suzanne pairault infirmière 12 salle des urgences 1976

Upload: joseatanagildonavara

Post on 12-Oct-2015

37 views

Category:

Documents


1 download

TRANSCRIPT

JEUNES FILLES EN BLANC * N 12SALLE DES URGENCES par Suzanne PAIRAULT

*FLORENCE est infirmire au petit hpital de Rouville. Elle adore son mtier et sa plus grande joie est d'tre affecte la salle des urgences. Quel travail passionnant!De jour comme de nuit, il faut tre prte s'occuper des cas les plus srieux. Chaque minute compte. La moindre hsitation peut tre fatale. Lorsqu'un malade arrive, il doit tre aussitt l'objet des soins les plus attentifs, et l'infirmire doit oublier sa fatigue, son besoin de dtente ou parfois mme sa faim.Mais quelle satisfaction lorsque Florence observe, enfin, un signe de vie dans le regard de ceux qu'elle a sauvs!Lui faudrait-il renoncer cette vie exaltante parce qu'un hpital moderne vient d'tre construit dans la ville voisine?Avec le jeune docteur Gilles Martin, qui partage ses peines et ses joies, Florence va lutter pour que l'hpital de Rouville conserve sa salle des urgences.

Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Srie Armelle, Camille, Catherine Ccile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Genevive, Gisle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthses, le nom de l'infirmire.)

1. Catherine infirmire 1968 (Catherine)

2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)

3. Infirmire bord 1970 (Juliette)

4. Mission vers linconnu 1971 (Gisle)

5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)

6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)

7. Sylvie et lhomme de lombre 1973 (Sylvie)

8. Le lit no 13 1974 (Genevive)

9. Dora garde un secret 1974 (Dora)

10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)

11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)

12. Salle des urgences 1976

13. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)

14. L'infirmire mne l'enqute 1978 (Dominique)

15. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)

16. La promesse de Francine 1979 (Francine)

17. Le fantme de Ligeac 1980 (Ccile)18. Florence fait un diagnostic1981 19. Florence et l'trange pidmie 198120. Florence et l'infirmire sans pass198221. Florence s'en va et revient198322. Florence et les frres ennemis 198423. La Grande preuve de Florence1985Suzanne Pairault

Ordre de sortie

Jeunes Filles en blanc

Srie Armelle, Camille, Catherine Ccile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Genevive, Gisle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthses, le nom de l'infirmire.)

1. Catherine infirmire 1968 (Catherine)

2. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)

3. Infirmire bord 1970 (Juliette)

4. Mission vers linconnu 1971 (Gisle)

5. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)

6. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)

7. Sylvie et lhomme de lombre 1973 (Sylvie)

8. Le lit no 13 1974 (Genevive)

9. Dora garde un secret 1974 (Dora)

10. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)

11. Le poids d'un secret 1976 (Luce)

12. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)

13. L'infirmire mne l'enqute 1978 (Dominique)

14. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)

15. La promesse de Francine 1979 (Francine)

16. Le fantme de Ligeac 1980 (Ccile)

Srie Florence

1. Salle des urgences 1976

2. Florence fait un diagnostic1981 3. Florence et l'trange pidmie 19814. Florence et l'infirmire sans pass19825. Florence s'en va et revient19836. Florence et les frres ennemis 19847. La Grande preuve de Florence1985Suzanne Pairault

Ordre alphabtiqueJeunes Filles en blanc

Srie Armelle, Camille, Catherine Ccile, Dominique, Dora, Emmeline, Evelyne, Florence, Francine, Genevive, Gisle, Isabelle, Juliette, Luce, Marianne, Sylvie.

(entre parenthses, le nom de l'infirmire.)

1. Catherine infirmire 1968 (Catherine)

2. Dora garde un secret 1974 (Dora)

3. Florence et les frres ennemis 1984 (Florence)4. Florence et l'trange pidmie 1981 (Florence)5. Florence et l'infirmire sans pass1982 (Florence)6. Florence fait un diagnostic1981 (Florence)7. Florence s'en va et revient1983 (Florence)8. Infirmire bord 1970 (Juliette)

9. Intrigues dans la brousse 1979 (Camille)

10. La fille d'un grand patron 1977 (Evelyne)

11. La Grande preuve de Florence1985 (Florence)12. La promesse de Francine 1979 (Francine)

13. La revanche de Marianne 1969 (Marianne)

14. Le fantme de Ligeac 1980 (Ccile)15. Le lit no 13 1974 (Genevive)

16. Le malade autoritaire 1975 (Emmeline)

17. Le poids d'un secret 1976 (Luce)

18. Le secret de l'ambulance 1973 (Armelle)

19. L'inconnu du Caire 1973 (Isabelle)

20. L'infirmire mne l'enqute 1978 (Dominique)

21. Mission vers linconnu 1971 (Gisle)

22. Salle des urgences 1976 (Florence)

23. Sylvie et lhomme de lombre 1973 (Sylvie)

SUZANNE PAIRAULT

LA SALLE

DES URGENCESILLUSTRATIONS DE PHILIPPE DAURE

HACHETTE

I

MAINTENANT c'est fini, dclara le docteur Robert, l'interne. La priode critique est passe; quelques jours de repos, et tout ira bien. Florence se pencha vers la malade. Un instant, leurs regards se croisrent : les yeux gris, trs doux, de la jeune infirmire plongrent dans les yeux noirs de la rescape. Celle-ci lui sourit faiblement. Vous m'avez sauve... murmura-t-elle. Chut, chut, ne parlez pas; vous tes encore trop faible. Essayez de dormir un peu. Je reviens de loin... dit-elle quand mme avec un fort accent espagnol.C'tait vrai : Florence revoyait l'arrive de la noye, inerte sur le brancard que portaient deux infirmiers. C'tait une toute jeune femme, peine plus ge qu'elle, sans doute. Son visage tait bleutre, presque noir; elle ne respirait plus, son cur avait cess de battre.Sans mme attendre l'arrive de l'interne, Florence l'avait couche, la tte incline vers le bas, sur un des lits rglables de la salle des urgences. Elle avait dbarrass sa gorge des mucosits qui l'encombraient et mis en route l'appareil de respiration artificielle. C'est alors que Robert tait arriv. Est-elle reste longtemps dans l'eau? avait-il demand aux infirmiers. On ne sait pas. L'homme qui l'a amene passait sur la route quand il l'a aperue : elle se dbattait dans le canal. Elle avait sans doute gliss en rapportant son linge par le sentier du bord de l'eau; le poids de la brouette l'avait entrane. C'est cet homme qui l'a sauve? Oui; heureusement, c'est un bon nageur. Mais le temps qu'il descende de voiture et coure vers le canal, elle avait dj coul; il a d plonger pour la saisir. Aprs l'avoir ramene sur la berge, il l'a hisse dans sa voiture et amene immdiatement ici. L'interne et l'infirmire s'taient regards. Tous deux savaient bien que, si la noye tait reste plus de cinq minutes sous l'eau, leurs efforts seraient inutiles. Combien de temps avait mis le sauveteur pour la ramener la surface? Ils l'ignoraient. Allons-y! avait dit Robert.Il avait pratiqu une intubation, puis un massage cardiaque, tandis que Florence guettait sur l'artre fmorale le premier battement du sang. Il lui semblait que ce battement ne se produirait jamais.Le jeune homme avait hoch la tte. J'ai bien peur d'tre oblig d'ouvrir le thorax pour faire un massage direct , avait-il dit.A ce moment, un premier battement si faible! s'tait fait sentir sous les doigts de l'infirmire. Elle vit! avait murmur Florence.Ils avaient poursuivi la respiration artificielle longtemps, trs longtemps. Robert avait fait une saigne, puis deux injections intraveineuses. Enfin, le rythme normal du cur et la respiration naturelle s'taient rtablis.La malade somnolait, les yeux ferms. Robert fit signe Florence de le suivre dans l'office attenant la salle des urgences. Elle ne risque plus rien, dit-il. On peut la transporter dans une chambre; l'infirmire de nuit la surveillera. Vous ne croyez pas qu'il vaudrait mieux la garder encore un peu ici? Elle peut avoir besoin d'oxygne. Le jeune homme haussa les paules. Vous tes toujours la mme, Florence : vous avez toujours peur de ne pas en faire assez! Moi, j'avoue que j'ai trouv la journe longue. Il est dix heures; j'ai faim et j'ai sommeil. A propos, elle porte une alliance; on a prvenu le mari? Nous ne savons pas son nom : elle n'avait pas de papiers sur elle. Mais on l'a trouve prs du village de Saint-Jean; c'est sans doute de l qu'elle venait. On ne fait pas des kilomtres avec une brouette pleine de linge. J'ai dit au bureau d'alerter la gendarmerie; il faut que j'aille vrifier si on l'a fait. Je vous reconnais bien l, Florence! Cela ne fait pas partie de votre travail. Tout ce qui concerne les malades me concerne, rpondit-elle. Vous trouvez que vous n'en avez pas assez fait? Depuis combien d'heures sommes-nous debout dans cette salle? J'ai besoin de dormir, moi. Heureusement que je ne suis pas de garde cette nuit. C'est au tour de Martin. Martin? Oui, un stagiaire qui prpare son internat. Il vient d'arriver Rouville. Bon, je vous laisse. Bonsoir, Florence. Bonsoir, docteur. Il s'loigna. Florence jeta un dernier coup d'il la malade endormie, puis sortit de la salle et se rendit au premier tage, o elle trouva la garde de nuit. C'tait une de ses camarades, Clotilde. Il faut que tu m'aides, lui dit-elle. Tu as bien un lit inoccup? J'en ai mme deux, le 8 et le 12. Tu ne vas pas m'envoyer quelqu'un cette heure-ci? Si, une noye, mais elle est tire d'affaire. Tu n'auras qu' lui donner un coup d'il de temps en temps jusqu' demain matin. Tu ne peux pas la garder aux urgences jusque-l?

Elle ne doit pas rester seule, et je n'ai personne. Je suis debout depuis ce matin, moi. C'est vrai, reconnut Clotilde. Tu n'as personne non plus pour la transporter, videmment. Non, mais elle n'est pas bien lourde. J'ai pens qu' nous deux... C'est bon, j'y vais. Les deux infirmires prirent un chariot et y firent glisser la jeune femme. Celle-ci ouvrit les yeux. O m'emmenez-vous? demanda-t-elle. Dans une chambre o vous serez mieux qu'ici. Dites-moi, vous habitez bien Saint-Jean, n'est-ce pas? Oui, au bout du village, la premire maison en haut d la cte. Et Mario!... Pauvre Mario, il n sait pas... Il doit penser que je souis morte... Elle commenait s'agiter. Florence lui prit doucement la main. Mario, c'est votre mari? Il est srement prvenu l'heure qu'il est; on a peut-tre eu du mal le retrouver, puisqu'on ne connaissait pas votre nom. Mais on pensait que vous veniez de Saint-Jean et on a interrog les gens du village. Mon nom, c'est Sanchez, Rosa Sanchez. Mais il n'y a qu' dire les Espagnols , tout l monde nous connat. Avant d me marier, je travaillais dans oune famille. Il y avait deux petits garons...Florence l'interrompit. Ne parlez pas autant : cela vous fatigue. Mario viendra vous voir demain matin; en attendant, il faut dormir. En la voyant s'loigner, la rescape s'inquita de nouveau : Vous n restez pas avec moi? Non, je dois aller me reposer, moi aussi. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, Mlle Clotilde s'occupera de vous. Mais vous reviendrez quand mme me voir? Naturellement. En sortant de la chambre, Florence glissa Clotilde : Ils ont souvent une priode d'excitation aprs le rveil. Tu n'as qu' lui donner un calmant : Robert dit qu'elle ne risque plus rien. Ah! c'est Robert qui tait avec toi aux urgences? Je ne l'aime pas beaucoup; il a toujours l'air de ne rien prendre au srieux. Il est bon mdecin, pourtant. Oui, dclara Florence. Au point de vue professionnel, on n'a rien lui reprocher... Elle touffa un billement. Tu as dn? lui demanda Clotilde. Non, je vais aller voir ce que je trouve la cuisine. Nous avions du rti de veau, ce soir; il en reste srement quelques tranches. Il y avait aussi des ptes; tu pourras t'en faire rchauffer. Je me dbrouillerai, n'aie pas peur. Elle descendit la cuisine, situe au sous-sol. Naturellement, cette heure, tout le personnel tait parti, les feux teints, les casseroles ranges. Mme Benot, la surveillante, exigeait un ordre parfait d'un bout l'autre de l'hpital. Florence ouvrit le grand rfrigrateur; comme le pensait Clotilde, il restait du rti; elle s'en coupa une tranche. Les ptes froides ne lui disaient rien, mais elle n'avait mme pas le courage de les faire rchauffer. Elle prit un morceau de fromage, une pomme, et s'assit devant la grande table ripoline pour faire son repas solitaire.Qu'elle se sentait lasse, mon Dieu! Depuis le matin, elle avait eu beaucoup faire. Comme on manquait de personnel infirmier, elle aidait l o on avait besoin d'elle. En fin de matine, elle avait assist le docteur Martel, le directeur de l'hpital, en salle d'opration. Elle aimait travailler avec lui; pendant les interventions il expliquait ses assistants ce qu'il faisait, ce qui n'est pas le cas de tous les chirurgiens. Mais c'tait fatigant : il fallait rester longtemps debout, aux aguets, pour servir l'oprateur au moindre signe.Aprs, il y avait eu l'Espagnole. Tant qu'elle n'avait pas t tire d'affaire, Florence ne l'avait pas quitte des yeux, guettant sur son visage les premiers signes de la vie. Les infirmireschevronnes, celles qui avaient derrire elles des annes d'exprience, taient sans doute moins sensibles. Mais Florence, chaque fois, sentait son cur battre comme s'il s'agissait de quelqu'un de sa famille.Les urgences, c'tait dur. Mais quelle joie, aussi, quand on pouvait se dire que le patient tait sauv! Le regard que l'Espagnole lui avait jet, Florence ne l'oublierait jamais. C'tait pour des moments pareils qu'elle tait devenue infirmire; ces moments-l vous payaient de toute voire peine.Elle commena croquer sa pomme. Ensuite elle irait se coucher enfin! Elle sentait le sommeil monter en elle comme une mare. Quel plaisir ce serait de passer sous la douche, puis de s'tendre dans les draps frais, bien tirs! Elle se sentait capable, aprs cette journe, de dormir dix heures de suite...Alors qu'elle se levait de table, elle entendit sur la route la sirne d'une ambulance. Celle-ci se rapprochait de l'hpital; elle enfilait l'alle qui conduisait de la grille la grande entre. Florence se dirigea vers un des soupiraux de la cuisine et regarda au-dehors.L'ambulance s'arrta devant la porte; deux hommes en descendirent et sortirent un brancard qui portait une forme menue, enveloppe d'une couverture. Un enfant! pensa la jeune infirmire.

Une femme suivait; la lumire du globe qui clairait l'entre de l'hpital, Florence aperut son visage convuls, inond de larmes. La mre, videmment...Une sonnerie retentit : un des infirmiers de l'ambulance avait appuy sur le bouton plac prs de la porte. A pareille heure, bien entendu, il n'y avait personne au bureau : c'tait le personnel de garde qui se levait pour faire le ncessaire.Florence regagna le rez-de-chausse et s'avana la rencontre des infirmiers qui, sans hsiter, se dirigrent vers la salle des urgences. Elle ouvrit un des lits, o ils dposrent le malade. C'tait un enfant de quatre cinq ans, qui paraissait sans connaissance. Son visage trs rouge, gonfl, ruisselait de sueur.La jeune infirmire lui tta le pouls, qu'elle trouva trs lent. Appelez immdiatement l'interne en salle de garde, dit-elle aux infirmiers. Dites-lui de faire vite : je crois qu'il s'agit d'un empoisonnement. Appelez aussi la garde de nuit; si elle ne peut pas descendre, je resterai. La mre demi-vtue, les cheveux pars, tremblait de tous ses membres. Qu'a-t-il mang dner? demanda Florence. Pas de champignons? Pas de conserves qui auraient pu tre avaries? Oh, non, non. Ce n'est pas cela. Le petit tait couch depuis longtemps. Je croyais qu'il dormait normalement mais je l'ai entendu gmir et m'appeler. Je me suis prcipite dans sa chambre dont je laisse toujours la porte entrebille. Il tait dcouvert et ses bras pendaient dans le vide. C'est ainsi que j'ai remarqu les flacons sous son lit. Il avait cach l presque tous les mdicaments de mon armoire pharmacie. Avez-vous remarqu les drogues qu'il aurait pu absorber? Oh non... Je ne sais pas! Il ne bougeait plus et j'tais comme folle. J'ai appel l'ambulance tout de suite. Dans l'aprs-midi je l'avais laiss seul le temps d'aller faire une petite course. Il en aprofit pour fouiller dans l'armoire. Il devait chercher des bonbons contre la toux. Il aime beaucoup ces sortes de pastilles sucres... Qu'aviez-vous d'autre, dans cette armoire pharmacie? Des produits dangereux? Je ne me rappelle pas... Mon pre prend de la digitaline pour son cur... J'avais de l'aspirine, de l'eau oxygne, des produits pour dormir... Quels produits? Du Gardnal; c'est le mdecin qui me l'avait prescrit. Vous n'avez pas remarqu si le tube de Gardnal tait vide? Je n'ai rien remarqu. Je ne pensais qu' une chose : amener le petit l'hpital le plus tt possible... Vous le sauverez, n'est-ce pas? Nous ferons tout ce qu'il faudra, soyez-en sre. Mais il ne faut pas que vous restiez ici. La mre se redressa brusquement. Ne pas rester avec mon fils! C'est pour lui que je vous demande cela; vous ne pourriez que gner le traitement. Jamais! La femme semblait rsolue. Florence regardait la porte avec anxit. Ils ne se dcideront pas descendre! se disait-elle.Tout coup la porte s'ouvrit; un des infirmiers reparut, seul. L'infirmire ne peut pas venir : elle doit surveiller un malade qui suffoque. Elle vous demande de rester, puisque vous tes l. Et le mdecin? Vous ne lui avez pas dit que c'tait urgent? Au mme instant, Florence vit apparatre dans l'embrasure de la porte un grand jeune homme brun qu'elle ne connaissait pas. Ses yeux bleus paraissaient trs clairs dans son visage hl. Il se prsenta : Docteur Gilles Martin. Je viens d'arriver Rouville. De quoi s'agit-il? Intoxication par des mdicaments! La mre se prcipita vers le nouveau venu. Vous n'allez pas me chasser, docteur! C'est inhumain, c'est... Vous ne pouvez pas tre utile ici, madame. Dans l'intrt de l'enfant, je dois vous prier de sortir. La voix tait douce, mais si ferme que la mre se laissa entraner par l'infirmier. Le mdecin s'approcha du lit, prit le pouls de l'enfant et hocha la tte.

II

en quelques minutes, Florence mit l'inconnu au courant de ce que lui avait dit la mre. Gardnal ou digitaline... murmura-t-il. Gardnal, sans doute, d'aprs les symptmes. Vous allez faire un lavage gastrique? Non, il est inconscient, ce serait dangereux. Vous avez une sonde de petit calibre? La voici. Elle aida le jeune homme vider l'estomac de l'enfant. Il parut satisfait du rsultat. Comme il touchait les pieds du petit, Florence lui dit : IL n'a pas froid, je l'ai vrifi. N'importe, rchauffez-le encore. Vous avez du srum bicarbonat? Oui, docteur. Installez immdiatement une perfusion. Il faut aussi librer les bronches; je vais faire une intubation, puis nous le mettrons sous oxygne. Sans un mot, Florence excuta les gestes voulus. Il tait plus simple de travailler avec ce mdecin qu'avec Robert, qui s'agitait davantage et ne se faisait pas toujours bien comprendre. Celui-ci agissait avec tranquillit, comptence et rapidit. Il semblait totalement absorb par sa tche. Il passa la main sur le front de l'enfant; il avait une expression mue, affectueuse, qui toucha la jeune infirmire.Enfin il dclara : Nous n'avons plus qu' attendre. Je reprendrai la tension dans un quart d'heure. Puis-je aller dire un mot la mre? interrogea Florence. Elle est l, toute seule, dans la salle d'attente... C'est dur... Le mdecin inclina la tte. Allez-y, essayez de la rconforter. Mais ne lui donnez pas trop d'espoir : la partie n'est pas encore joue. Tant que nous ne serons pas srs... Florence se rendit dans la salle d'attente; la mre, affaisse dans un fauteuil, pleurait chaudes larmes. En voyant apparatre la jeune infirmire, elle poussa un cri : Ne venez pas me dire que... que... Non, non, ne vous affolez pas. Nous avons fait tout le ncessaire. Il faut avoir de la patience. De la patience! dans un moment pareil! Est-ce qu'il va mieux? Pas encore, mais il y a de l'espoir. Je peux le voir? Florence secoua la tte. A nouveau, la mre fondit en larmes. Si on ne veut pas que je le voie, c'est qu'il va plus mal, j'en suis sre... Pourquoi ne me dit-on pas la vrit?La jeune infirmire lui posa doucement la main sur l'paule. La vrit, je vous l'ai dite. Essayez de vous calmer un peu. Voulez-vous que je vous donne un comprim pour vous dtendre? Un comprim! Vous n'avez pas d'enfant vous-mme, cela se voit. Vous voudriez... Je voudrais seulement que vous gardiez votre sang-froid dans l'intrt de votre fils. Dans un moment, il aura peut-tre besoin de vous. Pouvez-vous au moins me jurer qu'il est sauv? Je vous jure que le pire ne s'est pas produit, c'est l'essentiel. Il a beaucoup de chances de s'en tirer. Quand pourrez-vous me dire qu'il ne risque plus rien? Je vous le dirais si je le savais moi-mme. Prenez ce comprim; il vous permettra de vous dtendre un peu en attendant. Me soigner, moi! pendant que mon enfant est en danger! Ce serait le meilleur moyen de pouvoir vous occuper efficacement de lui par la suite. La jeune femme leva les yeux vers Florence : l'expression amicale de l'infirmire lui fit du bien. On ne trouve pas toujours les mots qu'il faudrait, pensait celle-ci, mais un geste de sympathie en dit parfois plus long que tous les discours.La mre finit par accepter le comprim. Florence retourna dans la salle des urgences; le mdecin prenait la tension artrielle de l'enfant. Elle est bonne? interrogea-t-elle. Oui, assez. Ce qui m'ennuie, c'est qu'il n'urine pas. Accentuez un peu la perfusion. Donnez-moi une ampoule de Coramine. Florence obit. Elle regardait l'enfant : son visage tait encore trs rouge; il respirait, son cur battait, mais il ne reprenait pas connaissance,Florence n'osait pas demander au docteur Martin ce qu'il en pensait. Elle se disait qu'en pareille occasion Robert lui aurait fait un cours de ranimation en rgle peut-tre pour lui montrer qu'il n'ignorait rien de la question. Il aurait aussi tempt contre les mres qui laissentdes produits dangereux porte de leurs enfants comme si on ne savait pas que ces sacrs gamins fourraient dans leur bouche tout ce qu'ils trouvaient! Lui, Robert, si jamais il faisait la sottise de se marier...Le nouveau mdecin, lui, ne disait rien. Il s'tait assis devant la petite table de la salle et traait des traits sur une feuille blanche. De temps en temps, il tournait les yeux vers l'enfant; il se levait pour contrler le pouls, la tension, la respiration. Pas de complication... murmura-t-il. Mais le poison n'est pas encore limin. Sans doute en a-t-il pris une dose assez forte. Vous tes sr que c'tait du Gardnal? interrogea Florence. Maintenant, oui. Cela vaut mieux, il n'y aura pas de squelles. Le coma d aux barbituriques a cela de bon qu'une fois la priode critique passe, tout s'arrange. Avec d'autres poisons, ce n'est pas le cas? Avec la digitaline, on peut avoir des suites plus graves. J'ai eu un peu peur quand vous m'avez dit qu'il y avait de la digitaline dans cette armoire pharmacie. A propos, comment est la mre? J'ai craint qu'elle ne fasse une crise nerveuse; je lui ai donn un calmant. Vous avez bien fait. De nouveau le silence, l'attente. Aprs avoir examin l'enfant une nouvelle fois, le mdecin ordonna: Donnez-lui encore de l'oxygne. Je voudrais acclrer la respiration, pour que l'vacuation du poison se fasse plus vite. Vous ne donnez pas de contrepoison? Il secoua la tte. Non, sauf en cas de danger immdiat. Les produits qu'on administre risquent de provoquer une autre intoxication qui s'ajoute la premire. Florence se rappela avoir entendu le docteur Martel, qui dirigeait l'hpital, dire la mme chose. En pareil cas, avait-il dclar, le danger est souvent de vouloir agir trop vite; on peut faire ainsi plus de mal que de bien. Un bon ranimateur ne doit pas se presser : l'expectative, une surveillance troite, voil la formule. L'expectative... la surveillance... exactement ce que faisait le jeune mdecin. Il connaissait son affaire, c'tait vident. Florence l'examina du coin de l'il avec attention. Il semblait plus g que les autres internes; sans doute tait-ce son expression grave qui le vieillissait. On n'imaginait pas ces traits rguliers mais froids, ce menton volontaire, clairs par un sourire.La nuit s'achevait quand Florence, penche sur le petit malade, dclara : II est mouill, docteur! Tous deux savaient ce que cela voulait dire :le poison s'liminait par les reins. L'espoir se prcisait. Continuez la perfusion; plus l'vacuation sera abondante, plus tt l'organisme sera dlivr. Florence ta l'alse trempe et la remplaa par une propre. Un moment plus tard, elle dut la changer de nouveau.Pour la premire fois, Florence vit le jeune mdecin sourire. Ses yeux bleus, fixs sur l'enfant, avaient une expression de douceur. Ce n'est plus qu'une question de minutes , dclara-t-il.Un moment plus tard, en effet, le petit garon ouvrait les yeux. Maman... bgaya-t-il.Le mdecin se tourna vers Florence. Allez la chercher, dit-il. Mais prvenez-la qu'elle ne doit pas lui parler. Florence retourna dans la salle d'attente. Cette fois, voyant son expression joyeuse, la jeune femme se leva d'un bond. II est sauv! s'exclama-t-elle. Il est sauv, rpondit Florence. Mais il est encore faible; il faut lui viter toute motion. Vous lui prendrez la main tout doucement; il vous reconnatra et sera rassur. Ensuite, il faut qu'il se rendorme. En s'approchant du lit, la mre avait peine retenir ses larmes. L'enfant lui serra la main et lui sourit.Le mdecin fit signe Florence de le suivre dans l'office. Il faut naturellement le surveiller encore pendant quelques heures, dit-il. J'aimerais autant, si c'tait possible, que ce soit vous qui restiez auprs de lui, puisque vous l'avez suivi depuis le dbut. Vous n'avez plus besoin de moi; appelez-moi s'il se passait quelque chose d'anormal. C'est entendu, docteur. Elle voulut ajouter un mot aimable. Vous devez tre fatigu. Mais vous avez encore le temps de vous reposer un peu.

Me reposer! fit-il avec ironie. Pas question : j'ai du travail. Florence l'accompagna jusqu' la porte. Sur le seuil, il se retourna. Je me suis dj prsent, je crois. Gilles Martin. Et vous, mademoiselle? A l'hpital, tout le monde m'appelle Mlle Florence. Sans doute aurons-nous encore l'occasion de travailler ensemble. Je fais un stage Rouville, je ne sais pour combien de temps. Il avait prononc ces mots sans cordialit. Ds qu'il n'tait plus auprs d'un malade, son attitude changeait; il devenait distant, presque hostile.J'espre qu'il n'est pas mcontent de moi, se dit Florence. J'ai fait tout ce qu'il me disait et, en somme, nous avons russi! Dans la salle des urgences, la mre tenait la main de son fils endormi. Elle ne pronona pas une parole, mais le regard qu'elle jeta la jeune infirmire dbordait de reconnaissance et de bonheur.Florence s'assit et ferma les yeux un instant. Combien d'heures encore avant qu'on pt transporter l'enfant sauv dans une salle de pdiatrie? Trois, quatre peut-tre...La fatigue, que la jeune fille avait oublie tant que le petit garon tait en danger, l'envahissait maintenant tout entire. Elle pensait son litcomme un rve lointain, trop beau pour tre vrai.Elle se redressa : elle n'avait pas le droit de cder au sommeil tant que l'enfant pouvait encore avoir besoin d'elle. Dans l'office il y avait un rchaud gaz; elle se fit une tasse de caf trs fort. Ses membres lui faisaient mal crier, mais son cerveau restait lucide.Elle pensa encore au mdecin. Gilles Martin... Il faisait un stage Rouville; quelles allaient tre ses fonctions? Demain, tout l'hpital le saurait. Demain, c'est--dire tout l'heure... Au moment o elle pourrait dormir enfin...Le petit garon, lui, dormait calmement. La mre avait laiss tomber sa tte sur l'oreiller, ct de celle de son enfant.En allant prendre le pouls du petit, Florence revit soudain, comme dans un songe, la haute silhouette du nouveau mdecin penche sur le malade, l'expression soudain adoucie de ses yeux bleus.Un personnage singulier, certes. Mais en tout cas un mdecin en qui on pouvait avoir confiance.

III

Ds l'arrive des infirmires de jour, Florence fit transporter le petit garon dans le service de pdiatrie. Comme il n'y avait pas de lit disponible, elle en fit ajouter un. Le petit avait bien dormi et rclamait manger. Si je pouvais le ramener chez moi, dit la mre, il retrouverait son lit dans notre chambre et je lui donnerais manger convenablement. Le mot convenablement fit peur Florence. Elle savait trop ce qui arrivait quand on laissait partir trop tt les petits malades : la maison, ils se montraient capricieux, la mreleur donnait ce qu'ils demandaient et trop souvent cela se terminait par une rechute. Il a encore besoin de surveillance pendant quelques jours, rpondit-elle. On l'alimentera lgrement, mais on ne le laissera pas mourir de faim, n'ayez pas peur. Je pourrai au moins rester avec lui? Non, mais vous pourrez revenir le voir cet aprs-midi, aprs deux heures. La mre commena maugrer contre les rglements des hpitaux, qui empchaient les enfants de voir leur famille. Vous tiez bien contente de trouver l'hpital hier soir! remarqua Florence. Bien sr, dans un cas comme celui-l... Elle continua se plaindre. Florence la fit taire en lui disant qu'elle fatiguait l'enfant.Des pas s'approchrent dans le vestibule. Florence espra que c'taient les infirmires de pdiatrie qui venaient chercher le petit garon. Mais c'tait le directeur de l'hpital, le docteur Martel, qui faisait sa visite quotidienne accompagn de la surveillante, Mme Benot. Trois ou quatre jeunes gens en blouse blanche, parmi lesquels Gilles Martin, les suivaient. Ah, voici ce gamin dont vous m'avez parl, Martin, dit le directeur. Eh bien, j'ai l'impression qu'il se porte merveille! Est-ce que je peux l'emmener, docteur? demanda la mre.M. Martel avait moins de patience que Florence. Certainement pas! dclara-t-il avec fermet. Nous vous le gardons encore quelques jours. D'ailleurs, madame, que faites-vous ici cette heure? Le petit va bien, vous pouvez partir tranquille. La jeune femme n'osa pas protester. C'tait toujours ainsi : en prsence des mdecins, les malades et leur famille se montraient toujours timides; ils se rattrapaient avec les infirmires, qui ils exposaient leurs dolances longueur de journe. Le pouls est bon... disait Martel. Il a bien urin? c'est parfait. Je le reverrai tout l'heure en pdiatrie. Il se dirigea vers la porte. Florence l'accompagnait. Tout coup il se retourna vers elle. Mais, si je ne me trompe pas, c'tait dj vous qui tiez ici hier aprs-midi, pour la noye? Oui, monsieur, rpondit la jeune infirmire. Alors vous avez pass la nuit? Il le fallait bien, monsieur; nous ne sommes pas riches en personnel, vous le savez. Le docteur Martel et Mme Benot changrent un regard significatif. Montez vous coucher, Florence, dit la surveillante. Prenez quelque chose de chaud et mettez-vous au lit. On voit bien que vous ne savez, pas ce que c'est, vous

C'est entendu, madame. Le groupe des mdecins s'loigna. Un moment plus tard, les infirmires du second vinrent chercher le petit garon; celui-ci fit quelques difficults pour quitter sa mre. Maman reviendra te voir tout l'heure, lui dit Florence gentiment. Il faut maintenant qu'elle aille se reposer, elle aussi. La jeune femme ricana. Me reposer! c'est vite dit. Et qui fera mon mnage? Qui prparera le djeuner de mon mari? On voit bien que vous ne savez pas ce que c'est, vous! Vous pouvez aller vous coucher et dormir toute la journe si a vous chante! Florence ne rpondit pas. Elle n'en avait mme pas la force; elle tait si lasse qu'elle se demandait si elle pourrait monter jusqu' sa chambre. Prenez quelque chose de chaud ... avait dit la surveillante. Bien sr, un bol de caf au lait lui aurait fait du bien. Mais descendre jusqu'aux cuisines... La tte lui tournait; elle se sentait dfaillir.Comme elle sortait de la salle des urgences, elle croisa Robert qui se dirigeait vers son service. Alors? demanda-t-il, vous vous tes bien entendue avec le nouveau? Trs bien. Il m'a fait l'effet d'un homme trs capable. Mais il n'est pas drle, hein? Un vrai blocde glace. Je ne sais pas pourquoi le patron l'a fait venir ici... Ah! c'est M. Martel qui l'a demand? Oui, il est arriv hier soir. Il prpare son internat il ne doit pas tre trs fort, puisqu'il n'est pas encore interne, son ge. Le patron s'intresse lui; il veut le pousser, c'est certain... Dites donc, Florence, vous n'avez pas l'air trs brillant, vous! Vous avez pass la nuit? Naturellement : avec ce gamin empoisonn, que vouliez-vous que je fasse? Cet hpital! grommela Robert en s'loignant.Le docteur Martel poursuivait sa visite. Quand il l'eut finie, il fit signe Mme Benot de le suivre dans son bureau. Avez-vous remarqu la mine de cette petite infirmire? lui demanda-t-il. J'ai vu, rpondit Mme Benot; la pauvre enfant tombait de sommeil. Pensez, monsieur, qu'elle est debout depuis vingt-quatre heures, et avec la tension nerveuse qu'imposent toujours les cas d'urgence. Au moins, qu'elle se repose compltement dans l'intervalle. Elle n'a que les urgences, je suppose? Hlas non, monsieur. Vous connaissez notre problme; nous en parlons assez souvent, vous et moi. L'insuffisance du personnel devient dramatique. Quand Florence n'est pas appeleaux urgences, elle aide les autres l o le besoin s'en fait sentir. Le docteur Martel marchait de long en large dans le bureau. Ce n'est pas possible... murmurait-il. Notre petit hpital de Rouville a une excellente rputation; on nous envoie mme des malades des communes voisines, parce qu'on sait qu'ici ils seront bien soigns. Mais nous ne pouvons pas gurir nos malades au prix de la sant de nos infirmires... Elle a l'air bien, cette petite-l! Florence? C'est un ange! C'est la plus jeune de notre quipe, et pourtant je n'hsiterais pas dire que c'est la meilleure. Trs capable, d'abord, et d'un dvouement toute preuve. Il en est toujours ainsi : les plus lourdes tches tombent sur les plus dvous. Mais cela ne peut pas durer ainsi. Mme Benot soupira : Que pouvons-nous y faire, docteur? Une seule chose : avoir davantage d'infirmires. Elles sont difficiles trouver; beaucoup prfrent les cliniques ou les gardes domicile. D'ailleurs, vous savez bien que le budget de l'hpital ne nous permet pas d'augmenter le personnel. Il faudrait obtenir une subvention plus importante de la commune. Cela aussi, c'est difficile : vous connaissez M. Groult... M. Groult tait la fois maire de Rouville et dput du dpartement. C'tait un personnage considrable, trs aim dans la rgion. Les habitants de la commune disaient qu'en s'adressant lui on pouvait obtenir beaucoup.Oui, mais voil : depuis deux ans, M. Groult avait dcid de faire construire un hpital modle Clermont, o il rsidait. Il avait trouv l'argent, dirig les architectes. Maintenant, l'hpital tait achev, et on avait l'impression que l'organisation de sa nouvelle cration lui tenait fort cur. Vous l'avez vu, monsieur, cet hpital? demanda la surveillante. Je l'ai vu, rpondit M. Martel; il est vraiment trs bien. L'Etat et le dpartement y ont particip; dans ces conditions, il est possible de faire de grandes choses.Mme Benot sourit. Seriez-vous jaloux, par hasard? Moi? oh, non... D'abord, plus il y aura de bons hpitaux dans la rgion, plus je serai content. Ce sont les malades qui comptent, ce n'est pas nous. D'autre part, vous avouerai-je que je n'aimerais pas travailler dans une de ces grandes installations ultramodernes? Elles ont leurs avantages, je n'en disconviens pas, mais on s'y occupe moins de chaque malade en particulier, chacun devient un numro anonyme... Je suis vieux jeu, comme vous voyez. Je suis comme vous, rpondit Mme Benot. N'importe, reprit Martel, je parlerai Groult; je lui demanderai de venir nous voir. Peut-tre comprendra-t-il nos difficults et consentira-t-il nous aider. Croyez-vous seulement qu'il se drangera? La semaine prochaine, il a une runion la mairie; je lui demanderai d'en profiter pour faire un tour jusque chez nous. Mme Benot alla organiser la journe de l'hpital. Ce n'tait pas facile : le manque de personnel obligeait des remaniements continuels; impossible pour une infirmire d'avoir un service dtermin une fois pour toutes : celle qui avait temporairement moins de travail devait aller aider celle qui en avait trop. Cette petite Florence, par exemple, se disait la surveillante. Nous abusons d'elle, c'est certain. Si je pouvais, je l'attacherais dfinitivement la salle des urgences, puisqu'elle y est si efficace. Et mme je lui donnerais quelqu'un pour l'aider en cas de besoin. Dans une des salles, elle trouva le docteur Robert qui faisait visiter l'hpital au nouveau stagiaire. Le jeune interne fit les prsentations. Mfie-toi de Mme Benot! dit-il en riant. Elle a l'air gentille, mais c'est un vrai tyran et pas seulement avec les malades! ajouta-t-il malicieusement. Docteur, dclara la surveillante, si on veut

qu'il y ait de l'ordre dans un hpital, il faut que les mdecins soient les premiers l'observer. Tu vois, Martin, ce que je te disais! A toi d'en faire ton profit! Le stagiaire ne rpondit pas son camarade. J'espre que Mme Benot n'aura pas se plaindre de moi, dit-il simplement. Vous prenez votre service ce matin, docteur? lui demanda-t-elle.Ce fut encore Robert qui rpondit : Il l'a dj pris, madame. Il est arriv au bon moment cette nuit; je remontais des urgences et nous avons eu un nouvel appel. Ah, c'est vous qui avez soign le petit garons? Pas seulement moi. J'ai t trs aid par l'infirmire Mlle Florence, je crois. Oui, elle est comptente, malgr son jeune ge. Elle est intelligente et trs vive. Je vous avoue que c'est une de mes prfres... Parce que Mme Benot a ses prfrences, j'oubliais de te le dire, interrompit Robert. Tche de te mettre dans ses petits papiers, tu obtiendras tout ce que tu voudras. Si tu n'as pas l'heur de lui plaire, ce sera diffrent. J'en sais quelque chose, hlas! Ne le croyez pas, dit la surveillante. Si vous me demandiez des choses raisonnables, vous les obtiendriez, tout comme les autres. Naturellement, quand vous me rclamez de laisser sortir Clotilde une heure plus tt, parce que vous avez envie de l'emmener au cinma... Ce n'est pas un crime, le cinma! Il faut bien que ces pauvres filles s'amusent un peu de temps autre... Mme Benot redevint grave. Je suis de votre avis; je voudrais bien pouvoir leur donner un peu plus de libert. Si je suis parfois oblige de leur demander des heures supplmentaires, ce n'est pas pour mon plaisir, croyez-moi. Vous savez bien que nous manquons d'infirmires. Je le regrette autant que vous, chre madame surtout si elles sont jeunes et jolies! ajouta-t-il avec un salut ironique.Gilles Martin, lui, ne riait pas. Il gardait la mme expression, grave, un peu rserve. II va se trouver dpays au milieu de cette bande de loustics! pensa Mme Benot. De bons garons mais quelquefois ils dpassent les bornes... Elle poursuivit son inspection des salles. Le petit garon de l'urgence nocturne tait maintenant bien veill; il rclamait son chocolat. Mme Benot recommanda l'infirmire de ne lui donner qu'un peu de lait froid sucr : le docteur Martel avait ordonn de le laisser la dite liquide toute la journe.Elle se rendit ensuite dans la salle des femmes. La noye de la veille, elle aussi, se portait bien; elle attendait impatiemment la visite de son mari, qui devait venir aprs son travail. Mlle Florence sera l? demanda-t-elle. Je voudrais qu'il puisse lui dire merci. Elle sera peut-tre l en fin de journe, rpondit la surveillante. Pour le moment, elle se repose. Elle a pass toute la nuit, avec le mdecin, ranimer un petit garon qui s'tait empoisonn. Toute la nuit! Madr de Dios! Et elle tait dj reste avec moi toute la journe! Il est guri aussi, le petit garon? Il va trs bien, comme vous. Mlle Florence, dclara l'Espagnole, c'est un ange! Un ange... C'est ce que Mme Benot avait dit elle-mme au docteur Martel. Mais les forces des anges terrestres ont des limites. A supposer qu'il arrivt une autre urgence dans la matine, elle ne pourrait tout de mme pas aller rveiller Florence-Non, dcidment, cette situation ne pouvait pas durer...

IV

A la fin de l'aprs-midi, repose par dix heures de bon sommeil, Florence descendit de sa chambre. D'aprs l'horaire tabli par Mme Benot, elle n'tait tenue reprendre son service que le lendemain matin, mais elle n'tait pas fille flner quand on pouvait avoir besoin d'elle. Elle se rendit d'abord dans la salle des urgences pour vrifier que tout y tait en ordre, puis remonta au premier, o elle savait sa camarade Caroline surcharge de travail. Caroline s'occupait d'un service d'enfants : une salle de huit, quatre chambres de deux, c'tait lourd.Florence la trouva dans l'office, en train de prparer ses mdicaments du soir. Tu n'as pas besoin de moi? Je peux distribuer les mdicaments, si tu veux. J'aime mieux faire la distribution moi-mme. Mais j'ai une piqre au 3; si tu veux t'en charger, tu me rendras service. Je suis seule, ce soir : c'est le jour de sortie de Bernadette, et j'ai pris un peu de retard. Ne t'inquite pas : deux, nous aurons vite fini. Pour la piqre, tout est prt, tu n'as qu' prendre le plateau. Les visites vont finir; aprs nous serons plus tranquilles. L'enfant est facile? Une petite fille de six ans : un amour! Il suffit de lui raconter une histoire pour qu'elle se laisse faire sans rien dire. A propos, Caroline; ce matin, tu as d recevoir un petit garon, que j'ai eu cette nuit en urgence. Le pauvre gosse s'tait empoisonn avec du Gardnal, je pense. C'est bien chez toi qu'on l'a mis? Le petit Jojo? Oui, il va trs bien. Caroline poussa un soupir : S'il n'y avait pas la mre! Elle est arrive deux heures sonnantes, avec son mari. Le pre est reparti presque aussitt, mais elle n'a pas boug de toute la journe. Le petit avait surtout besoin de dormir; plusieurs reprises, j'ai t oblige de la faire taire.

Sans compter qu'elle devait gner les autres malades! Bien entendu! Tu n'as pas mal la tte, mon chri? Je suis sre que tu as un peu mal la tte! A la fin il disait oui, pour s'en dbarrasser... C'est une plaie, cette femme-l! Au lieu d'ennuyer tout le monde, elle ferait mieux de rentrer chez elle et de ranger ses mdicaments pour ne plus risquer d'empoisonner son fils! Je lui ai dit ce que je pensais, je t'assure. Depuis, elle se tient un peu plus tranquille. Florence sourit : elle savait Caroline capable de tenir en respect les familles les plus rcalcitrantes.En se rendant la chambre 3 avec son plateau, elle passa devant la grande salle. L'aide-soignante, une jeune Noire rcemment arrive l'hpital, y distribuait le dner. Quelques visiteurs s'attardaient encore auprs de leurs malades.Tout coup, prs d'un petit lit, une femme se dressa. Mais c'est l'infirmire de cette nuit! Mademoiselle! Mademoiselle! Florence, comprenant qu'on s'adressait elle, s'arrta sur le seuil. La mre du petit Jojo s'agitait au chevet de son fils. Florence s'approcha. Ah, tu vas mieux, aujourd'hui? Tu vois comme tu as t malade; c'est ce qui arrive aux petits garons qui mangent tout ce qui leur tombe sous la main. L'enfant sourit. C'tait trs mauvais, avoua-t-il. Mais a m'amusait de faire tomber toutes ces petites pastilles d'un seul coup dans ma gorge... La mre intervint. Vous arrivez temps, mademoiselle! Figurez-vous qu'on refuse de donner mon fils autre chose qu'un soupe au lait! Il y aura bientt vingt-quatre heures qu'il n'a rien pris de solide, le pauvre enfant! Le mdecin l'a ordonn, expliqua l'aide-soi-gante. C'est ce que vous me rptez depuis une heure! Cette fille n'a videmment rien compris... Expliquez-lui, mademoiselle, moi j'y renonce! Je n'appartiens pas ce service, madame, rpondit Florence. Mais de toute faon je veillerai ce qu'on observe les ordres du mdecin. Enfin, mademoiselle... Excusez-moi, madame, je suis occupe, comme vous voyez , dit schement la jeune infirmire.En sortant, elle adressa un sourire l'aide-soignante pour lui montrer qu'elle l'approuvait. La veille au soir, elle avait eu piti de cette mre dont l'enfant tait en danger. Aujourd'hui, elle n'prouvait plus envers elle que de l'irritation.La femme tait capable d'apporter son fils des gteaux en cachette! Le cas n'tait pas rare; il fallait avertir Caroline d'ouvrir l'il.La petite fille du 3, elle, parut due en voyant entrer Florence. Ce n'est pas la mme dame que ce matin, dit-elle avec une moue. Non, la dame est occupe. Mais tu vas te laisser faire gentiment, n'est-ce pas? La dame connaissait de belles histoires, dit la petite. Mais j'en connais aussi, moi! L'enfant la regarda avec mfiance. Alors tu sais ce qu'elle a fait, Peau d'Ane, quand elle s'est sauve du chteau? Bien sr! elle a trouv de gentils fermiers, qui l'ont engage pour garder les oies. Des vraies oies? comme chez grand-mre? Naturellement! Une minute plus tard, la piqre tait faite, sans mme que la petite et rien senti. Il fallut, bien entendu, achever l'histoire de Peau d'Ane. Mais Florence, ce soir, n'tait pas trop presse.En sortant de la chambre, elle aperut dans le couloir un homme de petite taille, trs brun, qui portait un gros bouquet la main. L'heure des visites est passe, monsieur, lui dit-elle gentiment. Est-ce que vous apportiez ces fleurs une malade? Non, y viens de la voir... Y voulais, y voulais... II tenait deux mains son bouquet, envelopp de papier glac. Vous ne pouvez pas me dire o y trouverais Mlle Florence? demanda-t-il enfin. Vous tombez bien : Mlle Florence, c'est moi. Vous avez me parler? Le visage de l'homme s'panouit en un large sourire; il lui fourra le bouquet dans les bras. C'est vous que vous avez sauv ma femme! dit-il. Si, si, elle m'a tout racont. Y voulais vous dire merci, y'ai attendu, attendu... Y n'arrivais pas vous trouver... y ne savais plus comment faire...

Que vous tes gentil! dit Florence, touche. Mais il ne fallait pas... Ces belles ross... II eut une expression inquite. Vous aimez pas les ross? demanda-t-il. Je les adore! Mais c'est trop beau... Sauver la vie de nia femme, c'est encore plus beau que des ross! II avait l'air ouvert, sympathique. Il raconta Florence que sa femme et lui taient maris depuis deux mois; ils voulaient gagner un peu d'argent pour faire construire une petite maison en Espagne. Y suis maon, y gagne bien. Ma femme, elle prend du linge laver dans le village. Mais y ne veux plus qu'elle passe par le chemin au bord de l'eau! N'y pensez plus, puisque tout s'est bien termin. Dans quelques jours, vous pourrez certainement la ramener chez vous. Oh, y vous reverrai avant! Mario Sanchez il oublie yamais rien, ni le mal ni le bien! En rentrant dans l'office, un moment plus tard, Caroline surprit Florence qui respirait ses ross. Elles sont magnifiques! s'cria-t-elle. C'est un cadeau? Florence lui raconta tout. Je n'ai pourtant soign sa femme que quelques heures peine, ajouta-t-elle. Mais il y a desmalades qui comprennent combien leur reconnaissance nous fait du bien. Ils ne sont pas tous de cette espce-l, soupira Caroline. Je parierais que la mre de Jojo racontera partout autour d'elle que son fils a t mal soign! Le travail achev, elles descendirent dner ensemble. Elles taient encore la cantine quand le tlphone intrieur sonna : on demandait une infirmire pour la chambre 11. Quelques instants seulement, ajouta la voix. Le 11, c'est chez Robert, dit Caroline. Mais Robert n'est pas de garde. A cette heure-ci, il doit dj tre parti. Lui ou un autre, il y a quelqu'un qui nous demande. Je vais voir, dit Florence en se levant. Toujours toi! remarqua Clotilde. Je pourrais aussi bien y aller! Trop tard, je suis dj debout. Mais garde-moi une tartelette! ajouta-t-elle en riant. Je serai trs due s'il n'en reste plus. En arrivant dans la chambre 11, elle y trouva, non pas Robert, mais Gilles Martin. Excusez-moi de vous avoir drange, dit celui-ci. L'infirmire de jour est partie, la garde de nuit retenue dans une autre salle. Il n'y a rien de grave, mais en faisant un tour dans les salles avant de monter, j'ai constat que ce malade, en s'agitant, avait dplac son pansement. Je crois qu'il vaudrait mieux le refaire. Il n'y a pas prilen la demeure, mais il sera plus l'aise pour dormir. Vous avez raison, docteur, dit-elle. Je vais refaire ce pansement. J'en profiterai pour voir comment volue la plaie. Florence sortit quelques minutes. Quand elle rentra dans la chambre, elle s'aperut que Gilles avait dj t le pansement, n'importe comment, sans prendre soin de l'enrouler mesure. Telle quelle, la bande tait inutilisable. Voil bien les mdecins! se dit la jeune fille. Ils ne pensent pas, eux, que nous devons conomiser sur tout! Se rendront-ils jamais compte

que certains travaux sont mieux faits par les infirmires? Cependant, en voyant Gilles tamponner la plaie, elle admira de nouveau sa dlicatesse. Le pansement achev, ils sortirent ensemble de la chambre. J'ai revu notre petit intoxiqu, dit-elle. Il va tout fait bien. Je l'ai revu galement. Les intoxications aux barbituriques sont impressionnantes, mais quand c'est fini, c'est bien fini. Vous avez sans doute vu aussi la mre? II haussa les paules sans rpondre. Il pensait certainement la mme chose qu'elle mais pourquoi ne disait-il rien? Habituellement, quand un mdecin et une infirmire ont soign un malade ensemble, ils changent leurs impressions. Lui rien! Une fois le travail fini, on ne se connaissait plus... Pourquoi?Florence redescendit la cantine un peu due. Elle aurait aim lui parler de cette mre abusive peut-tre aussi lui rapporter le don des ross, qui l'avait tant mue. Devant son attitude, elle n'osait pas, elle non plus, lui dire un mot. En serait-il toujours ainsi? Gilles l'attirait malgr tout; elle ne se l'avouait pas, mais si elle tait monte si vite tout l'heure, c'tait peut-tre un peu parce qu'elle esprait trouver Gilles dans le service. Je t'ai gard une tartelette! lui cria Clotilde.J'a eu du mal : beaucoup de gourmandes se seraient volontiers adjug ta part. Les autres protestrent en riant : ds qu'elles se retrouvaient ensemble, aprs l'atmosphre lourde des salles, elles s'amusaient de tout, comme des enfants. Qui donc avait appel l-haut? demanda tout coup l'une d'elles. Robert n'tait pas encore parti? Si; c'tait le nouveau, le docteur Martin. Gilles, pour les dames! ajouta Caroline. Il y avait quelque chose qui n'allait pas? Seulement un pansement dplac. Qui risquait de se dfaire entirement? interrogea Clotilde en fronant les sourcils, car c'tait elle qui avait vrifi les bandes. Non, tranquillise-toi; mais cela pouvait gner le malade pendant la nuit. Un mdecin qui s'inquite de a! s'exclama Caroline. En gnral, une fois leur travail fini, ils nous laissent le soin de ces dtails. C'est vrai, reconnut une autre. Il faut croire que celui-l est une exception. Tu as dj travaill avec lui hier soir, n'est-ce pas, Florence? Oui, nous avons pass la nuit prs d'un petit garon qui s'tait empoisonn. Comment est-il? Le petit garon? Il va trs bien. Mais non, nigaude, je veux dire l'interne!Car il est interne, je suppose? Toi qui sais tout, Clotilde, tu devrais pouvoir nous dire a? Ce n'est pas lui qui satisfera ma curiosit, en tout cas! Il est pass tout l'heure dans le service; il m'a pos quelques questions sur les malades, et puis, crac! disparu! J'aurais aussi bien pu ne pas exister... Oh, toi, Clotilde, taquina sa voisine, tu voudrais que tous les mdecins fassent attention toi! Ce n'est pas vrai! Mais entre faire attention au sens o tu l'entends, ou vous regarder comme un chien de faence, il y a une marge, non? Pendant que les infirmires plaisantaient joyeusement, Florence se disait qu'elle aurait bien voulu, elle aussi, en savoir davantage sur le nouveau mdecin de Rouville.

V

malgr sa taille menue, Florence tait rsistante. Cependant, elle se rendait bien compte qu'elle ne pourrait continuer travailler ainsi indfiniment. Si on voulait qu'elle s'occupt fond de la salle des urgences, il fallait lui donner de l'aide. Elle ne pouvait courir ainsi sans cesse d'une salle l'autre. Parfois, le matin, elle avait l'impression qu'elle ne pourrait pas se lever, tant tout son corps lui faisait mal. Vous n'tes pas trop fatigue, Florence? lui demandait parfois Mme Benot. Non, non, madame, je vous assure. Elle voyait bien que la surveillante ne la croyait pas. Mais que pouvait y faire la pauvre Mme Benot? Elle aussi travaillait plus qu'elle n'aurait d. Dans ce petit hpital de Rouville, tout le monde s'entraidait; on se rendait mutuellement service, on se remplaait l'occasion. Mais les forces humaines ont des limites... Deux infirmires de plus, et tout aurait pu s'arranger.Depuis l'arrive de Gilles Martin, on avait eu plusieurs urgences. Certaines pas trs astreignantes : une petite fille qui avait aval un bouton toujours cette manie des enfants de tout fourrer dans leur bouche! On avait attendu quarante-huit heures, en surveillant la petite, et le bouton s'tait vacu de lui-mme. Une autre plus grave : une crise d'angine de poitrine; il avait fallu lutter jusqu'au matin pour viter l'infarctus. On avait ensuite dirig le malade sur un centre de cardiologie. Quand on l'avait emmen, Gilles avait soupir : J'ai eu peur... Ils avaient chang un regard. Pendant plusieurs heures ils avaient combattu, trembl, espr ensemble. Ils s'taient sentis trs proches, comme on l'est dans un travail o chacun met tout son cur. Puis, sans ajouter un mot, Gilles avait tourn les talons et quitt la salle.Ce jour-l, Florence avait eu de la peine pour lui. Elle s'apercevait bien que les autres jeunes mdecins de l'hpital ne sympathisaient pas aveclui. Ils taient gais, toujours prts plaisanter et rire. Ce garon trop srieux les gnait. Robert, en particulier, se montrait parfois acerbe son gard. Les infirmires, qui voyaient tout, devinaient que Robert tait un peu jaloux de l'amiti que le docteur Martel tmoignait au stagiaire; elles se demandaient pourquoi. Un garon qui n'tait mme pas interne! Se connaissaient-ils en dehors de l'hpital? Personne n'en savait rien. Tu viens dimanche Paris, pour le bal? avait demand Robert Gilles un jour que tous les deux se trouvaient dans l'office avec Florence. Je ne peux pas; je n'ai pas le temps. Pas le temps! Dis plutt que tu es trop vieux, que cela ne t'amuse plus! Gilles n'avait pas rpondu, mais Florence voyait bien que cette allusion son ge l'avait bless. Elle ne put s'empcher d'en faire la remarque Robert, quelques jours plus tard. Vous ne pouvez pas le laisser tranquille, ce pauvre garon? Ce n'est pas sa faute s'il a quelques annes de plus que vous. Ce n'est pas la mienne non plus, rpliqua Robert. D'ailleurs, trois ou quatre ans de plus, est-ce que cela compte? Cela prouve en tout cas qu'il n'a pas fait grand-chose jusqu'ici! lana le jeune interne en s'loignant.Florence avait l'impression d'une injustice. Ledocteur Martel ne se serait pas intress Gilles s'il n'avait pas reconnu en lui un tudiant srieux. Celui-ci n'tait pas interne, c'tait vrai : il prparait son concours pour la fin de l'anne. Ce n'tait pas une raison pour que Robert prt des airs suprieurs avec lui!Dans l'hpital, o les rumeurs se rpandaient avec une incroyable rapidit, on apprit bientt, de la salle d'opration aux cuisines, que le docteur Martel et Mme Benot attendaient la visite de M. Groult, le dput-maire. Mme Benot en parla Florence : on esprait beaucoup de cette visite. Si M. Groult voulait bien s'occuper de Rouville, il pouvait faire obtenir l'hpital une subvention qui permettrait d'engager une ou deux infirmires de plus. Vous en seriez la premire bnficiaire, Florence, ajouta la surveillante. Je vois bien tous les efforts que vous faites, mon enfant. Cette salle des urgences, dont vous vous occupez si bien, a besoin d'une infirmire attitre. Cette place vous intresse, vous pourriez la garder... Florence en rvait. Le jour o la visite de M. Groult devait avoir lieu, elle attendit l'arrive du dput avec motion. Comment tait-il, ce personnage qui pouvait tant pour l'hpital?Vers onze heures du matin, au bruit d'un vhicule sur le gravier, elle se prcipita la fentre. Elle s'attendait voir une voiture de luxe; sa grande surprise, ce fut un taxi qui franchit lagrille et s'arrta devant le perron. Un homme de quarante-cinq cinquante ans, de forte corpulence, les cheveux assez longs la mode du jour, mit pied terre. Le docteur Martel descendit les marches et s'avana sa rencontre. Monsieur le maire ou devrais-je dire monsieur le dput?... Non, non, ici je ne suis que le maire de Rouville. C'est ce titre que je viens visiter votre hpital. J'aurais d le faire depuis longtemps, mais je suis tellement occup... Cette fois je veux tout voir, de la cave au grenier! Ils entrrent, et Florence les perdit de vue. Elle aperut seulement, sur le perron, la coiffe blanche de Mme Benot, qui s'tait mise sur son trente et un pour recevoir le personnage.Elle-mme ne quittait pas la salle des urgences, d'o les infirmiers venaient d'emporter une jeune femme, amene la veille par les gendarmes la suite d'un accident de la route. La blesse tait maintenant assez bien pour qu'on la montt en chirurgie afin de rduire une fracture complique. Pourvu que j'aie le temps de tout remettre en ordre avant que M. Groult vienne par ici! pensait Florence.Le dput visita tout de fond en comble et la jeune infirmire attendit longtemps sans voir personne. Enfin, elle entendit des pas dans le couloir; la porte s'ouvrit; le docteur Martel fit

entrer M. Groult et Mme Benot, suivis d'un groupe de jeunes mdecins parmi lesquels se trouvaient Gilles et Robert. Ah, dit M. Groult, voici donc cette salle dont vous me parliez, docteur. Elle est petite... trs petite... Nous n'avons qu'un trs modeste tablissement, rpondit le docteur Martel. Il ne faut pas le comparer votre magnifique hpital de Clermont... Vous l'avez vu, je suppose? interrogea vivement le dput. Naturellement. Tout y est admirablement conu, m'a-t-il sembl. Tout est moderne, dclara firement M. Groult. J'ai fait moi-mme les plans avec l'architecte. Non que j'entende quoi que ce soit la mdecine, mais j'ai pris conseil l o il fallait. Si vous voyiez ma salle d'urgences, l-bas! poursuivit-il en s'adressant aux jeunes. Non seulement elle est trs grande, mais elle possde le matriel le plus nouveau : des lits mobiles plusieurs niveaux, des appareils amricains pour l'arrive d'oxygne... Oh, nous avons tous les appareils qu'il nous faut! dclara vivement M. Martel. Ce qui nous manque, comme je vous l'ai dit, c'est le personnel... Mademoiselle est attache cette salle, je suppose? interrompit Groult en saluant Florence. Oui et avec elle nous possdons un vrai trsor! Malheureusement, elle y est seule; en outre, quand cette salle n'est pas occupe, elle doit assurer un autre service. Nous ne pouvons pas demander notre personnel un effort pareil. Il suffirait de deux autres infirmires la rigueur d'une seule... M. Groult se taisait. Tous les assistants attendaient sa raction avec impatience. Oui, reconnut-il enfin, c'est insuffisant. L'hpital de Rouville rend de grands services la commune; il y a mme des gens qui viennent de beaucoup plus loin afin d'tre oprs par vous, docteur. Mais votre problme est celui de beaucoup d'hpitaux : partout on manque d'infirmires... Est-ce qu'un lger crdit... hasarda le directeur. Il est difficile d'obtenir des crdits alors que tout le monde rclame... Le dput rflchit un instant; enfin son visage s'claira. Savez-vous ce que je viens de me dire? demanda-t-il. Le personnel est insuffisant pour le nombre de lits que vous avez... On ne peut pas augmenter le personnel... Il reste un moyen : celui de rduire les lits!Les auditeurs le regardaient sans comprendre. Florence, sans savoir pourquoi, se sentit un lger froid au cur. Cette salle-ci, par exemple, poursuivit le dput enchant de son ide oui, cette petite salle est-elle vraiment indispensable? Ne vaudrait-il pas mieux, lorsque vous avez une urgence, la diriger sur Clermont? Sur Clermont... rpta le docteur Martel. Oui, sur notre hpital modle. Nous avons l, comme je viens de vous le dire, une salle d'urgences admirablement organise, pourvue des derniers perfectionnements. Certains appareils ne sont mme pas encore arrivs de Chicago; je les ai commands l-bas. II y eut un silence. Clermont, fit observer Mme Benot, c'est bien loin... Pas si loin que cela, avec les transportsmodernes! Voyons, qu'en pensez-vous, messieurs?II se tournait vers les jeunes mdecins qui l'coutaient. Nous desservons toute une commune, dit lentement le docteur Martel. En outre, nous sommes tout prs de la route nationale... de ce carrefour des Carmes qui est si dangereux. Nous recevons souvent des accidents... Cette nuit mme... une jeune femme... Croyez-vous qu'il n'aurait pas t aussi simple de l'emmener jusqu' Clermont? Une fois le bless bien install dans l'ambulance, qu'importent quelques kilomtres de plus ou de moins?Cette fois, ce fut Robert qui rpondit. Vous avez raison, monsieur. Je ne pense pas que cela puisse changer grand-chose. Vous voyez! triompha le dput. Il m'arrive quelquefois d'avoir de bonnes ides! Supprimez cette salle; vous rcuprerez le personnel pour l'employer ailleurs. D'autre part, je vois que vous avez ici un certain nombre d'appareils qui semblent en bon tat : ils peuvent servir puisque vous les avez utiliss cette nuit pour une malade. L'hpital de Clermont vous les rachtera; j'arrangerai cela. De cette faon, tout le monde sera content! Content! Florence sentait son sang se glacer dans ses veines. Supprimer cette salle qu'elleaimait, o elle savait qu'elle pouvait se rendre utile, plus qu'ailleurs sans doute... Qu'en pensez-vous, docteur? demanda M. Groult en se frottant les mains. Rien ne nous empche d'organiser cela le plus tt possible. Naturellement, il faut que je porte la question devant le conseil municipal, mais je me fais fort de le convaincre! Quant vous, rflchissez, vous me donnerez votre rponse dans quelques jours. II jeta un regard autour de lui. En attendant, laissez-moi vous fliciter pour la tenue de votre tablissement : elle est remarquable! Je pourrais la donner en exemple mon hpital de Clermont! II se mit rire : il tait visiblement enchant de la suggestion qu'il venait de faire. Il passait pour un homme de dcision rapide; il venait d'en donner une nouvelle preuve. Maintenant, messieurs, excusez-moi, mais il faut que je vous demande un service. Ce matin, en passant Rouville, j'ai eu un petit incident de dbrayage; j'ai d laisser ma voiture au garage et me faire amener en taxi jusqu'ici. L'un de vous aurait-il l'obligeance de me reconduire au garage? On m'a promis que la voiture serait prte pour midi. Robert se proposa aussitt. M. Groult distribua des poignes de main; tout le groupe l'escorta jusqu' la porte. Florence, qui les suivait de loin, vit la voiture de Robert s'loigner; le docteur Martel et Mme Benot remontrent les marches du perron. Supprimer notre salle d'urgences... murmura la surveillante. Si j'avais su, dit M. Martel, je n'aurais parl de rien. Maintenant, que Groult a cette ide en tte, il n'aura de cesse qu'il ne la mette excution. Nous aurions pu continuer tant bien que mal, en attendant... En attendant quoi? soupira Mme Benot. Vous vous rendez bien compte, docteur, que ce n'tait plus possible. Vous me le disiez vous-mme il y a quelques jours. C'est vrai... Mais je ne peux pas oublier que cette petite salle a sauv des vies humaines... Ce qu'il exprimait, Florence l'prouvait plus douloureusement encore. Cette salle des urgences, o elle avait fait ses dbuts en sortant de l'cole d'infirmires, la jeune fille avait l'impression qu'elle lui appartenait un peu. Le docteur Martel l'avait dit souvent: elle avait les qualits qu'il fallait pour ce genre de travail : la rapidit, le calme. Elle y avait assist plusieurs mdecins; ds l'instant o elle avait commenc d'y travailler avec Gilles, il lui semblait qu'elle pourrait s'amliorer encore.Elle aurait voulu supplier, intervenir en faveur de sa chre salle. Elle aurait propos de travailler encore davantage, s'il l'avait fallu. Mais que Je ne peux pas oublier que cette petite salle a sauv des vies humaines.

pouvait la voix d'une petite infirmire contre les dcisions des grands chefs?Le directeur et Mme Benot passrent devant elle sans la voir. Un moment plus tard, elle rencontra Gilles Martin. Elle n'osa pas lui parler non plus. Pourtant, elle pensait qu'il et t bon de partager sa peine avec lui lui qui semblait aussi aimer cette salle...Qu'allait-elle devenir si le projet du dput aboutissait? On lui assignerait un poste ailleurs, dans un des services de l'hpital. Peut-tre chez les enfants, avec Robert... Ou bien en salle d'oprations, avec M. Martel et les chirurgiens de l'quipe. Elle savait bien que Mme Benot ferait de son mieux. Mais ce ne serait jamais la mme chose...A la cantine, les infirmires discutrent entre elles de la visite de M. Groult. Le dput-maire tait plutt sympathique, bien qu'un peu imbu de lui-mme. Il tait si fier de son hpital modle de Clermont! On voyait bien qu'il ne s'intressait qu' cela. Tu ne dis rien, Florence? a t'ennuierait, d'abandonner les urgences? Oui, rpondit-elle franchement. Je m'y suis attache, cette salle. Je te comprends : moi, si on m'tait les enfants, je me sentirais comme perdue. C'est drle, n'est-ce pas, comme on s'attache certains services. On n'y peut rien : il y a des endroits o on se sent chez soi plus qu'ailleurs. Moi, dclara une autre, cela m'est bien gal. Du moment que j'ai un bon patron, je me sens l'aise partout. C'est parce que tu es trs jeune, Florence. Quand tu auras fait vingt services, comme moi, tu ne verras plus les choses de la mme faon. Sans doute , rpondit Florence.Mais si elle s'tait laiss aller, elle aurait fondu en larmes.

VI

En revenant du garage o il avait conduit le dput, Robert semblait d'excellente humeur. Se rendant la salle d'oprations o il devait assister le docteur Martel, il y trouva Florence qui prparait le matriel avec Clotilde. Je crois que a y est! dclara-t-il d'un air enchant. Groult n'est pas aussi difficile manuvrer que sa rputation le ferait croire. Je suis rest un bon moment avec lui, sa voiture n'tait pas tout fait prte. Nous avons parl; je ne dsespre pas d'tre nomm un de ces jours Clermont. Ils ont besoin d'un anesthsiste pour le nouvel hpital; a ferait joliment mon affaire. Vous avez donc envie de nous quitter? demanda Clotilde. Ma foi, je n'ai jamais eu envie de finir mes jours Rouville. Si j'tais demand ailleurs, a ne me dplairait pas, au contraire. Vous trouvez que c'est drle, ici, vous deux? Moi, j'aime bien Rouville, dit Clotilde. Il y a de l'air frais, des fleurs. Si seulement nous tions un peu plus nombreuses pour assurer le travail... Florence ne disait rien. Elle aurait voulu interroger Robert au sujet de la salle des urgences : M. Groult lui en avait sans doute reparl. Elle temporisait, craignant d'apprendre une mauvaise nouvelle. Pendant tout ce temps qu'ils avaient pass ensemble, qu'avait pu dire le dput? Ce n'tait pas Robert qui le dtournerait de ses projets, bien au contraire.Ce fut le jeune interne qui en parla le premier. Pour les urgences, c'est chose faite, ou presque. Groult s'est rendu compte immdiatement qu'il tait ridicule de conserver ce petit service Rouville, alors qu'il en existe un autre, beaucoup plus moderne, quelques kilomtres d'ici. Quelques kilomtres! rpta Clotilde. Dites une bonne trentaine! Eh bien, trente kilomtres, qu'est-ce quecela reprsente pour un bon chauffeur? Rien du tout! On voit que vous n'avez jamais circul en ambulance en tant que malade, je veux dire! Florence intervint. Croyez-vous que notre noye, l'autre jour, s'en serait tire si on avait d la transporter trente kilomtres? Je n'en sais rien, moi! D'abord on aurait pu commencer les soins sur place, ou envoyer une ambulance avec un appareillage de ranimation. Et puis, que voulez-vous, c'est un hasard si cette femme est tombe l'eau prs de Rouville. Elle aurait tout aussi bien pu se noyer Clerraont! Je sais, Florence, vous avez fait du bon travail dans cette salle d'urgences. Mais si le service vous plat, pourquoi ne vous feriez-vous pas nommer, vous aussi, aux urgences Clermont? Je n'ai pas envie de quitter Rouville, rpondit-elle. a vous plat, ce bled? Moi j'ai l'impression d'y mourir d'ennui. Le boulot n'est pas dplaisant, nous avons un patron sur mesure... Mais ds que vous tes libre, o pouvez-vous aller? Pas une bote o l'on puisse passer une soire convenable... S'il y en avait, rpliqua Florence, les infirmires n'iraient probablement pas. Vous le regrettez? Pas le moins du monde et toi, Clotilde? Absolument pas, et mon fianc non plus. Il habite Rouville, votre fianc? Il travaille Paris, mais quand nous sommes libres tous les deux, c'est lui qui vient me rejoindre ici. Il me semble pourtant que, quand on voit des malades toute la journe, on prouve le besoin de se dtendre un peu. On se dtend mieux en se promenant la campagne qu'en allant s'enfermer dans une bote , comme vous dites. Ma foi, dit Robert, chacun ses gots! Je pense que notre nouveau venu ne frquente pas non plus les endroits o l'on s'amuse! Il ne se promne mme pas comme vous : il travaille toujours. Il a son concours prparer, dit Clotilde. Oui, bien sr, le malheureux! Mais aussi, il veut en savoir plus que tout le monde. Je parierais qu'il a une ambition dmesure, qu'il se voit dj chef de service, professeur... Le malheur, c'est qu'il s'y prend un peu tard. Vous tes dur envers lui, dclara Florence. Vous ne manquez pas une occasion de lui rappeler qu'il a quelques annes de plus que vous. Il m'agace, avoua Robert. En attendant, tout est prt ici? C'est vous qui donnez l'anesthsie? Oui, justement avec Gilles. Il est assez fort en ranimation, ce bcheur-l. C'est intressant,d'ailleurs. Si j'avais la chance d'tre nomm Clermont... Je vous le souhaite, puisque vous le dsirez tant, dit schement Florence. Tu n'aimes pas beaucoup Robert? demanda Clotilde sa camarade quand le jeune interne fut sorti. Je ne sais pas... Il est bon mdecin, je reconnais qu'il est souvent drle... Tu es gaie, toi aussi. Et pourtant, on voit bien que tu prfres Gilles Martin, qui est toujours si grave... C'est curieux, mais il me semble quelquefois qu'il suffirait de peu de chose pour qu'il se dride. Les malades l'aiment bien, observa Clotilde. C'est qu'avec eux il est tout diffrent tu l'as remarqu, toi aussi? L'autre jour, en faisant un pansement une petite fille, il lui a racont une histoire. La petite ne s'est mme pas aperue qu'on dsinfectait sa plaie; ds qu'il s'arrtait de parler, elle demandait : Et aprs? II avait l'air tout heureux. Mais peine le pansement fini, il est redevenu comme avant. En effet, il est curieux , dit Clotilde.Les deux jeunes filles sortirent de la salle d'oprations. Tout coup, Florence s'arrta. Tu ne remarques pas que ce couloir sent le tabac? demanda-t-elle. En effet, rpondit Clotilde, on a fum par ici.J'ai l'impression que cela vient de la resserre. Ce serait encore Camus que cela ne m'tonnerait pas! Elles se mirent rire. Camus tait bien connu de toutes les infirmires : c'tait un vieux clochard qu'une maladie d'estomac ramenait l'hpital plusieurs fois par an. Aprs chaque cure, il faisait tout ce qu'il fallait pour retomber malade : il buvait, fumait, se nourrissait de charcuteries pices. On ne pouvait pas refuser de le soigner quand il souffrait, mais il tait si malpropre et si peu avenant qu'on vitait de le mler aux autres malades: on lui rservait une petite pice, l'cart, o il ne gnait personne.En effet, alors que Florence passait devant la resserre aux balais, elle constata que l'odeur de tabac venait de l. Elle entrouvrit la porte; le clochard tenta de se dissimuler, mais trop tard. Il tenait la main un mgot de cigare. Camus! dit la jeune infirmire d'une voix svre, que faites-vous l? vous fumez, ce que je vois? J'en grillais un un tout petit! rpondit-il en prsentant son mgot. Vous savez bien que cela ne vous est pas permis. Vous souffrez de l'estomac, la nicotine aggrave votre mal. D'ailleurs, il est interdit de fumer dans l'hpital, surtout dans un recoin o vous risquez de mettre le feu. Qu'est-ce que vous voulez qu'on fiche,alors? Si j'avais d'autres moyens de me distraire... Vous pouvez parler avec les autres malades, ou regarder la tlvision. Pour ce que c'est amusant, ce qu'on y donne! Des histoires auxquelles je ne comprends jamais rien... Et parler avec les autres, qui ne disent que des sottises... Pour le moment, en tout cas, vous allez jeter ce bout de cigare et retourner dans votre chambre.II ne bougea pas. Elle se demandait comment elle arriverait le faire obir quand elle aperut, au bout du passage, les deux jeunes mdecins qui se dirigeaient vers la salle d'oprations.

Vous arrivez point, leur dit-elle. J'ai trouv ce malade en train de fumer; il refuse de m'couter quand je lui dis de laisser son cigare. Mais c'est notre ami Camus! s'cria Robert en reconnaissant le clochard. Que fais-tu donc ici, mon vieux? J'avais envie de fumer; dans ce coin, je ne drange personne. Ici ou ailleurs, dit Florence, le tabac lui est interdit. Eteignez ce mgot, Camus, et jetez-le dans la poubelle! Le clochard regardait son mgot avec affection. Vous n'allez pas me faire jeter un cigare qui peut encore servir? Regardez, il reste plus d'un centimtre. Perdre a, ma parole, ce serait un vrai pch! J'en ai ramass de plus courts que a, vous savez. Je peux le finir, n'est-ce pas, docteur? Robert, qui trouvait la scne amusante, ne disait mot. Florence savait que, si on cdait, jamais plus on n'aurait d'autorit sur le vieil homme. Elle insista : Le docteur Martel a dit... Le docteur Martel est trop dur pour les malades. N'est-ce pas, monsieur Robert? Allons, prends ton bout de cigare et fiche-nous la paix! fit celui-ci en haussant les paules.Florence rougit violemment. Camus ricanait en la regardant d'un air goguenard. Infliger uneinfirmire pareille humiliation devant un malade! Elle serra les poings, n'osant contredire ouvertement le mdecin qui, somme toute, tait son suprieur.A sa grande surprise, Gilles intervint. Si je comprends bien, dit-il, M. Martel a interdit cet homme de fumer? Vous n'avez pas chercher plus loin, mon ami. Camus lui jeta un regard torve. Qui c'est, celui-l? demanda-t-il. Un mdecin? Je ne le connais pas. Il n'a pas la chance de t'avoir dans son service, ricana Robert. Moi non plus, heureusement pour moi! Alors pourquoi est-ce qu'il me donne des ordres? Gilles, sans se troubler, rpliqua : Ce n'est pas moi qui vous en donne; c'est Mlle Florence, qui suit les instructions du patron. Vous allez me faire le plaisir de jeter ce mgot, et tout de suite! II fit un pas en avant. Camus, effray, jeta le bout de cigare sur le sol et l'crasa du pied. C'est bon, c'est bon, grommela-t-il. Voil. Vous tes content? Gilles ne rpondit pas. Florence lui jeta un regard reconnaissant : grce lui, elle n'avait pas perdu la face. Quand le clochard se fut loign, Robert se tourna vers Gilles. Je ne voulais pas te le dire devant lui, mais

tu exagres un peu, mon vieux. Tu pouvais bien lui laisser finir son bout de cigare! Si Martel l'avait dfendu, il devait avoir ses raisons. Ce n'est pas nous faire respecter les rglements du patron; c'est le travail des infirmires. Justement : c'est pour cela que nous devons les soutenir quand elles ont une difficult. Leur travail est assez pnible sans que nous venions leur mettre des btons dans les roues. II semblait vraiment irrit. Robert allait rpliquer, quand le docteur Martel parut l'extrmit du passage. Il comprit bientt qu'une discussion avait eu lieu et demanda de quoi il s'agissait.Tous les trois semblaient gns et hsitaient rpondre : Robert parce qu'il s'tait oppos un ordre du patron, les deux autres pour ne pas l'accuser. Enfin, le jeune interne se dcida. C'est toujours ce pre Camus. Je me suis cru autoris lui permettre quelques bouffes de cigarette. Je le lui avais interdit. Je pensais, monsieur, que cela n'avait pas une telle importance. A peine sorti de l'hpital, il recommencera fumer et Dieu sait quels mgots ramasss dans les poubelles! Ce qu'il fait hors de l'hpital ne nous regarde pas. Ici il ne fumera plus, ou je le mettrai la porte. Nous ne sommes pas un collge o lesgamins vont fumer leur premire cigarette dans les toilettes. Dans cet tablissement, un ordre est un ordre, et je tiens ce qu'il soit respect. Robert se raidit sans rpondre. Il tait visiblement vex de cette remontrance faite devant deux assistants : une simple infirmire comme Florence, un garon qui n'avait mme pas son internat! M. Martel demanda si la salle d'oprations tait prte. Elle l'est, monsieur, rpondit Florence, heureuse de faire une diversion.- L'intervention ne pose pas de problme. C'est vous qui nous assistez, Florence? C'tait convenu ainsi, monsieur. Eh bien, tant mieux; allons-y! Ils entrrent dans la salle et commencrent leurs prparatifs. Un moment plus tard, on amena le malade, dj presque endormi par les piqres qu'on lui avait faites au lit avant de le transporter. Robert lui fit une injection et il perdit aussitt connaissance. On poussa le chariot dans la salle et Gilles posa le masque oxygne.C'tait pour tous les quatre un moment heureux : celui o d'un individu souffrant ils allaient refaire un tre capable de reprendre une existence normale. Devant ce corps qu'on leur confiait pour le gurir, ils oubliaient toutes leurs menues difficults, les questions de prsance, les petites jalousies quotidiennes. Rien ne comptait que le malade.

Florence prouvait comme les autres ce sentiment merveilleux de rendre la vie. Obissant chaque demande du chirurgien, elle suivait ses gestes avec une attention passionne.Une fois de plus, elle put admirer le comportement de Gilles. Il avait peut-tre moins de diplmes que Robert, mais au travail il le valait, elle en tait sre. Quand on eut emmen l'opr et que le jeune homme, comme les autres, retira son masque, elle vit qu'il souriait.Pourquoi l seulement? Pourquoi cette rticence vis--vis de tout ce qui n'tait pas un malade? Elle avait beau se poser la question, elle n'y trouvait pas de rponse.

VIIMr groult tait un homme actif : aussitt J-'J- qu'il eut dcid de supprimer la salle des urgences de Rouville, il commena faire des dmarches dans ce sens. Le docteur Martel en tait attrist, mais ne protestait pas : il se rendait bien compte que le personnel rduit dont il disposait ne pouvait suffire aux besoins de tout l'hpital. Mme Benot confia Florence qu'elle n'osait pas parler de cette transformation au patron : elle voyait bien que cela lui tait pnible. A vous aussi, Florence, je le sais bien. Pour le moment, on vous envoie droite et gauche selon les ncessits du service, ce qui reprsente

un surcrot de fatigue. Mais ne craignez rien : ds que je le pourrai, je vous affecterai une salle o vous vous sentirez chez vous. Florence hocha la tte. Chez elle , c'taient les urgences; qu'on l'envoyt n'importe o, elle ne s'attacherait jamais aucun service comme celui-l.Quelque temps aprs la visite du dput, le tlphone du bureau sonna. C'tait un mdecin du bourg voisin qui voulait faire hospitaliser un malade atteint d'hmorragie gastrique. Je vous l'envoie d'urgence, dit-il; vous avez tout ce qu'il faut pour l'immdiat; si cela se rvlait ncessaire, nous le ferions transfrer ailleurs plus tard. J'ai dj alert l'ambulance; elle sera chez vous dans une dizaine de minutes. La secrtaire du bureau prvint immdiatement Mme Benot. Celle-ci hsita. Je me demande si nous ne devrions pas diriger cette ambulance sur Clermont... Aprs tout, la disparition de notre service d'urgences n'est pas encore officielle. Quand elle le sera, il nous faudra prvenir les mdecins du voisinage qu'ils ne s'adressent plus nous.Pour Florence, c'tait un rpit : ce malade le dernier peut-tre tait encore elle. C'tait un jeune homme d'une vingtaine d'annes, ple, et qui semblait trs faible. Il demandait constamment boire. L'interne de service, qui se trouvait tre Gilles Martin, vint l'examiner. Tension trs basse... murmura-t-il. Il faut transfuser immdiatement. Nous verrons ensuite comment il convient d'agir. Ils commencrent la transfusion. Une fois de plus, ils se penchrent ensemble sur le malade, guettant ses ractions. En pareil cas, Florence avait toujours l'impression fausse peut-tre qu'en luttant de toute sa volont, elle aidait la nature agir. Elle se demandait si Gilles, de son ct, prouvait le mme sentiment. Quand ils se relevrent, ils changrent un regard. Si c'est bien gastrique, dit Gilles, l'intervention immdiate ne s'impose pas. Le tlphone sonna; on passa la communication dans l'office de la salle. C'tait le mdecin du bourg qui s'informait de l'tat de son malade. Avez-vous pu pratiquer la transfusion? Il avait dj perdu beaucoup de sang. C'est fait, rpondit Gilles. Nous en ferons une autre d'ici peu. Il va falloir oprer? Nous avons le temps de voir venir. Je vous tiendrai au courant, docteur. II fit une injection au jeune homme, puis laissa Florence en tte tte avec lui. Un moment plus tard, il revint faire une autre transfusion. Il avait l'air satisfait. Tout va s'arranger , dit-il simplement.Il sortit de nouveau. Florence le regarda s'loigner. Cette joie qu'on prouve en voyant l'tatd'un malade s'amliorer, il la ressentait aussi, elle en tait sre. Mais comment n'avait-il jamais besoin de la partager?Le docteur Martel passa dans la salle alors que Florence surveillait le jeune homme. Celui-ci dormait paisiblement : l'hmorragie s'tait arrte. On le laisserait l toute la nuit, puis, le matin, on commencerait les examens ncessaires pour reprer la cause exacte de l'accident. C'est encore vous qui allez veiller, ma pauvre Florence? demanda le directeur la jeune fille. Naturellement, monsieur. Mais dire vrai, cela nie fait plutt plaisir. Plaisir? M. Martel leva les sourcils, puis comprit. Parce que vous tes encore dans votre chre salle?Elle baissa la tte; il soupira : II faut nous rsigner, Florence. M. Groult a sans doute raison : nous ne pouvions plus garder la salle ouverte sans possder le personnel indispensable. J'ai essay de le faire pendant longtemps; vous m'y avez tous aid. Mais je pense que je me trompais; le docteur Robert le pense sans doute aussi. Et le docteur Martin? Lui, c'est autre chose... Le docteur Martel s'accouda au pied d'un des lits; on voyait qu'il avait envie de parler. Gilles Martin est quelqu'un de trs bien, Florence. Vous avez peut-tre, vous aussi, t surprise de son comportement trop rserv, un peu sauvage... Il n'est jamais ainsi avec les malades, monsieur. Je sais... C'est un garon trs remarquable. Je vous dirai mme qu'au cours de ma carrire, jamais je n'ai rencontr quelqu'un qui possde ce point toutes les qualits d'un mdecin. Le malheur, pour lui, c'est d'avoir commenc sa mdecine un pou plus tard que les autres. Il est obsd par l'ide que sa carrire en souffrira, qu'il ne rattrapera jamais le temps perdu...

Cest faux, d'ailleurs : ceux qui commencent le plus tt ne sont pas toujours ceux qui vont le plus loin. S'il russit son internat cette anne, je suis sr qu'il fera une grande carrire. Il travaille tellement! il devrait certainement russir. Je sais qu'il est prt. Mais dans les concours, il y a toujours des impondrables. Le jury est mieux dispos envers les candidats qu'il connat, dont il a pu apprcier le travail. Or, Gilles Martin ne connat personne. Ma recommandation moi, directeur d'un hpital de province, qui frquente si peu les milieux mdicaux parisiens, ne pourra lui tre d'un grand secours... Est-ce que M. Groult, qui connat tout Paris... Groult n'a rien voir dans des questions purement mdicales. Mais j'ai eu une ide... Florence attendait, curieuse. II y a une sommit avec laquelle j'ai les meilleurs rapports : c'est le professeur Fournier. Je viens d'apprendre qu'il fera partie du jury. Or, Fournier a une grande influence. Quelqu'un qui serait soutenu par lui augmenterait de beaucoup ses chances de russite. Chacun sait que Fournier est un juge comptent et intgre : jamais on ne l'a vu dfendre quelqu'un qui ne le mritait pas. Vous pensez recommander M. Martin au professeur? Ce ne serait pas suffisant; je voudrais que Fournier connaisse Gilles, qu'il le voie exposer un cas, qu'il se rende compte de sa valeur... Vous me comprenez, Florence? Trs bien, mais je ne vois pas comment... Fournier doit venir la semaine prochaine visiter l'hpital. J'ai fait dans la salle d'oprations quelques installations dont il s'est montr curieux. En mme temps, je lui montrerai quelques cas qui peuvent l'intresser, par exemple celui de Camus... Le vieux Camus? Oui; il a une forme d'ulcre assez particulier; c'est le premier de son espce que j'ai rencontr; je suis sr que Fournier n'en a pas vu beaucoup. J'ai pens utiliser cette occasion dans l'intrt de Gilles. Florence s'tonna : De quelle faon? Je vais demander Gilles de lui prsenter le cas de Camus. Gilles ne connat notre bonhomme que de vue; je lui demanderai de l'examiner, d'tudier ses radios, enfin de s'en faire une ide. Ce sera lui qui exposera le cas Fournier; le professeur pourra donc apprcier la fois la faon dont les examens auront t faits et celle dont Gilles les lui prsentera. Mais si le cas de Camus est aussi rare, pensez-vous que M. Martin saura l'identifier? Il ne le pourra sans doute pas : j'ai moi-mme d chercher longtemps, il y a plusieurs

annes, avant d'arriver une certitude. Mais cela n'a pas d'importance : ce qui comptera pour Fournier, c'est la faon dont Gilles aura travaill son diagnostic. Il me demandera qui est ce garon, je lui dirai ce que j'en pense, et nous aurons fait un grand pas en avant. Allez-vous mettre M. Martin au courant de vos intentions, monsieur? demanda Florence. Je vais seulement le charger d'tablir le diagnostic de Camus. Il m'arrive frquemment, comme vous savez, de lui faire examiner un malade; il me rend compte du rsultat et j'avoue que je suis souvent frapp de la justesse de ses observations. Il ne saura donc pas que ce test-l est plus important pour lui que les autres? Bien sr que non! Simplement, quand je prsenterai le malade au professeur Fournier, je dirai Gilles de nous exposer le cas, puisqu'il l'aura examin rcemment. Vous ne trouvez pas que c'est une bonne ide? La jeune infirmire tait de cet avis. Un peu plus tard, elle vit M. Martel s'entretenir avec Gilles : sans doute lui demandait-il d'tudier le cas de Camus. Dans l'aprs-midi, elle entendit Gilles demander Robert de lui remettre les radios du malade : c'tait Robert qui avait la garde des documents radiologiques de l'hpital.Le lendemain, Gilles resta longtemps dans la chambre du clochard. En passant devant la porte,on entendait leurs voix, l'une geignarde, l'autre calme et grave.Le professeur Fournier devait venir Rouville le samedi. Florence fut charge de prvenir Camus qu'aprs le djeuner il ne devrait pas s'loigner de sa chambre. Bien entendu, le vieux protesta : Alors, quoi, je ne pourrai pas faire ma promenade de digestion? C'est un hpital, ici, ou une prison? Encore, dans les prisons, on ne vous force pas vous mettre au lit! Qu'est-ce que c'est que cette histoire? M. Martel veut vous prsenter un professeur, pour avoir son avis sur votre cas.

Encore un avis! Dj, avant-hier, ce grand toubib vous savez, celui qui ne rit pas est venu m'examiner sous toutes les coutures... a l'amuse peut-tre, mais moi pas! Soyez raisonnable, Camus, vous voyez bien qu'on fait tout ce qu'on peut pour vous soigner. Si au moins a servait quelque chose! Si a ne sert rien, pourquoi revenez-vous l'hpital? Il bougonna quelques mots indistincts, puis, comme elle allait sortir, la rappela : Si je fais ce que vous voulez, vous me donnerez une cigarette? Elle haussa les paules et sortit de la chambre sans rpondre.Dans l'aprs-midi, le docteur Martel la prvint que l'examen n'aurait pas lieu dans la chambre de Camus. Celle-ci tait trop petite; d'autre part, le clochard y entretenait un dsordre contre lequel tous les efforts des femmes de service ne pouvaient rien. Cette pice ne fait vraiment pas honneur notre hpital! dit-il en souriant. Vous irez chercher Camus et vous l'amnerez dans la salle des urgences; l nous aurons de la place et nous serons mieux pour discuter. Entendu, monsieur. Elle alla prvenir Camus que le programme tait chang : aprs le djeuner, il se mettrait en pyjama et attendrait qu'on vnt le chercher. O va-t-on encore m'emmener? grommela-t-il avec inquitude. Dans la salle des urgences : votre chambre est trop petite. Bien sr qu'elle est petite! Vous aimeriez coucher dans une niche chien comme celle-ci, vous? Si vous tiez plus aimable avec vos voisins, vous pourriez tre dans une salle. Aimable! il faudrait encore tre aimable! C'est un hpital, ou c'est un salon? Florence l'abandonna ses jrmiades.Le lendemain, le professeur Fournier vint djeuner avec le docteur Martel, qui habitait un pavillon dans le parc de l'