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GARE AUX COUPS
DE SOLEIL !
Jean-François FLEURY
Tél : 06 29 36 02 77
Adresse : La Fortinerie – 15, Epaville
50340 LES PIEUX
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A HugoMon fils, ma fierté.
Hugo le guerrierParce qu’il n’est qu’un seul combat :
Le combat pour la vie !
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Avant-propos
Le 4 Novembre 2015, nous avons appris la rechute de notre fils Hugo. Après sept
ans et demi de rémission, il était difficile d’y croire. Les médecins nous ont dit que
c’était exceptionnel. Hugo a répondu qu’il n’aspirait qu’à une vie ordinaire.
Le parcours dans les mois qui ont suivi cette terrible annonce s’est avéré long et
douloureux. Hugo s’est battu de toutes ses forces, faisant preuve de ressources assez
étonnantes. Le traitement lourd qu’il a reçu l’a parfois mis à plat, avec de nombreux
effets secondaires.
Nous, ses parents qui l’avons accompagné à chaque instant, avons traversé des
moments de doute, d’angoisse et de peur.
Aujourd’hui, Hugo est en rémission et a pu reprendre la vie (presque) normale
d’un garçon de douze ans.
Dans ce récit, nous racontons les huit mois du traitement lourd qui nous ont
conduits dans un monde parallèle, nous éloignant quelque peu de notre entourage et
de nos activités habituelles.
Mais nous souhaitons avant tout dédier ces quelques pages à tous ceux qui nous
ont soutenus, réconfortés et rassurés. Nous voulons surtout remercier Odile, en
premier lieu, ainsi que l’équipe médicale et l’équipe soignante du service onco-
hématologie pédiatrique du CHU de Caen qui se sont montrées attentives, patientes
et toujours à notre écoute . Ces personnes dévouées et passionnées ont donné à Hugo
la force de se battre et l’énergie pour garder l’espoir.
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Et puis nos pensées se tournent toujours vers Edith, notre médecin généraliste qui,
soucieuse de ne rien négliger, a su anticiper les examens et est en permanence restée
proche de notre fils depuis le début de son traitement. Edith a toujours su nous
expliquer les choses simplement et nous a permis d’adopter une attitude plus
positive. La famille et les amis ont également été présents ; leur soutien, leur
réconfort, leur attention nous ont aidés à surmonter cette épreuve.
Pour toutes ces raisons, nous avons voulu rédiger ce cahier de bord avec les
anecdotes, les rencontres, les surprises et les rires de cette période si particulière.
Cette trace écrite est avant tout destinée à Hugo, pour que le traumatisme vécu,
délibérément couché sur le papier, libère son subconscient et ne demeure pas enfoui
durant toute une vie. Tout ce que nous avons partagé et apprécié, redouté et affronté
est rassemblé dans ce livre qui restera le récit d’une drôle de tranche de vie d’un
bonhomme de onze ans qui, aujourd’hui, a retrouvé le sourire.
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Août 2016 : les vraies vacances
Maman me tartine le visage et le corps d’écran total. Ça m’énerve un peu mais je
ne bronche pas. Elle étale délicatement la lotion solaire sur ma peau, protégeant avec
soin l’énorme cicatrice de mon dos.
On a roulé toute la nuit et une partie de la journée aussi, pour traverser la France
de haut en bas, depuis la Normandie, jusqu’à ce qu’on trouve le soleil.
En cette fin d’après-midi, nous sommes enfin arrivés. La plage est noire de
monde. Le sable chaud sous mes pieds me donne des fourmis dans les jambes. Je n’ai
qu’une idée en tête : me frayer un chemin au milieu de tous ces corps immobiles ou
assoupis sur leurs serviettes, pour piquer une tête dans cette belle mer bleue et lisse
qui semble m’inviter.
Mais maman ne me lâche pas. Elle me tient solidement le bras et pas un seul
endroit de ma peau n’échappe à son inspection méticuleuse. Le corps entièrement
recouvert de crème blanche, je me sens aussi à l’aise qu’un bonhomme de neige au
pays des cocotiers.
Malgré tout, je ressens un sentiment de liberté comme jamais. Je regarde autour de
moi et tout ce que je vois me semble incroyablement beau. Je me sens bien dans cet
environnement et je me rends compte qu’au fond de moi, j’avais tout oublié, un peu
comme si j’avais renoncé. Quelque chose en moi s’était cassé ; le temps est venu de
recoller les morceaux et repartir de l’avant.
L’appel de la mer se fait pressant.
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« Lève la tête, Hugo.
— Bon, maman ; ça suffit peut-être, là…
— Lève un peu la tête, que je protège ton cou. C’est pas le moment d’attraper
un coup de soleil.
— C’est si grave que ça, un coup de soleil ?
— Mieux vaut être prudents. Il ne s’agit pas de courir le risque que tu déclares
un cancer de la peau. »
Evidemment. Ce serait ballot, un cancer de la peau. Surtout après l’année que je
viens de passer.
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Septembre 2015 : la rentrée
Mardi 2 Septembre ; le début d’une nouvelle vie.
Quand la sonnerie du réveil se fait entendre, je ne traîne pas au lit pour une fois.
Aujourd’hui, n’est pas un jour ordinaire : je vais faire ma première rentrée au
collège. C’est une nouvelle page qui s’ouvre et je suis impatient de la découvrir.
J’enfile en toute hâte mon Levi Strauss tout neuf, un sweat bleu à fermeture Eclair
et ma nouvelle paire de Van’s.
Fidèle à mes habitudes, je me plante devant la télévision, savourant mes derniers
instants de liberté en compagnie de Bob l’éponge, un fidèle ami de longue date. Je
dois le reconnaître, j’ai tendance à être du genre casanier. J’apprécie la compagnie de
la télévision et je peux rester planté devant l’écran très longtemps. Bien sûr, j’aime
aller au cinéma, surtout pour voir un Marvel. Sinon, je passe aussi pas mal de temps
à jouer à la console ; je suis accroc. Mes parents tiennent à ce que je sorte pour faire
des activités et rencontrer des copains. Je pratique la natation et je joue au tennis de
façon régulière mais je ne suis pas addict au point de regarder un match sur le petit
écran. Et sinon, depuis trois ans, lorsque le solfège m’a convaincu d’arrêter les cours
de batterie, j’apprends la guitare avec Mimile.
Maman est professeure des écoles. Elle part tôt pour accueillir ses élèves de
grande section dans sa nouvelle école. Pour elle aussi, c’est le début d’une nouvelle
histoire puisqu’elle change d’école et quitte le cycle 3 où elle avait passé tant
d’années .
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Papa lui, a commencé une reconversion professionnelle après avoir perdu son
travail il y a déjà plusieurs mois. Il a commencé une formation au mois de Mai et il
part régulièrement à Caen pour suivre ses cours. C’est loin Caen, du moins je trouve ;
à plus de cent vingt kilomètres de notre maison.
Du coup, c’est mamie qui m’emmène au collège. Mamie, elle n’est pas du genre à
être en retard. Ça me rassure un peu parce que je n’ai pas envie d’arriver le dernier,
comme avec papa qui lui, a du mal à être ponctuel. Il faut dire que j’ai passé mes
années de primaire dans une autre circonscription et que je ne connais pas grand
monde au collège. Alors, j’aimerais autant arriver tôt pour pouvoir prendre mes
marques.
Mamie, c’est l’impératrice du dérapage, la reine de l’asphalte. Le collège se
trouve à peine à deux kilomètres de la maison et il nous faut tout juste un quart
d’heure pour y arriver. Mamie trouve une place libre, sans aucun créneau improbable
à faire (ouf !) à huit cents mètres du collège. Sac sur le dos et mamie à mes basques,
je prends mon courage à deux mains pour cette longue marche matinale.
Dans le hall, je retrouve mon copain Nathan, en compagnie de son père qui, lui, a
un vrai métier et n’est pas obligé de partir en formation dans un autre département.
J’aperçois également quelques têtes connues, des gars que j’ai côtoyés au tennis ou à
la piscine.
Bien vite, les choses sérieuses se mettent en route. L’appel des élèves ne me dit
rien qui vaille. Nathan n’est pas dans la même classe que moi ; je vais devoir me
trouver d’autres copains.
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Cette première journée au collège donne le ton de ce qui nous attend. On nous
submerge de papiers, d’informations en tout genre, de consignes et de conseils qu’on
n’a même pas le temps de comprendre avant de les retenir.
Le soir, à la maison, je montre à maman les documents qu’elle doit lire et signer.
Les questions qu’elle me pose au sujet du déroulement de ma journée, de mon
emploi du temps ou du nom de mes profs m’obligent déjà à fournir des efforts de
mémoire. Du coup, j’en arrive même à me demander si par hasard je n’aurais pas
oublié une information importante à lui transmettre… Je dois le reconnaître, il
m’arrive d’être un peu étourdi. Du coup, je pars me coucher en me rassurant à l’idée
que la nuit porte conseil.
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Le poids des maux
Le début d’année ne se passe pas si mal finalement. Je réussis à éviter les premiers
obstacles avec brio. Je me surprends même à ne pas me tromper de salle de classe
durant la première semaine.
Mais la vie d’un collégien n’est pas de tout repos. Les pièges sont présents aux
quatre coins de l’établissement et il faut être sur ses gardes en permanence. Le
moindre relâchement peut être fatal et je l’apprends bien vite à mes dépens. Il ne me
faut guère plus d’une semaine pour enfermer mon cartable dans mon casier, oubliant
la clé à l’intérieur. Au retour de deux heures de sport, il ne me reste plus qu’à me
présenter en cours les mains dans les poches.
Mon autre erreur préjudiciable est de ne pas avoir demandé de précisions à propos
de la première heure de cours du mercredi matin. « Vie de classe» est écrit sur mon
emploi du temps. Comme je ne sais absolument pas de quoi il retourne au juste, je
finis par me convaincre que je serai convoqué lorsque mon tour sera venu. Grave
erreur de ma part puisque le professeur principal relève une absence non justifiée.
Cette négligence me vaut un premier rappel à l’ordre, sans conséquence toutefois.
Le 16 Septembre, j’ai droit à mon premier avertissement dans le cahier de liaison.
Le prof de maths n’a pas voulu entendre mes explications au sujet d’un travail non
fait !
Ces péripéties font partie de la vie de tout collégien. C’est en tout cas ce que je
pense. En revanche, quelques jours plus tard, je suis victime d’un autre incident que
j’aurais préféré éviter. Je suis dans le couloir, pendant l’intercours, et je me dirige
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tranquillement vers la salle d’anglais. Tout à coup, deux pimbèches de quatrième
arrivent en sens inverse. Elles parlent un peu trop fort et rigolent de façon exagérée.
En arrivant à ma hauteur, l’une des deux me bouscule involontairement, sans
même prendre le temps de se retourner. Je suis surpris et je n’oppose aucune
résistance. La collision n’a pas été d’une grande violence ; pourtant, je me retrouve
les quatre fers en l’air contre le mur. Pire, j’éprouve les plus grandes difficultés à me
remettre debout. Un « grand » qui passe par là – un troisième, si j’en juge à ses
nombreux boutons sur le front et le nez – se plante devant moi.
« Ça va mon gars ?
— Oui, oui, ça va » je réponds l’air de rien, soulagé de voir le gaillard
s’éloigner.
La journée se termine cahin caha, mais cette histoire me trotte dans la tête. Mes
super pouvoirs m’auraient-ils abandonné ? Dire qu’à l’âge de deux ans, je me prenais
pour Spiderman. J’avais même été tout près de réussir à m’envoler un jour où, sous
le regard médusé de mes parents, j’avais tenté le grand saut depuis la cinquième
marche de l’escalier de notre maison !
Le soir venu, je me confie à mon père qui écoute attentivement mon récit. Je
remarque toutefois qu’il s’étonne de la chute !
« Ben alors, fils ; qu’est-ce que tu me chantes là ? T’es un costaud, toi. Tu ne vas
quand même pas te laisser marcher sur les pieds. Il faut faire ta place, te faire
respecter comme les autres. »
Qu’est-ce qu’il croit, mon paternel ; que je le fais exprès ? Je ne suis pas sûr qu’il
ait bien compris ce que je voulais lui dire…
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Je me rends compte, jour après jour, que je ne suis pas dans une forme physique
olympique. Des douleurs intermittentes dans le dos m’empêchent de profiter de ce
début d’année. L’entrée au collège, c’est une aventure. Et j’ai l’impression qu’elle est
un peu gâchée. Bien sûr, il y a des moments où je me sens en forme, mais pas une
journée ne se déroule sans que j’aie mal, à un moment ou un autre.
Et puis il y a mon cartable. Il pèse au moins une tonne. Au terme d’une journée de
cours, je n’ai plus la force de le porter. Un comble !
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Le cross du collège
Ce début d’année n’est pas catastrophique, loin de là. Je prends mes marques
tranquillement et je m’intègre assez vite à ma nouvelle classe.
Les premières notes arrivent et je n’ai pas à en rougir. La sixième,
finalement,c’est beaucoup de stress alors qu’il s’agit surtout d’une année de
transition essentiellement consacrée aux révisions. Le plus difficile, c’est de
s’adapter à une nouvelle organisation, dans un autre environnement. Je suis plutôt du
genre étourdi et je sais que je dois faire des efforts si je ne veux pas me perdre en
route.
Ce qui me tracasse le plus, c’est ce fichu mal de dos qui ne passe pas. Je n’ai pas
mal en permanence, mais les douleurs sont violentes. Certains cours d’éducation
physique m’obligent à serrer les dents. Mais, comme le conseille le proverbe : je
prends mon mal en patience.
Quand mamie vient me récupérer à la sortie du collège, elle accepte de porter mon
cartable. Mais papa, lui, ne l’entend pas de cette oreille. Il faut dire que j’évoque le
poids de mon sac plutôt que mes douleurs et papa souhaite que je me montre
autonome.
Parfois, en cours, j’ai du mal à rester assis. Je profite du moindre moment où les
profs nous tournent le dos, quand ils écrivent au tableau, pour me mettre debout et
me détendre un peu. Ça fait du bien, même si ça ne dure pas longtemps.
A la fin du mois de Septembre, les choses sont loin de s’arranger. Les douleurs me
réveillent la nuit. Dès que je reste trop longtemps dans la même position, ça devient
vite insupportable. Mes parents se demandent ce qui m’arrive et pensent qu’il y a
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peut-être autre chose. Ils en arrivent à la conclusion que je passe trop de temps sur
ma console de jeux et que ça perturbe mon sommeil. Du coup, je n’ose pas leur dire
comment se passent mes journées au collège.
Comme je souffre beaucoup, Maman m’emmène chez Edith ; c’est notre médecin
de famille. Elle me connait bien parce qu’elle me suit depuis que j’ai trois ans et
demi. La première fois que je suis allé dans son cabinet, j’étais soigné à l’hôpital de
Caen pour une leucémie. C’est la pire chose qui me soit arrivée : six mois de
traitement lourd et dix-huit mois de traitement d’entretien pour venir à bout de ce
cancer du sang.
Edith me prescrit des anti inflammatoires pour quelques jours et nous invite à
reprendre un rendez-vous si les douleurs persistent. Et elles persistent ! Alors, au
deuxième rendez-vous, elle nous rédige une prescription pour que j’aille passer une
radiographie.
La veille des vacances de Toussaint, c’est le traditionnel cross du collège. Toutes
les classes participent et certains élèves invitent parents ou amis à se joindre à la fête.
Moi, l’endurance, c’est vraiment pas mon truc et je ne m’attends pas à réaliser un
exploit.
Mais ce que je vais vivre est bien pire que tout ce que j’avais pu redouter. Un
cauchemar absolu. A côté de moi, Greg Heffley (Journal d’un dégonflé)
ressemblerait presque à un héros indestructible, capable de faire mordre la poussière
à Batman et Superman réunis.
Un an plus tôt, j’avais participé aux foulées organisées par un quotidien local.
Nous étions nombreux sur la ligne de départ et je m’en étais sorti avec les
honneurs.Une accélération dans les cent derniers mètres m’avait même permis de
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terminer honorablement en milieu de classement. J’en étais sorti perclus de
courbatures mais assez fier de moi quand même.
Hélas ! Le cross du collège ne se déroule pas du tout de la même manière. Dès les
premières foulées, je ne me sens pas dans mon assiette. J’ai l’impression de tirer une
remorque derrière moi, ce qui, je l’avoue, me ralentit quelque peu. La douleur ne me
lâche pas un seul instant. Je cours, si on peut appeler ça courir tellement j’avance
lentement, plié en deux. J’ai pratiquement le menton sur les genoux. Pour tout dire,
j’ai un peu le style du capitaine Haddock victime d’une insolation en plein désert !
Finalement, je réussis à éviter la dernière place par un heureux concours de
circonstances. Certes, je dois reconnaître que, tout à fait involontairement, j’ai un peu
coupé les derniers cent mètres avant l’arrivée. Quand je m’en aperçois, je n’ai plus la
force de rebrousser chemin. Mais il y a deux garçons derrière moi et ce n’est pas
rien. Le premier a dû faire face à une crise d’asthme au beau milieu de la course.
Quant à l’autre, il m’aurait devancé s’il n’avait pas été déclassé pour avoir oublié son
dossard. Je ne suis donc pas le seul étourdi du collège !
Une fois l’épreuve terminée, je reste digne. Je sais combien ça a été compliqué
pour moi mais je ne me réfugie pas derrière ce prétexte. Je préfère me réjouir d’être
parvenu à boucler le parcours.
Et puis je sais que les vacances se profilent ; je vais pouvoir me reposer et repartir
du bon pied.
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Drôles de vacances
Une semaine après avoir fêté mon anniversaire avec mes copains, je suis en
vacances. La vie devrait être belle. Pourtant, les choses ne se passent pas vraiment
comme je l’avais espéré. J’invite Nathan à venir jouer à la maison. Et puis j’invite
aussi Malo, un copain de l’école primaire qui, à présent, n’est pas dans mon collège.
Je m’amuse, je joue, je prends du bon temps. Mais mon dos me fait toujours aussi
mal, ce qui me contrarie vraiment. Et la douleur continue à me réveiller la nuit.
Pourtant, la radio que j’ai passée entre temps n’a rien révélé d’anormal.
Au début de la deuxième semaine, je vais passer la journée chez Malo. J’aime
bien aller chez Malo. Ses parents exploitent une ferme. Il y a une grande cour, des tas
d’étables pour jouer ou se cacher et plein de champs autour. Et puis j’adore sa
chambre ! Il y a des surprises dans tous les coins. Il empile ses jeux ou ses livres
d’une façon très particulière. C’est comme un bazar organisé ; les tapis de
gymnastique entreposés sur le plancher sont recouverts de boîtes et de cartons qui
regorgent d’objets en tous genres. Malo sait où se trouve chaque chose. Moi, si je
fais comme lui, je ne retrouverai plus rien.
Il fait beau quand je vais chez Malo ce jour-là. Alors, on passe du temps dehors.
En milieu d’après-midi, on accompagne ses parents dans les champs. On marche
beaucoup…et la douleur devient insupportable. Je préfère rentrer à la maison plus tôt
que prévu pour m’allonger un peu.
Maman m’emmène de nouveau au cabinet médical. Edith pense qu’il faut que je
passe une IRM pour enfin trouver la cause de mes ennuis. Elle ajoute qu’elle n’aime
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pas ces douleurs nocturnes qui me réveillent toutes les nuits. Je souffre le martyre ;
maman et papa commencent à être vraiment inquiets.
Le 27 Octobre, en début de soirée, alors qu’il reste encore presque une semaine de
vacances, mes parents m’accompagnent aux urgences pédiatriques de l’hôpital de
Cherbourg. C’est moi qui l’ai demandé ; je ne mets plus un pied devant l’autre. La
douleur est si forte qu’aucune position ne m’est confortable. A présent, j’ai mal en
permanence.
Il est déjà tard quand on arrive aux Urgences. Les médecins sont partis et c’est
une jeune interne qui m’accueille et m’ausculte. Finalement, elle décide de me garder
pour la nuit, ce qui va permettre de me donner des médicaments plus puissants pour
me soulager. Maman reste près de moi. Papa, lui, repart à la maison. Il est en stage
en entreprise et cette semaine, il anime des séances qu’il devra présenter au jury lors
son examen final, en Janvier.
Le lendemain matin, les choses prennent une drôle de tournure. Alors qu’on
s’attend à ce que l’IRM demandée soit avancée pour nous apporter une réponse, on
m’envoie finalement passer une scintigraphie. L’examen est réalisé à la Polyclinique
du Cotentin et je pars en ambulance avec maman. L’un comme l’autre, on n’en mène
pas large. J’ignore ce qu’est une scintigraphie et je demande des explications. On
m’explique vaguement que c’est un examen qui permet d’étudier le squelette. Même
si on ne me le dit pas ouvertement, je ne peux m’empêcher de penser que les
médecins suspectent un cancer des os.
La scintigraphie est l’un des pires moments que je dois affronter, dans cette
période où les épreuves ne manquent pourtant pas. Il me semble que l’examen dure
une éternité. Non seulement on m’installe dans des positions qui sont insoutenables
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pour moi, mais en plus, on me demande de ne pas bouger. C’est l’horreur. Une
horreur qui n’en finit pas. Et lorsque le calvaire est enfin terminé, on m’abandonne à
mon triste sort. Je regagne seul le couloir et je sens mes dernières forces
m’abandonner. Sans doute me serais-je évanoui si mes parents n’étaient pas venus à
ma rencontre, pour m’aider à regagner la salle d’attente.
Quelques minutes plus tard, un spécialiste en blouse blanche, arborant un air
sérieux de circonstance, nous invite dans son bureau pour délivrer ses conclusions. Il
nous informe que mon squelette tout entier a été décortiqué et qu’il n’a rien remarqué
d’anormal. Il insiste lourdement sur le fait qu’il n’y a rien d’anormal sur mon
squelette. Le message est clair : ne vous réjouissez pas trop vite ; il faut chercher
ailleurs !
Effectivement, nous n’avons pas le temps de nous réjouir. Sitôt revenus à l’hôpital
Pasteur, la pédiatre vient nous informer que le CHU de Caen a été contacté et un
rendez-vous est fixé au lendemain matin pour un myélogramme.
« Au vu des antécédents d’Hugo, on ne peut écarter aucune hypothèse. Il ne faut
rien négliger », conclut le médecin avant de refermer la porte derrière elle.
Le lendemain matin, à l’heure convenue, accompagné par mes parents, je me
présente au service onco-hématologie du CHU. Le nom ne laisse pas de marbre
quand on sait que l’oncologie étudie, diagnostique et traite les cancers, tandis que
l’hématologie est l’étude du sang et de ses différentes pathologies. J’y prête sans
doute moins attention vu que j’ai été soigné dans ce service (dans l’ancien hôpital à
l’époque) durant deux ans et demi.
C’est Odile qui nous accueille. Odile est chef du service onco-hématologique. Elle
m’a soigné quand j’avais trois ans et demi d’une leucémie aiguë lymphoblastique. Et
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depuis, c’est elle qui m’accompagne pendant le traitement de suivi. Elle se montre
étonnée de ma présence. Elle voit que je souffre le martyre et aussitôt souhaite qu’on
me soulage. Et, puisqu’une IRM est programmée, elle souhaite retarder le
myélogramme, un examen relativement douloureux, puisqu’on ignore encore s’il est
indispensable.
Je ne suis pas mécontent d’échapper au myélogramme car c’est un examen qui ne
fait pas vraiment plaisir. Il s’agit de prélever un échantillon de moelle osseuse dans
l’os de la hanche, pour déceler d’éventuelles maladies.
Nous sommes venus avec notre véhicule personnel. Donc, avant de regagner
l’hôpital de Cherbourg où je suis attendu, nous nous accordons un moment de
détente : nous mangeons au Mc Do. Je ne suis pas sûr que mes parents partagent mon
goût pour les hamburgers, mais je sais qu’ils apprécient ce petit moment en famille.
Les médicaments me soulagent un peu mais je me garde bien de faire des folies.
La fin de journée se déroule sans encombres, un semblant de soupçon de moral
finissant par apparaître.
Le lendemain matin, vendredi, je passe une IRM. L’examen est certes moins
douloureux que la scintigraphie mais, vu mon état général, il n’a rien d’une partie de
plaisir. Quand je sors de la salle d’examen, j’ai le plaisir de voir Edith, notre médecin
traitant qui, bien qu’en vacances, a tenu à me soutenir et prendre de mes nouvelles.
Le midi, nous patientons dans ma chambre en attendant les résultats qui tardent à
venir. J’ai hâte d’en savoir un peu plus ; j’ai envie qu’on trouve l’origine de cette
douleur et qu’on puisse me soulager pour de bon.
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C’est en début d’après-midi que les médecins demandent à rencontrer mes
parents ; l’IRM a été interprétée. Je me retrouve seul avec Mamie, en train
d’imaginer ce qui se dit dans le bureau. J’ai envie d’être fixé, mais en même temps,
je ne suis pas vraiment serein. J’ai très peur en fait, j’imagine les pires scénarios. Je
ne pose aucune question à Mamie car je sais qu’elle pense la même chose que moi.
Quand papa et maman reviennent, je comprends très vite que les nouvelles
ne sont pas bonnes. Papa et maman affichent une triste mine. Je les regarde, sans dire
un mot. Et le verdict tombe. Brutal. Sans avertissement.
« Les médecins ont repéré une lésion, collée à ta moelle épinière. Pour l’instant,
on ne sait pas ce que c’est. Mais on doit partir immédiatement au CHU en
ambulance. Odile et son équipe t’attendent. »
Tandis que maman prépare mes affaires, en attendant les ambulanciers, j’attrape
mon portable. J’ai besoin d’appeler mon copain Nathan. Je veux lui annoncer la
nouvelle. Nathan décroche.
« Nath ! C’est Hugo. En fait, j’ai une tache sur la colonne vertébrale. Je dois
partir à Caen… Je crois qu’on n’est pas prêts de se revoir. »
Je suis bien incapable d’articuler autre chose. Je ne peux pas retenir mes larmes
plus longtemps. Je raccroche précipitamment et je m’effondre.
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CHU, me (re)voilà
Le Centre Hospitalier Universitaire de Caen, je connais. En Juin 2008, alors que
j’avais seulement trois ans et demi, j’ai été soigné pour une leucémie aiguë
lymphoblastique T hyperleucocytaire avec envahissement méningé. Rien que le nom
fait froid dans le dos (Ah, ce dos décidément !).
Le traitement, débuté le 24 Juin 2008, a duré deux ans. A présent, j’en suis à sept
ans et demi de rémission. Et puisque la durée de la rémission est estimée à cinq ans,
je suis donc considéré guéri, même si Odile me reçoit régulièrement en consultation.
Mon dernier rendez-vous avec elle remonte au 29 Avril et à l’époque j’avais évoqué
des douleurs, prédominant le matin et cédant dans la journée puis changeant de
localisation le lendemain. A l’issue de cette consultation, Odile avait souhaité me
revoir un an plus tard. Je reviens donc plus tôt que prévu.
A l’époque où j’étais soigné pour cette leucémie, le service d’onco-hématologie
pédiatrique était situé dans l’ancien bâtiment qu’on appelle « la tour ». Aujourd’hui,
il se trouve dans le nouvel hôpital, au premier étage. J’y suis déjà venu pour des
soins, il y a longtemps, à l’occasion de ma dernière cure. Je reconnais bien vite les
longs couloirs au sol et aux murs peints en rouge.
L’équipe médicale a un peu changé. Odile, chef de service, est toujours présente
ainsi que Damien que j’avais croisé une fois ou deux. En revanche, je ne connaissais
pas Marianna, l’autre médecin.
En ce qui concerne l’équipe soignante, il en est de même. Certaines infirmières et
aide-soignantes se souviennent de moi mais il y a quand même beaucoup de
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nouvelles têtes. Et puis bien sûr, je fais connaissance avec les externes et les
internes.
J’arrive à l’hôpital le vendredi 30 Octobre, en fin d’après-midi. Aussitôt, je suis
rassuré par la présence d’Odile. Elle vient m’ausculter, accompagnée par un interne.
Elle me parle beaucoup, calmement, et répond aux questions de mes parents.
J’entends parler d’un possible lumbago et surtout de l’urgence à attténuer mes
souffrances insupportables.
Une lésion a été découverte sur ma moëlle épinière mais c’est peut-être bénin. Il
faut poursuivre les examens pour en savoir plus. Alors les médecins prennent la
décision de réaliser un myélogramme, ce prélèvement peu agréable dans l’os de la
hanche auquel j’avais échappé quelques jours plus tôt. Petit, je l’avais d’ailleurs
renommé « myélo-drame ».
Le myélogramme est une étude des différentes cellules de la moelle osseuse. Le
prélèvement se fait après désinfection et sous une légère anesthésie locale, à l'aide
d'une fine aiguille à ponction ou, parfois, d’un trocart. Une petite quantité de moelle
est aspirée, et l'aiguille est aussitôt retirée. Le prélèvement est alors rapidement
réparti sur des lames pour réaliser des frottis qui sont ensuite observés au
microscope.
Le samedi matin, Odile entre dans ma chambre et m’annonce que le
myélogramme est tout à fait normal. Ce résultat nous rassure, mes parents et moi,
parce qu’il écarte, provisoirement en tout cas, l’hypothèse de ce qui à nos yeux
pourrait correspondre à une maladie grave.
Je passe le week-end dans ma chambre d’hôpital, soulagé par les anti-douleurs et
la morphine qui ont été prescrits, mais pas assez vaillant pour espérer quitter mon lit.
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J’éprouve de la difficulté à bouger et, dès qu’une position me convient, je n’en
change plus.
Quand Odile revient me voir, elle me présente le neuro-chirurgien qui va
s’occuper de mon cas. On m’explique que la neurochirurgie traite les maladies
touchant le cerveau, la moelle épinière, les nerfs crâniens, les nerfs périphériques
ainsi que leurs enveloppes.
Cloué sur mon lit, j’ouvre grand mes oreilles pour comprendre ce que raconte ce
médecin qui me parle en évitant de me regarder. Je trouve cela assez troublant et, du
même coup , je comprends mieux pourquoi mes parents me demandent si souvent de
regarder la personne à qui je m’adresse.
Le neurochirurgien me dit qu’il va m’opérer rapidement. Il doit d’abord consulter
son planning mais il m’assure que les choses ne devraient pas trop traîner.
Quand je le revois au début de la semaine suivante, c’est pour m’entendre dire que
l’opération est prévue pour le mercredi. Effectivement, l’attente n’aura pas été trop
longue. Je vais bientôt être débarrassé de cette tumeur et puis surtout, je ne vais plus
avoir mal. Le neurochirurgien va me soulager d’un sacré poids.
24
La première opération de ma vie
Le 4 Novembre, c’est le jour de mon opération. Le neurochirurgien qui procède à
l’intervention est revenu me voir dans ma chambre, avec Odile, pour les dernières
précisions. Il va « m’ouvrir » et effectuer un prélèvement qui sera analysé. Si la
tumeur est bénigne, il en retirera le plus possible ; mais il ne pourra sans doute pas
tout enlever parce qu’elle est située sur la moëlle épinière et qu’il y a des risques de
paralysie éventuels. En revanche, si c’est une tumeur cancéreuse, il n’ira pas au-delà
du prélèvement et j’aurai de nouveau un traitement par chimiothérapie.
Le chirurgien nous a bien expliqué comment les choses allaient se passer. Je sais
que l’opération va durer environ trois heures, mais je ne suis pas trop inquiet. Avec
Odile, ils m’ont plutôt rassuré. Et puis je souffre tellement que j’ai hâte d’en avoir
fini. Je ne peux pas dire que l’opération ne me fait pas peur – il s’agit quand même
de passer sur le billard – mais je sais que je suis prêt.
Un brancardier vient me chercher en milieu de matinée pour m’emmener au bloc
opératoire. Papa et maman sont à mes côtés. Le brancardier installe mon lit dans un
coin d’une immense pièce protégé par un simple paravent. Là, je dois patienter
quelque peu en attendant que l’anesthésiste vienne me voir. Je chasse mes angoisses
en bavardant et en racontant des blagues avec mes parents. De l’autre côté du
paravent règne une certaine agitation. Des infirmiers, des médecins, des chirurgiens
peut-être vont et viennent dans tous les sens.
L’anesthésiste arrive enfin. Elle pose des tas de questions sur ma santé, me
demande si je suis sujet à des allergies et note toutes mes réponses dans un dossier.
25
Elle se montre très gentille avec moi et arrive à me faire sourire. Elle m’a
vaguement entendu plaisanter avec mes parents et me demande de lui répéter une
certaine devinette.
« Qu’est-ce qui est jaune et qui court vite ?
— Alors, c’est quoi ?
— Ben, un citron pressé ! »
Sans doute pour m’aider à me détendre, elle me dit que c’est une bonne blague et
qu’elle va tâcher de s’en souvenir. Après quoi elle m’explique qu’elle sera présente
durant toute la durée de l’intervention,aux côtés du neurochirurgien. Son rôle est
d’endormir les patients lors d'une intervention chirurgicale pour leur éviter de
souffrir. Puis elle les surveille jusqu'au réveil et les soulage des éventuelles douleurs
post-opératoires.
Lorsqu’elle a obtenu toutes les informations souhaitées pour définir le dosage et le
choix du médicament qui va m’endormir, elle m’abandonne un court instant en me
disant que « mon heure est venue » et qu’on va m’accompagner en salle d’opération.
Je me prépare donc à abandonner mes parents quand un branle-bas général se fait
entendre. Des ambulanciers qui arrivent précipitamment sont aussitôt rejoints par
l’équipe médicale. Une dame vient d’être admise en urgence. Aux bribes de
conversation qui parviennent jusqu’à moi, je comprends que c’est une dame vraiment
âgée et anglaise selon toute vraisemblance.
Quand l’agitation diminue, l’anesthésiste revient me voir pour m’expliquer que
cette urgence doit être opérée sur le champ et que je vais être reconduit dans ma
chambre. Je n’en reviens pas ; me faire doubler par une vieille dame anglaise, c’est
encore plus humiliant que ma pitoyable prestation au cross du collège…
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Finalement, je n’ai guère le temps de gamberger. En tout début d’après-midi, un
autre brancardier vient me chercher. Le neurochirurgien est disponible. Papa est parti
boire un café dans le hall. Quand il revient, je ne suis plus dans ma chambre. Il tente
de me rejoindre mais ne se dirige pas au bon endroit : normal, je vais être opéré dans
un autre bloc, situé à un autre étage, dans l’autre bâtiment.
Je dois patienter plusieurs heures avant que le neurochirurgien ne s’occupe enfin
de mon cas. L’attente est longue et mes parents ne sont plus là pour me faire la
conversation ou répondre à mes questions. Mais en milieu d’après-midi, mon tour
arrive enfin. Je vois le visage de l’anesthésiste ; je réponds à une question ou deux.
Puis on me pose un masque sur le visage et mes paupières deviennent lourdes
comme du plomb.
27
La salle de réanimation
Quand je me réveille en salle de réanimation, maman est assise sur une chaise, à
côté de mon lit. Je ne me sens pas en grande forme. Je suis vaseux et en même temps,
je perçois toujours une douleur dans mon dos. Je n’ose pas trop bouger. En fait, je
pense que je n’en suis tout bonnement pas capable.
Dehors, la nuit est tombée. Je ne sais pas depuis combien de temps je me trouve
dans cette chambre. Les doutes ne tardent pas à revenir. Je me demande si
l’opération s’est bien passée et si quelque chose de grave n’a pas été identifié. A
plusieurs reprises, délirant dans mon demi-sommeil agité, j’interroge maman.
« Est-ce que c’est encore la leucémie, m’man ?
Maman me dit qu’elle ne sait pas, qu’on aura les résultats le lendemain matin. Je
replonge alors dans un léger sommeil, l’espace de quelques minutes, puis je repose la
même question qui demeure toujours sans réponse. Puis nous improvisons un jeu,
avec maman. Une idée qui va me permettre d’oublier mes angoisses et faire passer le
temps. On invente des sports improbables qui pourraient être pratiqués aux quatre
coins du monde. Le foot-ball kangourou serait sans doute plus comique et éviterait
probablement toutes ces simagrées insupportables sur les terrains. Et puis, sans
savoir pourquoi ni comment, nous en arrivons à évoquer Hitler.
« Pourquoi il s’est suicidé, en fait ?
— Il n’avait pas envie d’être fait prisonnier, tu penses bien.
— Ouais. Mais à mon avis, y a pas que ça. Un jour, il s’est regardé dans une
glace et il a décidé de se supprimer quand il s’est rendu compte qu’il n’était ni grand
ni blond. Ça lui a été fatal !»
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Quand papa arrive, le lendemain matin, il n’a pas sa tête habituelle. Peut-être a-t-il
parlé avec les médecins qui lui ont appris une mauvaise nouvelle ? Ou peut-être est-il
impressionné de me trouver immobile sur mon lit, perfusé de partout, sous oxygène
et affublé d’une sonde urinaire. Un infirmier reste à mon chevet en permanence. Il
me donne mes comprimés, surveille mon pouls et ma tension et relève régulièrement
ma température. Papa se penche vers moi et m’embrasse longuement. Pour le
rassurer, je lui raconte l’anecdote sur Hitler, histoire de lui montrer que je vais bien ;
enfin, disons pas si mal que ça.
Et puis Odile vient me voir. Elle me demande comment je me sens. Bien sûr, je ne
peux pas faire d’acrobaties mais je l’informe que la douleur est supportable, grâce
aux médicaments. Je tiens le coup, ni plus ni moins. Alors Odile me dit qu’elle va me
laisser me reposer et propose de revenir discuter un peu plus tard dans la journée. Il
n’en est pas question !
« Ben, c’est-à-dire… J’ai une question…
—Je t’écoute. Qu’est-ce que tu veux savoir ?
— Est-ce que le chirurgien ne m’a pas bousillé la colonne vertébrale ?
—Non, non. Pas du tout. L’opération s’est bien passée. Et ta colonne vertébrale
est en parfait état. »
Je ressens un profond soulagement et je me tourne légèrement sur le côté, un
sourire au coin des lèvres. Mais cet instant de joie est de courte durée. D’une voix
posée, Odile n’en a pas fini.
« Par contre, tu fais une rechute. La même leucémie qu’il y a huit ans. »
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Mon timide sourire se transforme en un rictus crispé. J’ai du mal à avaler ma
salive. Ce qui se dit ensuite m’échappe complètement. J’entends Odile s’éloigner.
Des larmes commencent à couler sur mes joues.
Quand j’ouvre enfin un œil, j’aperçois papa qui me tourne le dos. Il fait face au
mur et je sais aussitôt que lui aussi se retient.
« Tu sais, p’pa, t’as le droit de pleurer. Ça peut te faire du bien. »
Il se laisse aller, l’espace de quelques secondes, puis se reprend. Je devine qu’il ne
veut pas en rajouter à ma tristesse. Il s’approche du lit.
« Le traitement va être long et tu vas passer beaucoup de temps à l’hôpital. Mais
on va rester à tes côtés tout le temps. On va t’accompagner partout. Ensemble, on est
plus forts.
— P’pa ; je voudrais que tu termines ta formation. T’as beaucoup travaillé et ce
serait dommage d’arrêter maintenant. »
Mes parents se penchent vers moi et me serrent – enfin pas trop quand même –
dans leurs bras. Et on se met à pleurer, tous ensemble. Pas sûr qu’on soit plus forts,
mais au moins, on est soudés. Le combat va bientôt commencer.
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Le petit salon
Dans le service onco-hématologie pédiatrique du CHU de Caen où je vais passer
l’essentiel de mon temps durant les prochains mois, le petit salon se trouve à l’entrée,
faisant face aux deux ascenseurs. J’appelle cette pièce le « petit salon » parce que je
sais que des fauteuils et une table basse en constituent le mobilier. Mais je devrais
peut-être davantage l’appeler la pièce de confidentialité puisque c’est là que les
médecins reçoivent les familles lorsque la maladie a été identifiée, pour expliquer ce
qui va être mis en œuvre.
Quand mes parents ont été conviés à rejoindre les médecins dans le petit salon,
j’étais encore entre les mains du neuro-chirurgien. Bien évidemment, il n’était pas
question que j’assiste à cet entretien mais j’en connais l’essentiel parce que, sitôt
sorti de réanimation, mes parents ont tenu à compléter ce que m’avait dit Odile. La
leucémie est une maladie grave et les médecins tiennent particulièrement à ce que les
enfants concernés soient parfaitement informés et conscients de ce qui va se passer.
D’ailleurs, lorsqu’ils viennent nous visiter dans nos chambres, durant le traitement,
ils s’adressent toujours à nous, quand bien même nos parents se trouvent au pied du
lit.
Ainsi donc, deux jours plus tôt, tandis que je suis au bloc, mes parents tournent en
rond dans l’hôpital. Pour eux, le temps est suspendu. Ils vont et viennent, se posent
un moment dans « ma » chambre, questionnent les infirmières quand elles passent
dans les parages ou descendent prendre un café au rez de chaussée. C’est sur le coup
de dix-huit heures trente que deux médecins se présentent dans la chambre où papa
patiente seul en essayant de ne pas laisser l’angoisse envahir son cerveau tout entier.
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En voyant Odile suivie de Marianna, il comprend aussitôt que quelque chose ne va
pas.
L’instant d’après, maman rejoint le groupe dans le petit salon.
« Vous avez une mauvaise nouvelle à nous annoncer…
— Pourquoi dîtes-vous ça ?.
— Deux médecins qui nous accueillent pour nous donner des nouvelles de
notre fils ; je doute que ce soit bon signe.
— Alors, effectivement, autant que vous le sachiez de suite, c’est une rechute.
Le prélèvement analysé ne laisse aucune place au doute. Il s’agit exactement de la
même leucémie que la première fois. Mais ce n’est pas forcément une mauvaise
nouvelle, comme vous l’évoquez. L’opération n’était pas anodine. La tumeur était
collée à la moelle épinière et les risques étaient grands, jusqu’à la paralysie
éventuellement. »
Dans leur précipitation et sous le coup de la panique qui les a saisis, mes parents
oublient cet aspect des choses. Ils auraient tellement souhaité qu’on leur parle d’un
épendymome, qu’on leur dise que la tumeur avait été retirée, qu’il faudrait être
patient mais que tout rentrerait dans l’ordre rapidement… Au lieu de ça, on leur
annonce une rechute de leucémie. Alors, forcément, le sol se dérobe sous leur pieds.
Papa ferme les yeux et, le poing serré, se concentre sur sa respiration. Maman fond
en larmes.
« Mais ce n’est pas possible. Hugo est le plus gentil de tous les petits garçons.
— Hélas, ça ne marche pas comme ça, lui répond Odile. S’il suffisait d’être
gentil pour ne pas tomber malade, ça se saurait… Il s’agit d’un cas exceptionnel.
Sept ans et demi de rémission, on ne pouvait pas s’attendre à ça. Une cellule a
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résisté ; la chimiothérapie l’avait quand même sérieusement mise à mal, sinon, elle se
serait réveillée beaucoup plus tôt.».
Après un léger silence destiné à recueillir d’éventuelles questions que mes parents
ne posent pas, les médecins enchaînent sur ce qui m’attend, ce qui nous attend.
« Nous avons plus de chances de sauver Hugo que l’inverse, commence Odile.
— Mais le traitement sera long, ajoute Marianna. Environ deux ans et demi.
— Hugo va passer beaucoup de temps avec nous, à l’hôpital, poursuit Odile.
— Et il aura de nombreuses ponctions lombaires, particulièrement au début du
traitement, termine Marianna. »
Passé le moment de colère, mes parents font de leur mieux pour accepter la
situation et envisager l’avenir. Il est entendu que la vie va prendre une autre tournure.
Il s’agit d’une rechute. Mes parents savent ce qu’on a déjà vécu ; et ils comprennent
que ce qui s’annonce sera plus éprouvant encore.
Maman interroge Odile, à propos d’un événement resté dans sa mémoire.
« Docteur, vous souvenez-vous de la réponse que vous aviez faite à Hugo lors
d’un rendez-vous de suivi il y a peut-être trois ans ? Il voulait savoir si la maladie
pouvait revenir. Vous lui aviez alors dit qu’il avait de grandes chances d’être guéri
mais qu’il était possible qu’une cellule microscopique se soit cachée au fond d’une
de ses vertèbres et finisse par réapparaître… »
Odile ne se souvient pas précisément de cet épisode et n’en revient pas elle-même
d’avoir fait cette réponse.
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Le silence envahit de nouveau le petit salon. Les médecins guettent les réactions
de mes parents. Ceux-ci accusent le coup mais ne bronchent pas. Ils tentent de
rassembler leurs dernières forces et brûlent d’envie de me serrer dans leurs bras.
Finalement, Odile conclut l’entretien.
« Dès demain, on devrait être en mesure de vous présenter le protocole qui sera
mis en place. »
La pièce se vide. Les médecins font la tournée des chambres. Mes parents quant à
eux errent comme des âmes en peine dans le hall avant d’annoncer la nouvelle aux
proches et aux amis qui patientent depuis des heures, soucieux de savoir ce qui
m’arrive.
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Je prends mes quartiers dans la chambre 406
Quand je quitte la salle de réanimation, c’est pour retourner dans la chambre 406
où j’avais pris mes repères avant l’opération. La chambre 406, au bout du couloir à
gauche, est une chambre individuelle. Et je dois avouer que je n’ai rien contre. Bien
sûr, c’est toujours agréable de discuter avec son voisin de chambre. Sauf que là, entre
les douleurs, les nausées et les soins, je n’ai aucune envie de bavarder. Et puis, le
moral dans les chaussettes, j’apprécie de pouvoir me confier à mes parents ou de
pleurer sans honte si j’en ressens le besoin.
Je me retrouve donc coincé dans le lit, une fois de plus. Les violentes douleurs au
dos qui m’avaient amené à l’hôpital sont à présent remplacées par le contrecoup de
l’opération. Je suis immobile, le lit complétement à l’horizontale et débarrassé de son
oreiller pour favoriser la cicatrisation. La position n’est pas très confortable, mais je
me garde bien de bouger.
Les infirmières et les aide-soignantes sont aux petits soins pour moi faisant preuve
d’une infinie douceur. Je n’arrive pas à me reposer comme je le voudrais mais elles
font tout leur possible pour m’épargner des souffrances supplémentaires. La
morphine me permet de tenir le coup. Rapidement d’ailleurs, je gère moi-même
l’administration de cette drogue antidouleur, selon le degré de douleur ressenti. Et si
je fais le choix de ne pas en abuser, c’est tout sauf un acte de bravoure ; j’ai besoin
de savoir si l’opération a réussi et si je fais des progrès. Pour le reste, la sonde
urinaire n’a rien de confortable, mais on m’explique que je n’ai pas le choix… pour
l’instant.
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Au début de la semaine suivante, alors que je reprends peu à peu des forces et que
mon lit peut enfin être légèrement incliné, je fais la connaissance du « prof ». Il se
présente puis m’explique qu’il viendra me faire travailler une heure par jour en début
d’après-midi. Il s’est mis en relation avec mon collège et va me proposer des
activités demandées par les professeurs.
Quand papa arrive, cet après-midi-là, le prof est sur le point de partir. Le premier
cours est terminé et il range soigneusement ses affaires. Non sans une petite pointe
de fierté, je peux faire les présentations.
« Papa, voilà Philippe, le prof de l’hôpital. Je crois que vous allez bien vous
entendre : lui-aussi aime le tennis.
— Hugo m’a dit que vous étiez prof de tennis, précise Philippe.
— Ça, c’était avant, répond papa. Maintenant, je suis de nouveau à l’école,
répond papa. Enfin, en formation, plus précisément.
— Et le tennis ne vous manque pas trop ? »
Là-dessus, les voilà qui se mettent à bavarder comme s’ils se connaissaient depuis
de longs mois. Ils parlent du jeu qui a beaucoup changé, des champions au
tempérament bien trempé qui assuraient le spectacle et soulevaient les foules… Et
bien vite, je décroche. Pourtant, j’aime le tennis et je connais les champions. Mais,
dans leur bouche, Federer, Nadal et même Djokovic, sont remplacés par des
inconnus : Sampras (qui revient sans arrêt sur le tapis), Edberg, Connors, Mc
Enroe…
Environ une semaine après mon opération, les médecins m’informent que je vais
devoir porter un corset. Un corset ! Sur le coup, je pense à une blague ; ce qui
m’étonne de la part des médecins, surtout vu mon état pitoyable. Le seul corset que
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j’ai vu jusqu’alors, c’est une jeune femme qui le porte dans une publicité pour un
parfum. Et franchement, je ne me vois pas affublé de cette espèce de sous-vêtement
féminin, plein de lacets et de baleines. Mais on m’explique que c’est une prévention
orthopédique pour maintenir ma colonne vertébrale et qui va me permettre de quitter
mon lit et pouvoir passer un peu de temps dans le fauteuil. Je devrai le porter lorsque
j’en ressentirai le besoin.
Effectivement, dès le lendemain de cette annonce, je reçois la visite d’une
personne qui vient prendre les mesures de ce satané corset dont je n’ai aucune envie.
C’est une jeune dame, souriante et patiente. Elle porte une grosse valise qui
m’intrigue un peu car elle me fait penser à celle de l’électricien qui est venu faire des
travaux à la maison. La jeune femme sort différents instruments et commence à
prendre des mesures. Elle fait des repères, reporte les résultats sur une feuille et
recommence. J’appréhende le moment où je vais me retrouver coincé dans un étau
pendant qu’elle enfoncera la pointe de son compas dans ma peau… Mais il n’en est
rien et elle ne tarde pas à me libérer. Avant de me laisser toutefois, elle me présente
un catalogue.
« Quel modèle préfères-tu ? » me dit-elle.
Je n’en reviens pas qu’on puisse choisir un modèle de corset. Finalement,
j’opte pour les motifs colorés, genre graffitis, avec des smileys et des dessins aux
couleurs vives.
Le corset est vite réalisé. Mais je ne vais m’en servir que trois fois. Pour aller du
lit jusqu’au fauteuil où je ne reste d’ailleurs pas longtemps car je fatigue vite et je me
sens mieux lorsque je suis allongé.
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Le vendredi, en fin d’après-midi, je reçois la visite de David, un copain de
formation de papa. Mes parents ont obtenu l’accord des médecins et David vient
jouer quelques morceaux de guitare. Par la porte laissée entr’ouverte, les notes de
musique s’envolent dans le couloir. J’ai presque l’impression d’assister à un concert
très très privé de Bob Dylan et Neil Young. A la maison, il y a des tas de CD de
Dylan et j’ai déjà entendu des dizaines de fois « Knockin’ on heaven’s door »,
« Blowin’ in the wind », « Like a rolling stone » et plein d’autres. David joue une
demi-douzaine de morceaux. Pas de doute, il est rudement doué. Moi, je prends des
cours de guitare et j’aimerais joue r comme lui plus tard.Quand il pose sa guitare, un
silence inhabituel a englouti le service. C’est à croire que tout le monde a prêté
l’oreille et profité de cet instant de quiétude. J’apprécie également beaucoup le
moment qui suit, pendant lequel David et mes parents restent à mes côtés. Je me
sens comme apaisé lorsque je regagne mon lit. L’aide-soignante passe sa tête par la
porte entr’ouverte pour dire qu’elle a savouré ce moment et Damien ne tarde pas à
son tour à féliciter l’artiste.
Mais lorsque la chambre se vide, comme tous les soirs, les interrogations et les
craintes réapparaissent à mesure que la douleur se réveille. Je sais que je ne suis pas
au bout de mes peines et qu’il me faudra être très patient avant d’espérer remettre le
nez dehors.
La semaine se termine et, si je n’ai toujours pas débuté le traitement lourd qui
m’attend, je n’ai pas chômé pour autant. C’est d’ailleurs durant cette période
difficile, alors que je suis amoché et très limité dans mes déplacements, que je
bénéficie de mon premier CLD : je ne parle pas, bien évidemment, d’un Congé
Longue Durée que le corps médical m’aurait accordé mais plutôt d’une des
conséquences du traitement : Constipation – Laxatif – Diarrhée. La morphine est
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passée par là et c’est l’un des effets secondaires. Pour soulager mes maux de ventre
et venir à bout de la constipation, je n’ai pas d’autre choix que d’ingurgiter du
Movicol, un laxatif au goût immonde qui provoque de violentes diarrhées tout aussi
désagréables. Je passe de longs moments de solitude, assis sur la chaise-pot, à me
vider le corps et l’esprit.
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Retour au bloc
La semaine qui suit mon opération, je dois de nouveau subir une intervention
chirurgicale. Rien à voir avec la tumeur sur ma moëlle épinière, certes. Cependant, il
s’agit quand même de trois actes médicaux pour le prix d’un.
Odile est venue me voir la veille, tandis que je me remettais doucement, cloué au
lit et bien incapable du moindre mouvement. La discussion que nous avons eue avait
un côté un peu surréaliste. Dans le même temps, je n’étais pas en mesure de contester
quoi que ce soit. Et puis Odile, c’est mon sauveur. Je sais que je peux et dois lui faire
confiance. Odile m’a sauvé il y a huit ans et elle m’accompagne toujours avec
beaucoup de gentillesse. J’aime sa façon de présenter les choses, d’aller droit au but
et j’apprécie qu’elle dise toujours ce qu’elle pense.
Ainsi donc, alors que l’après-midi touche à sa fin, je suis dans ma position
favorite ; allongé, les bras collés au corps, je regarde distraitement la télévision.
Depuis l’opération, à la demande des médecins, le lit est maintenu à l’horizontale
pour m’épargner certaines séquelles ou éviter de ralentir la cicatrisation. Dans ces
conditions, je ne peux pas faire grand-chose, d’autant que la douleur est encore
vivace.
Odile entre dans la chambre et me sourit. Elle se montre aussitôt rassurante.
« Alors, Hugo ; comment tu vas ?
— Bien, je réponds parce que dans ma position, on est bien obligé de
relativiser.
— Tu sais qu’on va devoir t’implanter une chambre, comme la première fois…
— Un cathéter ?
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— Tout à fait. On va en avoir besoin pour te soigner. »
Soudain, certains souvenirs ressurgissent et s’embrouillent. J’ai tendance à tout
mélanger. Il y a tellement de choses que j’avais oubliées ! Et ce cathéter, je n’y avais
pas songé. Je sais déjà que ça ne va pas me plaire car, tout petit, j’avais horreur qu’on
enlève le pansement et qu’on y enfonce l’aiguille. L’appréhension était plus forte que
la douleur mais la répétition des cures m’était difficile à supporter malgré les
précautions des infirmières. Un cathéter, c’est une chambre implantable qu’on pose
sous la peau, au-dessus de la poitrine. Cette chambre, reliée à une veine centrale, est
utilisée pour les traitements lourds qui nécessitent des injections répétées (de
chimiothérapie en ce qui me concerne).
Je réprime donc une grimace et Odile poursuit.
« Tu vas être endormi pour la pose de la chambre. Et comme on n’a pas envie de
te renvoyer au bloc plusieurs fois , on va tout faire d’un coup.
— Ah bon. Parce qu’il y a autre chose ? je demande d’une voix qui me semble
pour le coup un peu trop aigue.
— Dis-moi donc où tu en es avec tes problèmes de pipi, tu veux bien. »
La question est un peu vexante. J’ai quand même fêté mes onze ans quelques
semaines plus tôt. Toutefois, je ne peux pas me défiler. La tumeur a provoqué
quelques dommages et je ne me rends pas toujours compte que ma vessie est pleine.
Cela m’a valu quelques désagréments, parfois très désagréables, dans un passé pas si
lointain. C’est ainsi qu’il m’a même fallu supporter pendant plusieurs jours une
sonde urinaire bien peu confortable.
« Ben, en fait, je balbutie, je sens quand j’ai envie de faire pipi. Mais,
quelquefois, je n’ai pas le temps d’attraper l’urinal…
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— Oui, je vois, me répond Odile qui semble effectivement bien deviner ce que
je tente de relativiser. Je pense que les choses vont s’arranger mais ça peut prendre
un peu de temps. On ne va quand même pas te laisser avec une sonde ? C’est pas très
agréable…
— Non, c’est pas vraiment agréable. Mais qu’est-ce qu’on peut faire ?
— Alors, voilà ce que je te propose. On va mettre à profit l’opération pour te
poser un cysthocat.
— Un quoi ?
— Un cysthocat. C’est une sonde implantée directement dans la vessie à travers
la paroi abdominale, fixée à l’intérieur par une sorte de ballon. Et si, dans les
prochains jours, on s’aperçoit que tu n’en as plus besoin, on pourra le retirer
facilement. L’intervention est obligatoire pour le poser ; mais pas pour le retirer. Et
tu n’auras pas mal ; »
Je ne vois pas trop à quoi peut ressembler le cystho-truc. Mais je me rassure en me
disant que ça ne peut pas être pire qu’une sonde. Je n’ai cependant pas trop le temps
de cogiter davantage car Odile sort un autre lapin de son chapeau.
« Tu sais, le traitement que tu vas recevoir est très lourd. Tu vas avoir beaucoup
de chimiothérapie. Et il y a certains risques, notamment des risques de stérilité. Tu
sais ce que ça signifie ?
— Mmouais, je réponds, avec une sérieuse pointe d’inquiétude dans la voix.
— On peut anticiper les choses, reprend Odile. Il est possible de procéder au
prélèvement d’un minuscule morceau de testicule qu’on exploitera le moment venu.
En cas de besoin, naturellement. Aujourd’hui, on ne sait pas faire, mais on peut
espérer que dans dix ans, ce soit envisageable.
— Mmouais, je fais, pour le coup totalement pétrifié.
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— Mais pour ça, on a besoin de ton accord. C’est à toi de prendre la
décision. ».
Ce que j’entends me refroidit quand même un peu. Je voudrais être dans un rêve.
Mais Odile est bien là, en face de moi, et attend une réponse de ma part. Je réfléchis
trois secondes et je fais le choix du bon sens. Je fais confiance à Odile.
« Je suis d’accord… pour le prélèvement. »
Et c’est ainsi que je me retrouve à signer un document intitulé « Protocole de
prélèvement de tissu testiculaire chez des patients soumis à un traitement
castrateur ». Pas franchement sexy, la lecture.
Le lendemain, lorsqu’un brancardier me reconduit à ma chambre où m’attendent
mes parents, je ne me sens pas trop mal. Je n’irai pas jusqu’à prétendre que je suis
frais comme un gardon, bien sûr. Mais disons que je me suis plutôt bien remis de
l’opération. La petite boîte qu’on m’a implantée me fait un peu mal, mais rien de
bien méchant. Papa me demande :
« Comment tu te sens, fils ?
— Ça peut aller, même si j’ai déjà connu mieux. »
Papa prend soudain un air grave que je ne lui ai pas vu depuis longtemps. Il
s’approche du lit et prend ma main dans la sienne.
« Hugo, j’ai quelque chose à te dire. Tu dois m’écouter attentivement.
— Je t’écoute.
— Alors voilà ; tu ne le sais sans doute pas mais figure-toi que tu as un point
commun avec Adolf Hitler…
— Qu’est-ce que tu racontes ? Je suis devenu cinglé ?
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— Pas du tout. Mais tu dois savoir qu’Hitler, lui aussi, n’avait qu’une seule
couille.
— Tu déconnes, p’pa ?
— A moitié. Sans mauvais jeu de mots. Je déconne à moitié. »
J’aime bien l’humour de papa. Il me taquine et je joue le jeu. Bien sûr, je sais que
mon appareil génital est intact. Un tout petit morceau de testicule a été prélevé et la
cicatrice est presque imperceptible. Mais ça fait du bien d’en rajouter un peu,
d’exagérer les choses. C’est un moyen de dédramatiser. Du coup, je décide d’en
remettre une couche. A mon tour, je prends un air accablé.
« Papa ?
— Hugo ?
— Ça va être compliqué…
— De quoi tu parles ?
— Avec les filles, ça va être compliqué.
— Mais pourquoi tu dis ça ?
— Ben, si mon charme ne suffit pas, je pourrai me servir de ma cicatrice pour
les séduire en racontant que j’ai pris part à une bagarre et que j’ai désarmé un voyou
au péril de ma vie.
— Si tu veux. C’est une idée que tu as déjà évoquée.
— Ben oui. Mais après, je ferai comment ? Il faudra bien que je dise que je suis
mono testiculaire. Et là, même avec une cicatrice, les filles risquent de partir en
courant ! ».
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Le Buffalo
Quand je me réveille, le samedi matin, après une nuit en partie passée à chercher
le repos, j’ignore encore que deux bonnes nouvelles m’attendent. Mes parents m’ont
appris que Nathan et ses parents vont venir me rendre visite mais, comme l’accès
n’est pas autorisé aux enfants, je me doute qu’on ne va pas avoir beaucoup de temps
pour discuter. Nathan, c’est mon pote. On s’est connus en grande section, six ans
plus tôt, quand j’avais repris l’école après ma première leucémie. Depuis, on traîne
souvent ensemble. Il faut dire qu’on a pas mal de passions communes, telles que la
PS3 ou encore la PS4… C’est d’ailleurs Nathan que j’avais appelé avant mon départ
pour le CHU quelques semaines plus tôt.
Ce matin-là donc, c’est Damien qui va m’informer des bonnes nouvelles. C’est
son week-end de garde et, quand il passe me rendre visite en fin de matinée, il
m’annonce que je vais pouvoir passer un moment avec Nathan et sa famille, à
l’extérieur du service. Ça me fait carrément plaisir, même si je sais que c’est juste
pour une heure ou peut-être moins.
En début d’après-midi, je m’installe dans le fauteuil roulant et mon père
m’accompagne jusque dans le couloir, en face de la salle des parents. Nathan et sa
famille sont là et m’attendent. Au début, personne ne parle trop. Je crois que c’est
compliqué pour tout le monde. Mes parents me regardent et moi, je ne parviens pas à
sortir le moindre mot. Je suis ému. La présence de mon copain me fait plaisir mais
j’ai peur de craquer. Je réponds aux questions qu’on me pose, sans plus. Les adultes,
c’est normal, veulent se montrer rassurants. Mais je sais qu’au fond d’eux, ils n’en
mènent pas plus large que moi.
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Avec Nathan, on parle un peu du collège. J’aimerais partager ces moments-là avec
lui plutôt que me retrouver cloué dans une chambre d’hôpital. Nathan arrive même à
me faire sourire avec quelques anecdotes d’épisodes auxquels je regrette de ne pas
avoir assisté.
Au bout d’un peu plus d’une heure, alors que je résiste comme je peux depuis un
moment, je me sens si fatigué que je demande à regagner ma chambre. Il y a une
éternité que je ne suis pas resté assis aussi longtemps et je ressens le besoin de me
reposer. C’est un sentiment curieux parce qu’en même temps, je sais que je ne vais
pas revoir Nathan avant un long moment. Mais je suis à bout de forces. Je fais tout
mon possible pour rester digne en le quittant malgré la tristesse qui me gagne à
mesure que le fauteuil se rapproche de la chambre 406.
Mes parents restent avec moi jusque tard ce soir-là et nous discutons beaucoup.
J’ai besoin d’être rassuré mais je ne veux pas parler de ce qui m’attend. L’école et les
copains que je vais retrouver un jour, ma maison où j’ai mes repères, mes petites
habitudes, sont des sujets réconfortants qui m’aident à oublier la triste réalité.
Le dimanche matin, Damien m’offre un véritable cadeau. Etant donné que je ne
suis pas trop fatigué par ma « sortie » de la veille, et surtout, vu que le traitement va
bientôt débuter, il m’autorise à quitter l’hôpital. Quand il me l’annonce, je n’en crois
pas mes oreilles et je me tourne machinalement vers mes parents pour qu’ils me
confirment l’information. Leur sourire radieux ne laisse aucune place au doute ; je
vais pouvoir mettre le nez dehors et je compte bien en profiter.
Ce dimanche, le dernier avant mon séjour « sous la bulle », je sais que je vais
recevoir des visites. Quelques amis ont prévu de venir m’adresser un « au revoir »
avant que je disparaisse de la circulation pour un bout de temps. Alors, quand mes
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parents me demandent ce qui me ferait plaisir, je n’ai pas besoin de réfléchir bien
longtemps pour répondre que je ne cracherais pas sur un bon repas.
Sur le chemin qui nous mène au Buffalo, je mesure combien la ville est encore
loin d’être adaptée aux fauteuils roulants. Chaque trottoir regorge d’embûches : trop
étroit, trop haut, trop plein de déjections canines… Cependant, j’apprécie le grand air
et, entre deux secousses, je porte un regard admiratif sur le paysage. Les rues sont
calmes en ce dimanche midi et ça me convient tout à fait.
Je suis aux anges quand on prend place à notre table. Nous sommes sept et je suis
au centre de toutes les conversations. Mais ce qui m’intéresse plus que tout, c’est de
me remplir l’estomac. J’ai une faim de loup. Je ne crache pas sur la nourriture de
l’hôpital, mais je reconnais que ce n’est pas celle que je préfère. Je jette mon dévolu
sur un menu fort appétissant. Les adultes peuvent faire autant de manières qu’ils
veulent, je me prends une entrée, une entrecôte avec des frites et un dessert par-
dessus le marché. A mes côtés, les conversations vont bon train et les rires
commencent à fuser. Je sens les regards braqués sur moi mais je n’y prête guère
attention.
Le repas se passe à merveille. J’en arrive, l’espace de quelques instants, à oublier
qu’il ne s’agit que d’une permission. Je suis littéralement aux anges. Je ne
m’intéresse qu’au contenu de mon assiette. Je me sens prêt à relever le défi de me
faire péter le ventre. Je suis détendu, heureux, fier comme un pape. Le monde peut
bien s’écrouler, rien ne m’empêcherait de savourer cet extraordinaire moment. Alors,
quand le repas vient à se terminer et qu’il faut reprendre le chemin de l’hôpital, je
ressens un certain pincement au cœur. Pourquoi est-ce que je ne peux pas profiter de
ces moments comme n’importe qui et les voir se prolonger, en toute simplicité?
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Nos amis nous raccompagnent jusque dans le hall. Cette journée m’a donné de
l’énergie et je trouve même la force de faire un peu d’humour en m’immiscant dans
la conversation.
« Quoi ? Les adultes sont matures ? On voit que vous ne connaissez pas mon
père ! »
Tout le monde se marre. Ça fait drôlement du bien de rire ; c’est un bon remède
au stress. Malgré tout, vient le moment de se quitter. Les amis repartent chez eux
retrouver leur famille, leur occupations et leur travail. Et moi, je reprends l’ascenseur
qui va me conduire à ma chambre d’enfant malade qui vient de passer un chouette
moment avant d’affronter le traitement lourd qui va le terrasser pour mieux le sauver.
Quand j’arrive dans le service, les infirmières s’activent, comme à leur habitude.
Alexandra m’aperçoit et se rappelle sa promesse :
« Alors, Hugo, tu as passé une bonne après-midi ?
— Ben oui. En plus j’ai bien mangé !
— Et tu as toujours envie de voir la chambre qui t’attend ? On a fini de la
préparer.
— Euh… Oui, pourquoi pas… »
Lorsqu’Alexandra ouvre la porte du flux, je comprends mieux l’hésitation dont
j’ai fait preuve. Je n’aime pas ce que je vois et je demande à mon père d’arrêter le
fauteuil à l’entrée. C’est une grande chambre avec un lit au milieu, entouré de bâches
tendues tout autour. Sur un côté, une sorte de soufflerie aspire l’air du flux pour le
purifier avant de le renvoyer.
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La vision n’a rien de rassurant. Et les précisions qui me sont données ne le sont
pas davantage. J’apprends ainsi qu’il règne sous la bulle une température
relativement élévée et que le bourdonnement de la machine n’a rien de reposant.
Mais pour passer le temps, je pourrai disposer d’une télévision avec un lecteur de
DVD. Et puis j’aurai ma tablette et mon téléphone, histoire de garder le contact avec
le monde extérieur. Il va me falloir m’habituer à Skype. Et puis je vais devoir aussi
expliquer à mamie comment l’utiliser si elle veut voir mon visage radieux pendant
ma période d’ hibernation.
Finalement, je ne suis pas mécontent de retrouver ma chambre 406, sans machine
qui bourdonne et sans bâches autour du lit. Mais le soir venu, quand je me retrouve
seul, j’ai beaucoup de mal à trouver le sommeil. De drôles d’images s’invitent dès
que j’essaie de fermer les yeux. C’est comme si j’étais déjà sous la bulle, seul,
abandonné de tous et luttant de toutes mes forces contre le mal qui me ronge.
Je reste donc de longues heures immobile, scrutant le plafond. Je cherche le
sommeil mais je ne récolte que des idées noires.
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La bulle
Le mardi 17 Novembre arrive plus vite que prévu. J’ai beau m’être préparé à cette
échéance, je suis mort d’inquiétude. Dès que je ferme les yeux, je m’imagine dans un
endroit coupé du monde, en proie à des douleurs qui ne me quittent pas. Autour de
moi, l’équipe médicale s’active mais rien n’y fait ; la maladie fait son œuvre et je me
sens prisonnier, abandonné à mon triste sort.
Finalement, le changement de chambre se fait sans ménagement particulier. Je
n’en mène pas large, mais je me garde bien de faire part de mes doutes. Persuadé que
personne ne peut me comprendre, je me mure dans le silence. Tout le monde semble
trouver la situation normale, les propos encourageants ne parviennent cependant pas
à me réconforter.
La chambre me semble grande, ce qui la rend presque effrayante. Pour y accèder,
de nombreuses précautions doivent être prises : port de la tenue jaune fournie par
l’hôpital, charlotte et masque. Bien sûr, il faut se laver les mains et désinfecter tout
objet qu’on apporte. Et puis il y a aussi la surblouse, obligatoire pour accéder au flux.
Je suis un peu épargné par cette corvée à laquelle mes parents, seuls visiteurs
autorisés à pénétrer dans la chambre, devront se soumettre aussi longtemps que je
resterai.
Je me retrouve en tee-shirt et caleçon coincé dans mon lit bâché. Je sais déjà que
je n’en bougerai plus avant plusieurs semaines. Et pour moi, ça veut dire que je
n’aurai plus de contact avec l’extérieur, que je devrai me contenter de ce que mes
parents auront à me raconter. Mes amis, ma famille me manquent déjà.
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Les journées vont alors se succéder, identiques les unes aux autres. Le temps s’est
comme figé et mon moral décline chaque jour un peu plus. Au début, j’ai essayé de
lire un peu ; des BD et des mangas. Mais je n’arrive pas à me concentrer. Je suis
impatient de sortir. C’est la seule idée qui me trotte dans la tête. L’après-midi, je
regarde la télé de façon quasi obsessionnelle. Les rediffusions de « Un dîner presque
parfait » me laissent sans voix. Parfois même, je note des idées sur un petit calepin.
Dans ces moments-là, je songe à ma sortie. La nourriture de l’hôpital me dégoûte à
présent, sous l’effet de la chimio, et j’ai envie d’un vrai bon repas. Alors, de façon
presque obsessionnelle, je me mets à dresser des listes : ce que j’aimerais manger, les
personnes avec qui j’aimerais fêter Noël si cette chance m’est accordée, les
ingrédients nécessaires pour préparer le gâteau…
Dans la journée, je reçois la visite du prof, lui aussi habillé en cosmonaute. Il reste
une heure environ, parfois moins si je suis fatigué. Mais c’est la motivation qui n’est
pas toujours au rendez-vous. Parfois, je fais semblant de dormir ; alors il me laisse
tranquille ou me propose de revenir un peu plus tard. Je n’arrive pas à m’intéresser
aux cours, quelle que soit la matière. Le collège me semble tellement loin.
Parmi les autres visites, en dehors de mes parents et de l’équipe soignante, il y a la
psychologue. Il parait que je vis une période traumatisante ! Alors elle est disponible
pour échanger avec moi. Comme elle m’explique que je peux parler ou me taire, je
ne prononce pas un mot. J’aime encore mieux être tout seul. Je veux juste être
tranquille. Ou mieux encore, sortir de cette chambre et rentrer chez moi.
Il y a aussi la kinésithérapeute qui passe de temps en temps pour me faire
travailler. Vu l’espace, je peux tout juste faire trois pas dans un sens, demi-tour et
trois pas dans l’autre sens. Bien sûr, comme je suis allongé toute la journée, mes
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muscles fondent et je dois faire un peu d’exercice. Mais une épidémie de bronchiolite
retient la kiné en pédiatrie tandis que moi, je suis de plus en plus courbaturé.
Pendant ce temps, les soins se poursuivent. Durant les trois premières semaines, je
tiens tant bien que mal le choc. Je me lamente parfois auprès de mes parents mais je
supporte le traitement qui m’est infligé.
Et puis un beau matin, on m’annonce que mes globules blancs ont remonté et que
je ne vais pas tarder à sortir. J’appelle mes parents pour leur annoncer la nouvelle.
Pas question qu’ils arrivent en retard le jour de ma sortie. Je ferme les yeux et
m’imagine qu’une aide-soignante s’active à retirer les bâches qui entourent mon lit.
Les signaux sont au vert ; finalement je serai resté moins longtemps que prévu.
Ma mère arrive, un sourire aux lèvres. On partage cet instant de bonheur, curieux
d’entendre les médecins confirmer le bon de sortie. Et puis, tandis qu’on se réjouit,
un premier signal vient doucher notre euphorie : le thermomètre. Depuis mon
admission sous le flux, je n’ai jamais eu de fièvre. Et voilà que le thermomètre fait
des siennes ! Ce ne peut être qu’une erreur ; comme à la maison, on laisse s’écouler
un peu de temps et je replace l’engin sous mon aisselle. Le résultat est le même. Du
coup, les infirmières prennent la chose au sérieux et les contrôles sont faits toutes les
deux heures. La température ne fait que monter.
Finalement, le soir venu, l’interne vient m’expliquer que je ne suis pas sorti
d’aplasie. Certes, les globules blancs ont remonté, mais je n’ai que très peu de
neutrophiles. Les polynucléaires neutrophiles, m’explique-t-elle, sont des globules
blancs importants pour la défense de l'organisme puisqu'ils peuvent absorber les
52
corps étrangers - dont les bactéries. Il va donc me falloir rester encore quelques
jours, un peu, beaucoup… ?
Bien sûr, toutes les précautions sont prises. Des hémocultures, c’est-à-dire des
prélévements sanguins, sont pratiquées pour vérifier que je n’ai pas attrapé de
microbes et je suis mis sous antibiotiques pour limiter les risques.
La fièvre tarde à disparaître. Et même si les résultats des prises de sang ne
révèlent rien d’anormal, Odile est attentive à la situation et n’exclut aucune
possibilité.
Finalement, il me faut rester deux semaines de plus. Le temps me semble
interminable. Je ne m’intéresse plus à rien. J’ai juste envie de dormir en attendant
qu’on vienne m’annoncer l’heure de la sortie. Tout le monde commence à craquer. Je
ne parle plus et je ressens l’envie de pleurer à tout bout de champ ; maman quitte le
flux en oubliant d’enlever la surblouse… Nos nerfs sont soumis à rude épreuve.
Durant cette longue phase sous le flux, je dois aussi subir plusieurs ponctions
lombaires, l’examen le plus douloureux que j’ai eu à supporter. La ponction
lombaire consiste à recueillir le liquide céphalo-rachidien (LCR), par
une ponction dans le dos, entre deux vertèbres. Elle est réalisée sous anesthésie
locale, au moyen d'une fine aiguille pendant que je suis maintenu dans une position
très inconfortable, menton sur les genoux et dos arrondi par une infirmière qui veille
à ce que je ne bouge pas d’un pouce.
Et puis, quelques jours avant Noël, une journée comme les autres s’annonce. Je
n’ai rien avalé au petit-déjeuner, j’ai appelé mes parents pour connaître l’heure de
leur visite et je me suis enfoui sous les couvertures, attendant que le temps passe.
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Mais une interne arrive et m’annonce que les bâches autour de mon lit vont être
retirées dans la foulée. J’ose à peine y croire.
Quand maman arrive, quelques minutes plus tard, elle porte ses propres vêtements
et non pas la tenue de l’hôpital. Une infirmière lui a dit de ne pas se changer. Elle
s’avance de quelques pas et s’arrête. Elle me regarde en essuyant les larmes de joie
qui coulent sur ses joues. Assis en tailleur sur mon lit, je renifle un grand coup en
attendant qu’elle me prenne dans ses bras. C’est la fin de mon emprisonnement !
Après être resté quasiment cinq semaines enfermé dans cette fichue « bulle », je
peux enfin remettre le nez dehors. Je ne suis pas très costaud, pas très vif, mais je
suis libre. Les soins sont loin d’être terminés mais je serai chez moi pour passer les
fêtes en famille.
Ce dimanche en début d’après-midi, je traverse le hall de l’hôpital au ralenti. Je
suis faiblard, j’ai les jambes en coton et pourtant rien ne pourrait m’arrêter.
54
Le prof (1)
Durant mon séjour sous flux, j’ai été le témoin ou la victime de certains épisodes
qui méritent d’être racontés je crois. A commencer par ces retrouvailles avec le
« prof ».
C’est ma troisième journée sous le flux. J’ai le moral en lambeaux et savoir que je
vais devoir rester « entre quatre et six semaines sous cette bulle » me semble tout
bonnement au-dessus de mes forces.
Je me sens prisonnier, dans ce lit entouré de bâches transparentes. Malgré les
propos rassurants de mes parents et les encouragements de toute l’équipe médicale
qui ne ménage pas sa peine pour m’aider à surmonter cette épreuve, je ne vois rien de
positif à me mettre sous la dent. Je suis incapable de me projeter dans l’avenir et
d’envisager des moments plus agréables. Je voudrais juste m’endormir et être
réveillé par une infirmière qui, dans un large sourire, m’annoncerait :
« Hugo ! Le moment est venu pour toi de nous quitter. Tu peux rentrer chez toi. »
Mais bien évidemment, les choses ne se passent jamais comme ça. Et j’ai beau
fournir des efforts permanents, j’ai bien conscience que je ne pourrai pas dormir à la
maison avant de longues semaines.
L’après-midi touche à sa fin et j’en suis là de mes considérations. Autrement dit,
je suis loin de nager en plein bonheur mais plutôt en train de sombrer dans un abîme
de perplexité.
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Soudain, quelqu’un toque au carreau de la porte. J’ouvre un œil et je tourne la tête
presque machinalement. Et je le reconnais aussitôt, malgré l’heure inhabituelle de sa
visite. Il a beau avoir enfilé le costume complet, histoire de se fondre dans le
paysage, je le démasque immédiatement. D’ailleurs, je referme illico les yeux, priant
pour m’endormir sur le champ.
Hélas, mon père lui adresse un signe énergique de la main pour l’inviter à entrer.
Mieux, il lui cède sa place à côté de mon lit. Et le prof – puisque c’est de lui dont il
s’agit – s’installe avec ses livres et ses documents qui me donneraient presque la
migraine.
« Je suis passé tout à l’heure, mais tu dormais. J’ai préféré te laisser te reposer,
qu’il me dit comme ça.
— Hum, je réponds en gardant les yeux clos.
— Aujourd’hui, je te propose qu’on fasse un peu d’instruction civique. Qu’est-
ce que tu en penses ?
— Bof ! Je veux dire, si j’ai pas le choix…
— Bon ; on va essayer. Si tu te sens fatigué, tu me le dis. »
Il est sympa, Philippe. Il fait plein d’efforts pour être agréable et il essaie toujours
de proposer des séances intéressantes. C’est même lui qui écrit le plus souvent parce
qu’il voit que je manque d’énergie. Mais là, j’en ai encore moins que d’habitude et
j’ai juste envie de ne rien faire. Près de la fenêtre, papa lève de temps en temps le nez
de son bouquin pour me regarder en souriant. J’aurai deux mots à lui dire quand on
se retrouvera tous les deux. En attendant, c’est Philippe qui me ramène à ses
moutons.
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« Bien. Alors, si t’es d’accord, on va commencer par parler de ce qui se passe
dans ton collège.
— Le collège ? Mais j’y suis resté à peine six semaines…
— Je sais, je sais. Mais je vais t’aider. Dis-moi, par exemple, si les élèves ont le
droit de mâcher du chewing-gum ?
— … Oui.
— Ah bon ? fait Philippe en me regardant d’un drôle d’air.
— Ben oui, je reprends, conscient que ma réponse ne lui convient pas vraiment.
Dans la cour, on a le droit.
— Ah ! Dans la cour, d’accord. Mais lorsque vous êtes en classe ?
— Non. C’est interdit.
— C’est interdit de mâcher du chewing-gum pendant les cours. Et sinon, est-ce
que vous pouvez venir habillés comme vous voulez ? Avez-vous le droit de porter
des vêtements troués, des tee-shirts trop courts, des piercings … ?
— Ben je sais pas. En même temps, je dois dire, même si je n’y suis pas resté
très longtemps, que j’ai encore jamais vu personne habillé comme ça dans mon
collège. Si c’était le cas, je crois que je l’aurais remarqué !
— D’accord, Hugo. Mais je ne pense pas que ce soit autorisé. Et d’ailleurs,
comment peut-on savoir ce qui est autorisé ou pas ?
— … ?
— Eh bien, ces informations sont écrites dans le règlement intérieur qu’on vous
donne à lire en début d’année. Et sais-tu qui rédige ce règlement ?
— Les profs, j’imagine.
— Oui. Mais pas seulement. Il y a aussi la direction de l’établissement. Et puis
les parents d’élèves.
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— Hum, je réponds sans grand enthousiasme.
— Une autre question : comment circulez-vous, à l’intérieur du collège ?
— Oh ! Euh… A droite et à gauche.
— A droite et à gauche, répète Philippe qui n’a pas l’air de comprendre ma
réponse.
— Oui. Ça dépend dans quelle salle on doit aller.
— Je comprends, dit Philippe comme s’il voulait me rassurer. Mais alors,
comment faites-vous quand il y a un gros flux ? »
Là, j’ouvre grands les yeux et je fixe Philippe en l’invitant à préciser un peu sa
pensée, de façon fort peu sympathique.
« Un QUOI ?
— Un flux, reprend Philippe. Tu sais ce que c’est, quand il y a beaucoup…
— Oui, je le coupe. Je SAIS ce que c’est. Et d’ailleurs, pour tout dire, je n’ai
absolument aucune envie de parler de FLUX en ce moment ! ».
A l’autre bout de la chambre, Papa a posé son livre sur ses genoux et regarde en
direction du parking, de l’autre côté de la vitre. Je ne sais pas ce qu’il y voit mais son
corps est agité de drôles de soubresauts qui trahissent son hilarité. Il va vraiment
falloir qu’on discute tous les deux.
Philippe range ses affaires et s’apprête à quitter la chambre. Quant à moi, je ne
quitte pas mon père des yeux, guettant le moment où il voudra bien se retourner.
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La psy
Dominique, le psychologue que je connaissais, part à la retraite. Il est remplacé
par Camille qui arrive à peu près en même temps que moi, même si nos raisons sont
loin d’être les mêmes. Très rapidement, elle fait le tour des chambres pour se
présenter aux patients et ainsi faire leur connaissance.
Dès notre première conversation, je ne me montre guère coopératif. Je sais que je
vais passer beaucoup de temps à l’hôpital et que le traitement risque de me mettre à
plat. Je n’ai donc qu’une seule idée en tête : qu’on me laisse tranquille, autant que
faire se peut. De toute façon, si j’ai besoin de parler, c’est vers les médecins que je
me tourne.
J’accepte les soins, je ne manifeste pas mes humeurs que je réserve à mes parents
lorsque l’angoisse est trop forte. Je respecte et j’admire le travail de l’équipe
soignante et je fais tout ce que me disent les médecins en qui j’ai toute confiance.
Mais pour le reste, il ne faut pas trop compter sur moi. Je rêve d’être aussi invisible
que possible, comme absent des débats en attendant de retourner chez moi. Je suis un
peu comme Greg, le personnage central du « Journal d’un loser » dont papa m’a lu
quelques extraits après mon opération. Comme lui, je veux être totalement
transparent. Si Greg ne veut faire partie d’aucun groupe (gothiques, intellos, sportifs,
théâtreux…), il ne peut ignorer les attentes de sa mère qui va lui faire vivre un
cauchemar. En ce qui me concerne, je vais devoir accepter les discussions imprévues
et les activités proposées. Et s’il m’arrive de rechigner à participer aux ateliers
sportifs par exemple, je finis toujours par accepter.
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Avec Camille, les choses ne se passent pas exactement comme ça. Bavarder, ce
n’est pas trop mon truc à la base. Et parler de moi ou, pire encore, de ma maladie,
c’est absolument hors de question. A une certaine époque, Dominique m’avait
d’ailleurs affublé d’un surnom que j’avais mis plusieurs années à comprendre. Il
m’appelait « Monsieur Minimum Syndical » ; ce qui, aujourd’hui, se passe de tout
commentaire !
Lors de notre première rencontre, Camille évoque une idée essentielle que je vais
conserver en mémoire jusqu’à la fin de mon traitement. Elle me dit que je ne suis pas
obligé de parler si je n’en ai pas envie. Du coup, il me semble que le problème est
réglé. D’ailleurs, les visites suivantes ressemblent davantage à un monologue dans
lequel elle me tend de petites perches que je prends un malin plaisir à ne pas saisir.
On ne me la fait pas. Un mot en amène un autre et, de fil en aiguille, on finit par
raconter des choses qu’on veut garder pour soi. Moi, tout le monde le sait,les seules
questions qui me préoccupent, c’est aux médecins que je les pose.
Camille comprend très vite que je n’ai aucune intention de me livrer à des
confidences. Elle se montre compréhensive et ne me tient pas rigueur de mon
mutisme. C’est tout juste si je lui livre une information. Je lui confie qu’au fond de
moi, je suis soulagé d’être malade. Lorsque j’avais mal au dos, mes parents avaient
quelque peu douté de ma bonne foi en imaginant que j’étais perturbé par les jeux
vidéo. Le verdict qui est tombé depuis est sans appel et, malgré la gravité de la
maladie, je me sens presque apaisé.
Pour le reste en revanche, je ne cède rien. Il m’est impossible de me confier dans
une chambre d’hôpital. Je me sens prisonnier, retenu par toutes ces perfusions qui
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m’empêchent d’être libre de mes mouvements. Qui sait, les choses seraient peut-être
différentes dans un autre endroit ?
Et puis il y a ce cathéter qu’on m’a implanté. Ce cathéter, c’est mon signe
distinctif, mon étoile jaune à moi. C’est ce qui me différencie des autres et c’est ce
que j’ai de plus lourd à porter. J’ai beau savoir que cette « petite boîte » ne se repère
pas au premier coup d’œil, il n’empêche qu’elle me catalogue en tant qu’enfant
gravement malade.
Mais ces considérations me sont personnelles. Un jour peut-être, je trouverai le
courage d’en parler. Mais ce ne sera ni dans une chambre d’hôpital, ni dans le bureau
d’un psychologue. J’ai besoin de me sentir libre et serein pour évoquer mes
souffrances.
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Le prof (2)
Je ne peux pas dire que j’adore l’école. Mais je ne déteste pas ça non plus, en fait.
Le truc, avec le collège, c’est que je comprends vite que certaines matières me
plaisent plus que d’autres. J’aime assez bien les maths, même si la géométrie me
saoule un peu. Mais ce que je prefère, et de loin, c’est l’histoire. La mythologie, ça
me passionne vraiment. Le français et l’anglais, ça va encore.
Par contre, je dois bien avouer que les arts plastiques, les sciences ou l’instruction
civique, je ne suis pas fan.
Alors, quand Philippe est arrivé sous le flux dans sa tenue de cosmonaute et qu’il
m’a dit qu’il avait encore préparé une leçon d’instruction civique, je n’ai pas sauté au
plafond. D’ailleurs, vu l’état de mes muscles, je serais plutôt tombé du lit ! Mes
cuisses sont à peine plus grosses que mes bras à force d’être alité. Papa prétend que
j’ai des biceps de champion mais je sais qu’il me charrie. Avec mes pauvres
gambettes atrophiées, de vraies cannes de serin, je serais bien incapable de tenir
debout plus de quelques secondes.
Je reste donc sans voix mais ma mine réjouie traduit mon impatience !!! Philippe
ne s’en laisse pas compter et argumente, comme pour me convaincre.
« On va surtout travailler à l’oral. Je ne vais pas te demander d’écrire. C’est moi
qui vais recopier les réponses que tu vas me donner. D’accord, Hugo ?.
— Oui, d’accord, je réponds puisque je ne peux pas y couper.
— Très bien. Alors voilà ; je te propose de parler de la courtoisie. Peux-tu me
dire ce que c’est, la courtoisie, pour toi ? ».
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Là, je prends mon temps avant de répondre, j’ai besoin de réfléchir un peu.. C’est
vrai, quoi, c’est pas un mot que j’emploie tous les jours ; ça doit dater de l’époque de
Louis XIV ou quelque chose du genre. Une astuce pour séduire les dames de la cour
avec classe et élégance. Mais moi, je « courtoise » pas souvent et donner une
définition me pose un souci. Pas au point de faire appel à un ami mais quand
même… Je sais que ça a un certain rapport avec le savoir vivre, le respect et tout ce
genre de trucs. Mais le formuler, c’est une autre paire de manches.
« Ben, c’est quand on est poli et gentil avec les autres, des choses comme ça.
— Oui. C’est un peu ça, c’est vrai. Est-ce que tu connais d’autres mots qui
signifient la même chose ?
— Des synonymes, en fait ?
— Oui, si tu veux. Tu peux aussi me donner une définition de la courtoisie ».
Il pousse le bouchon un peu loin, Philippe, avec toutes ses questions. Si j’étais en
classe, il y en aurait bien un pour lui répondre. Mais là, je dois faire tout le boulot
tout seul. Nouvelle réflexion perplexe.
« Je dirais être aimable, respectueux…bien s’entendre avec les autres.
— Bien, bien. La courtoisie, c’est être sociable. On fait preuve de courtoisie, ou
pas d’ailleurs, dans nos relations avec les autres. Pourrais-tu me donner un exemple ?
— Ne pas bousculer les autres, attendre son tour, comme quand on fait la queue
au self par exemple.
— Oui, voilà. Et dans la vie, comment on peut se montrer courtois ; dans les
transports en commun par exemple ?
— Ah ! Ben, c’est quand on respecte les personnes âgées…
— Oui. Et qu’est-ce qu’on peut faire pour témoigner ce respect ? ».
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Je vois bien où il veut en venir, Philippe. Mais il n’est pas question que je me
laisse faire sans réagir. Certainement pas ! Je me redresse sur mon lit et je lui dis tout
haut ce que j’en pense de son exemple.
« Tu ne crois quand même pas que je vais laisser mon siège à une petite vieille
alors que MOI, je suis HAN-DI-CA-PE ! »
Non mais des fois. Quand la vieille dame anglaise m’a piqué mon tour au bloc
opératoire, je n’ai pas trop vu où elle était, la courtoisie.
D’ailleurs, demain si tu veux bien, on fait des maths, mon cher Philippe.
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Joyeux Noël !
C’est finalement le 20 Décembre que je quitte l’hôpital pour rentrer à la maison.
Quand maman arrive enfin, en milieu de matinée, j’ai l’impression de l’attendre
depuis une éternité. C’est à croire qu’elle ne se rend pas compte : je suis enfin libre !
Maman entre dans la chambre sans sa tenue de cosmonaute habituelle. Elle fait deux
pas et s’immobilise, les larmes aux yeux. Moi, je suis assis en tailleur sur ce lit où
j’ai déjà passé beaucoup trop de temps.
Je dois cependant patienter encore un peu. Les prescriptions médicales, une
dernière auscultation, les recommandations d’usage. C’est un véritable ballet
d’infirmières et de médecins qui se joue dans ma chambre. Je prends mon mal en
patience parce que je ne sais que trop bien que rien n’est laissé au hasard et que si je
mets en application les conseils qui me sont donnés, je me donne les meilleures
chances pour que mon séjour à la maison se passe sans encombres.
Lorsque je quitte enfin le service, c’est une véritable libération qui m’est
accordée. Je suis resté 34 jours sous flux ; j’ai passé au total 55 jours au CHU,
auxquels se rajoutent les 3 passés à l’hopital de Cherbourg. Au passage, j’ai certes
perdu six kilos mais il en faudrait bien davantage pour avoir ma peau !
Malgré tout, lorsque je pose le pied sur le sol, je me rends compte immédiatement
que je ne vais pas pouvoir courir en tous sens et exprimer mon bonheur avec autant
d’exubérance que j’en ai rêvé. Néanmoins, je refuse toute aide extérieure qui
viendrait gâcher ce moment béni. Je veux être autonome et c’est avec une certaine
fierté intérieure que je me rends jusqu’à l’ascenseur , première étape sur le chemin de
ma liberté retrouvée. Quand je traverse le hall, droit comme un « i » malgré une
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démarche quelque peu hésitante, j’aperçois Papa et David à une table de la cafétéria.
Ces deux-là, je me demande combien de cafés ils peuvent bien avaler dans une
journée. Mais je ne poserai pas la question ; Papa est capable de me répondre que si
je donnais moins de soucis, il n’aurait pas besoin d’en avaler autant …
La Nissan est propre comme un sou neuf . Papa et David ont passé la matinée à
l’astiquer et le résultat est au-delà de toute espérance : je la reconnais à peine. Pour
un peu, elle brillerait presque. En revanche, question place, c’est pas le top. Le séjour
ayant été plus long que prévu, il y a des tas de choses à ramener à la maison et on n’a
pas d’autre choix que de se serrer comme des sardines.
Le plaisir que je ressens lorsque la voiture s’arrête devant la maison est
indescriptible. C’est un moment que j’attends depuis des semaines et retrouver mon
univers, mes petites habitudes, ma chambre et mes jeux, tout ça n’a pas de prix. Je
sais que j’ai besoin de repos mais je compte bien profiter des quelques jours que j’ai
devant moi pour ne rien avoir à regretter. Avant de quitter l’hôpital, on nous a remis
le protocole de la phase suivante et les soins vont s’enchaîner sans beaucoup de répit.
Je sais donc que je dois retourner au CHU dès le 22 Décembre, autrement dit
quarante-huit heures après mon retour, puis le 29. Et j’y suis même attendu le 1er
Janvier pour des vœux auxquels je vais devoir me préparer.
A la maison, même si mon intention est de remettre ma console de jeux en route,
c’est mon lit que je retrouve en premier. J’ai bien conscience que je suis faible et la
fatigue est plus forte que mon envie de jouer. Peu importe ; je suis de retour chez moi
et je vais gérer mon emploi du temps en fonction de ma forme.
Par contre, j’aimerais bien recevoir quelques visites, bavarder avec les copains,
revoir la famille. Mais, si le téléphone chauffe dès notre retour, rares sont les
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personnes qui viennent à la maison. Je suis « fragile » et les gens ont peur de me
transmettre un microbe qui pourrait me terrasser. Ce n’est pas forcément facile à
accepter mais je comprends qu’ils essaient de me protéger. Je n’ai pas beaucoup de
défenses immunitaires et le moindre microbe représente un danger pour moi.
Mes parents m’expliquent qu’autour de nous, de nombreuses personnes viennent
régulièrement aux nouvelles et que si le téléphone ne se repose guère, c’est parce que
beaucoup de monde pense à moi et me soutient. Ils me disent aussi qu’il en est ainsi
depuis le début de mon hospitalisation et que la famille et les amis m’aiment
énormément et sont bouleversés par ce qui m’arrive. Je n’en reviens pas que, pendant
que je luttais contre cette solitude qui me pesait, autant de personnes aient pensé à
moi aussi régulièrement. J’en ai même les larmes aux yeux et j’ai hâte de les
retrouver pour leur dire combien, moi aussi, je les aime fort.
Durant cette période de vacances, entrecoupée de retours au CHU pour de
nouvelles chimios, je reçois toutefois une visite régulière, celle de Mathilde, la kiné,
qui vient pour tenter de me remettre sur pieds. Après cette longue hospitalisation,
mon côté droit est nettement affaibli. Ça ne m’empêche pas de faire preuve d’auto-
dérision et d’amuser la galerie lorsque j’affirme que je suis devenu handidextre par la
force des choses ! Un comble pour un joueur de tennis droitier comme moi…
Le réveillon de Noël retient cependant toute mon attention. Bien sûr, j’ai toujours
apprécié cette fête de famille, mais cette année je me réjouis particulièrement de voir
toute la famille rassemblée. Mes grands-mères, mes frères, leurs compagnes et mon
neveu ont tous répondu à notre invitation, ce qui me réjouit. Ils sont tous là sous mes
yeux, je peux même les toucher et les embrasser après en avoir été si longtemps
privé. Pendant mon séjour sous la bulle, à force de me passionner pour les émissions
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culinaires, j’ai eu tout le temps de réfléchir au menu et cette année, c’est dinde aux
marrons. D’ailleurs, je prends les choses en mains et je suis aux premières loges en
cuisine tout l’après-midi.
L’ouverture des cadeaux qui vient clore cette belle soirée fait de moi un garçon
gâté. Je reçois de nombreux jeux, pour la plupart des jeux vidéo d’ailleurs. Mais j’ai
surtout besoin de confort douillet et j’ai commandé des coussins moelleux et
d’épaisses couvertures pour me sentir protégé lorsque je ressens la fatigue.
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Mathilde Makiné
Mathilde, c’est ma kiné. Du moins, je fais partie de ses patients. Pendant
longtemps, elle s’est occupée de la rééducation de papa. C’était il y a deux ou trois
ans je crois et ça lui a donné un sacré boulot. Papa a commencé par avoir mal au
dos ; après, c’était une aponévrosite machin-chose à la voûte plantaire et pour finir,
une opération du pied !
Du coup, forcément, Mathilde connait bien la famille, surtout qu’elle jouait au
tennis dans le club où travaillait papa avant d’être déclaré inapte. Il n’aime pas trop
ce mot-là d’ailleurs, papa ; ça doit sans doute lui évoquer une sorte de handicap…. Et
puis c’est sa collègue, à Mathilde, qui m’avait reçu en urgence et conseillé d’aller à
l’hôpital, quelques semaines plus tôt. Alors Mathilde prenait régulièrement de mes
nouvelles. N’empêche, elle a été drôlement surprise quand elle a appris ma rechute.
Elle non plus ne s’attendait pas à ça.
Quand elle a su que j’étais sous flux pour de longues semaines, elle a aussitôt
proposé de s’occuper de ma rééducation à ma sortie. Il parait que lorsqu’on reste alité
une semaine, il faut un mois pour récupérer musculairement. Je sais pas trop si c’est
vrai, mais pour moi qui suis resté cinq semaines allongé, ça signifie que je vais
devoir tout réapprendre.
Pendant les vacances de Noël, à ma sortie de « la bulle », Mathilde commence les
séances à domicile. La prescription médicale est de trente séances de rééducation à la
marche, à raison de trois séances par semaine. Le problème principal vient du fait
que je n’ai plus de forces dans les cuisses. Mes quadriceps ont dû fondre pendant
mon hospitalisation. Pour compenser, je « verrouille » le genou en quelque sorte, ce
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qui me donne une marche saccadée, jambe tendue avec les hanches qui partent dans
tous les sens. En plus, les médecins me disent que ce n’est pas bon pour les cartilages
du genou.
Avec Mathilde, je réapprends les bonnes manières. Du moins en ce qui concerne
la façon de me tenir et les habitudes à reprendre. Mathilde est drôlement sympa avec
moi. Elle alterne les séances de travail intensif avec des séances de massages quand
j’ai mal aux cuisses ou aux mollets. Parfois même, quand je suis très fatigué, je fais
la rééducation dans ma chambre.
C’est comme ça qu’elle voit que je lis beaucoup de mangas. Mes étagères croulent
sous le poids de différentes séries, pratiquement complètes : « Fairy tail », « GTO »,
« Bleach » mais aussi « One piece » qu’on me prête.
« Il y a quelques années, je suis allée à la Japan expo, à Paris, me dit Mathilde. Je
suis sûre que ça te plairait. C’est un événement qui se déroule tous les deux ans ».
Sitôt la séance terminée, je me précipite sur mon ordinateur , direction Internet.
Bingo ! En plein dans le mille, c’est bien cette année. La Japan expo se déroulera
début Juillet. Cette bonne nouvelle en poche, je consulte le protocole de soins pour
plus de certitude. Si tout se passe bien, la chimiothérapie prendra fin en Mai. Ça
laisse un mois pour les rayons. J’espère que ça va passer.
Mathilde apporte parfois du matériel qu’elle laisse à ma disposition pour que je
puisse travailler régulièrement. Le pédalier, ça va encore ; je peux pratiquer tout en
regardant la téloche. Mais l’élastique, j’aime moins ; c’est pas très rigolo. Et puis je
peux aussi utiliser le step. Ça plombe un peu le moral de voir combien c’est difficile
pour moi. Je n’ai aucune puissance dans les jambes, alors je dois produire de gros
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efforts qui me fatiguent vite. Mais Mathilde m’encourage toujours. Elle positive
même quand je me trouve pathétique !
Ce qui est chouette avec Mathilde, c’est qu’on discute beaucoup pendant les
séances. Elle s’intéresse à ce que je fais, à ce que je lis. Elle me prête des BD. Un
jour, elle arrive même avec des posters de mangas que je m’empresse d’accrocher
dans ma salle de jeux.
Les séances se passent toujours bien. Parfois, je suis si faible que je ne peux pas
quitter mon lit. Mais je suis toujours heureux de mon rendez-vous avec ma kiné
parce qu’on passe un bon moment. Et si je suis en forme et que je travaille bien, il
m’arrive quelquefois de monter l’escalier sans l’aide de personne.
Quand les trente séances sont faites, les médecins en prescrivent trente autres . Ça
tombe bien ; on a encore des trucs à se raconter avec Mathilde.
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La première consolidation du traitement
Cette phase qui fait immédiatement suite à ma longue période sous flux est
nettement moins traumatisante même si je prends rapidement conscience des
différentes contraintes qui m’attendent. Bien sûr, j’apprécie beaucoup le fait qu’il n’y
ait pas d’hospitalisation et de pouvoir rentrer à la maison après les soins et les
injections. Les examens de contrôle et, surtout, les échanges avec les médecins
durant les auscultations me rassurent à chaque fois ; j’ai besoin d’entendre leurs avis
et conseils pour me sentir bien. Par ailleurs, de nombreuses prises de sang sont
réalisées pour détecter une éventuelle aplasie, toujours possible.
Je dois donc me rendre au CHU le mardi et le vendredi pendant quatre semaines.
La première chimio est fixée au 22 Décembre et, dans la foulée, je commence la
kinésithérapie motrice à domicile. Le séjour sous la bulle m’a quelque peu affaibli,
c’est rien de le dire. Comme je l’ai déjà évoqué, Mathilde débarque donc à la maison
juste avant Noël pour me faire travailler les quadriceps. Je dois reconnaître que je
n’ai pas beaucoup de résistance et les exercices qu’elle me propose, même les plus
simples, me mettent rapidement sur les genoux.
Le 1er Janvier, je commence l’année 2016 au CHU. La veille, le réveillon à la
maison avec la famille et quelques amis a été marqué du sceau de la sagesse et du
raisonnable. Nous avons quand même réussi à veiller jusqu’à minuit mais au milieu
des embrassades et des vœux, la situation avait un côté un peu ironique.
« Bonne année et bonne san… Euh, meilleure santé, on va dire, hein ?
— Ben oui, d’accord. En même temps, je sais que ça va durer plusieurs mois.
Donc l’année 2016, elle risque quand même d’être un peu pourrie. »
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Je me retrouve donc au service oncologie pour débuter cette nouvelle année. Les
sentiments qui me traversent l’esprit sont assez contradictoires. J’aimerais être
n’importe où ailleurs mais je sais que si je veux prétendre à des jours meilleurs, c’est
là que je dois être parce que la maladie ne me laisse pas le choix et qu’on prend soin
de moi. Et puis tous ces hommes et ces femmes, dévoués à leur métier et qui font des
miracles, j’ai vraiment envie qu’ils profitent d’une belle et heureuse année ; je profite
donc de ma présence pour leur dire avec la plus grande sincérité.
Le premier contretemps auquel je suis confronté en ce début d’année est causé par
une constipation. La chimio réserve des surprises qu’on appelle également effets
secondaires ; la constipation en fait partie même si ça n’a rien de glorieux. Et puis,
bien sûr, quelques jours plus tard, je suis aux prises avec une forte diarrhée
provoquée par les médicaments ingurgités pour venir à bout de la constipation. A ce
jeu du chat et de la souris, je préférerais passer mon tour si on m’en donnait la
possibilité.
Le 11 Janvier est une date que j’ai cochée sur mon calendrier. En effet, je dois me
rendre au collège et passer une heure dans ma classe. Mais il ne s’agit pas d’un cours
classique auquel je viens assister. L’infirmière coordinatrice et le professeur du CHU
sont là eux-aussi. Nous rencontrons les élèves de ma classe ainsi que quelques
professeurs et la principale adjointe pour parler ouvertement de ma maladie. Après la
projection d’un film qui présente la leucémie, son traitement et la vie à l’hôpital, je
réponds aux questions qui me sont posées. Oui, les cinq semaines sous flux ont été
longues ; oui, j’ai parfois perdu le moral ; non, je ne suis pas inquiet parce que j’ai
confiance en toutes ces personnes qui s’occupent de moi. Et oui, je peux faire des
choses comme sortir ou recevoir des visites, même si je dois me montrer prudent et
ne pas aller dans les endroits où il y a beaucoup de monde par exemple.
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Au cours de cette intervention dans mon collège où il était question de
dédramatiser la maladie et montrer que la vie continue malgré tout, je rencontre
Anthony. Lui aussi a rechuté, quelques mois avant moi. Il en est presque à la moitié
de son traitement d’entretien et on lui a retiré son port à cath. Il a l’air en forme et
semble suivre sa scolarité dans de bonnes conditions. Le voir et bavarder un court
moment avec lui me donne meilleur moral, même si je sais que, pour moi, le chemin
s’annonce encore long.
Je poursuis mon traitement. Les deux déplacements hebdomadaires se déroulent
dans les meilleures conditions possibles et, même si la fatigue prend parfois le
dessus, je parviens à profiter des moments passés à la maison. Je ne ressens
pratiquement pas d’effets secondaires ; du coup, je me prends à espérer que le
traitement soit moins douloureux que prévu.
Même ma tignasse semble supporter la chimiothérapie ! C’est ainsi que, début
janvier, Odile m’en attrape une poignée et tire dessus, histoire de vérifier. Surprise,
elle ne découvre pas le moindre cheveu quand elle déplie sa main. Moi aussi je suis
épaté : petit, la chimio avait rapidement eu raison de mes tifs qui tombaient par
poignées.
Durant cette première consolidation du traitement, je ne fais pas d’aplasie, ce qui
me permet d’être un peu plus détendu . Mine de rien, ça aide à surmonter l’épreuve.
Mes globules blancs ne me laissent pas tomber pour l’instant et il n’est pas
nécessaire de contrôler ma température à tout bout de champ.
A l’occasion d’une de mes dernières chimios, un peu poussé par mes parents qui
ne sont pas en mesure de me répondre, je me risque à demander à Damien si je
pourrai retourner à l’école avant la fin de l’année scolaire. Damien, très pédagogue,
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me montre alors mon protocole de soins et m’explique la façon dont les choses
risquent de se dérouler, avec les périodes de fatigue et d’aplasie. Mais sa réponse me
réjouit puisqu’il m’apprend que, selon toute vraisemblance, je devrais pouvoir
retourner une semaine au collège, en Mai ou Juin.
Et je suis bien obligé de lui faire répéter sa conclusion que j’ai peur d’avoir mal
entendue. Alors, calmement, Damien me dit une seconde fois :
« Tu réagis très bien au traitement pour l’instant. Et puis, s’il le fallait, on a
d’autres choses qu’on pourrait te proposer. Mais tu dois savoir qu’avec les autres
médecins, on n’est pas inquiets pour ta vie. »
Là où d’autres auraient peut-être envie de crier, de faire des bonds, de courir
partout, moi, j’enfonce ma tête dans l’oreiller et je me répéte en boucle ce qui vient
d’être dit. Et puis, pour plus de certitude, je me tourne vers mon père.
« P’pa, t’as entendu comme moi ce que vient de dire Damien ? »
P’pa se contente d’un signe de tête. De toute façon, vu son sourire, je sais qu’il a
entendu la même chose que moi.
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Le prof de sport
Mes douleurs au dos avaient rendu mon début d’année très difficile à tout point de
vue. Alors, au fil du temps, j’avais peu à peu tiré un trait sur le sport jusqu’à me voir
délivrer un certificat de dispense. Le cross du collège avait été un supplice et je
n’étais plus en mesure de participer à un entraînement de tennis sans m’arrêter.
C’est ainsi que je me retrouve allongé sur un lit d’hôpital, perfusé, nauséeux et
guère vaillant quand la porte de la chambre s’ouvre et qu’un jeune homme vêtu de la
fameuse tunique bleue réservée au personnel hospitalier se présente.
« Bonjour Hugo. Je m’appelle Vincent et je viens te proposer de participer à des
activités sportives si tu es d’accord ».
Je me pince, histoire d’être sûr que je ne suis pas en plein cauchemar. Du sport !
Ben oui, pourquoi pas… Ça tombe bien je commençais à avoir des fourmis dans les
jambes. D’ailleurs, je me verrais bien foncer dans les couloirs de l’hôpital sur des
rollers ; ou même m’éclater sur un trampoline, à inventer des figures de malade.
« Aujourd’hui, je passe te voir pour qu’on fasse connaissance. Et puis, les jours où
tu ne seras pas trop fatigué, on pourra faire des petites séances de quinze ou vingt
minutes. »
Okay ! Alors comme ça, le gars Vincent, il ne blague pas ; il compte vraiment
qu’on fasse du sport dans ma chambre, alors que je suis perfusé et que je peux à
peine poser le pied par terre. Je le vois venir, avec ses gros sabots ; mais je ne vais
pas me laisser faire. Osselets, dominos, mikado ou sophrologie, c’est tout vu, je
refuse direct.
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« Alors, Hugo, dis-moi ; qu’est-ce que tu aimes comme sports ? Le foot ? Le
basket ? Je peux te proposer pas mal de trucs, tu sais. »
Me voilà dans de beaux draps. Il ne plaisante donc vraiment pas. Mais comment
peut-il croire que, dans mon état, je vais attraper ou même simplement lancer un
ballon ? Pourtant, devant son insistance, j’opte pour le basket – je n’aime pas le foot
– en imaginant déjà les dégâts dans la chambre. S’il m’embarque dans son délire, j’ai
intérêt à garder la sonnette d’alarme dans la main !
Et pourtant, trois jours plus tard, sous mes yeux ébahis, je vois Vincent
transformer ma chambre en véritable salle omnisports. Il accroche un panier de
basket à la porte, pose des bandes au sol et dispose des ballons de mini basket sur le
lit. C’est parti pour un tour ! On commence par des passes, puis des lancers. Mais,
comme je le redoutais, les choses ne tardent pas à se corser. Le bougre me propose
un parcours où il me faut lancer le ballon, puis aller le récupérer, passer au-dessus du
lit sans lâcher le ballon et recommencer. Je réalise l’exercice sous le nez de mon père
qui me regarde avec de grands yeux ronds et un sourire niais venu de nulle part.
Quand la séance s’arrête, au bout d’un quart d’heure, je suis mort de fatigue. Plier les
jambes pour récupérer le ballon au sol m’a demandé des efforts surhumains.
Les séances vont ainsi s’enchaîner pendant environ cinq mois, tantôt dans ma
chambre – y compris durant mes séjours en secteur stérile – tantôt dans les couloirs
du service. Et de nombreux sports vont y passer : fléchettes, hockey, trampoline, tir à
l’arc…
Au fur et à mesure de nos rendez-vous, on apprend à se connaître. Je découvre
ainsi que Vincent est étudiant en STAPS : Sciences et Techniques des Activités
Physiques et Sportives. Sa présence à l’hôpital est le résultat du choix de son option
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APS : activité physique adaptée et santé. Il anime donc des séances adaptées aux
possibilités de chacun, auprès de publics à besoins spécifiques. Ses sports de
prédilection sont la natation et le judo, tandis que moi, c’est plutôt tennis et basket.
Et son objectif est de montrer l’avantage du sport adapté sur la qualité de vie du
patient (moral, confiance en soi…) durant l’hospitalisation.
Vincent est trop fort dans un domaine précis : la persuasion. C’est le roi de la
discussion, le maître des arguments qui font mouche. Il finit toujours par me
convaincre de participer, même les jours où je ne vaux pas grand-chose. Quand je ne
suis pas trop motivé, je ferme les yeux et je m’enfonce dans mon matelas. J’ai beau
faire semblant d’être au bout du rouleau, parler tout bas, bâiller et geindre, rien n’y
fait. C’est dire s’il est fort parce que j’ai quand même obtenu le césar du meilleur
acteur pour mon rôle de composition dans « Je suis cuit, j’en peux plus ! ». Je dois
cependant préciser que les séances se déroulent l’après-midi et que mon père est
presque toujours présent. Et je ne peux pas compter sur son soutien, vu qu’il se range
toujours du côté des méchants…
C’est en Janvier que j’ai fait la connaissance de Vincent, pendant mes premières
cures après être sorti de la bulle. Je reconnais que je n’étais pas toujours enchanté par
ses visites mais il savait y faire. Il disait comme moi, reprenait mes mots en laissant
les maux de côté. Jamais il ne m’obligeait à participer à une activité…mais jamais il
n’est reparti avant de m’avoir fait sortir de mon lit. Souvent, j’ai rechigné ; savoir
que j’allais avoir mal aux jambes, qu’il me faudrait plusieurs heures pour m’en
remettre n’avait rien d’encourageant. Mais je dois aussi avouer qu’il m’est arrivé,
même si je me suis bien gardé de le laisser voir, de prendre goût à ce qui était
proposé. Réussir à franchir un obstacle ou atteindre une cible quand on est persuadé
qu’on va échouer procure un sentiment de fierté qui fait du bien au moral.
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Au début, on fait beaucoup de basket. Je n’ai pas beaucoup de déplacements à
effectuer mais Vincent, l’air de rien, ajoute progressivement certaines difficultés
pour m’amener à fournir de petits efforts et faire travailler mes muscles endormis. Je
pousse des soupirs, jette des dizaines de coups d’oeil sur l’aiguille de ma montre,
pressé d’en finir. Et puis, quand je me laisse convaincre de sortir de ma chambre, je
prends part à des exercices variés sous forme de parcours. Je fais alors beaucoup de
motricité dans le couloir où Vincent dispose des tas d’appareils (agrès, trampoline,
haie, panier de basket, cibles …)
Au mois de Mai, pour fêter sa dernière séance, Vincent nous propose purement et
simplement un challenge. Je me retrouve au beau milieu d’un groupe d’enfants
perfusés prêts à en découdre. Les parents présents ont pour mission de pousser les
pieds à perfusion tout en gardant un œil sur les tubulures soumises à rude épreuve et
qui ne demandent qu’à s’emmêler. Pour l’occasion, l’étage est transformé en stade
olympique. Il y a des ateliers installés partout dans le service mais aussi dans le
grand couloir. De nouveaux parcours ont été aménagés et chaque espace est dédié à
un sport : ping pong, hockey, tir à l’arc, foot…
Le challenge dure une partie de l’après-midi. Je m’éclate bien parce que je peux
passer rapidement d’une activité à une autre. Et comme Vincent n’a rien laissé au
hasard, l’animation se termine sur un goûter fort apprécié. Il est trop fort, Vincent. Et
c’est lui qui a raison ; le sport, c’est bon pour le moral ! En plus, ça ouvre l’appétit…
même à l’hôpital !
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L’entonox
« Tous les êtres humains naissent libres et égaux. » Tu parles, Charles ! Je ne sais
pas exactement qui a écrit ça mais, si j’en ai l’occasion, j’aurai deux mots à lui dire à
celui-là.
A l’hôpital non plus, nous ne sommes pas vraiment libres. Et pas égaux non plus
d’ailleurs, face à la maladie ou aux effets secondaires. En ce qui me concerne, je ne
suis pas trop victime de nausées. Beaucoup moins en tout cas que certains voisins,
compagnons d’infortune, qui réagissent violemment à certaines chimios et vomissent
tripes et boyaux.
Malgré tout, je ne suis pas plus épargné que cela. Je dois, moi aussi, affronter ma
part de douleurs et faire face à certains examens qui ne font guère plaisir. Au premier
rang de ceux-ci, juste devant la ponction lombaire, je place le myélogramme. Dans
les deux cas, j’appréhende le moment car je sais que je vais passer un sale quart
d’heure…sans parler du temps d’immobilisation qui suit.
La ponction lombaire et le myélogramme sont des examens médicaux réalisés
sous anesthésie locale. La ponction, qu’elle soit réalisée dans le dos ou sur la crête
iliaque, est un examen douloureux qui peut s’avérer traumatisant. A quatre ans, je me
réveillais angoissé les matins où je devais subir une ponction lombaire.
A onze ans, et même si je suis matinal, j’avoue que je ne me sens pas vraiment de
taille à affronter ces examens qui me fichent une trouille bleue. Sans compter que,
pour faciliter la tâche du médecin ou de l’interne, il ne faut pas bouger. Mais
comment être détendu en pareilles circonstances ? C’est dans ces occasions que je
reçois le renfort de deux solides chevaliers nommés Entonox et Hypnovel.
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L’Entonox est un gaz administré par inhalation lors des actes douloureux. Il
entraîne un apaisement, une relaxation et une diminution des réflexes qui favorisent
l’examen. L’Entonox me détend et atténue la douleur ; cependant, parfois, lorsque je
suis trop anxieux, il est associé à l’Hypnovel, un sédatif à action rapide.
L’Hypnovel désinhibe et entraîne une diminution de la mémorisation. Ainsi, je
n’ai pas de souvenir de la façon dont l’examen s’est déroulé, ni de mon
comportement. Et je me dis que c’est mieux ainsi, si j’en crois ce que me rapportent
mes parents.
Lors de l’une des dernières cures, alors que Damien s’apprête à réaliser la
ponction et qu’Odile veille à ce que j’adopte la bonne posture, l’Hypnovel fait des
ravages. Ma discrétion naturelle disparait bien vite et je me lance dans une discussion
à bâtons rompus avec les médecins médusés.
« N’empêche, je crois que tous les enfants qui sont à l’hôpital, et même les adultes
d’ailleurs, peuvent vous remercier.
— Ah bon. Pourquoi dis-tu ça ?
— Ben, c’est quand même grâce à vous si on est là…
— Euh… Nous, on préférerait que vous ne soyez pas là, on peut te l’assurer !
— Oui, oui, je sais mais… Je m’exprime mal. Ce que je veux dire, c’est que
c’est vous qui nous guérissez, quand même. C’est à vous qu’on doit dire merci.
— Vu comme ça, d’accord. »
L’Hypnovel agit vite et je commence à rire nerveusement, sans raison. Mais
quand je me tourne légèrement et que j’aperçois mon père avec une tête de chat, je ne
peux pas me retenir. J’essaie de raconter ce qui m’arrive mais je bafouille et tout le
monde rigole dans la chambre. Je reprends quand même le fil de ma discussion.
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« Moi, j’aimerais vous faire un cadeau à tous. Un cadeau d’anniversaire, ce serait
bien. Mais je ne connais pas la date de votre anniversaire.
— Et toi, c’est quand, ton anniversaire, Hugo ? me répond Odile.
— Moi, c’est le… euh… 9 Octobre. »
Alors Odile, sans me donner de réponse, me glisse un indice.
« Tu prends les mêmes chiffres et tu en changes l’ordre ; alors tu connaitras la
date de mon anniversaire. »
Je me concentre à mort pour réfléchir puis je lui fais part de ma réponse. Bingo !
«Incroyable ! Même sous Hypnovel, tu as réussi à calculer sans te tromper. »
J’essaie d’obtenir les dates d’anniversaire des autres personnes mais mes propos
sont de plus en plus décousus et incompréhensibles. J’entends rire une dernière fois
puis la voix d’un médecin qui ramène le silence :
« Je crois qu’il est prêt. »
La ponction lombaire peut démarrer ; je suis aux abonnés absents.
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La vie à la maison
Si l’on regarde le calendrier – chose dont je laisse le soin à mes parents tellement
je suis dépité – je passe plus de temps à la maison qu’à l’hôpital. Mes parents
semblent y prêter attention, surtout lorsqu’il s’agit de me remonter le moral. Mais je
vois clair dans leur jeu ; tout ça, c’est de la fiction. Les journées à la maison passent
beaucoup plus vite que celles où je reste enfermé dans une chambre d’hôpital. Et puis
il y a le stress lié aux risques d’aplasie fébrile qui me conduirait en chambre stérile.
Et ça, c’est tout sauf des chiffres ; c’est la triste réalité qui empiète sur mes moments
de liberté conditionnelle.
Quand arrive le dernier jour d’une cure, je ne vois pas le moment de rentrer. J’ai
hâte de retrouver ma maison, je suis pressé de reprendre mes activités favorites et,
dans mes rêves, j’imagine que je vais pouvoir partager un peu de temps avec mes
copains, à jouer à la console. Mais les choses ne se passent jamais comme je le
voudrais. Sitôt rentré, je dois me faire une raison. Je manque d’énergie et le lit est
mon plus fidèle compagnon. Il me faut à chaque fois deux jours pour reprendre un
peu de forces. L’escalier n’est rien d’autre à mes yeux qu’un parcours du combattant.
Il m’arrive parfois, quand je me repose dans ma chambre, d’utiliser le portable pour
appeler mes parents au rez-de-chaussée. Naturellement, mes besoins sont assez
limités : un verre d’eau ou un fruit le plus souvent. Mais je n’ai pas la force de me
lever. Les effets de la chimio mettent un certain temps à s’estomper et il en va de
même pour ce qui concerne le goût. J’ai l’impression de mâcher du plastique ; même
le jus d’oranges a un goût infect. Je mange très peu y compris quand on me présente
un plat dont j’ai très envie. Mes parents se montrent à l’écoute mais il n’y a rien à
faire, tout me semble écoeurant.
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Au troisième jour, les nausées se font plus rares et je retrouve en partie l’appétit.
Je peux alors sortir de ma chambre pour me rendre à la salle de jeux située à l’autre
bout du couloir. J’y passe un petit moment à jouer à Minecraft, Batman ou Star
Wars. Et puis, petit à petit, la fatigue se fait sentir et je dois regagner ma chambre où
je finis immanquablement par somnoler devant une vidéo qui, au départ pourtant, me
distrayait. Me lever ou marcher me fatigue ; prendre une douche m’épuise. Chaque
chose m’oblige à fournir de gros efforts que je paie cash dans la foulée.
Les visites se font rares. La famille et les amis sont très présents, mais toujours par
téléphone. Ils n’osent pas venir à la maison, craignant de me refiler un microbe
quelconque qui aurait tôt fait de me terrasser. Et je n’ai pas non plus à faire face aux
soins qui m’avaient été imposés sept ans plus tôt, durant ce même traitement lourd.
Après une trombophlébite cérébrale (un caillot de sang qui obstruait une veine),
j’avais dû supporter durant plusieurs mois l’injection d’un anticoagulant par piqûre
dans la cuisse que l’infirmier m’infligeait tous les jours.
Cette fois, pas de soin journalier mais des numérations, une ou deux, voire trois
fois par semaine selon mon état. Toutefois, les visiteurs qui frappent à la porte ne
viennent pas pour me distraire. Leur objectif est de m’accompagner dans mon
rétablissement et m’aider à rattraper le temps perdu en vue de jours meilleurs.
Il y a tout d’abord Mathilde, ma Kiné qui vient deux fois par semaine, parfois
trois. Mathilde alterne les séances de rééducation qui mettent ma faible mobilité et
ma pauvre résistance à rude épreuve avec des séances de massage qui me font le plus
grand bien. Dès le début, elle a annoncé la couleur, confirmant les propos des
médecins : la rééducation sera longue, faite de hauts et de bas. Il me suffit
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aujourd’hui d’écrire ces quelques lignes pour ressentir encore la fatigue provoquée
par toutes ces séances !
Les profs du collège viennent aussi me faire travailler à la maison. Dès le début de
l’année, on m’a accordé des cours particuliers et, pour le coup, je trouve qu’ils
portent bien leur nom. Je préférerais, de loin, aller au collège avec les copains et
jamais je n’aurais imaginé bénéficier de cours à domicile. Dans le meilleur des cas –
ce qui n’arrive quasiment jamais – je peux « profiter » de deux heures de maths, deux
heures de français et une heure d’anglais. Les professeurs se montrent très gentils et
attentionnés. Ils tiennent compte de ma fatigue pour adapter le travail que je dois
réaliser. Petit à petit, même si c’est parfois compliqué pour moi, je reprends
confiance et la perspective de retrouver les copains en classe de cinquième est une
excellente motivation.
Parmi les effets secondaires du traitement, les mucites buccales peuvent
certainement être rangées dans la catégorie « désagréable et douloureux ». La mucite,
c’est une inflammation de la muqueuse qui tapisse l’intérieur des joues ainsi que les
gencives, provoquée par la chimiothérapie. Elle se traduit par des lésions plus ou
moins importantes qui font atrocement souffrir quand on avale ou même quand on
déglutit. Pour atténuer les douleurs, je dois effectuer de nombreux bains de bouche et
veiller à me brosser les dents soigneusement, chose peu évidente quand les gencives
saignent.
Les phases d’aplasie soumettent toute la famille à rude épreuve. On surveille ma
température toutes les deux ou trois heures, redoutant que la fièvre ne m’oblige à un
séjour en chambre stérile. Je reste enfermé dans ma chambre, allongé au-dessus des
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draps pour ne pas avoir trop chaud. Parfois, ça marche ; parfois, la fièvre arrive
quand même.
Enfin, il y a tous ces moments où l’incompréhension est forte; j’ai en effet parfois
du mal à comprendre mes parents. Quand ils sont trop prévenants, collés à moi, j’ai
l’impression que quelque chose les inquiète et qu’ils ne veulent pas m’en parler.
Mais quand ils sont trop détendus, je pense qu’ils cherchent à me cacher quelque
chose. Difficile d’être serein quand on est enfermé dans une cage !
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La deuxième consolidation
Cette deuxième consolidation m’impose de nouveaux séjours à l’hôpital. Même si
ce sont des hospitalisations de quelques jours seulement, je suis toujours un peu triste
de quitter ma maison. Les injections ne sont pas forcément agréables et vivre branché
en permanence me prive d’une part de cette liberté à laquelle je suis devenu très
attaché. Bien sûr, je pourrais, comme d’autres le font, sortir de ma chambre pour me
rendre dans la salle de jeux ou me dégourdir les jambes dans le couloir. Mais je n’ai
aucune envie d’emporter avec moi ce pied à perfusions si encombrant pour
déambuler dans le service.
Les dates fixées pour cette deuxième phase sont assez rapprochées : du 19 au 24
janvier, puis du 28 au 31. Un rapide coup d’œil sur le calendrier me permet de
constater, avec un soulagement certain, que ces séjours comprennent un mercredi,
deux samedis et deux dimanches. Autrement dit, cinq jours où je n’aurai pas cours
puisque le prof ne sévit pas à l’hôpital. Je ne rechigne pas particulièrement pour
travailler et l’instituteur de l’hôpital est très bienveillant. Mais je n’arrive pas à me
motiver. Focalisé sur ma maladie, sur mon immobilisation, je passe l’essentiel de
mes journées à attendre que le temps passe, et je soupire souvent en constatant que
les aiguilles de la pendule avancent au ralenti.
Avant de débuter cette deuxième phase, je réalise une IRM médullaire le 15
Janvier qui montre une amélioration par rapport à la précédente.
En revanche, toutes proportions gardées, un phénomène quasi surnaturel s’abat
sur moi. Mes cheveux qui, jusque là avaient parfaitement résisté au traitement
donnent des signes de fatigue. Sur le sommet de mon crâne, ils semblent invincibles,
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mais dans la nuque, ils rendent l’âme par poignées. Du coup, sans y trouver rien de
séduisant, je ressemble à un petit oisillon tout juste tombé du nid.
Si je supporte assez bien les chimios, peu de nausées et de vomissements, tout
juste ces constipations à répétition, d’autres effets secondaires se manifestent
toutefois. C’est ainsi que le brossage des quenottes devient de plus en plus
douloureux au fil des jours. La chimiothérapie, m’expliquent alors les médecins, tue
les cellules cancéreuses certes, mais peut également avoir un effet négatif sur les
cellules normales du corps. La bouche n’est pas épargnée ; j’ai déjà donné avec les
mucites lors de ma première leucémie, mais des douleurs au niveau des gencives, des
caries, des saignements peuvent aussi se produire. Je me vois donc contraint
d’effectuer un bilan dentaire afin de déterminer si des soins adaptés doivent être
envisagés. Fort heureusement, le verdict plaide en ma faveur – pour une fois ! Les
douze dents abîmées par la chimio sont des dents de lait. Ouf ! Pas de caries
détectées. Je ne vais pas avoir à affronter la roulette effrayante d’un dentiste sadique.
Je débute cette deuxième phase par un myélogramme que je redoute un peu mais
qui se déroule sans douleurs. Je tolère bien la chimio qui m’est administrée même si
je constate que la surveillance de la diurèse est toujours aussi pénible. Je suis hydraté
en permanence, ce qui m’amène à uriner plusieurs fois par heure. Je sais que c’est le
but et que mes urines sont mesurées et contrôlées ; ça ne m’empêche pas de trouver
la situation pesante.
Le deuxième jour, un court répit m’est accordé. Je peux rentrer à la maison à
condition de revenir à l’hôpital…le lendemain ! Une nouvelle chimio m’attend,
accompagnée d’une ponction lombaire avec mon compagnon fidèle appelé
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Hypnovel. Le soir même, je regagne mon domicile puisque les trois injections
suivantes doivent être faites à Cherbourg.
Mais les choses ne se passent pas tout à fait comme prévu et la numération qui
suit la deuxième injection révèle une aplasie. Les choses prennent bien vite une sale
tournure. A la maison, je monte à 38,8° de fièvre. Un coup de fil rapide, les valises
sont jetées dans le coffre et nous prenons la direction du CHU. Je suis fatigué et
douloureux quand j’arrive à l’hôpital où on me dirige vers une chambre d’isolement
sans attendre.
Je vais finalement rester onze jours dans cette chambre stérile. Onze jours durant
lesquels je mange très peu, ce qui me conduit à perdre quatre kilos. Je reste en
aplasie fébrile durant les six premiers jours, avec des températures oscillant entre 38
et 39°. Les risques d’infection sont assez rapidement écartés puisque les
hémocultures réalisées se révèlent toutes négatives.
A ma sortie, et même si le traitement a été réalisé comme prévu dans le protocole,
les choses ne s’arrangent pas. J’éprouve certaines difficultés à marcher et je ressens
une fatigue de plus en plus marquée…A la maison, je tombe deux fois, par
maladresse il est vrai, mais aussi parce que mes muscles me trahissent. Mathilde, ma
kiné, finit même par préconiser des béquilles pour m’aider et me soulager dans mes
déplacements.
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L’aplasie
J’ai évoqué à plusieurs reprises mes angoisses vis-à-vis de l’aplasie, cette
diminution des globules blancs, et ma peur de séjourner en chambre stérile. Quelques
précisions peuvent aider à comprendre que les périodes de répit à la maison ne sont
pas toujours de tout repos.
Maman croise les doigts, papa touche du bois ; et moi, je serre les fesses. Avec
des attitudes pareilles, il est évident que ce n’est pas la franche rigolade à la maison.
Je suis en aplasie. Ça veut dire que j’ai moins de mille globules blancs. Je suis
fragile parce que je n’ai plus assez de défenses immunitaires pour me protéger.
L’aplasie est provoquée par le traitement. Comme il n’est pas possible de ne traiter
que les « mauvais » globules blancs, les médecins établissent un protocole de soins
destiné à reprogrammer la moelle osseuse. Ainsi, chaque cure de chimiothérapie
risque d’entraîner une aplasie.
Dans ce cas, de nombreuses précautions doivent être prises, tout particulièrement
en ce qui concerne mon alimentation. Je ne peux manger que des fruits qui
s’épluchent, après les avoir lavés à l’eau vinaigrée. Adieu fraises et framboises que
j’adore. De plus, je ne peux utiliser que des couverts qui sortent du lave vaisselle ou
tout juste lavés à l’eau bouillante.
Malgré toutes ces précautions, il arrive quand même que je fasse de la fièvre. Et
là, ça devient moins drôle parce que je suis aussitôt admis en chambre stérile. Si j’ai
38,5 ou davantage, je grimpe illico dans la voiture pendant que mes parents
préviennent les médecins de notre arrivée imminente. Par contre, si j’ai entre 38 et
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38,5, je préviens l’hôpital et je vérifie ma température une heure après. Et c’est
seulement lorsque j’ai toujours 38 ou plus que je dois me résoudre à aller en chambre
stérile.
Lorsque je suis en aplasie, je ne reçois pas de visites. Il ne faut pas que je coure le
risque d’attraper un microbe. Dans ces moments-là, à la maison, personne n’est
vraiment détendu.
L’aplasie, c’est un moment compliqué pour tout le monde, et particulièrement
pour mes parents. Maman se plaint que la maison est salle. Il y a des lingettes dans
chaque pièce, l’aspirateur commence à chauffer dès le matin et chaque recoin est
l’objet d’une inspection minutieuse. Mamie n’est pas en reste et s’occupe du linge,
enfin, surtout de mon linge. Lavé, repassé et stérilisé dans la foulée. Si je dois passer
quelques jours en chambre stérile, je dois emporter du linge propre dans des sacs de
congélation.
Quand je n’entends plus le bruit de l’aspirateur résonner dans la maison, et s’ils
n’ont pas un chiffon entre les mains, mes parents m’inquiétent. L’air de rien, comme
si je n’avais pas compris leur petit manège, ils s’approchent de moi et ne peuvent
s’empêcher de poser la main sur mon front. S’ils savaient à quel point ça m’énerve,
ils éviteraient ce rituel tellement ridicule et insupportable à mes yeux.
A chaque fois que je reconnais le pas de papa, je le soupçonne de dissimuler dans
son dos le fameux thermomètre dont il a tant de mal à se séparer. Et, la plupart du
temps, je me retrouve avec ce satané instrument coincé sous l’aisselle pendant cinq
minutes, chronomètre en main. Certes, je suis soulagé de ne pas l’avoir dans le c..,
sans mauvais jeu de mots ; mais il n’empêche que j’en ai ma claque.
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Parfois même, quand je suis un peu fatigué, mes parents poussent la plaisanterie
jusqu’à relever ma tension.
Un jour, c’est sûr, ils vont me faire le coup de venir me réveiller dans ma propre
chambre en portant chacun un masque et une charlotte !
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D’une chambre à l’autre
Après le séjour en chambre stérile durant la deuxième phase de consolidation, je
peux profiter de quelques jours de repos chez moi. Pendant mon absence, certaines
dispositions ont été prises et je dois me rendre à l’évidence : ma maison prend des
allures d’hôpital.
Quand je vais au CHU, je prends l’ascenseur pour accéder au premier étage, en
onco-hématologie pédiatrique. A la maison, pour gagner ma chambre, j’ai mon
Stannah : je grimpe sur le dos de papa ! L’escalier demi-tournant représente un vrai
parcours du combattant. Et dire que, quelques semaines plus tôt, j’avalais les
quatorze marches sans le moindre effort !
Les revues qui traînent sur la table basse du salon n’ont plus grand-chose à voir
avec les anciennes lectures. Il n’y a plus la moindre trace de magazines sportifs, plus
le moindre roman. Ils ont été remplacés par des revues scientifiques qui me semblent
inquiétantes si j’en crois l’air désabusé de mes parents pendant qu’ils lisent. Il faut
dire qu’ils n’ont pas opté pour la décontraction. Les articles qui les plongent dans la
plus grande perplexité concernent par exemple « La liste noire des produits
toxiques » qui nous met en garde contre les substances indésirables présentant des
risques pour la santé humaine tout autant que pour l’environnement. Quant au
dossier « Pesticides et santé », il remet carrément en cause le choix fait il y a dix ans
de venir habiter à la campagne. Le bonheur de savourer la quiétude de l’endroit est
aujourd’hui mis à mal par la quantité de pesticides et autres fongicides employés
pour améliorer les récoltes de blé ou de maïs dans les champs qui entourent notre
maison. Parfois, au beau milieu de la nuit, il arrive qu’on aperçoive les phares d’un
tracteur derrière notre maison, en train de déverser ses traitements chimiques.
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A la maison, Mathilde, vient toujours me voir trois fois par semaine. Mais ce ne
sont pas des visites de courtoisie, n’en déplaise à Philippe ! Son seul objectif est de
me rééduquer à la marche. Tout seul, j’ai du mal à me motiver pour utiliser les
appareils qu’elle m’a laissés pour que je puisse travailler seul de façon régulière.
Mathilde est vraiment sympa avec moi. Et puis on discute toujours beaucoup avec
Mathilde, de plein de choses différentes et qui m’intéressent.
Je reçois également d’autres visites. L’infirmière vient en moyenne deux fois par
semaine pour une numération. Ça me permet de savoir si je suis en aplasie ou encore
si j’ai besoin d’une transfusion de sang ou de plaquettes.
Je bénéficie aussi de cours à domicile. Les professeurs de français, mathématiques
et anglais viennent ainsi cinq heures par semaine pour me permettre de suivre du
mieux possible le programme de sixième.
Mais la comparaison avec l’hôpital ne s’arrête pas là. Pour me déplacer dans la
maison, j’utilise des béquilles. En revanche, je ne m’en sers jamais pour sortir. La
raison en est simple : je ne mets plus le nez dehors.
J’ai également à ma disposition un urinal et une chaise-pot. Çe n’est pas
franchement héroïque mais ça me facilite la vie et m’évite de nombreux efforts. Je
dispose même d’un fauteuil roulant que j’essaie d’utiliser le moins possible ; je sais
que je dois solliciter mes jambes lorsque j’en ai la possibilité. Cependant, j’y ai
quelquefois recours pour me rendre du parking à l’hôpital ou bien à la fin d’une cure,
lorsque mes jambes ne me portent plus.
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Et puis, bien sûr, il y a mes parents. Pas besoin de sonnette ; il me suffit de les
appeler quand j’ai faim ou soif, quand j’ai besoin de ma tablette ou d’attraper un
livre. Papa a pris l’habitude de me demander :
« Autre chose pour votre service, Majesté ? ».
Je lui demande de m’appeler Monseigneur. Je trouve que ça sonne mieux !
Mais j’ai prévenu tout le monde. Je n’autoriserai jamais personne à entrer un pied
à perfusions dans ma chambre. Il y a des limites, tout de même.
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La guimbarde
Les effets du traitement commencent à se faire sentir. La chimiothérapie laisse des
traces et, si le mal est enrayé, j’y laisse des plumes semaine après semaine. Mes
forces m’abandonnent petit à petit et mon moral est loin d’être toujours au beau fixe.
Je ne suis pas seul dans cette épreuve. La vieille Nissan de mes parents donne elle
aussi d’inquiétants signes de fatigue. Les nombreux allers-retours entre notre
domicile et l’hôpital entraînent quelques menus dégâts qui rendent les voyages moins
confortables.
Très rapidement, dès le mois de janvier, la climatisation nous a laissés en plan,
bientôt imitée par la ventilation. Ça n’empêche pas de rouler mais le trajet ressemble
à tout sauf à une partie de plaisir. Il nous faut trois bons quarts d’heure pour
commencer à nous réchauffer. La radio en sourdine n’intéresse vraiment personne.
Assis sur le siège passager, bras croisés sous la couverture, emmitouflé dans mon
gros manteau d’hiver, le visage dissimulé sous une écharpe et recouvert d’un bonnet,
je somnole à demi en regardant d’un œil distrait le paysage qui défile. Perdu dans
mes pensées rassemblées autour des soins qui m’attendent, je n’ai guère envie de
parler.
Quelques semaines plus tard, alors que je séjourne en chambre stérile, papa rentre
à la maison un soir, à la tombée de la nuit. Il fait la route sous une pluie fine qui
s’abat sans discontinuer. A mi-chemin, interloqué, il voit le mécanisme des essuie-
glaces céder devant ses yeux ébahis. Les balais adoptent alors deux rythmes
différents et le résultat n’est pas convaincant. Ils se tamponnent gaiement au milieu
du pare-brise dans un petit bruit sourd qui n’a rien de rassurant. Très vite, l’une des
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branches, n’en faisant qu’à sa tête, commence à passer par-dessus l’autre pour finir
par l’envoyer valdinguer à l’extérieur du pare-brise. Papa s’arrête pour constater
qu’il n’y a pas grand-chose à faire. Alors, il est bien obligé de ralentir l’allure, se
faisant doubler par les nombreux véhicules qui, en se rabattant devant lui, font gicler
de grandes gerbes d’eau sur le pare-brise de la Nissan. Après un deuxième arrêt sous
une pluie incessante, papa décide d’arracher l’une des branches avant de reprendre
la route au ralenti.
Soulagé d’être arrivé à bon port, il m’appelle pour me raconter ses mésaventures
qui, je dois l’avouer, m’amusent au point d’en oublier un instant la solitude de ma
chambre d’hôpital.
Quelques semaines après cet incident, vers la fin du mois de février, alors que les
températures ne sont pas à la hausse, nous partons au petit matin vers l’hôpital où je
suis attendu à la première heure. Dissimulé sous une épaisse couverture polaire qui
me protège du froid régnant dans l’habitacle, j’essaie tant bien que mal de regarder la
route devant moi. Mais avec un seul essuie-glace qui ne balaie que la moitié du pare-
brise côté chauffeur, je renonce rapidement et je décide de me concentrer sur la
musique qui s’échappe des enceintes de la voiture.
Papa conduit d’une main. Pas vraiment comme le font les caïds au volant de leurs
bolides qu’ils pilotent un coude posé à la vitre, laissant apparaître leur bras musclé et
bronzé tout en affichant une farouche décontraction pour éviter les obstacles qui se
dressent sur le parcours. Notre « bolide » à nous ne peut masquer les limites liées à
son âge. Il peine à atteindre la vitesse requise et il n’est pas question de baisser la
moindre vitre ; il fait suffisamment froid comme ça !
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Papa tient le volant de sa main gauche. Il est avachi sur le volant, penché en avant
comme le ferait un myope dans une librairie. Dans sa main droite, il tient un chiffon
et tente d’ôter la buée qui envahit l’intérieur du pare-brise et l’empêche de discerner
correctement les courbes de la route. Il adopte une conduite excessivement prudente,
sur la file de droite, tout près du bas-côté en herbe. A l’arrière de la voiture, maman
ferme les yeux. Je ne sais pas si elle s’est assoupie ou si elle est en train de prier…
Au terme d’un trajet quelque peu éprouvant, nous trouvons enfin une place sur le
parking du CHU. Papa coupe le moteur et laisse échapper un grand soupir en
envoyant valser le chiffon sur la plage arrière. Au moins, nous ne sommes pas en
retard. Mais, en apercevant le panneau « Urgences » de l’hôpital, je me dis que cette
bonne vieille voiture aurait elle aussi bien besoin d’une révision. De toute urgence !
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La troisième consolidation
Le 15 Février, je retourne au CHU pour le bilan d’évaluation de la deuxième
consolidation. Je vais bien, les douleurs ont disparu et mon transit me fiche la paix !
Ces bonnes nouvelles en entraînent une troisième : la phase suivante peut débuter dès
le lendemain pour s’achever le 21.
A cet instant de mon parcours, il me reste cinq phases qui, toutes, vont se dérouler
sous forme de cures de six jours à l’hôpital. Ces phases se dérouleront à trois
semaines d’intervalle, périodes durant lesquelles il faudra profiter de chaque bon
moment, en guettant l’aplasie qui ne manquera pas de rôder dans les parages. En fait,
ces cures correspondent à deux phases distinctes (A et B) que je vais suivre en
alternance même si pour moi, elles se ressemblent beaucoup : fatigue, constipation,
risques de nausées, moral en berne et perte d’appétit, dans n’importe quel ordre. Il ne
s’agit donc pas vraiment d’une sinécure pour moi.
Le mardi 16 Février, je suis convoqué à 9 heures. Il n’est pas question de
contrarier Odile qui nous a demandé si on pouvait arriver un peu en avance. L’idée,
c’est que je sois « branché » avant le staff du matin pour que les soins démarrent au
plus vite. En effet, les médecins veulent s’assurer que la chimio est bien tolérée et
différentes analyses doivent être réalisées par le laboratoire, à H 36 et H 48. Je
commence à avoir une petite idée de ce que signifie l’effet papillon.
Nous quittons donc la maison à 6h45. Jamais nous ne nous sommes levés aussi tôt
pour nous rendre à l’hôpital. Forcément, un silence de cathédrale règne dans la
voiture. Je rumine dans mon coin entre deux petits roupillons pendant que maman
termine sa nuit. Seule la musique en sourdine tient compagnie à papa perdu dans ses
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pensées à moins qu’il ne soit vraiment concentré sur sa conduite. A 8h10, avec une
avance colossale sur nos temps de passage habituels, il ne nous reste plus que dix
kilomètres à parcourir. Nous ne sommes pas peu fiers de nous et déjà nous imaginons
notre arrivée royale dans le service, sous le regard admiratif de l’équipe soignante.
Et puis soudain, tout bascule. Les voitures commencent à ralentir, les feux de
détresse clignotent tout autour de nous et bientôt, nous nous retrouvons purement et
simplement à l’arrêt. Comme toujours dans ces situations particulières, il y a ceux
qui tentent de forcer le passage, ceux qui doublent en fonçant sur le bas-côté…et
ceux qui râlent. Nous parcourons dix, parfois trente mètres avant de nous
immobiliser de nouveau. Notre incompréhension grandit à mesure que l’heure file. Il
est bientôt 8h30 et nous n’avons même pas parcouru cinq cents mètres. Finalement,
un agent de police nous apprend qu’une voiture est en feu quelques kilomètres plus
loin et qu’il faudra du temps pour que la circulation soit rétablie. Nous décidons
d’emprunter une route parallèle, sans savoir où elle va nous conduire, mais au moins,
on roule ! Maman finit par joindre le service pour informer de notre retard. C’est la
honte pour nous, même si nous limitons la « casse » en nous présentant à 9h15 dans
le service.
Le séjour se déroule sans anicroche particulière. Je tolère bien la chimio et je
commence à faire l’économie de mes observations en faisant mine de me concentrer
sur la télévision. En revanche, les effets pervers des corticoïdes se manifestent pour
de bon. J’affiche un ventre énorme qui me donne une allure de pingouin et mes joues
de hamster ne s’accordent absolument pas avec ma tête de petit oiseau tout juste sorti
de son œuf.
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Pour le reste, si mes parents encaissent sans broncher ma mauvaise humeur,
Vincent le prof de sport et Philippe le prof de tout le reste, ne me laissent pas
tranquille. J’ai beau freiner des quatre fers, cacher ma joie ou simuler l’épuisement
total, Vincent finit toujours par m’embarquer dans des activités physiques qui
m’obligent à me bouger les fesses.
« Allez Hugo, encore un tour. Tiens, je te regarde pour voir si tu fais des
progrès. » Même Odile a choisi son camp ; impossible de rester tranquille au fond de
mon lit.
Avec Philippe, c’est un peu la même histoire. Il ne me brusque pas, me laissant
parfois même le choix de la matière que j’ai envie de travailler.
« J’ai préparé une fiche d’histoire ; mais si tu préfères, on peut faire des maths
histoire de finir ce que tu as commencé la dernière fois ».
Alors, puisque la sieste, le repos, la tranquillité, la détente ou les vacances ne
semblent pas figurer au programme, je finis par me mettre au travail.
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La chambre stérile
La chambre stérile, du point de vue des médecins, c’est un isolement protecteur.
Selon moi, c’est une mise en quarantaine pure et simple, durant laquelle la protection
a des faux airs de séquestration. Cependant, je dois reconnaître que la chambre stérile
est au flux ce que le collège est au pensionnat. On n’y va pas par plaisir mais on peut
profiter d’une certaine liberté. C’est d’ailleurs le souhait des médecins qui m’incitent
à me déplacer, à profiter de l’espace qui m’est réservé. Je ne réponds rien, mais avec
39 ou parfois même 39,6° de fièvre, je n’ai pas très envie de gambader ou de sauter à
la corde dans la chambre. J’ai déjà bien du mal à écouter de la musique ou rester
concentré sur un dessin animé !
L’aplasie fébrile se caractérise par une diminution des globules blancs et
l’apparition de la fièvre. Durant une aplasie fébrile, la baisse des défenses
immunitaires peut entraîner des infections relativement graves, de même qu’une
insuffisance respiratoire. Des hémocultures sont pratiquées pour déceler un éventuel
microbe et un traitement par antibiotiques est immédiatement mis en place.
Lors de mes périodes d’aplasie fébrile, je suis parfois sujet à de fortes fièvres mais
je n’ai pas de frissons. En revanche, ce qui semble logique, je suis victime de
courbatures un peu diffuses et d’une perte totale de moral. Mes parents, tout comme
l’équipe médicale, doivent s’habiller en cosmonautes pour accéder à ma chambre. Et
chaque objet introduit, qu’il s’agisse d’un livre (que je vais poser dans un coin) ou
d’un DVD doit être soigneusement désinfecté dans le sas d’entrée.
Au début de mon traitement lourd, je dois effectuer deux séjours en isolement
protecteur en raison d’aplasies fébriles. J’arrive alors à l’hôpital fièvreux, fatigué et
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dégoûté. Savoir ce qui m’attend ne me tranquillise pas, d’autant plus que la fièvre
peut me retenir un certain temps prisonnier en isolement.
Le premier épisode intervient très vite puisqu’il se situe en plein milieu de la
deuxième phase de consolidation. A la maison, j’ai présenté une fièvre à 38,8°. Je
vais rester en chambre stérile durant onze jours, du 24 Janvier au 4 Février. Je suis
fatigué et douloureux, sans toutefois localiser les douleurs de façon précise.
Suspendu chaque matin ou presque au résultat de la numération avec le secret espoir
que les globules blancs soient remontés, il est douloureux de s’entendre dire que
l’aplasie ne s’est pas rendue. Dans le même temps, je n’accorde plus la moindre
confiance au thermomètre qui semble s’acharner sur moi. Je reste d’ailleurs fébrile
durant neuf jours, avec des pics de fièvre compris entre 38 et 39°. Histoire de ne rien
arranger, je dois faire face à quelques diahrrées qui ne font que rajouter à mon
désarroi.
Finalement, les hémocultures reviennent négatives. Les risques d’infection
écartés, un climat plus serein peut s’installer dans la chambre même si je n’y goûte
pas trop. Durant ce séjour, je mange fort peu et, à ma sortie j’ai perdu environ quatre
kilos. Je pèse 44,6 kilos alors que j’en faisais 49 avant ma rechute. Je suis
pratiquement revenu à un poids identique à celui de ma sortie de la bulle.
A l’issue de la troisième phase de consolidation, je dois me résigner à une autre
mise en quarantaine. Je suis admis en isolement le 29 février ce qui m’amène à porter
un regard plus sévère sur les années bissextiles. J’en sors le 4 Mars, tout heureux que
cet isolement soit plus court que le précédent. En fait, je suis tombé en aplasie le 25
Février. Mes globules blancs se sont fait la malle et moi, je me suis réfugié dans mon
lit ; on ne change pas une équipe qui gagne, même quand elle vient de perdre. A la
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maison, c’est le branle-bas de combat. Les rares visites s’arrêtent brutalement, le
mercure du thermomètre n’a pas le temps de redescendre, le lave-vaisselle tourne
presque à vide et les gestes du quotidien sont accomplis avec les plus grandes
précautions. Dans ces conditions, je tiens bon quatre jours supplémentaires avant que
la fièvre ne fasse son apparition. Les 27 et 28 Février, les deux pics à 38° détectés ne
sont pas confirmés dans l’heure qui suit.
Le miracle a cependant ses limites et il n’est pas possible de rester ainsi sur la
corde raide plus longtemps. Le 29 Février donc, le thermomètre affiche plus de 38° à
deux reprises dans un intervalle d’une heure. Quand je débarque à l’hôpital, le regard
pétillant et la mine réjouie, j’ai de l’herpès sur la lèvre. Depuis trois jours, maman
me tartine de Zovirax pour combattre cet ennemi qui s’en prend lâchement à mon
physique en essayant de me défigurer.
Assez curieusement, durant ce second séjour en isolement, un mois après le
précédent, j’ai plutôt bon appétit. Je reçois un traitement antiviral systémique. Les
prélévements microbiologiques reviennent négatifs pour mon plus grand
soulagement. Dès le début de mon hospitalisation, les globules blancs remontent
progressivement. Je ne reçois aucune transfusion durant ce séjour finalement plus
court que ce que je redoutais. Et le jour de ma libération, je dois dire que je me sens
au taquet.
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.Odile a dit
Odile, c’est mon médecin. Je ne prétends pas qu’elle ne s’occupe que de moi ; je
ne sais que trop bien qu’elle accompagne des tas d’autres enfants malades. Mais, si
j’écris que c’est mon médecin, c’est parce que j’ai l’impression de la connaître
depuis toujours. J’ai même l’impression qu’elle a toujours été à mes côtés.
Odile, en effet, je la connais depuis que je suis tout petit. Je suppose qu’elle aussi
se souvient de notre première rencontre. J’avais trois ans et demi quand l’ambulance
m’avait emmené pour la première fois au CHU. Trois ans et demi et toute
l’insouciance qui s’y rattache, mais qui n’allait pas tarder à disparaître. Je n’avais
aucune conscience de ce qui m’arrivait, pas plus que de la gravité de ma maladie. A
mon arrivée à l’hôpital, j’étais sujet à de fortes fièvres qui ne m’ôtaient cependant
pas l’envie de jouer. Ainsi, lorsqu’Odile est entrée dans ma chambre, elle n’a pas eu
d’autre choix que d’esquiver les flèches de mon pistolet en plastique.
Odile m’a permis de comprendre, du haut de mes quarante mois, que j’étais atteint
d’une maladie grave. Très vite, je le crois en tout cas, je suis devenu un petit garçon
très raisonnable. Bien sûr, il m’arrive de contester parfois l’autorité ; elle est faite
pour être bafouée. Mais jamais je ne vais à l’encontre de ce qu’Odile me dit, me
suggère, me conseille ou m’impose (comme pour la diététique par exemple…).
Je dois ici préciser quelque chose qui me semble très important. Il y a quelques
années, avant ma rechute, je traversais de grands moments de doutes et j’avais besoin
d’être rassuré en permanence. C’est ainsi qu’un jour, inquiet et cherchant des
réponses à mes questions existentielles, j’avais demandé si une puissance supérieure,
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une force divine pourrait me soutenir dans ma guérison. J’avais besoin qu’on me dise
ce qui pourrait m’apporter une forme de sérénité.
« Dis papa, tu crois en Dieu ? j’avais demandé de façon presque anodine.
— Moi, je crois en Odile », avait répondu mon père, lisant dans mon jeu.
Dans sa bouche, la phrase avait claqué, ferme et définitive. Pourtant, sa réponse ne
m’avait pas déconcerté ; au contraire, elle avait conforté les sentiments que je
ressentais.
Odile est mon idole, ma deuxième mère, ma protectrice. Elle veille sur moi avec
beaucoup d’attention. Petit, et durant plusieurs années, elle m’appelait « Le petit
prince » ! J’avoue que j’ai toujours été fier de ce surnom. Etre comparé à cet enfant
aux cheveux d’or qui ramone des volcans et arrache des baobabs me semble flatteur.
Avec un peu de recul, j’espère qu’Odile faisait bien allusion au conte de Saint-
Exupéry et non pas aux biscuits du même nom, objets de ma convoitise…
Entre mes deux maladies, je suis régulièrement venu en consultation à l’hôpital.
C’est le mercredi qu’Odile reçoit les enfants lorsque le traitement lourd est terminé.
A chaque rendez-vous, elle m’ausculte et me questionne. Papa et maman
m’accompagnent toujours mais ils restent les plus silencieux possible. C’est moi
qu’Odile veut entendre ; elle veut que je lui dise comment je vais, comment je vis et
comment je me sens. Souvent, elle me fait des remontrances sur mon poids. Je dois
être un peu trop gourmand ?
A chaque consultation, j’apporte une boîte de gâteaux à Odile. Et jamais je ne
l’oublierai ; c’est le moins que je puisse faire. Parfois, il me vient à l’idée que je
pourrais lui offrir autre chose, de mieux ou de plus original. Et puis finalement, je me
dis que les gâteaux, c’est bien ; les malades sont heureux d’en recevoir durant leur
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hospitalisation, alors pourquoi pas les médecins ? En fait, je ne crois pas qu’Odile
voudrait autre chose.
Il n’y a pas très longtemps, à la fin d’une auscultation où elle avait une nouvelle
fois souligné les bourrelets recouvrant mes hanches, alors que je lui offrais la
traditionnelle boîte de biscuits, Odile m’avait adressé en souriant une remarque :
« Merci, Hugo. Mais ces gâteaux ne sont pas vraiment recommandés pour mes
fesses…
— Ben, j’avais répondu, il vaut peut-être mieux que ce soit pour les tiennes
plutôt que les miennes, apparemment. »
Même si je n’ai pas osé le faire très souvent, plaisanter avec Odile me procure une
sacrée satisfaction !
J’aime trop Odile. J’enregistre tout ce qu’elle me dit et j’en tiens compte au
quotidien. Je suis toujours vigilant dans ce que je fais. C’est ainsi que je recompte
systématiquement mes comprimés de méthotrexate avant de les avaler. Bien à jeun,
comme l’a souligné Odile. Parfois, il m’arrive de ressentir des maux de tête. Dans
ces moments-là, je refuse presque systématiquement le doliprane que me proposent
mes parents pour me soulager. Odile m’a encouragé à ne pas abuser des antalgiques,
alors j’attends ; je sais que la douleur va passer.
Quand je suis à la maison, je pose souvent les mêmes questions :
« Crois-tu qu’Odile m’autorise à manger ce que je veux ? Est-ce qu’Odile me
donne le droit de sortir ? »
J’accorde toute ma confiance à Odile. Tout au long de ma maladie, elle a été à
mes côtés et m’a toujours expliqué les choses sans chercher à me ménager. Odile ne
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m’a jamais rien caché et m’a annoncé les mauvaises comme les bonnes nouvelles
avec la même sincérité. Et lorsque j’ai des questions encombrantes dans la tête,
lorsque l’inquiétude est trop forte, je suis soulagé de la voir. Quand elle rentre dans
ma chambre, je sais déjà qu’elle va m’apporter des réponses et calmer mes
tourments. Elle prend soin de me parler simplement, choisissant ses mots pour que je
comprenne bien ce qu’elle me dit. Et même, il arrive que certains mots savants ne me
soient plus inconnus. Je maîtrise à présent le rôle des neutrophiles qui m’ont coûté
quelques jours d’hospitalisation supplémentaires.
Odile peut ainsi m’annoncer qu’elle et ses collègues ont de bonnes chances de me
guérir… mais que ça va être long et douloureux. C’est aussi elle qui est venue
m’annoncer ma rechute en salle de réanimation. Odile est toujours là, toujours à mes
côtés, et je suis sûr qu’on est nombreux à ressentir la même chose. Odile nous
protège.
Même lorsqu’une mauvaise nouvelle vient de tomber – et il y en a eu quelques-
unes malgré tout – je ne pleure jamais devant Odile. Je veux me montrer fort quand
elle est là. Je pleure plus tard, tout seul ou avec maman quand elle est dans ma
chambre.
Odile n’a pas d’enfants. Non, Odile a tous les enfants malades et c’est elle qui
veille sur eux. Odile adore les chats. Moi, j’en ai un que j’ai appelé Peter. Ça nous
fait un point commun autre que la maladie.
Comme je l’ai écrit, Odile est mon idole. Mais comment pourrait-il en être
autrement ? Je me souviens d’un matin où, alors que je suis tout petit et déjà malade,
j’ai très mal à la tête. Une douleur atroce, insupportable, qui ne fait que s’accentuer.
J’ai aussi beaucoup de fièvre. Pascale, l’aide-soignante, me tient dans ses bras et me
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câline. La douleur devient diffuse et une certaine effervescence ne tarde pas à envahir
la chambre. Papa et maman arrivent enfin mais je les vois à peine. Dans son bureau,
Odile semble rouspéter au téléphone. Finalement, on m’emmène passer une IRM en
urgence. Quand je reviens, Odile m’attend. Elle a déjà connaissance du résultat et,
attrapant précipitamment la seringue que lui tend l’infirmière, elle m’injecte un
produit.
Ce jour-là, j’en suis sûr, Odile m’a sauvé la vie.
Ce jour-là, une trombophlébite due à la chimio m’avait terrassé et mettait ma vie
en danger.
Bien sûr, je n’avais pas encore fêté mes quatre ans et je ne suis pas totalement sûr
que tout se soit réellement passé comme je me l’imagine. Mais il me reste un
sentiment de reconnaissance infinie lié à ces images qui sont bien réelles.
Avant ma dernière cure, à la maison, j’ai réalisé un dessin pour les médecins :
Odile, Mariana et Damien. Je les ai représentés en mangas parce qu’eux-aussi ont des
super pouvoirs. Eux-aussi sont des héros. En tout cas, ce sont mes héros.
Plus tard, quand je serai grand, je serai peut-être médecin, comme Odile. Mais j’ai
peur d’être trop sensible, de ne pas adopter la bonne attitude, de ne pas supporter le
poids des responsabilités… Et puis il faut faire de longues études et mine de rien, ça
représente du temps et du travail. Je ne suis pas sûr d’être assez patient pour y
arriver… Pourtant, patient, ça me connait !
Alors, je serai peut-être infirmier, pour être au contact des enfants et bavarder
avec eux pendant les soins, comme Anthony . Mais pour ça aussi, il faut être fort…
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Pas grave, je pourrai devenir aide-soignant pour être proche des enfants malades
et les réconforter. Les aide-soignants nous consacrent beaucoup de temps quand on
est hospitalisé…
Enfin, je ne sais pas trop encore, on verra. Je serai peut-être pâtissier et je me
réserverai le temps d’aller moi-même porter mes gâteaux à Odile et à toute l’équipe
médicale.
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La quatrième consolidation
Le 9 Mars, cinq jours après avoir quitté la chambre stérile, je reviens au CHU
pour réaliser l’IRM d’évaluation et le myélogramme. C’est un peu comme une
routine, un exercice auquel je suis habitué, sauf que de nombreux imprévus peuvent à
tout moment remettre en question le déroulement programmé. Et certains signaux
m’ont alerté lors des jours précédents.
C’est ainsi que, durant ma courte période à la maison, je ressens des douleurs
fluctuantes dans les genoux. Ces douleurs sont certes supportables mais, le genou
étant l’une des articulations les plus sollicitées du corps humain, elles me
handicapent. J’ai d’abord mal au genou droit, puis vient le tour du gauche. Mathilde
ma kiné me prescrit une genouillère. En plus de ses similitudes avec l’hôpital, la
maison présente également toutes les caractéristiques d’une pharmacie ; c’est même
carrément la maison du malade ! Fauteuil roulant, béquilles, corset, genouillère…le
stock commence à être bien achalandé, c’est le moins qu’on puisse dire.
Dès le lendemain du bilan d’évaluation de la consolidation n° 3, je suis de
nouveau accueilli dans le service pour la réalisation de la quatrième consolidation.
Cette cure qui se déroule du 10 au 15 Mars est différente de la précèdente : il n’y a
pas de sortie prévue avant son terme. Je dois donc prendre mon mal en patience
d’autant que, s’il y a bien un week-end au milieu de mon séjour, je sais que Philippe
et Vincent ne vont pas manquer de se rappeler à mon bon souvenir. J’ai
volontairement oublié mes stylos à la maison et il y a bien longtemps que mes pieds
n’ont pas aperçu l’ombre d’une paire de chaussures de sport. Je me doute toutefois
que ces précautions de base seront insuffisantes face à la force de frappe de ces deux
gaillards qui ne renoncent pas si facilement.
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Le traitement administré pendant cette phase est un peu différent. Je tolère bien la
chimio avec une hyperhydratation alcaline – j’apprends ainsi que l’eau alcaline
hydrate mieux - associée à de l’acide folinique. Je passe le plus clair de mon temps le
« pistolet » à la main, ce qui permet à l’équipe médicale de mesurer de façon
régulière l’acidité de mes urines.
Je ne reçois pas de transfusion durant cette cure. En revanche, je suis plus fatigué
et mon poids continue à faire le yoyo. Par contre, ma température, ma tension
artérielle et mon pouls se portent comme des charmes.
Le dimanche 13 Mars, je me plains de ma vue qui me joue des tours. Après un
rapide examen au cours duquel on me demande de fermer un œil puis l’autre, il
apparait que ma vision est floue dans les deux yeux. Cela ne m’empêche cependant
pas de lire ; de toute façon, je ne lis pratiquement jamais quand je suis à l’hôpital.
Le lendemain, la numération réalisée plaide en ma faveur. Globules blancs,
globules rouges et plaquettes : tout est dans les clous.
Je quitte le service le 15 et le contrôle de la numération est fixé au 18. Les
médecins m’apprennent également qu’il n’y aura pas de bilan d’évaluation avant la
prochaine cure. La prochaine IRM d’évaluation ne sera en effet réalisée que juste
avant le début du traitement d’entretien.
L’aplasie est moins longue que les précédentes et aucun épisode fièvreux ne vient
perturber mon séjour à la maison.
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Un aller-retour à l’hôpital
Vous l’avez compris, les séjours à la maison ne sont pas forcément de tout repos.
L’épée de Damoclès qui rôde au-dessus de ma tête s’appelle chambre stérile. Ainsi,
quand les globules blancs ont fondu comme neige au soleil suite aux chimios reçues,
les périodes d’aplasie n’autorisent pas vraiment les moments de parfaite sérénité. La
fatigue se fait bien sûr ressentir et je passe le plus clair de mon temps au fond de mon
lit. Mais, malgré la plus extrême prudence, il arrive que la fièvre s’invite dans la
partie. Et là, c’est une autre chanson. L’aplasie fébrile me conduit sans perte de
temps à l’hôpital où je suis conduit jusqu’à une chambre d’isolement. Et là, le temps
s’étire indéfiniment, soumettant mon courage à rude épreuve.
J’ai évoqué un peu plus tôt mes différents séjours en chambre stérile. Malgré les
efforts de l’équipe soignante qui déploie des tonnes de bienveillance, ces séjours se
distinguent des réservations de vacances, notamment parce qu’en plus des différentes
contraintes, leur durée est indéterminée. Toutefois, avec un peu de recul, je garde en
mémoire une autre admission en catastrophe qui m’a presque laissé un bon souvenir.
Je suis à la maison, tranquille-peinard entre deux cures. Il faut dire que la maladie
et les nombreux séjours à l’hôpital ont développé en moi une forme de seconde
nature : si parfois même, je dois me faire violence pour ne pas abdiquer, je suis
raisonnable avant tout. J’ai cultivé cet état d’esprit à force de côtoyer des adultes,
souvent en blouse blanche, qui m’ont indiqué la voie à suivre. Ecouter leurs conseils
m’a été profitable et aujourd’hui encore, j’ai du mal à me lancer si je ne sais pas
précisément où je vais retomber. Donc, entre deux cures, je n’ai pas pour habitude de
faire des folies et encore moins de prendre des risques.
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Au bout de quelques jours cependant, une fatigue de plus en plus forte se fait
ressentir. Dans ces moments-là, je ne quitte pour ainsi dire plus mon lit. Je n’ai pas
trop la pêche mais j’ai la naïveté de croire que je peux éviter l’isolement si je me
montre encore plus prudent. Mes parents sont aux petits soins pour moi. Ils prennent
toutes les précautions d’usage dans cette phase où mes défenses immunitaires m’ont
abandonné. Les regards se veulent complices mais l’inquiétude est aussi visible que
le nez au milieu de la figure. J’apprécie leurs attentions même si je sais qu’ils sont
aussi nerveux que moi. Incapables de s’approcher sans résister à la tentation de me
toucher le front, ils prennent ma température de plus en plus souvent, poussant un
soupir de soulagement à chaque fois que le résultat affiché m’est favorable. Les
couverts sont lavés à l’eau bouillante, les fruits sont proscrits.
Mais il est difficile de lutter contre la fièvre, surtout quand on est sur un fil, sans
filet de surcroit. Et ce jeudi soir, à 19h30, le thermomètre rend son verdict et la
sanction tombe, implacable et presque attendue finalement : 38,2° de fièvre. Pas de
grands discours au programme, on sait quelle attitude adopter dans ces cas-là. Et
donc, ma mère contacte le CHU pour prévenir l’équipe médicale. L’heure de répit
qui m’est accordée avant de me recoller le thermomètre sous l’aisselle n’est pas
vraiment joyeuse. Le silence règne dans la maison ; depuis ma chambre, j’entends
mes parents qui s’activent pour préparer les sacs, anticipant un départ auquel ils
semblent s’être résignés.
Dans mon coin, blotti sous la couette, je croise les doigts même si je ne me fais
guère d’illusions. Et une heure plus tard, le thermomètre se montre implacable : la
fièvre est toujours présente. Je n’ai pas d’autre choix que de filer prendre une douche
puisque je sais que je vais être admis en secteur stérile. Les sacs sont entassés dans le
coffre en quatrième vitesse et je m’installe sur mon siège, enveloppé dans une
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couverture reçue à Noël. Il est vingt et une heure trente et la route est dégagée.
Fidèle à mon habitude, je ne décroche pas un mot, ce qui n’empêche pas les
questions de se bousculer dans ma tête.
Nous arrivons à l’hôpital à vingt-trois heures et un silence inhabituel règne dans
les couloirs. L’équipe de nuit a pris son service et les enfants hospitalisés sont pour la
plupart endormis. Je suis immédiatement admis en isolement, une nouvelle fois dans
la chambre 406 où une prise de sang est aussitôt pratiquée. Mes parents enfilent la
fameuse tenue jaune et me rejoignent pour attendre l’arrivée du médecin de garde.
Quelques minutes plus tard, Damien vient m’ausculter. Il a pris le temps de consulter
le protocole de soins et m’annonce dans un sourire que cette aplasie ne devrait pas
durer très longtemps car la dernière chimio remonte déjà à plusieurs jours. Bien sûr,
je savoure cette information mais je reste quand même prudent. Les mauvaises
nouvelles ont pour habitude d’arriver sans prévenir.
Mes parents restent à mes côtés. Malgré mon mutisme, ils ne souhaitent pas
m’abandonner et font tout leur possible pour me rendre le sourire. Nous discutons un
long moment ; les propos de Damien me sont répétés une bonne demi-douzaine de
fois et je pense être le seul à encore ressentir des doutes.
A minuit et demi, la porte de la chambre s’ouvre à nouveau et Damien apparait.
« Hugo ! C’est sympa d’être passé nous faire un petit coucou. Mais t’étais pas
obligé. »
Je ne comprends rien à ce qu’il dit et même je me demande si c’est à moi qu’il
s’adresse. Devant ma stupéfaction, Damien se voit obligé d’apporter quelques
précisions.
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« Je viens d’avoir les résultats de ta numération. Les globules blancs sont
remontés et donc, tu n’es plus en aplasie. C’est pour ça que je te dis que tu n’étais
pas obligé de venir nous voir. »
Soucieux de ne pas me faire une fausse joie, je réclame des précisions que Damien
me donne en riant.
« Tu vas passer la nuit ici mais dès demain matin, tu pourras rentrer chez toi. »
Cette fois, le message est passé. Je regarde mes parents avec une petite étincelle
dans les yeux. Ils ne tardent pas à me quitter et je suis rapidement emporté par le
sommeil.
Et le lendemain, en milieu de matinée, sur le trajet du retour, on n’entend que moi
dans la voiture.
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La cinquième consolidation
Les deux semaines passées à la maison me font le plus grand bien. Je réussis
même à rassembler assez d’énergie pour mettre le nez dehors à deux ou trois
reprises. Et puis, à mesure qu’approche la date fatidique de la cure qui se profile, je
me retranche de nouveau dans ma chambre. Je dois me rendre au CHU du 30 Mars
au 4 Avril.
Les cures se succèdent et je n’en vois pas le bout. Cocher les phases réalisées sur
le calendrier ne suffit pas à me remonter le moral. L’issue me semble encore si loin,
et même si les étapes sont franchies les unes après les autres, je doute de mes
capacités de résistance. Les mêmes interrogations me traversent l’esprit et je n’ose
pas les répéter aux médecins qui m’ont déjà rassuré à plusieurs reprises. Je ne sais
pas si je veux préserver mes parents ou si leurs réponses ne me satisfont pas. Je sais
qu’ils veulent me protéger, me rassurer ; du coup, je doute même de ce qu’ils me
disent, je ne sais pas s’ils seraient en mesure de m’annoncer une mauvaise nouvelle.
L’attitude développée à la maison et expérimentée par instants lors des cures
précédentes, porte ses fruits et je n’ai aucun mal à me murer dans le silence dès mon
arrivée dans le service. J’ai bien conscience qu’autour de moi, tout le monde fait son
possible pour que je me sente bien, mais il n’y a rien à faire. J’aimerais être de
meilleure composition mais je n’y parviens pas. En même temps, c’est moi le malade
et je doute que quelqu’un puisse se mettre à ma place et comprendre ce que je
ressens. Je veux seulement dormir et que le temps qui me sépare de la sortie passe
plus vite. L’après-midi, dès que je le peux, j’enfonce ma tête dans l’oreiller, je me
recroqueville sur le lit et je cherche le sommeil. Durant la soirée, je regarde d’un œil
distrait des programmes dont l’intérêt m’échappe mais qui m’évitent de cogiter. Les
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rediffusions d’émissions telles que « Un dîner presque parfait », « Pawn stars » et
quelques dessins animés m’aident à tuer le temps car je n’ai pas d’autre intention.
Mon voisin de lit reçoit beaucoup de visites. Il est fatigué lui aussi et la chimio le
rend malade au point de vomir. Pourtant, il trouve la force de bavarder avec sa
famille. Il se soucie de ce qui se passe à la maison, il prend des nouvelles. Je l’admire
un peu parce que, moi, je suis bien incapable de me passionner pour quoi que ce soit.
Et ce qui se passe en mon absence n’a aucun intérêt à mes yeux.
Le troisième jour, j’ai un bon de sortie, une sorte de récompense parce que j’ai
bien éliminé la chimio. Deux jours complets à la maison : c’est le pied, même si je ne
déborde pas d’énergie. Je n’ai pas d’envie particulière, je profite juste de mon lit et,
de temps en temps, de ma console de jeux. Dès qu’un bruit de pas se fait entendre,
j’imagine mes parents rappliquer avec le thermomètre. Je n’ose pas leur dire, mais ils
me stressent. Et pourtant, je ne suis pas en aplasie et ils se contentent de venir aux
nouvelles.
« Alors, comment tu te sens ?
— Bien.
— Qu’est-ce que tu fais de beau ?
— Rien de spécial ?
— As-tu besoin de quelque chose ?
— Non.
— Veux-tu qu’on t’emmène quelque part ?
— Non . »
Je ne suis pas très bavard et, pire, je n’ai aucune envie de faire des efforts. Mes
parents ont un peu de mal à comprendre mais ils respectent mon mutisme et mon
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besoin de solitude. J’ai juste besoin qu’on me laisse tranquille. Je savoure ma liberté
retrouvée, bien que je ne sois pas particulièrement euphorique. Débarrassé de mes
perfusions, libre de mes mouvements, je vais de la chambre à la salle de jeux, ce qui
suffit à mon bonheur du moment.
Je ne reviens à l’hôpital que pour un jour et demi. Une seule nuit au CHU, je suis
en mesure de le supporter. La proximité du départ m’apporte un peu de réconfort et
je consens à lâcher quelques mots, par ci, par là.
A la sortie de cette cure, aussitôt cochée sur le calendrier, l’aplasie est très courte,
comme après la phase précédente. Je n’ai pas de fièvre et donc je ne ressens aucune
inquiétude quant à un éventuel séjour en chambre stérile qui pourrait me tomber
dessus à n’importe quel moment. Il suffit parfois de peu de choses pour rendre un
garçon heureux.
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La chance s’emmêle
Même si j’ai parfois du mal à y croire, il semblerait bien que la vie au-dehors ne
se soit pas arrêtée pendant la durée de mon traitement. J’ai pris l’habitude de vivre
enfermé, que ce soit à l’hôpital ou à la maison, et je passe le plus clair de mon temps
allongé dans un lit. Alors, forcément, je suis un peu coupé du monde et je n’ai plus
trop conscience de cette agitation qui règne un peu partout. Les enfants vont à
l’école, les adultes se rendent au travail et tout ce petit monde discute, rigole,
échange, pleure, se console, rédige des documents, échaffaude des plans, prépare les
vacances ou tire des plans sur la comète. Et moi, sans en avoir pleinement
conscience, je suis absent des débats.
Malgré tout, s’il est un moment où je suis incapable de masquer mon impatience,
c’est le jour de la sortie d’hôpital.
Je n’ai qu’une idée en tête : regagner ma maison et goûter à ma liberté retrouvée.
Il n’y a rien de franchement ambitieux là-dedans mais quitter le lit de l’hôpital pour
retrouver ma chambre n’a rien d’anodin pour moi. Je ne parle pas que de la
nourriture d’ailleurs. A la maison, je ne suis plus branché ; je peux donc me déplacer
à ma guise même si je ne m’éloigne jamais trop loin de mon lit. Et puis je ne suis
plus en hydratation constante et je ne réclame pas le pistolet toutes les demi-heures.
Plus de corticoïdes qui favorisent les insomnies et augmentent l’appétit ; et plus de
chimios non plus, ça change quand même un peu la vie.
Je sais qu’il va me falloir une ou deux journées pour reprendre des forces mais au
moins, je peux me reposer tranquillement dans mon lit.
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Seulement voilà, c’est toujours la même histoire, c’est toujours quand on est
pressé qu’un obstacle inattendu se dresse sur notre route. Cette situation s’est
produite à deux reprises, à chaque fois alors que je regagnais ma maison pour un
repos que j’estimais bien mérité.
La première fois, c’est une manifestation des agriculteurs qui nous fait perdre un
temps précieux. Je n’en suis qu’au tout début de mes cures et, ayant éliminé le
méthotrexate j’ai droit à une journée de permission. La cure est ainsi coupée en deux,
ce qui je l’avoue, me convient. Sur le périphérique, toutes les bretelles d’accès à la
nationale sont barrées. Les agriculteurs mécontents bloquent les routes et déversent
des bennes de fumier à divers endroits. On se retrouve perdus en pleine nature.
Naturellement, notre vieille guimbarde n’est pas équipée de GPS. Nous n’avons pas
d’autre choix que de faire confiance au chauffeur. Et là, je dois dire que le sens de
l’orientation de mon père est assez proche d’un alzheimer abandonné au milieu d’un
labyrinthe végétal… On passe ainsi une partie de l’après-midi à chercher notre
chemin en écoutant les nouvelles à la radio. Les événements sont commentés en
direct et c’est ainsi que j’apprends les raisons de cette manifestation : les agriculteurs
sont mécontents de leurs faibles revenus de l’année précédente et réclament l’aide du
gouvernement. On évoque le chiffre de 25 000 exploitations en difficulté. Je
comprends que le mouvement risque de se prolonger et qu’il nous faudra en tenir
compte pour nos nombreux déplacements. Finalement, alors qu’une certaine tension
s’est installée dans la voiture, nous finissons enfin, après de nombreux détours, à
retrouver notre chemin. L’après-midi est bien entamée et le séjour à la maison est
déjà sérieusement amputé.
La seconde fois, alors que j’en ai terminé avec la deuxième cure, c’est un incident
mécanique qui va carrément nous faire perdre une après-midi. Papa a constaté un
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bruit suspect, en se rendant à l’hôpital le matin. Par prudence, il décide de rouler
tranquillement, conservant une distance de sécurité quelque peu exagérée avec les
voitures qui nous précèdent. Je commence à me demander si, à cette vitesse ridicule,
on va être rentrés avant la tombée de la nuit, quand un bruit apporte une réponse à
ma question et confirme mes doutes. Sous nos yeux ébahis, nous voyons une pièce
métallique traverser la route pour finir sa course sous la barrière de sécurité. Et nous
voilà immobilisés sur le bas-côté. J’ai froid, je suis fatigué ; je me sens maudit.
Assis sur le siège passager, je ressasse des idées noires. Je maudis la voiture, je
maudis la chimiothérapie, je maudis la leucémie. Je me demande ce que je fais là et
j’en veux à la terre entière. Pourquoi des incidents comme ça tombent-ils toujours au
mauvais moment ? C’est à croire que tout se ligue contre moi… Maman est aux
petits soins mais je ne parviens pas à faire le moindre effort. Je n’ai pas envie d’être
là, immobilisé, alors que les voitures nous passent sous le nez sans le moindre
problème. Finalement, la dépanneuse se pointe et notre satanée bagnole est hissée sur
la remorque. Je comprends que je vais encore rentrer fort tard quand, alors que je ne
m’y attendais pas le moins du monde, j’aperçois devant moi la grande tour du CHU
quittée deux heures plus tôt. Aucun doute, la dépanneuse a bien fait demi-tour pour
repartir en direction de Caen. Une demi-heure plus tard, la vieille Nissan est déposée
dans la cour d’un garagiste qui va s’occuper de la remettre en état. Quant à nous,
nous patientons encore un peu. L’assistance a fait les démarches pour nous et un taxi
se présente enfin. C’est dans une belle voiture, puissante et confortable, que nous
rentrons enfin chez nous. Je suis soulagé de retrouver ma maison mais ces
contretemps m’ont épuisé et gâchent en partie la joie que je suis censé ressentir. Je
regagne ma chambre sans traîner et je m’affale sur mon lit. Le cauchemar a pris fin.
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Trois jours plus tard, mes parents retournent à Caen récupérer la voiture. Je crois
comprendre qu’il s’agissait d’un problème de roulement, ou un truc du genre. C’est
chouette de la savoir encore en vie mais je ne suis qu’à moitié rassuré. Quelles
surprises va-t-elle encore nous réserver ?
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La fièvre fait des siennes
La nouvelle tant redoutée tombe brutalement le 11 Avril : je suis en aplasie. Avec
seulement 820 globules blancs, il n’est pas question de prendre de risques. D’autant
plus que, pour confirmer ce diagnostic imparable, j’apprends aussi que les globules
rouges sont si bas qu’une transfusion sera peut-être nécessaire. Et pour couronner le
tout, les plaquettes ont, elles-aussi, sérieusement dégringolé. C’est un éternel
recommencement certes, mais je ne parviens pas à m’y faire.
Dans ces moments, auxquels je suis hélas habitué, je garde le lit. La seule
perspective de me retrouver en chambre stérile est dissuasive. Bien sûr, j’aimerais
voir du monde, passer du temps avec les copains et m’amuser. Mais je suis assez
conscient des risques pour ne pas avoir envie de jouer avec le feu. Rester seul, avec
mes faibles défenses, ne m’autorise pas à des folies. Et chaque visite comporte des
risques. Comme je ne souhaite pas attraper un microbe qui me conduirait illico à
l’hôpital, je me résigne à rester seul. Mes parents surveillent ma température de façon
si régulière que ça en devient pénible.
Fort heureusement, l’aplasie est de courte durée. La numération réalisée trois jours
plus tard m’apporte une réponse encourageante. Sorti d’aplasie, je peux reprendre
une vie normale, du moins à la maison. On évite cependant les visites trop
nombreuses mais on n’a plus besoin de laver les couverts à l’eau bouillante avant de
manger ou de prendre une multitude de précautions avec la nourriture.
Mais quelques jours plus tard, c’est une tout autre chanson qui se fait entendre. La
fièvre fait son retour. Je n’ai eu que quelques heures de tranquillité. C’est comme une
douche froide, un rappel à l’ordre qui me dit :
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« Mon petit bonhomme, fais pas trop le malin. C’est pas toi qui as la main. »
Durant la matinée, je « monte » à 39 de fièvre ; maman a rendez-vous chez le
médecin pour renouveler son ordonnance – dans la famille, on a une relation
privilégiée avec le corps médical ! Elle fait donc part de cet « épisode » à Edith qui
réagit aussitôt.
Edith trouve que la température est trop élevée et ne veut pas attendre davantage,
d’autant que je n’ai pas trop de neutrophiles. Elle contacte donc le CHU qui demande
à ce que je vienne au plus vite. Cette annonce ne me surpend pas mais ne me réjouit
pas non plus. Je sais déjà qu’une chambre va m’être réservée à mon arrivée et que je
vais avoir droit, pour le moins, à une auscultation et à un prélévement sanguin.
Quand j’arrive à Caen, on m’installe dans l’hôpital de jour, ce qui peut être
considéré comme un bon début. Je ne suis pas admis dans le service et tous les
espoirs (de sortie rapide) sont donc autorisés. C’est Odile qui m’accueille et, comme
je m’y attendais, elle m’ausculte. Une infirmière vient faire un prélévement pour une
hémoculture puis on attend le résultat de la numération. Mais une information de la
plus haute importance vient changer la donne : ma température est retombée, je n’ai
plus de fièvre.
L’attente ne dure guère. Odile revient me voir. Fausse alerte ; tous les signaux
sont au vert et je peux regagner ma maison ! Je tente de masquer ma joie comme je le
peux mais je ne traîne pas pour me rhabiller. Je n’ai pas la moindre envie de
m’attarder plus longtemps. Et puis, bien sûr, je me passerais bien de ces frayeurs et
de tout ce temps passé à l’hôpital, suspendu aux résultats de ces prélèvements qui
décident de mon sort.
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La sixième consolidation
J’ai beau savoir qu’il s’agit de mon avant-dernière cure, ça ne m’empêche pas
d’avoir le moral dans les chaussettes. Ça fait presque six mois que le traitement a
débuté et je n’en vois pas l’issue. Les médecins, tout comme mes parents, ont beau
m’inciter à regarder le chemin parcouru, ça ne suffit pas à me redonner le moral.
Je sais que, pour cette cure, je vais être coincé à l’hôpital pendant six jours et
qu’aucun bon de sortie ne me sera accordé. Six jours à l’hôpital, c’est très long
surtout quand le traitement a débuté depuis plus de six mois. L’équipe médicale est
aux petits soins avec les malades et j’ai confiance en eux. Pourtant, je ne parviens pas
à me faire une raison. Je sais que la chimio va provoquer des nausées ou occasionner
une nouvelle constipation. Et je sais aussi que je ne vais pratiquement rien manger.
A mon arrivée, un samedi, Damien m’ausculte et me fait faire quelques petits
tests. Si mes quadriceps sont revenus pratiquement à la normale, notamment du côté
gauche, il constate que les releveurs du pied (gauche essentiellement) ne répondent
pas normalement. Je suis incapable de marcher sur les talons. Pire, en station debout,
appuyé contre le mur, je ne parviens pas à décoller l’avant pied du sol.
Ce problème entraîne une anomalie de la marche. La pointe du pied est
exagérément abaissée et je suis obligé de relever très haut le genou pour éviter de
toucher le sol avec le bout de mon pied.
Damien m’explique que ce n’est pas dû à la maladie, ni à l’opération. C’est lié au
traitement. L’une des chimios se répercute sur les membres périphériques et, dans
mon cas, affaiblit mes muscles releveurs. Il décide donc de supprimer l’Oncovin
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pour cette cure et m’invite à en parler avec Mathilde la kiné dès mon retour, pour
qu’elle adapte ses exercices de rééducation.
Je passe le week-end à me morfondre au fond de mon lit pendant que se succèdent
les différentes chimios. De temps à autre, dans un accès de vitalité aussi bref
qu’inattendu, je me redresse pour jeter un œil à l’écran de télévision ou surfer sur le
Net. Mais ces subterfuges ne durent guère et je finis toujours par me rallonger sous le
drap.
Le lundi, je ressens à nouveau des troubles de la vue. Je vois flou. Je repousse
mon ordinateur et me concentre un moment sur la télévision. Mais bien vite, j’en ai
marre et je décide de me reposer. Je reste prostré sur mon lit, les bras croisés sur la
poitrine et les yeux clos, en attendant que le temps passe.
Quand j’évoque ce trouble de la vision aux médecins, ils me disent qu’il s’agit
vraisemblablement d’un effet secondaire d’une chimio, l’Ifosfamide, qui m’est
administrée tous les jours. Décidément, avec l’Oncovin, les deux font la paire et ne
me ménagent guère.
Par précaution, l’équipe médicale me prend un rendez-vous avec le service
ophtalmologique du CHU.
Un rendez-vous est rapidement fixé et, dès le mercredi, je me rends dans l’ancien
hôpital avec mon pied à perfusions qui s’avère fort encombrant. Je n’en reviens pas
de voir la foule qui se presse dans le hall, entre les visiteurs et les malades qui, tous,
ont un air préoccupé. Et malgré la présence de plusieurs ascenseurs, l’attente est très
longue pour enfin pouvoir se glisser à l’intérieur et accèder à l’étage prévu.
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Je suis reçu par un interne qui pratique un examen méticuleux et très long, qui
dépasse de loin la capacité de résistance de ma vessie soumise à rude épreuve par
l’eau alcaline. A l’issue de cet examen, il décide de me mettre des collyres dans les
yeux afin de procéder à un nouveau fond d’œil.
Il constate une certaine fatigue de mes yeux et, même si l’examen est bon (10
dans chaque œil s’il vous plaît) il propose une correction, pensant que je « force » un
peu ma vue. Je devrai porter des lunettes qui m’éviteront de trop forcer.
Nous patientons dans la salle d’attente en attendant que l’interne rédige sa
prescription. Mais quand il revient, il n’a à la main qu’un petit bout de papier où
figure un numéro de téléphone. Il nous explique qu’il est allé consulter la chef de
service. La correction proposée est minime et donc, il est raisonnable d’attendre un
peu. J’échappe aux lunettes, d’autant que la chimio ne semble pas étrangère à mon
trouble, et je devrai revenir en consultation dans les trois mois à venir. Avant de
quitter le service et nous faufiler dans la cohue, nous nous arrêtons donc au
secrétariat et prenons rendez-vous pour la fin de l’été.
Le jeudi matin, je me réveille tôt et je suis rapidement sur le pied de guerre. La
cure est enfin terminée et, malgré ces légers contretemps, je vais pouvoir regagner
mon domicile.
Les quinze jours qui suivent se déroulent sans encombres. Je ne fais pas d’aplasie
du tout !
Mathide vient deux à trois fois par semaine. Tout en s’acharnant sur mes
releveurs, elle m’apprend à faire des bulles avec des malabars. Les séances sont plus
drôles ainsi même si je sais qu’il me va falloir du temps…pour la marche en tout cas.
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La presse pupil
A mon retour de l’hôpital, après mon avant-dernière cure, une agréable surprise
m’attend. La boîte à lettres est remplie de courrier et je comprends, au nombre de
missives, que mes parents entretiennent des rapports réguliers et sans doute riches
avec le trésor public, la caf, edf… J’entends déjà leurs soupirs et leurs lamentations
quand ils découvriront des lettres de rappel, des majorations voire des mises en
demeure. Ces drôles de courriers ne contiennent le plus souvent que deux
informations importantes (une date et un montant à payer en règle générale)
facilement repérées en quelques secondes. Pourtant, ils provoquent
immanquablement une longue méditation de la part de mes parents, quand ce n’est
pas tout bonnement un profond dépit. Mais au beau milieu de ces enveloppes
administatives (aucune carte postale, encore moins d’invitation), une pochette
plastique contient des documents qui me sont destinés.
Il s’agit du numéro de mars 2016 du « P’’tit Castillonais », le journal de mon
collège. En effet, mon collège s’appelle Le Castillon et se trouve à Les Pieux, une
commune du département de la Manche. De la racine latine podium signifiant le plus
haut, Les Pieux est la plus haute commune du Cotentin. Voilà une information qui ne
manque pas d’intérêt. Il est parfois bon de prendre un peu de hauteur, n’est-ce pas ?
Cet exemplaire consacre une large part au cross du collège dont j’ai déjà eu
l’occasion de parler un peu plus tôt. Naturellement, mon nom ne figure pas au
palmarès, tout comme je suis absent des photos qui rassemblent les cinq premiers des
différentes catégories. Je ne suis pas non plus concerné par les différentes activités
sportives auxquelles je n’ai d’ailleurs même pas participé, telles que le tournoi de
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foot-hand ou le stage de surf. Je ne me suis pas non plus illustré dans les chroniques
culturelles ni même les recettes de cuisine.
Pourtant, la moitié de la page 5 m’est consacrée. Un triomphe, surtout pour moi
qui suis en passe de battre le record d’absentéisme (je frôle en effet les 200 demi-
journées !).
Comprendre la leucémie
Dans notre classe, en 6C, nous avons un camarade atteint d’une grave maladie : la leucémie. C’est le cancer du sang et cela nécessite beaucoup de soins et de traitements.Hugo a donc dû interrompre sa scolarité au collège. Il doit parfois rester dans une chambre stérile et peut parfois rentrer chez lui. Cela dépend du nombre de globules blancs car ils augmentent avec la maladie.Au départ, nous nous posions des questions car nous n’avions pas revu Hugo depuis plus de 3 mois sans savoir pourquoi. Tout le monde s’inquiétait de ne plus le voir au collège et c’est un peu après que M. Moricet, notre professeur principal, nous a expliqué les raisons de son absence.Le lundi 11 janvier 2016, la classe de 6C a participé à une intervention avec Hugo en présence de nombreuses personnes. Mme Kersale, l’infirmière du collège, MM. Paris et
Moricet, le père de Hugo, son docteur, trois infirmières du C.H.U de Caen étaient présents avec Hugo pour nous expliquer ce qu’est la leucémie. Anthony, un élève de 4è qui a déjà eu la leucémie était aussi avec nous. Nous avons regardé un film « La leucémie de Mika », l’histoire d’une jeune fille d’un peu plus de 6 ans pour laquelle on suit l’évolution de la maladie jour après jour.Hugo a gentiment accepté de répondre à nos questions. Nous avons très bien compris que c’était dur à vivre et douloureux.Cette intervention nous a plu car elle nous a permis de comprendre cette maladie. Elle était aussi très touchante et pleine d’émotions et quelques élèves n’ont pu retenir leurs larmes.Nous espérons que Hugo va vite revenir dans notre classe. La 6C est avec toi Hugo. Bon courage Hugo !!! Bon rétablissement !
Amélie et Tess
Le journal est accompagné d’une feuille sur laquelle plusieurs copains et copines
de classe ont rédigé un petit mot à mon intention. En voici quelques-uns qui montrent
bien la diversité des profils. Chacun remplit son rôle ; attentionné, amical ou drôle.
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Mais tous sont sincères et ça me rappelle les bons souvenirs du début d’année
scolaire quand ma petite forme me permettait encore d’aller au collège.
Coucou Hugo !Je t’envoie ce petit mot pour te réconforter de toutes ces épreuves difficiles à vivre tous les jours pour toi.
AlixHeureusement que tu n’es pas là. Tu as raté l’éval d’anglais.
DamienSalut HugoJ’espère que tu t’es un peu rétabli (un peu beaucoup).J’espère que tu vas vite revenir.
Grokiss JulesJ’aimerais que tu reviennes parmi nous. (Je suis en train de souffrir car j’ai très mal au doigt et j’écris quand même pour toi). Gros bisous Hugo.
MarineBonjour mon pote. Ça va bien !!!
Graham
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La lecture de ces messages de soutien et d’amitié me remplit de joie. Ils ne m’ont
pas oublié ! Et puis je me marre pour de bon, ce que j’ai un peu oublié ces derniers
temps. Ainsi donc, j’ai raté l’évaluation d’anglais. Finalement, je m’en tire plutôt
bien. On n’a pas toujours idée de ce qu’est la vie de collégien…
Je ne m’étais encore pas vraiment posé la question, mais ces témoignages de
sympathie me donnent une furieuse envie de retourner au collège.
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Faux départ
La date du lundi 9 Mai est surlignée depuis quelques jours sur mon agenda. Je n’ai
pas fait d’aplasie depuis mon retour de cure et les médecins m’ont donné le feu vert
pour que je retourne au collège. Je sais que ce n’est que pour quelques jours, mais la
joie que je ressens est intense. Je vais retrouver mes copains, prendre part aux
différents cours auxquels je vais assister, me remettre dans le bain en quelque sorte.
La veille du grand jour tant attendu, je me sens empli d’une énergie positive. Je
suis motivé comme je ne me souviens pas l’avoir été au cours de ces derniers mois.
La phase de préparation ne doit pas être négligée. Il est important pour moi de me
mettre en condition pour me donner les moyens de réussir mon retour.
A la sortie de l’hôpital, j’étais très optimiste et enthousiaste. Très tôt, j’ai confié à
mes parents ma conviction que je n’aurais pas à aller en chambre stérile. J’étais
tellement confiant que je n’ai même pas râlé lorsqu’il fallait prendre ma température.
Du coup, le moral est revenu assez rapidement. J’ai ressenti le besoin de voir du
monde, de rendre visite à mes amis ou d’aller traîner dans les magasins. J’en avais
assez de skype et du portable. Alors, je suis sorti tous les jours ; et ça m’a fait le plus
grand bien.
Le dimanche après-midi donc, je m’installe sur le canapé et j’organise « ma
rentrée ». Je commence par consulter mon emploi du temps. Après tout ce temps loin
du collège, j’ai tout oublié ou presque. Je vais ensuite dans le bureau prendre les
livres et les cahiers qui vont m’être utiles.
Une fois cette tâche accomplie, je me décide à dresser la liste de tout ce dont je
vais avoir besoin puis je procède à la vérification du matériel. Je m’assure que mes
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fournitures sont en bon état, que les stylos fonctionnent, qu’il ne manque rien dans
ma trousse. Je recharge mon portable et je glisse mon porte-monnaie dans la petite
poche de mon sac. Je retrouve mon agenda et mon carnet de liaison (qui va avoir la
lourde tâche de succéder à mon carnet de lésion ! ). Une dernière inspection pour me
rassurer et, à dix-sept heures, le sac est déposé dans la voiture. Il m’est déjà arrivé
d’oublier mon cartable à l’école ; je ne tiens pas à ce que l’inverse m’arrive pour ce
come back.
Après les préparatifs scolaires, je dois songer aux préparatifs vestimentaires. Je
fais le tri dans mes vêtements, mettant de côté tous ceux qui emportent mes faveurs.
Faire un tel choix n’a rien d’évident et ça me prend un temps fou. Finalement, j’opte
pour une chemise en jean et un tee shirt foncé avec le traditionnel Levi Strauss.
Le soir, sitôt le repas avalé, je pose sur la table la boîte de Chocapic, un bol, une
cuiller et une orange avec le presse-agrumes. Je ne suis pas peu fier ; je n’ai rien
laissé au hasard et, surtout, je n’ai confié à personne d’autre le soin de s’acquitter de
cette tâche.
Je peux donc prendre une bonne douche bien méritée, puis régler mon réveil qui
reflète ses énormes chiffres clignotants sur le mur avant de me mettre au lit et dormir
sur mes deux oreilles. Et c’est là que le scénario se met à bafouiller. J’ai beau fermer
les yeux, chercher une position confortable, rien n’y fait. Je suis incapable de trouver
le sommeil. Je ne peux m’empêcher de penser aux copains que je n’ai pas prévenus.
Ils vont faire une de ces têtes en me voyant débarquer, c’est sûr ! Je suis nerveux,
impatient, un peu surexité en fait. Et je finis par m’endormir à une heure beaucoup
plus tardive que celle prévue pour un collégien.
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Le lendemain matin, je suis déjà debout quand la sonnerie du réveil se fait
entendre. Je dois être au collège à 10h15 ; j’ai une bonne heure devant moi. Je
déjeune tranquillement avant de me détendre un peu devant la télévision. Une fois
l’heure venue, j’attrape ma béquille et mon chapeau noir qui fait trop stylé. Je me
sens si heureux quand je prends place dans la voiture !
Papa m’accompagne jusqu’au bureau des surveillants pour signaler mon arrivée.
On nous oriente alors vers le bureau de la principale qui termine sa réunion du matin
avec son adjointe et le CPE. Je suis chaleureusement accueilli et je ne boude pas mon
plaisir. Invité à m’asseoir, je prends soin de conserver mon chapeau. Je me sens à
l’aise, détendu et je réponds aux questions sans la moindre hésitation. A côté de moi,
papa ne me quitte pas des yeux. Je ne le laisse pas en placer une.
Après avoir évoqué mon traitement et envisagé l’avenir, la principale me demande
à quels cours je souhaite assister. Je lui réponds que je vais pouvoir venir toute la
semaine et que, pour cette reprise, je pense participer au cours d’anglais le matin et
revenir pour la SVT l’après-midi. La principale-adjointe me demande si je suis au
courant des modifications d’horaires liées aux absences de certains professeurs qui
encadrent les séjours à l’étranger. Comme je réponds par la négative, elle consulte
son planning. Un léger blanc précède son commentaire.
« Oh ! Mais ta classe est en sortie scolaire. Elle est à Caen pour la journée ! »
Je jette un coup d’œil à papa. Nous échangeons un rapide sourire. Je pense que
décidément, la chance n’est pas de mon côté. A Caen en plus ! Ma classe est partie à
Caen, tout près de l’endroit où j’ai passé tant de journées enfermé dans une chambre
d’hôpital. Un comble !
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Il ne nous reste plus qu’à rentrer à la maison. J’entends avec un plaisir non
dissimulé les compliments qui me sont adressés pour ma tenue avant de quitter les
lieux.
Loin de me laisser abattre par ce coup du sort, je déborde d’énergie en retrouvant
ma maison. Puisque mon retour au collège est reporté d’une journée, je décide de
m’activer dans la salle de jeux. La console qui séjournait depuis des mois dans la
chambre retrouve sa place d’origine. Je change la disposition de quelques meubles et
je revois la décoration en affichant sur les murs les posters de mangas que m’a
donnés Mathilde la kiné.
En fin d’après-midi, cerise sur le gâteau, mes parents m’emmènent acheter le mini
frigo que j’espérais depuis longtemps. Ainsi, ma salle de jeux commence vraiment à
avoir de la gueule.
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Back to the collège
Le coup d’épée dans l’eau de la veille n’a pas ébranlé ma motivation. Le mardi
matin, j’attends l’infirmière pour la numération habituelle. A onze heures, la
professeure d’anglais se présente pour mon cours « particulier ». Je fais des efforts
pour rester concentré sur ce qu’elle me demande ; mais, au fond de moi, je suis
vraiment impatient de retrouver les copains. Après le repas, je vérifie mon sac. Paré
pour deux heures de maths.
L’emplacement réservé aux handicapés, à droite de la grille d’entrée, est
disponible.
Ça me rappelle une anecdote, du temps de ma première leucémie. J’avais à peine
plus de quatre ans quand on m’avait accordé une carte de stationnement. La première
fois où papa avait utilisé cet emplacement réservé, j’avais été intrigué par le
marquage au sol.
« Dis, papa, qu’est-ce qu’elle a comme handicap, notre voiture ? »
Aujourd’hui, vu l’état de notre véhicule, cette place réservée convient aussi bien à
l’un qu’à l’autre mais je ne fais plus aucune remarque à ce sujet.
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Pendant que papa range la voiture, mon regard est attiré par le panneau qui se
dresse devant nous. Une main inspirée y a gravé deux mots qui me dégoûtent.
DE CONNARD
Il me vient comme des idées de bagarre, de règlement de compte ou d’explication
à grands coups de baffes. Et puis, très vite, je laisse tomber en me disant que les
imbéciles agissent toujours dans l’ombre.
Cet épisode ne doit pas entamer mon enthousiasme. Clopin-clopant, appuyé sur
ma béquille, je me dirige donc vers la salle de cours. Je ressens une joie
indescriptible en me retrouvant au beau milieu de cette « jungle » bruyante qui
envahit le hall en attendant la sonnerie.
Les deux heures de cours passent bien vite. Une heure de travail en sous groupe
d’abord pendant laquelle nous mettons un point d’honneur à réaliser impeccablement
les exercices proposés, suivie d’une heure de cours classique. J’apprécie de me
retrouver au sein de ma classe, de prendre des notes et découvrir des notions
nouvelles, comme au bon vieux temps.
A la fin du cours, je savoure la récréation qui me permet de bavarder avec d’autres
élèves. Et, je le reconnais aisément, je suis déterminé à profiter au maximum de cette
semaine. Il faut dire qu’en cette période d’échanges scolaires avec les
correspondants, l’emploi du temps est un peu chamboulé…et pas mal allégé.
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Le mercredi, j’ai seulement une heure de maths. Le jeudi, en revanche, la matinée
est chargée : histoire-géo puis deux heures de français. Je trouve cependant la force –
ne suis-je pas formidable ?- de revenir l’après-midi pour…une évaluation de maths !
Durant ces quelques jours, je remarque avec plaisir que les choses n’ont pas
tellement bougé en mon absence. Ma classe est composée de personnalités
différentes qui cohabitent tant bien que mal selon les cas. Il y a le plaisantin, l’élève
modèle, le timide, l’étourdi. Il y a également celui qui sait tout, le bavard, le
turbulent, le studieux… Une classe comme il en existe partout, en somme. Mais cette
classe est la mienne et je suis ravi d’y avoir ma place.
Le vendredi, pour ce qui est déjà ma dernière journée au collège, un épisode
fortuit me fait bien rire…au détriment de papa !
Je participe tout d’abord au cours de technologie avant d’aller en français. Mais le
cours n’est pas commencé depuis cinq minutes qu’on me convoque à l’infirmerie
pour un dépistage : vue et ouïe. Normalement, cet examen doit durer environ dix
minutes. Mais, comme je ne suis pas un élève comme les autres, un long dialogue
s’engage avec l’infirmière et j’y reste cinquante minutes. Lorsque la sonnerie retentit,
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je n’ai même pas fait le dépistage pour l’audition. L’infirmière a encore des
questions à me poser et il s’écoule encore quelques minutes.
Quand je sors de l’infirmerie, je me retrouve nez à nez avec papa, venu à ma
rencontre. Il fait une drôle de tête.
« Salut p’pa. Ça va ?
— Oui, oui. Ça va. Mais tu m’as fait peur. Je me demandais où tu étais
passé… »
Et papa me raconte la mésaventure qui vient de lui arriver. Il m’attend
tranquillement dans le hall, guettant l’ouverture des portes de l’ascenseur qui doit me
ramener au rez de chaussée. Il voit passer plusieurs élèves de ma classe sans
s’inquiéter tout d’abord. Mais le temps file, l’ascenseur ne s’ouvre pas et le hall
commence à se vider. C’est alors qu’une des surveillantes du collège se plante devant
lui et lui tend mon sac de cours.
« Voilààà. Je vous donne déjà son cartable, pour commencer. Hugo ne devrait
pas tarder ; il est à l’infirmerie.
— Pardon ? De quoi ? L’infirmerie ; comment ça, l’infirmerie ? demande papa,
soudain inquiet.
— Non, non ; ce n’est rien. C’est la coutume. Les élèves de sixième font les
tests de dépistage.
— Aaaah. Désolé, réagit papa. Mais me parler d’infirmerie comme ça, de but
en blanc, je ne suis pas prêt. »
Cette histoire me fait bien rire. J’imagine la réaction de papa. En même temps,
c’est vrai que ça fait un peu beaucoup à la longue. Maman est hospitalisée depuis
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hier à Cherbourg. Elle va devoir rester plusieurs jours en observation en raison de
troubles neurologiques et musculaires.
L’après-midi se déroule sans encombres : histoire-géo et français. Je n’en reviens
d’ailleurs pas. Je n’ai pas vu le temps passer. Cette semaine de collégien m’a fait un
bien fou. Je me rends compte que j’ai retrouvé de l’énergie et je fais à nouveau des
projets. J’ai envie d’inviter les copains, leur montrer ma « nouvelle salle de jeux »,
envie de bouger, de faire du vélo, d’aller voir la mer, retourner à la piscine… J’ai
même retrouvé le sens de l’humour et je compte bien conserver mon goût pour la
plaisanterie. Ça permet de voir les choses d’une autre façon.
Retourner au collège m’a aussi permis de ne pas trop penser à la cure de chimio
qui m’attend. De toute façon, c’est la dernière. Ça devrait bien se passer ; je
commence à percevoir la lumière au bout du tunnel.
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La dernière cure
(Septième consolidation)
Un vendredi 13, ce n’est pas un jour comme les autres, parait-il. On entend tout
autour de nous parler d’un jour porte-bonheur, d’un jour qui serait symbole de
chance. Ainsi, il suffirait de mettre le nez dehors pour contempler les bonnes
nouvelles voleter au-dessus de nos maisons en nous adressant un signe de la main ?
Et par les portes laissées ouvertes, les messages de paix et d’espoir rentreraient dans
nos foyers…
Le vendredi 13 Mai, j’apprends deux nouvelles qui, l’une comme l’autre, me
semblent dépourvues de toute notion de chance ou de bonheur. Tout d’abord, je
reçois un coup de fil de papa qui m’annonce que maman doit rester en observation à
l’hôpital Pasteur quelques jours. Le neurologue ne souhaite pas la laisser rentrer à la
maison sans avoir pu pratiquer les examens nécessaires. Et dans la foulée, c’est Odile
qui m’appelle. Ma cure, prévue le lendemain, est retardée de quelques jours. Je n’ai
pas assez de globules blancs et une nouvelle numération est programmée le lundi
suivant.
Finalement, je suis convoqué au CHU le mardi 17 Mai. Maman a eu un bon de
sortie la veille mais elle a dû regagner sa chambre en neurologie le soir même. Et
pour couronner le tout, la loi travail imposée par le gouvernement provoque une
colère quasi-générale. Des manifestations sont programmées et des barrages sont
prévus autour de certaines villes le 17 au matin. Caen fait partie des villes
concernées. Ce qui nous amène, papa et moi, à prendre la route le lundi soir.
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J’ai beau me dire qu’il s’agit de ma dernière cure, que la chimiothérapie se
termine et que ces six mois de traitement lourd touchent à leur fin, je suis toujours un
peu angoissé.
Néanmoins, je parviens à fournir les efforts nécessaires pour me montrer
« présentable » à mon entrée dans le service. L’équipe soignante me questionne sur
ce que j’ai fait durant mon séjour à la maison et, pour une fois, j’ai pas mal de choses
à raconter, à commencer par mon retour au collège. Evoquer ces bons moments me
regonfle le moral.
La cure débute de la meilleure des manières. La bandelette dans le pipi donne
rapidement le feu vert pour le début de la chimio. C’est parti pour trente-six heures
de Méthotrexate ! Mais il faut également songer à la ponction lombaire. Le duo
d’internes qui exerçait depuis mon admission six mois plus tôt a été remplacé. Ce
sont deux nouvelles jeunes filles qui oeuvrent à présent. Et je me rends compte que
tout a été fait pour m’embrouiller. L’interne qui intervient, sous le regard d’Anne-
Sophie, infirmière stagiaire, et sous le contrôle de Damien, se prénomme Caroline.
Elle est assistée par une aide–soignante qui, elle aussi, s’appelle Caroline et
l’infirmière qui se tient à ses côtés n’est autre que…Caroline ! Ajoutée aux effets de
l’entonox qui ne tardent pas à se manifester, la situation me fait vite perdre les
pédales. Le masque maintenu d’une main ferme sur mon visage par Caroline ( !) ne
m’empêche pas d’avertir l’assistance :
« Je vous préviens ; aujourd’hui, je ne vais pas prononcer un seul mot. Ça
m’évitera de raconter des conneries. »
La ponction se déroule au mieux. Je ne ressens pas la moindre douleur. Ce que
j’aime moins en revanche, ce sont les deux heures qui suivent durant lesquelles je
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dois rester allongé. Sitôt l’examen terminé, je m’endors. Mais bien vite, à cause de
l’hydratation, je me réveille pour faire pipi. Re-belote vingt minutes plus tard et ainsi
de suite. Naturellement, je ne parviens plus à m’endormir et, comme je dois rester
immobile, je trouve le temps long.
L’après-midi, je ne ressens aucune douleur et je n’ai pas de nausées. Je peux donc
m’occuper un peu et je navigue sur Internet pour tuer le temps. Les infirmières et les
internes qui viennent pour les soins se montrent toujours aussi attentionnés. Je lutte
pour m’empêcher de consulter la pendule toutes les cinq minutes. Dans ma tête je
calcule sans arrêt l’heure de fin de la chimio, en tenant compte de la rinçure. J’ai
besoin d’être rassuré, de savoir que tout se termine.
Le soir, maman vient nous rejoindre. Après avoir passé son IRM, et sans en
connaître le résultat, elle s’est pour ainsi dire échappée de l’hôpital pour sauter dans
le train. David est avec elle ; c’est lui qui porte les sacs !
Le mercredi, je demande à une infirmière si je peux avoir le programme complet
de la cure. C’est Marianna qui vient me le porter. J’en profite pour lui demander si je
vais pouvoir sortir ne serait-ce qu’une journée. J’ai déjà demandé à papa ainsi qu’à
plusieurs infirmières et tous m’ont répondu que je pourrais regagner ma maison au
moins pour vingt-quatre heures. Cependant, j’ai besoin d’avoir la réponse d’un
médecin. Et Marianna confirme ce que tout le monde m’a dit et répété. Elle constate,
et ce n’est pas la première fois, que les corticoïdes me rendent un peu déprimé.
Je trouve cette réponse encourageante et je me risque à poser d’autres questions
concernant la suite des opérations. Je veux savoir s’il y aura beaucoup de ponctions
lombaires pendant le traitement d’entretien qui doit durer presque deux ans, et quelle
quantité de corticoïdes je devrai avaler. Marianna me fait savoir que je n’aurai pas à
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prendre de corticoïdes pendant ces deux années et que je n’aurai plus de ponction
lombaire puisque douze séances de radiothérapie sont programmées.
Ces nouvelles me soulagent un peu. Les corticoîdes, je n’en peux plus et les
ponctions n’ont rien d’agréable. Une autre raison d’espérer me vient alors à l’esprit.
« Du coup, après cette cure, je ne vais plus perdre mes cheveux ?
— En fait, m’annonce Marianna en me regardant tendrement, il y a encore un
risque de chute des cheveux avec les rayons. Etant donné que ta leucémie a touché
tes méninges, tu vas avoir des rayons de la tête jusqu’au bas du dos. Et tu peux donc
perdre à nouveau tes cheveux qui mettront un peu plus de temps à repousser qu’après
une chimio…
— Ah. D’accord. »
Malgré cette légère déception, ma deuxième journée d’hospitalisation se déroule
sans encombres. Je fais le décompte des heures qu’il me reste à patienter et je
continue à harceler les infirmières de questions. J’ai besoin de tout savoir, de tout
contrôler. En fin d’après-midi, je récolte les fruits de mon enquête ; je sais à quelles
heures sont programmées les différentes prises de sang qui vont déterminer mon
éventuelle sortie. Enfin, si j’ai bien éliminé la chimio !
Inutile de préciser que, le soir venu, j’ai du mal à trouver le sommeil. Mais quand,
le lendemain midi, Marie l’infirmière vient m’annoncer la bonne nouvelle, j’oublie
ma fatigue.
« Hugo. C’est tout bon. On vient d’avoir les résultats du labo ; tu peux rentrer
chez toi. Tu es à 0,18 et la sortie est autorisée à partir de 0,25. »
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0,18 et 0,25, franchement, je ne sais pas trop à quoi ça correspond. Mais je
comprends que j’ai assez éliminé pour pouvoir quitter ma chambre quarante-huit
heures. Avant de sortir, j’ai droit à la pesée. Damien m’a mis en garde à mon arrivée
deux jours plus tôt. Mon poids fait le yoyo et je dois y porter attention car les
problèmes de surpoids peuvent entraîner d’autres complications, notamment
cardiaques. Cette fois, le résultat plaide pour moi puisque j’ai perdu 1,5 kg en deux
jours. Et comme la diététicienne est passée me voir, je pense être armé pour affronter
cet enbompoint passager.
Deux jours à la maison, ça passe rudement vite. D’autant plus quand il n’y a ni
mercredi ni samedi pour inviter les copains. Malgré tout, ça me met du beaume au
cœur, ça me rassure un peu. Certes, je ne suis guère vaillant. La chimio m’a quand
même bien fatigué et je n’ai guère d’appétit. Alors je me repose en matant la téloche.
Mais ne rien faire à la maison, ça n’a rien à voir avec l’attente de l’hôpital.
Le samedi tant redouté arrive bien vite et il me faut retourner en finir avec cette
dernière cure. J’ai vraiment hâte d’en terminer, une fois pour toutes. Marianna m’a
convoqué à dix heures trente. Je sais que j’ai deux chimios prévues à douze heures
d’intervalle. Sitôt installé dans une chambre, je m’enquiers du sort qu’on m’a
réservé. Je sors stylo et papier pour noter toutes les informations que je récolte :
horaires des chimios, durée des rinçures, fréquence des contrôles… Et lorsque je
dispose de tous les renseignements nécessaires, je peux envisager approximativement
l’heure de ma sortie le lendemain.
L’autre lit de la chambre est inoccupé. Je me sens un peu soulagé. Je peux
regarder la télévision sans gêner mon voisin et, si j’ai un coup de cafard, je ne suis
pas obligé de retenir mes larmes.
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La journée du samedi passe relativement vite. Mes parents sont à mes côtés,
comme d’habitude. Je n’ai pas beaucoup de soins, en dehors des constantes. Je joue
un peu sur mon ordinateur et j’essaie de lire mes mangas. Le soir venu, quand mes
parents s’apprêtent à me quitter, je leur demande avec insistance de venir tôt le
lendemain pour m’éviter d’attendre lorsque ma permission de sortie sera accordée.
Le dimanche matin, effectivement, les infirmières m’annoncent que je vais
pouvoir rentrer chez moi. Il faut cependant que j’attende la visite du médecin de
service pour être débranché. Quand Marianna arrive, en milieu de matinée, elle me
confirme que ça y est, cette fois c’est la bonne et que la chimiothérapie est terminée.
Puis elle demande à mes parents de surveiller ma température parce que je risque
d’être assez rapidement en aplasie.
Nous quittons l’hôpital en fin de matinée. L’aplasie attendra ; pour l’heure, j’ai
envie d’un bon steak et les portes du restaurant sont ouvertes !
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Fidèle aux rendez-vous
Je n’ai guère le loisir de goûter au plaisir simple de la vie à la maison. Le mardi 24
Mai, soit moins de quarante-huit heures après avoir quitté l’hôpital, je suis convoqué
par le radiothérapeute.
Nous reprenons donc la route de Caen et, peu avant midi, nous passons devant le
CHU sans nous y arrêter cette fois. La consultation doit avoir lieu dans un autre
établissement, le Centre François Baclesse, situé à peine à quelques centaines de
mètres de là.
La secrétaire à qui maman remet les documents habituels (carte vitale,
convocation…) nous dirige vers le rez de jardin. A la sortie de l’ascenseur, je suis
véritablement impressionné par le décor. Nous nous retrouvons dans un dédale de
couloirs et de petits salons d’attente où je pense que de nombreux patients ont dû se
perdre avant même d’avoir eu le temps de se présenter. Dans cet endroit, tout est
clair du sol au plafond ; le beige clair et le gris pâle des lieux contraste étrangement
avec le rouge vif du CHU auquel je m’étais habitué.
Des blouses blanches s’affairent dans tous les sens, ne manquant pas de nous
adresser un bonjour amical en nous apercevant recroquevillés sur notre siège,
attendant de voir quel sort nous est réservé. Et quand enfin le médecin se présente
devant nous, j’ai l’impression de me retrouver propulsé dans un épisode de Grey’s
Anatomy ! Grande taille, physique robuste, allure sportive, cheveux noirs épais,
poignée de main ferme : le docteur Shepherd m’invite à entrer dans son bureau.
La consultation dure une bonne heure. Le médecin veut tout savoir et, question
santé, j’en ai à raconter. La première leucémie à trois ans et demi, les prémices avec
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une paralysie faciale sans doute un peu négligée à l’époque, la rechute avec cette
tumeur sur la moëlle épinière, la date du début de mon traitement…
Dans un deuxième temps, après avoir obtenu notre accord pour le traitement à
venir, le radiothérapeute nous explique qu’il se doit d’évoquer les risques encourus.
Le gentil docteur Mamour se transforme alors en inquiétant docteur No. Les
séquelles possibles à l’issue des rayons me donnent quelques sueurs. A mes côtés, la
mine déconfite de mes parents prouve qu’ils n’en mènent pas large non plus en
écoutant le médecin réciter sa liste longue comme le bras. La leucémie dont je suis
victime est une leucémie aiguë lymphoblastique avec envahissement méningé. Etant
donné que les méninges sont les trois membranes successives qui recouvrent le
système nerveux central, à savoir le cerveau et la moëlle épinière, la radiothérapie
devra être pratiquée depuis le sommet de mon crâne jusqu’au bas de mon dos. La
surveillance concernera donc notamment la vue et l’ouie puisque le traitement
s’appliquera à toutes les zones où circule le liquide cephalorachidien. Mais ce n’est
pas tout puisque sont aussi évoqués une croissance limitée et des troubles cognitifs.
Un instant, je m’imagine dans la peau d’un nain attardé. Une sinistre pensée que je
m’efforce de chasser de mon esprit en quittant l’hôpital.
Une semaine plus tard, je suis de nouveau convoqué au Centre Baclesse pour un
scanner et la confection de la coque et du masque que je devrai utiliser pendant les
séances de radiothérapie. Pour ce deuxième rendez-vous, je suis en aplasie fébrile et
hospitalisé en chambre stérile au CHU depuis trois jours. C’est donc en ambulance
que je me rends à cette convocation.
Les manipulatrices m’accueillent avec un franc sourire que je suis incapable de
leur rendre, tellement je suis anxieux. Une fois précisés les détails de l’examen, on
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m’installe sur une table située devant l’anneau dans lequel elle se déplacera durant le
scanner. Je suis allongé en position de traitement pour que l’équipe soignante puisse
confectionner les matériels de contention que sont la coque et le masque qui moule
ma tête ainsi que mes épaules.
Pendant cette opération, les manipulatrices mettent en place des marques sur le
masque mais aussi sur mon corps et les données sont enregistrées. Je devrai
conserver les deux petites pastilles-repères collées sur ma poitrine et mon ventre
jusqu’au terme des rayons. Toutes ces mesures permettent de diminuer au maximum
les incertitudes de mon positionnement entre les séances mais aussi durant une même
séance. Pendant que l’on m’apporte ces précisions, je me rappelle les propos du
radiothérapeute qui, une semaine plus tôt, avait confié disposer d’une marge d’erreur
de deux à trois millimètres seulement… Je ne bouge alors plus d’un poil et j’hésite à
respirer tellement je suis tendu.
L’opération dure environ une demi-heure. Ensuite, je fais un scanner de contrôle
qui va permettre de définir les zones à irradier par le médecin.
Quand je reviens au CHU, toujours en ambulance, le service est bondé. Il y a eu
de nombreuses admissions et les lits sont tous occupés, y compris en isolement. Du
coup, je me retrouve en réanimation pédiatrique, deux étages plus haut. Le personnel
soignant est attentif et très à l’écoute. On s’occupe bien de moi. Mais je ne vois
« mes » médecins qu’une fois par jour, en fin de matinée. Finalement, je vais rester
quatre jours dans ce service, jusqu’à ce que la fièvre s’estompe.
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Mon troisième et dernier rendez-vous est programmé le jeudi 9 juin, soit quatre
jours avant le début de la radiothérapie. Je me rends donc au CHU pour des examens
de contrôle à l’issue des sept mois de chimiothérapie. Avant de pratiquer les
examens, j’ai droit à mon habituelle numération et formule sanguine (NFS). Avec
4 430 globules blancs et 445 000 plaquettes par mm3 et une hémoglobine à 13,7, je
peux voir venir.
L’IRM se déroule dans les meilleures conditions. Rien à voir avec le supplice qui
m’était infligé au début de la maladie, à une époque où aucune position ne m’était
confortable. Et puis, cerise sur le gâteau, elle confirme l’absence d’anomalie
médulaire observée à l’issue de chacune des premières phases du traitement.
Le myélogramme s’avère moins agréable. Malgré le nubain et l’entonox, je
ressens la douleur. Je regrette de ne pas avoir accepté l’hypnovel qui m’aurait aidé à
mieux supporter ce sale quart d’heure. Pendant que le médecin s’active avec
précaution, j’ai l’impression qu’il s’attaque à grands coups de piolet à mon os
iliaque. Je suis soulagé quand l’examen se termine enfin, même s’il me faut un
certain temps pour récupérer. Et je suis bien plus soulagé encore lorsque, quelques
jours plus tard, j’apprends qu’il n’y a pas de cellules blastiques et que la rémission
persiste.
Ces émotions méritent un petit réconfort que je m’accorde, comme souvent, au
restaurant. Sur le chemin du retour, je me remonte le moral en pensant que demain,
je vais pouvoir aller dire au revoir à mes copains de collège que, finalement, je
n’aurai pratiquement pas vus de l’année.
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Les rayons
Ma première séance de radiothérapie est programmée le lundi 13 Juin à 14 heures.
A l’accueil, je valide mon bon de consultation sur l’appareil enregistreur, puis je me
rends au petit salon d’attente de tomothérapie 2, muni de ma convocation et de ma
grille d’évaluation de la douleur, comme les manipulatrices me l’ont demandé lors de
ma précédente visite. Entre temps, j’ai pu me documenter et apprendre que la
tomothérapie est une façon de réaliser une radiothérapie avec modulation
d’intensité guidée par l’image.
J’ai ainsi appris que, durant la séance, le patient s’allonge sur la table de
traitement et une première étape consiste à réaliser une imagerie en coupe (le
scanner) qui va permettre de vérifier avec précision la position du patient. La séance
de radiothérapie peut ensuite débuter. En ce qui me concerne, la zone à irradier étant
importante, j’ai droit à deux scanners pour le prix d’un.
Pendant cette phase de rayons, le traitement d’entretien commencé la semaine
précédente est ralenti. Les rayons vont faire baisser mes globules blancs et le risque
d’aplasie existe. Je continue le Méthotrexate une fois par semaine mais j’arrête le
Purinéthol.
En attendant mon tour, je passe en revue les informations qui m’ont été
communiquées. Je dois faire cette radiothérapie parce qu’il est possible que la chimio
n’ait pas vaincu toutes les cellules cancéreuses et que celles-ci ne soient pas visibles
à l’IRM. Je sais que douze séances sont programmées, tous les jours du lundi au
vendredi. La durée des premières séances varie entre quarante et cinquante minutes
mais l’irradiation, elle, dure seulement quatorze minutes. Et je sais aussi que je serai
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fatigué pendant le traitement. Le radiothérapeute me recevra en consultation une fois
par semaine et un contrôle sanguin sera réalisé de façon régulière.
Quand les manipulatrices viennent me chercher, je passe dans la cabine pour ôter
mes vêtements et c’est en caleçon que je suis placé sur la table d'irradiation, de la
même façon que j’étais placé lors de la simulation, c'est-à-dire couché sur le dos. La
contention est assurée par le masque thermoformé et les repères d'alignement
d'isocentre sont marqués sur le masque et sur la peau. Au cours de la séance, je dois
respirer doucement et ne pas bouger.
Les deux premières séances sont longues et douloureuses. Le masque me
comprime le visage et me dessine une peau de lézard qui m’accompagne une bonne
demi-heure après l’examen. De plus, j’ai drôlement mal à la nuque à force de rester
dans cette position bien peu confortable.
Le mardi, lors de la consultation qui suit ma deuxième séance de rayons, j’évoque
au médecin les douleurs ressenties. Il me prescrit du Zophren pour éviter les nausées
et me fait savoir qu’une compresse sera posée sous ma nuque pour les séances à
venir.
Les séances suivantes sont effectivement moins douloureuses mais je ne tarde pas
à être de nouveau constipé, ce qui n’a rien d’agréable quand bien même on y est
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habitué comme moi. Il me faut à nouveau avaler avec dégoût ce satané Movicol qui
me donne envie de vomir avant de m’envoyer à la selle. La deuxième prise de sang
montre que les globules blancs dégringolent rapidement et, au bout d’une semaine,les
médecins décident de stopper le méthotrexate. Je reprendrai le traitement d’entretien
lorsque tout sera rentré dans l’ordre.
Au début de la deuxième semaine, tandis que je patiente dans le salon d’attente,
j’assiste à une discussion pour le moins cocasse. Le monsieur qui arrive et s’assoit en
face de nous tient une bouteille d’un litre d’eau minérale dans chaque main. Très
vite, il engage la conversation avec mes parents et explique qu’il est soigné pour des
problèmes de prostate à l’âge de soixante-dix ans. Puis, indiquant d’un geste de la
main les deux litrons posés à côté de lui, il précise que pour une irradiation du bassin
(prostate ou vessie), il est conseillé de boire deux à trois litres d’eau.
« Et ça n’a rien de marrant, ajoute-t-il sans rire. Mais le soir, je m’accorde un petit
apéro ; faut pas déconner ! »
Il poursuit son cours de médecine en nous expliquant que, dans son cas, la
radiothérapie est pratiquée vessie pleine de façon à mieux la repérer, ainsi que
l’intestin, durant les séances et donc limiter la dose reçue par ces organes. La
conclusion de son exposé est mythique.
« Je peux vous garantir qu’après la séance, il ne faut pas traîner. D’ailleurs, c’est
pour ça que les toilettes à côté de la salle d’attente sont si dégueulasses. On est
tellement content d’y arriver sans avoir souillé son pantalon qu’on se dépêche de
dégainer. Mais pour ce qui est de viser la lunette, c’est une autre histoire. »
Lors de ma deuxième consultation, j’apprends que je vais avoir treize séances, et
non pas douze comme annoncé au départ. La nouvelle ne me réjouit pas et je
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demande des précisions. C’est ainsi que j’apprends que l’intensité des séances est
mesurée en gray. Et, si j’ai bien compris, selon ma masse corporelle, je dois
« recevoir » au total 24 gray. Les dix premières séances sont réalisées avec une
intensité de 1,8 ; les trois autres le seront à 2. Voilà qui a le mérite d’être clair.
A la fin de la deuxième semaine, j’ai mal à la gorge au point que je n’arrive
pratiquement plus à avaler. Les médecins m’expliquent que c’est lié aux brûlures
provoquées par les rayons.
Le lundi 27 juin, je suis heureux d’apprendre que les trois dernières séances vont
uniquement être ciblées sur mon dos. On irradie seulement la zone de la tumeur
initiale dans mon dos. Un seul scanner est nécessaire, les séances sont nettement
moins longues, environ vingt minutes, et je n’ai plus besoin de porter le masque.
Lors de ma dernière consultation – avant le suivi annuel – le radiothérapeute
m’annonce que la surveillance va durer quatre semaines. Un mois pendant lequel les
effets provoqués par les rayons peuvent se faire ressentir.
Les prises de sang hebdomadaires vont montrer que, si j’ai besoin d’une semaine
pour retrouver assez de défenses immunitaires, il en faudra trois pour que je puisse
reprendre le traitement d’entretien car les globules blancs remontent très lentement.
Et, pour couronner le tout, deux semaines après la fin de la radiothérapie, j’ai le
crâne aussi lisse qu’une coquille d’œuf. C’est bien la peine d’avoir résisté à la chimio
pendant sept mois !
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Le traitement d’entretien
Les propos du radiothérapeute sont imprimés dans un coin de ma tête. Je sais que
les effets des rayons vont mettre un certain temps à se dissiper. Pour autant, je
compte bien profiter de mon été. J’ai du mal à parler de vacances vu que je n’ai
pratiquement pas mis les pieds au collège ; mais je n’ai pas oublié le concept !
Avant toute chose, il me faut poursuivre ma rééducation. Si je veux progresser et
avoir une chance de reprendre le sport avant la fin de l’année, je ne dois pas ménager
mes efforts. Mathilde me propose trois séances de rééducation par semaine. Et puis
surtout, la grande différence, c’est que je peux maintenant me rendre à son cabinet de
kinésithérapeute ! Elle dispose de tout un tas de matériel et des engins de torture qui
me permettent de travailler davantage et dans de meilleures conditions (pour autant
de douleurs) qu’à la maison. Mathilde est contente quand je lui dis que je suis perclus
de courbatures. Elle sourit en me disant que c’est bon signe. Si elle le dit…
Les séances sont variées et il y a souvent une partie ludique où je peux m’éclater.
Mathilde me fait travailler les releveurs, les quadriceps et aussi les abdominaux !
Moi, ce que j’aime par-dessus tout, c’est quand les séances se terminent par un quart
d’heure de vélo. Mathilde me concocte un programme dans lequel les difficultés sont
suivies d’une phase de récupération. Je mets toujours un point d’honneur à aller
jusqu’au bout, sans faire de pause. Quand j’en ai terminé, je sens vraiment les
muscles de mes cuisses et mes mollets sont durs. Et puis, comme je transpire
beaucoup, je prévois toujours une serviette et une bouteille d’eau ; comme pour un
entraînement de tennis.
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Les jours où je n’ai pas de séance de kiné, je vais à la piscine. J’adore nager. Et
cette année, coup de chance, on a un bel été. Du coup, la piscine est découverte. Je
fais des longueurs, encore et toujours. De temps en temps, pour récupérer, je
m’amuse dans l’eau. Je vais rechercher un mannequin au fond de la piscine et je le
ramène à la surface ou je joue avec un ballon. Quand je rentre à la maison, j’ai un
peu mal aux jambes et je demande à mes parents de me masser. De toute façon, je
revois Mathilde le lendemain et elle sait me soulager.
Au bout de quelques jours, je peux reprendre le traitement d’entretien qui avait été
suspendu pendant la radiothérapie. Ainsi, tous les mercredis matins, une infirmière
vient à la maison pour une numération. Le soir, on appelle les médecins du CHU qui
nous indiquent le dosage des médicaments pour la semaine en tenant compte du
nombre de globules blancs. Le jeudi matin, j’avale onze comprimés de Méthotrexate
et, tous les soirs, je prends du Purinéthol. Ce régime va durer deux ans. Deux ans
durant lesquels le traitement va limiter mes globules blancs dans une fourchette
comprise entre 2 000 et 3 000. Toutefois, s’il arrive que ce ne soit pas le cas, le
dosage des médicaments sera adapté par les médecins.
Les 8 et 9 Juillet, je me rends à Paris avec mes parents et mon copain Malo. Nous
allons à la Japan Expo ! C’est Mathilde qui m’en a parlé et j’attends ce moment avec
impatience. Nous voyageons en train. Les changements sont un peu compliqués
parce que je suis encore fatigué et que je me déplace en fauteuil roulant. Quand on
arrive au salon du manga, il y a une foule incroyable. Je n’ai jamais vu autant de
monde de toute ma vie ! Plein de gens sont déguisés. Des jeunes et des moins jeunes
qui endossent les costumes de leurs personnages préférés. Certains prennent la pose
et se font photographier. Partout dans les allées, nous croisons des gens qui
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revendiquent le même message : « FREE HUGS ». D’ailleurs, à peine sommes-nous
entrés dans le salon qu’un jeune homme ouvre les bras en se dirigeant vers nous.
« Je peux vous faire un câlin ? » nous demande-t-il dans un franc sourire.
Naturellement, nous acceptons. Il se penche vers moi et me prend dans ses bras. Puis
il s’approche de mon copain qui, lui, n’aime pas trop les contacts physiques. Et
lorsque le jeune homme tente de prendre Malo dans ses bras, celui-ci ne comprend
pas ce qui se passe et se met à gesticuler dans tous les sens. La scène est pour le
moins curieuse. Assis dans mon fauteuil, je vois d’abord Malo s’élever dans les airs,
agitant les bras et les jambes, avant de se retrouver étalé de tout son long sur le sol.
Le jeune inconnu tourne les talons, toujours souriant. Je me marre en regardant Malo
se relever sans un mot.
Les deux jours à la Japan Expo sont assez incroyables. Je suis épaté par
l’ambiance qui y régne. Il y a un monde fou mais pas de bousculades. Les gens
semblent heureux, tout le monde se déplace tranquillement, avec le sourire. Nous
nous baladons de stand en stand, fouillons parmi les mangas exposés, découvrons de
nouvelles séries. Il y a des animations, des jeux, des débats, des artistes qui réalisent
votre portrait en moins de dix minutes, des tee-shirts, des produits dérivés... Nous
assistons même à une démonstration de samouraïs.
Vraiment, ces deux jours sont sympas. Et le trajet du retour en train passe bien
vite ; nous avons de la lecture pour plusieurs jours !
Quand arrive le mois d’Août, avec toutes les séances de rééducation et les heures
passées à la piscine, je retrouve peu à peu la forme. Je n’oublie pas non plus les bons
moments à la plage, tartiné de crème solaire avant de pouvoir mettre un pied dans
l’eau.Les prises de sang sont bonnes et, du coup, les médecins me donnent leur
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accord pour que je puisse partir en vacances. Avec mes parents, nous passons
d’abord une semaine à la montagne, à Val Cenis. C’est la première fois que je vais à
la montagne l’été. C’est à la fois dépaysant et reposant. Puis nous nous rendons dans
le Var, chez Pierre et Geneviève, des amis de papa que j’ai déjà vus quand j’étais
petit. Il fait beau et chaud tous les jours. Le ciel est toujours bleu et il n’y a presque
jamais de nuages. Tous les jours, je vais jouer dans la piscine. Je suis content de voir
que je reprends des forces en m’amusant. Leur fille, Julie, c’est ma marraine. Elle
nous rejoint le dernier jour avec Fabrice, son copain, et ses enfants Martin et Léo.
Léo a le même âge que moi. On ne se connait pas bien mais, quand vient l’heure du
départ, je regrette de ne pas avoir pu jouer davantage avec lui.
Nous rentrons à la maison deux semaines avant la reprise des cours. Mes globules
blancs descendent et les médecins diminuent la dose de Purinéthol. Je me sens bien,
plutôt en forme. Je n’ai plus besoin d’aide pour monter ou descendre l’escalier. Et je
suis capable de marcher assez longtemps sans trop me fatiguer. Je suis prêt pour la
rentrée !
Mais les choses ne vont pas être si simples. Huit jours avant la reprise des cours,
la numération est catastrophique. Je me retrouve en aplasie. Le traitement est
purement et simplement suspendu. Mes parents surveillent ma température plus
souvent que je ne le voudrais. A chaque fois qu’ils s’approchent, thermomètre en
main, je vois s’ouvrir devant moi la porte de la chambre stérile…
La veille de la rentrée, les globules blancs sont un peu remontés. Je suis toujours
en aplasie mais Damien me donne l’autorisation d’aller au collège…le lendemain
matin seulement.
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Ainsi, je fais mon retour au Castillon le jeudi 1er Septembre, pour quelques heures
seulement. Mais j’ai quand même le temps de faire connaissance avec ma prof
d’espagnol. A peine je suis installé au fond de la classe qu’elle me rappelle à l’ordre :
« Jeune homme, on se découvre devant une dame ! »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Je retire mon chapeau, fidèle compagnon qui
m’accompagne partout depuis plusieurs mois. Et là, stupéfaite devant mon crâne
d’œuf, la prof ouvre des yeux grands comme des soucoupes. Elle reprend tant bien
que mal le fil de son cours mais elle se met à parler avec une extrême lenteur.
L’histoire se termine plutôt bien cependant puisque la prof vient me voir à la fin
du cours et me demande si je préfère garder mon couvre-chef sur la tête par la suite.
Je reste ensuite quelques jours à la maison. Et ce n’est que le mardi 6 Septembre
que, enfin sorti d’aplasie, je peux réellement commencer mon année de cinquième.
Le même jour, dans un élan d’euphorie, je vais jusqu’à m’inscrire au tennis tout en
sachant qu’il me faudra patienter quelques mois avant de reprendre les
entraînements. Et puis, dans la même semaine, je demande une carte d’abonnement à
la piscine.
La vie semble reprendre enfin son cours normal ! Je ne rêve pas d’exploits,
d’aventures hors du commun, je n’éprouve pas le besoin de me distinguer. Le
costume du petit héros, j’ai donné. Et j’ai compris que rien ne vaut la vie.
Je souhaite juste être un adolescent comme les autres, me fondre dans la masse,
sans oublier de savourer chaque jour de mon existence, la vraie, avec un appétit tout
neuf.
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Je ne sais pas encore que je vais ressentir des douleurs musculaires et articulaires
durant les deux années de mon traitement d’entretien. Tout comme j’ignore que je
vais être tellement fatigable pendant tout ce temps.
Je ne sais pas que l’ascenseur du collège va être en panne les trois quarts du
temps, m’obligeant à emprunter les escaliers, dans la cohue et les bousculades, à la
fin de chaque cours. Je ne sais plus qu’un cartable de collégien pèse aussi lourd et me
ruine le dos quand il me faut le porter.
Je ne connais pas encore la solitude de l’élève, adossé au mur pendant la
récréation, qui regarde ses copains de classe courir et bondir en tous sens à l’autre
bout de la cour.
Scarlatine et zona ne sont encore que des mots.
Je ne me doute pas que certaines fractures sont appelées « en motte de beurre ».
Elles frappent les enfants et correspondent à un écrasement de l’os.
Je n’ai pas encore expérimenté la marche avec la chaussure de barouk, idéale pour
ne pas passer inaperçu surtout lorsqu’on en porte une seule qui provoque un sacré
déséquilibre…et de nouvelles douleurs !
Et jamais je n’aurais pu imaginer que notre vieille guimbarde franchirait avec
succès – et quelques frais – l’épreuve du contrôle technique…
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Table
Avant-propos p. 3
Août 2016 : les vraies vacances p. 5
Septembre 2015 : la rentrée p. 7
Le poids des maux p. 10
Le cross du collège p. 13
Drôles de vacances p. 16
CHU, me (re)voilà p. 21
La première opération de ma vie p. 24
La salle de réanimation p. 27
Le petit salon p. 30
Je prends mes quartiers dans la chambre 406 p. 34
Retour au bloc p.39
Le Buffalo p.44
La bulle p.49
Le prof (1) p.54
La psy p.58
Le prof (2) p.61
Joyeux Noël ! p.64
Mathilde Makiné p.68
La première consolidation du traitement p.71
Le prof de sport p.75
L’entonox p.79
La vie à la maison p.82
La deuxième consolidation p.86
16
L’aplasie p.89
D’une chambre à l’autre p.92
La guimbarde p.95
La troisième consolidation P.98
La chambre stérile p.101
Odile a dit p.104
La quatrième consolidation p.110
Un aller-retour à l’hôpital p.112
La cinquième consolidation p.116
La chance s’emmêle p.119
La fièvre fait des siennes p.123
La sixième consolidation p.125
La presse pupil p.128
Faux départ p.132
Back to the collège p.136
La dernière cure (septième consolidation) p.141
Fidèle aux rendez-vous p.147
Les rayons p.151
Le traitement d’entretien p.155