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Approche 6equentielle (stages approach) I 71
GREMION (Pierre), Ie Pouvoir peripherique. Bureaucrates et nota
bles dans Ie systeme politique franc;ais, Paris, Le Seuil, 1976.
MERTON (Robert K.), « Bureaucratic Structure and Personality -,
Social Forces, 18, 1940, p. 560-568.
SELZNICK(Philip), TVA and the Grass-Roots, Berkeley (Calif.), .
University of California Press, 1949 .
...
> APPROCHE SEQUENTIELLE(STAGES APPROACH)
UNE METHOOE 0' ANALYSE DES POLITIQUES PUBLIQUES
L'analyse sequentielle ne constitue pas a.proprement parler un
concept ou une theorie formalisee de l'action publique, mais plutot
une methode d'analyse des politiques publiques. Cette approche se
presente comme un cadre d'analyse fonde sur Ie principe du
sequen"age, c'cst-a.-dire une grille organisee en sequences d'action
permettant de diviser un processus politique - Ie developpement
d'une politique publique - en dapes distinctes.
On peut considerer que l'objectif de cette methode est d'elaborer un
ideal-type de l'action publique et de son fonctionnement, ·de cons
truire un cadre fixe et suffisamment general pour pouvoir l'appli
quer a. toute politique, de structurer, de rationaliser l'analyse elle
meme des politiques publiques. Selon Jones [1970, p. 9], « unravel
how the policy proc;ess workS - est l'objectifprincipal de l'analyse ;
il s'agit Ii Ia fois d'eclaircir Ie mystere de I'action publique et d'endenouer lcs fils.
72 I DICTIONNAIRE DES POUTIOUES PUBLIOUES
L'analyse sequentielle offre au chercheur un ensemble d'outils dans
l'objectif d'aider a. serier ses questionnements grace a.un mode de
decoupagetemporcl.
LES SEQUENCES ET LEUR DECOUPAGE
('est Harold D. Lasswell [1956] Ie premier qui a pris en compte
et analyse une politique ou un programme gouvememental (selon
la denomination americaine) comme un processus (policy process),
c'est-a.-dire un ensemble de phenomenes organises dans Ie temps
et animes par un certain nombre de mecanismes propres. n a con\;u
une « carte conceptuelie» composee de sept moments ou etapes
fonctionnelles qu'une politique tend a. traverser au cours de sa vie
(intelligence; promotion ; prescription ; invocation ; application ;
termination ; appraisal).
On compte depuis les ouvrages de Brewer [1974], d'Anderson [1975]
ou de Brewer et Deleon [1983] parmi les dassiques sur l'approche
processuelle des politiques, mais on retient en general pour modele
cclui developpe par Charles O. Jones en 1970 dans son manuel, An
Introduction to the Study of Public Policy. Ce dernier divise Ie
processus politique en cinq sequences, se decomposant chacune en
un certain nombre d'activites [Jones, 1910, p. 12 et p. 230-231] :
- L'identification du probleme (problem identification). Cette phase
est celie ou Ie probleme est porte a.l'attention du gouvernement. Elle
englobe la perception des evenements et leur definition en termes de
probleme public, l'agregation des interets et l'organisation des
demandes, puis entin, la representation et l'acces aux autorites. On
peut reniarquer que cette sequence recouvre a.la fois les questions de
l'emergence du probleme et de son inscription sur l'agenda.
- Le developpement du programme (program development). lei, Ie
probleme est pris en charge et traite par Ie gouvemement et se trans-
~~.
Approche 6equentielle (stages approach) I 73
forme en «programme» ou politique publique; il devient objet
d'action publique et se trouve par consequent formalise. Des solutions
au probleme sont formulees, legitimees (par Ie biais d'un consente
ment politique) et Ie gouvemement se les approprie afin de definir Iecours de son action. Afin de clarifier encore Ie modele, il est possible de
diviser cette sequence en deux etapes distinctes, celie de la productionde solutions ou d'alternatives, et celie de la decision proprement dite.
_ La mise en reuvre du programme (program implementation). La
mise en reuvre de la politique decidee suppose l'organisation des
moyens a disposition pour y parvenir, !'interpretation par l'administration de la politique telle que definie par les auto rites pub li
ques et, enfin, son application sur Ie terrain._ L'evaluation du programme (program evaluation). 11s'agit, au
cours de cette sequence, d'apprecier les effets compris comme etant
ceux dus a l'action gouvemementale en question. Cela inclut la
specification des crithes de jugement a. retenir, la mesure desdonnees a disposition ainsi que leur analyse.
_ La terminaison du programme (program termination). Cette
phase est celle de l'arret de l'action publique etudiee. Elle est consecutive de la resolution du probleme, et suppose done l'abandon du
programme ou la mise en place d'une nouvelle action et constitue
une phase de changement.
La specificite du modele de Jones, comme Ie remarque Jean..:CIaude
Thoenig dans son chapitre introductif au volume du Traite de
science politique [Grawitz et Leca, 1985] consacre aux politiques
publiques, est de rattacher chacune des sequences decrites ci
dessus a.un systeme d'action specifique. Chaque phase met en jeu
des acteurs, des relations, des modes de regulation sociale·
particuliers - que ce soit au sein ou autour de l'autorite publique(intervention du legislateur, des cabinets ministeriels, du gouver
nement, de l'administration, mais aussi des groupes d'imeret, des
74 t DICTIONNAIRE DES POLITIOUES PUBUOUES
medias, etc.}. Cette ouverture du modele aux differents acteurs (et
non plus uniquement aux acteurs gouvemementaux) est particu
lierement importante. Elle permet notamment d'eviter de poser un
regard trop juridique ou legaliste sur l'action publique, d'avoir une
vision plus sociologique et, par exemple, d'etablir comment les
publics d'une politique peuvent se transformer en acteurs du
processus qui Jes touche. Ainsi, c'est tout l'environnement de
l'action publique dans sa complexite qui est pris en compte.
ApPORTS ET L1MITES
L'aspect Ie plus seduisant de l'analyse sequentielle repose tres
certainement sur sa faculte de mise en ordre des mecanismes poli
tiques et, plus largement encore, de la realite complexe a laquelleest confronte Ie chercheur. L'organisation de ces mecanismes et
leur ordonnancement en fonction d'une grille d'analyse predefinie
permettent de « baliser» [Thoenig dans Grawitz et Leca, 1985] Ie
travail, de serier les questions, les types d'acteurs, les moments de
l'action publique. Neanmoins, l'ecueil de la reconstitution a posteriori se presente rapidement, Ie risque etant de modeler la realite enfonction du modele.
En depit de ce demier aspect, il est evident que c'est Ie caractere
ideal-typique du modele du sequen~age qui a fait son succes. Ce
cadre d'analyse a eu un impact significatif dans Ie champ del'analyse des politiques publiques en raison de son caractere
general a partir des annees 1970.11permet a des auteurs d'horizonsdifferents d'embrasser ce modele et de travailler avec ses ouills.
C'est tres certainement en raison de son absence de rattachement a
un courant theorique particulier que s'est developpee en son seinune multiplicite d'agendas de recherche. En effet, de nombreux et
importants travaux se sont interesses aux sequences en e11es-
Approche Miquentielle (stages approach) i. 75
memes. Des pans entiers de l'analyse des politiques publiques se
sont ainsi develop pes, que ce soit sur l'emergence et la mise sur
agenda, sur Ie processus de prise de decision, sur les enjeux de la
mise en U'uvre ou sur l'evaluation des politiques.
A partir de la fin des annees 1980, l'approche sequentielle
commence a etre remise en cause, de fa~on tres critique aux Etats
Dnis, C'est surtout la domination de ce cadre d'analyse, son
influence ecrasante, ainsi que Ie systematisme, la vision
simplificatrice - voire simpliste - avec lesquels il a pu etre applique
qui sont attaques. Nakamura [1987] denonce ainsi ce qui serait
devenu « a textbook approach lI, utilisee trop scolairement par les
politistes. Sabatier, egalement tres implique dans cette polemique,
publie en 1999 son propre manuel, Theories of the Policy Process,
avec comme objectif affiche de mettre en avant de nouvelles
approches processuelles ; il ecrit meme dans son introduction :
« The stages heuristic has outlived its usefulness and needs to be
replaced with better theoretical framework. » [Sabatier, 1999, p. 7.]
Plus substantiellement, certaines critiques adressees a l'analyse
sequentielle doivent etre prises en compte, dont la plus importante
conceme la linearite du processus. En effet, contrairement a ce que
peut suggerer la grille d'analyse, les processus politiques (ainsi que
les activites et les acteurs qui s'y rattachent) sont toujours dynami
ques, voire chaotiques. La stabilite n'est souvent qu'apparente ou
reconstruite. Concretement, cela signifie que les sequences peuvent
se chevaucher, etre inversees dans Ie temps ou, pour certaines, etre
tout simplement absentes. Par consequent, une politique peut se
terminer sans avoir ete precedee par une phase d'evaluation, une
mesure etre mise en U'uvre avant que la decision soit formellement ,
prise (absence de publication d'un decret par exemple) ou une deci
sion arretee sans qu'elle ne reponde a des demandes precises ou a
!'identification d'un probleme a traiter. Ce qui induit necessaire-
76 I DICTIOHHAIRE DES POLITIQUES PUBLIQUES
ment la question des frontieres de chacune des sequences et de leur
enchainement. Les differentes variables en jeu dans un processus
politique s'ajustent et se redefinissent constamment les unes parrapport aux autres. Ou commence et ou finit la decision? Comment
la definir ? Quel est Ie signe evident de la fin d'une politique ou
d'un programme, sachant que la plupart du temps on assiste plutota une reorientation de cette politique en fonction d'une nouvelle
definition du probleme pose?
Cette derniere remarque mene a une nouvelle interrogation sur la
valeur heuristique de 1'arialyse sequentielle, ce que Pierre Muller et
Yves Surel nomment 1'«orientation problem-solving» de cette
approche [Muller et Sure!, 1998, p. 30] fondee sur un postulat ratio
naliste, en fonction duquelles politiques publiques visent et tendent
a la resolution des problemes poses aux autorites publiques. D'autres
conceptions de l'action publique se sont depuis developpees ; elles
tendent a privilegier les politiques publiques comme expression
d'une vision d'elle-meme par la societe, d'un type de representation
des problemes publics ou de son rapport specifique au monde
(approches cognitives des politiques publiques).
Finalement, il est sans doute un peu excessif de reprocher a 1'analyse
sequentielle d'etre simplificatrice, alors qu'elle a justement ete
con~ue dans Ie but de simplifier 1'appIihension des mecanismes de
developpement d'un processus politique et de faciliter leur analyse.
En revanche, il est juste de considerer qu'il n'existe jamais un seul
ensemble de sequences, mais bien plutot des sequences paralleles etmultiples en interaction constante qui se deroulent simultanement a
plusieurs niveaux. Sur une meme question, comme celle de la lutte
contre les discriminations a l'egard des femmes, les memes acteurs
vont ainsi, dans Ie meme temps, etre impliques dans des campagnesde lobbying au niveau europeen pour influer sur Ie contenu d'une
directive, mettre en place des campagnes de presse afin de sensibi-
Approche ~equentietle (stages approach) i 77
liser l'opinion au niveau national, et participer a des comites
d'evaluation de politiques menees au niveau local.
ACTUALITE DE LA METHODE DU SEQUEN~AGE
Si 1'analyse sequentielle a surtout ere attaquee au toumant de
la decennie 1990, elle se trouve actuellement revivifiee (voire re
legitimee) dans Ie sillage, notamment, des etudes comparatives. En
effet, decouper des processus en phases identifiables permet de
generaliser des mecanismes, de reperer des caracteristiques
communes, des generalites, et donc de comparer ces processus. Un
travail de ce type a par exemple ete realise par Bruno Palier sur les
politiques sociales a partir d'une redefinition des sequences, de leur
contenu et du sens a leur donner [palier dans Favre, Hayward et
Schemeil, 2003]. La comparaison des processus d'institutionnalisa
tion de mesures de reforme de la protection sociale en France
permet de mettre au jour des recurrences par sequences: tout
d'abord, une phase de diagnostic qui s'appuie sur la remise en
cause des mesures passees, ensuite, la construction d'une solution
qui se fait par reference negative aux solutions precedentes, une
prise de decision qui s'agrege aut our d'un consensus «ambigu,voire contradictoire », entre les differents acteurs et, enfin, une
phase de mise en (l'uvre qui procede par incrementalisme en intro
duisant les nouvelles mesures d'abord a la marge du systeme.
Sophie JACQUOT
Renvoi6 :
Agenda/emergence, Cycle (policy cycle), Decision, Evaluation,
Incrementalisme, Mise en (l'uvre, Probleme public, Politique
publique, « Trois i ».
78 I DICTIONNAIRE DES POLITIQUES PUBLIQUES
Bibliographie:JONES(Charles 0.), An Introduction to the Study of Public Policy,
Belmont (Calif.), Duxbury Press, 1970.
LAssWELL(Harold D.), The Decision Process : Seven Categories
of Functional Analysis, College Park (Md.), University ofMaryland, 1956.
MULLER(Pierre) et SUREL(Yves), L 'Analyse des politiques pub li
ques, Paris, Montchrestien, coil. « Clefs-Politique », 1998.
PAllER(Bruno), « Gouvemer Ie changement des politiques deprotection sociale », dans Pierre FAVRE,Jack HAYWARDet Yves
SCHEMEIL(dir.), Etre gouverne. Etudes en l'honneur de Jean Leca,
Paris, Presses de Sciences Po, 2003, p. 163-179.
SABATIER(Paul A), « The Need for Better Theories », dans Paul
A SABATIER(ed.), Theories of the Policy Process, Boulder (Colo.),Westview Press, 1999, p. 3-17.
THOENlG(Jean-Claude), "L'analyse des politiques publiques »,
dans Madeleine GRAWITZet Jean LECA(dir.), Traite de science
politique, tome 4, Paris, PUF, 1985, p. 1-53.
> APPROCHES COGNITIVES
L'approche cognitive et normative des politiques publiques estune expression generique employee pour classer et rassembler des
travaux qui insistent surtout sur Ie poids des elements de connais
sance, des idees, des representations ou des croyances sociales dans
l'elaboration des politiques publiques. Parmi les auteurs de ces
Approche6 cosnitive6 79
travaux, on peut citer pour l'essentiel Bruno Jobert et Pierre Muller
sur la notion de referentiel [1987], Peter A Hall sur celie de para
digme [1993], Paul A Sabatier sur celle de systeme de croyances
[Sabatier et Jenkins-Smith, 1993; Sabatier, 1999], ainsi que
d'autres auteurs camme Claudio M. Radaelli [2000] ou Vivien A.
Schmidt [2002]. Plus qu'un courant homogene (la plupart des
auteurs ne se classent d'ailleurs pas eux-memes dans cette
approche cognitive et normative des politiques publiques), il s'agit
Iii. d'une serie de recherches apparues dans les annees 1980-1990,
qui tentent de depasser certaines limites associees aux controverses
theoriques anterieures [Surel, 2000].
ORIGINES ET CARACTERISTIQUES
Ainsi, pour Jobert et Muller par exemple, la notion de referen
tiel a pour interet essentiel de deplacer Ie regard et les hypotheses
sur des aspects de I'action publique qui paraissent negIigesjusque
la par les approches d'inspiration marxiste et par la sociologie des
organisations. Plutot que de voir I'Etat comme une institution dont
l'action est determinee par les effets de la structure sociale, et
notamment par les conflits de classe, la notion de referentiel tend
a montrer que certains processus, comme la planification, develop
pent des mecanismes de socialisation, qui peuvent deboucher sur
un ensemble cognitif et normatif coherent infusant les politiques
publiques. Symetriquement, plutot que de voir les politiques publi
ques resulter d'une agregation d'interets concurrents entre acteurs
publics et prives, comme semblait Ie montrer la sociologie des
organisations, Jobert et Muller insistent sur la specificite de la deci~
sion publique comme productrice de mediation sociale, notamment
au travers de la formalisation de conceptions et de diagnosticscommuns au sein d'un secteur donne. Les travaux de Pierre Muller
Policy Agenda
Implement / Reject ~
1
Arenaof
Conflict
1
Decision~ -----+
Stages
Public +- -
°1~ Reject / Implement
\ IPolicy ManagersAssess andMobilizeResources toSustain Reform
~~
Resource requirements:PoliticalFinancial
ManagerialTechnical
Policy MakersAssess andMobilizeResources toSustain Reform
'1 1 1 1 1 1 1Multiple Potential Outcomes
FIGURE 6.2
An Interactive Model of Policy Implementation
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