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44 la brèche novembre 2008 les efforts de conservation et la préoccu- pation pour la dégradation de l’environ- nement ont porté surtout sur la terre ferme. Les spécialistes de biologie marine et les océanographes ont récemment fait des découvertes remarquables à propos de la complexité des chaînes alimentai- res * marines et de la richesse de la biodi- versité océanique. Mais l’enthousiasme suscité par ces découvertes est troublé par la prise de conscience de la menace rapi- dement croissante qui pèse sur l’intégrité biologique des écosystèmes marins [1] . le capitalisme et la dégradation des écosystèmes marins Avec le XXI e siècle qui commence, les spécialistes de la biologie marine ont été frappés par la chute rapide des réserves de poissons marins, révélant que 75 % des principales pêcheries sont totalement exploitées, surexploitées ou épuisées. On estime « que les océans ont perdu plus de 90 % des grands poissons prédateurs * ». L’épuisement des réserves de poissons des océans par la surpêche a déchiré les relations métaboliques au sein de l’éco- système océanique, et cela à plusieurs échelles trophiques * et spatiales [2] . En dépit des avertissements d’un effon- drement imminent des réserves de pois- sons, la crise océanique n’a fait qu’empi- rer. Sa sévérité est mise en évidence par un projet récent de cartographie de l’am- pleur de l’impact humain sur les océans du globe. Une équipe de scientifiques a Les océans couvrent approximativement 70% de la surface de la Terre. Depuis des milliers d’années, ils ont fait partie de l’histoire humaine en fournissant de la nourriture, d’autres ressources et des ser- vices écologiques (coquilles comme mon- naies et source de calcaire pour ciment, navigation et transport, réchauffement de climats côtiers, puits * de déchets…). (Pour les termes accompagnés d’un asté- risque, voir glossaire, p. 47.) Et pourtant, brett clark et rebecca clausen * * Brett Clark enseigne la sociologie à la North Carolina State University à Raleigh. Rebecca Clausen enseigne la sociologie au Fort Lewis College à Durango, Colorado. Cet article a été publié dans la Monthly Review, vol. 60, n° 3, juillet-août 2008 (Numéro spécial : « Ecology : The Moment of Truth »). [1] Ivan Valiela, Marine Ecological Processes, Springer, New York 1995 ; Jeremy B. Jackson, et al., « Historical Overfishing and the Recent Collapse of Coastal Ecosystems », Science 293, 2001, pp. 629-37. [2] Pew Oceans Commission, America’s Living Oceans, PEW, Arlington Va, 2003 ; Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO / Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), The State of World Fisheries and Aquaculture, FAO, Rome, 2002, p. 23 ; Ransom A. Myers et Boris Worm, « Rapid Worldwide Depletion of Predatory Fish Communities », Nature 423, 2003, pp. 280-83 ; Jennie M. Harrington, Ransom A. Myers, and Andrew A. Rosenberg, « Wasted Fishery Resources », Fish & Fisheries 6, n° 4, 2005, pp. 350-61. é c o l o g i e la crise océanique il n’existe aucune région des océans qui ne « soit pas affectée par l’influence humaine » et plus de 40 % des écosystèmes marins sont lourdement affectés par de multiples facteurs.

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les efforts de conservation et la préoccu-pation pour la dégradation de l’environ-nement ont porté surtout sur la terreferme. Les spécialistes de biologie marineet les océanographes ont récemment faitdes découvertes remarquables à proposde la complexité des chaînes alimentai -res * marines et de la richesse de la biodi-versité océanique. Mais l’enthousiasmesuscité par ces découvertes est troublé parla prise de conscience de la menace rapi-dement croissante qui pèse sur l’intégritébiologique des écosystèmes marins[1].

le capitalisme et la dégradation des écosystèmes marinsAvec le XXIe siècle qui commence, lesspécialistes de la biologie marine ont étéfrappés par la chute rapide des réservesde poissons marins, révélant que 75% desprincipales pêcheries sont totalementexploitées, surexploitées ou épuisées. Onestime « que les océans ont perdu plus de90% des grands poissons prédateurs * ».L’épuisement des réserves de poissonsdes océans par la surpêche a déchiré lesrelations métaboliques au sein de l’éco-système océanique, et cela à plusieurséchelles trophiques * et spatiales[2].En dépit des avertissements d’un effon-drement imminent des réserves de pois-sons, la crise océanique n’a fait qu’empi-rer. Sa sévérité est mise en évidence parun projet récent de cartographie de l’am-pleur de l’impact humain sur les océansdu globe. Une équipe de scientifiques a

Les océans couvrent approximativement70% de la surface de la Terre. Depuis desmilliers d’années, ils ont fait partie del’histoire humaine en fournissant de lanourriture, d’autres ressources et des ser-vices écologiques (coquilles comme mon-naies et source de calcaire pour ciment,navigation et transport, réchauffement declimats côtiers, puits * de déchets…).(Pour les termes accompagnés d’un asté-risque, voir glossaire, p. 47.) Et pourtant,

b r e t t c l a r k e tr e b e c c a c l a u s e n *

* Brett Clark enseigne la sociologie à laNorth Carolina State University à Raleigh.Rebecca Clausen enseigne la sociologie auFort Lewis College à Durango, Colorado. Cetarticle a été publié dans la MonthlyReview, vol. 60, n° 3, juillet-août 2008(Numéro spécial : «Ecology : The Moment ofTruth»).

[1] Ivan Valiela, Marine EcologicalProcesses, Springer, New York 1995;Jeremy B. Jackson, et al., «HistoricalOverfishing and the Recent Collapse ofCoastal Ecosystems», Science 293, 2001,pp. 629-37.

[2] Pew Oceans Commission, America’sLiving Oceans, PEW, Arlington Va, 2003;Food and Agriculture Organization of theUnited Nations (FAO/Organisation desNations Unies pour l’alimentation etl’agriculture), The State of WorldFisheries and Aquaculture, FAO, Rome,2002, p. 23 ; Ransom A. Myers et BorisWorm, «Rapid Worldwide Depletion ofPredatory Fish Communities», Nature423, 2003, pp. 280-83; JennieM. Harrington, Ransom A. Myers, andAndrew A. Rosenberg, «Wasted FisheryResources», Fish & Fisheries 6, n° 4,2005, pp. 350-61.

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la crise océaniqueil n’existe aucune région des océans qui ne « soit pas affectée par l’influence

humaine » et plus de 40 % des écosystèmes marins sont lourdement affectés

par de multiples facteurs.

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Le 12 juin 2008, la Commission européenneinterdisait en urgence la pêche au thon rougeen Méditerranée. Sa porte-parole déclarait :«Nous savons, par les données scientifiques quenous avons, que les quotas seront épuisés le 16 juinet c’est pour cela que nous arrêtons la pêche authon rouge. » Le 27 novembre 2007, les minis-tres de la pêche avaient adopté un plan desauvegarde d’une durée de 15 ans pour lethon rouge dans l’Atlantique Est et laMéditerranée[1]. Début novembre 2007, lestrois experts mandatés pour évaluer l’ICCAT(Commission internationale de conservationdes thonidés de l’Atlantique, dont sont mem-bres notamment l’Union européenne, les paysd’Afrique du Nord, la Turquie, le Japon et lesEtats-Unis), le directeur de l’autorité austra-lienne de gestion des pêches, Glenn Hurry, leprofesseur de Droit international japonaisMoritaka Hayashi et le spécialiste canadiendes pêcheries, Jean-Jacques Maguire, avaientqualifié « les performances des pays membres etparties contractantes» de l’ICCAT de «honteinternationale» et demandaient que toute lapêche au thon rouge de l’Atlantique et de laMéditerranée soit immédiatement suspendue.Et cela jusqu’à ce que les pays «participant àces pêcheries, leurs ressortissants et les compagniesopérant dans leurs eaux s’engagent à respecterintégralement les réglementations et le Droit de lamer international». Selon les dernières évalua-tions du Comité scientifique de l’ICCAT,publiées en juillet 2008, 61000 tonnes de thonrouge avaient été pêchées en 2007 en Atlan -tique et en Méditerranée, alors que le quotaétait fixé à 29500 tonnes[2]. Ces nouvelles mettaient en lumière le déra-page mondial des pêcheries. Elles extraientdes quantités qui ont dépassé depuis long-temps les possibilités de reproduction natu-relle des stocks. La pêche ne prélève pas les« revenus» de la nature, sa production, maispille son «capital », son stock de richesses.Greenpeace appelait les membres del’ICCAT qui vont se réunir en novembre2008 «à fermer la pêche au thon rouge jusqu’à larégénération des stocks»[3]. Mais un tel freinpeut-il être opposé à un marché concurren-tiel d’entreprises dont le profit se joue tout desuite sur la disponibilité abondante d’uneviande aussi demandée ?En 2007, le Programme des Nations Uniespour l’environnement (PNUE) publiait unavertissement selon lequel la poursuite de lapêche au rythme des dernières années allaitamener à un épuisement des réserves depoissons vers 2050. A moins de développer,pour permettre la reproduction naturelle despopulations de poissons décimées, des aires

marines protégées à hauteur de 20% à 30%de la surface totale des océans, pour un coûtd’entretien, en équipements et personnels desurveillance, estimé à 5-7 milliards de dollarspar an[4].Ainsi les ressources marines s’ajoutent, en cedébut du XXIe siècle, au tableau général de lacourse aux ressources en déclin. L’article deBrett Clark et Rebecca Clausen que nouspublions montre que les ressources en pois-sons des océans sont proches de l’épuise-ment après un demi-siècle qui a vu les prisesêtre multipliées par six. Leur article est à l’in-terface de la biologie marine, de l’écologiescientifique, de l’économie politique et d’unmarxisme qui élabore sur la destruction de lanature par le capitalisme. Sur ces quatrefronts, la réflexion et la critique débattuesvont se poursuivre et s’approfondir :• Brett Clark et Rebecca Clausen évoquentles récents progrès de la biologie marine quiaccumule les découvertes surprenantes. L’éco -logie marine est très complexe et très diffé-rente de celle de la terre ferme. La mer donneune fausse impression d’immensité abon-dante. En réalité, c’est un milieu très dilué,pour le moins. La mer occupe le 70% de lasurface de la Terre, donc reçoit le 70% desrayons du soleil. Mais l’essentiel de ses végé-taux, seuls producteurs de matière organiquegrâce à la photosynthèse, sont les alguesmicroscopiques qui vivent dans les 10-30mètres supérieurs, illuminés. De par leur faiblebiomasse, leur activité photosynthétiquetotale n’est que le tiers de l’activité photosyn-thétique totale des végétaux de la Terre. Labiomasse totale des océans n’est qu’environ letiers de celle des continents, même si la bio-masse animale n’y est que légèrement infé-rieure à celle des continents (un peu moins,respectivement un peu plus, d’un milliard detonnes de matière organique sèche, chacune).• Une économie politique des pêcheriesdevra être détaillée en termes de marché ali-mentaire mondial, d’investisseurs, d’entre-prises, de prix, de profits, de pays, de classessociales, d’emploi et d’exploitation des mil-lions de travailleurs de la pêche.• Une politique de la pêche pour interpréterla politique des Etats qui signent des accordsinternationaux, fixent des quotas de pêchequi sont sans cesse dépassés, le rôle de laFAO, la course entre les puissances pour separtager les mers, les mouvements sociaux etmilitants qui se battent pour les mesures deprotection de la mer.• Un marxisme qui de la critique du pillageet de l’exploitation à l’effort de compréhen-sion de la complexité du réel d’aujourd’hui

pose la question et la possibilité pratiquesd’une lutte sociale pour un autre rapport à lanature.L’article de Brett Clark et Rebecca Clausenillustre par la mer ce que nous disait JoséManuel Naredo dont nous avions publié unentretien dans le n° 2 de cette revue. Il expli-quait que le système économique en action,est essentiellement basé sur une extractiondes ressources de la planète et que la dimen-sion des activités extractives industrielles esttelle que les richesses planétaires peuventeffectivement être ravagées et épuisées pro-chainement :«Dans ce sens, si on veut maintenir viable unsystème ici-bas, alors il faudra suivre le modèlede la biosphère et non celui de la civilisationindustrielle qui est, à long terme, incompatibleavec la vie. Il pourrait être compatible si l’espècehumaine avait un poids ridiculement petit sur laplanète. Dans ce cas de figure, on pourrait s’abs-traire de ces considérations et envisager les res-sources infinies et les puits de déchets de même.Mais nous avons mis en évidence avec Valerodans notre livre que l’espèce humaine met enmouvement chaque année un tonnage de maté-riaux de beaucoup supérieur à n’importe quelleforce géologique. Si on considère les cycles dematières dans la biosphère, ce qu’on étudie en éco-logie, on voit que le commerce mondial, à lui toutseul, met en mouvement chaque année un tonnagebien supérieur aux alluvions que charrient tousles fleuves de la Terre additionnés. C’est un ton-nage de l’ordre de grandeur du cycle complet ducarbone. Le total des mouvements annuels deterre liés aux activités extractives, estimés à prèsde 100 milliards de tonnes, sont, eux, cinq ou sixfois plus importants. On voit donc que l’espècehumaine a sur la planète un poids tout à faitdéterminant et qui a augmenté particulièrementrapidement depuis 60 ans. […] Par conséquent,si le système économique ne s’ajuste pas, pour cequi est de son métabolisme, aux flux du modèle dela biosphère, si on continue avec le même modèlede la civilisation industrielle, alimenté à based’extraction et de détérioration, alors clairement àlong terme, c’est inviable.»La revue La brèche publiera dans ses pro-chains numéros d’autres contributions à cetteproblématique. (RL)

[1] www.actualité-news-environnement.com/16552-peche-thon,13 juin 2008

[2] AFP, 11 septembre 2008.

[3] Idem.

[4] www.actualité-news-environnement.com/20070211-epuisement, 11 février 2007; LeMonde, 10 mars 2005.

présentation : vider les océans?

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tence et du rôle d’organismes plus petits, la libé-ration et la réutilisation de matière organiquedissoute, et une réévaluation de certains orga-nismes plus grands.»[6]Les interactions métaboliques qui s’expri-ment dans les niveaux trophiques se révè-lent être la source sous-jacente de lagrande richesse biologique et de la rési-lience de l’océan.Selon les spécialistes de la biologie marine,« on pense que la diversité génétique, enespèces, en habitats et en écosystèmes des océansdépasse celle de tout autre système de la Terre».Par exemple, les environnements del’océan contiennent dix-sept embranche-ments* différents de formes de vie compa-rés aux onze embranchements terrestres.Les océans constituent, à notre connais-sance, 99% du volume total qui contient lavie à la surface de la Terre, la plus grandepartie encore inconnue à ce jour. Les bio-logistes qui explorent les profondeursmoyennes de l’océan ont découvert nom-bre de nouvelles espèces qui composentdes écosystèmes productifs. Les grandsfonds, dont on n’a exploré à peine plus de1,5%, ont récemment suscité un grandintérêt pour leur abondante biodiversité.Par exemple, sur un de ces fonds del’Atlantique d’environ 21 mètres carrés, lesbiologistes ont recueilli récemment 90’672individus appartenant à 798 espè ces, dont460 étaient inconnues auparavant. Cesnouvelles découvertes ont fourni d’impor-tants aperçus sur les écosystèmes marins.En même temps, elles suscitent une éva-luation de la forte incertitude qui subsisteau sujet d’une grande partie des processusdes environnements marins, le rôle descourants, les cycles de nutriments, et labiomasse*[7].Les progrès récents dans la compréhen-sion des niveaux trophiques * ont eu lieudans trois domaines : les interactionsmicrobiennes, la dynamique trophique àplusieurs étages et les rétroactions auniveau trophique le plus élevé. Pour com-mencer, la masse de faits nouveaux révéléspar l’étude de la base de la pyramide alimentaire * (diatomées, dinoflagellés etautres algues microscopiques) a conduit leschercheurs à proposer une interprétationnouvelle des chaînes alimentaires plancto-niques qui envisage une « boucle micro-bienne ». Dans cette boucle, la matière

entre elle et les humains, et leurs processusde régulation, qui gouvernent la reproduc-tion d’un système. C’est un concept fonda-teur de l’écologie. Marx a utilisé uneapproche métabolique pour étudier lesproblèmes environnementaux de sontemps, en considérant le métabolisme dessystèmes naturels. Alors que la fracturemétabolique a été à l’origine décrite auXIXe siècle à propos de l’agriculture et dela crise du sol, nous étendons son emploi àl’étude de l’interaction entre la société etles océans. Mészáros fait remarquer quechaque mode de production crée un ordremétabolique social particulier, qui peutêtre caractérisé par l’échange matérielentre la société et la nature[5].Dans le présent article, nous allons exami-ner l’ordre métabolique social du capitalet de son rapport aux océans afin de (a)étudier les causes humaines de l’épuise-ment des réserves de poissons, (b) détail-ler les conséquences écologiques de laproduction capitaliste courante en rela-tion avec l’environnement océanique, et(c) éclairer les contradictions écologiquesde l’aquaculture capitaliste.

métabolisme marinLes écologues évaluent désormais la com-plexité des relations biologiques à des mul-tiples échelles, en incluant la productivitéprimaire, la séquestration du carbone et lesréseaux trophiques et chaînes alimentairescomplexes. Une lumière nouvelle éclaireles écosystèmes océaniques en faisantémer ger un tableau du métabolisme de lamer. En particulier, la recherche révèle unegrande complexité et une intégrationrésultante au sein des interactions entre lesniveaux trophiques (les réseaux de chaînesalimentaires) entre organismes microsco-piques, plancton, et grands prédateurs.Ivan Valiela, du Marine Biological Labo -ratory de Woods Hole MA et de l’Univer -sité de Boston, auteur d’un manuel d’éco-logie marine qui fait autorité, écrit :«Aucune question de l’écologie marine et del’océanographie biologique a autant changéque notre connaissance des composants et de lastructure des réseaux trophiques planctoniques.La compréhension des réseaux de nourrituredes colonnes d’eau dans la mer a été considéra-blement améliorée, et rendue plus complexe,par des découvertes récentes au sujet de l’exis-

analysé dix-sept types de causes d’originehumaine du changement écologique desécosystèmes marins (par exemple : la pol-lution organique par le ruissellement desterres agricoles, la surpêche, les émissionsde dioxyde de carbone, etc.).Les résultats de l’étude sont clairs : iln’existe aucune région des océans qui ne« soit pas affectée par l’influence humaine» etplus de 40% des écosystèmes marins sontlourdement affectés par de multiples fac-teurs. Les océans polaires sont au bordd’un changement significatif. Les récifs decorail et les plateaux continentaux ontsouffert une détérioration sévère. Enoutre, l’océan mondial est un facteur cru-cial du cycle du carbone, en absorbantapproximativement entre un tiers et lamoitié du gaz carbonique libéré dans l’at-mosphère. L’accroissement du taux degaz carbonique a conduit à une montéede la température de l’océan et une lentechute du pH des eaux de surface, ellesdeviennent plus acides, perturbant leplancton qui forme des coquilles calcairesainsi que les espèces qui construisent desrécifs. En outre, des espèces invasives ontaffecté négativement 84% des eauxcôtières du monde, en diminuant la biodi-versité et en minant encore plus lespêcheries déjà stressées[3].Le tableau de la coévolution de la sociétéhumaine et de l’environnement marin aucours de l’ère industrielle capitaliste quedécrit l’analyse scientifique des systèmesocéaniques force à la réflexion. Les pro-blèmes environnementaux spécifiques quiaffectent l’océan ne peuvent pas être vuscomme des questions isolées ou des aber-rations de l’industrie humaine, qu’il suffirade corriger au moyen de développementstechnologiques ultérieurs. Ces conditionsécologiques doivent plutôt être comprisesdans leur relation à l’expansion systéma-tique du capital et à l’exploitation de lanature pour le profit. Le capitalisme estcaractérisé par un ordre métaboliquesocial particulier, soit l’échange dematières entre la société et la nature, quisubordonne le monde à la logique de l’ac-cumulation. C’est un système de valeur quis’auto-élargit, qui doit se reproduire surune échelle toujours plus grande[4]. Le métabolisme, c’est le système des rela-tions d’échanges au sein de la nature et

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Les problèmes environnementaux spécifiques qui affectent l’océan doivent être compris dans leur relation à l’expansion systématique du capital et à l’exploitation de la nature pour le profit.

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GLOSSAIREBenthique Se dit du fond de l’océan et qualifie les organismes qui vivent sur le fond ouprès du fond. Biomasse La masse totale de substance vivante présente sur une unité de surface don-née. Chalut Filet en forme de sac que le bateau traîne derrière lui. Un chalut moderne atypiquement une ouverture de 40 m de large, autant de haut et une profondeur de50 m. Il est tiré par deux câbles de 500 m de long. Il est plaqué au fond par des lests etouvert par des flotteurs. Des billes ou des rouleaux de bois ou de métal évitent qu’ils’accroche à des obstacles du fond. Chaîne alimentaire “Gros poisson mange petit poisson”. La matière organique estproduite, grâce à la lumière du soleil, par les algues qui sont mangées par des herbi-vores qui sont mangés par des carnivores. Voir illustration A.Embranchements Grandes divisions du monde vivant qui correspondent chacune àun plan d’organisme. Les 17 embranchements marins sont : bactéries, algues bleues,ciliés, flagellés, algues brunes, algues dorées, algues rouges, algues vertes, éponges, coe-lentérés, vers plats, vers ronds, vers annelés, mollusques, arthropodes, échinodermes,vertébrés.Eutrophisation Accumulation de matières organiques dans un volume d’eau fermé.Cette accumulation provoque une trop forte consommation d’oxygène. Le manqued’oxygène tue la plupart des organismes et la décomposition de leurs cadavresconsomme le peu d’oxygène restant dans l’eau. Hypoxique Qui a trop peu d’oxygène.Kelp Grandes algues brunes allant jusqu’à 20-30 m de haut, attachées au fond rocheuxet atteignant la surface qui, dans certaines mers côtières froides, forment de véritablesforêts sous-marines en constituant un milieu particulier par sa flore et sa faune.Krill Petites crevettes Euplasia superba (3 cm) des mers froides qui forment des bancsde milliards d’individus qui se déplacent en mer ouverte près de la surface. Les baleinesfiltrent le krill dans leurs fanons.Niveau trophique Niveaux de la pyramide alimentaire. Voir illustration A.Pélagique Se dit de la colonne d’eau entre le fond et la surface. La mer est ainsi diviséeen deux domaines : le fond est le domaine benthique tandis que l’immense volume del’eau est le domaine pélagique. La sole est une espèce benthique, alors que le thon estpélagique.Plateau continental La prolongation du continent sous la mer côtière. Le plateaucontinental a une profondeur allant jusqu’à 400 m, alors que celle du reste de l’océanest généralement de 4000 m.Pyramide alimentaire Beaucoup de végétaux donnent à manger à quelques herbi-vores qui fournissent la nourriture à un petit nombre de carnivores. Le rendement de lamétabolisation de la nourriture végétale par les herbivores puis de la métabolisation deleur viande par les carnivores est faible. On estime qu’en montant d’un étage dans lapyramide alimentaire, la productivité est d’environ 10% à 20%. A chaque étage la bio-masse diminue. Dans le domaine pélagique, 1000 kg d’algues font vivre 200 kg d’herbi-vores qui font vivre 20 kg de carnivores primaires, comme le tacaud, qui font vivre 2 kgde carnivores secondaires, la morue par exemple, et enfin 200 g de thon qui mange dela morue. Voir illustration A.Posidonies Petites plantes à fleur qui sur des fonds marins allant jusqu’à 40 m de pro-fondeur forment des prairies sous-marines qui sont un milieu bien oxygéné avec saflore et sa faune particulières.Prédateurs La quasi-totalité des poissons de mer pêchés sont des carnivores, quimangent des poissons ou des invertébrés plus petits. On ne mange guère d’équivalentmarin de la carpe qui est un poisson d’eau douce partiellement herbivore. Alors queprovenant de la terre ferme, on mange des végétaux et la viande des herbivores maisguère des carnivores.Puits Dans la nature, et dans l’industrie humaine aussi, chaque activité métaboliquenécessite une source de ressources et un puits où déverser les déchets. Puits désignedonc le milieu naturel qui absorbe ou accumule les déchets. La connotation est le 2eprincipe de la thermodynamique : la ressource consommée ne pourra jamais être res-taurée dans toute sa qualité et sa quantité. La matière dégradée s’accumulera forcémenten quelque puits.Trophique Du grec trophê = nourriture. Désigne en écologie ce qui se rapporte à l’ali-mentation : pyramide trophique = pyramide alimentaire.

organique tourne parmi les microbes en uncycle avant d’entrer dans la chaîne alimen-taire classique ; c’est une relation plus com-pliquée que ce qu’on pensait auparavant.Deuxièmement, on a découvert que lesréseaux alimentaires océaniques ont sou-vent cinq niveaux trophiques voire plus, àla différence des systèmes d’eaux douces oùtrois niveaux trophiques sont plus typiques(voir illus tration A, p. 48). Ivan Valieladécrit cette découverte encore inexpliquéecomme une différence qualitative entre lesdeux milieux. Auparavant on pensait queles interactions trophiques entre les pois-sons d’eau douce étaient analogues à cellesdes poissons pélagiques * et les décisionsde gestion étaient basées sur de telles com-paraisons. Explorer la dynamique à plu-sieurs étages des réseaux de chaînes ali-mentaires océaniques dans ce qu’elles ontde différent des systèmes lacustres repré-sente un problème de recherche plus ardupour la communauté scientifique. Toutesles spéculations qui cherchent à évaluerdans quelle mesure les systèmes océa-

[3] Benjamin S. Halpern, et al., «A GlobalMap of Human Impact on MarineEcosystems», Science 319, 2008, pp. 948-952; Jennifer L. Molnar, et al., «Assessingthe Global Threat of Invasive Species toMarine Biodiversity», Frontiers inEcology and the Environment 6, 2008,doi :10.1890/070064; Callum Roberts, TheUnnatural History of the Sea, IslandPress, Washington DC, 2007.

[4] István Mészáros, Beyond Capital,Monthly Review Press, New York, 1995,pp. 40-44; John Bellamy Foster, EcologyAgainst Capitalism, Monthly Review Press,New York, 2002.

[5] István Mészáros, Beyond Capital, pp.40-45; John Bellamy Foster, Marx’sEcology, Monthly Review, New York, 2000.Le présent article reprend partiellementnotre article, «The Metabolic Rift andMarine Ecology», Organization &Environment 18, n° 4, 2005, pp. 422-44,dans lequel nous élargissons et dévelop-pons en détail une analyse métaboliqueen tant qu’elle porte sur les écosystèmesmarins..

[6] Valiela, Marine Ecological Processes,p. 275.

[7] Pew Ocean Commission, America’sLiving Oceans; Elisabeth Borgese, TheOceanic Circle, United Nations UniversityPress, New York, 1998.

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Une grande quantité de végétaux donneà manger à quelques herbivores quifournissent la nourriture à un petit nom-bre de carnivores. Le rendement de la métabolisation de lanourriture végétale par les herbivorespuis de la métabolisation de leur viandepar les carnivores est faible. On estimequ’en montant d’un étage dans la pyra-mide alimentaire, la productivité estd’environ 10% à 20%. A chaque étage,

la biomasse diminue. Dans le domainepélagique, 1000 kg d’algues font vivre200 kg d’herbivores qui font vivre 20 kgde carnivores primaires, comme letacaud, qui font vivre 2 kg de carnivoressecondaires, la morue par exemple, etenfin 200 g de thon qui mange de lamorue.Les espèces de poissons qui ont lavaleur d’échange sur le marché la plusgrande, et constituent l’essentiel des

cibles de la pêche, sont des carnivoresdes niveaux trophiques 4 et 5.Mais les poissons ne dédaignent pas demanger des proies situées non pas auniveau trophique immédiatement infé-rieur mais plus bas encore. L’inventairedu contenu de leur estomac à l’autopsiepermet donc d’attribuer à chaqueespèce un niveau trophique fraction-naire. Par exemple 4,2-4,5 pour le thon,3,6 pour la morue, 2,3 pour l’anchois.

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Niveau trophique 5. Les carni-vores 3 : thons, espadons, requins, etaussi les dauphins…

Niveau trophique 4. Les carnivo -res 2 : poissons de tailles moyennes

Niveau trophique 3. Les consom-mateurs secon dai res : les carnivores1 (petits poissons, alevins de pois-sons plus grands, calmars et seiches)mais aussi les mangeurs de krill *(baleines et manchots).

Niveau trophique 2. Les consom-mateurs primaires : les animaux her-bivores. Dans la mer, l’essentiel enest constitué par des protozoaires etdes minuscules crustacés, principale-ment les copépodes et des petitescrevettes (zooplancton).

Niveau trophique 1. Les produc-teurs : les végétaux, grâce à leur chlo-rophylle et à la lumière du soleil.Dans la mer, l’essentiel en est con -stitué par les algues microsco-piques qui vivent dans les 10-30 m supérieurs illuminés del’océan : diatomées, dinofla-gellés…(phytoplancton).

A. la pyramide alimentaire de l’océan (la chaîne trophique pélagique)

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profonds, puis progressant par la mise aupoint d’outils comme les javelines depêche à pointes de pierre, les hameçons,les lignes et les filets. A l’origine, cela sebasait sur la pêche afin de consommer lepoisson. Ce qu’on attrapait était utilisépour nourrir familles et communautés.Au travers de la pêche, le travail humain aété étroitement lié aux processus del’océan, acquérant une compréhensiondes migrations des poissons, des marées,des courants. La taille d’une populationhumaine dans chaque région déterminaitl’ampleur de l’exploitation. Mais l’appari-tion des marchés de marchandises et de lapropriété privée dans le système capita-liste de production a modifié le rapportdu travail de pêche aux ressources desmers. Certaines espèces particulièresavaient une valeur d’échange. Par consé-quent certains poissons furent considérésde plus grande valeur. Cela a conduit àdes méthodes de pêche visant à attraperle plus possible d’une certaine espèce telleque la morue/cabillaud. Les espèces noncommercialisables capturées sans discri-mination parallèlement à l’espèce-cibleétaient rejetées comme déchets. C’est cequ’on appelle les «prises accessoires » oules « prises occasionnelles » (en anglais«bycatch»).Avec le développement et l’extension ducapitalisme, l’extraction intensive par desflottes de pêche industrielles devint lanorme. Les océans furent assujettis à desdemandes accrues. La surpêche conduisità des épuisements sévères des réserves depoissons sauvages. Dans son livre EmptyOcean (l’océan vide), Richard Ellis écrit :«A travers les océans de la Terre, des poissonscomestibles qu’on croyait jadis innombrablessont considérés aujourd’hui comme gravementépuisés et certains presque éteints. Un millionde vaisseaux pêchent aujourd’hui dans lesocéans, c’est le double qu’il y a vingt-cinq ans.Y a-t-il le double de poissons qu’alors ?Sûrement pas.» Comment en est-on arrivélà ? [10]Le début de l’industrialisation capitalistea marqué les changements les plusremarquables et significatifs des pratiquesde pêche. La mécanisation, l’automationet la production/consommation demasse ont caractérisé une époque d’in-vestissements croissants en machines, encapital fixe. L’investissement pour le pro-fit dans une production efficiente aconduit à des technologies de pêche quiont pour la première fois fait de l’épuise-ment des réserves de poissons des eauxprofondes une possibilité réelle. De tellespossibilités sont révélées par la manièredont la pêche de fond, la capture de pois-

sons qui nagent tout près du fond del’océan, s’est transformée avec les années.L’industrialisation a commencé à influen-cer la pêche de fond vers le début du XXesiècle, grâce aux développements techno-logiques employés pour accroître l’accu-mulation du capital. Le lancement enAngleterre de chalutiers à vapeur en 1906annonçait un changement profond dansla manière de pêcher les poissons de fond.Ils ont rapidement remplacé les flottes degoélettes à voile. Avant les chalutiers àvapeur, les poissons de fond étaient cap-turés sur les goélettes au moyen de lignesavec des appâts durant de longs voyagesen mer. Faute de pouvoir réfrigérer etcongeler, la plus grande partie des cap-tures de morues/cabillauds était salée.Les marchés concurrentiels propres à laproduction capitaliste firent bon accueil àl’efficacité accrue des navires mus par lavapeur, sans réexamen critique des consé-quences des ordres de grandeur de cap-ture bien plus grands. Plus de poissonscapturés signifie plus de profits. Le pas-sage au chalut * était complet vers 1920.Les conséquences de la deuxième révolu-tion industrielle organisée sous l’empiredes mécanismes du capitalisme allaientbientôt changer le rapport humanité /nature tel qu’il s’applique aux océans, endémultipliant la portée du capital.La portée géographique et la vitesseaccrues des flottes de pêche ont permisune augmentation de la productivité decapture ainsi qu’une plus grande diversitéd’espèces capturées jugées « de valeur »sur le marché. Les progrès technolo-giques et les meilleurs moyens de trans-port ont permis à l’industrie de la pêchede croître en augmentant l’échelle de sesactivités. La réfrigération garantissait quele poisson serait frais, diminuant les perteset le gaspillage de capital. Dans son livreCod : A Biography of the Fish that Changedthe World (La morue/ cabillaud : la bio-graphie d’un poisson qui a changé lemonde), Mark Kurlansky explique : «Laréfrigération a changé aussi le rapport descompagnies de produits de la mer aux ports depêche. Le poisson congelé pouvait désormais

niques sont vulnérables en comparaisonavec les écologies d’eau douce et terrestresont marquées par l’incertitude [8].Enfin, les chercheurs ont trouvé que lesespèces des niveaux trophiques supérieurssemblent étroitement couplées à la dispo-nibilité d’aliments. Cela veut dire que lesprédateurs du sommet de la pyramide ali-mentaire vivent au plus près de la capacitéde charge de leur environnement. Ce n’estpas le cas de la plupart des poissons osseuxdans les milieux d’eau douce, qui viventhabituellement dans un milieu caractérisépar une abondante population de proies.Les caractéristiques des étapes du par-cours de vie individuel des animaux desniveaux trophiques supérieurs suggèrentqu’ils sont facilement sujets à surexploita-tion. Les populations de grands prédateursmarins ont peu de marge pour absorberdes pertes de ressources alimentaires. Parexemple, la capacité des baleines à retrou-ver leur ancienne abondance après leurprédation massive par les humains dépendaujourd’hui de la disponibilité du krill *.Bien que la chasse aux baleines à grandeéchelle ait fortement baissé, l’exploitationmassive du krill comme source de pro-téines et comme additif pour les alimentsdestinés au bétail peut désormais compro-mettre le rétablissement des populationsde baleines qui dépendent du krill commenourriture [9].Dans une mesure significative, les préda-teurs du sommet de la pyramide alimen-taire, dépendent de, et interagissent avec,les niveaux trophiques inférieurs. Lesinteractions des niveaux trophiquesreprésentent un réseau de chaînes alimen-taires basé sur un flux d’énergie et ilsdécrivent un aspect du métabolisme del’océan. A côté des interactions desniveaux trophiques, bien d’autres rela-tions existent entre les organismes del’océan telles que la relation entre lesorganismes et leur habitat immédiat quipeut inclure des récifs de corail et desforêts de kelp *. Ces deux milieux dontdépendent les espèces sont hautementvulnérables à l’exploitation de leurs res-sources.

le capitalisme et la pêche en merLes humains ont depuis longtemps étéreliés aux processus métaboliques del’océan par la récolte de végétationmarine et la pêche. Les techniques et pro-cédés de récolte ont varié selon l’histoireet la structure de la production sociale. Lapêche de subsistance traverse toute l’his-toire humaine, depuis la récolte de coquil-lages le long des rives et dans des lacs peu

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[8] Farooq Azam, et al., «The EcologicalRole of Water-Column Microbes in theSea» Marine Ecology Progress, Series 10,1983, pp. 57-63; Valiela, Marine EcologicalProcesses.

[9] James A. Estes, «Exploitation of MarineMammals», Journal of the FisheriesResearch Board of Canada 36, 1979, pp.1009-17; M. Omori, «ZooplanktonFisheries of the World», Marine Biology48, 1978, pp. 199-205.

[10] Richard Ellis, The Empty Ocean, IslandPress, Washington DC, 2003, p. 13.

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être acheté n’importe où, chaque fois que lepoisson est le meilleur marché et le plus abon-dant. Avec les marchés en expansion, lesflottes locales n’arrivaient plus à suivre lademande des compagnies.» Le perfectionne-ment de l’infrastructure de transport apermis aux habitants du Midwest desEtats-Unis de consommer les prises crois-santes de cabillaud et d’aiglefin, ce qui apermis une expansion significative dumarché. Des grandes campagnes de mar-keting ont encouragé la consommationde poisson pour augmenter les ventes.Ensemble ces facteurs ont accru l’accu-mulation du capital dans l’industrie de lapêche et les grandes entreprises ont réin-vesti une partie de ce capital dans leursflottes [11] . C’est ainsi qu’aux alentours de 1930, lessignes se multipliaient indiquant que lacapacité de la flotte de pêche de fond decapturer des quantités massives de pois-sons avait dépassé les limites naturellesdes pêcheries. Une étude de l’Universitéde Harvard signalait qu’en 1930 la pêchede fond avait rapporté 37 millions d’aigle-fins à Boston, tout en rejetant à l’eau lescadavres de 70 à 90 millions d’aiglefinstrop jeunes. Le soudain accroissementdes prises (engendrant une croissance dela demande du consommateur grâce auxcampagnes de marketing) provoqua unecrise des populations de poissons de fondet les prises débarquées chutèrent.Des marchés concurrentiels incitent àélargir la production, sans égard pour ledéclin des ressources. Par conséquent, enréaction aux réserves qui décroissaient dufait de la surpêche, les flottes de pêche defond s’éloignèrent des côtes pour allerdans les eaux au large du Canada afind’accroître l’approvisionnement de nou-veaux marchés en poissons commerciali-sables. La capacité de la flotte de sedéplacer dans des eaux inexploitées obs-curcissait la prise de conscience du sévèreépuisement des ressources qui était enmarche. Le résultat en fut que le proces-sus de surpêcher certains écosystèmesafin d’approvisionner le marché avec unemarchandise spécifique s’est élargi, sou-mettant de nouvelles portions de l’océanau même système de dégradation [12].Les flottes de pêche à grande distancefurent rendues possibles par l’apparitiondu chalutier-usine. Le chalutier-usinereprésente le pinacle de l’investissement

du capital et de l’intensification extractivedes pêcheries mondiales. Dans DistantWaters (Eaux lointaines), William Warnerbrosse le portrait de la puissance du cha-lutier-usine : «Essayez d’imaginer unemachine d’abattage des arbres mobile et com-plètement autonome qui pourrait sabrer à tra-vers la forêt le long des pistes les plus difficilesd’accès, couper les arbres, les débiter et fournirdu bois de charpente prêt à l’usage dans lamoitié du temps que nécessitent les opérationsnormales de bûcheronnage et de sciage. C’estexactement ce que fait le chalutier-usine, c’estexactement son effet sur le poisson, dans lesforêts des profondeurs. Cela ne pouvait paspasser inaperçu longtemps. »De tels chalutiers-usines, il y en a actuel-lement 37 000 qui naviguent sur lesocéans, contribuant largement à l’extrac-tion annuelle de plus de 80 millions detonnes de poisson. A travers l’océan, ilstirent des filets de nylon, pouvant allerjusqu’à un kilomètre de long, et capablesde capturer 400 tonnes de poissons enune seule fois. Les chalutiers-usines usi-nent et congèlent leurs prises durant levoyage. Les plus grands atteignent lataille d’un terrain de football et les plusmodernes emploient des technologiesprovenant de la marine de guerre pourpêcher jusqu’à 1,5 km de profondeur. Ilspeuvent coûter jusqu’à 40 millions de dol-lars l’unité [13]. De tels perfectionnementstechnologiques ont décuplé l’exploitationsystématique et démultiplié l’échelle del’extraction des poissons.Le besoin d’expansion du capital se heur-tant aux limites naturelles des populationsde poissons a conduit au lancement d’im-menses chalutiers pour accroître la capa-cité productive et l’efficacité des opéra-tions. Ces bateaux ont permis auxpêcheurs d’aller à la recherche des régionsdes océans où trouver les poissons devaleur en fournissant les moyens de cap-turer des quantités massives en un seulvoyage. On a surmonté le manque depoissons dans une mer par une pêchedans d’autres mers encore plus intensiveau moyen de nouveaux bateaux et denouveaux équipements, tels le sonar. Lapoursuite de vastes quantités de poissonscommerciaux dans différentes régions desocéans a multiplié l’épuisement d’autresespèces non désirées ramenées par lesfilets et rejetées. La décimation des merssoumises aux ordres du marché s’est

accrue, que le poisson soit vendu commeune marchandise ou jeté par-dessus bordcomme un déchet [14].La concurrence entre entreprises qui sedisputent des parts de marché et l’inves-tissement de capital dans la technologieavancée ont intensifié l’exploitation despêcheries. Des entreprises internationalesen concurrence ont convoité le butindéclinant des fruits de la nature, provo-quant plus de conflits dans la «course aupoisson ». Le président Harry Truman(1945-1953) réagit à ces disputes en ten-tant d’étendre les intérêts des entreprisesdes Etats-Unis. Il promulgua deux procla-mations qui étendaient la souverainetédes Etats-Unis au-delà des eaux territo-riales en essayant d’étendre l’« enclôture»(angl. enclosure) territoriale de ses merslimitrophes jusqu’aux limites du plateaucontinental *. Partout dans le monde, lesEtats côtiers se sont alors efforcés detransformer le droit de la propriété enhaute mer de façon à bénéficier à leurspays. Réagissant au conflit croissant, lesNations Unies ont convoqué à Genève en1958 la Première Conférence des NationsUnies sur le droit de la mer. LaConférence aboutit à la signature par laplupart des pays de la Convention desNations Unies sur le droit de la mer qui« a irrévocablement transformé» le droitinternational et qui constitue «une révisionfondamentale d’institutions dont certaines trèsanciennes. » [15] Le Sénat des Etats-Unis,pourtant, n’a toujours pas ratifié la Con -vention à ce jour ! Finalement, la Conven -tion a institué un régime de propriétébasé sur la règle d’une zone économiqueexclusive qui place les régions de hautemer adjacentes aux eaux côtières entière-ment sous la compétence administrativede l’Etat côtier, et cela jusqu’à deux centsmilles du rivage. Dans cette zone, lesEtats jouissent de droits exclusifs sur lesressources vivantes, et non vivantes, pourl’extraction et tous autres buts écono-miques.L’effondrement des pêcheries dû à lasurexploitation au fur et à mesure que lemarché alimentaire des produits de lamer s’étendait a forcé les entreprises àaller chercher ailleurs « la marchandise ani-male la plus commercialisée de la planète. »Les pays africains tels que le Sénégal, laMauritanie, l’Angola et le Mozambique,pressés par leur terrible situation écono-

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84,2 millions de tonnes en 2005. «Cetaccroissement sans précédent dépasse les pla-fonds d’une récolte durable (sustainable).L’effet en est que la plupart des poissonsmarins d’intérêt commercial sont sévèrementaffectés par la pression de la pêche. » (IvanValiela, op. cit. p. 513) (voir graphique B)

La manière dominante de présenter leschoses est d’expliquer cet accroissementdes prises uniquement par la croissancedémographique de l’humanité. Néan -moins des travaux récents démontrentque des facteurs structurels sociaux telsque la croissance économique propulsentégalement l’épuisement. Depuis 1989environ, les prises mondiales de poissonsmarins ont décru de 500000 tonnes parannée malgré les efforts de pêche crois-sants. Il y a eu un sévère déclin des popu-lations de thon, de cabillaud et de pois-son-pique. Au cours des années 1960 et1970 les prises de coquillages dansl’Atlantique ont commencé à s’effondrerde par la surpêche. Les opérations se sont

En 1930 déjà, les signes se multipliaient indiquant que la capacité de la flotte de pêche de fond de capturer des quantitésmassives de poissons avait dépassé les limitesnaturelles des pêcheries.

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mique, ont vendu leurs droits de pêcheaux pays et entreprises d’Europe et d’Asie.Cela rapporte aujourd’hui à la Mauritanie,par exemple, plus de 140 millions de dol-lars par année, ce qui équivaut au cin-quième du budget de l’Etat. Peu de payspeuvent résister à cet appât, étant donnéleur besoin de devises. Les chalutiersindustriels sont descendus dans les eauxafricaines pour peigner leurs mers à larecherche des marchandises poisson-nières tant convoitées. Durant les trentedernières années, les populations afri-caines de poissons dans l’océan ont dimi-nué de 50% et des milliers de pêcheurslocaux ont été réduits au chômage [16].L’expansion des méthodes capitalistes depêche continue de décimer les pêcherieset de répandre la dégradation écologiquependant que les profits et les alimentssont rapatriés vers les métropoles.

La FAO estime que la capture mondialetotale de la pêche a passé d’approximati-vement 20 millions de tonnes en 1950 à

[11] Mark Kurlansky, Cod, Walker andCo., New York, 1997, pp. 138-39.

[12] Northeast Fisheries ScienceCenter, National Oceanic andAtmospheric Administration/NOAA,site Internet consulté le 10 avril 2005 :www.nefsc. noaa.gov/history/sto-ries/groundfish/grndfshl.html;Kurlansky, Cod, op.cit.

[13] Voir William Warner, DistantWater, Little, Brown and Company,Boston, 1983, viii.

[14] Kurlansky, Cod, op.cit.

[15] Javier Perez de Cuellar,«International Law Is IrrevocablyTransformed,» in Nations Unies, LeDroit de la mer : Le texte officiel de laConvention des Nations Unies sur leDroit de la mer avec Annexes et Index,A/CONF.62/122, Nations Unies, NewYork 1983, xxix; Mike Skladany, BenBelton, et Rebecca Clausen, «Out ofSight and Out of Mind : A New OceanicImperialism», Monthly Review 56,n° 9, février 2005, pp. 14-24.

[16] Sharon Lafraniere, « Europe TakesAfrica’s Fish, and Boatloads of MigrantsFollow», New York Times, 14 janvier2008; Elisabeth Rosenthal, «Europe’sAppetite for Seafood Propels IllegalTrade», New York Times, 15 janvier2008; John W. Miller, «OffshoreDisturbance : Global Fishing TradeDepletes African Waters» Wall StreetJournal, 18 juillet 2007.

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Invertébrés

Poissons de fond

Poissons pélagiques

Rejets à l’eau(«prises accessoires»)

B. total mondial des prises de la p�che (1950-1997)

Les statistiques de la FAO, les seules existantes qui soient mondiales, sont notoirement labyrin-thiques et peu fiables. Elles sont basées sur des groupages assez flous d’espèces et la déclaration de chaque pays. Le total annuel mondial actuel varie de 80 millions de tonnes à 120 millions de tonnes selon que l’aquaculture est incluse ou non, et selon que les «prises accessoires» rejetées à l’eau sont incluses ou seulement les prises débarquées à terre.

Source: Daniel Pauly, Villy Christensen, Rainer Froese et Maria Lourdes Palomares, «Fishing Down Aquatic Food Webs», American Scientist 8 8, n° 1, 2000, p. 46, disponible sur www. seafriends.org.nz/issues/fishing/pauly0.htm

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Durant les années 1970 et 1980, lesbateaux de pêche ont été automatisés etla tendance vers une automatisation com-plète devient générale. Aujourd’hui lesaides à la navigation, telles que le GPS, etles modèles de prévision météorologiqueaugmentent la capacité des flottes depêche à capturer un maximum de pois-sons dans un minimum de temps avec unminimum de travail humain. La synthèsedu progrès technique et de la transforma-tion des droits de propriété, dans le cadrecompétitif du capitalisme mondial, a pro-duit une extraction massive de poissonsmarins et un métabolisme social intensifiéorganisé pour la recherche du profit.

la dégradationécologique desécosystèmes marins

• les effets au niveau desespèces

L’extraction intensifiée de poissons desécosystèmes océaniques déjà stressés, ali-mentée par l’accumulation du capital et lalibre appropriation de la nature, aentraîné des graves conséquences pourles interactions entre les niveaux tro-phiques marins. Les océanographes fontremarquer que l’extraction de 100 mil-lions de tonnes de poissons par année(tant par la pêche que par l’aquaculture)va conduire à des perturbations de l’éco-logie marine à grande échelle et à longterme. Immédiatement préoccupantssont les «effets au niveau des espèces», enparticulier l’extinction d’espèces tantciblées que non ciblées. La pêche ininter-rompue d’espèces de poissons jusqu’àréduire leur population à des niveauxinférieurs au nombre durable nécessaire àleur reproduction va conduire en fin decompte à leur extinction.L’Hoplostète orange (Orange roughy,Hoplostethus atlanticus), par exemple, acommencé à être exploité commerciale-ment il y a dix ans. Ce poisson atteint unâge de 150 ans et ne commence à se repro-duire qu’à 25 ans. En capturant sans cesseles individus les plus âgés en premier, l’in-

qu’ils soient assez vieux pour se reproduire»et de les garder « enfermés jusqu’à ce qu’ilssoient tués». Le résultat, c’est que les thonsrouges sont menacés d’extinction [18].L’étendue géographique de l’exploitationdes océans s’est élargie avec la poursuitedes opérations capitalistes d’extraction.Même les eaux antarctiques sont de plusen plus assaillies par l’industrie de lapêche qui s’est préparée à piller la popula-tion du krill. Depuis les années 1970, leseffectifs du krill * ont décliné de 80%, sur-tout à cause du réchauffement climatique.Mais la pêche n’arrange rien. Ces minus-cules crustacés mangent un planctonriche en carbone près de la surface,contribuant à absorber du gaz carboniquede l’atmosphère. Le krill a longtemps étéune des sources primaires de nourrituredes phoques, baleines et manchots. Maisle krill s’est vu progressivement inclusdans l’appétit insatiable du capital mon-dial. La « récolte par aspiration» en avaledes grandes quantités qui sont transfor-mées, congelées et stockées sur des nou-veaux bateaux spécialisés. Ainsi récolté, lekrill sera utilisé comme fourrage pour lesélevages de poissons (aquaculture) outransformé en huile omega-3 et autressuppléments diététiques [19].Les flottes de bateaux de pêche brûlant descombustibles fossiles pour écumer les mersont exacerbé la détérioration des écosys-tèmes marins. L’épuisement des réserves depoissons accroît sans cesse les distancesque les flottes doivent parcourir pourpêcher certaines espèces comme le thonou l’espadon. Cela accroît aussi l’intensitérégionale de l’exploitation, le nombre d’es-pèces capturées sans être ciblées («prisesaccidentelles » ou « prises accessoires »),ainsi que l’échelle de l’épuisement. En2000, 80 millions de tonnes de poissonspêchées nécessitaient la combustion de 48milliards de litres de combustible et le rejetd’approximativement 134 millions detonnes de dioxyde de carbone. Cela veutdire que les pêcheries du monde dépensent12,5 fois plus d’énergie qu’elles n’en four-nissent comme aliments [20].

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alors déplacées vers la haute mer.L’épuisement des réserves de poissonspêchés commercialement dans les eauxcôtières a conduit à capturer des poissonsde mers profondes, tels que le grenadierde roche Coryphaenoïdes rupestris, le gre-nadier berglax Macrourus berglax, les tapirdu Cap et tapir à grandes écailles Nota -canthus sexpinis et Notacanthus chemnitzi,la raie à queue épineuse Raja spinicauda etle hoki Macruronus novaezelandiae, qui sesont vus à leur tour soumis aux exigencesdu marché et conduits à l’extinction. Lapêche en eaux profondes a sérieusementaffecté les populations de ces poissons desprofondeurs. En dix-sept ans les popula-tions de ces poissons des profondeurs ontchuté de plus de 87%. On s’attend à cequ’ils soient pêchés jusqu’au point des’éteindre, au détriment des écosystèmesdans lesquels ils vivent. La vulnérabilitéde ces poissons est due en partie au faitqu’ils vivent jusqu’à soixante ans d’âge etne deviennent pas sexuellement adultesavant d’approcher les vingt ans [17].

Des changements sur le marché peuventtransformer la demande d’une espèceparticulière de poisson. Au début desannées 1900, le thon rouge Thunnus thyn-nus était considéré juste assez bon commealiment pour les chiens et les chats. Maisvu leur taille et leur force, jusqu’à 750 kgpour 4 m de long, les thons rouges furentjugés des adversaires dignes d’être chas-sés. A la fin du XXe siècle, le thon rougeétait devenu « le poisson comestible le plusdésirable du monde» avec la vogue des res-taurants de sushi et sashimi. Etant donnéle fonctionnement du capitalisme, cela enfit aussi « l’espèce la plus menacée de tous lesgrands poissons». Les populations de thonsrouges continuent d’être décimées par lasurpêche. La pratique qui consiste à cap-turer en mer des individus jeunes de tailleréduite pour les placer dans des cagesflottantes appelées « fermes d’élevage dethons », pour les engraisser jusqu’à cequ’ils puissent être vendus, n’a fait qu’ag-graver la situation. Si cela permet decontrôler le processus de production, celaimplique de capturer les poissons «avant

L’altération majeure des réseaux trophiquesmarins due à la surexploitation fournit l’exemplele plus clair de la dégradation écologique dans les processus métaboliques de l’océan

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dustrie a épuisé la population d’adultesreproducteurs. (Plus généralement, la cap-ture de ce poisson aboutit à la destructiondes forêts de corail.) Cette espèce est dés-ormais menacée d’extinction [21].La pêche capitaliste industrialisée permetde capturer simultanément de grandesquantités de poissons ciblés. En mêmetemps, c’est d’immenses quantités d’es-pèces marines non ciblées qui sont captu-rées, les dites « prises accessoires » ou«bycatch ». Ce sont des espèces dont lacommercialisation n’est pas rentable, ellessont donc considérées comme desdéchets. Ces « déchets » sont souventbroyés et rejetés à la mer. Une partie estconstituée par les individus immaturesdes espèces cibles. Ainsi, si la mortalitéaugmente parmi cette population, c’est lareconstitution des effectifs de l’espèce quiest coupée à la racine. Bien évidemment,les populations des espèces rejetées sontaffectées négativement par ce rejet de«déchets » et la vie marine est déciméed’autant plus. L’opération la plus gaspil-leuse est la pêche au chalut des crevettes.La pêche et le rejet des « prises acces-soires » perturbent les habitats et lesréseaux trophiques au sein des écosys-tèmes. L’échelle en est assez significative.On estime que c’est en moyenne 27 mil-

lions de tonnes de poissons qui sont reje-tés à l’eau de cette façon par les pêcheriescommerciales à travers le monde. Laflotte de pêche des Etats-Unis a un tauxde «prises accessoires » de 28% par rap-port aux prises débarquées à terre [22].L’extinction de certaines espèces est l’effetdirect de la surpêche, elle-même en partiecausée par la logique de l’accumulation ducapital et facilitée par les innovations tech-nologiques mises en œuvre dans ce qu’ona appelé « la course aux poissons»[23]. Lesméthodes capitalistes sont en train de pro-voquer une perte de biodiversité marine etde miner la résilience des écosystèmesmarins. Ivan Valiela écrit : «La magnitudede la capture de poissons et les exemples d’alté-rations majeures aux chaînes alimentairesmarines par l’extraction des prédateurs suggè-rent que les effets de la pêche sont écologique-ment significatifs à de très grandes échellesspatiales. D’un autre côté, la capacité repro-ductive du poisson est telle qu’un rétablisse-ment relativement rapide de l’exploitation parla pêche est possible, dès que l’exploitation estdiminuée, comme dans le cas du bar rayé etd’autres espèces. » L’«altération majeure desréseaux trophiques marins» due à la surex-ploitation fournit l’exemple le plus clair dela dégradation écologique dans les proces-sus métaboliques de l’océan [24].

[17] FAO, The State of World Fisheries andAquaculture, FAO, Rome, 2004, p. 6 etp. 123; FAO, The State of World Fisheriesand Aquaculture 2006, FAO, Rome, 2006,p. 3 ; Harrington, Myers, et Rosenberg,«Wasted Fishery Resources», RebeccaClausen et Richard York, «EconomicGrowth and Marine Biodiversity»,Conservation Biology 22 n° 2, 2008,pp. 458-66; Jennifer A. Devine, KristaD. Baker et Richard L. Haedrich, «Deep-Sea Fishes Qualify as Endangered»,Nature 439, 2006, p. 29.

[18] Richard Ellis, «The Bluefin inPeril», Scientific American, mars 2008,pp. 71-77.

[19] Juliette Jowit, «Krill FishingThreatens the Antarctic», Guardian,23 mars 2008.

[20] Peter H. Tyedmers, Reg Watson etDaniel Pauly, «Fueling Global FishingFleets», Ambio 34, n° 8, 2005, pp. 635-38.

[21] Valiela, Marine Ecological Processes ;A. Lack, Katherine Short et AnnaWillcock, Managing Risk and Uncertaintyin Deep-Sea Fisheries, World WildlifeFund, Australie, 2003; Devine, Baker etHaedrich, «Deep-Sea Fishes Qualify asEndangered».

[22] Dayton L. Alverson et StevenE. Hughes, «Bycatch», Reviews in FishBiologv and Fisheries 6, 1996, pp. 443-62;Larry B. Crowder et Steven A. Murawski,«Fisheries Bycatch», Fisheries 23, 1998,pp. 8-16; Harrington, Myers et Rosenberg,«Wasted Fishery Resources»; LanceE. Morgan et Ratana Chuenpagdee,Shifting Gears, Island Press, WashingtonDC, 2003; Dayton L. Alverson, MarkH. Freeberg, Steven A. Murawski et J.-G. Pope, «A Global Assessment ofFisheries Bycatch and Discard», FAOFisheries Technical Paper 339, FAO,Rome, 1996.

[23] Harrington, Myers et Rosenberg,«Wasted Fishery Resources», p. 358.

[24] Valiela, Marine Ecological Processes,p. 514.

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C. p�cher en descendant la cha�ne trophique: niveau trophique moyen des prises

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Atlantique du Nord-Ouest Moyenne tous océans

Graphique de droite: la courbe grise est marquée par le dévelop-pement de la pêche aux anchois du Pérou (un poisson de niveau trophique 2,2) dès la fin des années 1950, puis son effondre-ment dans la première moitié des années 1970. La courbe supérieure efface cet épisode en soustrayant les pêcheries du Pérou du total de toutes les autres mers du globe.

Source: Daniel Pauly, Villy Christensen, Rainer Froese et Maria Lourdes Palomares, «Fishing Down Aquatic Food Webs», American Scientist 88, no.1, 2000, p. 46, disponible sur www. seafriends.org.nz/issues/fishing/pauly0.htm

L’épuisement croissant des espèces les plus convoitées, situées aux niveaux trophiques 4 et 5, et l’industrialisation accentuée de la pêche conduisent à pêcher des quantités accrues de poissons du niveau trophique 3. Le zooplancton du niveau trophique 2 va-t-il bientôt faire son apparition dans nos assiettes ?

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surpêche et d’autres formes de dégrada-tion environnementale. Ces écosystèmesprocurent des habitats complexes pourune multitude d’espèces et constituentsouvent le fondement de nombreusescommunautés locales de pêche. Parexemple, les forêts de kelp du Golfe duMaine ont connu une déforestationsévère et une réduction en de nombreuxendroits du nombre des niveaux tro-phiques du fait de l’explosion des popula-tions d’oursins, les herbivores primairesqui mangent le kelp :«La morue atlantique et d’autres gros pois-sons de fond sont des prédateurs voraces desoursins. Ces poissons en maintenaient lespopulations suffisamment petites pour permet-tre la persistance des forêts de kelp malgré lefait que depuis 5000 ans les aborigènes puisles premiers colons européens aient intensé-ment pêché à la ligne. La nouvelle technologiede pêche mécanisée depuis les années 1920 adéclenché un déclin rapide des effectifs et de lataille corporelle des morues côtières dans leGolfe du Maine… Les forêts de kelp ont dis-paru avec la montée en puissance des oursinsprovoquée par la suppression des poissons pré-dateurs.» [28]En d’autres termes, les opérations depêche industrielle ont intensifié l’exploita-tion des écosystèmes marins et qualitati-vement transformé les conditions natu-relles.Un certain nombre d’activités humainesconduisent à l’effondrement des récifs decorail. La surpêche est l’une d’entre elles.La déforestation en est une autre. Sur laterre ferme, le déboisement augmente leruissellement des sols. En débouchantdans la mer, les rivières boueuses char-gées de sédiments étouffent les récifs decorail. Mais la principale cause de la des-truction massive des récifs de corail, c’estle réchauffement climatique. L’augmen -tation du taux de gaz carbonique dansl’atmosphère contribue au réchauffementdes eaux de l’océan et à leur acidification.Le résultat en est que les coraux, sains etmulticolores, sont blanchis et transformésen squelettes blancs-gris. Sans un change-ment dans le métabolisme social, la mortdes récifs de corail pourrait survenir dansun petit nombre de décennies. Quand lesrécifs de corail meurent, la faune quidépend d’eux meurt aussi [29]. Partout lesconditions naturelles sont transforméespar la forme du métabolisme social du

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Pêcher en descendant dans la pyramidealimentaire illustre comment les pêche-ries organisées dans les conditionsconcurrentielles du marché capitalistedémantèlent en quelques décennies lesystème écologique marin qui a mis desmillions d’années à se développer. Lapêche d’espèces situées aux niveaux tro-phiques plus bas masque de manièretrompeuse l’épuisement des réserves despoissons marins, puisqu’elle donne l’im-pression d’une abondance qui continue.Les gens continuent de trouver des ali-ments marins sur leurs menus, sans jamaisréaliser le véritable impact de la surpêchedes prédateurs du sommet de la pyramidealimentaire. Pêcher en descendant dans lapyramide alimentaire, parce qu’on aépuisé les niveaux trophiques supérieurs,épuise les ressources alimentaires dont lespoissons prédateurs dépendent. Orcomme nous l’avons remarqué plus haut,les espèces prédatrices marines sontextrêmement vulnérables aux pertes deproies.

• l’effondrement desécosystèmes marins côtiers

Les exemples précédents illustrent com-ment l’extinction d’espèces diminue larésilience des interactions entre lesniveaux trophiques. Ce qui est encoreplus problématique néanmoins, c’est lefréquent effondrement d’écosystèmesentiers provoqué par la surpêche. Les sta-tistiques historiques indiquent que l’ex-tinction d’espèces et le déclin de popula-tions sont des préconditions directes del’effondrement d’écosystèmes côtiersentiers. Cela ne menace pas seulement larésilience écologique de l’environnementmarin, mais nuit également aux popula-tions humaines qui dépendent de l’éco-système côtier pour leur subsistance ouleur niveau de vie. «La surpêche et l’extinc-tion écologique précèdent et préconditionnentles recherches scientifiques modernes et l’effon-drement d’écosystèmes marins à l’époquerécente. Cela soulève la possibilité que biend’autres écosystèmes marins pourraient êtrevulnérables à un effondrement dans unproche futur.» [27]Les forêts de kelp, les récifs de corail, leslits de posidonies * (« seagrass beds ») etles estuaires sont les exemples d’écosys-tèmes côtiers qui se sont effondrés danscertaines parties du monde du fait de la

• pêcher en descendant dansla pyramide alimentaire

Tout aussi perturbant, mais moins visibleque les effets sur les espèces, sont lesconséquences pour les écosystèmes, enparticulier par « la pêche en descendantdans la pyramide alimentaire » [25]. Lespoissons les plus rentables commerciale-ment se trouvent être les prédateurs dusommet de la pyramide alimentairemarine : par exemple, vivaneaus, thons,morues et espadons. Au fur et à mesureque la surpêche les épuise, la concurrencepousse les pêcheurs commerciaux à com-mencer à capturer des espèces situées auxniveaux trophiques inférieurs. Ce décalagevers la base de la pyramide est mondial,comme le montre l’analyse des statistiquesde la FAO qui répertorient les prises mon-diales de poissons sur une période de qua-rante ans (voir graphiques C). Si cette ten-dance est poursuivie jusqu’à son extrémitélogique, les océanographes avertissent quecela va conduire à l’effondrement pur etsimple des écosystèmes marins. Pêcher endescendant dans la pyramide alimentaireérode la base de la biodiversité marineet mine la pierre angulaire biophysiquedes pêcheries océaniques. La découver -te récente des interactions trophiquesmarines suggère que les niveaux tro-phiques inférieurs des réseaux alimentairesmarins procurent un fondement intégral etcomplexe. Perturber cette base mine lecycle métabolique des flux d’énergie ausein des écosystèmes marins.

La surpêche des niveaux trophiques infé-rieurs a raccourci la chaîne alimentaire et aparfois retiré un ou plusieurs des « chaî-nons», accroissant la vulnérabilité du sys-tème aux stress d’origine naturelle ouhumaine. Par exemple, dans la mer duNord, la population de morues/cabillauds,une espèce située au niveau 4, a diminuétellement que les pêcheurs capturent main-tenant une espèce située au niveau tro-phique inférieur, niveau 3, le tacaud, que lamorue mangeait. Le tacaud mange du krillet des copépodes. Le krill aussi mange lescopépodes. Comme les tacauds sont cap-turés par la pêche commerciale, la popula-tion de krill augmente et celle des copé-podes décline dramatiquement. Commeles copépodes sont le principal aliment desjeunes morues, la population des moruesest empêchée de se rétablir de son exploi-tation par la pêche [26].

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capitalisme. Une progression de la dégra-dation environnementale accompagne cesystème de croissance, en provoquant descrises écologiques dans les conditions devie.Le changement le plus récent causé auxécosystèmes côtiers par la surpêche, estassocié à des explosions des populationsde microbes. On a découvert que la bou-cle microbienne des chaînes trophiquesmarines est beaucoup plus complexe etsophistiquée que ce à quoi on s’attendait.Les explosions des populations micro-biennes sont responsables de la croissanteeutrophisation *, de maladies des espècesmarines, des efflorescences d’alguestoxiques, et même de maladies affectantla santé humaine comme le choléra [30].La baie de la Chesapeake est désormaisun écosystème dominé par les bactéries etdoté d’une structure trophique où l’on nereconnaît plus celle que la baie avait il y aun siècle. Un changement si rapide etdrastique de la composition de l’écosys-tème est dû à la surpêche des espèces fil-trantes (coquillages et poissons) qui reti-raient les microbes de la colonne d’eau.La domination bactérienne de la baie dela Chesapeake et la déforestation des litsde kelp dans le Golfe du Maine sont deuxexemples qui montrent comment l’extinc-tion des prédateurs du sommet de lapyramide trophique conduit à l’effondre-ment d’écosystèmes entiers.

l’aquaculture : la révolution bleue?Les immenses problèmes associés à lasurexploitation par la pêche industriellede capture ont conduit certains à propo-ser d’une manière trop optimiste l’aqua-culture comme une solution écologique.Cependant, l’aquaculture capitalisteéchoue à corriger le processus de dégra-dation écologique. Elle prolonge bienplutôt la rupture des liens sociaux et éco-logiques entre les humains et l’océan.Le déclin massif dans les réserves de pois-sons a conduit le développement capita-liste à se tourner vers de nouvellesmanières d’augmenter les profits : la pro-duction intensifiée de poissons.L’aquaculture capitaliste ne représentepas seulement un changement quantitatifdans l’intensification et la concentrationde la production ; elle place aussi lescycles vitaux des organismes sous lecontrôle complet de la propriété privée

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[25] Le concept de «pêcher en descendantla chaîne trophique» a été introduit pourla première fois en 1998. Depuis lors, il areçu une attention internationale. VoirDaniel Pauly, Villy Christensen, JohanneDalsgaard, Rainer Froese et FranciscoTorres Jr., «Fishing Down Marine FoodWebs», Science 279, 1998, pp. 860-63. Voiraussi Daniel Pauly, Villy Christensen,Rainer Froese et Maria Lourdes Palomares,«Fishing Down Aquatic Food Webs»,American Scientist 88, n° 1, 2000, p. 46,disponible sur www.seafriends.org.nz/issues/fishing/pauly0.htm

[26] En plus de la pression de la pêche, lespopulations de morues sont confrontées àdifférentes conditions de l’environne-ment qui rendent plus difficiles la récupé-ration de leurs effectifs. Le réchauffementclimatique augmente la température desocéans. Un plancton de copépodes d’eauxchaudes abondant à la fin de l’été adéplacé le plancton de copépodes d’eaufroide, qui était abondant au mêmemoment où les alevins de morues avaientbesoin d’une telle nourriture. Les déplace-ments d’espèces de plancton dus auréchauffement des océans ont compliquéencore plus les conditions nécessairesaux morues pour se multiplier à nouveau.Un accroissement de la capture de lamorue en Mer du Nord pourrait décimerleur population jusqu’à un point de non-retour. Voir : Debora MacKenzie, «CodStarved to Extinction», New Scientist 180,2003, p. 8.

[27] Jeremy B. Jackson, et al., «HistoricalOverfishing and the Recent Collapse ofCoastal Ecosystems», Science 293, 2001,pp. 629-637.

[28] Jackson, et al., «HistoricalOverfishing», p. 631.

[29] Carl Folke, et al., «Regime Shifts,Resilience, and Biodiversity in EcosystemManagement», Annual Review of Ecology,Evolution, & Systematics 35 n° 1, 2004, pp.557-81; O.Hoegh-Guldberg, et al., «CoralReefs Under Rapid Climate Change andOcean Acidification», Science 318, 2007,pp. 1737-42.

[30] Jackson, et al., «HistoricalOverfishing», p. 631.

[31] L’aquaculture peut être définie demanière large pour inclure toutes lesformes historiques d’élevage contrôléd’organismes aquatiques. Dans le présentarticle, nous évoquons seulement l’aqua-culture, en environnement marin, d’es-pèces de hauts niveaux trophiques aumoyen d’investissements en capitalimportants. Dans le reste de l’article, leterme «aquaculture» ne désignera doncque cette forme contemporaine d’aquacul-ture capitaliste.

[32] Snigda Prakash, «Soybean IndustryLooking for Ways to Make Soy-based FoodMore Palatable to Farm-Raised Fish»,National Public Radio, éditorial du matin,26 mai 2004.

[33] Edward Carr, «A Second Fall», TheEconomist 347, 1998, pp. 3-4.

[34] FAO, The State of the World’sFisheries, 2002; FAO, The State of theWorld’s Fisheries, 2006, p. 3.

[35] Rosamond L. Naylor, et al., «Nature’sSubsidies to Shrimp and SalmonFarming», Science 282, 1998, pp. 883-84.

pour le profit [31]. Cette nouvelle industrie,nous dit-on, est « la forme d’agriculture quicroît le plus vite dans le monde ». Elle sevante de jouir de la propriété de « l’œufjusqu’à l’assiette» et elle altère substantiel-lement les dimensions écologiques ethumaines d’une pêcherie [32].L’aquaculture (appelée aussi parfoisl’aquabusiness) implique de soumettre lanature à la logique du capital. Le capitals’efforce de surmonter les barrières natu-relles et sociales au moyen d’innovationsconstantes. Pour cela, les entreprisesessaient de les transformer en marchan-dises, de développer par des investisse-ments des nouveaux éléments de lanature qui existaient auparavant endehors de la sphère politico-économiqueconcurrentielle. Comme Edward Carrécrivait dans The Economist, la mer « estune ressource qui doit être préservée et mois-sonnée… Pour augmenter ses usages, l’eaudoit devenir chaque fois plus comme la terre,avec des propriétaires, des lois et des limites.Les pêcheurs doivent se comporter plus commedes agriculteurs que comme des chas-seurs.»[33] Tandis que les réserves de pois-sons commerciaux déclinent dans lemonde entier du fait de la surpêche etd’autres causes d’origine humaine, l’aqua-culture connaît une rapide expansiondans l’économie mondiale. La contribu-tion de l’aquaculture à l’approvisionne-ment mondial en poissons a passé de3,9% de la production mondiale totale enpoids en 1970 à 27,3% en 2000. En 2004,l’aquaculture et les pêcheries de captureproduisaient réunies 106 millions detonnes de poissons dont « l’aquaculturecontribuait pour 43%» [34]. Selon les sta-tistiques de la FAO, l’aquaculture croîtplus rapidement que n’importe quel autresecteur de production de nourriture d’ori-gine animale.Acclamée comme la « révolution bleue»,l’aquaculture est souvent comparée à laRévolution verte de l’agriculture commeune méthode pour atteindre la sécuritéalimentaire et la croissance économiquechez les pauvres et dans le Tiers Monde.Le saumon d’élevage comme espèce car-nivore de grande valeur vendue sur lemarché des métropoles s’est révélé unedes entreprises de production par aqua-culture les plus lucratives (et les pluscontroversées) [35]. Dans une largemesure comme la Révolution verte, laRévolution bleue peut produire des

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hausses temporaires de rendement, maiselle ne conduit pas à une solution pour lasécurité alimentaire (ni pour les pro-blèmes écologiques). La sécurité alimen-taire est liée à des questions de distribu-tion. Etant donné que cette Révolutionbleue est mue par la recherche du profit,le désir d’un gain monétaire l’emporte surla distribution de nourriture à ceux quisont dans le besoin [36].L’aquaculture industrielle intensifie la pro-duction de poisson en transformant leparcours vital naturel de populations sau-vages de poissons en un parc industrield’engraissement animal. Comme l’agri-culture de monoculture, l’aquacultureaccentue la division capitaliste de lanature, sauf que son domaine d’action,c’est le monde marin. Afin de maximiserle retour sur investissement, l’aquaculturedoit élever des milliers de poissons dansdes parcs grillagés étroits. Les poissonssont séparés de l’environnement naturelet des relations variées d’échanges qu’ilsont dans un écosystème et un réseau ali-mentaire naturels. Le cycle de vie repro-ductif est modifié de telle manière que lepoisson puisse être multiplié et élevéjusqu’au moment optimum pour larécolte mécanique.L’aquaculture interrompt le processusmétabolique le plus fondamental, la capa-cité d’un organisme d’obtenir sa ration denutriments nécessaires. Puisque les pois-sons les plus rentables sont carnivores,comme le saumon atlantique, si on lesélève industriellement, ils dépendentd’une diète riche en farine de poisson eten huile de poisson. Par exemple, engrais-ser du saumon atlantique nécessite quatrekilos de farine de poisson pour produireun kilo de saumon. Par conséquent,l’aquaculture dépend lourdement de lafarine de poisson importée d’Amérique du

Sud pour l’élevage d’espèces carni-vores [37].La contradiction inhérente à l’extractionde farine de poisson, c’est que les indus-tries doivent accroître leur pêche despoissons marins afin de pouvoir nourrirles poissons d’élevage, accentuant ainsiencore plus la pression sur les réservessauvages. Cela accroît également les ton-nages de prises accessoires. Trois des cinqplus grandes flottes de pêche se consa-crent désormais exclusivement à larécolte de poissons pélagiques pour fairedu fourrage pour poissons, et ces priseséquivalent au quart du total mondial despêches. Plutôt que de diminuer lademande qui pèse sur les écosystèmesmarins, l’aquaculture capitaliste l’accentueen fait, en accélérant le processus de lapêche qui se fait en descendant la pyra-mide alimentaire. La dégradation écolo-gique des populations d’espèces marines,des écosystèmes et niveaux trophiquesmarins continue [38].L’aquaculture capitaliste, qui est en réalitél’aquabusiness, constitue un exempleparallèle qui illustre comment le capitalsuit le schéma de l’agrobusiness. Sem -blables aux batteries industrielles d’ani-maux d’élevage, les poissons d’élevagesont parqués dans des cages de hautedensité qui les rendent susceptibles auxmaladies. Par conséquent, comme dans laproduction de viande de bœuf, de porc oude poulet, les poissons d’élevage reçoi-vent des fourrages additionnés d’antibio-tiques, ce qui accroît les préoccupationsconcernant l’exposition aux antibiotiques.Dans son livre, Silent Spring of the Sea («Leprintemps silencieux de la mer» en réfé-rence au livre de Rachel Carson de 1962),Dan Staniford explique : «L’utilisation desantibiotiques dans l’élevage des saumons a étégénéralisée depuis le début, et leur utilisation

dans l’aquaculture partout dans le monde acrû dans une telle mesure que le phénomène derésistance menace aujourd’hui la santéhumaine comme il menace d’autres espècesmarines. » Les éleveurs de poissons utili-sent une variété de produits chimiquespour tuer les parasites, comme les pouxde mer et les maladies qui se répandent àgrande vitesse dans les parcs à poissons.Les dangers et la toxicité de ces pesticidesdans l’environnement marin sont accen-tués par la longue chaîne alimentaire,puisqu’à chaque niveau trophique supé-rieur ces substances sont concentrées tou-jours plus [39].Une fois absorbés dans le procès de pro-duction capitaliste, les cycles vitaux desanimaux d’élevage sont de plus en plusconnectés aux cycles d’échange sur lemarché par le moyen de la diminution dutemps nécessaire à la croissance de l’ani-mal. C’est la même chose pour l’aquabusi-ness. Les chercheurs s’efforcent de rac-courcir le temps de croissance dont abesoin le poisson pour atteindre la taillede commercialisation. Dans des fermesd’aquaculture de Hawaï, on a inclus danscertains fourrages pour poissons de l’hor-mone de croissance de bœuf recombinée(rBGH) afin de stimuler la croissance despoissons. Des expériences de poissonstransgéniques, en transférant l’ADN d’uneespèce à une autre, sont menées pouraccroître la vitesse de prise de poids, pro-voquant chez le poisson ainsi génétique-ment modifié une croissance plus élevéeque chez le poisson sauvage, de 60% à600% plus élevée [40]. Cela illustre la ten-dance de l’aquaculture à transformer lanature pour faciliter l’obtention du profit.En outre, l’aquaculture modifie l’assimila-tion des déchets, restes de nourriture etexcréments. L’introduction dans la merde ces parcs grillagés conduit à perturberl’assimilation naturelle des déchets dans lemilieu marin. Les parcs à poissons d’éle-vage convertissent les écosystèmescôtiers, tels que baies, bras de mer etfjords, en étangs d’aquaculture, ce quidétruit les aires de reproduction, de crois-sance d’alevins par exemple, qui renouvel-lent les pêcheries océaniques. Ainsi, lesparcs grillagés à saumons laissent coulerles excréments des saumons et le fourragenon mangé directement dans les eauxcôtières, soit une décharge considérablede nutriments. Ces excès de nutrimentssont toxiques pour les communautés d’es-pèces marines qui vivent sur les fonds endessous des parcs à saumons, provoquantla mort massive de populations ben-thiques * entières [41]. D’autres déchetsencore sont fortement concentrés autour

L’aquaculture interrompt le processus métabolique le plus fondamental, la capacitéd’un organisme d’obtenir sa ration de nutrimentsnécessaires.

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[36] Fred Magdoff, «A PrecariousExistence», Monthly Review 55, n° 9,février 2004, pp. 1-14; Fred Magdoff, «TheWorld Food Crisis», Monthly Review 60,n° 1, mai 2008, pp. 1-15

[37] Naylor et al., «Nature’s Subsidies».

[38] Etant donné les pressions constantessur les réserves de poissons dans lesocéans, aggravées par les exigences del’aquaculture, le capital cherche d’autressortes d’aliments pour poissons afin deremplacer les aliments protéiques tirésde l’océan. Les entreprises travaillent àmodifier le soja pour en faire un alimentalternatif pour poissons. Voir Prakash,«Soybean Industry Looking for Waysto…», op.cit.

[39] Don Staniford, «Silent Spring of theSea» in Stephen Hume, et al., (eds.), AStain Upon the Sea, Harbour Publishing,Madeira Park, British Columbia, 2004,p. 149; Ronald Hites, et al., «GlobalAssessment of Organic Contaminants inFarmed Salmon», Science 303, 2004, pp.226-29; Rachel Carson, Silent Spring,Houghton Mifflin, Boston, 1962 (RachelCarson, Le printemps silencieux, Plon,Paris, 1968).

[40] Sea Grant News Media Center,«Bovine Hormone Could Provide Boost toTilapia Aquaculture», http://www.sea-grantnews.org/news/tips/tip_2003_feb.html; Thomas T. Chen, et al., «TransgenicFish and Its Application in Basic andApplied Research», BiotechnologyAnnual Review 2, 1996, pp. 205-36.

[41] Naylor et al., «Nature’s Subsidies».

[42] Nils Kautsky, et al., «The EcologicalFootprint», EC Fisheries CooperationBulletin 11, n° 3-4, 1998, pp 5-9.

[43] Tyedmers, Watson et Pauly, «FuelingGlobal Fishing Fleets».

[44] Paul Burkett, «Natural Capital,Ecological Economics, and Marxism»,International Papers in PoliticalEconomy 10, n° 3, 2003, p. 47 ; PaulBurkett, Marx and Nature, St. Martin’sPress, New York, 1999.

[45] Karl Marx, The Poverty of Philosophy(New York : International Publishers,1971), p 54.

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des parcs, tels que les micro-organismespathogènes et les parasites que les sau-mons parqués transmettent aux orga-nismes marins alentour.La Révolution bleue n’est pas une solu-tion écologique au déclin des réserves depoissons. En fait, c’est une intensificationd’un ordre métabolique social qui engen-dre des ruptures dans les écosystèmesmarins. «Les aires côtières et marines de sou-tien nécessaire à la production des inputs deressources et aux puits * d’assimilation desdéchets produits (sont)… 50000 fois l’aired’élevage occupée par les fermes d’élevageintensif de saumons en cage. » [42] Cetteforme d’aquaculture charge les écosys-tèmes d’exigences plus nombreusesencore, en minant leur résilience.Quoique l’aquabusiness soit efficace pourtransformer le poisson en une marchan-dise pour le marché, étant donné lecontrôle extensif exercé sur les conditionsproductives, il a un rendement énergé-tique encore plus faible que les pêcheries,exigeant un investissement énergétiqueen combustibles de beaucoup supérieur àl’énergie produite [43]. Confronté audéclin des réserves de poissons, le capitals’efforce de déplacer la production versl’aquaculture. Cependant, cette formeintense de production pour le profitcontinue d’épuiser les océans et produitune concentration de déchets qui causedes problèmes supplémentaires pour lesécosystèmes, en minant à tous les niveauxleur capacité à se régénérer.

transformer l’océan en une tombe aqueuseLe monde est à un croisement des che-mins pour ce qui est de la crise écolo-gique. La dégradation écologique sous lecapitalisme global s’étend à toute la bio-sphère. Les océans qui grouillaient de vieen abondance sont décimés sous nosyeux par la continuelle intrusion d’opéra-tions économiques exploitatrices. Aumême moment où les scientifiques docu-mentent la complexité et l’interdépen-dance des espèces marines, nous assistonsà une crise océanique qui voit les condi-tions naturelles, les processus écologiqueset les cycles des nutriments minés par lasurpêche et transformés par le réchauffe-ment du climat. L’expansion du systèmed’accumulation, combinée aux avancéestechnologiques dans la pêche, a intensifiél’exploitation des océans du monde ; faci-

lité l’énorme capture de poissons (tant lesprises ciblées que les prises accessoires) ;étendu la portée spatiale des opérationsde pêche ; élargi l’éventail des espècesjugées de valeur sur le marché ; et per-turbé les processus métaboliques etreproductifs de l’océan. La solutionsuperficielle qu’est l’aquaculture accroît lecontrôle du capital sur la production sansrésoudre les contradictions écologiques.Il est sage de reconnaître ce que déclaraitPaul Burkett, à savoir qu’« à moins d’uneextinction de l’humanité, en aucune manièreon ne peut penser que le capitalisme pourrait,comme sous l’empire d’une fatalité, « s’effon-drer » sous le poids de l’épuisement et de ladégradation de la richesse naturelle qu’il pro-voque » [44]. Le capital est mû par laconcurrence pour l’accumulation derichesse, et ce sont les profits à courtterme qui règlent le mouvement immé-diat du capitalisme. Il ne saurait opérerdans des conditions qui exigeraient unréinvestissement dans la reproduction dela nature. Cela imposerait une échelle dutemps de cent ans ou plus. Une telle exi-gence est en opposition aux intérêtsimmédiats du profit.La relation qualitative entre les humainset la nature est prise dans la pression àaccumuler du capital sur une échelle tou-jours plus vaste. Marx déplorait que pourle capital, « le temps est tout, l’homme n’estrien ; il est tout au plus la carcasse du temps.La qualité n’a plus d’importance. C’est laquantité seule qui décide tout.» [45] Les rap-ports de production ont affaire avec letemps de production, les coûts du travailet la circulation du capital, mais pas avecla diminution des conditions d’existence.Le capital soumet à son cycle écono-mique les processus et les cycles de lanature (au travers de l’affourragementcontrôlé et le recours aux hormones decroissance). L’entretien des conditionsnaturelles n’est pas une préoccupation.L’abondance de la nature est considéréecomme allant de soi et appropriéecomme un cadeau gratuit.Le résultat, c’est que le système est demanière inhérente pris dans une crise fon-damentale qui naît de la transformation etde la destruction de la nature. IstvánMészáros développe cela quand il écrit :«Car aujourd’hui il est impossible de penser àquoi que ce soit concernant les conditions élé-mentaires de la reproduction métaboliquesociale qui ne soit pas mortellement menacé

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Page 15: é c o l o g i e la crise océaniquelabreche.org/wp-content/uploads/2011/04/Rev04_Ocean.pdf · la crise océanique il n’existe aucune région des océans qui ne «soit pas affectée

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par la manière avec laquelle le capital s’yrelie ; manière qui se trouve d’ailleurs être laseule dont il est capable. Ce n’est pas seule-ment vrai des besoins en énergie de l’humanitéou de la gestion des ressources minérales et despotentiels chimiques de la planète, mais dechaque facette de l’agriculture mondiale, ycompris la dévastation causée par la défores-tation à grande échelle, et même cette manièreextrêmement irresponsable de traiter l’élémentsans lequel aucun être humain ne peut survi-vre : l’eau elle-même… En l’absence de solu-tions miraculeuses, la posture du capital quis’impose arbitrairement aux déterminationsobjectives de la causalité et du temps conduitau final inévitablement à une moisson amère,aux dépens de l’humanité (et de la natureelle-même).» [46]Une analyse de la crise océaniqueconfirme les qualités destructrices desopérations privées pour le profit. Desconditions sévères sont ainsi engendréesen minant la résilience des écosystèmesmarins en général.

[46] Mészáros, Beyond Capital, 174; Foster,Ecology Against Capital.

[47] Boris Worm, et al., « Impacts ofBiodiversity Loss on Ocean EcosystemServices», Science 314, 2006, pp. 787-90.

Pour ne rien arranger, les égouts prove-nant des étables de bétail sur la terreferme et le ruissellement des engrais desterres cultivées sont transportés par lesrivières jusqu’aux golfes et aux baies, sur-chargeant les écosystèmes marins denutriments excessifs qui contribuent àl’expansion de la croissance des algues. Ladécomposition de toute cette matièreorganique conduit à une eau privée d’oxy-gène et à la formation de zones hypo-xiques * connues comme des « zonesmortes » car les crabes et les poissons ysuffoquent. Cela détériore également lesprocessus naturels qui retirent les nutri-ments des eaux. Environ 150 de ces zonesmortes ont été recensées dans le monde(voir carte). Une zone morte est le résul-tat final de procédés insoutenables deproduction d’aliments qui ont lieu sur laterre ferme. En même temps, cela contri-bue à la perte de vie marine dans les mers,aggravant la crise écologique des océans.

Annuel Episodique / périodique Permanent Inconnu

Type:

Surface (là où elle est connue)0-100 km2

101-1000 km2

1001-10’000 km2

> 10’000 km2

D. les zones mortesAires marines sans vie car privées d'oxygène par la surabondance de nutriments amenés par les eaux de surface

La surabondance des engrais amenés à la mer par le ruissellement des eaux de terre ferme transportant boues et engrais agricoles provoque un tel développement des algues que leur décomposition a privé l’eau de mer de tout oxygène y tuant toute vie sauf certaines bactéries.

Source: Mark Schrope, «The Dead Zones», New Scientist, 9 décembre 2006.

Combiné aux pêcheries industrielles et àl’aquaculture, cela fait que les océansconnaissent une dégradation écologiqueet des pressions constantes d’extractionqui dépeuplent sévèrement les popula-tions de poissons et d’autres espècesmarines. La sévérité de la situation esttelle que si les pratiques actuelles et letaux de capture du poisson continuent,on estime que les écosystèmes marins etles pêcheries à travers le monde vont s’ef-fondrer vers 2050 [47]. Pour éviter detransformer les océans en une tombeaqueuse, ce qui est nécessaire, ce n’est riende moins qu’une révolution mondialedans notre rapport à la nature, et doncune révolution de la société humaine elle-même. *

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