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Thématique 5 Une œuvre, sa lecture John Valadez Convertible Operas/Cinema Deudeuche Né en 1951 à Los Angeles, John Valadez émerge sur la scène californienne dans les années 1970, au sein d’un collectif de quatre artistes qui s’auto-‐dénomme Los Four, en hommage et référence aux « Tres Grandes », muralistes mexicains Diego Rivera, David Alfaro Siqueiros et Jos. Clemente Orozco. L’art est alors avant tout une arme politique, les artistes chicanos s’inscrivent collectivement dans un vaste mouvement en faveur de l’égalité et des droits civiques. À Highland Park, au nord-‐est de Los Angeles, Valadez monte avec d’autres un Centro de Arte Publico (« centre d’art public ») où le travail naît d’une forte émulation collective entre artistes et habitants, et qui accorde une large place aux créatrices chicanas. Valadez y réalise ses premiers dessins à taille humaine de cholos et de homegirls, ces deux figures emblématiques des barrios, mais aussi des gangs latinos. Dans les années 1980, John Valadez s’émancipe progressivement des projets collectifs et suit sa propre voie : il procède par reportages photographiques et s’inspire des techniques de l’hyperréalisme pour produire une œuvre singulière. Fortement marquées par les références à cette ville-‐tentacule qu’est Los Angeles, les peintures de Valadez dénoncent l’ultra violence de la vie urbaine et moquent le rouleau compresseur de l’American way of life. Artiste de renommée internationale, Valadez est particulièrement reconnu pour ses extraordinaires murals, ces vastes fresques dont il reçoit régulièrement commande, en Californie comme ailleurs aux Etats-‐Unis. Il est aujourd’hui représenté dans une quinzaine de musées américains et mexicains, et a récemment fait l’objet d’une rétrospective au Musée d’art contemporain de San Diego et au Vincent Price Art Museum de Los Angeles.
John Valadez dans son atelier Los Angeles, Septembre 2013
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La résidence au musée d’Aquitaine
L’association des Amis du Musée d’Aquitaine a convié John Valadez à réaliser in situ un mural, en introduction à l’exposition Chicano Dream. Accueilli fin mai 2014 en résidence à Bordeaux et aidé de deux assistants Laurent Bastide et Florence Héry, l’artiste a disposé de cinq semaines pour finaliser une œuvre monumentale d’environ 8 x 4,50 mètres, qui est maintenant exposée sur la façade du musée. A l’issue de l’exposition, la fresque de John Valadez sera déposée puis réinstallée dans un espace public pérenne, choisi en concertation avec la Mairie de Bordeaux. L’œuvre, Convertible Operas/Cinema Deudeuche John Valadez s’inspire du monde dans lequel il vit, c’est un artiste chicano qui observe et témoigne de la culture et de la vie de la communauté locale donnant ainsi une dimension politique à ses œuvres dynamiques et colorées. Si son hyperréalisme a été comparé à celui de Richard Estes, photo-‐réaliste qui documenta la ville avec une grande précision dans les années 70, John Valadez dépasse la seule observation et peint avec réalisme des images recomposées et des sujets recréés par son imagination où il distille un sentiment d‘étrangeté, une tension dramatique.
© Lysiane Gauthier, Mairie de Bordeaux
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Ces premiers clichés illustrent la démarche de l’artiste. L’observation des différentes phases du travail de John Valadez permet de mieux comprendre sa technique et l’utilisation de son répertoire de modèles. Les photographies des différents éléments sont projetées sur les toiles enduites de gesso (enduit blanc servant de sous-‐couche), suspendues contre le mur. Puis le peintre pose directement la couleur sur la toile sans faire de dessin préparatoire. Pour composer Cinema Deudeuche, John Valadez a puisé dans son répertoire de photographies des éléments qu’il isole de leur contexte pour les réassembler ; des peintures françaises admirées dans les musées voisinent avec le cliché d’une voiture à la
casse, des images de paisibles manifestations festives ou de reportages d’actualités sur les événements politiques en Ukraine, en Crimée ou en Afrique du Nord. Ainsi, sur le siège arrière de la Pontiac devant la jeune femme chicana agenouillée sur le coffre, moulée dans un pantalon de cuir noir, le jeune homme au polo rouge est en fait un manifestant du Printemps arabe. Ces images indépendantes juxtaposées trouveront progressivement leur sens au cours de
la réalisation pour former une scène cohérente dans un cadre évoquant autant la côte californienne que la côte aquitaine, une plage et un ciel nuageux. À la base de cette œuvre, une huile, Convertible Operas, qu’il décide de compléter en la coupant en deux pour ajouter une voiture typiquement française. Cherchant quelle automobile représenter, John Valadez s’est aperçu en discutant et en interrogeant les personnes qu’il rencontrait que nombreux étaient ceux qui avaient possédé une 2CV et que tout le monde identifiait parfaitement ce véhicule. C’est ainsi qu’elle symbolise la France et le vieux continent à côté des voitures aux chromes brillants, entretenues avec un soin jaloux par la jeunesse de L.A.
La lowrider, très importante dans la culture chicana, est présente dans plusieurs œuvres de John Valadez qui peint ces véhicules anciens "tunés" dans différents contextes. Si une lowrider apparaît dans le tragique règlement de comptes sur la plage de Getting Them out of the Car (1984), elle est plus souvent mise en scène dans les représentations d’expositions automobiles telles Car Show (2001), Chevy Twin (2006), où des jeunes femmes très court vêtues posent à côté de ces voitures aux couleurs voyantes, occasion pour John Valadez de dépeindre les travers humains de l’orgueil, du pouvoir et du sexe.
Sur le sable trône donc une vieille 2CV cabossée et rouillée, d’un gris-‐bleu éteint, qui contraste avec les lowriders décapotables aux couleurs éclatantes. Les occupants de la Pontiac rose, agressifs, invectivent ceux de la Cadillac et leur lancent des projectiles.
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La composition est dynamique, les diagonales dessinées par les voitures américaines et les nuages ouvrent l’espace qui semble infini, les personnages sont saisis en pleine action. Pour donner l’illusion de la vérité, le peintre s’attache à représenter avec un grand réalisme une infinité de détails : les cailloux, gravats et boulons qui jonchent le sol ou les reflets sur les carrosseries et les chromes.
Répondant à cette scène terrestre, une autre s’inscrit dans les nuages. A droite, sous le regard du "voyeur" coiffé d’une casquette, une femme nue est mollement allongée sur les nuées dans une pose abandonnée telle Ariane endormie ou une nymphe alanguie. La douceur de cette représentation féminine s’oppose à l’apparition d’un crâne et de silhouettes évoquant un assaut guerrier. Plus loin trois jeunes femmes s’enfuient et une soucoupe volante apparaît dans l’angle supérieur gauche.
Le jeune couple qui semble jaillir de la 2CV par le toit ouvrant, tout à la joie d’être au bord de l’océan, exprime une joyeuse et saine excitation qui contraste avec la violence des occupants de la Pontiac que la jeune femme agacée, essaie de calmer. Cette violence se retrouve dans les nuages où trois jeunes femmes fuient une zone de conflit suggérée par le crâne qui donne naissance à des silhouettes fantomatiques courant dans tous les sens. Nul besoin de représenter des armes, toute l’énergie de ces simples ombres à peine esquissées suffit à exprimer la destruction et la terreur.
Ceci est aussi évoqué de façon subtile sur la carrosserie de la Cadillac où le peintre représente le reflet des cailloux et des débris qui traînent sur la plage, mêlant à ces éléments bien réels d’autres images, celles des victimes de la guerre du Mexique ; les formes allongées sont en réalité des cadavres. John Valadez instille subtilement des éléments symboliques dans une représentation qui, au premier abord, semble hyperréaliste.
L’artiste ne livre pas toutes les clés de son œuvre laissant à chacun la liberté d’imaginer sa propre interprétation ; l’arrivée de la soucoupe volante gardera son mystère ! Bien que les techniques de peinture ne soient pas tout à fait les mêmes car Laurent procède par touches successives alors que John et Florence posent les aplats directement, le résultat a une unité et une homogénéité parfaites. La signature collégiale sur la plaque d’immatriculation de la Pontiac, FLOJOLO, comme celle que Laurent a posée à la demande de son mentor sur la 2CV à laquelle il avait consacré tant d’énergie, témoignent de la complicité qui unit les trois artistes. La réalisation de la toile touche à sa fin mais, jusqu’au dernier instant, le peintre ajoute des personnages dans les nuages avant de poser les couches de vernis sur sa composition. Cet article a été rédigé par Catherine Bonte pour l’Association des Amis du Musée.
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Pierre Paul Prud’hon L’enlèvement de Psyché, 1808, Huile sur toile, 195x157 ©Musée du Louvre
Pour aller plus loin, quelques éléments de comparaison :
Dead outside national palaca during one of the outbreaks. Mexico city. Manuel Ramos, c.1913
Garry Winogrand, Coney Island, New York, c. 1952, Gelatin Silver Print. The Museum of Modern Art, NY.
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Pour aller plus loin : L’article sur John Valadez sur le site des Amis du Musée www.amis-‐musee-‐aquitaine.com L’élaboration de cette oeuvre est détaillée et illustrée jour après jour par Laurent Bastide sur son blog: http://valadezexp2014.canalblog.com