vasile alecsandri - doine-1855

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    LES DONAS

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    \V ^ V Xi^

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    LITTRATURE ROUMANE

    LES DOiNASPOtSIES MOLDAVES

    J.-E. VOINESCOP I\ C F. I) . !: s n ' II N E INTRODUCTION

    FAB M. GEORGES BELLET A U (. M K N T K K S D K TROIS N l V t L L L S PICES

    F. T DE D E l' X M O U C U A t" X EN P U S E

    DEUXIME DITION

    PARISJOL ClIEUBULIEZ, DITEUR

    10, KIE DE LA MONNAIE, 10A GENE V E , M ME >I A 1 S O N

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    A M. J. VOINESCO

    Je vous remercie, Monsieur, du livre que vousm'avez envoy. La posie d'un peuple opprimaura toujours mes sympathies. C'est par elle queje parviens reconstituer tout un pass sur lequelles chroniques sont silencieuses ; et ce pass mesert cependant mieux comprendre le prsent et me rendre un compte exact des querelles, desguerres intestines, des revendications de pou-voir, qui sont de nos jours affaire de tous les ins-tants.

    Philosophiquement, l'histoire ne s'occupe quedes vnements qui peuvent intresser l'huma-manit, et ds lors n'envisage gure que la vie

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    6 des grandes nations. tudie ainsi par grandesmasses, l'histoire peut certainement fournir l'i-magination des penseurs des systmes auxquelsviendront toujours se rallier des esprits pares-seux. Mais je ne saurais y voir la meilleure et laplus sre mthode historique, celle qui se pro-pose avant tout de nous conduire le plus directe-ment la vrit. Pour vous citer un exemple,Monsieur, je vous dirai que notre histoire deFrance est encore entirement faire, nonob-stant les travaux beaucoup trop vants des deuxThierry, des Fauriel, des Guizot, des Barante,des Sismondi. J'ai soulign le mot France dessein, et ce simple signe typographique vousfait connatre ma pense : par France, j'ai vouludire tous les pays que l'on dsigne ainsi de nosjours. M. Michelet est le seul qui se soit srieuse-ment et nationalement occup de notre pays. Il acompris que l'histoire vit de dtails. Il les a mi-nutieusement recherchs, tris, mis en uvre. Lestrangers surtout ne se trompent jamais sur lemrite et l'importance de semblables travaux.Malheureusement les forces d'un homme sont li-mites, et l'histoire d'un pays comme la Francene peut tre crite que par une congrgation.La terre roumaine. Monsieur, pourrait tre plusheureuse. Un homme de bonne volont, laborieux

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    - 7 et patient ferait une uvre utile et bonne s'il con-sacrait sa vie crire cette histoire. Et ceci est undevoir remplir que j'indique quelqu'un desvtres. Un peuple opprim qui aspire reconqu-rir une nationalit indpendante, ne doit jamaisngliger de faire connatre aux autres peuples,non-seulement son origine, mais encore toute lasrie des faits qui l'ont conduit depuis les tempsanciens jusqu' nos jours. L'on hsite quelquefois,parce que l'on a beaucoup de faits d'oppression signaler. Mais de pareilles considrations ne peu-vent arrter que les curs pusillanimes. Leur fai-])lesse, relativement aux forces envahissantes, nesaurait jamais tre impute crime aux nationsenvahies.

    Vous tes de noble origine. Monsieur; vousdescendez de ces colonies militaires que Trajan etles empereurs romains, ses successeurs, tablirentsur les bords du Danube, lorsqu'ils taient obli-gs de guerroyer sans cesse contre les Daces et lesPannoniens

    ,qui faisaient des incursions sur les

    terres de l'empire. A cette poque, vous avez tplacs r avant-garde de la civilisation menacepar la barbarie. Ce n'est pas votre faute si, dansce grand flux de populations qui jeta l'Asie surl'Europe, vous avez t dbords. Vous m'appa-laissez, dans ce lointain historique, semblables au

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    matelot que le capitaine de navire pose en senti-nelle un jour de tempte. Les flots en furie bat-tent les flancs du vaisseau. La sentinelle reste im-passible et vigilante. Mais une lame bondit tout--coup et couvre tout le pont de sa vague imp-tueuse. Le matelot s'attache aux cordages ; il secramponne avec nergie au poste qui lui a tconfi, et, la lame passe, on le retrouve debout.Qui lui reprochera de n'avoir pas arrt la lameenvahissante? Qui lui reprochera ses habits trem-ps par l'eau de la mer?...

    Mes sympathies pour les populations roumainesne datent pas d'hier. Enfant, j'tudiais l'histoiredu Bas-Empire dans le livre de Lebeau, lorsqueleur nom me frappa pour la premire fois. Je li-sais la vie d'Alexis Comnne, et, arriv l'anne1002, que signala la destruction des Patzinaces,peuplade belliqueuse tablie sur les bords duDanube, je trouvai cette phrase : Alexis, l'ar-me duquel se joignit un grand corps de Comanset quelques milliers de Bulgares et de VALAQUES,livra, dans un endroit nomm Lbune^ une der-nire bataille aux Patzinaces, dans laquelle ilsfurent taills en pices. Tant de noms bizarreset baroques se prsentent dans cette priode del'histoire, qu'il n'est pas fort ais de s'y recon-natre. Ce nom de Yalaques, je le voyais pour la

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    9 l)ieinire fois. Je voulus savoir quel tait le peuple({u'on appelait ainsi, et, de la sorte, j'arrivai melendre un compte assez exact de vos origines na-tionales. Simples colonies militaires sous rajan,vous tiez devenu un peuple part dans cet em-pire grec que les Barbares dchiquetaient et mor-celaient plaisir pour se tailler des royaumes etse donner des terres fixes dans ses provinces.Cette noblesse, comme celle de tous les grandspeuples, est inscrite dans la langue et sur le sol.

    Depuis cette poque, bien des vnements sepassent dans ces contres qu'arrose le Danube.Vous voyez descendre de l'Occident ces croissqui vont montrer l'Orient de quelle bravouresont capables les races du Nord ; vous voyez venirde l'Orient les Turcs qui, matres de Constanti-nople, s'avancent jusqu' Vienne, comme pour re-])orter son dfi l'Europe occidentale. Enfin vouslaites connaissance avec la race blonde des Sla-vons, qui descend du Nord pour se poser entrel'Orient et l'Occident.

    Pendant que je suis tous ces mouvements del'histoire, ma pense se porte souvent vers les filsde ces colons qu'avait jets en avant la grande etvnrable mre des nations. Faibles et isols aumilieu de ces grandes tourmentes, ils les laissent|)asser, attendant sans cosse des jours meilleurs.

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    - 10 Sans doute leur sang se mle quelquefois. On n'estpas mis impunment en contact avec tant de racesdiverses. Cependant le vieux type roumain per-siste, et, encore aujourd'hui, jamais homme debonne foi, rien qu'en vous voyant, ne pourra niervotre descendance romaine.

    Tout ce que je vous cris ici, Monsieur, tmoi-gne de mes sympathies pour vous. Elles ont taugmentes le jour o j'ai pu lire les Donas. Cesposies ont clairci pour moi bien des chosesrestes obscures. Elles respirent une nergie derace que vous ne devez pas au sang romain. L'-lment gracieux qui s'y trouve, vous vient biende Rome. La violence vous vient d'ailleurs. J'ytrouve un accent des races primitives.Au reste, ce que je vous dis ici, ne doit nulle-ment vous surprendre. Au temps des colonies

    militaires, bien des lments trangers avaient tintroduits dans Rome mme. Ce que les pdantsappellent la dcadence, n'est autre chose pour unelittrature que l'adjonction de formes, de penses,de couleurs, qui, jusqu'alors, n'avaient point parudans la langue des crivains. Tacite ne parle pas lamme langue que Salluste, et le pote de la Phar-sale ne pouvait avoir les mmes accents que lecygne de Mantoue. Notre langue du XIX* sicle,enrichie par le contact de toutes les littratures

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    11 trangres, est bien plus belle que celle des si-cles prcdents, et n'en est pas moins franaise.

    Si donc, ct de l'lment d'origine romaine,je trouve d'autres lments dans les Donas, cen'est pas un reproche que je vous fais, c'est unfait que je constate, et ce fait est pour moi fortimportant. Il me montre, dans le peuple roumain,un de ces peuples dans les veines duquel le croi-sement a su attnuer les premires vivacits dusang, et infuser les ides de mansutude qui seulespeuvent le conduire la conqute lgitime de sondroit, en le montrant capable d'accomplir ses de-voirs. Un peuple qui comprend ces deux ides estun peuple mancip par la tte ; le corps ne peuttarder suivre.

    Aprs tout ce que je viens vous dire, vous mecroirez, Monsieur, si j'ajoute que je n'ai pu liresans motion votre lettre M. John Lemoine (*) . Au

    (') A M. JOHN LEMOINELe 18 juin 1853.MoNSlKlU,

    Un article du Journal des Dbats sur la posie serbe m'a inspirl'ide de publier le livre que je prends la libert de voua adresseraujourd'hui.

    Les livres, Monsieur, comme toute chose ici-bas, ont leur des-tine et leur chance particulire ; aussi tous mes efforts, pour faireparatre celui-ci plus tt, ont-ils t vains.

    Aujourd'hui l'attention publique tant fixe sur les vnements del'Orient, je crains fi)rl ipio l'apparition d'un recueil de posies ne

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    12 milieu des grands vnements qui s'accomplissentsous nos yeux, il est bien permis la politique des'garer quelquefois. Mais, nonobstant les opi-nions adverses, aujourd'hui le temps de la dli-vrance et de l'mancipation approche. Le canonsemble inopportune. Et en effet, ce n'est pas sans hsitation que jeme suis dcid l'offrir au public. Je me demandais si je ne com-mettais pas un sacrilge en parlant vers et littrature dans un mo-ment o les hordes moscovites s'apprtaient fouler le sol de mapatrie. En lisant dernirement dans votre journal la nouvelle de lanote officielle par laquelle S. M. moscovite signifiait aux puissanceseuropennes qu'elle veut occuper les Principauts danubiennes, ledsespoir s'est empar de mon me, et je me suis cri avec plusde raison que jadis l'ancien gnral de l'arme de l'Orient : GaUlen,tu as vaincu ! Car, cette fois-ci, l'occupation pourrait bien tre laconqute dfinitive de mon pays ; et appartenir la Russie seraitl'anantissement de ce brave et doux peuple de famille latine, quel'Europe latine laisse en proie un peuple barbare. Je crois inutile vous, Monsieur, qui connaissez si bien la question de multipliermes preuves ; un seul exemple suffit : La Bessarabie appartient la Russie depuis 1812. Je vous le demande, qu'est-il rest des ins-titutions roumanes dans ce pays ? Quel est le progrs qu'il a fait dansla large voie de la civilisation ? En conscience, disons tout : celteRussie elle-mme, qui, depuis plus d'un sicle jouit en Europe dudroit de souverainet ; cette puissance colossale, qui a une popula-tion de 60 raillions de dnationaliss, qu'est-elle elle-mme pourvouloir imposer sa civilisation en Orient:" Cette agglomration de6 millions d'hommes, fiers de leur barbarie, n'a-l-elle pas, au con-traire, en horreur tout progrs, et la civilisation de l'Europe occiden-tale n'est-elle pas son plus insupportable cauchemar? J'en appelleau tmoignage de M. de Cnstine, et surtout de M. Saint-Marc Gi-vardin lui-mme.

    Pour en revenir la destine de mon livre, je me suis dcid leprsenter au public prcisment pur la raison que, si mon pays ne

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    13 qui bat en brche les murs de Sbastopol iTiarquesur le cadran des sicles l'heure d'une rnovation.Tombe la forteresse qui commande la merNoire, et l'Europe entire sentira le besoin de sereconstituer pour clore enfin le grand travail d'en-fantement de l're moderne.

    Tout vous.Gi-ORr.Es BELL.

    Ocvail plus chapper la dominalion de la Russir, co livre sorvll depierre tumulaire la naissante civilisation roumane que la main dubourreau aurait ensevelie dans son berceau. Oui, Monsieur, la Rou-manie, une fois la Russie, pourra bien dire adieu A la iaugue, auxlettres, la posie, tout ce qui donne du prix la vie d'une na-tion.

    Je vous envoie. Monsieur, mon petit travail, et vous prie d'y por-ter le scalpel de votre critique ; je le fais avec d'autant plus de plaisiret de confiance, que j'ai vu dans tout ce qui sort de votre plumecombien vous savez tre gracieux jusque dans votre svrit.

    Agrez, Monsieur, etc.

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    K M. ALEXANDRE WEILL ^'^

    Mon cher Monsieur Weu.l,Notre connaissance ne date que d'un jour, et dj Ta-

    initi que je ressens pour vous est aussi vive que si elleavait subi l'preuve de longues annes. IS'allez pas pren-dre ceci pour une hyperbole chappe l'essor d'uneimagination mridionale. Le hasard nous runit: dans unede ces causeries intimes, une discussion venant s'leversur les vnements et les questions du jour, vous appor-ttes, dans les dbats, tant de chaleur, tant de verve etd'entrain que je n'ai pu m'empcher d'y prter toute monattention. Vos opinions, certes, ne sont pas tout--faitconformes aux miennes; cependant une de ces sympa-thies spontanes me poussa rechercher votre amiti.

    i.*. Celte leitro Ouiit en tle de la prcniire dition.

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    16 Nous nous vmes plusieurs fois ; chaque jour nous rappro-cha davantage ; je trouvai en vous , avec un inefifableplaisir, cet abord facile et expansif , cette vivacit toutefranaise , cette gat de caractre qui , hlas ! autrefoisont fait aussi le charme de ma vie. Vous vtes en moi unersignation calme au malheur de l'exil et un cur quisourit encore au bonheur d'autrui. Depuis lors, convaincuque si, sur le terrain de la politique, nous ne devons ja-mais faire route ensemble, sur tout autre terrain cepen-dant, nous pouvons nous tendre la main, vous m'offrtesvos bons services et j'acceptai. Aussi vous avez vu avecquelle confiance je suis venu vous pour vous demanderdes conseils sur cette traduction, en tte de laquelle jevous demande aujourd'hui la faveur de placer votre nom.

    Mais avant de vous dire pourquoi je rclame cette fa-veur, permettez-moi de vous expliquer les motifs quim'ont dtermin publier ce livre.

    C'est un drame bien mouvant , mon cher monsieurWeill, que l'histoire de ces descendants des colons ro-mains qui suivirent Trajan dans la Dacie et qui formentaujourd'hui le peuple rouman. Douloureux et sanglantjusqu'au commencement du xiii' sicle, ce drame, que,malgr mes dsirs, je ne saurais suivre dans toutes sespripties , atteignit , dans les sicles suivants , les pro-])ortions d'une brillante pope. C'est ainsi qu'aprs lescalamits des invasions successives des barbares, tels queGoths, Ostrogoths, Huns, Avares, Tartares et autres, ca-lamits qui durrent prs de dix sicles , la Roumanieparvint enfin conqurir son existence nationale et briller d'un grand clat dans le monde politique. Maisqu'elle fut courte et agite, cette priode! qu'elle futtourmente, cette existence ! car ce peuple martyr, rem-])art de la chrtient et de la civilisation contre les en-vahissements de l'Islamisme et de la barbarie, n'eut pasmme le bonheur de vivre en paix avec ses voisins les

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    Hongrois, les Polonais, les Serbes et autres peuples derace slave. Le cadre de cette lettre ne me permet pas devous retracer ici le tableau de cette brillante priode quicouvrit ma patrie de gloire, au prix de tant de larmes etde sang. Non, je ne vous numrerai point les nombreu-ses luttes que nous emes soutenir contre les Turcs etles Tartares ; luttes hroques o , malgr les dchire-ments de l'intrieur et les harclements de nos voisins,nos aigles ont fait plir, jusque dans son srail, le ter-rible llderim, et ont chass au del du Balkan, ces fa-rouches enfants du Croissant. Il suffit de vous dire qu'en-fin puise, divise, morcele mme, la Roumanie suc-comba. La Moldavie et la Valachie demeurrent encorequelque temps debout ; mais elles aussi furent bienttobliges de subir la domination de la Porte-Ottomanesous le titre de protection ; elles se rservrent bien , ilest vrai , les droits et les privilges qui garantissent lanationalit d'un peuple ; mais le repos et la tranquillitdu pajs n'en furent pas moins troubls par les inces-sants empitements des Musulmans. Un malheur cepen-dant, une calamit bien plus grande attendait ma pauvrepatrie. Ds le xviii* sicle, la Moldo-Valachie, perdant leilroit de se gouverner par des princes indignes , subitl'opprobre du joug des Fanariotes.La servitude, monsieur, est chose terrible; mais rien

    de plus terrible que l'avilissement de la servitude sous lesFanariotes, race ignoble et btarde des Grecs habitantsdu Fanar. Non, l'Europe ne saurait se faire une ide d'unesituation pareille la ntre sous le rgime de ces nou-veaux matres, esclaves eux-mmes de la Turquie, vils,corrompus, rampants et vous tous les mauvais instinctsde la nature dchue.

    Les arts et les sciences ne fleurissent gure dans lestemps de trouble ; le progrs est lent, sinon impossible.

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    18 que, tant qu'ils ont conserv leur nationalit, malgr lesmaux qui ont si fatalement pes sur eux, les Roumans nesont jamais rests en arrire des progrs qui s'opraienten Europe. ISlais arrive l'oppression de la servitude Fa-nariote, l'instant tout progrs disparat et il se fait nuitcomplte en Roumanie pendant plus d'un sicle. Noustombmes si bas que nous emes presque horreur denous-mmes. L'Europe ne se souvint plus que nous fai-sions partie de la grande famille latine et , comme l'ob-serve fort judicieusement M. Saint-Marc-Girardin, dansses souvenirs de voyage, elle allait jusqu' croire que lesMoldaves et les Valaques taient des Turcs ou des Slaves.

    Tel fut, mon cher monsieur Weill, l'tat de la Rouma-nie jusqu'en 18'22 , poque o la rvolution de Vladimi-resco, chassant les Fanariotes, nous fit reconqurir notreexistence d'avant 1700. Ge n'est donc que depuis trenteans que notre patrie est rentre dans la voie du progrset de la civilisation ; ce n'est que depuis cette poqueque nous assistons au consolant spectacle de la rgn-ration de la pense nationale. Je ne parle ici que'de laMoldo-Valachie, car, pour la Transylvanie et la Bucovine,elles se ressentent naturellement de l'action du gouver-nement autrichien ; et, quant la Bessarabie, elle fait,depuis 1812, partie de la Russie.

    Je n'ai pas besoin, je pense, de vous citer une une lesnombreuses entraves qui ont t apportes au dvelop-pement de cette pense dans notre pays; et, cependant,il s'est fait dans l'espace de ces trente dernires annesun travail intellectuel tel , qu'il y aurait injustice lecroire tout--fait indigne de l'attention de l'Europe. Aurisque d'tre tax de prsomption , j'oserai encore affir-mer qu'il est peu de peuples qui, dans les mmes condi-tions et toutes proportions gardes, aient avanc autantque nous. Chez toutes les nations qui commencent, laposie tient le premier rang ; aussi est-ce vers la posie

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    19 seule que les efforts de la jeunesse moldo-valaque onttendu bien longtemps. Plus d'un essai a t tent danstous les genres ; et, si le caractre gnral des crationsde nos potes est celui de Timitation trangre, il existepourtant d'honorables excei^tions. iM. Alexandri est lapremire. iNourri dans la lecture des chroniques rouma-nes et des posies anciennes, il a eu seul le mrite detrouver le filon d'une mine riche de posie nationale.Toutes ses crations sont une peinture fidle des cou-tumes du pays, de sa situation morale et politique l'-poque qui prcde immdiatement celle dans laquellenous vivons aujourd'hui. Voyez ses Donas ; la plupartd'entre elles, la Strunga, le Chinit des Brigands, AndrPopa sont autant de souvenirs des douleurs de l'hommequi , condamn cette poque aux plus lourdes rede-vances et la plus dgradante oppression , se rfugiaitdans les bois. Mais tous ses hros des forts sont intres-sants et nobles. Vaillant et intrpide, jamais cruel, tendreet aimant, telle est la nature du Uouman, et telle nous ladpeint M. Alexandri.Quant au mrite littraire des posies de M. Alexandri,je ne crois pas abuser de votre patience en appelant

    votre attention sur la Doina, la vieille Kloayitza, les TroisArehers, et quelques autres pices du mme genre. Jecrois encore moins blesser la modestie du pote, en tra-ant ici un parallle entre les pices que je viens de citeret les productions des plus grands potes lyriques polo-nais et allemands. Pour ne vous citer qu'un exemple, ilexiste jurrai les posies de Gthe une ballade bien con-nue dans toutes les littratures, le Pcheur:

    Und wie ersitzt, und wie cr lauscht, Theilt sich die Fliit ctnpor,a Aus deni bcvvegton W'asser raushl Eiii feuclitcs Weib licrvor.

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    20 -M. Mikiewitz, dans un petit pome intitul la Willi, a

    reproduit presque littralement les beauts de la balladeallemande ; la description surtout du bouillonnement duflot, agit par la chute du chasseur dans l'abme du tor-rent, est exactement la mme que dans Gthe.

    Voici de quelle manire s'est exprim M. Alexandridans sa vieille Kloantza :

    Sbiicnind apa' n nalte valuri

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    21 tionale, autant par ses propres productions que i)ar lapublication des vieilles posies populaires qu'il a recueil-lies et arranges avec tant de got. Il est le premier qui,par son thtre, ait fray la route au drame populairenational. Eh bien, qu'il s'essaie aujourd'hui dans le pomehroque, dans le drame srieux, dans la haute comdie.Le succs de ses premires tentatives nous est un srgarant de celui qu'il obtiendrait dans la voie nouvelle onous le convions, au nom de ses amis et de sa patrie.D'ailleurs le pote n'a des droits , l'admiration et lareconnaissance de la postrit qu'autant qu'il a mis aujour le systme tout entier de ses croyances religieuses,politiques et philosophiques. M. Alexandri, certes, nenous contredira pas sur ce point.

    J'ai senti le besoin de parler de deux choses saintes :du pass de mon pays et de ses titres la sympathie del'Europe. En donnant ici une traduction interlinaire desposies de M. Alexandri, je suis, certes, loin de croireque j'ai rendu les beauts dont elles fourmillent. Mon in-tention n'tait que d'offrir au public franais le calque,pour ainsi dire, d'un des principaux monuments de notrelittrature naissante. Tout homme de cur, pour peuqu'il aime son pays et sa langue maternelle, me compren-dra. Qu'il daigne seulement jeter un coup d'il sur cesposies, mon but sera atteint, et mon travail largementrcompens.

    J.-K. VONKSCO.

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    POESIE

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    LES DOINAS

    LA DOINA (0

    Si j'avais une jeune belle avec des fleurs doresdans ses tresses et des roses sur ces lvres ;

    Si j'avais une bien-aime l'me fire et mle, auxyeux noirs comme le fruit de l'aubpine ;(') La Dona est un genre particulier qui n'a point son quiva-

    lent dans la posie franaise; c'est un petit chant qui tient lafois de !a chanson des Trouvres lorsqu'elle est consacre aux sen-timents tendres, et des Liedcr e% Allemands lorsqu'elle embrassetout ce qui est compris, en littrature, sous les noms divers d'ode,d'hymne, etc.

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    26 Si j'avais une blonde joyeuse, la taille lance,

    leste comme le petit du chevreuil ;Je deviendrais rossignol chantant la Dona d'amour

    dans la brise de la nuit.

    Si j'avais une petite carabine, trois balles dans raabourse de cuir (*) et une hache dvoue comme unesur;

    Si j'avais, au gr de mes dsirs, un cheval hardicomme le lion et noir comme le pch ;Si j'avais sept frres aussi vaillants que moi et monts

    sur des dragons ails ;Je deviendrais aigle et j'entonnerais en plein jour, la face du soleil, la Dona de la vengeance. '

    Et je dirais l'une : Belle amie, je jure par cettepetite croix de te soigner comme un frre ;Et je dirais l'autre : Brave coursier, va distancer

    par ta course les hirondelles dans leur vol par-dessusles montagnes et les valles ;

    Et je dirais aux derniers : Sept frres, faites le signede la croix et jurez de ne jamais vous rendre per-sonne tant qu'un souffle de vie vous restera;

    Allons tous bravement, allons arracher notre patrieaux paens et l'esclavage.

    (') La bourse de cuir tient lieu de giberne.

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    LA VIEILLE KLOANTZA

    tiltc sordirc, o'Dicton

    La vieille Klounlza, assise sur ses talons dans unfourr de buissons desschs, regarde fixement tanttla lune ple et blonde, tantt le grand feu qui brille auvillage voisin.

    Elle file, la vieille dente; elle file en faisant cla-(juer ses mchoires et ses doigts ; le fuseau de sa que-nouille tourne rapidement en bourdonnant dans l'air.

    (( Fuis, dit-elle, loin de moi, Dmon de la laideur!(i va-t-en par-dessus la fort couverte de feuilles, au(( fond du sombre dsert; fuis loin de moi, afin que mon bien-aim, le plus beau des jeunes garons,(( accoure de suite mon appel.

    (( Ah ! s'il voulait venir auprs de moi, pour que je-> sois seule, toute seule; l'aiiner dans ce monde !

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    ({ Fasse le Seigneur Dieu que tout ici-bas tourne son(' avantage aussi rapidement que tourne mon fuseau.

    (( Mais s'il ne voulait pas venir!... Fasse l'esprit du(( mal qu'il soit ternellement frapp de malfice, et poursuivi ternellement par la colre de l'enfer.

    Que ses yeux tournent dans leurs orbites ; que sa(( langue soit prise et que Satan, arm d'un fer bri-(( lant, lui arrache le cur de la poitrine pour le jeter{( dans les flammes tei'nelles.

    (( Que le monstre vert le poursuive tant qu'il y aura(( devant lui de la terre pour courir et de la lumireu pour voir ! Que les terribles esprits de la nuit, Hraco-(( nit (1) et Sang-Rouge {-), viennent le torturer leur(( tour jusqu' l'aurore. La vieille fde avec plus de rage ; son fuseau devient

    invisible en tournant. Elle s'agite, elle frmit, car sou-dain une grande toile vient de tomber du ciel ; unetache noire s'est pose sur le disque de la lune, et lefeu du village voisin a diminu. mon jeune bien-aim, retire ta main de la(( Hora (5) qui tournoie autour de ce grand feu ; d-(( tourne surtout tes doux regards des yeux de ces(( jeunes filles qui dansent avec toi, car elles ont de(( grands yeux qui portent malheur.

    (1) Hraconit, esprit infernal dans la croyance populaire.(2) Sang-Rouge, esprit infernal dans la croyance populaire.(^) Danse populaire de la Romanie qui rappelle exactement le

    chorus antique des Romains; les femmes et les hommes se pren-nent par les mains et forment de grandes rondes au centre des-quelles se tiennent les musiciens, Imitari. Il est d'usage que l'uudes jeunes gens chante pendant les volutions de la danse; ceschants portent galement le nom de Iwvas.

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    (( Viens moi, mon brave cliii, viens; je te clian-

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    30 (( plir mon vu au prix de mon me, que je te cde(( pour l'ternit. Elle dit, et tout coup la valle et la montagneretentissent d'un bruit trange ; les corbeaux croassentau sein des nuages, et sur la branche leve d'un arbrereluisent soudain deux yeux ennemis.

    (( J'amnerai prs de toi ton bien-aira, dit la vieille Kloantza une voix effrayante, mais condition(( que tu me prennes sur tes paules, et que tu fasses trois fois le tour de l'tang travers les fleurs et les serpents de ses bords. La vieille Kloantza accepte sans plus songer au

    pch mortel qu'elle commet. Elle part en emportantSatan qui grince affreusement des dents, et qui blas-phme tout le long de la route.

    Elle saute, la vieille, elle court, elle vole, aiguillon-ne par son ardent dsir, pareille un hibou quis'lance vers un ruisseau pour se dsaltrer... Ellecourt, et derrire elle le fuseau se dvide en roulantdans les herbes.

    Elle fuit, la vieille chevele, semblable un tour-billon de poussire ; elle court sur le rivage glissant,et dans le silence profond de la nuit, Satan hurle, hurletoujours.

    Des milliers d'esprits infernaux sortent aux rayonsde la lune, glissent travers les roseaux de l'tang etpoursuivent, en sifflant, la folle Kloantza, qui saute etprononce des exorcismes.

    La fort retentit d'un long clat de rire jusque dansses profondeurs ; la valle et la montagne y rpondentpar un autre clat de rire plus effrayant encore, maiselle ne s'en meut pas.

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    31 Elle n'entend plus, elle ne voit plus, tant elle court

    follement; on dirait, la voir, un esprit de l'autremonde emport par la terreur, tant elle se prcipiteardemment vers le but loign, la voix de l'esprancequi la pousse en avant.

    Encore dix pas h faire, dix pas difliciles h franchir,])uis elle pourra caresser son bien -aim, le soignercomme une fleur, le prserver par ses exorcismes dumauvais il, des destines cruelles et de la morsuredes serpents. *Deux pas encore... Ali ! le coq veill chante tout

    coup dans le bois, et Satan le maudit se lance avec savictime dans les profondeurs de l'tang.

    L'eau rebondit en flots cumeux et bouillonne aprsla chute des corps, puis, tournoyant en larges cerclesliquides, elle oscille avec un bruit sourd entre le rivageet les roseaux.

    Puis elle se calme par degrs, se balance lentementet reflte avec amour le disque pli de la lune, dont lalumire argente lutte avec les premiers rayons dujour...

    Lorsque le voyageur attard passe en sifllant pendantla nuit aux bords de cet tang, il entend par momentsd'tranges chuchottements au sein des roseaux, puisune voix plaintive qui dit ces paroles :

    (( Viens moi, mon brave chri; viens, je chanterai(( pour toi la nuit de douces chansons, et je te soignerai(( comme une fleur, et je te prserverai par mes exor- cismes du mauvais il, des destines cruelles et de(i la morsure des serpents.

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    mLE BRIGAND ET LA NONNE

    L;i-liaiit, sur la montagne, dans le jardin du couvent,certaine jolie nonne pleure et soupire chaque nuit aprsles bonheurs de ce monde :

    Depuis ma plus tendre enfance, dit-elle, je suisoublie de tous les miens; et mes parents m'ont aban-donne sans piti dans un dsert !

    Innocente ! je fus condamne et punie ds le jourde ma naissance , hlas ! et je me sentis prive pourtoujours des joies de ce monde !

    (( Passant ma vie dans une ternelle amertume, mesyeux pleurent , mon me gmit sans cesse, et , pareilleau fruit qui tombe de l'arbre, je sens ma vie s'teindredans sa fleur.

    u Ah ! puiss-je voir l'heure mme le terme de cesjours de douleur ! Vienne la mort que j'attends commeune douce consolation ! Qu'oses-tu souhaiter, ma sur chrie ? dit tout coup le brigand de la fort. Comment! toi , dont les

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    yeux resseiubleiil la mre de nos montagnes ; toicharmante Heur de muguet...

    Toi, mourir, douce merveille dmon pays!....Mais ne crains-tu pas le Seigneur Dieu?... Allons, machre et jolie sur, fais trois fois le signe de la croix,et adresse-lui une courte prire pour implorer son par-don.

    Maintenant, si tu veux que tes yeux tincellentcomme un paradis plein de joies divines ; si tu veuxque ton cur s'anime et s'ouvre comme la fleur deschamps ;

    (( Viens avec moi au sein de la vei'te fort, viens en-tendre la dona du regret quand mes braves compa-gnons descendent dans la valle par les sentiers per-dus ;

    (( Viens voir l'oiseau de proie s'lancer du haut desrochers sur le corbeau qui croasse au fond du prci-pice ;

    (( Viens voir surtout comment le Cioco se plie endeux quand il m'aperoit , et comment il oublie sonarrogance pour tomber humblement mes genoux.

    (( J'ai deux coursiers, deux dragons rapidesdeux! Mme le vent ne peut les dpasser; j'aidouze compagnons d'armes, et quatre pislolels maceinture.

    (( Je porte sur ma poitrine une petite croix qui con-tient du bois de la sainte croix et de saintes reliques;et , dans ma poitrine, je porte un cur brlant commetes lvi'ps brlantes.

    (( Je possde une pierre prcieuse qui reluit pendantla nuit , de mme que tes yeux quand ils guettent lebonheur loign.

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    ^( (( Abandonne tout : cellule, calotte, chapelets, man-

    tille, et, si tu dsires tre joyeuse comme un jour debravoure

    Suis l'homme brave qui t'appelle au sein des bon-heurs de ce monde ; car , une fois sa compare, tu necourras plus risque de prendre jamais le voile. )> .

    On ne sait si la nonne a suivi le brigand ; mais, de-puis, on n'entend plus des soupirs et des sanglots dansle jardin du couvent, l-haut sur la montagne.

    IV

    KRAIU-NOUou LA NOUVELLE LUNE

    A cette heure du soir, o l'oiseau vole son nid enjetant un petit cri plaintif comme un soupir; cetteheure du crpuscule o il replie sa tte sous son aile ets' endort doucement parmi les feuilles;

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    35 Zamfira, triste et pensive, sortait de sa tente et fixait

    des regards liumides de larmes sur la lune qui rpandaitsa blanche lumire sur le front de la jeune fille.

    Depuis ^ue la charmante enfant souriait dans lemonde cdhime la fleur des champs, le soleil seul avaitdpos des baisers sur son sein vierge et sur ses yeuxbrillants.

    Ses cheveux, noirs comme une nue d'orage, tom-baient jusqu' ses pieds le long de son beau corps, etsouvent la jolie fille se cachait dans ses cheveux pour semettre Tabri du soleil.

    Mais surtout quand elle portait sur sa tte une ko-fitza (') pleine d'eau frache destine ses frres ; quandsa petite bouche devenait humide, et que la fleur placesur son sein tait voluptueusement souleve par lesmouvements onduleux de sa poitrine....Oh ! alors tous les passants qui la rencontraient prou-

    vaient tout i\ coup une soif ardente ; ils lui demandaientun peu d'eau et en buvaient longtemps en regardant lajeune fille; puis ils s'en allaient en soupirant sous l'in-fluence d'un vague dsir.

    Elle chantait gaiement comme l'alouette qui s'lvejoyeusement dans l'air pendant l't, et sa voix lacampagne rsonnait doucemejit : on aurait cru entendrele vol d'un esprit mystrieux.Souvent les vieillards, assis en rond autour du feusous la tente, se plaisaient couter ses chants; sou-vent aussi ils consultaient les sorts pendant la nuit auxlueurs de la lune, et prdisaient de belles destines lajeune fille.

    (') Kofitza est uno espce de broc en ?)ois.

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    36 Mais un soir, Ih-liaut, sur la colline, une vieille sor-,

    cire consulta les quarante et un grains de mas (^), etdit tout coup en frmissant : a ma fille, tiue Dieute prserve du bel tranger la voix caress^ite !

    Ds lors Zamfira apercevait souvent une ombre glis-sante parmi les nuages, et toute la nuit elle restait pen-sive, le cur dvor de vagues dsirs, l'me pntrede doux frissons. . ^ .En ce moment elle tait sortie de sa tente pour fixerses regards humides de larmes sur la lune, et sa voixmlancolique chantait ainsi :

    (( croissant lumineux, tu m'as trouve toute enlarmes ; tu m'as trouve avec des penses tristes et avecla figure assombrie.

    (( Mon cur regrette, mais que regrette-t-il ! Je nesais ce qu'il veut, je ne sais ce qu'il dsire, mon pauvrecur !

    Car il entend pendant la nuit des frmissementsd'ailes, et puis de doux chuchottements qui lui parlentdu haut des nuages.

    Puis, quand les rayons du jour viennent resplendirl-haut, mon pauvre cur songe encore longtemps aurve vanoui de la nuit.

    (( croissant lumineux, sois le bien venu parminous ; mais, quand tu nous quitteras, ah ! ne va paslaisser aprs toi le regret amer qui dvore mon me.

    Laisse-moi avec un collier de beaux ducats, et unecharpe blanche et des babouches rouges.

    (( Laisse-moi surtout bienheureuse, et fais que mon(') Les diseuses de bonne aventure se servent do quarante etun grains de mas.

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    37 vu s'accomplissii avanl ton dpart d'ici, croissantl)ien-ain.

    Voil (Ju'un bel ('Irangor passant dans la sombre valleentendit la voix de la jeune fille o\ vint s'arrter en faced'elle. -Doux taient les yeux, douce tait la figure, douce

    aussi tait la voix de cet tranger, car la nuit fut bien-tt passe, et l'aurore trouva la belle enfant toutejoyeuse.

    Trois jours aprs elle portait son cou un collier desuperbes ducats ; elle avait sur les cheveux un voileblanc; mais, hlas! plus de Heurs roses sur ses joues.

    Trois jours aprs, le croissant s'effaa du ciel, el,comme lui, le bel tranger disparut. La pauvre filles'assit au bord du chemin, et le regretta beaucoup etpleura beaucoup aprs lui.

    Trois jours aprs, l-bas, dans la valle, il ne restaitplus que son tombeau, et bien longtemps on entendaitune voix plaintive passer dans le vent de la nuit et r-pter avec douleur :

    (( Toi, qui vas gaiement sur la colline pour confierles secrets de ton ame au croissant de la lune, o pauvrejeune fille, fuis la tombe de la nuit, fuis le bel tran-ger la voix caressante.

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    LA JEUNE MAGHIARE

    Que de larmes amres, que de larmes de regret r-pandeut deux beaux yeux au del de la frontire !Comme il palpite, comme il soupire, un pauvre curdvor de tourments, non loin d'ici, dans le pays voisin!

    Ils sont beaux ces yeux comme des yeux du paradis ;ils sont doux comme le soleil de mai. Fier est aussi lecur qui gmit, car il s'agite dans le noble sein d'unejeune Maghiare comme une bte fauve dans sa cage.

    Frre ! si tu avais les ailes de l'oiseau ou celles duvent pour parcourir le monde, tu ne trouverais nullepart, ni aux rayons brillants du soleil, ni dans la fra-cheur des ombres, une fleur aussi belle que la jeuneMaghiare.Son sein a la douce blancheur du lis, et cependant ilexhale des soupirs douloureux; ses yeux noirs sontpleins d'une flamme ardente, et cependant, hlas! ilsfondent en pleurs sur sa blonde figure comme des nua-ges de pluie.

    Car un clbre prince de la Romanie a travers lesmontagnes, envahi la Hongrie et rduit l'esclavage

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    30 bien des malheureux et plus de mille nobles Maghiars !

    Le prince romain est parti i)Our retourner dans sestats; les esclaves, oblig(''s de suivre leurs matres, ontquitt leur pays en pleurant, et la jeune Magliiare est res-te seule, triste, les larmes aux yeux et le regret dans l'me.

    Voici trois jours qu'elle gmit constamment; troisjours qu'elle regarde fixement sur la route; mais ellen'aperoit rien, hlas! et le bien-aim qu'elle attendn'apparat pas!O donc est ton amant? dans quels chemins s'est-il

    gar? O peut-il tre, grand Dieu ! qu'il tarde ainsi de-puis trois jours accourir auprs de toi, charmantelille?.,. Ah ! qui pourra dire o il se trouve, qui le pourra?

    Hlas ! comme toi il verse des larmes amres, deslarmes de regret, au del de la frontire ; comme toi, ilsoupire, le cur dvor de tourments et d'amour, nonloin d'ici, dans le pays voisin.

    Or, si tu veux le voir encore, il faut courir par delles grandes montagnes, dans la terre du bison (*), lo gmissent au sein de l'esclavage bien des malheureuxet plus de mille nobles Maghiars !

    Par del les montagnes, par del les forts, par delles fleuves profonds, dans cette contre o les fleurs sontsi brillantes, o les jeunes filles sont si belles, o lesDonas sont si touchantes !

    Il faut aller du ct du soleil levant, dans ce pays(pli n'a jamais t soumis par les armes, l o les glaivessont implacables, o il crot des forts de chnes sur lesmontagnes, l enfin o il nat des vaillants d'lite!...

    I') La !\Ioldavif; lc.> iuiiicb tl- ex- pu} s bout iei)r>riii

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    - ho V'oil qu'aux premiers rayons de l'aurore la jeune et

    noble Maghiare est dj partie, monte sur un chevalblanc que personne n'avait encore dompt; elle est partiecouverte de vtements d'hommes et arme d'un glaive.

    Frre ! si tu avais les ailes de l'oiseau ou bien mmeles ailes du vent, tu ne pourrais l'atteindre dans sacourse, car elle ne vole ni comme le vent ni commel'oiseau lger, mais comme le doru (*) qui fait mourir.

    Plaines, valles, nuages du ciel, tout disparat der-rire elle; quiconque la voit, l'aperoit peine commeune toile qui brille un instant pour s'effacer aussittdans l'immensit.

    La voici qui pntre au sein des forts profondes, ausein des forts sans limites, o l'on entend hurler desmilliers de btes fauves; et l'intrpide jeune fille avancepar un pelit sentier perdu.

    Les ombres de la nuit s'tendent ; l'esprit de l ter-reur prend son vol travers le monde ; le vent souffleet gmit ; la fort hurle et frmit ; le tonnerre grondesourdement dans le ciel.

    Mais la jeune fille avance toujours ; elle anime sanscesse le blanc coursier qui respire peine et qui laissede vastes espaces derrire lui... car celui qui est tour-ment par le doru se rit du vent et du tonnerre.

    Voil que, dans une heure fatale, ils sont arrivs auxbords d'une eau courante ; petit ruisseau sans nom quicoulait mystrieusement dans le monde, en dposantune cume argente aux pieds des fleurs cfeses rivages.

    {*) Le mot doru n'a point d'quivalent dans la langue franaise ;il exprime un sentiment puissant qui tient la fois du dsir, duregret, de l'espoir, de la douleur et de l'amour.

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    - M -(( Allons, mon intrpide, passe l'auli-e bord! )> Ainsi

    la jeune tille parle son coursier ; mais le coursier s'ar-rte, lixe les yeux terre et renille en frmissant.

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    h2 -nument sacr en l'honneur de la chrtient, et, suivide ses vaillants Romains, il vient lui-mme choisir surles bords de la Putna, l'emplacement du saint autel.Une foule immense l'accompagne et se rpand sur les

    collines, comme les vapeurs qui s'tendent sur la sur-face des marais au coucher du soleil. De vaillants capi-taines, couverts d'armures tincelantes ^ sont l surleurs coursiers sauvages, et semblent attendre fire-ment le signal des combats.

    Le glorieux drapeau de la Moldavie flotte majestueu-sement dans les airs; la montagne retentit des sonsprolongs du boutchoum ('), et la valle rsonne deschants des cornemuses.Voil que prs d'une colline le prince Etienne s'estarrt : tout se tait ; le peuple reste immobile, les re-gards fixs sur lui.

    Trois guerriers portant des arcs montent sur la col-line ; deux d'entre eux, pareils au sapin des montagnes,ont l'aspect fier et terrible du bison de notre pays; ilsportent la glouga {^) sur l'paule, le glaive la cein-ture, et sur leur front un vaste bonnet de peau de mou-ton se courbe et se mle aux boucles noires de leurchevelure.

    Souvent ces deux archers, de leurs flches lancesjusqu'aux nuages, ont arrt l'aigle dans son vol tra-vers les feux des clairs.

    Bien des btes fauves au fond des forts, bien des(') Long tuyau en bois de cerisier dont les bergers de la Roma-

    nie tirent des sons mlodieux que l'on entend de trs-grandesdistances. Anciennement le boutchoum servait donner le signaides combats.

    (-; Mauteau en peau de mouton-

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    ennemis jeunes et hardis au sein des combats ont sentipntrer dans leurs fronts et dans leurs curs les fl-ches mortelles de ces deux guerriers.

    Car ce sont les dignes archers du prince Etienne-le-Grand, qui prpare son arc en ce moment pour jouteravec eux.

    (( Enfants, tendez vos arcs.... je veux aujourd'huijouter moi-mme avec vous. Ainsi parle le princeEtienne; aussitt les deux vaillants s'inclinent, tendentleurs arcs et tirent; leurs flches volent, dchirent ra-pidement l'air qui siflle et s'enflamme ; elles vont, ellesvont comme la pense et l'il distingue peine au loin,bien loin, la place o elles finissent par tomber.Un immense hourra s'lve du sein de la foule etmonte jusqu'au ciel ; la montagne retentit de ce bruitet semble hurler dans ses profondeurs.

    Joie et sant h vous, mes enfants, dit aux archersle prince Etienne; puis, la corde de son arc vibre, laflche traverse l'espace comme un clair ('), elle dispa-rat, dpasse le but des deux autres flches, et va sebriser contre le tronc d'un vieux platane.

    L sera l'autel, s'crie le monarque glorieux, et,s'appuyant sur son arc de bataille, il incline son frontdevant le seigneur Dieu.

    Vive le prince Etienne ! crie de nouveau la foulesaisie d'admiration, puis elle tombe genoux sur l'herbede la valle, pendant que les hourras montent au ciel.

    (I) Sbiriiie corda din arcu'. fulger sagta'n vint, Ce vers est intraduisible ; la lettre cela voudrait dire : La cordede son arc vibre, et la flche en partant jette des flammes comme

    la foudre.

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    - hh

    \l[

    ANDR-POPA (')

    Qui passe dans la Valle-Seca (2), arm d'un kan-giar sans fourreau et la poitrine dcouverte? C'est An-dr Popa le fameux.

    Depuis sept annes il se joue bravement de l'autoritdu prince; depuis sept ans il pille sans relche, le re-doutable brigand Andr.

    Jour et nuit cheval, il prlve des contributions surtoutes les grandes routes, dans tout le pays, et les Al-banais du prince fuient tant qu'ils peuvent devant lui.

    Car il possde un fusil charg de trois balles, et ilpossde encore un cheval, g de quatre ans, qui aime mordre la chair des ennemis de son matre.Et il possde encore sept frres, marqus au brasgauche du signe de la croix, lesquels ont suc du laitml de sang, et il n'a peur de rien au monde, le braveAndr Popa.

    (( Capitaine, mon frre, qu'aperoil-on Ih-bas. du(' Andr le prt'^tr(\(') V alle aride.

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    - /,5 -ct du soleil ? On apeiroil quatre clievaux. N'as-tu pas entendu parler d'un certain Miliau? Apprte tes armes, capitaine, car le beau Miliauest h ta poursuite ; le voici qui vient vers toi connue undragon ; fais trois fois le signe de la croix pour implorerlaide du Seigneur Dieu. A peine les a-t-il aperus dans le lointain que le ter-

    rible Andr, s'adressanl aux siens, dit :(( Allons, mes braves, chasser les nefers () ! aprs

    quoi la hora des belles lemmes nous attend, n11 dit, hurle, s'lance. Son cheval lger traverse ra-

    pidement, et la plaine, et le ruisseau, et le bois ; il volesuivi de ses brigands.De son ct, le beau Miliau arrive sa rencontre,

    fier et terrible comme une colonne de feu ; il accourtsur un cheval blanc, qui semble ne pas avoir assezd'espace devant lui, et qui jette des flammes par ses yeux.

    Ils courent tous avec la rapidit du vol de l'hiron-delle ; ils courent avec la rapidit de la foudre quitombe, et ils vont, mes braves, ils vont emports parleur colre de heyducs (-).

    (') Hommes arms, pour la plupart Albanais, au service desprinces plianariotes, et qui taient chargs de poursuivre les bri-gands; espce de marchausse.(Sj ! nu ciim fuge-o rlndurlca

    Fiig ca fulKeruI ce pioaSi ce duc voniic ducC.u urgic de hadiic.

    Ces quatre vers perdent naturellement dans la traduction non-seulement le mouvement vigoureux qu'il y a dans l'original, maisaussi leur harmonie imitative.

    GcetlK a dit avec raison :Wer ddi Dicliler will er>lelu'(iMiivs in Dichlcr lande nelien.

    Pour -

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    - 46 -Front contre front, poitrail contre poitrail, ils se

    heurtent tous la fois, et la valle retentit du bruit dece choc terrible ; la lutte commence ! ils sont tous en-gags dans la mle, tous enivrs de l'odeur du sang.

    Hourra! frres! Les chevaux hennissent; Tair tin-celle au-dessus de leurs ttes ; hourra ! Voici la mortqui apparat dj parmi eux; voici le vautour qui s'estarrt dans son vol.

    Pendant toute la dure d'un long jour d't les bravesse frappent mort de leurs armes aiguises et de leurspoings amortis.

    Le sang coule flots sur la route, les voix s'teignentdans les gosiers. Dix combattants sont tombs ; deuxseuls restent encore debout : le beau Mihau et AndrPopa.

    Mais Andr a perdu un de ses bras dans la mle; ilfuit, saisit son cheval prs de la fontaine, saute dessus,suspend son corps la selle et dit :

    Vole comme le vent, mon coursier rapide ! ar-rache-moi aux tourments cruels, je jure de te soignercomme un frre si tu parviens me sauver.

    Le coursier lger s'lance... mais en vain ! car Mihaules a aperus et s'crie : Attends un peu, brigand deprtre; je veux l'apprendre qui je suis...

    Il dit, tend son fusil et envoie une balle dans le frontdu brigand. Hourra ! du haut des nuages le vautour apouss trois fois des cris de joie.lire dans l'original ; pour comprendre ce que le Rouman attached'ide de suavit dans le mot Dona; pour sentir ce qui se passedans l'me du pote en prsence de cette belle nature qu'il a clian-te, dans ses Adieux la Moldavie, dans son Retour an Pays, ilfaut, comme le dit Goethe, aller dans le pays du pote.

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    /.7

    \ IN

    GROZA LE BRIGAND

    Ple comme le cierge qui brlait b. sa lte, Groza lebrigand gisait sur une vieille planche au seuil de laprison ; il dormait du sommeil ternel et personne aumonde ne versait une larme sur sa mort.La foule rassemble autour de lui regardait son

    cadavre avec un sentiment de tristesse; parfois desfrissons de terreur semblaient parcourir cette foule ;d'aucuns faisaient le signe de la croix; d'autres frap-ps de surprise, la main colle sur leurs joues, mur-muraient :

    Est-ce bien l ce Groza si clbre dans tout le(( pays, ce brigand si altr de sang? Est-ce bien lui,(( Groza, cette bte froce qui, sans peur pour le noir(( pch, a dtruit tant et de si belles existences ; lui

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    ~ /,8 -main glace du brigand, aprs avoir fait un nouveausigne de croix, il laissa couler quelques larmes sur sesjoues et parla ainsi la foule :

    Braves gens! l'hiver dernier ma pauvre et chlive(( maison devint la proie des flammes, ma femme et(( mes enfants rests sans asile tremblaient de froid au(( milieu des champs, je n'avais ni de quoi les nourrir,(( ni de quoi les mettre l'abri. Hlas! j'tais dans le(( dsespoir, je me sentais mourir.

    Je n'attendais plus rien de la misricorde du ciel(( et j'appelais la mort mon secours, lorsque soudain(( cet homme-ci (que Dieu veuille avoir son me), ce(( chrtien apparut au sommet de la colline sur un che-f( val blanc comme l'hiver, et, s' arrtant devant moi :

    (( Ne pleure pas. Roumain, me dit-il, sois sans inqui- tude et ranime ton cur. Tiens, voici de quoi ache-(( ter du pain et des vtements pour les tiens ; voici de(( quoi t' acheter aussi une maison ! A dater de ce jour,(( braves gens! mes enfants ne cessent de bnir sonu nom, car dater de ce jour ils vivent l'abri de la(( misre. A ces mots, le vieillard dposa un nouveau baiser

    sur le front du brigand, et appuy sur son bton noueuxil s'loigna en soupirant, tandis que la foule pntred'un sentiment de regret s'cria tumultueusement ;c( Que Dieu remette ses pchs au brigand Groza !

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    IX

    LA SOURCE ENCHANTE

    Au fond de la valle, taient deux jeunes filles c'iblan-cliir de la laine; elles lavaient, elles riaient et causaientainsi prs de la source :

    (( Quand le vent du soir souillera travers les champsde seigle, nous prononcerons trois fois l'exorcisme mys-trieux ; puis nous regarderons au fond de la source.

    '( Et notre prire exauce, nous verrons comme dansun miroir si nous aurons des destines heureuses et desfiancs jeunes et beaux. Sitt que le vent du soir souilla travers les champsde seigle, les jeunes filles prononcrent trois fois leurexorcisme et regardrent au fond de la source.

    Et tout cl coup, sur la surface limpide de l'eau, ellesaperurent en souriant deux images flottant comme travers un rve matinal.

    Ces deux images taient blondes; elles avaient de

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    50 grands yeux pleins de flamme, elles se mouvaient, sebalanaient gracieusement, et souriaient aux jeunesfilles.

    Mais voici que tout coup deux nouvelles images ap-parurent la surface de l'eau, comme travers un rvematinal, deux images belles voir.

    Cependant ces nouvelles ombres n'taient pas, ainsique les premires, blanches comme la fleur des lis, et-douces comme l'azur du ciel. ^

    Elles taient au contraire hles par le vent; ellesavaient des cheveux noirs, de larges sourcils et desyeux de vautour aux regards audacieux.

    Vois donc, ma sur, quelle merveille, s'crirentfollement les jeunes filles : voici les images de nosfiancs, ah ! qu'ils sont beaux voir !

    (( Regarde ; ne dirait-on pas que ces ombres muettesdsirent nous embrasser? Regarde comme elles tendentleurs bras... Fuis, ma sur, sauve-toi....

    Mais elles n'avaient pas achev que dj, sur leursfronts et sur leurs cheveux, je ne sais qui avait dposde doux baisers. .

    Depuis ce jour, les deux jeunes filles ne vont plusblanchir de la laine la source du vallon, car mainte-nant elles passent leur vie dans les forts sur les grandesroutes.Maintenant elles savent comment on lance une balle l'ennemi, et souvent elles ont vu comment se sauventles Albanais devant les brigands.

    Car depuis que sur leurs fronts et sur leurs cheveuxelles ont reu de doux baisers, les chres enfants ontsuivi dans les forts profondes.

    Deux braves aux larges sourcils, la figure hle par

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    51 le vent, eL aux yeux de vautour qui lancent des regardsaudacieux.

    LA CROIX ABANDONNEou LE SRIGO (vampire)

    Au fond de ce vaste prcipice o le vent en fureursouflle ternellement, vois-tu une croix abandonne quiest sans cesse agite par la rafale ?

    L'herbe ne crot pas tout autour, et jamais aucunoiseau n'arrte son vol pour se poser son sommet,car on entend sous terre gmir en tout temps une voixlamentable, une voix effrayante !

    L-bas, pendant l'obscurit de la nuit, on voit desmilliers de feux follets luire et voltiger mystrieuse-ment, et tout h coup, leurs ples lueurs, apparat unfantme qui blasphme.

    Voyageur infortun, fuis loin de ce sentier maudit siton cheval est de race, car sous la croix de cette tombeo la paix ne descend jamais, gt un vampire soli-taire !

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    52 Jadis, par une nuit obscure, de doux chuchottements

    d'amour flottaient mystrieusement dans l'air; deuxombres tendrement embrasses erraient dans la valleet parlaient d'amour ternel.

    Tandis que sur le sommet d'une colline lointaine onvoyait peine se mouvoir, aux ples reflets des toiles,un blanc coursier enfant par le vent , sa crinire taittout hrisse, et ses sabots lgers marquaient des tracessur le sol.

    (( Ne pars pas, non, mon ami, disait la tendre jeunefille d'une voix mue et les yeux pleins de larmes. Oh !je t'en conjure au nom de la sainte croix, reste auprsde moi, mon bien-aim; ne t'loignes pas !... Mais lejeune homme ne rpondit pas....

    Il prit sa matresse dans ses bras, la pressa ardem-ment sur son cur, lui donna un doux baiser, puiss'loignant rapidement et s'lanant avec joie sur soncoursier de guerre il disparut dans l'obscurit.

    Qui ose courir ainsi au sein de la nuit comme unesprit de tempte? qui fuit ainsi, la douzime heurenocturne ? C'est un cheval blanc avec son matre.

    Le vent souffle et gmit, le cheval s'lance brave-ment et dpasse le vent dans sa course Mais voici,'voici qu' travers les vapeurs de la plaine apparaissenttout coup des milliers de feux follets.Ces lueurs trompeuses volent et s'loignent ; le che-val vole galement et les poursuit ; mais chaque pas,il approche rapidement du prcipice Arrte, ar-rte!.... Du haut des rochers ils tombent ensemble,cheval et cavalier, dans le gouffre immense !....

    Et depuis, on entend au fond de ce gouffre des g-missements et des blasphmes impies que le vent de la

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    nuit otupoile; o\ depuis il apjtiiriil souveiil un laiilinchorrible (|ui sort du tombeau.

    XI

    L'HEURE TATALEPar le veisanl de la montagne passe une belle arme.

    \ine arme de Romains. Ce sont des braves d'lite quivont combattre des hordes de paens,

    Tandis que du sommet d'une verte colline qui se perdparmi les grandes montagnes, deux jeunes fdles, deuxsurs, blanches fleurs de muguet, les suivent de leursregards et de leurs regrets.

    (( Vois-tu, ma sur, l'arme descendre l-bas sur leversant ? les vois-tu , nos braves montagnards, pn-trer l-bas dans la fort de chnes , et disparatre lesuns aprs les autres?

    (( Hlas ! on ne les aperoit plus ! qui pourra croii'eil mes terreurs... car cette arme est commande parmon vieux pre et par mon jeune amant.

    Ils s'en vont dans la valle, o le pays gmit am-rement, et se dbat sous le glaive du Tatare froce.u Ils descLHident aux pieds des montagnes, arms de

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    - 54 -leurs glaives nus , et crois-moi , petite sur, il y aurabien du sang de vers dans les hordes ennemies.

    Car notre vieux pre est impitoyable pour lespaens, quand il se prcipite dans la mle ; notre preest un Romain fort et vaillant comme le prince tienne-le-Grand, et il a du bonheur au sein des combats.

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    - 53 la vie des heures favorables el des heures fatales. Mal-heur ceux, malheur h celles qui prononcent des vuxdans une heure fatale !

    \nLA STRUNGA

    Dans la fort de Strunga, il est des brigands auxlongs fusils, qui se jettent furieux sur la bourse desvoyageurs.

    Brigands terribles, enfants de mres folles, qui tirentsur la lune elle-mme, et qui savent si bien faire chan-ter la feuille des arbres pendant la nuit (').

    Pauvre passant chrtien ! carte-toi de cette routefatale, si tu veux terminer ton voyage sans malheuret sauver le reste de tes jours.

    Lti, dans un fourr que le soleil n'claire jamais, les

    (') Les habitants de la Romanie ont un talent admirable pourfaire chanter les feuilles de certains arbres ; ils les placent entreleurs lvres et leur impriment des vibrations qui produisent desmlodie? foui fait (trangi-s

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    56 mcrants te guettent pour te dpouiller et t'arracherla vie !

    Vois-tu cette faible lueur dans la clairire voisine t)iil'on entend la chouette gmir lugubrement?L se tiennent huit hommes intrpides, aux larges

    paules, aux manches retrousses et aux carabinescharges.

    Trois d'entre eux embrassent une sainte croix; troisautres se livrent aux plaisirs de la lutte ; l'un boit, etle dernier chante ainsi :

    Oh ! Cioko, charg de richesses, que ne passes-tu dans ces lieux pour tes pchs je te logeraissi volontiers deux balles entre les paules !

    (( Oh ! la jolie fille ! que ne diriges-tu tes pas versce fourr mystrieux j'ajouterais de si bon cur unnouvel clat ta beaut !

    (( Car mon fusil est greff d'une bonne dose depoudre, ma massue est tout hrisse de pointes aigui-ses, et mon cur est mordu par le dsir.

    (( Oh ! toi, le massacreur de vieilles femmes, qui esde garde en ce moment, que ne siffles-tu plus tt pournous donner le signal du combat?

    (' Mon brave fusil prend de la rouille ; les pointes dema massue s'moussent, et mon coursier bai piaffe ethennit d'impatience.

    (( Dans la fort de Slrunga, quoi servent les longsfusils si Ton manque de voyageurs la bourse biengarnie !

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    Ml I

    FET-LOGOFETC

    Fet-Logofet, aux boucles ondoyantes, aux. clie-veux dors , arrte ici pour te reposer, car le dragonnoir te guette l-liaut sur la montagne. charmante jeune fille , aux longues tresses, kla riche ceinture ! je ne crains pas le dragon noir, carmon bras est fort et lourde ma massue. Hardi jeune homme , la figure si douce et auxyeux de flammes ! le dragon est norme , il est sanspiti aussi.... Ah ! reste ici, de grce. Bel ange des toiles, aux yeux noirs comme lefruit de l'aubpine , au front blanc comme le lis ! tous

    les dragons de la terre tremblent et s'iiumilient monnom. Hros jeune et clbre , au casque rayonnant ! ledragon enjambe les plus hautes montagnes, et, (piand

    (') Persoiinap' faiila^ii

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    58 il ouvre ses mchoires, de l'une il touche le ciel, et del'autre la terre. Oiseau des montagnes la couronne de fleurs !lorsque mon coursier s'lance , il saute par dessus lesmers et vole parmi les nuages. Fet-Logofet , aux boucles luisantes , la voixdivine ! ne t'loignes pas d'ici , ne t'loignes pas, monbrave chri, car moi je t'aime en mourir. charmante jeune fdle, aux longues tresses d'-bne , au sein vierge ! pour ton amour, je veux ac-qurir de la gloire ou mourir !

    XIV

    LA HORA

    Voici la hora qui commence au pied du grand chne ;voici la hora qui tournoie ; viens , ma bien-aime, prsde moi, afin que je puisse te serrer la main, Marie Ma-rioutza, comme hier au soir, la fontaine.

    Allons, fais bien rsonner ta kobsa (i), noir esprit

    {') Espce de mandoline huit cordes.

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    (If teneur, laiiline ilc l'enfer (), si lu ne veux que jechange tes paules on kobsa , el que tes cheveux sehrissent sous mes doigts. Allons, toi , le Fer-Rouge,toi le Long-Jub (-), appuie ferme avec l'archet, carje possde ton intention une grosse massue l-bascontre la haie, el beaucoup de pices de monnaie dansla bourse pendue ma ceinture.En avant, ferme, ainsi toujours jusqu'au soir, car ma

    bien-aime, Marie Marioutza, est belle comme un beaujour de printemps ; ferme , mes amis , dansez brave-ment, toujours ainsi : ne me faites pas rougir pourvous , car la jolie petite bouche qui me sourit avecamour m'a mis le diable au corps.

    J'ai orn mon chapeau de Heurs, je l'ai orn de fleurset de perles, afin que ma bien-aime me regarde avecorgueil ; ma chemise est brode d'or et de soie ; monfusil est l sur mon paule, ma mie est ici prs de moi,nargue des soucis et des craintes !

    Je ne redoute plus rien au monde, ni le vornik (s),ni le Diable, ni mme Satan, le pre des esprits infer-naux -. . . . Amis, faites comme moi, dansons ferme.Frappons ensemble le sol en cadence ; faisons-le re-tentir jusque dans ses profondeurs pour tonner lemonde entier, et jusqu' Dieu, le saint Seigneur.Je suis las des lourdes contributions, et de la charrue,et de la pelle, et des Cioko, et des corves sans nom-

    (') Sobriquets donns par le peuple aux Tzigani; en gnral,les musiciens laulari sont Tzigains.

    (2) Les lautari portent le fez grec sur la tte ot sont couvertsd'une longue robe appele yA^'.

    Paysan lu par le village pour prlever les contributions.

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    60 bre. Aujourd'hui, c'est grand'fte; les balanoires tour-nent , charges de jeunes filles ; ah ! que ma sandalegrise se dchire sous mes pieds, et puiss-je mourir endansant avec toi , Marie Marioutza ?

    XV

    LE SYLPHE(s BU RAT ORUL)

    (( Ma petite sur bien-aime, ne connais-tu pas cettechanson du pays qui dit qu' l'heure o les rayons dujour se retirent travers les feuilles, le sylphe se jette la poursuite des jeunes filles qui viennent cueillir desfraises dans le bois et qui portent comme toi des fleurssur leur sein?

    Ce charmant lutin de sa main invisible leur voleles fraises, puis il les embrasse et les mord lgrementsur le front et sur la bouche. Ma sur, ta lvre estmordue ; ma sur, o sont les fraises que lu as cueillies !Dis, n'aurais-tu point rencontr le sylphe au fond dubois sombre?

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    - Gl .Ma [H'AUt sur bien-aime, la chanson du paysajoute que le sylphe aime galement Iuliner dansl'ombre paisse les jeunes fdles innocentes et blanchesfpii viennent cueillir des violettes dans le bois, et quiportent sur la gorge, ainsi que toi, de beaux colliers deperles.

    (( Ce charmant lutin leur brise les colliers dans sonbadinage caressant, et h la place de chaque perle il d-pose un doux baiser. iMa sur, ton collier est bris;ma sur, o sont tes perles? Dis, n'aurais-tu point ren-contr le sylphe au sein du bois sombre?

    Ainsi les deux jeunes et jolies fdles se taquinaient encourant gaiement sur le mme sentier, tandis qu'il lalisire du bois, deux jeunes gens aux cheveux noirs atla-chaient ri?rement, Tun un bouquet de (leurs k son cha-peau, l'autre un collier de perles

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    Pauvre Tatare, quitte le rivage,Ne cherche pas passer le Dniester.Car, par le signe sacr de la croix,De vous deux, en de de la frontire.On ne retrouvera pas mme la trace...Pauvre Tatare, pauvre Tatare !

    Pauvre Tatare, laisse-nous en paix ;Pauvre Tatare, arrte, ne passe pas ;Pauvre Tatare, ne me force pasDe te briser la tte en dix morceaux ;Car, du haut de cette colline,Si je lanais ma grande massue,Vrai Dieu ! je pleurerais de piti sur ton sort.Pauvre Tatare, pauvre Tatare !

    Pauvre Tatare, o est ton glaive?Pauvre Tatare, o donc ton cheval ?Pauvre Tatare, o donc ton orgueil ?Ne t'ai-je pas dit de rester sur ton rivage?H! ne savais-tu pas, mon voisin.Ce qu'est le Roumain en colre?...Les corbeaux te divorent maintenant,Pauvre Tatare, pauvre Tatare !

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    XVII

    CINEL-CINEL

    L berger dit ci la jeune fille assise prs de lui : Cinel-Cinell

    (( Deux toiles aux doux rayons ont abandonn le cielplein de lumires divines et sont venues s'attacher tonfront.... Devine, ma toute chrie, ou, sinon, je les em-brasse.

    Elle ne devina pas de suite, l'innocente enfant, etelle fut doucement embrasse sur les yeux.

    Le berger dit encore la tendre jeune fille assiseprs de lui : Cinel!

    (( Quand elle est ferme, on voit une belle fleur rose;et sitt qu'elle s'ouvre, on aperoit des fleurs de muguet.Cette merveille a pris naissance sur ta figure.... Devine,ma toute chrie, ou, sinon, je t'embrasse.

    Elle ne devina pas de suite, la joyeuse enfant, et ellefut doucement embrasse sur la bouche.

    Le berger dit de nouveau h la belle jeune fille assiseprs de lui : Cinel I

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    ^k - Blanches et rondes, deux petites ailes s'lancenl

    continuellement comme pour s'envoler au ciel, mais toilu les retiens captives la place o elles ont pouss....Devine, ma toute chrie, ou, sinon, je les embrasse.

    Elle ne devina pas tout de suite, la rose enfant, et ellefut doucement embrasse sur les seins.

    xvri

    LA JOLIE FILLE DES MONTAGNES

    Montagnarde, jeune et belle, que ne passes-tu leruisseau pour que je puisse te presser tendrement surmon cur.... Vrai Dieu! je te ferais quitter pour tou-jours la maison de ton pre et oublier tout, jusqu'auSeigneur Dieu lui-mme.N'es-tu point lasse de toujours filer devant ta porte !jette ta quenouille dans les hautes herbes et saute lg-rement par dessus le ruisseau, afin que nous allionscueillir ensemble, toi des fraises dans la prairie, et moides fleurs sur ton beau sein.

    Ici tout prs, dans le bois couvert de feuilles vertes^il est une herbe abondante et fleurie qui lutine un petit

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    - Gj -niissoau ; viens l'asseoir avec moi sur l'iiei-be, jeuneet belle montagnarde; viens, je chanterai pour toi une(Utna, (Idiiil/.a. qui le leionl verser de douces larmesd'amour.

    xrx

    LE DORU

    Vil ! le doru s'est empai de moi, cher ange aux douxregards; le doru me iait verser des larmes amres pen-ilant que je tiens mes yeux fixs sur ta route.

    Jour et nuit mon cur souflVant te cherche, et mavoix t'appelle sans cesse nuit et jour.

    Cher trsor, douce bien-aime, o est ton visageador? o est ta voix j)ntrante? o donc es-tu, amie,o donc es-tu?

    Ah! si le ciel m'aimait un peu, il me rendrait tonsourire ; si le ciel avait piti de mes souffrances, il merendrait tes doux baisers.

    iMais, hlas ! le temps passe ; les journes, les sicless'coulent sans que mes yeux levoienl la lumire, sansque ma douleur se calme.

    G.

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    66 Le doru brle la fleur de la jeunesse comme un soleil

    ardent ; le doru dessche et fltrit le cur qui en estatteint.

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    DOINA D'AMOUR

    La fort soupire, la fort gmit pour un jeune petitchevreuil. Hlas! mon pauvre cur gmit et soupirecomme elle, pour une blonde jeune fille.La feuille crot, la feuille tombe, et plus de chevreuil

    pour la ronger de ses dents ! Hlas ! que vais-je devenir!le doru s'est empar de mon cur et le fait gmir sanscesse.

    mon cur! sois rsign, comme la terre sous lespieds des hommes, jusqu' ce que la blonde jeune filleet le petit chevreuil reviennent la fort.

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    LA FE DES MONTAGNESLEGENDE ROUMAINE

    A MADAME LA PRINCESI

    Au beau pays de Moldavie, la vie est douce et joyeuse ;aux doux rayons du soleil de la Moldavie, les fleurss'entrelacent amoureusement. L, bien des oiseaux auxchants mlodieux ravissent l'esprit de celui qui lescoute ; bien des jeunes fdles et des jeunes femmes ra-vissent le cur de celui qui les regarde.

    Mais dusses-tu parcourir le monde, mon frre !pendant le cours de neuf annes claires constammentpar le soleil ; dusses-tu aller dans la montagne parmi

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    G8 les montagnards et descendre dans la valle parmi leshabitants de la plaine ; dusses-tu traverser neuf grandspays et franchir neuf ocans immenses, tu ne trouve-rais pas de fleur, pas d'oiseau, pas de jeune femmecharmante, pas d'adorable jeune fdle qui puisse secomparer Mariora Floriora, la fe des montagnes.

    Elle tait blanche comme la fleur argente du mu-guet, douce comme le printemps, svelte et gracieusecomme le petit du chevreuil. Sa taille flexible passeraitdans une bague. Elle n'tait ni grande ni petite, maiselle possdait des trsors de beaut, des promesses devoluptueux bonheur, et semblait moule exprs pourles treintes passionnes de l'amour.

    Ses yeux rpandaient la joie dans le monde ; sa che-velure dore et fine comme de la soie attiraient irr-sistiblement les regards et brillaient sur son front enmolles ondulations pareilles aux ondulations des pisdors quand le vent souffle dans les gurets.

    Et puis, mon frre ! elle portait une fleur rose surles lvres, et sa bouche tait un crin de blanchesperles, et sa figure un bouquet de mille charmesattrayants. Elle possdait en outre deux beaux lis cou-ronns chacun d'une fraise vermeille, si blancs tousdeux, si divins qu'on aurait donn volontiers sa viepour les caresser une seule fois.

    Lorsque la jeune fe se montrait dans la plaine, lesfleurs s'animaient gament, se balanaient avec amourdevant elle en exhalant les parfums cachs dans leurscalices et lui parlaient ainsi :

    Sois la bienvenue, chre petite sur, Mariora Flo-riora. Dis-nous ce que tu veux; confie-nous tes dsirs.Veux- tu des parfums de Sulcia, qui ont le don de

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    09 calmer les passions ardentes? Dsires-Ui des parfumsde basilic dont le pouvoir mystrieux attire les amants?Veux-tu des parfums de muguet qui font rver d'amour?

    (( Cueilles-nous, sur chrie ! pour nous enlacerdans les cheveux et pour nous cacher dans ton sein.Nous serions si heureuses de caresser les bouclessoyeuses, et de leiminer notre destine sur Ion beausein ! Mariora se rendait leurs vux ; elle se plaait surriierbe cl d'elles, les caressait doucement, leurdonnait de doux baisers, puis les mlait ses cheveuxet s'en parait si gracieusement que les passants, mus son aspect, s'arrtaient en disant : a Voici la fe, lasur chrie des fleurs! >

    Lorsqu'elle allait visiter les montagnes, les vieuxCarpaihes rajeunissaient tout h. coup ; ils se couvraientde mousse verte, ils puraient le cristal de leurs sources,ils veillaient les oiseaux de leurs forts et disaient lajeune fe :

    (( Salut toi, belle Mariora Floriora ! Dis-nous ceque lu veux ; confie-nous tes dsirs. Veux-tu de l'eaupure et cristalline pour rafrachir ta figure gracieuse?Dsires-tu jouer avec les petits des chevreuils, ou bienentendre le chant des oiseaux harmonieux? Veux-tugoter le miel de nos abeilles et connatre le charme denos donas d'amour ?

    La fe se rendait h leurs vux. Elle s'asseyait auxbords des ruisseaux murmurants; elle plongeait safigure gracieuse dans le frais cristal de l'onde; ellegotait le miel parfum des abeilles; elle jouait avecles petits des chevreuils, et son cur tait ravi par leschants des oiseaux qui voltigeaient sur la rime des

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    70 arbres, el par la douce mlodie des donas qui rson-naient au fond des forts.

    Partout o elle apparaissait, les douces parolesallaient sa rencontre, et elle traversait la vie commeune abeille dans un parterre de fleurs. Parfois, cepen-dant, elle s'arrtait pensive, le cur mu, car il luisemblait entendre une voix mystrieuse qui lui disait :Oh! chre Mariora Floriora! que tu es belle etgracieuse ! Que ton cur est joyeux ! Tu as ensorcel

    bien des esprits, tu as troubl bien des curs ! Mais as-tu pens dj, ou n'as-tu point pens qu'il est tempsd'aimer ton tour, car le Seigneur Dieu t'a donn deuxbeaux yeux pour clairer le monde, un sein voluptueuxpour tre caress, et des lvres charmantes pour trebaises ?

    Sais-tu, en outre, ou bien ne sais-tu point que tudois mourir et puis ressusciter dans un autre monde,et que tu auras rendre compte l-haut des trsorsque Dieu t'a mis dans le cur? Toutes les fleurs de laterre prennent le chemin de la tombe pour retournerau ciel ; mais la fleur du lac se tient aux portes du pa-radis, et demande ses surs ce qu'elles ont fait deleurs parfums ici-bas.

    Voil que, par une matine de soleil, Mariora fit larencontre d'un tranger mont sur un coursier sauvagedes montagnes, lequel tait marqu au front d'unetoile d'argent. Sitt qu'elle l'aperut, la jeune fes'arrta malgr elle en baissant les yeux devant lui ;

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    son cur ballait bien fort et ses joues se coloraient dedeux roses vermeilles.

    L'tranger s'arrta galement de son ct ; son curbattait aussi avec violence, tandis que le coursier hen-nissait firement, et de sa voix rveillait l'cho de lavalle.

    (( Salut toi, ma belle enfant. A toi salut, mon beau cavalier. Charmante enfant, ma bien-aime, dis-moi lavrit : es-tu la fille d'un empereur ou quelque beaurve que j'ai rv? Car, depuis que je suis dans maforce de jeune homme, j'ai parcouru bien des contres,j'ai franchi bien des frontires, j'ai caress bien desjeunes filles, mais je n'ai pas encore rencontr de parle monde une taille et des traits aussi gracieux que lestiens. Beau cavalier, si tu veux savoir qui je suis, de-mande-le aux fleurs, k mes surs chries. Ks-tu la fille des montagnes ou des plaines? Es-lude race humaine, ou bien dois-lu le jour quelquezmou fantastique? Beau cavalier, si tu veux savoir qui je suis, de-mande-le aux vieilles montagnes des Carpathes, auxruisseaux limpides, aux oiseaux harmonieux et auxpetits des chevreuils. Oh ! ravissante fleur de beaut ! tu es, sans nuldoute, la fe des montagnes, la sur chrie des fleurs,la douce compagne de l'aurore; tu es la fiance de monme, celle que ma bonne toile a promise mon cur.

    Floriora se troublait h ces mots, et cependant sonc

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    s'agitait violemment, tandis que le coursier hennissaiten bondissant dans la plaine.

    Voil que tout coup une jeune fille apparut auprsd'eux; elle portait un joyeux sourire sur les lvres, unebelle chemise brode sur les paules et des papillonsdors dans les cheveux.

    Cette charmante enfant des montagnes sortait d'unverger voisin o elle avait cueilli, pour les placer prsde son sein blanc comme la neige, de petits bouquetsde fleurs et de petites branches de cerisier couvertes deleurs fruits vermeils. Ses pieds effleuraient peinel'herbe de la plaine, et sa voix joyeuse chantait ainsi :

    (( Je porte sur mon sein un jardin de fleurs ravis-santes dont le parfum enivre et inspire l'amour.

    (( Dans ce jardin on trouve des fraises et des cerisesvermeilles, mais on ne peut les cueillir qu'en me don-nant sa vie en change.

    (( Bel tranger, ne veux-tu point goter de ces fruitsdlicieux pour rafrachir ton cur ?

    (( Regarde et dis s'il existe sous le soleil des fruitsaussi beaux, aussi doux que ceux que je porte sur monsein.

    Tout en chantant, la jeune fille s'arrta; sa maincarte innocemment les plis de sa chemise sur la poi-trine, et dcouvre les contours gracieux de sa gorge travers les bouquets de fleurs et les petites branchesde cerisier qu'elle y avait cachs.

    L'tranger en fut bloui; il tendit rapidement lamain pour toucher aux fruits, mais la fe arrta dansl'air cette main tmraire, et dit d'une voix mue :

    Oh ! ne cueilles par ces fruits offerts par la jeunefilie, car moi je possde un jardin beaucoup plus beau

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    et beaucoup plus riche; il est toi, je te le donnepour toujours; toi les fruits de mon jardin, k toi, lafleur de mon me.

    L'tranger, transport de joie ces mots, prit la fedans ses bras, la pressa tendrement sur son cur, etlui rpondit avec amour :

    (( Ah ! ds ce moment je mets un terme mes courses travers le monde, et j'attache mon cheval ta portepour me fixer auprs de toi et te consacrer toute mavie.

    Floriora l'coutait avec ivresse ; sa poitrine se sou-levait d'motion, son front se couvrait d'une aurolelumineuse et ses yeux nageaient dans des larmes debonheur, pendant que le coursier hennissait douce-ment et livrait sa crinire aux caresses de la charmantefe des montagnes.

    III

    Les ombres de la nuit Vtendaient sur le monde etl'enveloppaient de mystre, lorsque apparut soudainau sommet de la montagne un point lumineux qui gran-dit lentement et prit la forme du soleil nocturne;c'tait la lune elle-mme, douce et radieuse commele front d'une heureuse fiance.

    Elle s'arrta un instant ci Thorizon pour regarder aufond de la plaine silencieuse deux ombres qui s'em-brassaient avec amour et qui oubliaient le monde ausein de leur enivrement. La lune prit un plus douxclat cette vue et fit signe aux toiles de la suivre;soudain les astres lumineux se montrrent au sommet

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    - 7/j -de la montagne et fixrent leurs regards sur les deuxombres bienheureuses.

    Mais l'heure de minuit, ces ombres disparurentcomme par enchantement; alors la lune, poursuivantsa course dans le ciel, dclina lentement derrire lescimes des Carpathes. pendant que les toiles, brillantd'un plus vif clat, se parlaient ainsi :

    (( Fleurs errantes et lumineuses, avez-vous vu de vosyeux, l-bas sur la terre silencieuse, avez-vous vu lafe des montagnes aux bras de son amant? Elle avait sibien oubli le monde dans l'extase de son amour,qu'elle ne nous a pas mme aperues,

    (( Oii donc se sont cachs nos deux amants? Voulez-vous, mes surs, qne nous allions les dcouvrir? Mon-tons un peu plus haut dans le ciel, du ct de l'occident,et passons devant la petite fentre de celte chaumireperdue l-bas dans la plaine.

    Les toiles prirent gaiement leur vole dans le ciel,se dirigrent vers l'occident, s'arrtrent en face de lapetite fentre, et leurs regards pntrrent dans l'int-rieur de la chaumire. Ce qu'elles y virent, nul ne lesait; mais tout coup elles brillrent d'un clat ardent,puis elles s'loignrent dans l'espace en entrelaantamoureusement leurs rayons.Aux premiers rayons de l'aurore, lorsque les oiseauxcommencent chanter, la fe s'veilla comme d'un rve

    aux bras de son amant qui la pressait tendrement surson cur et lui donnait de doux baisers, tantt sur sesjoues roses, tantt sur ses lvres vermeilles, tantt surles ondulations de ses cheveux dors, tantt sur les di-vins contours de son beau sein.

    Heureux amant ! il nageait dans une voluptueuse

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    extase en aclniiiuiil sa ravissaiile matresse, et lui disait :(( Oh ! ma bicii-aimc Floriora, ma blanche colombe,que tu es belle clans l'enivrement de l'amour! Oh ! resteencore l, prs de moi, afin que j'admire toujours etque je caresse ta chevelure soyeuse et que je te donnetoute mon me dans mon dernier baiser. La fe l'coutait avec des larmes dans les yeux, puis

    elle riait comme un enfant, s'loignait, se rapprochaitde son ajiiant comme un papillon voltigeant autour d'unefleur; tantt elle cachait sa gracieuse figure dans sescheveux, tantt elle la montrait souriante k travers sesboucles dores, tantt elle chantait gaiement comme unoiseau.

    Tout coup cependant elle s'arrta, fit un signe mys-trieux dans l'air, et soudain apparut une table riche-ment orne et couverte d'un voile brod d'or. A sa vueles deux, amants se rjouirent follement; ils y prirentdeux verres et portrent un toast k leur bonheur endisant :

    u A nous l'amour et la vie ! jouissons de la jeunesse,de la beaut et des trsors que Dieu a mis dans noscurs.

    IVLe lendemain Floriora se couvrit de ses plus beaux

    ornements et sortit de la chaumire la lumire dusoleil; elle fit un nouveau signe mystrieux dans les airset soudain s'avana vers elle un char lger et mignoncomme le nid d'une fe. Les deux amants y montrent,et Floriora s'adressant au coursier, lui dit : Mon beaucoursier la robe frise, lve ta crinire au vent et ton

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    ombre la terre, et vole la surface de la plaine avecla vitesse du vol de la pense ! Le coursier hennit et s'lana avec une telle rapiditque son ombre elle-mme ne pouvait le suivre ; il tra-

    versa les vastes champs tout le long des Carpathes.Mais quand les montagnes la virent assise ct d'untranger, elles desschrent les feuilles de leurs forts,elles troublrent le cristal de leurs sources, elles touf-frent la voix de leurs oiseaux.

    Et lorsque les fleurs aperurent leur jeune reine ct de l'tranger, elles penchrent tristement leursfronts vers la terre, se couvrirent de larmes, tremblrentsur leurs tiges comme l'approche d'un orage et dp-rirent toutes en un clin d'il. Cependant Floriora nelegardait plus ni les montagnes ni les fleurs, car ellen'avait des yeux, elle n'avait du cur que pour sonamant.

    Le coursier fuyant rapidement s'arrta au bord d'unclair ruisseau, et Floriora, sautant lgrement de sonchar, se plongea dans les ondes ; la source limpide enfrmit de joie et enveloppa le corps de la fe d'unvoile transparent. Les flots murmuraient gaiement au-tour d'elle, glissaient sur ses paules, la beraientcomme une fleur, et attachaient des guirlandes de dia-mants liquides ses cheveux, des colliers de perles sagorge.

    Enfin elle sortit radieuse du sein des flots et parutaux rayons du soleil dans toute sa divine beaut. L'astredu jour s'arrta dans le ciel en la voyant, couronna sonfront d'une aurole de rayons dors et ses lvres ar-dentes absorbrent les gouttes brillantes qui couvraientle corps de Floriora ; cette rose parfume monta en

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    lger nuage vers le ciel pendant que la voix du soleildescendait sur la terre pour dire

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    78 amant d'une voix affaiblie : (( Chanle-nioi, ta dona, mon bien-aim ! pour que mon me se rveille ladouce voix.

    L'tranger prit la fe dans ses bras, et pendant qu'illa berait comme un enfant, sa voix chantait ainsi :

    (( Ma jeunesse a fleuri comme la violette des bois de-puis le jour oi^i ma belle matresse, pareille une toile,a brill l'horizon de ma vie.

    Cher astre de mon cur, astre charmant d'amour,oublie le ciel pour moi ; j'oublierai la terre pour toi. )>

    Tout coup son chant fut interrompu par les crisdchirants d'une mre qui avait perdu son enfant ;cette voix douloureuse s'levait du sein du village ets'unissait dans les airs aux sons lugubres d'une cloche.A ces cris de dsespoir, cette harmonie funbre,le cur de Floriora fut pntr d'un sentiment trangede tristesse ml d'effroi; elle jeta ses regards autourd'elle, les dirigea du ct des montagnes, et plissanttout coup, elle courut se rfugier dans les bras de sonamant :

    (( Oh ! mon ami, dit-elle, ne vois-tu pas venir leZmou des montagnes? Le voici, le voici qui arrivepour m'enlever toi ; c'est le seigneur Dieu qui l'envoie,car depuis que je t'ai donn mon amour, les fleurs dela plaine ont dpri et sont alles se plaindre au cielde mon abandon. On voyait en effet s'avancer du ct des montagnes

    un Zmou port par un nuage noir qui s'tendait rapi-dement sur l'azur du ciel ; la nature frmit, les curstremblrent et l'orage clata. Au milieu du fracas dutonnerre, la pluie tombait torrents, le vent mugissaitet brisait les arbres.

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    7U -^\ln long clair siikiima l'espace cl soiidaii), ii sa lueur

    blafarde, la main invisible du Ziik'^ou enleva la jeunefe des bras de son amant Puis toul disparut, lenuage s'elfara, et l'azur cleste brilla dans toute sasplendeur au dessus de la terre.

    VIO donc est Mariora Floriora, la charmante fe, la

    sur chrie des fleurs, la douce compagne de l'aurore?dans quelle contre a-t-elle migr ! sur quels rivagesa-t-elle arrt ses pas? A-t-elle travers neuf grandspays et franchi neuf ocans immenses? s'est-elle envoledans la rgion des toiles, au beau pays des fes? Nulne le sait, nul ne pourrait dire o se trouve en ce mo-ment la douce merveille.

    Mais l'heure de minuit, lorsque la lune est moitide sa course, on entend d'tranges chuchottementsvenir des montagnes et une voix mlancolique chanterainsi :

    (( Fleurs de muguet, fleurs du printemps, mon curest aussi pur que vos blancs calices ; mais, hlas ! chaquesouille du vent y fait natre un brlant regret :

    Est-ce le vent dlicieux du printemps? Il m'apportele regret du beau pays de Moldavie.

    (( Le vent soullle-t-il travers les fleurs? il m'apportele regret de mes surs chries.

    (( Souflle-t-il h travers les chnes? il m'apporte leregret de mon bien-aim.

    (( Oh ! mon doux ami, combien mon cur gmit am-rement de ton absence ; viens, accours auprs de moi ;viens m'apporter ton amour, car la solitude est bien

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    80 cruelle et la vie est bien amre loin du pays natal !

    (( Oh ! mon bien-aim, cher fianc de mon me,coute la voix de mon cur qui l'appelle sans cesse,car le vent dlicieux du printemps me fait rver mapatrie, et le vent qui souffle travers les fleurs me rap-pelle mes sur