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Page 1: Table des Matières - Graines de Savoirs · 2018. 12. 17. · la mort, il n'a pu le mener à la fin qu'il se proposait. Mais comme il contient beaucoup de choses remarquables et utiles

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TabledesMatières

PagedeTitre

TabledesMatières

PagedeCopyright

AVERTISSEMENTAULECTEUR

Traitédelaréformedel'entendement

Lecommencementdel'éternité

NOTESURLATRADUCTION

ViedeBaruchdeSpinoza

Repèresbibliographiques

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©ÉditionsMilleetunenuits,mars1996-octobre2005,pourlatraductionfrançaise,lapostfaceetlesillustrations

978-2-755-50196-4

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TraductiondulatinetpostfacedeSéverineAuffret

IllustrationsdePierCarloFoddis-Boï

BARUCHDESPINOZA

n°98

Textemtégral

Sources:Tractatusdeintellectusemendatione,àpartirdutextelatinétabliparCarlGebhardtdansl'éditionenseptvolumes,SamtlicheWerkeinsiebenBanden,vol.5,1977.

JeremercieAlexandreMatheronpourl'encouragementqu'iladonnéàcettetraduction,etpourlagénérositédesarelectureminutieuse.Laprésenteéditiontientcomptedesesprofondessuggestions.

Traitédelaréformedel'entendementetdelameilleurevoiequimèneàlavraieconnaissancedeschoses

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AVERTISSEMENTAULECTEUR

CeTraité«de la réformede l'entendement»quenous tedonnons ici imparfait, lecteurbienveillant, aété rédigépar sonauteurilyadéjàbiendesannées.Ilatoujourseul'intentiondel'achever;maisempêchépard'autresaffaires,puisemportéparlamort, iln'apulemeneràlafinqu'ilseproposait.Maiscommeilcontientbeaucoupdechosesremarquablesetutilesqui,nousn'endoutonspas,serontd'ungrandsecoursàquirecherchesincèrementlavérité,nousn'avonspasvoulut'enpriver.Etpourquetuaiesmoinsdepeineàexcuserlesnombreusesobscurités,lesrudessesetlesimperfectionsqu'onytrouveçàetlà,nousavonspréférételessignaler,afinquetuensoisprévenu.Salut!

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Traitédelaréformedel'entendement

1.Aprèsquel'expériencem'eutapprisquetoutcequiarrived'ordinairedanslaviecommuneestvainetfutile,ayantvuquetoutcequiétaitpourmoicauseouobjetdecrainten'avaitrienensoidebonoudemauvais,sinondanslaseulemesureoùmonâme en était émue, jeme décidai enfin à chercher s'il n'existait pas un bien véritable, communicable, et tel quemon âme,rejetanttoutlereste,pûtêtreaffectéeparluiseul;bienplus,s'iln'yavaitpasquelquechosedontladécouverteetl'acquisitionmeferaientjouirpourl'éternitéd'unejoiecontinueetsouveraine.

2.Jedis:«jemedécidaienfin»;caràpremièrevueilsemblaitdéraisonnabledevouloirrenonceràducertainpourquelquechose d'encore incertain. Je voyais bien les avantages qu'on acquiert par les honneurs et les richesses, et qu'ilme fallait enabandonnerlapoursuitesijevoulaism'adonnersérieusementàcetteautreetnouvellerecherche.Jevoyaisbienquesijamaislebonheursuprêmeétaitcontenudans leshonneurset les richesses, ilme faudraitenêtreprivé ;en revanches'iln'yétaitpascontenuetsijem'yconsacraisexclusivement,alorsj'allaisêtreprivédubonheursuprême.

3.Jetournaisdoncdansmonespritcettequestion:était-ilpossibledememettreàcenouveauprojet,oudumoinsd'arriveràunecertitudeàsonpropos,sanschangerl'ordreetlaconduiteordinairedemavie?—cequej'avaistentésouvent,envain.

Carcequeleshommes,commeonpeut leconcluredeleursactions,regardent leplussouventdanslaviecommelebiensuprême,peutêtreramenéàcestroisobjets:richesses,honneursetplaisirdessens.Orl'espritesttellementdivertipareuxqu'ilpeutàpeinesongeràquelqueautrebien.

4.Àl'égardduplaisir,l'âmes'yattachesifortqu'ellesembles'yreposerdansunbienvéritable,cequil'empêcheauplushautpointdepenseràautrechose.Maisaprèssajouissancevientunetristesseprofondequi,sielleneparalysepasl'esprit,letroubleetl'engourdit.Quantauxhonneursetauxrichesses,cen'estpasfaiblementqu'ilsdivertissentl'esprit-surtoutsilesrichessessontrecherchéespourelles-mêmes1a,caronlesconfondalorsaveclebiensuprême.

5.Maisl'espritestencorebienplusdivertiparleshonneurs,parcequ'onlessupposetoujoursbonseneux-mêmesetqu'onlesprendalorspourlafinultimeàlaquelletoutdoitêtrerapporté.

Etpuis,contrairementauxplaisirs,nileshonneursnilesrichessesnecontiennentleurproprechâtiment;aucontraire,plusonlespossède,pluslajoieaugmente,etparconséquent,plusnoussommesincitésàlesaccroître;maiss'ilarrivequenotreespoirsoitdéçu,ilenrésulteunetrèsgrandetristesse.

Leshonneursenfinsontungrandobstacleencecique,pourlesobtenir,ondoitnécessairementréglersavieselonl'opiniondeshommes,enfuyantetencherchantcequ'ilsfuientetcherchentcommunément.

6.Voyantàquelpointtouscesobjets-làm'empêchaientdem'appliqueràmonnouveaudessein,etqu'ilsyétaientmêmesiopposésqu'ilm'étaitnécessairederenonceroubienàeux,oubienàlui,j'étaisforcédemedemandercequimeseraitleplusutile.Sansdoute,commejel'aidit,jesemblaisvouloirabandonnerunbiencertainpourdel'incertain.Maisenyréfléchissantuntantsoitpeu,jedécouvrisd'abordceci:àsupposerquel'abandondeshonneurs,desrichessesetdesplaisirsmedisposeàcenouveaudessein,jerenonceraisàunbienincertainparnature,commeonpeutleconclureclairementdecequiaétédit,pourunbienincertainnonquantàsanature(c'estunbienstablequejecherchais),maisplutôtquantàsonobtention.

7.Paruneméditationassidue,pourautantquejepouvaisyréfléchirsérieusement,jeparvinsàvoirquejerenonçaisàdesmauxcertainspourunbiencertain.Car jemevoyaisdansundangerextrême,et forcédechercherde toutesmes forcesunremède, si incertain qu'il fût; comme unmalade atteint d'unmalmortel, qui prévoit unemort certaine s'il ne prend pas unremède,s'efforceradetoutessesforcesdelechercher,siincertainqu'ilsoit,puisquelàdemeuretoutsonespoir.

Ortouscesbiensquelafoulepoursuit,nonseulementnesontd'aucunremèdepourlaconservationdenotreêtremaisilslacompromettentbienplutôt,encausantsouventladestructiondeceuxquilespossèdent2ettoujourscelledeceuxquiensontpossédés.

8. Combien d'exemples, en effet, de ceux qui ont souffert la persécution jusqu'à même s'exposer à la mort pour leursrichesses!Etaussideceuxquisesontexposésàtantdedangerspourseprocurerdupouvoirqu'ilsontfinalementpayédeleurvieleurstupidité!Etcombiend'exemplesdeceuxqui,pourrechercherleshonneursoulesconserver,ontsouffertmillemisères!Enfinlesexemplessontinnombrablesdeceuxquionthâtéleurmortpardesexcèssensuels.

9.Ilsemblaitd'ailleursquecesmauxprovenaientdecequetoutnotrebonheur—ounotremalheur—dépendd'uneseulechose,àsavoirdelaqualitédel'objetauquelnousnouslionsd'amour.Desconflitsnenaîtrontjamaisàcaused'unobjetquin'estpasaimé:nulletristesses'ildisparaît,nulleenviesiunautrelepossède,nicraintenihaine,enunmot,aucuneémotion—toutcequiseproduit,enrevanche,dansl'amourdeschosespérissablescommecellesdontonvientdeparler.

10.Maisl'amourd'unechoseéternelleetinfinienourritl'âmed'unejoiepure,exemptedetoutetristesse;c'estcelaqu'ilfautsurtoutdésireretrechercherdetoutesnosforces.Orcen'estpassansraisonquej'aiemployécesmots:«pourautantquejepuisseyréfléchirsérieusement.»Carsiclairementquemonespritleperçût,jenepouvaispascependantrenonceràtoutdésirderichesse,deplaisirsensueloudegloire.

11. Je voyais seulement que, tant mon esprit se livrait à ces pensées, tant il se délivrait de ces trois objets, en pensantsérieusementà sonnouveaudessein—cequime futunegrandeconsolation.Car je remarquaisquecesmauxn'étaientpasd'unetelleconditionqu'ilsnepussentcéderauxremèdes.Etbienqu'audébutcesintervallesfussentraresetdecourtedurée,cependant,aprèsquelevraibienmefutdevenumieuxconnu,ilsdevinrentplusfréquentsetpluslongs.Ilsledevinrentsurtoutquand je vis que l'acquisition des richesses, le plaisir des sens ou la gloire ne sont nuisibles qu'aussi longtemps qu'on lesrecherchepoureux-mêmes,etnoncommemoyenspourautrechose;carsionlesrecherchecommedesmoyens,ilsresterontmesurésetcontribuerontgrandement,aucontraire,àlafinpourlaquelleilssontrecherchés—nouslemontreronsensonlieu.

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12. Je dirai ici brièvement ce que j'entends par vrai bien, et en même temps ce que serait le bien suprême. Pour lecomprendrecorrectement,ilfautnoterque«bien»et«mal»nesedisentquerelativement;àcepointqu'uneseuleetmêmechosepeutêtreditebonneoumauvaisesousdiversrapports; ilenvademêmedu«parfait»etdel'«imparfait».Rien,eneffet,considéréselonsanature,nepeutêtreditparfaitouimparfait;surtoutquandnousauronsapprisquetoutcequiseproduitsuitunordreéterneletdesloisdéterminéesdelaNature.

13.Mais comme la faiblessehumainene saisit pas cet ordredans sapensée, et qu'en attendant l'hommeconçoit quelquenaturehumainebeaucoupplusfortequelasiennetoutennevoyantrienquil'empêched'acquérirunetellenature,ilestpousséàchercherlesmoyensquileconduiraientàcetteperfection;ettoutcequipeutêtreunmoyend'yparvenir,ill'appelle«vraibien»;quantau«biensuprême»,ilconsisteraitàparveniràjouird'unetellenature,sipossibleavecd'autresindividus.Cequ'estcettenature,nousmontreronsensonlieuqu'elleconsiste3sansaucundouteenlaconnaissanced'uneuniondel'espritaveclaNaturetoutentière.

14.Telleestdonclafinàlaquellejetends:acquérirunetellenatureetm'efforceràcequebeaucoupl'acquièrentavecmoi;carilappartientaussiàmonbonheurdem'appliqueràcequebeaucoupcomprennentcequejecomprends,desortequeleurcompréhensionetleurdésirs'accordenttoutàfaitavecmacompréhensionetmondésir;ilestnécessairepourcelad'avoirunecompréhensiondelaNaturesuffisantepouracquérirunetellenature;ensuite,deformerunesociétéquipermetteauplusgrandnombred'yparvenirleplusfacilementetleplussûrement.

15.Ilfaudraenoutres'appliqueràunephilosophiemoraleetàunethéoriedel'éducationdesenfants;etparcequelasantén'estpasunmoindremoyenpouratteindrecettefin,ilfaudraélaborerunesainemédecine;etparcequelatechniquerendbienplus faciles les choses difficiles, parce qu'elle permet de gagner beaucoup de temps et de commodité dans la vie, on nenégligeranullementlamécanique4.

16.Maisilfautréfléchiravanttoutechoseaumoyendeperfectionnerl'intellect,etautantquepossible,audébut,aumoyendelecorrigerpourqu'ilcomprenneplusfacilementleschoses,sanserreuretlemieuxpossible.

Chacunpeutdéjàvoirparlàquejeveuxdirigertouteslessciencesversuneseulefin,unseulbut5,àsavoir:parveniràcettesuprêmeperfectionhumainedontonaparlé.Ilfaudradoncrejetercommeinutiledanslessciencestoutcequineconduitpasànotrefin;enunmot,toutesnosœuvresettoutesnospenséesdevrontêtreorientéesverscettefin.

17.Maispendantquenoustâchonsdelapoursuivreetquenousnousconsacronsàguidernotreintellectdanslabonnevoie,ilfautbienvivre;c'estpourquoinousavonsadoptécommedebonspréalableslesquelquesrèglesdeviequevoici:

Mettreàlaportéedugrandnombrenosparolesettoutescellesdenosactionsquinenuisentpasàl'obtentiondenotrebut.Carnouspouvonsobtenirdegrandsavantagesennousyconformant,autantqu'ilestpossible.Nousygagneronsd'ailleursdesoreillesamiespourentendrelavérité.

Jouirdesplaisirsautantqu'ilsuffitpourconserverlasanté.

Enfin,rechercherlesrichessesetlesautresbiensautantqu'ilsuffitàlavieetàlaconservationdelasanté,ennousconformantàceuxdesusagesdelasociétéquines'opposentpasànotredessein.

18.Cesrèglesainsiposées,jem'appliqueraitoutd'abordàcequidoitsefaireavanttout:améliorerl'intellectetlerendreapteàcomprendreleschosesd'unemanièreconformeàl'obtentiondenotrebut.

Pourcela, l'ordrenaturel exigeque je récapitule ici tous lesmodesdeperceptiondont j'ai faitusage jusqu'àprésentpouraffirmer ou nier quelque chose avec certitude, afin de choisir lemeilleur de tous ; ainsi commencerai-je enmême temps àconnaîtremesforcesetàconnaîtremanature,quejedésireparfaire.

19.Sijelesconsidèreattentivement,touslesmodesdeperceptionpeuventserameneràquatreprincipaux:

Ilyauneperceptionquenousacquéronsparouï-dire,ouparquelquesignequ'onnommearbitraire.

Ilyauneperceptionquenousacquéronsparuneexpériencevague,c'est-à-direparuneexpériencequin'estpasdéterminéeparl'intellect;onl'appelleainsiparcequ'elleseproduitauhasard,ettantquenousn'avonsaucuneautreexpériencequis'yoppose,elleresteennouspourainsidireinébranlable.

Ilyauneperceptiondanslaquellel'essenced'unechoseestconclued'uneautrechose,maisnond'unemanièreadéquate; cela arrive6soit lorsque nous supposons une cause à partir d'un effet, soit lorsque nous tirons uneconclusionparticulièredequelquetermeuniversel,parcequ'ilesttoujoursaccompagnéd'unecertainepropriété.

Enfinilyauneperceptiondanslaquellelachoseestperçueparsaseuleessence,ouparlaconnaissancedesacauseprochaine.

20.Jevaiséclairertoutcelapardesexemples:

Jeconnaisseulementparouï-direlejourdemanaissance,etquej'aieutelsparents,etautreschosessemblables,dontjen'aijamaisdouté.

Parexpériencevague,jesaisquejevaismourir;jel'affirmeeneffetparcequej'enaivumourird'autres,messemblables,bienqu'ilsn'aientpastousvéculemêmelapsdetempsnisuccombéàlamêmemaladie.C'estparexpériencevagueencorequejesaisquel'huileestapteànourrirlaflamme,tandisquel'eauestapteàl'éteindre.Jesaisdelamêmefaçonquelechienestunanimalquiaboie,etl'hommeunanimalraisonnable,etc'estainsiquejesaisàpeuprèstoutcequiserapporteàlaviecourante.

21.Nousconcluonsunechosed'uneautredecettemanière:

Après avoir perçu clairement que nous éprouvons les sensations d'un certain corps, et pas d'un autre, nous concluonsclairement,dirai-je,quenotreâmeestunie7ànotrecorps,etquecetteunionest lacausedecettemêmesensation;mais 8cequ'estexactementcettesensationetcequ'estcetteunion,celanenouspermetpasde lecomprendreentièrement.Demême,aprèsavoirapprislanaturedelavision,etaprèsavoirapprisaussiqu'elleacettepropriété:qu'unemêmechosenousapparaît

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pluspetitevueàunegrandedistancequesinousl'observonsdeprès,nousendéduisonsquelesoleilestplusgrandqu'ilnenousapparaît,etainsidesuite.

22.Enfin,unechoseestperçueparsaseuleessencelorsque,dufaitmêmequejeconnaisquelquechose,jesaiscequec'estquedeconnaîtrecettechose;oubienlorsquejedéduisdelaconnaissancedel'essencedel'âmequ'elleestunieaucorps.

C'estparcemême typedeconnaissancequenous savonsquedeuxet trois font cinq, etquedeux lignesparallèlesàunemême troisième sont aussi parallèles entre elles, etc. Toutefois, les choses que j'ai pu comprendre jusqu'ici par ce type deconnaissancesonttrèspeunombreuses.

23.Maispourfairemieuxcomprendretoutcela,jen'utiliseraiqu'unseulexemple,quevoici:

Troisnombresétantdonnés,onenchercheunquatrièmequisoitautroisièmecequelesecondestaupremier.

Touslesmarchandsnousdironticiqu'ilssaventcequ'ilfautfairepourtrouverlequatrième,sansdouteparcequ'ilsn'ontpasencoreoubliéleprocédé,nuetsansdémonstration,qu'ilsontentendudeleursmaîtres.

D'autres,enrevanche,fontunerègleuniverselleàpartirdel'expériencedescassimples;ainsi,quandlequatrièmenombreestévident de lui-même - comme dans la série des nombres 2/4, 3/6 - ils font l'expérience qu'enmultipliant le second par letroisièmeetendivisantleproduitparlepremier,onobtientlequotient6.Etvoyantqu'ilsobtiennentcenombremêmequ'ilssavaientproportionnelsansopération,ilsenconcluentquecetteopérationesttoujoursbonnepourtrouverlequatrièmenombreproportionnel.

24.Maislesmathématicienssavent,envertudesdémonstrationsd'Euclide(proposition19dulivreVII),quelsnombressontproportionnels entre eux; c'est-à-dire qu'ils le savent à partir de la nature de la proportion et de sa propriété, selon quoi leproduitdupremieretduquatrièmenombreestégalauproduitdusecondetdutroisième.

Cefaisant,ilsnevoientpasencorelaproportionnalitéadéquatedesnombresdonnés.

Lorsqu'ilslavoient,cen'estpasenvertudecetteproposition,maisintuitivement,sansfaireaucuneopération.

25.Maispourchoisirlemeilleurparmicesmodesdeperception,ilfauténumérerbrièvementlesmoyensnécessairespourtouchernotrebut.Lesvoici:

Connaître exactement notre nature, quenousdésironsparfaire, et connaître enmême temps, de la nature deschoses,autantqu'ilestnécessaire;

afind'établircorrectementlesdifférences,lesconvenancesetlesoppositionsentreleschoses;

afindeconcevoircorrectementcequipeutounonlesaffecter;

afindecomparercelaàlanatureetàlapuissancedel'homme.

Onverraalorsfacilementlaperfectionsuprêmeàlaquellel'hommepeutparvenir.

26.Celaétantbienconsidéré,voyonsquelmodedeperceptionnousdevonschoisir.

En ce qui concerne le premier : il est évident que, par ouï-dire, outre que c'est unmoyen tout à fait incertain, nous nepercevonsl'essenced'aucunechose,commelemontrenotreexemple.Orcommel'existencesingulièred'uneréalitéquelconquen'estconnuequesisonessenceestconnue—onleverraplustard—nousenconcluronsclairementquetoutecertitudeacquiseparouï-diredoitêtreexcluedessciences.Carlesimplefaitd'avoirentendudirenepourrajamaisaffecterpersonne,lorsquelacompréhensionpersonnellen'yprésidepas.

27.Quantausecond9mode:personnenedoitdirenonplusqu'ilpossèdedecettefaçonl'idéedelaproportionqu'ilcherche.Cettedémarcheesttoutàfaitincertaineetinterminable,etonnepourrapercevoirparcemodequelesaccidentsdeschosesdelanature.Orlesaccidentsnesontjamaiscomprisdemanièreclairesilesessencesnesontpasconnuespréalablement.Ilfautdoncrejeterégalementcesecondmode.

28.Par le troisièmemode,enrevanche, il fautdirequenousavons l'idéede lachose,etpuisquenouspouvonsfairedesdéductionssansdangerd'erreur.

Pourtantcen'estpasencorelemoyend'atteindrenotreperfection.

29.Seullequatrièmemodesaisitl'essenceadéquatedelachose,etcela,sansdangerd'erreur.C'estdoncceluidontilfaudrauser le plus possible. Comment l'employer pour comprendre les choses inconnues par cette connaissance claire, et le plusrapidementpossible,nousprendronssoindel'expliquer.

30.Aprèsavoirapprisqueltypedeconnaissancenousestnécessaire,ilnousfautprésenterlaVoie—ouMéthode—quinousmèneraàunetelleconnaissancedecequ'ilfautconnaître.

Pour cela, remarquonsd'abordqu'onneproposera pas ici une recherche à l'infini, du type : « pour chercher lameilleureméthode de recherche de la vérité, il faut chercher une autre méthode pour chercher cette méthode; et pour chercher ladeuxième,ilenfautunetroisième,etainsidesuiteàl'infini»:cardecettefaçon,onn'arriveraitjamaisàuneconnaissancedelavérité,nimêmeàaucuneconnaissance.

Ilenesticicommedesinstrumentsmatériels,àproposdesquelsonpourraitargumenterdelamêmemanière:«Pourforgerlefer,onabesoind'unmarteau,etpouravoirunmarteau, ilestnécessairedelefabriquer;pourcela,onabesoind'unautremarteauetd'autresinstruments,quinécessitenteux-mêmesd'autresinstruments,etainsidesuiteàl'infini.»Orc'estbienenvainqu'ons'efforceraitdeprouverdecettemanièrequeleshommesn'ontaucunpouvoirdeforgerlefer...

31.Maisdemêmequeleshommes,audébut,àl'aided'instrumentsinnés,etbienqu'avecpeineetd'unemanièreimparfaite,ontpufabriquerdeschosestrèsfacileset,aprèsavoirfabriquécelles-ci,enontfabriquéd'autresplusdifficilesavecmoinsdepeine et plus de perfection, et, allant ainsi par degrés desœuvres les plus simples aux instruments, et de ces instruments à

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d'autresœuvresetinstruments,enarrivèrentàpouvoiraccomplir,avecpeudelabeur,beaucoupdechoses,etdetrèsdifficiles;demêmel'intellect,parsapuissanceinnée10,seformedesinstrumentsintellectuelsàl'aidedesquelsilacquiertd'autresforcespourd'autresœuvres11intellectuelles,etgrâceàcesœuvres,seformed'autresinstruments,c'est-à-diresedonnelepouvoirdepousserl'investigationplusavant.Ainsiavance-t-il,dedegréendegré,jusqu'àatteindrelecombledelasagesse.

32.Orilestfaciledevoirqu'ilenestainsidel'intellect,pourvuquel'oncomprennecequ'estlaMéthodedelarecherchedelavérité,etcequesontcesinstrumentsinnésdontseulsilabesoinpourenfabriquerd'autres,afind'allerplusavant.

Pourlemontrer,jeprocéderaicommesuit:

33.L'idéevraie12(carnousavonsuneidéevraie)estquelquechosed'autrequecedontelleestl'idée.Lecercleestunechose,l'idéeducercleenestuneautre.Car l'idéeducerclen'estpas,comme lecercle,pourvued'unepériphérieetd'uncentre;demême,l'idéeducorpsn'estpaslecorpslui-même.Etcommel'idéediffèredecedontelleestl'idée,elleestparelle-mêmed'unenatureintelligible.

Celaveutdirequel'idée,considéréedanssonessenceformelle,peutêtrel'objetd'uneautreessenceobjective.Etcetteautreessenceobjective,àsontour,considéréeenelle-même,seraàlafoisunêtreréeletunêtreintelligible,etainsiàl'infini.

34.ParexemplePierreestunêtreréel;l'idéevraiedePierreestl'essenceobjectivedePierre;cetteessenceobjectiveestàlafoisuneréalitéenelle-même,etautrechosequePierrelui-même.

Maispuisquel'idéedePierreestunêtreréelquiasonessenceparticulière,elleseraaussiunêtre intelligible,objetd'uneautreidée;cetteautreidéeauraenelleobjectivementtoutcequel'idéedePierrepossèdedanssaforme;etàsontourcetteidéedel'idéedePierreaurasapropreessence,quipeutêtrel'objetd'uneautreidée,etainsiàl'infini.

Chacunpeutfairecetteexpériencequand,voyantqu'ilsaitcequ'estPierre,ilsaitaussiqu'ilsait,etilsaitenplusqu'ilsaitqu'ilsait,etainsidesuite.D'aprèscetexemple,ilestclairque,pourcomprendrel'essencedePierre,iln'estpasnécessairedecomprendrel'idéemêmedePierre,etencoremoinsl'idéedel'idéedePierre.Celarevientàdireque jen'aipasbesoin,poursavoir,desavoirquejesais,etmoinsencoredesavoirquejesaisquejesais...Pasplusqu'iln'estnécessairedecomprendrel'essenceducercle13pourcomprendrecelledutriangle.C'estlecontrairequialieudansl'enchaînementdecesidées.Carpoursavoirquejesais,ilfautd'abordquejesache.

35.Ilestdoncclairquelacertituden'estquel'essenceobjectiveelle-même.Celaveutdirequelamanièredontnoussentonsl'essenceformelleestlacertitudeelle-même.

Ilestclairànouveauque,pouravoirlacertitudedelavérité,iln'estbesoind'aucunsigneautrequed'avoiruneidéevraie.Eneffet,nousl'avonsmontré,pointn'estbesoinpourquejesachedesavoirquejesais.

Ilesttoutaussiclairquepersonnenepeutsavoircequ'estlacertitudesuprême,hormisceluiquial'idéeadéquate,c'est-à-direl'essenceobjectivedequelquechose.C'estévidentparcequelacertitudeetl'essenceobjectivesontuneseuleetmêmechose.

36.Donc,puisquelavéritén'abesoind'aucunsigneetqu'ilsuffitdeposséderlesessencesobjectivesdeschoses,autrementditdes idéesvraies,pourabolir toutdoute, il s'ensuitque lavraieMéthoden'estpasdechercher le signede lavéritéaprèsl'acquisitiondesidées.LavraieMéthodeestlavoieàsuivrepourquelavéritémême,c'est-à-direlesessencesobjectivesdeschoses,ouencorelesidées(touscestermesontlemêmesens),soientrecherchéesdansl'ordredû14.

37.Enrevanche,laMéthodedoitnécessairementtraiterduraisonnement,oudel'intellection.

CelaveutdirequelaMéthoden'estpas leraisonnementquimèneàcomprendrelescausesdeschoses,etencoremoinslacompréhension de ces causes. Mais la Méthode consiste à comprendre ce qu'est l'idée vraie en la distinguant des autresperceptions,enscrutant sanatureafinquenousconnaissionspar lànotrepuissancedecomprendreetquenousastreignionsnotreespritàcomprendreseloncettenormetoutcequidoitêtrecompris,enluidonnantaussicommeadjuvantscertainesrèglesetenévitantquel'espritnesefatigueinutilement.

38.IlendécoulequelaMéthoden'estautrequelaconnaissanceréflexive,oul'idéedel'idée.Etpuisqu'iln'yapasd'idéedel'idées'iln'yapas,d'abord,uneidée,ils'ensuitqu'iln'yaurapasdeMéthodes'iln'yapas,d'abord,uneidée.

LabonneMéthodeseradonccellequimontrecommentilfautdirigerl'espritselonlanormed'uneidéevraiedonnée.

Deplus,commelerapportentredeuxidéesestlemêmequelerapportentrelesessencesformellesdecesidées,ils'ensuitquelaconnaissanceréflexivedel'idéedel'Êtreabsolumentparfaitserasupérieureàlaconnaissanceréflexivedesautresidées.CelaveutdirequelaMéthodelaplusparfaiteseracellequimontrecommentl'espritdoitêtredirigéselonlanormed'uneidéedonnéedel'Êtreleplusparfait.

39.Oncomprendalorsaisémentcomment l'esprit, au furetàmesurequ'ilcomprenddavantage,acquiertenmême tempsd'autresinstrumentsaveclesquelsilavanceplusloindanssacompréhension.Car—onpeutleconcluredecequiadéjàétédit-ildoitexisterennousavanttoutechose,àtitred'instrumentinné,uneidéevraiedontlacompréhensionfaitcomprendreenmêmetempsladifférenceentrecetteperceptionettouteslesautres.EncelaconsistelapremièrepartiedelaMéthode.

Etcommeilestévidentquel'espritsecomprendd'autantmieuxqu'ilcomprendplusd'élémentsdelaNature,ilenrésultequecette partie de laMéthode sera d'autant plus parfaite que l'esprit comprendra davantage, et qu'elle sera absolument parfaitequandl'esprits'attacheraàlaconnaissancedel'Êtreleplusparfait,ouyréfléchira.

40.Enoutre,àmesurequel'espritconnaîtplusd'objets,mieuxilcomprendetsesforces,etl'ordredelaNature.Ormieuxilcomprendsespropresforces,plusfacilementilpeutsedirigerlui-mêmeetsedonnerdesrègles.Etmieuxilcomprendl'ordredelaNature,plusilluiestfaciledesedébarrasserdel'inutile:enquoi,nousl'avonsdit,consistetoutelaMéthode.

41.Ajoutonsquel'idéesecomporteobjectivementdelamêmemanièrequelaréalitédontelleestl'idée.Donc,s'ilyavaitdanslaNatureunêtretelqu'iln'aitaucunrapportaveclesautreschoses,ets'ilyenavaituneessenceobjectivequiconvienneentièrementàsonessenceformelle,cetteidée,ellenonplus,n'auraitaucunrapport15aveclesautresidées,etnousnepourrions

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rienenconclure.Enrevanche,lesêtresquisontenrapportavecd'autres,commelesonttousceuxquiexistentdanslaNature,pourrontêtrecompris,et leursessencesobjectivesaurontentreelleslesmêmesrapports,c'est-à-direqu'onpourraendéduired'autresidées,quiànouveauserontenrapportavecd'autres,etc'estainsiqu'augmenterontlesinstrumentspouravancerplusloin.Cequenousnousefforcionsdedémontrer.

42.Enoutre,àpartirdecedernierpoint,àsavoirquel'idéedoitêtreentotaleconvenanceavecsonessenceformelle,ilestclairànouveauque,pourquenotreespritreproduiseunmodèlecompletdelaNature,ildoitproduiretoutessesidéesàpartirdecellequi représente l'origineet la sourcede laNature toutentière,afinquecette idée soit elle-mêmeaussi la sourcedesautresidées.

43.Peut-êtres'étonnera-t-oniciqu'aprèsavoirditquelabonneMéthodeestcellequimontrecommentl'espritdoitêtredirigéselonlanormed'uneidéevraiedonnée,nousleprouvionsparunraisonnement,cequisemblemontrerquecelan'estpasconnuimmédiatement.Onpourraitalorssedemandersinousraisonnonsbien:sinousraisonnonsbien,nousdevonspartird'uneidéedonnée, et comme il faut une démonstration pour partir d'une idée vraie donnée, nous devrions prouver à son tour notreraisonnement,etcelui-ciaussiparunautre,etainsidesuiteàl'infini...

44.Mais je répondsàcela : siquelqu'un,parchance, avaitprocédéainsidans l'investigationde laNature, c'est-à-direenacquérant,suivantl'ordredû,d'autresidéesselonlanormed'uneidéevraiedonnée,iln'auraitjamaisdoutédesavérité16,parcequelavérité,commenousl'avonsmontré,semanifested'elle-même,ettoutseseraitprésentéàluispontanément.Maisparcequecelan'arrivejamais,outrèsrarement,j'aidoncétécontraintdel'établir,pourquenouspuissionsquandmêmeobtenirparunedémarchepréméditéecequenousnepouvonsobtenirparsimplechance,etaussipourmontrerque,pourprouverlavéritéetunbonraisonnement,nousn'avonsbesoind'aucunautreinstrumentquedelavéritéelle-mêmeetd'unbonraisonnement;carc'estenraisonnantbienquej'aiconfirméunbonraisonnement,etquejem'efforceencoredeleconfirmer.

45.J'ajouteque,decettemanière,leshommess'exercentàleursméditationsintérieures.

Quantàlaraisonpourlaquelleilarriverarementquel'onsuivel'ordredûdansl'investigationdelaNature,elletientd'abordauxpréjugésdontnousexpliqueronsplus tard lescausesdansnotrePhilosophie.Elle tientaussiaufait,nous lemontreronsensuite,qu'ilyfautdesdistinctionsimportantesetsoigneuses,cequidemandeuneffortpénible.Enfin,elle tientà l'étatdesaffaires humaines qui, on l'a déjà montré, est instable au plus haut point. Il y a encore d'autres raisons que nous nerechercheronspas(ici).

46.S'il arrivaitquequelqu'undemandepourquoimoi-même j'ai tenuavant toutàexposerdanscetordre lesvéritésde laNature—puisque la vérité semanifeste d'elle-même—, je lui répondrais en l'exhortant à ne pas rejeter ces idées commefausses à cause de paradoxes qui peuvent surgir çà et là, mais à daigner considérer d'abord l'ordre dans lequel nous lesprouvons;ilseraalorscertainquenousavonssuivilevrai,c'estpourcelaquej'aiposécesprémisses.

47.SiaprèscelaquelqueSceptiquedemeuraitencoredansledoutesurlapremièrevéritéelle-mêmeetsurtoutescellesquenousendéduironsselonlanormedelapremière,oubienilparleraitcontresaconscience,oubiennousavouerionsqu'ilyadeshommesdont l'âmeestprofondémentaveugle, soitdenaissance, soit à causedespréjugés, c'est-à-direparquelqueaccidentextérieur.Ceux-lànesesententmêmepaseux-mêmes;s'ilsaffirmentquelquechoseous'ilsdoutent, ilsnesaventpasqu'ilsdoutentouaffirment;ilsdisentneriensavoir,etilsdisentmêmequ'ilsignorentqu'ilsnesaventrien.Etcela,ilsnel'affirmentmême pas demanière absolue, parce qu'ils craignent d'avouer qu'ils existent, « alors qu'ils ne savent rien » ; si bien qu'ilsdoiventenfinsetaire,depeurd'admettreparhasardquelquechosequiaituneodeurdevérité.

48.Bref, ilnefautpasparlerdesciencesaveceux:carencequiconcernel'usagedelavieetdelasociété, ilssontbienforcésd'admettrequ'ilsexistent,derecherchercequileurestutileetd'affirmeroudenierbeaucoupdechosessousserment.

Si on leur démontre quelque chose : « ils ne savent pas si la démonstration est probante oudéficiente. »S'ils nient, s'ilsconcèdentous'ilss'opposent,ilsnesaventpasqu'ilsnient,qu'ilsconcèdentous'opposent.Aussifaut-illesconsidérercommedesautomatestotalementdépourvusd'esprit.

49.Reprenonsmaintenantnotrepropos : Jusqu'icinousavonsd'abordprécisé la finvers laquellenousnousappliquonsàdirigertoutesnospensées.

Deuxièmement, nous avons appris quelle était lameilleureperception à l'aidede laquellenouspouvionsparvenir à notreperfection.

Troisièmement,nousavonsapprisquelleest lapremièrevoiedans laquelle l'espritdoits'engagerpourbiencommencer,àsavoirdecontinuerlarechercheensuivantdesloiscertainesselonlanormeden'importequelleidéevraiedonnée.

Pourquecelasefassecorrectement,voicicequelaMéthodedoitfournir:

Premièrement, elle doit permettre de distinguer l'idée vraie de toutes les autres perceptions et d'écarter l'esprit des autresperceptions.

Deuxièmement,elledoitdonnerdesrèglespourqueleschosesinconnuessoientperçuesseloncettenorme.

Troisièmement,elledoitétablirunordreafinquenousnenousfatiguionspasàdestâchesinutiles.

AprèsavoirprisconnaissancedecetteMéthodenousavonsvu:

Quatrièmement,quecetteMéthodeseralaplusparfaitequandnousauronsl'idéedel'Êtreleplusparfait.Dèsledébut,donc,ilnousfaudraveillerprincipalementàparvenirleplusvitepossibleàlaconnaissanced'untelÊtre.

50.CommençonsdoncparlapremièrepartiedelaMéthodequiconsiste,onl'adit,àdistingueretàséparerl'idéevraiedesautresperceptions,etàfixerl'espritpourqu'ilneconfondepaslesidéesfausses,lesidéesfictivesetlesidéesdouteusesaveclesvraies,cequej'ail'intentiond'expliquericiamplementpourmaintenirmeslecteursdanslapenséed'unechoseaussinécessaire,etaussiparcequenombreuxsontceuxquidoutentmêmedesidéesvraiesparcequ'ilsn'ontpasfaitattentionàcequidistinguelavraieperceptiondetouteslesautres.Sibienqu'ilssontcommedeshommesqui,tantqu'ilsveillaient,nedoutaientpasd'être

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éveillés,maisqui,ayanteuunefoisdansleursommeil—celaarrivesouvent—lacertituded'êtreéveillés,aprèsavoirensuitedécouvertquec'étaitfaux,sesontmisàdouteraussideleurétatdeveille.

51.J'avertisentre-tempsquejenevaispasexpliquericil'essencedechaqueperceptionniexpliquerchacuned'ellesparsacauseprochaine,parcequecela relèvedemaPhilosophie,maisque jevais seulementexposercequedemande laMéthode,c'est-à-direceàquoiserapportentlaperceptionfictive,laperceptionfausseetlaperceptiondouteuse,etlamanièredenousenlibérer.

Lapremièreenquêteporterasurl'idéefictive.

52.Commetouteperceptionest,oubiencelled'unechoseconsidéréecommeexistante,oubiencelled'uneessenceseule,etcommelesfictionslesplusfréquentesseproduisentàproposdechosesconsidéréescommeexistantes,jeparleraidoncd'aborddecettesortedefiction:celleoùlafictionporteseulementsur l'existencede lachose,alorsquecettemêmechose,danscemêmeacte,estcomprise,ousupposéecomprise.

Parexemple:jeformelafictionquePierre,quejeconnais,rentrechezlui,merendvisite,etc.17

Jedemandemaintenantàquoiserapportecetteidée.

Jevoisqu'elleporteseulementsurdespossibles,maisnonsurdesnécessairesnidesimpossibles.

53.J'appelleimpossibleunechosedont lanature impliquequ'ilestcontradictoirequ'elleexiste ; j'appellenécessairecelledont la nature implique qu'il est contradictoire qu'elle n'existe pas; et possible celle dont l'existence, par sa nature même,n'implique aucune contradiction — qu'elle existe ou n'existe pas —, mais dont la nécessité ou l'impossibilité d'existencedépendentdecausesignoréesdenous,pendantquenousformonslafictiondesonexistence.Decefait,sisanécessitéousonimpossibilité,quidépendentdecausesextérieures,nousétaitconnue,nousnepourrionsenformeraucunefiction.

54.Ilendécouleque,s'ilexistaitquelque«Dieuomniscient»,ilnepourraitformerabsolumentaucunefiction.

Encequinousconcerned'ailleurs,aprèsavoirconnuquej'existe18, jenepeuxpasformer lafictionque j'existeouque jen'existepas;jenepeuxpasnonplusformerlafictiond'unéléphantquipasseraitparletroud'uneaiguille;et,unefoisquej'aiconnulanaturedeDieu19,jenepeuxpasformerlafictionqu'ilexisteoun'existepas.

IlfautcomprendrelamêmechoseàproposdelaChimère:sanatureimpliquecontradictionàcequ'elleexiste.

Àpartirdelà,ilestmanifeste,jel'aidit,quelafictiondontnousparlonsicineconcernepaslesvéritéséternelles20.

55.Maisavantd'allerplusloin,ilfautnoterenpassantqu'ilyalamêmedifférenceentrel'essenced'unechoseetcelled'uneautrequ'entresonexistence—ousonactualité—etcelled'uneautre.

Delasorte,sinousvoulionsconcevoir,parexemplel'existenced'Adamenrecourantsimplementàlanotiond'existenceengénéral,ceseraitlamêmechosequedevouloirconcevoirl'essenced'Adamennousfixantsurlanatured'unêtreengénéral,endéfinissant finalement Adam comme un être... C'est pourquoi, plus on conçoit l'existence de manière générale, plus on laconçoitaussiconfusément,etplusonpeutl'attribuerfacilement,demanièrefictive,àn'importequoi.Aucontraire,plusonlaconçoitdefaçonparticulière,plusonlacomprendclairement,etplusildevientdifficiledel'attribuerdemanièrefictive,lorsquenousnefaisonspasattentionàl'ordredelaNature,àuneréalitéquelconquequin'estpascettechosemême.Celamérited'êtrenoté.

56. Il faudra maintenant considérer les cas où l'on dit communément que nous formons des fictions, bien que nouscomprenionsclairementquelachosenecorrespondpasàlafictionquenousenformons.

Parexemple:bienquejesachequelaterreestronde,riennem'empêchecependantdedireàquelqu'unqu'elleestundemi-globe et comme unemoitié d'orange dans une soucoupe, ou que le soleil tourne autour de la terre, etc. Si nous y faisonsattention,nousn'yverronsrienquines'accordeaveccequiaétédit,pourvuquenousremarquionsd'abordquenousavonspunous tromperàuncertainmoment,puisêtreconscientsdenoserreurs.Nouspouvonsalors former la fiction,ouen toutcassupposer,qued'autreshommessontdanslamêmeerreurouqu'ilspeuventytomber,commenousl'avonsfaitprécédemment.

Nouspouvonsfairecettesuppositionfictivetantquenousnevoyonsaucuneimpossibiliténiaucunenécessité.Quanddoncjedisàquelqu'unquelaterren'estpasronde,etc.,jenefaisriend'autrequederappeleràmamémoireuneerreurquiapuêtrelamienne,oudanslaquellej'aiputomber,etaprèscela,formerlafictionousupposerqueceluiàquijeledisestencoredanslamêmeerreur,oupeutytomber.Commejel'aidit,jeformecettefictiontantquejen'yvoisniimpossibiliténinécessité;maissij'avaiscomprisl'uneoul'autre,cesfictionsm'auraientétéabsolumentimpossibles,etilauraitfalludireseulementquej'auraisproduituncertaineffet21.

57. Il nous restemaintenant à signaler aussi les suppositions que l'on formule dans les discussions, et qui se rapportentparfoismêmeàdesimpossibles.Lorsquenousdisonsparexemple:supposonsquecettechandellequibrûlenebrûlepas,ousupposonsqu'ellebrûledansquelqueespaceimaginaireoùiln'existeaucuncorps.Onfaitparfoisdessuppositionssemblables,bien que l'on comprenne clairement que cette dernière est impossible.Mais lorsqu'on fait cela, il n'y a absolument aucunefiction.Cardanslepremiercas,jenefaisriend'autrequederappeleràmamémoire22uneautrechandellequinebrûlaitpas,oudeconcevoircettemêmechandellesansflamme,etjecomprendsdelamêmemanièrecettechandelle-ciquel'autre,tantquejenem'occupepasdelaflamme.

Danslesecondcas,onnefaitriend'autrequ'abstrairelapenséedescorpsenvironnants,desortequel'espritsetourneverslaseulecontemplationdelachandelle,considéréeenelle-même,pourenconclurequelachandellenecomporteaucunecausedesapropredestruction.Sibienque,s'iln'yavaitaucuncorpsenvironnant,cettechandelleetcetteflammeresteraientimmuables,etainsidesuite.Iln'yadonciciaucunefiction,maisdevraiesetsimplesassertions23.

58.Passonsmaintenantauxfictionsquiserapportentauxessencesseules,oubienauxessencesaccompagnéesdequelqueactualité,ouexistence.Encequilesconcerne,ilfautsurtouttenircomptedececi:moinsl'espritcomprend,toutenpercevant

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davantage,plusgrandeestsacapacitédeformerdesfictions;maisplusilcomprend,pluscettecapacitédiminue.Demêmeque,parexemple,onl'avuplushaut, tantquenouspensons,nousnepouvonspassupposerfictivementquenouspensonsetquenousnepensonspas,demême,aprèsavoircomprislanatureducorps,nousnepouvonspasformerlafictiond'unemoucheinfinie;ouencore:aprèsavoirconnulanaturedel'âme24,nousnepouvonssupposerfictivementqu'elleestcarrée,bienquenouspuissionsprononcertoutceladansdesmots.

Mais commenous l'avons dit,moins les hommes connaissent laNature, plus facilement ils peuvent faire de nombreusessuppositionsfictivestellesquedesarbresquiparlent,deshommeschangésbrusquementenpierres,ensources,desspectresquiapparaissentdansdesmiroirs,lerienquidevientquelquechose,etmêmedesDieuxquisetransformentenbêtesetenhommes,etuneinfinitéd'autreschosesdecegenre.

59.Certainspenserontpeut-êtrequecequimetuntermeàlafictionestunefiction,maispasuneintellection;c'est-à-direqu'aprèsavoirfaitunesuppositionfictiveetavoiradmis,envertud'unecertaineliberté,quesonobjetexisteainsidanslanaturedes choses, il s'ensuit que nous ne pouvons plus ensuite penser d'une autre manière. Par exemple, après avoir supposéfictivement (pourparleraveceux) tellenatureducorps,etaprèsavoirvouluadmettre,envertud'uneprétendue liberté,quecettenatureexisteréellementcommetelle,ilnem'estpluspossibledeformer,parexemple,lafictiond'unemoucheinfinie;etaprèsavoirformélafictiond'uneessencedel'âme,jenepeuxpluslafairecarrée,etc.

60.Maisceladoitêtreexaminé.Toutd'abord,oubiencesgensnient,oubienilsadmettentquenouspouvonscomprendrequelquechose.

S'ilsl'admettent,ilfautnécessairementdireaussi,àproposdel'intellection,cequ'ilsdisentàproposdelafiction.

Maiss'ilslenient,voyonscequ'ilsdisent—nousquisavonsquenoussavonsquelquechose.

Ilsdisentque l'âmepeutsentiretpercevoirdebeaucoupdemanières,nonpaselle-même,ni leschosesquiexistent,maisseulementcellesquinesontnienelleninullepart,c'est-à-direquel'âmepeut,parsaseuleforce,créerdessensationsoudesidées qui ne sont pas celles de choses; si bien qu'ils la considèrent presque comme un Dieu. Ils disent ensuite que nouspossédons—ouquenotreâmepossède—unelibertétellequ'ellepeutnouscontraindrenous-mêmes,ouelle-même,ou,mieuxencore,sapropreliberté:car,aprèsavoirsupposéfictivementquelquechoseetluiavoirdonnésonassentiment,ellenepeutlepenseroulesupposerd'uneautremanière,etellesetrouvemêmecontrainte,parcettefiction,depenserlesautreschosesdefaçontellequ'iln'yaitpasdecontradictionaveclapremièrefiction—demêmequecesgenssetrouventcontraintsd'admettre,àcausedeleurfiction,lesabsurditésquejerapporteici,qu'onnesefatiguerapasàréfuterpardesdémonstrations.

61.Maisenlaissantcesgensàleursdélires,nousprendronssoinderetirerdesparolesquenousavonséchangéesaveceuxquelquevéritéutileànotreaffaire.Lavoici:quandl'espritconsidèreunechosefictiveetfausseparsanaturepourlasoupeseretlacomprendre,etpourendéduiredanslebonordrecequidoitenêtredéduit,ilenferavoirfacilementlafausseté.Maisquel'objetdecettefictionsoitvraiparsanature,sil'esprits'yappliquepourlacomprendreetcommenceàendéduiredanslebonordrecequiendécoule,ilavanceraheureusementetsansaucuneinterruption,delamêmemanière,nousl'avonsvu,qu'àpartirdelafictionfaussequivientd'êtrementionnée,l'intellects'estportétoutdesuiteàladémonstrationdesonabsurditéetàcelledesconséquencesquiendécoulent25.

62.Donc,pourvuquenouspercevionslachoseclairementetdistinctement,nousn'auronsnullementàcraindred'enformerlafiction. Car s'il nous arrive de dire que des hommes sont subitement changés en bêtes, nous prononçons une formule trèsgénérale,sibienqu'iln'yadansl'espritaucunconcept,autrementditaucuneidée,oucohérenced'unsujetetd'unprédicat.Eneffet,s'ilyenavait,l'espritverraitenmêmetempslemoyenetlescausesparlequeletpourlesquellesunetelleopérations'estfaite.Deplus,onnefaitpasnonplusattentionàlanaturedusujetetduprédicat.

63.Enoutre,pourvuquelapremièreidéenesoitpasfictiveetquetouteslesautresidéesensoientdéduites,lahâteàformerdes fictions s'évanouira peu à peu.Commede plus l'idée fictive ne peut être claire et distincte,mais seulement confuse, etcomme toute confusion procède de ce que l'esprit connaît seulement partiellement une chose qui est un tout, ou qui estcomposéedebeaucoupd'éléments,sansdistinguerleconnudel'inconnu—parcequed'ailleursils'appliqueenmêmetempssansaucunedistinctionàbeaucoupd'élémentscontenusdanschaquechose—ils'ensuit,premièrement,quesil'idéeestcelled'une réalitéparfaitement simple, ellenepourra êtrequeclaire etdistincte.Eneffet, cette réaliténepourrapas être connuepartiellement,maisdevral'êtretoutentière,oupasdutout.

64.Ils'ensuit,deuxièmement,quesilaréalitécomposéedepartiesmultiplesestdiviséeparlapenséeenpartiestoutestrèssimples,etsionprêteattentionàchacuneséparément,touteconfusiondisparaîtra.

Troisièmement, il s'ensuit qu'une fiction ne peut être simple,mais qu'elle se forme par la composition de diverses idéesconfuses, qui sont les idées de divers actes et réalités existant dans la Nature ou, pour mieux dire, elle se forme parl'attention26portéesimultanémentetsansassentimentàcesidéesdiverses.Carsil'idéeétaitsimple,elleseraitclaireetdistincte,etparconséquentvraie.Sil'idéeétaitforméeparlacompositiond'idéesclairesetdistinctes,leurcompositionseraitégalementclaireetdistincte,etparsuitevraie.

Parexemple,aprèsavoirconnulanatureducercleetcelleducarré,nousnepouvonspluscomposerlesdeuxetformerl'idéed'uncerclecarré,oud'uneâmecarrée,etc.

65.Concluonsdenouveaubrièvement, et constatonsqu'iln'est àcraindred'aucunemanièreque la fictionne seconfondeaveclesidéesvraies.Eneffet,encequiconcernelepremiertypedefictiondontnousavonsparlé,celuioùlachoseestconçueclairement,nousavonsvuquesicettechoseestclairementconçueetquesonexistenceestensoiunevéritééternelle,nousnepouvons former aucune fiction à son sujet. Mais si l'existence de la chose conçue n'est pas une vérité éternelle, il fautsimplementprendresoinquecetteexistencesoitmiseenrapportavecsonessence,etenmêmetempstenircomptedel'ordredelaNature.

Quantàladeuxièmeespècedefiction,nousavonsditqu'elleestuneapplicationdel'esprit,simultanéeetsansassentiment,àdiversesidéesconfusesdechosesetd'actesdiversexistantdanslaNature;nousavonsvuégalementqu'unechoseabsolument

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simplenepeutêtreobjetd'unefiction,maisseulementd'uneintellection;ilenvademêmepourunechosecomposée,pourvuquenousportionsattentionauxpartieslesplussimplesdontellesecompose.Bienplus,nousnepouvonspasformeràpartirdelàdessuppositionsfictivesd'actesquinesoientpasvraies.Carnousseronsforcésdevoirenmêmetempscommentetpourquoidetelleschosesseproduisent.

66. Cela étant compris, passonsmaintenant à l'étude de l'idéefausse pour voir à quoi elle se rapporte et comment nouspouvonsnousgarderdetomberdansdesperceptionsfausses.Aprèsl'enquêtesurl'idéefictive,ni l'unni l'autrenenousseramaintenantdifficile.Cariln'yaentreellesaucunedifférence,sicen'estquel'idéefaussesupposeunassentiment,c'est-à-direque, nous l'avonsdéjànoté, lorsque certaines représentations seprésentent à l'esprit, il ne s'yprésente aucune causedont ilpourraitconclure,commedanslecasdelafiction,quecesreprésentationsneproviennentpasdechosesextérieuresàlui,etquecen'estlàpresqueriend'autrequederêverlesyeuxouverts,ouenpleineveille.L'idéefausse,delamêmemanièrequel'idéefictive,concernel'existenceou,pourmieuxdire,serapporteàl'existenced'unechosedontonconnaîtl'essence,oubienalorselleconcernel'essence.

67.L'erreurquiconcernel'existencesecorrigedelamêmemanièrequelafiction:eneffet,silanaturedelachoseconnueimplique sonexistencenécessaire, il est impossiblequenousnous trompions au sujetde l'existencede cette chose.Mais sil'existencedelachosen'estpasunevéritééternelle,commel'estsonessence,maisquelanécessitéoul'impossibilitédesonexistencedépenddecausesextérieures,alorsilsuffitdereprendretoutcequ'onaditàproposdelafiction:lacorrectiondel'erreursefaitdelamêmemanière.

68.Encequiconcernel'autreformed'erreur,cellequiserapporteauxessences,ouencoreauxactions,detellesperceptionssontnécessairement toujoursconfuses, composéesdediversesperceptionsconfusesdechosesexistantdans laNature, tellescellesquipersuadentleshommesqu'ilyadesdieuxdanslesforêts,danslesimages,danslesanimauxetc.,qu'ilyadescorpsdont la seulecompositionproduitde l'intelligence,quedescadavres raisonnent,marchent,parlent,queDieu se trompe,etc.Maislesidéesquisontclairesetdistinctesnepeuventjamaisêtrefausses:carlesidéesdechosesquisontconçuesclairementetdistinctementsontsoittrèssimples,soitcomposéesd'idéestrèssimples,c'est-à-diredéduitesd'idéestrèssimples.

Etqu'uneidéetrèssimplenepuisseêtrefausse,n'importequipourralevoirpourvuqu'ilsachecequ'estlevrai,oul'intellect,etenmêmetempscequ'estlefaux.

69.Caràl'égarddecequiconstituelaformeduvrai,ilestcertainquelapenséevraiesedistinguedelafaussemoinsparuncaractèreextrinsèqueque,plutôt,paruncaractèreintrinsèque.

Si eneffetunconstructeur conçoit correctementunouvrage,bienqu'un tel ouvragen'ait jamais existé et nedoivemêmejamaisexister,sapenséeestcependantvraie,etsapenséeestlamême,quel'ouvrageexisteounon.Aucontraire,siquelqu'undit,parexemple,quePierreexistesanssavoirpourtantsiPierreexiste,encequileconcernecettepenséeestfausseou,sil'onpréfère,n'estpasvraie,quandbienmêmePierreexisteeffectivement.Etceténoncé:«Pierreexiste»n'estvraiquerapportéàceluiquisaitaveccertitudequePierreexiste.

70. Il suitde làqu'ilyadans les idéesquelquechosede réelparquoi lesvraiessedistinguentdes fausses.C'estcequ'ilfaudraétudiermaintenant,afind'avoir lameilleurenormedevérité(nousavonsditeneffetquenousdevonsdéterminernospensées selon la norme de l'idée vraie, et que laméthode est une connaissance réflexive) et de connaître les propriétés del'intellect.Or,onnedoitpasdireque ladifférencevientdeceque lapenséevraieconsisteàconnaître leschosespar leurscausespremières—enquoi,certes,elledifféreraitgrandementdelapenséefausse,tellequejel'aiexpliquéeplushaut—;carla pensée qui enveloppe objectivement l'essence d'un principe qui n'a pas de cause et qui est connu par soi et en soi estégalementditevraie.

71.Aussilaformedelapenséevraiedoit-ellesetenirdanscettepenséemême,sansrelationavecd'autres;ellenereconnaîtpasunobjetpourcause,maiselledoitdépendredelapuissancemêmeetdelanaturedel'intellect.

Supposons,eneffet,qu'unintellectaitperçuquelquenouvelêtrequin'ajamaisexisté,commecertainsconçoiventl'intellectdeDieu avantqu'il n'ait créé les choses (perceptionqui, certes, n'apuprovenir d'aucunobjet...) et que cet intellect déduiselégitimementd'unetelleperceptiond'autresidées,toutescespenséesseraientvraiesetneseraientdéterminéesparaucunobjetextérieur:ellesnedépendraientquedelapuissanceetdelanaturedel'intellect.C'estpourquoicequiconstituelaformedelapenséevraiedoitêtrecherchédanscettepenséemême,etdéduitdelanaturedel'intellect.

72.Afind'étudiercela,plaçonsdevantnosyeuxquelqueidéevraiedontnoussavonsaveclaplusgrandecertitudequesonobjetdépenddenotrepuissancedepenser,etqu'ellen'aaucunobjetdanslaNature.Ilressorteneffetdecequenousavonsditquenouspourronsétudierplusfacilementcequenousvoulonsdansunetelleidée.Ainsi,parexemple,pourformerleconceptd'unesphère,jemodèleàmongréunecause:àsavoirqu'undemi-cercletourneautourdesoncentreetquelasphèreestpourainsidireengendréeparsarotation.Cetteidéeestcertainementvraie,etbienquenoussachionsqu'aucunesphèren'ajamaisétéengendréeainsidanslaNature,c'estlànéanmoinsuneperceptionvraie,etc'estlamanièrelaplusfaciledeformerleconceptdelasphère.Ilfautnoterenoutrequecetteperceptionaffirmequeledemi-cercletourne:cetteaffirmationseraitfaussesiellen'était jointe au concept de la sphère, ou bien à celui d'une cause déterminant un tel mouvement, c'est-à-dire, absolumentparlant, si cetteaffirmationétait isolée.Car l'esprit sebornerait alorsàaffirmer lemouvementdudemi-cercle,quin'estpascontenudansleconceptdudemi-cercle,etneprovientpasnonplusduconceptdelacausedéterminantlemouvement.

Aussi la fausseté consiste-t-elle encela seulqu'est affirméàproposd'unechosecequin'estpas contenudans le conceptmêmequenousenavonsformé,tellemouvement,oulerepos,àproposdudemi-cercle.Ilsuitdelàquelespenséessimplesnepeuventpasnepasêtrevraies,tellel'idéesimpledudemi-cercle,dumouvement,delaquantité,etc.

Cequeces idéescontiennentd'affirmationcorrespondexactementà leurconceptetnes'étendpasau-delà ;c'estpourquoinouspouvonsformerdesidéessimplesàvolonté,sansaucunecrainted'erreur.

73.Ilnerestedoncqu'àchercherparquellepuissancenotreespritpeutlesformeretjusqu'oùs'étendcettepuissance;celatrouvé,nousverronsfacilementlaconnaissancelaplushauteàlaquellenouspouvonsparvenir.Ilestcertaind'ailleursquecette

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puissancenes'étendpasàl'infini:carlorsquenousaffirmonsàproposd'unobjetquelquechosequin'estpascontenudansleconceptquenousenavonsformé,celamontreundéfautdenotreperception,c'est-à-direquenousavonsdespenséesoudesidéesenquelquesortemutiléeset tronquées.Nousavonsvueneffetquelemouvementdudemi-cercleestfauxlorsqu'ilestisolé dans l'esprit, et qu'il est vrai s'il est joint au concept de la sphère ou au concept de quelque cause déterminant un telmouvement.

S'ilestdelanatured'unêtrepensant,commeonlevoitd'abord,deformerdespenséesvraies,c'est-à-direadéquates,ilestcertainquedesidéesinadéquatesseproduisentennousduseulfaitquenoussommesunepartiedequelqueêtrepensantdontlespenséesconstituentnotreesprit,lesunesentotalité,lesautresseulementenpartie.

***

74.Maiscequ'ilfautmaintenantremarquer-iln'yavaitpaslieudelementionneràproposdelafiction-c'estlecasoùseproduitlatromperielaplusgrande:lorsqu'ilarrivequecequis'offreàl'imaginationsetrouveaussidansl'intellect,etdoncseconçoitclairementetdistinctement;parcequ'alors,tantqueledistinctn'estpasséparéduconfus,lacertitude,c'est-à-direl'idéevraie,semêleàl'idéeindistincte.

Parexemple:certainsStoïciensontpuentendreparlerdel'«âme»;ilsontaussientendudirequ'elleétaitimmortelle—cequ'ilsnefaisaientqu'imaginerconfusément. Ils imaginaient aussi,etenmême temps ilscomprenaientque lescorps lesplussubtilspénètrenttouslesautresetnesontpénétrésparaucun.

Commeilsimaginaient toutcelaà la foiset lemélangeaientà lacertitudedecedernieraxiome, ilsse trouvèrentaussitôtcertainsquel'espritconsistaitencescorpstrèssubtils,etquecescorpstrèssubtilsétaientindivisibles,etc.

75.Maisnoussommesaussilibérésdecelaquandnousnousefforçonsd'examinertoutesnosperceptionsselonlanormedel'idéevraiequinousestdonnée,ennousgardant,commeonl'aditaudébut,decellesquenousavonsacquisesparouï-dire,ouparuneexpériencevague.

Ajoutonsqu'unetelletromperieprovientdufaitqu'onconçoitalorsleschosesd'unefaçontropabstraite.Ilestparsoiassezclair,eneffet,quecequejeconçois,appliquéàsonvéritableobjet,nepeutpasêtreappliquéàunautreobjet.

Cettetromperieprovientenfindecequ'onnecomprendpasquelssontlesélémentspremiersdetoutelaNature;dèslors,enprocédantsansordreetenconfondantlaNatureavecdesabstractions—quandbienmêmeceseraientdesaxiomesvrais—onseconfondsoi-mêmeetonrenversel'ordredelaNature.Pournous,enrevanche,sinousprocédonsdefaçonaussipeuabstraiteque possible et commençons avant tout par les premiers éléments, c'est-à-dire par la source et l'origine de laNature, cettetromperien'estnullementàcraindre.

76.Encequiconcernelaconnaissancedel'originedelaNature,iln'yaguèreàcraindrequenousnelaconfondionsavecdesabstractions.

Eneffet,lorsqu'onconçoitquelquechosed'abstrait,commelesonttouslestermesuniversels,ilssonttoujourscomprisdansl'intellectpluslargementqueleursréalitésparticulièresnepeuventexisterréellementdanslaNature.Etpuis,commeilyadanslaNaturebeaucoupdechosesdontladifférenceestsipetitequ'elleéchappepresqueàl'intellect,ilpeutarriverfacilementqu'onlesconfonde,sionlesconsidèreabstraitement.

MaiscommelasourcedelaNature,onleverraplusloin,nepeutpasêtreconçueabstraitementetnepeutpass'étendredansl'intellect,àlamanièred'ununiversel,plusloinquedanslaréalité,etqu'ellen'aaucunesimilitudeavecleschoseschangeantes,onnedoitcraindreaucuneconfusionausujetdesonidée,pourvuquenouspossédionslanormedevéritéquenousavonsdéjàindiquée;carassurémentcetêtreestunique27,infini,c'est-à-direesttoutl'Être28,etiln'yaaucunêtreendehorsdelui.

77.Voilàpourl'idéefausse.

Ilnousresteàétudierl'idéedouteuse,c'est-à-direàcherchercequipeutnousameneraudouteet,enmêmetemps,àcherchercommentlesupprimer.

Jeparleduvraidoutedel'espritetnondeceluiquenousvoyonsseprésenterlàoùenparolesonprétenddouter,bienquel'esprit ne doute pas. En effet, ce n'est pas à la Méthode qu'il appartient de corriger ce dernier, mais plutôt à l'étude del'obstinationetàlamanièredelacorriger.

78.Iln'yadansl'âmeaucundouteproduitparlachosemêmedontondoute,c'est-à-direques'iln'yadansl'âmequ'uneseuleidée,vraieoufausse, iln'yauraaucundoute,ninonplusdecertitude,maisseulementunecertainesensation.Eneffet,cetteidéen'estriend'autreensoiqu'unecertainesensation.Maisilyauradouteenvertud'uneautreidéequin'estpassuffisammentclaireetdistinctepourquenouspuissionsendéduirequelquechosedecertainconcernantlachosedontondoute;ceciveutdirequel'idéequinousjettedansledouten'estpasclairenidistincte.

Parexemple,siquelqu'unn'ajamaisréfléchiauxerreursdessens(niparexpériencenidequelqueautremanière),ilnesedemanderajamaissi lesoleilestplusoumoinsgrandqu'iln'apparaît.C'estpourquoilespaysanss'étonnentparfoislorsqu'ilsentendentdirequelesoleilestbeaucoupplusgrandqueleglobeterrestre;mais29laméditationsurleserreursdessensengendreledouteet si,aprèsavoirdouté,onacquiertuneconnaissancevraiedessensetde lamanièredont,par lesmoyensdont ilsdisposent,leschosessontreprésentéesàdistance,ledoutesetrouveànouveausupprimé.

79.Ils'ensuitquenousnepouvonspasmettreendoutelesidéesvraiessousprétextequ'ilexisteraitquelque«Dieutrompeur» qui nous tromperaitmême dans nos plus grandes certitudes, sauf si pendant ce temps nous n'avons aucune idée claire etdistinctedeDieu;autrementdittantque,nousappliquantàlaconnaissancequenousavonsdel'originedetouteschoses,nousnetrouvonsrienquinousenseignequeDieunepeutpasêtre«trompeur»paruneconnaissancedemêmenaturequecellequinouspermet, lorsquenousexaminonsattentivement lanaturedu triangle,dedécouvrirque lasommedeses troisanglesestégaleàdeuxanglesdroits.

MaissinousavonsdeDieuuneconnaissancedumêmegenrequecellequenousavonsdutriangle,alorstoutdoutesetrouve

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aboli.Etdemêmequenouspouvonsparveniràcegenredeconnaissancedutrianglemêmesinousnesavonspasaveccertitudesiquelque«grandtrompeur»noustrompe,demêmenouspouvonsparveniràunetelleconnaissancedeDieu,bienquenousnesachionspasentouterigueurs'ilexisteun«grandtrompeur».

Pourvuquenousayonscegenredeconnaissance,ellesuffit,comme je l'aidit,pourabolir toutdoutequenouspourrionsavoirsurlesidéesclairesetdistinctes.

80.Parailleurs,sil'onprocèdecorrectementenrecherchantd'abordcequidoitêtrerecherchéenpremierlieu,sansjamaisinterromprel'enchaînementdeschoses,etsil'onsaitdequellemanièreilfautdéterminerlesproblèmesavantdes'apprêteràlesrésoudre,onn'aurajamaisquelesidéeslespluscertaines,c'est-à-diredesidéesclairesetdistinctes.

Carledouten'estriend'autrequ'unesuspensiondel'âmeàproposd'uneaffirmationoud'unenégation;l'âmeaffirmerait,ounierait,s'iln'intervenaitquelqueélémentinconnu,quirendraitforcémentimparfaitesaconnaissancedelachose.Ilendécoulequeledouteprovienttoujoursdufaitqueleschosessontétudiéessansordre.

81.Voilàdonccequej'aipromisdetraiterdanscettepremièrepartiedelaMéthode.

Maisafindenerienomettredecequipeutconduireàlaconnaissancedel'intellectetdesesforces,j'aborderaiégalementlaquestion de laMémoire et de l'Oubli. Il faudra surtout remarquer ici que lamémoire s'affermit tantôt avec le concours del'intellect,tantôtsanslui.

Danslepremiercas:onretientd'autantplusfacilementunechosequ'elleestplusintelligible;inversement,nousl'oublionsd'autantplusfacilementqu'ellel'estmoins.Parexemple,sijedonneàquelqu'ununelistedemotsisolés,illesretiendrabienplusdifficilementquesijeluidonnecesmêmesmotssouslaformed'unrécit.

82.Maislamémoires'affermitaussisansleconcoursdel'intellect,àsavoirparlaforceaveclaquellel'imagination—oulesens,qu'onappellecommun—estaffectéeparunechosecorporellesingulière.Jedissingulière,carl'imaginationn'estaffectéequepardesobjetssinguliers.Eneffet,siquelqu'unlituneseulehistoired'amour,illaretiendratrèsbien,aussilongtempsqu'iln'enlirapasplusieursautresdumêmegenre,parcequ'alorselles'affirmeseuledanssonimagination;maiss'ilyenaplusieursdumêmegenre,nouslesimaginonstoutesàlafoisetellesseconfondentfacilement.

Je dis aussi : corporelle, car l'imagination est affectée seulement par les corps. Comme donc la mémoire s'affermit parl'intellect,etaussisanslui,ils'ensuitqu'elleestquelquechosededifférentdel'intellect,etquedansl'intellectenvisagéenlui-mêmeiln'yanimémoirenioubli.

83.Queseradonclamémoire?Riend'autrequelasensationdesimpressionsducerveau,accompagnéedelapenséed'unedurée30déterminéedelasensation;laréminiscencenouslemontreaussi.Eneffet,danslaréminiscence,l'âmepenseàcettesensation,maisnonsouslaformed'uneduréecontinue;ainsil'idéedecettesensationn'estpaslamêmechosequeladuréedelasensation,quiestlamémoireelle-même.

Quantàsavoirsilesidéesmêmessontsujettesàquelquecorruption,nousleverronsdansmaPhilosophie.

Sicelasembleabsolumentabsurdeàquelqu'un,ilsuffitànotreproposqu'ilpenseque,plusunechoseestsingulière,plusonlaretientfacilement,commelemontreplushautl'exempledelaComédie.Etd'unautrecôté,plusunechoseestintelligible,plus on la retient facilement.C'est pourquoi nous ne pourrions pas ne pas retenir une chose absolument singulière, pourvuqu'ellesoitintelligible.

84.Ainsinousavonsdoncdistinguél'idéevraiedesautresperceptionsetnousavonsmontréquelesidéesfictives,lesidéesfausses,etautres,ontleuroriginedansl'imagination,c'est-à-diredansdessensationspourainsidirefortuitesetisoléesquineproviennentpasdelapuissancemêmedel'espritmaisdecausesextérieures,selonlesmouvementsvariésquereçoitlecorps,qu'ildormeouqu'ilveille.

Qu'onentendeparimaginationcequel'onveut,pourvuquecesoitquelquechosededifférentdel'intellect,etenquoil'âmesecomportepassive-ment.Peuimporteeneffetcommentonl'entend,pourvuquenoussachionsqu'elleestquelquechosedevagueetdontl'âmepâtit,etquenoussachionsenmêmetempscommentnousenaffranchiràl'aidedel'intellect.

Quepersonnenes'étonnealorsquejeneprouvepasencoreiciqu'ilyadescorps,nid'autresélémentsnécessaires,toutenparlant cependant de l'imagination, du corps et de sa constitution. En effet, je l'ai dit, peu importe comment je conçoisl'imagination,pourvuquejesachequ'elleestquelquechosedevague,etc.

85.Maisnousavonsmontréquel'idéevraieestsimple,oucomposéed'idéessimples,etqu'elleindiquecommentetpourquoilachoseest,ouaétéproduite.Nousavonsaussimontréqueseseffetsobjectifsdansl'âmeprocèdentconformémentàl'essenceformelledesonobjet.

Celarevientàdire,commel'ontfaitlesAnciens,quelavraiescienceprocèdedelacauseauxeffets;àceciprèsquejamais,autantque jesache, ilsn'ontconçu,commenous l'avonsfait ici, l'âmeagissantselondes loiscertaines,etcommeunesorted'automatespirituel.

86.Ainsiavons-nousacquis,autantqu'ilestpossibledansundébut,unenotiondenotreintellectetunenormedel'idéevraietellequenousnecraignonsdéjàplusdeconfondrecequiestvraiaveccequiestfaux,oufictif;enoutre,nousneseronsplusétonnésdufaitquenouscomprenionscertaineschosesquin'ontriend'imaginatif,nidufaitqu'ilyaitdansl'imaginationd'unepart,desélémentsquis'opposententièrementàl'intellect,d'autrepartd'autresélémentsquis'accordentensommeaveclui.

Eneffetnoussavonsque lesopérationspar lesquellesseproduisent les imaginationss'effectuentselondes lois toutà faitdifférentesdecellesdel'intellect,etquel'âmesecomporteàl'égarddel'imaginationdemanièreseulementpassive.

87.Onvoitaussiclairement,àpartirdelà,combienfacilementceuxquinedistinguentpassoigneusementl'imaginationdel'intellection peuvent tomber dans de grandes erreurs. Par exemple dans celle-ci : « que l'étendue se tiendrait dans un lieu,qu'elleserait finie,quesespartiessedistingueraient réellemententreelles,qu'elleserait lepremieret l'uniquefondementdetouteschoses,qu'elleoccuperaitàunmomentunespaceplusgrandqu'unautre»,etbeaucoupd'idéesdecegenre,quitoutes

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s'opposententièrementàlavérité,commenouslemontreronsensonlieu.

88.Deplus,commelesmotsfontpartiedel'imagination—nousformonseneffetbeaucoupdeconceptionsfictivesselonquelesmotssecomposentvaguementdanslamémoireenvertudequelquedispositionducorps—,ilnefaitpasdedoutequ'ilspeuventêtrecause,aussibienquel'imagination,demultiplesetdegrandeserreurs,sinousn'yprenonspassuffisammentgarde.

89.Ajoutonsqu'ilssontcomposésarbitrairement,augréde lafoule,sibienqu'ilsnesontque lessignesdeschoses tellesqu'ellessontdansl'imaginationetnontellesqu'ellessontdansl'intellect;celaapparaîtclairementdanslefaitqu'àtoutcequiestseulementdansl'intellect,etnondansl'imagination,onasouventimposédesnomsnégatifstelsque:«incorporel»,«infini»,etc.,etqu'onexprimemêmedemanièrenégativebeaucoupdechosesquienréalitésontpositives,etinversement;ainsi«incréé»,« indépendant»,« infini»,« immortel»,etc.,parcequenous imaginonsbeaucoupplus facilement leurscontraires;c'estpourquoicesdernierssesontprésentésd'abordauxpremiershommesetontusurpélesnomspositifs.

Nousaffirmonsetnionsbeaucoupdechosesparcequecesaffirmationsetcesnégationssuiventlanaturedesmots,etnonlanaturedeschoses;sibienqu'enl'ignorant,nousprendrionsfacilementpourvraicequiestfaux.

90.Évitons,enoutre,uneautregrandesourcedeconfusion,quiconsisteencequel'intellectneréfléchitpassuffisammentsurlui-même:eneffet,lorsquenousnedistinguonspasimaginationetintellection,nouscroyonsquecequenousimaginonsplusfacilementestplusclairpournous,etcequenousimaginons,nouscroyonslecomprendre.

Parsuite,nousmettonsenavantcequidoitveniraprès,etl'ordrevraidelaprogressionsetrouveainsirenversé,rienn'étantdéduitdefaçonlégitime.

91.Etmaintenant31,pourquenousarrivionsenfinàladeuxièmepartiedecetteMéthode,jevaisd'abordexposerquelyestnotrebut,puislesmoyensdel'atteindre.

Lebutestdoncd'avoirdesidéesclairesetdistinctes,c'est-à-diredesidéesquisontproduitesparl'espritpur,etnonpardesmouvementsfortuitsducorps.

Puis,pourquetouteslesidéessoientramenéesàuneseule,nousnousefforceronsdelesenchaîneretdelesordonnerdetellemanière quenotre esprit, autant qu'il le peut, reproduise objectivement la structure de laNature dans sa totalité et dans sesparties.

92.Encequiconcernelepremierpoint,commenousl'avonsdéjàenseigné,notrebutultimeexigequelachosesoitconçuesoit par sa seule essence, soit par sa cause prochaine. De cette manière, si la chose existe en soi ou, comme on ditcommunément,sielleestcausedesoi,elledevradanscecasêtrecompriseparsonessenceseule;maissilachosen'existepasensoi,sielleabesoind'unecausepourexister,danscecaselledevraêtrecompriseparsacauseprochaine.

Carenréalitélaconnaissancedel'effetn'estriend'autrequel'acquisitiond'uneconnaissanceplusparfaitedelacause32.

93.Ilnenousseradoncjamaispermis,tantqu'ils'agiradel'étudeduréel,detirerdesconclusionsdenotionsabstraites,etnousdevronsprendre leplusgrand soindenepasmélanger cequi existe seulementdans l'intellect et cequi existedans laréalité.

Lameilleure conclusion sera tirée de quelque essence particulière affirmative, ou d'une définition vraie et légitime. Carl'intellectnepeutdescendreàpartirdesseulsaxiomesuniverselsjusqu'auxréalitéssingulières,puisquelesaxiomess'étendentàuneinfinitédecasetnedéterminentpasl'intellectàconsidérerunechosesingulièreplutôtqu'uneautre.

94.C'estpourquoilavoiecorrectedeladécouverteconsisteàformerdespenséesàpartirdequelquedéfinitiondonnée,cequiseferaavecd'autantplusdebonheuretdefacilitéquenousauronsmieuxdéfiniunechose.AussilepivotdetoutecettesecondepartiedelaMéthodetourne-t-ilautourdecelaseulement:connaîtrelesconditionsd'unebonnedéfinition,etpuislamanièredetrouvercesbonnesdéfinitions.

95.Pourqu'unedéfinitionsoitditeparfaite,elledevraexpliquer l'essence intimede lachose, et il faudraveiller ànepasmettrequelquepropriétéàlaplacedecetteessence.Pourexpliquercela,etsansprendred'autresexemplesquimedonneraientl'air de vouloir débusquer les erreurs des autres, je donnerai seulement l'exemple d'un être abstrait dont la définition estindifférente,àsavoirlecercle.

Sion le définit commeune figuredont les lignes tiréesdu centre à la circonférence sont égales, il n'échappe àpersonnequ'unetelledéfinitionn'expliquenullementl'essenceducercle,maisnemontrequ'unedesespropriétés.Etsansdoute,jel'aidéjàdit,c'estsansimportancedanslecasdesfiguresetd'autresêtresderaison;maisc'esttrèsimportantdanslecasdesêtresphysiques et réels.Parcequ'alors, assurément, les propriétés des choses ne sont pas comprises, tant que leurs essences sontignorées.Sinouslesnégligeons,nousrenverseronsnécessairementl'enchaînementdesidéesdel'intellect,quidoitreproduireceluidelaNature,etnousnouséloigneronstoutàfaitdenotrebut.

96.Donc,pournouslibérerdecedéfaut,ilfaudraobserverdansladéfinitionlesrèglessuivantes:

S'il s'agitd'unechosecréée, ladéfinitiondevra,commenous l'avonsdit, comprendre lacauseprochaine. Parexemple,seloncetterègle,lecercledevraitêtredéfinicommesuit:c'estunefiguredécritepartoutelignedontuneextrémitéestfixeetl'autremobile.Cettedéfinitioncomprendclairementlacauseprochaine.

Leconcept,ouladéfinitiondelachose,devraêtretelquetoutessespropriétés,tantqu'onl'envisageseuleetnonjointeàd'autres,puissentenêtredéduites,commeonpeutlevoirdanscettedéfinitionducercle.Eneffet,onendéduitclairementquetoutesleslignestiréesducentreàlacirconférencesontégales.

Or,quecesoitlàlaconditionnécessaired'unedéfinitionparaîtsiévidentensoi,àquis'yapplique,qu'ilnesemblepasvaloirlapeinedes'arrêteràsadémonstration,pasplusquedemontreràpartirdecettesecondeconditionquetoutedéfinitiondoitêtreaffirmative. Jeparlede l'affirmation intellectuelle, sansme soucierd'uneaffirmationverbalequi, à causede l'indigencedesmots,pourraparfoiss'exprimersousuneformenégative,bienqu'ellesoitcomprised'unemanièreaffirmative.

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97.Quantàladéfinitiond'unechoseincréée,voicisesconditions:

Ilfautqu'elleexcluetoutecause,c'est-à-direquesonobjetn'aitbesoinderiend'autrequedesonêtreproprepourêtreexpliqué.

Unefoiscettedéfinitiondonnée,ilnedoitplusyavoirdeplacepourlaquestion:«Cettechoseexiste-t-elle?»

Parrapportàl'esprit,ilfautqueladéfinitionnecomporteaucunsubstantifquipuisseêtreadjectivé,pourquelachosenesoitpasexpliquéeparquelquetermeabstrait.

Endernier lieu(mêmes'iln'estpas trèsnécessairede lenoter), il fautqu'onpuisse tirerde ladéfinitionde lachosetoutessespropriétés.Toutcelaestd'ailleursévidentpourquiyréfléchitavecsoin.

98. J'ai dit aussi que lameilleure conclusion sera tirée d'une essence particulière affirmative : en effet, plus une idée estspéciale,pluselleestdistincte,etdoncclaire.Ilendécoulequenousdevonsrechercheravant tout laconnaissancedesêtresparticuliers.

99.Maisencequiconcernel'ordre,etpourquetoutesnosperceptionssoientordonnéesetunifiées,ilfautdèsquepossible—laraisonl'exige—quenousrecherchionss'ilyaunÊtre,etquelestcetÊtre,telqu'ilsoitlacausedetouteschoses,pourquesonessenceobjectivesoitaussilacausedetoutesnosidées;c'estalorsquenotreesprit,commenousl'avonsdit,pourralemieuxreproduirelaNature,carilenposséderaobjectivementl'essence,l'ordreetl'union.

Onvoitparlàqu'ilestnécessaireavanttoutquenousdéduisionstoujourstoutesnosidéesdeschosesphysiques,c'est-à-diredesêtresréels,enprogressantautantquepossibleselonlasériedescauses,d'unêtreréelàunautreêtreréel,sanstransiterpardestermesabstraitsetuniversels,soitquenoustirionsdeceux-cideschosesréelles,soitquenouslestirionsdeschosesréelles:cardansl'unetl'autrecas,oninterromptlaprogressionvraiedel'intellect.

100.Mais il faut noter qu'ici, par « série des causes et des êtres réels », je n'entends pas la série des choses singulièreschangeantes,maisseulementlasériedeschosesfixesetéternelles.Eneffet,ilseraitimpossibleàlafaiblessehumainedesuivrela série des choses singulières changeantes, tant à cause de leur multitude supérieure à tout nombre, qu'en raison descirconstancesinfiniesquiconcernentuneseuleetmêmechose:chacunedecescirconstancespeutêtrecausedeleurexistenceoudeleurnon-existence,puisqueleurexistencen'aaucunlienavecleuressence,ousil'onveut,commeonl'adéjàdit,n'estpasunevéritééternelle.

101.Envérité,iln'estpasnonplusnécessairequenouscomprenionscettesérie,puisquelesessencesdeschosessingulièreschangeantesnepeuventpasêtretiréesdeleursérie,oudeleurordred'existence:celui-cinenousfournitquedescaractèresextrinsèques,desrelationsou,aumieux,descirconstances,cequiestbienloindel'essenceintimedeschoses.

Onchercheracetteessenceàpartirdeschosesfixesetéternelles,àpartirdesloisquisontinscritesdansceschosescommedansleursvraiscodes,loisselonlesquellestouteslesréalitéssingulièresseproduisentets'ordonnent.

D'ailleurs,ceschosessingulièreschangeantesdépendentsiintimement,etpourainsidiresiessentiellementdesréalitésfixes,qu'ellesnepeuventniêtreniêtreconçuessanselles.C'estpourquoicesréalitésfixesetéternelles,quoiquesingulières,àcauseà la fois de leur omniprésence et de leur très grande puissance, seront cependant pour nous comme des « universaux »,autrementditcommedesgenrespourladéfinitiondeschosessingulièreschangeantes,etserontlescausesprochainesdetouteschoses.

102.Maispuisqu'ilenestainsi,ilsembleencoreassezdifficiledeparveniràlaconnaissancedeceschosessingulières:carlesconcevoirtoutesàlafoisdépassegrandementlesforcesdel'intellecthumain.Orl'ordredanslequelilfautcomprendreunechoseavantl'autrenedoitpasêtretiré,nousl'avonsdit,nideleurséried'existencenimêmedesréalitéséternelles:là,eneffet,toutestparnaturesimultané.Ils'ensuitqu'ilestnécessairederechercherd'autresauxiliairesqueceuxdontnousnousservonspourcomprendreleschoseséternellesetleurslois.

Maiscen'estpaslelieud'entraiterici,etilestinutiledelefaireavantquenousn'ayonsacquisuneconnaissancesuffisantedeschoseséternellesetdeleursloisinfaillibles,etquenousn'ayonsconnulanaturedenossens.

103.Avantdenousprépareràlaconnaissancedeschosessingulières,ilseratempsdetraiterdecesauxiliairesquitousnousaiderontàbienutilisernossensetnouspermettrontdefairedesexpériencesselondesloisetunordrecertain,pourdéterminersuffisamment la chose que nous étudions, pour en conclure enfin selon quelles lois des réalités éternelles cette chose estproduite,etpourenconnaîtrelanatureintime,commejelemontreraiensonlieu.

Ici, pour revenir à notre objet, je tâcherai seulement d'étudier ce qui semble nécessaire pour pouvoir parvenir à laconnaissancedeschoseséternelles,etformerleursdéfinitionsselonlesconditionsmentionnéesci-dessus.

104. Pour cela, il faut rappeler à lamémoire ce que nous avons dit plus haut, à savoir que, lorsque l'esprit s'applique àquelquepenséepourl'examineretendéduireenbonordrecequidoitenêtredéduitlégitimement,sicettepenséeétaitfausse,ilendécouvre la fausseté ; si,en revanche,elleétaitvraie,alors ilcontinueàendéduireavecbonheurdeschosesvraiessansaucuneinterruption;ceci,dis-je,estnécessaireànotreobjet,cariln'yaucunprincipequipuissedonneruntermeànospensées.

105.Sinousvoulonsdoncrechercherlachosequiestlapremièredetoutes,ilestnécessairequ'unprincipedonnéydirigenospensées.

Ensuite,puisquelaMéthodeest laconnaissanceréflexiveelle-même,ceprincipequidoitdirigernospenséesnepeutêtreautrequelaconnaissancedecequiconstituelaformedelavérité,jointeàlaconnaissancedel'intellect,desespropriétésetdesesforces.

Eneffet, lorsquenousauronsacquiscetteconnaissance,nousauronsleprincipedontnousdéduironsnospensées,etnousauronslavoieparlaquellel'intellectpourraparveniràlaconnaissancedeschoseséternellesàlamesuredesacapacité,c'est-à-direentenantcomptedesforcesdel'intellect.

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106.S'ilappartientàlanaturedelapenséedeformerdesidéesvraies,commeonl'amontrédanslapremièrepartie,ilfautcherchermaintenantcequ'onentendpar« forcesetpuissancede l'intellect».Puisque lapartieprincipaledenotreMéthodeconsisteàcomprendreparfaitement les forcesde l'intellectet sanature,noussommesnécessairementobligés (àcausedecequ'onaexposédanslasecondepartiedelaMéthode)dedéduirecettecompréhensiondeladéfinitionmêmedelapenséeetdel'intellect.

107.Maisjusqu'icinousnepossédonsaucunerèglepourtrouverlesdéfinitions;etpuisquenousnepouvonslesdonnertantquelanature,c'est-à-direladéfinitiondel'intellectetdesapuissance,n'estpasconnue,ils'ensuit,oubienqueladéfinitiondel'intellectdoitêtreclaireparelle-même,oubienquenousn'enpourronsrier.comprendre.

Pourtant,cettedéfinitionn'estpasabsolumentclaireparelle-même.

Mais comme ses propriétés — comme tout ce que nous tirons de l'intellect — ne peuvent être perçues clairement etdistinctementquesileurnatureestconnue,ladéfinitiondel'intellectseferaconnaîtreparelle-mêmesinousportonsattentionauxpropriétésdel'intellectquenouscomprenonsclairementetdistinctement.

Nousallonsdoncénumérericilespropriétésdel'intellect,lesexamineretcommencerl'étudedenosinstrumentsinnés.

108.Lespropriétésdel'intellectquej'aiparticulièrementremarquéesetquejecomprendsclairementsontlessuivantes:

Il enveloppe la certitude, c'est-à-dire qu'il sait que les choses sont formellement comme elles sont contenuesobjectivementenlui-même.

Ilperçoit,ouformecertainesidéesabsolument,etlesautresàpartird'autresidées.Parexemple,ilformel'idéedelaquantité absolument, sansavoir recours àd'autrespensées; en revanche, les idéesdemouvement, ilne lesformepasabsolument,maisenrecourantàl'idéedequantité.

Les idées qu'il forme absolument expriment l'infinité; mais c'est à partir d'autres idées qu'il forme les idéesdéterminées.Ainsipourl'idéedequantité:quandillaperçoitparrapportàunecause,alorsilpenseunequantitédéterminée.Parexemple,quandilperçoituncorpscommeengendréparlemouvementd'unplan,ouunplanparlemouvement d'une ligne, ou encore une ligne par le mouvement d'un point : ces perceptions ne servent pas àcomprendrelaquantité,maisseulementàladéterminer.

Cela se reconnaît à ce que l'on conçoit ces êtres comme s'ils naissaient du mouvement, alors que cependant nous nepercevonspaslemouvementavantd'avoirperçulaquantité,etaussiaufaitquenouspouvonsprolongeràl'infinilemouvementquiengendrelaligne,cequinousseraittoutàfaitimpossiblesinousn'avionspasl'idéed'unequantitéinfinie.

IV.Ilformelesidéespositivesavantlesidéesnégatives.

V.Ilperçoitleschoses,nontantsousl'aspectdeladuréequesousuncertainaspectd'éternité,etsousunnombreinfini;ouplutôt,danssaperceptiondeschoses,ilneconsidèrenilenombreniladurée.

Tandis que lorsqu'on imagine les choses, on les perçoit sous l'aspect d'un certain nombre, d'une durée et d'une quantitédéterminée.

VI.Lesidéesclairesetdistinctesquenousformonssemblentdécoulerdelaseulenécessitédenotrenature,defaçonqu'ellesparaissentdépendreabsolumentdenotreseulepuissance.

C'estlecontrairepourlesidéesconfuses,carcelles-làseformentsouventcontrenotregré.

VII.L'espritpeutdéterminerdebeaucoupdemanièreslesidéesdeschosesquel'intellectformeàpartird'autresidées.

Parexemple,pourdéterminerunesurfaceelliptique,ilsereprésenteunepointeattachéeàunecordeetsemouvantautourdedeuxcentres,oubienilconçoituneinfinitédepointsayantunrapportdéterminéetconstantavecunelignedroitedonnée,ouencoreuncônecoupéparunplanobliquedetellefaçonquel'angled'inclinaisonsoitplusgrandquel'angleausommetducône,oubienencoreilconçoitcelad'uneinfinitéd'autresmanières.

VIII.Lesidéessontd'autantplusparfaitesqu'ilyaplusdeperfectiondansl'objetqu'ellesexpriment:nousn'admironspasautantleconstructeurquiaconçuunmodesteoratoirequeceluiquiaconçuuntempleremarquable.

109. Je ne m'arrête pas ici aux autres modes qui appartiennent aussi à la pensée, tels l'amour, la joie, etc., car ils neconcernentpasnotrebutactuel,etnepeuventd'ailleurspasêtreconçusavantqu'onn'aitconçud'abordl'intellect.Eneffet,laperceptionsupprimée,touscesmodeslesontaussi.

110. Les idées fausses et les idées fictives n'ont rien de positif (on l'a suffisammentmontré) par quoi elles doivent êtrenomméesfausses,oufictives,etnesontainsiconsidéréesqueparunesimpleabsencedeconnaissance.C'estpourquoilesidéesfaussesetlesidéesfictives,entantquetelles,nepeuventriennousapprendresurl'essencedelapensée.

Mais cette essence doit être recherchée seulement à partir des propriétés positives ici recensées; cela veut dire qu'il fautmaintenantétablirquelquepointcommund'oùcespropriétésdécoulentnécessairement,telque,celaposé,cespropriétéssoientdonnéesnécessairement,etquecelasupprimé,toutescespropriétéslesoientaussi.

«Lerestemanque.»

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aLetextedesnotesdeSpinozasetrouvep.75.

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NotesdeSpinoza

1Celaauraitpuêtreexpliquépluslonguementetplusdistinctement,endistinguantenparticulierlesrichessespoursuiviespourelles-mêmes,oupourl'honneur,oupourleplaisirsensuel,oupourlasantéetl'accroissementdessciencesetdesarts;maiscelaviendraensonlieu,carcen'estpasiciqu'ilfautl'étudierd'aussiprès.

2Celadoitêtredémontréavecplusdesoin.

3Celaseraexpliquéplusamplementensonlieu.

4Remarque:jemeborneàénumérericilessciencesnécessairesànotrebut,sanstenircomptedeleurenchaînement.

5Touteslessciencesontunseulbut,verslequelellesdoiventtoutesêtredirigées.

6Lorsque cela arrive, nous ne comprenons rien de la cause, hormis ce que nous considérons dans l'effet; cela se voit suffisamment à ce que la cause, alors, n'estexpliquéequepardestermestrèsgénéraux,dugenre:«Ilyadoncquelquechose,ilyadoncquelquepuissance,etc.»,ouaussidufaitqu'onl'exprimedefaçonnégative:«Cen'estdoncpasceci,oucela,etc.»Danslesecondcas,onattribuequelquechoseàlacauseenvertud'uneffetquel'onconçoitclairement,commenouslemontreronsdansl'exemple,maisrienquedespropriétés,etnonpasl'essenceparticulièredelachose.

7Onvoitclairement,parcetexemple,cequejeviensdepréciser:carparcetteunionnousnecomprenonsrienquelasensationelle-même,àpartirdelaquellenousconcluonsunecausedontnousnecomprenonsrien.

8Unetelleconclusion,bienquecertaine,n'estpasassezsûre,saufpourceuxquiprennentlesplusgrandesprécautions.Cars'ilsneprennentpascesprécautions,ilstomberontimmédiatementdansl'erreur;eneffet,quandonconçoitleschosesd'unemanièreaussiabstraite,etnonparleuressencevraie,onestaussitôtembrouilléparl'imagination.Carcequiestunparsoi-même,leshommesl'imaginentmultiple.Auxréalitésqu'ilsconçoiventabstraitement,séparémentetconfusément,ilsimposentlesnomsdontilsfontusagepourd'autresréalitésplusfamilières;ilarrivealorsqu'ilslesimaginentdelamêmemanièrequ'ilsontl'habituded'imaginerleschosesauxquellesilsontd'abordimposécesmêmesnoms.

9Ici,jedevraitraiterunpeuplusamplementdel'expérience,etexaminerlaméthodedesEmpiristesetdecertainsphilosophesnouveaux.

10Parpuissanceinnéej'entendscequin'estpascauséennouspardescausesextérieures,commenousl'expliqueronsplustarddansnotrePhilosophie.[SpinozadésigneainsisonouvrageintituléÉthique—N.d.T.]

11Jelesappelleicidesœuvres;dansmaPhilosophie,j'expliqueraicequ'ellessont.

12Notonsquenousprendronssoin ici,nonseulementd'éclairerceque jeviensdedire,maisaussidemontrerquenousavonsavancécorrectement jusqu'ici,etdemontrerenmêmetempsd'autreschosesqu'ilestfortnécessairedesavoir.

13Notonsquenousnecherchonspasicicommentlapremièreessenceobjectivenousest innée,carcelaconcernel'investigationdelanature,oùonl'expliquepluslonguementetoùl'onmontre,enmêmetemps,qu'iln'yaaucuneaffirmation,aucunenégation,niaucune«volonté»quisoitextérieureàl'idée.[Cettenoteexcessivementconciserenvoieàl'Éthique2,48sq.etàladistancequis'yaffirmeaveclapenséecartésienne.ElledemandeunelongueexplicationquelelecteurcurieuxtrouveradanslesdiverscommentairesproposésdanslaBibliographie.Maiscetteexplicationn'estpasindispensablepourpoursuivrelalectureduTraité—N.d.T.]

14Enquoicetterechercheconsistedansl'âme,jel'expliquedansmaPhilosophie.

15Avoirunrapportaveclesautreschoses,c'estêtreproduitpard'autres,ouenproduired'autres.

16Demêmequenousnedoutonspas,iciaussi,denotrevérité.

17Voirplusbasnotreremarquesurleshypothèsesquenouscomprenonsclairement;lafictionconsisteàdirequ'ellesexistentcommetelles,danslescorpscélestes.

18Parcequelachose,pourvuqu'ellesoitcomprise,semanifesteelle-même,nousn'avonsbesoiniciqued'unexemple,sansautredémonstration.Ilenserademêmedesacontradictoire,qu'ilsuffitd'examinerpourquesafaussetéapparaisse,commeonleverraaussitôtlorsquenousparleronsdelafictionconcernantl'essence.

19Notonsquesibeaucoupdegensdisentdouterdel'existencedeDieu,c'estqu'ilsn'enpossèdentquelenom,oubienqu'ilsseformentunefictionquelconque,qu'ilsnommentDieu,etquineconvientnullementàlanaturedeDieu,commejelemontreraiplustard,ensonlieu.

20Par vérité éternelle j'entends uneproposition telle que, si elle est affirmative, elle ne pourra jamais être négative.Ainsi «Dieuest » est une vérité première etéternelle,maiscen'estpasunevéritééternellequ'«Adampense».«Lachimèren'existepas»estunevéritééternelle,maisnon:«Adamnepensepas.»

21[Demanipulation,deséduction,etc.Cf.postface.—N.d.T.]

22Quandnousparleronsensuitedelafictionquiserapporteauxessences,ilapparaîtraclairementqu'unefictionneproduitjamaisriendenouveauetn'apporteriendenouveauàl'esprit,maisqu'ellerappelleseulementàlamémoirecequiestdanslecerveauoudansl'imagination;etl'espritconsidèreconfusémenttoutescesidéesàlafois.Ainsi,parexemple,uneparoleproféréeetunarbresontrappelésàlamémoire;etcommel'espritlesconsidèreconfusémentetsansdistinction,ilpensequel'arbreparle.Lamêmechose s'entendde l'existence, surtout, commenous l'avonsdit, quandon la conçoitd'unemanièreaussigénéraleque l'« être»,parcequ'on l'appliquealorsfacilementàtoutcequisurgitenmêmetempsdanslamémoire;cequ'ilesttrèsimportantdenoter.

23Lamêmechosedoits'entendreaussideshypothèsesquel'onformulepourexpliquerquelssontexactementlesmouvementsquiconcordentaveclesphénomènescélestes,àceciprèsqu'ondéduitdeceshypothèsesappliquéesauxmouvementscélestes lanatureduciel,quipeutcependantêtredifférente,d'autantplusqu'onpeutconcevoirbeaucoupd'autrescausespourexpliquercesmouvements.

24Ilarrivesouventquel'hommerappelledanssamémoirecemot«âme»etseformeenmêmetempsquelqueimagecorporelle.Orcommelesdeuxsontreprésentésenmêmetemps,ilpensefacilements'imagineretsefigureruneâmecorporelle;c'estqu'ilnedistinguepaslenomdelachoseelle-même.Jedemandeiciqueleslecteursneseprécipitentpaspourréfutercela,etj'espèrequ'ilsneleferontpas,àconditionqu'ilsprêtentleplusgrandsoinàl'étudedesexemples,ainsiqu'àlasuite.

25J'ail'air,toutefois,deconclureceladel'expérience,etonpourraitdirequecelanevautrienparcequeladémonstrationmanque;jeladonnedoncàceluiquiladésire:puisqu'ilnepeutrienyavoirdanslanaturequis'opposeàseslois,commetouteschosessefontconformémentàsesloisdéterminées,demanièreàproduirepardesloiscertaines leurseffetscertainsdansunenchaînementabsolu, il s'ensuitque l'âme,quandelleconçoitvéritablement lachose,semetà formerobjectivement lesmêmeseffets.Voirci-dessouscequejedisdel'idéefausse.

26Remarquonsquelafiction,envisagéeenelle-même,nediffèrepasbeaucoupdurêve,sicen'estquelescausesquisemanifestentparlessensàl'hommeéveillé,etdontildéduitquecesimagesnesontpasproduitesaumêmemomentpardesobjetsextérieurs,nesemanifestentpasdanslesrêves.L'erreurestdonc,onleverratoutàl'heure,unrêveàl'étatdeveille,etsicerêveàl'étatdeveilles'imposetrèsfort,onl'appelledélire.

27CenesontpaslàdesattributsdeDieuquirévèlentsonessence,jelemontreraidansmaPhilosophie.

28Celaadéjàétédémontréplushaut.Eneffet,siuntelêtren'existaitpas,ilnepourraitjamaisêtreproduit;desortequel'espritpourraitcomprendreplusquecequelaNaturenepeutluiprésenter,cequ'onareconnuêtrefauxci-dessus.

29C'est-à-direquelesenssaitsouventqu'ilaététrompé;maisillesaitconfusément,carilnesaitpascommentlessenstrompent.

30Si,enrevanche,laduréeestindéterminée,lesouvenirdelachoseestimparfait:toutlemondesemblel'avoirapprisnaturellement.Ilarriveeneffetsouventque,pourpouvoirmieuxajouterfoiàcequequelqu'unraconte,nousluidemandonsquand,etoùcelas'estproduit.Carbienquelesidéesaientleurduréepropredansl'esprit,néanmoins,commenoussommeshabituésàdéterminerladuréeparquelquemesuredemouvement—cequisefaitencoreaumoyendel'imagination-,nousn'avonsjamaisencorevuunsouvenirquisoitpurementspirituel.

31Larègleprincipaledecettepartiedelaméthode,commeceladécouledelapremière,estderecensertouteslesidéesdel'intellectpurquenoustrouvonsennous,afindelesdistinguerdecellesquenousimaginons;ilfaudratirercettedistinctiondespropriétésdel'unetdel'autre,àsavoirdel'imaginationetdel'intellect.

32Remarque:ilapparaîtclairement,dèslors,quenousnepouvonsriencomprendredelaNaturesansquenousnerendionsenmêmetempsplusamplelaconnaissancedelacausepremière,c'est-à-diredeDieu.

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Lecommencementdel'éternité

PourRaphaèle,apprentiephilosophe.

Ona longtempsconsidéré leTraitéde la réformede l'entendement commeuneœuvrede jeunessedeSpinoza,conçueetrédigéeverslesannées1660-1661,etquasimentcommeun«brouillon»del'œuvremajeureréaliséedansÉthiqueetdanslestraitéspolitiques.Onycherchaitl'enfanceduphilosophe,cetteenfancequel'hommeaccomplivadépasserd'unbond,avantdetrouversavoie,etsavoix.Plusieurscritiquesd'aujourd'hui-àlasuitedel'érudititalienFilippoMignini-lesupposentmêmeencoreplusprécoce:rédigévers1656-1657,cesannéesobscuresdelavieduphilosophe,dontlaplusnoirelumièreestcelledesonexcommunicationdelasynagogued'Amsterdam.

Ilyaàcelabiendesraisons.Commel'écrivaientleséditeursdel'Œuvreposthume,letexteest«rugueux»,«malpoli»,incomplètementmisenforme.Ilcomportedescouchesdevocabulairedifférentes,etsonplann'apaslasimplicitédeceuxdestextesquelephilosophevamener,aumoinsdanssonintention,jusqu'àlapublication.

Etpourtant...cesmêmeséditeursdisentaussiqu'il«euttoujoursl'intentiondeleterminer».Lefaitestqu'ill'agardésoussamain,commel'Éthique,commelesouvragesdontlalecturelenourrissait,attisantsaferveurousarévoltethéorique,etcommelespageslesplusprécieuses,oulesplussignificatives,desaCorrespondance.Orsil'ontrouvebiendanscelle-cilatraced'unpointdedépartdel'ouvrage,onn'ytrouveaucunetraced'unabandon;bienplutôt,etjusqu'àunedatetardive(euégardàlaviebrèvedupenseur),celled'unsoucireconduitdefourniruneméthode,unchemind'accès.Chemind'accèsjusqu'auxdécouverteslesplusprofondes,chemindont il importede relater lesétapes,depuis lanaissancede l'hommedans le tissunatifde laviecommune—termequin'indiqueaucunmépris,maisconstateunsimplefait:nousnenaissonspasphilosophes,etencoremoinsSages.Sinousavonsdel'Éternitéunecertaineidéevague—maisundésirextrêmeautantquedésordonné—,nousnesavonsd'abordnicequ'elleest,nicommentyaccéder.

Notreexpérienceprimordialeenestjustementlecontraire:lesaffresdutemps,del'attente,desregrets,desremords,les«fluctuations » passionnelles qui nous infligent une alternance de douches glaciales et brûlantes, lesmorsures d'unehistoirecollectivecruelle,lesvainsidéauxetlesvainesespérancesquinouslaissentdéçus,désorientés.

L'éternitéaurait-elledoncuncommencement?Etcecommencementaurait-ilsonlieudanslafugacitédel'expérience?

Dufondd'uneexpériencequiest«passage»,douloureuseetvertigineuse«fluctuation»,l'homme,prétendSpinoza,peutdésireret,légitimement,revendiquer«uneéternitédejoiecontinueetsouveraine».

Rienquecela!

Cette éternité joyeuse n'est pas seulement l'objet d'un rêve nébuleux, d'une niaise utopie (elle peut l'être aussi...). Nonseulementellepeutêtreconçue,maisellepeutêtreréelle,réalisée.Pasdansunhypothétiqueau-delà,maisici,etmaintenant.

Etnousnelesavionspas?Etqu'attendions-nous?

Voilàunmessagephilosophiqueoriginal.Toutaulongdesonœuvre,Spinozan'affirmeriendemoins:l'hommepeutêtresauvé.Parquelqueinterventiondivine,parquelquegrâcedelaProvidence?Nullement.Parsespropresmoyens,parsespropresforces.Telleestsansdoutelathèselaplus«hérétique»desaphilosophie;lathèsesous-jacentequiluivalutle«Herem»desrabbins,lahainedetouteslesmétaphysiquesd'uninaccessibleau-delà.

LadécouvertequeSpinozametenlumièredansleTraitédelaréformedel'entendementestlasuivante: l'hommepeutsesauverdumalheurd'exister,ensembleouséparé,parlapuissancedesapensée.

Quelle est cette puissance? C'est celle de l'idée vraie. Car « nous avons une idée vraie » (Traité de la réforme del'entendement,§33).

Spinozaneditpasqu'uneidéevraieesthorsdenous,quelquepartailleursdansunlointainvague,oudonnéeougarantieparundieucaché,ouréservéeàquelquesélus,non;l'idéevraieestennous(tous),nousl'avons;maisleplussouvent,nousnelesavonspas.Ouplutôt,nouslesavons,nousenavonsbienl'intuition,etilnoussuffitderéfléchiruntantsoitpeusurcetteidéepour savoirqu'elleestvraie,mais troppressés, trop tiraillésparnospassions immédiates,nousoublionscette idée, il arrivemêmequenouslaméprisions;ilarrivesurtout,leplussouvent,quenouslaconfondions.Nouslaconfondonsaveccequiluiressemble vaguement, nous la mélangeons. Ce mélange et cette confusion sont naturels. Il est donné dans notre natured'hommes,nésdansunecommunautédeviequin'estpaschoisiemaisseulementreçue,quenousconfondionsl'idéevraieavecd'autres idées, qui, elles, ne sont pas vraies. Ces autres idées nous sont aussi données immédiatement; elles sont la «connaissancedupremiergenre»aveclaquellenousvivonscommunément:expériencesvagues,ouï-dires,fictions,densetissude l'imaginaire individueletcollectifquivoitdes fantômes,deschimères,desangesetdesdiables.Cesautres idéesnesontd'ailleurs pas « fausses » par elles-mêmes, et Spinoza va jusqu'à penser qu'en toute rigueur elles sont irréductibles. Nous,hommes,quinesommespasunDieu-Natureéterneletabsolumentinfini,quinesommesqu'unepartiedeceDieu(maisunpeuluiquandmême:«HomoDeusquatenus»,«l'hommeestDieu,àuncertaindegré»,dira-t-ilailleurs),nousnepouvonspasnepasimaginer,nepascroire,nepasajouterfoiàcequ'onnousdit,nousnepouvonspasnepassentir,nousémouvoir,désirer,attendre,craindre,espérer.

Maiscequenouspouvons,quiestennotrepouvoir,c'estnousconcentrersurnosquelquesidéesvraies,nousdonnerlapeinedelesséparernettementdesautres,enrechercherlastructure,endiscernerlemodèle,lemodedefonctionnement,endécouvrirlapuissanceetlarigueurabsolue.

UndesaspectsremarquablesduTraitétientaufortcontrasteentreundébutrédigésouslaformenarrative,personnelleet«passée»,etsasuitequisedéveloppedansle«présentintemporel»d'uneanalysepresqueimpersonnelle.Celuiquiparleau

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début du texte, qui dit : « je » et « moi », est l'homme concret qui a vécu : c'est l'homme de l'expérience, isolé dans sasouffranceendépitdesonimmersiondansune«foule»quiconnaîtlesmêmesincertitudesetlesmêmesdéconvenues.Ensuite,le « je » narratif tend à disparaître, au profit d'un « nous » ou d'un « on » qui signale l'entrée dans une autre sorte decommunauté:celled'uneintelligencequin'estpasseulementpersonnelle(intelligence«pourmoi»),maisuneintelligence«objective»:intelligencedecequiest,intelligenced'unetotalitédelaNature,commesourceàlafoisdetouteexistenceetdetoutesnospensées,vraies,fausses,douteuses,fictivesetréelles,partiellesetcomplètes,«adéquates»et«inadéquates».AucoursduTraitélui-mêmes'accomplit,commeparunemerveilleusealchimie,unetransformationdel'auteurdutexteetdesonlecteur,àmesurequ'ilconnaît,découvreetreconnaîtlesforcesdesonintelligence.Cefaisant,celuiquis'exprime,celuiquilitetcomprend,devientunautrequidéjàpossède,etsaitqu'ilpossède,lacertitudedel'idéevraie.

Cetteidée,ilresteàladéployer,àlafairedescendrejusqu'àsesultimesconséquencesexistentiellesetjusqu'àunsavoiraussicompletquepossible.Ceneserapaschosefacile,maisc'estuneautrehistoire,unautrevoyage.L'importantestd'oresetdéjàdes'ytenirprêt.

LeTraité de la réforme de l'entendement est un traité de méthode, au sens grec du terme : « met'hodos », la voieintermédiaire, lechemin. Ilported'ailleurs le sous-titre :«Traitéde lameilleurevoiequimèneà lavraieconnaissancedeschoses»(«etdeVia...»).Lavoieparlaquelleonpasse,lavoiequimènequelquepart.Maisc'estaussiuntraitédelacatharsis,c'est-à-dire de la purification et du dépouillement (n'ayons pas peur de la résonancemystique de ces termes,même si cettemystique s'écarte au plus haut point du religieux, au sens habituel du terme). « Emendatio » pourrait se traduire par «purification»,etaussipar«guérison»(plutôtquepar«réforme»).Ils'agitdeguérirunecertainemaladiedel'âme,moinsenlanourrissantd'objets,desavoirspartielsetderemémorationsinterminables,qu'enladébarrassantdel'inutile.Autrementdit,enlarecentrantsurelle-même,active,enlaréfléchissantetenlaméditant.

Mais cela, qui a l'air si simple, est peut-être le plus difficile : il est plus facile d'apprendre, d'emmagasiner des savoirsprésentantindéfinimentl'aspectillusoireduneuf,del'insoliteoududogme,quedecomprendre.

LeTraitédelaréformedel'entendementestaussi—surtout—untraitédel'intelligence,ducomprendre(«intellegere»,d'oùlesubstantif«intellectus»,l'intellectquiprocèdeàdesintellections,àdesactesdecomprendrequisontsongéniepropre,sondonnatif,sontalent).

Connaître, c'est comprendre. Non pas seulement comprendre la particularité des choses, le mécanisme du monde, à lamanièredu savantquipeut, comme individu, rester tout aussi amer,désabusé.Comprendre, c'estprendreensemble, dans leTout,àpartirduToutlui-même,commecausegénératricedetoutcequiest.C'estdirequec'estaussinouscomprendre(nous-mêmes):comprendrecequenousfaisonslà,pourquoinoussouffrons,etcommentnouspouvonsopposeràcettesouffrancecequi est notre puissance d'êtres actifs, joyeux et intelligents.Mais c'est aussi « nous prendre les uns les autres », ensemble.L'ambitionspinozisten'estpasseulementdeseforgerunesortedepaixdusagepoursoitoutseul:«Ilappartientaussiàmonbonheurdem'appliqueràcequebeaucoupcomprennentcequejecomprends...»(Traitédelaréformedel'entendement,§14).Sil'onaconservéici,dansletitredel'ouvrage,letermeclassiquemaisdésuetd'entendement,onexpliqueraplusloinpourquoionaveilléà leremplacerdansle texteparceluid'intellect,quia l'avantagedeparlermieux, justement,ànotre intelligence.Tout l'art de laRéforme est d'isoler cette capacité particulière de l'esprit actif de tout ce qui l'environne, puis, une fois cetintellectisolé,d'enétudierlemodedefonctionnement,lesloisinternesrigoureusesquilerendentapteàtrouver.Cequel'esprit,oul'âmecomplexedel'homme(«Mens»,«Animus»)cherche,demande,ilappartientàl'intellectdeletrouver.

Lesalutdanstoutcela?Leremède?Certesladuretédumonde,ettoutparticulièrementhistorique,peutbiennousrattraperautournant.Certes,lesfrèresDeWittsontassassinésparlafoule,etSpinozasortdanslarue,uneafficheenmain:«Ultimibarbarorum!» ;certes, laphtisiedévoresespoumons,et ilmeurtdanssaquarante-cinquièmeannée.Maisunvigilantamiemporteprécieusementl'Éthiqueetlerestedesécrits.Ilpeutlire,etnouspouvonslire:«Noussentonsetnousexpérimentonsque nous sommes éternels. »L'éternité postulée de laRéformede l'entendement est donnée dans l'Éthique, le livre achevé,comme l'objet d'une expérience accomplie.Nous n'attendons pas (sous-entendu : après lamort) d'être immortels, cela n'estqu'unrêved'enfant.Non.Noussavons,icietmaintenant,qued'oresetdéjànousvivonsl'éternitédelapensée.

Celan'estpasécritdansleTraitédelaréformedel'entendement,alorsquepeut-êtreonyattendquelquechosedecegenre,commeonattend,selonlalogiquedutexte,unedéfinitiondel'essenceintimedel'intellect,au-delàd'uneénumérationdesespropriétés.Celamanque.Faut-ildirequecelamanque?

L'éditionposthumeécrit :«Lerestemanque»(«Reliquadesiderantur»). Justeaumomentoùonallait trouver,oùon«allaitmaintenant établir » un point commun, « d'où découlent nécessairement toutes ces propriétés », le texte s'arrête sansl'apaisementd'une«chute»,etl'onresteensuspens...

Surce«manque»réelouapparent,onabeaucoupécrit.

Plusieurs critiques se sont interrogés, ont proposé toutes sortes d'explications intelligentes. Pour les uns, on ne pouvaitdéduireplusàpartirdecettedémarcherégressivequiremontedes«effets»àla«cause»;selond'autres,lephilosopheauraitabandonnéuntexteinterminableenrejetantlesprésupposésdesadémarche,pourcommencerquelquechosedemieuxfondé,oudeplusurgent.Pourunautreencore(A.Matheron),Spinozaauraitinterrompusontraitédanslesentimentd'une«impassepédagogique » : le bagage intellectuel, les préjugés des contemporains auxquels il s'adressait (cartésiens et baconiens) lesempêchaient définitivement de comprendre ce que Spinoza voulait expliquer — la Correspondance en donne la preuveévidente.Lemaîtredéjàgravementmaladen'auraitpeut-êtrepasabandonnésonprojet,ill'auraitlaisséprovisoirementdecôtépouruntempsmeilleur,commeilavaitajournélapublication,tropdangereuseetintempestive,del'Éthique.Maislamortseraitvenueplusvite,tropvite.Onafaitencored'autrespropositions:B.Roussetpensequ'iln'yadansleTraitédelaRéformedel'entendementaucun«manque»:qu'ils'interromptexactementaupointoùl'Éthique reprend,commesacontinuationetsonachèvement, et qu'il n'y avait aucune raison de dire dans l'un des livres ce que l'autre allait développer souverainement, enpartantd'unpointdevuedifférent.

Unechoseestsûre:Spinozan'apasprissoinde«polir»leTraitédelaréformedel'entendement,nel'apaspréparépourla

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publication, n'a pas dégagé pour l'apprenti philosophe la formule établissant le pont qui mène d'un ouvrage à l'autre, d'uncommencementàunautrecommencement.

Tantmieux!

Ilestémouvantqu'ilait laisséàses lecteursposthumes,àces lecteursquinesontplusforcémenthantéspar le rêvede latranscendance,lesoindefairepareux-mêmes,unefoismissurlaroute,lepasquimènejusqu'àl'expérienceintellectuelledel'éternité.

Laphilosophie,lasagesse,secommuniquentmaisnes'assènentpas.

SÉVERINEAUFFRET

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NOTESURLATRADUCTION

On part du texte latin établi par Gebhardt. Cette traduction doit beaucoup aux illustres précédentes citées dans labibliographie(particulièrementàlaversioncommentéedeBernardRousset,aussiprochedulatinqu'ilestpossible).

Les choix mis en œuvre ici concernent essentiellement la présentation matérielle. Ils sont dictés par des motivations «pédagogiques»:contrairementàl'Éthiquequis'adresse,demanièred'ailleurscryptée,àdestechniciensdelaphilosophie,leTraité de la réforme de l'entendement s'adresse, certes, au lecteur philosophe et « bienveillant »— c'est-à-dire dénué depréjugés—maisaussid'abordau«commençant».C'estuntextepropédeutique,dontlaviséeconsisteà«prendreparlamain»lenéophyteetàleguiderversdeschosesdifficiles.

Onapréféré,pourcetteraison,lanumérotationparparagraphesdeBruder(1843)repriseparKoyré(Vrin)etparCaillois(LaPléiade), à celle d'Appuhn (Garnier), parce qu'elle offre un repère plus général favorable à la discussion,mais surtout uneponctuationplusdétailléedutexte,l'éclairantmieux,permettantunelectureméthodiquementéchelonnée.

Lesnumérosdeparagraphesontétéplacéssystématiquementà leurdébut,etnonaumilieudeceux-ci,commeils lesontdansd'autreséditions,afindedonnerautexterythmeetclarté.

Onatrouvéutile,parmoments,demodifierlaponctuationconformémentaurythmedelaphrasefrançaised'aujourd'hui,etdesupprimerdesparticulesdeliaisonsuperfluesdansnotrelangue.Enraisonducaractèresynthétiquedelaphraselatine,ilaparunécessaire,àcertainesoccasions,derajouterdestermessous-entendus,maisaussi,éventuellement,depratiquerl'opérationinverse(négligerun termerécurrent),ouencore(choixcontraireà l'option justifiéedeséditionssavantes)d'utiliserplusieurssynonymespourtraduireunmêmeterme(selonlecontexteetl'euphonie),enrespectantcetteexigencedelalanguefrançaisequi tend à bannir la répétition.On a choisi d'éviter autant quepossible l'usagedu terme« chose», lorsqu'il ne renvoie pasexplicitementaulatin«res».

Onautiliséenfinunemarquematérielleconformeauprojetdel'auteur,quicherchetoujoursàexpliquerparleraisonnementetàéclairerparl'exemple:italiquesmettantenreliefuntermeouungroupedetermes(exemple:«l'idéedel'idée»).

Il reste à justifier quelques options supplémentaires, d'ordre surtout lexical : bien qu'on ait respecté le titre généralementproposéTraitédelaréformedel'entendementdanslebutd'uneidentificationaiséedutexte,onachoisiderejeterensuitecesdeux termes («entendement»et« réforme»)pourdeux raisons : lapremièreestdedésuétude (onneparleplusguèred'«entendement » de nos jours,mêmedans les classes de philosophie; on parle plutôt d'« intellect » et d'« intellection », plussimplementencorede«comprendre»etd'«actedecompréhension»);ladeuxièmeestd'ambiguïté(leterme«réforme»nousaparu trop lourddeconnotations religieuses,voirepolitiques, etc.).Onadonc traduit« Intellectus»par« intellect»,et legroupelexical«Emendare,emendatio»selonlecontexte,par:«corriger»,«améliorer»,«perfectionner»ou«rectifier».

Commelaplupartdestraducteursd'aujourd'hui,onaveilléàdistinguer«Mens»de«Animus»et«Anima»,rendantcesdernierspar«âme»etlepremierpar«esprit»,toutenayantconsciencedesdifficultésdecesdistinctions.Parailleurs,onaveilléàappuyerlecaractère«narratifpersonnel»dudébutdutexteendéveloppantlespossessifssous-entendusparlalanguelatine (exemple : « voyant que tout ce qui était pourmoi cause ou objet de crainte ne contenait rien en soi de bon ou demauvais,sinondanslaseulemesureoùmonâmeenétaitémue»).

LeTraitédelaréformedel'entendementcomportedesdifficultésde traductionconsidérables ;deuxdecesdifficultés lesplus importantes se trouvent, l'une auparagraphe56, l'autre dans le rapport entre les paragraphes48 et 85.S'agissant de lapremière, après bien des réflexions et à l'aide de conseils très avisés, on s'est résolu à traduire par : « il aurait fallu direseulement que j'aurais produit un certain effet » (sous-entendu : de manipulation, de séduction, ou autre), tout en ayantconsciencequecette traductionn'épuisepas lesmultiplespossibilitésde laphrase latine :« et tantumdicendum fuisset,mealiquid operatum esse ». Quant à la deuxième... Après bien des hésitations tenant aux acceptions contemporaines, desélucubrations maladroites et des repentirs, on a finalement choisi d'utiliser, faute de terme plus discret, le même mot d'«automate»pourdésigneràlafoiscesêtresbornésquesontlesdouteurssystématiques,et«l'âmehumaine»conçue«commeunesorted'automatespirituel»(«automaspirituale»).Choixdictépardeuxraisons;lapremière,lamoinsconvaincante,estdeconvention(letermeestreprispartouslestraducteurs);ladeuxièmeconcernelathéorie,sansomettreuneffetrhétorique:Spinoza,contreDescartes,conçoitl'âmehumaine,noncommeunesubstancedotéed'unlibrearbitreinfini,échappantàl'ordred'unmécanismepurementmatériel,maiscommeuneréalitésoumiseàdesloisinternesdéterminées,agissantseloncesmêmesloisaussidéterminéesquecellesdelanaturephysique,àl'instard'une«machine»composéedepartiesdistinctesconnectéesparleursrelationscausales,touteninsistantsurl'idéequelespartiesquicomposentcette«machine»nesontpasconstituéesdematière,mais d'esprit.On peut donc trouver à la fois, chez les hommes, des « automates dépourvus d'esprit » et des «automatesspirituels».Sansdouteya-t-ilunplaisirsupplémentaireàfaireainsis'entrechoquerlesmots.Ilvientdesurcroît.

Pourfinir,ons'estpermisd'indiquermatériellementpardesastérisques,àpartirduparagraphe74,cequipeutêtreinterprété(entreautres,parlarécurrenceduterme«imagination»)commeunecouchenouvellederédaction,peut-êtrebeaucoupplustardive que les premières. Cela a l'avantage de donner au texte une profondeur historique marquant son importance pourl'auteur,suggérantmêmequelquesraisonsdesoninachèvement.

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ViedeBaruchdeSpinoza

24novembre1632.NaissancedeBaruchSpinozaàAmsterdam.Baruch(prénomhébreuquisignifie«Béni»,etquiseratraduitenlatinpar«Benedictus»,enfrançaispar«Benoît»)estledeuxièmefilsdeMichaelEspinoza,commerçantassezaiséetcultivé,etdesadeuxièmeépouse,HannaDeborah.Ilsappartiennentàlacommunautéjuivehispano-portugaiseréfugiéeenHollandeàlasuitedespersécutionsreligieusesetracialesenvigueurdanslapéninsuleIbérique.

LarépubliquedeHollande,dontlareligionofficielleestlecalvinisme,accueillelesminoritésreligieusesoppriméesdanslerestedel'Europeetpratiquelatoléranceinterconfessionnelle.Maischacunedescommunautésreligieusesconserveàl'égarddesesressortissantssestraditionsd'autoritéetdecensureidéologiqueenfaisantfrontcontrel'«hérésie»etl'athéisme.

1638.MortdelamèredeBaruch.

1639-1646. Baruch suit les cours de l'école rabbinique Talmud Tora, intégrée à la synagogue portugaise, où il apprendl'hébreuetlitl'AncienTestament.Ilétudieaussileslettresespagnolesetportugaises.(D'aprèsundesesdisciples,lemédecinLucas,deLaHaye,Spinozaauraitpratiqué:leportugais,l'hébreu,lenéerlandais,l'allemand,l'espagnoletl'italien.)

1640.Flagellationpubliqued'UrieldaCosta.(NéauPortugaldansunefamillecatholique,convertiaujudaïsme,aprèssonémigrationenHollande,DaCostaavaitadoptédespositionscritiquesàl'égarddelatraditionrabbinique,quiluiavaientvalul'excommunication.La flagellation luiest imposéecommecérémonie réparatricepour la réintégrationqu'ildemandedans lacommunautéjuived'Amsterdam.Peuaprèslesupplice,UrieldaCostasesuicidera.)

1649.Spinozatravailledanslafirmedesonpère.IlfréquentelaBoursed'AmsterdametselieaumilieudesCollégiantsetdesMennonites(secteschrétiennesréformées),actifsdanslemondedesaffaires.Ils'intéresseàleursconceptionsreligieusesetphilosophiques.

1652.Spinozafréquente l'écoledu jésuitedéfroquéVandenEnden, librepenseurqui reçoitdesLibertins. Ilyapprend lalangueetleslettreslatines,s'initieauxphilosophiesdel'Antiquitépaïenne,àlaphilosophiedeDescartes,acquiertdesélémentsdemédecine,dephysique,dechimie,depolitique,etperfectionnesonnéerlandais.Ilparticipeàdesreprésentationsthéâtralesdes comiques latins. Il s'éprendde la fille deVandenEnden, la jeuneClaraMaria, qui lui enseigne le latin.La jeune fillechoisitunautreprétendant.

1654. Mort de Michael Espinoza. Baruch reprend l'exploitation de l'entreprise familiale avec le mari de sa sœur aînéeMyriametsonjeunefrèreGabriel,filsdelatroisièmeépousedeMichael.

1655. Spinoza fréquente des juifs libéraux et fait la connaissance dumédecinmarraneDaniel de Prado. Il commence àexposersespropresconceptionsphilosophiques,critiquelessuperstitions,l'anthropomorphismedujudaïsmetraditionnel,gagnelaméfiancedesautoritésetlahainedesfanatiques.

1656.UnfanatiquejuiftentedetuerSpinozad'uncoupdepoignardàlasortied'unthéâtre.Spinozagarderatoutesavie,ensouvenir,sonmanteautranspercéparl'arme.

27juillet1656.Spinoza,dénoncéàlasynagogued'Amsterdampoursesconceptions«hérétiques»,estexcommuniéparunactesolennel:leHerem.Condamnéàquitterlaville,ils'installeraàRinjsburg,banlieuedeLeyde,oùilapprendralatailledesverresoptiques,dontilferasonmétier.

1656-1661.Annéesobscuresdelabiographiespinozienne.Conjectures: inscriptioncommeauditeur libreàl'universitédeLeyde (foyer réputéde laphilosophiecartésienne)?Fréquentation ininterrompuede lamaisonVandenEnden?DeJuandePradoetdesesamis?DesCollégiantsetdesMennonites?Poursuitedesaffairesdel'entreprisefamiliale?Entoutcas,annéesd'apprentissagedumétier(oùSpinozaexcellera,produisantdesverrestélescopiquesrecherchés),derencontresetdeformationintellectuelle.

1661. Début de la correspondance philosophique et scientifique de Spinoza : une lettre adressée au savant Oldenburgannonce les réflexionsquicomposent leTraitéde la réformede l'entendement et leCourtTraité.Début de la rédaction del'Éthique.

1663. Spinoza s'installe à Voorsburg, banlieue de La Haye. Il rencontre Jan deWitt, Grand Pensionnaire de Hollande,républicainlibéral,quiluiverseunepensionde200florins.Publication,enlatin,desPrincipesdelaphilosophiedeDescartes,préfacésparlemédecinetphilosopheLouisMeyer.

Des lettrés et des savants rendent visite à Spinoza, discutent, commentent et diffusent sa pensée. Spinoza constitue songroupe d'amis (Meyer, de Vries, Balling, etc.) et de correspondants avec lesquels il discute des points de philosophie, degéométrieetdephysique.UncerclespinozistesedéveloppeàAmsterdam.

1665.Spinozainterromptlarédactiondel'ÉthiquepourentreprendrecelleduTraitéthéologico-politique(TTP).

1670.Publication,enlatin,duTTP,souslesinitialesB.deS.Lelivre,impriméàAmsterdam,estdonnécommeuneéditionallemande. Il est violemment attaqué, son « anonymat » démasqué. Spinoza, contraint de quitterVoorsburg, s'installe àLaHaye.IlloueunechambrechezlepeintreVanderSpick.Ilymèneuneviestudieuseetfrugale,enpoursuivantlarédactiondel'Éthique.

1671.CorrespondanceavecLeibnizsurdespointsd'optique.

1672.AssassinatdeJandeWittetdesonfrèreCornelis,massacrésparlafouleaprèsladéfaitedelaHollandedanssaguerrecontrelaFranceetl'Angleterre.Spinozarédigeuneaffiche:«Ultimibarbarorum!»,qu'ilveutplacarderenville.Sonlogeurl'endissuadeinextremis.LarépubliquedeHollandeestrenversée.Rétablissementdelamonarchie.

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1673.Spinozarefuselepostedeprofesseurqu'onluiproposeàHeidelberg,afinde«préserversalibertédepenser».

1675.Spinozase rendàAmsterdampour faire imprimer l'Éthiquemais, jugeant la situationmenaçante et inopportune, ilajournesadécision.

IlcommencelarédactionduTraitépolitique,quiresterainachevé.

1677.MortdeSpinozaàLaHaye le21 février,d'uneaffectionpulmonaire,audébutdesaquarante-cinquièmeannée,enprésencedeLouisMeyer.

Latransmissiondesmanuscritsrestemystérieuse.

Undonanonymepermet l'éditionchezJanRieuwertz,amideSpinoza,desŒuvresposthumes, sous les initialesB.deS.L'ouvragenecomporteninomd'éditeurnilieud'impression,maismentionneladatede1677.Lerecueilcontientl'Éthique,leTraitépolitique,lesLettresetl'Abrégédegrammairehébraïque.

Lamêmeannéeparaîtunetraductiondel'Éthiqueenhollandais,réaliséeàpartird'unoudeplusieursautresmanuscrits.

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Repèresbibliographiques

OUVRAGESDESPINOZA

Lettressurlesspectresetlesesprits,Milleetunenuits,2004.

Éthique,Gallimard,collectionFolio,1994.

Traitédelaréformedel'entendement,texte,commentaireettraductiondeB.Rousset,Vrin,1991.

Traitépolitique.Lettres,Flammarion,1966

Traitéthéologico-politique,Flammarion,GF,1965.

Œuvres,4vol.,GarnierFlammarion,1964.

Œuvrescomplètes,Gallimard,LaPléiade,1955.

ÉTUDESSURSPINOZA

BALIBAR(Étienne),Spinozaetlapolitique,PUF,Paris,1990.

BERTRAND(Michèle),Spinozaetl'imaginaire,PUF,Pans,1984.

DAMASIO(AntonioR.),Spinozaavaitraison,OdileJacob,coll.«Sciences»,2003.

DELEUZE(Gilles),Spinoza.Philosophiepratique,Minuit,Paris,1981

MATHERON(Alexandre),IndividuetcommunautéchezSpinoza,Minuit,Paris,1988.

MOREAU(Pierre-François),Spinoza,LeSeuil,Paris,1975.

NEGRI(Antonio),L'Anomaliesauvage:puissanceetpouvoirchezSpinoza,PUF,Paris,1982.

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Milleetunenuitsproposedeschefs-d'œuvrepourletempsd'uneattente,d'unvoyage,d'uneinsomnie...

LaPetiteCollection(extraitducatalogue)446.AlainCRÉHANGE,LePornithorynqueestunsalopare.Dictionnairedemots-valises.447.PierreKROPOTKINE,LaMoraleanarchiste. 448.ÉmileZOLA,LeCarnetdedanse, suivideCelle quim'aime.449.JeremyBENTHAM,Défensedelalibertésexuelle.Écritssurl'homosexualité.450.PLUTARQUE,Dialoguesurl'amour.451.ArthurSCHOPENHAUER,Dunéantdelavie.452.GeorgeA.SCHWEINFURTH,AupaysdesMombouttous.453.GeorgeSAND,LeDiableàParis.454.KhalilGIBRAN,MonLiban.455.HenryDavidTHOREAU,LaViesansprincipe.456.BaruchSPINOZA/HugoBOXEL,Lettressurlesspectresetlesesprits.457.GuyDEMAUPASSANT,LesDimanchesd'unbourgeoisdeParisetautresaventuresparisiennes.458.ÉmilePOUGET,LeSabotage.460.JulesLERMINA,L'ABCdulibertaire.461.BÉROUL,TristanetYseut.462.JérômeLEROY,BigSister.463.LudwigFEUERBACH,Pouruneréformedelaphilosophie.464.FranciscodeQUEVEDO,Heursetmalheursdutrouducul.465.PatrickBESSON,Encoreque.466.Jean-Baptiste BOTUL, Nietzsche et le démon de midi. 467. CICÉRON, Les Paradoxes des stoiciens. 468. Friedrich VONSCHILLER,Ballades.469.ANONYME,L'Artdefoutreenquarantemanières.470.ArthurSCHOPENHAUER,Essaisurlesfemmes. 471.Georges FEYDEAU,Onpurgebébé ! 472. Jacques ANTEL,Ceux que laMuse habite. 473. Jules VERNE,Maître Zacharius ou l'Horloger qui avait perdu son âme. 474. Nicolas d'ESTIENNE D'ORVES, La Sainte Famille. 475.Hérault de SÉCHELLES,Théorie de l'ambition. 476.Odette ELINA,Sans fleurs ni couronnes. 477. Paul SCARRON,LesHypocrites.478.RainerMariaRILKE,LettresàLouAndreas-Salomé.479.ÉPICTÈTE,Entretiens.480.AugusteCOMTE,Théoriegénéraledelareligion.481.HenryDavidTHOREAU,LeParadisà(re)conquérir.482.ValentinedeSAINT-POINT,Manifestedelafemmefuturiste.483.FilippoTommasoMARINETTI,Tuonsleclairdelune!!Manifestesfuturistesetautresproclamations.484.PatrickBESSON,LaFemmeriche.485.MARCAURÈLE,Penséesàmoi-même.486.KhalilGIBRAN,LesCendresdupasséetleFeuéternel

Pourchaquetitre,letexteintégral,unepostface,

laviedel'auteuretunebibliographie.

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TableofContents

PagedeTitre 1TabledesMatières 2PagedeCopyright 3AVERTISSEMENTAULECTEUR 5Traitédelaréformedel'entendement 6Lecommencementdel'éternité 23NOTESURLATRADUCTION 26ViedeBaruchdeSpinoza 27Repèresbibliographiques 29

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