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Analyse économique de la crise du COVID Le lundi 6 avril 2020 Miguel Sarzier CPGE ECE, lycée Camille Vernet – Valence Nicolas Danglade CPGE ECE, lycée Paul Gauguin – Papeete Le covid-19 est une crise sanitaire majeure qui pourrait occasionner plusieurs dizaines de milliers de décès sur le territoire français. Au 12 avril, on comptait déjà plus de 14 000 morts. Dans ces conditions, le gouvernement français, comme de nombreux autres gouvernements, a choisi de lutter contre la crise sanitaire en assumant un coût économique très élevé. A cette fin, le confinement de la population est apparu indispensable pour éviter la propagation du virus et un surencombrement des services hospitaliers. Quel est le coût économique de la crise du coronavirus ? Quelles politiques économiques mettre en place pour faire face à cette crise ? Quels scénarios d’après crise se dessinent-ils ? 1 M.Sarzier et N.Danglade 2019-2020

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Analyse économique de la crise du COVIDLe lundi 6 avril 2020

Miguel Sarzier CPGE ECE, lycée Camille Vernet – ValenceNicolas Danglade CPGE ECE, lycée Paul Gauguin – Papeete

Le covid-19 est une crise sanitaire majeure qui pourrait occasionner plusieurs dizaines de milliers de décès sur le territoire français. Au 12 avril, on comptait déjà plus de 14 000 morts. Dans ces conditions, le gouvernement français, comme de nombreux autres gouvernements, a choisi de lutter contre la crise sanitaire en assumant un coût économique très élevé.A cette fin, le confinement de la population est apparu indispensable pour éviter la propagation du virus et un surencombrement des services hospitaliers. Quel est le coût économique de la crise du coronavirus ? Quelles politiques économiques mettre en place pour faire face à cette crise ? Quels scénarios d’après crise se dessinent-ils ?

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1. La pandémie de COVID-19 et les mesures de confinement : un coût économique majeur à court terme

L’Insee, l’OFCE, la Banque de France ont procédé à une estimation de la perte d’activité liée à la crise sanitaire en cours. L’Insee a mesuré la chute d’activité entraînée par le confinement par rapport à une semaine normale : elle est de 35% !

Source : Insee, Point de conjoncture du 26 mars 2020

Pour un mois de confinement, l’Insee prévoie une contribution négative à l’évolution annuelle du PIB de l’ordre de 2,6 à 3 points de croissance par mois de confinement – soit entre 60 et 70 milliards de perte de valeur ajoutée.

L’OFCE a décomposé et chiffré l’impact économique de la pandémie de COVID-19 et des mesures de confinement en France en distinguant différents canaux, relevant à la fois de la demande et de l’offre. Chaque mois l’affaiblissement de la demande (recul de la consommation des ménages, recul de l’investissement et baisse du tourisme) et l’érosion de l’offre (fermeture scolaire empêchant 1,2 millions de salariés de travailler, confinement de la main d’œuvre, possibilités limitées de télétravail, absentéisme du personnel et rupture des chaînes d’approvisionnement) contribueraient à réduire respectivement de 1,9 points et de 0,7 points le taux de croissance économique annuel.

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2. La réponse de l’Etat : un endettement public inédit pour permettre une reprise économique rapide

A. Lorsqu’un choc conjoncturel vient faire chuter le niveau de l’activité, les pouvoirs publics mettent en place une politique de stabilisation. Cette politique a pour conséquence d’empêcher que la demande globale ne s’effondre.

Traditionnellement (depuis Keynes), la politique de stabilisation cherche à maintenir le niveau de la demande globale qui est en train de fléchir. L’Etat utilise donc des instruments qui visent à soutenir la dépense globale, c’est ce que l’on appelle une politique de relance : cela passe par la hausse de la dépense publique ou la baisse des impôts qui ont un effet multiplicateur (effet qui sera d’autant plus grand que l’écart de production est élevé). En augmentant la dépense publique ou en baissant la fiscalité, l’Etat provoque volontairement un déficit public. La dette publique en % du Pib augmente. Quelques exemples de dispositifs visant à soutenir la demande privée en augmentant les dépenses publiques : à Berlin, les indépendants (qui représentent plus de 13% de la population active de la ville notamment dans le secteur des arts et du spectacle) ont perçu une aide exceptionnelle de 2000 euros mensuels ; en Polynésie française, une aide a été versée aux indépendants d’environ 800 euros/mois.

Mais le déficit public peut aussi être la conséquence d’un ajustement automatique des comptes publics. En effet, une baisse de l’activité provoque une baisse des recettes publiques puisque les entreprises et ménages versent moins d’impôts (car leurs revenus baissent), la TVA récoltée est plus faible (car la consommation chute), tandis qu’une baisse de l’activité fait augmenter les dépenses publiques quand le système d’assurance chômage est généreux, mais également pour financer les dispositifs de chômage partiel. En cas de crise, les comptes publics se dégradent donc automatiquement. On estime par exemple que le financement du chômage partiel, qui concerne plus de 6 millions d’actifs dans le privé en France (pour près de 20 millions de salariés du privé), fait augmenter le déficit public de 21 milliards d’euros chaque mois (source OFCE). Cette dégradation des comptes publics permet de maintenir le niveau de la dépense globale = les chômeurs ne perçoivent plus de salaires mais des revenus de transfert de l’assurance chômage. Plus une économie nationale a fait le choix d’un système de revenus de transferts publics important (c’est le cas de la France ou des pays nordiques depuis l’après-guerre), plus les dépenses publiques augmentent automatiquement et viennent soutenir la demande globale en cas de crise. L’Etat agit ici sur le niveau de la conjoncture par le biais de stabilisateurs « automatiques ». Dans les économies où les stabilisateurs automatiques sont peu présents, l’intervention de l’Etat s’oriente en priorité vers la politique de relance. C’est le cas des Etats-Unis. C’est pour cela que les plans de relance aux Etats-Unis sont toujours très importants en % du PIB.

En résumé, en cas de retournement de la conjoncture, l’Etat maintient le niveau de la demande globale soit de manière discrétionnaire (politique de relance), soit de manière automatique (stabilisateurs automatiques). Dans les deux cas les comptes publics se dégradent : le déficit public se creuse, la dette publique augmente.

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B. Dans le cas de la crise actuelle du coronavirus, il existe par ailleurs une différence importante avec les crises habituelles, qui rend l’intervention de l’Etat encore plus nécessaire : le système productif est volontairement à l’arrêt et plus le confinement dure plus les faillites d’entreprises risquent d’augmenter provoquant alors un choc d’offre négatif

Quand l’Etat augmente les dépenses publiques pour maintenir le revenu et la dépense des ménages, son action se heurte néanmoins à une difficulté : la demande se heurte à une insuffisance de l’offre puisqu’en raison du confinement une partie du système productif est à l’arrêt. Par exemple, l’intégralité du secteur aérien, du tourisme et du bâtiment sont aujourd’hui au point mort (vous remarquerez qu’il s’agit là des trois secteurs moteurs de l’économie polynésienne). Par ailleurs, de nombreux produits intermédiaires ne sont plus accessibles en raison de l’arrêt des chaînes de production dans de nombreux pays. L’Etat pourra toujours chercher à relancer l’activité, ces entreprises ne répondront pas à la stimulation. L’Etat doit alors viser un second objectif qui consiste à préserver toutes les capacités de production pendant la durée du confinement et donc à empêcher les faillites des entreprises, qui jusqu’à la crise étaient en parfaite santé. Il faut éviter qu’en raison de la mise en stand by de l’activité, les entreprises fassent faillites, ce qui aurait deux conséquences : a) cela déstabiliserait les banques et conduirait à une crise financière et b) cela empêcherait la reprise de l’activité une fois la crise passée. L’Etat doit donc agir sur la trésorerie des entreprises dont les charges continuent de courir alors qu’elles n’ont plus de recettes. L’action de l’Etat sur la trésorerie des entreprises passe par : un report du versement des cotisations sociales, par la garantie de l’Etat sur le remboursement des prêts des entreprises, par la création de fonds de solidarité pour les entreprises.

En résumé, l’utilisation du budget de l’Etat et le creusement du déficit public s’avèrent une absolue nécessité dans cette période de double choc : pour réduire l’effet du choc de demande négatif et pour éviter un futur choc d’offre négatif.

On estime à 10 points de % la hausse de la dette publique en France en raison de la crise sanitaire. La dette en % du PIB devrait passer de 100 à 110 %. Le plan de relance aux Etats-Unis : 2000 milliards de dollars (prêts aux ménages, entreprises et hôpitaux ; aides financières aux ménages)

Article :https://wp.me/pa18GG-2xq

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3. L’action de la banque centrale

L’action budgétaire des Etats est complétée par l’action monétaire des banques centrales. On sait en effet que les deux politiques de stabilisation de l’activité sont la politique budgétaire et la politique monétaire.

Les banques centrales agissent en maintenant leur taux d’intérêt à zéro. La BCE propose un programme de prêts ciblé aux banques à taux négatif (-0,75%) ! Par exemple, le taux directeur de la Banque d’Angleterre a été fixé à 0,1%, soit le taux le plus bas de toute son histoire depuis 325 ans.

Mais la politique de taux zéro ne suffit pas, et comme en 2008, les banques centrales ont décidé d’appliquer la même stratégie « non conventionnelle » en utilisant le Quantitative easing et le Qualitative easing. Avec le qualitative easing, l’objectif est de fournir toute la liquidité nécessaire aux agents économiques qui se trouvent en situation de besoin de financement : les Etats et les entreprises. La banque centrale achète donc des actifs émis par les agents à besoin de financement, cela leur permet de trouver la liquidité dont ils ont besoin et donc de ne pas faire défaut. En contrepartie la taille du bilan de la banque centrale augmente, d’où le terme de quantitative easing. La BCE a annoncé le 18 mars dernier la mise en œuvre du Pandemic Emergency Purchase Program (PEPP). Le QE permet donc de faire apparaître une demande là où l’offre de titres est importante notamment dans le cas des émissions d’obligations publiques puisque l’on sait que les déficits publics vont bondir. L’action de la banque centrale permet donc d’éviter que les taux d’intérêt s’envolent, ce qui empêcherait les agents à besoin de financement de se financer. Dans le cas de la BCE, cette action est d’autant plus importante que certains Etats de la zone euro sont déjà très fragilisés (comme l’Italie) et que le risque d’une panique des investisseurs n’est pas à écarter. En assurant qu’elle va acquérir des titres publics, la BCE envoie donc un signal de confiance aux investisseurs puisque ces derniers savent désormais que grâce à son intervention un Etat sera toujours en capacité de financer sa dette publique. La BCE comme la Fed ou la Banque d’Angleterre participent donc au financement des Etats, il y a monétisation de la dette publique (ce point est généralement mal compris par certains journalistes et hommes politiques qui continuent de penser que la BCE applique les règles de finances publiques édictées par le traité de Maastricht et notamment le non financement des Etats de la zone euro par la BCE). Avec le qualitative easing, l’objectif est d’accepter des actifs qui ne sont pas acceptés en temps normal. Par exemple, la BCE va accepter de refinancer des billets de trésorerie émis par les entreprises (c’est-à-dire des prêts de très court terme), mais également les prêts des banques aux travailleurs indépendants ou au TPE. L’objectif est d’inciter les banques à prêter puisqu’elles savent qu’elles pourront utiliser les créances (produites par ces prêts) pour se refinancer auprès de la banque centrale. Le plan d’achat d’actifs de la BCE est d’environ 1000 milliards.

Article : https://wp.me/pa18GG-2zr

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4. Quelles solutions peut apporter l’UE ?

La Commission européenne a très rapidement pris en compte le caractère singulier et exceptionnel de cette crise et fait preuve de pragmatisme en relâchant les critères du Pacte de stabilité, c’est-à-dire les contraintes pesant sur les finances publiques des pays membres de la zone euro, mais aussi en mobilisant les moyens budgétaires à sa disposition pour accompagner et soutenir l’action des États. Les Etats peuvent donc dépasser le plafond de déficit de 3% du PIB.

L’intervention de l’UE passe par plusieurs dispositifs : - Depuis l’élection de la nouvelle commissaire européenne (U.von der Leyden), les

européens se sont engagés dans des discussions visant à créer un système d’assurance chômage européenne sur le modèle du système fédéral américain. Ce projet devait être discuté en fin d’année civile mais la crise a accéléré les discussions et la commission européenne a proposé de mettre en place un soutien financier aux systèmes nationaux de chômage partiel à hauteur de 100 milliards d’euro : les Etats membres apportent des garanties financières à un fonds qui emprunte sur les marchés financiers puis le montant des emprunts est reversé aux différents organismes nationaux de gestion du chômage partiel ;

- La Banque européenne investissement fournit également une aide aux Etats pour augmenter les prêts aux entreprises (environ 200 milliards) ;

- Le Mécanisme Européen de Stabilité (MES ; crée en 2012 pour répondre à la crise de la dette souveraine) peut être utilisé pour aider les Etats (les plus fragiles) à financer leurs déficits publics.

Article : https://wp.me/pa18GG-2zl

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5. Un risque de crise des dettes souveraines dans la zone euro ?

Un endettement public massif pour faire face à la crise du COVID-19 est inévitable. Le risque, c’est qu’il engendre un mouvement de défiance des investisseurs qui demanderaient alors des primes de risque plus importantes lorsqu’ils procèdent à l’acquisition de certains titres de dette souveraine. Sur le marché des obligations souveraines, ce mouvement est déjà observable puisque les écarts de taux entre les bons du trésor émis par l’Allemagne et ceux émis par les autres pays de la zone euro ont fortement augmenté avec la crise du COVID-19. La désaffection des investisseurs, et donc la hausse des taux, touche particulièrement les pays qui ont les marges de manœuvre budgétaire les plus réduites, à savoir les pays du sud de la zone euro comme l’Italie, l’Espagne, le Portugal et dans une moindre mesure la France.

Les annonces récentes de la BCE permettent cependant d’écarter le risque de crise de la dette souveraine : la BCE s’est engagée à financer les Etats membres de la zone euro et à intervenir de manière à apaiser les tensions sur les taux d’intérêt. Lorsqu’une banque centrale s’engage dans ce type de politique, les craintes des investisseurs disparaissent, la demande de titres ne chute pas et les taux se stabilisent.

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6. A plus long terme, après la crise, dans quel type d’économie vivrons-nous ?

A. La forme de la reprise dépendra de l’efficacité des politiques publiques L’objectif de l’Etat est de permettre une reprise rapide de l’activité. Son action doit donc tout faire pour éviter que les capacités de production s’effondrent à cause de l’hibernation de l’activité économique. La sortie de crise peut prendre alors plusieurs formes en fonction de l’efficacité de ces politiques économiques :

- Une reprise de l’activité en forme de V signifie que le niveau d’activité retrouve après crise son niveau d’avant crise ;

- Une reprise de l’activité en forme de W signifie qu’après un rebond lié à la fin du confinement, les faillites des entreprises s’enchaînent et provoquent un nouveau choc négatif ;

- Une reprise en L signifie que l’activité après crise se situe très nettement au-dessous de l’activité d’avant crise : la faillite des entreprises et la hausse du chômage vont conduire à un effondrement de la croissance potentielle.

Article à lire : https://wp.me/pa18GG-2zt

B. Quelle mondialisation après la crise ? La crise de 2008 a porté un coup d’arrêt à la dynamique d’intégration croissante des économies. Les taux d’ouverture commerciales qui avaient doublé depuis les années 1980 se sont stabilisés. A partir de 2012, le commerce mondial a connu une augmentation moins rapide que celle du PIB mondial. Cela s’explique par le recentrage de l’économie chinoise sur son marché intérieur, par la tertiarisation de l’économie mondiale, par les tensions commerciales provoquées par l’élection de D.Trump. Les échanges internationaux ont eu tendance à se régionaliser. Mais les travaux du CEPII montrent aussi que les chaînes de valeur mondiale n’ont pas reculé durant cette époque, ce qui explique sans doute pourquoi le degré d’intégration commerciale est resté quasiment stable après 2008. La crise du 2020 a complétement bloqué le commerce mondial. Va-t-on assisté à un rebond et à un retour au niveau d’avant crise ou bien cette crise va-t-elle marquer l’entrée dans une ère de démondialisation ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord rappeler que depuis plusieurs années certains facteurs pèsent sur la mondialisation et en particulier la crise de la gouvernance internationaliste (le multilatéralisme de l’OMC) de la gouvernance mondiale. Par exemple, depuis 20 ans et l’ouverture du cycle de Doha, l’OMC n’a pas réussi à aboutir à un nouvel accord commercial. Il faut ensuite s’interroger sur les effets propres de la crise du covid-19 sur la mondialisation. En effet, les discours politiques nationaux reprennent aujourd’hui la thèse de la relocalisation des activités stratégiques sur les territoires nationaux. Cela sous-entend que nous irions vers un recul de la mondialisation. Des économistes spécialistes du commerce international comme El Mouhoub Mouhoud anticipent effectivement une démondialisation des échanges industriels mais ils anticipent aussi une accélération de la mondialisation des échanges de services. La crise de 2020 aurait donc un effet ambivalent sur la mondialisation : moins de mondialisation industrielle, plus de mondialisation des services. Article : https://wp.me/pa18GG-2zi

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C. Quel Etat-Providence après la crise ? L’avenir de l’Etat-Providence se décline en trois sous-questions :

- La crise sanitaire risque aussi de déboucher sur une demande croissante de protection sociale et de lutte contre les inégalités. Va-t-on assister à un « retour/développement » de l’Etat-Providence dans certaines économies, comme les Etats-Unis ? Rien n’est moins sûr. On sait en effet que le système politique américain connait une tendance à la ploutocratie (B.Milanovic Les inégalités mondiales, 2019) qui se traduit dans l’agenda politique par moins d’Etat providence et plus d’Etat gendarme ;

- Dans des économies comme la France où les prélèvements obligatoires pèsent déjà près de 45% du PIB, dont les deux tiers sont affectés à la protection sociale, comment sera-t-il possible de fournir plus de protection sans augmenter les recettes de l’Etat et donc les impôts ?

- Cette crise sera-t-elle l’occasion de transformer les objectifs de l’Etat-Providence en Etat social-écologique (E.Laurent Le bel avenir de l’Etat-Providence, 2014) ?

Par ailleurs, la question du poids de la dette publique va nécessairement se poser une fois la crise passée. Faudra-t-il alors chercher à faire baisser rapidement le poids de la dette publique en réalisant des efforts budgétaires (recherche une consolidation rapide des comptes publics) ou au contraire faudra-t-il plutôt adopter une stratégie de consolidation lente des comptes publics ? En somme, nous nous retrouverons dans une situation qui était celle des PDEM après la crise de 2008 et le choix de la stratégie de consolidation budgétaire (rapide ou lente) devra de nouveau être débattu. Pour les E2, je renvoie ici à l’opposition des stratégies Churchill/Roosevelt présentée par X.Ragot dans Civiliser le capitalisme (2019).

D. Quelle politique monétaire après la crise ? Deux grandes questions vont concerner la politique monétaire après la crise :

- La première est : quels sont les dangers à moyen terme d’une politique monétaire qui reste ultra-expansionniste pendant des années ?

- La seconde est : devant la hausse des dettes publiques, la politique monétaire ne doit-elle pas prendre le relais et financer directement le déficit public ?

La première question renvoie aux effets d’une liquidité ultra-abondante et du maintien de taux d’intérêt très bas pendant plusieurs années. Certains économistes comme P.Artus considèrent que les effets positifs sont largement inférieurs aux effets négatifs, et qu’une telle politique monétaire ne peut conduire à moyen terme qu’à une crise financière. La seconde question renvoie au lien entre politique monétaire et politique budgétaire :

- On sait que face à un choc négatif de demande, ces deux politiques doivent agir de concert, on appelle cela le policy mix.

- On sait également que dans certains cas, une politique peut être plus efficace qu’une autre (trappe à liquidité ou triangle d’incompatibilité par exemple).

- Après la crise de 2008 et la hausse des dettes publiques, certains économistes comme Adair Turner, ont proposé que la banque centrale finance directement le déficit public sans passer par l’émission d’obligations et donc sans que la dette de l’Etat augmente. Compte tenu des besoins en dépenses publiques provoqués par la crise du coronavirus, cette proposition est de nouveau défendue aujourd’hui. La banque centrale devrait monétiser le déficit public sans que cela ne pèse sur la dette future de l’Etat. Cela revient à faire de la politique monétaire la source de financement de la politique budgétaire. Pour le dire autrement, la politique

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monétaire deviendrait l’instrument de la politique budgétaire. On appelle cette approche de la politique monétaire, la « théorie monétaire moderne » (ou MMT en anglais). La MMT est critiquée par les économistes qui considèrent que ce type de politique ne peut que déboucher sur l’hyperinflation et une catastrophe monétaire comme l’illustre l’exemple allemand de 1923. Pour une critique C.Wyplosz : https://wp.me/pa18GG-2t6

E. Le retour de l’inflation : d’une crise à l’autre ? La configuration actuelle est le cocktail parfait pour un retour de l’inflation si le choc d’offre se réalise et si la politique de relance produit un effet positif sur la demande.

- Avec un choc d’offre négatif : le niveau général des prix augmente - Avec un choc de demande positif : le niveau général des prix augmente

La question est alors se savoir si la hausse du NGP entraînera une boucle salaires/prix et un processus autoentretenu des hausses des prix. Pour répondre à cette question, il faut être en mesure de savoir si les tendances à une inflation basse et modérée qui dominent depuis 30 ans seront encore présentes dans les années à venir : excès d’épargne, mondialisation, vieillissement de la population, crise des classes moyennes, efficacité des banques centrales dans le contrôle de l’inflation, déconnexion sphère réelle / sphère financière. On peut par exemple penser que si demain l’effet de démondialisation est fort alors le pouvoir de négociation des salariés augmentera et qu’ils obtiendront plus facilement des hausses de salaires. Quelles seraient les conséquences de ce « retour » de l’inflation, s’agit-il d’une bonne nouvelle ?Le retour de l’inflation peut être une « bonne » nouvelle. Pour les E2, cf le sujet que j’ai donné sur ce thème pour compléter. Il permettrait de normaliser la politique monétaire en sortant des portes de la déflation et en retrouvant une relation chômage/inflation (courbe de Phillips), il permettrait de réduire le poids de la dette des emprunteurs (notamment les Etats), il permettrait d’accompagner une hausse des salaires des classes populaires et moyennes. Mais le retour de l’inflation peut aussi être une « mauvaise » nouvelle. Si la hausse de l’inflation est forte et rapide, elle provoquerait une crise financière. Nous passerions alors d’une crise sanitaire à une crise financière. Deux raisons à cela :

- Le déclenchement d’un krach obligataire : la hausse de l’inflation conduit à délaisser les obligations déjà émises qui perdent leur valeur sur le marché de l’occasion ;

- La hausse de l’inflation conduit à une hausse des taux par les prêteurs : le coût des emprunts augmente ce qui peut provoquer des défauts chez les emprunteurs ; la crise de défaut peut alors se transformer en crise des intermédiaires financiers et donc en crise financière comme en 2008.

Si la hausse de l’inflation est forte et rapide, elle peut aussi provoquer une inflation galopante et faire apparaître une boucle inflationniste (inflation galopante). Dans le cas où la banque centrale perdrait sa crédibilité dans sa capacité à contrôler l’inflation, l’inflation pourrait alors s’entretenir d’elle-même et conduire à l’hyperinflation. En résumé, les effets du retour de l’inflation dépendent en grande partie de la capacité de la banque centrale à contrôler l’accélération du niveau général des prix pour éviter un emballement.

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