violencesconjugales enquÊte surunmeurtre demasse · lÉag.18ans,dijon(côte-d’or) le 19 juillet...

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2,00 € Première édition. N o 11229 VENDREDI 30 JUIN 2017 www.liberation.fr IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £, Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300 CFA. VIOLENCES CONJUGALES «Libération» a épluché trois ans d’articles de presse et documenté les cas de 220 femmes tuées dans la plus grande indifférence par leur compagnon ou leur ex-conjoint. PAGES 2-7 ENQUÊTE SUR UN MEURTRE DE MASSE MOSSOUL Reportage dans le sillage de l’EI en déroute PAGES 8-9 BIG

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2,00 € Première édition. No 11229 VENDREDI 30 JUIN 2017 www.liberation.fr

IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,60 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,00 £,Grèce 2,90 €, Irlande 2,60 €, Israël 23 ILS, Italie 2,50 €, Luxembourg 2,00 €, Maroc 20 Dh, Norvège 30 Kr, Pays-Bas 2,50 €, Portugal (cont.) 2,70 €, Slovénie 2,90 €, Suède 27 Kr, Suisse 3,40 FS, TOM 450 CFP, Tunisie 3,00 DT, Zone CFA 2 300 CFA.

VIOLENCES CONJUGALES

«Libération» a épluché trois ans d’articles de presseet documenté les cas de 220 femmes tuées dans la plus grandeindifférence par leur compagnon ou leur ex-conjoint.PAGES 2-7

ENQUÊTESUR UN MEURTREDE MASSE

MOSSOUL Reportage dans le sillage de l’EI en déroutePAGES 8-9

BIG

MEURTRESCONJUGAUX

Des femmestuées pour cequ’elles sont

E lles s’appelaient Géraldine,Christelle, Ninon, Marine,Carole, Myriam. Toutes sont

mortes ces derniers mois sous lescoups de leur mari, compagnon ouex-conjoint. Leur décès a eu lieudans l’indifférence générale, politi-que et médiatique. Les circonstan-ces de la mort de ces femmes ontparfois été résumées en quelqueslignes dans une dépêche AFP,comme autant d’événements anec-dotiques. Les titres de presse régio-nale les ont systématiquement trai-tées dans la rubrique faits divers,qualifiant l’événement de «crimepassionnel», de «différend conjugal»ou de «drame de la rupture». Autantd’euphémismes pour qualifier deshomicides qui se produisent le plussouvent dans l’intimité du domicileconjugal, sans témoin. Les victimesn’ont parfois pas de prénom, pas deprofession. Dans la presse, il arrive

que seuls leur âge et le mode opéra-toire de leur agresseur apparais-sent: «Etranglée», «tuée par balle»,au «couteau de cuisine» ou «à coupsde fer à repasser».Après avoir vu passer, une nouvellefois, l’un de ces titres sans que celan’émeuve grand monde, nous noussommes demandé qui étaient cesfemmes. Nous avons recensé les ar-ticles des journaux locaux, régio-naux et nationaux, pour tenter d’ensavoir plus sur ces victimes anony-mes. Ce corpus n’est pas exhaustif:tous les cas n’ont pas été relayés parles médias, et quand ils le sont, c’estsouvent de manière parcellaire. Cetravail permet de prendre cons-cience de ce que les chiffres nedisent pas : les noms, prénoms,âges, situations familiales, profes-sions, mais aussi les circonstancesde la mort de ces femmes, les éven-tuels antécédents ou le traitement

judiciaire. Au total, Libération a en-quêté sur 220 décès de femmes.Toutes ont été tuées par leurconjoint, mari ou ex entre 2014et 2016.Nos chiffres, parce qu’ils s’appuientsur l’étude d’articles de presse, necorrespondent pas à ceux du minis-tère de l’Intérieur: les derniers endate font état de 122 femmes tuéespar leur conjoint ou ex-conjointen 2015, soit un décès tous lestrois jours. Cet ordre de grandeur,répété tous les 25 novembre à l’oc-casion de la «journée internationalepour l’élimination de la violenceà l’égard des femmes», est restéconstant ces dernières années. LaPlace Beauvau dénombrait égale-ment 22 morts d’hommes la mêmeannée. Libération a fait le choixde se concentrer sur les femmes.Evidemment, des hommes sonteux aussi victimes de violences

conjugales. Mais l’écrasante ma-jorité des victimes de meurtres con-jugaux sont de sexe féminin. Pourde nombreuses associations et uni-versitaires, ces meurtres procèdentd’une violence de genre, reposentsur ce que la sociologue PaulineDelage appelle «une asymétriede genre», dans son ouvrage Vio-lences conjugales: du combat fémi-niste à la cause publique (Pressesde Sciences-Po).

ParJULIETTE DEBORDE, GURVAN KRISTANADJAJA et JOHANNA LUYSSEN

ÉDITORIALParALEXANDRASCHWARTZBROD

IndifférenceLe 11 juin, un homme eninstance de séparation aenlevé sa femme et l’a atta-chée sur les rails du TGVParis-Nantes avec du ru-ban adhésif. Puis il a at-tendu. On a retrouvé lesdeux corps le lendemainmatin: elle était coupéeen deux, il avait été percutépar le train. L’affaire a étéexpédiée en quelques li-gnes ou paragraphes dansles médias, l’homme et lafemme étant quasimenttraités sur le même plan:comme deux victimes.«C’est le geste terrible d’unhomme qui a sombré dansune longue dépression», aconfié une source prochede l’enquête. Il n’aurait passupporté qu’elle le quitte,on lui trouverait presquedes circonstances atté-nuantes. Cette histoire està ce point effroyable quenous l’avons déjà évoquéedans ces pages. Mais lepire, c’est qu’elle est ba-nale. En France, unefemme tombe sous lescoups de son conjoint tousles trois jours. Dans l’indif-férence la plus totale. Pas-sion, dépression, tels sontles mots utilisés le plussouvent pour expliquer legeste de l’homme, commepour trouver une justifica-tion à son acte. Les femmeset les enfants (souventtémoins du drame) sontquantités négligeables.En 2004 déjà, BlandineGrosjean, alors journalisteà Libération, avait recensé,à partir des dépêchesde l’AFP, 29 femmes tuéespar leur conjoint endeux mois. L’année sui-vante, le ministère de l’In-térieur décidait de compta-biliser les morts violentesau sein du couple. La prisede conscience progressaitmais pas assez pour mettrefin à ce véritable crime demasse. C’est pour tenter deredonner une existence àces victimes anonymes quenous avons épluché lesjournaux locaux, régio-naux et nationaux pendantplusieurs mois. Un travailcolossal qui va se poursui-vre sur notre site afin queces femmes ne tombentpas totalement dansl’oubli. Chaque mot, cha-que image compte, noussommes tous responsablesde cette indifférence. •

ÉVÉNEMENT

Chaque année en France, plus d’une centaine defemmes sont abattues par leur conjoint ou leur ex,

sans que cela n’émeuve grand monde. «Libération»,qui a recensé ces meurtres évoqués dans la presse,montre l’hétérogénéité des profils et un mécanisme

assez récurrent. Des solutions de prévention existent.

Lors de la campagned'affichage sauvagedu collectif «Insomnia»à Paris, le 25 novembre.PHOTO BORIS ALLIN. HANS LUCAS

Suite page 4

2 u Libération Vendredi 30 Juin 2017

Le 21 mai 2014, l’ancien conjoint de Sophie P.purgeait une peine de prison pour des violencescontre son ex-femme. Ce jour-là, alors qu’il esten permission, il va à sa rencontre, se saisitd’une hache, puis la tue. Il était libérable en juilletde la même année et aurait juré avant le meurtre,selon le quotidien lyonnais le Progrès, de «recom-mencer s’il sortait». L’auteur des faits s’est pendudans sa cellule en septembre 2014.

SOPHIE P. 41 ans,Caluire-et-Cuire (Rhône)

Le 29 janvier 2016, la jeune femme est étoufféeà son domicile par son compagnon avant quecelui-ci ne se jette par la fenêtre. Selon France 3Bourgogne, qui titre «Deux étudiants ont été re-trouvés morts, la piste du crime passionnel estprivilégiée», le jeune homme aurait laissé unelettre dans laquelle il explique son geste par«la jalousie qu’il éprouvait».

LÉA G. 18 ans, Dijon (Côte-d’Or)

Le 19 juillet 2014, la trentenaire, née en Roumaniemais présentée dans la presse comme uneHongroise, ainsi que ses deux enfants de 18 moiset 5 ans ont été égorgés. Elle était enceinte de8 mois au moment du décès. Après les avoir tués,son conjoint d’origine moldave s’était enfui vers l’estde l’Europe dans un premier temps, avant derebrousser chemin et de se rendre à la policeà Forbach (Moselle).

TUNDE K. 36 ans,Le Perreux-sur-Marne (Val-de-Marne)

Ce vendredi 13 février 2015, Bernadette a rendez-vousavec un avocat pour initier un divorce. Une semaineplus tôt, son mari lui avait jeté au visage un ordinateur.Depuis, elle dort chez sa mère. Alors qu’elle repasse àson domicile pour chercher sa fille, son mari l’attenddans le garage et l’égorge avec un couteau de cuisine.Elle succombera à ses blessures deux jours plus tard.L’homme a été condamné à 16 ans de prison.

BERNADETTE L. 42 ans, Benay (Aisne)

10 novembre 2016. Tout juste à la retraite et alcoolisé,le mari d’Isabelle aurait tiré sur sa femme, avec unrevolver, l’atteignant d’une balle en pleine tête. Plu-sieurs impacts ont été découverts dans la maison.L’homme a affirmé avoir «simplement» voulu faire peurà son épouse, selon le Dauphiné. Elle aurait voulu met-tre un terme à leur union. Suivi pour des troubles dé-pressifs, il a expliqué avoir voulu se suicider maisson revolver se serait enrayé. Il a été mis en examen.

ISABELLE V. 52 ans,Clonas-sur-Varèze (Isère)

Le 9 juin 2014, alors qu’elle rentre d’un week-end chezson père, Marine est tuée à son domicile d’une tren-taine de coups de couteau. Les deux fillettes du couple,âgées de 2 et 3 ans, ont assisté au moins en partie aumeurtre. La victime devait débuter un nouvel emploile lendemain et visiter un appartement. Son conjoint aété condamné à 25 ans de prison lors d’un procès suivipar Libération. Il a fait appel.

MARINE M. 26 ans, Avanton (Vienne)

Libération Vendredi 30 Juin 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 3

ÉVÉNEMENT75 des 220 cas, l’auteur des faitsse donne la mort après avoir tuésa compagne, coupant ainsi courtà toute possibilité de procès.

Des femmessous emprisePourquoi n’est-elle pas partie avantle coup fatal? La question revientsouvent, en filigrane, dans les arti-cles de presse sur les homicidesconjugaux. On y sous-entend que lavictime aurait dû porter plainte dèsle premier coup ou la première in-sulte, qu’elle n’aurait pas dû restersans dénoncer son conjoint, qu’elleserait coupable de ne pas avoir réagià temps. Une culpabilisation rappe-lant celle à l’œuvre pour les violen-ces sexuelles qui reflète une mécon-naissance de ce qu’est l’emprise.«Toutes les femmes que nous rece-vons vivent des histoires différentes,mais les mécanismes sont exacte-ment les mêmes», analyse AnnieGuilberteau, directrice générale dela Fédération nationale des centresd’information sur les droits desfemmes et des familles (CIDFF), quiaccueillent des milliers de femmessubissant des violences chaqueannée. Des femmes qui «sont peu àpeu isolées de leur sphère profession-nelle, amicale, sociale, et deviennenttotalement dépendantes de leurconjoint», détaille-t-elle.Cette dépendance est aussi parfoisfinancière ou administrative, unedes stratégies des conjoints étantaussi de confisquer carte bancaire,chéquier ou papiers d’identité. Pri-vées de leur liberté et piégées dansleur relation, les victimes ne cher-chent pas à s’opposer par peur desreprésailles, et encore moins à fuir.Les proches, eux, se révèlent sou-vent démunis face à l’absence deréaction de la victime, l’incitant unpeu plus au silence. La présenced’enfants est aussi souvent un freinau départ, la victime voulant pré-server l’unité familiale. L’auteurpousse «la victime à se soumettre, àse ressentir comme n’ayant aucunevaleur, comme étant incapable, cou-pable, honteuse, inintelligente, sansaucun droit, réduite à une chose»,décrit Muriel Salmona, psychiatreet auteure de plusieurs ouvrages surles violences conjugales.Le moindre geste de travers pou-vant être l’élément déclencheur de

violences, les femmes vont adapterleur comportement pour satisfairecelui avec qui elles partagent leurvie. «Pour se protéger, elles tissentautour d’elles un filet de sécurité, ex-plique Annie Guilberteau. Elles sedisent: “Si je prépare le repas commeil aime, si j’arrive à calmer les en-fants avant qu’il rentre du travail, sij’obtempère à tous ses désirs, alorspeut-être que ça ira mieux.”»Souvent, le phénomène est si ritua-lisé et intégré qu’il n’est pas identi-fié comme tel par les femmes et leurentourage. L’ascendant est d’autantplus difficile à cerner qu’il peuts’exercer de manière très diffuse:«Beaucoup de couples fonctionnentsur un modèle dominant-dominésans qu’il y ait forcément de violen-ces physiques ou psychologiques»,souligne Alexia Delbreil, médecinlégiste au CHU de Poitiers etauteure d’une thèse sur les homici-des conjugaux en région Nouvelle-Aquitaine.Le processus est aussi cyclique etgraduel. Un conjoint violent ne l’estgénéralement pas au début de la re-lation. En revanche, il instille trèsrapidement chez sa conjointe deséléments qui la rendront un peuplus fragile. La psychiatre spécia-liste en victimologie Marie-FranceHirigoyen les détaille dans Femmessous emprise : les ressorts de la vio-lence dans le couple. Elle explique:«Les professionnels qui ont encou-ragé une femme à quitter son con-joint maltraitant s’irritent souventde voir celle-ci retourner auprès delui et les explications qu’ils donnent,dans leur effort pour la responsabili-ser, la culpabilisent encore plus. Onoublie que, si les coups ont été possi-bles, c’est que, dès le début de la rela-tion, le terrain a été préparé, les dé-fenses de la femme levées.»Avant cela, il y a d’abord une phasede séduction. Dans le cycle de laviolence, théorisé en 1979 outre-At-lantique par la psychologue LeonorWalker, cela correspond à la phasedite de «lune de miel». C’est «uneséduction narcissique destinée àfasciner l’autre et, en même temps,à le paralyser», explique Marie-France Hirigoyen. Car, dans lemême temps, «par des micro-vio-lences ou de l’intimidation, lafemme est progressivement privée detout libre arbitre et de tout regardcritique sur sa situation». Les allers-retours entre phases de tensions etde violences sont entrecoupés depériodes de réconciliation: le con-joint minimise les faits, se justifie,promet de ne plus recommencer.Les victimes vont alors retirer leurplainte, regagner le domicile…Enfin, il existe une phase de pro-grammation pendant laquelle lavictime, en état de dissociation, de-vient peu à peu étrangère à ce quilui arrive. «C’est un moyen efficacede survie pour ne pas perdre la rai-son, une stratégie passive lorsqu’ona le sentiment qu’il n’y a aucune is-sue possible.» C’est ainsi qu’unefemme victime de violences oppo-sera au bon sens une passivité in-quiétante. Porter plainte, pousser laporte d’une association ou compo-ser le 3919 est alors difficile pour cesfemmes qui ne se considèrent sou-vent pas comme victimes. «Les fem-

mes qui arrivent dans nos centressont comme paralysées, dans l’inca-pacité de réagir, de ne pas répondreau téléphone si leur conjoint les ap-pelle par exemple», explique Fran-çoise Brié, porte-parole de la fédéra-tion nationale Solidarité femmes(FNSF) et directrice de l’associationl’Escale, en région parisienne. Elleévoque des situations très diverses:des femmes sans papiers ou trèsprécaires qui ne connaissent pasleurs droits, d’autres de milieux trèsfavorisés qui n’ont jamais travailléet n’ont pas les ressources suffisan-tes pour quitter le domicile conju-gal. A ces femmes, qui souvent mi-nimisent les faits et couvrent lesauteurs, les travailleurs sociaux ten-tent de faire prendre conscience desabus subis. Les professionnels insis-tent sur la nécessité d’agir vite. Car,selon leurs observations empiri-ques, plus le cycle se répète, plus leprocessus peut s’intensifier jus-qu’au coup fatal.C’est au moment de la séparationque les femmes sont particulière-ment vulnérables. D’après lesdonnées récoltées par Libération,parmi les femmes tuées ces troisdernières années, une soixantaineétaient en train de rompre avec leurcompagnon ou récemment sépa-rées. Souvent, les victimes venaientde quitter le domicile conjugal, s’ap-prêtaient à reprendre leur indépen-dance. L’auteur réalise alors le ca-ractère irréversible de la rupture etne l’accepte pas. Le moment de lapassation des enfants entre lesdeux parents, dans le cadre d’une

garde partagée, est aussi risqué.«L’homme voit la victime dans sonautonomie, il réalise qu’elle est entrain de s’émanciper, de lui échap-per», explique Karen Sadlier, doc-teur en psychologie clinique, spé-cialiste des violences conjugales etauteure de l’Enfant face à la violencedans le couple (éd. Dunod). «Il peutaussi avoir des fantasmes de jalou-sie, se demande ce qu’elle va fairependant qu’il n’est pas là…» Selonl’Observatoire des violences deSeine-Saint-Denis, en 2009, lamoitié des cas d’homicides conju-gaux dans le département s’étaientproduits pendant le droit de visitedu père.

Les enfantsvictimesIls sont les grands oubliés desviolences conjugales, mais y sont di-rectement confrontés. Ces trois der-nières années, d’après les calculs deLibération, 51 enfants mineurs (et8 enfants majeurs) étaient présentslors du meurtre de leur mère par ce-lui qui était, le plus souvent, leurpère. Onze d’entre eux ont perdu lavie en même temps que leur mère.La délégation aux victimes du mi-nistère de l’Intérieur confirme cetteexposition des plus jeunes à la vio-lence conjugale: d’après ses chif-fres, en 2015, 36 enfants ont été tuésen France dans le cadre des violen-ces dans le couple. 68 enfants, sou-vent en bas âge, étaient présents audomicile au moment des faits, dont

Le conjoint était-ildéjà connu pour

des faits de violence ?

Le lieu du crime

L'âge des victimes

Les témoins

20Condamnés pour

d'autres faits

21Condamnés

pour violencesconjugales

106Données

manquantes

34Non

15Plaintes ou

mains courantes

20Signalements

par des proches

4Connus pourdes violencessans plaintes

Domicile ou à proximité

Lieux publics

Lieuxde travail

Autres

Donnéesmanquantes

Enfantsmineurs

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128

16

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5140

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10

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Donnéesmanquantes

18 ans30 ans40 ans50 ans60 ans70 ans80 ans

Donnéesmanquantes

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Enfants majeursAutrestémoins

Sanstémoin

51

810

Enquête de Libérationsur 220 décès de femmestuées par leur conjoint relayéspar la presse entre 2014 et 2016.

Certains parlentd’ailleurs de «féminicides», notioninscrite dans le droit pénal de plu-sieurs pays sud-américains, maisqui peut aussi être appliquée à desmeurtres de femmes commis horsdu cadre conjugal. En France, le faitque l’auteur de l’homicide soit leconjoint ou l’ex de la victime est unecirconstance aggravante.Le recensement des articles depresse sur les femmes tuées par leurpartenaire actuel ou passé a permisde battre en brèche plusieurs idéesreçues. Ce qui frappe d’abord, c’estl’hétérogénéité des profils de victi-mes. «Les violences conjugales tou-chent toutes les femmes», et passeulement les classes les plus défa-vorisées, expliquait à LibérationLaurence Rossignol, alors ministredes Droits des femmes, juste avantl’élection présidentielle. La grandemajorité des 220 victimes étaientinsérées socialement, avaient undomicile, souvent des enfants. Etu-diante ou retraitée, urbaine ou ru-rale, bretonne ou corse, toutes lestranches d’âge et toutes les régionssemblent touchées. L’Ile-de-Francecompte le plus de victimes, elle estaussi la plus peuplée. Seule unevingtaine de femmes tuées étaientde nationalité étrangère, selon lesarticles que nous avons recensés.La consommation d’alcool del’agresseur n’est évoquée que dansquinze cas.Les circonstances, en revanche,sont souvent similaires. Le meurtrea souvent lieu au domicile ou àproximité (dans 170 cas), et dans uncontexte de séparation ou au mo-ment de l’officialisation de la rup-ture (déménagement ou instancede divorce). L’une des femmes a parexemple été tuée par son compa-gnon alors qu’elle venait de s’instal-ler dans son nouvel appartementavec ses deux enfants. En re-cueillant ces données, nous avonspu observer également que l’auteurdu meurtre était déjà connu pourdes faits de violences. Dans la plu-part des cas, ces antécédents sontrelayés par des proches ou des voi-sins interrogés par la presse après lemeurtre, relatant des disputes oudes coups, sans pour autant qu’iln’y ait de trace de plainte ou demain courante. 21 des 220 conjointsavaient déjà été jugés pour des vio-lences conjugales, 16 avaient déjàété visés par une plainte ou unemain courante pour violences con-jugales, 17 avaient déjà été condam-nés dans une autre affaire. Des chif-fres relativement peu élevés, quifont écho à ceux de l’Observatoirenational de la délinquance et des ré-ponses pénales (ONDRP) et del’Insee, qui estiment que seul unquart des femmes victimes de vio-lences conjugales se rendent aucommissariat ou à la gendarmerie(14% portent plainte, 8% déposentune main courante). Les articles depresse que nous avons consultésétant toutefois souvent incomplets,il est possible que le nombre deplaintes ou de condamnations soitplus élevé que ce que nous avonsconstaté.Le suicide du meurtrier est égale-ment fréquent. Selon les donnéesque nous avons recueillies, dans

Sur 220,seule une

vingtaine defemmes tuées

étaient denationalité

étrangère. Et laconsommation

d’alcool del’agresseur n’est

évoquée quedans quinze cas.

Suite de la page 2

4 u Libération Vendredi 30 Juin 2017

13 témoins directs du meurtre. Dansd’autres cas, c’est l’enfant qui re-trouve le corps inanimé ou agoni-sant de sa mère, par exemple en ren-trant de l’école. Il peut aussi assisterau suicide de son père, ainsi qu’àl’intervention des secours et de lapolice, et à l’arrestation de son père.Autant de scènes traumatisantespour les enfants à l’issue desquellesils deviennent orphelins d’un pa-rent, ou des deux, et voient leurstructure familiale définitivementexplosée.L’enfant est souvent l’élément dé-clencheur de la violence, expliqueKaren Sadlier: «Les trois quarts despassages à l’acte violents dans le cou-ple sont liés à la question de l’éduca-tion des enfants: savoir quand il doitprendre son bain, s’il a fait ses de-voirs, s’il a fini son assiette…» énu-mère-t-elle. Même s’ils n’en sont pasles destinataires directs, ces violen-ces ont un impact sur les enfants, etce, tout au long de leur vie, indiqueMuriel Salmona, présidente de l’as-sociation Mémoire traumatique etvictimologie: «Avoir subi des violen-ces dans l’enfance est la principalecause de décès précoce à l’âge adulteet peut faire perdre jusqu’à vingt ansd’espérance de vie», décrit la psy-chiatre à Libération. Ces enfants nebénéficient en France d’aucuneprise en charge systématique, ycompris en cas de meurtre conjugal,et ne sont pas considérés commevictimes au sens juridique. Pour-tant, la convention d’Istanbul rati-fiée par la France en 2014 reconnaîtque «les enfants sont des victimes de

la violence domestique, y compris entant que témoins de violence au seinde la famille». Les risques pour lasanté de l’enfant sont proportion-nels aux violences subies : alorsqu’environ la moitié des enfants ex-posés aux violences conjugales pré-sentent un trouble de stress post-traumatique, qui peut se traduirenotamment par le fait de revivrel’événement par le biais de cauche-mars ou de flash-back. Ce taux at-teint 100% lorsqu’il y a meurtre, ex-plique Karen Sadlier. Les violencesont des répercussions souvent trèslourdes sur la vie, la santé, le déve-loppement et le comportement desenfants exposés, les mêmes quepour les enfants directement mal-traités: pleurs excessifs, troubles dusommeil, difficultés de concentra-tion, anxiété, agressivité, dépressionvoire suicide, détaille l’Observatoirenational de l’enfance en danger.Pour Laurence Aulnette, pédo-psychiatre à l’hôpital de Saint-Malo,cela s’explique par le lien particulierentre la mère et l’enfant: «Je me sou-viens d’un cas qui m’avait frappé.Une dame vient à l’hôpital avec sesdeux enfants consulter pour uneangine. Alors que je lui touchais lagorge pour sentir les ganglions, lepetit qu’elle avait dans les bras m’asaisie pour protéger sa mère. Sonpère avait auparavant essayé del’étrangler.» Le fait d’avoir été té-moin de coups entre les membresde la famille multiplie en outre laprobabilité d’être soi-même aussibien auteur que victime de violenceconjugale. Selon Laurence Aul-

nette, «60 % des personnes respon-sables de violences conjugales ontdéjà été exposées enfants». Pourtantavérés, ces effets subis par les en-fants spectateurs de la violence en-tre parents sont souvent mal dia-gnostiqués, et mal soignés. La fauteà une prise en charge erratique parles professionnels de la protectionde l’enfance, d’abord préoccupéspar les problèmes de violence di-recte sur l’enfant, et mal formés àcette problématique. «Pendant troplongtemps, les institutions chargéesde la protection de l’enfance ne sesont pas senties directement concer-nées par les violences conjugales,dès lors que les enfants du couplen’étaient pas eux-mêmes l’objet deviolences physiques», écrit le psy-chothérapeute Pierre Lassus.Pour prévenir ces risques, un dispo-sitif inédit a été mis en place à l’hô-pital de Saint-Malo: «On a essayé de

prendre en charge les enfants enmême temps que la mère. Ils sont desvictimes, même s’ils ne vivent pas lescoups. Un enfant est hypervigilantau moindre bruit», explique Lau-rence Aulnette. Dès la prise encharge de la mère victime de vio-lence, l’enfant rencontre égalementune assistante sociale et un méde-cin. Si les troubles persistent, lesmédecins procèdent à une mise àl’abri de l’enfant avec la mère ausein de l’hôpital, ainsi qu’à un si-gnalement auprès du procureur dela République. Sur décision judi-ciaire, l’enfant peut être placé encentre d’accueil, en famille d’ac-cueil ou dans un établissement spé-cialisé de l’Aide sociale à l’en-fance (ASE), ou encore confié dansl’urgence à un membre de sa fa-mille, maternelle ou paternelle. Desfamilles souvent elles-mêmes trau-matisées par le meurtre, focaliséessur le deuil ou préoccupées par lesort judiciaire du père.Se pose aussi la question de l’auto-rité parentale du géniteur con-damné. Ce n’est que depuis récem-ment que le juge, en cas de violencesconjugales, doit se prononcer sur leretrait total ou partiel de celle-ci, cequi n’est pas automatique. Con-damné en janvier à vingt-cinq ansde prison par la cour d’assises de laVienne pour le meurtre de la mèrede ses deux fillettes, Marine M., Ra-phaël D. s’est également vu retirerson autorité parentale à la demandedu conseil de l’ASE, partie civile. Lesdeux fillettes, aujourd’hui âgées de6 et 4 ans et placées dans un village

d’enfants spécialisé, ont assisté aumoins en partie au meurtre. La dé-fense a fait appel.Avant 2014, la justice pouvait ne passtatuer. Muriel Salmona se souvientainsi d’une patiente retournée vivreavec sa sœur chez son père, après sasortie de prison. «Elle vivait dansla peur permanente. Au bout decinq fugues, elle a finalement été pla-cée», raconte la psychiatre. Ses con-frères –partagés sur la question dumaintien du lien entre l’enfant et leparent violent, certains arguantqu’il doit être conservé malgré tout–sont nombreux à rapporter des casd’enfants obligés de visiter leur pèreen prison ou encore de lui verserune pension alimentaire. «Ce n’estpas parce qu’il y a un lien de filiationqu’on doit lui accoler l’autorité pa-rentale», estime Edouard Durand,ex-juge aux affaires familiales et ex-juge des enfants. «Peut-être quel’agresseur a le désir de voir ses en-fants, mais ce qui compte, c’estd’abord la protection de l’enfant»,qui doit être tenu éloigné d’un pèreviolent, estime-t-il.Pour l’instant, aucun accompagne-ment spécifique n’est proposé à cesenfants à l’échelle nationale, maiscela pourrait évoluer. Le plan inter-ministériel de lutte contre les vio-lences faites aux enfants, dévoilé enmars et qui doit être mis en œuvremalgré le changement de gouverne-ment, prévoit de «renforcer le repé-rage des enfants victimes de violen-ces au sein du couple», vianotamment un système de basculedes appels reçus

Le conjoint était-ildéjà connu pour

des faits de violence ?

Le lieu du crime

L'âge des victimes

Les témoins

20Condamnés pour

d'autres faits

21Condamnés

pour violencesconjugales

106Données

manquantes

34Non

15Plaintes ou

mains courantes

20Signalements

par des proches

4Connus pourdes violencessans plaintes

Domicile ou à proximité

Lieux publics

Lieuxde travail

Autres

Donnéesmanquantes

Enfantsmineurs

183

128

16

1210

1735

5140

414

10

133

5

Donnéesmanquantes

18 ans30 ans40 ans50 ans60 ans70 ans80 ans

Donnéesmanquantes

23

Enfants majeursAutrestémoins

Sanstémoin

51

810

Enquête de Libérationsur 220 décès de femmestuées par leur conjoint relayéspar la presse entre 2014 et 2016.

«60% despersonnes

responsablesde violences

conjugales ontdéjà été

exposéesenfants.»

Laurence Aulnettepédopsychiatre

à l’hôpital de Saint-Malo

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Libération Vendredi 30 Juin 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 5

ÉVÉNEMENT

par les numérosd’aide aux femmes et aux enfants (le39 19 et le 119). Le plan préconiseaussi la mise en place à l’échelle na-tionale de la «prise en charge hospi-talière immédiate des enfants lors demeurtres intrafamiliaux au domi-cile familial», sur le modèle d’uneexpérimentation actuellement me-née en Seine-Saint-Denis.A l’initiative de l’Observatoire desviolences envers les femmes du dé-partement, l’hôpital Robert-Ballan-ger d’Aulnay-sous-Bois accueillesystématiquement les enfants quiont perdu un parent dans un meur-tre conjugal, pour une durée detrois jours à une semaine. Cinq en-fants ont été hospitalisés en 18 mois.Le protocole est toujours le même:l’enfant est accompagné depuis lelieu du crime jusqu’aux urgencespédiatriques par un éducateurformé, prévenu par la police. «Il ré-cupère un pyjama, un doudou, unjouet, le carnet de santé. Il utilisesouvent son propre véhicule, moinstraumatisant que le véhicule de po-lice», explique à Libération Frédéri-que Broisin-Doutaz, médecin ur-gentiste. Grâce à une ordonnance deplacement provisoire (OPP) du pro-cureur, l’enfant est hospitalisé demanière anonyme, sans que sa fa-mille puisse le voir. Des accompa-gnantes, retraitées des services del’enfance, se relaient 24h/24 pourl’entourer. «C’est un sas, une bulle de

décompression», qui vise à évaluerla gravité du choc et décider de fa-çon collégiale la meilleure optiond’accueil. Une fratrie de trois (5 ans,3 ans et demi et 2 ans et demi), té-moin du double meurtre de leurmère et de leur grand-mère mater-nelle par leur père, a ainsi été hospi-talisée une semaine. Après un ac-cueil en foyer, ils ont finalement étéplacés chez la nourrice de l’aînée etson époux, les plus à même d’assu-rer un accueil stable.

Dispositifset initiativesExiste-t-il des solutions durablespour faire diminuer le nombre deces décès ? Jean-François Bouet,médecin urgentiste à Saint-Malo,pourrait en connaître une. Depuisdeux ans, le docteur est à l’origined’une initiative pour prévenir et re-pérer les violences conjugales: «J’enavais marre de voir passer ces fem-mes aux urgences sans rien fairepour les aider.» Son initiative a déjàpermis de prendre en charge unesoixantaine de femmes. Lorsquel’une d’elles est accueillie aux ur-gences, le médecin de garde luipose la question: «Avez-vous été vic-time de violences conjugales ?» Sicette dernière répond par l’affirma-tive, un rendez-vous avec une assis-tante sociale et un médecin urgen-

tiste lui est proposé dans les jours àvenir. Ils lui suggèrent aussi d’entreren relation avec le service de pédia-trie pour prendre en charge le ou lesenfants. Dans les cas les plus extrê-mes, les médecins procèdent à unemise à l’abri au sein du service. Uneinitiative qui, si elle semble d’utilitépublique, existe surtout grâce audévouement du personnel: «Tousles médecins font ces rendez-vous surleur temps libre. Souvent, ils sortentde vingt-quatre heures de garde laveille», décrit le chef de service Phi-lippe Zemmouche.«Les violences conjugales ne sontpresque pas prises en charge dans leshôpitaux, cela me heurte. Le corpsmédical est de tradition très mascu-line. Aux urgences, on a l’avantaged’être ouverts 24 heures sur 24,7 jours sur 7, et l’hôpital reçoit toutle monde du SDF au milliardaire»,détaille le Dr Jean-François Bouet.Et il évoque, avec la même empa-thie les cas de ces femmes qu’il a pusuivre grâce au dispositif : unefemme qui, après avoir été mise àl’abri, s’est retrouvée dans le mêmehôpital que son mari blessé en lafrappant. Ce dernier a fini pars’échapper avec sa perfusion pourla chercher avant d’être arrêté.«Parfois, les femmes ne veulent pasnous parler des violences qu’ellessubissent. Mais elles savent que ledispositif existe désormais, et lors-qu’elles sont frappées de nouveau, el-

les savent vers qui se tourner.» Mal-gré le succès du procédé qui poussemême les policiers à rediriger lesfemmes battues directement versles urgences, les médecins ne béné-ficient pas de soutiens locaux. Ledispositif doit pourtant bénéficierde financements pour être péren-nisé. Le personnel, le Dr Bouet entête, s’est donc réuni en association,dans le but de récolter des dona-tions. A défaut d’aides de l’Etat, ilsont obtenu un don de 20000 eurosde la part de mécènes.Du côté du nouveau gouvernement,la lutte contre les homicides conju-gaux ne semble pas être une prioritéimmédiate, la secrétaire d’Etat àl’Egalité femmes-hommes, MarlèneSchiappa, prévoyant de s’attaqueren priorité à la «culture du viol» etau harcèlement de rue. Le dispositif«Téléphone grave danger», dont le

déploiement était déjà prévu par ledernier plan de lutte contre les vio-lences faites aux femmes, devraitcependant être généralisé.L’appareil, muni d’une touched’alerte, peut être attribué par leprocureur de la République auxfemmes victimes de violencesconjugales. L’auteur des violencesdoit faire l’objet d’une interdictiond’entrer en relation avec la victimeou d’une mesure d’éloignement. Encas de déclenchement, la victime estgéolocalisée en temps réel et miseen relation avec une plateforme detéléassistance, qui évalue la gravitéde la situation. 530 téléphones ontdéjà été déployés. Entre septem-bre 2015 et septembre 2016, prèsd’un tiers des alertes a conduit à l’in-terpellation de l’agresseur.Parmi les autres avancées du man-dat de François Hollande, le renfor-cement du 39 19 (50 000 femmesécoutées par an, en moyenne) et lacréation de 1550 places d’héberge-ment. Importée de Suède, la mesured’accompagnement protégé (MAP)vise aussi à éviter le passage à l’actedu conjoint. Le dispositif, expéri-menté en Seine-Saint-Denis et quidevrait être étendu, encadre le droitde visite du père : une accompa-gnante va chercher le ou les enfantsau domicile de la mère, les accom-pagne chez le père puis le(s) ra-mène, pour éviter le contact entreles parents. 55 MAP ont été pronon-

Affichage sauvage du collectif «Insomnia» lors de la journée pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, à Paris le 25 novembre. PHOTOS BORIS ALLIN. HANS LUCAS

Suite de la page 5 Du côtédu nouveau

gouvernement,la lutte contreles homicidesconjugaux ne

semble pas êtreune prioritéimmédiate.

6 u Libération Vendredi 30 Juin 2017

M inorés ou mal qualifiés, les meurtresconjugaux sont traités avec uneétrange maladresse par la plupart des

médias, voire classés au rayon «insolite» desjournaux. Parmi les articles de presse que Libé-ration a recensés, figurent plusieurs titres sen-sationnalistes, absurdes ou désinvoltes, alorsmême qu’un meurtre y est relaté: «Il tue son exet rapporte le corps à la police dans sa Twingo»,peut-on ainsi lire sur le site d’Europe 1, à pro-pos d’un crime survenu en 2015 à Rennes. Lesmédias ne sont pas les seuls en cause. La cul-ture populaire a longtemps occulté ce type deviolences, et semble même les légitimer: en té-moigne l’adage «si tu ne sais pas pourquoi tubats ta femme, elle, elle le sait». Dans cette logi-que de violences de genre, le meurtre conjugaldevient, selon les mots de l’ancienne ministredes Droits des femmes, Laurence Rossignol,«une extension du droit de propriété d’unhomme sur une femme», sorte de règle tacitequi relèverait d’un code de lois patriarcal.L’homme qui tue semble considérer que lafemme est sa chose. «Ce n’est pas un crime pas-sionnel, c’est un crime possessionnel», dit Ma-ryvonne Chapalain, déléguée du procureur àParis, citée par Natacha Henry (1). Culpabilisa-tion de la victime, euphémisation, banalisa-tion… Comment sont traités les homicidesconjugaux dans la presse?

INVOQUER LE «COUP DE FOLIE»D’UN HOMME «JALOUX»La presse a volontiers recours au champ lexicalde la folie quand elle traite d’un homicide con-jugal. Ces actes sont souvent présentés commeinsensés, dus à un «coup de folie», donnantl’impression que rien de tout cela n’était prévi-sible ou évitable. Les commentaires de la po-lice ou des avocats alimentent aussi cette idée,et sont ensuite retranscrits tels quels dans lespages du journal. «Rien ne laissait présager quecela pouvait arriver», commente ainsi un com-missaire dans l’Indépendant en 2016. «Quandun homme a un chagrin d’amour, il est capablede tout», défend un voisin dans une autre af-faire, survenue en Guadeloupe en 2015.

INSISTER SUR LA PERSONNALITÉDU SUSPECT, UN «HOMME BIEN»Le geste semble d’autant plus incompréhensi-ble que l’auteur est présenté comme un hommequi n’a rien à se reprocher. Les commentairessont souvent élogieux: «C’est le locataire mo-dèle», vante le voisin d’un homme accuséd’avoir poignardé à mort sa compagne à Auchen 2016. Les antécédents judiciaires de l’auteursont également souvent occultés ou minimisés.«Il était quasiment inconnu de la justice», dé-taille ainsi la Voix du Nord à propos d’unhomme qui a tué trois personnes, dont son ex,lors d’un réveillon près d’Arras, avant de préci-ser que le casier judiciaire de l’auteur portait«une seule mention pour violence conjugaledans le cadre d’un divorce en 2013». Plus la vic-time est d’un milieu social favorisé, plus l’onparle d’elle; de même, plus le meurtrier est un

notable, plus il bénéficie de bienveillance. Unfait divers survenu en 2015 à Paris est éloquent.Le meurtrier, Charles Lüthi, était secrétaire gé-néral du très select Automobile Club de France(ironie de l’histoire, celui-ci est interdit auxfemmes). Lui et son épouse vivaient dansle XVIe arrondissement. Le 7 juin, on retrouvele corps de Marie-France Lüthi criblé de coupsde couteau, dans l’appartement familial, ainsique celui de son époux, défenestré du huitièmeétage. Dans la presse, on assiste à un curieuxeffacement de la victime, au profit du meur-trier. Ainsi, cette formulation dans l’AFP: «Lesecrétaire général de l’Automobile Club deFrance défenestré, sa femme poignardée.» Plu-sieurs articles choisissent de se concentrer surla mort du prestigieux époux, comme le prouvece communiqué de l’Automobile Club deFrance, où il apparaît que ses membres sont«très peinés d’apprendre le grand malheur quivient d’affecter la famille Lüthi» et «tiennent àsaluer la mémoire de Charles Lüthi […], quivient de décéder à son domicile dans des circons-tances personnelles tragiques».

MINORER LES FAITS OU MALLES QUALIFIER«[Un] couple retrouvé mort», «un couple tué parballes»: à la lecture de ces titres, rien n’indiqueque l’on a affaire à un homicide conjugal –for-mulation quasiment absente des médias. Dansle Tumblr féministe «Les mots tuent», qui dé-nonce le traitement journalistique des violen-ces faites aux femmes, on trouve épinglé cet ar-ticle rigolard du Berry républicain consacré à«Pascal de Vierzon». «Que voulez-vous, c’estl’amour vache», s’amuse le journaliste: «On pi-cole, on rigole chez Pascal… Enfin, on rigole…Faut pas trop le chatouiller non plus, le Vierzon-nais. Il a des fusils non déclarés plein les pognes.[…] Toutefois, il ne chasse ni le garenne ni lapoule d’eau. Mais, avec sa poulette régulière, iln’est pas très tendre.» Alors qu’elles ne reposentsur aucun fondement juridique, les expres-sions «drame conjugal», «drame de la sépara-tion» ou «crime passionnel» reviennent régu-lièrement. Nous avons recensé plus d’unecinquantaine d’utilisations du mot «drame»–sur les 220 cas recensés dans la presse en-tre 2014 et 2016. «Ces affaires […] suscitent lesentiment que la mort violente est un des risquesnaturels, objectifs, d’une rupture d’initiative fé-minine, et que personne n’y peut rien», écrivaitLibération en 2004 lors d’un recensement dunombre de femmes tuées par leur conjoint.

CULPABILISER LA VICTIME«Il aurait fallu qu’elle parte. Qu’elle quitte cefoyer où la violence écrasait tous les mots. Elleen avait eu l’occasion l’année dernière quandson concubin a été incarcéré pour avoir exercésur elle des violences conjugales, mais elle ne l’apas fait.» Ainsi, un article de la Voix du Nordrelatant l’histoire de Carole Stepien, 47 ans, as-sassinée en 2015 près de Douai par son con-joint, insiste lourdement sur le fait que, si la vic-time était partie, on n’en serait pas là. Alors quela question de l’emprise psychologique se posedans de nombreux cas, alors que le plus impor-tant n’est pas qu’une femme aurait dû ou nonquitter le foyer conjugal afin de ne pas mourir,mais qu’elle ne soit pas tuée en premier lieu.Culpabiliser la victime, même après sa mort:le procédé n’est pas rare. «Le criminel est excuséen raison du caractère imprévisible de son actemais, de plus, la contribution de la victime à lagenèse du crime est fréquemment invoquée»,écrit Marie-France Hirigoyen dans Femmessous emprise. Et lorsque ce n’est pas la coupableléthargie de la victime qui est évoquée, on s’in-terroge: après tout, si elle avait répondu favora-blement aux avances du meurtrier, si ellen’avait pas voulu le quitter, peut-être tout celane serait-il pas arrivé.«Amoureux éconduit, il écrase son ex-copine»,ont ainsi titré plusieurs médias, dont le Figaro,après le meurtre d’une fille de 17 ans à Mar-seille en 2014, renversée en voiture par son ex-petit ami. Elle l’avait quitté quelques jours plustôt. Si elle ne l’avait pas «éconduit», que se se-rait-il passé? Et quel sens revêt le mot «écon-duire», sachant que dans la bouche de certainsjournalistes «faits divers», il correspond à «re-pousser une tentative de viol ou d’agressionsexuelle»? Morte et coupable à la fois?Dans des propos rapportés sans contradictionspar le Midi libre, un avocat insiste sur la souf-france de son client, accusé d’avoir tué sa petiteamie de 20 ans à Nîmes, en 2016: «Il craignaitqu’elle le trompe et avait une véritable passionpour cette jeune fille. Aujourd’hui, il y a deuxfamilles brisées», déplore l’avocat, avant de dé-crire l’accusé comme «totalement anéanti».

FORMER LES JOURNALISTESDANS LES ÉCOLES ET LES RÉDACTIONSComment les médias sont-ils sensibilisés auxviolences faites aux femmes? En 2014, le collec-tif de femmes journalistes «Prenons la une» pu-bliait une tribune intitulée «Le crime passion-nel n’existe pas», rappelant que l’Espagne aadopté dès 2001 une charte de bonnes pra-tiques médiatiques pour évoquer le sujet. Si lesécoles ont également un rôle à jouer, elles sontrares à en parler, par exemple lors de leurs ses-sions sur le journalisme de faits divers. Dans lesCôtes-d’Armor, l’IUT de Lannion est l’une desrares écoles de journalisme à parler de violen-ces faites aux femmes. «Nous insistons sur lefait que les mots sont porteurs de sens et surtoutsymbolisent les luttes discursives portées par desacteurs ou des mouvements sociaux», expliqueSandy Montañola, responsable pédagogiquedu DUT journalisme. Il y a quelques années, lecollectif Prenons la une avait proposé à la Con-férence nationale des métiers du journalisme(qui regroupe 14 écoles) des interventions surce thème –sans succès.

J.De., G.K. et J.Lu.(1) Frapper n’est pas aimer: enquête sur les violencesconjugales en France en 2010 (Denoël, 2010).

Victimes de leur conjointet fantômes médiatiques«Drame conjugal», «crimepassionnel»… La presse usesouvent des mêmes recettesqui atténuent la portée desmeurtres au sein du couple.

cées par les juges aux affaires fami-liales du département entre 2012et 2016, souvent dans le cadre d’uneordonnance de protection ou d’unjugement (séparation, divorce…).Depuis 2013, plus de 300000 pro-fessionnels, notamment de santé,ont aussi été formés par la Missioninterministérielle pour la protectiondes femmes victimes de violenceset la lutte contre la traite des êtreshumains (Miprof). Parmi eux, les ré-férents «violences faites aux fem-mes», désignés dans tous les servi-ces hospitaliers d’urgence etcapables de former à leur tour lereste du personnel au repérage et àla prise en charge des femmes victi-mes. Les dentistes et les pharma-ciens, mais aussi les pompiersdevraient bientôt suivre. «En entre-prise par exemple, quand une sala-riée arrive en retard ou est moinsperformante, il faut pouvoir repérersi elle n’est pas victime de violences»,ajoute Annie Guilberteau, directricegénérale du Centre national d’infor-mation sur les droits des femmes etdes familles.Plusieurs associations organisentaussi des groupes de parole réservésaux femmes qui vivent ou ont vécudes violences. Dans le XIVe arron-dissement de Paris, les bénévoles etles psychologues de l’association El-les animent ainsi deux fois par se-maine ces réunions, auxquelles lesfemmes peuvent assister ponctuel-lement ou plus régulièrement. «Lesexpériences des autres femmes se ré-percutent en miroir sur ce qu’elles vi-vent ou ont vécu elles-mêmes. Ellesprennent conscience qu’elles ne sontpas les seules, c’est déculpabilisant»,explique la psychologue clinicienneSonia Pino, cofondatrice de l’asso-ciation, en activité depuis 2009.Dans cet endroit qui se veut un «lieuressource», les bénévoles apportentaux victimes un soutien psychologi-que, juridique, social… Elles sont el-les-mêmes supervisées par un psy-chologue, une fois par mois, pour nepas avoir d’attitudes «contrôlantes»vis-à-vis des victimes, fragilisées.

Et lesmeurtriers?Se pose enfin la question de la priseen charge des auteurs de violencesconjugales. Depuis 2014, les stagesde «responsabilisation», déjà prévuspour les chauffards par exemple, ontété étendus aux conjoints violents.Ces sessions de sensibilisation, d’unou plusieurs jours, peuvent aussiêtre utilisées comme une alternativeaux poursuites, ou venir s’ajouter àune condamnation. Beaucoup d’as-sociations d’aide aux victimes re-connaissent que l’accompagnementdes auteurs est encore trop rare,mais considèrent qu’il est impossi-ble de les prendre en charge enmême temps que les victimes.Difficile aussi d’évaluer l’impactréel de ce genre d’initiatives sur lesauteurs. «C’est une chance qui leurest offerte de s’interroger sur leurcomportement, expliquait ainsi uneanimatrice dont le témoignage estcité dans un rapport parlementaire.Mais beaucoup sont encore dans ledéni le plus total.» •

#DéjàMortesEn 2017, plusieurs dizaines de femmesont déjà été tuées par leur conjoint,leur mari, leur ex. Derrière ces chiffres,des prénoms, des histoires, des vieségrenées au fil des mois en une doulou-reuse litanie funéraire, par TitiouLecoq.

#LesMotsTuentA lire sur Libé.fr, une tribune deSophie Gourion, créatrice du Tumblr«Les mots tuent», qui dénonce letraitement journalistique des violencesfaites aux femmes.

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Libération Vendredi 30 Juin 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 7

Dans le vieux Mossoul, dimanche.

MONDE

Q uand le vent se lève, la vieille ville deMossoul disparaît. Le ciel gris et brû-lant, les murs sales des maisons rava-

gées, la poussière des gravats, plus rien ne sedistingue, tout se mêle. Seule ressort parfoisla puanteur de cadavres oubliés. Les forcesirakiennes ont avancé jeudi etdévoilé un paysage post-apoca-lyptique. Elles ont gagné quel-ques centaines de mètres sur l’Etat islamique.Cela paraît peu. Mais dans des venellesd’un mètre et demi de large où chaque pas ris-que de déclencher une mine artisanale, oùchaque porte peut receler un piège, c’estbeaucoup. L’avancée est aussi symbolique.Les forces spéciales se sont emparé de ce qu’ilreste de la mosquée Al-Nouri et d’Al-Hadba,son minaret penché recouvert de mosaïques,le «bossu» comme le surnomment les Mos-

souliotes. Les jihadistes l’ont dynamitéle 21 juin. Ils ne voulaient pas que les soldatspuissent parader et faire des selfies devant leminbar où Abou Bakr Al-Baghdadi, le califeautodésigné, a fait sa seule apparition publi-que. C’était le 3 juillet 2014, l’Etat islamique

était au faîte de sa puissance.Jeudi, l’armée irakienne a com-mencé à déminer les ruines de

l’édifice. «D’ici quatre à cinq jours, nousaurons atteint le Tigre. La victoire est unequestion de jours. Daech n’est plus qu’un painde glace qui fond sous le soleil», souffle le gé-néral Sami al-Arthy, à la tête de deux divisionsdes forces spéciales irakiennes.Dans la poussière de la vieille ville, à côté deson blindé noir frappé d’une tête de mort,Nasser, 23 ans, soldat dans les forces spécia-les, ne dit pas autre chose. «Dans dix jours,

deux semaines peut-être, c’est réglé. On sentque les hommes de l’Etat islamique n’ont plusle moral, qu’ils ne pensent plus qu’à s’échapper.Ils ne savent plus se battre alors qu’il y a encoretrois semaines, ils étaient des combattants re-doutables.» La bataille a anéanti le vieux Mos-soul. Pas une maison ne semble avoir été épar-gnée. Des toits se sont écroulés, laissant desblocs de béton pendre comme des guirlandes,seulement retenus par leurs armatures métal-liques. Des voitures calcinées aux carcassestordues disparaissent sous la chaussée. Descratères creusés par des frappes aériennes ontaspiré camionnettes et bulldozers. Quand lesavions de la coalition ne bombardent pas etque les combats cessent, un silence profondse répand, imperméable aux bruits de la viequi a repris dans les autres quartiers.

TRÉTEAUX DE FERJeudi, comme à chaque progression de l’ar-mée irakienne, des habitants sont apparus audétour des ruelles. Exténués, sales, regardstristes ou joyeux de croiser des militaires. Ilsn’ont que quelques sacs et sont entourés d’en-fants. Une vieille femme a les yeux dans levague. Seuls ses deux fils qui la soutiennentl’empêchent de s’écrouler. Devant une maisonécrasée par un bombardement il y a dix jours,un homme reste à côté de deux sacs de plasti-que noir d’où s’écoule une odeur de mort.«Ce sont les restes de mes parents, on vient deles sortir», dit-il calmement. Un autre attendà ses côtés que les secouristes de la Défensecivile extraient le cadavre de son père. Il resteune douzaine de corps sous les décombres.La bataille de Mossoul n’est pas finie, mais les

REPORTAGE

Mossoul Dans les ruineslaissées par Daech Par

LUC MATHIEUEnvoyé spécial à MossoulPhotosWILLIAM DANIELS

Si la reprisede la mosquéeAl-Nouri marqueun tournantsymbolique duconflit, les combatsse poursuivententre des jihadistesaux abois et unearmée épuisée.

8 u Libération Vendredi 30 Juin 2017

soldats sont épuisés. Ils marchent lentement,s’accroupissent dès qu’ils le peuvent à l’ombred’un mur éboulé ou d’un blindé. Ceux des for-ces spéciales n’ont en réalité jamais cessé decombattre depuis 2014. Ils ont mené les as-sauts à Samarra, Tikrit, Ramadi, Fallouja, Hit,Baji et désormais Mossoul. Le califat irakienest presque annihilé, mais l’enchaînementdes combats les a usés.Dans la cour d’une maison de la vieille villeau toit à moitié arraché, Ahmed, 29 ans, s’estavachi dans un vieux canapé. Il est 15 heureset la chaleur pèse comme un sac de cimentsur les épaules. Il fait près de 50 degrés. «Leplus dur n’est pas tellement la fatigue physi-que, mais celle liée à la perte d’amis au com-bat, dit-il. Si je ne compte que depuis le débutde l’offensive dans l’ouest de Mossoul, j’en aiperdu quatorze. Mon frère aussi est mort du-rant un combat.» Il sort son smartphone etmontre les photos où il pose en riant avec cha-cun d’eux. «Au fond, ma vie se résume à laguerre.» Comme la plupart des autres soldats,Ahmed porte les cicatrices de ces offensivesqui n’en finissent pas. Il est sorti il y a un moisde l’hôpital après l’explosion d’un mortier quil’a blessé aux deux jambes et à un bras. Dansla cour de la maison, l’un de ses copains mon-tre son bras, transpercé par cinq balles qui ontlaissé des cercles sombres sur la peau et unelongue cicatrice. «J’ai aussi été touché au ven-tre par un éclat», dit le jeune soldat.Depuis le début de la bataille de Mossoul, lesblessés sont rapidement soignés dans depetits centres d’urgence qui se déplacent augré de la ligne de front. Ils sont ensuite trans-férés dans des hôpitaux. Cette semaine, l’un

des plus avancés est installé à côté de la mos-quée Abou Zyan, à environ 500 mètres de lavieille ville, dans deux anciens ateliers. Il n’ya ni porte ni fenêtre et des machines-outilssont encore installées au fond, trop lourdessans doute pour être pillées.Les infirmiers ont installé cinq brancards surdes tréteaux de fer. Les cartons de compres-ses, seringues et perfusions s’entassent le longdes murs. Des grappes de mouches bourdon-nent autour de petites flaques de sang. Cha-que jour, les blessés se succè-dent, emmenés par devieilles ambulances auxsuspensions défoncées quipilent devant les anciensateliers. «Les blessures lesplus courantes sont dues àdes éclats de mortiers, demines artisanales et de gre-nades. Il y a aussi des blessu-res par balle, mais c’est moinsfréquent», explique un infir-mier. Les cadavres sont envelop-pés dans une couverture puis déposésdans des sacs mortuaires. La guerre contrel’Etat islamique a décimé les rangs de l’arméeirakienne. Les forces spéciales ont perdu 40%de leurs effectifs, blessés ou tués, depuis le dé-but des combats, selon le Pentagone.

«SEUL DIEU A DES YEUX»La guerre ne sera pas pour autant terminéeavec la fin de la bataille de Mossoul. Avantmême le début des derniers assauts contre lavieille ville, l’Etat islamique a répliqué à samanière, brutale et rapide. Dans la nuit de di-

manche à lundi, une soixantaine de jihadistesont attaqué deux quartiers de l’ouest de Mos-soul, libérés il y a quelques mois, Tanak et Yar-mouk. Ils ont investi le premier, avancé versle second. Les habitants ont fui en quelquesheures. Les autorités irakiennes ont d’abordblâmé des «cellules dormantes». La réalité estplus inquiétante. Les jihadistes n’attendaientpas cachés à Mossoul dans des caves ou desmaisons abandonnées. Ils venaient de beau-coup plus loin, de Tall Afar, à la frontière sy-

rienne, l’une des dernières villes ira-kiennes qu’ils contrôlent encore.

«Ils ont marché durant une par-tie du trajet et ont réussi à pas-

ser nos lignes. Ils avaient desinformateurs qui leur ont ditcomment éviter les check-points et parvenir jusqu’àMossoul. Tout était prêt pour

eux quand ils sont arrivés»,explique le général Haider

Fadhel des forces spéciales. Aumoins un soldat a été tué lors de

l’assaut. Aucun civil n’aurait perdu lavie, selon l’armée irakienne.Un jihadiste a été capturé. Il a 11 ans. Lesautres ont tous été tués, selon le général. «Laplupart avaient des vestes explosives. Nous enavons abattu quelques-uns», affirme-t-il. Lecadavre poussiéreux de l’un d’eux, barbe etcheveux longs, pantalon court, était accrochétête en bas lundi matin au poteau cassé d’unfeu tricolore. «Ce sont les habitants qui l’ontmis là, pas nous», expliquait un soldat en fac-tion. Quelques heures plus tard, le corps avaitété décroché. Il gisait juste à côté sur un terre-

plein. Des enfants lui jetaient des cailloux, luidéfonçant le crâne. Des adolescents criaient:«C’est un Pakistanais! Non, un Afghan!» «C’estun Tadjik», hurlait un autre. Un homme d’unequarantaine d’années répétait: «Seul Dieu ades yeux et sait ce qui s’est passé.»Le jour même, l’armée s’est déployée dansplusieurs quartiers de l’ouest de Mossoul, àplusieurs kilomètres de la vieille ville et de sescombats. En milieu d’après-midi, une ving-taine de soldats ont investi le quartier deTal Ruman. Ils frappent aux portes métalli-ques des maisons. La plupart s’ouvrent. Ils pé-nètrent dans la cour, le salon, jettent un œildans la cuisine, montent vers les chambres,observent les portes à l’arrière. «Regardez ceque vous voulez, et partout», dit un proprié-taire bedonnant en offrant des graines detournesol. Les inspections ne durent quequelques minutes. Au coin d’une rue, deuxblindés sont arrêtés. Des soldats ouvrent lecoffre d’un Humvee noir. Un homme piedsnus en tee-shirt blanc est allongé. Il a unevingtaine d’années et l’air terrifié. Un militairelui met une claque et le sort en le tirant parune oreille. Le jeune est poussé jusqu’àun commandant qui joue avec une petitebarre de fer. «Je n’ai rien fait, je n’ai rien fait»,répète l’homme en gardant la tête baissée.«Quoi que tu aies fait, quoi que tu fasses, sijamais c’est pour Daech, tu es mort», crie lecommandant. Un peu à l’écart, un soldat auxyeux bleus dit: «On le pousse un peu mais c’estpour lui faire peur. On veut qu’il travaille pournous.» L’homme est ramené au Humvee oùil récupère son sac. Il est libre. Il s’éloigneaussi vite qu’il le peut. •

100 km

Mossoul

Bagdad

IRAK IRAN

ARABIESAOUDITE

SYRIE

TURQUIE

JORD.

En haut: Khaled, arrêté et accusé d’être un membre de l’Etat islamique. Un homme et ses fils blessés tentent de fuir. En bas: interrogatoire des civils et patrouille à Tal Ruman.

Libération Vendredi 30 Juin 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 9

MONDE

D es barricades de fortune bar-rent l’entrée du village deWang Chau, voué à la des-

truction. Un siège s’est organisépour repousser les expulsions déci-dées par le gouvernement hong-kongais. Un QG sous un perron, desboîtes de gâteaux, des cartes topo-graphiques et beaucoup de mousti-ques. Et Lin On-Kai et ses camara-des, qui préparent les pancartespour la manifestation de samedi. Al’image d’une jeune générationprête à en découdre avec «un gou-vernement maintenu sous pressionpar la Chine et sourd au dialogue»,Lin On-Kai, 28 ans, fraîchementdiplômée en psychologie, défilerasamedi non pour célébrer lesvingt ans de la rétrocession de

Hongkong à la Chine, mais pour dé-noncer «l’injustice d’un système»concentré sur les intérêts de Pékin.L’anniversaire de la rétrocession estun rendez-vous annuel tant dessoutiens de Pékin que des militantspour la démocratie, qui rassembledes dizaines de milliers de partici-pants. Lin On-Kai en est une habi-tuée. Cette année, elle ne plaiderapas seulement pour les libertés poli-tiques, mais aussi pour le sort deshabitants de Wang Chau, un des vil-lages de la région qui sont condam-nés à disparaître.Lin On-Kai n’est guère réceptive aurefrain nationaliste ressassé depuisdes mois par les autorités, qui veu-lent célébrer vingt ans de prospéritépartagée. Même Xi Jinping est de lapartie, arrivé jeudi dans la régionsemi-autonome pour une visite detrois jours, sa première en tant queprésident chinois. «Hongkong a tou-

jours eu une place dans mon cœur»,a-t-il déclaré sur le tarmac, à peinedescendu de l’avion. La Chine, elle,n’est pas encore dans le cœur desH o n g k o n g a i s .Poussés à mar-che forcée versl ’ intégrationavec la mère pa-trie, tous ne sontpas à la fête, niprêts à faire ledeuil de leurs li-bertés. Lin On-Kai la première. Aquelques jours desfestivités, elle ra-conte n’avoir jamais ha-bité à Wang Chau, petit écrinde verdure à quelques kilomètres dela frontière avec la Chine. Ellen’était même pas née quand cesmaisonnettes de bric et de broc ontété construites. Mais elle défend ces

villageois «traités comme des moinsque rien» et sommés de quitter leurshabitations qui feront bientôt placeà des tours résidentielles. Ce projet

est, pour elle, symptomati-que de la collusion en-

tre élites politiqueset économiques et

de l’érosion del’autonomie deHongkong. Se-lon elle, le Particommunis tes’entend avec les

promoteurs et lesmagnats locaux,

ce qui lui permet demaintenir l’équilibre

politique sans avoir à fairedes concessions à la démocratie.En 1997, Lin On-Kai avait 8 ans. Ellese souvient à peine du changementde souveraineté, négocié dès 1984sans que la population n’ait été con-

sultée. «Il y avait de l’inquiétude,mais pas dans mon entourage oùc’était plutôt un rêve qui devenaitréalité»: Hongkong redevenait chi-noise après des décennies de domi-nation britannique. «Il y avait unesorte d’espoir d’une vie meilleure», sesouvient la jeune femme, dontles parents, originaires de la pro-vince chinoise de Guangdong, ontimmigré à Hongkong dans les an-nées 60. «Et on a déchanté, petit àpetit», notamment du fait de la«pression des promoteurs et de la de-vise de Pékin: construire, des tourset des tours, et des infrastructures,sans aucun égard pour la popula-tion», raconte-t-elle, caressant duregard les petits potagers de WangChau et ses ruelles arborées, «unmode de vie inestimable que rien nepourra remplacer, surtout pas desappartements-cages dans des tours».La préservation du patrimoine a

ParROSA BROSTRACorrespondante à Hongkong

Depuis la fin de la souveraineté britanniqueen 1997, la reprise en main chinoise se faitplus pressante sur l’économie du territoire.Alors que l’étau de Pékin se resserre sur la

démocratie depuis l’échec des manifestationsde 2014, la jeune génération tente de résister.

REPORTAGE

20 km

CHINE

HONG KONG

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ÎLEDE LANTAU

ÎLE DE LAMMA

ÎLEDE HONGKONG

Wang Chau

Vingt ans aprèsla rétrocession,«on a déchanté»

Hongkong

10 u Libération Vendredi 30 Juin 2017

Des militants favorablesà la démocratie ont pris

d’assaut, mercredi, lastatue de fleur édifiée parPékin. PHOTO K.CHEUNG. AP

d’ailleurs contribué à déclencherune prise de conscience politique.«Hongkong n’a pas beaucoup de tra-ces de son histoire ni de monumentsanciens, à cause du développement.Après 1997, le gouvernement a faitbeaucoup pour effacer l’histoire, no-tamment coloniale. Or, sans histoire,c’est difficile de connaître notre iden-tité», conclut Lin On-Kai.

«ON SE FAIT MANGER»L’immobilier n’est qu’un des exem-ples de la pénétration des Chinoisdans le tissu économique, financieret politique hongkongais. Télécom-munications, commerce, banques,édition, médias, cinéma, rien n’aéchappé à leur appétit. Après lesparcelles de l’ancien aéroport (im-planté en plein cœur de la ville), lesvillas luxueuses du sud de l’île deHongkong, et les terrains publicsmis aux enchères par le gouverne-

ment, les Chinois jettent désormaisleur dévolu sur les bureaux. Unepartie des 88 étages de l’emblémati-que gratte-ciel de l’IFC, 416 mètresde prestige et deuxième plus hautetour de la ville, est ainsi rachetée pardes entreprises chinoises prêtes àpayer le prix fort pour dominer laville. Les commerces subissentaussi la pression, comme en témoi-gne Mandy Mak, vendeuse dans uneminuscule boulangerie du quartierbranché de Soho. «Les prix sontexorbitants, c’est de plus en plus dif-ficile de faire vivre un commerce, etde se loger», raconte-t-elle en regar-dant passer la police dans un hurle-ment de sirènes. Les forces de l’or-dre, pourtant si discrètesd’habitude, sont nerveuses cesjours-ci en raison de la visite du pré-sident Xi. Mandy Mak ne reconnaîtplus sa ville, engorgée par 7,3 mil-lions d’habitants, par les «très hauts

immeubles modernes» et par «cesfranchises qui ont chassé les petitesboutiques ou commerces». Cette mo-dernisation décomplexée lui dé-plaît: «On était heureux avant, on nel’est plus, trop de pression.»Sur le papier, Hongkong conserveson haut degré d’autonomie, ses li-bertés, sa monnaie, son système ju-diciaire. C’est le principe «un pays,deux systèmes», inscrit dans l’ac-cord de 1984 ayant présidé à la ré-trocession. Il est censé garantir lemaintien jusqu’en 2047 du mode devie d’avant 1997. Mais dans les faits,

se désole la commerçante, «on sefait manger à petit feu. Regardezla presse, il ne nous reste plus qu’unjournal libre, Apple Daily, ce quiconfirme nos inquiétudes de 1997 :les libertés sont attaquées».

«SÉCESSIONNISTES»Même dans les milieux d’affaires,certains redoutent que l’autonomiede Hongkong ne soit avalée par l’in-tégration, organisée par Pékin àgrands coups de projets d’infras-tructures pharaoniques ou de mégacité-région, dont Hongkong ne

serait qu’une composante. BennyChung, croisé non loin de Sohodans une rue de Sheung Wan rem-plie d’effluves de poissons séchés,témoigne aussi de ce blues sous-jacent. Parti en 2000 pour parache-ver sa formation de danseur auxEtats-Unis, il retrouve en 2012 uneville postindustrielle marquée par«l’angoisse, le stress, la colère». «Cequi avait changé, c’était les gens, re-pliés sur eux-mêmes, comme s’il n’yavait nulle part où ils se sentaientprotégés», regrette-t-il. Il évoque lesmanifestations monstres de 2012contre un projet de manuel scolairedestiné à construire «l’harmonie,l’identité et l’unité nationale». Al’époque, les manifestants «ont ga-gné et ont cru alors qu’ils pouvaientfaire bouger le gouvernement chi-nois», note-t-il en secouant la tête.Pour Mandy Mak, 2014 est l’annéeoù la démocratie hongkongaise aété enterrée, le 31 août. «C’est unedate traumatisante à partir de la-quelle Hongkong a radicalementchangé. La colère a éclaté», témoi-gne-t-elle.Ce jour-là, les arcanes du pouvoircommuniste ont décidé de désignerles candidats pouvant concourirpour le poste de chef de l’exécutif.Cette décision avait alors entraînéMandy Mak et des milliers d’autresHongkongais dans la rue des semai-nes durant, pour exiger une pleinedémocratie. «J’ai même campé unenuit là-bas», en rigole encore laquinquagénaire. Mais Pékin n’a riencédé. Encore aujourd’hui, seule unepartie des députés sont élus au suf-frage universel, le chef de l’exécutifétant désigné par un collège degrands électeurs largement acquisà Pékin. Carrie Lam, la nouvellecheffe choisie fin mars, sera officiel-lement investie samedi, en pré-sence de Xi Jinping. La confronta-tion de 2014 a marqué un point denon-retour, laissant la société hong-kongaise fracturée et irritant le gou-vernement central chinois, quidésormais se restreint moins etmultiplie les interférences dans lesaffaires locales.Si Mandy Mak n’ose plus trop mani-fester, la jeune génération continuede descendre dans la rue pour récla-mer le suffrage universel et l’éman-cipation du joug chinois, signe quele creuset culturel s’est intensifié etque l’intégration n’est toujours pasacceptée, même vingt ans après.Une poignée de ces militants ontmultiplié les coups d’éclat ces der-niers jours. Une vingtaine ont été ar-rêtés mercredi pour nuisance publi-que et placés en détention. Parmieux, des députés et de jeunes mili-tants emblématiques, dangereuxagitateurs «sécessionnistes» selonPékin, qui aimerait les museler. Legouvernement central a déjà faitdisqualifier deux députés. Au moinscinq autres sont sur la sellette.La Chine va-t-elle durcir encore leton ou bien modérer ses ripostespour préserver la robustesse finan-cière de Hongkong et maintenirl’équilibre politique? Lin On-Kai estsceptique: «L’influence du gouver-nement central ne va cesser de croî-tre. A nous de rendre plus forte la so-ciété civile pour que Pékin ne puissepas la détruire, même en 2047.» •

«Après 1997, le gouvernement a faitbeaucoup pour effacer l’histoire,

notamment coloniale. Or, sans histoire,c’est difficile de connaître notre identité.»

Lin On-Kai Hongkongaise de 28 ans

Libération Vendredi 30 Juin 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 11

MONDE

Banière déployée par des militants des droits des homosexuels devant la Chancellerie, à Berlin, le 30 avril. PHOTO JOHN MACDOUGALL. AFP

Allemagne Le «oui» très politiqued’Angela Merkel au mariage gayAlors que la CDUs’y oppose depuisplusieurs années,la chancelière aprovoqué un séismedans la coalitionau pouvoir en sedéclarant favorableau mariage pourtous. Le textepourrait être votédès ce vendredi.

Tout est allé très vite.L’Union chrétienne-démocrate (CDU)

d’Angela Merkel, qui bloquedepuis un quart de siècle toutprojet de loi sur le mariagepour tous, ne pourra vraisem-blablement pas éviter ce ven-

rai-je dire “mon mari” à monami ?» La chancelière aurait

pu rester évasive.Sa réponse –«Jesuis favorable àune discussion

qui aille dans le sens d’uneprise de décision en cons-cience [au Bundestag]» – aprovoqué un raz-de-maréepolitique. Un choc semblableà la décision de mettre fin aunucléaire, dans le sillage de lacatastrophe de Fukushimaen mars 2011.

«Digéré». Prenant sa rivaleau mot, le challenger social-démocrate de la chancelière,Martin Schulz, réclamait dèsmardi que le Bundestag ins-crive l’adoption de la mesureà l’ordre du jour de vendredi,dernière journée parlemen-taire avant les législatives du24 septembre. L’adoption dutexte en cas de vote est assu-

rée : sociaux-démocrates,Verts et néocommunistes deDie Linke, tous trois favora-bles à la réforme, détiennentune confortable majorité à laChambre. Une partie des dé-putés CDU –appelés à voteren leur âme et conscience–devraient aussi donner leurvoix au texte.L’offensive de Martin Schulza pris Angela Merkel decourt. Le SPD espère ainsi re-prendre la main, alors que sacampagne électorale est enli-sée. Mais la chancelière, sielle se met à dos une partiedu clan conservateur, pour-

rait aussi marquer des points,alors que 73% des Allemands(et 64% des électeurs conser-vateurs) se disent favorablesà l’union de deux personnesdu même sexe. «Elle éviteainsi un débat passionné quipourrait profiter aux popu-listes de l’AfD au cours de lacampagne électorale», souli-gne le quotidien Tages-spiegel. Adopté à la hussardeà la veille de la pause estivale,le texte aurait en outre letemps d’être «digéré» par lesplus radicaux des électeursconservateurs d’ici au scrutinde septembre. Merkel a-t-elle

imposé à son propre campune décision que les conser-vateurs rejettent? Ou a-t-elle,au contraire, commis un im-pair politique?L’affaire est plus compliquée.De fait, la CDU ne pouvaitplus s’opposer bien long-temps au mariage pour tous.Au cours des derniers mois,les Verts, les libéraux du FDPet les sociaux-démocrates–tous trois potentiels parte-naires de coalition après lescrutin de l’automne – ontfait savoir qu’ils feraient dumariage gay l’une des condi-tions de leur participation auprochain gouvernement.

Divorce. Lundi dans lajournée, lors de leurs réu-nions préparatoires à l’adop-tion d’un programme decampagne, la CDU et la CSUsemblaient prêtes à bougersur le dossier du mariagepour tous. Mais les deuxpartis n’avaient pas prévu dele faire si rapidement. «Jesuis convaincu qu’il ne s’agitpas d’une gaffe mais biend’une action délibérée de lachancelière, confie le députéchrétien-démocrate et gayStefan Kaufmann. Au sein dugroupe parlementaire CDU,les plus conservateurs oppo-sés au mariage pour tous onttoujours bloqué le débat. Biensûr, maintenant, certains ontpeur de devoir se justifier de-vant leurs électeurs au coursde la campagne électorale…»Reste qu’en précipitantles choses, le SPD actede facto le divorce de la coali-tion qu’il forme avec leschrétiens-démocrates de-puis 2013. Le contrat de coa-lition signé voici quatre ansne prévoyait pas l’adoptiondu mariage gay. «En théorie,Angela Merkel devrait ren-voyer ses ministres sociaux-démocrates», rappelle ainsile Tagesspiegel. Soucieused’éviter un tremblement deterre à trois mois du vote,la CDU tente de minimiserl’ampleur de la crise.A droite, une partie du campconservateur prépare déjà unrecours devant la Cour cons-titutionnelle de Karlsruhe.L’issue d’un tel recours estincertaine. Les couples demême sexe peuvent concluredepuis 2001 un «partenariatde vie», équivalent du pacsfrançais, dont les droits ontété à plusieurs reprises amé-liorés par la Cour, à l’excep-tion de l’adoption. •

dredi l’adoption du mariagegayparleBundestag.Gaffeoucalcul délibéré dela chancelière :l’ouverture dumariage aux cou-ples homosexuels déchire lacoalition au pouvoir depuis ledébut de la semaine.Tout a commencé par unepaisible soirée au théâtreGorki, à Berlin, lundi soir.Trois fauteuils en cuir rosepâle ont été installés sur lascène. Deux journalistes dumagazine féminin Brigittepapotent avec la chancelière.Merkel a opté pour un formatde débat décontracté, à troismois des prochaines élec-tions, se prêtant au jeu desquestions du public. UlliKöppe, un Berlinois de28 ans, salarié de l’éditeur gayBlu Mediengruppe et admi-rateur de Merkel, a justementune question: «Quand pour-

ParNATHALIE VERSIEUXCorrespondante à Berlin

«Je suis convaincuqu’il ne s’agit pas d’une gaffe

mais bien d’une actiondélibérée de la chancelière.»

Stefan Kaufmann député chrétien-démocrate

L'HISTOIREDU JOUR

Massacre de Srebrenica Vingt ans après le conflit enBosnie, les Pays-Bas devront payer une compensation finan-cière aux familles des victimes du massacre, a tranché la

cour d’appel de La Haye. 350 musulmans avaient été expulsés d’une basenéerlandaise en 1995 dans le secteur de Srebrenica, dans l’est de la Bosnie-Herzégovine. Livrés à eux-mêmes, ils ont été immédiatement abattus parles forces serbes. Le rôle obscur joué par l’ONU dans cette guerre est pointédu doigt dans la décision de la cour, toutefois critiquée par les familles devictimes qui réclamaient davantage de dommages et intérêts.

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12 u Libération Vendredi 30 Juin 2017

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46: Martha Gellhorn / La plume dans la plèbe47: Sinar Alvarado/ Cannibale lecture50: Frédéric Lenoir / «Pourquoi ça marche»

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Qu’est-ce que c’estque ça ? Un pavéde l’été, certes.Maispasdans legenrede

la saison.L’Esthétique de la résis-tance,parude 1975à 1981 avecungrand retentissement enAllema-gne de l’Ouest, en trois volumestraduits de 1989 à 1993 et reprisaujourd’hui en un seul énormetome,est l’œuvremajeuredePeterWeiss–néen1916prèsdePotsdamet mort à Stockholm en 1982, ilest surtout connu en Francecommedramaturgeetenparticu-lier comme l’auteur du fameuxMarat-Sade (lire aussi page 45).Mais encore ? C’est un roman,mêmesi lacollectiond’esthétiquedes éditionsKlincksieckn’estpasfaite pour en accueillir.Dans son avertissement de l’édi-teur, Marc Jimenez estime que«l’ouvrage transgresse constam-ment les limites, pourtant extrê-mement larges, du genre. Une his-toire du mouvement ouvrierdepuis la République de Weimarjusqu’à la chute du IIIe Reich… uneépopée de la gauche révolution-naire sous le nazisme, le stalinismeet le franquisme… les “annéesd’apprentissage” d’un jeune mili-tant, son initiation aux enjeux etaux combats politiques…».Lephi-losophe et historien d’art Jean-Michel Palmier, rendant comptedans le Monde diplomatique dupremier volume traduit, disaitceci du roman en 1989 : «Ce quifrappe d’emblée, c’est qu’il brisetous les genres.

ParMATHIEULINDON

Suite page44

Libération Samedi 1er et Dimanche 2 Juillet 2017 www.liberation.fr facebook.com/liberation @libe u 43

C’était une épée de Damo-clès au-dessus de la tête dupape François. Déjà fragilisépar des contestations inter-nes, il fait face à la convoca-tion devant la justice civilede l’un de ses hommes deconfiance pour de multiplessévices sexuels sur mineurs.Numéro 3 du Vati-can, le cardinalaustralien GeorgePell, 76 ans, comparaîtrale 18 juillet devant la justiceà Melbourne. C’est la pre-mière fois qu’un cardinal del’Eglise catholique (au som-met de la hiérarchie après lepape) doit répondre de tellesaccusations.D’abord nommé en 2013 auconseil des cardinaux, créépar François pour le secon-der, Pell a pris la direction

l’année suivante du secréta-riat pour l’économie, postestratégique. A l’époque, leVatican devait mettre enordre ses finances et sa ban-que, suspectée d’abriter descomptes douteux. Malgré lessoupçons qui pesaient sur leprélat concernant des faits

anciens, François luia maintenu sa con-fiance. «Il ne serait

pas correct de juger avantla conclusion de l’enquête,avait-il déclaré en août 2016.Il y a des doutes. Nous devonséviter tout procès média-tique, un procès qui s’appuiesur des ragots.» Deux moisplus tard, la police austra-lienne venait auditionner lecardinal au Vatican. Pourl’historienne italienne Lu-cetta Scaraffia, «le pape a cru

à l’innocence de Pell, qui atoujours nié ce qui lui estreproché. Comme beaucoupde personnes qui ont vécusous des dictatures, il redouteles calomnies envers desmembres du clergé.»Il peut cependant paraîtresurprenant que le prélat aus-tralien ait bénéficié de laconfiance de François. «Pellappartient à l’aile conserva-trice de la curie, explique levaticaniste Iacopo Scara-muzzi. Il a exprimé à plu-sieurs reprises son oppositionà des réformes de François.»Il s’est ainsi joint à ceux quicritiquent l’ouverture en di-rection des divorcés rema-riés et s’était distancié del’encyclique sur l’écologieen 2015. Mais «Pell a joué unrôle certain lors du conclave»

qui a élu François, souligneScaramuzzi.L’affaire Pell jette un peuplus le trouble sur l’attitudede François par rapport audossier de la pédophilie dansl’Eglise. Même s’il prône une«tolérance zéro», même s’il asanctionné des prélats etprêtres influents, il semblehésitant sur plusieurs dos-siers, comme le cas Pellou les récentes révélationsen Argentine. Le fait queGeorge Pell ait annoncé qu’ilse rendrait à la convocationde la justice constitue néan-moins une avancée. Selonune source proche de la cu-rie, il est peu probable qu’ilreprenne ses fonctions auVatican, même s’il n’est pascondamné. Pour le moment,il a pris un «congé». B.S.

Scandale pédophileau plus près du pape

RÉCIT

Albanie Le Premier ministre socialiste sortant,Edi Rama (photo), a été reconduit dimanchepour un nouveau mandat à la tête de l’Albanie

avec une majorité absolue au Parlement. Le pays, longtempsconfronté aux problèmes de corruption, de trafic de drogue et decriminalité organisée, souhaite mettre en avant les réformes mi-ses en œuvre pour adhérer à l’Union européenne. Interview deSébastien Gricourt, ancien conseiller politique dans les Balkanspour l’ONU et l’Otan. PHOTO AFP

LIBÉ.FR

Russie Cinq «coupables» du meurtre deNemtsov, toujours pas de commanditaire

Accusés d’avoir organisé et exécuté le meurtre de l’opposantBoris Nemtsov, abattu de quatre balles dans le dos en 2015 toutprès des murailles du Kremlin, cinq hommes originaires desrépubliques musulmanes de Tchétchénie et d’Ingouchie ontété reconnus «coupables» par une cour d’assises de Moscou.«On ne peut pas dire que nous sommes satisfaits du verdict. Iln’y a ni l’organisateur ni le commanditaire», a toutefois dé-noncé Vadim Prokhorov, l’avocat de la famille Nemtsov, pourqui ce procès est une parodie de justice.

Theresa May La confiance de justesse

Le gouvernement conservateur de Theresa May, divisé parle Brexit et fragilisé par son revers aux législatives, a obtenujeudi, de justesse, la confiance du Parlement britannique grâceau soutien des ultraconservateurs nord-irlandais du DUP.Par 323 voix pour, les députés de la Chambre des communesont adopté le programme législatif de Theresa May, 309 élusayant voté contre, soit une très courte majorité de 14 voix. Lacheffe du gouvernement avait écourté un déplacement à Ber-lin, où elle préparait le prochain G20 avec d’autres dirigeants,afin de rentrer dans les temps à Londres pour pouvoir prendrepart au vote.

3 ansC’est ce qu’il reste àl’humanité pour enta-mer la réduction desémissions de gaz à ef-fet de serre, sous peinede ne pouvoir maintenirle réchauffement sousles 2°C fixés par l’accordde Paris, selon un appelde six experts publiédans la revue Nature.Ces trois climatologues,deux experts du dévelop-pement durable ainsique l’ancienne responsa-ble climat de l’ONUChristiana Figueres, ap-pellent les dirigeants duG20 au volontarisme lorsde leur sommet de Ham-bourg en juillet. D’ici2020, les énergies renou-velables devront fournirau moins 30% de l’élec-tricité mondiale, rappel-lent-ils, entre autres re-commandations.

Les fantômes de la tragédierwandaise sont de retour.Mercredi, le magazine XXIpubliait une enquête accu-sant des responsables fran-çais d’avoir réarmé les for-ces génocidaires alorsqu’elles fuyaient le Rwandaaprès avoir exterminé lestrois quarts de la minoritétutsie.Jeudi, trois associations,Sherpa, le Collectif des par-ties civiles pour le Rwanda(CPCR) et Ibuka, ont an-noncé avoir déposé la veilleune plainte auprès du tribu-nal de grande instance deParis contre la banque BNPParibas pour «complicité degénocide» et «crimes contrel’humanité». Le même jour,l’association Survie a réac-tivé une plainte contre plu-sieurs responsables politi-ques et militaires français.C’est bien la plainte contrela BNP qui est inédite.Les faits sont pourtantconnus depuis longtemps:les massacres démarrentle 7 avril 1994, orchestréspar un gouvernement quiorganise l’extermination,tout en faisant face à uneguerre contre la rébellion àdominante tutsie du Frontpatriotique rwandais (FPR).

Le 17 mai, après bien destergiversations, l’ONU voteun embargo interdisanttoute livraison d’armes auRwanda. Pourtant, la BNPva autoriser deux transfertsde fonds, le 14 et le 16 juin,pour la Banque nationaledu Rwanda, principale ins-titution bancaire du pays,vers le compte en Suissed’un marchand d’armes, leSud-Africain Wilhelm Ter-tius Ehlers. Montant total:plus de 1,3 million de dol-lars. Qui vont servir à ache-ter 80 tonnes d’armes.Une banque nationale pou-vait-elle accepter les vire-ments vers un marchandd’armes, de la part d’unebanque cliente dans unpays sous embargo sur lesarmes? Certes, l’embargo neportait pas sur les transac-tions financières. Mais àcette époque, les massacresfaisaient tous les jours laune des journaux et on a dumal à imaginer que la BNPait pu agir sans le feu vertdes autorités françaises.Une instruction judiciaire,si elle était lancée, ne man-querait pas de soulever desquestions sur ce sujet. M.M.Article à lire en intégralité surLibération.fr.

Rwanda: la BNPvisée par une plainte

Libération Vendredi 30 Juin 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 13

D étendu et même badin par mo-ments, Benoît Hamon sembleavoir (presque) digéré son échec

historique à la présidentielle. A deuxjours du lancement, samedi à Paris, deson Mouvement du 1er juillet, il évoquel’avenir de la gauche et pose un regardinquiet sur la nature «autoritaire» dupouvoir macronien.D’abord un petit bilan de la prési-dentielle. Au-delà du score (6%), queretirez-vous de votre campagne ?

Elle a eu cette fonction utile de prendrele débat politique au sérieux. D’ailleurs,la première tâche du mouvement qu’onlance est d’interroger la campagne qu’ona menée. Il faut que nous soyons dansl’inventaire permanent pour faire re-monter les résistances et les incompré-hensions vis-à-vis de ce qu’on a dé-fendu, notamment sur le travail. Celanous permet d’affiner notre stratégiepour remporter la bataille culturelle.Après, on ne sait pas à quel moment cela

débouchera électoralement, ni à quelmoment la transformation sociale seramûre, mais notre objectif final est quela majorité sociale qui vit de plus en plusmal du travail devienne une majoritépolitique.Le revenu universel, sujet compliquéà porter, ça vous a collé aux basquescomme un sparadrap…Oui et cela a même été le cas dans monentourage. Mais j’assume. Le revenuuniversel interroge non seulement notre

rapport individuel et collectif au travail,mais aussi les mutations du capitalisme–dont nous voyons qu’il est de moins enmoins dépendant du travail humain. Ilpose enfin la question du financementde nos mécanismes de solidarité princi-palement adossés au travail. A mesyeux, le revenu universel comme latransition écologique placent la gaucheface au défi de la modernité.Résultat : vous êtes apparu commel’utopiste de service. Sympathique

Recueilli parJONATHANBOUCHET-PETERSENet RACHIDLAÏRECHEPhoto ROBERTOFRANKENBERG

Benoît Hamon«Il est

nécessairede sortir

du huis clossocialiste»A la veille du lancement de son

Mouvement du 1er juillet, samedià Paris, l’ex-candidat à la présidentielleprend ses distances avec le PS et tacle

Macron. Pour réinventer la gauche,il revendique toujours les idées qu’il a

portées pendant sa campagne.

POLITIQUE

INTERVIEW

14 u Libération Vendredi 30 Juin 2017

voire pertinent, mais utopique…Au début de la campagne, c’est vrai, dansla seconde phase, moins. En fait, beau-coup de personnes n’avaient pas envied’y croire, car ça venait de la bouched’un socialiste sur le mode: traversez vo-tre désert et on en reparle après si vousêtes vivants. D’autres m’ont caricaturéen disant que je voulais la fin du travail.N’avez-vous pas trop parlé de la raré-faction du travail et pas assez desemplois d’aujourd’hui et de demain?

Ce fut un des défauts de ma campagne.En parlant revenu universel, j’ai donnéle sentiment d’oublier la question del’emploi sur laquelle nous avons étéinaudibles. C’est bien sûr ma responsa-bilité. Si j’ai pu donner l’impression derester dans ma zone de confort, c’est queje croyais qu’il fallait tenir le cap perti-nent à long terme d’une transformationradicale de notre modèle de développe-ment et de notre rapport au travail. Ils’agit de décider si nous maîtrisons ousubissons l’incroyable transformationdu travail qui s’opère grâce ou à cause dela révolution numérique.Il y a aussi eu les bisbilles avec Mé-lenchon, l’accord avec les écolos…Il me semblait que dans ma situation decandidat d’un parti malmené dans l’opi-nion, ma seule option était de faire unecampagne fertile. Elle l’a été sur le plandes idées, l’idéal aurait été qu’elle soitégalement féconde électoralement. Etcomme je ne voulais pas que ma campa-gne soit rattachée au quinquennat deHollande, j’ai vécu trois semaines infer-nales avec le gouvernement. Tout lemonde me dit que le va-et-vient avecMélenchon a été interminable, c’est vraiqu’on l’a laissé un peu trop manœuvrer.Mais le plus dur, c’est que chaque jour legouvernement voulait des preuvesd’amour. On nous a mis au supplice derevendiquer en bloc le bilan du quin-quennat, celui qui a servi d’armature audiscours des socialistes aux législatives.Avec votre Mouvement du 1er juillet,qu’entreprenez-vous ?L’idée, c’est de lancer, en sortant de ladictature de l’urgence, un mouvementqui fonctionnera et délibérera vraimentde manière horizontale et collective.J’identifie trois grands chapitres de ré-flexion: le changement de notre modèlede développement qui ne peut plus êtreindexé sur la seule croissance du PIB;les mutations du travail; et la questiondémocratique qui nous interroge sur lepouvoir réel des citoyens à peser sur leschoix les concernant, jusque dans leurentreprise. L’autre fonction importantedu mouvement sera d’être un initiateur,une des poutres, des états généraux dela gauche. Posons pour de bon les basesd’une maison commune ouverte à tousceux qui se disent encore de gauche!Le PS, c’est un concurrent ou uninterlocuteur ?Un interlocuteur, j’allais dire parmid’autres. Nous, on ouvre un espace,après qui veut vient, mais il est néces-saire de sortir du huis clos socialistepour que cent bourgeons fleurissent.On sait vos désaccords avec Macron,mais lui faites-vous crédit d’avoirépargné au pays le thatchérismede Fillon ?Avec la loi travail qu’il nous prépare, onva avoir une casse sociale que la droiten’aurait même pas osé entreprendre.Maintenant, là où Macron a raison, ilfaut le reconnaître, c’était dans sa dé-nonciation de l’imposture du clivagedroite-gauche tel qu’il était jusqu’iciinterprété. La loi El Khomri aurait pus’appeler la loi Woerth. Les uns et lesautres surjouent les différences lors desélections, mais s’inscrivent dans lemême agenda libéral où il faut «fairesauter les verrous» sociaux qui seraientautant de freins à l’emploi. Tout cela estprofondément idéologique. Le vrai re-proche qu’on peut se faire, c’est d’avoirentretenu si longtemps l’illusion qu’ausein du PS, entre l’aile sociale-libérale etcelle plus solidaire et redistributive, il y

avait encore un projet commun. UnJean-Marie Le Guen n’a rien à voir parexemple avec un Matthias Fekl: Macronn’a fait que dénoncer cette réalité, maisles Français le savaient déjà.Ça nous amène à Manuel Valls, quivient de quitter le PS pour un stra-pontin chez LREM…J’ai entendu qu’il a dit «le PS m’a quitté».[Il sourit].Où vous situez-vous par rapport auPS ? A l’intérieur, à l’extérieur ?La réponse à cette question est secon-daire. Ce que je peux vous dire, c’estqu’on ne lance pas un courant du PS.Le PS, c’est un piège ?Je n’ai pas dit ça. Mais quand le parti ditse situer dans l’opposition à Macron etlaisse la porte ouverte à l’abstention surle vote de la confiance au gouverne-ment, ce n’est pas clair. C’est le genred’entre-deux symptomatique du PS telqu’il est devenu. En l’état, il faut le dire,certains socialistes s’accommoderaientd’une situation où le PS jouerait les sup-plétifs de Macron, une sorte de PRG,avec une histoire glorieuse qu’on com-mémorerait mais avec un présent dé-pendant des faveurs du nouveau pou-voir. Je redoute beaucoup cetteperspective. Aujourd’hui, mon engage-ment principal sera donc d’abord dansle Mouvement du 1er juillet.On dit souvent que la France sedépolitise, comment lutter ?Je suis content que le Mouvementdu 1er juillet s’inscrive dans un proces-sus de repolitisation plus large. La for-mation des cadres, la «conscientisa-tion», la bataille culturelle, tout celarevient au premier plan. C’est une desmatrices de notre initiative et du site in-ternet dont la première version va voirle jour samedi. Il sera construit autourde cinq chapitres (écologie, travail, dé-mocratie, finance, guerre et paix) eux-mêmes décomposés en trois parties :des ressources sur le sujet (des textes,des sons, des vidéos), un espace pour lesdiagnostics et enfin une zone pluscollaborative consacrée aux solutionsproposées.Un autre enjeu pour le mouvementque vous lancez, c’est d’être présentdans le débat public…Ou même mieux de provoquer le débatsur des questions délibérément mainte-nues sous la toise, comme nous l’avonsréussi sur les perturbateurs endocri-niens. Sur les néonicotinoïdes, sourced’un couac au gouvernement, on voitbien que l’affaire est loin d’être finie. Ellerévèle l’influence de certains lobbys pri-vés sur les rédacteurs des projets de loidu gouvernement Philippe. Avec cer-tains députés qui viennent d’être élussous les couleurs LREM, je fais le pariqu’on va voir jaillir comme jamaisdes amendements rédigés directementpar les lobbyistes des plus grands inté-rêts, bancaires, pharmaceutiques, agro-alimentaires.Vous ne croyez pas au vent d’air fraisqui soufflerait sur l’Assemblée, avecdes femmes en nombre, moins decostumes gris et un hémicyclerajeuni ?Il y aura de bonnes surprises, des hom-mes et des femmes qui vont se révéler,je n’en doute pas, mais ça ne suffira pasà résumer le moment.Et Macron, il est bon ou pas ?C’est toujours plus facile d’être bonquand tout le monde a envie de vousdire que vous l’êtes. Par ailleurs, je merappelle de ces enquêtes d’opinion dans

lesquelles une majorité de Français di-saient avant la présidentielle que laFrance a besoin d’une figure autoritaireà l’Elysée. Macron s’inscrit dans ce con-texte et il faut reconnaître que tout cequ’il fait, il le fait avec méthode et habi-leté. Mais il n’en reste pas moins un libé-ral-autoritaire. Ce que beaucoup à gau-che redoutaient dans Valls, qui incarnaitagressivement cette synthèse, ils vontl’avoir avec un Macron souriant. Ce quise met en place, c’est un pouvoir autori-taire, hypercentralisé et concentré dansles mains d’un hommeet de quelques-uns deses obligés, où les inté-rêts des oligarques sontau premier plan. Toutcela témoigne d’uneconception rétrécie dela République et dé-bouchera sur une dé-mocratie appauvrie.Mais à un moment,cette hyperconcentra-tion du pouvoir va en-trer en collision avecles Français, avec leursdifficultés, avec le réel.Il va forcément y avoir,ça et là, en l’absence decontre-pouvoirs légiti-mes, forts et reconnus, sans que ce soitprévisible et donc contrôlable, des rébel-lions, des jacqueries…Ce qui viendra justifier la tentationautoritaire que vous décrivez…Comme vous dîtes. Sur l’état d’urgence,sur les réfugiés, sur l’ampleur de la cassedu code du travail, sur l’affaiblissementde tous les contre-pouvoirs démocrati-ques, les signaux envoyés sont très né-gatifs. C’est la nature de ce pouvoir quiest en question, car il est générateur deviolences. Pas de quoi me réjouir, maisde quoi motiver ceux qui veulent prépa-rer une nouvelle société moins indivi-dualiste, plus solidaire, démocratiqueet écologique. •

«Macron reste unlibéral-autoritaire.Ce que beaucoup àgauche redoutaientdans Manuel Valls,

qui incarnaitphysiquementcette dérive, ils

vont l’avoir avec unMacron souriant.»

Avec

la chronique

food

de Jacky Durand

LA MATINALE DU SAMEDI. 7H – 9H

CarolineBroué

L’espritd’ouver-ture.

franceculture.fr/ @Franceculture

Enpartenariatavec

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Benoît Hamon,jeudi à Paris.

Libération Vendredi 30 Juin 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 15

Sondage réalisé par Viavoice pour Libération. Interviews e�ectuées en ligne du 23 au 26 juin 2017. Echantillon de 1 011 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus.

68 %

Plus précisément, diriez-vous que vous êtes plutôt favorable ou plutôt opposé... ?

Diriez-vous que vous êtes plutôt favorable ou plutôt opposé aux mesures prévues concernant l'évolution du droit du travail (contrats de travail, pénibilité, modalités de licenciements) ?

Pensez-vous que cette réforme du droit du travail, visant à adapter le code du travail selon la situation et les réalités des entreprises... ?

A ce que le dirigeant d'entreprise puisse convoquer un référendum auprès des salariés pour modi�er les conditions de travail, en cas d’opposition des syndicats

A ce que chaque entreprise puisse introduire dans les contrats de travail des dispositions spéci�ques en matière de conditions de travail

A des «CDI de projets», qui pourraient être conclus le temps d'un projet professionnel, d'un chantier, etc.

Au plafonnement des indemnités prud’homales en cas de licenciement abusif

Pro�tera surtout aux grandesentreprises et aux actionnaires

Va dans le sens des e�ortsdemandés par l'UE à la France

Aura un impact positif pourl'économie et pour l'emploi

Pro�tera aux chômeurset aux jeunes

Plutôtfavorable

Nonréponse

Plutôtopposé

Oui,plutôt

Nonréponse

Non,plutôt pas

Non,pas du tout

Oui,tout à fait

FAVORABLE

OPPOSÉ

Ne sait pas / Ne connaît pas

assez pour se prononcer

54 %

45 %

37 % 48 %

39 %

21 %

18 %

Sympathisantsde gauche

(LO, NPA, PCF, FI)

12 %

17 %

71 %

65 %

25 %

47 %38 %

48 %40 %

33 %52 %

Sympathisantsde gauche

(PS, PRG, EELV)

28 %

29 %

43 %

Sympathisantsdu centre

(LREM, MoDem)

75 %

18 %

7 %

Sympathisantsde droite(LR, UDI)

52 %

26 %

22 %

Sympathisantsdu Front national

14 %

28 %

58 %

Prochesd’aucun parti

16 %

54 %

30 %

TOTAL

31 %

33 %

36 %

C’ est peu dire que lesFrançais sont parta-gés sur la réforme

actuelle du code du travail.Selon notre sondage Via-voice, ils se divisent mêmeen trois tiers: 31% «plutôt fa-vorables» au projet du gou-vernement, 36% «plutôt op-posés», et 33% renoncent à seprononcer, faute de connais-sance suffisante du dossier–en partie dévoilé par le gou-vernement mais la versiondéfinitive du texte est atten-due pour septembre. Motif

de satisfaction, cependant,pour l’exécutif: en mars 2016,plus des deux tiers (70%) dessondés se prononçaient con-tre la réforme El Khomri, quidéjà s’était attaquée, et dansde moindres proportions, audroit du travail.Par familles politiques, etsans grande surprise,seuls 21% des sympathisants«de gauche» se prononcenten faveur de la réforme Péni-caud, dont 12% uniquementpour la «gauche antilibérale»et 28% pour la «gauche réfor-

miste». C’est au centre (Mo-dem, La République en mar-che) que le plébiscite est leplus fort, avec 75 % de per-sonnes approuvant laréforme. A droite, une courtemajorité (52%) des sympathi-sants LR et UDI se disent fa-vorable au projet, mais seule-ment 14 % deceux du Frontnational.Dans le détail, l’une des me-sures les plus populairesreste le référendum d’entre-prise à l’initiative de l’em-ployeur pour valider un ac-cord auquel s’opposent lessyndicats : les sondéssont 65% à l’approuver, con-tre 25% contre. Moins nom-breux mais toujours favora-bles, ils sont aussi 47 % à sedire d’accord avec le «CDI deprojet», conclu le tempsd’une mission ou d’un chan-tier et au terme duquel le sa-

larié serait licencié, con-tre 38 % qui se déclarent«plutôt opposés». Un disposi-tif déjà existant dans certainssecteurs, notamment dans lebâtiment et l’ingénierie, maisque le gouvernement sou-haite étendre.Le plafonnement des indem-

nités prud’ho-males en cas delicenciement

abusif, retiré de la loiEl Khomri sous la pressiondes syndicats, est en revan-che repoussé par 52 % despersonnes interrogées, con-tre 33% pour.Quant aux catégories qui pro-fiteront de la réforme, lesFrançais ne semblent pas sefaire d’illusions : pour68% des sondés, elle bénéfi-ciera avant tout «aux entre-prises et aux actionnaires».Elle va aussi, pour 54 % dupanel, «dans le sens des efforts

demandés par l’Union euro-péenne à la France». Parailleurs, seule une majoritérelative (45%) considère quele projet de l’exécutif aura «unimpact positif pour l’économieet l’emploi». Et seuls 37 %(contre 48%) estiment que laréforme «profitera aux chô-meurs et aux jeunes».Signe, enfin, que le gouver-nement avance pour l’instantde façon très discrète sur lesujet, deux tiers des person-nes interrogées ont «vague-ment» entendu parler de laréforme et 9% n’en ont même«pas du tout entendu parler».A l’arrivée, seules 22% d’en-tre elles ont suivi de façon«précise» le projet de l’exécu-tif. Une méconnaissance quitouche aussi celle qui porte laréforme –la ministre du Tra-vail, Muriel Pénicaud –que 62 % des sondés disentne pas connaître. •

PRÉSIDENTIELLE

La loi travail sauce Macrontièdement accueillie

La réforme encours, mal connuedes Français,est surtoutapprouvée parles sympathisantsdu centre et de ladroite, selon notresondage Viavoice.

ParLUC PEILLON

LE SONDAGE

Mise en garde Dans son avis remis jeudi sur le pro-jet de loi d’habilitation à réformer par ordonnances lecode du travail, le Conseil d’Etat alerte sur la «succes-

sion rapide» de normes législatives qui représente «un facteur d’infla-tion législative et d’instabilité du droit du travail auxquelles le projet aprécisément pour ambition de remédier». Il attire donc l’attention dugouvernement «sur les conséquences d’un tel choix en termes de hié-rarchie des priorités, de calendrier et de temps nécessaire à la prépara-tion de ces différentes réformes».

LIBÉ.FR

16 u Libération Vendredi 30 Juin 2017

Baromètre Viavoice-«Libération»Le couple exécutif progresse dans

l’opinion selon notre baromètre politique.Emmanuel Macron gagne 4 points en unmois (53 % d’opinion positive) et Edouard

Philippe 13 points. Parmi les ministres,Nicolas Hulot reste le plus populaire. (Laquestion posée étant : «Avez-vous plutôt

une bonne ou une mauvaise opinion de...»)

Emmanuel Macron ne ferapas l’erreur de son prédéces-seur: le chef de l’Etat ne vapas se gêner pour noircir letableau financier du pays etrendre responsable l’équipegouvernementale précé-dente des futures mauvaisesnouvelles –équipe dont il apourtant étémembre jus-qu’à la finaoût 2016… Pour chargerla barque, l’exécutif va pou-voir s’appuyer sur l’auditdes finances publiques de laCour des comptes, com-mandé par le Premier minis-tre, Edouard Philippe, dèsson arrivée à Matignon et re-mis jeudi par son président,Didier Migaud. Les motssont très durs: «errements»,«biais de construction», «des«textes financiers [le projetde loi de finances pour 2017et le programme de stabi-lité 2017-2020 transmis àBruxelles, ndlr] manifeste-ment entachés d’insincéri-tés»… Alarmiste, la Cour descomptes appelle le gouver-nement à prendre «des me-sures fortes de redressement»s’il compte tenir son engage-ment européen de retourau 3% des déficits publics.Cela veut dire trouver 4 à5 milliards d’euros d’ici la fin

de l’année ou 8 milliardssi l’exécutif veut atteindreles 2,8% prévus par le précé-dent exécutif.Les magistrats de la rueCambon reprochent auprécédent gouvernementd’avoir été trop optimistedans ses prévisions. Pour

eux, les recet-tes, notam-ment les ré-

gularisations fiscales et leretour de certains avoirs àl’étranger, ont été «suresti-mée[s]» de 2 milliards et lesdépenses «manifestementsous-évaluées». Parmi les mi-nistères visés: l’Agriculture,le Travail, la Défense, l’In-sertion et l’Egalité des chan-ces… Michel Sapin et Chris-tian Eckert, respectivementministre de l’Economie etsecrétaire d’Etat du Budgetde Hollande, ont réponduque «chaque année de-puis 2014, les engagementseuropéens de la France ontété tenus au prix d’efforts im-portants mais nécessaires».Les magistrats proposentdes «mesures significativesde redressement à mettre enœuvre rapidement». Elle re-commande pour 2017 une«gestion rigoureuse […] dèsle second semestre» avec«des annulations de crédits»

pour «les programmes mani-festement sous-budgétés».Pour 2018, elle réclame«un effort d’économies sansprécédent» : «Si l’effort endépenses était équivalent àcelui effectué entre 2011et 2016, le déficit 2018 ne seréduirait pas mais seraitseulement stabilisé au ni-veau atteint en 2017.»D’abord dramatiser la situa-tion. Edouard Philippe a dé-noncé jeudi un «dérapageinacceptable». Il s’est en-gagé «à contenir le déficità 3% dès cette année». «Nousne le ferons pas en augmen-tant les impôts, a-t-il assuré,nous le ferons par des mesu-res d’économies», qu’il va«précise[r]» le 4 juillet de-vant les parlementaires àl’occasion de sa déclarationde politique générale.En 2012, Jean-Marc Ayraultavait souhaité s’appuyersur l’audit de la Cour descomptes pour accuser l’èreSarkozy de l’état du pays.Hollande avait alors refusé.Alors qu’il a pourtant parti-cipé à la précédente majo-rité, Macron le fait oublieren laissant un Premier mi-nistre et deux ministres dedroite à Bercy faire le boulotingrat de grands argentiers.

LILIAN ALEMAGNA

Pour torpiller Hollande, l’exécutifutilise la Cour des comptes10

c’est le nombre demots, sur un total de5 600, prononcés pardes femmes – en l’oc-currence une seule – àl’Assemblée lors de laséance de mercredipour l’élection des vice-présidents et des ques-teurs, et la nominationdes secrétaires de laChambre basse. On lesdoit à Marie-ChristineDalloz (LR). Elle a pudire: «C’est vrai!», «On yest !», «Très bien !» et en-core «Très bien!» Soit untaux de parole fémininede 0,0018%, pour 39% defemmes à l’Assemblée, acalculé le site d’info lesNouvelles News. «Logi-que»: la plupart des motsprononcés le furent parle président de l’Assem-blée, François de Rugy, etpar les chefs de groupe.Tous des hommes.

Sondage réalisé par Viavoice pour Libération. Interviews e�ectuées en ligne du 23 au 26 juin 2017. Echantillon de 1 011 personnes, représentatif de la population française de 18 ans et plus.

BonneMauvaiseNon-réponse

Ne connaît pas cette personnalité53 % 27 %

Emmanuel Macron président de la République

Edouard Philippe Premier ministre

Gérard Collomb ministre de l'Intérieur

Nicolas Hulot ministre de la Transition écologique et solidaire

Bruno Le Maire ministre de l'Economie et des Finances

J.-Y. Le Drian ministre de l'Europe et des A�aires étrangères

Muriel Pénicaud ministre du Travail

Jean-Michel Blanquer ministre de l'Education nat.

Gérald Darmanin ministre de l'Action et des Comptes publics

Annick Girardin ministre des Outre-Mer46 % 25 %

68 % 17 %Laura Flessel ministre des Sports55 % 8 %

49 % 16 %

37 % 32 %

33 % 18 %

18 % 12 %

14 % 10 %

14 % 12 %

13 % 14 %

DAMIEN ABADdéputé LR,sur LCP

Le pataquès continue à l’Assemblée autour de l’attributiondes postes clés, sur fond de rivalité entre les députés LRet les députés de droite «constructifs», qui soutiennent Ma-cron. Ces derniers ont fait élire un des leurs (Thierry So-lère) au poste de questeur. L’opposition parlementaire s’in-quiète du respect de ses droits. Lire notre récit sur Libération.fr

AFP

«Deuxième jourà l’Assemblée

nationale, premierdéni de démocratie.»

Deux smartphones, une horlogeet Macron en photoVoici donc la photo officielle du nouveau président de laRépublique, dévoilée jeudi sur le compte Twitter d’Emma-nuel Macron. Outre un chef de l’Etat, on peut y observerdes drapeaux (français et européen), des livres (de Gaulle,Stendhal et Gide), des téléphones portables (deux) et desalliances (deux également). La photo a été prise samedi àl’Elysée par Soazig de la Moissonnière, photographe offi-cielle du Président. A observer la pendule en arrière-plan,il sera donc 20h20 pendant au moins cinq ans dans lesmairies et écoles françaises. On y revient plus longuementdans notre chronique Regarder voir dans Libé samedi.PHOTO SOAZIG DE LA MOISSONNIÈRE. AFP

AU RAPPORT

Beaucoup de faste pour ser-vir la com présidentielle,«dérive monarchique», mau-vaise manière faite au Pre-mier ministre… Plusieursparlementaires comptentboycotter le Congrès de Ver-sailles devant lequel Emma-nuel Macron doit s’exprimerlundi. C’est la décisionqu’ont ainsi prise en bloc lesdéputés de La France insou-mise. Un «signal d’alertefort», contre ce que Jean-Luc Mélenchon appelle «lamonarchie pharaonique pré-sidentielle», explique le pré-sident du groupe à l’Assem-blée. Invoquant notammentle délai très court (jusqu’àlundi 17 heures) dont dispo-sent les députés pour dépo-ser leurs amendements surla loi d’habilitation sur les

ordonnances pour réformerle code du travail, Mélen-chon prévient: «La violenceque nous avons subie ne peutpas rester sans réplique,nous la retournons contreceux qui nous la font subir.Nous nous rebellons et nousn’irons pas.» Avec ses collè-gues, il réfléchit à une ma-nière de marquer leur pro-testation au moment duCongrès, peut-être un ras-semblement place de la Ré-publique à Paris.Les parlementaires commu-nistes ont eux aussi prévude bouder le Congrès, «unemascarade qui infantilisele Parlement», s’agace le dé-puté Pierre Dharréville. Leurparti appelle à un rassem-blement lundi à Versaillesdu «tiers état». Depuis la

révision constitutionnellede 2008, le président de laRépublique peut s’exprimerdevant les sénateurs etdéputés réunis en congrèsdepuis l’aile du Midi, oùles présidents de chaquegroupe parlementaire peu-vent s’exprimer à tour derôle, sans procéder à unvote. Nicolas Sarkoy l’a fait àl’été 2009, puis FrançoisHollande après les attentatsde novembre 2015. Mais c’estla date choisie par Macronqui a choqué l’opposition :en tout début de mandat etsurtout la veille de la décla-ration de politique généraleque doit prononcer EdouardPhilippe à l’Assemblée. Unefaçon d’éclipser son Premierministre et de le reléguer aurang de «simple répétiteur»,

dixit Olivier Faure, chef defile des députés socialistes.Au sein de son groupe, seulRégis Juanico a pour l’heureannoncé qu’il sécherait lecongrès. Les UDI PhilippeVigier et Jean-ChristopheLagarde feront de même.Du côté du groupe LR, trèséchaudé par le pataquèsautour de la répartition despostes clés, les députés ontdiscuté de la possibilité deboycotter le Congrès pourprotester contre «les droitsde l’opposition bafoués».Mais l’option n’a pas été re-tenue. «Pas partisan de lapolitique de la chaise vide»,le député Guillaume Larrivédénonce tout de même «unebizarrerie institutionnelleet une tentation impériale»d’Emmanuel Macron. L.E.

Des élus boycottent la «mascarade» de Versailles

Libération Vendredi 30 Juin 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 17

Patrick Cohen,à France Inter,le 25 novembre.PHOTO JULIENMIGNOT

A près sept ans sur les ondes,Patrick Cohen anime cevendredi sa dernière mati-

nale à France Inter. Cet événementmédiatique promet d’accoucherà l’antenne de «séquences émotion»poignantes, avec larmes, remercie-ments et trémolos vocaux de rigu-eur dans un tel moment.Rien d’illégitime: le journa-liste, qui ne souhaite pass’exprimer avant la fin de la saison,achève son règne à la tête du 7-9 àun niveau d’audience record, quicontribue grandement au succèsglobal de la radio publique. Selonla dernière vague Médiamétrie,son carrefour d’info est écouté enmoyenne par 1,95 million d’audi-

teurs chaque jour –200000 de plusque RTL, leader du marché toutestranches horaires confondues –avec des pics allant au-delà des2,3 millions. «Patrick est un extraor-dinaire professionnel, qui arrive lematin en ayant déjà tout lu et toutvu, salue Laurence Bloch, la direc-trice d’Inter. Je ne sais pas s’il existeun autre journaliste aussi journa-liste, aussi soucieux du réel.» Ce ven-

dredi, une pluie d’homma-ges de ce genre devrait êtredéversée sur l’intéressé.

Pourtant, dans les couloirs d’Inter,notamment au sein de la rédaction,ça grince un peu. Parce que «Patco»ne fait pas que se retirer de la mati-nale : il s’en va pour prendre encharge celle d’un concurrent direct.A la rentrée, Cohen sera la figurede proue de la nouvelle Europe 1.

A la place de Thomas Sotto, sur ledépart, il occupera une trancheélargie de 7 heures à 9h30, dont ilmènera la grande interview politi-que et qu’il terminera par une demi-heure axée sur la culture. Le journa-liste, qui siégera au comité exécutifde la station du groupe Lagardère,héritera, en outre, d’un titre de di-recteur qui reste à préciser maisne fera pas de lui le patron de l’in-formation de sa nouvelle maison–la fonction est difficilement com-patible avec celle de matinalier.

«Haut de gamme»Tombée très bas en audience,à 4,2 millions d’auditeurs quoti-diens (contre 6,3 millions pour In-ter), Europe 1 est relancée à grandsfrais par son actionnaire, ArnaudLagardère, sous la responsabilité

de deux hommes recrutés eux aussià Radio France : Frédéric Schle-singer, ancien numéro 2 de la Mai-son ronde, et Emmanuel Perreau,ex-directeur adjoint de France Inter.En refonte quasi-totale, Europe 1anime en cette fin de saison le«mercato» des médias, qui n’a pasl’habitude d’être aussi agité dans laradio que dans la télévision.Pour l’instant muets, Schlesinger etPerreau n’ont pas dévoilé leur fu-ture grille des programmes. Mais,à force d’indiscrétions, on en con-naît déjà les temps forts. Deux sur-vivants de la saison en cours serontreplacés aux moments stratégiquesde la fin d’après-midi et du débutde soirée: Christophe Hondelattede 17 heures à 19 heures et FrédéricTaddéi de 19 heures à 21 heures.Le premier partagera sa tranche

entre du récit d’actualité et de l’infopure et dure, le second entre dudébat de société et du magazineculturel. Avec Patrick Cohen, «cestrois gros talents de radio, ces troisfortes personnalités» traduisent lavolonté de la nouvelle directiond’aller vers «une offre plus haut degamme», selon une source au faitdu sujet. «C’est le positionnementhistorique de la radio. Il s’agit de re-faire Europe 1 et d’arrêter de fairedes déclinaisons de RTL à telleheure, de RMC à telle heure et d’In-ter à telle autre.» A ce jeu-là, elle de-vrait cependant plus ressembler àFrance Inter qu’aux populaires RTLet RMC, dont les grilles devraienttrès peu bouger à la rentrée.Cette politique éditoriale pourraitentraîner les départs d’AlessandraSublet, de Nikos Aliagas et d’Anne

RÉCIT

ParJÉRÔME LEFILLIÂTRE

MERCATO RADIOCohen

provoqueun effetdominoLe journaliste présente

ce vendredi sa dernière émissionsur France Inter avant de rejoindre

à la rentrée la station privée.Ce débauchage du matinalier

le plus écouté de Francedoit permettre à Europe1de relancer ses audiences.

FRANCE18 u Libération Vendredi 30 Juin 2017

Roumanoff. On sait également queNatacha Polony ne sera pas recon-duite à la revue de presse et queNicolas Poincaré sera transférédu 18-20 au week-end. En revanche,Maxime Switek, qui présente latranche d’info du midi, devrait pas-ser l’été, de même que le philosopheRaphaël Enthoven, chroniqueurde la matinale, Franck Ferrand, quicartonne avec son émission d’his-toire, et Thomas Thouroude, quipourrait atterrir en milieu d’après-midi ou en soirée. L’ex-journalistesportif de Canal+ laissera son 10-12à la seule recrue officialisée à ce jourpar Europe 1, Daphné Bürki. L’an-cienne présentatrice de la NouvelleEdition sur C8 proposera sur la sta-tion de Lagardère «une émissiond’actu décalée, de culture et de viequotidienne», d’après un proche des

nouveaux patrons, qui sont encoreloin d’avoir finalisé le contenuprécis de la matinale de Cohen.Quid, par exemple, de l’actuel inter-vieweur politique, Fabien Namias?

«Juste de la dentelle»Du côté d’Inter, Laurence Bloch, quiavoue avoir été «sidérée» par les dé-parts de Cohen et Perreau («Nousavions des rapports personnels etprofessionnels très forts», dit-elle),a annoncé qu’elle confierait la mati-nale à un tandem composé de Nico-las Demorand et Léa Salamé. Com-ment le duo s’organisera-t-il? «Ony travaille», répond la directriced’Inter, qui a prévu de partir en va-cances fin juillet seulement. Il sem-ble que Salamé, actuellement encharge de l’interview de 7h50, ga-gnera du temps d’antenne en parti-

cipant aussi à celle de 8h20. Maisl’animateur effectif de la tranche– «l’anchorman», dans le jargon –devrait être Demorand. Le journa-liste connaît bien le job pour l’avoirexercé entre 2006 et 2010, avant leseptennat de Cohen. Il retrouverades chroniqueurs qui étaient déjàlà à l’époque : les éditorialistesThomas Legrand, Dominique Seuxet Bernard Guetta. Rebecca Man-zoni (musique), Charline Vanhoe-nacker (humour) et Hélène Jouan(revue de presse) seront encore dela partie en septembre.«L’architecture de la matinale ne vapas bouger, ce sera juste dans la den-telle, assure Laurence Bloch. C’estplutôt le traitement de la politiqueque nous devons repenser.» Malgréle départ de Cohen, la directricede la station a l’objectif ambitieux

de continuer à faire progresserl’audience: «On peut toujours fairemieux et il faut s’y efforcer.» En an-née post-électorale, moins favo-rable pour une généraliste commeInter, la tâche ne sera pas aisée.

Renouveler largementLa station pourra s’appuyer, le restede la journée, sur la solidité de lagrille déjà en place, qui ne bougerapas. Toutes les émissions serontreconduites, avec les mêmes têtes(Augustin Trapenard, SoniaDevillers, Nagui, Laure Adler…),ou presque : perdant Demorand,la tranche 18-20 heures, qui sedécompose en une émission d’ac-tualité internationale et l’historiqueTéléphone sonne, sera confiée à Fa-bienne Sintes. Ex-correspondantede Radio France aux Etats-Unis,

cette journaliste animait depuisquelques années, avec succès, lamatinale de France Info –qui pa-riera à la rentrée sur Bruce Tous-saint pour la remplacer.Pas de bouleversement à FranceInter, donc ? Si, mais il devrait seconcentrer sur la programmationdu week-end, que Laurence Blochest décidée à renouveler largement.En interne, tout le monde tient pouracquis que la matinale sera confiéeà Eric Delvaux. Beaucoup d’émis-sions ne reviendront pas, commecelle du dimanche consacréeà la photo, Regardez voir. Le pro-gramme musical du samedi d’AndréManoukian est lui aussi menacé.Laurence Bloch ne veut pas com-menter davantage. «Sur le sujetdu week-end, je n’ai pas encore lesidées claires.» •

Selon sa directrice, Laurence Bloch,son passage à la matinale d’Inter entre2006 et 2010 a laissé un «souvenir im-périssable» aux auditeurs. Parti de lastation au plus haut de sa réputation,Demorand, 46 ans, s’est égaré les an-nées suivantes, à Europe 1 puis à la di-rection de Libé. Depuis son retour aubercail en 2014, ce vrai mec de radio

a mis tout le monde d’accord avec la qualité de ses émis-sions, ses audiences et sa facilité à l’antenne.

NICOLAS DEMORANDRETOUR À LA MATINALE D’INTER

Pépouze, le journaliste le plus bon-homme du PAF trace sa route sur la1ère radio de France. Bien que distancépar Cohen sur Inter, la direction deRTL maintient sa confiance à cettebrute de travail. Profitant d’un effet destabilité, Calvi, 57 ans, va avoir l’occa-sion de refaire son retard avec le chan-gement de taulier à France Inter. At-

tention toutefois à ne pas se disperser : Bolloré vient de luiconfier la mission de redresser l’«access» effondré de Canal+.

YVES CALVIQUATRIÈME RENTRÉE À RTL

Cela fait tellement longtemps qu’onvoit sa trombine –et entend son inou-bliable blaze– à la télé tous les jours oupresque qu’on n’avait pas réalisé: l’an-cien journaliste d’iTélé, qui a brillécette année sur France 5, a seulement43 ans. Son retour à l’exercice dela matinale était inattendu, lui quiconfiait à Libération en septembre en

avoir soupé des réveils en pleine nuit. Entre 2011 et 2013, ill’avait pratiqué sur Europe 1, avec des audiences mitigées.

BRUCE TOUSSAINTNOUVEL HOMME DE FRANCE INFO

Au micro de la matinale de RMC de-puis seize ans, l’autodésigné «hommelibre» résiste à l’ambiance dégagistede la France macronienne. Le Gardois,68 ans, est porté par ses bonnesaudiences radio et télé (sur BFM etRMC Découverte). Mi-juin, il a inquiétéses fans en menaçant de «ne pas reve-nir après les vacances», exaspéré par

les tunnels de pub saucissonnant son émission. Un coup demou passager. Bourdin va finir par tous nous enterrer.

JEAN-JACQUES BOURDINSEIZE ANS D’ANTENNE SUR RMC

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FRANCE

Que s’est-il passé le5 novembre 1984chez les Bolle ? Une

chose est sûre: dans la mai-son jaune de Laveline-de-vant-Bruyères (Vosges), oùtoute la famille est alors réu-nie, l’ambiance est oppres-sante. Le journal télévisé ré-sume à lui seul les épisodesde la journée. Gros plan surBernard Laroche, 29 ans,l’époux de Marie-Ange Bolleet cousin germain du père deGrégory. Il est menotté parles gendarmes d’Epinal, ve-nus le cueillir directement autravail, à la fila-ture Ancel.Après un pas-sage éclair dansle bureau du juge Lambert–où, en bleu de travail, il estinculpé pour assassinat – ilest envoyé à la prison Char-les-III sous les cris des ba-dauds scandant «A mort !»Ses proches verront ensuiteapparaître le juge d’instruc-tion, veste en tweed, cravateet pull rouge impeccables. Lemagistrat affiche le visage sa-tisfait de celui qui vient d’élu-cider le «fait divers du siècle»,l’assassinat de Grégory, 4 ans,retrouvé pieds et poings liésdans la Vologne. «Qu’est cequi vous a permis de l’incul-per?» questionne une journa-liste. «Un témoignage capitalet en partie un rapport d’ex-pertise», répond Jean-MichelLambert. «Ce témoignage estcelui de Murielle?» «Exact.» Iln’en dira pas davantage, sedrapant soudain dans le se-cret de l’instruction. Le mal

est fait : la France entière, etparticulièrement la familleBolle, apprend que c’est bienla petite rouquine de 15 ansqui a expédié son beau-frèreen taule.

«Soulagée». Trois joursplus tôt, durant sa garde àvue du 2 novembre, l’adoles-cente a en effet raconté auxenquêteurs que, le jour ducrime, elle se trouvait dans laPeugeot 305 de Bernard La-roche, venu exceptionnelle-ment la chercher à la sortiedu lycée (voir Libérationdu 29 juin). Elle a ainsi as-sisté au rapt de Grégory. Al’époque, les confessions dela môme Bolle prennent toutle monde de court. Contactépar Libération, le capitaineEtienne Sesmat, chargé del’enquête, se souvient: «Je luiai dit: “Est-ce que tu te rendscompte que c’est très impor-tant ?” Elle m’a répondu :“C’est la vérité.”» La jeunefille semble même «déten-due» et «soulagée» après ses

aveux. «On a prisdes précautions.Son témoignageétait conforté

par quatre personnes qui di-sent qu’elle n’était pas dans lebus scolaire ce jour-là», expli-que-t-il.Le juge Lambert, quant à lui,est nettement plus désin-volte. C’est le week-end de laToussaint, il n’est pas presséd’interroger «la petite». Alorsil laisse traîner. «Nous tra-vaillons depuis plus de deuxsemaines, 40 journalistessont en permanence sous nosfenêtres, pour la premièrefois, un témoin direct avoue.Et là, le juge ne daigne pasl’entendre! C’est fou!» s’indi-gne encore Etienne Sesmat.Ce n’est que le 5 novembreque le magistrat reçoit Mu-rielle Bolle et inculpe sonbeau-frère dans la foulée.Alors, ce soir-là, dans le pa-villon Bolle, le «témoin capi-tal» fait plutôt figure de «traî-tre». Surtout aux yeux de

Marie-Ange, qui a un fils de4 ans avec Bernard Larocheet hébergeait Murielle depuisplusieurs mois. «Pourquoi tuas dit ça ? Pourquoi tu as ditça ?» s’exclame-t-elle selonl’arrêt de la chambre d’accu-sation de 1993 avant de «se-couer violemment» sa sœur. Atel point que celle-ci prend lafuite en pleurant et «fait unecrise de nerf». La journalisteLaurence Lacour complète cerécit dans son livre le Bûcherdes innocents : «Elle est rat-trapée en état de choc près dela voie ferrée. […] Sa mèredira plus tard qu’elle voulaitse suicider.»Le lendemain, yeux rougis etvoix tremblante, MurielleBolle se présente au palais dejustice d’Epinal, escortée parle clan au complet. Elle ra-conte aux journalistes cequ’elle s’apprête à livrer aujuge : «Bernard, il est inno-cent.» Ce sont les gendarmesqui l’ont poussée à le mettreen cause, ils l’ont menacée de«maison de correction», dit-elle pour appuyer ses rétrac-tations. Elle n’en démordraplus jamais. Même après lamort de Bernard Laroche,abattu par Jean-Marie Ville-min en 1985, même devant lejuge Simon qui reprend ledossier en 1987, même auprocès de Jean-Marie Ville-min en 1993. Et mêmeaujourd’hui, lors de sa gardeà vue qui a repris mercredi,après un interlude… de tren-te-deux ans.Les gendarmes de la sectionde recherches de Dijon encharge des investigations necroient pas au revirement. Ilssuivent la piste d’un «actecollectif» : Bernard Larocheserait le ravisseur, il aurait

remis l’enfant aux «cer-veaux», les époux Jacob, ac-tuellement mis en examenpour enlèvement et séques-tration suivie de mort. Alors,ils ont abattu leurs cartesface à la suspecte de 48 ans.Selon son avocat Me Jean-Paul Teissonnière, les gen-darmes l’ont confrontée à«quelques témoignages decousins éloignés», à qui elle«aurait dit en sortant desgendarmes [en 1984, ndlr]

qu’elle avait dit la vérité» enincriminant Laroche. L’avo-cat s’indigne: «C’est encore lamême soupe qu’on lui ressort,elle est indigeste.»

«Frénésie d’aveux». Selonune source proche du dossier,les pandores disposent sur-tout d’un témoignage inédit.Celui d’un homme présent cefameux 5 novembre dans lepavillon des Bolle et qui leura confirmé noir sur blanc queMurielle a été molestée par safamille. A l’époque, elle luiaurait aussi confié avoir dit lavérité aux gendarmes sur sonbeau-frère. «Ce témoin est so-lide, il est prêt à aller jusqu’aubout», explique cette sourceà Libération. Trois décenniesplus tard, tous les regards se

tournent donc à nouveauvers Murielle Bolle. Aveccette même question : quesait-elle?Apparemment,plusqu’ellenevoudrait bien le dire, selon laprésidente de la chambre del’instruction de la cour d’ap-pel de Dijon. Jeudi soir, cettedernière a décidé de la mettreen examen pour «enlève-ment». Dès la sortie, MeTeis-sonnière a dénoncé «une fré-nésie d’aveux», «des ragots» etdes «questions pièges». «Il y aun mécanisme qui est terrible-ment pathogène à l’intérieurde ce dossier», s’est-il agacé.Murielle Bolle a été placée endétention provisoire pourquatre jours en attendant ledébat sur une éventuelle re-mise en liberté. •

Affaire Grégory:Murielle Bollemise en examenL’adolescente avait,en 1984, impliquéson beau-frèreBernard Larocheavant de se rétracter.Elle est aujourd’huisoupçonnéed’«enlèvement».

ParJULIE BRAFMAN

Murielle Bolle, le 5 novembre 1984, à Epinal. PHOTO JEAN-CLAUDE DELMAS. AFP

LA FEMMEDU JOUR

Ce soir-là, dans le pavillon Bolle,le «témoin capital» fait plutôt

figure de «traître». Surtout auxyeux de Marie-Ange, qui a un filsde 4 ans avec Bernard Laroche.

Un homme à bord d’un 4 × 4 a heurté les barrières de sécuritéprotégeant la mosquée de Créteil (Val-de-Marne) sans fairede victime parmi les fidèles sortant de l’édifice, jeudi à 18 h 30, a indiqué la

Préfecture de police : «Ne parvenant pas à passer les obstacles, [il] a poursuivi sa course, per-cuté un terre-plein, puis a pris la fuite.» Le conducteur et propriétaire du véhicule a ensuite étéarrêté à son domicile, il n’était ni alcoolisé ni sous l’emprise de stupéfiants. Le préfet de policede Paris, Michel Delpuech, a dit mettre «tout en œuvre» pour que l’enquête puisse «préciserles motivations du conducteur et déterminer sa responsabilité pénale». Selon le Parisien,l’homme aurait dit vouloir «venger le Bataclan et les Champs-Elysées».

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Quand on nesavait plustrop quoipenser del’art contem-porain, deses formes,son système,ses acteurs, iltenait à nosyeux, et sur-tout à ceux de plusieurs gé-nérations d’artistes, le rôled’une boussole, voire d’unmentor. Xavier Douroux,cofondateur et directeur ducentre d’art de Dijon et deses multiples déclinaisons,éditoriales (avec la maisond’édition et de diffusion deréférence Les Presses duRéel) ou cinématographi-ques (avec la société de pro-duction Anna SandersFilms), et on en passe, neperdait jamais le nord, gar-dant intactes une visionconstructive et radicale dela place de l’art dans la so-ciété. Il est mort dans lanuit de mercredi à jeudi dessuites d’une longue mala-die.En 1977, avec la compliciténotamment de FranckGautherot, Xavier Dourouxjette les bases du Consor-tium, incubateur de formes

et d’idées sisaujourd’huidans une an-cienne usiner é n o v é een 2011 parShigeru Ban.A la premièregénérationd’artistes in-vités (Daniel

Buren, Olivier Mosset,Niele, Toroni, Claude, Ru-tault, Christian, Boltanski,Annette Messager…) s’ajou-tent (et non pas succèdent,tant Douroux reste fidèle)celle des Pierre Huyghe,Dominique Gonzalez-Foerster, Philippe Parrenoet puis, notamment unebranche suisse (John Ar-mleder, Olivier Mosset) etune autre new-yorkaise(Dan Graham, Steven Par-rino…)Xavier Douroux, énergiqueau point d’être parfois unpeu sanguin, porté par uneéthique de l’intérêt général,s’était aussi impliqué dansles Nouveaux commandi-taires, qui produisent desœuvres dans l’espace publicen en laissant la responsa-bilité aux citoyens de faire«émerger un art de la démo-cratie». J.L.

Xavier Douroux,un révélateur passé

DISPARITION

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Depuis qu’il n’est plus le «pa-tron des patrons», Yannde Prince, ancien présidentdu Medef de la Réunion,plonge dans les eaux troublesde la polémique et tire à bou-lets rouges sur les pouvoirspublics. Il a déclaré mercredique «les représentants del’Etat ont sciemment exposéla vie des gens à un péril cer-tain», en autorisant la posede récifs artificiels en 2012.Et d’exhumer les annexesd’un arrêté préfectoral dejuillet de cette année, quiposent effectivement ques-tion. On y apprend que «l’ef-fet concentrateur des récifsartificiels […] peut éventuelle-ment conduire […] à la con-centration des prédateurs

naturels de ces espèces,comme les requins côtiers».Pourtant, l’arrêté ajouteque les dispositifs ont étéposés «à proximité deszones de baignades et de surfparmi les plus populaires dela Réunion». Yann de Princeen conclut que des organis-mes de l’Etat «ont pris partà cette situation odieuse etinqualifiable conduisant à ceque des personnes soient atta-quées, mutilées voire tuées».Depuis 2011, 21 attaques derequins, la dernière en avril,ont causé 9 mortsLa vérité est plus complexe.C’est le Comité régional despêches maritimes (CRPM) dela Réunion, instance privée,qui a demandé la pose des ré-

cifs afin d’augmenter ses pri-ses. Les pêcheurs seraient-ilsles vrais responsables? «Desrécifs artificiels, il y en a par-tout dans le monde, rétorqueJean-René Enilorac, prési-dent du CRPM en 2012. AuxAntilles, aux Etats-Unis, auJapon… Où il n’y a pas d’atta-que.» Autre élément: dans lecadre du projet Charc, lancéen 2011 pour étudier le com-portement des requins-bou-ledogues et tigres, plus de80 squales ont été capturés etmarqués, puis suivis via desstations d’écoute sous-mari-nes. L’une d’entre elles étaitinstallée sur un des récifs ar-tificiels incriminés, aux Avi-rons. Résultat, selon l’Insti-tut de recherche pour le

développement: le dispositifde concentration de poissonsa été visité par des requinsdurant 37 heures en deux anset demi, contre 194 heures enmoyenne sur les 53 autresstations. Même s’il est doncdifficile d’imputer la recru-descence des attaques à cetteseule cause, Yann de Princeencourage les Réunionnaisà intenter une action judi-ciaire contre l’Etat. Amauryde Saint-Quentin, nommémercredi préfet de la Réu-nion, ne croyait pas si biendire lorsqu’il s’est comparé,lui, le natif de Nouvelle-Calé-donie, au «poisson qui re-trouve l’océan»…

LAURENT DECLOITRE(à la Réunion)

Attaques de requins: l’Etat misen cause sur l’île de la Réunion

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137C’est le nombre de sai-sines du médiateur del’éducation nationaleet de l’enseignementsupérieur portant surle système APB, en2016. Au total, cette an-née-là, 12053 saisines ontété enregistrées : cellesportant sur le très contro-versé système d’orienta-tion post-bac APB sontdonc ultraminoritaires, anoté jeudi le médiateur,Claude Bisson-Vaivre,qui présentait son rap-port pour l’année 2016.Le médiateur soulignetoutefois que ce systèmed’admission doit êtreplus accessible aux fa-milles. Il y a «derrière cesujet une vraie souffranceet beaucoup d’angoissesde parents».

Football Louis Nicollin ou la find’une époqueL’emblématique président de Montpellier (L1), Louis Nicollin,est mort jeudi, le jour de ses 74 ans, a annoncé le club sur Twit-ter: «C’est avec une immense tristesse que nous avons appris ledécès de notre président, Louis Nicollin, ce jeudi 29 juin.» Il avaitauparavant été transporté vers un hôpital de Nîmes après avoirfait un malaise à la sortie d’un restaurant jeudi après-midi.Figure du football français, il avait amené le club, qu’il dirigeaitdepuis 1974, à son premier titre de champion de Franceen 2012, glané face au Paris-SG nouvellement qatari. Nicollinavait également dirigé une société de traitement de déchets.Lire sur Libération.fr

REU

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Tu mitonnes Chaque jeudi,passage en cuisine et réveil despapilles. Aujourd’hui, séquence

food memories avec une fameuse recette de tarteaux amandes, piochée dans la cuisine du Central,du chef multiétoilé Michel Troisgros. S’il devaitn’en rester qu’une, qu’une recette gravée dans laglaise de la vie, plus forte que le temps qui passe,ce serait celle-ci. PHOTO EMMANUEL PIERROT

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FRANCE 420h55. Le plein de sensationsà Dubaï. Divertissement. Laurent Maistret et Sinclair.22h25. Le plein de sensationsen Laponie. Divertissement.

FRANCE 520h50. Les routes de l’impos-sible. Documentaire. Mozam-bique : la vie plus forte quetout. Mexique - Un train versl’eldorado. 22h35. C dans l’air.

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TMC21h35. Mentalist. Série. La tête ailleurs. La vie en rose.22h20. Mentalist. Série.

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1 m/23º

Le temps est instable sur une large moitiéouest avec des averses orageuses des Paysde la Loire au Pays basque. Davantage desoleil dans les régions de l'est et surtout prèsde la Méditerranée à l'exception de la Corse.L’APRÈS-MIDI L'instabilité orageuse segénéralise à une grande partie du pays etsurtout du sud-ouest au nord-est. Tempsplus sec sur les régions méditerranéennes.

VENDREDI 30Les averses sont fréquentes surtout dans lesud-ouest où une tendance orageuse estprésente. Seul le pourtour méditerranéenreste en marge de cette instabilité.L’APRÈS-MIDI Une amélioration se dessinepar les côtes de la Manche après le passaged'une faible perturbation. Ailleurs, tempsperturbé et instable avec des orageslocalisés principalement dans le sud-ouest.

SAMEDI 1ER

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8 2 9 4 7

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1 9 7

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8

◗ SUDOKU 3400 MOYEN ◗ SUDOKU 3400 DIFFICILE

SUDOKU 3399 MOYEN9 8 3 6 5 7 1 2 4

5 1 4 9 2 8 6 7 3

6 7 2 1 3 4 8 9 5

7 5 1 2 4 3 9 8 6

3 4 6 8 9 1 7 5 2

2 9 8 7 6 5 3 4 1

8 6 5 3 7 2 4 1 9

4 3 7 5 1 9 2 6 8

1 2 9 4 8 6 5 3 7

SUDOKU 3399 DIFFICILE 6 1 9 7 4 2 3 5 8

2 3 4 5 8 1 6 7 9

7 5 8 3 6 9 1 2 4

4 7 1 8 3 6 5 9 2

3 8 5 9 2 4 7 6 1

9 2 6 1 7 5 8 4 3

8 6 2 4 1 7 9 3 5

1 9 7 2 5 3 4 8 6

5 4 3 6 9 8 2 1 7

Solutions desgrilles d’hier

ON S’EN GRILLE UNE? Par GAËTAN GORON

HORIZONTALEMENT

Solutions de la grille d’hierHorizontalement I. ENSACHEUR. II. MIAULEUSE. III. BEL. AS. AS. IV. INCIPIT. V. AR. TÊTA. VI. SIDE-CAR. VII. ÈVE. LIDAR. VIII. MERDE. RMO. IX. ÉTOURNEAU. X. NÉGOCIANT. XI. TRESSAUTE.Verticalement 1. EMBRASEMENT. 2. NIE. RIVETER. 3. SALI. DÉROGE. 4. AU. NOÉ. DUOS. 5. CLAC. CLERCS. 6. HÉSITAI. NIA. 7. EU. PERDREAU. 8. USAIT. AMANT. 9. RESTAUROUTE. [email protected]

Grille n°644

1 2 3 4 5 6 7 8 9

I

II

III

IV

V

VI

VII

VIII

IX

X

XI

VERTICALEMENT

I.  Elles mettent le feu à l’intérieur II. Feuille de soins ; Il va maintenant trahir ses promesses III. Province au sud d’Amsterdam IV. Faire une nouvelle mise à jour V. Ce que l’on casse en premier quand on achète une maison ; Il vient d’entamer son bail de trois mois VI. Chef tête de Turc de Turcs ; Partie du poumon industriel allemand VII. Lu y écrit son histoire ; Disque d’or pour Alexandrie VIII. Donnez à entendre ; Deux frères Dans la légende du rap IX. Disque de couleur ; Sa feuille est complexe X. Voies piétonnes XI. On ne peut que faire avec

1. Avec elle, on pèche à la ligne 2. Création franco-allemande ; Que l’on pourra toujours diviser 3. Places qui n’en prennent que très peu 4. Pas en chaleur mais pas loin ; En période d’essai 5. Qui n’auront pas plus qu’une période d’essai ; A la mode 6. Géant de l’informatique ; Mettez les autour du premier 8. puis dans le bain ; Vent arrière 7. Bouts de mamelles ; Jeu dangereux 8. Dieu sémite ; Laisse traîner 9. Comme une glande

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Disparition : findu combat pourFrançois ChérèqueL’ancien secrétaire général de la CFDT estmort hier,à60ans,des suitesd’uncancer.Leshommagesunani-mes se sont succédédans la journée, contrastant aveclescontroversesquiavaientmarquésonactionà la têtede la centrale, entre 2002 et 2012. PAGES 12-13

Seniors LGBT : letabou jusqu’à lamaison de retraiteDes associations de soutien et de rencontres desti-nées aux lesbiennes, gays, bisexuels et trans âgésvoient le jourenFrance,pour lutter contre l’isolementet les discriminations dont ils sont encore souventvictimes. PAGES 20-21

ÉTATS-UNIS – FRANCE

LA RÉGRESSION

ÉCOLOGIQUEMalgré une année

2016 alarmante, lalutte contre

le réchauffementest menacée par

l’arrivée de

Trump au pouvoir. Dans l’Hexagon

e, les régions

passées à droitebaissent les subv

entions des

ONG environnementales. PAGES 2-6

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LE LIBÉ DES SOLUTIONSEducation, écologie, réinsertion… Un numéro spécial initiatives

TERRORISMEAbattu àMilan, l’auteurde l’attentat de Berlinest passé par la France PAGES 6-8

LE RÉVEILLONDU FUTURUne alimentationdesynthèse, conçue pardes chimistes etmagnifiéepar des chefs: la nourriturede demain peut-elle sauverla planète? PAGES 2-5

Et aussi :n JacquesGenin, chocolatieratypiquen Les artistesface au «foodporn»nThomasMann, reluet corrigé WEEK-END, PAGES 22-47

EMMANUEL

PIER

ROT

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Libération Vendredi 30 Juin 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 23

Une loi travailà contre-emploiIDÉES/

Illusions et archaïsme dela réforme du droit du travailToutes les études montrentqu’il n’y a pas de lien entreprotection de l’emploi etchômage, ce que l’échecdes précédentes réformesne fait que confirmer.Alors pourquoi relancerune énième loi ?

V oilà donc que se profile la cin-quième réforme d’ampleur dudroit du travail en quatre ans. Au-

delà même du fond et de la méthode at-tendus, l’opportunité d’une telle réformeinterroge. Le monde du travail n’est-ilpas légitime à aspirer à une stabilité nor-mative alors que, précisément, instabi-lité, imprévisibilité et insécurité sont sys-tématiquement reprochées au droit dutravail ? Le fondement de la réforme– l’emploi – mérite aussi d’être discuté :comment encore faire croire que la mo-dification du droit du travail pourraitavoir le moindre effet sur le taux d’em-ploi alors que toutes les études théori-ques (OCDE, OIT, Banque mondiale,Insee) et toutes les analyses empiriquesétablissent qu’il n’y a aucun lien entreprotection de l’emploi et chômage ? Cer-tes, quelques clercs très actifs sur le planmédiatique continuent de prêcher cettevulgate libérale, mais le plus étonnantest qu’ils conservent une telle influenceau point d’inspirer les réformes successi-ves du droit du travail depuis vingt ans,sans aucun résultat tangible sur l’emploi.On aurait pu attendre d’un président,promoteur de la disruptivité idéologique,qu’il ne s’engouffre pas aussi aveuglé-ment dans une pensée archaïque dontles ressorts connus et rebattus irriguentla future réforme.Le projet de loi d’habilitation confirmed’abord l’inclinaison en faveur d’un droitdu travail essentiellement issu non du lé-gislateur, mais des acteurs du travail eux-

mêmes, et ce au plus près du terrain. Leprojet de loi propose ainsi de renforcerl’autorité de l’accord d’entreprise encréant une présomption de conformité àla loi et son autorité à l’égard du contratde travail. Désormais, le refus par le sala-rié d’une modification d’un élément deson contrat de travail serait constitutifd’une faute, potentiellement privativedes indemnités élémentaires. En outre,les accords d’entreprise acquerraient plusd’autonomie par rapport à la branche,confirmant le phénomène de décentrali-sation de la négociation collective donttoutes les études démontrent qu’il a pro-duit, partout en Europe, des résultats ca-tastrophiques du point de vue des sala-riés. Comment pourrait-il en êtreautrement au regard des conditions so-ciales de négociation dans les entrepri-ses? Ces nouvelles propositions com-plexifient encore plus l’articulation desnormes du travail alors que stabilité etsimplicité sont attendues par les salariés,les employeurs et les investisseurs inter-nationaux. Ce mouvement s’accompa-gne, sans doute à son corps défendant, del’abandon du très agaçant alibi du «dialo-gue social», finalité autoproclamée desréformes menées ces dix dernières an-nées, le projet envisageant de mettre finau monopole syndical en matière de con-clusion des accords collectifs. D’après leprojet de loi, des accords d’entreprise,moins favorables que les minima fixéspar la loi ou l’accord de branche, pour-ront plus facilement être adoptés par lavoie d’un référendum de salariés. Cettecompétition sociale interentreprises, dé-vastatrice à terme pour les droits des sa-lariés, ne pourra pas être défendue ducôté syndical au nom de la subsidiaritédu dialogue social, comme l’ont été les ré-formes antérieures.Le gouvernement prétend en outre ren-forcer la prévisibilité de la rupture ducontrat de travail. Là aussi, le projet ac-centue une évolution à l’œuvre depuisplusieurs années visant à éviter ou à can-tonner l’intervention de ce gêneur qu’estle juge. D’abord par le raccourcissementdes délais de prescription de l’action enjustice, déjà substantiellement réduits enquelques années, pour limiter le recoursau juge; par la généralisation du contratde chantier, un temps envisagé dans la loitravail avant d’être supprimée, visant àéluder le contrôle du juge sur le motif delicenciement. En outre par la facilitationdu licenciement pour motif économiquedans le cadre d’un groupe et par le retourdu plafonnement des dommages-intérêtsprud’homaux, prévue dans la loi Macron,

censurée par le juge constitutionnel maissur laquelle convergent les organisationspatronales, favorables à toute mesurepermettant un provisionnement systé-matique de la rupture.Aux confins de la méthode et du fond, legouvernement envisage enfin de per-mettre une prédétermination par ac-cord collectif des motifs économiquesde licenciement, généralisant les hypo-thèses ouvertes par la loi de sécurisationde l’emploi (2013) et la loi travail (2016),ce qui revient à abolir l’intérêt mêmed’un contrôle du motif de licenciement,la négociation étant censée justifier larupture. Enfin, et c’est sans doute unpoint aussi inquiétant qu’intriguant, ilprévoit la faculté de négocier par accordcollectif la création de motifs de recoursaux contrats à durée déterminée et àceux de travail temporaire. Est donc finile temps où le sort des outsiders justi-fiait une atteinte à la situation des insi-ders. Il ne s’agit plus de sacrifier le sortdes uns, les plus protégés, pour amélio-rer celui des autres, les précaires, maisde raboter les droits de tous les salariés,ces profiteurs responsables du taux dechômage.Tel n’est pas le seul paradoxe de la ré-forme annoncée. Censé adapter le travailaux réalités économiques, le projet de loin’aborde aucune des problématiquescontemporaines affectant les relationsde travail. Fragmentation voire éclate-ment des collectivités de travail provo-quant une dilution des responsabilitéssociales. Accentuation de la charge detravail sous l’effet de la généralisation duforfait jours et de la rémunération aux ré-sultats. Prolifération des travailleurs éco-nomiquement dépendants quoique juri-diquement autonomes, dès lors exclusdes protections offertes par les droits dutravail et de la protection sociale. Optimi-sation sociale décomplexée par le biaisd’une mise en concurrence sociale enFrance et en Europe.Qu’en dira le monde syndical? Difficile àdire a priori. Certains syndicats représen-tatifs n’ont presque aucun poids dans ledébat politique, d’autres sont prisonniersde l’étiquette réformiste fièrement arbo-rée, d’autres enfin sont, par le biais d’unhabile casting ministériel, presque piedset poings liés à la réforme qui s’annonce.Sans opposition syndicale unie et sansréelle opposition politique, la réforme,aussi anachronique et contradictoirequ’elle soit, achèvera une séquence deprofonde dérégulation du droit du travail,sans que l’on puisse en attendre le moin-dre effet sur l’emploi. •

ParJULIEN ICARD

DR

Professeur de droit à l’universitéde Valenciennes, membre du GR-Pact Manifestation contre la loi El Khomri, le 27 juin,

24 u Libération Vendredi 30 Juin 2017

Alors que le gouvernement s’apprête à présen-ter à l’Assemblée nationale une loi d’habilita-tion autorisant le gouvernement à légiférer parordonnance pour reformer le droit du travail,Julien Icard, professeur de droit à l’universitéde Valenciennes, se demande combien il faudrafaire de réformes pour que l’on reconnaisse quel’essentiel réside dans la stabilité des règles qui

régissent les relations sociales. De plus, «il nes’agit plus de sacrifier le sort des uns, les plusprotégés, pour améliorer celui des autres, lesprécaires, mais de raboter les droits de tous lessalariés, ces profiteurs responsables du taux dechômage». Si donc une énième loi travail nepermettra pas de faire reculer le chômage, il estpossible quelle parvienne à faire disparaître les

syndicats placés dans une situation intenable,s’inquiète Baptiste Giraud. Pour ce chercheur,on contraint «les syndicalistes à négocier lesmodalités de mise en œuvre de réorganisationqui exigent toujours plus de flexibilité de la partdes salariés alors qu’une part croissante des né-gociations d’entreprise se déroulent sur fond dechantage à l’emploi».

Améliorer le dialogue social:pour qui, pour quoi faire?En cherchant à fusionner les différentesinstitutions représentatives du personnel,la majorité présidentielle va saper un peu plusle pouvoir et la légitimité des syndicats.

Emmanuel Macron com-mence son quinquennatcomme François Hollande

a fini le sien: par une réforme dumarché du travail et du dialoguesocial. On en connaît les princi-paux objectifs : prioriser la négo-ciation d’entreprise, élargir lespossibilités de recours au réfé-rendum par l’employeur et fu-sionner les institutions représen-tatives du personnel (IRP):délégués du personnel, comitéd’entreprise et comité hygiène,sécurité, conditions de travail. Enmatière de «renouveau» de l’ac-tion publique, on a vu mieux: onest là dans la continuité absoluede ce qui a été entrepris depuisplus de vingt ans, réforme aprèsréforme. Pourtant, rien ne vientattester leur efficacité ni pourl’emploi ni pour les conditions detravail des salariés, qui se sont aucontraire dégradées. Les décretsd’application des lois Rebsamenet El Khomri, votées sous le pré-cédent quinquennat, ont à peineeu le temps d’être publiés que,déjà, on nous dit qu’il faut allerplus loin pour rendre plus «effi-cace» notre «dialogue social».Mais plus efficace pour qui, etplus efficace pour quoi faire? Enréalité, cette énième réforme netouche à aucun frein réel à l’effi-cacité économique des entrepri-ses et n’apporte aucune solutionaux limites très réelles de la «dé-mocratie sociale» en France.Les études convergent pour indi-quer que la présence de représen-tants du personnel ne constituepas un frein à la performanceéconomique des entreprises.Quel est l’intérêt alors de vouloirfusionner les IRP? Il y a au con-traire un double risque: celui quecertains sujets soient escamotésparce que les élus du personneln’ont pas le temps ni les compé-tences nécessaires pour s’appro-prier les sujets techniques débat-tus en CE ou en CHSCT. Enréduisant le nombre de ces repré-sentants, on risque d’en faire desreprésentants de plus en plus ab-sorbés par leurs activités institu-tionnelles et de moins en moins

disponibles pour être au contactde ceux qu’ils sont censés repré-senter. C’est prendre le risqued’affaiblir leur ancrage, alorsmême que l’un des objectifs affi-chés par le nouvel exécutif est de«renforcer» les syndicats.On oublie a contrario ce qui en-trave l’efficacité des dispositifs dereprésentation élue du personnel.On sait qu’une majorité de petitesentreprises ne respectent pasl’obligation légale de mise enœuvre des IRP. La faute, dit-on, àl’absence de volontaires. Maiscette situation n’est pas liée à une«crise» des vocations militantes:un tiers des salariés déclarentcraindre des représailles s’ils ve-naient à s’engager. A quand undispositif de lutte contre cetteforme persistante de répressionantisyndicale qui rend illusoiretoute forme de démocratie so-ciale? Et si l’on peut concevoirqu’il est nécessaire d’adapter lesdispositifs de représentation dupersonnel en fonction de la tailledes entreprises, à quand la miseen œuvre d’instances territorialesde représentations du personnel,regroupant les établissementsd’un même site (zone indus-trielle, etc.) pour donner à leurssalariés l’accès aux droits dont ilssont le plus souvent privés?On sait aussi les limites du pou-voir des représentants du person-nel lorsqu’ils existent. Une majo-rité de salariés et de leurs élusconsidèrent qu’ils n’ont pas d’in-fluence sur les décisions de leurdirection. Les représentants du

personnel ont des pouvoirs d’in-formation et de consultation,mais aucun droit de veto commeen disposent leurs homologuesallemands. Pire, en encadrant lesdélais de consultation du CE encas de licenciement collectif, l’ac-cord interprofessionnel de 2013 aprivé les élus des salariés del’arme dont ils disposaient: fairedurer les procédures de consulta-tion pour se laisser le temps demobiliser les salariés, d’interpel-ler les politiques, les médias, etc.Alors que le taux de syndicalisa-tion est inférieur à 9% dans leprivé, alors surtout qu’une partcroissante des négociations d’en-treprise se déroulent sur fond de«chantage à l’emploi», donnerune plus grande priorité à la né-gociation d’entreprise revient àcontraindre les syndicalistes à né-gocier les modalités de mise enœuvre de réorganisation qui exi-gent toujours plus de flexibilitéaux salariés. Quelles sont alors lesmarges de manœuvre des élus,quand même les directions loca-les des entreprises n’ont aucuneprise sur des décisions imposéespar les représentants des action-naires ou les directions centralesde grands groupes? Quelles mar-ges de manœuvre laisse-t-on auxsyndicalistes si l’on donne aux di-rections la possibilité de les con-tourner en organisant un référen-dum auprès des salariés? Lanégociation d’entreprise doitaussi servir, en théorie, à négocierde nouveaux droits pour les sala-riés, en matière d’égalité profes-sionnelle, de pénibilité, de forma-tion mais dans tous ces domaines,le bilan des accords signés attestede leur très grande pauvreté. A lafois parce que les marges demanœuvre des DRH en charge deces négociations sont très limi-tées, et qu’il est difficile pour lessyndicats de créer, à ce niveau, lerapport de force qui les aiderait àobtenir plus. A l’évidence, les for-mes nouvelles du capitalisme(financiarisation, morcellementde l’appareil productif) rendent leniveau de l’entreprise plus quejamais inopérant pour négocierdes accords «gagnant-gagnant».Si l’on veut «libérer» les entrepri-ses, il est plus urgent de regarderdu côté de leur mode de finan-cement et des relations de sous-traitance, ce qui entrave réel-lement leur activité. •

ParBAPTISTEGIRAUD

DR

Chercheur au Laboratoired’économie et de sociologiedu travail d’Aix-en-Provenceaux Invalides, à Paris. PHOTO MARC CHAUMEIL

Libération Vendredi 30 Juin 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 25

bonne partie des Arabes sunnitesvers les mouvements islamistesradicaux, dont Daech est l’avatarultime et le plus sanguinaire.Les Kurdes, de leur côté, ontperdu toutes leurs illusions surla possibilité d’un Irak uni,démocratique et inclusif. L’undes derniers liens qui les atta-chaient à Bagdad était la dota-tion financière allouée à la régiondu Kurdistan représentant 17%du budget irakien. Elle neleur est plus versée depuisjanvier 2014.Ainsi, l’Irak finance les miliceschiites encadrées par l’Iran maisrefuse de payer les soldes despeshmergas kurdes; il verse leurssalaires aux employés et fonc-tionnaires irakiens restés dans leszones sous occupation de Daechmais n’a pas de budget pour l’ad-ministration du Kurdistan.Celle-ci a refusé de se plier audiktat du Premier ministre ira-kien chiite Maliki, et a développéses propres exportations pétro-lières pour assurer son finan-cement.Début 2014, le couple kurdo-ira-kien était déjà au bord de la rup-

ture. Le gouvernement du Kur-distan prévoyait alors d’organiserun référendum pour consacrer etlégitimer le divorce d’avec Bag-dad. La déferlante de Daech abouleversé la donne. Les Kurdesont dû se mobiliser pour défendreleur territoire. Malgré une sévèrecrise financière, causée par lasuppression par Bagdad de leurdotation budgétaire, ils ont ac-cueilli généreusement environ1,8 million de réfugiés et déplacésdont une grande majorité d’Ara-bes sunnites qui, en dépit de leurnationalisme panarabe, ont pré-féré chercher asile chez les Kur-

des plutôt que dans les provincesarabes chiites du Sud.Les Kurdes veulent gérer leursaffaires dans leur propre pays, quiest aussi celui des Assyro-Chal-déens, des Turkmènes et des Ara-bes installés de longue date. Ilsn’ont aucune convoitise sur lesterres de leurs voisins. Depuis1991, ils ont transformé un paysdévasté, où 90% des villages, unevingtaine de villes et l’économieagro-pastorale avaient été dé-truits par la terrible dictature ira-kienne, en un Etat de facto dotéd’institutions démocratiques,d’aéroports, de forces armées et

Vers un Kurdistan enfin indépendant?Annoncé de longuedate et ajourné àplusieurs reprisesen raison notammentde la guerre contrel’Etat islamique,le référendum surl’indépendancedu Kurdistan irakiense tiendrale 25 septembre.

D ans trois mois, environ3,5 millions d’électeurskurdes auront à répondre

par oui ou non à la questiondel’indépendance du Kurdistan ira-kien. En 2003, après la chute dela dictature irakienne, le Parle-ment du Kurdistan, à la demandede la coalition anglo-américaine,a consenti à la participation desKurdes dans les nouvelles insti-tutions irakiennes dans l’espoirde bâtir un Irak nouveau, démo-cratique et fédéral, respectueuxde l’identité et des droits de sesmultiples composantes nationa-les, linguistiques et religieuses.Ces principes ont inspiré la nou-velle Constitution irakienneadoptée en 2005 par référendumpar plus de 80% des électeurs.L’une des dispositions essentiel-les de cette Constitution, stipuleque le gouvernement centraldevait organiser, avant le 31 dé-cembre 2007, un référendumdans les territoires dits «dispu-tés» (encore rattachés à Bagdadmais peuplés majoritairement deKurdes, comme dans la région deKirkouk) afin que les populationsconcernées puissent librementdécider de leur rattachement ounon à la région du Kurdistan. Legouvernement de Bagdad n’a pasrespecté cette obligation consti-tutionnelle, pas plus qu’il n’aitlaissé les Arabes sunnites déci-der par référendum ériger leurprovince en une région fédérée.Leurs droits constitutionnels ontété bafoués, leurs manifestationspacifiques écrasées dans le sang.Ce déni de droit a poussé une

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BY.S

A

Par KENDAL NEZAN

Président de l’Institut kurdede Paris

IDÉES/

Massoud Barzani (portrait) président du gouvernement régional du Kurdistan irakien (GRK) jusqu’en 2015. PHOTO SAFIN HAMED. AFP

de police, d’infrastructures éco-nomiques et éducatives moder-nes. Ce pays de 5,5 millions d’ha-bitants (7,7 millions si l’on y inclutles territoires disputés) comptedésormais 30 universités donttrois enseignant en anglais. Prèsde la moitié des étudiants sontdes filles. Le pluralisme politiqueet religieux est assuré. C’est le seulpays du Proche-Orient où on nedéplore aucun prisonnier politi-que, aucun journaliste en prison.La situation économique, affectéepar la crise financière, par le lourdtribut de la guerre contre Daech etpar le poids de l’accueil massif deréfugiés et déplacés, reste difficilemais supportable. Elle devraits’améliorer d’ici à la fin 2017 grâceà l’augmentation substantielledes exportations pétrolières et dugaz. Enfin, la guerre contre Daecha contraint les Kurdes à moderni-ser leur armée de peshmergasgrâce au soutien en matériel et enformation de la coalition alliée oùla France joue un rôle majeur.Agissant dans un environnementrégional compliqué, conflictuel,voire chaotique, le Kurdistan afait mieux que survivre. Il a su dé-

Mer Noire

TURQUIE

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ARM.

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SYRIE

IRAKSource : Institut kurde de Paris

100 km

Zone de peuplementkurdeKurdistan irakien

26 u Libération Vendredi 30 Juin 2017

velopper des relations de voisi-nage et de coopération économi-que apaisées avec la Turquie etl’Iran. Partenaire stratégique deWashington dans la lutte d’abordcontre Al-Qaeda, puis de Daech,il est en excellents termes avectous les pays européens dont laFrance, l’Allemagne, l’Italie, maisaussi le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède. Le Canada, l’Aus-tralie, le Japon, la Corée du Sud,et, plus récemment, l’Inde ontnoué de solides relations avec leKurdistan. La Russie est alléeplus loin encore en autorisant sasociété Rosneft à acheter massi-vement du pétrole kurde au ter-minal turc de Ceyhan pour le raf-finer dans ses raffineriesd’Allemagne. Cet accord va assu-rer des ressources régulières etsécurisées à l’économie kurde.Enfin, le Kurdistan entretient desrelations suivies avec les paysarabes dont plusieurs –Egypte,Arabie Saoudite, Jordanie, Emi-rats arabes unis (EAU)– ontouvert des consulats dans la capi-tale kurde Erbil. Après avoir long-temps espéré le rétablissement àBagdad d’un pouvoir sunnitefort, ces pays ne verraient pasnécessairement d’un mauvais œill’émergence d’un Kurdistan indé-pendant, réduisant la puissanced’un Irak chiite allié à l’Iran.L’issue du scrutin ne fait pas dedoute. Lors d’une consultationinformelle, organisée en 2005par la société civile kurde, 98 %des électeurs s’étaient pronon-cés en faveur de l’indépendancedu Kurdistan. En dépit de cer-tains tiraillements et tensionsinternes et nonobstant lesmanœuvres de certains Etatsvoisins, le référendum du25 septembre devrait donnerune légitimité démocratiquemassive aux aspirations à l’indé-pendance du peuple du Kurdis-tan. Les autorités kurdes enga-geront alors des négociationsavec Bagdad pour un divorce àl’amiable pacifique.C’est pourquoi nos démocratiesdevraient soutenir et accompa-gner la démarche pacifique etdémocratique du Kurdistan ira-kien vers son indépendance. LaFrance, qui a des liens forts avecle peuple kurde et des responsa-bilités historiques dans son sort,s’honorerait à prendre l’initiatived’une diplomatie préventive etinventive pour convaincre sespartenaires et alliés que l’émer-gence d’un Kurdistan indépen-dant comme Etat tampon neutreentre les mondes chiite et sunnitecontribuerait à la stabilitérégionale, et rendra enfin justice àune partie du peuple kurde qui aété si malmené depuis plusd’un siècle. •

I l y a non seulement uneénigme mais peut-être undanger avec ce petit terme qui

n’a l’air de rien en apparencemais qui est beaucoup utiliséaujourd’hui : le «sociétal». Il sepeut que la violence des débatsque l’on dit «sociétaux» ait pourraison principale (ou du moinspour symptôme) un certain em-ploi de ce mot qui s’est peu à peuimposé. Il faut donc y réfléchirun peu.Que veut-on dire quand on parlede débat «sociétal» ? Il sembleque l’on entende par là un débatqui porte sur, et souvent qui op-pose, non pas des idées politi-ques proprement dites, pas nonplus des faits scientifiques, maisdes «conceptions» de la «société»en général. On pourrait dire aussides questions de «mœurs» ou de«valeurs». On isole ainsi encroyant bien faire, dans le débatscientifique, social et politiquequi agite une société, la diver-gence des conceptions de la so-ciété elle-même et finalement dela vie humaine (du bien et dumal). On croit bien faire, car celasuppose bien sûr –et heureuse-ment – quand on parle ainsi dedébat sociétal, que l’on s’est déjàmis d’accord sur beaucoup dechoses fondamentales, juste-ment sur un cadre social et politi-que commun, et aussi sur des vé-rités factuelles et scientifiques debase, et communes elles aussi. Cegeste d’isolement du «sociétal»pourrait donc être pacificateur,être le signe d’une société apaiséeet mûre, qui accepte de débattred’elle-même dans un cadre com-mun. C’est pourquoi on est si sur-pris lorsque les débats que l’ondit «sociétaux» s’enflamment ànouveau et embrasent la société,bien loin de l’apaiser. Mais on nedevrait pas être si surpris, parce

PHILOSOPHIQUES

Par FRÉDÉRIC WORMS Professeurde philosophie à l’Ecole normale supérieure

que justement il n’est pas si sûrque l’on puisse ainsi isoler le dé-bat sur les «valeurs», le couper àla fois du cadre politique et desquestions factuelles et vitales,dans une société. Et il est loind’être sûr, en tout cas, que celasoit pacificateur. Comment se-rait-il pacificateur de laisser faceà face dans un cadre supposé ac-quis et solide, des visions dumonde et de la vie humaine peut-être radicalement opposées etque chacun a bien le droitd’adopter pour lui-même dès lorsqu’il s’agit des questions essen-tielles de sa vie ? Il ne faut pass’étonner alors que le débat dit«sociétal» risque de raviver ceque les sociologues et les philo-sophes du début du XXe siècleappelaient avec raison la «guerredes dieux», qui en un sens n’estjamais finie. Il y a donc bien là undanger majeur, et une grandeprudence à avoir, devant ledit«sociétal».Mais d’ailleurs ce dit «sociétal»existe-t-il même en tant que tel ettout seul, isolé du reste? Ce n’estpas sûr du tout! On fait comme sile débat sociétal n’avait pas lieudans une société et à propos de re-lations sociales ! Or, ce sont évi-demment là deux conditions es-sentielles. Le débat sociétal a lieudans une société. C’est d’ailleursce qui fait son enjeu puisque loind’opposer seulement des idées, ildevient violent, ce débat, lorsqu’ils’agit qu’elles orientent la vie «detous» (terme récurrent bien sûraujourd’hui), qu’elles deviennentdonc politiques, qu’elles investis-sent ce que l’on appelle la loi.Mais alors, on voit bien que le dé-bat sociétal doit se soumettre àautre chose (à la loi). Plus précisé-ment: il doit se soumettre au dé-bat et au cadre politique car juste-ment au-dessus des visions

conflictuelles de la société et de lavie humaine il y a le cadre quipermet la coexistence des con-ceptions opposées de la vie et dela société humaine. Tel est le pro-blème proprement politique quifait qu’avant les valeurs opposéesil faut respecter les principescommuns, qui contraignent dene pas imposer les valeurs desuns quelles qu’elles soient, à tous.C’est un peu abstrait? On dira queles questions morales et vitalesreviennent, dans ce cadre? Oui,on aura raison. Mais pas si vite,dirons-nous! Encore une minuted’attention! C’est que le «socié-tal» masque aussi le fait que lesquestions vitales et morales nesont pas seulement individuellesnon plus mais mettent en causeles relations entre les hommes.On oppose parfois le sociétal nonplus au politique mais au «médi-cal», et on voit bien ce que l’onveut dire par là. La priorité nonseulement de la vie et de la mort,de la lutte contre la maladie, maisaussi du soin et du secours, de lavérité et de la science, dans unesociété. C’est un principe concretà garder en tête. Mais il ne règlepas tout, il est plutôt une orienta-tion. Il faut prendre en comptedans toutes les questions socia-les, la pluralité des relations, l’évi-tement de la souffrance et aussides abus de pouvoir qui sontaussi des souffrances et desmaux. Et cela non seulement

dans le face à face ou l’éthiquemais aussi dans le tissu social oùle débat sociétal retrouve lesquestions sociales. Ainsi, il estimpossible d’isoler le sociétal, detoutes les autres dimensions de lavie sociale et humaine.Mais que lui reste-t-il alors? Quereste-t-il pour le «sociétal» unefois qu’on l’a passé au crible dure-ment acquis par l’humanité dudébat démocratique et de la luttecontre les dangers communs,toujours en chemin l’un etl’autre ? N’en aura-t-on pas unevision lénifiante et «bienpensante» ? Bien au contraire.Nous pensons que l’oppositioninévitable des conceptions dubien entre les hommes aura alorsune double vertu. Tout d’abord,compliquer encore les débatspolitiques et sociaux qui ne sontpas de purs débats d’experts etdoivent avoir non pas pour con-trainte mais pour but de permet-tre la vie commune et de mobili-ser les citoyens. Mais aussi fairesurgir de la vie humaine, dans uncadre commun, le débat critiquesur cette vie, la discussion qui,même enflammée, fait le sel etparfois la joie de la vie humaineet aussi, au passage, de la philo-sophie. •

Cette chronique est assurée en alter-nance par Sandra Laugier, MichaëlFœssel, Anne Dufourmantelle et Frédé-ric Worms.

Qu’est-ce quele «sociétal»?Cette notion masque souvent le fait queces questions vitales ne sont pas seulementindividuelles : elles impliquent les relationsentre les hommes.

Retrouvez Laurent Joffrin et Alexis Brézetchaque dimanche à 8h40,

dans Le Club des idées, animé par Laurence Luret, en partenariat avec

du week-enddle 6/9l 6/99

patricia martin

Libération Vendredi 30 Juin 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 27

«100% Marseille»

échantillonen chantier

L a performance ne devait avoir lieuqu’une seule fois, à Berlin, pourfêter le centenaire d’un théâtre

en 2008. Aujourd’hui, à force de faire letour du monde, elle va finir par dessinerune cartographie en actes de toutes lesmétropoles de la planète. Elle s’ordonneautour d’un principe simple, évident,stimulant, inventé par le collectif berli-nois Rimini Protokoll, qui permet de

cerner au plus près le souffle d’une ville,à travers cent personnes choisies pas dutout au hasard – et surtout pas par lebiais d’une petite annonce. Après Berlin,Melbourne, Londres, Penang (en Malai-sie), Brisbane, Montréal, Bruxelles ettant d’autres, voici donc 100%Marseille,donné trois soirs durant au Théâtre dela Criée dans le cadre du festival de Mar-seille. Mode d’emploi et impressionsglanées lors des répétitions.

Etre beau ne sert à rienSoit un échantillon de cent habitants surscène, au plus près de la réalité statisti-que de la ville. Par exemple, si 14% d’en-

ParANNE DIATKINEEnvoyée spéciale à MarseillePhoto PATRICKGHERDOUSSI.DIVERGENCE

Comme à Paris, Melbourne ouMontréal, le collectif Rimini Protokollréunit cent habitants représentatifsde la ville pour un portrait sociologiqueincarné. Visite aux répétitions.

Répétition générale,le 26 juin sur la scènedu Théâtre de la Criée.

28 u Libération Vendredi 30 Juin 2017

CULTURE/

fants de moins de 10 ans habitent Mar-seille, il y a quatorze enfants sur scène.Si 5 % des habitants vivent en coloca-tion, ils sont cinq à être représentés surle plateau.Les cent Marseillais ont été idéalementchoisis selon une logique de réaction enchaîne. Le premier a coopté le second,qui a trouvé le troisième, et ainsi desuite jusqu’au centième, sachant queplus la chaîne arrive à son terme, plusles critères de sélection de-viennent nombreux et res-trictifs, et obligent chaquenouveau participant à se transporteraux antipodes de son cercle amical.Claire Oberlin, responsable des projetsparticipatifs du festival de Marseille, ex-plique: «Une fois qu’il accepte d’y être,chaque participant n’a qu’un seul jourpour donner le nom du suivant. Celapeut être complexe de dénicher, en unepoignée d’heures, un homme né en Asie,de tel âge, habitant tel quartier, et ayanttel type de revenus.» Encore plus diffici-les à motiver, «les personnes très âgées.

Or, je suis obligée d’être tenace, car ce quiva émerger repose largement sur la jus-tesse du casting». Une distribution pourune fois absolument pas élitiste: être àl’aise sur le plateau ou être beau ne sertà rien. En effet, en visionnant le 100 %Paris, on s’aperçoit que la performancerate le coche, car parmi les cent Pari-siens recrutés, beaucoup se ressemblentfurieusement. On serait ainsi tous pré-caires, aspirant artistes, comédiens enherbe, pas racistes, et fatalement degauche. Et à l’aise! Ce qui en dit beau-coup sur la solidité des murs invisibles,mais moins sur la diversité de ceux quipeuplent la ville.

Quatre jours derépétitions, c’est très peuLes cent ne se sont encore jamais ras-semblés. Dans cinq jours, ils serontpourtant à même de présenter quelquechose qui se tient. Des enfants courentpartout sur le plateau, recouvert en soncentre d’une piste verte. C’est StefanKaegi de Rimini Protokoll qui s’y collepour les convaincre de ne pas jouer avecle pied de micro, en dépit de sa terribleattraction. Quatre jours de répétitions,c’est très peu pour construire un groupeet un spectacle, mais il y a une trame,similaire dans chaque ville. De même,la scénographie évolue peu selon leslieux. Une piste d’une agréable couleurverte au sol, donc, projetée sur un écran,et d’une efficacité graphique indénia-ble, notamment lorsque les cent Mar-seillais s’immobilisent en fixant lesspectateurs ou tombent au sol, parcequ’ils n’en peuvent plus de faire despompes –qu’on se rassure, seuls les vo-lontaires s’adonnent à cette torture, cequi donne aussi aux spectateurs uneidée du nombre des partisans de cetexercice, son genre, son âge.De même, lorsque les cent Marseillaissont invités à danser la musette, le hip-hop ou le pop-rock, on se surprend àêtre très intéressé par le remplissage oula désertion soudain de la piste couleurcostume de Babar. Dans un premiertemps, la personne numéro 1 se pré-sente. Dans chaque ville, elle est recru-tée quelques mois à l’avance en sa qua-lité d’expert. C’est elle qui va aider àfournir toutes les informations quiéchappent aux statistiques –«très insuf-fisantes», note Claire Oberlin. L’absence

de statistiques religieusespar exemple interdit de sa-voir le nombre de personnes

qui célèbrent le ramadan.Chaque participant se présente ensuiteen quatre secondes à travers un objetchoisi. L’imprévu est la tension créée parles présentations ininterrompues. Cequi maintient en haleine? Ce flot, où despersonnes qui n’ont rien pour s’enten-dre disent en trois mots en quoi ellessont uniques. Puis viennent les ques-tions, plus ou moins évidentes, plus oumoins indiscrètes, qui scandent la re-présentation. Qui est donc ce jeune

homme d’origine marocaine au tee-shirtblanc qui par deux fois lève la mainquand on demande : «Qui d’entre vouspense qu’à Marseille, il est parfois légi-time d’être raciste ?» Est-ce son propreracisme qui lui paraît justifiable, ou ce-lui qu’il subit ? Réponse ce week-end.Les notes de Claire Oberlin nous infor-ment déjà que le jeune homme habiteune cité en déshérence à côté de l’auto-route, qu’il est très investi dans la vie as-sociative et que grâce à son obstination,il a réussi à faire construire un mur anti-bruit et à cultiver des jardins potagerspour les habitants des tours.

Un secret de familleEst-ce grâce à l’absence d’acteurs pro-fessionnels sur scène et à l’aspect égali-taire du projet ? On est en tout casétonné de ne constater aucun caboti-nage parmi les cent Marseillais. Aucunne cherche à profiter de l’estrade pourune mise en lumière personnelle –«Ça,c’était les Parisiens, se souvient StefanKaegi. Une fois qu’ils avaient la parole,ils n’arrivaient pas à la lâcher.» Toussuivent à la lettre les consignes, commele remarque Marcel, 70 ans, représen-tant «des Français d’Algérie», attablé àla cafétéria du théâtre. Pourquoi a-t-ilaccepté de faire partie de ce portrait ?«Parce que je veux montrer que Mar-seille, ce n’est pas que de la délinquanceet du chômage.» Il est venu avec la pho-tographie de son père militaire prise àOran en 1929. Une image qui dévoile unsecret de famille découvert il y a peu. Cequ’il refuse : «Etre assimilé à l’extrêmedroite.» Il ne sait pas encore s’il aural’occasion de le dire. Certaines ques-tions entraînent de la «honte» diraFreddy. «J’ai levé la main quand on nousa demandé si on avait déjà été SDF. Etje me suis aperçu qu’on était deux.»La performance n’a rien d’une tribune.C’est grâce à des actes scéniques queles spectateurs observent l’incarnationde chiffres selon les mouvements descorps.

«Qui aimerait changerde conjoint ?»Stefan Kaegi, qui revient tout juste d’un100% Montréal, découvre à Marseilleque la France est un pays bien moinsmulticulturel que les Français ne l’ima-ginent. «A Montréal, il y avait beaucoupplus de langues et d’étrangers et nousavions besoin d’un traducteur. A Mar-seille, tout le monde parle français, etl’arabe est une langue seconde pour unevingtaine de participants.» Le collectifpose toujours des questions spécifiquesà chaque ville visitée, mais remarqueque ce sont surtout les réponses qui dif-fèrent. Aucun problème à Marseillepour dire à main levée la consommationde cannabis, contrairement à la Malaisieoù la même question a été posée dansla pénombre – il faut dire que le pays faitplaner une menace de peine de mort surl’usage et le trafic de stupéfiants. Stefan

Kaegi se souvient de sa surprise quand,en Corée du Sud, toutes les mains sesont levées à la question «Qui aimeraitchanger de conjoint?»: «J’ai appris en-suite que le divorce pouvait provoquerdes licenciements.» Le spectacle a été in-vité en Chine, «car les autorités ontgrand intérêt à mettre en avant la diver-sité ethnique du pays». Mais ces mêmesautorités se sont rétractées devant l’im-possibilité de sélectionner elles-mêmesles participants. Un problème similairese posera peut-être très prochainementà Saint-Pétersbourg.N’y a-t-il pas un risque de répétitionset de formatage, à tourner autant ?«Non, c’est un spectacle qui rend fou, sibien qu’on ne le fait pas tout le temps.Mais, par l’incroyable chance qu’ildonne de saisir de l’intérieur une ville,il est addictif.» Dimanche dernier, per-sonne ne savait encore si ce 100% Mar-seille serait fidèle à ce qu’est la ville.Claire Oberlin regrettait cependant dene pas avoir réussi à convaincre «Jean-Noël, un SDF depuis près de vingt ans,agrégé de lettres classiques, logeant surle bitume en bas de chez moi», ainsi quedes sans-papiers. Elle se console enayant notifié leur absence sur le plateauet dans le livret publié, propre à chaqueville. Les regrets de Claire et chacunedes performances questionnent peut-être le plus important: la quête impos-sible de faire battre le cœur d’une villedans des chiffres, aussi ludiques etnombreux soient-ils. •

REPORTAGE

100 % MARSEILLEdu collectif RIMINI PROTOKOLLThéâtre de la Criée, dans le cadredu festival de Marseille (13).Du 30 juin au 2 juillet.Rens. : festivaldemarseille.com

Libération Vendredi 30 Juin 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe u 29

D os gracile et cuisses affûtées,la danseuse entre dans lestudio de répétition, se posi-

tionne à la barre et enchaîne quel-ques battements et adages face aumiroir pour se chauffer. Ensuite, sila journée a été bonne, elle ira éven-tuellement vomir dans les toilettesles deux asperges sauvages qu’elles’était cru autorisée à ingérer, avantd’aller panser son pied ensanglantépar l’effort journalier. On exagère àpeine : c’est l’image d’Epinal surl’hygiène corporelle du danseur quecultive encore, en 2017, 90% de laproduction de films, eux-mêmess’intéressant à 98% au ballet classi-que ou au hip-hop.Rétablissons donc un peu les faits:un jeune danseur contemporain–formé par exemple dans la pres-tigieuse P.A.R.T.S. (l’école d’AnneTeresa de Keersmaeker à Bruxelles)ou au très convoité labo-école deLausanne, la Manufacture– auraitplutôt tendance à surveiller son ali-mentation, en maîtrisant souvent

tous les versets de la macrobiotique,les bienfaits du «jeûne intermit-tent» ou des monodiètes, les pré-ceptes «gluten free», tout commeceux du végétarisme ou du vega-nisme. Surtout, il est davantagegourmand que ses aînés d’une ex-trême diversité de pratiques corpo-relles, depuis les branches les plusunderground des arts martiaux auxpratiques somatiques les plus oc-cultes en passant par le grand «It»du moment: les «états modifiés deconscience» type transe, tournoie-ments des derviches… Des techni-ques non encore mainstream (at-

tendons quelques années), en pleinessor dans le secteur, et qui ontpour point commun d’entendrerompre avec le modèle du corpsperformant à l’occidental, dirigé parle système nerveux central et lesnotions de maîtrise et de contrôle,pour explorer d’autres états percep-tifs et une danse plus organique.

Synapses. «Il y a eu au début desannées 2000 une explosion des pra-tiques somatiques, des techniquesqui sont souvent incorporées par lesdanseurs avant d’exploser dans lasociété civile, confirme Hélène Joly,directrice du département forma-tion et pédagogie du Centre natio-nal de la danse (CND) à Pantin, enSeine-Saint-Denis. Les danseurs, enquête de sensations nouvelles,fuyaient les entraînements plus clas-

siques. Et, depuis deux ans, la de-mande de cours techniques très phy-siques revient, mais toujours encomplémentarité avec des pratiquesalternatives.»Ainsi est-il probable qu’en vous ren-dant au CND, où pullulent actuelle-ment quelque 150 jeunes danseursvenus de 19 écoles internationalespour le festival Camping, très richeen ateliers ouverts (1), vous soyezsurpris qu’on ne vous explique plusnécessairement comment assouplirl’«en-dehors» de vos jambes, maiscomment «éprouver la mobilité desyeux dans leurs orbites», «porter vo-tre attention sur la racine de votrelangue», «concevoir la verticalité àpartir de l’intérieur» en «réveillantdifférentes matières de corps : os,nerf, vaisseaux, organes…».Parmi cette nouvelle génération ve-nue d’Amérique du Sud (où fleuris-sent plus qu’ailleurs les études so-matiques), de Mauritanie, du Japonou de Belgique, certains pratiquentintensément le shiatsu, le chi-hung,la gymnastique holistique ou en-core la méthode Feldenkrais qui en-tend entraîner les synapses à réin-venter de nouvelles connexionsentre différentes parties du corps.Ceux qui ont déjà travaillé avec lechorégraphe David Wampach, ac-tuellement programmé au festivalMontpellier Danse, se sont sansdoute attardés sur leurs fascias(l’enveloppe des organes). Les colla-borateurs de Liz Santoro connais-sent la très confidentielle techniqueKlein venue des pays nordiques (oùl’on reste longtemps la tête en baspour tester l’alignement du corps);

et ceux d’Eszter Salamon, le «bodymind centering» (où l’on délocaliseles fonctions d’un membre vers unautre). Si certains chorégraphesparviennent à des qualités gestuel-les inouïes sur les plateaux, c’est no-tamment par la pratique intensivede ces techniques. A l’instar de My-riam Gourfink, grande yogaphile,ou de la géniale Meg Stuart, dont lesdanseurs, transformés en êtres vi-bratiles aux organes sensoriels sur-humains, ont intensément pratiquéle tantrisme et l’hypnose pour lacréation de Until Our Hearts Stop.

Naturopathes. Cette diversifica-tion n’est pas sans lien avec l’étatéconomique d’un secteur qui voit la«free lancisation» des danseurs s’in-tensifier. «Dans les années 80, àl’époque où les grandes compagniesproposaient des emplois fixes, on seformait auprès du “maître” qui dis-pensait son cours avec la techniquequ’il lui convenait, explique la cho-régraphe Liz Santoro. Aujourd’hui,on se retrouve sur des créations avecchacun son propre sac rempli detechniques diverses.» Du côté desformations, la plupart des écoles su-périeures ont intégré les pratiquessomatiques type Feldenkrais. Maiscertains plaident pour qu’une plusgrande diversité soit enseignée.Dans une perspective de sensibili-sation accrue aux problématiquesde santé d’une part (la question estrécente dans les ballets d’Opéra) etde l’autre, de reconversion du dan-seur. Quant à savoir si ces pratiquescorporelles pénétreront un jour lemarché de la société civile...A l’heure de la mondialisation duyoga, des «détoxs» et du «care» àl’américaine, les danseurs s’impo-sent en tout cas à l’avant-garde decette «écologie corporelle» que La-ban, Dalcroze, Duncan et leurs amisnaturopathes expérimentaient déjàdans le très mystique summer campde Monte Veritá au début duXXe siècle. «C’est le monde de de-main, s’enthousiasme MathildeMonnier, directrice du CND, quivient de donner un atelier géant deyoga pour 150 habitants de Pantinaux Magasins généraux. Quand onaura compris la puissance de cestechniques pour accéder à un corpsplus en porosité avec la nature etmoins en lutte avec lui-même, on lesrecommandera.»

ÈVE BEAUVALLET

(1) Camping se déroule jusqu’au 30 juinau CND, à Pantin.

UNTIL OUR HEARTS STOPchor. MEG STUART le 5 juilletà la Friche Belle de Mai (13), dansle cadre du Festival de Marseille.Rens. : festivaldemarseille.com

Guerriers, étoileset maître yogaHypnose, tantrisme, kung-fu shaolin…Loin des échauffements académiques,les danseurs diversifient leurs techniques etdéfrichent les pratiques corporelles de demain.

«Deep Aerobics», un cours existentiel et festif du chorégraphe, performeur et musicien américain Miguel Gutierrez. PHOTO MARC DOMAGE

On ne vous explique plus commentassouplir l’«en-dehors» de vos

jambes, mais comment «éprouver lamobilité des yeux dans leurs orbites»

ou «porter votre attention sur laracine de votre langue».

Du genreclassiqueCette semaine,

la pianiste Célimène Daudetnous explique les détails de sonopération «Haiti Piano Project»,qui consiste à doter l’île d’uninstrument de concert.

LIBÉ.FR

30 u www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe Libération Vendredi 30 Juin 2017

CULTURE/ SCÈNES

M ine de rien, celafait pile trente ansmaintenant que

Wim Vandekeybus est surle pont, chef de file d’unecréativité artistique fla-mande dont, tous supportsconfondus, on a pu à main-tes reprises souligner lesaudaces – formelles etautres. Egalement cinéasteet photographe, c’est biensûr dans la sphère choré-graphique que l’Anversoiss’est taillé une solide répu-tation internationale d’agi-tateur (la plupart dutemps) inspiré. Douze ansaprès son premier specta-cle, What the Body DoesNot Remember, Vandekey-bus présente au crépusculedu XXe siècle In Spite ofWishing and Wanting (Mal-gré le souhait et le désir),une de ses œuvres de réfé-rence qui va cartonner unpeu partout (notammentau Théâtre de la Ville, à Pa-ris, qui le reprend cette se-maine à la Villette, dans le

cadre de sa programmationhors les murs) et qui amême fait l’objet d’une dé-clinaison cinématographi-que, en 2002.La version 2017 d’In Spiteof… procède du palimp-seste, l’auteur parlantd’une «réinterprétation»globalement fidèle à l’origi-nale. En introït, deux hom-mes assis promettent (enitalien non surtitré) un«grand voyage». De fait,l’immobilité n’étant pasvraiment inscrite dans lesgênes du Flamand, le spec-tacle prend illico des allu-res de sabbat picaresque,danse d’hommes en hordequi, à tout ordre de mar-che, semblent préférer uneforme de chaos tour à tourloufoque et inquiétant, cor-dial et désuni, chimériqueet grave. Ainsi, la douzainede garçons réunie assume-t-elle sa part de rudesse,comme de sensualité,autour du maître de céansen embuscade. Des hom-mes-chevaux se cabrent,écument, obéissent (oupas) à la cravache, galo-pent, trottinent. Plus loin,ce sont les souvenirs d’en-fance qu’on convoque, es-poirs incandescents et illu-sions perdues mêlés. Ou unoreiller qui explose inopi-nément au beau milieu duplateau nu, libérant unnuage duveteux dans le-

quel s’ébroue la commu-nauté.Sauts, bonds, chutes, rep-tations, portés, roulades…le langage chorégraphiqueest à l’unisson d’un proposéchevelé qui ne s’arrête quele temps de deux courtsmétrages pasoliniens diffu-sés sur un écran – ceux dela version originelle, jouéspar les danseurs de l’épo-que et inspirés par l’auteurargentin Julio Cortazar –où il est notamment ques-tion d’un vendeur ambu-lant de gémissements, desoupirs et de cris.Presque vingt ans plustard, les longues séquencesdansées font toujours mou-che, l’énergie bluffante quis’en dégage – sur une parti-tion, également d’origine,de l’ex-Talking Heads, Da-vid Byrne – étant juste tem-pérée (sinon diluée) dansun verbiage polyglotte las-sant à la longue (presquedeux heures). Une dernièreréflexion fait sens, cepen-dant: «Dans la vie, je faisplein de choses. Mais dansmes rêves, rien, zéro. J’en-cule mes rêves. Bonnenuit.»

GILLES RENAULT

IN SPITE OF WISHINGAND WANTINGde WIM VANDEKEYBUSGrande Halle de la Villette75019, jusqu’au 2 juillet.

Vandekeybus, le retourde la horde flamande«In Spite ofWishing andWanting», reprisvingt ans après àParis, n’a rienperdu de sonénergie écheveléeet bluffante.

Sur le plateau explosif de In Spite of Wishing and Wanting. PHOTO DANNY WILLEMS

Libération Vendredi 30 Juin 2017 u 31

« L’Île-de-France fait son cinéma ! »Ateliers cinéma et projections gratuites, du 30 juin au 29 juillet.

« L’Île-de-France fête le théâtre »Ateliers, initiations et spectacles gratuits, du 5 août au 3 septembre.

Journées européennes du patrimoineLes 16 et 17 septembre sur tout le territoire.

Jardins ouverts en Île-de-FranceVisites, animations, concerts dans plus de 80 jardins franciliens, les 30 septembre et 1er octobre.

en Île-de-FranceULTURELn été

Plus d’informations sur www.iledefrance.fr/terredeculture

Cré

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Tous contre unNacer Bouhanni Peu affable et pas toujoursapprécié dans le peloton, le sprinteur français laissedire et préférerait un vélo sans com ni calcul.

F in juin, dans un hôtel planté au milieu des terrils duPas-de-Calais, sans doute le seul endroit du pays où lecrachin a vaincu la canicule. Dans vingt-quatre heures,

Nacer Bouhanni deviendra vice-champion de France decyclisme. En attendant, il aimerait bien qu’on lui foute la paix.Les journalistes ne sont pourtant pas nombreux à être venuss’enquérir de sa forme, deux mois aprèsune grave chute sur le Tour du Yorkshire,commotion cérébrale et plusieurs joursd’hospitalisation. C’est déjà trop pour lecoureur de Cofidis, qui ne se cache pas: «Je n’aime pas com-muniquer, je préfère rester dans mon coin. Si je pouvais m’enpasser…»La rançon de la gloire. Il a remporté plus de cinquante victoiresdepuis qu’il est passé professionnel, en 2011, devenant une têted’affiche du cyclisme français. Son compteur, en revanche,reste bloqué à zéro sur le Tour de France, dont il prendra le dé-part ce samedi pour la troisième fois. Avec environ une étapesur deux promises aux sprinteurs comme lui, il y sera particu-lièrement attendu, d’autant qu’il y affrontera Arnaud Démare(lire son portrait dans Libération de jeudi). Ces deux-là entre-tiennent une cordiale détestation après avoir couru des années

sous le même maillot, chez les jeunes puis chez les pros, à laFDJ. S’y estimant déconsidéré, Bouhanni finira par claquer laporte fin 2013 pour rejoindre Cofidis, qui lui garantit une équipedévouée et un salaire juteux estimé à environ 100000 eurospar mois, l’un des meilleurs cachets du peloton.Arnaud Démare, l’argent… De tout ça et du reste, Bouhanni

ne dit quasi jamais rien. Et c’est sans doutepour cela que l’on entend bien des chosessur lui. «Peu de gens me connaissent, maisl’important, c’est de savoir qui on est. Je

n’ai pas besoin de me justifier, évacue-t-il. Après, on peut facile-ment fabriquer une image de quelqu’un, ça va vite. Parfois, çapasse pour de l’arrogance.» Si ce n’était que ça. Arrogant, oui,trop payé, d’accord, mais aussi impulsif et mauvais perdantquand, encore dans l’adrénaline d’un sprint, il refuse d’admet-tre qu’il est tombé sur plus fort que lui. Ou encore brutal, ca-ractériel, égoïste. La liste des qualificatifs peu amènes qui cir-culent à son sujet est sans fin, et tout est bon pour lui trouverdes tares. Un jour, il se plaint qu’une bijouterie de Nancy luia barré l’accès sans motif. Celle-ci se défend en l’accusantd’avoir tambouriné à la porte et crié «je suis le milliardaire deNancy!» ce qui deviendra immédiatement l’un des surnoms

favoris de ses détracteurs. «Cette histoire, c’est un sketch, per-sonne ne sait ce qui s’est passé. Le lendemain, la bijouterie s’estexcusée, et m’a invité à boire le champagne.»Dans cet épisode et dans d’autres, on pourrait voir du délit defaciès ou de patronyme. Mais ce Vosgien, fils de Vosgiens,petit-fils d’immigrés algériens, assure qu’il «n’a jamais eu deproblème de racisme». «Je ne suis pas du genre à me victimi-ser.» De sa voix douce et précise, il balaie une à une les aspéri-tés. Il fait avec. Concentré, comme lorsqu’il est sur son vélo,où il avoue «ne penser à rien» : «Je suis dans ma bulle.» Ensomme, professionnel, un mot souvent utilisé par les sportifspour tout, et surtout ne rien dire. Pour Bouhanni, c’est un mot-clé, parce qu’il prend un autre sens. Lui n’est pas là pour lesbons sentiments, pour faire plaisir au public, à ses équipiersou aux journalistes. Il ne sait pas faire. Mieux, il s’en tape. «Deshypocrites, il y en a dans le cyclisme, ça c’est sûr. Moi, je n’arrivepas à faire semblant comme certains qui ont le sourire dès qu’ilsvoient une caméra. Beaucoup savent jouer un rôle, se donnerune image. Bien formuler les phrases, toujours dire merci. Biensûr, c’est normal de dire merci, d’être content, mais quand onen rajoute des tonnes?» On aura reconnu quelques pointuresfrançaises actuelles. Au choix Romain Bardet, Thomas Voec-kler ou Arnaud Démare, encore. «Ça ne m’énerve pas. Je m’enfous, en fait. Mais je ne suispas comme ça, voilà. Avoir lesourire tout le temps, ce n’estpas moi. Je souris quand j’enai envie.»Lunettes et coupe de cheveuxà la mode, mais tee-shirt bleuélectrique pour le sponsor ethautes chaussettes blanchesde contention pour la récu-pération : le professionna-lisme, c’est aussi savoir assu-mer un look improbable. Etdes prises de bec. Lorsqu’ilest arrivé chez Cofidis, il a choisi son entourage. Il est venuavec six coureurs dans ses bagages. Deux ans plus tard, il n’enreste plus qu’un, Geoffrey Soupe. Les autres? «Professionnelle-ment, ça n’allait pas.» Limpide. Et dur. Un coureur expéri-menté comme Steve Chainel n’est resté que six mois, large-ment suffisant pour passer de grand pote d’entraînement àparia. «Je ne pense pas qu’on puisse avoir des amis dans lemonde pro. Mes vrais amis, ils sont en dehors du vélo. J’en aimoins de cinq. Ça me suffit.» Un homme trouve grâce à sesyeux, son entraîneur, Jacques Decrion, qui enfourche réguliè-rement sa bécane pour lui permettre de faire des sorties der-rière le scooter. Quand le Vosgien quitte la FDJ pour Cofidis,Decrion lui emboîte le pas. «C’est quelqu’un de dévoué. Il donnetout pour le coureur. Il y a des gens qui font le strict minimum,lui, s’il peut faire plus, il fera plus.»Nacer Bouhanni est un homme de peu de mots. Qui préfèrequand les choses se font naturellement, «sans trop se poser dequestions». De peu de loisirs aussi: cinéma, livres, séries, il n’apas de passion avouée, à part la boxe, qu’il pratique en amateurdepuis son enfance. Les temps faibles de sa vie de coureur,quand on attend le massage ou le dîner à l’hôtel, il les occupe«en allant un peu sur Internet, et puis en discutant avec [ses]amis, [sa] copine». Il a emménagé il y a un peu moins de deuxans en banlieue de Nancy, «parce qu’à 27 ans, il faut quandmême prendre son indépendance», explique-t-il dans un raresourire. «J’habite à trois quarts d’heure de chez mes parents,c’est pas le bout du monde», précise-t-il aussitôt.Il raconte humblement comment son père, «dans le bâtimenttoute sa vie», et sa mère, sans emploi, l’ont accompagné surles courses gamin, «plutôt que d’aller au restaurant». Ou com-ment il a poussé son frangin, Rayane, à suivre ses pas, alorsque celui-ci avait essentiellement joué au foot dans sa jeu-nesse: «Je venais de passer pro, on est allés faire une sortie deVTT un peu comme ça, et j’ai vu qu’il avait de réelles qualitéspour quelqu’un qui ne pratiquait pas le vélo, donc je le lui aidit.» Rayane, son cadet de six ans, est lui aussi professionnelchez Cofidis. Encore une occasion pour ses détracteurs de lecritiquer, cette fois pour népotisme. «Il a fait ses preuves»,répond-il sans ciller. D’ailleurs, le temps prévu est enfinécoulé, la corvée est terminée. Ah non: il faut encore faire leshooting avec le photographe. «Une photo ? Faut que j’aillefaire la sieste moi !» •

Par BAPTISTE BOUTHIERPhoto THIBAULT STIPAL

1990 Naissanceà Epinal (Vosges).2011 Professionnelà la FDJ.24 juin 2012Champion de France.2015 Rejoint l’équipeCofidis.1er juillet 2017 Départdu Tour de France.

LE PORTRAIT

LE TOUR AU SPRINT (2/2)

Libération Vendredi 30 Juin 2017 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t@libe