait pas gratuitement, ce qui la rendrait rgulierement absurde a nos yeux. Mais elle s'y montre indiffrente n. Cette contradiction consiste en ce que'' les objets, les etres, les phnomimes peuvent tre, d'une fa~on incomprhen-sible pour nous, a la fois eux-memes et autre chose qu'eux-mmes64 n. Ainsi identit et diversit sont nonces simulta-nment et semblent en effet se contredire. Mais il est clair, et il ressort de ce terme me me de participation, que ce qui est affirm rellement, c'est une identit partielle. Le Bororo qui maintient qu'il est un arara65, ne prtend pas qu'il est absolument identique a. un tel perroquet rouge a tous les points de vue; ce qu'il veut dire, c'est qu'il est un tel a certains gards, qu'il participe des caractristiques qui sont celles de l' arara.

    54. L' ACCORD ENTRE LES DEUX SCHMAS

    Meme prsent sous cette forme, l'nonc parait fort choquant. Mais cela

    provient, croyons-nous, uniquement du fait que nous n'a-vons pas l'habitude de lier de cette maniere, dans notre pense, ces deux concepts de l'homme et de l'arara, ni meme en gnral des concepts de ces deux classes. Car quant au processus lui-mme par lequel s'opere la liaison, c'est-a-dire a la forme logique sous laquelle il faudrait ranger cette maniere de raisonner, elle nous parait se rapprocher sensi-blement de celle que suit la pense scientifique la plus rigou-reuse.

    Afin de bien mettre en lumiere ce point important, nous aurons recours, non point au schma tel que nous l'avons formul ici, mais directement a l'un des exemples qui, dans nos travaux antrieurs, nous avaient servi a en dgager les fondements. Cet exemple est celui de l'quation chi-

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    LE PHYSICIEN ET L'HOJ\IME PRIMITIF 83

    mique. Quand le chimiste crit Na+Cl=NaCl, cet nonc constitue sans doute une manifestation de l'espoir secret et tenace qu'il nourrit, en grande partie inconsciemment, de parvenir a une explication de cette raction, ce qui vi-demment ne pourra se faire que si l'on dmontre que la di-versit entre les deux tats de la matiere reprsents res-pectivement par les symboles qui se trouvent a gauche et a droite du signe d'galit n'est qu'apparente, qu'elle dis-simule une identit fonciere. Mais tout de meme, et si parfait que l'on puisse imaginer le succes de cette explica-tion dans !'avenir, il demeure certainement inimaginable qu'elle fasse jamais disparaitre completement cette diver-sit, qu'un mtal mou et un gaz verdatre soient reconnus comme identiques a tous gards a un sel incolore; la diversit n'tait qu'apparente, mais il restera toujours qu'il y avait au moins diversit de l'apparence. Done, si l'on a l'audace de formuler l'nonc, c'est paree que l'on sait d'avance que celui qui lira la formule ne nous prendra pas au mot, qu'il n'y verra jamais que l'affirmation d'une identit partielle. Et de meme, le physicien n'hsitera point a trai-ter comme des identits un accumulateur lectrique charg et une masse d'eau place sur une hauteur et prte a des-cendre, l'un et l'autre seront pour lui des rservoirs d'nergie, alors que pourtant, a d'autres gards, il n'aura pas le moindre doute sur leur diversit.

    Ainsi le primitif, en liant les phnomimes selon ce mode, ne sort pas pour cela du moule gnral de notre intellect. En affirmant qu'il participe des caractristiques de l'arara tout en restant homme, il raisonne comme le chimiste qui runit par un signe d'galit les substances prsentes avant et apres la raction, comme le physicien qui identifie deux formes de l'nergie dont il ne perd cepen-dant aucunement de vue la diversit fonciere. Car dans aucun de ces cas nous ne croyons ncessaire d'noncer des

  • 84 LE PilOllLEME ET LA SOLUTION ENVISAGE

    restrictions, pourtant tres essentielles, que notre pense for-mule implieitement.

    55. QUANIJ LA FORME DU JUGEMENT NOUS FRAPPE-T-ELLE?

    S'ensuit-il que le primitif raisonne aussi bien que le

    savant, qu'il a raison, pour etre prcis, autant que le chimiste qui crit l'quation selon laquelle le sel marin se forme en partant de ses lments 1 Assurment non. Mais entre lu et le chimiste, la diffrence n'est qu'une diffrence de degr ou, si l'on veut, de contenu, l'essentiel du raisonnement, qui est ici sa forme, restant le meme. Il n'est pas sfu que le chimiste, si nous l'interrogeons sur la signification de son quation et sur les raisons qui l'ont conduit a la formuler, nous rponde cor-rectement; mais enfin, si nous examinons de pres les crits de cette science, nous pourrons en dduire les raisons en question, et elles nous paraitront alors suffisamment pro-bantes. Celles du primitif nous paraitraient au contraire futiles; il n'est pas douteux, nanmoins, qu'il en a, quoique nous puissions avoir parfois quelque peine a les lucider, car lui-meme ne les conctoit que tres obscurment. Mais c'est la encore une disgrace qu'il partage avec nous tous. Nous venons de le constater pour le chimiste, et du reste, Pascal nous l'a dit, nous ne trouvons tous qu'apres coup les raisons de nos jugements. Le primitif a mal jug, mais il n'en a pas moins pens comme nous avons l'habitude de le faire, et l'on ne peut prtendre qu'il est illogique qu'en l'affirmant en meme temps de notre pense a nous66

    En somme, la forme de ses jugements ne nous a frapps que paree que nous n'tions pas d'accord avec leur conte-nu. Cette observation s'apparente troitement a celle que nous avions formule, a maintes reprises, au cours de nos travaux d'pistmologie. Il est malais, avions-nous expos, de reconnaitre les voies que suib la pense scientifique, si l'on borne l'examen a la science de nos jours. Car celle-ci

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    LE PHYSICIEN ET L'HOMME PRIMITIF 85

    fait partie intgrante de notre intellectualit la plus intime, et ses raisonnements nous entrainent irrsistiblement, comme le mouvement d'un navire entraine tous ceux qui se trouvent a son bord, sans qu'ils puissent meme se rendre compte de ce mouvement, s'ils n'aperc;oivent les rives. C'est la que l'histoire des sciences est susceptible de nous tirer d'embarras, car elle nous montre une pense dont le progres s'opere en gnral selon les prncipes memes qui dirigent la notre, alors que les conclusions auxquelles elle aboutit sont si diffrentes de celles dont nous avons l'habi-tude qu'aucun entranement inconscient n'est plus a craindre. Des lors, les voies du cheminement, pour l'obser-vateur attentif, rcssortent avec infiniment plus de clart .

    On voudra bien nous pardon-56. L'ANALOGIE A d.

    DES DEUX RECHERCHES ner de nousetre un peu attar e, a la suite de M. Lvy-Bruhl,

    a ]'examen de la pense primitive. C'est que ses pn-trantes observations, jointes a celles que nous avions faites dans un domaine tout diffrent, nous paraissont de nature a faire soupyonner au lecteur a quel point il s'agit, en l'es-pece, d 'une forme cssentielle de toute pense humaine . Car nous ne saurions vritablement exagrer la porte des travaux du clebre sociologue au point de vue de la recherche qui nous occupera ici. En nous faisant connaitre intimement une mentalit n en apparence si diffrente de la notre, il nous permet une pntration analogue a celle dont l'tude de l'histoire des soiences a form le point de dpart. Et l'on peut se convaincre aussi qu'en cherchant a utiliser les donnes des deux ordres pour connaitre les prncipes directeurs de la pense humaine, nous suivons des voies paralleles. En effet, tant que l'on se borne a exa-miner l'historique de chaque acquis de la science en parti-culier, et que l'on cherche, dans chacun de ces cas, a rappro-cher directement le pass du prsent, on est tres enclin a

  • 86 LE PROBLEME ET LA SOLlTTION ENVISAGE

    concluro que ceux qui nous ont prcds dans le temps, puisqu'ils se sont

  • 88 LE PROBLhtE ET LA SOLUTION ENVISAGE

    processus d'identification appliqu a nos sensations fugi-tives ne nous apprend directement ren au sujet du schma de la phrase commune; car le sens commun aussi doit etre considr (J R, chap. XI) comme renfermant une science et une philosophie inconscientes. Mais peut-on affirmer qu'alors que nous ne paraissons spculer en aucune fa