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Universit PARIS II PANTHEON ASSASMaster II DJCE Juriste dAffaires2008-2009

LA FINANCE COMPORTEMENTALEDUNE MEILLEURE COMPREHENSION A UNE NOUVELLE REGULATION DES MARCHES FINANCIERS

Clotilde Wetzer

Sous la direction du Professeur Hubert de Vauplane

Luniversit PANTHEON ASSAS (PARIS II) droit -conomie - sciences sociales nentend donner aucune approbation, ni improbation, aux opinions mises dans ce mmoire. Ces opinions doivent tre considres comme propres leur auteur.

Sommaire

Introduction ................................................................................................................................ 2

PREMIERE PARTIE LA THEORIE ECONOMIQUE BOULEVERSEE PAR LA FORCE EXPLICATIVE DE LA FINANCE COMPORTEMENTALE ................................................. 9 I. Une thorie de lefficience insuffisante ............................................................................ 10 A. Une construction thorique puissante .......................................................................... 10 B. Une application empirique dcevante .......................................................................... 17 II. Une approche comportementale sduisante..................................................................... 23 A. Les fondements de la finance comportementale ......................................................... 24 B. La prsentation des principaux biais comportementaux.............................................. 31 LANALYSE JURIDIQUE RENOUVELEE PAR LA PORTEE

SECONDE PARTIE

NORMATIVE DE LA FINANCE COMPORTEMENTALE ................................................. 39 I. Une rglementation aux vertus correctives ....................................................................... 40 A. Une laboration prilleuse ........................................................................................... 40 B. Les rglementations justifiables .................................................................................. 47 II. Un succs aux effets ambivalents .................................................................................... 54 A. Un cercle vicieux ......................................................................................................... 54 B. Le paternalisme libral ................................................................................................ 61

Conclusion ................................................................................................................................ 66

Table des matires .................................................................................................................... 68 Bibliographie ............................................................................................................................ 70

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INTRODUCTION

Etudier le fonctionnement des marchs financiers est le rle ambitieux que sest donn la finance dite des marchs. Les marchs financiers voluent quotidiennement et fournissent ainsi aux thoriciens une quantit considrable de donnes empiriques sur lesquelles dvelopper leurs rflexions. Pourtant, thoriser lvolution des cours boursiers sest rvl tre le plus grand challenge des dernires dcennies pour les spcialistes de la finance. Le march demeure incomprhensible pour les non-initis et nargue les plus avertis. Il est rducteur de nenvisager le march que comme un ensemble de variables. Cest avant tout un espace social dans lequel voluent des Hommes avec leur force mais aussi leurs faiblesses. Les marchs financiers sont, linstar de la nature humaine, dune complexit telle quil est impossible den tablir une explication ultime. Avoir une perception du march la plus proche possible de la ralit nest cependant pas une tentative inutile. Les travaux de la finance des marchs ont des rpercussions dcisives dans de nombreux domaines. Par exemple, lanalyse des dcisions financires des entreprises, qui est lobjet dtude de la finance dentreprise1, est largement influence par les progrs de la finance des marchs. Finance dentreprise et finance des marchs constituent dailleurs les deux principales problmatiques envisages par la discipline financire. Mais lintrt dune meilleure comprhension des marchs va bien au-del du seul domaine financier. Elle permet aussi dlaborer un systme juridique adapt aux spcificits des marchs financiers. Selon certains auteurs, la particularit du droit des marchs financiers rside dans la finalit attache ce droit : ce droit doit permettre et doit garantir un bon fonctionnement des marchs. Le bon fonctionnement des marchs financiers est une fin qui justifie les techniques juridiques mises en uvre pour y parvenir 2. Cette branche du droit serait donc gouverne par un principe defficacit dont les lignes directrices seraient donnes par lanalyse conomique.

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Plus particulirement, la finance dentreprise sintresse aux dcisions dinvestissement, aux dcisions de financement et aux politiques de dividendes. 2 N. Rontchevsky, J-P Storck et M. Storck, Le ralisme du droit des marchs financiers.

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Cette instrumentalisation du droit au service de la vie conomique fait cho au courant de pense dorigine amricaine Law and Economics3. Mais lanalyse conomique du droit des marchs financiers prsente une particularit par rapport celle du droit pnal ou du droit constitutionnel : lobjet mme du droit financier tant conomique, linteraction entre droit et conomie est ici naturelle. Le droit des marchs financiers est donc un domaine privilgi pour mesurer limpact juridique des thories conomiques. La plupart des recherches sur lanalyse conomique du droit utilisent la bote outils noclassique. Cest ainsi que la thorie financire classique ou quantitative qui a domin pendant les cinquante dernires annes est directement issue du courant no-classique de lconomie. Cette finance est base sur trois lments fondamentaux : la maximisation de lesprance dutilit, lhypothse dabsence dopportunit darbitrage et surtout lhypothse defficience des marchs qui est considre comme la proposition centrale dans la thorie financire. Si lon trouve les origines du concept defficience dans la thse du mathmaticien franais Louis Bachelier publie en 1900, l hypothse defficience a vritablement t formule aux Etats-Unis au dbut des annes soixante au sein de la clbre Ecole de Chicago . A partir dun nombre rduit dhypothses, la finance noclassique a permis une comprhension plus profonde des marchs, de lvolution des prix et de lvaluation des actifs financiers. Les modles labors se sont alors imposs tout le domaine. Il sagit notamment du Modle dEquilibre des Actifs Financiers (MEDAF) de Sharpe, Lintner et Mossin4, de la formule de Black-Scholes5 ou encore du thorme de Modigliani-Miller6. A la base du modle conomique no-classique et de lhypothse defficience des marchs repose lhypothse de rationalit des agents. La science conomique apprhende le comportement humain par cette notion abstraite dHomo Oeconomicus. Celle-ci reprsente lhomme comme un tre "rationnel", cest--dire participant la vie conomique en vue de maximiser son bien-tre et grant les ressources dont il dispose dans le seul but de maximiser

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Analyse conomique du droit. Le MEDAF ou CAPM (Capital Asset Pricing Model) est un modle oprationnel de gestion de portefeuille. Sharpe tait membre de l Ecole de Chicago et fut laurat du prix Nobel dconomie en 1990. 5 La formule de Black-Scholes permet de calculer la valeur thorique dune option europenne partir de cinq donnes. Black et Scholes taient membres de l Ecole de Chicago et Scholes reu le prix Nobel dconomie en 1997. 6 Le thorme de Modigliani-Miller affirme que dans un monde sans taxes, exonr de cots de transaction et sous lhypothse de lefficience des marchs, la valeur de lactif conomique nest pas affecte par le choix dune structure de financement. Modigliani et Miller faisaient parti de l Ecole de Chicago et ils remportrent le prix Nobel dconomie respectivement en 1985 et 1990.

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son utilit globale. Lide de John-Stuart Mill, le pre de lHomo Oeconomicus, est que lanalyse conomique doit procder comme les sciences de la nature, savoir par abstraction. Il sagit disoler le comportement de lhomme dans la vie conomique et dexclure ainsi toute dimension morale, telle que le comportement social collectif, le don ou encore le sens de la justice. Cest grce cette abstraction que le concept dHomo Oeconomicus a permis dlaborer des modles mathmatiques tel que le MEDAF. La finance noclassique avait pour ambition datteindre un haut niveau de scientificit, si bien quelle est devenue selon certains la plus scientifique de toutes les sciences sociales 7. Dans un premier temps, les travaux empiriques ont confort la pertinence de lhypothse defficience dans les marchs financiers rels. Les premires tudes conomtriques ralises au sein de l Ecole de Chicago et plus particulirement au Center for Research in Security Prices (CRSP) se sont rvles concluantes, et sest alors dvelopp un important courant de recherche tant thorique quempirique sur le processus de formation des cours boursiers. Michael Jensen, membre de lUniversit de Chicago, affirmait en 1978 sans crainte dtre dmenti qu aucune autre proposition en Economie na de plus solides fondements empiriques que lhypothse defficience des marchs . Tout allait donc pour le mieux dans le plus efficient des mondes 8 jusqu ce que les tests empiriques invalidant les prdictions du modle thorique saccumulent. La finance quantitative se voit alors force de reconnaitre son incapacit relle expliquer certains phnomnes boursiers qualifis d anomalies par les auteurs. Aujourdhui, partisans et adversaires de lhypothse defficience saffrontent dans des dbats intenses dont les enjeux ractualisent lopposition entre les philosophes grecs Platon et Aristote. La conception noclassique selon laquelle les marchs sont efficients et les individus rationnels est en effet comparable au monde des Ides platonicien dans lequel les ralits sont stables, immuables et par l mme objectivables dans le discours et dans la science. Ce monde idal serait dcrit par les mathmatiques, science des sciences, do la tendance scientiste des conomistes. Platon mprise le rel qui nest quimage plie des formes intelligibles et immuables. Le monde sensible est alors peru comme un domaine de ralits mouvantes, indtermines , qui, rfractaires leur fixation dans le langage rigoureux et cohrent de la science, ne sont accessibles qu' lopinion. Par les mathmatiques, il est possible de dcouvrir7 8

Ross, 2004, 10 M-H. Broihanne, M. Merli et P. Roger, Finance comportementale, Economica, 2004

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les Formes Intelligibles pour matriser le monde rel sensible et contingent. Aristote reproche son matre de dfinir toute connaissance comme un simple reflet idal du monde rel. Pour lui il nexiste quun seul monde, le monde rel, spar en deux rgions, la Terre et le Ciel. Aristote prne lobservation qui doit seffectuer avec un certain dtachement. Or la finance noclassique dcrit imparfaitement le rel au profit dun monde idal intangible. Lobservation et lanalyse semblent plus efficaces pour comprendre les marchs financiers. A partir du moment o les sciences dites humaines sont caractrises par le fait que lobjet dtude concide avec le sujet qui lanalyse, est-il possible datteindre une objectivit relative lespce humaine ? La finance noclassique se veut tre la plus scientifique des sciences sociales, aide par le calcul et la logique, mais elle reste une science humaine chappant ncessairement une pure description mathmatique. Aveugle par son orgueil, la thorie classique a labor des modles ne correspondant pas aux proccupations des agents conomiques qui interviennent sur le march tel quil est, et non tel quil devrait tre. Or ce march est compos dacteurs qui certes calculent, mais aussi observent, comparent et imitent.

De telles considrations trouvent un prolongement en philosophie juridique et conduisent sinterroger sur le fondement et la finalit du droit gouvernant les marchs financiers et plus gnralement la vie en socit. Le systme juridique doit-il tre conu pour rglementer lactivit des Homo Oeconomicus sur un march efficient, ou doit-il sadapter aux imperfections de ses protagonistes ? Le droit est-il un idal ou un correctif ? Ces interrogations rappellent un choix assez fondamental entre deux courants, lidalisme et le positivisme. La premire doctrine estime quil existe un idal de justice au dessus de lensemble des rgles qui constituent le droit positif et que lhomme pourrait dcouvrir laide de sa seule raison. Le rle du droit serait uniquement de permettre lHomo Oeconomicus de prendre des dcisions qui, guides par sa raison, aboutiront au juste prix sur les marchs financiers, cest--dire la vraie valeur des biens changs. La doctrine positiviste considre au contraire que le droit est le reflet de lobservation dune ralit sociale dont il faut tirer les consquences. En labsence de rationalit des agents, le prix fourni par le march ne serait pas la meilleure estimation possible de la vraie valeur du bien. Lintervention du lgislateur devrait alors tre repense pour adapter le systme juridique aux ralits observes sur les marchs financiers.

La multiplication des anomalies boursires a facilit les critiques adresses la finance classique et a favoris lmergence de plusieurs tentatives dexplications du fonctionnement 5

des marchs. Mais laborer des propositions suffisamment solides pour concurrencer le paradigme de lefficience est bien plus difficile que de dnoncer ses failles. Les explications alternatives abondent et sont souvent ralises par des spcialistes issus dautres disciplines que la finance. Loriginalit de ces nouvelles approches provient de leur caractre transdisciplinaire. La finance est alors analyse sous langle de la sociologie9, de la gntique10, de la neurologie11, de la physique12, de la psychanalyse13 ou encore de la psychologie14. Nous avons choisi de porter notre attention sur lexplication psychologique des marchs financiers, souvent appele finance comportementale, non parce que cette thorie rencontre un intrt tonnant chez les financiers, quelle fait lobjet dun nombre croissant de publications dans les revues de premier rang, quelle a t propulse au devant de la scne par lclatement de la bulle Internet en 2000, ou encore quelle a dfinitivement acquis ses lettres de noblesses par lattribution du prix Nobel dconomie Daniel Kahneman et Vernon Smith en 2002 pour leurs travaux dans ce domaine, mais parce que la finance comportementale est bien plus quune thorie alternative la finance classique. Cest une faon rvolutionnaire dapprhender le processus dcisionnel que tout humain doit constamment effectuer. Conue lorigine pour fournir une meilleure explication des marchs financiers, lapproche comportementale a en ralit un potentiel insouponnable. Lexploration de la voie comportementale permet de repenser le systme juridique et le rle du lgislateur. Le9

Voir ce sujet, Olivier Godechot, Les traders : essai de sociologie des marchs financiers, La dcouverte, 2001, qui envisage la Bourse comme une institution humaine peuple de traders et de vendeurs simplement affairs leur commerce quotidien : arbitrage et spculation. La salle des marchs est analyse par le biais des agents conomiques qui y travaillent, avec leur parcours, leur fonction, leur sociabilit, leurs hirarchies et leurs conflits. 10 Les algorithmes gntiques permettent de rsoudre les problmes doptimisation particulirement difficiles et de reprsenter les stratgies de R&D adaptatives des firmes. Voir ce sujet, Th. Valle et M. Yildizoglu, Prsentation des algorithmes gntiques et leurs applications lconomie , Working Paper, Septembre 2001, Universit Montesquieu Bordeaux IV. 11 La neuroconomie tudie l'influence des facteurs cognitifs et motionnels dans les prises de dcisions. A la diffrence de lconomie comportementale qui sintresse aux comportements individuels et collectifs, la neuroconomie examine les bases neurobiologiques de ces comportements. Plus prcisment la neurofinance dvoile, grce aux progrs de l'imagerie mdicale, les fondements biologiques de la prise de dcision financire. Voir ce sujet, J. Zweig, Your Money & Your Brain Simon & Schuster, 2007. 12 Thorie permettant de prvoir les krachs boursiers partir de lvolution relle dindices boursiers et base sur lanalogie avec des systmes oscillatoires non linaires tels que les ondes sonores mises lors de tremblements de terre ou plus gnralement de matriaux en cours de rupture. Voir ce sujet, N. Vandewalle, M. Ausloos, Ph. Boveroux et A. Minguet, How the Financial crash of October 1997 could have been predicted , The European Physical Journal, avril 1998. 13 La macropsychanalyse est une tentative de transposition du modle freudien aux groupes structurs . Voir ce sujet, Levy-Garboua et G. Maarek, Macropsychanalyse, lconomie de linconscient, Paris, PUF, 2007. 14 Lconomie comportementale tudie le comportement des tres humains dans les situations conomiques. Plus particulirement, la finance comportementale est l'tude des comportements en situation de march financier.

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caractre novateur de cette thorie ne lempche pas de prsenter une maturit surprenante. Dj perue comme la vritable troisime voie , elle se prsente comme une synthse entre les ides de droite conceptualises par Milton Friedman, et la pense de la gauche, dont John Maynard Keynes, en faveur de l'interventionnisme, a pos les fondations. Lambition du courant comportementaliste est donc dinfluencer les pouvoirs publics. Il lui fallait pour cela un visage politique, ce quont entrepris Thaler et Sunstein. Ce visage porte dsormais un nom : le paternalisme libral 15. Pour favoriser la diffusion de leurs ides et emporter ladhsion du public, Thaler et Sunstein ont cr un concept, le Nudge16. Mais encore fallait-il approcher suffisamment les pouvoirs publics pour tre capables de concrtiser leur thorie. Cest dsormais chose faite : les comportementalistes les plus minents ont rejoint lquipe gouvernementale du nouveau prsident amricain Barack Obama. Ce dernier a ctoy Sunstein lUniversit de Chicago o ils ont tous deux enseign et a fini par le recruter comme conseiller informel pendant sa campagne. En janvier dernier, Sunstein a t nomm directeur du White House Office of Information and Regulatory Affairs, ce qui devrait lui permettre de rguler des pans entiers de la socit amricaine. Barack Obama sest constitu une vritable behavioral dream team en recrutant notamment parmi les membres de la Behavioral Economics Roundtable qui regroupe les vingt-neuf comportementalistes les plus reconnus. Richard Thaler, Daniel Kahneman ou Dan Ariely17 se voient offrir une opportunit unique de raliser ce changement attendu par les amricains sur lequel Obama a fond sa campagne. Cette nouvelle philosophie de gouvernement traverse sans peine les ocans. David Cameron, le chef des conservateurs britanniques, puise son inspiration politique dans la mme source que celle dObama. La finance comportementale aurait mme t linvite officieuse du sommet du G20 qui sest tenu Londres le 2 avril dernier. La crise actuelle conduit les dirigeants sintresser aux propositions formules par cette nouvelle finance, qui constitue peut-tre une rponse la dbcle des marchs financiers.

La curiosit du juriste est naturellement aiguise par de telles rflexions. Il va lui falloir repenser le droit des marchs financiers et plus gnralement le systme juridique dans son ensemble. Le droit est le moyen dintervention tatique par excellence. Si le rle de lEtat est renouvel, alors il faudra adapter loutil juridique pour permettre la mise en uvre de cette nouvelle politique conomique. La rglementation actuelle fonde sur le paradigme de15 16

Richard Thaler est linventeur de lexpression paternalisme libral . R. Thaler et C. Sunstein, Nudge: improving decisions about health, wealth and happiness, Penguin Usa, fvrier 2009. 17 D. Ariely, Predictably Irrational, Harper Collins, fvrier 2008.

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lefficience des marchs a montr ses limites. Le rel concret nest pas le rationnel rv. Un systme juridique efficace doit intgrer cette ralit pour pouvoir ensuite la rglementer. Une rgle de droit ne doit pas tre envisage comme gouvernant des Homo Oeconomicus si tous les individus ne sont pas vritablement rationnels. Le droit nest pas cet absolu dont nous rvons 18. Prfrons Aristote Platon. Cette approche mthodologique base sur lobservation permettra alors dlaborer des mcanismes correcteurs. Telles sont les pistes de rflexion juridique lances par la finance comportementale.

Il serait cependant irrationnel de croire que la finance comportementale suffit gurir tous les maux. Sa facult simmiscer dans tous les domaines est la fois sa force et sa principale faiblesse. Ds lors quun choix doit tre fait, lapproche comportementale peut tre adopte. Le principal ennemi de la finance comportementale, cest lengouement quelle gnre. Conue lorigine comme une alternative au paradigme de lefficience, elle semble aujourdhui victime de son succs. Il faut garder lesprit quil nexiste pas de thorie suprme permettant de rendre intelligible le hasard boursier. La finance classique a chou sur ce point et il ne faut pas que ce soit le but recherch par la finance comportementale ou elle risque de subir le mme sort. Il sagira tout dabord dtudier, par lanalyse du processus de formation des prix, en quoi lexplication fournie par la finance comportementale permet une meilleure comprhension des marchs financiers, dtrnant ainsi le paradigme de lefficience (Premire Partie). La porte potentielle de cette nouvelle thorie dpassant largement le seul cadre financier, il conviendra alors de repenser notre systme juridique dans une approche comportementale (Seconde Partie).

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Doyen Jean Carbonnier

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PREMIERE PARTIE

LA THEORIE ECONOMIQUE BOULEVERSEE PAR LA FORCE EXPLICATIVE DE LA FINANCE COMPORTEMENTALE

Toute la finance moderne sest construite sur la base de la thorie de lefficience des marchs financiers. Sappuyant sur les mathmatiques, elle fut qualifie par la quasi-totalit des auteurs, et cest encore lopinion dominante, de paradigme scientifique. Evoquer simplement sa remise en cause aurait relev de lhrsie. Seul le march osa en rvler les faiblesses (I), rendant alors possible lavnement de la finance comportementale. Celle-ci a eu loccasion de prsenter sa conception des marchs financiers, et le rsultat est surprenant (II).

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I. Une thorie de lefficience insuffisanteLa pense conomique nolibrale a largement influenc lanalyse des marchs financiers faite par la finance classique. Son raisonnement, dont la rigueur sinspire des dmonstrations mathmatiques, semble infaillible (A). Mais bnficier dune assise thorique solide ne suffit pas apprhender les marchs. Adoptant une approche platonicienne, la thorie de lefficience tente de nier le rel, mais celui-ci finit par le rattraper (B).

A. Une construction thorique puissanteToute la finance moderne sest construite sur la thorie de lefficience des marchs financiers (1). La transparence et les obligations dinformation sont la traduction juridique de cette thorie (2).

1. La formation du prix selon la thorie de lefficienceAu sens courant, lefficience est la capacit dobtenir de bonnes performances dans un type de tche donn. Un march financier est donc efficient sil remplit son rle, cest--dire permet le financement des entreprises19 et assure une rallocation des ressources20. Plus particulirement, la littrature financire dfinit la notion defficience des marchs comme la somme de trois dimensions interdpendantes: lefficience allocationnelle, lefficience oprationnelle et lefficience informationnelle. L'efficience allocationnelle concerne la rpartition du capital. Un march est dit allocationnellement efficient lorsquil a la capacit dorienter les flux dpargne vers les meilleurs projets dinvestissement, contribuant au dveloppement de lconomie. Le march conduit alors une allocation optimale des ressources. Une telle efficience implique que le

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Par lmission de titres sur le march primaire. Par les achats et ventes de titres sur le march secondaire ou par des rapprochements dentreprises.

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prix des actifs volue de manire galiser les taux marginaux de rendement ajusts pour le risque entre tous les pargnants et tous les investisseurs 21. Lefficience oprationnelle ou organisationnelle est lie au cot d'obtention du capital. Elle conduit une confrontation optimale des offreurs et des demandeurs de capitaux, faisant ainsi jouer aux intermdiaires financiers un rle primordial. Ces derniers doivent mettre en relation de manire satisfaisante les offreurs et les demandeurs de capitaux et ce, au cot le plus faible tout en retirant une juste rmunration. Enfin, Fama (1965) donna la premire dfinition de lefficience informationnelle des

marchs: un march financier est dit informationnellement efficient si et seulement si lensemble des informations disponibles concernant chaque actif financier cot sur ce march est immdiatement intgr dans le prix de cet actif. Il en rsulte que ce prix reflte les valeurs conomiques sous-jacentes de ces derniers. L'efficience allocationnelle est subordonne l'efficience informationnelle et oprationnelle, de sorte que ces trois types d'efficience sont troitement corrls. Ce nest en effet que sur la base de prix refltant toute linformation disponible que pourra seffectuer une allocation optimale des ressources. Une attention particulire doit tre porte lhypothse defficience informationnelle du march qui est au centre des dbats concernant le comportement du prix. A lorigine de cette hypothse se trouve lide selon laquelle les titres possdent une vraie valeur appele valeur intrinsque ou valeur fondamentale . Cette valeur prexiste objectivement aux marchs financiers et ceux-ci doivent en fournir lestimation la plus fiable et prcise. La valeur fondamentale est gale la valeur escompte du flux des revenus futurs auxquels le titre donne droit. Ces revenus futurs tant priori inconnus, linvestisseur est conduit les anticiper subjectivement en sappuyant sur ses connaissances et les informations dont il dispose. Ce sont les mathmatiques qui permettent de dfinir ces anticipations, les rendant ainsi objectives. La thorie de lefficience repose donc sur lhypothse trs forte que le futur est probabilisable. Cest en cela que la finance classique se veut scientifique. La seule variable pertinente est alors linformation disponible et non les opinions personnelles des agents. Si les anticipations des oprateurs de march sont rationnelles22, cest--dire bases sur toute linformation pertinente disponible, alors il existe entre ces oprateurs un consensus sur la

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B. Colmant, R. Gillet et A. Szafarz, Efficience des marchs: concepts, bulle spculative et image comptable, Larcier, 2003.

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valeur fondamentale. Les prix reflteront tout moment la meilleure estimation possible de la vraie valeur du bien. Lhypothse dite d anticipations rationnelles 23 est donc une condition essentielle lefficience informationnelle du march et constitue dailleurs le trait de caractre dominant de lHomo Oeconomicus. A partir de l, les changements de prix sexpliquent par la survenance dune information nouvelle. Les cours boursiers voluent en fonction de linformation qui elle-mme varie de faon alatoire, ce qui entrane limprvisibilit des cours. Ce raisonnement est connu sous le nom de marche au hasard (random walk), concept issu de la thse du mathmaticien franais Louis Bachelier24 puis dvelopp par Fama en 1965. La nouvelle information devenue disponible, elle va tre instantanment exploite et incorpore dans les prix du fait de la rationalit des agents. Ceux-ci ragissent immdiatement et adquatement la survenance de toute information nouvelle. Dans un tel schma, linformation est considre comme gratuite et les cots de transaction ne sont pas pris en compte. Conscient que laffirmation selon laquelle les prix sur un march efficient refltent totalement linformation disponible est trop gnrale pour pouvoir tre teste, Fama (1970) a dvelopp trois formes defficience se distinguant par le contenu informatif auquel elles se rfrent : lefficience au sens faible (weak hypothesis)25, lefficience au sens semi-fort (semi strong hypothesis)26 et enfin lefficience au sens fort (strong hypothesis)27. Une version plus modeste de lefficience fut propose par Jensen (1978), version qui repose sur la notion darbitrage. Aux yeux de la finance noclassique, le prix est constamment le reflet de toute linformation disponible, et il ne peut donc pas exister dopportunit darbitrage, cest--dire de stratgie dinvestissement qui garantisse un gain positif ou nul sur la base dun capital initial nul. Labsence de telles opportunits darbitrage serait mme, selon

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Selon les Principes d'conomie de Stiglitz, les anticipations des individus sont rationnelles s'ils tiennent pleinement compte de toutes les donnes pertinentes disponibles . 23 Introduite par John Muth en 1961. 24 Thse sur le comportement des cours boursiers publie Paris en 1900. 25 Sur un march faiblement efficient, les prix incorporent chaque instant le seul historique des prix passs et des rendements antrieurs. 26 La forme semi-forte de lefficience soutient que les prix intgrent parfaitement toutes les informations comprises dans la forme faible de lefficience ainsi que toutes les informations publiques concernant la situation des entreprises. 27 Lefficience forte est celle qui caractrise un march dont les prix incorporent toute linformation disponible, quelle ait t rendu publique ou non. Sur un tel march, linformation privilgie est trs rapidement incorpore dans les prix dquilibre et les profits dinitis pratiquement inexistants.

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certains auteurs,28 le concept central sur lequel repose la thorie classique. Cest sur cette notion que Jensen sappuya pour tablir une nouvelle dfinition de lefficience informationnelle, moins restrictive que celle de Fama : sont maintenant rputs efficients les marchs sur lesquels les prix des actifs cots intgrent les informations les concernant de telle manire quun investisseur ne peut, en achetant ou en vendant cet actif, en tirer un profit suprieur aux cots de transactions engendrs par cette action . Les cots lis la collecte des informations ainsi que ceux lis aux transactions sont cette fois pris en compte. Il rsulte de cette nouvelle version de lefficience quil est impossible pour les investisseurs de battre le march , moins daccepter un niveau de risque plus lev, ce qui se mesure par un supplment de rendement ou prime de risque. Mais cela implique galement une probabilit plus grande de se faire battre par le march. Il est donc plus raisonnable et moins coteux dimiter le march par le biais dun portefeuille reproduisant sa performance globale plutt que de conduire une gestion active. Cest ce que prsente la thorie moderne du portefeuille de Markowitz (1952)29 en application de laquelle un portefeuille diversifi garantit une performance optimale. Quelques annes plus tard, Sharpe (1964), Lintner (1965), Mossin (1966) et Black (1972) dvelopprent dans le prolongement des travaux de Markowitz, le Modle dEvaluation des Actifs Financiers (MEDAF) qui permet de dcrire la relation liant la rentabilit des actifs financiers et leur risque. Enfin, il est important de prciser quil nest pas ncessaire que tous les agents conomiques soient rationnels pour que lhypothse defficience soit valide. Deux situations peuvent tre envisages. Si les estimations des investisseurs irrationnels ne sont pas corrles, alors elles se compensent mutuellement et annulent leurs effets en application de la loi des grands nombres30. Le prix demeure alors au voisinage de la valeur fondamentale. Si les estimations des investisseurs irrationnels sont corrles, cest larbitrage qui permettra cette fois lefficience. Les arbitragistes rationnels se porteront acqureurs des titres sous-valus et vendeurs de titres survalus jusqu ce que le prix soit ramen son niveau fondamental. A long terme, linvestisseur irrationnel est conduit perdre de largent et sera limin du

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A. Orlan, Efficience informationnelle versus finance comportementale . H. Markowitz, Portfolio Selection , Journal of Finance, 1952. 30 En statistiques, la loi des grands nombres indique que lorsque l'on fait un tirage alatoire dans une srie de grande taille, plus on augmente la taille de l'chantillon, plus les caractristiques statistiques de l'chantillon se rapprochent des caractristiques statistiques de la population. Autrement dit, plus le nombre dagents conomiques est important, et condition que leurs comportements soient alatoires, alors plus la moyenne des mouvements des gens irrationnels tend vers zro et donc plus le prix se rapproche de la valeur fondamentale.

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march : une telle slection rend impossible lexistence dune spculation dstabilisatrice durable, conformment largument de Friedman.

Pour que le prix se forme dans les conditions prcdemment dcrites, encore faut-il que toute linformation pertinente soit disponible. Lefficience informationnelle a trait la transparence, et loutil juridique intervient alors pour sassurer que les renseignements ncessaires la prise dune dcision rationnelle soient divulgus.

2. La traduction juridique de la thorie de lefficienceDans un march idal, les agents ont accs toute l'information, suppose gratuite, relative aux avantages et aux risques que comportent les dcisions financires. Le rle du droit des marchs financiers est de garantir une telle situation dabsence d asymtrie dinformation . Le principe defficacit caractristique du droit financier commande alors dassurer lefficience du march. Les rgulateurs actuels cherchent laborer des rglements permettant que linformation divulgue soit la plus complte possible, mais aussi exacte et de qualit. La mise en place de ce droit la recherche de lefficience conomique tmoigne de la victoire des nolibraux sur les tenants de lEtat Providence. Ces cinquante dernires annes ont en effet marqu le passage dun Etat Providence un Etat rgulateur. Dans le paradigme de lefficience, la rationalit des agents conduit naturellement au prix le plus proche de la valeur fondamentale. Ds lors le rle de lEtat doit se limiter celui darbitre du jeu conomique, intervenant uniquement pour apaiser les tensions et rgler les ventuels conflits. Linformation occupe un rle essentiel sur les marchs financiers tant au plan conomique dans la mesure o lefficience des marchs financiers se mesure au niveau dinformation disponible sur les titres et leurs metteurs, quau plan juridique, o linformation est la matire premire, lobjet privilgi de la rglementation 31. Selon certains auteurs, la transparence est un dispositif contraignant qui fonctionne la manire du Panoptique imagin par le philosophe utilitariste Bentham32. Il sagit dun type darchitecture carcrale dont lobjectif est de permettre un individu, log dans une tour centrale, dobserver tous les prisonniers enferms dans des cellules individuelles autour de la tour, sans que ceux-ci ne31

F-B. Cross et R-A. Prentice, The Economic Value of Securities Regulation , 28 Cardozo Law Review 333, 2006. 32 D. Bessire, Gouvernance dentreprise : que cache le discours sur la transparence ? , Laboratoire Orlanais de Gestion, 2003 ; M. Foucault, Surveiller et punir, Naissance de la prison, Gallimard, 1975.

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puissent savoir s'ils sont observs. Appliqu aux marchs financiers, il sagit dimposer aux diffrents agents des obligations dinformation, crant comme chez les dtenus un sentiment domniscience invisible (Bentham). Les phnomnes de concentration des Bourses et de mondialisation expliquent quune rglementation communautaire fournie se soit dveloppe ces dernires annes. Les obligations dinformation incombant lmetteur dinstruments financiers sont prcieuses pour calculer la valeur fondamentale de laction. Il sagit notamment de lobligation faite toute socit, et pose par la Directive Prospectus de 200333, de publier un prospectus complet et comprhensible avant de faire une offre au public de valeurs mobilires34. Le contenu de ce document est trs rglement, notamment par le rglement dapplication de 200435 qui prcise les schmas respecter en fonction de lopration projete. Figurent par exemple dans un prospectus, et la liste est loin dtre exhaustive, les informations comptables des trois derniers exercices, une dclaration de fonds de roulement net, une dclaration sur les capitaux propres et lendettement, une rubrique facteurs de risque et ventuellement les prvisions de bnfice. Le rglement gnral de lAutorit des Marchs Financiers (articles 212-26 et 21227) impose ensuite que la diffusion du prospectus dans le public soit effective. La communication promotionnelle du prospectus est strictement encadre par lAutorit des Marchs Financiers (AMF) afin de ne pas induire les investisseurs en erreur. Evidemment, la Directive Transparence36 est dune importance toute particulire en la matire. Elle fait peser des obligations dinformation sur lmetteur mais aussi sur linvestisseur. Priodiquement lmetteur doit informer le public par le biais du rapport financier annuel (article L 451-1-2 I Code Montaire et Financier), du rapport financier semestriel (article L 451-1-2 II CMF), de linformation semestrielle (article L 451-1-2 IV CMF), du rapport annuel sur le contrle interne et le gouvernement dentreprise, du communiqu relatif aux honoraires des commissaires aux comptes, ou encore de linformation relative au nombre total des droits de vote et au nombre dactions composant le capital de la33

Directive 2003/71/CE du Parlement europen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant le prospectus publier en cas doffre au public de valeurs mobilires ou en vue de ladmission de valeurs mobilires la ngociation. 34 Lordonnance du 22 janvier 2009 a align la terminologie franaise sur la terminologie europenne. La rforme substitue les notions doffre au public de titres financiers et dadmission aux ngociations sur un march rglement la notion franaise dappel public lpargne. 35 Rglement (CE) de la Commission n809/2004 du 29 avril 2004 mettant en uvre la directive 2003/71/CE dite prospectus. 36 Directive 2004/109/CE du Parlement europen et du Conseil du 15 dcembre 2004 sur lharmonisation des obligations de transparence concernant linformation sur les metteurs dont les valeurs mobilires sont admises la ngociation sur un march rglement.

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socit. De manire permanente, les metteurs doivent notamment communiquer le descriptif des programmes de rachat dactions, et les investisseurs doivent dclarer le franchissement de certains seuils de participation (article L 233-7 Code de Commerce). Dune manire plus gnrale, lmetteur doit fournir au public une information exacte, prcise et sincre. Selon larticle 223-2 du rglement gnral de lAMF et en application de la Directive sur les oprations dinitis et les manipulations de march37, il doit porter la connaissance du public toute information privilgie qui le concerne directement, cest--dire toute information qui, si elle tait rendue publique, serait susceptible davoir une influence sensible sur le cours des instruments financiers concerns. La suppression de la rgle de concentration des ordres et la mise en concurrence entre places de ngociation effectues par la Directive Marchs dInstruments Financiers (MIF)38 risquaient dentrainer une dgradation de la qualit du prix. Pour contrer ce risque de fragmentation, la Directive met en place des rgles de transparence pr et post ngociation applicables aux diffrents modes de ngociation. Pour achever ce tour dhorizon des obligations dinformation, qui ne prtend pas lexhaustivit, il est possible de mentionner le dispositif anti-rumeurs mis en place par la loi du 31 mars 2006. Aussi connu sous le nom damendement Danone , il prsente loriginalit de mettre au grand jour les intentions mme des initiateurs39. Dpassant le seul domaine des faits, il rvle lexigence croissante des rgulateurs. Si ces rgles permettent aux agents conomiques de disposer de linformation ncessaire au calcul de la valeur fondamentale, encore faut-il que cette information soit de qualit pour ne pas les induire en erreur. Le rglement gnral de lAMF prvoit donc que linformation fournie doit tre exacte, prcise et sincre. Le pendant de cette obligation gnrale est linterdiction faite toute personne de rpandre des informations fausses ou trompeuses. Llaboration des nouvelles normes comptables IFRS (International Financial Reporting Standards) a prcisment pour objectif de fournir une information comptable de meilleure qualit. Toutes ces obligations concourent une formation efficiente du prix sur les marchs financiers et ont donc un rle prventif indniable. Pour en assurer lefficacit, ce dispositif37

Directive 2003/6/CE du Parlement europen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les oprations d'initis et les manipulations de march (abus de march). 38 Directive 2004/39/CE du Parlement europen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchs dinstruments financiers. 39 Larticle L 433-1 V du CMF impose toute personne de dclarer ses intentions sur lventualit du dpt dun projet doffre, lorsquexistent des motifs raisonnables de penser quelle prpare une offre publique, notamment en raison de mouvements significatifs en prix ou en volume sur les titres dune socit dtermine.

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est assorti dun rgime de responsabilit svre, comme en tmoignent les nombreuses sanctions pnales. Linfluence de la pense conomique nolibrale sur le fonctionnement des marchs est telle que le droit positif des marchs financiers apparat comme la transposition juridique du concept conomique defficience. Elle conduit en pratique soumettre lensemble des intervenants un principe de visibilit obligatoire. Sil est difficile de ne pas tre impressionn par ltendue et la puissance des arguments thoriques en faveur de lefficience des marchs 40, ce sont les tudes empiriques qui ont rvl les failles de ce paradigme.

B. Une application empirique dcevante

Certains phnomnes observs sur les marchs financiers sont difficilement apprhends par la thorie de lefficience. La multiplication des anomalies observes (1) ainsi que les bulles spculatives (2) sont un challenge pour les tenants de la finance classique. Ceux-ci essaient de la sauver mais les arguments avancs ne sont que partiellement convaincants.

1. La saisonnalit, la rentabilit et la mtorologieDe nombreuses tudes menes depuis une vingtaine dannes prsentent des rsultats contraires la thorie de lefficience des marchs. La multiplication de ces inefficiences, qualifies d anomalies , rend dlicat ltablissement dune nomenclature complte. Il conviendra donc dtudier les principales anomalies dtectes sur les marchs que constituent la saisonnalit, la rentabilit et la mtorologie.

Pralablement, il est intressant de prsenter le clbre paradoxe de Grossman-Stiglitz (1980) qui de faon extrmement simple met en lumire les contradictions internes la thorie de lefficience. Son nonc est le suivant : si un march est efficient du point de vue de l'information, autrement dit toute l'information pertinente est contenue dans les prix de march, et si linformation est coteuse41, alors aucun agent n'est incit acqurir de40 41

Schleifer (2000). Ce qui est gnralement le cas.

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l'information sur laquelle sont fonds les prix. En effet, ce prix constitue lui-mme une source dinformation alternative, gratuite et fiable. Mais si personne ne sinforme, alors le prix ne saurait tre efficient. Le cours ne refltant plus toute linformation pertinente, certains agents devraient payer pour devenir informs. Ainsi, un quilibre efficient au plan de l'information n'existe pas. Contredisant lhypothse defficience des marchs, certaines tudes empiriques ont montr que les prix sont parfois prvisibles en raison de certains phnomnes de saisonnalit. Par exemple, le prix a tendance diminuer le lundi, plus particulirement pendant la premire heure de transaction (effet lundi) et augmenter le vendredi (effet week-end). Une tude mene de 1953 1977 sur lindice boursier amricain S&P500 montre une rentabilit ngative de -0, 168% le lundi42. Egalement, le prix semble en moyenne augmenter les veilles de jours fris43. De telles anomalies sont appeles effets jours . Lexistence dune saisonnalit du rendement des actions nest pas uniquement lie aux jours de la semaine. Elle sobserve aussi au niveau annuel et met alors en vidence ce que lon dnomme les effets mois . Ainsi, des observations empiriques ont montr que les prix diminuent en dcembre pour augmenter en janvier. Cest leffet janvier ou effet de fin danne. Dautres effets calendaires ont t mis en vidence : le prix serait plus lev le mercredi et les veilles de jours fris, plus faible en septembre, et plus fort les quinze premiers jours du mois par rapport aux quinze derniers (effet changement de mois). Les tentatives dexplication de ces anomalies sappuient souvent sur des arguments trangers au concept defficience, tels que la fiscalit ou encore la qualit et la quantit de linformation. Pour les auteurs de la finance classique, leffet janvier est tout fait explicable par la fiscalit et ne remet donc pas en cause lhypothse defficience. Cest en effet cette priode de lanne que les investisseurs dduisent fiscalement les moins-values constates sur les titres, rduisant ainsi le rsultat imposable. Un tel argument nemporte cependant pas la conviction. Cest oublier quau Japon, en Angleterre ou encore en Australie, o leffet janvier est aussi observable, lanne fiscale ne concide pas avec lanne civile. Ce sont aussi les obligations dinformation qui font lobjet de critiques par les dfenseurs de la thorie de lefficience. Ceux-ci dnoncent les effets nfastes de la surinformation. Une information trop dense et dtaille est difficile daccs et devient ainsi contre-productive. Sont42 43

French 1980 Ariel 1990

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aussi vises les obligations dinformation comptables et financires qui encouragent les metteurs privilgier leurs rsultats de court terme pour satisfaire les attentes du march. Lallgement des obligations dinformation lgard des investisseurs qualifis est galement remis en cause. Ceux-ci peuvent ne pas apprhender correctement les risques attachs certains produits financiers, comme en tmoigne la crise actuelle des sub primes. Les nombreuses dfaillances des analystes financiers et des agences de notations sont aussi dcries. Une seule explication des effets calendaires fait appel lefficience des marchs. De telles anomalies constituent des opportunits de gain que les agents, rationnels, vont exploiter. Les investisseurs vont acheter fin dcembre et revendre fin janvier pour profiter de leffet janvier, et ils vont acheter le lundi et vendre le vendredi pour tirer avantage de leffet lundi. La rvlation dun tel vnement engendre les forces concurrentielles qui la dtruiront. Un auteur a pu affirmer que Leffet janvier semble avoir disparu aussitt aprs avoir t dcouvert (Malkiel 2003).

A ct des anomalies calendaires, les tudes empiriques ont fait apparatre des diffrences significatives entre les rendements observs et les rendements thoriques calculs sur la base du modle dvaluation (MEDAF). Une de ces anomalies de rendement est appele effet taille . Sur une priode allant de 1936 1975, Banz (1981) a montr que pour des titres ayant thoriquement le mme risque, les rendements des socits cotes de taille relativement petite taient suprieurs ceux des socits de plus grande dimension. Cela signifie que les investisseurs exigent une prime de risque plus importante pour les titres des petites socits, ce qui est injustifi en application du MEDAF. Lexplication la plus convaincante est de considrer que les petites entreprises prsentent un risque de liquidit qui les rend peu dsirables pour les fonds de placement. Le volume des transactions journalires sur ces titres tant faible, un ordre dachat ou de vente dun bloc de titres est susceptible dengendrer une variation importante du prix ou pire encore de savrer inexcutable. Enfin, diffrentes tudes ont mis en vidence lexistence danomalies mtorologiques. Sauders (1993) a mis en vidence une corrlation entre les variations quotidiennes de lindice Dow Jones de 1927 1989 et le degr de couverture nuageuse Central Park. Dans une tude plus rcente intitule Good Day Sunshine: Stocks Returns and the Weather, David Hirschleifer et Tyler Shumway (2003) analysent la relation entre les conditions mtorologiques de 26 villes et la performance des marchs des actions sur la priode allant 19

de 1982 1997. Ils aboutissent la conclusion quil existe une corrlation importante entre le degr densoleillement et les rendements positifs des actions en question. Par contre les rsultats ne semblent pas affects par la prise en compte dautres variables telles que lenneigement ou la pluviosit. Si les cots de transaction sont suffisamment faibles, il sera possible de mettre en place des stratgies profitables fondes sur les prvisions mtorologiques. Le prix perd alors son caractre imprvisible, ce qui nest pas conciliable avec la thorie de lefficience. Mais mme sil nest pas possible de battre le march en raison des cots de transaction, il est difficile de comprendre ces rsultats sous langle de lefficience selon laquelle le prix reflte toute linformation disponible. En effet, les prvisions mtorologiques relayes par les mdias sont accessibles tous les agents. A partir des mmes informations, ceux-ci devraient aboutir la meilleure estimation de la valeur fondamentale grce leurs anticipations rationnelles. Force est de constater que les rsultats empiriques inconciliables avec le modle defficience des marchs financiers se multiplient. Mais cest surtout la survenance de crises qui remet en cause la finance classique, en raison de la gravit et de lampleur de ce type de phnomne.

2. Volatilit et krachs boursiersLa logique de lefficience conduit le march produire des estimations justes. Le prix observ sur le march ne peut en thorie jamais sloigner durablement de la valeur fondamentale. Les travaux de Schiller (1981), bass sur les prix et les dividendes observs, montrent que la volatilit des cours boursiers est trop importante pour tre justifie par la variation des dividendes. Autrement dit, une chute aussi brutale et importante des cours ne peut sexpliquer par une variation quivalente des valeurs fondamentales. Les cours des actions tmoignent dune volatilit excessive par rapport aux fondamentaux, et plus particulirement par rapport aux dividendes. Cette volatilit remet en cause lhypothse defficience des marchs financiers. Les krachs boursiers sont en effet les manifestations dune volatilit excessive des actifs financiers. La volatilit mesure lamplitude et la frquence des variations de cours dun instrument financier. Si lhypothse defficience tait vrifie, la volatilit des prix observs ne devrait pas tre trop importante par rapport celle des valeurs fondamentales. Aux yeux de la thorie de lefficience, les crises sont des accidents momentans. Selon Malkiel (2003), les 20

bulles sont lexception qui confirme la rgle. La thorie de lefficience ne conoit la crise que comme le produit dune irrationalit passagre. Dans le cadre de la finance classique, il est difficile dapprhender les phnomnes lis une volatilit excessive, quil sagisse de bulle, de krach ou de crise. Une bulle spculative se dfinit traditionnellement comme un cart important et persistant entre la valeur fondamentale dun actif et son prix observ sur le march. Gnralement, la prsence dune bulle entrane une divergence de plus en plus grande entre le cours observ et sa valeur fondamentale, jusqu son clatement qui provoque un effondrement des prix dnomm krach. Une telle chute peut dgnrer en crise par un effet de contagion et touchant alors les entreprises, les banques et les particuliers. Lidentification empirique des bulles elle-mme est conteste par les auteurs noclassiques. Les tenants les plus extrmes de lhypothse defficience du march restent sceptiques quant la ralit du phnomne de bulle spculative en gnral. Le premier pisode boursier rvlateur concerne les bulbes de tulipe en Hollande entre 1634 et 1637. Laccident le plus connu reste celui doctobre 1929 qui a entran la grande dpression des annes trente. La plupart des auteurs analysent ces vnements comme des bulles spculatives. Cependant P. Garber (2000) considre que la Tulipomanie hollandaise ntait pas une bulle. Il affirme que la spculation n tait quun passe-temps dhiver insignifiant, jou autour dune table par des gens hants par la peste qui essayaient de se distraire en pariant sur un march de la tulipe en pleine effervescence . De mme, A. Goldgar (2007) affirme que la spculation na jamais t un phnomne de masse mais na concern qu un petit nombre dindividus . Donaldson et Kamstra44 poussent la provocation en prtendant que le krach de 1929 ne serait pas lclatement dune bulle mais la manifestation dun problme de prcision dans le calcul de la valeur fondamentale, ce qui les conduit laborer une nouvelle procdure pour la calculer.

Plus rcemment, le lundi 19 octobre 1987 (black Monday) a eu lieu la plus forte baisse journalire de lhistoire boursire avec une chute du Dow Jones Industrial Average de 22,6%. Retenant les leons de la crise de 1929, la Federal Reserve a cette fois augment la masse montaire, vitant ainsi des faillites en cascade uniquement dues un manque temporaire de liquidits. Egalement, la monte des prix sur les actions de la nouvelle conomie la fin44

R. Donaldson et M. Kamstra, A new dividend forecasting procedure that rejects bubbles in asset price: the case of 1929s stock crash , Review of Financial Studies, 1996.

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des annes quatre-vingt-dix a provoqu la formation de la bulle internet qui atteint son niveau maximum en 2000. La chute des cours nest cependant pas aussi brutale quen 1987 et stale sur plusieurs annes. Un auteur45 considre que les deux krachs de 1929 et 1987 ne correspondent pas lclatement de bulle. Selon lui les agents conomiques de 1929 ont t rationnels si on prend en compte les rendements sur trs long terme. Par contre il accorde la chute des cours des entreprises technologiques la qualification de bulle. De telles controverses sont rvlatrices de la difficult quprouve la finance classique penser ce type de phnomne boursier. Pour les apprhender, les partisans de lefficience ont labor une thorie rationnelle des bulles. Selon ce modle, des bulles peuvent apparatre sur les marchs financiers mme si les agents ont un comportement rationnel. Il semble donc que cette thorie sinscrive parfaitement dans le cadre dun march efficient. Les agents conomiques sont rationnellement amens acqurir le titre un prix suprieur sa valeur fondamentale ds lors quils pensent que dautres sont prts lacqurir un prix encore suprieur dans le futur. Cela signifie quils sattendent pouvoir le revendre plus cher dans le futur. Leur demande alimente la monte des cours et de telles bulles sont ainsi conformes avec la thorie des anticipations rationnelles. Ils ont conscience de la survaluation des actifs mais ils anticipent rationnellement la poursuite du mouvement spculatif. Il a pu tre avanc que si le prix augmente beaucoup, il devient difficile de croire que dautres vont racheter le titre un prix encore plus lev. Puisque le prix observ est suppos ne pas pouvoir sloigner durablement de la valeur fondamentale, le risque pour un acheteur potentiel saccroit en mme temps que lcart entre ces deux valeurs. Il est souvent rtorqu cet argument que le fait quavoir dj atteint une valeur leve prouve aux acheteurs potentiels que le groupe est prt sloigner fortement de la valeur fondamentale.

Dans le prolongement des travaux de Schiller (1981), les principaux tests utiliss pour dtecter les bulles rationnelles se basent sur la mesure dune volatilit qui serait excessive. Il sagit de dterminer si la volatilit du titre test est trop importante pour ntre due quaux changements dans les dividendes anticips. Les rsultats ont montr que les prix ne suivaient pas la trajectoire des valeurs fondamentales. Plusieurs auteurs interprtent alors la thorie des bulles rationnelles comme incompatible avec la thorie de lefficience.

45

J. Siegel, What Is an Asset Price Bubble? An Operational Definition , European Financial Management, 2003

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Un auteur46 montre cependant que dans le schma des bulles rationnelles, les anticipations des agents ne portent pas sur la valeur fondamentale, mais sur le prix lui-mme. Si tous les agents font le mme raisonnement, alors le prix va ncessairement augmenter et les anticipations sauto-raliser. Cest le phnomne dautovalidation des croyances. Lauteur en dduit que la rationalit financire, qui est la recherche du profit maximal, se distingue de la rationalit permettant de dterminer la valeur fondamentale, quil dnomme rationalit

fondamentaliste . La thorie des bulles spculatives dcrit la rationalit financire des agents et non leur rationalit fondamentaliste, mettant ainsi mal la thorie de lefficience. Il convient enfin de prciser que la formalisation des bulles rationnelles sappuie sur des hypothses thoriques trs restrictives, savoir une dure de vie infinie des actifs et une neutralit des agents vis--vis du risque. La thorie des bulles rationnelles, suppose venir au secours de la thorie de lefficience qui peine apprhender certains phnomnes boursiers, peut donc se retourner contre elle. Cest notamment dans le contexte de laprs-krach de 1987 que sest produite la remise en cause du versant informationnel de la thorie de lefficience. Lapproche comportementale sest construite sur les insuffisances de la finance classique.

II. Une approche comportementale sduisanteIl faut comprendre la finance comportementale comme tant issue de lalliance de deux thories distinctes, une thorie financire, savoir la noise trader approach (NTA) et une thorie psychologique de la dcision, celle des heuristiques dveloppe par Daniel Kahneman et Amos Tversky. La premire thorie montre comment, en prsence dinvestisseurs irrationnels corrls, larbitrage rationnel est impuissant assurer lefficience (A). La seconde justifie empiriquement la corrlation des irrationalits en sappuyant sur les recherches que la psychologie a consacres aux heuristiques47 de dcision (B).

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A. Orlan, Efficience, finance comportementale et convention : une synthse thorique , Les crises financires, 2004. 47 Le terme de biais renvoie aux distorsions entre la faon dont nous devrions raisonner pour assurer le mieux possible la validit de nos conclusions et la faon dont nous raisonnons rellement. Trs souvent, ces biais rsultent de lapplication dheuristiques. Il sagit de rgles qui conduisent des approximations souvent efficaces, mais faillibles. Elles permettent notamment de simplifier les problmes (Yachanin et Tweney,

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A. Les fondements de la finance comportementale

Progressivement, les rsultats des recherches effectues en finance comportementale ont fait merger une approche thorique duale, axe sur la notion darbitrage limit (1) et sur lirrationalit des investisseurs (2).

1. La notion darbitrage limitLa finance comportementale conteste fortement la tendance de la finance classique faire de larbitrage le concept capable de corriger les drives de cours causes par lexistence dagents irrationnels. Elle met au centre de sa rflexion la corrlation des irrationalits, hypothse qui sera tudie plus loin. Cest dailleurs de cette corrlation que vient lexpression auparavant utilise pour la dsigner, Noise Trader Approach .

A ct de la thorie des bulles rationnelles, un second modle a t dvelopp pour expliquer le fait que la volatilit des cours des actions soit plus leve dans la ralit que celle prvue par les fondamentaux. Cette thorie des bulles dites irrationnelles rejette lhypothse de rationalit dans les anticipations et celle dabsence dasymtrie dinformation. Elle considre que certains investisseurs ignorants, les noise traders forment leurs anticipations de manire non rationnelle sur la base de bruit , cest--dire en utilisant soit de faux signaux, soit des rgles stratgiques irrationnelles. Cette expression est donc souvent traduite par le terme bruiteurs . La NTA sintresse aux situations dans lesquelles les conduites irrationnelles sont suivies par un grand nombre dagents. Un tel effet de corrlation est invitable et a un impact effectif sur les prix. Il est ncessaire de se remmorer le raisonnement de la finance classique montrant quil nest pas ncessaire que tous les agents soient rationnels pour quun march soit efficient. Contrairement cette analyse, la NTA considre que les mouvements des investisseurs irrationnels sont ncessairement corrls, et que la prsence dinvestisseurs aviss sur le

1982). , E. Gardair, Heuristiques et biais : quand nos raisonnements ne rpondent pas ncessairement aux critres de la pense scientifique et rationnelle , Revue lectronique de Psychologie Sociale, 2007, pp. 35-46.

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march aux cts des noise traders ne suffit pas garantir le retour du prix sa valeur fondamentale. Larbitrage ne permet pas de ramener le prix sa valeur fondamentale.

Les mmes stratgies tant souvent utilises, les erreurs de jugement ont tendance tre les mmes et elles sadditionnent au lieu de se compenser comme ce serait le cas si elles taient alatoires. La NTA est donc fonde sur lide que larbitrage nest en ralit que limit. Une telle remise en cause de larbitrage se justifie par lexistence de deux risques principaux auxquels sont confronts les arbitragistes. Le premier risque est dordre pratique. Si lon suppose quun investisseur observe une action ou un portefeuille dont le cours est survalu par rapport sa valeur fondamentale, larbitrage sans risque des noclassiques commande alors quil vende ces actions ou ce portefeuille dcouvert et rachte ensuite ces titres. Il faut donc pour cela que les actions ou portefeuilles soient parfaitement substituables, ce qui nest pas le cas en pratique. Larbitragiste na donc pas ncessairement la possibilit de vendre dcouvert et dacheter des titres substituables. Un tel risque survient de manire encore plus forte si lon se trouve dans une phase de bulle spculative car durant une telle priode, la quasi-totalit des titres sont survalus. Le deuxime risque mis en vidence par la NTA est li lincertitude du prix de revente futur 48. Ce risque constitue un argument fondamental car il existe mme si les titres financiers sont parfaitement substituables. Il met en avant le fait quun cart de prix qui est la base de larbitrage peut perdurer voire saggraver. Les erreurs dvaluations peuvent donc affecter de manire durable les marchs et constituer un obstacle larbitrage. Si lon reprend lexemple dun titre survalu, larbitragiste sera conduit vendre dcouvert, cest--dire vendre de manire ferme et dfinitive au prix du jour mais avec une date de livraison diffre des titres quil ne dtient pas encore. Lorsque lanticipation de baisse se ralise avant lchance convenue, larbitragiste achtera ce moment les titres un prix infrieur au prix convenu ralisant ainsi un gain gal la diffrence entre ces prix. Mais si la survaluation des titres se maintient ou saccroit, la diffrence sera ngative et larbitragiste dgagera une perte.

La coexistence sur le march des noise traders et des investisseurs rationnels ne suffit donc pas garantir le retour du prix sa valeur fondamentale. Il faut tirer les consquences de

48

Schleifer et Summers, 1990

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cette affirmation, notamment en termes de rationalit. Lopinion des ignorants devient une variable que doivent prendre en compte les investisseurs rationnels. Un tel agent qui connait non seulement les fondamentaux mais aussi les croyances des noise traders est appel smart money . Keynes avait dj pu exprimer cette ide : les investisseurs professionnels se proccupent, non pas de la valeur vritable dun investissementmais de la valeur que le march, sous linfluence de la psychologie de masse, lui attribuera trois mois ou un an plus tard . Pour illustrer ses propos, Keynes prend lexemple dun investisseur qui value 30 la valeur fondamentale dune action dont le cours actuel est de 25 et croyant que trois mois plus tard le march lvaluerait 20. Constatant que le cours de laction est sous valu, la thorie de lefficience lui conseillerait dacheter cette action lui garantissant ainsi un profit de 5. Mais si lon prend en compte le fait que le march valuera laction 20, alors une meilleure stratgie peut tre adopte. Linvestisseur a plus intrt vendre aujourdhui le titre pour le racheter quand le cours sera tomb 20 sous laction des investisseurs ignorants, puis le revendre lorsque le cours aura atteint 30. Dans cet exemple, la prise en considration de lopinion des noise traders permet dobtenir un profit trois fois plus lev49.

Surtout, une telle conception de la rationalit remet en cause le caractre stabilisateur de larbitrage. Dans le cadre de la thorie de lefficience, lintervention des arbitragistes rationnels allait toujours dans le sens dune diminution de lcart existant entre le prix observ sur le march et la valeur fondamentale. Or lexemple de Keynes montre que les investisseurs rationnels ont intrt stimuler les erreurs dvaluation des noise traders . En vendant ses titres 25 au lieu dacheter, linvestisseur fait naitre une tendance baissire. Il tire avantage du fait que le cours tombe 20, cest--dire scarte plus de la valeur fondamentale. Ce raisonnement dmontrant que la prsence de rationnels est dstabilisatrice a t mis en scne dans le modle de De Long, Schleifer, Summers et Waldmann (1990). Ces auteurs prennent lexemple dun investisseur rationnel qui, confront des positive feedback traders achetant quand le cours monte et vendant quand le cours baisse, avait cette fois intrt faire natre une tendance haussire. Incitant ainsi les chasseurs de tendance acheter massivement, le prix augmente davantage et est encore plus loign de la valeur fondamentale. Cest alors le moment de vendre, juste avant que le prix ne revienne sa valeur fondamentale. Les auteurs concluent que la rationalit des smart money peut conduire un accroissement des

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Linvestisseur fait en effet un profit global de 15 se dcomposant de la manire suivante : un profit de 5 sur la premire opration (25-20) et un profit de 10 sur la seconde (30-20).

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inefficiences. De nombreux spcialistes considrent mme quune telle attitude contribue largement lamorage des bulles.

Un tel modle explique donc dans une certaine mesure la forte volatilit observe sur les cours des actions. Ce dernier modle prsente galement lintrt dintroduire le concept de stratgie irrationnelle des noise traders travers la notion de positive feedback traders . Le deuxime pilier sur lequel sappuie la finance comportementale est en effet lirrationalit des investisseurs.

2. Lirrationalit de linvestisseurLa finance comportementale, dans le prolongement de la NTA, cherche expliquer les anomalies observes sur les marchs en se basant sur ltude des comportements humains. En observant les marchs financiers rels, la finance comportementale apprhende la complexit et lintensit des interdpendances qui lient les investisseurs, ainsi que le rle central quoccupe la communication, quelle soit prive ou publique. Ces dynamiques collectives caractristiques des marchs financiers ne sont pas abordes par la finance classique. Celle-ci identifie en effet le collectif lirrationnel. Le calcul de la valeur fondamentale est bas sur linformation disponible et non sur les rumeurs ou les modes. La finance comportementale remet en cause les capacits cognitives des investisseurs branlant ainsi lhypothse danticipations rationnelles, fondement essentiel de la thorie de lefficience. Les auteurs les plus radicaux considrent quil nexiste pas dagent rationnel. Les investisseurs les plus initis peuvent ne pas tre capables de dterminer avec prcision la valeur fondamentale. Il serait irraliste de considrer que ceux-ci peuvent reprer les inefficiences et interprter correctement les opinons des noise traders .

La majorit des tenants de la finance comportementale ont cependant adopt une vision plus nuance. Ils admettent que coexistent sur le march des noise traders et des investisseurs rationnels. Les anticipations sont donc htrognes. Alors que pour la finance classique les mouvements des investisseurs irrationnels peuvent ou non tre corrls, la finance comportementale pose lhypothse dune corrlation systmatique des irrationalits. Elle conteste largument selon lequel les opinions irrationnelles peuvent tre considres comme 27

des phnomnes purement alatoires dont les effets vont se neutraliser les uns les autres. Pour dmontrer cette hypothse de corrlation des irrationalits, la finance comportementale tudie les diffrentes stratgies auxquelles peuvent avoir recours les investisseurs non rationnels. Tous les arguments invoqus par les comportementalistes sont bass sur des expriences de psychologie en laboratoire qui mettent en vidence une tendance marque commettre les mmes erreurs. Ces comportements sont trs frquents dans la ralit des marchs financiers. Le march nest pas un ensemble dindividus spars et indpendants, mais une communaut fortement interconnecte. La contagion des comportements y joue un rle central.

Les agents non rationnels peuvent par exemple investir en fonction de la stratgie dite dextrapolation des tendances antrieures ou positive feedback trading : les suiveurs de tendance achtent lorsque les prix montent et vendent quand les prix baissent. Cette dynamique permet de comprendre quil puisse tre observ une forte dconnexion entre lvolution des donnes conomiques fondamentales et les variations constates des prix, donnant ainsi naissance une bulle spculative.

La complexit des marchs financiers et la peur de se tromper dans ses choix incitent les investisseurs les moins initis imiter dautres agents. Le mimtisme informationnel consiste pour un individu en copier un autre parce quil lui prte une meilleure connaissance de la situation. Shleifer et Summers (1990) ont entrepris des expriences psychologiques afin de mieux comprendre le caractre irrationnel des comportements. Leurs rsultats sont tonnants. Ils montrent que la plupart des personnes ont tendance ne pas utiliser les informations dont elles disposent pour rpondre aux questions qui leur sont poses, mais plutt se fier aux rponses donnes par les autres. La littrature psychologique et zoologique montre que le mimtisme comme le comportement moutonnier se retrouveraient chez de nombreuses espces animales et seraient mme des traits caractristiques du comportement humain. A lintrieur des groupes, limitation serait mme favorise par le besoin de se conformer aux rgles de la collectivit afin de ne pas tre exclu. Il nest donc pas anormal de retrouver ce type de conduite sur les marchs financiers. Dune manire gnrale, une stratgie dinvestissement peut consister acheter les titres qui ont rcemment progress. Une telle attitude est dnomme effet momentum et rvle la confiance que placent les investisseurs dans le march, et plus particulirement dans sa capacit dtecter les titres qui offriront les meilleurs rendements. Les tudes empiriques ont 28

montr quil existe un effet momentum des prix court terme et un renversement long terme. Cela signifie que les investisseurs sous-ragissent linformation prsente et surragissent linformation passe. Or selon la thorie de lefficience, les rendements futurs ne peuvent pas tre dduits des rendements passs. Le comportement des investisseurs ne semble donc pas correspondre cette hypothse.

Mais ne serait-il pas rationnel de privilgier les mouvements collectifs, au dtriment de linformation prive, sils traduisent une information publique plus pertinente ? Le mimtisme informationnel serait parfaitement rationnel : laction est imite parce quelle est perue comme adquate. Ainsi limitation affecte les investisseurs particuliers qui suivent les prises de position des spcialistes de la finance. Au del de linfluence de telle personne ou de tel organisme reconnu pour la qualit de ses informations et de son expertise, on observe sur les marchs une attention constante aux rumeurs et aux actes dautrui. Les investisseurs ont tendance penser quils dtiennent une information privilgie. Une illustration classique dun tel mimtisme est souvent propose. Un individu A se trouve dans une pice ayant deux portes, lune permettant daccder lair libre, lautre donnant sur une voie sans issue. Soudain le feu se dclare. A ignore quelle est la bonne porte et quelle est la mauvaise porte. Il voit alors un individu B se lever et se diriger vers lune des deux portes. Que doit-il faire ? Ds lors quil suppose que lindividu B possde une information personnelle fiable quant la nature de la bonne porte, et le fait que B se lve sans hsitation permet de le supposer, il est rationnel pour lui dimiter son choix. Agir ainsi relve du mimtisme informationnel. Une telle proposition nest pas toujours recevable. Si un grand nombre dinvestisseurs adoptent un comportement moutonnier, cela donne naissance au phnomne dit de cascade informationnelle . Les prix ne reprsentent plus la confrontation des informations prives des investisseurs, mais une amplification des informations dtenues par les seuls agents qui ont initi ce phnomne. Le mimtisme est donc un comportement inefficient. Une exploitation intressante de la thorie des cascades prsente par Welch (1992) mrite dtre souligne. Les premiers changes affectant un titre tant dterminants pour son volution future, les socits qui sintroduisent en bourse fixent gnralement un prix sous-valu par rapport sa valeur fondamentale. Le mouvement initial va donc rapprocher le prix de cette valeur et engager une tendance haussire.

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Limitation informationnelle se rvle donc ambivalente : elle est rationnelle ds lors que peu dindividus imitent et devient irrationnelle si beaucoup dindividus imitent. Il est rationnel de copier ceux qui en savent plus. Mais limitation dagents qui eux-mmes copient devient irrationnelle. Pour dcrire cette ambivalence, Kindleberger50 affirme que laction de chaque agent est rationnelle, ou laurait t, si les autres ne staient pas comports de la mme manire.

La communication entre les individus contribue homogniser les comportements et favorise donc la corrlation des irrationalits. Les marchs financiers sont avant tout un espace social o les conversations sont omniprsentes. Pound et Shiller (1989) ont observ que la communication directe joue un rle prpondrant dans les dcisions dinvestissement des investisseurs individuels comme des investisseurs institutionnels. Lanalyse du mimtisme informationnel et de son ambivalence permet de rendre intelligibles les dynamiques de suraction. Le droulement des dynamiques spculatives connat deux tapes distinctes. Durant la premire dnomme boom, linvestissement est tempr. Le boom correspond larrive sur le march dinformations positives lies la dcouverte de nouvelles sources de profit. Sous laction des insiders, ayant accs ces informations, on observe une progression des prix. Il ne sagit pas dune bulle puisque cette hausse est la consquence directe de la hausse des valeurs fondamentales. Les agents conomiques agissent donc dune manire rationnelle. Dans la seconde phase rgne leuphorie. Cest le stade o domine la spculation pour la spculation. Les mcanismes damplification par positive feedback trading jouent plein. De nombreux investisseurs sans information spcifique, appels outsiders, prennent alors part au mouvement. Ainsi, les marchs financiers sont un lieu privilgi dinteractions sociales. La finance classique nglige cette approche, alors quelle est la pierre angulaire de la finance comportementale. A partir des hypothses selon lesquelles les investisseurs ne sont pas rationnels et larbitrage est risqu et, en consquence, limit 51, la finance comportementale conclut que le march cesse dtre efficient. Il sagit alors de passer de ltude de lHomo Oeconomicus celle de lHomo Sapiens, qui lui, prsente de nombreux dfauts.

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C. Kindleberger, Manias, Panics and Crashes, John Willey&Sons, 1996. Schleifer et Summers 1990.

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B. La prsentation des principaux biais comportementauxUn ensemble de travaux hors du champ de lconomie, savoir ceux portant sur la psychologie des comportements en situation dincertitude, a permis didentifier les erreurs commises par les investisseurs. Platon et Aristote sont les premiers considrer trois aspects dans la pense humaine : les penses , les sentiments et les dsirs . Cette trilogie est reprise par la psychologie qui distingue les phnomnes affectifs, cognitifs et conatifs. Les phnomnes conatifs ou comportementaux dsignent lensemble des mouvements organiss lextrieur de lorganisme. Ils ne sont donc quune rsultante des phnomnes cognitifs, dfinis comme le processus de collecte et de traitement de linformation, et des phnomnes affectifs. Il conviendra donc deffectuer une typologie des biais comportementaux en distinguant selon quil sagit de biais affectifs (1) ou de biais cognitifs (2).

1. Les biais affectifsDaniel Kahneman et Amos Tversky montrent que le nombre de biais est limit. Malgr cela, les modles thoriques proposs sarticulent gnralement autour dun seul biais de comportement, sans le positionner par rapport aux autres. Les biais affectifs sont prsents dans les processus de collecte et de traitement de linformation. Pourtant, ils sont ngligs par de nombreux auteurs qui consacrent le plus souvent leurs travaux ltude des biais cognitifs. Ceux-ci leur reprochent de ne pas permettre dlaborer des rgles suffisamment gnrales en matire financire. Il ne faudrait pas oublier quun investisseur nest pas un tre froid et que ses motions font partie intgrante de ses dcisions. Les agents sont capables dmettre des jugements et de prendre des dcisions sur la base dimages mentales auxquelles ils associent des sentiments positifs ou ngatifs. Des auteurs52 ont qualifi ce raisonnement d heuristique daffectivit . Appliqu aux dcisions financires, un tel biais implique par exemple que les actions de socits qui jouissent dune image positive (hautes technologies) sont davantage susceptibles dtre achetes que celles des socits ngativement perues (dchets, tabac).

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Finucane, Alhakami, Slovic et Johnson, 2000.

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Si les informations fondamentales font dfaut, linfluence de laffectivit sur lvaluation des actifs sera dautant plus importante.

Les humeurs, qui sont des tats motionnels gnraux, influencent aussi les dcisions financires en biaisant les anticipations. La bonne humeur inciterait les agents se porter acheteur et se tourner vers des titres plus risqus. Un tel comportement, dnomm effet humeur sexplique par le fait quil aura tendance tre davantage optimiste quant lavenir, le conduisant ainsi minorer les risques et majorer le rendement espr.

En se fondant sur les humeurs, les chercheurs en finance comportementale ont pu apporter des rponses certaines des anomalies inconciliables avec la thorie de lefficience, telles que les anomalies calendaires et les anomalies mtorologiques. Les rendements plus forts observs le vendredi soir sur les marchs seraient dus la perspective rjouissante du week-end. Au contraire, la faible rentabilit des actions observes le lundi matin traduirait un accs dhumeur ngative lie au retour de la semaine de travail. Selon une approche comportementale, les anomalies mtorologiques seraient dues au fait que les agents sont influencs par la qualit de lenvironnement dans lequel ils voluent, et notamment par lensoleillement53. Egalement la bonne humeur favorise une valuation positive des rendements passs. Les jours de beau temps, les agents auraient ainsi davantage tendance acheter des titres. Les biais affectifs peuvent aussi tre lis des croyances. Le biais doptimisme conduit les agents privilgier un scnario favorable plutt quune issue plus sombre. Une tude mene par Benartzi, Kahneman et Thaler (1999) sur la base dun questionnaire remplir par internet a montr que les actionnaires sont toujours plus enclins prdire la hausse du march des actions que les dtenteurs dobligations. Elle montre galement que les investisseurs passent beaucoup plus de temps rflchir au gain potentiel qu la perte potentielle. Egalement fond sur la croyance, lexcs de confiance est le biais affectif qui a t le plus trait. Selon De Bondt et Thaler, il sagit de la dcouverte la plus importante dans le domaine de la psychologie dcisionnelle. Un investisseur parfaitement rationnel a un niveau de confiance pour une srie dvnements donne correspondant leur probabilit moyenne de

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Rind 1996

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ralisation. Sur les marchs financiers, la prvision est difficile, ce qui favorise ces phnomnes dexcs de confiance. Un tel excs peut influencer le comportement des investisseurs de deux manires. Tout dabord un agent en situation dexcs de confiance va surestimer la prcision de linformation quil va lui-mme collecter et donc accorder une importance trop grande cette information. La surestimation de la prcision de ses connaissances est un phnomne observable chez presque tous les professionnels : chirurgiens, ingnieurs, juristes ou encore banquiers daffaires sont tous sujets lexcs de confiance. Ce qui est tonnant est que cette surestimation concerne surtout leurs rponses des questions dun niveau de difficult allant de modr lev. Ainsi plus la question est facile, moins ils sont srs deux, alors que la probabilit de donner une bonne rponse est plus leve. Ensuite, lexcs de confiance (over-confidence bias) conduit lagent surestimer les informations qui confortent les dcisions quil a prises. Au contraire, celui-ci va avoir tendance occulter les informations qui ne lui sont pas favorables. Lexistence de lexcs de confiance a t dmontre de faon exprimentale, notamment travers la clbre tude de Svenson (1981), qui rapporte que la majorit des automobilistes interrogs affirment conduire mieux que la moyenne . Un investisseur faisant preuve dexcs de confiance surestime ses capacits personnelles ou sa bonne fortune. Croyant comprendre le march , les agents soumis ce biais ont tendance vouloir grer eux-mmes leur portefeuille et le grer activement. Il peut en rsulter une sous-diversification, et une multiplication des prises de positions, qui peuvent se rvler en outre injustifies. Lexcs de confiance permet donc dexpliquer le volume important dchanges effectus sur le march, alors quen application de la thorie de lefficience, le volume dchange des titres individuel est trs faible. Lexcs de confiance affecte galement les valeurs de rendement. Les investisseurs trop confiants achtent des titres survalus et semblent ignorer les titres rputs les moins performants et par consquent moins bien valoriss. On remarque quil est possible de tirer profit dune telle situation en achetant des titres de bonne qualit sous-valus. Diffrents biais montrent quun investisseur peut tre enclin rester dans cet tat dexcs de confiance. Cest le cas du biais de confirmation qui nincite qu se remmorer les vnements positifs pour soi. Egalement, des tudes ont montr que le biais dauto-attribution, qui fait croire que ses russites sont personnelles mais que ses checs sont dus des vnements extrieurs, tait plus marqu chez lhomme que chez la femme. 33

Les erreurs affectives incluent galement les biais inconscients dus aux multiples prjugs favorables ou dfavorables la race, au sexe, la classe sociale, ou la beaut. Alors que lexcs de confiance insiste sur les possibilits de gains, laversion aux pertes met la lumire sur le risque de perte. La peur de dgager des pertes, appele aversion aux pertes, a une influence variable sur le comportement des investisseurs face au risque. Si des investissements ont donn lieu un gain latent, alors les agents se montrent prudents et prfrent souvent raliser rapidement ce gain. Au contraire si les investisseurs sont en pertes, ils prfrent attendre en esprant le retour lquilibre. De telles tendances correspondent leffet de disposition selon lequel il est bien plus douloureux dtre en pertes quil nest rjouissant de dgager un gain latent. Il en rsulte que les investisseurs conservent plus longtemps leurs titres en pertes que leurs titres en gains. Ce biais a des consquences dfavorables sur les performances. Souvent, les titres perdants conservs sous-performent les titres en gain vendus. Locke et Mann (2004) montrent ainsi que les traders qui ont les meilleures performances sont ceux qui conservent le moins longtemps leurs positions en pertes. Dans le cas particulier de titres en gains qui auraient vu leur cours diminuer rcemment, linvestisseur est rticent les vendre en raison de son aversion au regret. Celui-ci est donc concern par le niveau de sa richesse mais aussi par le fait que ce niveau aurait pu tre suprieur sil avait pris une autre dcision.

Les biais affectifs ont une influence non ngligeable sur le processus de prise de dcision des investisseurs. Si certaines erreurs motionnelles ne sont pas plus dveloppes par la littrature financire, cest notamment parce que celle-ci est longtemps reste domine par la thorie financire classique qui exclut toute composante motionnelle. Cest aussi parce que les auteurs de la finance comportementale ont prfr sintresser aux biais cognitifs, lesquels se prteraient mieux llaboration de principes gnraux.

2. Les biais cognitifsLe systme cognitif humain peut tre dfini comme un systme de traitement de linformation actif, en ce sens quil manipule linformation travers plusieurs processus cognitifs tels que lencodage, le stockage, ou la rcupration. Les erreurs cognitives sont susceptibles de se 34

produire au cours de ce processus et prsentent donc lintrt dtre relatifs linformation. Ltude des quatre diffrentes tapes du processus de traitement de linformation permettra de comprendre les consquences que peuvent avoir ces phnomnes cognitifs sur la formation des prix sur les marchs financiers. Ltude des erreurs pouvant affecter le processus de traitement de linformation entre dans le champ de la psychologie cognitive. Quatre principales tapes de ce processus ont pu tre identifies. Face un stimulus telle une information, lindividu opre un traitement primaire, en lui donnant une signification de manire consciente ou inconsciente : ce sont les deux premires tapes danalyse du contexte environnemental et de signification informative des stimuli. Ensuite, sopre un tri en fonction des processus de mmorisation passs et de lintensit de linformation. Seffectue alors une remmoration des informations pertinentes. Enfin, seule linformation juge pertinente est prise en compte dans le raisonnement et la prise de dcision qui constituent ainsi la dernire tape du processus de traitement de linformation. Tout dabord il existe des biais relatifs la signification informative des donnes reues. La perception est le phnomne psychologique qui nous relie au monde par lintermdiaire de nos sens. Cest la base du traitement de linformation. Percevoir est la fois une activit psychologique de slection, dorganisation de linformation et de construction de significations. A ce premier stade du traitement mental, linformation brute reoit donc une signification. La signification la plus simple possible est laffectation dun critre dichotomique tel hausse, baisse, bonne ou mauvaise nouvelle. Les biais possibles cette tape sont essentiellement des erreurs dinterprtation et de comprhension. Bien quil sagisse de biais cognitifs, ces erreurs sont dues une mauvaise signification de linformation brute. Une telle situation est difficilement gnralisable et donc transposable en finance. Dans la seconde tape du processus de traitement de linformation peuvent apparatre des biais relatifs llimination de linformation non pertinente. Lhypothse de rationalit suppose que les agents conomiques prennent en compte lensemble des informations pertinentes disponibles. Le biais de dissonance cognitive (cognitive dissonance) peut conduire lindividu au rejet de certaines donnes pourtant indispensables aux tapes ultrieures de raisonnement et de dcision. La dissonance cognitive peut tre dfinie comme llimination partielle ou totale dinformations pertinentes mais contraires aux croyances de lindividu. Ce

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biais affecte les phnomnes cognitifs ultrieurs ce qui peut provoquer des erreurs de raisonnement.

La troisime tape de mmorisation et de rcupration des donnes reues est galement susceptible de faire lobjet de certains biais. Sagissant de la mmorisation, le biais derreur rtroactive (hindsight bias) indique que les croyances antrieures sont partiellement cartes du processus de traitement de linformation et remplaces par des croyances bases sur les informations rcemment acquises. Le biais de disponibilit (availability bias) est lui relatif la rcupration des informations mmorises. Il reprend le principe gnral par lequel les individus valuent la probabilit associe un vnement en fonction de la facilit avec laquelle des exemples de cet vnement lui viennent lesprit. Kahneman et Tversky (1974) ont par exemple demand 152 individus anglophones de dire sil y a plus de mots commenant pas un K ou ayant un K en troisime position. 105 individus ont affirm que les mots commenant par K taient les plus nombreux, alors quen ralit il y en a deux fois plus qui possdent un K