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Avec + L’éclairage de 6 grands témoins ANALYSES TÉMOIGNAGES REPORTAGES INNOVATIONS Une année d’économie collaborative décryptée par 11 médias VILLE ENVIRONNEMENT TRAVAIL POLITIQUE Ce supplément ne peut être vendu séparément.

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Avec

+L’éclairage de

6 grands témoins

ANALYSESTÉMOIGNAGES

REPORTAGESINNOVATIONS

Une année d’économie collaborative décryptée par 11 médias

VILLE ENVIRONNEMENT TRAVAIL POLITIQUE

Ce supplément ne peut être vendu séparément.

IDÉE

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Décembre 2016Un supplément réalisé en partenariat avec la MAIF

Idée Collaborative © est une marque déposéeRemerciements

Toutes les équipes rédactionnelles de 20 Minutes, Alternatives Économiques, ConsoCollaborative,

Causette, NEON, OuiShare, Philosophie Magazine, Sciences et Avenir, Society, Usbek & Rica, We Demain.

CONCEPTION ÉDITORIALESocialter SAS

108, rue du Théâtre 75015 Paris

n qu e l qu e s a n n é e s , l ’é c o n o m i e collaborative s’est invitée dans tous les secteurs de la société. Échange de logements, financement participatif, troc de biens et services, achats grou-

pés, coworking, covoiturage : de plus en plus de particu-liers tissent entre eux des liens économiques et sociaux – plus de la moitié des Français ont déjà franchi le pas, parfois même sans le savoir – et court-circuitent ainsi le système traditionnel. Ce faisant, ils s’affranchissent éga-lement de l’impôt et du droit du travail. Pour résoudre ce problème, on pourrait être tenté d’appliquer les vieilles recettes  : taxer les particuliers, titulariser les travail-leurs, promulguer des interdictions. Et tout rentrerait dans l’ordre. Mais ce serait là manquer les mutations profondes et irréversibles que révèle l’économie collabo-rative. Car pendant que l’attention se concentre sur les démêlés d’Uber ou d’Airbnb, des collectifs de citoyens se

battent pour une démocratie plus forte et plus horizon-tale, d’autres se rassemblent pour financer la transition énergétique, des start-up proposent des solutions pour un monde plus solidaire et des entreprises réinventent nos façons de travailler. Avec 11 médias partenaires et pour la deuxième année consécutive, Socialter et MAIF vous proposent d’ap-préhender les enjeux de la nébuleuse collaborative. Idée  Collaborative  2016 dresse un aperçu de l’actua-lité collaborative de cette année – ville, environnement, travail, politique – tout en étant un véritable outil de réflexion  : quels échanges entre citoyens dans la ville de demain  ? Comment faire des mutations du travail un outil d’émancipation  ? Quelles solidarités et quelle démocratie à l’heure du numérique  ? Autant de ques-tionnements nécessaires pour penser le passage d’une économie à une société collaborative.

Directeur de la rédactionOlivier Cohen de Timary

Partenaires MAIFPhilippe Tauvel, Valérie Gilbert, Amélie Ott

Rédacteur en chef pour ce supplément Côme Bastin

Correction/EditingMarine DérobertIllustrationsAdrià Fruitós

Création graphiqueRémi Andrieux / Elefonts.fr

Contributeurs pour ce supplémentCôme Bastin, Olivier Cohen de Timary, Alban

Leveau‑Vallier, Baptiste Piroja, Philippe Vion‑Dury

Photographe Augustin Le Gall

ImpressionLéonce Deprez Z.I. de Ruitz 62620 Ruitz

DISTRIBUTION Presstalis

Ce supplément rédactionnel de 116 pages, IDÉE COLLABORATIVE 2016,

est distribué avec Socialter n° 20 sur l’ensemble de l’édition nationale et

pour tous les abonnés.Ce supplément ne peut être vendu séparément.

Socialter

Numéro ISSN :2270‑6410

Numéro de commission paritaire :1118 D 92060

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La MAIF remercie les 11 médias partenaires de ce numéro :

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STARTER3 Édito

6 Idée large

8 Starter

14 Entretien : Dominique Mahé et Pascal DemurgerDepuis2014,laMaiftransformesonmétierets’engagepourledéveloppementd’unesociétécollaborative.

16 Pascal Picq : L’odyssée de l’espèceAprèsladémocratiereprésentativeetuniverselle,lepaléoanthropologueappelleàunedémocratienumériquepourchangerdecivilisation.

VILLE COLLABORATIVE

22 Grand témoin. Johanna Rolland LamairedeNantesafaitducollaboratifleferdelancedesapolitiqueetnouslivresavisiondel’édileduxxiesiècle.

Quartiers intelligents26 À quoi servent vos voisins ?

Onvitàcôtémaisonnepartageparfoispasgrand-choseaveceux.Voiciquatreréseauxpourchangerladonne.

28Voisins à tout faire

29Déménager et stocker entre particuliers

30Airbnb : faut-il limiter les prix ?

31 La coloc étudiante revisitée

32Quand les clients du bar deviennent les patrons

33Manger la cuisine de son voisin

Mobilité 34Concurrencer Uber grâce à la blockchain

35Le covoiturage gratuit peine à émerger

36Le « courtvoiturage », avenir du covoiturage ?

37 Trouvez une place grâce au coparking

38Des solutions de ramassage scolaire collaboratif

39Mobilité augmentée pour personnes à mobilité réduite

40« J’ai voyagé avec un chauffeur routier »

ENVIRONNEMENT

44Grand témoin. Cyril DionNoussommesallésdemanderauréalisateurdufilmDemaincommentlecollaboratifpouvaitfairepartiedelasolution.

Consommation durable48L’odyssée du Fairphone

49Backmarket part à la conquête de l’Europe

50Recharger les piles « jetables » ?

51 BuyMeOnce, des produits garantis à vie

52Le magasin pour rien

53Roubaix en route vers le zéro déchet

54Un an sans déchets : challenge accepté

55Des applis pour limiter le gaspi

Agriculture et climat

56 Énergie collaborativeCrowdfundingd’énergiesrenouvelables,cryptomonnaiesvertes…Commentlesparticuliersbousculentlesecteurdel’énergie.

58Un drive à la ferme

59Manger local : à chacun sa formule

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60Crowdfunding des champs

61 Savez-vous planter chez nous ?

62Des plumes contre la pollution

63Crowdsourcing climatique

TRAVAIL

66 Grand témoin. Diana FilippovaLafondatricedeOuiShareréclameaujourd’huiuneréflexionsurlaconditiondestravailleursàl’èredesplateformes.

De nouveaux modes de travail70 Les labs d’entreprise sont-ils des coquilles vides ?

Depuisquelquesannées,leslabssemultiplientdanslesentreprisesfrançaises.Maisàquoiservent-ilsvraiment?

74 Coworking à domicile

75 Wemind se bat pour les droits des freelances

76 Nicolas Colin : «Versuneassurancesocialeuniverselle»

77 Il s’est ubérisé pendant un mois

78 Les hackers nomades de la Silicon Valley indiennePrèsdeBangalore,unespacedevieetdetravailmélangenumérique,culturemaraîchèreetyoga.

Sciences participatives80Hackathon, superstar

81 Le Wikipédia de la cartographie

82La Paillasse, auberge espagnole de la science

83Un labo de génétique de poche

84Une main en 3D pour dépasser le handicap

85Antoine Burret : «Tiers-lieux,lesfabriquesdubiencommun»

86Dans la brasserie créative d’IstanbulÀlafoisfablabetespacedecoworking,Atöylefédèreunecom-munautédecréatifsdanslesfaubourgsdelacapitaleturque.

POLITIQUE

90Grands témoins. E. Lewis et R. Slitine.Pendantdeuxans,ilssontpartisàlarencontredesinnova-tionspolitiquesdelaplanèteetenonttiréuneconviction:ilesturgentderéinventernotredémocratie.

Une nouvelle démocratie94Économie collaborative : quand est-ce que l’État contre-attaque ?

Peut-ilrattrapersonretardenintégrantlaculturedupartagedanssonfonctionnementetencréantleservicepublicdufutur?

98Les Civic Tech réinventent la politique française

99Le collaboratif, un enjeu pour 2017

100Sandra Laugier :«Pasde“nous”politiquesans“je”expressif»

101Hello2017 veut changer la donne pour la présidentielle

De nouvelles solidarités102Le temps, ce n’est pas que de l’argent

DansuneAccorderie,onéchangedesservices,maispasd’argent.L’unitédecompte,c’estl’heure.

105Bénévolat à la carte

106Le génie du don gratuit

107Ubériser la solidarité

108Une école pour réfugiés ouvre grâce au crowdfunding

109WiFilles Society

DIGESTIF111 Intelligences artificielles

112 CO/Créations

113 Book café

114 CO/Design

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Avril 2016. Un mois après la naissance du mouvement Nuit Debout, un orchestre amateur se produit Place de

la République à Paris. 350 musiciens réunis via les réseaux sociaux - et qui pour la plupart n’avaient

jamais joué ensemble - interprètent avec brio la  Symphonie du Nouveau Monde d’Anton Dvorak.

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* en nombre d’annonces de services, transports, hébergements disponibles sur des sites dédiés à l’économie du partage, rapportées au nombre d’habitants.

LE PODIUM 2016 DES CITADINS LES PLUS COLLABORATIFS *

LE CROWDFUNDING DOUBLE LA MISE

(Source : Indice Asterès 2016 de l’économie du partage)

Les habitants des trois plus grandes villes françaises peuvent encore mieux faire : Parisiens (14e place), Lyonnais (18e), Marseillais (30e).

Top 3des sujets sur lesquels les Français veulent s’investir

Une définition de l’économie

collaborative ?

❶Une organisation

en « réseaux » ou communautés

❷Une mutualisation de

ressources matérielles ou immatérielles

❸Une intermédiation via des plateformes

numériques

❹Des échanges plus

horizontaux (moins de hiérarchie)

1Bordelais

2Lillois 3Tourangeaux

Le cumul des financeurs qui ont soutenu un projet sur les plateformes de crowdfunding françaises depuis leur lancement, pour un total de 17 775 projets financés (à fin 2015).

(Source : Financement Participatif France, 2015)

Montants levés par segment en millions d’euros

2,3 millions

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Capital

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296,8

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Réductiondes déchets et du gaspillage

Une agriculture plus respectueuse de l’environnement

Luttecontrela pauvreté

534141

(Source : Monabanq/TNS Sofres, juin 2016)

Plus d’un Français sur deux a déjà signé une pétition sur internet

52%

Les contours de « l’économie collaborative » sont parfois flous. Néanmoins, il est possible de dégager quatre caractéristiques centrales :

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Pas sûr qu’ils le prennent

si calmement

BON BUZZ

MAUVAISBUZZ

Passez à la caisse ! Les supermarchés ont trouvé plus fort qu’eux dans leur combat « contre la vie chère ». Avec des prix de 20 à 80 % plus bas pour des produits de qualité, les coopératives alimentaires ont de quoi convaincre. Tout ça n’est pas magique : pour faire partie de ces « Food coop », il faut participer en achetant des parts et en donnant un peu de son temps – quelques heures par mois à la caisse ou à la manutention. Les Français semblent vouloir mettre la main à la pâte et de nombreux projets fleurissent sur le territoire : La Louve à Paris, SuperCoop à Bordeaux, La Cagette à Montpellier, Otsokop à Bayonne, La Chouette Coop à Toulouse, Scopéli à Nantes... Des initiatives militantes qui pourront peut-être bousculer les géants de la distribution.

(Source : Bureaux à Partager/La Fonderie, octobre 2016)

loyer mensuel moyen pour un espace à Paris, contre 228 euros en province320€espaces en France,

soit une augmentation de 50 % entre 2014 et 2015360 1 an

c’est la durée moyenne pour qu’un espace trouve son équilibre économique.

La start-up de livraison de plats à domicile Take Eat Easy avait tout pour faire rêver. Après avoir levé 6, puis 10 millions d’euros, elle réalisait plus d’un million de livraisons par semaine dans 20 villes différentes. Mais faute d’avoir atteint la rentabilité et n’ayant pas pu faire de troisième levée, l’entreprise a été placée en redressement judiciaire le 26 juillet 2016. Elle a laissé des impayés estimés à 20 millions d’euros auprès des restaurateurs, ainsi qu’auprès des 160 employés et 4 500 livreurs, informés à la dernière minute des difficultés de l’entreprise avant d’être laissés sur le carreau.

LE TRAVAILLEUR COLLABORATIF EN FRANCE

(Source : IGAS, Les plateformes collaboratives, l’emploi et la protection sociale, mai 2016)

2 500Le nombre de personnes employées directement par les plateformes. 380

Le chiffre d’affaires généré par les plateformes en millions d’euros (correspondant à un volume d’affaires de 7 milliards d’euros).

200 000C’est le nombre de « travailleurs collaboratifs » en France (hors vente d’occasion et hébergement) soit 0,7 % de la population active.Ce chiffre sous-estime probablement le nombre réel de contributeurs réguliers sur les plateformes collaboratives et de services à la demande.

2016, ANNÉE DE LA RÉGULATIONDepuis la loi pour une République numérique (7 octobre 2016), les plateformes ont maintenant l’obligation d’informer clairement les utilisateurs de leur fonc-tion nement, en particulier sur la manière dont le contenu est classé et référencé.

LES UTILISATEURS MIEUX INFORMÉS

Dans certaines communes, les particuliers devront demander une permission à la mairie pour pouvoir louer leur appartement. Les usagers ne pourront pas louer leur résidence principale plus de 120 jours par an. Les plateformes auront la charge de comptabiliser le nombre de jours de location de leurs utilisateurs.

LES ACTEURS TRADITIONNELS DÉFENDUS

Fini l’« Eldorado » ! Les particuliers devront s’affilier au régime social des indépen-dants (RSI) et payer des cotisations à partir de certains seuils de revenus  : 23 000 euros pour l’immobilier et 7 720 euros pour les autres biens (projet de loi de financement de la sécurité sociale). La responsabilité reviendrait aux plate-formes d’informer les utilisateurs de leurs obligations fiscales. Certaines pour-raient même prendre en charge la collecte de cette nouvelle taxe.

LE TRAVAIL COLLABORATIF TAXÉ

COWORKING MANIA Dans les espaces de coworking, il y a désormais autant de salariés que de freelances.

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560 euros par mois pour une durée de deux ans. C’est ce que vont toucher 2 000  chômeurs en Finlande à partir du 1er janvier  2017. Si l’expérimentation est concluante, le gouvernement envisage de généraliser ce revenu à toute la population et de simplifier ainsi la sécurité sociale en remplaçant de multiples prestations.

La municipalité a voté une loi prévoyant jusqu’à 7 500 dollars d’amende pour les particuliers qui louent leur logement moins de 30 jours. De son côté, Airbnb s’est engagé à interdire la location de plusieurs logements par la même personne et à bannir de son site tous ceux qui violeraient ses règles plus de trois fois.

Un tribunal du travail britannique a condamné le géant américain à reconnaître deux de ses chauffeurs comme des employés. Une décision historique qui pourrait faire jurisprudence pour les 30 000 autres chauffeurs Uber en Angleterre.

Pour inciter ses habitants à réparer plutôt qu’à jeter et remplacer, le gouvernement suédois veut faire baisser la TVA de 25 à 12 % dans le secteur de la réparation. Les Suédois pourront aussi déduire de leurs impôts une partie du coût de la main-d’œuvre pour remettre lave-linge ou réfrigérateur en état.

À LONDRES, LES CHAUFFEURS UBER BIENTÔT SALARIÉS ?

VOUS ALLEZ AIMER RÉPARER

UN REVENU DE BASE POUR LES CHÔMEURSAIRBNB JOUE SA SURVIE À NEW YORK

FINLANDE

SUÈDEANGLETERRE

ÉTAT-UNIS

WHATSAPP’« La loi doit donner les moyens d’em-pêcher l’économie colla borative de se transformer en éco nomie de la prédation. » (Anne Hidalgo, AFP, avril 2016)

« À nous donc d’accompagner le mouvement du travail libre tout en protégeant toujours mieux les indépendants, au même titre queles salariés. » (NKM, Programme primaires LR, 2016)

« L’économie sociale et solidaire est sensible à ce que tout le monde puisse accéder aux services. L’économie collaborative, elle, accroît les inégalités patrimoniales. » (Hugues Sibille, Rue89, août 2016)

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Le code du travail s’adapte au numérique. Depuis la loi travail, les entreprises ont l’obligation de garantir une séparation entre vies personnelle et professionnelle de leurs salariés. Les « modalités de l’exercice du droit à la déconnexion » devront être négociées avec les partenaires sociaux.

KissKissBankBank et Ulule, les deux champions français du financement participatif ont levé respectivement 5,3 et 5 millions d’euros cette année. Ils ouvrent également chacun un espace physique à Paris : la Maison du Crowdfunding et la Boutique Ulule. Objectif : animer leur communauté, faire connaître leurs services et présenter des projets qui ont vu le jour grâce à leur plateforme.

SE DÉCONNECTER EST UN DROIT

LE CROWDFUNDING A PIGNON SUR RUE

KIT DE SURVIEL’INSTANT

BERNARD PIVOT

BlockchainRegistre de transactions sécurisé et inviolable. Enregistré et mis à jour automatiquement chez tous ses utilisateurs, sa technologie permet de se passer d’institutions centrales.

Circuit court Circuit de distribution dans lequel le nombre d’intermédiaires à été réduit au minimum.

Civic Tech Entreprises et services visant à stimuler et faciliter la participation à la vie politique.

Compte séquestre Immobilisation d’un paiement entre le moment où le client a commandé un service et le moment où le prestataire l’a réalisé. Cette fonctionnalité proposée par certaines plateformes (Blablacar) empêche qu’une des deux parties lèse l’autre.

Open sourceÀ l’origine, logiciel informatique dont le code source est ouvert et réplicable. Par extension, bien ou service dont les plans ou la méthodologie sont librement consultables et réutilisables. Peer review (vérification par les pairs)Notation et appréciation par les utilisateurs. Obligatoire sur certaines plateformes, elle permet d’avoir une idée de la qualité du service rendu.

Suivez le guideDans un contexte d’offre de services collaboratifs en pleine expansion, il manquait un outil qui permette au grand public de s’y repérer. Habitat, biens, savoirs, mobilité, alimentation, finance… Lancé en mai 2016 par la MAIF et Consocollaborative, le Guide de la consommation collaborative présente via sept thématiques un grand nombre de start-up mais aussi d’associations et de coopératives du secteur. guide.consocollaborative.com

FRANCE

FRANCE

« Le gouvernement est déterminé à faire 

de la France une terre de l’#économie 

collaborative » (Manuel Valls,

Twitter,février 2016)

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« L’économie collaborative ne se résume pas à l’ubérisation. » (Pascal Terrasse, Les Echos, février 2016)

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FRÉDÉRIC MAZZELLAON INNOVE À LA MAISON

Parmi les entrepreneurs stars en France, difficile de ne pas citer son nom. Frédéric Mazzella, 40 ans, est à la tête de Blablacar, leader mondial du covoiturage. Après une levée de fonds record de 200 millions de dollars en 2015, la boîte a fait un nouveau tour de table de 21 millions d’euros cette année. Une opération qui lui permettra de se déployer dans d’autres pays du globe, comme en Inde ou en Russie. Fer de lance de la nouvelle économie, Mazzella encourage les chefs d’entreprise français expatriés à revenir entreprendre en France via le label #ReviensLéon.

LAETITIA VASSEURLIGUE DES CONSOMMATEURS

L’association HOP (Halte à l’obsolescence programmée) dont elle est cofondatrice combat les marques qui réduisent consciemment la durée de vie de leurs produits. Contre ce fléau, elle veut à la fois éveiller les consciences et influencer les industriels à aller dans le bons sens. Depuis la loi Hamon votée en 2014, il est possible de diriger des actions collectives contre une entreprise – notamment celles qui pratiquent l’obsolescence programmée –, et elle et son équipe comptent bien en profiter. HOP attend de franchir la barre des 10 000 membres pour avoir le droit de porter des recours devant la justice.

BRIAN CHESKYUNE ANNÉE AGITÉE POUR AIRBNB

Comment une simple idée venue d’un designer américain sans le sou s’est transformée en géant de l’économie collaborative. C’est la belle histoire de Brian Chesky, PDG de la plateforme proposant aux particuliers de louer leur propre logement, Airbnb. Moins de 10 ans après sa création, on estime sa valorisation à 30 milliards de dollars. La boîte a récemment effectué un nouveau tour de table de 555 millions de dollars en 2016. Malgré son succès, beaucoup lui reprochent d’abuser de l’optimisation fiscale en Europe pour ne pas payer d’impôts ou encore d’autoriser des locataires à sous-louer leur logement sans avoir l’accord écrit de leur bailleur ou de la municipalité. EVA SADOUNBUSINESS ANGEL SOLIDAIRE

Démocratiser l’épargne solidaire, c’est le crédo d’Eva Sadoun (et Julien Benayoun, son associé). Diplômée de l’EM Lyon et de l’Essec, elle suit un cursus d’entrepreneuriat social et œuvre pour une ONG indienne, pionnière en microfinance. Elle cofonde 1001pact en 2014 dans l’espoir de bousculer les lignes du financement participatif. Cette start-up propose d’investir directement dans des sociétés à impact social ou environnemental positif. Confortée par un nombre croissant d’épargnants qui veulent donner du sens à leur placement, la start-up a levé 700 000 euros en juin 2016. Depuis sa création, la plateforme a réussi à financer une quinzaine d’entreprises, représentant un total de 2,5 millions d’euros investis.

MARION CARRETTEJ’ACCUSE !

La PDG de OuiCar s’est élevée en novembre dernier contre une mesure du projet de budget de la sécurité sociale pour 2017, qui stipulait que l’utilisateur des plateformes collaboratives devrait payer des charges au-dessus de 3 860 euros de revenus par an. Une réforme mettant en péril la croissance du secteur, selon elle. Car la plateforme de partage de véhicules entre particuliers qu’elle a fondée en 2012 accueille de plus en plus d’utilisateurs : plus de 600 000 aujourd’hui. Les députés ont finalement voté pour la suppression de cet article de loi porté par le gouvernement.

LE WHO’S WHO DU COLLABORATIFGROS POISSONS ETJEUNES LOUPS

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VITALIK BUTERINLE KASPAROV DE

LA BLOCKCHAIN

Ce petit génie des maths et de l’informatique de 22 ans est né en Russie avant d’émigrer avec sa famille au Canada. D’abord au centre de l’attention en tant que cofondateur de Bitcoin Magazine, ce militant du logiciel libre est aussi connu pour avoir inventé Ethereum. Cette plateforme lancée officiellement en 2015 reprend les fondements de la technologie blockchain – une base de données distribuée entre ses utilisateurs, sécurisée et transparente. Elle per met de se passer des ins ti tu tions historiques garantissant les transactions (banques, notaires...) – de les « désintermédier » en supprimant la nécessité d’avoir un registre centralisé. Ethereum ne se limite donc pas aux monnaies virtuelles mais permet aussi de développer des applications comme la location d’objets connectés. Elle fonctionne avec une unité de compte, l’Ether.

AXELLE LEMAIREPOLITIQUE NOUVELLE

FRONTIÈRE

La Franco-canadienne est de tous les combats pour promouvoir le numérique. Au poste de secrétaire d’État chargée du Numérique et de l’Innovation, Axelle Lemaire a porté la loi pour une République numérique, promulguée le 7 octobre 2016. Au menu de ce texte dont les contours impactent le domaine du collaboratif : obligation pour les collectivités de plus de 3 500 habitants d’ouvrir leurs données dans le domaine public, renforcement de la protection des données personnelles des internautes ou encore accroissement de la véracité des avis en ligne. À noter que la loi a été rédigée en collaboration avec environ 20 000 citoyens et experts apportant leurs propositions, arguments ou votes.

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MONEY DROPLE TOP 20

DES LEVEESDE FONDS *EN 2016

(* en millions d’euros levés par des start-up françaises)

La France représente à elle seule 23 % du marché de l’économie collaborative, soit 3,5 milliards d’euros. Un chiffre qui devrait être multiplié par trois d’ici 2018.

(Source : Askheem)

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Cela fait mainte-nant deux ans que vous vous êtes lancés dans la promotion et l’accompagne-

ment d’une « société collabo-rative », quel regard portez-vous sur le chemin parcouru ? Dominique Mahé : En 2014, nous avons décidé d’être pion-niers de ce qui n’était encore qu’une pratique émergente. Nous avions la conviction que le mouvement collaboratif allait au-delà d’une réponse à la crise, qu’il était aussi porteur d’un lien social nouveau contribuant à un monde plus ouvert et collaboratif. En cela, notre engagement pour une société collaborative marque le renouveau du projet politique qui a motivé la création de la MAIF en 1934. Le mutualisme, l’économie sociale et solidaire, et la société collaborative promue par la MAIF et ses partenaires ne sont finalement que différentes expressions d’un même ADN. Deux ans après avoir fait le pari de la société collaborative, notre enthousiasme est renforcé. Nous avons créé autour de cette ambition une dynamique à la fois au sein de l’entreprise et autour d’elle, avec un nouvel écosystème de partenaires.

Quelles grandes tendances se dégagent de l’année 2016 ? Dominique Mahé : L’économie collaborative est une locomotive de nouveaux usages. Certaines pratiques comme le covoiturage, le crowdfunding ou l’héberge-ment entre particuliers de-viennent matures et intéressent désormais un plus large public. D’autres font écho à des problé-matiques sociétales comme la « smart city », le véhicule auto-nome ou le post-salariat. En 2016, il semble de plus en plus évident que l’économie collaborative est un axe structurant du vivre ensemble et qu’une considération globale de ses ressorts et de ses impacts est nécessaire. Elle implique un regard audacieux sur nos choix politiques.

Ulule, Numa, Jestocke.com, Samboat... Vous avez investi via votre fonds MAIF Avenir dans de nombreuses start-up de cette nouvelle économie en 2015-2016. Quelle est votre stratégie par rapport à ces acquisitions et souhaitez-vous poursuivre ce rythme d’inves-tissement ? Pascal Demurger : Depuis la création de MAIF Avenir, nous avons investi près de 50 millions d’euros dans une vingtaine de

start-up. Preuve que le succès est au rendez-vous, nous avons eu le plaisir d’accompagner certaines d’entre elles dans de nouvelles levées de fonds pour financer leur développement. Au-delà du volet financier, nous souhaitons mettre à profit l’expérience acquise pour proposer un accompagnement actif aux start-up dans lesquelles nous investissons. À l’avenir, nous continuerons de prendre des participations dans des acteurs qui stimulent notre propre capacité à nous transformer, qu’ils opèrent dans le domaine de l’économie collaborative, de l’innovation ou encore du numérique.

La stratégie de la MAIF passe aussi par le développement d’assurances spécialement conçues pour l’économie collaborative, comme celle récemment imaginée pour Stootie, une plateforme de services peer to peer. Comment voyez-vous votre métier d’assureur demain ? Pascal Demurger : L’assurance traditionnelle s’articule en général autour de la propriété d’un bien et sa couverture pour une durée d’au moins un an. Avec l’économie collaborative s’ouvre l’âge de l’accès et de l’usage, ce qui crée de

« LA SOCIÉTÉ COLLABORATIVE MARQUE LE RENOUVEAU DU PROJET MAIF »

Financement de start-up, assurances dédiées, partenariats médias… Depuis 2014, la MAIF transforme son métier et s’engage pour le développement d’une société collaborative. Dominique  Mahé (Président du groupe MAIF) et Pascal Demurger (Directeur général) reviennent sur les motivations et les objectifs de cette stratégie. Propos recueillis par Côme Bastin / Illustration : Seb Jarnot

DOMINIQUE MAHÉ ET PASCAL DEMURGER

"NOUS CONTINUERONS DE PRENDRE DES PARTICI-PATIONS DANS DES ACTEURS QUI STIMULENT NOTRE PROPRE CAPACITÉ À NOUS TRANSFORMER."

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nouveaux besoins d’assurance. Les nouvelles plateformes de services l’ont bien compris et placent la confiance qu’apporte l’assurance au cœur des expé-riences qu’elles cherchent à développer. Pour les assureurs qui s’y engagent comme la MAIF, l’économie collaborative est une opportunité de se transformer sur leur cœur de métier, mais aussi de se développer sur de nouveaux territoires.

En interne au sein de votre groupe, le numérique et les dynamiques collaboratives transforment-ils également votre mode de fonctionne-ment ? Pascal Demurger : Effective-ment. Nous avons énormément appris au contact de nos start-up partenaires, notamment dans la manière de concevoir et d’exécu-ter nos projets de manière plus agile. L’accompagnement de nouveaux usages nécessite de penser au-delà des logiques d’expertise verticales habituelles. Cela crée également de nouvelles aspirations individuelles et collectives, en faveur d’une nouvelle expérience « collabora-teur », laissant davantage de place à la prise d’initiative et à l’autonomie. En ce sens, notre engagement au côté des jeunes acteurs de l’économie collaborative fait souffler au sein de la MAIF un esprit start-up qui participe au changement profond de l’entre-prise.

Socialter, 20 Minutes, NEON, Society… Vous continuez cette année à explorer, avec plu-sieurs médias, les contours de la société collaborative. Quel est l’objectif de ces partena-riats qui s’inscrivent dans la durée ? Dominique Mahé : Nous voulons permettre à chacun de com-prendre ce qu’est la société collaborative. Il y a deux ans, nous nous sommes donc associés à différents médias pour la faire connaître, tant auprès de nos sociétaires que du grand public. La diversité et la complémentarité des

titres avec lesquels nous avons noué un partenariat, pour cer-tains généralistes, pour d’autres plus pointus, offrent une vision large du sujet. La richesse de cette rétrospective de fin d’année en est une nouvelle démonstration.

Vous avez lancé le 7 novembre le MAIF Social Club à Paris, un « espace de culture et de communication ». À l’heure de la dématérialisation, vous lancez un lieu physique. Pourriez-vous nous en dire plus sur vos objectifs et le pourquoi du lieu ?Dominique Mahé : Précisément, la révolution digitale ne fait que renforcer l’importance de la qualité des échanges en face-à-face. Nous avons créé ce lieu pour faire découvrir la MAIF au plus profond de ce qu’elle est, au-delà de son rôle d’assureur. Nous voulons développer une relation

"LA DIVERSITÉ DES TITRES AVEC LESQUELS NOUS AVONS NOUÉ UN PARTENARIAT OFFRE UNE VISION LARGE DU SUJET."

plus intime avec la marque. Pour autant, MAIF Social Club, en plus d’être un lieu, se décline à travers un site web dédié et un magazine papier.

Quels grands chantiers préparez-vous pour l’année à venir ? Pascal Demurger : 2015 et 2016 ont été dédiées à la construction d’un écosystème de partenaires partageant nos valeurs, qui nous ont permis d’explorer et de comprendre ces nouveaux usages collaboratifs. 2017 sera l’année de « l’hybridation », avec une plus grande intégration des pratiques collaboratives dans l’expérience MAIF, des offres jusqu’à la relation avec nos sociétaires, en partenariat notamment avec les start-up de MAIF Avenir. À terme, la MAIF pourrait s’affirmer comme une plateforme d’expé-riences collaboratives.

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Dominique Mahé (à gauche) et Pascal Demurger.

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Le numérique et les pratiques qui en découlent impactent-ils fondamentale-ment l’homme

en tant qu’espèce ? En somme, l’expression « homo numericus » a-t-elle un sens ? D’un point de vue anthropolo-gique, nous sommes dans ce que j’appelle la « troisième coévolu-tion ». La première coévolution, toujours à l’œuvre, est notre façon d’évoluer avec tous les organismes vivants autour de nous. La deuxième coévolution, depuis l’homo erectus, fait interagir notre biologie au sens large avec nos inventions techniques et leurs usages, ce qui change nos gènes, modifie extrêmement rapidement notre physiologie et notre rapport à la société. Et à présent, il y a une troisième coévolution : le numé-rique. Il bouscule notre société, mais il est aussi en train d’entrer dans notre corps.

A-t-on le recul pour savoir ce qui nous attend ?On constate des changements dans la manière de communiquer, dans la manière dont évolue le travail, l’emploi, les activités, la dématérialisation de la société. Nous avions, avec Francis Bacon, Descartes et la philosophie moderne, une certaine idée du progrès social, avec de grandes idées à droite comme à gauche par-delà les conservatismes.

Les grandes idéologies nous donnaient au moins l’illusion d’une société et de modes d’action qui se dirigeaient vers une finalité. Là, nous voyons que tout change, mais nous ignorons s’il s’agit d’un progrès ou non. Cela se passe à l’échelle mondiale sous l’effet de nouveaux acteurs que sont les GAFAT (Google, Amazon, Face-book, Apple et Twitter), les NATU (Netflix, Airbnb, Tesla et Uber) et ceux dont on ne parle pas, les BAT (Baidu, Alibaba et Tencent). Toute l’économie dite classique est en train d’être bousculée par des externalités dont elle est la cause. Par exemple, le modèle des voitures polluantes est remis en cause par celui des voitures électriques, avec des acteurs comme Tesla, qui ne gagne pas d’argent sur la vente de ses véhicules, mais en gagne sur la taxe carbone.

Est-ce que vous souscrivez à l’expression de troisième révolution industrielle pour décrire cette transition ?Troisième révolution industrielle, quatrième, cinquième cycle de Schumpeter-Kondratiev, troi-sième coévolution… peu importe le terme, nous sommes en plein dedans. Regardez le monde tel qu’il est. Dans deux ans, tout le monde l’aura oublié. Sauf qu’il y a des chances qu’il y ait de la casse. Comme le dit Schumpeter : « destruction créatrice ». Là nous sommes entrés dans la phase de

destruction. Vous avez des changements dans les modes de communication, de nouvelles énergies, de nouvelles matières, de nouveaux cycles économiques, des changements dans les gouver-nances, dans la représentation du monde, dans les relations à la nature, dans le statut des femmes, la mode, l’art… D’un point de vue anthropologique, lorsque tout cela se combine, vous changez de civi-lisation.

Ce basculement sera-t-il couplé à une « fin du travail » ?En réalité, on n’a jamais autant travaillé ! Dans le TGV, chez moi, en vous attendant, quand je suis en vacances, je bosse, je vérifie mes mails. Et d’un autre côté, vous avez des gens qui n’ont pas de boulot. Il y a une bipolarisation sur le travail, et une dissociation entre travail, emploi et rémunéra-tion. Dans la logique des Trente Glorieuses, n’était rémunéré que le travail salarié. Aujourd’hui, il y a énormément de travail, et le répartir ne change rien, car les formes de travail ont évolué. Pourquoi ne décide-t-on pas que les femmes et les hommes à la maison qui s’occupent de leurs enfants soient rémunérés ? Que l’action sociale soit rémunérée ? Ce n’est pas le travail qui dispa-raît, c’est la partie rémunérée du travail. Ce n’est pas la crise du travail, c’est la crise du salariat. Et tout ce qui relève du don, ou de l’économie circulaire par

Pascal Picq est paléoanthropologue 

et maître de conférences au 

Collège de France. À 62 ans, il est 

l’auteur de nombreux ouvrages sur la préhistoire et 

l’évolution qui questionnent 

notre conception de l’humain. 

Parmi ceux-ci : L’homme est-il un 

grand singe politique ? ou 

Le Retour de Madame Neandertal. 

Comment être sapiens ? 

aux éditions Odile Jacob.

2016, L’ODYSSÉE DE L’ESPÈCEAlors que l’ère de l’homo numericus s’impose, l’anxiété croît chez les peuples et les politiques qui conservent des repères devenus obsolètes. Après la démocratie représentative et universelle, le paléoanthropologue appelle à une démocratie numérique pour changer de civilisation. Propos recueillis par Côme Bastin et Philippe Vion-Dury / Photos : Augustin Le Gall

PASCAL PICQ

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"TROISIÈME RÉVOLUTION INDUSTRIELLE, QUATRIÈME,

CINQUIÈME CYCLE DE SCHUMPETER-KONDRATIEV, TROISIÈME COÉVOLUTION…

PEU IMPORTE LE TERME, NOUS SOMMES EN PLEIN DEDANS."

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exemple, ne rentre pas dans les critères du PIB alors que ce sont des formes d’économie tout à fait honorables et rentables. On essaie de comprendre les change-ments actuels à l’aune de critères d’une société qui disparaît sans connaître la société qui vient. C’est tout notre projet de société qui est à redéfinir à partir de cela.

Quelles conditions sont nécessaires pour que l’on survive à cette transition ?La question est de savoir quelle partie de l’humanité va y survivre. Prenons les travaux d’Erik Brynjolfsson et d’Andrew McAfee, qui ont écrit Le Deuxième âge des machines. Ils ont regardé quatre courbes : celle de l’augmentation du revenu des ménages, celle de la création d’emploi, celle de l’augmentation de la richesse et celle de la productivité. Ces quatre courbes sont complète-ment confondues jusqu’au début des années 1980, puis elles se sont dissociées avec l’arrivée de la micro-informatique. Les revenus des ménages sont sur une base de 100, la création d’emploi est sur une base de 180, la richesse sur une base de 330 et la productivité sur une base de 400. Notre système social est basé, lui, sur la redistribution des cotisations sociales, avec peu de taxes sur les dividendes, sur les transactions financières, et encore moins sur la productivité. Un système social pour lequel la courbe la plus basse est celle sur laquelle se base la redistribution est un système qui ne peut plus tenir. Il va falloir créer de nouvelles formes de redistribu-tion se basant sur la richesse et la productivité, et qui ne tuent pas l’innovation. Ce système social est à inventer. Mais aucun parti politique n’avance de proposition par rapport à ça.

C’est cela qui explique la dé-fiance croissante des hommes envers le politique et la démo-cratie, comme en témoignent les élections américaines ?C’est ça la crise du politique : ce n’est pas qu’ils soient mauvais

– la plupart des hommes et femmes politiques sont des gens honnêtes qui travaillent comme des fous – mais ils sont sur des logiciels qui sont complètement dépassés. La démocratie évolue à chaque changement de ce genre : avec la première révolution industrielle, nous avons la démo-cratie représentative, avec la seconde révolution industrielle, ce sont les démocraties universelles, alors quelle sera la forme des démocraties demain ?

Autoritaire ?J’espère que non. J’ai entendu ce terme, récemment, de « démocratures » [contraction de « démocratie » et « dicta-ture », ndlr]. Ce qui m’inquiète beaucoup aujourd’hui, c’est que jusqu’ici, chaque grande avancée sur l’idée de progrès était liée à l’espoir dans les sciences et les techniques. Aujourd’hui, il y a une défiance envers les sciences, envers les techniques, et j’essaie de faire comprendre aux gens qu’utiliser une application déclenche une chaîne de consé-quences qui touchent à l’emploi, à la productivité, à la redistribu-tion sociale et aux transferts de bénéfices.

Vers quelle conception du progrès doit-on se diriger, puisque celle issue des Lumières est morte ?La démocratie se maintient dans les pays occidentaux, mais on voit bien comment les démocra-tures extrêmement coercitives arrivent à contrôler les citoyens et leurs opinions. Ici aussi se posent de vraies questions de liberté individuelle. C’est le vrai enjeu du Léviathan : jusqu’où notre confort personnel peut s’accommoder d’une perte de liberté ? Cette question, qui n’est pas récente, se pose à nouveau. Il nous faut relire La Boétie et redéfinir ces espaces de liberté sans que nous soyons dans une servitude volontaire induite par le Big Data. Dériver de Big Data à Big Brother, c’est extrêmement facile. Cette démocratie numérique est à

inventer. Le progrès, ce sera la capacité à exercer une véritable action citoyenne et démocratique sur les réseaux.

Quel regard peut poser un paléoanthropologue sur l’idée de post ou de transhumanisme ?Il y a un postulat du transhuma-nisme qui dit que l’homme est arrivé au terme de son évolution. En réalité, on n’en sait stricte-ment rien. Personne n’aurait pu imaginer que lorsque notre cerveau s’est mis en place il y a 300 000 ans, on aurait la théorie de la relativité, et pourtant, c’est le même cerveau. C’est cette formidable plasticité qui est extraordinaire. Ma génération n’imaginait pas qu’on arriverait à une telle forme intellectuelle, émotionnelle et physique passé 60 ans. Sans négliger ce que pourraient apporter les NBIC à la médecine de demain, le vrai danger du transhumanisme, c’est que si l’on se convainc que l’Homme est parvenu au terme de son évolution et qu’il faut l’augmenter par des artefacts, voir transférer son intelligence dans une structure en silicone, nous assistons là à la fin de l’humanité.

"NOUS VOYONS QUE TOUT CHANGE MAIS NOUS IGNORONS S’IL S’AGIT D’UN PROGRÈS."

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L A V I L L EL A V I L L EC O N S T R U I R EC O N S T R U I R E

Avec Johanna Rolland, maire de Nantes

Et des voisins connectésDes espaces partagés

Des transports intelligents

C O L L A B O R AT I V EC O L L A B O R AT I V E

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N antes revient régulièrement dans le palmarès des villes qui attirent le plus d’habitants.

Pourquoi, selon vous ? Cela vient de la dimension créative de la ville et de son dynamisme. Lors du Web2day, la deuxième manifestation numérique en France, qui a lieu à Nantes, je croise souvent des créateurs de start-up parisiens qui ont fait le choix de s’installer ici. Quand je leur demande pourquoi, ils me répondent qu’à Nantes tout va plus vite, ce qui s’explique par la taille et l’agilité de l’écosystème local. La plupart d’entre eux ont monté leur entreprise à Paris lorsqu’ils avaient une vingtaine d’années. Aujourd’hui ils en ont trente, com-mencent à avoir une vie de famille et cherchent un endroit ou concilier opportunités profession-nelles inspirantes et qualité de vie. Nantes n’est pas seulement dynamique économiquement, elle est aussi moins inégalitaire que d’autres grandes métropoles, avec un taux de chômage inférieur à la moyenne et des écarts entre les plus aisés et les plus pauvres beaucoup plus resserrés. C’est cette douceur de vivre, la vie

culturelle et la capacité d’innova-tion de Nantes qui expliquent que le Sunday Times nous ait qualifié de « ville la plus déjantée de France ».

Vous avez fait de la ville collaborative un des axes forts de votre politique. Au fond, qu’est-ce que cela veut dire ? Le monde est en mutation. Et Nantes est une des grandes villes françaises où s’inventent les transitions numérique, écolo-gique, économique et démocra-tique. Je crois que le temps des maires uniquement bâtisseurs est derrière nous. Le rôle d’un maire est aujourd’hui de réunir les acteurs autour d’une table pour choisir ces mutations plutôt que de les subir, et décider de quelle ville nous voulons tous demain. L’économie sociale et solidaire pèse déjà pour 16 % des emplois ici. Côté numérique, Nantes a été une des premières métropoles labellisées French Tech et a généré 2 800 emplois depuis le début de la démarche. Nous avons rassemblé chercheurs, start-up, associations, tiers-lieux, acteurs des quartiers populaires autour d’une question : comment mettre la transition numérique au service d’une société plus horizontale ? Cela passe par une lutte contre les

fractures numériques et un travail sur l’éducation et la médiation. Au sein de notre métropole, il y a beaucoup de talents qui doivent se rencontrer. Notre responsabilité, c’est de favoriser les croisements car c’est ainsi que des solutions concrètes émergent. Nous appelons cela des « frictions créatives ».

Y a-t-il un exemple de construction avec les acteurs de votre ville dont vous êtes particulièrement fière ? Il y a quelques années, lors d’une « learning expedition » à San Francisco, j’ai découvert que les habitants pouvaient faire remonter leurs suggestions à la mairie via une application. J’ai eu envie du même processus de gouvernance horizontale pour Nantes, mais sans tomber dans le copier-coller. Pour réaliser ce projet, nous avons fait travailler, en collaboration un grand groupe, des start-up locales et un panel d’usagers. Avant la fin de son développement, l’application a été rendue publique dans 24 com-munes pour que les citoyens l’évaluent et proposent des améliorations. Résultat ? « Nantes dans ma poche » est une applica-tion ultra-personnalisée qui vous indique par exemple combien de

Johanna ROLLAND

1979Naissance à Nantes (Loire-Atlantique)

2001Diplômée de la

section « Politique et Société »

de Science-Po Lille. Part en Bosnie et en Afrique du Sud pour des missions

humanitaires

2002Chargée de

la démocratie participative dans la ville du Creusot

2012Chargée de l’éducation,

des grands projets urbains et de la politique de

la ville de Nantes et Nantes métropole

2014Élue maire de Nantes, présidente de Nantes

métropole et du réseau de villes

européennes Eurocities

MAIRE DE TOUTES LES TRANSITIONS

Depuis son élection à la tête de la sixième ville de France en 2014, elle a fait du collaboratif, de la démocratie locale et du numérique les piliers de sa politique. Présidente de la métropole de Nantes et du réseau de villes européennes Eurocities, Johanna Rolland nous livre sa vision de l’édile du xxie siècle. Propos recueillis par Côme Bastin et Olivier Cohen de Timary / Photos : Augustin Le Gall

JOHANNA ROLLAND

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"JE CROIS QUE LE TEMPS

DES MAIRES UNIQUEMENT

BÂTISSEURS EST DERRIÈRE NOUS."

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places sont disponibles dans le parking de votre quartier, com-bien de vélos en libre-service près de chez moi, quand passe le prochain bus, quel est le menu de la cantine de mon enfant ce midi… Les Nantais ont tout de suite adhéré et l’application a été primée lors des Victoires des Acteurs publics à l’Assemblée nationale. J’en suis très heureuse car cela représente le pari gagnant d’un service public moderne, imaginé avec les citoyens et les acteurs économiques.

Faire participer les citoyens c’est bien mais pas toujours évident. À quels défis faites-vous face ? Il faut cesser de penser que les Français ne s’intéressent plus à la politique ; c’est l’offre des appa-reils politiques qui est dépassée. Je crois au suffrage universel mais aujourd’hui on ne peut plus gouverner une ville sans ses habitants. Un exemple : j’ai lancé une grande consultation ci-toyenne sur l’aménagement des bords de Loire. 40 000 personnes l’ont suivie, dont 5 000 contribu-teurs actifs. De cette manière, nous nous sommes assurés que le projet soit bien ancré dans les usages des habitants. Par ailleurs, chacun participe au débat avec son prisme : étudiant, mère de famille, retraité... Dans les conseils de quartiers, on se rend compte qu’au bout de 2 heures, ce processus de délibération collec-tive entre gens d’un même quartier qui ne se connaissent pas permet de générer du commun. L’enjeu de la démocratie locale est donc double : raviver l’intérêt général et faire en sorte d’amélio-rer les politiques publiques. Pour autant, cela ne s’improvise pas, il faut de la méthode. Dans nos conseils de quartier, par exemple, nous avons remarqué que les 25-40 ans étaient souvent absents. Parce qu’à 19 heures, en rentrant du travail avec parfois des enfants, c’est compliqué pour eux de se libérer. Pour leur permettre tout de même de s’exprimer, nous avons notamment refondu l’offre

de participation publique via la plateforme citoyenne Nantes & Co. Avant, nous rece-vions les demandes par courrier ou téléphone, désormais on peut être contactés par Facebook, Twitter ou application. Cela pose de vraies questions : doit-on répondre aussi vite qu’à un courrier ? Plus vite ? C’est toute l’organisation du service public – son « back office » – qui doit être repensée.

Comment voyez-vous l’articu-lation entre transports public et individuel dans la ville de demain ?Nantes, c’est 133 millions de déplacements en transports en commun à l’année. Notre straté-gie, c’est d’abord de favoriser les déplacements doux et les trans-ports en commun. Nous sommes la première ville en France à avoir réintroduit le tramway et serons la première en Europe à avoir des Busways tout électriques. Mais il faut aussi penser la multimodali-té, la connexion entre transports public et individuel pour les zones périurbaines et rurales. On a donc beaucoup investi dans les par-kings relais à destination des voitures. Un plan vélo a été adopté pour favoriser la circulation en deux-roues dans toute l’agglomération. La réponse réside aussi dans la facilité d’accès grâce au numé-rique, avec une carte unique pour prendre le tramway ou louer un Bicloo [vélo en libre-service, ndlr], qu’on peut recharger par smart-phone. Enfin, je pense qu’il ne faut pas seulement raisonner en termes d’infrastructure mais aussi d’usage. Nous réfléchissons par exemple à la façon d’utiliser les parkings d’entreprises, en général vides le soir, au moment où les résidents rentrent chez eux et en auraient bien besoin. Cela ne coûte pas un euro à la collectivité, ni aux entreprises ou aux ci-toyens. Mais cette mutualisation des ressources exige de mettre les gens autour de la table pour définir les règles du jeu. Autre

exemple de politique des usages : plutôt que d’ajouter des lignes de bus, nous pouvons travailler à une meilleure répartition des déplace-ments, en échelonnant les heures de départ au bureau, ou en favorisant le télétravail.

En tant que maire, comment gérez-vous la place grandis-sante qu’occupe l’économie collaborative dans la vie de la cité, parfois au détriment d’acteurs existants ? On mélange beaucoup de choses dans ce terme : du lucratif, mais aussi le troc, les jardins partagés ou encore les espaces de coworking et les tiers-lieux. À Nantes, les réseaux Atlantic 2.0 et les Ecossolies fédèrent un grand nombre de ces acteurs, et je considère que c’est d’abord une opportunité pour notre territoire. Néanmoins, quand cela prend des proportions telles qu’il n’y a plus d’égalité devant l’impôt, ou des risques de désertification, l’État et les collectivités locales doivent prendre leurs responsabilités. C’est une question nationale mais qui peut aussi avoir des réponses locales. Prenez le débat entre Airbnb et les hôtels, qui a lieu à Nantes comme ailleurs. Plutôt que de prendre parti, on a réfléchi à une solution. Les hôteliers se sont regroupés pour créer une plateforme de réservation locale : Fairbooking. Je reste modeste car ce n’est qu’une piste, et qu’ils ne sont pas en situation de concur-rencer les grands groupes. Mais demain cette initiative pourrait constituer une véritable réponse.

Beaucoup des solutions que vous évoquez s’appuient sur le numérique. Comment faire en sorte qu’elles profitent à tous les habitants ?C’est vraiment une question déterminante. Soit on considère que les transitions écologique et numérique doivent contribuer aussi à lutter contre les inégalités, soit on se dit que ce sujet est secondaire. Pour moi, il est primordial, et on doit en faire un objectif politique et stratégique

"IL FAUT CESSER DE PENSER QUE LES FRANÇAIS NE S’INTÉRESSENT PLUS À LA POLITIQUE. C’EST L’OFFRE DES APPAREILS POLITIQUES QUI EST DÉPASSÉE."

GRAND TÉMOIN

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pour éviter de créer une fracture supplémentaire. Nantes investit donc énormément dans l’éduca-tion au numérique. Nous faisons partie des villes qui ont accompa-gné le projet de grande école du numérique, pour savoir comment aller chercher des gens qui n’ont pas un parcours bac + 5. Nous avons aussi lancé un coffre-fort numérique qui permettrait aux personnes en grande précarité de sécuriser leurs papiers et docu-ments personnels. C’est un des premiers soucis évoqués par les sans-abri et nous avons monté le projet avec les utilisateurs d’un restaurant social afin de répondre au mieux à leurs besoins. Des solutions imaginées dans leur coin par les férus du numérique ou la collectivité bien pensante ne marcheront pas. L’événementiel est aussi un formidable outil pour populariser le numérique. Lors de la Digital Week de Nantes, on

parle patrimoine, culture, handi-cap, éducation. Et les gens passionnés par ces sujets s’y rendent. On incite aussi les start-up locales à venir présenter directement leurs projets dans des endroits passants, commes les galeries commerciales nantaises. Il faut montrer qu’il s’agit d’un milieu ouvert.

Pensez-vous comme Benjamin Barber que les maires vont être les nou-veaux maîtres du monde ?Je suis présidente d’Eurocities, un réseau qui rassemble 130 villes en Europe, et persuadée que la métropole est l’échelle pertinente pour inventer le monde de demain. 80 % des habitants à l’échelle du globe vivent désor-mais dans les villes. On a signé la COP21 à Paris, mais pour passer des intentions à la concrétisation, il faudra mettre les villes en

"LES SOLUTIONS IMAGINÉES DANS LEUR COIN PAR LES FÉRUS DU NUMÉRIQUE OU LA COLLECTIVITÉ BIEN PENSANTE NE MARCHENT PAS."

mouvement. La particularité d’un maire de grande métropole est dès lors de concilier deux choses : une vision stratégique – de quelle ville ai-je envie dans 10-15 ans ? –, et un ancrage dans le quotidien et la réalité des habitants. Le prag-matisme et l’utopie prospective doivent se nourrir mutuellement. Néanmoins, je ne crois pas à un développement endogène des métropoles, qui ne se préoccupe-raient que de leur propre intérêt. Je revendique l’alliance des territoires pour que les grandes métropoles pensent leur dévelop-pement au bénéfice des territoires périurbains et ruraux qui les environnent. On oppose en permanence les deux, comme s’il n’y avait qu’une urbanité. Mais lorsqu’on parle transition écolo-gique ou alimentation locale, on voit que ces sujets-là nous amènent de fait à penser les inte-ractions entre ville et campagne.

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T OUT FAIRE AVEC SON « P’TI VOISINAGE »« Le lien social s’est beaucoup dégradé dans nos sociétés », estime David Rouxel, qui a lancé la plate-

forme Mon P’ti Voisinage pour s’attaquer au problème. Le site regroupe tous les services possibles et imaginables entre voisins. Il ne s’agit pas seulement de faire des rencontres, ni même d’échanger des services et des objets. Vous vous rendez

tous les jours à votre travail en voiture ? Embarquez avec vous des voisins qui vont dans la même direction. Vous souhaitez acheter de la nourriture en gros pour la payer moins cher ? Regroupez-vous avec les habitants de votre rue. Vous avez une suggestion sur l’aménagement urbain ? Proposez un sondage dans votre quartier. Cette approche « tout en un » a fait le suc-cès de Mon P’ti Voisinage. Encore jeune, la plateforme compte déjà 100 000 membres répartis dans 7 000 « voisinages » (zones géographiques). Elle a aussi séduit la

MAIF, qui a décidé d’y investir 1,7 million en novembre 2015. Outre-Atlantique, son équivalent américain Nextdoor a déjà levé 215 millions de dollars. Si Mon P’ti Voisinage est entièrement gratuit et sans commission, son modèle économique re-pose toutefois sur des partenariats avec des mairies ou des acteurs de l’habitat. RENCONTRER ET MILITER SUR PEUPLADELa légende veut qu’il ait été le premier des réseaux sociaux, avant Facebook  ! Lancé en 2004 par le sociologue Nathan

QUARTIERS INTELLIGENTS

À QUOI SERVENT VOS VOISINS ?« Choisir ses voisins est plus important que de choisir sa maison », dit le proverbe chinois. Pourtant,

même si l’on vit à côté d’eux, on ne partage pas souvent grand-chose. Voici quatre réseaux qui ont décidé de changer la donne ! Côme Bastin, mai 2016

Ned Flanders, célèbre voisin des Simpsons, toujours prêt à aider son prochain.

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Stern pour favoriser les rencontres et les  projets entre les habitants du 17e  arron dissement de Paris, Peuplade trouve aujourd’hui un second souffle sous l’impulsion de Grégoire Even qui a repris le projet. Pour bénéficier des ser-vices de cette plateforme, il suffit de s’inscrire et trouver sa « peuplade » géo-graphique – le site en compte 41 754 qui couvrent tout l’Hexagone, dont 120 à Paris  –, puis de renseigner ses centres d’intérêt. Peuplade permet alors d’accé-der à la vie de son (ou ses) quartier(s) à la façon d’un flux RSS : apéros, mais aussi repas, agriculture urbaine ou ren-dez-vous militants. « Peuplade est utilisé comme un véritable média de quartier entre habitants qui souhaitent s’entraider et partager, confie Grégoire Even. Nous ne répondons pas à un besoin de marché, mais à un besoin de société. Les personnes qui rejoignent Peuplade partagent une vi-sion du monde. » Actuellement, ce sont 18 000 « Peupladiens » qui se retrouvent dans cet « esprit village » – dont une bonne partie dans les quartiers est de Paris.

Une quinzaine de rendez-vous y sont du reste organisés chaque semaine. ÉCHANGER TOUS LES OBJETS SUR MUTUMPrivilégier l’usage à la possession. Lancé en octobre 2014, Mutum veut faire sien ce mot d’ordre de l’économie collabora-tive en démocratisant le prêt d’objets entre particuliers. Cuisine, bricolage, jar-dinage, livres, jeux ou même scooter… « On a à peu près tout, à part des êtres vi-vants et des armes à feu », plaisante Anouck Alarcon, responsable de la com-munication. De quoi faire des écono-mies, tout en luttant contre les achats pas ou peu (utiles) grâce à vos voisins. « On développe d’ailleurs un calculateur pour connaître l’impact environnemental de ces prêts d’objets. » Tous les prêts qui passent par Mutum sont gratuits, mais pour faire correspondre l’offre et la de-mande, une monnaie virtuelle a cours

sur la plateforme. Chaque objet prêté rapporte ainsi des « mutums » qui peu-vent être utilisés à leur tour pour em-prunter d’autres objets. « Cette monnaie est un gage de confiance et pousse à prendre soin des objets », explique Anouck Alarcon. On peut aussi acheter des mu-tums sur la plateforme, mais l’essentiel du modèle économique repose sur les

« communautés de partage » que l’équipe développe à destination des grandes entreprises. REJOIGNEZ LES VOISINS MALINSET SOLIDAIRESComment réconcilier les habitants des quartiers populaires et les services publics  ? En 2010, Anne Charpy a l’idée de faire appel pour cela… aux voisins  ! Dans tous ces quartiers, on trouve en ef-fet des personnes motivées qui ont des compétences en rédaction, administra-tion, social, médiation, etc. VoisinMalin repère et recrute ces habitants pour les transformer en... « voisins malins », qu’elle rémunère 120 euros par mois. Ils sont chargés de faire du porte-à-porte afin d’informer, accompagner et aider les autres habitants dans leurs démarches (droit, santé...), et leur permettre ainsi de gagner en autonomie. 20 000  familles

résidant souvent dans les banlieues des grandes villes françaises ont ainsi bénéfi-cié de leurs services. L’objectif d’ici 2020 est de couvrir 15 % des 200 quartiers prio-ritaires de France. VoisinMalin dépend de subventions publiques et privées, mais développe aussi des missions au-près d’acteurs tels que les bailleurs so-ciaux ou les collectivités territoriales.

Les voisins, un « marché » porteur ?C’est un exemple qui revient sans cesse, comme un leitmotiv, dès que l’on évoque la consom-mation collaborative : pourquoi acheter une perceuse – dont on ne se servira qu’une seule fois – plutôt que de l’emprunter à quelqu’un ? Et quelle personne plus indiquée que notre propre voisin, à deux pas de chez nous, pour nous la prêter ? Bien que de nombreux sites se soient lancés sur le créneau de l’échange d’objets et de services entre habitants, peu avaient jusqu’ici réussi à percer. Certains, comme ShareWizz, avaient même dû mettre la clé sous la porte. Comme en témoigne le succès de nos applications, la donne commence à changer. « Il y a trois ans, l’économie collaborative était trop confidentielle. Le marché est enfin mature », avance David Rouxel pour l’expliquer. Et ce succès prend parfois des formes inattendues. Ainsi Lulu dans ma rue, une conciergerie de quartier ouverte à Paris pour connecter les particu-liers aux « Lulus », des experts qui ont du temps disponible pour rendre des services. La jeune pousse a déjà reçu 120 propositions d’ouverture de nouvelles antennes partout en France !

“ENCORE JEUNE, LA PLATEFORME P’TI VOISINAGE COMPTE DÉJÀ 100 000 MEMBRES RÉPARTIS

DANS 7 000 « VOISINAGES ».”

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M ia cuisine ressemble à une zone sinistrée, mais j’ai une flemme d’enfer. Une pile d’as-siettes et de verres s’en-tasse dans l’évier. Le

lave-vaisselle a rendu l’âme il y a trois jours : le drame. Pas envie de récurer. Les placards débordent de paquets de cé-réales et de gâteaux à moitié entamés. Les corvées et moi, ça fait trois. C’est un peu comme Thomas Thévenoud et sa phobie administrative : je n’y arrive pas. En allant prendre le métro, pour une fois, je lève le nez sur le kiosque devant lequel je passe tout le temps. « Besoin d’un coup de main  ? Demandez un Lulu ! » En trois clics sur luludansmarue.org, je crée mon compte et je lance ma première demande, comme une bouteille à la mer : « Bonjour Lulu, j’ai besoin de quelqu’un pour faire la vaisselle, ranger les placards de la cuisine, poser des crochets pour un rideau et me

livrer un pack d’eau. Help ! » Au bout de quelques heures, je reçois un mail pour m’annoncer qu’on m’a trouvé un Lulu  : joie  ! Lamine m’appelle dans la foulée pour fixer un rendez-vous.

Le lendemain, il sonne à la porte, tout sourire, mon pack de six à la main, même pas essoufflé après quatre étages montés à pied. Dans son sac à dos, une perceuse. Il s’attaque au bricolage : je lui ai demandé de fixer deux crochets en haut d’une des fenêtres du salon pour accrocher et enle-ver facilement un rideau. Il a 26 ans. Elec-tricien, il a dû arrêter provisoirement les chantiers après des soucis de santé et bosse pour Lulu dans ma rue depuis quatre mois. « Une voisine âgée qui m’ap-pelle souvent en panique pour changer une ampoule ou déboucher son évier m’a parlé de Lulu, me raconte-t-il entre deux trous de perceuse. J’ai proposé mes services pour du bricolage, mais j’accepte aussi d’autres prestas. Ça me plaît parce que c’est flexible et jamais loin de chez moi. Je croise souvent des clients. Ça remet de la vie dans le quartier  ! » Dans quelque temps, il reprendra les chantiers et garde-ra sa casquette de Lulu le soir et le week-end pour arrondir ses fins de mois.Les crochets (bien) posés, il s’attelle à la plonge. J’ai à peine le temps de glander sur internet que l’évier est vide, les pla-cards rangés et les gâteaux périmés de-puis trois mois à la poubelle. Entre la li-vraison, le bricolage, la vaisselle et le rangement – vingt minutes pour chaque mission –, ça m’a coûté 27 euros (50 % déductibles d’impôt), que je paie directement à Lamine. Il est assuré et déclaré par Lulu dans ma rue. Je sens que je vais prendre goût à ces petits services. Dimanche, je me fais livrer des croissants.

VOISINS À TOUT FAIRELulu dans ma rue, une nouvelle conciergerie de quartier, remet le service de proximité au goût du jour et redonne le sourire  ! Laurène Champalle, avril 2016

CONCIERGERIE NOUVELLE GÉNÉRATION

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À vélo, j’ai vu, j’ai lu : c’est Lulu !

Lulu dans ma rue a décollé depuis son lancement en avril 2015…On a une trentaine de Lulu actifs. En moins d’un an, on a réalisé plus de 4 000 prestations pour 2 000 clients : des petits services du quotidien tout simples mais qui aident

énormément. On crée de l’activité et du lien social dans le quartier.Quelles demandes insolites avez-vous eu ?On a envoyé des Lulu pour jouer trois heures au rami, gonfler cent ballons à l’hélium pour un anniversaire, découper un canapé qui ne

passait pas la porte, poser du vernis à quatre copines… C’est du sur-mesure !

Quels sont vos objectifs ?On développe une appli pour répondre aux demandes en temps réel et on va déployer Lulu ailleurs en France et à l’étranger.

Lulu dans ma rue a décollé depuis son lancement en avril 2015…

3 QUESTIONS À…Charles-Édouard Vincent, polytechnicien et chef des Lulu.

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D es réservations multipliées par deux en 2015, 30 % de croissance mensuelle sur le chiffre d’affaires, une présence dans plus de 1 000 villes en France…

La startup jestocke.com, qui propose aux particu-liers de se louer de l’espace de stockage entre eux, est en forme ! Et pour aller encore plus vite, elle lève 1,6 millions d’euros auprès de la MAIF et de la Banque publique d’investissement (BPI).« Nous constatons que les Français ont adopté le stoc-kage entre particuliers. Nous voulons continuer à dé-velopper le service le plus efficace pour solutionner le problème du stockage et du garde-meuble autour des trois valeurs fondamentales qui sont les nôtres  : la proximité, la convivialité et la confiance », explique Laure Courty, fondatrice de jestocke.com.

AUSSI DANS LES VILLAGESComment expliquer ce succès ? D’abord parce que partager de l’espace de stockage entre parti-culiers permet de faire des économies (jusqu’à 60 %) par rapport à un loueur de box classique, ou de rentabiliser un espace jusqu’alors inutilisé. Mais aussi parce que la formule permet un mail-lage du territoire plus fin et donc moins de dépla-cements pour stocker ou retirer ses affaires. « On est très implantés dans les grandes villes mais aussi dans les zones rurales où les agriculteurs ont parfois de grands espaces vides qu’ils peuvent mettre à disposition », explique Laure Courty. La moitié du chiffre d’affaires de jestocke.com est par ailleurs réalisé auprès de profesionnels – petits commerçants ou associations – pour lesquels la star-tup a développé une offre dédiée.

Louer un espace inoccupé pour permettre à d’autres d’y entreposer ses affaires, la formule séduit. La startup jestocke.com boucle ainsi un tour de table auprès de la MAIF et de la BPI pour développer son offre sur le sol français. Côme Bastin, août 2016

STOCKONS NOUS LES UNS LES AUTRES

DES CARTONS À LA LOCATION DE BRAS

GARDE-MEUBLES ENTRE PARTICULIERS

Plusieurs plateformes vous proposent d’organiser un déménage-ment « pair à pair », moyennant contribution. Juin 2016

DÉMÉNAGER ENTRE PARTICULIERS

L a saison des déménagements est ouverte. Pas de chance, vu la météo cette année, il est fort possible que la pluie soit de la partie. Bonne nouvelle en revanche, le secteur est en pleine révolution. Première étape : trouver des bras pour porter vos

cartons et votre canapé. Si tous vos amis se sont défaussés, les sites Mydemenageur, Movezy ou Jemoove proposent des annonces de parti-culiers qui louent leurs services. « Le site fonctionne comme Le Bon Coin. Nous mettons en relation gratuitement des "gros bras" et des gens qui dé-ménagent », précise Marion Weber, chargée de communication de Mydemenageur qui compte « 1 400 gros bras inscrits en France ». Grâce à un partenariat avec l’entreprise Souscritoo, la plateforme Jemoove s’oc-cupe également de résilier vos abonnements d’électricité ou de gaz et de vous en souscrire de nouveaux. « L’objectif est de rendre la galère plus conviviale ! », confie Yannis Richardt, fondateur de Jemoove.

UN DÉMÉNAGEMENT CIRCULAIRE Après avoir formé votre équipe de déménageurs, vous pouvez com-mencer à emballer vos bibelots. À Paris, l’association Carton Plein revend des cartons déjà utilisés à moindre coût en employant des per-sonnes en réinsertion. La structure organise également des déména-gements à vélo dans la capitale pour environ 250 € la demi-journée. Pour acheminer vos cartons à bon port, Driiveme et LuckLoc per-mettent de leur côté de louer des utilitaires pour 1 €, le tout sans être obligé de rendre le véhicule dans la ville où vous l’avez loué. Attention, tous les trajets ne sont pas disponibles. Si vous ne trouvez pas votre bonheur, les services de location de voitures entre particuliers (Drivy, OuiCar, Koolicar, etc.) disposent aussi d’un onglet « utilitaire ».

PENSEZ AU GROUPAGEDans le cas où vous auriez besoin de plus d’espace, Fretbay et Cotransportage proposent un service de groupage chez des transpor-teurs qui ont de l’espace supplémentaire dans leurs camions. « L’idée, c’est de partager la place disponible. En quelques clics, on dépose sa de-mande et on reçoit des offres de transporteurs », explique Areeba Rehman, la fondatrice de Fretbay. Ne reste plus qu’à se retrousser les manches…

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L a logique du marché. C’est un peu ce qui résume l’activité sur les plateformes de loca­tion entre particuliers à la veille de l’Euro 2016. « Nous constatons une augmenta-

tion assez impressionnante de l’offre et de la demande dans les villes hôtes », confirme Vincent Wermus, directeur d’Abritel France. La plateforme de location de va­cances entre particuliers évoque une aug­mentation des tarifs de « 14 % à Paris, 20 % ailleurs en France ». De son côté, Airbnb qualifie la hausse d’« assez marginale », de 5 à 10 % en moyenne. Des résultats officiels loin d’être représentatifs car lissés sur toute l’agglomération concernée.

ÇA GRIMPE PRÈS DES STADES Aux abords des enceintes sportives, cer­tains ne se gênent pas pour pratiquer des tarifs prohibitifs. Près du Grand Stade de Lille, le soir du match Suisse­France, As­sia propose ainsi son appartement à 721 € la nuitée. Sur Airbnb, la description fait état de « 2 chambres, 6 couchages ». Quelques semaines plus tard, le même appartement est proposé à la location pour 313 €. Soit une augmentation de 56 % le soir de la rencontre. Face à ces agisse­ments, Airbnb affirme avoir mis en place

plusieurs campagnes, via e­mail, pour in­diquer « les bonnes pratiques à adopter ». Pour le directeur des opérations Airbnb France, il n’est néanmoins pas utile de fixer une limite aux particuliers, « le mar ché s’auto-régulant de lui-même ».

DES SERVICES CLASSIQUES « Concrètement, rien n’empêche les plate-formes de limiter les prix des logements. Mais il ne faut pas être naïf. L’intérêt d’Airbnb, des hôtes et des locataires est avant tout économique », tranche l’écono­miste Damien Demailly. Plutôt que de fixer un plafond aux particuliers, le cher­cheur appelle à considérer ces plate­formes comme « des places de marché classiques régies par la loi de l’offre et de la demande » et à leur fixer des règles pour éviter que « des personnes ne profitent du système pour faire du meublé touristique ». Adopté début mai par le Sénat, le projet de loi pour une République numérique comporte plusieurs dispositions allant dans ce sens. « Le gouvernement est en train de fixer des règles. Il faut maintenant attendre de voir comment les plateformes vont réagir », confie Damien Demailly. « Elles vont alors nous révéler qui elles sont vraiment », conclut­il. Mai 2016

EURO 2016 : FAUT-IL LIMITER LES PRIX ?

AIRBNB : 10 % des locations à Paris seraient illégalesSelon l’anthropologue Saskia Cousin, 20 000 appartements ne seraient pas déclarés comme meublés touristiques.

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La ministre du Logement était samedi 21 mai au OuiShare Fest, le festival de l’économie collaborative. L’occa-sion de lui poser quelques questions sur le succès des sites de location de logements entre particuliers.

Réguler ou encourager les plateformes, quelle est la position du gouvernement ?Depuis plusieurs années, il y a au sein du gouvernement une volonté de supporter énormément l’économie collaborative. Néanmoins, la supporter ne signifie pas laisser faire n’importe quoi. Il y a au-jourd’hui des systèmes qui sont capitalis-tiques et qui produisent énormément de richesses. Il ne faut pas que cela se passe au détriment de l’intérêt général.

Il y a quelques semaines, Berlin a interdit Airbnb. Faut-il faire de même en France ? On ne peut pas juste se dire : « C’est la jungle ou c’est l’interdiction. » L’enjeu est de savoir comment on peut réguler les choses. À Paris et dans beaucoup de grandes villes, Airbnb est devenu un moyen d’enlever des logements du marché. Il faut être conscient de la spéculation énorme qui est faite aujourd’hui. Quand je vois des gens qui peuvent gagner jusqu’à 30 000 euros de revenus et qui ne déclarent rien aux impôts, ça me pose problème.

Justement, comment encadrer efficacement ?Quand les Français vont à l’hôtel, ils paient des taxes de séjour. Cela permet de payer les eaux usées, les déchets. Lorsque vous avez 20 000 personnes qui ne paient pas de taxe de séjour, il faut quand même assurer les services publics. Nous devons rappeler que, quelle que soit l’économie, l’intérêt général et l’équité doivent primer.

Mai 2016

AIRBNB

Emmanuelle Cosse « Il y a une énorme spéculation »

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U in appartement, pour les parents, c’est au moins 4 000 euros par an à charge »,

explique Florence Vaysse. Plutôt que de souscrire un crédit pour son fils, cette maman a décidé d’innover. En avril, elle a créé la plateforme CoucouStudent, qui permet aux étudiants d’échanger leurs chambres chez leurs pa­rents, gratuitement. « L’idée m’est venue quand on a reçu des couch-surfeurs à la maison. J’ai trouvé ça super-sympa et je me suis dit que ça pourrait aussi s’appliquer au logement étudiant », raconte Florence. Le site permet des échanges non réciproques : un étudiant de Lille pourra partir pour Rennes en laissant sa chambre à un Toulou­sain. Le tout grâce à une monnaie virtuelle qui permet de compta­biliser les nuits passées chez l’ha­bitant et de s’assurer que chacun donne autant qu’il reçoit.Un concept que l’on retrouve chez StudyEnjoy. Créé par cinq Nantais en avril 2015, ce site pro­pose l’échange de chambres en

France et à l’étranger. Pratique pour les étudiants Erasmus, même si l’offre reste encore faible : seulement 200 logements pour 3 000 inscrits. Autre option, le logement contre services. Ma­rie Mahé, elle aussi mère de plu­sieurs étudiants, a créé Toitchez­moi. Ce site permet de se loger en échange de quelques heures heb­domadaires de services  : garde d’enfants, cours de musique ou encore ménage. A priori, aucun risque que l’étudiant se trans­forme en Cosette : la plateforme impose la rédaction d’un contrat entre les deux parties. Dernière option : la coloc’ intergénération­nelle, qui fonctionne aussi sur ce principe. De nombreuses asso­ciations, à l’image d’Un toit 2 gé­nérations, mettent en relation des étudiants et des personnes âgées en s’assurant de leur bonne cohabitation. Une manière de ré­pondre simultanément à deux enjeux de société  : la crise du logement et la dépendance des seniors. Jean-Jacques Valette, septembre 2016

Diu cours de yoga, au concert privé, en passant par l’expo­sition de photos, il n’est pas toujours facile de trouver

un lieu où organiser son événement. Mais une nouvelle startup française pourrait changer la donne. Nommée Upon Up, elle entend rendre la location événementielle aussi simple que réser­ver une chambre avec AirBnb. « Je pra-tique beaucoup le yoga et le chant, et j’ai été surpris de voir que mes professeurs avaient du mal à trouver des salles. Et s’ils organisent leurs cours au sein d’écoles, celle-ci prennent jusqu’à 75 % de leurs revenus » explique Karol Arnaud, qui a cofondé Upon Up avec Yann Kastelnik.

CHEVALIERS JEDIUn marché inassouvi, qui a déjà mené près de 300  musiciens, comédiens et autres artistes à utiliser sa plateforme lancée il y a seulement deux mois. « On a même des apprentis chevalier Jedi et un vide dressing ! Si nous nous orientons de plus en plus vers le développement person-nel, ce n’est pas notre unique créneau ». En effet, parmi les lofts et ateliers d’artiste proposés, on peut également louer de nombreux espaces atypiques comme des caves voûtées, un théâtre de 1 000 places ou un bus aménagé en dis­cothèque. Les prix, eux, sont dégressifs et compris entre neuf et plusieurs cen­taines d’euros de l’heure. Une façon également pour les propriétaires de gé­nérer du revenu  : « Plusieurs galeries d’art se sont inscrites pour se diversifier » explique Karol Arnaud. Son entreprise se rémunère grâce à des commissions : de 6 % pour le loueur et 12 % pour le locataire.

TROC DE PIAULES

LA COLOC ÉTUDIANTE REVISITÉE

Inspiré par AirBnb, Upon Up permet de réserver en quelques clics un lieu dans Paris pour organiser des expos, cours particuliers ou ateliers de théâtre. Jean-Jacques Valette, janvier 2016

LE AIRBNBDES ÉVÉNEMENTS

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P our découvrir la culture d’un pays, rien de tel qu’un repas chez l’habitant. Seulement, il n’est pas toujours facile de s’y faire inviter. C’est ce que proposent plusieurs sites de « foodsurfing », référence au fameux réseau d’hébergement

sur canapé. Sauf qu’ici, le but n’est pas de dormir mais bien de dîner chez des inconnus afin de découvrir leur cuisine. « Dans la vie, j’ai pas mal voyagé. Puis je me suis arrêté à Paris et je trouvais sympa de recevoir des gens du monde entier pour retrouver cette ambiance que j’ai connue dans plusieurs pays », explique Manu. Ce jeune Parisien est hôte sur VizEat. Comme les 17 000 autres membres du réseau, il reçoit régulière-ment des touristes ou des Français de passage. Fondé en 2014 par Camille Rumani et Jean-Michel Petit, VizEat est aujourd’hui présent dans 65  pays et est en passe de devenir le leader mondial du secteur, après avoir acquis ses concurrents Cookening et Beyond Croissant. « C’est lors d’un voyage à Shanghai, où j’ai été saisie par l’hospitalité des Chinois, que l’idée m’est venue. Je voulais revivre cette expérience », explique Camille Rumani.Pour réserver un repas sur le site, il suffit de chercher un hôte dans sa ville et de lui envoyer une requête personnalisée, comme sur Couchsur-fing. Seule différence : le service est payant. Comptez en moyenne au-tour de 25 euros par repas, dont 15 % reviennent à la plateforme. Accu-sée de concurrence déloyale par les syndicats de restaurateurs, la jeune entrepreneuse se défend : « Ça n’a rien à voir avec un resto clandestin car, tout d’abord, l’hôte et ses invités mangent à la même table et parce que le prix affiché n’est qu’une participation aux frais. » Difficile, en effet, de faire fortune pour des hôtes tenus de faire vivre un voyage culinaire au visiteur. « En moyenne, nos hôtes ne reçoivent chez eux qu’une fois par mois. C’est pour eux un moyen de découvrir des personnes d’autres hori-zons », explique Camille Rumani. Et en cas d’indigestion ? « Les convives sont assurés à hauteur de 250 000 euros. » De quoi voir venir, en cas d’in-tolérance à une spécialité locale ! Jean-Jacques Valette, juin 2016

Marre des grands bars imper-sonnels dans lesquels on ne rencontre jamais personne ? Et si vous deveniez proprié-

taire de bar ? Pour 125 euros, le Social Bar, ouvert au mois de septembre, pro-pose en tout cas à ses futurs clients de devenir… ses actionnaires. Actuelle-ment en travaux dans le 12e arrondisse-ment de Paris, l’établissement a en effet lancé une campagne de crowdequity (financement par entrée au capital) de 40 000 euros sur 1001pact.com. Objec-tif : mener les travaux à leur terme, bien sûr, mais aussi développer une commu-nauté de futurs « copatrons » qui seront au cœur de la vie de l’établissement.

DÉDIÉ AUX RENCONTRES« L’idée est vraiment que le bar appar-tienne à ceux qui auront pris une ou plu-sieurs parts et qu’il devienne leur lieu de rendez-vous, qu’ils puissent imaginer les événements qui s’y dérouleront », explique Maëva Tordo, qui porte le projet avec Renaud Seligmann. En plus d’un verre à son nom, chaque actionnaire pourra en effet choisir la musique du bar, passer derrière le comptoir et surtout participer aux as-semblées générales pour décider du programme. Une fois par an, chacun pourra aussi y organiser sa propre soirée de A à Z.

LE PREMIER BAR OÙ LES CLIENTS SONT LES PATRONS

PASSEZ DERRIÈRE LE COMPTOIR

FOODSURFINGJ’IRAI MANGER CHEZ VOUS

Le Social Bar sera détenu par 125  co- patrons suite à une campagne de crowd-funding. Côme Bastin, juillet 2016

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S ioupe pékinoise et porc sauté épicé au basilic sacré, ou filet de poisson frit et beignets de banane ? Ce soir, entre un dî-ner en Asie et un dî-

ner dans les îles, mon cœur balance. Ces petits plats qui me font saliver sur mon smartphone, ce sont mes voisins qui les préparent chez eux et les proposent sur Menu Next Door à tous ceux qui, comme m o i , a i m e n t b i e n m a n g e r m a i s manquent de temps pour cuisiner. Menu Next Door est l’une des jeunes pousses de la foodtech qui montent. À l’origine, Nicolas Van Rymenant, un en-trepreneur belge autodidacte de 31 ans, avait créé un groupe Facebook pour of-frir à ses potes un gueuleton préparé à partir de produits achetés à la ferme : de simples quiches chèvre-épinards pour 5  euros par personne. « J’ai lancé un groupe, ça a pris ! » s’exclame Nicolas.

LA BOUFFE, ÇA CRÉE DES LIENSMenu Next Door est ainsi né à Bruxelles, avant de faire des petits à Paris et à Londres au printemps dernier. « On est aujourd’hui toute une communauté ! On organise des fêtes régulièrement », se ré-

jouit ce sociable pour qui la bouffe est un bon prétexte pour lancer la conver-sation. En six mois, Paris compte déjà plus de 550  chefs qui cuisinent pour leurs voisins (plus d’un millier à Bruxelles) et des dizaines de nouveaux s’inscrivent chaque semaine. À chacun son positionnement  : certains ne font que du thaï, d’autres ne cuisinent que le vendredi… Mais tous sont notés par les consommateurs. « Tout passionné de cuisine peut devenir chef sur Menu Next Door, faire goûter ses bons petits plats au-delà de son cercle proche. » Au menu, de la cuisine maison, créative, saine, avec des produits frais et de qualité achetés au marché ou dans les commerces du coin. Une bonne dose de convivialité aussi, car chaque commande est une rencontre : je récu-père mon repas direc-tement chez mon voi-sin cordon-bleu, qui m’accueille à la coule dans sa cuisine. La bouffe, ça crée des liens. On discute, on boit un verre. On se lie

d’amitié. Certains clients et chefs s’as-socient même à l’occasion pour préparer un repas en duo. « Un chef qui tourne bien vend 20 à 40 portions par semaine, d’après Nicolas. À 10 euros en moyenne l’entrée et le plat ou le plat et le dessert (entre 12 et 14 euros pour la for-mule entrée, plat, dessert), les mieux notés peuvent atteindre un chiffre d’af-faires de 100 à 300 euros par jour. » Ni-colas aimerait que bien manger grâce à ses voisins devienne banal, qu’il y ait un chef dans chaque rue qui régale tous ceux qui n’ont pas le temps de se faire de bons petits plats. Moi, je vote pour !

RESTOS BARQUETTESGrâce à Menu Next Door, je commande un repas cuisiné avec amour par un voisin, à un prix raisonnable, et je le déguste chez moi. Laurène Champalle, octobre 2016

UN DÎNER PRESQUE PARFAIT

Fan des mezzes libanais de Sarah Bouakaz à Bruxelles, Nicolas a découvert, grâce aux chefs de Menu Next Door, la « crusine » (la bouffe crue) et la cuisine vegan. À Paris, son chouchou c’est Hervé Fayat, « une tuerie » : noté 5 étoiles sur 5, avec 172 abonnés, 163 avis et 51 coups de cœur, ce cuisinier pro ne fait pas juste du « take away », mais ac-cueille ses voisins autour d’un verre, voire deux ou trois.

LES COUPS DE FOOD DE NICOLAS,créateur de Menu Next Door

Nourriture dispersée façon puzzle... ... la cliente débarque. Bon appétit !

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C ôme Bastin : Arcade City est-il le nom d’un nouveau jeu vidéo ?Christopher David : Non ! C’est un réseau de chauffeurs

décentralisé qui a pour but d’entrer en compétition avec Uber et de résoudre les problèmes qu’il pose. Uber, tout comme Lyft, maltraite ses chauffeurs. Ils veulent les remplacer dès que possible par des voitures autonomes. En attendant, ils les pressurisent au max’ et font la course aux prix bas. Les salaires des chauffeurs ont chuté de près de 40 % en une nuit à San Francisco ! C’est bien pour les consommateurs, mais lorsque vous conduisez 40 à 50 heures par mois,

c’est terrible. En tant qu’ancien chauffeur Uber, je sais de quoi je parle.

Vous n’êtes donc pas fatigué d’être présenté comme l’« anti-Uber » ? Pas du tout, et je l’assume ! Ça permet de souligner le contraste clair entre notre modèle décentralisé et celui d’Uber. C’est ce qui explique que des milliers d’anciens chauffeurs Uber ou Lyft nous aient déjà rejoints. Notre objectif est d’émanciper les chauffeurs afin qu’ils aient un pouvoir de décision et de contrôle sur leur travail. Qu’ils s’organisent eux-mêmes et décident de leurs propres règles et de leurs tarifs. C’est rendu possible par la technologie blockchain, qui permet de décentraliser le modèle de notre organisation.

Quels sont les avantages à utiliser la blockchain plutôt qu’une plateforme centralisée ? Nous encourageons nos chauffeurs et leurs passagers à utiliser une monnaie électronique basée sur la blockchain pour éviter les commissions des cartes de crédit. Notre modèle prélève une toute petite commission sur les paiements, de l’ordre de 10 %, contre 25 % pour Uber. Juste de quoi payer l’équipe et le développement technologique. La blockchain nous sert aussi à assurer la sécurité et la réputation sur Arcade City. Nous attribuons un score à chaque utilisateur de façon transparente : le code est ouvert.

L’année dernière, le gouvernement français a interdit Uberpop. N’avez-vous pas peur de tomber vous aussi sous les coups du législateur à mesure que votre plateforme gagnera en importance ? C’est possible, et nous sommes prêts à accepter des régulations. Mais notre modèle pourrait éviter ce problème tout simplement parce que les taxis peuvent nous rejoindre et utiliser Arcade City pour leurs courses et leurs paiements. Uber souhaite détruire l’industrie des taxis. Nous voulons l’aider à évoluer. Nous sommes déjà en discussion avec plusieurs compagnies aux États-Unis pour aller dans ce sens. Beaucoup comprennent l’intérêt des nouvelles technologies. Ce qu’elles reprochent à Uber, c’est d’employer une tactique très agressive en matière de prix et de ne pas toujours respecter la loi.

D’autres secteurs que le transport de personnes pourraient-ils s’empa-rer de votre technologie ? Tout à fait ! On voit déjà des gens affirmer sur leur profil qu’ils veulent faire de la livraison. D’autres proposent de déplacer des voitures. Certaines mairies réfléchissent aussi à utiliser Arcade City pour regrouper l’informa-tion sur tous les transports disponibles, des taxis aux bus en passant par le train. La beauté du modèle décentrali-sé, c’est que n’importe qui peut appor-ter une innovation ou monter une start-up à partir de notre plateforme.

Lancé en janvier aux États-Unis par Christopher David, Arcade  City utilise la blockchain pour connecter passagers et chauffeurs sans intermédiaire. Objectif : éviter les commissions des plateformes comme Uber et améliorer les conditions de travail des conducteurs. Côme Bastin, mai 2016

CONCURRENCER UBER GRÂCE À LA BLOCKCHAIN

GAME OVER ?

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Christopher David, CEO de Arcade City

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D iès la page d’accueil de FreeCovoiturage, le ton est donné. « Pas de Bla Bla : covoi-turez librement. » Une façon

de résumer la philosophie de la start-up. Mais aussi une attaque directe contre Blablacar, la célèbre plateforme de covoi-

P remière constatation lors-qu’on tape « covoiturage gratuit » dans un moteur de re-cherche : le nombre de sites

proposés. Une vingtaine de plateformes au bas mot… Difficile de faire un choix. Avec plus de 90 % du marché détenu par Blabla-car, les plateformes gratuites sont souvent de belles vitrines avec très peu d’usagers. Créée en  2011, l’association covoiturage-libre.fr propose 400 trajets par jour, un bon score dans le monde de la concurrence gra-tuite à Blablacar. « On est approchés en per-manence par des sociétés ou des services de covoiturage qui souhaitent nous racheter nos usagers », raconte son président (béné-vole), Bastien Sibille. Car les concurrents sont nombreux (La RoueVerte, GoMore,

turage que FreeCovoiturage ambitionne de concurrencer. « Blablacar a abusé de la  confiance des gens », accuse Zakaria Al Kabbab, ingénieur franco-marocain qui a lancé la plateforme en décembre de l’année dernière. « Au départ gratuits, ils ont changé de business model sans deman-

Karzoo, Roulez Malin...) et peinent à s’ins-taller dans la durée. Lancée à la fin 2014, iDvroom (plateforme semi-gratuite de la SNCF) a de son côté parié sur une niche : le covoiturage de proximité. Avec 18 000 tra-jets par jour, 100 000 inscrits et un système de planning de covoiturage par semaine, le site tire son épingle du jeu… pour l’instant.

L’ÉCRASANT BLABLACARLe passage de Blablacar au payant, pour-tant vertement critiqué en 2011, est au-jourd’hui loin derrière. « On a levé tous les freins et toutes les craintes des gens, ça a  permis de vraiment démocratiser le covoiturage », explique Laure Wagner, porte-parole de Blablacar. Les chiffres parlent d’eux-mêmes  : Blablacar, c’est

der l’avis de leur communauté et prennent aujourd’hui une commission énorme, de l’ordre de 15 à 20 % sur tous les trajets. »

PARTAGE ET SOLIDARITÉC’est pour « revenir aux valeurs de partage et de solidarité » du covoiturage que Zakaria a fait un choix radical : zéro com-mission sur les trajets. Chaque conducteur fixe le prix qu’il veut pour embarquer des passagers. Le paiement se fait de main à main, le jour du voyage. En revanche, pas d’assurance ni de garantie pour les membres comme chez Blablacar. Au-delà des prix légers, FreeCovoiturage espère aussi percer grâce à un certain nombre d’innovations. Les conducteurs peuvent ainsi préciser leur humeur du moment, indiquer s’ils disposent de chargeurs de smartphone, du wifi, de bouteilles d’eau… L’entrepreneur assure recevoir de nom-breux messages de soutien et croit dur comme fer à son projet. « Comme Google, Blablacar est en situation de monopole, il est très difficile de les concurrencer. Mais notre communauté grandit chaque jour ! » Une communauté qui, en attendant, jongle entre les deux plateformes pour pouvoir remplir ses véhicules. Côme Bastin, avril 2016

LIBRE ET SANS TABOU

QUI PEUT BATTRE BLABLACAR ?

FREECOVOITURAGE DÉCLARE LA GUERRE À BLABLACAR

LE COVOITURAGE GRATUIT À LA PEINE27 millions de membres et 3  millions de personnes transportées par mois. Pour-tant, malgré ces chiffres hégémoniques, les défenseurs d’un covoiturage sans frais continuent de réclamer une alternative. Contacté via le site laroueverte.com, Matt, un Franco-congolais raconte  : « Il y a beaucoup de personnes qui n’ont pas de carte de crédit dans la communauté africaine, alors on essaie de s’arranger. » À chaque voyage, Matt poste son annonce sur plusieurs plateformes gratuites, mais finit souvent par voyager avec Blablacar faute de passagers. Sur le  compte Face-book covoiturage-libre.fr, même constat  : pour l’instant, difficile de se passer du géant français du covoiturage. Entre deux dé bats sur les méfaits du passage au payant, les membres s’échangent les bons plans et les « sites de covoiturage gratuits qui marchent ». En attendant une vraie alternative. Juliette Bonneau, mars 2016

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A vec ses 20 millions d’utilisateurs répartis dans 19  pays et ses le-vées de fonds records, Blablacar est le sym-bole du covoiturage. Pourtant, ces excel-

lents chiffres dissimulent une ombre au tableau : la distance moyenne de ces tra-jets est de 330 km, le plus souvent d’une ville à l’autre. Selon l’Ademe, le covoitu-rage de courte distance ne concernerait que 2,5 % des trajets partagés. Or, ce sont ces petits déplacements qui causent l’es-sentiel des embouteillages et polluent le plus nos villes. « C’est beaucoup plus compliqué d’embarquer des passagers sur des trajets courts », avance Olivier Binet, cofondateur de Karos, start-up qui ambi-tionne de s’attaquer à ce marché complexe du « courtvoiturage ». « Il faut que par chance vous alliez dans la bonne direction au bon moment. Et puis s’il faut poster un trajet et attendre une réponse pour gagner deux euros… »

ANTICIPER LES BESOINSAvec Tristan Croiset, diplômé en sciences cognitives et informatique avancée, Olivier Binet a donc imaginé un modèle complète-ment différent. Plutôt que de fonctionner avec un système d’annonces, Karos mobi-lise des algorithmes qui apprennent les déplacements de ses utilisateurs, géoloca-lisés grâce à leur smartphone. Objectif  : anticiper leurs besoins et faire corres-pondre automatiquement l’offre et la de-mande. « Par exemple, si vous vous rendez cinq fois par semaine au travail, l’applica-tion va vous indiquer des passagers qui ont besoin d’aller dans la même direction au même moment », illustre Olivier Binet.

L’objectif est d’être le plus précis possible. « Beaucoup de gens pensent décoller de chez eux à 8 heures, mais nos statistiques montrent qu’ils sont tout le temps en retard et partent plutôt vers 8 h 10 ! »

AUCUNE COMMISSIONChacun peut choisir d’être chauffeur, passager, ou même les deux pour se voir proposer des trajets par l’application. À l’arrivée, le passager paie 10 centimes par kilomètres parcourus via l’applica-tion quelle que soit la distance, soit envi-ron 2 euros pour un Paris-Versailles ou un Versailles-Évry (20 km). Aucune com-mission n’est prélevée par la start-up, qui

compte se rémunérer grâce à des parte-nariats avec des organisations et des col-lectivités. Concrètement, Karos popula-rise son service au sein d’une grande entreprise ou d’un territoire en sensibili-sant au covoiturage et à l’utilisation de l’appli. « On fournit un reporting régulier du nombre de trajets réalisés et de l’impact sur l’environnement comme le CO2 écono-misé », explique Olivier Binet.

MASSE CRITIQUELes trajets qui passent par l’appli sont en moyenne longs de 25 km, bien loin des 330 de Blablacar. Le pari est donc gagné de ce côté. Primée à 8 reprises, comme au

i-Lab pour son modèle et sa technologie innovante, ambassadrice de la French Tech lors de la COP21, Karos a également séduit les investisseurs et levé 1,2 millions d’euros, notamment auprès de la BPI. Pour autant rien n’est joué pour Karos, qui compte pour l’instant 14 000 utilisa-teurs dont 1 500 quotidiens, répartis sur-tout en Île-de-France et à Grenoble. Car pour qu’un service de covoiturage fonc-tionne, une masse critique d’utilisateurs est nécessaire afin de trouver un trajet ou des passagers facilement. Et malgré des débuts prometteurs, des start-up comme Wedrive ou Sharette ont échoué à ré-soudre le casse-tête du courtvoiturage.

LE “COURTVOITURAGE”, AVENIR DU COVOITURAGE ?Alors que le covoiturage d’une ville à l’autre cartonne, il peine à s’imposer sur les plus petites distances. La start-up Karos veut s’y attaquer grâce à des algorithmes capables d’apprendre et de prédire les déplacements de tous les jours de ses utilisateurs. Côme Bastin, mai 2016

LYON-LYON

“LES TRAJETS QUI PASSENT PAR L’APPLI SONT EN MOYENNE LONGS DE 25 KM, BIEN LOIN DES 330 DE BLABLACAR.”

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E in France, 20 % des émissions de CO2 liées aux transports sont dues à la re-

cherche d’une place de sta-tionnement. Un poids pour l’environnement et beaucoup de temps perdu –  celui-ci se chiffre-rait à un an dans la vie d’un automobi-liste. Paradoxale-ment, des dizaines de milliers de places sont inutilisées dans les par-kings privés des entreprises et immeubles d’habitation. Pour mieux allouer ces ressources, quatre sites mettent en rela-tion propriétaires et usagers des parkings  : Monsieur Par-king, Parkadom, Mobypark et Prendsmaplace. Avec des tarifs avantageux, compris entre 5 et 20 euros la journée. « Mais il faut à chaque fois se rencontrer pour échanger les clés, ce qui est assez pénible pour gagner quelques euros », explique William Rosenfeld, le fondateur de Zenpark. Créée en 2014, cette startup est en train de s’imposer comme le leader européen du copar-king avec une croissance de 300 % par an. Son atout ? Elle équipe les barrières automa-tiques d’un boîtier connecté à internet. Grâce à une appli mo-bile, ses utilisateurs peuvent ainsi accéder aux places en quelques clics. « Notre système smartgrid permet de gérer les flux de véhicules de façon optimale tout au long de la journée », explique le PDG. Selon lui, chaque parking loué sur l’application représente 1 500 heures de sta-tionnement par mois. Une source de revenus complémen-taires pour les propriétaires, pouvant atteindre 40 000 euros par an pour 20 places, mais aussi d’économies pour les auto-mobilistes. Ceux-ci bénéficient de tarifs inférieurs de 25 % à ceux des horodateurs, ainsi que de possibilités d’abonne-ment. Zenpark vient de lever 6,1 millions d’euros auprès de plusieurs investisseurs, dont MAIF Avenir et Frédéric Mazzella, le fondateur de BlaBlaCar. L’objectif  : gérer 1 000 parkings partagés en France d’ici deux ans et s’étendre à toute l’Europe. Jean-Jacques Valette, septembre   2016

LE COPARKING EST DANS LA PLACE STATIONNEMENT AUTORISÉ

> Path to Park. L’application se sert de données comme la durée moyenne  de  stationnement  enregistrée  par  les  parcmètres  ou  les horaires de fréquentation pour vous indiquer où vous garer.

> Polly. Son interface bascule en mode recherche de place lors de l’arrivée à votre point de rendez-vous. Le conducteur se voit alors proposer un trajet conçu pour optimiser ses chances de trouver une place.

> Onepark. L’application vous permet de comparer les prix des 500 parkings proposés sur la plateforme, en temps réel. 

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Se garer grâce à son smartphone PLUS VITE ET MOINS CHER

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Courir partout pour en dépo-ser un puis récupérer l’autre avant de retrouver le troi-sième… pour les parents, le

temps et l’énergie sont des denrées rares, donc précieuses. Voilà pourquoi deux mamans actives, Fanny et Florence – cofondatrices de Cmabulle – ont imagi-né un service de covoiturage destiné au transport des enfants. Concrètement, il vous suffit de vous inscrire à la « bourse

aux conduites » de Cmabulle et de trou-ver la bonne personne pour effectuer le trajet à votre place. En retour, vous pou-vez bien entendu proposer un trajet afin que d’autres puissent en profiter.

RENCONTRE ENTRE PARENTSUn marché de niche ? Pas vraiment. 80 % des déplacements des enfants sont assurés par les parents, sachant que 75 % des 6-18 ans ont une activité périscolaire

(étude  CdC, 2014). L’objectif de Cmabulle est de limiter les déplacements individuels en optimisant l’utilisation des trajets en voi-tures déjà existants. Il s’agit aussi de favori-ser les rencontres entre parents et de créer une dynamique territoriale dans les com-munes. En  2014, Cmabulle (soutenue par l’ADEME, la région Nord-Pas-De-Calais et i-viaTIC) a bâti un premier projet pilote en collaboration avec les familles adhérentes de plusieurs structures, afin de recueillir leurs besoins, leurs attentes et de valider la pertinence du service. Aujourd’hui, plus de 500  familles profitent du système. Dispo-nible dans la région Hauts-de-France, le service sera prochainement testé un peu partout en France.

Cmabulle propose une « bourse aux conduites » pour amener les enfants à

l’école ou au sport en covoiturage. Samuel Roumeau, avril 2016

CHÉRI, J’AI TRANSPORTÉ LES GOSSES !

P iourquoi utiliser la voiture quand on peut privilé-gier les modes de transport doux ? Consternés par le nombre de voitures à la sortie des écoles, trois ingénieurs – dont deux jeunes papas – ont créé

PetitBus, une application gratuite facilitant le ramassage scolaire à pied ou en vélo. Selon les chiffres de l’Ademe, 70 % des élèves de maternelle et de primaire se rendent en effet à l’école en voiture alors qu’ils habitent à moins de 1 500 mètres de celle-ci. « Les parents sont de plus en plus pressés. Du coup ils prennent tous leur voiture, ça crée des embouteillages et à la fin tout le monde y perd », explique Thomas Cazade, l’un des cofondateurs de PetitBus. Son alternative, c’est le pédibus, c’est-à-dire l’accompagnement à pied des enfants sur le trajet de l’école. Une solution écologique qui favorise le lien social mais peine malheureusement à se démocratiser. « Les parents ont notamment peur pour la sécurité de leurs enfants et les pédibus demandent beaucoup d’organisation. »

GÉOLOCALISER LES ENFANTSPour répondre à ces problèmes, l’application PetitBus per-met de matérialiser sur une carte le trajet du pédibus et même les horaires de passage des parents piétons en temps réel. « L’accompagnateur est géolocalisé à l’aide de son smart-phone, ainsi les parents savent toujours où se trouvent leurs en-fants. » En cas de problème, un système de messagerie in-terne et de SMS d’alerte permet de contacter immédiatement les parents. Mais comment éviter que ce ne soient toujours les mêmes qui accompagnent les enfants ? « On a imaginé une monnaie virtuelle, le Stepy, qui permet de calculer la contribution de chacun », explique Thomas Cazade. Et si aucun parent n’est disponible, PetitBus propose aussi un système payant d’accompagnateurs de confiance. Une bonne idée pour faire baisser le trafic automobile tout en rapprochant les parents. Jean-Jacques Valette, mai 2016

PLUS DOUX, PLUS ÉCOLO

Trois ingénieurs ont lancé une application pour remettre au goût du jour le pédibus, l’accompagnement à pied de plusieurs enfants sur le chemin de l’école.

UNE APPLI POUR FAVORISER LE RAMASSAGE SCOLAIRE À PIED

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D ians la famille des sites de location collabora-tifs, demandez Wheeliz. La plateforme a été lancée en mai 2015 par une jeune femme elle-même en fauteuil roulant, Charlotte de Vilmorin. Wheeliz ne possède pas de véhi-cules en propre  : elle entend mutualiser les quelque 100 000 voitures aménagées pour les

personnes handicapées moteurs qui appartiennent à des par-ticuliers en France. Aujourd’hui, la plateforme regroupe 300  véhicules et compte 2 800  inscrits. À peine la moitié d’entre eux sont cependant handicapés.Les autres sont des personnes âgées qui rencontrent des contraintes similaires. Charlotte de Vilmorin entend « casser les prix » pour rendre accessible la location de ces véhicules aménagés notamment aux handicapés demandeurs d’emploi, qui représentent 8,4 % des chômeurs selon l’Agefiph, l’orga-nisme en charge de leur insertion professionnelle. L’allocation aux adultes handicapés ne s’élève en effet au mieux qu’à 808 euros mensuels alors qu’acquérir et aménager une voiture avec une rampe d’accès pour fauteuil peut coûter jusqu’à 100 000  euros, selon le Centre de ressources et d’innovation mobilité handicap (Ceremh).

UN MAILLAGE TERRITORIAL DENSE Chez Wheeliz, tout ou presque passe par internet. L’inscrip-tion est gratuite, les locataires listent leurs besoins, les pro-priétaires donnent les caractéristiques de leur véhicule et le paiement s’effectue en ligne. Le reste est évidemment affaire de proximité pour l’échange des clés. Les véhicules les plus classiques sont loués une quarantaine d’euros la journée, contre environ 70 euros auprès d’une agence professionnelle. La plateforme prélève 30 % du prix des locations pour ses frais

de gestion et d’assurance. Se reposer sur les particuliers per-met un maillage territorial plus dense que la location classique. « Le marché n’est pas suffisant pour créer des agences aux quatre coins de la France », souligne Pierre Folliot, cofondateur et cogé-rant d’Handynamic, une structure de location-vente de véhi-cules aménagés basée dans le Nord. Il est régulièrement obligé de refuser des demandes du fait de leur éloignement géogra-phique. Son entreprise a donc soutenu Charlotte de Vilmorin dans les études préalables à son projet. Pour se lancer, Wheeliz a récolté 21 000 euros de crowdfunding et bénéficié d’une bourse French Tech de BPI France à hauteur de 30 000 euros, ainsi que du prix du meilleur projet d’innovation sociale délivré par la Commission européenne (50 000  euros). L’entreprise prévoit une nouvelle levée de fonds l’hiver prochain.

UN ACCUEIL NON UNANIMECette plateforme n’échappe cependant pas aux critiques clas-siques  : certaines agences professionnelles dénoncent une concurrence déloyale, alors qu’elles-mêmes doivent investir dans des véhicules. Les voitures sont souvent aménagées en partie grâce aux aides versées par les maisons départemen-tales des personnes handicapées. Est-il bien logique de perce-voir des revenus grâce à ces aides  ? Charlotte de Vilmorin balaie la critique  : même avec ces subventions, les prix des véhicules restent beaucoup trop élevés pour que cela de-vienne une rente. La chef d’entreprise voudrait aussi déve-lopper deux nouvelles offres : un service d’acheminement des voitures et des chauffeurs à la manière d’Uber, mais pour les personnes à mobilité réduite. Pour cela, la startup envisage de recourir à des chauffeurs auto-entrepreneurs, s’exposant ainsi à un autre écueil : être accusée de saper les fondements de la protection sociale et du droit du travail.

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MOBILITÉ AUGMENTÉE POUR PERSONNES À MOBILITÉ RÉDUITE

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Charlotte de Vilmorin a lancé une plateforme pour mutualiser les (coûteux) véhicules destinés aux personnes handicapées. Bénédicte Weiss, septembre 2016

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2 0 h 10, dans la zone com-merciale du Coudray, au sud de Chartres, un jeudi de juin. Le parking du supermarché Aldi se vide et des familles en-vahissent le McDo à

proximité. Rémy appelle pour prévenir d’un retard. Quinze minutes plus tard, il débarque sur le rond-point. Son camion siglé Normandie Logistique, un transpor-teur de Rouen, stationne sur le bas-côté. Le temps de nous hisser jusqu’à la cabine, Rémy redémarre. Casquette sur le crâne et rose tatouée sur l’avant-bras, ce ca-mionneur d’une vingtaine d’années em-porte 28 tonnes de marchandises à Saran, près d’Orléans. Et, désormais aussi, l’au-teure de ces lignes. Ce trajet sera notre première étape pour rejoindre Paris en camion, vers une heure du matin.Comme 53  transporteurs, le patron de Rémy est inscrit sur WeTruck, plateforme de « cocamionnage » –  le covoiturage en poids lourd  – créée mi-2015 par Victor Clément, diplômé de NEOMA Business

School. Le site fonctionne comme Bla-BlaCar ou ses concurrents  : les trans-porteurs publient leurs trajets  ; les par-ticuliers réservent et conviennent avec le chauffeur des détails. Le cocamionnage est pour l’heure confidentiel, mais il a du potentiel. Les transporteurs déposent 2 500 offres de trajets par mois, 150 à 300 sont réservées.WeTruck a vocation à desservir des des-tinations délaissées : Limoges-Clermont-

Ferrand, Caen-Senlis, Colmar-Avignon… Le tout à prix modique. Chartres-Orléans coûte 3 euros, Orléans-Paris 5,30 euros, sur lesquels WeTruck prélève 15 %. On se demande comment les entreprises s’y retrouvent. « Pour rester compétitifs face aux bus, nous suggérons un tarif de 4 centimes par kilomètre que le transpor-

teur est libre d’augmenter, explique Victor Clément. Mais nous sommes encore en train d’ajuster les prix. L’option vélo payante, par exemple, permet d ’accroître leurs revenus. »La cabine de Rémy est spacieuse. Quatre rétroviseurs offrent une vue kaléidosco-pique de la route que l’on domine à près de trois mètres de haut. La vitesse du camion – bridé à 85 km/heure – laisse admirer les champs plantés d’éoliennes. Rémy a mis

son CD de hard rock en sourdine pour engager la conversation. Il ne s’ennuie jamais dans ce métier pourtant solitaire. Il téléphone à ses collègues et dort sur sa couchette en cas de coup de mou.Au bout d’une heure, Rémy nous dépose à l’entrée du centre routier, vaste plate-forme logistique quasi déserte quand la

SUR LA ROUTEPremier site de « cocamionnage » en France, WeTruck propose de voyager à bord de camions qui effectuent des trajets vers des destinations mal desservies. Une immersion dans le quotidien des chauffeurs autant qu’une solution de transport bon marché. Alexia Eychenne, août 2016

COVOITURAGE : J’AI VOYAGÉ AVEC UN CHAUFFEUR ROUTIER

“WETRUCK A VOCATION À DESSERVIR DES DESTINATIONS DÉLAISSÉES : LIMOGES-CLERMONT-FERRAND, CAEN-SENLIS, COLMAR-AVIGNON…”

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nuit tombe. Les lièvres sur les pelouses et des silhouettes endormies dans les ca-bines des camions sont les seuls signes de vie. Pour « cocamionner », mieux vaut ne pas être allergique aux espaces hostiles aux piétons. Les centres-villes étant inter-dits aux poids lourds, les points de livrai-son des chauffeurs se trouvent autour de sites industriels, au mieux de zones com-merciales. WeTruck assure que les lieux de rendez-vous sont accessibles via les transports, la voiture ou le vélo. Mais les bus ne circulent pas toujours aux horaires – souvent nocturnes – des cocamionnages.À l’autre bout du centre routier, une heure plus tard, on retrouve Thierry (1), tous phares allumés. Ce colosse en débardeur et bermuda doit nous déposer Porte de Clichy, à Paris. Problème : son patron lui a indiqué que nous allions à Orly. Thierry doit confier sa marchandise à un collègue dans l’Essonne et ramener la sienne avant le lever du jour. Impossible de faire le cro-chet. WeTruck recommande aux trans-porteurs « de ne faire participer que les conducteurs volontaires », mais ce n’est pas le cas de Thierry. Ce Lillois de 49 ans n’est d’abord pas ravi de notre compagnie. Il « aime [sa] tranquillité » et transporter des voyageurs « [le] stresse »  : il craint de ne pas être couvert en cas de problème. WeTruck place pourtant la sécurité en tête de ses arguments. Les coordonnées des responsables figurent sur le site, ce qui rend quasi impossible les faux profils. Les assurances « flotte » des entreprises

couvrent les passagers. La glace finit par se briser. « À  moitié gitan », Thierry se confie sur sa vie de chauffeur, « un beau métier quand on aime manger du bitume », même s’il reproche à la concurrence étrangère de casser les prix, obligeant les transporteurs à licencier. S’arrêter dans les restos routiers, autrefois lieux de socialisation, est devenu inabordable. Thierry cuisine sur son réchaud et noue de moins en moins d’amitiés sur la route.Reste à trouver comment rejoindre Paris. C’est finalement son collègue Pa-trice qui s’en chargera. Vers 1 h 30, les deux chauffeurs se retrouvent sur une  aire déserte pour échanger leur

remorque. Patrice assure le « relais » jusqu’à Lille et finit par accepter une es-cale à Paris. Il a déjà ouvert trois fois sa cabine à des cocamionneurs, dont une mère et son fils en partance pour les chemins de Compostelle. Patrice s’ar-rête 15 minutes dans une station le temps de sa « coupure », cette pause ré-gulièrement imposée aux routiers, puis repart au rythme de radio Nostalgie. Il est près de 3 heures à l’arrivée à Paris, deux heures après l’horaire prévu... Patrice file vers l’A86, direction Lille. Il lui reste une nuit de travail avant de partir en week-end.

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(1) Certains prénoms ont été modifiés.

Plus de 10 millions de Français sont inscrits sur un site de covoiturage. BlaBlaCar domine le marché devant iDVroom, Covoiturage-libre.fr ou RoulezMalin. Il comptait 500 000 membres en 2010, un million en 2011 et dix fois plus aujourd’hui, même si 66 % des covoitureurs longue distance l’utilisent quelques fois par an seulement. Le Commissariat général au développement durable (CGDD) estime que la part de marché du secteur pourrait repré-senter à terme 2,8 % des longs trajets contre 1,6 % aujourd’hui. Et ce, grâce à la conquête de nouvelles classes d’âge et à une meilleure couverture géographique.Autre potentiel : les courtes distances, 98 % des sorties en voiture. Seuls 3 % des tra-jets partagés concernent des déplacements quotidiens, alors que mutualiser un trajet domicile-travail de 15 kilomètres permet

d’économiser 1 500 euros par an, en plus de réduire la circulation et l’empreinte carbone. À côté des collectivités locales, des startup briguent le marché. Sharette, partenaire de la RATP, a fermé faute de financements, à l’instar de Wedrive. Parmi les acteurs en course, WayzUp se rémunère auprès des en-treprises qu’elle dessert. Pour Karos, l’avenir est à l’analyse prédictive des déplacements – laquelle doit permettre de mieux faire cor-respondre offre et demande. Carbip propose de covoiturer et de louer sa voiture sur un même site pour fluidifier les usages. Mapool parie sur le partage des trajets en deux-roues et Ecov sur des bornes en ville pour démo-cratiser le covoiturage. Après UberPool qui permet déjà de partager un véhicule, le géant des VTC pourrait s’affirmer dans le secteur avec UberCommute, à l’essai en Chine.

COVOITURAGE : le potentiel inexploité des courtes distances

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L’ E N V I R O N N E M E N TL’ E N V I R O N N E M E N TP R O T É G E RP R O T É G E R

Avec Cyril Dion,militant et réalisateur

du film Demain

Grâce à l’économie circulaireAux circuits courts

Et à l’électronique durable

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Un an après la

sortie du film Demain, quel regard portez-vous sur son succès ?

Engouement passager ou réel marqueur de changement ? Depuis la sortie du film, nous sommes allés à l’ONU et au Parlement européen, nous avons rencontré des présidents de partis politiques, des cher-cheurs. Nous avons été contac-tés par des grandes banques, des multinationales, des gens de la grande distribution qui nous ont dit : « Vous nous tapez dessus. La réalité n’est pas si simple, mais on a envie de vous aider et de faire partie du changement. » Et ça, ça a réalisé nos rêves les plus fous parce qu’on avait envie de faire un film qui sorte du cercle militant. Je suis engagé sur ces questions depuis 2006 et je crois que le film marque une époque. Jamais on n’aurait rempli les salles comme cela auparavant en parlant transition écologique, création monétaire, éducation innovante ou change-ment de modèle démocratique.

Êtes-vous plus optimiste qu’après la lecture de l’étude alarmiste qui ouvre votre film ? Non. Je vois que les phénomènes

s’accélèrent et qu’on est en-deçà de ce qu’il faudrait faire. Toutes les études qui tombent en ce moment sont dramatiques : en 2050, il pourrait y avoir, en termes de poids, plus de déchets dans l’océan que de poissons, et il est certain que nous ne contiendrons pas le réchauffe-ment climatique en dessous de 2 degrés. Mais ce qui m’enthou-siasme, c’est que la phase de déni collectif s’érode. La catas-trophe est souvent la seule chose qui fait bouger les gens. On a tenté de la remplacer par la créativité et l’enthousiasme, et de construire un autre récit. Il y a désormais une prise de conscience de la nécessité d’un changement global.

Pensez-vous que le numérique soit un outil adéquat pour faire germer ces graines de changement ? On voit sortir beaucoup d’applications pour favoriser un mode de vie plus écolo.C’est un outil formidable pour permettre à des gens de s’organi-ser et de se mobiliser d’une façon différente. Pour autant, on voit bien que la dématérialisa-tion de nos vies est un trompe-l’œil écologique. Une étude du CNRS montre qu’un courriel peut être plus polluant qu’un

courrier papier. L’utilisation frénétique des technologies implique une débauche d’éner-gie pour stocker les données dans les serveurs. Tout cela paraît magique et sans impact, mais il faut beaucoup de maté-riel pour dématérialiser. Il y a un renouvellement de plus en plus rapide des téléphones, ordina-teurs et tablettes, encouragé par des mécanismes d’obsolescence programmée, de modes et de standards qui évoluent. Je m’inquiète de l’addiction technophile dans laquelle notre espèce s’engage. On a préféré montrer des solutions low-tech dans le film Demain, en se disant « qui peut le plus peut le moins ».

Les pratiques collaboratives, en mutualisant les ressources, ne font-elles pas partie de la solution ?Je suis partagé. Il y a une étude de l’ancien vice-président de General Motors qui montre que pour une mobilité égale on pourrait réduire de 80 % le nombre de voitures en les remplissant mieux grâce à des applications. Super. Mais si le numérique dont on a besoin pour cela fait exploser notre consommation d’énergie, c’est le serpent qui se mord la queue.

Cyril Dion

1978Naissance à Poissy

(Yvelines)

2000École d’art dramatique

Jean-Périmony

2003Coordinateur

de projets pour la Fondation Hommes

de Parole

2007Crée avec

Pierre Rabhi le Mouvement Colibris

2012Cofonde

le magazine Kaizen et la collection

« Domaine du Possible » aux éditions Actes Sud

2015Coécrit le film Demain, César

du meilleur film documentaire

Il a cofondé le mouvement citoyen Colibris et attiré 1 million de spectateurs en salles avec un documentaire sur la permaculture, l’éolien et l’économie circulaire. Mais quid du collaboratif au service de l’environnement ? Nous sommes allés nous confronter au regard critique de Cyril Dion.Propos recueillis par Côme Bastin / Photos : Augustin Le Gall

ET APRÈS DEMAIN ?CYRIL DION

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Il faut faire les choses de façon plus intelligente à tous les niveaux et entretenir un rapport plus durable à la technologie. Je pense au Fairphone dont on peut chan-ger les pièces pour le faire évoluer sans avoir à remplacer tout l’appareil. Il faut aussi des logiciels et des applications moins gourmands en énergie. Ainsi, on pourra économiser du temps et de l’énergie, comme dans le cas du covoiturage. Mais pour l’instant, j’ai l’im-pression qu’on se contente de dire que le numérique va résoudre tous nos problèmes sans prendre en compte son empreinte écologique.

Et tous ces agriculteurs qui se tournent vers le financement participatif, ou trouvent des débouchés grâce à une plateforme de circuit court ? Cela les aide, bien sûr ! Il y a La Ruche Qui dit Oui !, les super-marchés coopératifs type La Louve à Paris, mais également les Amap, qui préachètent les récoltes des agriculteurs dans une logique de solidarité mili-tante, ou tout simplement les marchés paysans. Je crois à la diversité des solutions pour qu’agriculteurs, revendeurs et clients puissent tous y trouver leur compte. Il faut néanmoins avoir conscience que les solu-tions numériques ne peuvent pas convenir à tous les agricul-teurs. Le risque, c’est de leur demander d’être geek, entrepre-neurs, distributeurs et commu-nicants, en plus de leur métier déjà difficile. C’est pour cette raison qu’il est important que ceux qui créent les plateformes aient aussi un pied dans l’agri-culture. Par exemple, avec son association Fermes d’Avenir, Maxime de Rostolan a lancé BlueBees, une plateforme de crowdfunding dédiée aux projets agricoles durables.

On voit aussi que la théma-tique du zéro déchet a pro-gressé dans le débat depuis quelques années, et que plusieurs plateformes se lancent dans la lutte contre l’obsolescence programmée. C’est un sujet parti de la sphère écologiste qui gagne aujourd’hui le grand public et de plus en plus de gens s’engagent dans ce mode de vie. Mais nous sommes dans une société tellement complexe que parfois une bonne idée, au bout de la chaîne, a un impact écologique négatif. Pour éviter ces effets boomerang, une bonne démarche zéro déchet doit être systémique et globale, comme celle de Pocheco, qui fabrique des enveloppes en valorisant ses propres déchets. L’exemple le plus impressionnant, que nous présentons dans le film, est celui de la ville de San Francisco qui recycle 80 % de ses déchets. C’est d’ailleurs drôle de s’inspirer des États-Unis sur la question, mais c’est parce qu’ils sont aujourd’hui obligés de trouver des solutions aux problèmes environnemen-taux. De la même manière, je pense que la Chine nous donnera des leçons sur le renouvelable d’ici quelques années !

Justement, comment voyez-vous la transition vers le renouvelable en France : planifiée à la chinoise, ou citoyenne et coopérative comme en Allemagne ? Les deux logiques sont interdé-pendantes et complémentaires. En Allemagne, il a fallu que des leaders comme Merkel soient parties prenantes pour accélérer le processus de transition vers le renouvelable. Mais en même temps, les législations sont arrivées parce que les gens se sont bougés, ont fait du lob-bying, créé des coopératives. Au Danemark, cela a commencé par des coopératives citoyennes dans l’énergie éolienne, puis il y

a eu collaboration avec de grandes entreprises. Le parc éolien de Middelgrunden à Copenhague est possédé à 50 % par des citoyens et 50 % par Dong Energy, le plus grand opérateur d’énergie danois, dans lequel l’État à une participation. En France aussi, on ne va pas se débarrasser d’EDF comme ça. Il faut le faire travailler avec des citoyens et des acteurs tels que Enercoop, coopérative d’énergie 100 % renouvelable ou Énergie partagée, qui accompagne et finance des projets d’énergie renouvelable à l’échelle locale.

Il y a quand même un dilemme entre attendre que le change-ment vienne d’en haut ou changer individuellement.Tout à fait. Il y a une tendance chez les militants écologistes à ne pas vouloir entrer en poli-tique pour ne pas se salir les mains. Mais il faut arrêter de croire que les citoyens sont les gentils et que, par la transforma-tion des consciences, un mouve-ment va émerger et tout chan-ger. Ça n’arrivera jamais, si on fait un tant soit peu preuve d’objectivité quant à la nature humaine. De même, il n’y aura pas de grand soir, avec un candidat formidable sur son che-val blanc qui va métamorphoser l’Assemblée nationale. Ce que l’on peut espérer de façon réaliste, c’est qu’à un moment 20 % de la population change son comportement pour que des sujets deviennent centraux dans la conversation sociétale. À partir de là, des responsables prêts à porter ces idées émerge-ront. Ensuite, des évènements graves vont se produire et amplifier la prise de conscience. À ce moment-là, des partis politiques anciennement conservateurs vont vouloir récupérer ces électeurs comme ils le font avec le FN aujourd’hui. Ça ne sera ni blanc ni noir.

"LA CATAS-TROPHE EST SOUVENT LA SEULE CHOSE QUI FAIT BOUGER LES GENS. ON A TENTÉ DE LA REMPLACER PAR LA CRÉATIVITÉ ET L’ENTHOU-SIASME."

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Avez-vous évolué sur cette question ?À force de rencontrer des responsables politiques et des patrons de très grandes entre-prises, je suis peut-être moins binaire. Je me suis confronté à la complexité et cela a enrichi ma réalité militante.

Vous êtes demain président de la République. Quelles sont les grandes mesures que vous prenez pour accélérer la transformation de notre société ? On va justement lancer une campagne avec le mouvement Colibris pendant les élections présidentielles et on a élaboré plusieurs clés de voûte en ce sens. D’abord, basculer la fiscalité du travail vers le car-

bone libérerait de l’énergie pour l’entreprenariat et le travail. Cela coûterait moins cher d’embaucher des gens pour faire des choses utiles tout en rendant les énergies fossiles non compé-titives. Assez mécaniquement, l’économie se tournerait vers le renouvelable. Ensuite, réorien-ter les subventions aujourd’hui dirigées vers l’agriculture industrielle, pour favoriser le développement d’une agricul-ture locale biologique et faciliter la transition pour les agricul-teurs qui veulent s’y convertir. Il faudrait également un revenu de base important, autour de 1 000 euros. On pourrait ainsi passer d’une activité subie à une activité choisie, se concentrer sur les choses utiles et réduire les inégalités qui deviennent très

"UNE ÉTUDE DU CNRS MONTRE QU’UN COURRIEL PEUT ÊTRE PLUS POLLUANT QU’UN COURRIER PAPIER."

dangereuses. Enfin, libérer la création monétaire pour qu’elle ne soit plus fondée sur la dette.

En attendant ce grand jour, quels sont vos projets ? J’espère pouvoir ralentir un peu le rythme ! J’ai fait une tournée dans 14 pays et 82 villes. Je ter-mine un roman qui va paraître chez Actes Sud l’année pro-chaine. J’écris un autre film, la suite de Demain : une fiction sur ce qui va se produire durant les dix prochaines années et qui s’intéresse particulièrement aux mécanismes démocratiques. J’ai besoin de comprendre ce qui bloque le changement au-jourd’hui pour raconter com-ment il pourrait arriver de façon réaliste.

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O bsolescence program-mée, conditions de tra-vail des sous-traitants, composants toxiques… Les smartphones, gad-gets emblématiques de notre époque, sont aus-

si l’objet de critiques de plus en plus vives de la part des consommateurs. Lancé en 2014, le « Fairphone » proposait de chan-ger la donne, avec une attention accrue portée aux conditions de fabrication et à la durée de vie. Preuve que le produit répon-dait à une réelle attente, ses 60 000 exem-plaires se sont vendus comme des petits pains. Au point que l’entreprise néerlan-daise en imagine une deuxième version.Rien n’était pourtant écrit. « Au départ, Fairphone a juste été conçu comme une campagne de sensibilisation aux impacts sociaux et environnementaux des produits électroniques », raconte Bibi Bleekemolen, en charge de l’impact et de l’innovation de-puis le début de l’aventure, et de passage à Paris pour le salon Produrable. Mais Fair-phone prend un tournant décisif en 2012. L’équipe décide de s’essayer à la produc-tion après avoir testé son marché via une campagne de crowdfunding qui, en 3  se-maines seulement, assure la prévente de 10 000 téléphones.

MODULARITÉ ET RÉPARABILITÉ Malgré le succès de cette première four-née, la firme essuie des critiques au sujet du fournisseur chinois avec lequel elle a noué un partenariat. « Comme nous par-tions d’un modèle de téléphone existant,

nous n’avions qu’une faible marge de manœuvre sur la réduction des impacts sociaux et environnementaux que nous dénoncions depuis 2010 », reconnaît Bibi Bleekemolen. Pour aller plus loin, l’équipe décide de prendre la main sur le design complet du téléphone. De l’extraction des matières premières en Afrique à l’assem-blage en Asie, les voyages se multiplient pour nouer des partenariats et s’assurer des bonnes conditions de travail des sous-traitants.« Conçu pour être ouvert », le nouveau Fairphone 2 a rem-porté l’adhésion de la com-munauté iFixit pour son important potentiel de ré-paration. « L’utilisateur est incité à ouvrir le produit, à découvrir les dessous de sa conception et de sa fabrica-tion », résume la char gée d ’ i n n o v a t i o n . L e s pièces détachées sont disponibles directe-ment sur la bou-tique en ligne et il n e f a u t r i e n de plus qu’un tournevis clas-sique pour chan-ger la batterie ou l’appareil photo. Une simplification pour l’utilisateur, mais un défi pour l’équipe. « La modularité n’est mal-heureusement pas la norme et

les fabricants ont dû former spécifique-ment les équipes de leurs lignes d’assem-blage pour qu’ils puissent appliquer le cahier des charges Fairphone », raconte Bibi Bleekemolen.

RÉGLEMENTATIONS EUROPÉENNESBeaucoup reste à faire, notamment « sur les aspects sociaux, liés en partie aux phases d’extraction des matériaux et de fabrication des composants », admet Bibi Bleekemolen. L’équipe Fairphone com-plète ainsi progressivement le traçage des quelques 200 éléments constitutifs du té-léphone et commence à développer des relations étroites avec ses sous-traitants afin d’introduire plus d’exigences sociales. N’ayant pas le poids commercial d’un Samsung ou d’un Apple, Fairphone joue de son influence et de sa visibilité pour faire bouger les lignes : de plus en plus sollicité pour participer aux travaux préparatoires de futures réglementations européennes, le petit poucet de la téléphonie entend tirer vers le haut l’ensemble du secteur.

Trois mois ont passé depuis la sortie de la deuxième version du Fairphone. Conso Collaborative est allé faire le point sur le développement de ce téléphone pas comme les autres. Flore Berlingen, avril 2016

FAIRPHONE 2

L’ODYSSÉE D’UN SMARTPHONE ÉQUITABLE ET DURABLE

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C haque année, 622 millions de produits électriques et électroniques neufs enva-hissent le marché hexagonal.

Conséquence : un Français produit au-jourd’hui 22 kg de déchets électriques et électroniques par an, qui finissent généralement dans des décharges sau-vages en Asie ou en Afrique. Un gaspil-lage qui, pour Thibaud, Quentin et Vianney, n’est pas une fatalité. Ces trois jeunes trentenaires ont fondé Back Market à la fin novembre 2014 grâce au soutien de l’incubateur Numa. Leur idée  ? Créer une véritable alter-native à l’achat de produits neufs en développant un « Amazon des produits reconditionnés », explique Vianney.

60 % MOINS CHERComme le géant américain du com-merce en ligne, la plateforme Back Market propose des smartphones, mais aussi des machines à café ou de l’électroménager. Seule différence : ces produits sont jusqu’à 60 % moins cher car issus d’usines françaises où ils ont

été réparés. « Nous travaillons en majo-rité avec des entreprises sociales comme le réseau Envie ou les Ateliers du Bocage d’Emmaüs qui font de l’insertion profes-sionnelle », précise Vianney. Une offre qui séduit de nombreux con-sommateurs  : la jeune start-up enre-gistre une croissance à deux chiffres avec plus de 6 000 nouveaux clients par mois, selon ses fondateurs. Un an et demi après sa création, l’entreprise est passée de 5 à 19 employés et souhaite dé-sormais s’étendre à l’Allemagne et à l’Es-pagne. « Les marchés de ces pays sont très similaires à celui de la France avant notre création : une forte demande poten-tielle, mais une offre éclatée et peu lisible, gérée par des industriels spécialisés dans telle ou telle catégorie. Notre modèle grand public et généraliste  a donc tout pour séduire », espère Thibaud. Princi-pal défi : « que les consommateurs aient confiance dans nos produits », explique Vianney. Pour cela, la plateforme a mis en place un système de garantie de six mois minimum, avec un retour gratuit des produits s’ils ne conviennent pas.

L’AMAZON DES PRODUITS RECONDITIONNÉS

BACK MARKET PARTÀ LA CONQUÊTE DE L’EUROPE

La start‑up aux 40 % de croissance par mois souhaite lutter contre le gaspillage électronique en vendant des produits remis à neuf par des entreprises sociales. Jean-Jacques Valette, mai 2016

L’association va ouvrir une plate-forme de vente en ligne d’objets d’occasion le 1er octobre prochain. Entretien avec Maud Sarda, res-ponsable du projet Label Emmaüs.

Pourquoi se lancer dans la vente en ligne ?Il y a un contre-modèle à inventer face aux sites de vente en ligne classiques. Nous n’avons pas l’ambition de concur-rencer Amazon ou leboncoin mais de proposer une alternative. L’acheteur pourra trouver des produits et soutenir en même temps les actions de l’associa-tion. C’est aussi l’occasion pour Emmaüs d’investir dans les nouveaux métiers liés au numérique.

Quels produits seront sur le site ?Au départ il s’agira sûrement d’objets de collection, vintage, qui ne trouvent pas forcément preneurs dans nos espaces de vente physiques. Tout ce qui est utilitaire, électroménager, literie, ne sera pas vendu en ligne car ce sont des produits très demandés localement par des gens dans le besoin. L’objectif du site est d’attirer un nouveau public, qui ne connaît pas forcément nos actions.

Avec votre arrivée sur le web, ne craignez-vous pas la perte du contact humain, cher à Emmaüs ?C’est une question récurrente en interne et elle soucie beaucoup de gens. Le cœur d’Emmaüs, c’est la rencontre, la magie des personnes qui se sentent enfin utiles. Je pense qu’internet est complémentaire. L’objectif est que les personnes qui n’ont pas le réflexe Emmaüs viennent dans nos locaux. Nous nous adressons aux « consommacteurs » qui veulent que leur façon de consom-mer ait un impact positif.

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E n 2014, 1,2 milliard de piles ont été mises sur le marché en France, pour la plupart des piles alca-lines à usage unique. 33 000  tonnes de dé-chets toxiques, dont

seul un tiers part dans les circuits de recy-clage. Mais si l’on pouvait sauvegarder l’en vironnement (et notre porte-monnaie) en réutilisant ces piles « jetables » dix, voire vingt fois ?À la tête de l’association ATELIER21, spé-cialisée dans les économies d’énergie, Cédric Carles en est persuadé. C’est en tombant sur une publicité des années 1980 vantant les mérites d’un chargeur pour batteries jetables qu’il décide de se pen-cher sur cette technologie disparue. « L’entreprise, Rayovac, aurait mis la clé sous la porte suite au désistement d’un fournisseur, mais on trouve beaucoup de

RECHARGER LES PILES « JETABLES » ? Le designer Cédric Carles et son association Atelier21 ont créé un régénérateur qui en est capable. Placé en open source, le prototype va désormais être testé par le grand public via une campagne de financement participatif en cours. Côme Bastin, septembre 2016

été partagé en open source. « On veut maintenant créer une communauté de bêta-testeurs pour vérifier le système et obtenir des données sur les piles les plus performantes », explique Cédric Carles. ATELIER21 a lancé une campagne de crowdfunding dont l’argent servira no-tam ment à développer la carte informa-tique Arduino contrôlant le régénérateur. Ceux qui choisiront d’investir 60 euros recevront un prototype et participeront ainsi à la recherche.

SILENCE DES FABRICANTSRegenBox est issu du projet paléo-énergétique visant à mobiliser le grand public pour ressusciter des technologies énergétiques oubliées. Et ce régénérateur de piles remporte l’adhésion du public, s’enthousiasme Cédric Carles, qui assure échanger déjà avec des collectifs africains : « Les régénérateurs pourraient servir dans les stands de recharge des téléphones por-tables  ! » Des professeurs de technologie et des fab labs aimeraient également par-ticiper à leur diffusion.Du côté des fabricants, les réactions se font un peu plus attendre. « Les piles répondent à des normes conçues par l’In-ternational Electronical Commission (IEC) que nous appliquons », justifie auprès du  journal Le Parisien Anne-Charlotte Wedrychowska, du Syndicat français des fabricants de piles et d’accumulateurs portables. Qu’importe : « RegenBox est un projet citoyen dont l’objectif est d’abord d’éveiller les consommateurs au stockage de l’énergie », conclut Cédric Carles.

discussions à ce sujet sur internet et on a réussi à récupérer un vieil appareil d’occa-sion », raconte le designer franco-suisse.

RECHARGEABLES 25 FOISAux côtés du laboratoire de sciences ci-toyennes La Paillasse et des collectifs Zero Waste France et HOP (Halte à l’obsolescence programmée), l’équipe d’ATELIER21 s’est donc attelée à fabri-quer son propre régénérateur de piles baptisé « RegenBox ». « On envoie des mi-cropulsations de courant dans la pile pour inverser le processus électrochimique qui a lieu lorsqu’elle se décharge, détaille Cédric Carles. Résultat ? On a réussi à re-charger 20 fois certaines piles à usage unique ! » Seule contrainte : la recharge doit être faite lentement – comptez 10 heures pour un plein.Capable de régénérer les piles jetables comme rechargeables, le prototype a

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C ’est l’histoire d’un succès discret contre l’obsolescence programée. Son nom ? Spareka, « contraction de rechange et de eurêka », aime à

préciser le fondateur de la plateforme, Geoffroy Malaterre. Pour convaincre le grand public que réparer son lave-vaisselle ou son grille-pain « n’est pas si compliqué », cet entrepreneur de 38 ans a imaginé un site où les utilisateurs pourraient trouver des pièces détachées, mais également l’accompagne-ment nécessaire à la réparation.

DES TUTORIELS GRATUITSAprès avoir établi un diagnostic sur le site, les néoréparateurs peuvent se procurer les pièces à changer dans un catalogue de 8 mil-lions d’articles. On y trouve des pièces déta-chées pour l’électroménager, les piscines, les volets roulants, les smartphones, ou encore les portes de garage. « Nous nous fournissons chez certaines marques, d’autres ne veulent pas travailler avec nous. Dans ce cas-là, nous faisons appel à des distributeurs », précise Geoffroy Malaterre. Grâce aux commissions prises sur les ventes, le site est aujourd’hui rentable et le nombre de salariés a doublé, pour atteindre une trentaine de personnes. Parmi elles, Didier Desart s’occupe des ques-tionnaires et des tutoriels. « Nous produisons des vidéos explicatives sur des frigos, des congé-lateurs, des fours à micro-ondes ou encore des cafetières à dosettes », explique-t-il. Sur la chaîne YouTube de Spareka, ces vidéos compta bilisent au total 4 millions de vues. Juin 2016

SPAREKA

L’ÉCOLE DE LA RÉPARATION

GARANTIE À VIE

« Regardez la valeur, pas le prix »Lancé début 2016 par la Londonienne Tara Button, le site BuyMeOnce (littéralement « achète-moi une fois ») répertorie des objets garantis à vie ou de très longue durée. Plusieurs centaines de produits y sont référencés : vête-ments, mobilier, jouets pour enfants ou ustensiles beauté.

Comment vous est venue l’idée de créer BuyMeOnce ?Avant de faire mon site, j’étais du « côté sombre » . J’ai travaillé pendant huit ans dans la publicité. Ça m’a permis de voir l’envers du décor, la pression pour acheter toujours plus de produits de mauvaise qualité. À l’époque, j’étais très fière de travailler pour un client français : la marque Le Creuset. Un jour, ma sœur m’a offert une de leurs casseroles, garanties à vie. Ça a été un déclic ! Je me suis dit que si tous les objets étaient comme ça, l’environnement ne se porterait plus aussi mal.

Qu’est-ce que vous voudriez voir sur le site et qui n’y figure pas ?Les appareils électroniques ! Pour l’instant, on a seulement un modèle de téléphone qui nous intéresse, le Fairphone. Les industriels du secteur ne sont pas encore prêts à changer leurs pratiques quand on voit qu’on ne peut pas remplacer la batterie ou le processeur sur une majorité de modèles.

Comment convaincre d’acheter des produits plus solides mais plus chers ?Vous devez regarder la valeur d’un objet, pas son prix. Sur le long terme, la plupart des gens ne font pas d’économies en achetant des objets de mauvaise qualité. Les industriels doivent aussi prendre leurs responsabilités et afficher clairement la durée de vie des produits. Mars 2016

Obsolescence programmée : des objets condamnés à mortUn délit en France. Depuis juillet 2015 et l’adoption de la loi sur la transition énergétique, l’obsolescence programmée est devenue une infraction. Elle est punie de deux ans de prison et 300 000 euros d’amende. Un montant qui peut même monter jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires annuel réalisé en France par l’entreprise reconnue coupable. Mais il reste encore beaucoup à faire.

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Ne demandez pas à Mireille Gigante de sourire pour la photo, elle déteste poser. Pourtant, c’est son sourire qui vous accueillera si vous passez à Mulhouse (Alsace), au Magasin pour rien. Un p’tit coin de paradis perdu loin du centre-ville, au cœur des quartiers populaires. Le Magasin pour rien, c’est le « bébé » de

Mireille. Le principe est simple : chacun peut venir ici une fois par semaine et prendre de un à trois objets. Comme ça, gratuitement. Des assiettes dépareillées, des peluches, deux panthères roses en caoutchouc, un vase, un antique clavier d’ordinateur, un bonnet, une passoire en plastique… Le lieu est ouvert à tous ! C’est géant ? C’est Gigante. Mireille de son prénom.Elle a aujourd’hui 65 ans et a toujours milité pour davantage de justice sociale. C’est une bosseuse qui a enchaîné les boulots non-stop, dès l’âge de 14 ans, quand elle est entrée en usine. En 2007, elle a bénéficié d’un contrat aidé pour tra-vailler dans l’association de la Maison de la citoyenneté mondiale (MCM), qui chapeaute une vingtaine de projets sociaux à Mulhouse, « du local au global ».

CONTRE LA SURCONSOMMATIONL’association fait le constat que la société de surconsomma-tion produit des tonnes de déchets, dont plein d’objets en-core utiles, et que, dans le même temps, beaucoup n’ont rien.

TOUT DOIT DISPARAÎTRE

LE MAGASIN GRATUITÀ bientôt 70 ans, Mireille Gigante gère une boutique un peu spéciale dans laquelle chacun peut venir retirer des objets ou déposer ceux dont il n’a plus besoin. Camille Besse, mai 2016

Mireille repère à Fribourg, en Moselle, une initiative : un ma-gasin dans lequel des personnes déposent des objets inutiles

pour eux, tandis que d’autres viennent y cher-cher ce qui leur manque. Mireille monte sur ce modèle sa propre structure et se désigne chef de projet. Pour ce faire, besoin de rien ou presque ! Le premier local est trouvé et financé : MCM (qui bénéficie de fonds sociaux européens) paie une partie du loyer, la mairie finance le reste. Pour le stock, Mireille commence par vider ses propres placards, et le magasin ouvre en 2009. « C’est très facile à monter, les gens ont beaucoup de super-flu. » Le bouche-à-oreille fonctionne, les gens af-fluent pour déposer des objets, ils en profitent pour jeter un coup d’œil  ; parfois, ils repartent avec « un petit quelque chose ». Les associations lui envoient des gens, vingt à quarante personnes passent chaque jour. Cer-tains d’entre eux n’ont rien, « même pas une as-

siette ni une fourchette pour manger ». Elle déteste le mot « misère » : « Je refuse les étiquettes, je ne vois que des êtres humains. » Assistée de Nadia, en contrat aidé, et de Geoffrey, en service civique, elle offre bien plus que des objets  : de l’écoute, de l’humanité, un café, l’adresse d’une association…

« Si la personne a un sourire en partant, c’est magnifique. »Aujourd’hui, Mireille est une star, elle a été inter viewée par tous les grands médias (même la télé de Dubai s’est dépla-cée !). Elle aimerait s’agrandir encore afin de pouvoir rece-voir des meubles : « Et puis ce serait bien d’ouvrir dans le centre-ville. Dans chaque ville, il faudrait ça. » Ça tombe bien, son téléphone sonne : « Encore quelqu’un qui veut ou-vrir un Magasin pour rien, je fais des petits  ! » dit-elle en souriant. De quoi la réconforter, car, avec son âge et sa san-té fragile, elle s’inquiète parfois de l’avenir. Mais, heureuse-ment, sa colère contre l’injustice est intacte : « Quand vous vous occupez des autres, vous ne pensez pas à vous, à la ma-ladie : c’est un remède ! »

“MIREILLE EST UNE STAR, ELLE A ÉTÉ INTER VIEWÉE PAR TOUS LES GRANDS MÉDIAS.”

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Mireille Gigante

1951Naissance de

Mireille Gigante

2007Entre à la Maison de la citoyenneté mondiale

2009Ouverture du

Magasin pour rien

2013Déménagement du Magasin pour rien

pour s’agrandir

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C hristine Jenart ne s’était jamais vrai-ment souciée de ses poubelles… jusqu’en 2014 quand elle a in-tégré le « défi des fa-milles zéro déchet »

lancé par sa municipalité, Roubaix. Avec les membres de cent autres foyers, elle participe à des ateliers, pèse ses ordures et prend conscience de l’impact de ses choix de consommation. Adieu flacons, en avant le compost et le « fait maison » ! Aujourd’hui, ces foyers produisent en moyenne 58 kg d’ordures ménagères par habitant et par an, contre 243 kg pour l’ensemble de la ville. En moyenne, en France en 2013, chaque habitant générait 270 kg d’ordures ménagères.

2 % DE LA POPULATION D’ICI À 2020Comme 152 autres territoires, Roubaix a été retenue pour l’appel à projet « terri-toire zéro gaspillage, zéro déchet » lancé en 2014-2015. Dans ce cadre, près de 200 000  euros par an sont déboursés, dont la moitié par l’Ademe, pour amorcer ce virage. 120  autres familles s’y sont mises depuis  2015 et Alexandre Garcin, adjoint au maire (LR) délégué au Dévelop-pement durable et défenseur du projet, estime pouvoir toucher 100 à 150  foyers supplémentaires par an. Soit en tout 2 % des 95 000  Roubaisiens d’ici à la fin du mandat.Les particuliers ne sont pas les seuls à être mobilisés. Quatre écoles (dix à la rentrée, soit le tiers de l’effectif) et une trentaine de petits commerces sur les 1 000 que compte Roubaix participent à la dé-marche. Un label « commerçant zéro dé-chet » met à leur disposition des outils d’accompagnement. L’objectif visé est de faire baisser de 30 % le volume de déchets

ménagers dans toute la ville via un effet domino de la démarche même sur les fa-milles qui n’y participent pas directe-ment.Au-delà de l’intérêt écologique, la munici-palité en attend aussi la création d’em-plois locaux dans le recyclage et le réem-ploi. Des projets d’insertion sociale (création de meubles à partir de déchets) ont vu le jour. Mais, souligne Mathieu Durand de l’univer-sité du Maine, chiffrer le nombre d’emplois réellement créés par ce type de po-litique reste dif-ficile.Autre gain es-péré : des économies de près de 400 000  eu-ros par an en coûts de traitement des déchets pour la ville de Roubaix.

LE FREIN DES COMPÉTENCESLa collecte et le traitement des ordures sont cependant gé-rés au niveau de la Métropole euro-péenne de Lille (MEL) et non de la com-mune. Impossible donc pour la ville de mettre en place seule une collecte sépa-rée des biodéchets ou une tarification in-citative, deux autres leviers importants pour le « zéro déchet », analyse Flore Berlingen, directrice de Zero Waste France. Alexandre Garcin espère sur-monter cette difficulté grâce à une dyna-mique « par le bas », sans être certain ce-

pendant qu’elle suffira à atteindre l’ob jec tif qu’il s’est fixé.Autre problème : les entreprises. À Rou-baix, une dizaine d’entre elles se sont certes engagées à réduire leurs déchets de 10 %, mais les collectivités ont peu de leviers d’action vis-à-vis d’elles. Cela alors qu’en 2012, les entreprises ont produit

6 3 m i l l i o n s d e tonnes de

déchets en France (hors déchets

de construction), soit deux fois plus que les ménages (31 millions de tonnes). Pour avancer davantage sur ce plan, il faudrait notamment mettre en place des dé-marches intégrées d’écologie industrielle associant entreprises et collectivités, rap-pelle Jean-Baptiste Bahers, chercheur à l’Ecole des métiers de l’environnement de Rennes.

ROUBAIX EN ROUTE VERS LE « ZÉRO DÉCHET »Depuis 2014, la ville incite ses habitants à réduire leurs déchets. Une expérimentation qui reste cependant menée à petite échelle pour l’instant. Bénédicte Weiss, juillet 2016

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L e Zéro Déchet, un terme qui en fait pâlir plus d’un(e)… et pour cause ! Atteindre cet objectif paraît presque insurmon-table dans notre

société de consommation. Pourtant, de plus en plus de personnes s’y adonnent avec ferveur. Rencontre avec Jérémie Pichon, le papa de la famille française référente en la matière. Bénédicte (illustratrice), Jérémie et leurs deux enfants, Mali et Dia, expérimentent depuis plus d’un an la vie sans déchets.

Pauline Trequesser : Ta famille est devenue la référence française en matière de Zéro Déchet : quels constats vous ont poussés à vous lancer dans cette démarche ?Jérémie Pichon : Cela fait maintenant plus de quinze ans que nous militons dans diverses ONG et pour les sols, les océans, les montagnes… Et à chaque fois, on se rendait compte que les déchets revenaient sur la table comme une maladie, un fléau. Nous qui pensions être bons en allant acheter en vrac et en ayant un composteur chez nous… Malgré ça, on s’est rendu compte qu’on avait quand même une poubelle. On a déballé et analysé cette pou-belle : notre maladie à nous, c’était l’emballage. Il fallait trouver une solution. On s’est donc lancé un défi : un an sans déchets. Finalement, on n’en revient jamais.

Qu’est-ce que cela implique pour vous au quotidien ? Des changements drastiques, des ef-forts (in)surmontables ?Aujourd’hui, cela n’implique plus grand-chose car nous avons tout simplement de nouvelles habitudes Zéro Déchet, et elles font partie de notre vie. Finalement, le plus compliqué c’est la phase de changement, il faut absolu-ment s’organiser. C’est un vrai proces-sus : tu remplaces les sacs en plastique par des sacs en tissu, le papier du boucher par tes propres boîtes réutili-sables. C’est un nouveau mode de vie : tu changes tes lieux d’achat, tes modes d’achat, tu réduis ta consommation, fabriques toi-même certains produits… En France et ailleurs, les familles ne se posent pas la question des besoins mais de l’envie, alors qu’on entend chaque jour que les ressources de notre planète sont limitées. Notre conseil au quoti-dien ? C’est commencer par refuser !

Avec la démarche Zéro Déchet, êtes-vous aussi devenus des « consommateurs collaboratifs » ?Je crois que nous l’étions déjà avant de nous lancer dans la démarche Zéro Déchet ! On mutualise notre transport, notre logement et tous nos objets en achetant et revendant d’occa-sion. On achète très rarement neuf et on pense durable. On utilise beaucoup le covoiturage, on est même fiers d’en être des ambassadeurs. On a acheté un mobile home à Seignosse : on habite dedans l’hiver, et on le loue via des plateformes l’été ! Notre famille est plutôt dans les réseaux locaux mais on est moins connectés, par exemple en ce qui concerne le troc. On partage, on se donne, on troque du temps ou des services. Pour les achats d’occasion, on utilise les réseaux sociaux, leboncoin et on traîne souvent dans les vide-greniers. Pas besoin d’AMAP, nous connaissons notre productrice locale qui fait de

la vente en direct, mais c’est le même système.

Pourquoi devons-nous acheter Ze Guide ?Parce que c’est un guide PRATIQUE. Dans ce livre, on a voulu donner des solutions pour éviter que les gens se prennent autant la tête que nous sur la question du Zéro Déchet : c’est du partage de savoir ! On donne tout ce qu’on sait. Pourquoi on le fait ? Comment on le fait ? Y’a de l’humour, de la pédagogie, des chiffres et des dessins. Tout le monde y trouve un intérêt : le père, la mère et les enfants.

UN AN SANS DÉCHETSJérémie Pichon et sa famille expérimentent depuis plus d'un an la vie sans déchets. Ils tiennent un blog sur la question et ont récemment publié Famille (Presque) Zéro Déchet, Ze Guide. Pauline Trequesser, juin 2016

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O n estime que 90 millions de tonnes d’aliments sont je-tées chaque année en Europe. C’est pour lutter contre ce gâ-

chis que Too Good to Go était lancé en novembre 2015 au Danemark, pays his-to riquement engagé en faveur de l’éco-nomie circulaire. Mais très vite, l’équipe d’internationaux implantés là-bas dé-cide de lancer le concept dans d’autres pays d’Europe.Après la Norvège, l’Allemagne, l’Angle-terre, c’est maintenant aux 10 millions de tonnes de gaspillage alimentaire re-censées en France chaque année que Too Good To Go souhaite donc s’attaquer. « Quand j’ai appris avec plaisir que de nou­velles lois contre le gaspillage alimentaire, qui incitent désormais les commerçants à trouver des solutions pour ne plus jeter, étaient votées en France, je me suis dit qu’il était temps », raconte Lucie Basch, fonda-trice de Too Good To Go France.

PARIS ET LILLEL’application est pour l’instant ouverte aux habitants des villes de Paris et de Lille. Concrètement, Too Good To Go géolocalise l’utilisateur et lui permet de savoir quels commerces proposent

des invendus dans les environs. Il peut dès lors commander ses boîtes et pro-céder au paiement directement via l’ap pli cation. Reste à se rendre au point de vente choisi pour récupérer sa commande durant l’heure de collecte.Côté commerçant, des boulangeries, pâ tis series, restaurants, sandwiche-ries, traiteurs et cantines font déjà confiance à Too Good To Go. Avec à la  clé, « environ 300 euros de recettes chaque mois », affirme Lucie Basch. « Autrement dit, la garantie d’optimiser son chiffre d’affaires en agissant en fa­veur de l’environnement. »

CAMPAGNE DE CROWDFUNDING« Les utilisateurs sont déjà nombreux et réclament l’arrivée du concept dans leur ville  ! » s’enthousiasme la fondatrice France. L’équipe a donc débuté une campagne de financement participatif lors du Festival Zero Waste dédié à la lutte contre le gaspillage. La collecte a  déjà dépassé 8 000 euros sur 12 000 espérés. Atteindre l’objectif permettra d’étendre ce concept social et envi-ronnemental à de nombreuses villes françaises. Trop bon pour ne pas  le soutenir !

TROP BON

MANGER PAS CHER EN LIMITANT LE GASPILLAGE ALIMENTAIRELancée au mois de juin, l’application Too Good To Go connecte utilisateurs et commerçants pour lutter contre le gaspillage en leur permettant d’acheter ou vendre à prix réduit les invendus alimentaires. Ses fondateurs lancent une campagne de crowdfunding. Côme Bastin, août 2016

Optimiam, la géocalisation des invendus.

L’application met en relation des com-merçants qui veulent écouler leurs stocks d’invendus et des clients qui reçoivent des promotions flash près de chez eux. Quelque 200 établisse-ments sont inscrits sur Optimiam.

Zéro-Gâchis, alarme promotion.

Lancée en octobre 2013, l’application recense les prix cassés sur les pro-

duits proches de leur date de péremp-tion dans 70 magasins partenaires.

Checkfood garde un œil sur votre frigo.

Une fois scanné le code-barres et la date de péremption de chaque

produit, l’application vous alerte par notification dès qu’un aliment

approche de sa date limite.

Juin 2016

Les applis anti-gaspillage

BON PLAN

En moyenne, entre 90 et 140 kilos de nourriture par habitant sont perdus chaque année sur l’ensemble de la

chaîne alimentaire, de la production à la consommation. 20 Minutes vous propose trois applications mobiles (iOS et Android) pour commencer

à moins gaspiller.

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A CHETEZ GROUPÉ On connaissait les achats groupés pour s’alimenter en fruits et légumes bio. Il en existe désormais pour s’alimenter en

énergie. Le principe  ? « On rassemble un maximum de préinscriptions et on va négocier auprès de fournisseurs alter-natifs [autres que EDF, ndlr] un pour-centage de réduction avant de revenir vers le consommateur », explique Ra-

phaëlle de Monteynard, directrice de la communication chez Selectra, un com-parateur de fournisseurs d’énergie. La start-up a réalisé trois souscriptions, la dernière à l’été  2016 ayant rassemblé 38 000 consommateurs décidés à payer moins cher. Suivant la même logique, Wattvalue regroupe de son côté la de-mande en énergie des entreprises. 1 500 contrats de fourniture d’électrici-té ou de gaz ont été signés depuis son lancement il y a 2 ans. À la clé : 10 % de réduction sur l’addition (électrique).

La start-up donne aussi aux entre-prises la possibilité d’intégrer une par-tie d’énergie verte dans leur consom-mation « avec des producteurs locaux comme de petits barrages hydro-électriques ou des installations photo-voltaïques », explique Jean-Marc Dubreuil, porte-parole.

FOULE ÉLECTRIQUEOn trouve de tout dans le crowdfun-ding, et de plus en plus d’énergies re-nouvelables. Lancée en  2012, la plate-

ÉNERGIE COLLABORATIVEFinancement participatif, achat groupé, circuits courts… Dans le domaine de l’énergie également, la consommation collaborative gagne du terrain. Mais le phénomène reste encore timide dans un marché dominé par un acteur quasi monopolistique. Côme Bastin, décembre 2016

LES RÉSEAUX DE PARTICULIERS BOUSCULENT LES RÉSEAUX ÉLECTRIQUES

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forme Lumo a déjà permis de lever plus de 1,5 million  d’euros auprès de parti-culiers pour soutenir le photovol-taïque, l’éolien mais aussi l’hydrau-lique « et bientôt de la méthanisation », assure Alexandre Raguet, son direc-teur. Alors, placer son épargne dans le solaire, ça rapporte  ? « Bien sûr, à condition d’être patient  : entre 3 et 7 % au bout de quelques années. » Les obli-gations vertes dégagées sur Lumo viennent le plus souvent en appoint de financeurs publics et privés. Pour im-pliquer encore plus les citoyens dans la transition, Lumo veut les rémunérer d’une façon assez particulière  : avec des SolarCoins. Imaginée sur le modèle du Bitcoin, cette monnaie électronique est générée à chaque fois qu’un mé-gawatt/h est pro-duit grâce à des sources renouve-lables. « Concrè-tement, tous ceux qui auront parti-cipé au finance-ment de projets sur notre plate-forme recevront donc des SolarCoins venant récompen-ser l’énergie qu’ils ont permis de pro-duire », explique Alexandre Raguet. Pour l’instant, la monnaie solaire ne vaut pas un kopeck sur le marché. « Mais Lumo est en discussion avec plu-

sieurs grand groupes tels que Nature et Découverte qui pourraient l’accepter comme bon de réduction en magasin. » Dans le même domaine, l’association Énergie Partagée fait figure d’incon-tournable. Ce fonds d’investissement collecte l’épargne des Français pour soutenir des projets 100 % renouve-lables et 100 % détenus par les citoyens. 11 millions d’euros ont ainsi été ras-semblés depuis 2010, permettant à 28 projets de voir le jour.

OPTEZ POUR UN FOURNISSEUR ÉCOLOAprès la traçabilité des produits, c’est la traçabilité de l’énergie qui pourrait demain mobiliser les consommateurs. 40 000 d’entre eux ont en tout cas fait le choix de se tourner vers Enercoop,

un fournisseur d’électricité 100 % verte. La société coopérative a passé des accords avec une centaine de petits producteurs français d’énergie renou-velable. Un peu comme pour les AOC (appellation d’origine contrôlée), ce la-

ÉNERGIE COLLABORATIVE

bel a un coût : en moyenne 15 % de plus qu’un fournisseur d’électricité « clas-sique ». À côté de ce fournisseur militant, le dernier-né, c’est Ekwateur. Lui aussi propose de l’électricité verte mais joue la carte du collaboratif. « On incite nos clients à produire leur propre énergie et on leur rachètera bientôt », explique son fondateur Julien Tchernia. Pour cela la start-up a mis au point un calcu-lateur qui permet de géolocaliser la maison d’un particulier et d’estimer son potentiel en termes d’énergie so-laire, et facilite la mise en relation avec des installateurs locaux. À noter que ceux qui n’ont pas de toit où poser des panneaux peuvent devenir conseillers téléphoniques à temps partiel pour

Ekwateur et être rémuné-rés pour cela. Né il y a seu-lement 2  mois, Ekwateur tient pour l’instant de la micro-expérience, avec 600  clients, mais compte « former rapidement une large communauté de par-ticuliers consommateurs et  producteurs d’énergie

verte », assure Julien Tchernia. En at-tendant, l’équipe vient de récolter 245 000 euros via une campagne de crowdfunding sur… Lumo. La boucle est bouclée.

PRODUISEZ ET ÉCHANGEZ VOTRE PROPRE ÉLECTRICITÉDe la même manière que pour les biens et les services aujourd’hui, les particu-liers échangeront-ils à terme de l’élec-tricité sans intermédiaires, comme le prophétise Jeremy Rifkin ? C’est en tout cas déjà une réalité à Brooklyn, ou un réseau local fonctionnant sur la technologie blockchain permet à plu-sieurs foyers équipés de panneaux so-laires d’échanger de l’énergie en fonc-tion de leurs besoins. En France, le projet de recherche DAISEE, porté par le laboratoire La Paillasse Saône, en-tend accélérer l’arrivée de cet « inter-net de l’énergie ».

EDF, la fin du monopole ?Imaginé en 1946 par l’État, EDF naît de la fusion de quelques 1 450 entreprises de production et distribution d’électricité en France. Une situation de monopole dont l’opérateur a profité jusqu’à l’ouverture à la concurrence dans l’énergie en 2007. Les consommateurs ne sont au-jourd’hui qu’une faible majorité à savoir qu’ils peuvent changer de fournisseur et seulement 10 % à avoir franchi le pas. La loi sur la transition énergétique pourrait accélérer le mouve-ment. Elle stipule que les producteurs d’énergie verte peuvent désormais revendre leur élec-tricité à n’importe quel opérateur en bénéficiant de tarifs garantis par l’État. Le premier à en bénéficier ? Enercoop, grâce à un arrêté de septembre dernier. Une décision « historique » selon son directeur général Emmanuel Soulias, pour « stimuler l’électricité verte et rappro-cher producteurs et consommateurs dans une logique de circuit court ». En attendant, EDF reste le premier fournisseur d’électricité en France et dans le monde.

“APRÈS LA TRAÇABILITÉ DES PRODUITS, C’EST LA TRAÇABILITÉ DE L’ÉNERGIE QUI POURRAIT DEMAIN MOBILISER

LES CONSOMMATEURS.”

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C’est décidé, je démé-nage dans le Nord-Pas-de-Calais. Pour-quoi ? Parce que j’en ai assez d’ingurgiter viande aux hormones / fruits et légumes

bourrés de pesticides et que trois potes y ont créé, en 2014, une entreprise unique en France  : LeCourtCircuit.fr, un drive à la ferme couplé à une plate-forme de vente en ligne, qui rassemble aujourd’hui plus de 150 producteurs lo-caux (150 autres sont en attente), de Zut-kerque à Roubaix. « C’est un projet de nordistes pour les nordistes. On l’a déve-loppé pour notre territoire, mais on re-çoit pas mal de demandes d’autres ré-gions », explique Jimmy, 31 ans, l’un des trois fondateurs.

DÉMARCHE CITOYENNESon job de contrôleur de gestion à la Redoute le passionnait moyennement et quand Maxence, 32 ans, un ami rencon-

tré pendant ses études d’informatique à la fac de Lille, lui propose de réfléchir avec lui à une cause citoyenne, il fonce, tout comme Anthony, 31 ans, ingénieur informatique. « On partageait tous les trois l’envie de s’investir et d’être utiles à la société. On se disait : il faut agir. Ça res-tait des belles paroles, jusqu’à ce qu’on trouve notre cause : l’alimentation. Ça im-plique la politique, la santé, l’environne-ment… » Si Anthony et Maxence ont pas-sé leur enfance à la campagne, Jimmy, lui, est un pur Lillois. Aucun des trois n’était proche du monde agricole. « On

s’est rendu compte qu’un producteur de la région sur cinq vendait déjà en circuit court, ce qui est beaucoup. La production locale est importante et très variée. » Entre les fruits et les légumes, la viande, le pain et les produits laitiers ou la bière, il y a de quoi remplir le frigo. « On a des producteurs tout autour de chez nous mais on ne le sait pas. » LeCourtCircuit.fr les regroupe et leur donne de la visi-bilité. Mais plus qu’un simple site de vente en ligne, il s’inscrit dans une dé-marche citoyenne, qui offre au consom-mateur une transparence totale sur la façon de travailler de chaque produc-teur, renseigné par une fiche bien faite. Tous ne sont pas forcément labélisés bio (même si certains pourraient l’être), mais ils sont au minimum engagés dans une agriculture durable, respectueuse de l’environnement.

PANIER DE VICTUAILLESLe site fonctionne depuis l’automne dernier. Pas besoin de s’inscrire ou de s’abonner, en quelques clics je trouve le point de retrait le plus proche de mon futur chez-moi : il y en a 11 aujourd’hui, répartis sur l’ensemble de la région, qui regroupent à chaque fois les produc-teurs installés autour. Deux points de retrait de plus ouvriront bientôt dans Lille, pour toucher une clientèle cita-dine, de plus en plus sensibilisée aux enjeux de l’alimentation locale et du-rable. Je passe ma commande en ligne de ce qui me fait envie. Les producteurs s’organisent entre eux pour tout livrer au point de retrait et hop, 24 à 48 heures plus tard, mon panier m’attend, rempli de victuailles de qualité, ultra-fraîches et produites avec amour, impossibles à trouver dans le commerce.

En créant du lien entre le producteur et le consommateur final, LeCourtCircuit.fr prouve qu’une autre façon de consommer est possible. Laurène Champalle, juin 2016

TAKE-AWAY

UN DRIVE À LA FERME

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Et combien pour le producteur ?Pas facile de vivre de son travail quand on est un agriculteur, en France, en 2016. LeCourtCircuit.fr garantit à chaque producteur le prix juste, qu’il fixe librement. Le site offre une transparence sur la répartition du prix : 83 % va dans la poche du producteur, 11 % à LeCourtCircuit.fr (dont 1,2 % à l’intermédiaire bancaire) et 6 % au point de retrait. Pour le consommateur, supprimer les intermédiaires est la garantie d’un prix juste, en adéquation avec la qualité des produits. Le panier moyen s’établit à 40 euros environ et on tient une semaine.

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O n connaît les Associations pour le maintien d’une agri-culture paysanne (Amap). Il existe aussi La Ruche Qui

dit Oui !, une plateforme qui propose des produits frais ou transformés à la carte. En-dehors de ces réseaux, toute une variété de formules permet aussi de se procurer des produits frais sans engagement. L’association Kreiz Breizh Terre paysanne (KBTP) regroupe ainsi une vingtaine de paysans bretons. Ils fournissent de 50 à 60 commandes par semaine de légumes, viande et produits transformés (crêpes, confitures…) commandés à la carte via leur site in-ternet. Les paniers sont récupérés dans des fermes relais et l’association prélève 5 % sur chaque facture. Le site Mon-panier-bio.com recense plus de 250 de ces offres qui prennent la forme juridique d’associations, de groupe-ments d’intérêt économique, voire d’entreprises.

MANGER SAIN, SANS MILITANTISMECes formules attirent des clients cita-dins soucieux de manger sain qui ne souhaitent pas s’engager à l’année et trouvent pratique de retirer leurs achats dans des points relais ou sur leur lieu de travail. Un débouché inté-ressant pour les agriculteurs  : David Roulleau, maraîcher et membre de

KBTP, réalise ainsi près de 20 % de son chiffre d’affaires grâce à ces ventes di-rectes. Ce mode de distribution permet aussi de faire travailler des entreprises d’insertion par l’activité économique, comme c’est le cas avec Les paniers bio du Val-de-Loire. Mais gérer de nom-breuses références sans garantie d’achat peut aussi s’avérer risqué sur le  plan économique. Les paniers de Mariette, en Alsace, ont mis la clé sous la porte à l’été 2016. Les achats s’orien-taient davantage vers les produits à faible marge (pain, agrumes…) que vers les légumes.Le désir de se rapprocher de produc-teurs locaux et de « bien manger » donne aussi naissance à des offres plus ambitieuses. Le Collectif percheron, ré seau de paysans normands, livre ain-si une fois par mois une trentaine de groupes de consommacteurs pari-siens. Il prélève une commission de 16 % et impose un seuil d’achat de 1 000  euros par groupe. Quant au site internet Péligourmet, il met en relation des consommateurs de la capitale afin qu’ils rapportent eux-mêmes des spé-cialités régionales achetées auprès de producteurs sélectionnés à l’occasion de voyages personnels. L’économie col-laborative offre ainsi des alternatives de plus en plus nombreuses et diversi-fiées aux supermarchés.

NE PAS MANGER LOCAL NUIT GRAVEMENT À LA SANTÉ

À CHACUN SA FORMULEAmaps, Ruches, paniers bios... Les moyens de s’approvisionner localement en pro-duits frais de qualité se diversifient. Bénédicte Weiss, novembre 2016

Yes We Green !« Pour chacun de nos besoins, tels l’alimentation, l’habillement, les transports… il y a désormais des solutions locales avec un fort impact positif », assure Karine Niego, qui a lancé YesWeGreen, une application et un site internet qui permettent de découvrir les services éco-respon-sables présents autour de chez soi. Pratique si l’on souhaite abandonner la grande distribution ou trouver un atelier pour réparer son vélo. L’application permet d’ailleurs d’effectuer une recherche thématique : shopping, alimentation, DIY et même « happy spots ». Loin d’être un énième annuaire commercial, l’appli YesWeGreen est pensée comme une véritable plateforme collaborative, puisque les utilisateurs peuvent y indiquer leurs lieux préférés. « C’est très encourageant pour la suite car 25 % de nos 12 000 utilisateurs ont déjà eu recours à cette fonction. » Cerise sur le gâteau, l’appli elle-même est éco-conçue : son code source est optimisé selon les principes du Green IT pour limiter la consommation électrique !Jean-Jacques Valette, juin 2016

Une appli pour dénicher les bons

plans écolos

CUISINE À BASE DE PRODUITS LOCAUX,

FRIPERIES SOLIDAIRES...

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Aujourd’hui, 40 % des agricul-teurs gagnent moins que le SMIC. Difficile dans ces condi-tions d’obtenir un prêt ban-

caire », constate Florian Breton. Pour ré-soudre ce problème, ce petit-fils de viticulteur a eu une idée originale  : créer une plateforme de financement participa-tif dédiée aux projets agricoles. Ainsi nais-sait, fin 2014, MiiMosa. Et cela fonctionne : dix-huit mois après sa création, la startup a déjà financé plus de 300 projets grâce à 1,5 million d’euros collectés, soit 5 000 eu-ros en moyenne par projet. Des sommes modestes, qui se veulent « des coups de pouce afin de faciliter l’implantation de pe-tites structures, leur diversification ou leur conversion à l’agriculture biologique », ex-plique le fondateur. En récoltant 5 380 eu-ros, Jean-Marc Guégan, éleveur à Belle-Île, a ainsi pu réintroduire une race de mou-ton autochtone sur son île natale.

CROWDFUNDING DURABLESi les projets financés par MiiMosa – qui est soutenu par le syndicat agricole

FNSEA – ne sont qu’en partie tournés vers le bio, une autre plateforme se consacre exclusivement à l’agriculture durable. Créée en  2012 par Maxime de Rostolan, lui-même à la tête d’une ferme agroécologique en Touraine, Blue Bees ne cache pas sa défiance à l’égard de son concurrent  : « Les financeurs de MiiMosa sont les mêmes que ceux qui nous ont amenés à la crise d’aujourd’hui », critique Emmanuelle Paillat, la directrice opérationnelle de cette plateforme. Blue Bees se veut une al-ternative au système bancaire. En plus des dons, la plateforme permet de prêter de l’argent aux porteurs de projet, à des taux compris entre 2 % et 3 %, contre 0,6 % pour le livret A. En empruntant 24 000  euros auprès de 79 contributeurs en 2015, Frédéric Marr a ainsi pu développer Rrraw, la première marque française de chocolat cru. Après des débuts modestes, Blue Bees connaît une croissance impor-tante depuis 2014. Elle a permis de récolter

1,35 million d’euros en dons et 237 000  en prêts. Des succès qui laissent stoïque Mathieu Maire du Poset, directeur adjoint d’Ulule  : « Les plateformes de niche ont leurs limites  : les gens ont de multiples centres d’intérêt, pas seulement l’agriculture ou la BD. Le plus important pour réussir une campagne, c’est de toucher des gens au-delà de sa commu-nauté. » Un point de vue qui rejoint celui de KissKissBankBank, chez qui l’alimenta-tion représente 1,4 million d’euros sur les 17 millions collectés en 2015, un chiffre en hausse de 44 % sur  un an.

Plusieurs plateformes de financement participatif spécialisées aident les agriculteurs à lancer leur activité. Mais le crowdfunding agricole s’appuie aussi sur les célèbres Ulule et KissKissBankBank. Jean-Jacques Valette, septembre 2016

CHACUN VEUT SA PART DU PANIER

D écouragé par les serres miniatures au rendement dérisoire ou les jardinières de fraises… qui ne poussent jamais  ? Le  meuble Fresh Square a été imaginé

par Solène Guéré et Lou Bugeia-Gane avec un objectif  : faire pousser légumes et aromates sans contrainte. Finie la corvée de plantation  : il suffit de déposer une recharge dans l’une de ses 12 cases pour faire pousser basilic, persil ou tomates cerises. Aucune bille chimique, ni aucun fertilisant

industriel ne viennent donc polluer le terreau. Au-dessus, plusieurs lampes led automatisées ap-portent la lumière nécessaire à la photosynthèse des plantes. L’arrosage est aussi facilité  : le bac à eau est fort d’une autonomie de 3 semaines. Et pour accroître sa petite production, il est possible d’em-piler plusieurs meubles Fresh Square, dont les pièces sont facilement réparables ou remplaçables ! Disponible sur Fresh-square.com. Sophie Lauth, octobre 2016

POTAGER D’INTÉRIEUR

DOUZE LÉGUMES DANS UN 20 MÈTRES CARRÉS

CROWDFUNDING DES CHAMPS

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DOUZE LÉGUMES DANS UN 20 MÈTRES CARRÉS

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SAVEZ-VOUS PLANTER CHEZ NOUS ? Plantezcheznous.com où quand des voisins prêtent un bout de jardin à ceux qui n’en ont pas pour cultiver fruits et légumes. Laurène Champalle, novembre 2016

L’HERBE EST PLUS VERTE AILLEURS

F anny a 38 ans et un métier éprouvant. Travail-leuse sociale auprès de toxicomanes, elle en-caisse toute la semaine. « Le soir et le week-end, j’ai besoin de me vider la tête, d’être en contact avec la nature, moi qui vis en apparte-ment », raconte-t-elle. En juillet, elle découvre plantezcheznous.com. Ce site a été créé en

2011 par Chantal Perdigau (photo), une Toulousaine de 31 ans qui rêvait de cultiver ses légumes, comme Fanny, et se lamen-tait des longues listes d’attente pour les jardins partagés. Fanny tombe sur l’annonce de Pierrette, une retraitée vivant dans la même ville qu’elle, en banlieue parisienne. Elle l’appelle, le courant passe. Elles se rencontrent chez Pierrette qui lui montre son potager de 100  mètres carrés, tout en longueur, qu’elle laisse en friche depuis deux ans  : à 79 ans, elle souffre d’une lombosciatique douloureuse. Pierrette confie à Fanny la clé du portail. Désormais, elle y passe plusieurs soirs par se-maine avec son compagnon, après le boulot, pour souffler et revenir à l’essentiel, les mains dans la terre.

« ON PEUT DÉSORMAIS SE NOURRIR PLUS SAINEMENT » « Ils n’y connaissaient rien mais avaient envie d’apprendre, se ré-jouit Pierrette. Ils ont arraché les racines de liseron et les mau-vaises herbes. Je leur ai montré comment bêcher, creuser une tranchée… On a acheté des graines. Ils m’ont fait un potager ex-

traordinaire ! On s’est régalés de fraises, de tomates et de cour-gettes. En ce moment, on a des radis [excellents, on a goûté, ndlr] et des salades variées : scarole, roquette, pain de sucre, frisée… » Les épinards seront bientôt mûrs, les poireaux poireauteront encore un peu. Pierrette et Fanny partagent les récoltes et bien plus. « Je suis contente d’avoir à nouveau un potager entretenu, raconte Pierrette. Moi qui suis veuve, je me sens un peu moins seule. La présence de Fanny et Marc me remotive pour me re-mettre à jardiner et je passe parfois tout l’après-midi dehors. »Chantal Perdigau a remarqué que partager son potager avait souvent cet effet bénéfique sur ceux qui avaient raccroché pelles et râteaux, avec l’âge. Fanny y trouve son compte elle aussi. « Ça me fait du bien. On ne roule pas sur l’or et on peut désormais se nourrir plus sainement. C’est gratifiant de voir pousser les légumes que l’on mange. Pierrette en connaît un rayon côté potager et nous apprend plein de choses ». Une belle complicité est née. Prochaine étape : Fanny rêvait de framboi-siers. Elle va en planter chez Pierrette.

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Des potagers partout en France et ailleursLe site plantezcheznous.com, en cours de refonte, sera bientôt plus ergonomique, mais déjà une carte répertorie les jardins disponibles, partout en France ainsi qu’en Suisse et en Belgique. Aujourd’hui il y en a plus de 2 200 et quasi autant de membres qui cherchent un jardin. Il suffit de déposer une annonce ou de consulter les offres près de chez soi. Pas besoin d’avoir un grand jardin pour le partager : quelques mètres carrés suffisent. La tendance est au jardinage écologique. Certains installent même des ruches, quand d’autres se lancent dans la permaculture.

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DES PLUMES CONTRE LA POLLUTIONPlume Labs, c’est un site, une application et même une brigade de pigeons, le tout pour une seule mission : informer sur la qualité de l’air dans la ville. Laurène Champalle, mai  2016

8,5 MILLIONS DE MORTS PAR AN

Midi, un lundi d’avril. J’ai rendez-vous avec David Lissmyr. Mais avant de mettre le nez dehors, je jette un coup d’œil sur mon appli Plume Labs. À 12 heures, il fait 13 °C, le soleil brille, l’indice UV est de 2, la pollution est modérée : l’indice de qualité de l’air est de 24 (contre  43 en moyenne annuelle). C’est bon, je peux courir/pé-daler/sortir bébé/ boire des coups en terrasse, m’exhorte Plume Labs. « La pollution a un immense impact sur nos vies, notre santé et

un coût énorme. Elle provoque chaque année 8,5 millions de décès prématurés dans le monde », m’annonce David, qui me reçoit à l’incubateur Agoranov, à deux pas du Jar-din du Luxembourg, un poumon de la capitale. « À Paris, la pollution réduit de six mois l’espérance de vie. Elle favorise aussi l’asthme, les allergies… La bonne nouvelle, c’est qu’on peut agir. En choisissant ses activités au bon moment, en consommant autrement, on peut réduire les polluants dans l’air », explique David.

SUIVI DU NIVEAU DE POLLUTION DANS 350 VILLESCe jeune papa, qui aimerait que son fils de 17 mois respire un air plus pur, a fondé Plume Labs en 2014 avec Romain Lacombe, compagnon de prépa et de Polytech-nique. Deux ans plus tard, la startup compte 13 employés et une patrouille de pi-geons à Londres (lire ci-contre). En s’appuyant sur des données en open data de dif-férents organismes et de stations de mesure de l’air, ils ont développé une appli qui permet aux utilisateurs de suivre le niveau de pollution dans près de 350 villes (dont une cinquantaine en France), dans plus de 40 pays, et de savoir comment il va évo-luer dans les prochaines heures. « Notre appli Plume Air Report, lancée en France en mai 2015 et à l’international en octobre, a été téléchargée plus de 100 000 fois », se ré-jouit David. Pour l’instant, elle mesure la pollution de fond, celle à laquelle on s’ex-pose sans être à proximité d’une source (le périph’, par exemple). La suite ? La mise au point d’un capteur personnel miniature, qui permettra à chaque utilisateur de me-surer le degré de pollution auquel il s’expose partout où il se trouve, et de partager ces données avec la communauté. Une cartographie de la qualité de l’air en temps réel. Mais l’ennemi n’est pas seulement à l’extérieur. « On passe 90 % de son temps à l’inté-rieur. Or les produits d’entretien, les solvants, les peintures, les moquettes, les bougies parfumées ou l’encens émettent de la pollution », explique David. Nous sommes cernés, mais Plume Labs va nous aider.

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À Londres, une patrouille de pigeons sur TwitterPlume Labs s’est offert un joli coup de pub, mi-mars, en lançant dans le ciel de Londres sa « Pigeon Air Patrol » : 12 oiseaux équi-pés d’un harnais avec mini-GPS et capteur de pollution de 25 g intégrés. On a pu suivre les pérégrinations des volatiles entre Camden et Hackney, et le niveau des trois principaux polluants (ozone, dioxyde d’azote et COV) en temps réel sur Twitter et Pigeonairpatrol.com.

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UN PARRAIN POUR LES ABEILLESFondateur de la société « Un toit pour les abeilles », Régis Lippinois permet à des apicul-teurs de se financer grâce à un partenariat original. Loïc Chauveau, avril 2016

E n 2008, j’ai décidé de faire appel aux amis par l’intermédiaire d’internet pour m’aider à dévelop-

per mes ruches dans mon bourg de Charente-Maritime, raconte Régis Lippinois. J’ai très vite été débordé par le succès et j’ai donc décidé de proposer ce service à des apicul-teurs cherchant des subsides pour démarrer leur activité. » La société qu’il a fondée à La Rochelle, Un toit pour les abeilles, crée un lien con-cret et affectif entre les consomma-teurs, les entreprises et les ruches. En échange de 8 euros par mois, les « parrains » ont leur photo sur la ruche, en reçoivent des nouvelles régulières par courriel avec photos et informations sur l’état de santé des abeilles. Au bout de l’année, le financeur reçoit des pots de miel de « sa » ruche avec son nom sur l’éti-quette. Aujourd’hui, sa petite socié-té revendique 12 000 particuliers et 600  entreprises parrainant plus de 1 800 ruches. Elle emploie 7 salariés. Accusé au départ de faire son blé sur l’abeille, Régis Lippinois a fait taire les critiques en dotant l’apiculture d’un outil efficace de développe-ment par la citoyenneté.

CROWDSOURCING CLIMATIQUE

LES VIGIES DU PRINTEMPSRencontre avec l’écologue Isabelle Chuine qui a créé un « observatoire des saisons ». Chaque année, des milliers de Français y signalent l’apparition des premiers bourgeons ou le retour des papillons… Loïc Chauveau, mai 2016

D es paires d’yeux, partout en France, attendent la première prime-vère, guettent le retour de l’hirondelle, traquent l’essor du papillon. Et on le doit à Isabelle Chuine. Cette directrice de recherche au CNRS de Montpellier a eu la bonne idée, il y a dix ans, de magnifier un mot

inusité : phénologie. « L’étude des rythmes saisonniers est redevenue un sujet im-portant avec le réchauffement climatique », expose l’écologue quadragénaire. La chercheuse garde un vif souvenir de sa première conférence de presse en 2006 à Paris. Elle n’en mène alors pas large, d’autant qu’elle n’a pas l’appui de ses supérieurs. Ils trouvent en effet incongru que la science en appelle à des ama-teurs… fussent-ils éclairés ! « Nous avions pourtant à notre disposition un nouvel outil, les platesformes collaboratives d’internet, poursuit Isabelle Chuine. On pou-vait recueillir les informations d’un grand nombre de personnes sur tout le terri-toire selon un protocole scientifique solide. »

120 CLASSES DE COLLÈGE PARTICIPENTCe qui devait arriver arriva  : « Les volontaires se sont signalés assez rapide-ment. » Avec l’aide de l’association Tela Botanica, qui fédère 28 000 amateurs éclairés en France, l’observation est passée à la vitesse supérieure : 5 000 per-sonnes collaborent aujourd’hui au programme et ce sont des fidèles. « De sur-croît, 120 classes de collège participent à l’opération », explique Jennifer Carré, botaniste qui coordonne l’observatoire. Le palmarès des espèces les plus scru-tées ? Le lilas, le coucou et le papillon citron ! Dix ans après les tout débuts, Isabelle Chuine se réjouit. La démarche citoyenne incomprise en 2006 fait au-jourd’hui la fierté des institutions comme le CNRS ou le Muséum national d’histoire naturelle. Et le résultat est là  : les publications scientifiques com-mencent à sortir. Elles révèlent par exemple que depuis les cinquante der-nières années, les pommiers fleurissent une semaine plus tôt. Le climat est bien en train de changer ! www.obs-saisons.fr

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L E T R A V A I LL E T R A V A I LR E P E N S E RR E P E N S E R

Avec Diana Filippova, cofondatrice de OuiShare et doctorante

sur le travailleur numérique

Pour les travailleurs du xxie siècleDans des tiers-lieux

En mutualisant nos savoirs

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En quelques années, l’économie collaborative est passée d’un eldorado à synonyme de

travail précaire. Comment en sommes-nous arrivés là ? En 2010, il y avait un tel désespoir face à la crise économique que l’on recherchait un nouveau paradigme. L’économie collabora-tive semblait constituer un modèle économique innovant avec un certain nombre de valeurs : collaboration, partage mais aussi transition écologique puisque les nouvelles technolo-gies permettent de valoriser et mutualiser des ressources dormantes. À l’époque, nous n’avons pas vu venir la disruption profonde qui sous-tend l’écono-mie collaborative et la dépasse : la reconfiguration des rapports de travail, à savoir l’externalisation de la production de valeur depuis la firme vers les travailleurs indépendants. Avec Uber, ou n’importe quelle autre plate-forme, la valeur est produite par les chauffeurs, le risque est supporté par les chauffeurs, mais la valeur capitalistique reste aux mains des actionnaires. C’est ce décalage entre espoir et réalisa-tion, redistribution du risque mais centralisation du pouvoir qui a conduit à la perception négative de l’économie collaborative aujourd’hui.

Derrière l’expression d’écono-mie collaborative, la question politique posée est donc celle de la mutation du travail au XXIe siècle.Exactement. L’économie collabo-rative a été une façon d’appréhen-der le monde et de poser des questions à un moment donné. Mais OuiShare ne court pas derrière et s’est rapidement concentré sur les enjeux du travail, de l’open source et de la distribution de valeur. Et c’est une question effectivement politique dont les pouvoirs publics et le législateur doivent se saisir. Malheureusement, lorsqu’on regarde la loi El Khomri, ou la loi Grandguillaume sur les VTC, la question du travail n’est appré-hendée que sous l’angle de la réglementation – taxer, fiscali-ser – ou du code du travail actuel.

Les travailleurs indépendants constituent-ils une nouvelle classe ?Le concept même d’indépendant est une œillère : le mot « freelance » n’a pas du tout la même signification d’un pays à l’autre. Du point de vue purement statistique, leur nombre n’aug-mente que très récemment et pas dans des proportions mirobo-lantes. Ce qui s’observe en revanche, c’est la chute d’une catégorie particulière : le salariat en CDI à long terme. Bien sûr, il concerne encore plus de 50 % de

la population, mais en termes de dynamique, 95 % des emplois créés aujourd’hui sont des CDD, de l’intérim ou des contrats auto-entrepreneurs. Ça ne signifie pas que l’on puisse rassembler tout ce magma de professions et l’assimiler à une classe. Leur seul point commun est de bénéficier d’une protection étatique bien moins importante que celle des salariés. Mais jusqu’à preuve du contraire, le graphiste freelance n’est pas solidaire du gamin de 18 ans qui bosse en intérim tous les étés. C’est tout l’enjeu d’une politique du travail : reconstruire des solidarités depuis longtemps rompues et aiguisées aujourd’hui par l’accélération technologique.

Comment inverser cette tendance ? Il faut mettre fin à la fragmenta-tion psychologique qui saisit la société française comme d’autres et donne lieu au Brexit ou à l’élection de Donald Trump. D’un côté, les classes moyennes intermédiaires subissent une dégradation objective et subjec-tive de leur statut dans la société et considèrent la technologie comme un ennemi absolu. De l’autre, les élites qui bénéficient de l’évolution technologique et sont de plus en plus riches doivent retrouver le sens des responsabili-tés par rapport au reste du corps social. On entend souvent cette petite musique chez les entrepre-

Diana Filippova

1986Naissance à Moscou

1993Arrivée en France

2012Cofonde 

le collectif OuiShare

2015Sortie de 

Société Collaborative, la fin des hiérarchies. 

Devient « Responsable 

des relations avec les start‑up » 

chez Microsoft

2016Entame une thèse sur les travailleurs 

à l’ère des plateformes, sous la direction d’Antonio Casilli, 

Telecom ParisTech

VALEUR TRAVAILPeu après avoir cofondé OuiShare, elle nous avertissait déjà : l’économie collaborative pose la question du futur du travail. Quatre ans plus tard, Diana Filippova en appelle à une réflexion profonde sur la condition des travailleurs à l’ère des plateformes. Propos recueillis par Côme Bastin / Photos : Augustin Le Gall

DIANA FILIPPOVA

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"NOUS N’AVONS PAS VU VENIR LA DISRUPTION QUI

SOUS-TEND L’ÉCONOMIE COLLABORATIVE :

L’EXTERNALISATION DE LA PRODUCTION DE

VALEUR DEPUIS LA FIRME VERS LES TRAVAILLEURS

INDÉPENDANTS."

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neurs : « Nous on a réussi et on ne doit rien à personne. » Comme si la société, par l’éducation, les infrastructures, l’État-Providence ou l’héritage ne leur avait pas profité ! Il faut recréer des flux dans les deux sens, dans une économie numérique ou la création de valeur est faite par les indépendants tandis que la redistribution est faite par des plateformes monopolistiques.

Quelles mesures concrètes permettraient d’y parvenir ? Il y a bien sûr les solutions miracles que l’on brandit sou-vent : revenu universel, flat tax. C’est très intéressant mais cela peut servir une politique de gauche comme une politique ultra-libérale selon les modalités de mise en œuvre, et je crois qu’on ne saura pas vraiment ce que cela donne tant qu’on ne l’aura pas testé à grande échelle. Je suis donc partisane de mesures plus complexes. D’abord, il faut une vraie portabilité des droits sociaux pour assurer la sécurité des parcours en dehors du salariat. Car ce n’est pas seulement qu’il y a de moins en moins de CDI, c’est que les gens n’en veulent plus. Ils souhaitent pouvoir construire librement leur parcours tout en ayant un matelas de sécurité. Il faut un service public universel et une nouvelle sécurité sociale qui garantisse l’accès à l’assurance maladie ou au logement. Enfin, restaurer l’éducation qui est en France le principal facteur de ségrégation et de reproduction sociales. Toutes ces mesures nous imposent d’imaginer une fiscalité du numérique intelligente.

Aujourd’hui, les espaces de coworking ne sont plus réservés aux indépendants et comptent un membre sur deux salarié. Comment l’ana-lysez-vous ? Il y a quelques années, le coworking était encore réservé aux « early adopters » : designers, freelances, entrepreneurs. C’étaient des espaces d’avant-garde. Mais de grands groupes s’y

sont intéressés, y voyant l’occa-sion de moins dépenser en bureaux et de faciliter l’accès au lieu de travail pour leurs em-ployés. Or, la décentralisation du lieu de travail a plusieurs effets pervers. La raison d’être initiale du coworking était de permettre aux freelances de ne pas se retrouver seuls chez eux. Mais lorsqu’ils deviennent des hôtels anonymes pour employés, les espaces de coworking conduisent à la destruction du lieu de sociabi-lité qu’était l’entreprise, à laquelle on pouvait s’intégrer. La question pour les grands groupes est aussi de savoir comment continuer à surveiller leurs salariés, qui ne sont plus présents physiquement. Dès lors, alors même que l’inten-tion était de libérer, apparaît un contrôle insidieux : on vérifie que l’employé est connecté au chat de l’entreprise, qu’il répond à ses mails à 23 h. Le stress du salarié augmente, la relation avec l’employeur se dégrade. Tout cela pose la question du droit à la déconnexion.

N’est-ce pas là une vision un peu sombre ? Ces espaces ne sont-ils pas justement l’occa-sion d’inventer une nouvelle culture du travail ? Bien sûr ! En Italie, je me rappelle d’un espace de coworking avec vue sur la ville de Madera qui était un vrai paradis. Avec Copass [un système d’abonnement pour de multiples espaces de coworking, ndlr], on peut trouver des espaces où travailler, échanger et même habiter jusqu’à Bali. Mais l’objectif n’est pas seulement d’inventer de nouvelles formes de travail et de vie. Elle est d’en faire bénéficier le plus grand nombre pour que les travailleurs soient plus libres et plus créatifs. Les utilisateurs de la première heure dont je fais partie sont armés. Je sais être flexible et me déconnecter lorsque j’ai fini mon travail pour la journée. Mais pour beaucoup d’employés intermédiaires, qui ont peur de se faire virer, c’est difficile de ne pas laisser la vie professionnelle faire intrusion dans la vie privée. C’est

pour cela qu’on ne peut pas se contenter de jeter les salariés dans des espaces de coworking. Pour qu’ils puissent se l’appro-prier, il faut une vraie politique, avec des règles claires du côté de l’entreprise.

Les tiers-lieux montrent-ils une voie pour penser le travail de demain ?C’est pour moi ce qui se passe de plus intéressant dans l’économie collaborative. Ces nouvelles communes technologiques que sont les hackerspaces et les fab labs sont construites autour de valeurs fortes : bien commun, collaboration, autogestion, open source. Elle participent aussi d’une relocalisation de la produc-tion en centre-ville et répondent le plus souvent à une exigence stricte en termes de recyclage des déchets et de production durable. Demain, on voit mal néanmoins comment 80 % de la production seraient assurés par les fab labs. D’autre part, la majorité de ces espaces proposent des tarifs spéciaux pour les jeunes ou les chômeurs, mais restent l’apanage d’une classe un peu aisée. Le cas de Nicolas Huchet, cet ouvrier qui a perdu sa main sur une chaîne de machines et construit sa prothèse grâce à l’impres-sion 3D, reste exceptionnel. Pour démocratiser ces espaces, il faut une vision, comme celle de la ville de Barcelone qui compte implan-ter un fab lab par quartier d’ici à 2020. Les pouvoirs publics doivent contribuer au finance-ment de ces lieux qui génèrent énormément d’externalités positives.

De plus en plus de grands groupes s’inspirent de cet esprit des tiers-lieux pour ouvrir des espaces dans lesquels les règles et la hiérarchie interne n’ont plus court. Oui, ces groupes ont des savoir-faire et des technologies mais se sentent attaqués de tous les côtés par les start-up et les nouveaux modèles de plateformes et se

"ALORS MÊME QUE L’INTENTION ÉTAIT DE LIBÉRER, APPARAÎT UN CONTRÔLE INSIDIEUX : ON VÉRIFIE QUE L’EMPLOYÉ EST CONNECTÉ, QU’IL RÉPOND À SES MAILS À 23 HEURES."

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rendent compte que s’ils ne modifient pas leur fonctionne-ment ils seront dépassés. Leroy Merlin a travaillé avec la start-up Techshop pour ouvrir des fab labs dans son réseau de vente. C’était malin car ils ont laissé chaque directeur de magasin avoir la main sur pas mal d’as-pects, presque comme des franchises mais fortement intégrées. Je pense à Nextdoor, un espace labellisé Bouygues mais ouvert à tous les makers, coworkers, entrepreneurs, etc. Il y a aussi l’exemple d’EDF, qui a développé Sowee, une start-up interne pour concurrencer un objet connecté de Google. Cela ne

serait pas arrivé s’ils n’avaient pas créé un espace de liberté, où les règles et les process normaux ne s’appliquaient plus. Mais tout ne se passe pas toujours aussi bien...

Quelles sont les erreurs à éviter pour une entreprise ?La première, c’est la grande entreprise qui ouvre un fab lab dans la tour où les employés travaillent et fait des workshops juste pour l’affichage. Générale-ment, le lab vivote et la dépense se révèle inutile. À l’extrême inverse, certains vont trop vite. Ça a été le cas chez Zappos, une start-up qui vend des chaus-

"L’ENJEU D’UNE POLITIQUE DU TRAVAIL : RECONSTRUIRE LES SOLIDARITÉS DEPUIS LONGTEMPS ROMPUES ET AIGUISÉES AUJOURD’HUI PAR L’ACCÉLÉRATION TECHNOLOGIQUE."

sures, et a décidé du jour au lendemain de passer à l’holacra-tie totale [un modèle de gouver-nance sans hiérarchie, ndlr]. Ça a été le chaos et 30 % des salariés ont quitté l’entreprise ! En fait, on ne peut pas passer d’un management pyramidal qui s’est construit depuis deux siècles à un modèle totalement horizon-tal sans transition. Autrement, on observe l’apparition d’une nouvelle hiérarchie informelle et insidieuse basée sur le charisme au lieu des capacités des uns ou des autres. Chaque modèle de transition doit rester intime-ment lié à la culture de l’entreprise.

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ESPRIT MAKER ET GRANDS GROUPES

Depuis quelques années, les labs se multiplient dans les entreprises françaises. Faut-il y voir de louables tentatives pour diffuser l’esprit start-up dans les grands groupes ? Ou bien un vernis mar-keting destiné à prouver que ces derniers savent encore innover ? Et surtout, au final, à quoi servent vraiment ces labs ? Décryptage. Élodie Vialle, juin 2016

LES LABS D’ENTREPRISES SONT-ILS DES COQUILLES VIDES ?

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der à ne pas être des étoiles filantes », résume Yann Glever.

BOUÉE DE SAUVETAGEImpossible de chiffrer le phénomène tant chaque semaine qui passe voit naître de nouveaux labs. La chose est presque entendue : en 2016, si vous êtes une entreprise du CAC40 sans lab, vous avez raté votre virage numérique ! Seu-lement voilà : un lab, ça n’est pas qu’une pièce équipée d’un tableau numérique et d’une imprimante 3D sur laquelle on fabrique des têtes de Yoda à ses heures perdues. « C’est un lieu physique qui per-met à n’importe quel salarié de trouver des ressources, des outils de fabrication

– comme une brodeuse nu-mérique par exemple – et un accompagnement, un coaching de projets d’inno-vation, ex plique Mickaël Desmou lins, directeur du Renault Creative Lab, le premier lab de Renault, créé en 2012. Certains veulent graver une photo

de leurs enfants sur une plaque de bois, d’autres travailler sur un projet de start-up. » Ou proposer des idées, à l’image du coffre de voiture modulaire conçu dans le lab, dont l’objectif est d’étendre la ca-pacité du coffre sans re-concevoir le véhicule.L’innovation consiste par-fois à réinjecter un peu de bon sens dans des gros groupes où l’organisation du travail, en silos, ne per-met pas toujours aux idées neuves de se frayer un che-min. Ce qui fut pertinent un temps – la division des tâches pour rendre le tra-vail plus productif – ne l’est plus forcément au-jourd’hui, à l’heure où les acteurs de l’économie du partage grignotent des

parts de marché dans tous les secteurs d’activité. Dans ce contexte, on com-prend mieux pourquoi les entreprises ont été séduites par la théorie des fab labs, développée par Neil Gershenfeld, professeur au MIT, à la fin des années 1990. « Ça change de la R&D [recherche et développement] plus classique, sou-ligne Grégory Olocco, à la tête d’iLab, le lab de Air Liquide créé en 2013. Le lab nous permet de faire du prototypage ra-pide. » Avec un budget de 6,5 millions d’euros par an, le iLab a un objectif bien identifié : gagner de nouveaux marchés. Comment ? En réfléchissant à ce que sera l’usine du futur, à la manière de re-nouveler la qualité de l’air d’une maison lorsque l’air extérieur est de plus mau-vaise qualité, ou encore au business dit « inclusif », c’est-à-dire à l’offre destinée aux individus qui ne gagnent que 3 ou 4 dollars par jour.

GRANDS GROUPES ET MAKERSPour lancer ces nouvelles idées, les labs misent sur l’innovation ouverte. « Au-cun de nous ne sait ce que nous savons tous, ensemble », disait le dramaturge Euripide, 400 ans avant Jésus-Christ. Voilà pourquoi les 25  salariés de l’ilab d’Air Liquid ont des profils aussi variés, « avec une parité hommes/femmes et une

Le meilleur moyen de

prédire l’avenir est de le créer. » Des phrases inspirantes, dans l’esprit de celles partagées par les uti-lisateurs du réseau

social LinkedIn à leurs contacts, ha-billent les murs de la grande pièce circu-laire aux teintes vertes et grises. Ce ven-dredi de printemps, en fin d’après-midi, à travers les baies vitrées, le soleil illu-mine encore la Greenhouse, située au 9e étage des locaux du cabinet Deloitte, à Neuilly. Ce laboratoire d’idées a été créé pour inventer « une nouvelle manière de décliner notre offre », raconte Yann

Glever. Face à son « gros iPad », un im-mense écran blanc numérique qu’il touche pour passer d’une page à l’autre, à la manière de Tom Cruise dans Mino-rity Report, le directeur innovation de Deloitte raconte la genèse de ce lieu des-tiné à faire « émerger des solutions col-lectives ». PDG, DRH et dirigeants d’autres grandes entreprises, comme Feu Vert, viennent ici depuis un an pour trouver des solutions à leurs probléma-tiques. « Beaucoup de projets sont sen-sibles et confidentiels » et le tarif – à par-tir de 10 000  euros la journée – est à la hauteur du caractère « stratégique » du lieu. « Mais il comprend aussi tout l’ac-compagnement qui va avec », insiste Yann Glever. Ici, à côté des étagères sur lesquelles ont été posés, en guise de déco, des Rubik’s Cube et des Lego, les dirigeants échangent, aidés par des « facilitateurs » qui dépoussièrent les réunions. « Nous sommes là pour les ai-

Les PME s’y mettent aussiLes grands groupes ne sont pas les seuls acteurs écono-miques à s’intéresser aux labs. Les PME s’y mettent aussi, parfois avec plus de succès. Une petite structure est plus « agile » ; les décisions peuvent s’y prendre et s’y appli-quer plus rapidement. Seul inconvénient, le manque de moyens. « C’est moins évident pour une PME industrielle de libérer un salarié sans bouleverser la production », note Emmanuelle Roux. Pour cette spécialiste des fab labs, il est parfois préférable pour les PME de se re-grouper autour d’un seul lab, plutôt que de chercher ab-solument à ouvrir leur propre structure.

“IMPOSSIBLE DE CHIFFRER LE PHÉNOMÈNE TANT CHAQUE SEMAINE QUI PASSE VOIT NAÎTRE DE NOUVEAUX LABS.”

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diversité en termes de compétences, qui va de profils scientifiques au design en passant par l’anthropologie », détaille Grégory Olocco. De plus, l’iLab construit des partenariats avec des acteurs acadé-miques et industriels.Jusque dans les années  1950, les in-novateurs étaient dans les grands groupes, rappelait en 2013 le spécia-liste en innovation Scott Anthony, dans un article paru dans la Harvard Business Review et intitulé « The New Corporate Garage ». Ensuite, les grandes innovations technologiques ont germé dans l’esprit d’individus seuls dans leur garage ou presque, avec la naissance de sociétés comme Microsoft ou Apple. Aujourd’hui, l’in-novation n’est plus tant technologique que « tournée vers les business mo-dels », ajoute Scott Anthony. C’est pourquoi un grand nombre de labs misent aussi sur l’ouverture aux start-up, jugées plus agiles. Quitte à s’impo-ser parfois des contraintes financières similaires : « Si on est dans une logique

de riches, on n’aura pas l’agilité néces-saire pour ‘‘shifter’’. Les start-up, quand elles voient qu’un projet ne marche pas, elles passent à autre chose », indique Grégory Olocco. Cer-tains ont même fait de ce rapproche-ment entre gros groupes et makers leur spécialité, à l’image de Fabien Eychenne. Cet ancien de la Fondation

Internet Nouvelle Génération (Fing) vient de monter au Brésil la société We Fab, qui organise la rencontre entre ceux qui innovent dans des fab labs, les makers, et les gros groupes  : « Il y a aujourd’hui une freelancisation de la société, et les makers ne vivent pas de leur passion. L’entreprise peut travailler avec eux. »

INTRAPRENEURIATGoogle est connu pour avoir dévelop-pé la politique des « 20 % de temps libre consacrés à des projets person-nels », une approche de l’innovation collaborative que le géant semble avoir mise en sommeil en 2013 au pro-fit d’une innovation plus sélective et confidentielle. Pour beaucoup d’en-treprises, en revanche, c’est dans les labs que les bonnes idées de leurs sa-

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Des boissons connectées au barChoisissez une recette de cocktail sur votre tablette, appuyez sur « OK » et le bar la produit dans la foulée. Cette invention, encore en phase de test mais bientôt commercialisée, a été mise au point par Pernod Ricard dans l’un de ses labs. Encore baptisé « Projet Gutenberg », en référence aux « bibliothèques de produits » du bar auxquelles la tablette de l’utilisateur est reliée, le projet est né d’un besoin : « comprendre ce que sera demain la notion de conviviali-té », explique-t-on au siège du groupe. La preuve que l’usage des objets connectés a aussi sa place dans les labs.

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lariés peuvent être testées. « Le lab permet de donner une seconde chance à des projets qui, sinon, n’auraient pas pu voir le jour », s’enthousiasme Mic-kaël Desmoulins. Pour autant, cette structure est-elle en capacité de chan-ger les modes de gouvernance des en-treprises ? Pas évident. « Mais en per-mettant à d’autres types de conventions d’exister dans l’entreprise, les labs ouvrent ces dernières à une nouvelle culture », analyse Edwin Mootoosamy, cofondateur du collectif sur l’écono-mie de partage OuiShare. Ainsi, les labs réinventeraient le référenciel so-ciologique de l’entreprise, voire ses valeurs. « Ces nouveaux modes de fonction nement naissent des critiques adressées au capitalisme. On retrouve par exemple les valeurs de mai 68 dans de nouveaux modes d’organisation du

travail. » En développant l’intrapre-neuriat, les labs permettent aussi aux groupes de fidéliser leurs employés tentés de rejoindre les Gafa ou des start-up supposées plus palpitantes. « Il faut parler d’entrepreneuriat (ou d’intrapreneuriat) plutôt que d’innova-tion, écrit sur son blog Philippe Silberzahn, professeur d’entrepreneu-riat, de stratégie et d’innovation à l’EM Lyon. Sans cela, sans cette capacité à composer avec la réalité managériale à la fois dans les mots et dans l’esprit, il adviendra des labs ce qu’il advient gé-néralement des entités innovation  : après un fort intérêt, une disparition inéluctable. » S’ils veulent survivre et s’imaginer un futur, les labs doivent donc déjà contribuer à l’ubérisation… en interne. Bref, être tout sauf des co-quilles vides.

Emmanuelle Roux est spécialiste des fab labs et directrice associée de SC21, une société qui accompagne les entre-prises en matière de cultures numé-riques, notamment pour les inciter à ouvrir et animer des espaces d’innova-tion ouverts.

Créer son lab, est-ce une manière d’éviter l’ubérisation ?Éviter l’ubérisation, oui – je ne sais pas si les entreprises l’éviteront pour autant ni s’il s’agit réellement d’une menace pour elles – mais surtout accélérer l’innovation. Faire de l’innovation l’affaire de tous, ne pas compter uniquement sur le labo de R&D mais per-mettre à tous ceux qui ont des idées de rup-ture au sein de l’entreprise de pouvoir trou-ver un espace bienveillant pour concrétiser leur idée. Libérer l’énergie, permettre au sa-larié de mener à bien ses idées quitte, pour y parvenir, à développer l’intrapreneuriat.

Ces labs sont-ils vraiment utiles ? Plutôt, oui. On saura ce qu’il en ressort vraiment dans quelques années, mais cer-taines entreprises ont déjà compris qu’un lab n’est pas un atelier de fabrication en plus, et qu’il vient plutôt de décloisonner les services, d’inviter à d’autres modèles de gouvernance. C’est une école de créativité en interne, un Wiki physique qui impacte la manière de co-créer ensemble. Dans cet espace, je pose des idées qui vont être transformées. Et j’accepte que l’autre fasse avancer mon idée, que celle-ci soit partagée.

Quelle est l’erreur à ne pas faire quand on crée un lab ? Des labs, il s’en ouvre tous les jours pour le pire… et pour le meilleur aussi. Il faut du temps pour comprendre les modèles. Les chefs d’entreprises sont obligés de réin-venter des chaînes d’organisation dans le travail. Est-ce qu’on a l’intention d’y déve-lopper des projets pros ou persos ? Ça pose la question de ce qu’est le travail dans l’en-treprise, cela ouvre parfois des négociations avec les syndicats. En fait, le plus grand dan-ger pour une entreprise est de se dire : « Je vais faire un lab », mais sans travailler sur l’animation du lieu et l’accompagnement de la communauté qui vont avec.

INTERVIEW

« Une école de créativité en interne »

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Il fallait s ’adapter aux

nouveaux usages. Le nombre de bistrots est passé en France de 200 000 dans les

années 1960 à seulement 30 000 de nos jours. C’est triste car ce sont des lieux de vie que le numérique ne remplacera jamais », se désole Nicolas Perrot, l’un des cofondateurs de l’Anticafé. Créé en 2013, ce nouveau concept de bar a  déjà essaimé dans 4  quartiers p a r i s i e n s a i n s i q u ’ à A i x - e n -Provence et Rome. Son secret ? On y paie non pas les consommations mais le temps qu’on y passe. Une offre qui séduit autant les amateurs de co-working que de jeux de société. Résultat  : trois ans après sa créa tion, la  franchise vient de lever 1 million d’euros auprès d’inves tisseurs et une cinquantaine d’anticafés devraient ouvrir en Europe d’ici la fin de l’année. Prochaines villes ? Nantes, Bordeaux, Toulouse et  Lyon. Jean Jacques Valette, juillet 2016

L’ANTICAFÉ VEUT S’ÉTENDRE EN EUROPE

A vec la montée en puissance du statut d’indépendant, un mot est sur toutes les lan-gues : le coworking. Et les es-

paces éponymes sont supposés appor-ter paix et prospérité à tous ceux qui les fréquentent. Mais que faire si on n’a pas les moyens de s’offrir un abonnement à une salle de coworking ? Ou si on habite une région dépourvue de tels lieux ?C’est pour répondre à cette problé-matique que Laura Choisy a imaginé Cohome. « Le coworking est encore ré-servé à un public citadin et relativement aisé », explique cette ancienne consul-tante freelance dans l’économie sociale et solidaire, passée par « des périodes d’isolement et de baisse de motivation ». Sa solution ? Créer une plateforme pour permettre aux indépendants de travail-ler à plusieurs, mais à domicile.

5 EUROS LA JOURNÉEFreelance, étudiants, chômeurs : ils sont 200 à avoir testé la plateforme avant son lancement officiel, le 7 mars dernier. De-puis « quelques 500 personnes se sont ins-crites ». Concrètement, quiconque dis-pose de place dans son logement peut le proposer pour accueillir d’autres membres et ainsi le transformer en es-

pace de travail partagé.Là où une place dans un espace de coworking coûte entre 20 et 40 euros par jour, une journée de « cohoming » revient en moyenne à 5 euros, « thé et café compris », précise Laura. De son côté, la plateforme se rémunère grâce à une commission fixe de 1 euro.Cohome permet de rentabiliser un peu son espace, mais aussi de créer des liens professionnels et du lien social. « Par exemple, une jeune diplômée est venue “cohomer” chez moi, avec une entrepre-neuse et un photographe. Et finalement, en discutant pendant le déjeuner, elle a décroché deux entretiens par le réseau des personnes présentes ! » L’esprit Co-home se veut aussi plus convivial que celui des espaces de coworking, « par-fois assez froids », juge Laura. Si les pre-miers membres sont plutôt issus de la région parisienne, l’ambition de l’entre-preneuse est aussi de cibler les travailleurs isolés des zones rurales. Laura est récemment entrée en contact avec le département de la Drôme, pour y lancer un projet pilote. Le défi sera de recruter assez de membres dans ces territoires pour que nos petites villes et villages aient droit – eux aussi – à leurs espaces de « cohoming ».

COWORKING À DOMICILE

VIENS À LA MAISON, Y’A MON BUREAU QUI CHANTE !

Transformer votre petit (ou grand) appart’ en espace de travail partagé : c’est possible avec la plateforme Cohome, lancée le 7 mars. Une alternative économique et conviviale aux salles de coworking. Côme Bastin, mars 2016

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C ’est après un parcours « tout tracé » – école de commerce, CDI chez AXA – que Hind E l i d r i s s i d é c i d e , comme beaucoup, de changer de mode de

vie et devient indépendante pour mon-ter sa start-up. Et comme beaucoup, elle découvre que ce mode de travail ne com-porte pas que des avantages et beaucoup de précarité. Exit la couverture complé-mentaire de santé, le comité d’entre-prise, le salaire en cas de maladie…S’appuyant sur son expérience dans le milieu de l’assurance, Hind décide alors  avec Mikaël Uzan de consacrer son temps à simplifier la vie des free-lances et des auto-entrepreneurs.

ASSURANCE COMMUNAUTAIRELes deux associés imaginent pour cela Wemind, une start-up qui fédère les in-dépendants pour les aider à accéder aux mêmes droits et avantages que les sala-riés « classiques ».« Concrètement, nous négocions auprès des mutuelles et des compagnies d’assu-rance des tarifs préférentiels pour la com-munauté Wemind grâce à l’achat groupé », explique Hind. Objectif  : 30 % d’écono-mies par rapport aux coûteuses mu-tuelles auxquelles sont obligés d’adhé-

rer les freelances pour avoir des ga r an ties correctes, « beaucoup y renon-çant d’ailleurs faute de moyens ». La start-up a constitué un premier groupe de 1 000 indé pendants au sein duquel s’exercera une solidarité de type mu-tualiste : chacun y bénéficiera d’une protection sociale et paiera en échange des cotisations (modulées en fonction de son âge). Cette mutualisation porte pour l’instant uniquement sur la santé.

APPART’ ET COMITÉ D’ENTREPRISESi l’activité de Wemind est encore nais-sante, Hind et Mikaël projettent de faire peser leur communauté pour s’attaquer à d’autres problèmes que rencontrent les indépendants. « Je travaille au sein d’un incubateur de start-up où beaucoup galèrent pour louer un appartement », raconte Hind. En cause  : les revenus fluctuants et la précarité du statut, qui effraient les propriétaires. Les deux as-sociés travaillent donc à une garantie qui permettrait à la communauté de se porter caution solidaire lorsqu’un des membres a un problème pour payer son loyer. « Cette garantie serait attribuée à un membre sous condition de ressources », précise Hind. Toujours dans l’optique de donner aux freelances les mêmes droits qu’aux salariés, Hind et Mikaël aimeraient faire accéder leur commu-

nauté aux mêmes prestations que celles offertes par un comité d’entreprise. Comment ? « En organisant des achats groupés de produits technologiques ou de billets pour assister à des événements culturels, afin de les obtenir à prix réduit, par exemple. »Lorsqu’on lui demande si elle ne pense pas se substituer au rôle de l’État, Hind a le sens de l’histoire. « La protection so-ciale a toujours d’abord été inventée par les citoyens. Au xixe siècle, il était courant de créer une mutuelle pour faire naître de la

solidarité au sein d’une communauté. Et c’est en 1945 que l’État a officialisé des sys-tèmes qui existaient déjà de façon privée. » De quoi, peut-être, inspirer le gouverne-ment, alors que les indépendants sont les grands absents de la loi travail.

WEMIND DONNE LES MÊMES DROITS AUX FREELANCES QU’AUX SALARIÉSCette start-up fédère une communauté de 1 000 indépendants avec l’objectif de faciliter leur accès aux soins, au logement mais aussi à la culture grâce à des achats mutualisés et des mécanismes de solidarité. Côme Bastin, juin 2016

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“LA START-UP A CONSTITUÉ UN GROUPE DE 1 000 INDÉ PENDANTS AU SEIN DUQUEL S’EXERCERA UNE SOLIDARITÉ MUTUALISTE.”

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Et le second temps ?Il est politique. Au XXe siècle, cer-tains pays, mais pas tous, ont créé des institutions soutenant la nou-velle donne. C’est la couverture sociale, généralisée en France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qui a permis aux travail-leurs de l’ère fordiste d’être protégés et donc de consommer, suscitant ainsi la prospérité économique des Trente Glorieuses.

L’enjeu, c’est donc une réforme de la protection sociale ?Oui. Il nous faut, à l’instar des pays scandinaves, évoluer vers une assurance sociale universelle. Notre système de protection sociale, conçu pour un ouvrier spécialisé de l’indus-trie automobile en CDI, couvre peu, ou mal, les risques auxquels sont confrontés les nouveaux travailleurs indépendants, opérant sur des plate formes numériques et cumu-lant parfois plusieurs métiers. Il s’agit donc de mettre en place une portabilité des droits qui ne dépende pas de votre métier, de votre em-ployeur, de votre ancienneté, mais qui vous suit tout au long d’un parcours professionnel de plus en plus volatil.

« VERS UNE NOUVELLE ASSURANCE SOCIALE

UNIVERSELLE »Le numérique ne suffit pas à inventer une société collabora-tive  : il faut soutenir les mutations en cours par une réforme radicale de l’État, soutient l’entrepreneur passionné de politique et coauteur de L’ Âge de la multitude, Nicolas  Colin. Philippe Nassif, novembre 2016

NICOLAS COLIN

La crise, dites-vous, relève d’un défaut de vision politique…Nicolas Colin : La crise que nous traversons a sa

source dans une rupture technolo-gique. Nous sommes en train de passer d’une économie fordiste, portée par le pétrole, à une économie numérique, fondée sur les technolo-gies de l’information et de la commu-nication. Pour autant, le scénario de cette crise n’est pas inédit dans l’histoire du capitalisme : notre situation présente des analogies avec la crise des années 1930. Et histori-quement, cela s’est passé en deux temps. Dans un premier temps, des entrepreneurs découvrent de nouvelles opportunités, de nouveaux modèles d’affaires et donc de nou-velles façons de produire et de consommer. Face à ces innovations, le corps politique et social ne voit d’abord que les chocs qu’elles provoquent, comme le chômage massif, et qui nourrissent la montée de partis extrémistes et protesta-taires. Hier, les fascismes, actuelle-ment, le Front national ou Donald Trump.

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Vous défendez l’idée d’un « État plateforme ». Qu’est-ce ?Les organisations pyramidales et centralisées étaient adaptées à l’économie fordiste, bureaucratisée, réglementée, divisée en filières. L’économie numérique, quant à elle, favorise les organisations agiles et innovantes. Les entreprises, parce qu’elles vivent et meurent, s’y conver-tissent progressivement. Il appartient à l’État de se défaire aussi de sa forme pyramidale et centralisée, sous peine de s’enfoncer dans l’inefficience et donc le discrédit. D’où le principe d’un « État plateforme » qui, ouvert aux expérimentations des start-up, mettrait ses données à la disposition des entrepreneurs et des associations de citoyens afin qu’eux-mêmes proposent des applications pour rendre notre expérience d’usagers des services publics plus simple et fluide – comme déclarer nos impôts, aujourd’hui une opération lourde et complexe.

En attendre tant des entrepreneurs n’est-il pas en contradiction avec un engagement politique de gauche ?Haut fonctionnaire, j’ai été confronté à la pusillanimité du monde politique, à son impuissance à apposer sa marque sur le monde. À l’inverse, les entrepreneurs sont animés par une détermination à obtenir des résultats concrets. Ils décèlent les besoins, lèvent du capital, triomphent des obstacles, font bouger les lignes. Il y a dans l’entrepreneuriat une marge de manœuvre qui n’existe plus dans le monde politique. Mais si l’on revient à notre scénario historique, il est possible d’envisager qu’à un moment donné, les politiques reprennent la main en créant des institutions inclusives. C’est un débat en cours aux États-Unis. En France, je suis plus inquiet : nous assistons moins à un déclin qu’à un endormissement.

À lireFaut-il avoir peur du numérique ? Nicolas Colin et Laetitia Vitaud (Armand Colin, 2016)L’Âge de la multitude, Nicolas Colin et Henri Verdier (Armand Colin, 2012)Sur le WebMedium.com/@Nicolas_Colin, le blog de Nicolas Colin

D epuis Bruxelles, Christophe Charlot est presque surpris de recevoir notre appel. Ce journaliste du magazine éco-

nomique TrendsTendances a pourtant vécu une expérience qui a de quoi sur-prendre. Pendant un mois, il a travaillé uniquement dans l’économie collabora-tive. Tour à tour livreur à domicile, bri-coleur amateur, loueur, cuisinier… Il a presque tout essayé. Avec un objectif  : déterminer si oui ou non il est possible de vivre de cette économie. « En Bel-gique, les gens sont énervés, ils disent que ceux qui utilisent ces plateformes ne dé-clarent pas leurs revenus. Je me suis donc posé la question : Est-ce qu’on peut vrai-ment gagner sa vie comme ça ? » Lors-qu’il propose l’idée à son magazine, le journaliste évoque d’abord « une se-maine d’immersion ». « Pas suffisant », lui rétorque son rédacteur en chef, qui l’incite finalement à s’immerger pen-dant un mois complet avec un objectif chiffré : gagner au minimum 2 500 euros.

135 HEURES DE TRAVAIL Equipé d’un smartphone pour se filmer, Christophe Charlot se crée des comptes sur des plateformes  : Menu Next Door (cuisine pour ses voisins), Listminut

(services en tout genre), Deliveroo et Take  it  Easy (livraison). Il loue aussi sa maison les week-ends sur Airbnb. Le tout en évitant bien sûr de préciser son emploi de journaliste. Une fois prêt à « se faire ubériser », Christophe Charlot fixe des limites. « On voulait être dans un scé-nario de vie normale. Je suis marié, j’ai deux enfants. Je ne pouvais pas travailler à 5 heures le matin ni louer ma maison pendant la semaine », précise-t-il. Malgré tout, son emploi du temps est chargé. Chaque lundi est réservé à la cuisine. Quatre ou cinq soirs par se-maine à la livraison. Le reste dépend de la demande. Son expérience la plus difficile ? « Le vélo, c’était crevant  ! » confie le journaliste de 37  ans. Résul-tat, il a gagné 2 124 € brut à la fin du mois à raison de 7,50 € en moyenne la course à vélo et 108 € pour déterrer des souches d'arbre. « On va vers un monde de freelance, d’indépendants, où l'on va  cumuler plusieurs jobs », analyse Christophe Charlot. Le principal enseignement de son « ubérisation éclair » : pour gagner sa vie, il faut être disponible partout, tout le temps. « Vous êtes tributaire d’une plateforme. Il y a zéro certitude et ça ne paie pas très bien. »

Livraison de repas, location d’appartement, services en tout genre : un jour-naliste belge a tenté l’expérience de travailler uniquement pour des plate-formes collaboratives. Mai 2016

IL S’EST UBÉRISÉ PENDANT UN MOISL’ÈRE DU JOBBING

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On commence la journée à 8 heures avec un peu de yoga et des exercices de respira-tion. Puis on “petit-déj” et on se met tran-quillement au travail. L’après-midi, on lâche les ordis et on fait autre chose de sympa. De la danse capoeira, par exemple ! Et puis le soir, on mange ce que

l’on cultive ici. » Lunettes de soleil sur la tête, Freeman Murray, le cofondateur de Jaaga, déroule sa journée type en périphérie de Bangalore, la bouillonnante capitale high-tech de l’Inde. Bienvenue dans un lieu unique au monde ! À la fois école de code, espace de coworking, ferme bio et œuvre d’art, Jaaga épouse la définition que Wikipédia donne du « tiers-lieu » : un environnement social se distinguant des deux principaux es-paces que sont la maison et le travail. « Ce que l’on essaie de faire ici, c’est d’inventer grâce à internet un mode de vie nouveau, à la fois connecté, frugal et collaboratif », explique Freeman Murray.

BÂTIMENT NOMADECe qui frappe le visiteur en premier, c’est l’allure du bâti-ment lui-même, tout droit sorti du film Mad Max. « Jaaga est assemblé à partir de palettes métalliques, un matériau abor-dable et que l’on peut récupérer facilement », précise l’homme qui a imaginé sa structure. L’avantage ? « On peut démon-ter et remonter facilement l’édifice et ainsi être nomades ! » Depuis sa création en 2011, dans un terrain vague au centre de Bangalore, le bâtiment a été déplacé à 5 reprises. Notam-ment parce que l’expansion de la ville moderne repousse la campagne toujours plus loin et que Jaaga s’inscrit à la fron-tière entre ces deux mondes. « Ça fait partie de notre philoso-phie de ne pas posséder ni abîmer la terre », ajoute Freeman Murray. En grimpant les étages de la structure, on tombe sur des étudiants indiens installés au grand air devant leur ordinateur, à côté de tentes et de lits improvisés. Swapna, une artiste peintre, participe ici à un stage de trois mois

Comment transposer l’idéal hippie au xxie  siècle  ? Un californien a tenté l’expérience en ouvrant Jaaga, un espace de vie et de travail alternatif en Inde. Sa recette : une bonne dose de numérique, un peu de culture maraîchère et un zeste de yoga. Côme Bastin, avril 2016

MOBILE HOMELES HACKERS NOMADES DE LA SILICON VALLEY INDIENNE

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pour apprendre le code et créer son site web. Karan, lui, est venu de New Delhi pour vivre là un an : « J’apprécie d’être au vert, loin de la ville, et d’avoir la liberté de travailler comme je veux ! » Car ici, pas d’horaires ni de cours magistraux : « Cha-cun avance à son rythme et peut bénéficier de l’aide des plus avancés », déclare le cofondateur du lieu. « J’encourage les étudiants à se former seuls sur des sites comme Codecademy ou HackerRank, puis je les accompagne dans la réalisation de leurs projets. » CODE ET MARAÎCHAGEÀ 17 heures, le soleil et la chaleur faiblissent et certains en profitent pour aller s’occuper des fruits et des légumes. Car Jaaga est installé sur le terrain d’une ferme bio. « On fait pousser des mangues, des piments, des choux-fleurs, des to-mates... », énumère John, le responsable des cultures. « Et on utilise uniquement des fertilisants naturels, comme la bouse de vache », s’empresse-t-il d’indiquer. Chaque jour, certains parmi les 17  étudiants de Jaaga mettent la main (verte) à la pâte. « On a aussi des “woofers” (1) qui sont hébergés ici gra-tuitement contre un peu de maraîchage », ajoute John. Alors que la nuit tombe, il est temps de préparer le repas : un curry de légumes maison – autrement dit, des légumes cultivés et préparés sur place.Pour naviguer entre la cabane où est installée la cuisine, les salles de travail et les champs, les membres de Jaaga se dé-placent en monocycle. Cette roue électrique, qui pèse moins de 10 kilos, permet à l’utilisateur de circuler à 15 km/h. Et pour la recharger, il y a les panneaux solaires installés sur le bâtiment. « On peut ainsi aller s’approvisionner au village le plus proche sans avoir besoin d’essence pour autant », s’en-thousiasme Freeman Murray, qui prophétise un bel avenir à ces véhicules écolos. « On essaie d’être le plus indépendant possible en énergie comme en nourriture », poursuit-il. SILICON VALLEY(S)Mais comment un Américain en est-il venu à fonder cet es-pace atypique à Bangalore ? À la fin des années 1990, Free-man Murray monte et revend une start-up en Californie. La première bulle internet éclate peu après. L’homme voyage alors à Hawaï, lance un incubateur de médias à Los Angeles, fabrique ses pre-mières structures avec des pa-lettes – notamment lors du festival Burning Man (2) –, mais finit par manquer d’argent. « J’ai alors eu le choix entre reprendre un job classique ou quitter les États-Unis. » Il opte pour l’Inde en 2005, afin de pouvoir réaliser ses rêves. Après un passage à Calcutta et à Ahmedabad, Jaaga naît de sa rencontre avec l’écosystème entrepreneurial et artistique de Bangalore. Ou comment passer de la Silicon Valley américaine à la Silicon Valley indienne.Freeman Murray se voit en descendant du mouvement hip-pie, à l’ère du numérique : « Il y avait dans les années 1970 ce mouvement de retour à la nature et à la communauté. Mais, en

un sens, il était trop tôt. Aujourd’hui, grâce à internet, on peut inventer des modes de vie frugaux, tout en restant connecté à l’économie globale et en gagnant un peu d’argent ! » Et l’Inde, avec ses vastes territoires encore ruraux et son importante croissance, est un champ d’expérimentation idéal en la matière. C’est en outre un lieu où la Tech for good (technologie au ser-vice du bien commun) a toute sa place. « Les smartphones sont vraiment bon marché et il y a ici beaucoup de problèmes à résoudre en termes d’inégalités ou d’environnement. »Car, à Bangalore, tout le monde ne profite pas du boom éco-

nomique indien. Les beaux im-meubles et les bureaux neufs ne parviennent pas à cacher les quar-tiers pauvres et les bidonvilles. En ce moment, les membres de Jaaga planchent sur une application mo-bile pour aider les enfants défavo-risés à acquérir des bases en ma-thématiques. « J’aimerais aussi

pouvoir accueillir les gosses du village voisin pour leur ap-prendre l’anglais et le code, confie Freeman Murray. L’Inde compte la moitié des associations au monde. Il nous faut ma-rier cette culture avec la révolution numérique. » Comme une deuxième chance, pour ce hippie californien.

(1) Individus qui partagent la vie d’une famille ou d’une communauté dans une ferme bio. Moyennant quelques heures de travaux manuels, le gîte et le cou-vert sont ainsi offerts aux voyageurs qui peuvent alors s’initier aux différentes techniques agricoles, à la langue du pays.

(2) Rassemblement de la contre-culture américaine qui se tient chaque été à Black Rock City (Nevada).

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“INVENTER GRÂCE À INTERNET UN MODE DE VIE NOUVEAU,

À LA FOIS CONNECTÉ, FRUGAL ET COLLABORATIF.”

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L e terme surprend encore. Et pourtant, des États-Unis à la Chine en passant par l’Europe, la pratique est devenue cou rante. Désigné d’après la con-traction de « hacker » et

« marathon », le « hackathon » se conjugue désormais à toutes les sauces. Alexandre, 30 ans, qui en organise régulièrement, résume de quoi il retourne : « Le principe est simple : des équipes s’affrontent pour répondre à une demande, pitchée en amont par un jury. Elles ont 48 heures pour construire un projet numérique autour d’une thématique ou d’une techno­logie imposée. Avec un prix à la clé. » Le concours peut revêtir plusieurs aspects, de la simple réunion de potes au meeting regroupant des milliers de personnes. Des mordus de l’informatique principale-ment, parmi lesquels Benoît, développeur. « L’ambiance est généralement très cool.

Je retrouve des gens qui partagent la même passion de l’informatique, qui parlent le même langage que moi. Du coup, on peut se lancer des petits défis entre nous. » Et comme dans toute com-pétition, il y a des challengers. Alexandre a pu le remarquer depuis trois ans qu’il anime ces événements : « Certains viennent pour la déconne, d’autres sont là pour gagner. Il y a des équipes connues, un peu comme les Poker stars. Les alliances se créent aussi par affinités : on trouve des clans iOS, Android ou Windows. » Rien qu’un passe temps de geeks, alors ? Sûrement pas. Si le prin-cipe du hackathon était à l’origine de développer des applications ou des jeux, il est désormais utilisé pour développer des plans de communication digitaux. « Les développeurs sont les nouveaux entre preneurs. D’ailleurs, la légende dit que Twitter serait né d’un hackathon », lâche Alexandre.

« DES IDÉES ÉMERGENT EN 48 H CHRONO »Conséquence  : « De plus en plus de grandes marques sponsorisent des hac­kathons », éclaire encore Alexandre. De fait, des entreprises de tous secteurs s’emparent du phénomène, un moyen efficace de repérer des talents et de nouveaux prestataires. La SNCF, Per-nod Ricard et la Croix-Rouge, pour n’en citer que quelques-unes, ont déjà em-ployé la méthode pour améliorer leurs services ou leurs stratégies de commu-nication, en donnant un coup de jeune à leur image de marque au passage. « Là où il faut parfois trois ans à ces masto­dontes pour développer un projet, des idées émergent en seulement 48  heures, reprend l’organisateur. Créer du chal­lenge, c’est une manière de presser la matière grise. » Ne serait-ce pas aussi un moyen détourné de profiter d’une main d’œuvre gratuite  ? « On entend les cri­tiques dire que c’est une nouvelle ma­nière de faire travailler des gens gratos. Or, tout ce qui est développé reste la pro­priété des équipes. L’objectif est avant tout de co­innover. »

HACKATHON D’ÉTATSurtout, l’aspect collaboratif du hacka-thon n’attire pas que les entreprises. Les pouvoirs publics se sont aussi mis à la tendance pour servir l’intérêt collectif. En janvier dernier, l’Élysée a ainsi fait ap-pel aux hackers pour le Hackathon Nec Mergitur. Le but : innover en matière de sécurité. En mars, la Finlande se lançait à son tour dans l’exercice. Cette fois autour d’une réflexion sur le revenu de base. À  vrai dire, l’engouement pour la pra-tique est devenu si contagieux que le pay-sage du « -thon » compte aujourd’hui des variations de toute part : culturathon, ar-chithon... Même sans rien connaître à l’informatique, Marion Séclin, auteure pour le site Madmoizelle.com, peut se targuer d’être une pionnière dans le mi-lieu : le 6 avril dernier, elle a organisé le premier menstruathon. Diffusé en live-streaming sur YouTube, l’événement, en partenariat avec la Coding School, a per-mis de développer un site de mini-jeux autour des caprices de l’utérus.

HACKATHON, SUPERSTARStart-up, grandes entreprises, mais aussi pouvoir publics ou architectes se livrent désormais à ces concours où l’on innove par équipe durant 48 heures. Amelia Dollah, avril 2016

CULTURATHON, ARCHITHON, MENSTRUATHON...

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D ans les locaux flambant neufs de la Fonderie, l’agence nu-mérique publique associée au conseil régional d’Île-de-

France, Gaël Musquet bavarde, badine, serre des mains. C’est pour son rôle dans le développement d’OpenStreet-Map, « OSM » pour les intimes, que ce météorologue de formation s’est taillé une réputation dans le Web collabo-ratif. Il a en effet cofondé, en 2011, l’an-tenne française de ce « Wikipédia de la cartographie » qui permet à chacun de participer à la création de cartes en accès libre, téléchargeables et modi-fiables à souhait. Gaël Musquet l’a découvert en  2007, lorsqu’il ne comptait que quelques mil-liers de membres. « Travaillant au mi­nistère de l’Écologie, j’avais besoin de cartes pour modéliser le trafic routier autour de ronds­points près d’Aix­en­Provence. Mais il n’en existait aucune à jour – encore moins téléchargeable – des zones qui m’intéressaient. Grâce à OSM, j’ai pu réaliser mes propres plans en parcourant ces giratoires avec mon récepteur GPS et en transmettant les données aux serveurs de la plateforme. J’ai résolu mon problème tout en parti­cipant à l’intérêt général, car d’autres ont pu ensuite utiliser mes itinéraires, les relier à d’autres données. » Geeks (adeptes des nouvelles technologies),

« libristes » (adeptes des logiciels libres), vététistes, randonneurs… Ils sont désormais près d’un demi-million à participer à ce projet international dont la force repose sur la mise en ré-seau de compétences et de communau-tés variées avec leur connaissance du terrain.

UNE DÉMARCHE QUI CHANGE LE RAPPORT AU TERRITOIREEn voiture, à deux-roues, à skis ou à pied, ils tracent des routes, des sentiers, mais répertorient aussi une multitude de « points d’intérêt » – barrières, parcs, vignobles, commerces, boîtes aux lettres, points d’eau incendie, défibrilla-teurs, etc. En France, 32 184 terrains de foot, 44 114 lieux de culte et 86 103 objets liés au tourisme apparaissent ainsi sur les cartes d’OSM. « Cette démarche change le rapport au territoire  : grâce à elle, la cartographie n’est plus aux mains des États ou d’entreprises pri­vées comme Google, et devient de plus en plus un service d’usage courant, as-sure Gaël Musquet. Ubérisation de l’économie, smart cities [villes intelli­gentes], voitures connectées… Rien de tout cela ne pourra réellement se déve­lopper tant que les citoyens ne produi­ront pas eux­mêmes des données carto­graphiques massives, fiables et libres d’accès. »

OpenStreetMap

LE WIKIPÉDIA DE LA CARTOGRAPHIERencontre avec Gaël Musquet, porte-parole de la communauté française d’OpenStreetMap, qui permet à chacun d’éditer et d’enrichir des cartes numériques. Franck Danino, juin 2016

Dites-vous plutôt « dîner » ou « souper » ? « Clignotant » ou « clignoteur » ? L’université de Strasbourg a lancé une

des plus vastes opérations de « crowdsourcing » [production participative] organisée autour de la langue française. Le questionnaire a déjà été rempli par plus de 7 000 personnes. « Au départ, c’était un pari, notre équipe ne s’attendait vraiment pas à un tel engouement des Français pour leur langue et ses variations. Ça nous permettra ensuite de comparer les résultats obtenus, de voir l’évolution de certaines expressions et de dessiner des zones d’influence », raconte Julie Glikman, maître de conférences en linguistique française, l’une des initiatrices du projet. Mars 2016

Crowdsourcing : langue de Molière

OpenStreetMap a créé un groupe baptisé HOT (Humanitarian OpenStreetMap Team) afin de soutenir les organisations humanitaires lors de catastrophes naturelles (tremblement de terre, tsunami) ou de conflits armés. Il est très actif avec des pays comme la Syrie, le Mali et la République démocratique du Congo, mal couverts par les services de géolocalisation commerciaux. Or, la cartographie joue un rôle essentiel dans le travail des ONG, qui ont beaucoup de mal à circuler sur ces territoires.

Sans carte, pas de secours efficaces

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Q u’y a-t-il dans mon assiette ? » Pour Thomas Landrain, c’est une des infor-mations scienti-fiques que chaque citoyen devrait

pouvoir produire par ses propres moyens, en-dehors de tout cadre institutionnel. Et c’est l’un des premiers projets du labora-toire « ouvert et citoyen » que ce norma-lien docteur en biologie synthétique co-fonde avec quelques amis en 2011  : La Paillasse. « Nous avions un espace de 15 m2 installé dans un squat de banlieue pari-sienne, à Vitry. » Biologistes, ingénieurs, designers… amateurs ou professionnels s’ingénient alors à développer une version low-cost et « bidouillée » du code-barres

génétique (DNA barcoding). Une méthode d’analyse biologique qui détermine la si-gnature génétique d’un échantillon orga-nique. « Nous avons réduit le temps d’ana-lyse d’échantillon à 4 heures au lieu de 3 jours et le coût à 5 euros au lieu de 200. » Le Quick&Dirty DNA barcoding était né. « C’était tellement simple qu’on pouvait l’apprendre à n’im-porte qui, s’enthou-siasme le biohacker. Le protocole a été publié en open source [libre accès] et repris un peu par-tout dans le monde. Nous avons tenu

beaucoup d’ateliers, les gens venaient avec leur assiette pour en analyser la compo-sition. Avec cette première initiative, nous souhaitions montrer la valeur de cette science participative en termes de contre-pouvoir citoyen », précise Thomas Landrain. Ironie du sort, le scandale de la viande de cheval dans les lasagnes surge-lées éclate peu après, début 2013.

ACCÉLÉRATEUR DE L’ÉCOSYSTÈME DES TECHNOLOGIESAujourd’hui, La Paillasse n’a plus rien de clandestin. Logée au fond d’une impasse de la rue Saint-Denis à Paris depuis juin  2014, elle occupe un local sur deux niveaux, bénéficie de subventions de la Mairie de Paris, tandis que les projets at-tirent les partenaires. « On a connu un  saut quantique en passant de 15 à 800 m2 ! », s’amuse Thomas. L’endroit a des airs d’auberge espagnole pour scienti-fiques et curieux de passage, une quaran-taine ce jour-là, 30 ans de moyenne d’âge. En guise d’entrée, une vaste pièce à mi-chemin entre la salle de cours et la ca-fétéria. Dans l’autre grande salle, plus stu-dieuse, des petits groupes sont absorbés par leur travail. Dans les caves voûtées, règne une ambiance de laboratoire. Ici une sorte d’atelier de couture pour créer des biotextiles, là une start-up spécialisée dans les drones… Amateurs ou profes-sionnels, certains sont là en invités, d’autres payent un loyer en tant que rési-dents. « On fonctionne comme un accélé-rateur de l’écosystème des technologies, tout en cherchant un modèle économique viable », explique le biohacker. Ateliers et conférences libres se tiennent tous les soirs et le week-end. « Il est important que La Paillasse reste un lieu de partage et de

rencontres. » Encore le meilleur moyen de faire sortir la science de la rigidi té des cadres acadé-miques pour inviter le citoyen à en prendre sa part  : ce  normalien qui avoue n’avoir jamais vraiment aimé les études ne pouvait rêver mieux.

Rencontre avec Thomas Landrain, « biohacker » et fondateur de La Paillasse, laboratoire ouvert et citoyen. Hugo Jalinière, mars 2016

LA PAILLASSE, AUBERGE ESPAGNOLE DE LA SCIENCE

BIOLOGIE CITOYENNE

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À la croisée du design et de la biologie, le projet Pousse ton encre est né à La Paillasse d’une idée simple : créer un stylo capable de produire sa propre encre biologique — et biodégradable — à partir d’une bactérie na-turelle qui produit des pigments. Une tech-nologie facile à réaliser soi-même. La start-up PILI née du projet cherche aujourd’hui à l’adapter aux imprimantes.

L’encre écologique du futur

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L es avancées en biologie sont déjà en train de bouleverser nos vies. On le voit avec les débats sur les OGM, la mé-

thode CRISPR ou encore les bébés à trois parents. Notre but, c’est d’équiper les citoyens d’une culture scientifique afin qu’ils puissent avoir leur mot à dire », explique Bethan Wolfenden. Après avoir éprouvé des difficultés à accéder à un laboratoire malgré son doctorat en biologie, cette jeune Anglaise a créé avec un camarade de promotion le pre-mier labo de génétique qui tient dans un sac à dos. Baptisé « Bento Lab » (en référence aux boîtes type Tupperware que les enfants japonais emportent pour le déjeuner), l’objet permet d’ex-traire, manipuler et visualiser des séquences ADN.

TEST OGMLe Bento Lab peut en effet servir à de nombreuses expériences  : détecter des OGM ou de la viande de cheval dans les aliments, différencier les champignons comestibles des toxiques et même ana-lyser des levures de bière pour sélec-

tionner les meilleures souches. « On a même un bêta-testeur qui emporte avec lui son kit pour étudier les tritons sur le terrain », raconte la jeune Britannique. Car grâce au Bento Lab, plus besoin d’attendre six à huit semaines pour re-cevoir les résultats d’un laboratoire d’analyse. Les utilisateurs pourront même étudier leur propre ADN à partir d’un cheveu ou d’une goutte de salive. Au-delà de l’aspect purement éducatif, la biologiste espère voir un jour le Bento Lab dépister des maladies dans des hôpitaux reculés. Le kit a en tout cas déjà trouvé son public. Sa campagne de financement participatif, lancée le 22 mars dernier sur Kickstarter, a atteint son objectif de 40 000  livres sterling en seulement 36 heures. Et en-grangé 60 000  livres supplémentaires dans les semaines qui ont suivi. Pro-chaine étape ? « On aimerait créer un site comme Instructables afin de permettre aux gens de partager leurs expériences et  toutes ces petites connaissances pra-tiques, par exemple comment tenir une pipette. Ce genre de détails que l’on n’ap-prend pas dans les livres. »

POUR LE GOÛTER

UN LABO DE GÉNÉTIQUE DE POCHEBento Lab est un laboratoire de génétique portable développé par deux biohackers britanniques. Leur but ? Permettre à chaque citoyen de s'approprier cette science afin de prendre part aux débats de société. Jean-Jacques Valette, avril 2016

On en dénombre entre 6 000 et 8 000. Les maladies rares sont peut-être « rares », mais ceux qui en souffrent sont nombreux. 3 millions de personnes en France selon le collectif Alliance ma-ladies rares. C’est pour aider la re-cherche que Jean-Baptiste Roffini a créé, avec 14 autres fondateurs, la plate-forme de « crowdfunding » Thellie, dé-diée à la recherche sur ces pathologies.

Comment vous est venue l’idée de créer Thellie ?C’est parti d’un besoin personnel. Ma femme, Julie, est atteinte d’un lupus [maladie auto-immune qui survient lorsque le système immunitaire s’attaque aux cellules de l’organisme]. Cette maladie touche 30 000 personnes en France. Il y a un moment où les mots, la présence ne suffisent plus. J’avais envie de trouver un rôle pour améliorer la qualité de vie de ma femme. Tout s’est accéléré il y a deux ans, quand Thelma, la fille d’un ami, est à son tour tombée malade. La contraction des deux prénoms a donné son nom à Thellie.

Pourquoi ne pas s’appuyer sur des associations existantes ? Vous savez, quand on donne à une association, il y a des frais de structure. L’objectif de Thellie, c’est que 100 % des dons soient reversés à l’équipe de chercheurs que vous avez choisi de soutenir. Les chercheurs publieront ensuite leurs résultats en accès libre.

Quels projets sont déjà en ligne ? Pour l’instant, nous nous sommes concentrés sur trois projets. L’un d’entre eux doit permettre aux patients atteints de lupus de se monitorer au quotidien, comme c’est déjà le cas pour les diabétiques. Les données prélevées serviront ensuite de base pour mieux connaître cette maladie.

Avril 2016

LE CROWDFUNDINGCONTRE LES MALADIES RARES

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d’ordinateur ou de saisir une tasse « même si elle glisse un peu… » Scannée en 3D, son emboîture est dessinée en 2 heures, le tout im-primé en 8 heures pour un coût d’environ 700 euros. Pour tous ceux qui ont envie de collaborer avec des ingénieurs et des « ma-kers » afin de fabriquer eux-mêmes des solutions innovantes et retrouver de l’autonomie, Nicolas Huchet lancera son Human Lab en novembre. Quatre projets sont déjà dans les cartons : une pro-thèse auditive, un fauteuil roulant, un gant sonar pour aveugle et un outil de sensation musicale pour malentendant. Leur point commun : ils devront être accessibles au plus grand nombre.

UNE MAIN EN 3D POUR DÉPASSER LE HANDICAP

BIONICO HAND

L a pièce ne paye pas de mine : 20 m2 avec un ordi-nateur, une forêt de câbles, des robots en kit… mais aussi des imprimantes 3D et des décou-peuses laser. C’est dans cet espace, le LabFab, premier fal lab de Rennes (Ille-et-Vilaine), que Nicolas Huchet planche sur la fabrication de sa prothèse de main. Amputé en 2002 à la suite

d’un accident du travail, il ne se satisfait pas de celle qui lui a été fournie. « Ce n’est pas très beau, c’est aussi efficace qu’une pince de crabe et ça coûte près de 10 000 euros minimum ! » confie cet an-cien ouvrier mécanicien. Alors, lorsqu’il découvre en 2012 le Lab-Fab et ses imprimantes 3D, il pousse la porte : « C’est possible de fabriquer une main robot ? » demande-t-il. La réponse est posi-tive. « Les personnes pré-sentes ont montré un inté-rêt immédiat pour ma demande, avant même de savoir pourquoi je voulais fabriquer une main en 3D. » Pour la première fois, il n’était plus question d’as-sistanat ni de compas-sion. Les « bricoleurs » de ce fab lab acceptent de l’aider à condition que Nicolas mette ensuite les plans en open source, autrement dit à la disposition gratuite de la communauté. Le projet Bionico Hand était né.

MUSÉE DE L’HOMMELa tâche ne fut pas simple ! « J’ai toujours aimé tout démonter mais je ne remontais jamais vraiment. Qui plus est, je n’avais pas du tout la fibre informatique. » Le Rennais croise alors la route d’Hugues Aubin, le responsable des technologies de l’information de la ville. Ensemble, ils créent l’association My Human Kit, conçoivent leurs premiers prototypes grâce à un sculpteur, un mécatroni-cien… et des logiciels libres. L’une de ces mains bioniques est d’ail-leurs exposée depuis au musée de l’Homme à Paris. Quatorze ans plus tard, il teste son quatrième prototype. Réalisée à partir d’un modèle japonais, il permet d’utiliser plus facilement un clavier

Rencontre avec Nicolas Huchet, amputé, qui a entre-pris de créer sa propre prothèse aidé d’ingénieurs et de « makers » au sein d’un fab lab. Objectif : pouvoir fabriquer des prothèses bioniques à moindre coût. Cécile Coumau, septembre 2016

“LES PERSONNES PRÉSENTES ONT MONTRÉ UN INTÉRÊT IMMÉDIAT POUR MA DEMANDE, AVANT MÊME DE SAVOIR POURQUOI JE VOULAIS FABRIQUER UNE MAIN EN 3D.”

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E space de coworking, hackerspaces, atelier d’imprimante 3D  : dans nombre de villes, depuis une dizaine d’années, les « tiers-lieux » fleurissent.

Il s’agit de structures sociales, ouvertes à tous où s’invente une part non négli-geable de l’économie collaborative de demain. Chercheur en socio-anthropolo-gie à Lyon-2, Antoine Burret leur consacre un premier ouvrage passion-nant après les avoir longuement fré-quentés. Explications.

Qu’est-ce qu’un « tiers-lieu » ?Antoine Burret : Le sociologue américain Ray Oldenburg parlait de « third place » (« troisième place ») pour désigner ces lieux qui, tels le café ou la bibliothèque municipale, viennent s’insérer dans le tissu urbain, entre la maison et le travail, et suscitent rencontres et échanges entre gens de conditions sociales différentes. Mais ce qui se désigne aujourd’hui comme « tiers-lieu » va bien au-delà : ce sont des configurations sociales ouvertes à tous et qui, souvent, prennent la forme d’espaces de coworking, de fab labs (ateliers où sont mis à disposition des outils comme les imprimantes 3D), de hackerspaces ou même de jardins partagés. À l’Open Factory à Saint-Étienne ou à La Coroutine à Lille, la possibilité est donnée à des individus de s’engager ensemble, mais sans être liés par des relations contractuelles ou hiérar-chiques, pour concevoir des services visant le bien commun et l’amélioration des modes de vie durables.

Par exemple ?Cela va du projet Daisee de La Myne, à Lyon, qui permet de produire et de partager son énergie électrique, à la diffusion de ressources pour bâtir une « tiny house » (« micro-maison » ou caravane en bois), en passant par la revalorisation d’anciens sites industriels, comme à Bataville en Lorraine (l’ancien fief des usines Bata).

Qui sont les gens qui animent ou fréquentent les tiers-lieux ? Toutes sortes de personnes : l’entrepre-neur social qui développe un service internet, l’hacktiviste, le militant de la décroissance ou l’industriel qui cherche à s’initier aux nouvelles pratiques collabo-ratives. Ces usagers des tiers-lieux appartiennent souvent à la classe des « intellectuels aliénés » à l’origine des révolutions politiques modernes. Ces ingénieurs, chercheurs en sciences sociales, scientifiques, artistes ont un haut niveau d’éducation, mais ne trouvent plus leur place sur le marché du travail. Il y a donc une insatisfaction qui préside à l’investissement d’un tiers-lieu.

Quel rapport au politique se déve-loppe dans ces tiers-lieux ? À propos d’une manifestation qui blo-quait la circulation, j’ai entendu quelqu’un s’écrier : « Ils nous emmerdent avec leurs manifs  ! Si on a créé les tiers-lieux, c’est justement pour pouvoir s’en passer ! » Ce mouvement d’humeur fait écho au désir, qui anime les tiers-lieux, de ne plus se contenter de la seule revendi-

cation. De ne pas attendre de permission pour agir mais de se mettre en capacité de le faire. Autrement dit, d’acquérir un niveau de savoir assez grand pour élaborer un service offrant un pouvoir de décision. Il s’agit donc d’une critique en acte : travailler à traduire ses valeurs morales et politiques en valeurs juri-diques et économiques.

Comment s’y prend-on pour concilier collectifs structurés et projets individuels ?Par une conversation permanente. Il n’y a pas de leader institué, mais un référentiel commun, autour de valeurs partagées ou du mode de gouvernance, qui se crée par le temps que les gens passent ensemble. Il faut ainsi plusieurs mois pour qu’un chimiste, un informaticien, un cuisinier au chômage et un financier trouvent un langage commun. Un élément décisif ensuite, c’est la digitalisation des savoirs. Chaque projet est partagé sur des plate-formes ouvertes à tous, à la façon des licences libres issues du logiciel open source. Ils vont pouvoir être repris et améliorés par d’autres. C’est par ce patrimoine informationnel commun que s’articulent, en une émulation vertueuse, l’individu et le collectif.

TIERS-LIEUX : LES FABRIQUES DU BIEN COMMUNLe xviiie siècle avait ses salons littéraires, le xxie siècle a ses tiers-lieux – espaces de coworking associatifs et autres hackerspaces. Pour quel genre de révolution ? Philippe Nassif, septembre 2016

ANTOINE BURRET

À lire : Tiers-lieux et plus si affinités, Antoine Burret (éditions FYP, 2015)

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A l’entrée de Bomonti, les sacs sont fouillés et scannés. Qui veut pénétrer dans ce nou-veau spot culturel et festif de la jeunesse d’Istanbul doit mon-

trer patte blanche. Mais, dès les contrôles passés, c’est à Londres, Amsterdam ou Berlin que l’on se croirait  : briques rouges, palettes, mobilier design... tous les codes des grandes capitales sont réu-nis. Dans cette usine de bière désaffectée se sont installés une boîte de nuit, une brasserie artisanale, une galerie d’art et – bien sûr – un tiers-lieu, baptisé « Atöl-ye » (« Atelier » en turc). C’est justement

à la terrasse du bar branché que nous at-tend Atilim Şahin, à la tête de la commu-nauté de cet espace de travail alternatif.« Il y a trois ans, il n’y avait aucun espace de coworking à Istanbul. Mais, récem-ment, 9  ont ouvert leurs portes », s’en-thousiasme le trentenaire. « Souvent, on se contente d’y louer un bureau où po-ser son ordinateur, poursuit-il. Mais ici, c’est différent  : nous voulons fédérer une communauté de créatifs, d’ingénieurs et de communicants pour favoriser l’inte-raction et l’éclosion de projets inatten-dus entre nos membres. » Un discours un peu entendu, mais dont Atölye veut appliquer les principes à la lettre  : seuls 20 % des demandes d’adhésion seraient

acceptés pour garantir l’équilibre de la communauté. « Plus que le CV, ce que l’on regarde ici, c’est ce que tu peux apporter comme énergie et savoir-faire. » CARREFOURLa devise d’Atölye c’est le « co » : colear-ning, comaking, coworking –  en fran-çais, apprendre, fabriquer et travailler ensemble. Et la visite des locaux corres-pond au triptyque. À l’entrée, une salle chaleureuse sert à l’accueil de confé-rences et au partage de connaissances entre les membres. À côté, c’est le fab lab, où l’on retrouve imprimante 3D, fraiseuses numériques et machines à coudre pour bricoler et prototyper – tous

À la fois fab lab et espace de coworking, Atölye fédère une communauté d’entrepreneurs et de créatifs au sein d’une ancienne brasserie des faubourgs d’Istanbul. Dans un contexte politique explosif, ses membres veulent faire de la collaboration une arme pour une Turquie plus ouverte. Côme Bastin, octobre 2016

BAIN TURCDANS LA BRASSERIE CRÉATIVE D’ISTANBUL

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les meubles de l’espace ont d’ailleurs été conçus et fabriqués sur place. Enfin, l’es-pace de coworking –  sous les toits avec salles de réunion, cuisine et salon – ras-semble membres permanents et travail-leurs nomades.Le plus dur ? Faire réellement travailler ensemble une communauté d’environ 120  personnes. « C’est cool de boire des coups ensemble… Mais créer de réelles interactions professionnelles et pas seule-ment sociales est plus compliqué  ! » sou-ligne Atilim. Pour y parvenir, l’homme chapeaute plusieurs événements comme des « Creative Mornings » (1) ou des soi-rées d’échange de compétences. « Que vous soyez photographe ou spécialiste en neurosciences, vous pouvez donner un cours gratuit à la communauté. Il y aussi les “feedback sessions”, où chacun expose ses projets pour bénéficier des conseils d’autres membres, voire les embarquer dans son aventure. » Imprimante 3D en Lego, capteurs connectés pour l’agri-culture, baskets écolos ou mobilier fu-turiste  : les projets les plus hétéroclites sont déjà sortis de cette brasserie créa-tive stambouliote. ARTISANAT, INDUSTRIEET ESPRIT PIONNIERIstanbul, justement, a un grand potentiel pour faire se rencontrer design, techno-logie et entrepreneuriat, estime Engin Ayaz, cofondateur du tiers-lieu. Passé par l’université de Stanford (Californie), New York et Copenhague, c’est après les immenses manifestations démocra-tiques de 2013 en Turquie que l’homme décide de monter une communauté lo-cale, hébergée à l’époque dans un petit local appelé Beta Space, près de la place Taksim. « Cette ville est habitée par une population jeune, dynamique, qui a soif de nouvelles idées et refuse de faire partie du système. On trouve ici une longue tradition d’artisanat, d’industrie, d’esprit pionnier. » Une jeunesse et des traditions qu’Engin ambitionne de réunir dans les murs de

son nouveau repère post-industriel, à coups de « crowdfunding, lean start-up et fabrication digitale ».Alors que la tribu créative d’Atölye s’étoffe, l’Histoire frappe à nouveau aux portes de la cité deux fois millénaire. Aux frontières, le conflit syrien fait rage et la Turquie du président Recep Tayyip Erdogan y est engagée. Voilà plus de trois mois que l’aéroport d’Istanbul a été ra-vagé par des poseurs de bombes, faisant 41 morts et 239 blessés. Enfin, le 16 juillet dernier, un coup d’État raté a donné au président turc le prétexte pour empri-sonner des centaines d’« opposants » à sa dérive autoritaire. « Cela nous affecte tous psychologiquement, c’est étrange de travailler dans un tel climat », confie Atilim, qui a hésité à plusieurs reprises à quitter son pays... sans jamais passer à l’acte. « Personne ici ne veut fermer les yeux sur ce qui se passe et je crois que c’est seulement en restant que nous pour-rons contribuer à changer les choses en Turquie. »

« Le climat politique est plutôt turbulent ces jours-ci, convient Engin. Mais les fon-damentaux de la Turquie sont solides. Et, à long terme, Istanbul – au carrefour de l’Eu-rope, l’Orient et l’Asie – sera capable de re-lever nombre de défis économiques, écolo-giques et sociaux. » En fédérant les énergies créatives de la ville, Atölye tra-vaille à une Turquie plus ouverte, veulent croire Engin et Atilim. Et certains membres vont plus loin. Eyad Janneh est ainsi ingénieur pour Field Ready, une ONG qui travaille avec les équipes de se-cours en Syrie. C’est notamment grâce à l’impression 3D que l’organisation proto-type et réplique des outils, du matériel anti-incendie ou des détecteurs de bombes low cost pour les zones de guerre. Pas de solution miracle pour la jeunesse créative d’Istanbul, qui ne se re-connaît ni dans les modèles hérités du xxe siècle ni dans les extrémismes du  xxie. Mais l’envie de collaborer pour inventer une société juste et libre qui échappe aux deux.

(1) Vingt minutes de présentation d’un créateur suivies de vingt minutes d’échange à l’heure du petit-déjeuner. Un concept et une marque lancés par Tina Roth Eisenberg en 2009 à New York.

“CETTE VILLE EST HABITÉE PAR UNE POPULATION JEUNE, DYNAMIQUE, QUI A SOIF DE NOUVELLES IDÉES ET REFUSE DE FAIRE PARTIE DU SYSTÈME.”

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L A P O L I T I Q U EL A P O L I T I Q U ER É I N V E N T E RR É I N V E N T E R

Avec Romain Slitine et Elisa Lewis,auteurs du Coup d’État citoyen,

La Découverte, 2016

Autour de services publics du futurD’une démocratie réelleDe nouvelles solidarités

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Un jeune sur deux déclare ne pas compter aller voter en 2017. Comment

analysez-vous cette défiance ? Romain Slitine : On évolue dans une démocratie qui a été imaginée il y a plus de 200 ans avec des règles de communication encore plus anciennes et qui n’a pas vraiment évolué depuis. Les 18-35 ans ne se sentent plus représentés parce qu’il y a très peu de jeunes dans la vie politique et plus globalement parce que ce système est à bout de souffle.

Elisa Lewis : Ce chiffre est le marqueur d’un décalage très fort entre un fonctionnement de la vie politique hyper verrouillé et un fonctionnement de la vie sociale beaucoup plus fluide. Aujourd’hui, on communique instantanément et on organise des manifestations en quelques clics. Beaucoup de personnes aspirent à plus d’enga-gement, de participation, de conversation continue.

Faut-il donc exploser le cadre de notre système représentatif actuel ?R.S : Parlez de démocratie ou de

politique à n’importe qui, il va penser au vote. Or, tout l’enjeu est d’arrêter de réduire la démocratie au vote et le citoyen à l’électeur.

E.L : Nos cerveaux, nos vies, nos imaginaires sont complètement colonisés par les mauvaises nouvelles et la vision d’un monde qui s’effrite, face auxquels on se sent impuissants. Notre citoyenne-té a été réduite à un rôle d’électeur une fois tous les cinq ans, ce qui nous donne finalement très peu de contrôle et une faible capacité à agir au quotidien. Avec ce livre, nous avons voulu ouvrir de nouvelles voies là où il semble qu’il n’y ait pas d’alternatives. Notre conviction profonde, c’est que ce foisonnement démocratique de la part des citoyens, ceux-là même que l’on pensait complètement apathiques et désintéressés par l’intérêt général, est aujourd’hui le meilleur remède contre la montée des extrêmes et le défaitisme.

Parmi les exemples que vous explorez dans votre livre, il y a le cas de la montée fulgurante du parti espagnol Podemos. En quoi cette formation peut-elle nous inspirer pour régénérer la politique ?R.S : Au-delà de la ligne anti-aus-

térité de ce parti, ce sont la forme du mouvement et l’implication des citoyens qui sont intéressants. Les Espagnols et les militants ont participé à l’élaboration des programmes lors de nombreuses réunions locales mais aussi via des plateformes numériques collaboratives. Chacun pouvait faire des propositions qui étaient soumises au vote des militants avant d’être adoptées, bien loin des têtes pensantes qui élaborent un programme à huis clos. Dans une Espagne en proie à la corrup-tion, Podemos a aussi adopté une ligne éthique : transparence des comptes de campagne et limita-tion du salaire à trois fois le minimum légal.

E.L : L’argent économisé sur les revenus des élus de Podemos soutient des projets sur les territoires espagnols : agriculture urbaine, circuit court, écoles. Si les partis politiques veulent continuer d’exister, ceux-là ou de nouveaux, c’est cette question qu’il faut se poser : à quoi sert un parti en dehors des élections ? On entend que les partis politiques sont morts. Pourtant, lorsqu’ils ont émergé après la Seconde Guerre mondiale, c’était une révolution. On avait besoin

Elisa Lewis

2013Diplômée de

l’université du Kent et de Sciences Po

Lille, s’oriente vers le développement des

entreprises à vocation sociale

2014Cofonde avec

Emmanuel Kasperski le réseau

« Les Cols verts » afin de diffuser des solutions simples et

efficaces pour permettre à chacun

de pratiquer l’agriculture en ville

2015Rejoint le collectif

Démocratie Ouverte pour lancer

le premier incubateur « d’innovations

démocratiques » en France

2016Publication

du Coup d’État citoyen, Éditions La Découverte

UNE AUTRE DÉMOCRATIE EST POSSIBLE !

Assemblée tirée au sort, partis nouvelle génération… Pendant deux ans, Romain Slitine et Elisa Lewis sont partis à la rencontre des innovations politiques de la planète. Ils en ont tiré un livre et une conviction : il est urgent de repenser le rapport entre pouvoir et citoyens. Propos recueillis par Côme Bastin / Photos : Augustin Le Gall

ELISA LEWIS ET ROMAIN SLITINE

GRANDS TÉMOINS

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"CE FOISONNEMENT DÉMOCRATIQUE DE LA PART DES CITOYENS, CEUX-LÀ MÊME QUE L’ON PENSAIT APATHIQUES ET DÉSINTÉRESSÉS PAR L’INTÉRÊT GÉNÉRAL, EST LE MEILLEUR REMÈDE CONTRE LA MONTÉE DES EXTRÊMES ET LE DÉFAITISME."

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d’organiser cette grande masse populaire qui a le droit et la possibilité de s’exprimer, et les partis ont longtemps joué ce rôle d’éducation populaire. Ils ne le font plus aujourd’hui.

Autre exemple – en Islande cette fois-ci –, l’écriture d’une nouvelle constitution, sous l’impulsion, notamment, du Parti pirate. E.L : L’histoire de cette constitu-tion est assez inédite et remonte à la crise financière de 2008. Les Islandais, jusqu’alors peu enclins à manifester, sont descendus dans la rue pour réclamer la démission du gouvernement qu’ils jugeaient responsable. Ils ont aussi considé-ré que leur constitution avait permis la financiarisation très forte de ressources naturelles comme la pêche. Tout s’est déroulé dans la transparence. Une assemblée de 1 000 citoyens islandais a été tirée au sort pour imaginer une nouvelle constitu-tion puis un comité de 25 citoyens a été élu pour l’écrire. Au final, 15 % de la population islandaise (NB : il y a 332 000 habitants en Islande) a été directement impli-quée, que ce soit par tirage au sort ou en participant sur internet. La constitution a enfin été soumise à référendum et approuvée par 67 % des Islandais. Le résultat est un texte très abouti et progressiste, notamment sur le plan démocra-tique : introduction d’un droit de référendum d’initiative populaire, nationalisation de la gestion des biens communs et des ressources naturelles. Les Islandais ont réussi là où la classe politique avait échoué depuis plus de 50 ans. Malgré tout, les derniers résultats du Parti pirate, qui a fait cam-pagne pour l’application de cette constitution, ont été un peu décevants. Il n’est donc pas certain que le parlement la ratifie.

Comment impliquer plus souvent le citoyen dans la vie politique sans risquer de trop le solliciter ?E.L : En tant que citoyen, on devrait pouvoir s’exprimer sur

l’ensemble des décisions qui sont prises en notre nom. Néanmoins, cette forme de démocratie directe et continue sur tous les sujets ne peut évidemment pas être mise en œuvre : on n’a pas l’envie ou les compétences pour s’exprimer sur tous les sujets. Ces nou-veaux mouvements réflé-chissent donc à des formes de représentation à la fois plus continues et réalistes, notam-ment via le concept de démo-cratie liquide, dont le fer de lance est aujourd’hui le Parti pirate. L’idée, c’est que chacun conserve son droit de vote sur tous les sujets mais puisse le transférer à un intermédiaire – représentant de la société civile, militant de l’éducation, expert des questions écolo-giques – qu’il juge légitime. Cette personne pourrait s’exprimer en son nom lors des référendums et des proposi-tions. Il s’agit finalement d’un mix entre la démocratie repré-sentative et la démocratie directe. Cela permettrait de faire émerger de nouveaux leaderships tout en limitant les risques de corruption, car le pouvoir serait détenu par une grande diversité d’acteurs.

À défaut d’un Parti pirate ou d’un Podemos, les citoyens français font-ils preuve de volonté pour réinventer la politique ? R.S : Oui ! Je suis président de l’association Démocratie Ouverte, qui rassemble tous les acteurs de la transition démocratique : entrepreneurs, élus, citoyens, chercheurs qui essaient de faire bouger la démocratie. C’est un collectif le plus ouvert possible pour réfléchir à ce sujet et formu-ler un agenda politique. Il s’agit de donner espoir et de montrer aux citoyens et aux politiques qu’il est possible d’agir autrement. À côté de ce travail de lobbying, nous aidons l’ensemble de ces acteurs à mieux se préparer et à trouver leur modèle économique. Nous travaillons à un incubateur

d’innovations démocratiques qui sera lancé en décembre, une première en France. Il aidera une dizaine d’acteurs à consolider leurs projets et à se développer.

Parmi les projets que fédère Démocratie Ouverte, il y a la plateforme Parlement & Citoyens. Pouvez-vous nous la présenter ?R.S : L’objectif est que les lois ne soient plus uniquement conçues par des élus de l’As-semblée nationale et les lobbys. Il s’agit d’une plateforme sur laquelle un député ou un sénateur peut proposer une loi, l’expliquer dans une vidéo, puis l’ouvrir aux suggestions du plus grand nombre. Chacun peut voter pour les contribu-tions les plus intéressantes. Un débat est ensuite organisé avec un panel de citoyens qui ont contribué à la loi pour la synthétiser, avant que le parlementaire ou le sénateur ne signe la loi. Parlement & Citoyens a été utilisé lors de la loi sur la biodiversité de Ségolène Royal ou la loi pour une République numérique d’Axelle Lemaire. Au final, une quarantaine de députés en font partie : ça se développe mais c’est encore loin d’être la norme.

E.L : Ce qui est intéressant, c’est de se dire que l’expertise est aussi du côté de la société. Un parent, un professeur ou un ancien étudiant peut être compétent pour parler éduca-tion. Cette consultation ci-toyenne assure in fine une meilleure construction de la loi.

On parle aujourd’hui de « Civic Tech ». Quel regard portez-vous sur la plateforme Hello2017, qui s’est lancée il y a peu ?E.L : C’est une boîte à outils citoyenne pour s’informer très simplement sur les enjeux politiques avec des codes et des formats qui parlent aux jeunes, comme les vidéo ou les infogra-

Romain Slitine

2010Cofonde le collectif

Odyssem pour le développement

de l’économie sociale et solidaire

2014Débute un tour

du monde des innovations démocratiques avec Elisa Lewis

2015Président

de l’association Démocratie Ouverte

2016Publication du livre

Le Coup d’État citoyen, Éditions

La Découverte

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phies. Et s’informer est la première condition pour participer. Hello2017 permet de comparer les programmes, que ce soit sur l’éducation ou l’environnement. La plate-forme s’appuie sur la technolo-gie de la start-up Voxe, qui a crowdsourcé tous les pro-grammes politiques. Tout le monde ne peut pas en effet lire les 1 000 pages du projet de Bruno Lemaire ou se plonger dans de nombreux articles de journaux. Elle offre aussi la possibilité d’interpeller les candidats, via Curious.so, lorsque beaucoup de citoyens leur posent la même question. Enfin, Hello2017 organise des rencontres dans des cafés avec le collectif Kawaa. C’était il y a 50 ans de grands lieux de débat politique qu’il faut aujourd’hui réinvestir.

La « neutralité » souvent revendiquée par de telles plateformes politiques est-elle possible ? E.L : C’est une bonne question et je pense qu’il y a deux écueils à éviter à ce propos. D’abord, l’idée qu’en utilisant le numé-rique, on dépolitiserait. Qu’il n’y aurait plus de clivages ni d’idéologies et que le consensus émergerait naturellement de l’agrégation des points de vue individuels. La politique, c’est au contraire assumer une part de conflits et des visions du monde totalement opposées. Je pense aussi qu’il faut être conscient qu’un traitement neutre de l’information par les plateformes est très difficile. Voxe fait un travail remarquable pour aller au cœur des pro-grammes politiques. Mais il y a déjà un premier biais : l’entrée dans les programmes se fait à travers différents mots-clés. Dans la rubrique économie, ces premiers mots-clés sont compé-titivité et coût du travail. Là-de-dans doivent rentrer les pro-grammes de gauche, de droite et de l’écologie. Or, la question de la compétitivité et du coût du

travail, c’est déjà un référentiel lexical qui est loin d’être neutre.

Est-ce qu’au-delà de l’engage-ment politique ce n’est pas la notion même d’engagement qui est en train de muter sous l’effet du numérique et des valeurs collaboratives ? Se dirige-t-on vers un engage-ment « à la carte » ?R.S : C’est vrai qu’au-delà de la politique il y a une diversité des modes d’engagement beaucoup plus forte qu’il y a 30 ans. Les jeunes recherchent un vrai sens à leur travail, le dévelop-pement de l’entreprenariat social et solidaire est très fort. On peut aussi s’engager en tant

"CE QUI A MOTIVÉ NOTRE LIVRE ? TRANSPOSER À LA VIE POLITIQUE CE MOUVEMENT D’HORIZONTALITÉ QUE L’ON OBSERVE DANS LE MONDE ÉCONOMIQUE, SOCIAL ETÉDUCATIF."

que financeur via le crowdfun-ding ou les clubs d’investis-seurs citoyens comme les CIGALES. Avec les circuits courts et le commerce équi-table, de nouvelles formes de consommation sont également en marche. À chaque fois, il s’agit pour l’individu de pou-voir évaluer l’impact de son engagement. C’est ce qui a motivé notre livre : transposer à la vie politique ce mouvement de collaboration et d’horizon-talité que l’on observe dans le monde économique, social et éducatif. Il faudra, bien sûr, être vigilant sur ce que l’on mettra à la place du système que l’on va déconstruire.

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INVENTER LES SERVICES PUBLICS DU FUTUR

ÉCONOMIE COLLABORATIVE : QUAND EST-CE QUE L’ÉTAT CONTRE-ATTAQUE ?La lourdeur des institutions et le manque de clairvoyance sur les enjeux numériques ont empêché l’État, au niveau national et local, d’investir à temps le terrain de l’économie collaborative. Peut-il rattraper son retard en intégrant la culture du partage dans son fonctionnement et en créant le service public du futur ? Élodie Vialle, janvier 2016

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N euf  heures, porte de Montreuil, à Paris. Trois personnes qui ne se connaissent pas, une voiture, et un tra-jet de 6 heures en perspective grâce à

Blablacar. Moins cher, plus écologique, le covoiturage a un autre avantage  : favori-ser les échanges entre inconnus, le temps d’un trajet – en l’occurrence, un Paris-Chambéry. Comme l’appli Tinder, l’al-truisme en plus  : ici, on n’espère pas « conclure » à la fin de la rencontre. Samia et Yacine, deux Marocains de 24 ans,

ont choisi de découvrir les Alpes. Ils échangent des bons plans avec la conduc-trice du même âge, Claire, adepte de Blabla-car depuis  2009. Harpiste, cette dernière raconte son quotidien à mesure que filent les kilomètres. « Dans la vie, on fréquente des gens comme nous, du même quartier, du même secteur. Avec le covoiturage, on a l’oc-casion de rencontrer des personnes avec qui on n’aurait pas discuté. » Un vecteur de lien social, un service d’utilité publique… créé par une société privée.

L’ÉTAT UBÉRISÉFace à l’explosion d’initiatives collabora-tives – qu’elles relèvent de grandes plate-formes comme Uber et Airbnb ou de l’économie solidaire –, l’État semble en retard. Dépassé par une vision court-ter-miste et par l’incapacité des dirigeants à saisir les enjeux du numérique. Des diri-geants souvent occupés à sauver, sans trop savoir comment, et alors que l’argent manque dans les caisses, les professions sinistrées par l’explosion de nouveaux ac-teurs voraces. De quoi se poser la ques-tion de l’obsolescence de l’État lui-même. « Pour peu qu’ils aient un smartphone dans leur poche, les individus peuvent désor-mais accomplir des choses qui nécessi-taient naguère une multitude d’institu-tions, observe le penseur technocritique Evgeny Morozov, pourtant très sévère envers ces plateformes, dans son livre Le Mirage numérique (Les Prairies ordi-naires, 2015). Comme les entreprises de la technologie se sont accaparé l’une des plus précieuses ressources actuelles, les don-nées, elles ont pris l’ascendant sur des mu-nicipalités aussi dénuées d’argent que d’imagination, et peuvent se poser en sau-

veurs bienveillants des ternes bureau-crates peuplant les administrations. »Pour l’État, désormais, l’enjeu est double. Au niveau national, il doit créer un cadre qui assure la pérennité des projets colla-boratifs utiles à la société, jouer son rôle de régulateur sur le plan fiscal et sur les questions de droit du travail face à l’en-trée en force de compagnies comme Uber, et définir le cadre d’un espace public nu-mérique, comme il tente de le faire à tra-vers le projet de loi pour une République numérique. Bref, mieux prendre en con-si dération l’économie collaborative, ainsi que le préconise le rapport du député Pascal Terrasse, remis le 8 février 2016 au Premier ministre.

PARTENARIATS PUBLIC/COLLECTIFMais c’est surtout à l’échelle locale que les collectivités ont un rôle à jouer, en détec-tant et en soutenant les initiatives colla-boratives. Ce qui passe par le dévelop-pement de partenariats public/collectif plutôt que par un recours massif aux prestataires privés, comme c’est le cas ac-tuellement. Un virage qui suppose un changement de posture  : la fin d’une vi-sion pyramidale de l’État. « On a du mal à aller vers des dispositifs de co-conception, voire de co-décision. Or, il y a de grandes différences entre consulter, co-construire et co-décider. Très souvent, ce qu’on ap-pelle la démocratie participative se limite à la première, voire à la deuxième étape », analyse Valérie Peugeot, présidente de Vecam, une association œuvrant pour la citoyenneté dans la société numérique, dans un entretien accordé à La Gazette des Communes. Catalyser les énergies pour leur permettre de se développer  :

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Animer des régies de données publiquesImaginer un théâtre dans un quartier d’affaires pour désengorger les transports le soir. C’est l’une des idées nées du projet « Données Communes », une plateforme qui organise la gouver-nance des données à La Plaine Saint-Denis, notamment en croisant les chiffres de fréquenta-tion des transports de la SNCF et de la RATP. « Les données sont le carburant de la ville de demain, estime Bertil de Fos, directeur de l’agence Auxilia. La collectivité doit animer une régie de données afin de l’orienter vers la production de services qui répondent à des besoins du territoire peu satisfaits. » À condition que ces données soient vraiment partagées.

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voilà le nouveau rôle que doit endosser l’acteur public. « Essaimer », disent d’une seule voix les acteurs de l’économie colla-borative. Une révolution culturelle difficile à mettre en place pour des collectivités qui n’ont parfois même pas la possibilité de payer de services en ligne… faute de carte bancaire à disposition (exemple rare, certes, mais véridique). L’idée fait quand même son chemin, portée par le renou-vellement générationnel des dirigeants. Bref, l’État ne serait pas complètement dépassé : « Je suis mal à l’aise avec l’idée de retard. Il s’agit d’un argument rhétorique souvent utilisé pour justifier une certaine linéarité : le nouveau modèle serait forcé-ment le bon, et il faudrait au plus vite se débarrasser de contraintes qui ont pour-tant des raisons d’exister, comme le droit   du travail, la protection sociale, l’accessibilité », insiste Jacques-François Marchandise, cofondateur de la Fonda-tion Internet Nouvelle Génération. Par ailleurs, de nombreuses initiatives existent déjà dans les territoires, à l’image de Paca Lights, une « Star Académie » lan-cée par la région Provence - Alpes - Côte d’Azur pour valoriser les innovateurs lo-caux, comme les créateurs d’un généra-teur individuel d’électricité capable de convertir nos mouvements en énergie pour alimenter les objets connectés.

FRONTIÈRES NUMÉRIQUES« Notre rôle est d’assurer des transitions douces au milieu de cette troisième révo-lution industrielle. Sur le déplacement du domicile au travail des salariés par exemple », juge Jean-Charles Lardic, di-recteur de la prospective pour la ville de Marseille, qui travaille sur des expéri-mentations en lien avec le « covoiturage dynamique ». Objectif : limiter les effets de « ségrégation sociale, liés à des com-munautés d’usagers fermées ou du ciblage marketing excessif ». Ce scénario, celui de services trop ciblés pour reven-diquer encore l’étiquette collaborative, n’est pas à prendre à la légère. Imaginons que, dans un futur proche, une majorité de Français s’inscrivent sur Blablacar. Il serait alors possible de sélectionner le profil de covoitureurs de façon toujours plus précise, comme le font les sites de

rencontres pratiquant une forme de sé-grégation sociale à l’entrée. Loin, très loin, des objectifs de mixité portés par la puissance publique…

Aux frontières géographiques s’ajoute-ront demain des frontières numériques. Avec des moyens en baisse et sans l’agili-té des start-up, les collectivités devront

faire face à un enjeu dont elles ont encore du mal à cerner les contours  : l’ouverture des données. « La ville de Portland, aux États-Unis, a obtenu qu’Uber et Lyft ouvrent leurs données à la collectivi-té en échange du droit d’exercer dans la ville », note Bertil de Fos, directeur d’Au-xilia, une agence de

“LA VILLE DE PORTLAND, AUX ÉTATS-UNIS, A OBTENU QU’UBER ET LYFT OUVRENT LEURS DONNÉES À LA COLLECTIVITÉ EN ÉCHANGE DU DROIT D’EXERCER DANS LA VILLE.”

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Réinventer l’usage des garesMontfort-sur-Meu est une petite gare près de Rennes. À l’image des deux tiers des 3 000 gares françaises, sa fonction doit être au-jourd’hui réinventée, faute d’usagers… et de rentabilité. « Nous avons passé trois semaines sur place pour imaginer des solutions nouvelles avec les habitants, comme un service de prêt de livres de poche. On réfléchit et on teste en même temps », décrit Stéphane Vincent, directeur de la 27e Région, un « do tank » qui aide les pou-voirs publics à faire de la « co-conception » avec les citoyens. Prendre davantage en compte les idées des administrés : du bon sens… encore considéré, en 2016, comme une démarche innovante.

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conseil en développement durable. Comme on parle de plus en plus au-jourd’hui de « biens communs », beau-coup avancent l’idée de définir de nou-veaux « communs », numériques ceux-là. D’autres voix préconisent égale-ment d’incarner les nouvelles énergies grâce à l’ouverture de maisons de l’éco-nomie collaborative qui s’ajouteraient, voire remplaceraient, les maisons des associations déjà existantes. Des lieux d’échange où cohabiteraient les entre-prises d’insertion et les geeks porteurs de projets. Jean-Charles Lardic avance même que « les espaces numériques de-vraient être évoqués dans la Constitution, au même titre que les territoires réels ».

UNE ALTERNATIVE AU CALCUL ALGORITHMIQUEL’État pourrait jouer un rôle en répa-rant les inégalités sociales reproduites, voire renforcées, par les plateformes. « De façon très conservatrice, estime Dominique Cardon dans son dernier

livre, À quoi rêvent les algorithmes (Seuil, 2015), le calcul algorithmique reconduit l’ordre social en ajoutant ses propres verdicts aux inégalités et aux discriminations de la société  : les mal notés seront mal servis et leur note de-viendra plus mauvaise encore. » Cette montée en puissance de la gouver-nance algorithmique souligne encore un peu plus les difficultés de l’État à fournir des services publics de qualité. Au point que certaines voix s’élèvent aujourd’hui pour demander s’il est toujours pertinent que les impôts servent à financer de tels services dé-faillants, et si les entreprises de tech-nologie ne feraient pas le job de façon plus efficace. La gabegie administra-tive française doit donc céder la place au bon sens. Pour l’État, il est grand temps de dépasser la querelle des an-ciens et des modernes. D’abord, pour assurer sa survie. Ensuite, pour inven-ter, avec les citoyens, les services pu-blics du futur.

ENTREVUE EXPRESS

Adjoint au maire de Lille, Akim Oural a coordonné deux rapports remis ces derniers mois à la secrétaire d’État Axelle Lemaire, l’un sur « L’innova-tion au pouvoir » et l’autre sur la « Gouvernance des politiques numé-riques dans les territoires ».

« L’État doit envisager une nouvelle posture vis-à-vis des territoires. Notre modèle – une représentation de l’État par ses préfets dans les territoires – a survécu à Napoléon, mais il est derrière nous ! Il faut relancer le droit à l’expérimentation pour laisser les acteurs territoriaux mener des expériences ayant vocation à créer du lien. Une refonte législative s’impose pour qu’ils puissent déroger à la règle commune afin de réinventer des portes de sortie – et parfois de secours – permettant de recréer de la richesse. On peut prendre comme exemple le projet « Zéro chômage » lancé par l’association ATD Quart Monde dans un quartier bordelais, dont l’objectif est de recapitaliser toutes les charges liées au chômage, qui coûtent si cher à un territoire, pour les réinvestir dans un outil économique dans lequel sont impli-qués les chômeurs. Par ailleurs, il faut repositionner l’économie numérique dans le cadre de l’intérêt général, même si le risque est alors de devenir une société algorithmique, de casser la spontanéité du territoire. »

Élodie Vialle, janvier 2016

« Lancer un droit à l’expérimentation dans les territoires »

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8 %. C’est le pourcentage de Français qui ne fe-raient pas confiance aux partis politiques. Établi par une enquête du Cevipof sur un échantil-lon de  2 064 personnes,

le résultat est alarmant mais n’a hélas rien de surprenant. « Ils ne sont pas au service de la démocratie, ils travaillent pour leur parti. Le casting est déjà prééta-bli. Ils dépensent des millions pour qu’on vote pour eux alors qu’on ne les aime pas. La solution, c’est de renouveler l’offre poli-tique », lance David Guez, avocat et cofon-dateur de La Primaire. Depuis le mois d’avril, ce mouvement propose une pri-maire ouverte aux citoyens, « pour un vrai choix en 2017 ». Le principe  : toute per-sonne légalement éligible a le droit de se porter candidate et de présenter son pro-gramme via la plateforme web. Seuls ceux qui auront reçu un minimum de 500 soutiens pourront se qualifier pour la suite. Après des débats dans chaque capi-tale régionale, le gagnant ira affronter les ténors de la politique. Une primaire qui ressemble aux autres, en somme  ? Pas tout à fait. Le vote s’effectue d’après un système de « jugement majoritaire », où

R éservoir de votes et en-jeu économique et so-ciétal, tous les partis reconnaissent l ’ im-portance prise, ces dernières années, par l’économie collabora-

tive. « On a affaire à un phénomène de transition économique exceptionnel, une évolution totale des métiers et du com-portement des consommateurs », confie

Philippe Vigier, président du groupe UDI à l’Assemblée nationale. Alors que les programmes sont encore en phase d’arbitrage, personne ne devrait prendre le risque d’aller contre une éco-nomie qui répond, de l’avis de tous, à de nombreux besoins des Français.

UN MODÈLE À TROUVERDans ce concert unanime, la différence s’observe par le vocabulaire employé.

Pour Gil Avérous, secrétaire national délégué à l’économie numérique des Républicains, i l faut « accompa-gner »,« favoriser » et « développer » l’économie collaborative, tout en enca-drant les plateformes. Des arguments que l’on retrouve également chez les centristes du MoDem et de l’UDI. Du côté du Parti socialiste, des écologistes ou du Front de gauche, on insiste d’em-blée sur l’importance d’une distinction

LE COLLABORATIF, UN ENJEU POUR 2017LES PARTIS POLITIQUES TRAVAILLENT LEURS PROPOSITIONS

Une primaire réservée à la société civile, une plateforme pour co-construire les lois avec les députés  : les initiatives se multiplient pour favoriser le renouveau démocratique. Amélia Dollah, mai   2016

LES CIVIC TECH RÉINVENTENT LA POLITIQUE FRANCAISE

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chaque candidat qualifié reçoit des men-tions de -1 à 5. Celui avec la meilleure moyenne l’emporte. « C’est le meilleur système démocratique au monde », s’ex-clame David.

« PAS SIMPLE DE CHANGER LE SYSTÈME D’UN COUP »Cyril Lage, cofondateur de la plateforme Parlement & Citoyens, ne serait pas de cet avis. Depuis 2011, son site permet aux élus de consulter les internautes pour cons-truire des projets de loi. « On veut créer le trait d’union entre les citoyens et les parle-mentaires. Ce n’est pas simple de changer un système d’un coup, et je ne suis pas sûr que ce soit forcément bénéfique non plus. Alors en attendant, pourquoi ne pas es-sayer de le changer de l’intérieur  ? » de-mande-t-il. Les politiques sembleraient prêts à franchir le pas. Cette année, la France présidera l’Open Government Partnership. À l’initiative de Barack Obama, le réseau réunit une soixantaine de pays engagés pour collaborer avec les citoyens et agir en toute transparence. En octobre dernier, Manuel Valls et Axelle Lemaire, eux, se tournaient vers Parle-ment & Citoyens pour la Loi sur le numé-

rique. Cyril est confiant : « Le processus va porter sur une finalité réelle. Quand le gou-vernement a montré son projet de loi, il y avait 80  modifications et quatre articles ajoutés grâce à nous. La preuve que les ci-toyens ont une vraie capacité à influer sur les décisions, surtout que les politiques ac-cueillent de mieux en mieux cette idée. » Et pas seulement les socialistes. « Nous n’avons aucune étiquette politique sur le dos, précise Cyril. Les gens de droite, comme de gauche, sont tous invités à parti-ciper. » Le seul financement que la plate-forme a reçu vient de Google. « C’est im-portant que notre mécène soit une société qui valorise les innovations numériques. Regardez Occupy, Podemos ou les révolu-tions arabes : ce qui a permis aux gens de se réunir, c’est internet. »

POUVOIR DE LA TOILEDavid Guez aussi croit au pouvoir de la toile. Avec Thibauld Favre, son ami et colla-borateur, ils ont réussi à lever 55 000 euros grâce à une campagne de crowdfunding. « On voulait donner aux citoyens les outils pour s’engager, disent-ils. Le point d’entrée, c’est le numérique, qui permet d’être acces-sible au plus grand nombre avec peu de

moyens. Le plus dur, c’est surtout de susci-ter des vocations politiques. » Pour près de 20 000  inscrits, La Primaire compte ac-tuellement 130  candidats. Dont seule-ment 8 femmes. « C’est dramatique. On va faire une campagne pour inciter les femmes à candidater, assure David Guez. Mais on pourrait aussi parler des minori-tés sociales ou ethniques, qui sont peu re-présentées dans la liste des candidats. Mal-heureusement, je trouve que c’est assez révélateur de ce qui se passe dans la socié-té française. »Pour l’heure, seul un candidat est parve-nu à se qualifier, en récoltant 681  sou-tiens. Maxime Verner, 26 ans, n’en est pas à ses premiers pas en politique malgré son jeune âge. Il s’était déjà présenté en 2012, sans parvenir aux 500  signatures, avant de rallier Nicolas Sarkozy. Quatre ans plus tard, son ambition reste la même : « Créer les conditions d’une réelle démocratie. » « Le système politique ne doit pas être coupé de la vie des gens parce qu’il s’agit de délégation. Sauf que les mecs ont oublié qu’on leur avait donné des man-dats, pas des CDI. Aujourd’hui, on vit dans l’oligarchie : c’est le monopole des élus. Aux citoyens de récupérer le pouvoir. »

entre la « vraie » économie collabora-tive et les « plateformes capitalistes », à l’image d’Uber. Fidèle à sa nouvelle ligne économique, le Front national souligne pour sa part l’importance du « patriotisme économique » et « la dé-fense des grands secteurs ».

LA QUESTION DE LA RÉGULATIONÀ un an du scrutin présidentiel, l’at-tention des partis se focalise principa-lement sur la régulation dans un contexte de grogne des secteurs du transport, de l’hôtellerie et de la res-tauration. La sacro-sainte division

droite-gauche semble soudainement avoir pris du plomb dans l’aile tant les premières pistes pour réguler cette nouvelle économie se re-joignent. Sans exception, tous militent en faveur de l’adoption d’une lé-gislation qui oblige-rait les plateformes telles que Airbnb et Uber à payer leurs impôts en France. Cet unanimisme de façade, l ’ é c o n o m i s t e D a m i e n Demailly l’explique par le fait

que « les partis n’ont pas encore bâti leur philosophie sur la question ». Pour

ce spécialiste de l’économie du par-tage, « les politiques marchent

sur les œufs car l’économie collaborative pose beau-

coup de questions com-p l e x e s » . L ’ é c o n o -m i s t e a p p e l l e l e s partis à ne pas se focaliser sur la régula-

tion, mais à s’intéres-s e r é g a l e m e n t à l a

q u e s t i o n , c r u c i a l e , d e l’innovation. Mars 2016

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U ne autre politique est-elle possible hors du système des partis, du gouverne-ment des experts et des leaders charis-matiques ? Voilà un

pari que d’aucuns jugent irréaliste, mais que portent plusieurs mouvements apparus ces derniers temps : Podemos en Espagne, le Parti Pirate en Islande ou en Allemagne, et plus modestement, en France, les expériences telles que MaVoix, LaTransition ou laprimaire.org. Analyse avec la philosophe Sandra Laugier, coauteur du Principe démocra-tie (La découverte, 2014).

N’assiste-t-on pas aujourd’hui à une tentative d’inscrire dans le jeu électoral les principes d’une démo-cratie augmentée ?On a pu dire que les mouvements protestataires qui, des Printemps Arabes à Occupy Wall Street en passant par les Indignés, ont secoué le début

des années 2010, n’avaient pas connu de suite. Au contraire, il apparaît aujourd’hui une volonté de recherche de nouvelles structures politiques dans lesquelles le citoyen recouvrerait sa capacité à exprimer sa voix de façon pleine et entière. C’est une idée assez nouvelle selon laquelle chacun devrait pouvoir se faire entendre bien au-delà du bulletin de vote. Il s’agit d’une part de renoncer aux modèles partitaires classiques reposant sur des individuali-tés fortes, des structures hiérarchiques, des leaders. Et c’est d’autre part, une façon d’affirmer un principe d’exempla-rité : le fonctionnement démocratique qu’ils revendiquent pour la société, ces collectifs se l’appliquent d’abord à eux-mêmes. Ce qui est plutôt loin d’être le cas des partis traditionnels.

Ces mouvements témoignent d’une crise de la représentativité ?Ils posent le constat qu’à la tête des institutions gouvernementales ou des partis, il y a pénurie de voix ressenties

comme authentiques, justes, et expri-mant ce qui compte. Par là, ils il-lustrent cette intuition essentielle selon laquelle le bien commun ne peut émerger que depuis l’expression personnelle de chacun. On retrouve là la pensée du philosophe américain Emerson : ma conviction la plus intime est également la plus universelle. À se soucier de ce qui importe véritable-ment pour soi, on rejoint le souci de tous. Bref, pas de « nous » politique sans « je » expressif. Considérer les choses ainsi nous permet de sortir de la contradiction entre un individualisme égoïste et un collectif anonyme.

Prétendre « disrupter » les élections présidentielles en organisant une primaire ouverte à tous ou « hacker » l’Assemblée, tel que le propose MaVoix, en présentant des députés qui obéiront aux décisions collectives des citoyens, n’est-ce pas illusoire ? Peut-être, si l’enjeu est de parvenir dans les prochaines années à une

Spécialiste des nouvelles expérimenta-tions citoyennes, Sandra Laugier observe plusieurs mouvements visant à détourner le système de représentation électorale en s’appuyant sur des méthodes collabo-ratives où chaque voix compte à égalité. Philippe Nassif, mai 2016

SANDRA LAUGIER

« PAS DE ‘‘NOUS’’ POLITIQUE SANS

‘‘JE’’ EXPRESSIF »

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démocratisation réelle des institu-tions. Mais ce que chacun peut expéri-menter au sein de ces mouvements a déjà une grande valeur. Car l’expres-sion de soi passe, comme le dit Emer-son, par une forte confiance en soi, à laquelle nous n’avons pas été nécessai-rement éduqués. C’est cette confiance que permet d’éprouver et de muscler les conversations politiques qui ont lieu dans ces collectifs. En cela, ces expériences ont déjà un potentiel émancipateur : elles permettent à qui veut de se réinscrire dans l’espace commun de la vie ordinaire. Cet espace que tissent des liens sociaux dits « faibles » car ne relevant pas de la famille, du travail, ou de la religion, mais qui pour cette raison même s’avèrent forts : ce sont eux qui struc-turent le vivre ensemble.

N’ouvrent-ils pas, également, à une action mieux informée ?La mise en œuvre des méthodes dites d’« intelligence collective » a de fortes implications politiques : elle défend l’idée qu’on arrive à une meilleure connaissance de la réalité par le nombre plutôt que par un individu, si génial soit-il. Elle part du principe que chacun est le meilleur juge de ce qui vaut pour lui. Chacun, en effet, cultive une expertise concrète liée à son métier, à sa vie quotidienne ou à ses passions personnelles, et qui portent sur toutes sortes de questions : envi-ronnementales, technologiques, éducatives, juridiques, etc. C’est intéressant : la multiplication des subjectivités aboutit à un surcroît d’objectivité. Cette augmentation des prises de paroles ne provoque pas tant, comme certains le critiquent, un émiet-tement de la démocratie, mais au contraire garantit son renforcement.

Vous allez adorer les élec-tions. » C’est la devise de la plateforme Hello2017, lancée le 18 septembre

pour permettre aux citoyens de s’informer sur la présidentielle de 2017 et ses candidats, et d’agir. Mais c’est aussi un sacré pari  : d’après l’Ifop et l’INSEE, plus de la moitié des jeunes (18-35 ans) ne compteraient pas se rendre aux urnes pour la présidentielle. Aux commandes de cette plateforme, la start-up « civictech » Voxe, qui s’est fait connaître grâce à son com parateur de programmes poli-tiques, mais aussi le collectif Cu-rious, qui donne l’opportunité aux personnalités politiques d’échan-ger avec des internautes et enfin Kawaa, créateur de rencontres « dans la vie réelle ».

QUATRE GRANDES FONCTIONNALITÉSOn trouvera donc sur Hello2017 quatre grandes fonctionnalités. S’informer, via des vidéos de you-tubeurs ou des infographies sur des sujets comme les retraites ou le droit d’asile en France. Compa-rer les propositions politiques des différents candidats, à partir des programmes officiels et des décla-rations lors des débats, mais aussi d’informations directement en-trées par les candidats ou les inter-nautes sur la plateforme – et véri-fiées par Hello2017. Dialoguer en direct, grâce à la technologie de Curious, avec les aspirants prési-dents en campagne que l’équipe de

Voxe est allée solliciter. Dès au-jourd’hui, Le Figaro intégrera l’ou-til sur son site. « À gauche, c’est en-core compliqué, comme on a peu de visibilité sur qui sera ou non candi-dat, mais ça va suivre », assure Léonore de Roquefeuil, cofonda-trice de la start-up. Se rencontrer, enfin, lors des meetings et événe-ments politiques que Hello2017 recensera, mais pas que. La plate-forme Kawaa a en effet imaginé un  format d’animation, baptisé « Polka », pour permettre aux ci-toyens d’organiser eux-mêmes leurs rencontres.

EXPÉRIENCE UTILISATEUREn relayant les nombreuses propo-sitions qui fusent dans toute cam-pagne, Hello2017 ne court-elle pas le risque de rajouter du bruit au bruit ? « Qui va lire aujourd’hui le programme de tel candidat, planqué au fond d’un site ? On offre une expé-rience qui facilite l’accès au fond plu-tôt qu’à la forme pour l’internaute, rétorque Charlotte Richard, égale-ment cofondatrice de Voxe. Par ailleurs je pense que c’est en faisant connaître toutes ces propositions au grand public qu’on responsabilisera la parole des politiques. »Le grand défi  ? Réussir à parler aux  personnes les plus éloignées de la politique. Hello2017 table sur plusieurs partenariats avec des as-sociations étudiantes et les cafés politiques organisés par Kawaa partout en France. Le compte à rebours est lancé !

HELLO2017 VEUT CHANGER LA DONNE POUR LA PRÉSIDENTIELLE

52 % DES JEUNES NE COMPTENT PAS ALLER VOTER

Les collectifs Voxe, Curious et Kawaa lancent une plateforme pour rendre la politique plus accessible. Au programme : infographies, comparateur de propositions et échanges avec les candidats à la présidence. Côme Bastin, septembre 2016

À lireSandra Laugier et Albert Ogien, Le principe démocratie (La découverte, 2014)À consulter :mavoix.info la-transition.fr laprimaire.org

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V aloriser et échanger des services en heures plutôt qu’en monnaie : cette idée est appa-rue pour la première fois au Japon dans les années 1970, au sein des Fureai Kippu, des réseaux d’entraide dédiés notamment aux échanges de soins aux personnes âgées. Mais c’est surtout par l’intermédiaire des

time dollars états-uniens qu’elle s’est diffusée à l’échelle inter-nationale à partir des années 1990. On compte aujourd’hui dans le monde quelque 1 700 dispositifs fondés sur la monnaie-temps. Dans la grande majorité des cas, ils s’adressent exclusivement aux particuliers et opèrent à une échelle purement locale.

LUTTER CONTRE L’EXCLUSIONEn France, l’expérience la plus connue est celle des Accorderies, inventée initialement au Québec par deux organisations de l’économie sociale et solidaire (la Caisse d’économie solidaire Desjardins et la Fondation Saint-Roch de Québec). Le réseau est actuellement composé d’une dizaine d’Accorderies au Québec et d’une vingtaine en France.Elles sont surtout utilisées par des personnes précaires, seules, sans emploi ou vivant avec des revenus annuels inférieurs à 10 000 euros. À l’Accorderie de Chambéry, par exemple, environ un tiers des membres déclare des revenus annuels inférieurs à ce seuil. Même tendance au Canada, où 58 % des membres dé-clarent un revenu annuel moyen inférieur à 13 000 euros. Le succès des Accorderies tient au fait qu’elles ont su organiser une offre diversifiée : on peut y trouver des services de répara-

LE TEMPS, CE N’EST PAS QUE DE L’ARGENTDans une Accorderie, on échange des services, mais pas d’argent. L’unité de compte, c’est l’heure. Marie Fare, juin 2016

TROC DE SERVICES

tion, de transport, de déménagement, des échanges de savoirs (informatique, musique, cuisine, cours de langue ou de photo, production vidéo…), de la garde d’enfants, des services d’en-tretien (ménage, peinture, bricolage divers, jardinage…), de la restauration (préparation de plats cuisinés), de l’expertise comptable, des travaux d’artisanat (bijoux, couture, cordon-nerie…), de l’encadrement des activités sportives, des soins médicaux relevant de la médecine dite alternative, des offres d’hébergement ou encore des soins esthétiques.

UN SYSTÈME DE CRÉDIT MUTUELÀ l’instar des systèmes d’échange locaux (SEL), les banques de temps reposent sur un système de crédit mutuel où une quasi-monnaie est créée dans les échanges eux-mêmes : les comptes des membres qui s’engagent dans un échange sont simultanément crédités (pour celui rendant le service) et débités (pour celui recevant le service). Les échanges obéissent à un strict principe d’égalité : une heure est égale à une heure quel que soit le service fourni. Chaque membre

Athènes, en 2012. 70 banques de temps ont émergé dans le sillage de la crise qui a frappé la Grèce ces dernières années.

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dispose d’un  compte-temps qui enregistre les services reçus et les services rendus.Contrairement à certaines monnaies locales, les mon-naies-temps ne sont cependant jamais convertibles en mon-naie nationale  : il n’y a aucune équivalence entre les deux. C’est uniquement le service qui est comptabilisé en temps : si sa fourniture exige un déplacement, l’acheteur devra couvrir les frais d’essence en sus du temps comptabilisé. En revanche, l’éventuelle usure matérielle des outils n’est pas prise en compte par le système, et les matières utilisées pendant la pro-duction (ingrédients, etc.) sont payées en monnaie officielle. Pour participer au système, chacun doit donc être en mesure de proposer un service aux autres accordeurs. Lorsque l’offre a trouvé sa demande, les membres entrent en contact sans passer par un intermédiaire : l’acheteur règle la transaction par un « chèque-temps » que le vendeur dépose ensuite à l’Ac-corderie, où la transaction est enregistrée soit par un salarié de la structure, soit par un autre accordeur rémunéré lui-même pour ce travail en crédit-temps. L’absence de bénévolat

constitue une spécificité de l’Accorderie  : toute heure effec-tuée au service de l’association ou dans le cadre des services collectifs donne droit à un crédit en temps. La comptabilité et la gestion des comptes sont centralisées grâce aux outils infor-matiques.

DES LIENS ÉTROITS AVEC LES COLLECTIVITÉS LOCALESCes structures entretiennent le plus souvent des liens étroits avec les collectivités locales et les autres organisations de l’éco-nomie sociale et solidaire. En Italie, les banche del tempo, qui sont plus de 400 selon leur association nationale, ont été enca-drées par une loi de 2000. Elles sont reconnues comme outils d’entraide et de reconstruction des liens sociaux à l’échelle mu-nicipale. Dans les pays anglo -saxons, elles ne sont pas mises en place et gérées directement par les collectivités locales, mais les banques de temps bénéficient le plus souvent de leur soutien financier et en nature.Cependant, ce soutien ne va pas toujours de soi : leur activité, du fait qu’elle n’est pas monétarisée, pose en particulier le pro-

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blème de leur statut sur le plan de la fiscalité et des cotisations sociales. Dans les pays scandinaves, notamment, les services échangés dans les banques de temps sont ainsi rendus impo-sables. Un défi auquel toutes les banques de temps sont confron-tées consiste à élargir leur public au-delà des seules populations les plus précaires. Un autre défi consiste à trouver des finance-

ments externes, publics ou privés, pour permettre de disposer de salariés animateurs, sans lesquels il est le plus souvent diffi-cile de dynamiser et de pérenniser les échanges. Et cela, sans tomber pour autant dans le piège d’une marchandisation qui ferait des banques de temps de simples entreprises concur-rentes des entreprises « normales », ni les enfermer dans le rôle de sous-traitantes des politiques sociales des pouvoirs publics (c’est le cas de certaines banques de temps britanniques). La voie est étroite et passe par une hybridation des ressources et la multiplication des partenariats avec les différents acteurs.

RÉCIPROCITÉ ET ÉGALITÉDe nombreuses banques de temps ont émergé dans le sillage de crises sociales. En Grèce, alors qu’elles étaient quasiment incon-

nues avant 2008, on en compte aujourd’hui environ 70. Ce mou-vement n’a pas cependant qu’un but « palliatif ». Bon nombre de ces expériences portent aussi l’ambition de contester le modèle économique dominant en créant une sphère d’échanges fondée sur les principes de la réciprocité et de l’égalité tout en dévelop-pant la capacité d’agir des individus. La charte des Accorderies

indique ainsi que « l’action de l’Accorderie repose sur des valeurs d’égalité, de solidarité et de recon-naissance des compétences et des talents de tous les citoyens et citoyennes qui deviennent accor-deurs », puis qu’« elle valorise les compétences et les savoir-faire de ses utilisateurs en les mettant sur un pied d’égalité (la valeur est celle du temps passé à l’échange) ». À travers la valorisation en temps, c’est en effet toute la hiérarchie des reve-nus entre personnes qualifiées et non qualifiées,

ou entre travail manuel et travail intellectuel, qui est remise en cause.Les pratiques promues et organisées à l’aide des banques de temps – covoiturage, prêt d’outils, réparations, re cyclage, etc. – ont aussi une portée environnementale  : elles sont un moyen d’allonger la durée de vie des produits et de réduire la pression sur les ressources naturelles… Les banques de temps per-mettent enfin de valoriser et de rendre visibles des activités et des compétences non prises en compte par l’économie conven-tionnelle, comme les activités domestiques ou le travail béné-vole. Réévaluer la valeur et la nature du travail, mesurer la ri-chesse différemment, satisfaire des besoins autrement que par le marché et l’État social classique sont autant de vecteurs de transformation sociale à long terme. Être accordeur, c’est aussi contribuer à la construction d’une « autre » société.

HYBRIDATION DES RESSOURCESAu-delà de ces expérimentations locales, l’économiste français Bruno Théret a proposé de développer une monnaie-temps pu-blique (voir « En savoir plus »). Pour reconnaître et valoriser le temps consacré aux activités citoyennes, la puissance publique émettrait une monnaie-temps et la distribuerait aux citoyens en contrepartie de leurs heures d’activité d’intérêt public. Ces der-niers pourraient l’utiliser comme dans une banque de temps clas-sique pour bénéficier eux-mêmes de services, mais aussi pour s’acquitter d’une fraction de leur impôt ; la conversion des unités temps en euros s’appuierait sur un tarif unique et décidé à l’avance, en appliquant le salaire horaire moyen de la sphère marchande. Une telle idée pose évidemment de nombreux problèmes, mais elle montre aussi le potentiel des monnaies-temps comme outils de transformation sociale. Pour réévaluer la valeur du travail et sa nature, mesurer la richesse différemment, satisfaire des besoins hors de la forme d’intégration marchande, fonder le bien-être sur d’autres moyens de le satisfaire que « l’avoir »...

En savoir plus« Une nouvelle économie politique de la prospérité », par Bruno Théret, 30 décembre 2014, accessible sur www.lechangeheure.org/bruno-theret-une-nouvelle-economie-politique-de-la-prosperite/www.accorderie.fr : le site de l ’Accorderie.

“C’EST TOUTE LA HIÉRARCHIE DES REVENUS ENTRE PERSONNES QUALIFIÉES ET NON QUALIFIÉES, ENTRE TRAVAIL MANUEL ET TRAVAIL INTELLECTUEL, QUI EST REMISE EN CAUSE.”

Accorderie à Paris. Le succès des Accorderies tient au fait qu’elles ont su organiser une offre très diversifiée : échanges de savoirs, services de réparation, bricolage, etc.

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A près des heures de brainstorming, Séverine Pelleray et Roxane Julien ont lancé en mars dernier Fullmobs, la première plateforme de crowdtiming. Le principe : donner une, deux, trois heures de son temps pour aider une cause solidaire. Une formule sans engagement. « On avait déjà fait beaucoup de bénévolat tradition-

nel. On y allait tous les mardis, mais ça ne nous convenait pas. Quand on doit le faire régulièrement, cela devient une contrainte », explique Séverine. En un peu moins d’un an, 45 campagnes ont été soute-nues sur la plateforme. Un bon démarrage. Pour attirer les donateurs, pas de secret : les deux jeunes femmes misent sur une image fun, des visuels attractifs et des opérations ludiques. Exemple parmi d’autres, la campagne pour la dépollu-tion numérique, celle qui a récolté le plus de succès en le moins de temps. L’origine d’une telle réussite ? Il suffit de supprimer ses emails, sans même avoir besoin de se déplacer. Séverine ne mini-mise pas la portée de l’action pour autant. « Ça prend du temps, mine de rien ! Il y a eu un véritable effet boule de neige : les inter-nautes se sont complètement appropriés la campagne, on a mobili-sé plus de 20 000 personnes sur Facebook. »

BIENTÔT UNE ACTIVITÉ DE LOISIR ?Selon les statistiques de Fullmobs, 40 % des participants à ce genre d’opération auraient aujourd’hui entre 25 et 35 ans, et se-raient issus d’un milieu urbain et d’une CSP +. Plus surprenant : 70 % des donateurs seraient des femmes. Hélène, 28 ans, fait partie de celles-ci. Entrepreneuse dans le secteur social et soli-daire, elle a déjà participé à cinq opérations via Fullmobs. La première fois, elle a consacré 4 heures à ramasser des mégots par terre, dans le quartier du Marais, à Paris. Hélène a le profil de l’activiste éco-durable et avoue « faire partie du milieu ». L’aspect socialisant du crowdtiming lui permet d’élargir son ré-seau. « L’ambiance est très conviviale, surtout parce que tout le monde vient avec le même objectif. Ça rend la prise de contact plus facile. »

Créer du lien social est le premier objectif de Séverine et Roxane, qui souhaitent, à terme, démocratiser le concept jusqu’à trans-former le bénévolat en activité de loisir. Emmener ses enfants en balade solidaire ou faire une maraude avec ses amis, nouvelle oc-cupation dans l’air du temps ?

ENCORE ÉLITISTEJean-Louis Laville, professeur titulaire de la Chaire « Econo-mie solidaire  » au CNAM, n’y croit pas totalement. Après avoir coécrit l’ouvrage Associations et Action publique, il ex-pose sa propre vision de l’engagement : « Le bénévolat reste encore élitiste. Ceux qui y participent font déjà partie d’une communauté, d’un réseau. » Hélène peut difficilement le contredire : « C’est vrai que j’ai du mal à faire venir mon en-tourage à ce genre d’événements. La plupart ne sont pas dans ce délire, d’autres sont pris par le boulot. ». Outre le manque d’intérêt, c’est surtout la réalité économique des citoyens qui serait en cause, d’après Jean-Louis Laville  : « En Europe du sud, 50 % des jeunes de moins de 25 ans n’ont pas de travail. Ils ont besoin de revenus. Il faut tenir compte de la réalité vécue par les citoyens, et mixer le bénévolat avec le salariat. Je crois beaucoup, pour l’avoir vu en Europe et en Amérique du sud, à la capacité des gens à insuffler une création d’activité écono-mique à partir de cela. »Séverine et Roxane projettent justement d’adopter un nou-veau modèle économique  : si Fullmobs fonctionne pour le moment grâce à la participation libre, elles comptent bientôt monétiser leur concept en offrant un service de team-buil-ding aux entreprises. À terme, les deux jeunes femmes croient ferme à l’essor du crowdtiming. « On remarque qu’un changement s’opère, mais c’est un long processus. C’est très enthousiasmant de voir que plus on avance, plus on touche de nouveaux publics hors des réseaux traditionnels. » Seul pro-blème : « Entre le développement de Fullmobs et les projets en cours, on ne trouve plus toujours le temps de participer aux opérations. »

LES TEMPS CHANGENT

BÉNÉVOLAT À LA CARTE

Fullmobs permet à des milliers de per-sonnes de se mobiliser de façon courte et sans engagement  : c’est le crowdtiming. Amelia  Dollah, mars 2016

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P itche-nous Goodeed…Goodeed c’est un site, lancé en 2014, qui permet de faire des dons gratuits, sans débourser un centime, en visionnant des pub

pendant au moins 20 secondes. C’est du concret : tu choisis un don – un vaccin, un repas ou un arbre – et Goodeed reverse l’argent déboursé par l’annonceur à des ONG (Vision du Monde, WeForest…) et des agences de l’ONU.

J’ai vu sur Goodeed.com qu’en matant des pubs, je peux aussi offrir un troupeau de chèvres à un village au Mali ?Oui, on a lancé des opérations excep-tionnelles qui deviendront de plus en plus régulières, pour financer par exemple un camion dentaire qui a sillonné les environs de Phnom Penh, au Cambodge, et permis à 10 000 enfants de bénéficier de soins den-taires, ou un troupeau de chèvres pour un village au Mali : en 7 jours, 4 900 uti-lisateurs se sont mobilisés pour acheter 85 chèvres qui permettront aux habi-tants de Koodugu d’être autonomes.

Quel genre de pubs doit-on visionner pour faire une bonne action ?On choisit nos annonceurs : pas de marque dans l’armement, la pornogra-phie, la drogue ou l’alcool. Les ONG dont on est partenaires ont aussi des blacklists que l’on doit respecter. Chacune a une approche différente ; certaines sont plus restrictives que

d’autres. Pas question de brouiller leur image : c’est ce qu’elles ont de plus cher.

Le don gratuit : comment as-tu eu cette idée révolutionnaire ?À Noël il y a trois ans, ma grand-mère m’a offert un bouquin : Pour une économie plus humaine, de Muhammad Yunus (fondateur au Bangladesh de la Grameen Bank et prix Nobel de la paix en 2006, ndlr). J’ai toujours eu l’envie d’entreprendre : ado, je sortais les chiens des vieux et des gens en va-cances. J’avais créé un site. Ensuite avec des potes on s’est amusés à vendre des protections auditives à l’entrée des concerts… La pub est omniprésente dans notre quotidien. J’ai réfléchi à comment l’utiliser à des fins humani-taires.

Tu veux changer le monde ?Changer le don, c’est déjà un début. En France, 60 % des gens qui donnent ont plus de 60 ans. Sur Goodeed, 70 % des donateurs ont moins de 35 ans ! Avec le don gratuit moyennant 20 secondes minimum d’attention devant un spot publicitaire, on a débloqué un nouveau marché de donateurs. Aujourd’hui on a une communauté de 75 000 utilisa-teurs. On a franchi la barre d’un million de dons gratuits en décembre. Ils ont déjà permis de planter 150 000 arbres au Burkina Faso et en Ethiopie, de distribuer des repas à 18 000 enfants kenyans pendant un mois et 60 000 vaccins anti-polio au Tchad (Unicef). Tout seul, on ne fait rien. Avec une communauté, on peut aller loin.

LE GÉNIE DU DON GRATUITVincent Touboul Flachaire a 20 ans et il est tout simplement en train de révolutionner le don avec son site Goodeed. Vous avez quelques secondes ? Laurène Champalle, mars 2016

UNE PUB CONTRE UN VACCIN

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Etape #1 : je m’inscris sur Goodeed via mon  compte  Facebook.  Le  site  me donne  le  choix  entre  un  don  gratuit pour planter des arbres en Inde, distri-buer  des  vaccins  contre  la  polio  au Tchad ou des repas au Kenya. Je clique sur  le  bol  fumant,  qui  affiche  déjà 351 112 dons. J’ai droit à 20 secondes de pub pour la marque Ma P’tite Culotte. Je ne vois pas le rapport, mais c’est joli. La pub finie, je valide mon don. J’oublie de décocher  la case « partagez sur Face-book » : si je voulais faire ma B.A. dis-cretos,  c’est  raté.  « Bravo  !  Vous  avez fait votre premier don gratuit ! » m’en-courage Goodeed. « Dons restants au-jourd’hui  :  2 .»  Allez,  je  ne  suis  pas  à deux  pubs  près.  Je  clique  sur  la  se-ringue puis sur  la  feuille et m’enquille un spot de pub de la Fondation Carre-four pour un programme de formation aux métiers de la boulangerie en Chine puis pour les cagnottes en ligne Whata-boon.  Même  pas  mal.  Bilan  :  l’idée  de faire  désormais  partie  d’une  commu-nauté de donateurs assez malins pour financer des actions humanitaires  sur le dos de la pub me plaît.

J’ai testé le don gratuit

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S imon, 16 ans, vient de décro-cher sur concours une forma-tion à Cholet, à la rentrée pro-chaine. Problème : les frais de

scolarité s’élèvent à 2 490  euros, une somme impossible à débourser pour ce fils de mère célibataire. L’histoire se se-rait soldée par un exemple d’inégalité des chances de plus… si une application mo-bile n’avait pas payé ces frais à sa place. Humaid – c’est son nom – a été fondée par un ancien juriste et un commercial qui ont fait leur « job out » pour lancer cette plateforme de financement partici-patif solidaire, fin 2015. Sensibilisés par la situation d’un proche souffrant d’une maladie génétique, Pierre Durand et Fré-déric Deruet ont voulu créer une plate-forme capable de « changer le cours d’une vie ». Comment  ? En mettant en place un système de don d’argent de par-ticulier à particulier. Matériel médical, véhicule adapté, frais de scolarité… : au-tant de dépenses, parfois chiffrées à plu-sieurs milliers d’euros, qui se retrouvent aujourd’hui à même d’être financées par la générosité de n’importe quel citoyen. De son côté, la plateforme Humaid pré-sélectionne les projets afin d’éviter tout abus, puis s’assure de la bonne utilisa-tion des fonds. Un concept qui semble fonctionner, puisque les cinq premiers projets proposés, début 2016, ont tous at-teint leur objectif.

DONNER DU TEMPSÀ l’image de Humaid, les applis et plate-formes d’entraide se multiplient. Pour aider les personnes sans logis, mais aussi les étudiants, mères célibataires et

autres retraités dans la difficulté, Gre-gory Molter a lancé l’application Bene-voleAtHome, début 2016. Ici, plus ques-tion de donner de l’argent, mais d’offrir des produits de première nécessité. Le fondateur de cette appli est parti d’un constat : « Il y a 8 millions de pauvres en France et, malheureusement, tous ne rentrent pas dans les critères des associa-tions. » Concrètement, BenevoleAtHome permet de faire se rencontrer physique-ment les personnes dans le besoin et les donateurs pour échanger nourriture, couches ou aliments pour animaux. « Mais toujours de façon anonyme, afin de respecter la vie privée des deux parties », précise Gregory Molter. Complémen-taire à l’action des ONG, son service per-met de répondre à des besoins, mais sur-tout de recréer du contact humain. Du contact humain, c’est aussi ce que pro-pose Entourage, un réseau social qui lutte contre l’isolement des personnes à la rue. Car, parfois, « aider peut être aussi simple que de s’arrêter pour parler et prendre un café », explique Jean-Marc Potdevin, l’un des cofondateurs de cette plateforme. Ce service permet aux sans-logis de bénéficier dans leur quar-tier d’un réseau de personnes bienveil-lantes qui les écoutent, voire les aident matériellement. Grâce à une messagerie instantanée, les aidants peuvent en outre se coordonner afin de ne pas agir de fa-çon isolée. Un outil qui s’adresse égale-ment aux associations qui effectuent des maraudes nocturnes. Depuis son lance-ment, en janvier 2016, une trentaine de structures implantées dans onze villes de France l’ont déjà adopté.

ILS L’ONT FAIT !

UBÉRISER LA SOLIDARITÉCrowdfunding altruiste, redistribution de produits de première nécessité, ou réseau social contre l’isolement : ils ont parié sur le numérique pour réinventer la solidarité. Jean-Jacques Valette, juin 2016

 

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E n France, pour s’intégrer dans la vie sociale et éco­nomique, mieux vaut parler français. Mais pour bénéficier de cours de français de bon niveau, il faut avoir de l’argent ou des diplômes. En bref,

« c’est le serpent qui se mord la queue », regrette Jennifer Le­blond, qui lance, avec Héloïse Nio et Judith Aquien, une école de langue française diplômante à destination des migrants non diplômés. « Thot » (Transmettre un HOrizon à Tous) ou­vrira en juin 2016 mais mène actuellement une campagne de crowdfunding sur Ulule. 16 000 euros ont déjà été collectés sur un objectif de 22 500, de quoi ouvrir une classe de dix élèves. Mais « l’idéal est d’atteindre les 75 000, de quoi offrir une forma-tion diplômante à 5 classes, soit 50 personnes », espère Jennifer Leblond. À l’issue des cours, chaque élève doit être capable de décrocher un diplôme d’études en langue française (DELF), re­connu par l’État et à l’international.

S alade de lentilles érythréennes aux épices berbères, riz né­palais aux graines de cumin et à l’huile de moutarde, cro­

quettes de pommes de terre et bœuf à l’irakienne… Les plats que livre la start­up foodtech Eat Offbeat sont typiques et donnent l’eau à la bouche. Et pour cause : ils ont été préparés par des migrants arri­vés depuis peu à New York à partir des

RFI PARTENAIRELes élèves de Thot suivront 10 heures de cours par semaine pendant 16 semaines, le tout réparti en­dehors des horaires de démarches administratives. « Et ils seront dispensés par des professionnels rémunérés », précise Jennifer Leblond. RFI et TV5MONDE formeront gratuitement les professeurs de la future école et mettront à disposition les outils audio­visuels dont ils disposent. De son côté, l’espace de co­working ICI Montreuil prêtera ses locaux pour les cours. Reste que 50 élèves pèsent tout de même peu par rapport au nombre de migrants en situation d’attente en France. « Avec cinq classes on montrera que le concept fonctionne, répond Jennifer Leblond. Si on a un bon taux de réussite aux examens, il sera alors plus facile d’aller lever des fonds au-près de fondations ou de l’Union européenne pour changer d’échelle. »

recettes de leur pays. Lancé en janvier, Eat Offbeat emploie 6 cuisiniers, hommes et femmes, originaires de Syrie, d’Irak, du Népal, du Tibet et d’Érythrée. Tous cui­sinent dans les locaux de la start­up avec l’aide du chef étoilé Juan Suarez de Lezo. « Juan n’intervient pas dans leurs recettes mais les aide à passer au stade profession-nel, car il faut être capable de cuisiner de grandes quantités rapidement », explique

CRISE DES MIGRANTS

CUISINES DU MONDE

UNE ÉCOLE POUR RÉFUGIÉS OUVRE GRÂCE AU CROWDFUNDING

DES MIGRANTS AUX FOURNEAUXWissam Kahi, cofondateur de Eat Offbeat. En effet, la start­up a déjà réussi à se tail­ler une place sur le marché –  pourtant très concurrentiel – de la livraison de re­pas. « On cuisine des centaines de plats par semaine, et cela croît très vite », s’enthou­siasme Wissam. Un succès que l’entre­preneur explique par le fait que la cuisine servie par Eat Offbeat ne peut être trou­vée nulle part ailleurs à New York. « Leur savoir-faire leur a souvent été transmis par leur famille. Même dans une ville cos-mopolite, on ne trouve pas de nourriture étrangère aussi authentique. »

Thot ouvrira en juin et permettra à des réfugiés et demandeurs d’asile de décrocher un diplôme d'études en langue française (DELF). Le projet, en campagne de crowdfunding, a reçu le soutien de médias et du tiers-lieu ICI Montreuil. Côme Bastin, avril 2016

À New York, une start-up propose de livrer des plats savoureux et exotiques, préparés par des migrants récemment arrivés aux États-Unis. Côme Bastin, avril 2016

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E n troisième, leur professeur de technologie « n’aurait pas misé une seule pièce » sur elles, s’amuse Chérazade Kabache. Mais à force de persévérance, la  jeune fille et sa meilleure amie, Mounia Bellila, finiront

deuxièmes de leur collège de Pantin (Seine­Saint­Denis) dans un concours de création d’éoliennes en 3D. Et toc ! À l’époque, la modélisation sur ordi­nateur était loin d’être leur fort, mais depuis, elles ont donné un cours de code à François Hollande (1). Eh oui ! Âgées de seulement 17 ans et en classe de première ES, elles montent aujourd’hui WiFilles Society. L’association, encore au stade embryon­naire, regroupe six jeunes filles prêtes à trans­mettre leur savoir aux moins dégourdis du clavier dans les domaines de l’informatique et du numé­rique. « On avait envie de concrétiser un “après-WiFilles” et d’aider les gens autour de nous », expliquent les jeunes filles.

LES GARÇONS JALOUXVous suivez ? Le programme WiFilles « tout court », initié par Face Seine­Saint­Denis (Fondation agir contre l’exclu­sion) est exclusivement réservé aux filles. De février à juin, tous

les mercredis après­midi et pendant les vacances, il initie une vingtaine de collégiennes et lycéennes au codage, au montage son et vidéo ou à la robotique. Mounia, poussée par sa mère, qui s’est aussi mise à l’informatique, est la première des deux à re­

joindre la formation en  2013, après une réunion d’information à laquelle Chérazade, elle, ne s’est jamais pointée. « Pour moi, l’informatique était ré-servée aux garçons, c’était trop compliqué », ex­plique­t­elle simplement. Selon elle, les filles sont mal informées sur les possibilités qu’offre ce do­maine. Finalement, Mounia la convainc de re­joindre le programme et les deux filles vont vite rendre les garçons jaloux. « Au début, certains me disaient que je n’allais pas réussir, puis ils ont été épatés et ont fini par nous demander si ce n’était pas possible d’intégrer WiFilles », plaisante Mounia.Pas encore le bac en poche que, déjà, les deux meil­leures amies peuvent modifier votre logo Google pendant que vous faites une recherche internet. Bien que le terme « society » soit inspiré de la série Mr. Robot et son groupe de hackers Fsociety, dont les ambassadrices sont « complètement fans », l’as­sociation ne traite pas uniquement du langage binaire. Loin des cyberanarchistes de la production américaine, WiFilles Society aspire surtout à don­ner des coups de pouce à des personnes âgées ou à des comités d’entreprise sur l’usage de Skype ou à propos de la déclaration de revenus en ligne.Pour le moment, elles souhaitent que ces ateliers soient gratuits. Les deux geekettes recherchent en­core des financements publics et privés et solli­citent les entreprises pour obtenir des fonds complémentaires afin de rémunérer leurs interve­nantes. Le président et le trésorier de WiFilles ap­portent leur expertise sur le plan juridique, mais Chérazade insiste  : « C’est nous, les filles, qui sié-geons au conseil d’administration de l’association et prenons les décisions. » À ce jour, elles ne savent pas encore où s’orienter après le bac, mais les métiers

numériques ne sont plus exclus de leur esprit. Des projets plein la tête, les deux copines se disent dorénavant « libérées et dé­complexées » grâce à leur parcours et plus que jamais prêtes à « participer à l’avenir ».

WIFILLES SOCIETYLauréates 2016 du label La France s’engage, Mounia et Chérazade, 17 ans, ont créé, il y a un mois à peine, WiFilles Society. L’association a pour but d’épauler les allergiques aux nouvelles technologies à coups d’ateliers d’informatique. Maëlys Petiado, juillet 2016

FEMMES DE RÉSEAU

(1) À l’occasion du premier forum La France s’engage, en 2016.

Mounia Bellila (à gauche) et Chérazade Kabache. ©

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2013Mounia intègre

la première promotion de WiFilles

2014Le programme WiFilles,

jusque-là réservé aux élèves de

Seine-Saint-Denis, s’étend à l’Île-de-France

2014Chérazade

intègre WiFilles

Octobre 2015 Chérazade participe à Women 2 Women,

un sommet sur l’empowerment féminin

aux États-Unis

Décembre 2015Mounia, de retour de vacances dans le nord de l’Italie et choquée

par les images des naufragés, rejoint

un projet de documentaire

sur les migrants

Mai 2016Le projet WiFilles Society est lancé

Juin 2017Mounia et Chérazade

passeront le bac !

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BOOK CAFÉLIVRES • FILMS

Ce qui est à toi

est à moi, Contre Airbnb, Uber et les autres

avatars de « L’économie du partage »

Tom SleeLux 2016, 276 pages, 20 euros

Éviction des locataires au profit des touristes, précarisa-tion du travail, biais des systèmes de réputation, tout n’est pas si rose dans l’économie du partage. Tom

Slee nous invite à tempérer l’enthousiasme des débuts en recensant les externalités néga-

tives des plateformes collaboratives, et les initiatives pour s’y opposer.

Ensemble, on va plus loin :

Inspirez-vous de l’économie collaborative

pour réussir Gaëtan de Sainte-Marie et Antoine Pivot

Alisio, 288 pages, 22 euros

L’économie collaborative, une menace pour les entre-prises traditionnelles ? Ce livre prend le contrepied de l’idée reçu et se veut un mode d’emploi pour per-mettre à toutes de gagner en agilité, innovation

et bien-être en leur sein. Blablacar, AirBnB, Leboncoin, KissKissBankBank : autant

d’exemples abordés dans l’ouvrage.Ubérisation : Un ennemi qui vous

veut du bien ? Denis Jacquet et Grégoire Leclercq

Dunod, 256 pages, 18 euros

Que signifie cette ubérisation dont tout le monde parle  ? Denis Jacquet et Grégoire Leclercq mènent l’enquête à travers une série de portraits de ses par-ties prenantes (chauffeurs VTC, entrepreneurs, hôte-liers, politiques, sociologues) pour déboucher sur

leurs analyses et leurs propositions.

Deux mois collaboratifs Passez derrière la caisse

Dans la disruption, Comment ne

pas devenir fou ?Bernard Stiegler

éd. Les liens qui libèrent, 480 pages, 24 euros

Et si, à force de disruption, nous sapions les fonde-ments de notre civilisation – état de droit, élaboration des savoirs, éducation – ouvrant la voie à la mélan-colie collective, au terrorisme et aux catastrophes écologiques ? C’est le cri d’alarme de Bernard

Stiegler, mené à travers une réflexion sur notre rapport à la folie.

Le Coup d’État citoyen.

Ces initiatives qui réinventent la démocratie

Romain Slitine et Elisa LewisLa Découverte, 174 pages, 15 euros

Face à notre démocratie malade, il existe des alternatives crédibles pour sortir de l’impasse. Partis nouvelle génération, assemblée tirée au sort, écriture de lois avec les citoyens : ce livre décrypte la transition

démocratique à l’œuvre partout dans le monde.

FILMS

Utiliser uniquement des plate-formes collaboratives pour subvenir à ses besoins pendant deux mois, c’est le défi que relève la comédienne Eugénie Ravon. « 60 jours collaboratifs » de Sylvain Pioutaz, diffusé sur la chaîne YouTube du Bon Coin

Tom Boothe, un des initiateurs du supermar-ché coopératif parisien La Louve, nous fait dé-couvrir l’institution pionnière du genre, fondée à New York en 1973, où, contre 3 heures de travail par mois, ses 16 000 membres peuvent acheter à bas coût des produits de qualité. « FOOD COOP » de Tom Boothe / Sortie nationale le 2 novembre 2016

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Les big data au service des chômeursC’est la promesse de Paul Duan, jeune entrepreneur français qui a créé un service d’accompagnement à la recherche d’emploi, bap-tisé Bob Emploi. Lui et son équipe comptent bien se servirent des milliers de données produites par Pôle Emploi et aider le maxi-mum d’individus à trouver un job. Quelles sont vos frustrations ? À quel métier n’avez-vous pas encore pensé ? Quelle ligne chan-ger sur votre CV ? Quelles actions accomplir dès aujourd’hui  ? Des conseils sur-mesure et des informations qui, agrégées et analysées, pourraient aider à faire baisser le chômage de 10 %. « 1 %, ce serait déjà pas mal », confie le fondateur de 24 ans.

Un monde sans finEt si le monde virtuel n’avait aucune limite ? Le jeu vidéo No Man’s Sky a été créé à l’aide d’algorithmes dits « génératifs », capables d’engendrer une très grande quantité de « mondes » en faisant varier leurs para-mètres. Résultat : des mil-lions de niveaux disponibles pour les joueurs – finies les compétitions pour terminer en premier !

Un robot fait 2 millions de morts…...virtuels, rassurez-vous ! Le 11 novembre une erreur infor-matique transforme 2 millions de profils Facebook en comptes de commémoration, réservés aux personnes décédées. Les pages concernées affichent alors une petite fleur et le message « en souvenir de », à la demande de leurs proches. Parmi les victimes du massacre, un certain Mark Zuckerberg. Sur la page du fondateur, ses amis pouvaient lire : « Nous espérons que ceux qui aiment Mark trouveront du réconfort en voyant ce que d’autres diffusent pour rendre hommage à sa vie. »

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Ventriloque facialFaire grimacer Obama ou chanter Angela Merkel à votre guise : des chercheurs de Stanford ont mis au point un outil permettant de transférer les expressions d’un acteur sur n’importe quel visage. Ne vous fiez plus aux images...

L’IA vous veut du bienMêlant le traitement de données massives et les essais de nouvelles combinaisons, la quête de nouveaux médicaments est un problème idéal pour le secteur de l’intelligence artificielle. Pharma.AI, Watson (IBM), Atomwise, AICure… On ne compte plus les start-up et les services qui se lancent dans ce nouvel eldorado de la recherche assistée, avec de nombreuses découvertes à la clé... sans que l’on sache à qui seront attribués les brevets.

GRANDS ET PETITS PAS DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE (IA)

GRANDS ET PETITS PAS DE L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

Un robot imitateur de TrumpCréé par Bradley Hayes et basé sur un programme open source, DeepDrumpf est, selon le journal Mashable, « plus Trump que Trump ». Petit exemple de trumperie publiée sur Twitter : « Ok, c’est fantastique maintenant avec Daech. Je vais vous dire : je ne veux pas qu’ils votent, les per-sonnes les plus antisociales que je connaisse. Je m’aime. »

Textes : Alban Leveau-Vallier

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De l’art collaboratifVous disposez d’une pièce en rab ou d’un logement vacant ? La plateforme Hostanartist met en relation des artistes avec des par-ticuliers désireux de les héberger chez eux, contre une œuvre ou un cours. Une façon de transformer les circuits de médiation. « Aujourd’hui, un artiste se contente souvent d’ex-poser et n’a pas de rapport avec son public. Or, beaucoup de gens veulent aussi voir l’artiste produire », explique David Guez, cofondateur de la plateforme.

À Paris, la rentrée aura vu une moisson d’ouvertures de lieux : le Liberté Living Lab met 2 000 m² à la disposition d’entrepreneurs et de chercheurs dans les Civic Techs ; l’accélérateur School Lab accueille 1 000 étudiants, entrepreneurs et intrapreneurs ; la MAIF ouvre un lieu d’échange avec le MAIF Social Club. Et enfin, aux Grands Voisins, personnes fragiles, artistes, coworkers et artisans composent un village bigarré sur les 4 hectares de l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul en attendant sa reconversion en écoquartier.

Partout en France, des tiers-lieux font naître de nouvelles collaborations

À Bordeaux, Darwin accueille une vingtaine d’associations dans un « écosystème écolo » employant plus de 500 personnes sur les 10 000 mètres carrés de la friche urbaine des Magasins Généraux.

À Lille, makers, freelances et innovateurs se retrouvents au Mutualab et à la Coroutine, espaces mixant les compétences de manière très horizontale.

À Nantes, une quarantaine de structures de l’économie sociale et solidaire se sont regroupées dans l’association Ecossolies et installées sur l’île de Nantes, à proximité du Hangar à Bananes.

À Strasbourg, le Shadok propose un espace de coworking, un fab lab et une structure événementielle dédiés au numérique, à l’art et aux expérimentations et innovations en tout genre. A.L-V.

Des noces 100 % collaborativesOrganiser son mariage n’a rien d’une promenade de santé. Et une simple union peut représenter un très gros budget. Pour vous faciliter la vie, Dream Dress Location propose des robes de créateurs à louer sur trois jours moyennant 200 à 600 eu-ros. Iziparty propose à la location une centaine de lieux pour tous les budgets : du jardin à une vingtaine d’euros de l’heure jusqu’au château facturé 150 euros les soixante mi-nutes. Et si l’addition est encore trop salée, faites financer l’événement par vos proches grâce à Wedzem, le premier site de mariage participatif.

Co-créer son morceauEn matière de co-création, les artistes ont toujours été à la pointe. Et le numérique décuplent leurs possibilités. Jamshake permet aux musiciens de co-composer leurs morceaux, à des milliers de kilomètres de distance. Le principe ? Un utilisateur importe en ligne un extrait de son morceau. Les personnes connectées peuvent alors ajouter leur propre contribution au projet. Jamshake a déjà reçu un soutien de poids : le chanteur -M- a mis en ligne quelques secondes de chant et de guitare. Tous les mélomanes peuvent désormais créer leur projet à partir du sien.

CO/CRÉATIONS

ESPACES DE CRÉATIVITÉ

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Voyager à l’heure du coVous adorez découvrir le monde mais n’arrivez pas forcément à faire les bonnes rencontres ? Plusieurs plateformes proposent aujourd’hui des expériences originales. Trip4real et Guidelikeyou rémunèrent des locaux qui s’improvisent guides touristiques. Avec la start-up RendezVousChezNous, c’est une vraie expérience de tourisme embarqué avec les artisans, producteurs ou artistes d’un terroir. Au programme : découvrir une safranière, s’initier au tressage de fuseaux de lavande ou accompagner un berger d’aujourd’hui.

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4/ Dessine-moi avec une bouteilleLe Renegade est un stylo 3D qui permet de dessiner en trois dimensions grâce à des fils de plastique chauffés, puis refroidis. Son originalité : tous les fils sont issus d’objets en plastique usagés (bouteilles, sacs...). Il est livré avec le ChupaCut, un appareil qui permet de découper les articles en plastique en fils utilisables par le stylo.

1/ Le BioVessel pour composter chez soiAvec l’aide d’un objet design signé Bionicraft et de quelques vers de terres, plus besoin de jardin pour réutiliser vos déchets organiques comme engrais pour vos plantes. Ce lombricomposteur vous permettra de recycler épluchures de patates ou cartons d’oeufs tout en décorant votre cuisine.

5/ Une maison écologique en kitL’Open Building Institute vous aide à réaliser un tour de force : construire une maison de 75m² entièrement autosuffisante avec panneaux solaires, serre hydroponique, citerne à eau de pluie et son filtre, poêle à granulés et digesteur de biogaz, le tout en 5 jours et pour moins de 22 000 €.

3/ Un kit de 64 outils contre l’obsolescence programméePièces détachées, outils de réparation, tutoriels, conseils et discussions d’une communauté généreuse : Ifixit propose tout ce qu’il faut pour réparer vos appareils électroniques et mettre fin à l’obsolescence programmée.

2/ Usine en kitConstruire sa propre usine de recyclage de plastique chez soi, c’est possible avec Precious Plastic. Le broyeur produit les copeaux de plastique qui seront utilisés par les autres machines pour créer des objets. L’extrudeuse élabore des filaments de plastique qui pourront servir de nouveau matériau pour impression 3D ou autre. La presse à injecter fabrique des petits objets en série à partir de plastique chauffé, puis moulé. Le compresseur réalise de grands objets en chauffant le plastique dans un four, puis en le pressant dans un moule.

6/ Tu peux te brosserNous utilisons en moyenne 300 brosses à  dents au cours de notre vie, ce qui représente 5,4 kg de plastique. Pour éviter de polluer en les renouvelant, munissez-vous de brosses écologiques : le manche est en bambou et les poils en Nylon4 biodégradable. Prix : 4,29 € sur zerowasteshop.fr/brosses

7/ Un microscope XXSBaptisé simplement « VOIR », ce microscope s’accroche à l’appareil photo de votre smartphone à la manière d’une coque. Il permet de zoomer jusqu’à 400 fois et de prendre des photos. Cet outil révolutionnaire a été imaginé par un lycéen de 15 ans, dans le cadre du concours d’innovation Make It Happen, soutenu par la MAIF.

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APPRENEZ…Comment pratiquer le covoiturage même sur

quelques kilomètresÀ consommer en circuit court grâce au numérique

Comment adopter un mode de vie zéro déchet

COMPRENEZ…Pourquoi les entreprises veulent ouvrir leur fab lab

La montée en puissance du travail indépendantPourquoi le collaboratif est un enjeu pour 2017

DÉCOUVREZ...Des plateformes pour tout échanger avec vos voisins

Des espaces de travail alternatifs en Inde et en TurquieUn magasin où tout est gratuit

L’ÉCLAIRAGE DE 6 GRANDS TÉMOINS

Pascal Picq, paléoanthropologue L’Odyssée de l’homo numericus

Johanna Rolland, maire de Nantes et présidente du réseau EurocitiesMaire de toutes les transitions

Cyril Dion, réalisateur du film DemainLe collaboratif peut-il préserver l’environnement ?

Diana Filippova, fondatrice de OuiShareRepenser le travail à l’ère des plateformes

Elisa Lewis et Romain Slitine, auteurs du Coup d’État citoyenUne autre démocratie est possible !

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