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« Quelle place pour la chimie dans une société durable ? » *** ANGD organisée dans le cadre du PIR « Chimie pour le développement durable » 19 – 24 octobre 2009 Institut Scientifique de Cargèse – Corse *** Comité d'organisation : Isabelle Rico-Lattes, Directrice du programme Chimie pour le développement durable INC, Chargée de mission INEE Nicolas Buclet, Responsable du CREIDD (Centre de Recherches et d'Etudes Interdisciplinaires sur le Développement Durable) CNRS FRE 2848 - Troyes Catherine Bastien Ventura, Chargée de Mission INEE Pierre Matarasso, Directeur Scientifique Adjoint INEE

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« Quelle place pour la chimie dans une société durable ? »

*** ANGD organisée dans le cadre du PIR

« Chimie pour le développement durable »

19 – 24 octobre 2009 Institut Scientifique de Cargèse – Corse

*** Comité d'organisation : Isabelle Rico-Lattes, Directrice du programme Chimie pour le développement durable INC, Chargée de mission INEE Nicolas Buclet, Responsable du CREIDD (Centre de Recherches et d'Etudes Interdisciplinaires sur le Développement Durable) CNRS FRE 2848 - Troyes Catherine Bastien Ventura, Chargée de Mission INEE Pierre Matarasso, Directeur Scientifique Adjoint INEE

ANGD – Quelle place pour la chimie dans une société durable ?

Quelle place pour la chimie dans une société durable ?

Institut Scientifique de Cargèse – Corse 19 – 24 octobre 2009

Les sociétés humaines font régulièrement face à des moments, des carrefours, qui représentent

autant de possibilités de bifurquer et d’infléchir les trajectoires technologiques et

institutionnelles dans lesquelles elles s’inscrivent. Les enjeux liés au changement climatique,

les menaces sur la biodiversité, couplés aux contraintes énergétiques à venir, font du début du

XXIème siècle l’un de ces carrefours à partir duquel penser l’évolution sociétale. On parle dans

ce cadre de voies à tracer vers un développement durable. Plusieurs sentiers sont

envisageables. Eco-technologies et agro-ressources sont ainsi de plus en plus invoquées

comme autant d’outils à empoigner pour se frayer un passage vers cette durabilité. D’autres

guides manifestent un certain scepticisme quant à l’aspect suffisant, bien que nécessaire, de

tels outils. Des changements de comportement individuels et collectifs, une redéfinition des

objectifs poursuivis par les acteurs de la société, seraient indispensables si l’on souhaite en

finir avec une fuite en avant périlleuse pour l’humanité.

Les acteurs de la chimie n’échappent pas à ce questionnement sur l’évolution souhaitable des

pratiques traditionnelles. Cette rencontre sur une semaine entre chercheurs confirmés,

doctorants, étudiants… se veut une réflexion sur les relations entre les multiples enjeux

environnementaux, sociaux et économiques qui se présentent à nous et les modifications à

induire au niveau de l’état d’esprit ainsi que des comportements, notamment dans le monde

de la chimie. Les interventions prévues ont pour objet d’alimenter un va-et-vient que l’on

souhaite riche et constructif entre les porte-parole d’enjeux éthiques, sociaux,

environnementaux et économiques d’une part, et le monde de la recherche dans le domaine de

la chimie d’autre part. Loin de servir d’alibi, comme c’est fréquemment le cas, les questions

que soulève le développement durable gagnent à être perçues comme autant d’opportunités de

modifier notre vision des finalités de la recherche, de l’innovation, de l’efficacité et du « vivre

ensemble ». C’est là l’objet de cette école.

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Lundi 19 octobre Départ bateau de Marseille vers 19h00 Conférence en soirée sur le bateau : « Qu’entend-on par chimie ? Une perspective historique » Cyrille Harpet (INSA - Lyon)

***

Harpet Cyrille Ethique et développement durable Centre des Humanités, 1 rue des Humanités 69620 VILLEURBANNE CEDEX Tél 04 72 43 71 21 [email protected]

« Qu’entend-on par chimie ? Une perspective historique » Le terme de « chimie » mérite d’être explicité avant d’engager un débat sur la place de la chimie dans la société, durable ou pas. En effet, de quelle « chimie » parle-t-on ? De la science « chimique » à travers ses méthodes, ses procédures, ses instruments ? Et donc d’une discipline, de ses résultats que sont des produits, des matériaux, des substances, des molécules ? Des activités de fabrication du secteur économique qu’est celui de « la chimie » et donc de ses procédés, de ses installations, du système ou complexe industriel ? Nous verrons comment l’histoire de la chimie, en tant que discipline scientifique, est passée progressivement des méthodes d’analyse de la composition de la nature, du monde de la matière dite « naturelle », pour composer un nouveau monde, celui des artefacts, des produits et matériaux de synthèse dans la société industrielle. Les problématiques qui ressortent aujourd’hui se situent aux frontières du naturel et de l’artificiel, du biologique et du minéral, du simple et du complexe, des interactions entre les produits de synthèse et les organismes vivants, les milieux, la biosphère dans des échelles d’espace-temps qui rompent avec les représentations classiques. Les interventions humaines aux échelles micro et macroscopiques, à l’aide des sciences et des technologies, conduisent-elles aux limites de la durabilité d’une société humaine ? Note : sommaire de la conférence (40 minutes d’exposé) - un rappel de la définition de "chimie" (science, élément chimique, activité industrielle) (5’) - l'histoire de la chimie au fil des siècles (des alchimistes à aujourd'hui) (20’) - des problématiques soulevées par la puissance d'investigation de la chimie, outillée, de la démultiplication des synthèses possibles (combinatoires) pour concevoir, synthétiser des produits aux propriétés parfois inédites ou servant des intérêts économiques, sanitaires, de confort de vie, de l'expansion des produits (généralisation, extension des usages, diversification des usages), de leur complexification (matériaux complexes) et des interactions avec les milieux, organismes et la biosphère.(15’)

ANGD – Quelle place pour la chimie dans une société durable ?

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ANGD – Quelle place pour la chimie dans une société durable ?

Mardi 20 octobre 07h00 – 09h00 Arrivée Ajaccio – transfert bus Cargèse 12h00 – 14h00 Déjeuner à l’Institut de Cargèse 14h00 – 14h30 Présentation de l’Institut de Cargèse 14h30 – 15h00 Axe 1 Développement durable, Economie de marché,

Capitalisme : quelle compatibilité ? Les limites du système économique dominant par rapport aux enjeux du développement durable Nicolas Buclet (Université de technologie -Troyes)

15h00 – 15h15 Discussion 15h15 – 15h45 Sortir du débat entre croissance et décroissance : que peut apporter

une approche par les besoins ? Franck-Dominique Vivien (Université - Reims)

15h45 – 16h00 Discussion 16h00 – 16h30 Pause 16h30 – 17h00 Un cas particulier de recherche de soutenabilité: stratégies d'acteurs

autour des agro matériaux Estelle Garnier (Université - Reims) 17h00 – 17h30 Discussion générale

Dîner libre

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Nicolas Buclet CREIDD (Centre de Recherches et d'Etudes Interdisciplinaires sur le Développement Durable) - Institut Charles Delaunay CNRS FRE 2848 - Université de technologie de Troyes 12, rue Marie Curie - BP 2060 10010 Troyes Cedex Tél. : 03 25 71 80 06 [email protected]

Les limites du système économique dominant par rapport aux enjeux du développement durable

Bien que les enjeux fixés soient ambitieux, les stratégies de développement durable demeurent ancrées dans un système de pensée qui confond fins et moyens, poursuit des objectifs qui ne devraient être que des instruments. Les lacunes principales du mode de pensée qui instrumentalise aujourd’hui le concept de développement durable se résument à l’absence de discussion quant aux conventions et aux valeurs qui devraient servir de repères de coordination aux acteurs composant la société. Dès lors, il devient difficile de développer une vision systémique du développement durable, ainsi que d’en poursuivre les objectifs réels. Il s’agira dans cet exposé de mettre en évidence ces carences conceptuelles, en pointant un certain nombre de mythes qui constituent le cœur du mode de pensée du système économique dominant, et qui ne sont pourtant même pas discutés.

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Franck-Dominique Vivien Laboratoire « Organisations marchandes et institutions » Université de Reims Champagne Ardenne [email protected]

Sortir du débat entre croissance et décroissance : que peut apporter une approche par les besoins ?

En matière d’analyse de la soutenabilité, le champ de l’économie est traversé par un certain nombre de controverses. Un des principaux débats qui agite la discipline économique est relatif à la place et au rôle que peut y jouer la croissance économique. Plusieurs doctrines sont ainsi envisageables : selon la théorie économique dominante, la croissance est une condition nécessaire et suffisante pour atteindre un développement soutenable ; pour l’économie écologique et certains pans de l’économie du développement, la croissance est une condition nécessaire, mais non suffisante ; enfin, pour le courant dit de la décroissance, la croissance économique n’est pas nécessaire pour s’engager sur une trajectoire de soutenabilité. Derrière cette controverse, se discute la façon de satisfaire les besoins ; ce qui fait écho à un des deux concepts mis en avant par le rapport Brundtland pour définir l’enjeu du développement soutenable.

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Estelle Garnier Université de Reims [email protected]

Un regard particulier sur les stratégies mises en œuvre : les agromatériaux La recherche de solutions alternatives au pétrole occupe aujourd’hui une large partie du débat sur la soutenabilité. Une des substitutions envisagée est celle des matériaux à partir du renouvelable agricole. La mise au point d' « agromatériaux » fait partie du mouvement de développement d’une chimie doublement verte : il implique la rencontre du monde des agro-industries (intéressé au développement d’une chimie biosourcée), et du monde de la chimie (qui a traditionnellement développé des matériaux plastiques, et qui est soumis aujourd'hui aux impératifs de la chimie verte). Nous proposons d'étudier la façon dont des « projets agromatériaux » ainsi que leurs évaluations, lorsqu'elles sont accessibles organisent leur propre description 1) de leurs interrogations sur l’intégration des diverses contraintes et 2) des compromis qu'ils envisagent pour produire des solutions à la fois techniquement possibles, économiquement envisageables et crédibles d'un point de vue environnemental.

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Mercredi 21 octobre

09h00 – 09h30 Axe 2 : Quel rapport au progrès ?

Chimie environnement Notion de progrès - Sciences technique et progrès Alain Navarro (INSA - Lyon)

09h30 – 09h45 Discussion 09h45 – 10h15 Une approche des pratiques ordinaires de critique technique, ou

comment les personnes ordinaires s'y prennent pour contester, contourner, disqualifier les experts qui entendent façonner leur monde Rémi Barbier (ENGEES - Strasbourg)

10h15 – 10h30 Discussion 10h30 – 11h00 Pause 11h00 – 12h00 Discussion générale 12h00 – 14h00 Déjeuner à l’Institut de Cargèse 14h00 – 15h00 Principe de Précaution et ses conséquences en droit de la recherche –

Aurélie Moriceau (CNRS-Rennes) et De l’inavouable efficacité du principe de responsabilité à la préoccupante inefficacité du principe de précaution. Alain Papaux (Université - Lausanne)

15h00 – 15h30 Discussion 15h30 – 16h00 Danger, Risque, Incertitude discussion autour des différences entre ces

concepts : Eric Vindimian (CEMAGREF - Montpellier) 16h00 – 16h15 Discussion 16h15 – 16h45 Pause 16h45 – 17h15 Lorsque la sociologie est invitée à côtoyer les sciences de la chimie et

de l'environnement : ce qu'elle apporte, et ce sur quoi elle ne peut être sollicitée - Pierre Vaiss (CNRS & MEEDDAT)

17h15 – 17h45 Discussion générale

Dîner libre

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Alain Navarro INSA – Lyon [email protected]

Chimie, progrès et environnement De mon point de vue, forcement déformé par des dizaines d'années de pratique de la chimie des déchets, la chimie m'apparaît comme la science de la matière, dans tous ses "états": L'identifier, l'élaborer, la transformer, la créer, l'utiliser sont la préoccupation du chimiste. De ce fait,la chimie permet d'approcher au mieux la connaissance des constituants du milieu naturel (inertes et vivants, organiques ou minéraux) donc de l'environnement matière, mais en même temps,d'imaginer et de fabriquer les molécules les "plus" artificielles (le rêve de l'alchimiste). C'est peut-être la le principal sujet de débat entre progrès et environnement. La complexité des comportements chimiques crée de l'angoisse et du scepticisme dans la mesure ou les approches cartésiennes ne s'y appliquent que partiellement: Comment résoudre un problème qui a de nombreuses solutions possibles et pour lequel on dispose de trop de données ou pas de données du tout ? Mais en matière d'environnement n'en est-il pas de même pour toutes les sciences ? (téléphones et antennes relais par exemple) La chimie, de par son image et sa difficulté à s'extraire de sa relation constante avec les polluants, les toxiques, les poisons, etc......n'est-elle pas le bouc émissaire tout désigné pour justifier notre difficulté à jouir sans entrave d'un progrès technique si ardemment souhaité ? Deux questions au moins méritent débat : -Comment gérer la "peur" de la chimie? (Faut-il avoir peur de la chimie par Bernadette Bensaude-Vincent). Comment, par exemple, donner plus de place aux aspects sociaux et économiques dans l'analyse environnementale et l'évaluation du progrès ? -Une chimie "verte" est elle une nouvelle voie de développement ou l'habillage médiatique d'une pratique inchangée ? Le débat est ouvert et l'avenir n'est pas encore écrit

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Remi Barbier Ecole Nationale du Génie de l'Eau et de l'Environnement de Strasbourg UMR Cemagref-ENGEES en Gestion des services publics 1 quai Koch - BP 61039 67070 Strasbourg Cedex 03 88 24 82 48 [email protected]

Une approche des pratiques ordinaires de critique technique La question du rapport au progrès dans les sociétés contemporaines peut être abordée de plusieurs manières. Nous avons choisi ici de centrer notre approche sur ce vecteur privilégié du progrès qu’a été, et qu’est encore dans une large mesure, l’expertise technico-scientifique. A la jonction du savoir et du pouvoir, c’est elle en effet qui, dans de nombreuses situations, est convoquée pour dire le monde commun dans lequel nous pouvons vivre et le progrès qu’il est souhaitable de poursuivre. Mais l’effritement progressif du pacte de confiance constitutif de la modernité a contribué à rendre cette expertise accessible à diverses formes de critiques, y compris de la part des personnes ordinaires autrefois confinées dans une attitude oscillant entre la confiance et l’apathie. Dans cette communication, nous proposons de distinguer trois modes de réception critique de l’expertise : la contestation, le contournement et la disqualification. Nous en présenterons les principaux ressorts à partir de situations de controverses environnementales.

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Aurélie Moriceau UMR6262 Institut de l'Ouest : Droit et Europe (IODE) Faculté de droit et de science politique 9 rue Jean Macé 35042 Rennes Cedex [email protected]

Le principe de précaution et ses conséquences en matière de recherche Aborder le principe de précaution et ses conséquences en matière de recherche amène à se poser la question suivante : la recherche et le principe de précaution sont-ils antinomiques ? En effet, ce qui n’a pas été expérimenté est potentiellement dangereux. Dans le même temps, ne rien faire empêche le progrès. D’ailleurs ce n’est pas la science qu’il faut mettre en cause mais l’utilisation de certaines de ses découvertes car il est important de développer nos connaissances. Si les avancées scientifiques fascinent autant qu’elles font peur, elles doivent donc être encadrées dès lors qu’elles ont des conséquences néfastes sur l’environnement et sur la santé de l’homme. Une rencontre entre recherche et précaution était inévitable car la recherche se caractérise par de l'incertitude scientifique, objet du principe de précaution.

Il convient d’étudier comment le droit intervient et gère le lien ambigu entre précaution et recherche entendue au sens large, c’est-à-dire aux développements des technologies nouvelles – cela comprend aussi bien la recherche médicale, thérapeutique (supposant l’expérimentation humaine) que la recherche scientifique – .

Contrairement au principe de prévention utilisé pour prendre des mesures destinées à prévenir un événement prévisible, le principe de précaution est mis en avant lorsqu’un risque potentiel, mais non avéré, existe. La gestion de l’incertain est l’élément moteur sur lequel repose la précaution traduisant cette « heuristique de la peur ».

Il existe trois manières d’envisager le principe de précaution. D’abord, l’approche minimaliste qui consiste à interdire toute recherche uniquement quand le risque est probable. Ensuite, l’approche maximaliste consiste à interdire toute recherche en l’absence de preuve d’innocuité. Enfin, l’approche médiane qui consiste à autoriser des recherches, sous couvert de garde-fous. Cette dernière approche qui fait du principe de précaution un principe de recherche et d’action exigeant la réponse au plus grand nombre de questions possibles avant que des transformations technologiques irréversibles ne soient engagées, est retenue en droit communautaire et en droit national. Pour ce faire, la norme de droit est révisable et il est nécessaire qu’elle le soit.

Prenant en compte les situations d’incertitude scientifique, le principe de précaution permet ainsi d’évaluer et de maîtriser le risque tout en évitant tout immobilisme. Pour autant, ce principe aussi galvaudé soit-il, reste toujours controversé dans ses modalités d’application juridiques.

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Alain Papaux Professeur de philosophie du droit à la Faculté de droit et des sciences criminelles de Lausanne Professeur de philosophie du droit de l'environnement à la Faculté des géosciences et de l'environnement de Lausanne [email protected]

Principe de précaution en sa préoccupante inefficacité, d’abord Il conviendra de bien distinguer prévention – décision en contexte de « certitude » scientifique – et précaution - décision en contexte d’« incertitude ». On rabat trop souvent la seconde sur la première, que ce soit par assimilation de la précaution à une analyse « coûts/bénéfices » ou par déni d’une certaine incommensurabilité « intrinsèque » des objets à notre savoir. La précaution dans sa version maximaliste (« le catastrophisme éclairé » de J.-P. Dupuy) remet au cœur de la réflexion l’incertitude et de manière médiate, seulement, les fins collectives à arrêter. A la première répond une logique peu connue quoique largement pratiquée, la logique indiciaire (ou abduction), aux secondes de nouvelles procédures démocratiques aux lenteurs préoccupantes.

Principe responsabilité en son inavouable efficacité ensuite.

Ce principe permet, quant à lui, de surmonter ces lenteurs, moyennant un gouvernement de type « tyrannie des experts », certes bienveillante ajoute H. Jonas. La crise environnementale s’avérant désormais un problème de vitesse (et d’ampleur) et non plus d’existence, le principe responsabilité semble, sous cet angle, adéquat mais illégitime en régime démocratique. L’aporie guette, nous enseignant pour l’heure cette leçon au rebours de la vulgate, naïve par angoisse et donc non méprisable : seul le ou la politique est à même de surmonter, le cas échéant, la crise environnementale (et civilisationnelle), le droit n’en étant qu’un instrument, en fût-il le moyen privilégié. Fondamentalement, il faut cesser de parier le genre humain pour que homo faber devienne enfin un peu sapiens.

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Eric Vindimian Directeur régional Languedoc-Roussillon - Cemagref 361 rue Jean-François Breton 34196 Montpellier Cedex +33 4 67 04 63 34 [email protected]

Danger, Risque, Incertitude discussion autour des différences entre ces concepts Produire et utiliser des substances chimiques de façon durable implique de procéder à une évaluation des risques dès la phase de conception de nouvelles substances ou bien pour tout projet de nouvelle application. Cette évaluation des risques ne se contente pas de comprendre les effets toxiques éventuels d'une molécule mais s'intéresse à l'ensemble des mécanismes qui gouvernent les émissions, les transferts, les transformations, les interactions, les expositions des humains ou des écosystèmes ainsi que bien entendu les effets toxiques sur les cibles biologiques potentielles. Le mot risque utilisé dans un tel contexte peut surprendre mais il suffit d'un peu de bon sens pour comprendre qu'il est approprié. Le sens commun connaît la notion de danger associé à de nombreuses activités humaines : sports dangereux, métiers dangereux... Il entend bien que cet effet souvent fatal ne peut être complètement exclu mais que son occurrence peut être rendue rare en maîtrisant les risques associés. Ainsi pour les substances chimiques le danger est l'effet qu'elles peuvent produire, par exemple une intoxication mortelle, des troubles de la reproduction, une explosion de plus ou moins forte intensité... Le risque lui, tient à la probabilité d'être exposé à l'agent dangereux et donc d'en subir les effets, c'est donc une notion qui tient compte de l'ensemble des événements qui gouvernent le passage d'une substance du lieu de son usage ou émission vers le lieu de ses effets. Boris Vian l'avait déjà compris dans la Java des bombes atomiques : « Voilà des mois et des années que j'essaye d'augmenter La portée de ma bombe Et je n'me suis pas rendu compte que la seule chose qui compte C'est l'endroit où c'qu'elle tombe. » L'enjeu de l'évaluation des risques n'est donc pas seulement le danger mais ce couple indissociable du danger et de l'exposition. Dès lors que le concept est adopté il convient de s'interroger sur ce qu'il est possible d'en faire en pratique. C'est à ce stade que l'enthousiasme diminue sévèrement. Une société raisonnable voudra savoir à l'avance quels sont ces risques, les quantifier et les prévenir. L'industriel sérieux cherchera à prédire les risques associés à une innovation avant d'avoir engagé des investissements pour la produire. La surveillance des substances au sein des milieux par l'analyse chimique et l'enregistrement des maladies ou des dysfonctionnements des écosystèmes ne sont que des pis-aller nécessaires mais non suffisants. Il faut modéliser pour anticiper, prédire le comportement des substances, comprendre comment elles se transforment, prévoir leurs effets biologiques, etc... Toutes ces opérations font appel à des expérimentations au laboratoire, à des inférences à partir de modèles physiques, chimiques et biologiques qui comportent un large cortège d'incertitudes. Les sources de ces incertitudes sont triples : le manque de connaissances, la variabilité des milieux et des systèmes biologiques et bien entendu les incertitudes sur les mesures. Il faut également considérer la complexité des phénomènes avec des comportement

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chaotiques qui amplifient les incertitudes. Enfin, force est de reconnaître que nous n'avons pas dans le passé, consenti les efforts nécessaires pour procéder sérieusement aux analyses des risques. Des lacunes de la connaissance s'ajoutent ainsi aux incertitudes proprement dites. Le règlement REACH s'est appuyé sur ce constat dramatique du début du siècle : nous ne connaissons pas les substances présentes sur le marché. L'évaluation des risques est donc le domaine des approximations et des facteurs de sécurité. Comment tenir compte de l'intégralité des réactions chimiques pouvant transformer une substance dans le milieu? Comment tenir compte des nombreuses souches qui peuvent intervenir dans la biodégradation? Quelle est l'influence réelle des paramètres du milieu sur le destin d'une substance ? Quelle représentativité accorder aux essais de laboratoire souvent mis en œuvre sur une seule espèce choisie pour des raisons de commodité plutôt que de représentativité? Comment extrapoler aux faibles doses et à long terme ce qui ne s'observe qu'à des doses élevées au sein d'essais courts? Comment transposer des résultats obtenus sur des animaux ou des cultures cellulaires à la réalité humaine? Peut-on prédire un effet sur une population sensible? Quel lien peut-on établir entre quelques essais unispécifiques et les assemblages complexes que constituent les communautés au sein de leur biotope? Tout cela peut paraître impossible pour les pessimistes, ils en concluent que la solution consiste à bannir la chimie du monde qui nous entoure! Les croyants du progrès imaginent au contraire que les risques perçus sont toujours exagérés et que l'ignorance des foules reste le meilleur rempart contre les inquiétudes collectives. Les manichéens d'une économie vertueuse qui ne pourrait fleurir que dans un monde sans régulation environnementale, véritable force du mal qui détruirait toute richesse, pensent que tout cela est bien trop cher dans un monde où la compétition avec les pays à bas coût est le problème majeur pour nos sociétés avancées. L'économie, c'est à dire étymologiquement « l'ordre dans la maison », doit tenir compte du risque pour concevoir un développement durable. Il n'est pas concevable de foncer dans le brouillard sans un radar performant. De même développer de nouvelles molécules, ou de nouvelles application de la chimie implique de se poser systématiquement la question du risque, de son évaluation et de son incertitude. Le risque est aussi celui que prend l'industriel qui souhaite innover, comment imagier qu'il ne cherche pas dès le stade le plus précoce de sa recherche-développement à prédire les risques pour les écosystèmes et la santé humaine. De ce fait l'évaluation des risques écotoxicologique est un enjeu aussi bien pour les industriels que pour les protecteurs de l'environnement. Sur le plan de la recherche tout semble indiquer que cet intérêt partagé est source de coopération. Depuis les travaux américains qui fondèrent le principe de séparation de l'évaluation du risque et de sa gestion il est assez courant de séparer l'évaluation des risques de celle des bénéfices. Cela conduit à des impasses graves comme celle que connaît le génie génétique pour ses applications agricoles. Le risque nul n'existant pas il est nécessaire de partager avec les parties prenantes, dont la population, l'ensemble des enjeux liés à un risque donné. Le bénéfice social ne peut pas être nul, et ce quel que soit le risque. La société à besoin de comprendre ce qu'elle retire, pour sa santé, ses emplois, son bien-être, son éthique, etc. de toute activité économique. La relation risque bénéfice est forcément dépendante de ces bénéfices et des usages des molécules, elle varie selon qu'il s'agit d'un médicament, d'une substance susceptible d'être présente dans l'alimentation ou d'un polluant de l'environnement. Il en est de même des incertitudes, dont on peut parier qu'elles sont plus acceptées quand le bénéfice social est grand que lorsqu'il ne sert que quelques intérêts particuliers. Les enjeux de l'évaluation des risques, de leur gestion sociale, des incertitudes et de la variabilité biologique ou environnementale sont donc au coeur des débats sur l'avènement d'une chimie verte plus responsable, plus durable et plus acceptable par une société qui se défie du risque mais qui probablement aspire encore à une forme de progrès qui améliore le bien être de tous.

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Pierre Vaiss Ministère de l'Ecologie, de l'Energie, du Développement durable et de l'Aménagement du territoire Commissariat Général au Développement Durable Direction de la Recherche et de l'Innovation 00 33 (0)1.42.19.33.27 [email protected]

Lorsque la sociologie est invitée à côtoyer les sciences de la chimie et de l’environnement L’intervention consiste, à partir de quelques études de cas, d’illustrer pratiquement quelques modes d’interactions entre les sciences de l’homme et les sciences de la chimie et de l’environnement, de comprendre et analyser les principaux succès et échecs et d’en tirer des enseignements pratiques. Les études de cas sont des programmes nationaux de recherche construits initialement autour d’objets de sciences de la chimie, de la biologie et de l’environnement (programmes de recherche sur les perturbateurs endocriniens, programme de recherche en écotoxicologie, programme de recherche sur les OGM…etc.) et qui ont à un moment donné établi des connexions avec des sciences de l’homme et de la société : sociologie, histoire et sciences politiques notamment.

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ANGD – Quelle place pour la chimie dans une société durable ?

Jeudi 22 octobre

Matinée libre

12h00 – 13h30 Déjeuner à l’Institut de Cargèse 13h30 – 14h00 Introduction à l’axe 3 : aspects réglementaires - Rapport du juge et de

l’expert Karine Favro & Jean-François Brilhac (Université de Haute Alsace –Mulhouse)

14h00 – 15h00 Axe 3 : Aspects juridiques/ Réglementation et Produits Chimiques

- le cas de REACH Présentation et limites de REACH : Alexandra Langlais (CNRS - Rennes) & bilan de l'expertise collective REACH au CNRS et perspectives en recherche Isabelle Rico-Lattes (Université - Toulouse)

15h00 – 15h30 Discussion 15h30 – 16h00 Agro ressources et polymères verts Alain Buléon (INRA) 16h00 – 16h15 Discussion 16h15 – 16h45 Pause 16h45 – 17h15 La gestion du risque chimique en milieu de travail. Marie-Cécile

Amauger-Lattes (Université - Toulouse) 17h15 – 17h30 Discussion 17h30 – 18h00 Le rôle de la communauté scientifique dans le débat sur les substances

chimiques. Recommandations du COMETS à l'occasion de la mise en oeuvre du règlement REACH Andrée Marquet (Université - Paris)

Puis discussion générale

Dîner à l’Institut de Cargèse

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Karine Favro 3, rue Sainte-Catherine 67000 Strasbourg 03 88 36 43 40 [email protected]

Jean-François Brilhac [email protected]

CERDACC Université de Haute Alsace –Mulhouse

Université de Haute Alsace –Mulhouse

Rapport du juge et de l’expert

S’intéresser à l’expertise permet de s’intéresser à une forme de pouvoir qui pénètre des pans entiers de la société en raison de l’essor des connaissances scientifiques. Procéder à des expertises, accéder au « statut » d’expert permet de pénétrer la scène du pouvoir et ce, assez facilement. Des individus très divers, et toujours plus nombreux se positionnent en qualité d’expert. Il est impossible de déterminer avec précision la population se réclamant apte à faire œuvre d’expertise et faisant figure de personne savante ou « sachante ».

Or, le titre et la profession d’expert ne sont pas reconnus en France ce qui n’est pas révélateur du relief particulier que prennent les opérations d’expertise dans le cadre de la prise de décision, qu’elle soit judiciaire, extra-judiciaire, politique... Le domaine de l’environnement, et tout particulièrement du risque en constitue un exemple pertinent.

Le désir de tendre vers le degré zéro du risque et la volonté d’éloigner tout aléa de l’homme, affectent le fonctionnement normatif de notre société. A tel point que le recours à l’expert s’agissant de la connaissance du risque, son évaluation et la recherche des responsabilités lorsqu’il se réalise, est inévitable. Les décideurs s’appuient volontiers sur des rapports d’expertise pour décider. Ils font de l’expert leur « bras séculier » dont la mission est de mettre à plat des affaires ayant atteint un grand degré de complexité. L’expert et le juriste, et plus largement le décideur, sont alors condamnés à s’entendre, se comprendre et se respecter. Est-ce réellement le cas ? Les rapports entre l’un et l’autre vont dépendre des attentes de celui qui commandite l’expertise en posant des questions, en analysant les réponses.

Le commanditaire, le décideur, peuvent prendre les traits du juge. L’expert et le juge vont apporter leur concours à la manifestation de la vérité. Cette vérité est nécessairement plurielle et réductrice. L’expertise apparaît comme un vecteur d’acquisition d’une connaissance à tout le moins fiable, si elle n’en est pas certaine. Si le juge a besoin de connaître, le rapport d’expertise n’est pas suffisant pour trancher, rendre une décision. Le juge est tenu de dire le droit, le juste, et dans cette perspective, demeurent nombre d’incertitudes.

La quête de la vérité scientifique, plus exactement d’une vérité scientifique et de la vérité judiciaire suppose essentiellement que le juge comme l’expert aient acquis la conviction d’être dans le vrai. La vérité scientifique fait état de situations diverses dont quelques unes sont plus incertaines car elles reposent sur des modèles eux-mêmes incertains. Il convient de gérer cette incertitude.

La vérité judiciaire s’apprécie doublement, en ce qu’elle concerne la vérité de la chose jugée et la vérité des éléments permettant le jugement. On attendra du juge qu’il mette en œuvre tous les moyens pour s’en rapprocher au plus près. Mais elle n’est vérité que par déclaration de la loi et non par certitude. A partir d’un exemple concret, il est intéressant de comprendre comment s’effectue le passage de l’avis de l’expert dans une hypothèse où le doute est de

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mise pour diverses raisons (choix de l’expert, rapport d’expertise, circonstances de l’espèce) à la décision du juge tenu de trancher en toutes hypothèses sous peine de caractériser un déni de justice. Dans le respect de la sécurité juridique, l’incertitude pouvant résulter des suites à donner du rapport d’expertise, se transforme en vérité judiciaire.

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Alexandra Langlais IODE UMR 6262 Faculté de droit et de science politique 9 rue Jean Macé CS 54203 35042 Rennes Cedex [email protected]

Présentation du règlement REACH et de ses limites

Au moment de son élaboration, le règlement n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques ainsi que des restrictions applicables à ces substances et instituant une agence européenne des produits chimiques, règlement dénommé REACH (Registration, Evaluation and Authorisation of Chemicals) est salué comme une véritable avancée de la législation applicable aux produits chimiques. Un objectif ambitieux, une démarche originale, un champ d’application potentiellement large puisque appliqué à l’ensemble des substances chimiques et la mise en place d’un régime unique inscrivent le système REACH comme un mécanisme innovant et rassurant.

Cependant, dès son élaboration, les compromis dont le règlement a dû faire l’objet pour articuler les différents intérêts en présence, laissaient présager un certain nombre de limites. Aujourd’hui, à l’heure où le règlement est entré en vigueur et que le temps de sa mise en application a sonné, ces limites se révèlent comme de véritables failles juridiques.

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Isabelle Rico-Lattes Laboratoire des IMRCP, UMR CNRS 5623 Université Paul Sabatier 118 Route de Narbonne 31062 Toulouse Cedex [email protected] 00 33 (0)5 61 55 62 70

Bilan de l’expertise collective REACH au CNRS et perspectives en Recherche La mise en oeuvre du règlement REACH (Registration, Evaluation Authorisation and Restriction of Chemicals), en Europe, est en train d’induire un profond changement dans la manière de concevoir la Chimie et d’en modifier aussi les pratiques au niveau industriel, l’intégrant pleinement dans une démarche au service du Développement Durable. Dans ce contexte, les principes d’une Chimie Pour le Développement Durable ne doivent pas rester uniquement la préoccupation des milieux industriels de la chimie. Ils doivent aussi simultanément devenir une priorité en amont dans les laboratoires de recherche académique. Ceux-ci pourront ainsi imaginer des solutions originales et innovantes pour répondre à plusieurs impératifs dictés à la fois, par une demande sociétale forte en produits nouveaux ou améliorés, un contexte économique mondial difficile et la nécessité de préserver l’environnement. Afin d’accompagner cette évolution, le Ministère de l’Ecologie et du Développement Durable et le Ministère de l’Industrie ont sollicité le CNRS en 2005 pour mettre en place une expertise collective sur les enjeux scientifique du règlement REACH, Cette expertise qui a débuté en 2007 doit se terminer cette année et l’objet de l’exposé sera de faire le bilan de cette expertise et d’en extraire les perspectives en recherche pour le futur de la Chimie dans une Société Durable. Parallèlement, le programme interdisciplinaire « Chimie Pour le Développement Durable » (CPDD) qui vient à échéance en Novembre 2009 a eu pour objectif de mettre la Chimie au Service du Développement Durable, en fédérant toutes les disciplines autour d'une Chimie "pensée autrement", accompagnant des changements de concepts et de pratiques. Après trois ans d’existence, un bilan de CPDD sera aussi présenté.

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Alain Buléon Unité Biopolymères, Interactions, Assemblages INRA Rue de la Géraudière BP 71627 44316 Nantes Cedex 03 [email protected] 00 33 (0)2 40 67 50 47

Agro-ressources et Polymères verts Parmi les principaux polymères issus d'agroressources, les polysaccharides (cellulose, amidon, chitine...), les protéines (zéine, gluten, protéines de soja...) et la lignine ont une place de choix. Les polymères dont seuls les monomères sont issus de la biomasse comme les acides polylactiques (PLA) sont également concernés. Tous ces biopolymères connaissent actuellement un développement croissant comme sources de remplacement de polymères d'origine fossile, mais aussi pour leurs propriétés intrinsèques de biodégradabilité, compostabilité ou de biocompatibilité et toutes les propriétés plus spécifiques accessibles à travers leurs modifications. Toute une gamme de nouveaux matériaux a ainsi été développée sous forme de systèmes multiphasés, de biocomposites, ou de multicouches impliquant par exemple l'amidon, les fibres cellulosiques ou le PLA avec des performances équivalentes à celles des polymères synthétiques. Outre la réalisation de matériaux d'emballage ou d'objets thermomoulés divers, ces polymères verts connaissent un développement important dans des applications de type cosmétique, pharmaceutique et médical (vectorisation, implants, greffe de peau...), textile ou environnementale. L'amidon et la cellulose sont également utilisés pour la fabrication de bioéthanol respectivement de première et seconde génération. Afin d'utiliser de façon optimisée les polymères et synthons issus des agro-ressources, un effort important de recherche est porté à l'heure actuelle sur le concept de bio-raffinerie pour fractionner à l'aide de méthodes durables (enzymes, traitements physiques, chimie sans solvant par exemple) les productions agricoles aux stades les plus pertinents pour une application donnée : fibres, polymères purs ou synthons réutilisables pour la chimie verte ou la polymérisation. La question de la compétition entre les usages alimentaires et non alimentaires des agro-ressources est actuellement très débattue.

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Marie-Cécile Amauger-Lattes Université - Toulouse Maître de Conférences en Droit, Université de Toulouse 1 Institut de Recherche en Droit Social (IRDS) [email protected]

La gestion du risque chimique en milieu de travail Un tiers de la production mondiale de substances chimiques est réalisée en Europe. Des millions de travailleurs européens sont ainsi en contact quotidien avec de telles substances sur leur lieu de travail et, chaque année, une maladie professionnelle sur trois est due à l’exposition aux substances chimiques dangereuses (Etude ETUI « REACHing the work place », 2006). Il n’est pas surprenant dans ces conditions que l’utilisation de substances chimiques dans l’entreprise fasse l’objet d’une réglementation stricte. Il n’est pas surprenant non plus que le droit du travail soit à la pointe des évolutions, notamment juridiques, en la matière (signalons encore dernièrement la « liste des substances chimiques préoccupantes » présentée le 31 mars 2009 par la Confédération européenne des syndicats). Mais sur quels principes se fonde cette réglementation ? Au-delà du foisonnement des règles techniques spécifiques, le droit du travail met à la charge de l’employeur une obligation de sécurité de résultat : quelles sont les limites de cette obligation ? Concerne-t-elle - et dans quelle mesure- le risque incertain ? Quels sont par ailleurs les acteurs –externes et internes- de la sécurité ? Comment leurs interventions s’articulent-elles et pour quel résultat ? Quelles sont enfin les sanctions encourues?

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Andrée Marquet Professeur émérite à l’Université Paris VI UMR CNRS 7613 Membre du COMETS 33 (0)1 44 27 31 13 [email protected]

Le rôle de la communauté scientifique dans le débat sur les substances chimiques : Recommandations du COMETS à l’occasion de la mise en oeuvre du règlement REACH

Le Comité d’Ethique du CNRS (COMETS) dont le rôle est de souligner, à l’attention de la gouvernance du CNRS et de l’ensemble de la communauté scientifique liée au CNRS, les questions éthiques soulevées par les grands problèmes de société émergeants.

Le débat sur la dangerosité des substances chimiques pour la santé et l’environnement n’est pas nouveau, mais la mise en place du règlement REACH rend cette réflexion particulièrement actuelle et pressante. Une constatation évidente, c’est que les discussions qui ont abouti au règlement ont eu lieu entre les industriels d’une part, les associations écologiques d’autre part, et que la communauté scientifique y a très peu pris part. Elle est pourtant concernée et il est de la responsabilité de la recherche publique de s’investir dans la mise en oeuvre de REACH, en contribuant à produire les connaissances scientifiques requises certes, mais aussi en formulant clairement les valeurs éthiques implicitement présentes, et en veillant à leur respect. Elle se doit également d’être un interlocuteur privilégié des citoyens impliqués dans le débat.

Un dialogue interne sur les moyens à mettre en oeuvre dans ce but apparaît urgent.

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Vendredi 23 octobre

09h00 – 09h30 Axe 4 : De l’usage de la démarche systémique : vers de nouveaux

outils d’évaluation et de progrès "Ecologie industrielle et territoriale : contexte, enjeux et outils": Sabrina Brullot (Université de Technologie de Troyes)

09h30 – 09h45 Discussion 09h45 – 10h45 Un regard sur le bon usage de l’Analyse de Cycle de Vie – Eco

conception et Analyse de Cycle de Vie : Outils d’Innovation pour une Chimie Durable Sylvain Caillol (Université - Montpellier)

10h45 – 11h15 Discussion 11h15 – 11h30 Pause 11h30 – 12h30 Un regard systémique sur les principes de la chimie verte et les

procédés verts : Interventions croisées : Chimie verte, principes, méthodes et contradiction - Marc Lemaire (Université - Lyon) & Le vivant doit-il être réduit à de grands intermédiaires chimiques? Martino Nieddu (Université - Reims)

12h30 – 13h00 Discussion 13h00 – 14h30 Déjeuner à l’Institut de Cargèse 14h30 – 15h30 Conférence de Clôture : Ethique, choix technologiques et choix de

société Raphaël Larrère (INRA) 16h00 Transfert bus Ajaccio – bateau Ajaccio / Marseille dans la nuit 07h00 Arrivée le samedi 24 octobre à Marseille

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Sabrina Brullot CREIDD (Centre de Recherches et d'Etudes Interdisciplinaires sur le Développement Durable) Institut Charles Delaunay - CNRS FRE 2848 Université de technologie de Troyes 12 rue Marie Curie - BP 2060 10010 Troyes Cedex [email protected]

Ecologie industrielle : Contexte enjeux et outils L’écologie industrielle et territoriale (EIT) est une approche systémique qui appelle une transformation profonde du fonctionnement de la société industrielle en s’inspirant du caractère cyclique des écosystèmes naturels. Dans sa conception la plus large, l’écologie industrielle et territoriale vise un développement plus soutenable environnementalement et repose sur des stratégies de dématérialisation de l’économie visant un découplage des flux de matières et d’énergie de la croissance économique. Une définition plus opérationnelle de l’écologie industrielle, et appliquée au domaine de l’industrie, vise le bouclage de flux entre entreprises de telle sorte que les déchets des uns deviennent des ressources pour d’autres. Nous présenterons le contexte dans lequel l’EIT a vu le jour, les enjeux auxquels ce concept tend à répondre, ses fondements scientifiques, ainsi que le métabolisme industriel, outil de diagnostic sur lequel repose l’EIT. Nous verrons que l’EIT est souvent étudiée selon une approche technologique qui est certes nécessaire pour le bouclage des flux mais qui doit être complétée par l’approche des sciences humaines et sociales. Enfin, nous présenterons un exemple de démarche d’écologie industrielle et territoriale menée sur le territoire de la Vallée de la Chimie, près de Lyon, dont nous dégagerons des pistes de réflexion.

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Sylvain Caillol ICGM - UMR CNRS 5253 ENSCM 8, rue Ecole Normale 34296 Montpellier cedex +33(0)467144327 [email protected]

Ecoconception et Analyse de Cycle de Vie : Outils d’Innovation pour une Chimie

respectueuse du Développement Durable Le développement durable se fonde sur un constat de réalités : les productions anthropiques industrielles et énergétiques reposent en quasi-totalité sur l’utilisation de ressources non renouvelables à l’échelle de l’humanité. Et la population mondiale va subir, dans les années à venir, une vraie révolution démographique qui s’accompagnera d’un doublement de la population urbaine et d’un accroissement colossal des besoins d’énergie et de biens de consommation. Or à l’heure actuelle, les industriels et en particulier l’industrie chimique doit faire face à plusieurs contraintes : la raréfaction des matières premières fossiles accompagnée d’une volatilité des prix ; la nécessité d’une réduction drastique de la libération des gaz à effet de serre ; une pression réglementaire accrue concernant la réduction des déchets et des pollutions. Face à ces contraintes, l’industrie chimique doit continuer à répondre aux besoins de la société avec des produits et des procédés alternatifs plus respectueux de l’homme et de son environnement : l’écoconception peut nous aider à respecter cette symbiose nécessaire entre l’Homme et la Planète. Dans son principe elle consiste à réduire les impacts environnementaux et humains dès la phase de conception d'un produit, tout au long de son cycle de vie. Pour substituer des bio-ressources aux matières premières pétrolières, pour orienter des voies d’accès de moindre pollution, des choix cruciaux sont à réaliser. L’analyse de cycle de vie est un outil complet et puissant qui peut nous permettre de prendre ces décisions.

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Marc Lemaire Université Claude Bernard Lyon1 Laboratoire de Catalyse et Synthèse Organique ICBMS -UMR 5246 - Bâtiment 308 CPE 69622 Villeurbanne Cedex – France [email protected]

Chimie verte, principes méthodes et contradictions

Les industriels de la chimie se sont préoccupés très tôt, pour des raisons économiques et d’image de marque (au sens commercial), de l’impact de leur activité sur l’environnement. La prise en compte des problèmes d’écocompatibilité des transformations chimiques par les chercheurs académiques est au contraire beaucoup plus récente. La publication des « twelve principles of the green chemistry » par Anastas et Warner en 1998 peut être considérée comme le moment où cette préoccupation est devenue une sous discipline à part entière. Néanmoins, la forme choisie par les Auteurs renvoie à des recommandations « morales » plutôt qu’à une analyse critique de la démarche des chimistes. Il semble cependant que la mise au point d’une chimie vraiment « écologique » et pleinement acceptée par la population ne peut se réaliser par l’application « mécanique » de nouvelles règles mais requiert au contraire une approche plus ouverte sur les apports d’autres sciences et d’autres communautés.

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Martino Nieddu UFR des Sciences Economiques, Sociales et de Gestion Bâtiment Recherche 57 bis rue Pierre Taittinger 51096 Reims cedex 00 33 (0) 3.26.91.38.01 [email protected]

Réduire le vivant à de grands intermédiaires chimiques ? Cet exposé vise à décrypter, du point de vue de l'économiste, les mythes rationnels qui portent aujourd'hui la chimie doublement verte (au sens d'une chimie qui cherche à s'appuyer systématiquement sur les ressources renouvelables, tout en étant tenue de se poser la question du respect des 12 principes). Le monde agro-industriel a construit un modèle de bioraffinerie, dans lequel, faute de connaissances sur la structure fondamentale de la matière permettant d'explorer d'autres voies, la variabilité et la complexité du vivant sont réduits par fractionnement en utilisant des procédés physico-chimiques, chimiques et enzymatiques ou leur combinaison. L'objectif est de produire des grands intermédiaires qui puissent entrer rapidement en complémentarité avec la chimie classique et les systèmes techniques existants. Selon une stratégie de « rétro-technologies » ce sont de grands intermédiaires déjà utilisés de façon significative (furfural, glycérol, acide succinique, méthanol) qui font aujourd'hui l'objet d'attentions particulières.

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Raphaël Larrère INRA [email protected]

Ethique, choix technologiques et choix de société. On peut aborder l’éthique des nouvelles technologies en la réduisant à l’évaluation des risques pour l’environnement, la santé ou la sécurité. C’est la démarche la plus fréquente et elle est insuffisante. L’évaluation des risques a certes partie liée avec l’éthique, dans la mesure où elle engage la responsabilité morale des acteurs, mais elle relève essentiellement d’une rationalité scientifique et de controverses scientifiques. Il convient donc, pour une évaluation morale des innovations, de se demander d’abord s’il s’agit bien d’une innovation ou d’un bluff technologique. Ensuite on doit aborder la question des risques, puis de la dépasser et examiner l’ensemble des effets qui ne sont pas réductibles à des risques. Pour être mise en œuvre et pour pouvoir être diffusée, toute innovation importante suppose un certain nombre de transformations du monde. Or, ces transformations du monde peuvent être justes ou injustes, elles peuvent préserver la liberté ou risquer de la mettre en danger. L’évaluation éthique de telles innovations doit ainsi s’étendre aux transformations du monde qui leur sont associées. Enfin, lorsque l’on est en présence de vastes programmes il convient (même lorsqu’il s’agit de “bulles technologiques”) de s’interroger sur les visions du monde qu’ils incarnent et que véhiculeront les innovations qui en seront issues. Cette argumentation sera illustrée par des exemples puisés aux biotechnologies (accessoirement à la biologie synthétique), aux nanotechnologies et à leur prétendue convergence

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