wunenburger - l'idole

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    Article

    Lidole au regard de la philosophie des images Jean-Jacques WunenburgerProte, vol. 29, n 3, 2001, p. 7-16.

    Pour citer cet article, utiliser l'information suivante :

    URI: http://id.erudit.org/iderudit/030633ar

    DOI: 10.7202/030633ar

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  • 7 PROTE, HIVER 20012002 page 7

    LIDOLE AU REGARDDE LA PHILOSOPHIE DES IMAGES

    JEAN-JACQUES WUNENBURGER

    Toute image, mentale ou matrielle, est image de quelque chose et ne prendsens que par le jeu de ressemblance et dissemblance avec son rfrent. Creuser ladiffrence dans limage cest risquer de la rduire lirrel, la fiction, lafantaisie, linsignifiant, mais surcharger linverse la consistance de limage cestrisquer de prendre la copie pour le modle, de rifier la reprsentation, detlescoper le visible et linvisible, le sensible et lintelligible, le signifiant et lesignifi, bref fabriquer une idole. Lidoltrie constitue en ce sens une menacepermanente de lexprience spontane, pr-rflchie, des images matrielles,particulirement atteste dans le registre religieux. La reprsentation image dunedivinit nous expose mme un paradoxe foncier, qui concentre lui seul ungrand nombre de problmes de la reprsentation. En un sens, limage religieuseconstitue sans doute le prototype de limage en gnral parce que limage engnral ne nat que de labsence de ce quelle reprsente. Car limagination estbien production dune reprsentation in absentia1. Tant que nous sommes enprsence du rel, nous sommes des tres percevants, pour lesquels limagination nepourrait que devenir perturbatrice. Car toute image est image de quelque chosequelle remplace, parce que prcisment elle ne se montre pas elle-mme2. Or rienplus quun Dieu nappelle limage puisquil est en son principe mme en retrait duvisible et du sensible. Mais, inversement, nulle image nexige davantage decroyance en sa propre consistance et ralit que limage religieuse et limage divine;dabord parce que le sujet imaginant ne fait jamais lexprience de son rfrent,ensuite parce que le rfrent en question renvoie lui-mme le sujet au principemme de toute ralit, qui ne peut donc quirradier de sa vie propre son image3.Limage dune divinit nous fait entrer dans le champ du sacr et induit un dsirdactualisation, de prsentification, qui conduit en faire une manifestation delinvisible dans le visible. Ce paradoxe initial de limage et de son rfrent entraneque limagerie du divin risque prcisment dosciller entre une fiction pure,puisque le rfrent est inexistant pour lexprience sensible, et un ftichisme, quiconfond prcisment en valeur ltre et son signe.

    Limage a fait lobjet de descriptions, de classifications, de mthodologies, denormalisations esthtiques et mme thiques depuis lantiquit grecque, dont

  • 8lhritage sest ml la foisonnante thologie delimage propre au christianisme. Paralllement,lidoltrie a t identifie, spectrographie, reconnuedans sa ralit complexe, dnonce dans sa forceinsidieuse, partir de positions mtaphysiques,esthtiques, phnomnologiques, hermneutiques. Siplus dune fois ce travail de pense a conduit lextrme de liconoclasme, du fait dune mfianceinvtre, il a permis aussi de sauver limage du procsdidoltrie. Il sagit donc ici moins de reprendre laquestion de la gense de lidoltrie, ou de faire le bilande ses mfaits, que dtablir combien la rflexionphilosophique sur les images-idoles a prcismentpermis, tout au long de lhistoire, de discriminer entremauvaise et bonne image, disoler limage de sonsimulacre et mme de librer lesprit de la sductiondes images rifiantes et sidrantes sans pour autantpriver la vie mentale de la pleine jouissance desimages.

    1. LE JEU DE LA MIMESISHistoriquement, la question du statut ontologique

    de limage senracine dans la tradition platoniciennegrecque, qui la approch du point de vue de lagnration de limage, de la mise en image. Limage nepeut se comprendre que parce quelle a t faite limage dun tre qui tient lieu de modle reproduire. Il en a rsult une problmatiquecanonique, dont bien des arguments perdurent, maisqui na pas toujours la simplicit et lunivocit quonlui prte. La pense platonicienne a permis dedistinguer les genres canoniques de licne et delidole, de rendre compte des mfaits de lidoltrie,tout en rendant possible une stratgie de libration etde dsillusion, au profit de limage homologique, apte une fonction anagogique vers le vrai.

    Certes pour Platon, le statut ontologique delimage est gnralement considr comme ngatifdans la mesure o limage non seulement est seconde,infrieure la ralit en soi et nexiste donc que parautre chose quelle-mme, mais encore porte en elle lapossibilit de contrefaire la reproductionapparemment ressemblante de la ralit en soi. En

    effet, pour Platon, limage est dfinie comme ce quivient mettre fin la subsistance immuable duneForme essentielle (Eidos), qui est en soi et par soi ; toutacte potique, dun dmiurge fabricateur du cosmos,ou dun homme produisant un artefact technique ouartistique, consiste arracher la Forme sa singularitintelligible, connaissable par un pur acte dintuitionintellectuelle abstraite, pour la redupliquer dans unespatio-temporalit sensible. Crer de limage (dans lemythos langagier ou dans les arts figuratifs), cestprojeter la Forme dans une configuration accessibleaux sens. Limage rsulte donc dune pratiquemimtique (mimesis) qui copie le modle (paradeigma),le crateur ayant toujours les yeux fixs sur la formegnratrice. Ainsi le plan des images est toujoursdriv, subordonn, htronome, ce qui le rattache un moindre-tre qui doit toujours seffacer au profitdune intuition directe de ltre vritable. Ainsi, dansLa Rpublique, Platon dcrit laction fabricatrice dumenuisier comme une copie sensible dun modle (delit, par exemple) unique et essentiel, le lit matrielntant quune image incomplte de la Forme en soi,qui ressemble au lit rel mais sans ltre4.

    La dpendance ontologique de limage se voitspcifie et aggrave par la distinction de deux formesde mimesis : lune, nomme eikastique, engendre desreprsentations sensibles qui sont homologues leursmodles et constituent ds lors des icnes (eikona) :ainsi le menuisier fabrique-t-il un lit conformment auplan-type de ce que doit tre la forme dun lit ; lautre,nomme fantastique (Le Sophiste, p.236c), fabriquedautres images qui simulent la ressemblanceapparente mais par une configuration physiquedissemblante. Ainsi lartiste sculpteur va dformer lesproportions de sa statue pour quelles donnentlillusion dtre vraies pour celui qui les voit de loinsur la place publique: ces artistes sacrifient donc lesproportions exactes pour y substituer, dans leursfigures, les proportions qui feront illusion (LeSophiste, p.236a). Ainsi naissent des imagesfantomatiques, vritables idoles (eidola), qui se fontprendre pour des copies isomorphes du paradigmemais nen sont pourtant pas la reproduction exacte.

  • 9Le but de la peinture nest pas de mme dereprsenter ce qui est tel quil est mais ce qui parattel quil parat (La Rpublique, p.598b). Ds lors lartsemble tre complice dune production de simulacres,dont la valeur ngative vient non pas de ce quils nousreprsentent des formes inexistantes, mais de ce quilsnous trompent en nous faisant croire uneressemblance morphologique en trompe-lil. Limagefantasmatique (fantasma) perd de sa valeurontologique parce que son imitation nous fait croirequelle est limage fidle de ltre gnrateur.Comme le fait remarquer E. Fink, Platon a tendance penser la gnration mimtique de limage daprslexprience spculaire, dans laquelle le refletsymtrique de la Forme existe phnomnalement sansavoir dtre en soi.

    Ce nest pas par hasard que la critique platonicienne de la

    posie se rgle sur le modle du miroir, sur limage qui ne

    contient aucun lment ludique pour tre copie au sens le plus

    fort. Et lorsquon fait du miroir une mtaphore dsillusionnantede lart potique, on affirme implicitement que le pote ne

    produit rien de rel, rien dautonome; il ne fait que rflchir

    comme un miroir, il reproduit sur le mode impuissant de la copie

    ce qui est dj, en rptant simplement laspect superficiel de

    ltant; le pote produit des apparences dans la sphre nulle des

    apparences.5

    Et de fait, dans La Rpublique, Platon ironise sur lespouvoirs magiques des crateurs en les comparant des manipulateurs dun miroir sur lequel ils fontapparatre, en le tournant sur lui-mme, limage dumonde entier ; mais alors, tel le peintre, ils ne crentque de lapparence (phainomenen p.596e) sansaucune ralit.

    Peut-on pour autant conclure que toute thoriemtaphysique de la prexistence dun paradigme(essentialisme dun monde intelligible etmorphogense idtique, dont la thmatisation seretrouve la Renaissance, dans le noplatonismeanglais des 18e et 19e sicles, dans le romantismeeuropen, etc.5) condamne limage ntre que pertedtre? Si Platon semble en effet dceler dans lecomplexe regard-image une structure sidrante qui

    nous pousse lidoltrie, il nen reste pas moins quilny a l nulle fatalit. Limage, mme confondue uninstant avec le rel en soi, avec une figure isomorphedune Forme, garde une vie propre, une puissancedanimation de la pense qui la rend capable de sedprendre du ftiche et de remonter loriginal. Car lapuissance de ttanisation de limage ne signifie pas uneconfusion irrversible entre ltre du rfrent et sonparatre. Soit que lon puisse dcouvrir linsuffisancedtre de limage, soit que paradoxalement on puisseprendre conscience que lexpression image contribue une vritable augmentation dtre du modle lui-mme. De ce point de vue il conviendrait en effet demieux distinguer deux perspectives, que Platon tendparfois superposer: dun ct une approche de lacration comme manifestation figurative de ce qui setient cach dans un plan spirituel, qui permet depenser limage comme expression et reprsentationlimite et dtermine de ltre. De lautre ct, uneapproche ontologique des degrs dtre qui a pour butde fonder une thorie de la connaissance pure sansimages sensibles, qui ne peut voir par consquent enlimage quun dtournement permanent de lhommevers des apparences fallacieuses.

    Or, chez Platon lui-mme, la dissemblanceobjective de limage, mme dans le cas du rcitmythique ou de la reprsentation plastique, nest pasincompatible, dans lexprience de la rceptivit, avecune conversion anagogique, qui lui permet deremonter vers la source essentielle de ce qui lui estreprsent sans se trouver pig par des simulacres.Autrement dit, la structure dillusion de limage,comme latteste lallgorie de la caverne dans LaRpublique, laisse place une recherche du modleinformant lui-mme, puisque lme estpotentiellement dispose vers la vrit qui sommeilleen elle. Car lme reste toujours lhabitacle dun typos(empreinte) de ce quelle met en image, insparabledun dsir du modle, qui la rend toujours apte ressaisir loriginal. cet effet il suffit, comme lemontre le texte de la libration du prisonnier, quelme soit stimule par un tiers pour quelle sedprenne de la fascination des idoles.

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    Dailleurs, lhermneutique contemporaine na pasmanqu doprer une relecture de lontologieplatonicienne tout en conservant le principe dunefiliation entre lexistence de limage et une essencesurplombante. Ainsi pour H.G. Gadamer, lespacemme de la mise en image, o ressemblance etdissemblance se mettent jouer ensemble dans unrapport quivoque, constitue aussi une occasion pourlimage de participer une manifestation de ltre etdaccder par l mme un surcrot dtre. En effet,limage-tableau (Bild qui doit se distinguer de lAbbild copie) ne se ramne pas limage-miroir.

    Limage-tableau a bien, dans le sens esthtique du mot, un tre

    propre. Cet tre qui est le sien propre en tant que reprsentation,qui fait prcisment quelle est diffrente du modle, lui donne,

    vis--vis de la simple copie, le caractre positif, celui dtre une

    image. Ce nest pas un simple amoindrissement dtre, mais

    plutt une ralit autonome. Que limage ait une ralit propre,

    implique en retour que le modle accde par limage la

    reprsentation. Il sy reprsente lui-mme toute reprsentationde ce genre est un processus ontologique et sincorpore au statut

    ontologique du reprsent. Par la reprsentation le modle

    acquiert pour ainsi dire un surcrot dtre. La teneur propre de

    limage est ontologiquement dfinie comme une manation du

    modle.7

    Une telle rinterprtation implique une tripleconsquence:1) limage devient un mode de manifestation de ltrequi appartient lessence de ltre :

    On dcouvre que ce nest que grce limage que limage-modle

    (Urbild) devient proprement image-original (Ur-bild) ;autrement dit, ce nest quen vertu de limage que le reprsent

    acquiert vraiment le caractre figurable (bildhaft) ; (ibid., p.69)

    2) la mimesis nest plus vraiment mconnaissance dumodle, mais re-connaissance dans et par lemouvement dapparatre de ltre dans limage:

    La relation mimtique implique donc non seulement que le

    reprsent soit prsent, mais que sa prsence soit rendue plus

    authentique. Limitation et la reprsentation ne sont pas

    seulement des rptitions et des copies ; elles font connatre

    lessence parce quelles ne sont pas simple rptition

    (Wiederholung), mais ptition (Hervorholung) et quellesextraient de luvre ce quelle est rellement ; (ibid., p.47)

    3) cest pourquoi enfin limage, en tant quostentive(zeigend), ne saurait tre purement ressemblante aumodle : Quiconque imite doit laisser tomber telstraits et souligner tels autres. Parce quil montre, ildoit exagrer, quil le veuille ou non (ibid., p.41).

    Cette dfiguration figurante de limage a tdailleurs largement tudie et valide par la peintureou la littrature qui stylisent un portrait pour enassurer la ressemblance vraie. Autrement dit, ladissemblance de limage par rapport au reprsent nevient pas forcment ternir la prsentation de la forme,mais au contraire participe, dans le champ dusensible, son exposition, sa mise en scne, commelavait remarqu, dans une autre perspective, plusraliste quidaliste, Descartes lorsquil soulignait cemystre de la reprsentation artistique qui faitapparatre une chose laide dlments figuratifs tout fait htrognes:

    [...] il faut au moins que nous remarquions quil ny a aucunesimages qui doivent en tout ressembler aux objets quelles

    reprsentent : car autrement il ny aurait point de distinction

    entre lobjet et son image: mais quil suffit quelles leur

    ressemblent en peu de choses ; et souvent mme, que leur

    perfection dpend de ce quelles ne leur ressemblent pas tantquelles pourraient faire. Comme vous voyez que les tailles

    douces, ntant faites que dun peu dencre pose et l sur le

    papier, nous reprsentent des forts, des villes, des hommes, et

    mme des batailles et des temptes, bien que, dune infinit de

    diverses qualits quelles nous font concevoir en ces objets, il ny

    en ait aucune que la figure seule dont elles aient proprement laressemblance [...] en sorte que souvent, pour tre plus parfaitesen qualit dimages et reprsenter mieux un objet, elles doivent

    ne lui pas ressembler.8

    Ainsi tout en restant lintrieur dun paradigmemimtique, on peut donner du jeu la contrainte deressemblance et donner une image du vrai qui nestpas congruente ladquation inhrente lintuitionintellectuelle sans mdiation. En tout cas, larinterprtation hermneutique contemporaine ne

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    sloigne du platonisme que pour mieux ractualiserlapproche de limage propre au noplatonismeantique et certaines analyses gnostiques, pour quiltre premier par excellence quest ltre divin ne peutsortir de la position immdiate de soi, o son tredemeure encore indtermin, en puissance, sans vie,quen se rflchissant dans la figure dtermine duneimage. En produisant ainsi une image de soi enmiroir, Dieu ne se redouble pas, inutilement oufallacieusement, mais accde la manifestation quiconcide avec son propre passage lacte dans ltreconscient de soi. Mais si limage participe ainsi delpiphanie de Dieu, elle ne saurait mettre en questionla transcendance mme de son tre qui ne peut jamaistre puis par ses reflets.

    2. LIMAGE COMME INCARNATION DTRE ct de cette premire tradition de philosophie

    des images, insparable de la mtaphysique grecque, lathologie chrtienne a dvelopp une version de lamimesis sous forme dincarnation et de transfigurationqui se distingue autant de la pense grecque que deloption iconoclaste juive. Dans la tradition bibliquedu judasme, en effet, lhumanit est faite limage deson crateur, mais en retour il est interdit lhommede fabriquer une reprsentation de la divinit souspeine de tomber dans lidoltrie, qui confond limageet ltre et fait comme si la puissance illimite etinfigurable de Dieu tait commensurable une figurelimite. Le christianisme propose au contraire uneautre forme de gnration dimage: cest Dieu enpersonne, dj crateur dimages extrieures lui,conformment au rcit de la Gense, qui devient lui-mme image, qui prend figure humaine. Cestpourquoi les premiers Pres de lglise distinguentdeux manires diffrentes de produire de limage.Ainsi, pour Origne:

    Tantt on appelle image ce qui est peint ou sculpt dans unematire comme le bois ou la pierre ; tantt on dit quun fils est

    limage de son pre quand la ressemblance des traits du gniteur

    se retrouve sans erreur dans lengendr. On peut, semble-t-il,

    appliquer le premier exemple lhomme, fait limage de Dieu

    [...] la seconde comparaison peut correspondre limage quest le

    Fils de Dieu dont nous parlons maintenant mme en tant quil

    est invisible comme image du Dieu invisible [...] cette imageimplique lunit de nature et de substance du Pre et du Fils. En

    effet si tout ce que le Pre fait, le Fils le fait pareillement,

    puisque le Fils fait tout comme le Pre, limage du Pre est

    forme dans le Fils qui assurment est n de lui comme une

    volont de lui procdant de lIntelligence. [...] Notre Sauveur estdonc limage du Dieu invisible, le Pre; en relation avec le Pre ilest vrit ; en relation avec nous, qui il rvle le Pre, il est

    limage par laquelle nous connaissons le Pre que personne

    dautre ne connat si ce nest le Fils et celui qui le Fils aura

    voulu le rvler [...]9

    Autrement dit, le Christ, historiquement manifest ence monde, comme Fils de Dieu, est pens comme uneImage gnre par Dieu le Pre selon une relation deressemblance interne et non de reproduction externe.La filiation remplace donc la reduplication, lagnalogie remplace la cration dartefact. Ainsi par saconception incarnationiste du Dieu, le christianismese dmarque bien, dune part du judasme pour quiaucune image visible ne permet de remonter versDieu, et dautre part du platonisme pour qui touteimage demeure un artefact externe. Ainsi il existe aumoins une Image, celle du Dieu visible en la personnede son Fils, qui est dote dune plnitude ontologiquegale celle de son principe et qui assure en mmetemps une fonction thophanique, de manifestationsans altration de ltre absolu.

    Cette promotion de lImage sur le planthologique ne va pas tre sans consquence danslhistoire des reprsentations artistiques. La pratiquedes icnes, en particulier dans le christianismebyzantin, va mme reposer sur un passage la limitedu principe mtaphysique de la ressemblance parlintermdiaire du mythe de licne achiropotique.Dans les premiers sicles du christianisme, en effet, denombreuses lgendes vont identifier lexistence duneimage archtypique du Christ dposemiraculeusement sans main dhomme sur un support(Toile de Kamoulia en Cappadoce, Voile ddesse,jusquau Saint Suaire de Turin). Par ce ddoublement,par cette copie conforme, prleve sur le modle lui-

  • 12

    mme, la Face du Christ demeurerait visible pour leshommes aprs que par la mort il soit redevenuinvisible. On assiste donc ici une double gnrationde lImage partir dun Principe informant: Dieu lePre infigurable, prototype de toute mise en Image,prend la Forme de son Fils visible, dont la formevisible archtypale se rinscrit dans une image sensiblequi perdure aprs sa sortie du visible. Ainsi surgit unecopie unique (bien que les lgendes en aient multipliles exemplaires) partir de laquelle pourront trereproduites en nombre indfini de nouvelles images-copies. Ainsi, dans lart de fabriquer des icnes demain dhommes, se clt une chane ininterrompuedimages participant sans hiatus ltre mme deDieu, sans se confondre jamais avec lui.

    Car sommes-nous en prsence dimages rellementdivines, Dieu est-il rellement prsent, mmepartiellement, dans limage au point que limagepourrait tenir lieu de prsentation en personne deDieu? Tel tait bien le fond du dbat entreiconodoules et iconoclastes dans lglise orientale10.Philosophiquement on peut sans conteste soutenirque si licne apparat comme la conscrationmaximale dune thophanie par lImage, dans sonfondement ltre de limage ne peut tre confonduavec ltre auquel la divinit participe, et que, bien aucontraire, lontophanie quelle permet reposeprcisment, et paradoxalement, sur le travail delincommensurabilit ou du vide dans lareprsentation, et ce pour plusieurs raisons. Dunepart, licne se distingue thologiquement dusacrement de lEucharistie dans laquelle lglisereconnat une prsence relle du Christ, alors quelimage nest quune re-prsentation, la plus hautepossible11 ; ensuite, licne est dautant moinsassimilable une prsence sensible de Dieu, malgrtoutes les lgitimations de filiation, que sa fonctionnest pas tant de servir regarder Dieu que de fairelexprience dtre regard par lui. En effet, il sagitmoins pour le fidle de contempler licne pour voirface face le visage du Fils de Dieu, que de se laisservoir par lui, dtre plac sous un regard qui veille surlui (do limportance du regard du Christ

    Pantocrator dans les glises byzantines) sans que nouspuissions le voir autrement quavec nos yeuxdhomme. Licne nous rend attentif la prsence deDieu sans que nous puissions le voir en lui-mme,autrement quil ne nous apparat. Cette asymtrie faitbien de licne une figure visible qui nous invite passer au-del du visible, remonter vers lInfigurable.Cest bien pourquoi dailleurs lglise orthodoxeprescrit de ne jamais adorer les images comme si ladivinit y prenait vraiment corps, mais tout au plus deles vnrer comme participant de la saintet, commeexpression finie de lInfini 12. Cest pourquoi le statutontologique de lImage iconique chrtienne peut trecompris, avant tout, comme la dvelopp dans uncontexte occidental Nicolas de Cues13, commeexpression. Il existe bien un rapport entre Dieu et sonImage dans la mesure o Dieu est descendu dans unefigure, certes finie mais contenant en rductionlinfini ; mais toute Figure ne se laisse regarder que demanire finie, de sorte que nous ne pouvons voirlInfini immanent dans lImage. Enfin, dans le cas-limite de lImage achiropotique qui pourraitnourrir la tentation de sacraliser une imageisomorphe, on ne se trouve en prsence ni dunedoublure qui rpterait la Forme christique,instaurant une confusion entre loriginal et la copie, nidune copie-simulacre au sens platonicien, mais dunesimple empreinte vide. En effet, dans la thologiechrtienne de limage, licne, comme le Christ lui-mme, est insparable dune knose, dun processusdvidage de soi-mme, dans lequel ltre en soi seretire de soi pour apparatre, et o le passage lamanifestation va de pair avec un retrait qui empchelenfermement dans une dtermination physiqueparticulire. Dans la perspective des Antirrhtiques dunNicphore combattant, par exemple, liconoclasme,limage iconique se justifie partir de la knose mmedu Christ ; selon Marie-Jose Baudinet,

    [] limage se distingue de la ralit en ceci que dans la ralit, la nature ne peut tre traverse par le moindre vide, alors que

    dans limage, il en va tout autrement. Cest donc que le vide,

    corrlat de limage, concerne au plus prs et lIncarnation du

    Christ en tant quimage, et son image en tant quimage de

  • 13

    limage. La question de savoir si le Christ que lon voit dans

    licne ou sur licne est ou non ressemblant son modle, seraittotalement vaine et absurde si elle reposait sur une quelconque

    plnitude. La schesis, cest--dire la relation dimage, dfinitlimitation comme circulation des indices de la prsence et de

    labsence. Licne nest pas pleine de chair christique, en quoi

    elle se distingue radicalement de la consubstantialit

    eucharistique. Licne est vide, comme le fut le ventre de laVierge qui nenferma jamais la divinit, qui forma sa visibilit

    sans la capturer, sans la cerner, sans porter atteinte son

    illimitation [...] ce qui revient dire de manire paradoxale quedans une icne proprement parler il ny a rien voir,

    absolument rien, car cet espace nest bti que pour la circulation

    des regards, et il se creuse jusquau vide pour mieux faire cho la voix.14

    Ainsi le christianisme sanctifie bien lImage en enfaisant la forme du processus dhumanisation de Dieuqui doit permettre dassurer nouveau, aprs laChute originelle, la Rdemption de lhumanit et saredivinisation. Mais si Dieu sincarne dans limage, sapropre Image naccde son plein accomplissementquaprs sa mort au visible, cest--dire dans limage duChrist Transfigur. L le Christ se montre unenouvelle fois aux plerins dEmmas ou sur le montThabor dans son corps de gloire, corps de lumireimmatrielle, mais en mme temps corps vide qui adsert la chair prissable et sensible, pure Imagedune prsence-absence15.

    On peut donc comprendre combien lhellnisme etle christianisme, chacun sa manire, ont permis demettre en place une systmatique spculative facilitantle triomphe de limage et son utilisation artistique etreligieuse. Dans leurs principes et exgses de limage,Platon et christianisme ont la fois rendu compte dela gense des idoles et rendu possible une correctiondu pouvoir de fascination des fantasmes et simulacres,surtout lorsquil sagit de la divinit.

    3. LE PATHOS DE LINFINIQuadvient-il de cette question de ltre de limage

    dans lesthtique moderne, qui nat au XVIIIe sicle,et pour qui la question de limage ne se pose plus

    tellement par rapport une cause, une sourcegnratrice (tre limage ou la ressemblance de),mais par rapport leffet que limage produit sur unsujet affect par elle? En effet lesthtique, quiprivilgie ltat de rceptivit du sujet sur ltre delimage, va renforcer la tendance iconoclaste puisquelimage nassure plus de vritable prsentation de sonrfrent suprasensible. La problmatique objective dela reprsentation image vrit et fidlit delimage va faire progressivement place celle,subjective, de la rsonance de limage sur le Moi, delmotion et des mouvements de pense quelle gnreen aval. Comment ds lors aborder dans ce nouveaucontexte la question ontologique de ltre de limage?Quelles sont les nouvelles catgories danalyse etcomment rorientent-elles la comprhension de lanature de limage et du processus de lidoltrie?

    Dune part, lesthtique moderne renonce comprendre le plan idtique, la source originale desuvres comme un ensemble fini et connaissable deFormes ou dIdes gnratrices, que la thologiechrtienne avait dailleurs dj progressivement renduopaque pour lhomme dnatur par la chuteoriginelle16. Les reprsentations images renvoient un ordre invisible qui a perdu ses dterminations auprofit dune illimitation la mesure de son caractretotal et absolu. Autrement dit, lInfini, aprs avoirlongtemps t associ linachvement du sensible (cequi est sans forme), sert prsent dfinirpositivement le cosmos ou Dieu. Ds lors lhomme,dont les facults de connaissance sont limites, nedispose plus dune intuition directe de ce qui est au-del de nos sens ; un tel clatement ou retrait de lanotion de Forme paradigmatique a ainsi permis ds laRenaissance de concevoir les uvres dart comme desimitations de la seule Nature visible par lhomme. Parailleurs, le sujet, dans lacte de cration ou danslattitude de rceptivit, ne se dfinit plus dabordcomme un sujet de connaissance dont le plaisiresthtique serait insparable dune re-connaissance delInvisible dans le visible, mais au contraire comme unsujet dont le Logos cde la place au seul pathos. Limagedevient donc ce par quoi lhomme fini, raisonnable,

  • 14

    peut se donner sentir ce qui le dpasse, ou lesurpasse, cest--dire lInfini, lAbsolu, Dieu. dfautde voir travers limage lau-del du visible, nousexprimentons seulement son retentissement affectifen nous. Lart ainsi nest plus essentiellementreprsentation partir dune intuition suprasensible,mais prsentation dans la sensibilit de ce qui excde,par son incommensurabilit, par sa disproportion,notre pouvoir de reprsentation17.

    Telle est la fonction accorde lesthtique dusublime ds la fin du XVIIIe sicle18, qui va radicaliserpour limage ce nouveau statut entre le fini et linfini.On peut en effet poser, ct dune esthtique dubeau, dont le plaisir est conditionn par la perceptiondsintresse de formes finies, dfinies par lharmonieet la convenance, conformes des normesraisonnables, et saccordant avec lhomme, uneesthtique du sublime qui vient de ce que le plaisiresthtique rsulte de leffroi prouv, en toutescurit, devant des formes terrifiantes par leurgrandeur mathmatique (immensit) ou leur grandeurdynamique (violence des forces), par exemple devantle spectacle de la nature dchane (tempte, torrentsdans les Alpes, etc., chers aux romantiques).

    Dans ce contexte, le sublime, dune part, renvoie un sentiment prouv subjectivement devant ce quinous suggre analogiquement lInfini ; il rsulte duneimpression de toute-puissance extrieure qui me faitprouver ma propre impuissance devant ce qui estdune autre nature; ainsi pour E.Burke:

    Tout ce qui est propre exciter les ides de la douleur et du

    danger ; cest--dire, tout ce qui traite dobjets terribles, tout cequi agit dune manire analogue la terreur, est une source de

    sublime; ou, si lon veut, peut susciter la plus forte motion que

    lme soit capable de sentir [...]. Lorsque le danger et la douleurpressent de trop prs, ils ne peuvent donner aucun dlice ; ils sont

    simplement terribles : mais certaines distances, et avec certaines

    modifications, ces affections peuvent devenir et deviennentrellement dlicieuses.19

    Dautre part, le sublime renvoie une image danslaquelle limagination produit une reprsentationmaximale de ce qui se rvle directement

    irreprsentable pour lhomme. Comme le souligneKant, le sublime nous oblige penser subjectivementla nature elle-mme en sa totalit comme prsentation(Darstellung) de quelque chose de suprasensible, sanspouvoir objectivement raliser cette prsentation20.

    Dans cette perspective, limage nest plus unemanation ou une imitation dune ralit idale etidelle, mais une simple apparence cre par lhommepour se donner une prsentation indirecte,symbolique, de ce dont nous prouvons la prsenceautour de nous, au-dessus de nous, mais dont nous nepouvons plus produire effectivement uneprsentification directe. Limage ne fait que symboliserlInfini, ne peut que transposer la donation du Toutinaccessible dans une partie, de lAbsolu lui-mme enautre chose que lui. La conception du sublimeromantique enlve donc limage toute fonctionontophanique, toute consistance ontologique quiproviendrait dune source transcendante. La questionde lidoltrie se trouve ainsi vide de son sens,puisque limage ne saurait plus tre commensurable de ltre et encore moins, en son principephilosophique, se confondre avec un tre rfrent.

    4. LE TRAVAIL DU NGATIFQuelles consquences peut-on attendre de cette

    rvolution pistmologique de limage? Le repli delimage au rang de simple apparence dans laquelle lemonde suprasensible ne fait plus apparition, ne vient-il pas valoriser la dimension de ngativit et de vide delimage? Le dveloppement de mthodes nouvelles dedescription des images artistiques, quelles soientphnomnologiques ou hermneutiques, ne consacre-t-il pas la mise hors jeu de la notion didole?

    On peut dabord, dans le prolongement dukantisme, creuser lcart entre reprsentation etreprsent, non seulement en rcusant pourlimagination cratrice toute saisie dun mondeinvisible suprasensible, qui ne serait quillusiondlirante (Schwrmerei, selon lexpression de Kant),mais aussi en faisant de la production dimages un purjeu entre sensibilit et raison, une libre cration desemblances phnomnales, ne renvoyant plus une

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    Forme gnratrice. Limage comporte certes un au-dehors, partir duquel nous pouvons penser ce quiexcde notre perception, mais ce dehors est toujoursproduit du dedans, partir dun sujet fantastique quise donne une reprsentation asymptotique dun pointaveugle (focus imaginarius de Kant21). Dans cetteperspective, sest dailleurs dveloppe uneinterprtation nihiliste de la cration dimages, djamorce par le mouvement de lAthenum, largementrepris par des courants dconstructivistes aujourdhui,et dont on peut dgager deux noncs significatifs.

    Dune part, limage comme apparence symboliquede lAbsolu ne saurait se voir confrer de ralit,puisquelle existe comme pure phnomnalit. Ce quiapparat dans limage nest quune semblance qui mefait penser un tre absent, hors prsence.G. Deleuze se propose dailleurs de renverser leplatonisme en abolissant prcisment le renvoi delimage loriginal qui na de sens que dans unelogique classique de la reprsentation; limagesimulacre de Platon doit tre libre de toute tutelleontologique et dploye comme seule instance delapparence, dgage de la question du vrai ou dufaux:

    Le simulacre nest pas une copie dgrade, il recle une puissance

    positive qui nie et loriginal et la copie, et le modle et lareproduction. Des deux sries divergentes au moins intriorises

    dans le simulacre, aucune ne peut tre assigne comme loriginal,

    aucune comme la copie. Il ne suffit mme pas dinvoquer un

    modle de lAutre, car aucun modle ne rsiste au vertige du

    simulacre [...] La simulation cest le phantasme mme, cest--dire leffet de fonctionnement du simulacre en tant quemachinerie, machine dionysiaque.22

    Dautre part limage, parce quelle nest en riencaptation, accueil de ltre, ne peut queperptuellement vaciller, se drober, la manire dunpur phnomne (fantasma platonicien), faire placesans cesse dans un flux continu une autre image,sans que jamais puisse tre rejoint un point dejonction entre le paratre et ltre. Limage estrptition sans fin delle-mme parce quen elle-mmeelle manque de substance, de consistance. Prive

    dtre, elle se prsente comme mouvement incessant(tropisme, conatus, tendance vers) ; limage perd doncbien toute valence ontophanique, svide, ne disposeque dune forme-informe, toujours disparaissant,nourrissant en fin de compte un nouvel iconoclasme.Ds lors, la cration cest le mouvement mme parlequel on sarrache toutes les images pour instaureren soi-mme un vide, un abme, origine de touteexpression, criture ou reprsentation:

    Luvre demande cela, que lhomme qui crit se sacrifie pour

    luvre, devienne autre, devienne non pas un autre, mais plutt

    personne, le lieu vide et anim o retentit lappel de luvre. L

    la parole ne parle pas, elle est, en elle rien ne commence, rien ne

    se dit, mais elle est toujours nouveau et toujoursrecommence.23

    Ainsi, pour M. Blanchot, crer nest plus accueillir desimages miroitantes de ltre, mais, en traversant lemiroir des images, rejoindre ltre en soi, un treinfini, infigurable, innommable, bref nant 24.

    On peut donc soutenir paradoxalement quendisqualifiant la relation ontologique de limage entrela reprsentation et le rfrent transcendant, enrabattant limage sur la seule immanence et lasemblance, ces mouvements philosophiques ontdjou le pige de lidoltrie. Si limage na plus deprtention manifester de ltre, elle ne peut offrirdavantage quun ensemble dapparences flottantes,qui djouent toutes les identifications et tous lesattachements fantasmatiques. Lultime dralisationde limage nest-elle pas accomplie dans la philosophiesartrienne qui non seulement porte un coup fatal auparadigme de limage-tableau, mais ramne limage une pure intentionnalit nantisante, qui permet dese dprendre du rel en un geste de libert? PourSartre, en effet, le sujet imageant, rencontr surtout loccasion de limage mnsique (image souvenir dePierre absent), se comprend avant tout comme uneconscience nantisante: dans limage, mon rapport aumonde rel peru, qui rencontre des objetsreprsents, est ni; limage nest quun nant dtreservant de corrlat nomatique la nose, la vise parla conscience dun objet :

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    Dire jai une image de Pierre quivaut dire, non seulement

    je ne vois pas Pierre, mais encore je ne vois rien du tout.Lobjet intentionnel de la conscience imageante a ceci de

    particulier quil nest pas l et quil est pos comme tel, ou encore

    quil nexiste pas et quil est pos comme inexistant, ou quil nest

    pas du tout [] [donc] limage donne son objet comme unnant dtre.25

    Ainsi avons-nous pu restituer une longue filiationde dmarches philosophiques qui, tantt partirdune ontologie raliste, tantt partir duneesthtique subjectiviste, isole, relativise, djoue, voirevince ou mme exclut le pige de limage idoltrique.Il existe donc bien sous des problmatiques etrhtoriques disparates et parfois inattendues unephilosophie de limage marque par le soucidinvalider et de marginaliser lidole. Si ces courantsqui traversent lhistoire des ides en Occidentaccompagnent de fait une rcession de la questionreligieuse de lidole, et mme une indiffrencecroissante son gard, on peut cependant craindrequen abandonnant la question du leurre idoltrique,ils aient laiss le soin dautres de sen emparer. titre de symptme philosophique et culturel, lanaissance et le dveloppement de la psychanalyse, sontravail en profondeur sur le fantasme et lesprojections, ne sexpliquent-ils pas pour une part parla dsertion de la philosophie et par la consciencedune permanence et dune urgence traquer lesidoles? En sengageant ainsi dans cette voie, unegrande partie de la philosophie moderne des imagesna-t-elle pas minimis, voire nglig une des plussourdes menaces contre la vrit et la libert,contrastant ainsi avec le souci des Anciens qui avaientbien pris la mesure du danger que faisait planerlimage idoltre sur la vie mme de la pense?

    NOTES1. Voir E. Kant, Leons de mtaphysique, Paris, Librairie gnrale

    franaise, coll. Le Livre de poche , 1993.2. Voir notre Philosophie des images, Paris, P.U.F., coll. Thmis , 1997.3. Cest pourquoi un dieu produit lui-mme des images, en plus des

    ralits. Thme monothiste par excellence que lon retrouve aussi dansla pense grecque. Voir Platon, Le Sophiste, Paris, Les Belles Lettres,1963.

    4. Platon, La Rpublique, Paris, Les Belles Lettres, 1950, p.597a.5. E. Fink, Le Jeu comme symbole du monde, Paris, d. de Minuit, 1970,

    p. 107.6. Voir E. Panovsky, Idea, Contribution lhistoire du concept de

    lancienne thorie des arts, Paris, Gallimard, coll. TEL, 1989 ; R. Klein,La Forme et lIntelligible, Paris, Gallimard, coll. TEL, 1983.

    7. H.G. Gadamer, Vrit et Mthode, Paris, Seuil, 1996, p. 160sq.8. R. Descartes, La Dioptrique, uvres I, Paris, Garnier, p. 685.9. Origne, Trait des principes I, 2-6, Lyon, Sources chrtiennes, p.95-

    96.10. Voir C. von Schnborn, LIcne du Christ, Fribourg, d.universitaires, 1976.11. Voir les ides de Nicphore au 9e sicle dans F. Boespflug etN.Lossky (sous la dir.), Nice II, Paris, Cerf, 1987.12. J. -L. Marion, LIdole et la Distance, Paris, Grasset, coll. Figures ,1977.13. N. de Cues, Du tableau, ou de la vision en Dieu, Paris, Cerf, 1986.14. M.-J. Baudinet, conomie et idoltrie dans la crise deliconoclasme byzantin , dans Image et Signification, Paris, Ladocumentation franaise, 1983, p.187.15. Voir notre analyse Mtamorphoses du regard et transfigurationdes formes dans lart contemporain, dans Le Visible et lInvisible (sousla dir. de J. -P. Sylvestre), Dijon, d. universitaires, 1994, p. 38sq.16. Voir le thme de la vision en nigme de Dieu chez saint Paul ou dumiroir bris de la thologie mdivale dans R. Javelet, Image etRessemblance au XIIe sicle de saint Anselme Alain de Lille, Paris,Letouzey et An, 1967.17. lexception de ceux pour qui limagination demeure une facultvisionnaire comme les tenants de lilluminisme (Hamann, Swedenborg,Balzac, etc.).18. Telle quon la trouve thorise chez E. Burke dans Recherchephilosophique sur lorigine de nos ides du sublime et du beau (en 1757), Paris,J. Vrin, 1973 ; ou chez E. Kant dans la Critique de la facult de juger(1790), Paris, J. Vrin, 1965.19. E. Burke, Recherche philosophique sur lorigine de nos ides du sublime etdu beau, p. 69-70.20. E. Kant, Critique de la facult de juger, 29, remarque gnrale. Voiraussi J. L. Nancy (sous la dir.), Du Sublime, Paris, Belin.21. Voir E. Escoubas, Imago mundi, Topologie de lart, Paris, Galile,1986.22. G. Deleuze, Logique du sens, Paris, d. de Minuit, 1969, p.302-303.23. M. Blanchot, Le Livre venir, Paris, Gallimard, coll. Ides , 1986,p. 293-294.24. Voir M. Bilen, Le Sujet de lcriture, Paris, Greco, 1989.25. J.-P. Sartre, LImaginaire, Paris, Gallimard, p. 25.