sujet de dissertation.docx

83
ujet de dissertation : Y a-t-il un bon usage du doute? Eléments pour l'introduction • Nous sommes ici questionnés sur le bon usage du doute le bon usage, c’est-à-dire la judicieuse mise en activité. Faire bon usage d’une fonction, c’est en réaliser un exercice harmonieux, actualisant une fin utile au sujet. Quant au doute, il désigne un état d’incertitude, se traduisant par un refus d’affirmer ou de nier. On remarquera que la question elle-même sous- entend qu’il existe vraisemblablement un mauvais usage de la suspension du jugement. Notre intitulé est donc assez « directif» : il nous suggère fortement des questions, une orientation, voire même une réponse. • Dans quel questionnement nous engage l’intitulé ? Le doute, arbitraire et artificiel ou bien partie intégrante et naturelle du processus de pensée ? Un moteur de cette pensée ou un élément à éliminer ? Au-delà des questions particulières surgit le problème soulevé par le sujet la vérité, une donnée immuable et éternelle ou bien une réalité mobile atteinte par le dynamisme de l’esprit, mettant en question le réel A. Le bon usage du « doute méthodique » Existe-t-il un bon usage du doute, c’est-à-dire de cet état de l’esprit qui se demande si une proposition est vraie ou fausse et se traduit par un refus d’affirmer ou de nier ? Il nous faut, ici, tenter de rassembler les diverses déterminations du cloute, lequel s’exprime par l’impossibilité d’affirmer ou de nier, par la suspension du jugement, mais qui, à travers ce noyau, relève, néanmoins, de descriptions non homogènes. Douter, ce peut être un état, mais aussi un procédé et un exercice volontaire, une méthode de détachement. Je n’affirme ni ne nie, je suspends mon jugement pour me dégager de croyances fausses, ou, tout au moins, douteuses. Dans ma vie quotidienne, je rencontre, en effet, le vaste champ des apparences celles du donné sensible ou de la pression sociale, de l’opinion, champ qui entraîne la crédulité parce que j’y suis plongé de manière immédiate, depuis fort longtemps. Si je veux me délivrer de l’adhésion spontanée au contenu de la représentation, il me faut nécessairement douter, pour me purifier de cette adhésion. Qu’est ici le doute ? Il désigne un procédé permettant de mettre en question ce qui a été admis antérieurement, préalablement à toute réflexion. Dans quel but ? Celui d’établir la vérité sur des bases inébranlables.

Upload: elisaveta-stefanova

Post on 01-Dec-2015

87 views

Category:

Documents


1 download

TRANSCRIPT

Page 1: sujet de dissertation.docx

ujet de dissertation : Y a-t-il un bon usage du doute? Eléments pour l'introduction• Nous sommes ici questionnés sur le bon usage du doute le bon usage, c’est-à-dire la judicieuse mise en activité.Faire bon usage d’une fonction, c’est en réaliser un exercice harmonieux, actualisant une fin utile au sujet. Quant au doute, il désigne un état d’incertitude, se traduisant par un refus d’affirmer ou de nier. On remarquera que la question elle-même sous- entend qu’il existe vraisemblablement un mauvais usage de la suspension du jugement. Notre intitulé est donc assez « directif» : il nous suggère fortement des questions, une orientation, voire même une réponse.• Dans quel questionnement nous engage l’intitulé ? Le doute, arbitraire et artificiel ou bien partie intégrante et naturelle du processus de pensée ? Un moteur de cette pensée ou un élément à éliminer ? Au-delà des questions particulières surgit le problème soulevé par le sujet la vérité, une donnée immuable et éternelle ou bien une réalité mobile atteinte par le dynamisme de l’esprit, mettant en question le réelA.  Le bon usage du « doute méthodique »Existe-t-il un bon usage du doute, c’est-à-dire de cet état de l’esprit qui se demande si une proposition est vraie ou fausse et se traduit par un refus d’affirmer ou de nier ? Il nous faut, ici, tenter de rassembler les diverses déterminations du cloute, lequel s’exprime par l’impossibilité d’affirmer ou de nier, par la suspension du jugement, mais qui, à travers ce noyau, relève, néanmoins, de descriptions non homogènes. Douter, ce peut être un état, mais aussi un procédé et un exercice volontaire, une méthode de détachement. Je n’affirme ni ne nie, je suspends mon jugement pour me dégager de croyances fausses, ou, tout au moins, douteuses. Dans ma vie quotidienne, je rencontre, en effet, le vaste champ des apparences celles du donné sensible ou de la pression sociale, de l’opinion, champ qui entraîne la crédulité parce que j’y suis plongé de manière immédiate, depuis fort longtemps. Si je veux me délivrer de l’adhésion spontanée au contenu de la représentation, il me faut nécessairement douter, pour me purifier de cette adhésion. Qu’est ici le doute ? Il désigne un procédé permettant de mettre en question ce qui a été admis antérieurement, préalablement à toute réflexion. Dans quel but ? Celui d’établir la vérité sur des bases inébranlables.Descartes, on le sait, est le père de ce doute méthodique : «  je pensais qu’il fallait que je rejetasse Comme absolument faux, tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s’il ne me resterait point, après cela, quelque chose en ma créance, qui fût inébranlable. (Descartes, Discours de la méthode).De ce doute méthodique, il est, évidemment, un bon usage et un exercice judicieux, une mise en activité satisfaisant un besoin réel : il me permet de me détacher de l’objet et de mettre à distance l’adhésion trop spontanée ou immédiate, la croyance non vérifiée. etc. Grâce à lui, je cesse de vivre immergé dans le monde des apparences et, finalement, je suis à même de parvenir à un assentiment personnel, libre, fondé en raison. Le doute méthodique, c’est la liberté de l’esprit et tout usage de ce doute est valable, parce qu’il désigne la catharsis par excellence : le doute, c’est le

Page 2: sujet de dissertation.docx

sel de l’esprit, disait Alain. Son usage est bon, parce qu’il représente ici une hygiène de la pensée, un outil pour atteindre le vrai.Néanmoins, s’il est un bon usage de ce doute (méthodique), en est-il de même en ce qui concerne d’autres formes du doute, irréductibles à une méthode ?B.  Le doute sceptique et son bon usage.Voici une forme de doute beaucoup plus radicale et universelle, dont certains pensent qu’il n’est guère de bon usage. Commençons par en circonscrire l’essence, avant de nous interroger sur le caractère judicieux de son exercice.Par nature même, le doute méthodique paraît un travail adapté à la recherche de la vérité. Au contraire, le sceptique s’établit clans son doute comme dans un état définitif : il serait impossible, pense-t-il, d’accéder à la moindre vérité. Ainsi peut être donné l’exemple de Pyrrhon d’Elis (365-275 av. j.-C.) qui déclarait que nos opinions ne sont ni vraies ni fausses et pratiquait la suspension du jugement. Peut-on atteindre une certitude ? Il faut suspendre son jugement, car il n’y a ni vrai ni faux. Loin d’être provisoire, ce type de doute anéantit toute détermination quelle qu’elle soit, puisqu’il s’identifie à l’impossibilité, pour la raison, d’affirmer ou de nier quoi que ce soit avec certitude. Le sceptique demeure fixé à son doute et n’en sort jamais.Il n’est pas, dit-on généralement, un bon usage de ce doute en effet, il s’identifie à une opération de pensée dissolvante et destructrice, ne laissant rien subsister de sûr. La réflexion ne sombre—t—elle pas, dès lors, dans l’océan de la dissolution universelle ? Le doute sceptique ne dévoile-t-il pas l’inessentialité de toute détermination ? En critiquant tout, le doute sceptique détruit tout et met tout à distance. Il se dirige sur toute l’étendue de la conscience et aboutit à désespérer de toutes les représentations et pensées. En somme, le doute sceptique nous jetterait dans l’abîme du vide, dans le néant universel, et du nième coup, formerait obstacle à l’action. Telle est, du moins, la critique traditionnelle.Jugement aussi sévère que classique, mais fort contestable : en vérité, il est un bon usage du doute sceptique, qui représente une magnifique expérience de la liberté de la pensée. En dévoilant l’inessentialité de ce qui semble avoir une validité, le doute sceptique dissout tout clans la conscience de soi. Parce qu ‘il est la dissolution de tout ce qui prétend se poser avec  stabilité en regard de la conscience de soi, le doute sceptique désigne un exercice élevé de la réflexion libre. La pratique du doute sceptique est donc une tâche méritant l’estime, comme l’a bien montré Hegel : « Dans le changement et les vicissitudes de tout ce qui veut se consolider pour elle, la conscience de soi sceptique fait donc l’expérience de sa propre liberté. » (Hegel, La phénoménologie de l’Esprit, tome 1. p. 174, Aubier).Comme forme méthodique ou même sceptique, le doute remplit donc une excellente fonction. Douter, c’est dissoudre les idées ou représentations, contre cette puissance de croire qui est si formidable en chacun de nous. Dès lors, douter, c’est manifester sa liberté, que la suspension du jugement soit provisoire ou permanente. L’exercice du doute semble donc judicieux, à travers ses divers modes. Expérience de la dissolution universelle, le doute sceptique lui—même s’identifie à la liberté de l’esprit.

Page 3: sujet de dissertation.docx

Mais, au-delà du doute méthodique ou sceptique, n’existe-t-il pas une forme du doute, encore plus décisive, dont le bon usage est évident, doute lié à la négativité même de la pensée ? C’est probablement sur cette négativité de la pensée qu’il nous faut maintenant réfléchir, pour dégager un autre exercice judicieux du doute.C.  Le doute et la négativité de la conscience.Le doute sceptique peut nous apparaître encore artificiel. Même si son usage est judicieux, ne faut-il pas lui opposer une forme du doute encore plus universelle et certainement plus réelle ?Quand la conscience s’éduque, progressivement, quand elle se développe et renonce, par étapes, à ses convictions premières, quand elle apprend à remettre en question ce qu’elle tenait antérieurement pour vrai, il y a bien là une expérience concrète du doute, irréductible à la mise en question générale du philosophe, qui prend la résolution de douter. Tout individu, engagé dans l’expérience, à partir des certitudes immédiates, à d’autres éléments de conscience, qu’il nie et dépasse, qu’il intègre : telle est la « négativité » dégagée par Hegel et conçue comme cette activité de l’esprit niant ses premières déterminations. Ainsi, bien souvent, l’adolescent abandonne ses convictions issues de l’enfance et passe à d’autres convictions. À un doute général (comme celui de Descartes) ou très abstrait (comme celui des sceptiques) opposons donc le chemin effectivement réel de la conscience humaine, qui est doute, envisagé comme négativité, mise en question des premières représentations. Le chemin de la conscience parcourant la série de ses formations s’identifie au doute, désignant alors une progression vers d’autres formes du savoir. Ce doute ne peut que relever d’un bon usage, puisqu’il s’identifie à la marche même de l’esprit progressant vers sa vérité mobile. Qu’est le doute, dans ce dernier cas, sinon le pouvoir de « négativité » de l’esprit, marchant vers d’autres formations ou étapes ? Nulle formation spirituelle et nul progrès sans lui. Il est bien le « sel de l’esprit », lui aussi.Quel que soit l’angle pris en considération, le doute relève d’un bon usage et d’un exercice quasi moral : nous permettre de progresser.Conclusion de la dissertationLa vérité, nous le voyons, s’avère mobile et le doute est l’application de l’esprit à cette réalité dynamique et non point figée, ce fruit de l’esprit humain, fruit en perpétuelle rectification, comme nous le signale l’exemple de la vérité scientifique.« Rien n’est beau que le vrai  » (Boileau, Epître IX)

Le jury avait choisi de revenir, pour cette session, au « sujet-citation », forme relativement négligée, ces dernières années, dans les différents concours des écoles de commerce ; il avait souhaité aussi que cette citation ne soit pas celle d’un philosophe. Le sujet retenu (« Rien n’est beau que le vrai ») était ouvert à une multiplicité de lectures, de développements et de références, mais il fallait s’interroger précisément sur sa signification et éviter de le déformer pour lui faire dire que "le beau, c'est comme le vrai" ou de le déplacer pour chercher s'il existe une science du beau ou d'analyser la vérité du jugement esthétique. Une lecture précise de ce sujet – comme de tout sujet – impliquait un travail de variation conceptuelle : sans que le devoir ne tourne en une série de distinctions scolastiques, les candidats auraient gagné à creuser la différence qui singularisait ce sujet parmi d’autres qui, tout en étant évidemment proches, ne signifiaient sans doute pas exactement la même chose. Les correcteurs sont unanimes à regretter l’absence, sauf dans certaines copies excellentes, d’une véritable précision dans la lecture de la citation, s’attachant à tous les termes de celle-ci.

Page 4: sujet de dissertation.docx

Et pour insister sur cet aspect essentiel : il était en effet nécessaire, et tel était, comme toujours, le principal effort attendu, de prendre le temps d’analyser les termes de l’expression de Boileau. On s’est trop souvent contenté de la traduire vaguement pour ensuite laisser défiler quelques développements appris durant l’année, que l’on rattachait de loin en loin, avec plus ou moins d’habileté, aux thèmes de la beauté et de la vérité. Peu de candidats ont été capables de s’étonner –« Ce qui m'a paru étonnant, c'est que les candidats s'étonnent peu... ils ne trouvent pas du tout l'association beau-vrai surprenante et s'empressent de les concilier » dit un correcteur – de la forme sentencieuse du sujet, de la considérer sous diverses faces, de l’expliquer pour mettre en évidence ses significations, ses implications et ses enjeux. Tout ce qu’il peut y avoir de spécifiquement frappant dans un sujet, et cela vaut évidemment pour bien d’autres que celui-ci, mérite d’être clairement exposé, même si cela prend tout d’abord une forme aporétique, sans crainte de passer ainsi à côté d’une « solution » ou d’une bonne lecture exclusive qui n’existe que dans l’imagination des candidats, comme s’ils étaient en face d’une devinette. Il est curieux que la simple distinction entre condition nécessaire et condition suffisante ait été rarement employée dans le travail d’explicitation, qui se devait d’être patient et scrupuleux pour que l’on ne se contente pas d’une transposition opportuniste.On a apprécié les copies qui ont fait varier différents sens que le vrai pouvait ici recouvrir (de la contrainte géométrique au naturel dans l’expression des sentiments), pour chercher lequel avait chance d’être plus pertinent, et celles qui ne sont pas allées aveuglément, sans la moindre interrogation sur ce passage, de la beauté à l’art. On a apprécié aussi les copies qui ont souligné la particularité du sujet de cette année et qui ont vu qu'il consistait non en une question ou une notion, mais en la citation d'un auteur, et qu'il s'agissait du propos d'un écrivain, un classique certes, mais aussi un critique et un poète, qui s'interrogeait de l'intérieur sur les critères du beau, sur les conditions de validité de l'expérience esthétique.. Il n'était pas indifférent dès lors de prendre l'énoncé du sujet comme un tout, de s'interroger sur son énonciation, le ton radical d'un propos qui prend parti et exclut du même mouvement. Qu'apporte au sentiment du beau la caution de la vérité ? Que signifie ce "vrai", notion initialement aussi floue que péremptoire, qui seul permettrait à l'artiste comme à l'amateur d'art d'apporter son assentiment à la beauté ? La question ainsi relevait autant d'une réflexion sur la création artistique et l'esthétique de la réception que sur le beau en général.Trop peu de copies encore ont remarqué que la formule était extraite d’une épître, terme désignantau XVIIème siècle une lettre en vers généralement adressée à un dédicataire (ici le Marquis de Seignelay, fils de Colbert). La prise en compte de ce contexte pouvait orienter le candidat vers l’interprétation pertinente d’une formule relevant aussi et avant tout de lacritique du langage de la flatterie. La beauté d’une épître, d’un sonnet, d’une ode... tient d’abord à sa sincérité. L’habileté rhétorique du flatteur ne permettra jamais de produire un bel éloge s’il est hypocrite et que le sujet manque de noblesse. La beauté du discours tiendrait à la fois à la sincérité de l’auteur (ne pas mentir) et à l’adéquation au référent (mimesis). Le beau procède ainsi du vrai à double titre. Au regard de cette double exigence fondamentale, les maladresses rhétoriques apparaissent excusables: « Sais-tu pourquoi mes vers sont lus dans les provinces,/ Sont recherchés du peuple, et reçus chez les princes ?/ Ce n’est pas que leurs sons, agréables, nombreux,/ Soient toujours à l’oreille également heureux; / Qu’en plus d’un lieu le sens n’y gêne la mesure,/ Et qu’un mot quelquefois n’y brave la césure:/ Mais c’est qu’en eux le vrai, du mensonge vainqueur,/Partout se montre aux yeux, et va saisir le coeur. »

Il était par là même absurde, si l’on prenait en compte l’identité de l’auteur de la citation-sujet, et le libellé-même du sujet y invitait, de considérer que la formule de Boileau devait conduire à exclure de proche en proche toute forme de fiction, tout recours à l’imagination, donc l’art en général, et ce au nom du vrai. La suite du texte de Boileau est d’ailleurs sans équivoque sur ce point : « Rien n’est beau que le vrai: le vrai seul est aimable;/II doit régner partout, et même dans la fable:/De toute fiction l’adroite fausseté/Ne tend qu’à faire aux yeux briller la vérité. »

En affrontant donc le sujet et ses exigences propres, et à la condition de ne pas négliger les termes du sujet dès lors qu'ils ne se rapportaient pas directement au thème du programme, on pouvait en voir l’intérêt : ainsi l'expression "le vrai", qui pouvait prendre plusieurs sens (vrai par opposition à faux, illusoire; vrai par opposition à imaginaire, irréel, vérité comme adéquation, comme Idée, comme dévoilement, comme sincérité...), a souvent fait l'objet d'un commentaire approximatif, alors qu'elle pouvait permettre de diversifier l'argumentation, aiguiller la réflexion vers la question de l'impression, du sentiment intérieur (Rousseau, Proust, Leiris) aussi bien que vers celle de l'imitation et de la ressemblance (la mimèsis, la question du réalisme, celle de l'art figuratif) ; les meilleures copies sont celles qui ayant su travailler le concept de vérité, ont pu en retour faire évoluer le concept de beauté

Page 5: sujet de dissertation.docx

(comme harmonie, mesure, grâce, éclat...) et en saisir certains aspects problématiques (une définition objective du beau estelle seulement possible ?). Il est par ailleurs bien dommage que vérité et réalité n’aient pas assez souvent été distinguées et que le beau ait été trop souvent limité de facto au domaine de l'art.

Pour aller à l’essentiel : la sentence de Boileau proposée à la réflexion des candidats semblait précisément appartenir à cette « culture générale » qui doit être la matière même de l’épreuve. Son choix n’était certes pas destiné à la faire découvrir aux candidats le jour du concours ; mais à juger quelle compréhension personnelle pouvait leur inspirer, aujourd’hui, cette formule célèbre qui appartenait jadis et naguère aux connaissances minimales de l’ «honnête homme», et que le travail d’une année sur le thème de la beauté leur avait sans doute donné l’occasion de rencontrer. Extraite de l’oeuvre d’un poète, elle se prêtait aussi bien avec aisance, par son allure de loi et l’abstraction des concepts qu’elle engage, à diverses analyses philosophiques. Et l’on pouvait supposer qu’elle ne piégerait guère les candidats en les orientant vers un aspect trop restreint ou trop pointu du thème, qu’ils auraient pu, par malchance, n’aborder aucunement dans leur préparation. La tournure de la citation pouvait certes d’emblée conduire à des contresens difficilement rémissibles certains candidats en délicatesse avec les subtilités de la langue : le cas s’est heureusement très peu produit et l’épreuve s’est, par conséquent, révélée positivement sélective.

S’il est vrai qu’une épreuve de «culture générale» n’est pas un concours d’érudition, qu’elle doit permettre d’apprécier les facultés d’analyse, de finesse et d’expression de ceux qui s’y présentent, et qu’en bref l’on doit, selon la formule de rigueur, y préférer les têtes bien faites aux têtes bien pleines, il tombe également sous le sens qu’on ne saurait y être insensible à la capacité qu’ont démontrée certains, devant ce sujet, de dire quelques mots de Boileau, de restituer le contexte classique où il écrivait, et même d’évoquer, plus ou moins brièvement, la querelle des Anciens et des Modernes. La citation n’a pas été puisée dans un obscur traité ignoré de tous ; elle appartient bel et bien à une culture générale que l’on approfondit certes dans l’année de préparation au concours, en relation au thème proposé, mais qui, comme on l’a rappelé plus haut, a dû se construire dès la première année de CPGE, dès les années de lycée, ainsi que dans l’effortet le loisir mêlés des lectures et des curiosités  personnelles. De ce point de vue, on s’est étonné de la relative rareté des allusions, même brèves, au classicisme. Elles n’ont pu que servir les meilleurs candidats, qui n’avaient pourtant pas besoin de puiser là toute la matière de leur développement, à la différence de quelques autres, il est vrai peu nombreux, qui ont donné le sentiment de se reposer trop vite sur l’heureuse coïncidence de leurs souvenirs et du sujet proposé.

Les candidats ont rarement manqué de matière pour contester, avec cependant une pertinence inégale, ce qu’ils ont quelquefois su nommer le dogmatisme de la formule. Plus difficile, et plus discriminant, a été le dépassement de cette critique qui a pris généralement des formes convenues. C’est souvent là que se sont révélés les devoirs les plus accomplis. Certains d’entre eux ont tenté de faire échapper la sentence à son contexte historique, par exemple en s’inspirant de Heidegger (« L’Origine de l’oeuvre d’art » s’y prêtait particulièrement) ou de la phénoménologie, ou encore en la rapportant à une expérience intime de la beauté, et de l’art en particulier, exprimée avec pertinence et maturité. Ils ont alors évité les « topos » tout faits, dont la récurrence se repérait assez vite, et rebutait d’autant plus la lecture lorsqu’ils étaient émaillés de confusions préjudiciables, dont il serait vain de faire ici la liste, mais dont on peut facilement imaginer l’éventail. Si l’on a mauvaise grâce à décourager les candidats qui font l’effort d’apprendre par cœur des citations ou des poèmes, parfois in extenso, ils doivent pourtant savoir que leur lecteur ne s’en émeut plus guère dès que ces ornements valent pour une dispense d’analyse. Il en va de même, évidemment, de ces longs « tunnels » où l’on tient coûte à coûte à faire savoir que l’on a appris quelque chose en perdant tout à fait de vue le sujet.

Une copie qui se tient de manière autonome par la fermeté de son style et de sa réflexion sera toujours préférable sans commune mesure à celle qui croit mériter l’obole de son correcteur en le promenant de citation en citation et de nom d’auteur en nom d’auteur. Le recours massif à un Platon réduit à quelques lieux communs a particulièrement lassé la patience des correcteurs, alors que certains textes de ce philosophe, plus ignorés des candidats que la dialectique ascendante du Banquet, auraient pu enrichir considérablement la réflexion, tel le passage du Sophiste où la distinction entre mimêsis eikastikè et mimêsis phantastikè – entre l’imitation fidèle à la vérité de son modèle et l’imitation qui prétend s’y substituer – semble illustrer à merveille la joute de Phidias et d’Alcamène.

Page 6: sujet de dissertation.docx

En bref, une bonne copie de culture générale réalise toujours la conjonction de plusieurs paramètres essentiels. C’est la difficulté, l’intérêt, et peut-être la beauté de l’épreuve. Elle appelle la maîtrise d’une écriture mise au service d’une réflexion instruite et dynamisée par une culture dont on sent qu’elle n’est pas empruntée le temps de passer un concours (on ne saurait, à cet égard, trop conseiller aux candidats d’éviter les formules du type « Balzac-célèbre-écrivain-du-XIXe-siècle-dans-son-ouvrage-Le-Chef-d’oeuvre-inconnu » que l’on peut même, étrangement, encore trouver dans des copies par ailleurs fort satisfaisantes), et qu’elle sait aller également vers l’ancien et vers le moderne pour donner toute sa profondeur de champ à l’examen du sujet, en permettant aussi bien de le replacer dans son contexte originel que de considérer sa validité hors de celui-ci. Ce fut, par exemple, une agréable surprise, qui a rehaussé toute une copie, de voir évoquée la polémique née dans l’équipe des Cahiers du cinéma, sous l’impulsion de Jacques Rivette, autour du « travelling de Kapo », polémique dont les termes moraux, condamnant l’outrance d’un procédé, n’étaient peut-être pas si éloignés, en effet, des préoccupations de Boileau.

Les réussites existent dans cette épreuve. Elles ne constituent pas un idéal inatteignable. Souhaitons qu’elles soient toujours plus nombreuses.

Rapport sur l'épreuve: la dissertation de culture générale 2009Auteurs: ESSEC : Robert LEVY EDHEC : Maël RENOUARD

1. Qu’est-ce qu’une dissertation?

 En dépit des préjugés, l’épreuve de français requiert une compétence facile à déterminer. Elle exige une maîtrise technique des règles de la dissertation ainsi qu’une bonne connaissance des textes au programme. Les conseils suivants vous permettront de vous préparer rationnellement.

 

 Le jour de la dissertation

 Il faudra aller vite et les candidats qui se seront exercés à identifier les convergences et les divergences entre les textes auront pris de l’avance sur les autres. Dès que vous aurez le sujet devant les yeux, vous vous appliquerez à:

• Dégager une problématique avec rapidité pour orienter la recherche des idées en fonction de cet axe dominant.

• Tracer au brouillon les grandes lignes du développement.

• Nourrir votre réflexion en citant les différents auteurs et en équilibrant les références aux uns et aux autres : il serait peu habile de consacrer les deux tiers d’une partie à une oeuvre et de sacrifier les deux autres.

 

Page 7: sujet de dissertation.docx

• Minuter votre temps pour éviter d’être pris de court : aucun brouillon n’est accepté. Il faudrait vous habituer à travailler en conséquence mais progressivement et pas forcément dès le début de votre préparation — si non, vous risquez de produire des analyses superficielles faute de temps pour creuser la réflexion. Diminuez votre temps de préparation en fonction de vos propres acquisitions; vous travaillerez alors de plus en plus vite.

 2. Les bases d’une bonne dissertation : comment problématiser “énoncé du sujet? Sans problématique, pas de dissertation Une dissertation qui n’examine pas la problématique soulevée par l’énoncé n’est pas digne de ce nom : elle n’obtiendra pas la moyenne. Aux concours scientifiques, les rapports de jurys déplorent l’inaptitude des candidats à identifier une problématique claire et à la traiter avec rigueur, autrement dit à adopter une démarche progressive et à justifier ses arguments par des références précises aux oeuvres au programme. Il faut le dire avec netteté, une dissertation ne peut se réduire à une récitation du cours. Elle exige une mise en perspective des oeuvres au programme les unes par rapport aux autres mais aussi à l’énoncé du sujet. Les impératifs à respecter pour poser le bon problème

 La problématique se déduit de la mise en perspective de la thèse émise par l’auteur dont l’énoncé vous soumet la citation et des trois oeuvres au programme. Il faut exclure toute généralité même dans l’introduction — surtout dans l’introduction — car la spécificité de l’épreuve de français consiste à inviter les étudiants à formuler une difficulté précise, dans le contexte du programme.

 N’admettez pas, d’emblée, l’opinion émise dans l’énoncé puisque vous devez la discuter avec précision et objectivité. Il faut, au contraire, souligner, le cas échéant, le caractère paradoxal de la thèse émise par tel ou tel auteur — surtout ne dites pas : nous allons donc examiner dans quelle mesure les oeuvres au programme confirment... Votre correcteur attend de vous une réflexion critique, pas un assentiment immédiat; même si vous devez conclure à la convergence entre la thèse énoncée par l’auteur et les oeuvres au programme, vous aurez à la prouver tout au long de votre démonstration. Un scientifique doit savoir qu’on ne peut affirmer que les conclusions d’une argumentation objective.

 Soyez attentif à bien centrer votre problématique: posez une question bien précise, qui ne saurait être utilisée dans un autre devoir — ce qui exclut, d’emblée, les formulations du genre : qu’en est-il dans les oeuvres au programme ? Ou qu’en penser au regard des textes au programme ? Pour être sûr de bien centrer la problématique, lisez votre question et demandez-vous si elle pourrait être utilisée dans un autre contexte ; si la réponse est affirmative, recommencez.

 Ne répondez pas dès l’introduction à la question posée dans l’énoncé. Attendez la conclusion pour apporter, éventuellement, une réponse à la problématique — ou signaler  la difficulté à la trouver.

 Tenez compte des consignes qui vous seront données. Précisez vos objectifs, annoncez clairement votre plan et insistez sur la finalité de votre démonstration.

 Résumons-nous Pour problématiser l’énoncé, il convient de comprendre quelle question traite l’auteur — clans le cadre de l’épreuve de dissertation, rien de plus facile puisqu’il s’agit de traiter le thème au programme ; mais il vous restera à comprendre dans quel contexte conceptuel l’énoncé doit être analysé.

 Quelle réponse (ou thèse) il lui donne — il faut donc dégager la thèse de l’auteur et comprendre pourquoi il émet ce point de vue, autrement dit identifier ses postulats.

Cette thèse fait problème par rapport aux textes au programme : la connaissance de ces oeuvres vous permet de poser le bon problème.

 Le plan de votre démonstration découle de la problématique que vous venez d’identifier : vous revient d’examiner la validité (plan dialectique), ou l’exhaustivité (plan développé) ou tous les aspects (plan thématique), de la thèse. voir fiche méthode de la dissertation 3. Les quatre points d’une introduction réussie

Page 8: sujet de dissertation.docx

 1er point. Énoncé de la question abordée dans l’énoncé.

2 point. Formulation de la réponse apportée par l’auteur cité, ou suggérée par l’énonce du sujet.

3e point. Confrontation du 1er et du 2 point pour poser le problème en référence aux oeuvres au programme seulement.

4e point. Annonce du plan qui en découle. Évitez de formuler cette présentation en utilisant des tournures très lourdes, du genre: dans une première partie, nous verrons que... puis dans une deuxième partie, etc. Essayez de formuler l’essentiel de votre démonstration en une seule phrase — ce qui constitue un bon test pour en vérifier la consistance et la validité.

 4. La construction du développement Le plan de la dissertation se déduit de la nature de la thèse formulée dans l’énoncé. En effet, le problème à traiter dépend de la validité de la thèse énoncée dans le sujet.

 Ne vous contentez pas de deux parties; il convient de mettre en perspective l’analyse (ou le développement de la thèse) et sa critique pour, dans une troisième partie, préciser vos propos et en retirer un enseignement.

 Les trois grands types de plans Plusieurs cas de figure peuvent se présenter en fonction de la nature du problème à soulever. 1er cas : le sujet paradoxal et le plan dialectique. S’il est possible de réfuter la thèse et de lui opposer un avis contraire, vous pourrez adopter le rôle du défenseur puis du contradicteur de la thèse. Vous construirez alors un plan dialectique: 1 analyse de la thèse — 2 contradiction - 3 conciliation des perspectives (évitez les réponses « oui et non ») Voir exemple de dissertation rédigée suivant ce type de plan: le langage dans la société 2e cas: le sujet à portée partielle et le plan développé. Si la thèse se vérifie seulement en partie, on a un sujet à portée partielle ; dans ce cas, vous en montrerez les limites et vous compléterez l’analyse en l’élargissant le cas échéant. Vous suivrez un plan développé : 1-confirmation de la thèse dans son domaine d’application— 2- ouverture vers d’autres aspects du problème — 3 redéfinition de la thèse. Voir un exemple: " comment peut-on à la fois croire et savoir?" 3e cas : le sujet thématique et le plan analytique. Si la thèse suggère une investigation de ses diverses applications, on a un sujet thématique et un plan analytique ; vous devez décliner et illustrer par l’exemple les différentes applications possibles de la thèse. Voir un exemple : "celui qui ne croit pas"

 Dans certains cas (les plus nombreux en fait), le sujet présente un caractère hybride : à vous d’apprécier la démarche à suivre en conjuguant différents modes d’argumentation.

 Les impératifs à respecter pour réussir le plan

 Excluez totalement les plans qui consistent à opposer un auteur à un autre. Ce type de démarche s’avère illégitime: il faut souligner les divergences entre les auteurs sur toutes les idées que vous avancez concernant le problème à traiter ; il ne se dissocie pas de votre appréciation de ses données, que vous devez identifier dans les textes à étudier.

 Dans chaque partie de la dissertation prise isolément, il ne faut pas non plus juxtaposer les analyses des trois oeuvres envisagées l’une après l’autre. Vous n’êtes pas censé produire des analyses séparées des oeuvres mais partir des idées que vous voulez développer à partir de la difficulté soulevée par l’énoncé et de votre approche des oeuvres au programme.

 La progression logique à l’intérieur de chaque partie La confrontation des textes au programme est impérative : dans chaque partie de la démonstration, il faut absolument mettre en perspective tous les textes au programme. Il est inutile de citer d’autres auteurs — sauf de manière tout à fait incidente. Veillez à bien souligner l’originalité des auteurs étudiés — ce que vous ne pouvez faire qu’en maîtrisant les trois textes au programme. La confrontation des auteurs doit être maximale : essayez de mettre le plus souvent en perspective les oeuvres les unes par rapport aux autres. Dans l’idéal, il faudrait construire un plan en

Page 9: sujet de dissertation.docx

trois parties et trois sous-parties ; si vous le pouvez, n’hésitez pas à confronter les points de vue à chaque fois que vous formulez un argument. Ne tombez pas dans le psychologisme : n’essayez pas de rapporter les impressions produites sur vous par les personnages ; on ne vous demande pas de développements subjectifs mais des analyses fondées sur des arguments. Ne racontez pas les oeuvres : le correcteur attend de vous que vous maniiez des concepts et non que vous décriviez des oeuvres ou des situations dont il a déjà pris connaissance. La bonne utilisation des références passe par une connaissance précise, donc approfondie, des oeuvres étudiées ; elle permet de bâtir une progression logique vraiment pertinente et surtout personnelle. Ne perdez pas de temps à apprendre des citations par coeur ; mieux vaut se référer avec clarté à des passages des oeuvres dont vous tirerez le meilleur profit en les commentant avec précision. Ne restez pas dans l’allusion et n’assénez pas d’exemples sans les commenter. Rappelez-vous qu’une citation ne prouve rien, en soi, mais qu’il convient de la commenter pour mettre en évidence le lien à faire entre votre idée et celle d’un auteur. Surtout n’accumulez pas les citations les unes après les autres: on ne vous demande pas de produire un catalogue mais d’organiser une réflexion abstraite avant de recourir aux textes. Ne vous laissez pas déborder par vos références aux textes : elles ne doivent pas orienter votre devoir. Vous seul devez en conserver la maîtrise. La pertinence du raisonnement doit s’accompagner d’une réflexion originale : ne reprenez pas une question de cours ou les analyses critiques qui font référence sur le programme. Votre correcteur appréciera que vous preniez quelques risques en vous fondant sur une appréciation rigoureuse et nuancée des enjeux communs, des convergences et des divergences des oeuvres étudiées. Veillez à ménager des transitions bien claires entre les différentes parties du plan. À la fin de chaque parti, faites une synthèse des idées que vous venez d’énoncer et montrez que vous allez passer à un nouvel examen critique des notions. Pour ce faire, procédez en deux temps: donnez une conclusion partielle en fin de chaque phase du raisonnement puis amorcez l’étape suivante en utilisant des « outils » grammaticaux, pour introduire une opposition («  mais ») ou un changement de perspective ( « par ailleurs ») ou un complément d’analyse ( « en outre »), etc.

 Ne tombez pas dans des développements verbeux. Dans certaines écoles, on demande un nombre de pages maximal— le plus souvent de l’ordre de trois pages.

 5. Les éléments d’une bonne conclusion Au terme de la réflexion, la conclusion apporte un jugement nuancé au problème soulevé en introduction. Commencez par reprendre l’essentiel de vos synthèses partielles et montrez que vous avez tenté d’éclairer la difficulté sous différents angles. La prise de position. Procédez un rapide récapitulatif de vos analyses de manière à apprécier s’il est possible ou non de répondre à la question posée en introduction. Ne vous satisfaites pas d’une opposition simple du pour et du contre : à quel vous servirait, en effet, d’avoir disserté sur plusieurs pages pour rester dans l’expectative? voir les règles d'une bonne dissertation  Remarque. Il n’est pas vraiment utile « d’ouvrir» les perspectives sur un nouveau questionnement; ce prétendu élargissement des perspectives équivaut, très souvent, à un aveu inconscient des limites de votre propre analyse. De toutes les manières, une dissertation constitue un exercice formel ; elle ne suffit pas à épuiser des questions morales et existentielles; c’est un exercice qu’il vaut mieux traiter dans ses limites et refermer sur lui-même en le dotant d’une cohérence interne.

Faut-il obéir aux lois?Nul n'est censé ignorer la loi, lit-on dans le Code. Tout un chacun, le citoyen comme l'étranger de passage, est supposé, par une fiction commode, connaître et respecter (car tel est bien le sens qu'il convient de donner à "ne pas ignorer") les normes impersonnelles et de portée générale que le législateur édicte afin d'organiser la Cité et, pour reprendre l'expression d'un auteur antique, "associer les intérêts des citoyens et les maintenir sous une même justice". Pour leur seule fonction d'organisation sociale, les lois vaudraient d'être respectées en ce qu'elles évitent la dissolution de la Cité que ne manquerait pas d'entraîner le mouvement incontrôlé des passions individuelles. Mais ce but élevé d'unité et d'ordre social, présent dès les origines, est loin d'expliquer à lui seul l'obéissance due aux lois. Qu'on leur attribue une origine sacrée ou qu'elles apparaissent fondées par la seule Raison, il semble qu'il y ait un devoir moral (inhérent à la condition de citoyen) d'obéir à des lois établies, en principe, pour le bien commun (I). Mais leur application effective ne saurait se concevoir sans l'existence d'une force publique (II).

Page 10: sujet de dissertation.docx

 

En première analyse, l'autorité des lois semble découler logiquement de la légitimité de leur source.Dans les temps archaïques, on a souvent attribué à la loi une origine divine. L'examen des différentes traditions (juives, grecques, romaines...) montre des législateurs comme Moïse ou Romulus se faisant les interprètes, au bénéfice de groupes humains plus ou moins récemment arrachés à l'état de nature, d'une volonté divine diversement manifestée. Le législateur apparaît dans ce contexte comme 1'artisan d'une Révélation qui le dépasse: il est paré de la légitimité absolue et à la hauteur de son inspiration correspond la sévérité des peines sanctionnant la violation de préceptes présentés comme sacrés (La Loi Mosaïque, développée dans le Lévitique, en constitue l'archétype). Cette conception sacrale de la loi, plaidant pour une obéissance inconditionnelle (sous peine de "sacrilège" a traversé les siècles pour trouver une nouvelle jeunesse sous la Révolution française, après que la "volonté générale" eut été substituée au "bon plaisir" du souverain "de droit divin", et culminer sous la forme d'une véritable mystique de la loi sous l'impulsion des Jacobins, mystique que Robespierre, autopromu "sentinelle de la loi", devait porter à son paroxysme dans son dernier discours la veille du 9 Thermidor, promettant la mort civile et donc la mort morale pour tout citoyen se mettant hors la loi.Rares sont aujourd'hui ceux qui, dans une société très largement sécularisée, pourraient invoquer sans rire cette autorité sacrée des lois. Le respect d'une loi fondée en raison semble plus solidement établi. D'Aristote ("Ethique à Nicomaque") à Montesquieu ("L'Esprit des Lois")  et Rousseau ("Du Contrat Social") en passant par Hobbes ("Le Léviathan") et Locke ("Second Traité du Gouvernement Civil"), toute une lignée de penseurs conçoit les lois comme résultant de conventions passées entre les hommes dans le but d'adapter aux contingences de ce monde les prescriptions d'une loi naturelle définie comme le juste en soi et transparente à leur "recta ratio" (ou "raison droite"). Il s'agit, dans cette optique, de permettre, sinon la meilleure, du moins la moins mauvaise organisation politique et juridique : la raison pratique constitue alors l'essence même de la loi, qui met en jeu une norme rationnelle d'action fondée sur la volonté, de sorte que sa violation s'assimile à un non-sens.L'absurdité et la vanité de la désobéissance sont d'autant plus éclatantes aujourd'hui que la loi fait, en pratique, l'objet d'une procédure d'élaboration démocratique et libérale qui lui donne toute sa valeur "d'expression de la volonté générale", selon les termes de Rousseau. Malgré toutes leurs imperfections, et même si certaines sont parfois beaucoup moins générales et impersonnelles qu'il n'y paraît au premier abord, les lois dictent à chacun les préceptes de ce que l'on peut appeler la raison publique et, sans elles, il n'y aurait aucun commencement de justice, de liberté, d'unité et d'égalité. Sans doute les Codes sont-ils perfectibles, mais il est par principe interdit de désobéir, sous peine de voir la Cité se défaire.  Un esprit aussi libre que Diderot l'a bien compris : "Nous parlerons contre les lois insensées jusqu'à ce qu'on les réforme; et, en attendant, nous nous y soumettrons. Celui qui, de son autorité, enfreint une loi mauvaise, autorise tout autre à enfreindre les bonnes. Il y a moins d'inconvénient à être fou avec les fous qu'à être sage tout seul." (Supplément au voyage de Bougainville).Aucune révolte au nom de l'injustice ne saurait être justifiée devant les conséquences autrement injustes qu'elle entraînerait nécessairement. Ce d'autant plus que, dans une société constituée en État de droit, les gouvernants sont de quelque manière les représentants des citoyens et sont chargés d'exprimer la politique voulue, de plus ou moins loin, par l'opinion publique. De sorte que !e juste et l'injuste tendent à être définis par les lois en vigueur, reflet de la culture historique ambiante. Ce qui doit être tenu pour juste, c'est ce que dit la loi, les lois constituant alors la lettre d'une justice dont l'esprit est défini par la culture ambiante. Le décalage temporel entre l'état de loi (la lettre) et le mouvement historique de la culture (l'esprit) est réduit parce qu'à chaque instant, des lois tombent en désuétude, du fait de l'évolution des mœurs et en dépit des efforts de la jurisprudence pour adapter les décisions de justice à cette évolution.

 

La condition de citoyen implique donc, très clairement, l'obligation morale d'obéir aux lois. Mais cette obligation serait toute de principe sans l'existence d'une puissance publique s'imposant comme le garant ultime de la légalité, quand bien même ce serait au prix du recours à la force: il faut bien que, selon la formule réglementaire, "force reste à la loi ". Quand bien même elles seraient fondées sur des valeurs éthiques fondées en raison et instituées pour le bien commun (cf. article 5 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen), les lois n'en comportent pas moins un aspect étranger à la moralité : un élément non-rationnel de commandement ou

Page 11: sujet de dissertation.docx

de coercition, que ne saurait justifier entièrement l'autorité qui la promulgue, quelle que soit la légitimité de sa source. C'est que la loi a besoin de la force pour s'imposer. D'origine sacrées, ou fondées en raison et démocratiquement adoptées, les lois, même si elles comportent toujours un aspect coercitif (déjà souligné par Aristote dans son "Ethique à Nicomaque"), resteraient souvent lettre morte si ne planait la menace d'une sanction ou d'une exécution forcée en cas de non-application.Force est de constater qu'il existe chez certains des tendances presque compulsives à mépriser la légalité au nom de leurs passions et de leurs intérêts et que mêmes des citoyens mieux intentionnés sont fréquemment tentés de choisir entre les lois auxquelles ils obéissent et celles auxquelles ils n'obéissent pas, pour des motifs plus ou moins rationnels, parfois inspirés par l'intuition que tout système de droit comporte, nonobstant toute argumentation contraire une part irréductible, souvent occultée, d'arbitraire tendant à figer des situations acquises et des rapports. Force est de constater aussi qu'il s'est toujours trouvé des citoyens pour refuser la confusion entre le légal et le juste et s'insurger contre une loi, en invoquant une objection fondée sur le verdict de leur conscience.La justice est bien sujette à dispute : il est difficile de fonder les lois sur des principes inattaquables et elles ne prévalent souvent que sur le fondement de l'ordre établi. La force, "très reconnaissable, et sans dispute" selon le mot de Pascal, reste souvent le seul moyen de faire prévaloir une loi allant à l'encontre de bien des passions et des intérêts particuliers négligés par la "volonté générale". D'où la promulgation, acte par lequel le législateur rend la loi exécutoire, conférant au pouvoir exécutif la responsabilité de punir ceux qui ne s'y soumettraient pas. L'usage de la force est ainsi prévu et légitimé en vertu d'un transfert d'autorité au profit non d'un particulier ou d'un groupe de particuliers mais d'une institution. "Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort et juste", dit encore Pascal, non sans pragmatisme. Rares sont les cas où une résistance durable et victorieuse peut être proposée à la force publique ... D'où la certitude qu'il nous faut obéir aux lois non parce qu'elles sont justes, mais parce qu'elles sont lois. Une sagesse devant la puissance de l'ordre établi que l'on peut apparenter à l'arithmétique morale de Bentham, pour qui le citoyen était censé comparer, dans un raisonnement utilitariste, l'avantage du délit aux inconvénients de la peine.

 

Pourquoi obéir aux lois ? Peut-être parce que pour le citoyen moyen "There is no better way ?". La tentation est trop grande de dire à leur propos, comme Alain le faisait des hommes politiques qu'elles sont purement utiles et qu'il faut leur obéir sans les respecter. C'est une tentation qu'on doit repousser car elles ont l'immense mérite de rendre possible une vie sociale exempte des violences inhérentes à l'État de nature. Ce qui est sûr, c'est que nous ne pouvons pas nous contenter de ce qu'elles prescrivent et ne pas trop attendre d'elles car elles sont nécessairement imparfaites. Mépriser la loi est la tentation infantile de qui redoute d'assumer sa liberté : généralisé c'est un comportement qui conduit à la ruine de la communauté que structure la loi sans pour autant que l'homme ne soit sauvé.ujet de dissertation : « Nous sommes des êtres de la langage et néanmoins la parole ne peut pas tout dire ».  Pierre Legendre.Les humains sont doués de la faculté du langage qui les distingue des bêtes en faisant d’eux des êtres parlants. Une des fonctions principales de la parole est de formuler les sentiments et les pensées et de les communiquer à autrui. Cependant, certains doutent de la capacité du langage humain à tout exprimer. C’est le cas de Pierre Legendre, qui estime, dans sa Leçon VI, que « nous sommes des êtres de langage et néanmoins la parole ne peut pas tout dire ». Ce propos comporte un paradoxe, dans la mesure où la parole, comme faculté essentielle dont se prévalent les hommes, se trouve finalement incapable de traduire de façon adéquate tout ce qu’ils pensent ou sentent.En effet, Il semble a priori que rien n’empêche les êtres humains de tout exprimer puisqu’ils en ont les capacités physiques et mentales, cependant, plusieurs facteurs empêchent la parole de tout dire. D’une part, elle est fondée sur un système de signes imparfait qui ne traduit que partiellement et approximativement le réel. D’autre part, elle rencontre des obstacles dans le sujet même de la parole qui la pervertit et l’appauvrit. Enfin, la parole se trouve codifiée par des règles et des conventions sociales qui limitent significativement sa liberté. Cependant, doit-on conclure trop vite à une infirmité du langage humain ? L’ambition de tout dire est-elle légitime ?  N’est-ce pas en contournant les différents obstacles que la parole fait preuve d’invention et de créativité ? Les limites qui lui sont imposées ne sont-elles pas les conditions de son progrès ? Bref, comment apprécier cette limitation du champ et du pouvoir expressif de la parole ? En s’appuyant sur Phèdre de Platon,Les Fausses confidences de Marivaux et Romances sans paroles de Verlaine, on explorera ce que la parole peut dire avant d’examiner pourquoi

Page 12: sujet de dissertation.docx

elle ne peut pas tout dire pour montrer enfin que cette relative incapacité de la langue est aussi la condition de son perfectionnement. Dire que l’homme est un être de langage signifie que l’usage de la parole est sa faculté distinctive, son principal atout, un avantage décisif qui favorise son existence sociale en lui permettant d’exprimer et de transmettre ses sensations, émotions ou pensées. Personne ne peut nier que la parole soit une faculté humaine par excellence. De ce fait, la première chose que dit la parole est « l’humanité » de l’homme. Dans Phèdre, le personnage de Socrate rappelle à son jeune ami que les cigales, messagères des dieux, ont l’œil sur les humains : « si…elles nous voient converser, alors parce qu’elles seront contentes de nous, elles nous accorderont sans doute le privilège que les dieux leur permettent de décerner aux hommes ». Au contraire, « ne point converser » rapprocherait les deux personnages « des moutons sur l’heure du midi à l’entour de la source », GF p.138. La parole est d’abord ce qui distingue l’homme de l’animal et le rapproche du divin. Chez Verlaine, bien que la première « ariette » des Romances sans paroles  semble favoriser le thème descriptif en s’attachant à l’évocation de la nature, la parole amoureuse perce dans la dernière strophe du poème : « Cette âme qui se lamente/ En cette plainte dormante/ C’est la nôtre, n’est-ce pas ?/ La mienne, dis, et la tienne,/ Dont s’exhale l’humble ancienne/ Par ce tiède soir, tout bas ? ». On voit ici que la parole chassée fait retour en même temps que le couple, et le dialogue prend le relais de la description. Les questions sans réponse montrent bien que le dialogue est une exigence bien que l’autre ne réponde pas. Dans Les fausses confidences, tout passe par le langage et le dialogue semble constituer la matière même de l’action. En effet, tout se noue et se dénoue grâce à la parole, qui semble constituer un enjeu capital pour tous les personnages : « si je disais un mot…», menace Dubois dans la scène 10 de l’acte II, et tous les personnages n’ont plus qu’une seule envie : découvrir le sens de ces paroles virtuelles. Ainsi, la parole est bien cette faculté qui définit les humains, les unit et anime leur existence. Examinons à présent ce que les hommes disent au moyen de la parole.L’homme étant le seul être vivant capable de parler et de discourir, cette faculté de transmettre du sens lui sert d’abord pour dire les choses qui l’environnent.  Grâce à nos mots, au langage, nous pouvons nommer, décrire, raconter toute chose. Dans les « Paysages belges », les notations concrètes mêlées aux sensations du poète se multiplient comme dans  ‘‘Charleroi’’ : « Sites brutaux !/ Oh ! votre haleine, / Sueur humaine, / Cris des métaux. » Le poète décrit simultanément ce qu’il voit et ce qu’il sent, produisant un tableau qui renseigne à la fois sur la réalité et sur l’observateur. Dans Phèdre, Socrate décrit très bien le pouvoir quasiment illimité de la parole entre les mains des orateurs : « Par la force de leur discours, ils font paraître petites les grandes choses et grandes les petites, ils donnent à la nouveauté un ton archaïsant et à son contraire un ton nouveau. Et, pour traiter de n’importe quel sujet, ils ont découvert une méthode de concision aussi bien que d’amplification infinie. » La parole paraît ici toute puissante, quasi démiurgique, puisqu’elle semble pouvoir tout dire sur n’importe quoi et de n’importe quelle façon. On retrouve ce pouvoir de la parole également dans Les fausses confidences. Dans la scène 14 de l’acte I, Dubois invente un récit romanesque afin de persuader Araminte que Dubois est fol amoureux d’elle. Ses révélations dosées au compte-gouttes à travers le récit finissent par fléchir Araminte. Ici, non seulement la parole peut décrire ou évoquer ce qui est, mais elle peut aussi dire ce qui n’est pas. On voit donc que la parole peut quasiment tout dire : le réel et l’imaginaire, le vrai et le faux, son pouvoir d’expression paraît illimité.         . En plus de ce pouvoir de nommer, de décrire et de raconter, les êtres humains recourent à la parole pour exprimer et communiquer  à peu près tout ce qu’ils ressentent et tout ce qu’ils pensent. Dans Romances sans paroles, et contrairement à ce que suggère le titre, l’expression des sentiments passe tout de même par la parole, qui ne peut être complètement évincée. Ainsi, dans la deuxième « ariette », l’épanchement du moi intime se laisse entendre dans le balancement du poète entre « l’aurore future » promise par ses nouvelles amours et  le regret des « voix anciennes »,  du « cher amour » qu’il a connu probablement auprès de Mathilde. C’est bien une réalité psychologique profonde qui se reflète dans et par la parole poétique, et qui serait inaccessible autrement. Dans Les fausses confidences, le thème de l’amour est dominant et la parole semble déterminante dans l’expression du sentiment amoureux. Dubois l’annonce d’entrée de jeu : « quand l’amour parle, il est le maître, et il parlera ». Cette image de l’amour parlant, en plus de sa fonction programmatique qui consiste à annoncer le projet de Dubois et de Marivaux derrière lui, renseigne également sur la puissance expressive de la parole qui est capable de faire surgir les sentiments sous forme de mots. Dans Phèdre, les deux discours de Socrate et celui de Lysias vont traiter la question de savoir s’il faut « accorder ses faveurs à celui qui n’est pas amoureux plutôt qu’à celui qui l’est ». Ici, la parole se donne pour tâche non seulement d’exprimer l’amour, mais de l’analyser afin d’en

Page 13: sujet de dissertation.docx

examiner les avantages et les inconvénients. Grâce à la parole, les sentiments humais sont soumis à l’examen rationnel et font l’objet d’une réflexion structurée qui en dévoile les différents aspects et les différentes conséquences. Grâce à la parole, les humains peuvent formuler, décrire et analyser leurs sentiments et leurs idées.               Ainsi, nous sommes bien des êtres de langage et la parole est bien une expression de nous-mêmes, puisqu’elle dit d’abord notre condition d’êtres parlants et nous permet de formuler une grande variété d’émotions et de pensées. Toutefois, cette fonction d’expression et de communication n’est pas toujours efficace puisque la parole se trouve souvent incapable de tout traduire pour des raisons internes et d’autres externes au langage.Tout d’abord, la parole ne peut pas tout dire parce que le langage humain est d’une nature complètement différente de ce qu’il cherche à exprimer. Ensemble de signes linguistiques généraux et arbitraires, il ne peut épuiser la totalité du réel. Dans Phèdre, Socrate explique que ses discours sur la folie amoureuse n’embrassent pas la totalité du sujet, mais ils sont obligés de « découper par espèces suivant les articulations naturelles…, l’un de ces discours a coupé un morceau du côté droit, alors que l’autre a coupé du côté gauche ». Pour rendre compte de la réalité, souvent complexe, le discours est contraint de la fragmenter pour en faciliter la saisie, mais cette division est toujours une occultation de certains aspects du réel, ce qui rend la traduction de celui-ci en mots partielle et lacunaire. On retrouve cette segmentation de la réalité dansRomances Sans paroles où le poète nous présente une vision stylisée d’un monde fragmenté. Dans « Walcourt », il évoque un paysage traversé en Belgique à travers quelques éléments découpés dans la réalité : « Houblons et vignes / feuilles et fleurs, / Tentes insignes / Des francs buveurs ! » La parole du poète ne restitue que les détails du réel dont s’empare sa subjectivité, au hasard de sa rêverie et de ses désirs. Dans Les fausses confidences, les mots semblent avoir une existence propre qui se développe parfois sans rapport avec la réalité : « Comment, Madame, proteste Arlequin,  vous me donnez à lui ! Est-ce que je ne serai plus à moi ? Ma personne ne m’appartiendra donc plus ? » Derrière la prétendue bêtise d’Arlequin s’exprime l’insuffisance du langage qui ne traduit le réel que de façon métaphorique et indirecte. La parole ne peut donc ni dire la totalité du réel, ni le représenter de façon précise et adéquate.En plus de cette impossibilité technique de tout dire, la parole se trouve entravée par le sujet de la parole lui-même qui ne peut tout dire. Dans Les Fausses Confidences, acte III, scène 12, avant d’avouer son stratagème à Araminte, Dorante laisse entendre toutes les difficultés qu’il peut y avoir à confesser ses erreurs : « Madame…j’ai autre chose à dire…je suis si interdit, si tremblant que je ne saurais parler . » Ici, le blocage de la parole pourrait s’expliquer par des considérations psychologiques et morales, à savoir la peur de perdre l’être aimé, née de la conscience d’avoir mal agi. Dans Romances sans paroles, l’ « ariette VIII » traduit l’ennui et le mal de vivre. Après avoir décrit  « l’interminable ennui de la plaine »  sous le ciel « sans lueur », le poète évoque dans la dernière strophe une « corneille poussive », véritable métaphore du poète comme étouffé, incapable de respiration et en manque d’inspiration. Dans Phèdre, Socrate fait le réquisitoire des orateurs ignorants qui adaptent la parole aux désirs et aux opinions de leur auditoire : « l’orateur, qui ignore ce qu’est le bien et le mal, … en faisant l’éloge du mal comme s’il s’agissait du bien.» Non seulement l’ignorance du locuteur empêche de parler du réel de façon juste et précise mais elle opère une confusion et une inversion des valeurs. La parole ne peut donc pas tout dire car elle dépend du sujet parlant qui, par faiblesse ou ignorance, occulte ou inverse certaines données du réel.D’un autre côté, la parole n’est jamais libre de tout dire car elle est soumise à un système de normes sociales et morales qui limitent son déploiement. Ceci est particulièrement visible dans Les fausses confidences qui met en scène une société fortement hiérarchisée où la parole dépend du statut social. Dans la scène 15 de l’acte II, Dorante, sur le point d’avouer son amour à Araminte, traduit bien le poids de cette hiérarchie qui entrave la parole : « Etre aimé, moi ! Non, madame ; son état est bien au-dessus du mien ; mon respect me condamne au silence. » On voit ici que l’obstacle à la parole est bien la différence du statut social des personnages, qui rend le langage impropre à exprimer en même temps les rapports sociaux et le sentiment amoureux. On retrouve ce poids des conventions sociales dans Romances sans paroles de Verlaine: « l’ariette IV» expose de façon voilée le conflit moral autour de l’homosexualité : tout en cherchant à être pardonnées, les «deux âmes soeurs » contraintes à l’exil, « loin des femmes et des hommes » revendiquent une certaines chasteté et finissent par ignorer complètement le pardon exigé au début du poème. Celui-ci montre comment la parole poétique compose avec les contraintes morales et sociales de son époque et recourt à des détours : (« soyons deux enfants, soyons deux jeunes filles ») pour essayer d’exprimer ce qui, à l’époque et pour un homme comme Verlaine, relève de l’inavouable. Dans Phèdre, Socrate explique comment l’orateur doit prendre en considération les circonstances générales de la situation de communication avant de parler, il doit

Page 14: sujet de dissertation.docx

notamment savoir « par quels discours est persuadé tel homme », ou encore savoir « quand il est opportun de parler ou de se taire. » On voit donc bien que la parole est loin d’être libre de pouvoir tout dire puisqu’elle dépend de la hiérarchie sociale, des codes moraux et des circonstances de l’énonciation. Ainsi, malgré son rôle primordial dans la communication sociale, la parole souffre d’une relative impuissance puisqu’elle semble souvent inapte à exprimer le réel dans sa totalité, qu’elle se heurte aux obstacles psychologiques et doit se plier aux conditions d’utilisation sociale du langage. Mais est-il nécessaire que la parole puisse tout dire ? Doit-on regretter cette insuffisance de la parole ou au contraire la regarder comme source de richesse et d’innovation?Rappelons d’abord que si l’homme est un être de langage, il est aussi un être rationnel et moral. C’est pourquoi, il s’interdit lui-même de tout dire, non par incapacité, mais par choix libre. Dans Phèdre, Socrate refuse d’embourber le dialogue philosophique dans les méandres du mythe parce qu’il estime qu’il est beaucoup plus utile de s’examiner soi-même avant d’examiner des choses extérieures sans intérêt pour lui : « je ne suis pas encore capable, comme le demande l’inscription de Delphes, de me connaître moi-même ; dès lors, je trouve qu’il serait ridicule de me lancer, moi, à qui fait défaut cette connaissance, dans l’examen de ce qui m’est étranger. » Ainsi, chercher à tout dire serait pur gaspillage de temps et d’énergie. Dans Les fausses confidences, l’enjeu se résume souvent à dire ou ne pas dire. Dans la scène 10 de l’acte I, en réaction  à Madame Argante qui lui demande de dire à sa fille « que son droit est le moins bon », Dorante répond : «  Si effectivement son droit est le plus faible, je ne manquerai pas de l’en avertir. » Autrement dit, Dorante refuse de se laisser dicter ce qu’il doit dire, surtout qu’il s’agit de débiter un mensonge. Ainsi, la parole devient le signe extérieur d’une indépendance morale qui fait que le sujet ne dit pas tout ce qu’on exige de lui, mais ce que lui dicte sa conscience. Chez Verlaine, on perçoit une constante tension entre le désir et le refus de se dire. Rejetant l’anecdote personnelle et l’implication du moi, le poète choisit d’évoquer, de suggérer, d’interroger en maintenant une certaine imprécision, un flou qu’il affectionne : ne pas tout révéler est un choix esthétique. Ainsi, on ne dit pas toujours tout ce que les mots peuvent dire, mais ce sont les choix délibérés du locuteur qui détermineront la teneur et l’étendue de la parole. Il s’agit en somme de trouver un équilibre entre ce qu’on doit et ce qu’on ne doit pas dire.La question qui se pose alors est de savoir si la parole dit tout ce qui doit être,  en d’autres termes, si elle se conforme ou non à l’exigence de vérité. Cette relation étroite entre la parole et la vérité est exprimée dansPhèdre par la bouche de Socrate : « De la parole, il n’y a pas d’art authentique, si cet art n’atteint pas à la vérité», et un peu plus loin : « cet art oratoire, dont fait montre celui qui ne connaît pas la vérité et qui ne traque que des opinions, paraîtra un art risible, un art qui n’en est pas un. » La parole, pour le philosophe, ne doit pas se contenter de formuler des opinions vraisemblables, mais elle doit partir de la vérité et aspirer à la vérité, voilà la condition d’un art de la parole véritable. Dans Les fausses confidences, où la parole mensongère règne, la franchise et la sincérité relatives de Dorante suscitent l’admiration d’Araminte qui réagit en ces termes à sa confession finale : «  l’aveu que vous m’en faites vous-même, dans un moment comme celui-ci, change tout. Ce trait de sincérité me charme, me paraît incroyable, et vous êtes le plus honnête homme du monde. » Pour Araminte,  le fait de dire la vérité dans une situation aussi délicate change son jugement du tout au tout, car l’aveu provient directement de la personne concernée, de façon volontaire et en assumant toutes les conséquences : voilà ce qui donne toute sa valeur à cette parole vraie. Dans« Birds in the night »,  le poète qui rapporte le souvenir d’une rencontre avec Mathilde : « …Et votre regard qui mentait lui-même / Flambait comme un feu mourant qu’on prolonge, / Et de votre voix vous disiez : ‘‘je t’aime’’ ! », dénonce cette déclaration d’amour mensongère car c’est une parole dit qui ne dit pas ce qu’elle devrait dire. Ainsi, une parole qui dit  la vérité du monde et de l’être est beaucoup plus authentique et significative qu’une parole qui chercherait simplement à tout dire.D’un autre côté, si la parole pouvait tout dire, tout serait déjà dit et les humains seraient condamnés à ressasser toujours les mêmes choses. Voilà pourquoi les limites de la parole doivent être vus, non comme des obstacles,   mais comme autant d’aiguillons qui favorisent la créativité. Pour Platon, la parole peut aspirer à la perfection à certaines conditions : « voila, Phèdre, de quoi, pour ma part, je suis amoureux : des divisions et des rassemblements qui me permettent de parler et de penser. Si je crois avoir trouvé chez quelqu’un d’autre l’aptitude à porter ses regards vers une unité qui soit aussi, par nature, l’unité naturelle d’une simplicité, je marche sur ses pas et je le suis à la trace comme si c’était un dieu.» Le langage humain est loin d’être parfait, mais il est en revanche perfectible et l’homme qui l’utilise également, puisqu’il peut s’améliorer sans cesse vers une plus grande justesse de l’expression et une plus grande adéquation entre le langage et la réalité.  Dans Les fausses confidences, les personnages usent souvent d’un langage à la fois polysémique et raffiné. Ils mettent à profit toute la finesse et la

Page 15: sujet de dissertation.docx

subtilité de la langue pour tenter de déjouer les conventions sociales et affirmer leur individualité. Soutenue par la double énonciation théâtrale, la parole exprime toujours plus qu’elle ne dit et les répliques des personnages sont souvent des paroles à double entente. Chez Verlaine, le titre du recueil dévoile l’intention d’évincer même la parole au profit de la musicalité des mots, jugée plus essentielle. Le poète pratique en effet un art de la suggestion où la musique joue un rôle primordial, comme dans cette strophe de la deuxième ariette : « Il pleure dans mon cœur/ Comme il pleut sur la ville; / Quelle est cette langueur/ Qui pénètre mon cœur ?»   Ici,  les mots expriment, touchent et émeuvent par leur sonorité plus que par leur sens, l’harmonie suggère et communique les sentiments et les sensations dans toute leur pureté, alors qu’une définition littérale risquerait de les banaliser. Ainsi, ce qu’on peut considérer comme des limites de la parole incite à rechercher sans cesse les moyens de rendre la parole plus précise, plus riche et plus expressive. Tout bien considéré, la parole est bien la faculté humaine par excellence qui  rend possible l’expression, la communication et l’échange de toutes sortes de faits, d’idées ou de sentiments. Toutefois, elle se révèle incapable de refléter fidèlement et intégralement le réel, de traduire toute la complexité des sentiments humains ou de se libérer des contraintes sociales. La parole ne peut donc pas tout dire et heureusement, car cela n’est ni nécessaire ni souhaitable. Les limites de la parole sont en réalité fécondes car elles représentent un défi perpétuel, une frontière fluide à repousser toujours plus loin, le gage de la perfectibilité du langage humain. Finalement, le fait que la parole ne dit pas tout est aussi un espoir et une chance car du nouveau peut toujours surgir dans nos discours, comme pour nous signifier que la parole n’a pas encore dit son dernier mot. FIN DE LA DISSERTATIONNotice : Abdelbasset Fatih, agrégé de lettres modernes, enseigne le français et la culture générale en CPGE économiques, au lycée Omar al Khayyãm à Rabat. 

La parole : choix de citationsPhèdre, Les fausses confidences, Romances sans paroles

1. Phèdre de Platon

• « Il faut savoir sur quoi porte la délibération — sans quoi, forcément, on se trompe complètement. Or les gens s’aperçoivent qu’ils ne connaissent pas l’essence de chaque chose. Ainsi, croyant la connaître, ils ne s’accordent pas sur ce qui constitue le point de départ de l’examen [...]: car ils ne sont d’accord ni avec - eux-mêmes, ni les uns avec les autres » (23 7e).

• «Je désire, par l’eau pure d’un second discours, laver l’amertume de celui que tu viens d’écouter» (243d).

• « Celui qui parvient aux portes de la poésie sans cette folie des Muses, persuadé que grâce à son habileté technique il sera un bon poète, celui-là sera un poète manqué: la poésie de l’homme qui est dans son bon sens est supplantée par celle des hommes qui délirent» (245a).

• « Dire ce que [l’âme] est, c’est l’affaire d’un exposé de part en part divin, et très long. Mais dire à quoi elle ressemble, c’est l’affaire d’un exposé humain et moins long» (246a).

• « Le voilà donc amoureux, mais il serait bien en peine de dire de quoi. Il ne sait pas ce qu’il éprouve et ne peut le dire, mais de même que lorsqu’on a attrapé de quelque autre une ophtalmie on ne sait pas en dire la cause, de même il ne comprend pas que c’est lui-même qu’il voit dans son amoureux, comme en un miroir» (255d).

• «Il n’y aura jamais d’art authentique de la parole sans lien à la vérité» (260e).

• «La rhétorique ne serait-elle donc pas dans son ensemble un art de conduire les âmes au moyen des discours, non seulement dans les tribunaux et dans toutes les autres assemblées publiques, mais également dans les assemblées privées? » (26 la).

• «Il sera donc risible, à ce qu’il semble, et dépourvu d’art, l’art du discours de celui qui ne connaît pas la vérité, mais n’a pourchassé que des opinions» (262c).

Page 16: sujet de dissertation.docx

• « Peut-être aussi les interprètes des Muses, les cigales qui chantent au-dessus de nos têtes, nous ont-elles octroyé ce privilège de l’inspiration: car pour moi, je suis dépourvu de tout art de la parole» (262d).

• « Il faut que tout discours soit composé comme un être vivant, avec un corps, de façon à n’être dépourvu ni de tête, ni de pieds, mais à avoir des parties médianes et des parties extrêmes, qui soient écrites de manière à être appropriées les unes aux autres» (264e).

• «Moi, je suis amoureux de ces divisions et de ces rassemblements, qui me rendent capable de parler et de penser» (266b).

 

• « Si tu es naturellement doué pour l’art oratoire, alors tu seras un orateur réputé, à condition d’y ajouter le savoir et l’exercice, tandis que si te manque une des conditions, tu resteras un orateur imparfait» (269d).

• « On pourrait croire que [les discours] sont intelligents et qu’ils parlent, mais si on les interroge en voulant comprendre ce qu’ils disent, c’est toujours une seule et même chose qu’ils signifient» (275d).

 

 

2. Les Fausses Confidences de Marivaux

• «Fierté, raison et richesse, il faudra que tout se rende. Quand l’amour parle, il est le maître et il parlera» (Dubois, I, 2).

• « La vérité est que voici une confidence dont je me serais bien passée moi- même » (Araminte, I, 15).

• «Tu es bien imprudent, Dubois, bien indiscret; moi qui ai si bonne opinion de toi, tu n’as guère d’attention pour ce que je te dis. Je t’avais recommandé de te taire sur le chapitre de Dorante [...] et tu me l’avais promis: pourquoi donc avoir prise, sur ce misérable tableau, avec un sot qui fait un vacarme épouvantable, et qui vient ici tenir des discours tous propres à donner des idées que je serais au désespoir qu’on eût? » (Araminte, II, 12).

«Je ne sais de son amour que ce que tu m’en dis; et je ne suis pas assez fondée pour le renvoyer; il est vrai qu’il me fâcherait s’il parlait; mais il serait à propos qu’il me fâchât» (Araminte, II, 12).

• « Son état est bien au-dessus du mien. Mon respect me condamne au silence; et je mourrai du moins sans avoir eu le malheur de lui déplaire » (Dorante, 11, 15).

• « Oh! oui: point de quartier. Il faut l’achever, pendant qu’elle est étourdie [...] Ne voyez-vous pas bien qu’elle triche avec moi, qu’elle me fait accroire que vous ne lui avez rien dit? Ah! Je lui apprendrai à vouloir me souffler mon emploi de confident pour vous aimer en fraude » (Dubois, III, 1).

• «Moi! un dissimulé! moi! garder un secret! Vous avez bien trouvé votre homme! En fait de discrétion, je mériterais d’être femme » (Dubois, III, 2).

• « Comment donc, m’imposer silence! à moi, Procureur! Savez-vous bien qu’il y a cinquante ans que je parle, Madame Argante? » (Monsieur Remy, III, 5).

• «Eh non, point d’équivoque. Quand je vous dis qu’il vous aime, j’entends qu’il est amoureux de vous, en bon français; qu’il est ce qu’on appelle amoureux; qu’il soupire pour vous; que vous êtes l’objet secret de sa tendresse » (Madame Argante, ffl,6).

 

3. Romances sans paroles de Paul Verlaine 

Page 17: sujet de dissertation.docx

• « Ô le frêle et frais murmure! Cela gazouille et susurre, Cela ressemble au cri doux

Que l’herbe agitée expire... » (Ariette I, p. 125).

• « Cette âme qui se lamente

En cette plainte dormante

C’est la nôtre, n’est-ce pas?

La mienne, dis, et la tienne,

Dont s’exhale l’humble antienne

Par ce tiède soir, tout bas? » (Ariette I, p. 125).

• «Je devine, à travers un murmure,

Le contour subtil des voix anciennes» (Ariette II, p. 126).

• « Et mon âme et mon coeur en délires

Ne sont plus qu’une espèce d’oeil double

Où tremblote à travers un jour trouble

L’ariette, hélas! de toutes les lyres» (Ariette II, P. 126).

• « Ô mourir de cette mort seulette

Que s’en vont, cher amour qui t’épeures

Balançant jeunes et vieilles heures!

O mourir de cette escarpolette! » (Ariette II, p. 126).

• « Un air bien vieux, bien faible et bien charmant, Rôde discret, épeuré quasiment, Par le boudoir longtemps parfumé d’Elle » (Ariette g p. 129).

• «Mon âme dit à mon coeur: Sais-je Moi-même que nous veut ce piège D’être présents bien qu’exilés, Encore que loin en allés?» (Ariette VII, p. 132).

• « Combien, ô voyageur, ce paysage blême Te mira blême toi-même,

Et que tristes pleuraient dans les hautes feuillées Tes espérances noyées! » (Ariette IX, p. 135).

• « Quoi donc se sent?

L’avoine siffle

Un buisson gifle

L’oeil au passant » (« Charleroi », p. 137).

• «Vous n’avez rien compris à ma simplicité » (« Child wife », p. 152).

Sujet de dissertation :Philippe Breton écrit: « La parole est ainsi le lieu privilégié de l’ignorance, non pas comme absence de savoir, mais comme creux dynamique qui

Page 18: sujet de dissertation.docx

nous met en mouvement pour comprendre ce que nous ne savons pas. » Dans quelle mesure votre lecture des trois œuvres au programme vous permet-elle de souscrire à cette affirmation?Analyse de la citationL’affirmation de Philippe Breton ne relève pas du jugement tranché ou polémique: elle propose de penser ce qu’est fondamentalement la parole, en partant d’un paradoxe apparent («La parole est ainsi le lieu privilégié de l’ignorance»), que la suite de la phrase permet de comprendre et de résoudre. La vérité de la parole réside en fait dans son caractère « dynamique», dans le fait qu’elle soit « mouvement»: c’est un savoir en action. Plus précisément, la parole n’est pas en elle-même un savoir, elle est cet outil qui permet de penser et de connaître. Il ne s’agira donc pas d’adopter un plan dialectique pour infirmer en partie cette affirmation — ce qui mènerait au contresens —, mais d’élucider les différentes formules qui la composent, et qui permettent en fait d’aller vers une compréhension de plus en plus fine de ce qu’est la parole. Le plan suivi sera donc progressif; il procédera par approfondissement pour comprendre ce qu’est la parole.Concrètement, il faudra donc d’abord justifier pourquoi la parole est « lieu privilégié de l’ignorance». Elucider cette formule ne doit pas amener à jeter le discrédit sur la parole humaine, mais à faire comprendre ce qu’elle est par nature: écart, « distance», « décentrement » (pour reprendre les mots que Philippe Breton emploie dans le texte du résumé) par rapport à la réalité. Il faudra ensuite montrer que les mots n’étant pas en eux-mêmes un savoir, la parole qui les anime est l’instrument et le processus de la pensée; les mots n’expriment pas la vérité, mais ils permettent de cheminer vers elle. On pourra alors comprendre que dans sa dynamique, la parole est porteuse d’un savoir qui l’excède; elle ne traduit pas la pensée, mais donne à penser. Pour l’homme, le savoir est dans cette relation dynamique entre la pensée et la parole.Introduction de la dissertation :Il ne fait pas de doute que la pensée humaine est intimement liée à l’usage des mots: les mots désignent la réalité, ils sont les signes qui nous permettent de nous l’approprier de façon abstraite. Pourtant, il y a des formes de pensée qui ne sont pas tributaires des mots: le langage mathématique, par exemple, utilise des signes qui permettent justement de dissiper le caractère arbitraire du mot, et sa polysémie presque constitutive. De fait, les mots désignent indirectement la réalité et pour la désigner, ils s’écartent d’elle. D’autre part, la parole, comme usage singulier de la langue, est un autre écart qui vient se rajouter à celui-ci. On comprend donc pourquoi Philippe Breton affirme: « La parole est ainsi le lieu privilégié de l’ignorance, non pas comme absence de savoir, mais comme creux dynamique qui nous met en mouvement pour comprendre ce que nous ne savons pas. » Il s’agira de montrer que cette affirmation ne jette pas le discrédit sur la parole humaine: c’est dans cet écart avec le réel que constitue la parole que l’homme mesure son ignorance, mais trouve aussi le moyen de la combler. Affirmer que « la parole est le lieu privilégié de l’ignorance» est un paradoxe apparent qui permet de comprendre ce qu’est véritablement la parole: non pas un savoir, mais la condition « dynamique » du savoir. En nous appuyant sur le Phèdre de

Page 19: sujet de dissertation.docx

Platon, Les Fausses Confidences de Marivaux et les Romances sans paroles de Verlaine, nous montrerons d’abord que, comme écart constitutif par rapport à la réalité, la parole est ce « lieu privilégié de l’ignorance». Qu’elle ne constitue pas en elle-même un savoir explique et conditionne le caractère dynamique de la parole: c’est ce que nous soulignerons ensuite. Ceci nous permettra de comprendre finalement que le savoir, pour l’homme, tient à la relation dynamique entre la parole et la pensée. Plan de la dissertationI. La parole est écart par rapport à la réalité, et à ce titre elle est le « lieu privilégié » où l’homme mesure et exerce son ignorance.1. Autonome par rapport à la réalité, la parole peut aller jusqu’à la trahir.2. La parole est en fait toujours susceptible de dire le faux.3. Mais la parole, qui suppose l’écart entre les mots et les choses, est elle- même ce qui permet de réduire cet écart.II. L’écart qui définit la parole lui confère aussi son caractère dynamique; comme le savoir dont elle est l’instrument, la parole tend vers la vérité.1. La connaissance est conscience d’un manque, élan vers la complétude.2. La parole, elle-même dynamique, est donc naturellement l’instrument du savoir.3. Paradoxalement, c’est en creusant l’écart avec la vérité que la parole est la plus propice à la suggérer.III. Mais la parole n’est pas que l’instrument de la connaissance: elle est porteuse d’un savoir qui lui est propre.1. La parole construit le savoir qu’elle se propose d’atteindre.2. L’homme se découvre par la parole, car la vérité n’existe que par les mots qui mènent à elle.3. La vérité de la parole tient au déploiement de la parole elle-même. ConclusionL’affirmation de Philippe Breton amène donc à saisir ce qu’est la parole dans son essence, et ce qu’est le savoir qu’elle permet d’approcher. C’est dans l’écart qui fonde la parole, dans sa différence fondamentale avec le réel que le savoir est rendu possible. La parole est tout à la fois cet écart avec le réel et la vérité, et l’instrument dynamique qui permet de le combler. Mais finalement, la parole n’est pas tant un instrument qu’un savoir, dans la mesure où elle est capable d’améliorer cet instrument qu’elle est au premier chef. Pour parodier Jean-Luc Godard, la parole a en elle-même le pouvoir de n’être pas « juste une parole», mais une « parole juste».Sujet de dissertation: Celui qui ne croit pas, par Gilbert GuislainI — Ce personnage singulier

Un commentaire des mots de ce sujet assez étonnant s’impose d’abord. Les sujets de culture générale sont habituellement constitués d’une question, voire d’un seul mot. Ici, nous rencontrons seulement un démonstratif antécédent suivi d’un pronom relatif; le sujet est seulement constitué d’une proposition relative et nous pourrions attendre une proposition principale: que fait, que dit que pense celui qui ne croit pas? Le sujet semble ainsi suspendu à d’autres éléments qui ne sont pas ici explicités.

Page 20: sujet de dissertation.docx

D’autre part, nous constatons la force de la négation: le sujet ne dit pas celui qui sait ou celui qui doute, mais évoque un personnage qu’une attitude caractérise: l’incroyance ou l’incrédulité, donc un personnage singulier qui refuse la norme, qui est ici la croyance. Il est bien l’homme de la négation, mais qui peut être aussi celui de l’ignorance, ou de l’indifférence. Il semble plutôt remarquable si l’on songe que ‘celui qui’ est la traduction du latin « is qui », ce qui peut prendre une connotation de qualité et de prestige, dans le refus du conformisme, de la « superstition » — on pense à la force du libertinage  — mais ce qui peut exprimer aussi une différence mal vue: on peut penser au mécréant marginal par rapport à toute la communauté, au village qui croit, à l’opinion, à « ce que tous les hommes révèrent » selon l’expression de Sganarelle dans Don Juan de Molière (acte I, scène 2). Mais, au-delà de la personne, le sujet nous invite à cerner des attitudes face à la croyance: le scepticisme et le libertinage, l’athéisme et le nihilisme, tout en tenant compte des modalités d’articulation du croire et du savoir: le lecteur pourra se reporter ici au corrigé voisin (voir l’épreuve de culture générale E. M. Lyon).

II — ... Est-ce un sceptique ou un libertin ?

Le doute sceptique est ce qui peut caractériser par exemple l’intellectuel, le philosophe, Socrate comme Montaigne: il s’agit de remettre en cause les opinions confortables, les préjugés, le conformisme, le sens commun. Contre les dogmatiques qui enseignent une doctrine, les sceptiques sont ceux qui continuent à chercher, selon la formule de Sextus Empiricus. Il ne fait pas profession d’avoir trouvé la vérité et il suspend son jugement, fidèle ainsi à l’inspiration philosophique. De ce point de vue, le sceptique n’est pas sur la position radicale de « celui qui ne croit pas », celui qui refuse la croyance peut-être pour en adopter une autre de sens contraire. Le « je sais que je ne sais rien » socratique ne prépare pas nécessairement un savoir à naître, puisqu’à une croyance, on pourra toujours opposer une autre croyance de force égale et d’égale portée. Le sceptique continue à chercher, et la suspension de l’assentiment engendre la tranquillité de l’âme, sans pouvoir accéder à quelque certitude que ce soit. Ceci est particulièrement vrai du scepticisme radical de Montaigne, sensible à l’absence de vérité absolue, devant le spectacle de la seule coutume et de la diversité des cultures ( Chacun appelle barbare ce qui n’est pas de son usage », Essais, II) Montaigne inaugure cette modernité intellectuelle caractérisée par l’affaiblissement des concepts de nature et de raison. Celui qui ne croit pas est alors un agnostique qui ne peut montrer que Dieu existe par la raison mais qui ne peut pas montrer, par ailleurs, qu’il n’existe pâs. Il faut toujours garder à l’esprit, face à ce sujet: ne pas croire, que cela implique-t-il comme savoir? Il est essentiel de distinguer deux démarches sceptiques, celle du doute méthodique provisoire cartésien: il s’agit ici de reconstruire une connaissance fondée sur une raison certaine, et le doute radical de Montaigne, pour qui il n’y a pas de vérité absolue. Nous sommes alors dans une perspective relativiste et conservatrice, où nous restons attachés à la coutume et à la convention faute de mieux, aux « grandeurs d’établissement » pour reprendre l’expression de Pascal.

Avec le libertinage, le scepticisme se fait contestataire; celui qui ne croit pas croit, en fuit, à autre chose. Nous devons faire intervenir ici l’esprit d’examen né au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, en particulier avec Pierre Bayle et Fontenelle, à la Suite des épicuriens matérialistes du XVIIe siècle, Gassendi et Cyrano de Bergerac. Les usages politiques et les croyances religieuses sont ici contestés au profit du relativisme et de nouvelles idoles: le savoir scientifique dont on espère qu’il délivre l’humanité de la « superstition », mais aussi la nature, cette divinité antique qui fait un retour en force au siècle des Lumières. On voit qu’il est difficile de contester la religion sans en créer une nouvelle. Dans L’Anti-Nature, Clément Rosset distingue par exemple la philosophie de Diderot de celle de Lucrèce. Il montre que Diderot procède à une vitalisation sensualiste de la nature comme le fait aussi Condillac et avec ce principe de vie, il révèle le caractère religieux du XVIIIe siècle — présent aussi, et différemment, dans le déisme voltairien ou dans la religion du sentiment de Rousseau. Lucrèce, au contraire, sans céder à une croyance de substitution, avait affirmé un principe d’indétermination: la nature est pure contingence, aléa, sans finalité ni nécessité.

Quant au libertin, il est bien l’homme du refus de toute transcendance: Don Juan s’oppose à tout ce qui fait obstacle à son pouvoir et à son plaisir. Il se montre provocateur face au pauvre (acte II, scène 2) ce qui prouve qu’il n’est pas complètement indifférent à Dieu, à l’idéalisme et au surnaturel. Sinon, pourquoi y prêterait-il tant d’attention, même s’il affirme ne croire qu’en « deux et deux font quatre » face à Sganarelle (acte III, scène 1). Sa volonté de contester toute limite à sa propre volonté, à son propre plaisir, en fait bien l’homme de la modernité. « Il n’est rien qui puisse arrêter l’impétuosité de mes désirs.», dit-il dans sa tirade sur l’inconstance (acte I, scène 2). Il n’est pas cet esprit indifférent qui,

Page 21: sujet de dissertation.docx

simplement, « ne croit pas », mais bien plus, celui qui croit en lui-même. Tout comme le révolutionnaire démiurge qui se pose en nouveau Prométhée dans l’Histoire.

III — ... Ou bien un athée ou un nihiliste?Celui qui ne croit pas est l’athée pour qui la religion est « opium du peuple » selon la formule de Marx dans Contribution à la critique de la philosophie du droit de Hegel. La religion serait une illusion collective. Pour Ludwig Feuerbach, l’homme transfère ce qui lui appartient en propre à un autre qu’il nomme Dieu. Il est victime de résignation et d’aliénation. Pour s’attaquer à la religion jugée comme une illusion, il est donc nécessaire d’être athée, sans être seulement agnostique, car il faut libérer l’homme. Marx approfondit ce point de vue dans ses Thèses sur Feuerbach. En effet, l’illusion religieuse n’est pas pour Marx un pur produit de l’esprit de l’homme. Il faut tenir compte des structures productives, sociales et politiques où évoluent les hommes. L’esprit religieux est, pour Marx, lié à un asservissement social. La religion serait ainsi une illusion qui ferait oublier à l’homme l’exploitation sociale et économique dont il est l’objet. Seule la Révolution est capable de renverser Dieu en rendant obsolètes les conditions sociales qui lui permettaient d’exister. Et, loin de se limiter à une simple laïcité refoulant le religieux dans la sphère privée, le communisme entend créer sur la terre ce que l’homme plaçait dans les cieux. D’où sa dimension messianique et millénariste, son caractère de religion de substitution. « Celui qui ne croit pas » veut croire en un meilleur monde, ici et maintenant. Le marxisme a alimenté « l’avidité de certitudes optimistes » pour reprendre l’expression de Nietzsche, en un temps qui a rompu avec la croyance et détruit les communautés traditionnelles, souligne Jean-Marie Domenach dans Approches de la modernité. Marx dénonçait l’insuffisance ou l’imposture d’une croyance mais pour lui en substituer une autre, à caractère religieux. Et l’incroyant peut croire naïvement dans les « lendemains qui chantent », alors que le croyant peut être plus prudent et moins crédule, comme le montre le corrigé voisin (voir Culture générale E. M. Lyon).

Nos contemporains vénèrent des idoles de substitution : religion civile de Rousseau, républicanisme, laïcité, démocratie, religion du Progrès, égalité, là où Nietzsche qui fut bien plus « celui qui ne croit pas » que Marx avec le nihilisme, annonçait, au contraire, l’échec des catégories de la raison, l’absence de toute finalité et l’acceptation du devenir.

 

Bibliographie de culture généraleOuvrages généraux:

Ces ouvrages présentent de nombreuses études et textes sur la croyance, la foi et la raison, l’athéisme et le nihilisme ainsi que sur la passion, le désir.

La Passion, Ouvrage collectif, StudyramaLa Croyance, ouvrage collectif, Studyrama.Cent fiches de culture générale, Bréal.Éléments de culture générale, J. Bonnot, P. Dumont, G. Guislain, Ellipses.Ouvrage de préparation aux dissertations, aux « colles » et aux entretiensExercices de contraction et de synthèse de textes, G. Guislain, Y. Terrades, Ellipses.QCM commentés de culture générale, B. Berthou, G. Guislain, Ellipses.L’indispensable des concepts de culture générale, B. Berthou, V. Delegue, Studyrama.Balzac, panorama d’un auteur, G. Guislain, Studyrama.Dictionnaire de culture générale, F. LAUPIES, PUF

Tirer profit de la prépa:

L’enseignement en prépas comprend tout un dispositif au-delà des cours : colles, éventuellement travaux encadrés et conférences, préparation aux exercices spécifiques, synthèse, contraction (Ecricome), entretiens et l’exposé d’un ensemble d’informations: sur les sujets des concours des années passées, les rapports de jurys, les conférences extérieures, les bibliographies, le suivi de l’actualité politique, économique, nationale et internationale; la connaissance des écoles (caractères spécifiques, cursus,

Page 22: sujet de dissertation.docx

formation, information sur l’environnement socio-économique) la connaissance des milieux socioprofessionnels. 

  L’entretien requiert en effet:

1 • la connaissance de l’école présentée (formation, région) et plus généralement celle de l’univers de l’entreprise et des fonctions tenues à l’issue de l’école (marketing, vente, audit, gestion des ressources humaines) dont on peut exiger une connaissance assez précise de la part des candidats sans y consacrer la totalité de l’entretien.

2 • un intérêt au monde contemporain et à l’actualité. Ce n’est pas une épreuve de connaissances mais la culture générale y est décisive (idées, sociétés). Le candidat doit révéler ses qualités intellectuelles. Avec l’écrit (contraction et synthèse exigent autant de culture que de technique) la culture générale est la clé de l’intégration

3• l’expression de la personnalité : motivations, dynamisme, capacité d’engagement, qualités relationnelles, aptitude à la communication.

 

Muni d’un éventuel questionnaire à remplir complètement, et à la suite d’un exposé de 5 ou 10 mn qui n’existe pas partout, le candidat mène un échange avec le jury, de 30 à 50 mn, et se présente : cursus, intérêts, motivations. La présentation matérielle doit être brève et efficace. Qui est-on ? Pourquoi est-on là ? Les expériences concrètes et leurs apports, la description brève des stages, avec leur vécu, leurs bénéfices et leurs conclusions doivent être nécessairement évoqués. On doit se garder des généralités vides, allusives, mais aussi des détails insignifiants. Préparez de petits « tiroirs » sur vos expériences et vos intérêts, exposés en quelques minutes mais sans vouloir à tout prix caser tel topo fastidieux. Il faut éviter de tout polariser autour d’un seul centre d’intérêt ou d’engager un exposé académique pesant. Choisissez quelques temps forts de vos activités; soyez intéressé vraiment par certains sujets, évoquez des images, des expériences humaines retenues de tel ou tel voyage, confrontez l’imaginaire et le réel de tel ou tel pays. La totalité de la culture générale doit être convoquée monde contemporain, actualité, idéologies (cf. la technocratie), régimes, partis et syndicats, institutions, chronologie, mythes et doctrines politiques et économiques (mercantilisme, colbertisme, physiocratie), formes juridiques de l’entreprise, faits de société, milieux (cadres, patronats, classe ouvrière), mentalités, traditions, débats (l’école et la vie ; les cultures et l’occidentalisme universaliste), générations intellectuelles, histoire des médias, modes, lieux de vie, de mémoire, caractères généraux du milieu d’origine (ville, département, région), géographie parisienne et régionale, quotidien, actualité économique, fiscalité, taux, salaires, pouvoir d’achat, TVA, chômage, CSG, ordres de grandeur, déficits), formules (l’exception française), slogans, devises, citations.

Il faut absolument proscrire les clichés et lieux communs médiatiques, tels: « l’obscurantisme » du passé, l’écologie comme folklore, la vertu du juste milieu, la rhétorique sur les « dérapages », l’art réduit à une évasion divertissante, l’image de l’islam dans les médias, les vertus extraordinaires du libéralisme à l’Est, la confusion dictature-totalitarisme, les lamentations sur les historiens et journalistes subjectifs, le modèle américain, l’évidence du Progrès et de la technique « neutre », les Français paresseux, les Japonais actifs, les syndicats archaïques et superflus...

Page 23: sujet de dissertation.docx

Quelques questions peuvent être posées sur vos études, sur les sujets, les textes qui vous ont intéressé, les films vus, vos lectures: toute la presse et des textes d’intérêt socio-politique ou culturel significatifs, de préférence... 

Comment conduire l’entretien et s’y impliquer?

Ne soyez ni passif ni désabusé, ni rigide ni conformiste. Il faut savoir intégrer les objections du jury, comprendre ses réactions et pressentir ses attentes. Dans cette optique, une solide culture générale s’impose puisqu’il faut maîtriser tous les arguments de tous les débats contemporains (ex occidentalisme / autres cultures; civilisation US f culture européenne; les mythes dans la culture de masse; Eurodisney; le nouvel ordre mondial; les limites de la démocratie; la politique des transports; l’aménagement du territoire...). Essayez de percevoir comment vous êtes perçu pour « corriger le tir » s’il le faut, interrogez vous sur l’image que vous renvoyez au Jury. Ni passif ni toujours agressif, le jury n’apprécie guère les candidats trop « coincés », conformistes, sans ouverture ou sans motivation nette. Il faut soutenir l’intérêt, rythmer ses propos, créer et maintenir le contact, sans oublier ou trop privilégier un membre du jury: il faut les regarder tous (ne pas trop rester dans ses notes au cours de l’exposé). Il faut répondre efficacement et assez rapidement aux questions, déplacer ou élargir un peu le débat sans l’escamoter, surtout ne pas laisser le jury vous relancer sans cesse, donc ne pas subir. Il faut tenir 50 mn au plus, ne pas chercher immédiatement la prestation exceptionnelle (50 mn c’est long), s’adapter au rythme calme ou tendu, aux attitudes diverses du jury. Sachez distinguer les questions ouvertes ou fermées, ou « miroir ». Ne dites pas forcément ce que l’on veut vous faire dire, ceci pour éviter les contradictions, mais comprenez les idées avancées par le jury. Ne dites pas que vous aimez ou que vous détestez ce que vous ne connaissez pas (ex des doctrines caricaturées). Ne considérez pas qu’il existe une ligne imaginaire et idéale du parfait candidat (jeune cadre dynamique, marchés à l’Est, supermarché mondial) mais pensez quand même à un certain profil d’entreprise : dans le contexte actuel, les écoles veulent surtout des candidats bien orientés. Restez qui vous êtes, livrez votre personnalité, au-delà du cadre un peu rigide de l’entretien. Soyez naturel sans ton sentencieux ou familier. Evitez les lieux communs, le « juste milieu » et autres clichés. Evitez les attitudes physiques relâchées ou repliées et crispées. Maîtrisez votre nervosité et gardez pied face à des questions choquantes qui seront plus lancées que vraiment abordées profondément.

 Pour s’impliquer, il faut avoir réfléchi sur soi-même, bien connaître certains sujets, être réellement motivé. N’oubliez pas de synthétiser les points forts de votre candidature.

                                                                      Gilbert Guizlain

Dissertation rédigée de culture généralePeut-on avoir raison seul contre tous ?

Toute manifestation d’une pensée individuelle, face aux autres, passe par la conviction d’avoir raison. Mais avoir raison, c’est autre chose qu’être convaincu d’avoir raison. Car cela suppose que l’interprétation que je donne des faits peut êtrevérifiée, et donc qu’elle a une valeur autre qu’individuelle et subjective. Comment peut-on dès lors prétendre avoir raison tout seul, contre tous? Admettre, par hypothèse, qu’une telle expression a un sens (et partant qu’elle recouvre certaines situations réelles) c’est donc se retrouver face à une contradiction. Une pensée peut-elle être valable en droit pour tous, sans être reconnue de fait par tous? Qu’est-ce qui fonde la validité rationnelle d’une pensée, et en quoi diffère-t-elle de son éventuel pouvoir de conviction?

On sera ainsi conduit à poser le problème plus général de la relation entre la rationalité de la pensée et sa condition concrète d’expression et de communication.

 

Il est naturel d’accorder à une opinion communément partagée une validité immédiate. Le fait, empiriquement vérifié à chaque instant, que nous ne vivons pas chacun de notre côté dans une sorte de monde privé, mais dans un monde commun, est la base de cette autorité de l’opinion commune, qui commence avec les évidences premières des sens. En effet, si tous voient la même chose que moi, il va de soi que ce que je vois n’est pas une hallucination. Soutenir, comme on dit, “en dépit du bon sens” (qui, dit Descartes, est “la chose du monde la mieux partagée”) que l’on est dans le vrai alors que tous les

Page 24: sujet de dissertation.docx

autres se trompent, est le propre de l’insensé. Il en va ainsi de Don Quichotte de la Manche, le héros de Cervantès et le premier grand personnage de la littérature (donc de la fiction) occidentale moderne, qui, se prenant lui-même pour un chevalier des temps héroïques, voit un géant armé là où tout le monde voit des moulins, et dont les déconvenues- issues précisément de cet entêtement à se croire dans un roman de chevalerie -sont interprétées par lui comme autant de pièges maléfiques tendues par quelque enchanteur jaloux.

Mais les choses sont moins simples. Car il arrive à Don Quichotte de dire dans son délire, comme le remarque son écuyer Sancho Pança, des choses très sensées, peut-être plus sensées que certaines des opinions qui vont de soi pour tous les gens prétendument raisonnables. Parce que l’opinion commune est admise par tous, elle est par excellence ce qui va de soi et se passe de toute justification; il lui suffit d’être reçue et ainsi de faire autorité. C’est précisément contre cette apparente évidence de l’idée admise communément que peut être invoqué, par un seul ou quelques uns, le fait d’avoir raison. Comment la conviction d’avoir raison peut-elle valoir contre ce qui est communément admis?

Prétendre avoir raison, c’est assurer qu’est vrai ce qui pourtant ne va pas de soi, et va même contre l’évidence immédiate. C’est recourir une instance capable de fonder le jugement que je prononce sur un fait ou une situation. Cette instance est précisément ce que nous nommons raison. Un discours est “fondé en raison” lorsqu’il rend compte d’un ordre propre à la chose dont il parle, et se conforme à cet ordre. Toute l’histoire de la pensée grecque montre un effort de distinguer un tel discours — où se révèle ce que la langue grecque nomme logos — de celui qu’inspirent les croyances naïves ou la conviction issue de mes sentiments immédiats. Cet effort a conduit les penseurs grecs, Platon en particulier, à opposer à la“doxa” — opinion ou semblance — cette tension de la pensée vers une saisie de ce qu’est “en soi” la structure propre d’un phénomène, indépendamment des jugements particuliers, conjoncturels et variables, qui sont portés sur lui. Ainsi Socrate ne cesse-t-il d’inviter ses interlocuteurs à effectuer ce passage de ce qu’ils croient être (le beau, comme dans l’Hippias majeur, ou la vertu, comme dans le Menon) vers ce qui est en vérité.Cet effort trouve sa réalisation la plus évidente dans les mathématiques. “Nul n’entre ici s‘il n ‘est géomètre” était, dit-on, la sentence écrite à l’entrée de l’école platonicienne, l’Académie; et les mathématiques sont restés pour nous le type même de l’intelligibilité rationnelle. Or que montrent les raisonnements mathématiques, tels qu’ils ont été systématisés, en particulier, dans les Eléments d’Euclide?

D’abord, la définition de propriétés qui appartiennent de façon invariable à tout objet déterminé (par exemple un triangle); ensuite, la mise en rapport systématique de ces propriétés selon des relations nécessaires. Ainsi est codifiée l’idée de démonstration nécessaire: démontrer c’est fonder une proposition B par référence à une proposition A dont B découle nécessairement.

Le propre de la pensée et du discours rationnels, même lorsqu’ils n’atteignent pas la nécessité absolue de la démonstration mathématique, est donc cette nécessité d’une construction distincte du caprice de mon esprit, et par conséquent en droit admissible par tout autre esprit que le mien. Dès lors comment expliquer une situation dans laquelle un individu aurait raison, alors que les esprits de ceux qui l’entourent ne voient pas — ou même refusent de voir — ce qui est rationnellement nécessaire?

La nature nécessaire pour tout esprit, indépendante de l’arbitraire de la subjectivité qui accompagne la pensée rationnelle, peut être nommée universalité. Les principes de la logique (principe d’identité, de contradiction, du tiers exclu), dégagés formellement par Aristote dans le cadre de sa théorie du syllogisme, sont à l’instar des axiomes et postulats d’Euclide en géométrie, les principes universels de toute pensée.’ Nous confondons souvent universel et général. Pourtant, Alain, dansHumanités, remarque que “ça n’est pas parce qu’une idée est très générale qu’elle est universelle”. Une croyance peut être générale dans l’humanité (par exemple aux fantômes); on ne la dira pas, sauf abus de langage, universelle. Inversement, “quand il n y aurait qu’un objet circulaire dans l’expérience humaine, le Cercle et le nombre π n’en seraient pas moins des idées universelles”.Autrement dit, la relation entre le cercle et πpeut être conçue par tout esprit selon une démarche nécessaire et identique. Est universel ce que doit reconnaître tout esprit, indépendamment du nombre des objets considérés, et des individus qui reconnaissent la validité du raisonnement. Que l’universalité puisse ne pas se confondre avec l’opinion générale est ici la contradiction qu’il faut résoudre.

Page 25: sujet de dissertation.docx

Dans le domaine où les relations formelles de la logique sont seules en cause, par exemple en mathématique, nous sommes prêts à admettre que le nombre de ceux qui admettent un raisonnement ne rajoute rien à la validité de ce raisonnement. Il suffit que chacun l’admette en vertu de sa rationalité interne. Mais comment en va-t-il dans d’autres domaines qui n ‘ont pas cette pureté formelle?

Dans Gorgias, Platon oppose “celui qui sait” en l’occurrence un médecin, et celui que les Grecs nomment le rhéteur, le spécialiste dans l’art de persuader une assemblée. En supposant que le rhéteur ne sache rien de l’art médical, il lui est possible toutefois de l’emporter sur l’homme de l’art, du moins, précise Platon, devant des ignorants. Il lui suffit de bâtir son discours en tablant systématiquement sur ce qui fait peur ou plaisir à ceux qui l’écoutent, autrement dit sur leurs passions. Le spécialiste raisonne. Le rhéteur persuade, c’est-à-dire produit une conviction subjectivement puissante, par ce qu’elle correspond à ce qui, dans la situation présente, coïncide avec les réactions immédiates et le caractère de ceux qui l’écoutent. Il lui est plus utile de savoir à qui il parle que de savoir de quoi il parle. Or Platon remarque également que le pouvoir de la persuasion est à son comble non devant quelques personnes choisies mais devant la foule. Par excellence, la fouie (le grec de Platon dit plus simplement encore oi polloi, “les nombreux”), agit et pense comme un troupeau: en elle ce sont les sentiments immédiats qui prédominent. Ainsi l’orateur Démosthène avait-il raison d’appeler ses concitoyens athéniens à se méfier du royaume macédonien et de ses ambitions de conquête. Mais il prêchait dans le désert, comme dit l’expression, devant une foule hostile à tout ce qui ressemblait à l’effort douloureux de faire face à la faiblesse politique et militaire des cités grecques. Or on raconte que le même Demosthène était certain d’avoir dit une imbécillité, lorsqu’à l’inverse tout le monde l’applaudissait. Quelle que soit la véracité de l’anecdote, son sens est clair: la conviction unanime n’a rien à voir avec la qualité rationnelle de ce qui est dit et jugé. Autrement dit, l’unanimité de fait ne se confond pas avec l’universalité — la validité reconnaissable en droit par tout esprit — d’un raisonnement, ou même avec son caractère pratiquement raisonnable. Corrélativement, il apparaît que la subjectivité peut être, et même est le plus souvent, l’apanage non de l’individu mais de l’ensemble collectif que le terme “tous” désigne, et que le pronom indéfini “on” (au sens où Heidegger parle d’une dictature du on) dit encore mieux. Alors en effet, comme Démosthène, ou comme le jeune colonel De Gaulle dans les années trente, montrant clairement et rationnellement, sur la base de faits connus de tous, la nature inédite de la future guerre avec l’Allemagne, mais sans être entendu de quiconque, il est possible d’avoir raison seul contre tous.

La résolution de la contradiction entre opinion généralement admise et universalité rationnelle repose, on l’a vu, sur le fait que l’opinion collective est le plus souvent un agrégat de croyances, de réactions subjectives, de représentations passionnelles. En ce sens on peut dire que la foule, et plus généralement la collectivité croit, espère, craint, admire ou hait, mais ne pense pas. Ainsi la nécessité rationnelle d’une conclusion peut très bien ne pas convaincre ceux à qui de fait elle est adressée; alors même qu’en principe tout esprit humain doit l’admettre. On touche ici au fond du problème posé, qui est la condition concrète de communication de la pensée, autrement dit l’expression de la validité d’une pensée (définie par la raison) dans un pouvoir de convaincre. La pensée rationnelle peut-elle se passer d’avoir à convaincre?

La leçon que Platon tire dans le Gorgias trouve son pendant dans la célèbre allégorie qui forme la base du livre VII de laRépublique. Celui qui s’est délivré des chaînes qui le maintiennent en face de ces ombres représentant les opinions, liées aux passions, fait l’expérience douloureuse d’être ébloui par ce qu’il ne connaît pas. D’abord il lui semble que ce que tous voyaient dans la caverne a plus de solidité et de vraisemblance que ce quil voit en s’approchant de la source de lumière. Le passage à l’intelligible (à la lumière) est un effort douloureux de conversion que seul l’individu peut entreprendre.Mais cette nécessaire individualité de l’effort de réflexion (avec la part de doute et d’esprit critique que toute vraie réflexion comprend) peut-elle se passer de toute communication? Revenons au point de départ : avoir raison c’est nécessairement vouloir convaincre autrui. Une pensée incommunicable à tout autre esprit que le mien ne peut prétendre à l’universalité, tel qu’elle a été définie plus haut. Mais comment réaliser les conditions concrètes d’une telle communication, d’une raison commune ? Non pas en s’adressant à tous mais à chacun. La forme concrète que peut prendre cette épreuve concrète de la validité de ma propre pensée face à autrui est le dialogue. Ainsi Gaulée, au moment même où tous, pour des raisons qui tiennent moins d’ailleurs au dogme qu’au conformisme et aux luttes de pouvoir à l’intérieur de la hiérarchie catholique, se heurte à l’incompréhension générale, ce sont quelques amis, quelques esprits éclairés qui lui permettent, par la vertu du dialogue, de poursuivre et d’approfondir sa pensée. Il n’y a guère que la pure logique qui puise être un exercice totalement solitaire: mais elle est

Page 26: sujet de dissertation.docx

pure former vide de tout contenu concret. Déjà l’exercice de la pensée mathématique suppose l’épreuve critique de la pensée d’autrui : c’est dans sa correspondance avec Fermat, que Pascal jette en 1654 les bases du calcul des probabilités. De même Kant disait qu’il n’y avait aucune proposition de la Critique de la raison pure qui n’ait été discutée avec son ami le négociant Joseph Green. Le dialogue est ainsi la forme même de toute pensée qui, passant par la médiation de la réflexion rationnelle doit s’opposer à soi pour se construire, à la différence del’immédiateté de la croyance ou de l’opinion. Le dialogue suppose une dualité, ou plus largement une pluralité d’individus faisant personnellement l’effort de la réflexion.Distinguer entre pluralité et collectivité indéterminée formée par la masse ou la foule permet ainsi de résoudre une difficulté contenue dans ce qui a été donné comme point de départ: la valeur généralement admise de l’opinion majoritaire. Celle-ci trouve son expression la plus visible dans l’institution démocratique. Mais depuis l’Antiquité l’ambiguïté profonde de la démocratie a toujours été signalée: est-elle le gouvernement raisonnable par excellence, ou celui de la foule ignorante, prompte à suivre les démagogues ? En effet, si le vote majoritaire est en soi une procédure raisonnable de réduction de plusieurs volontés à une seule, rien n’assure que la décision prise soit rationnellement la meilleure. On sait qu’une démocratie dans un peuple formé d’une masse illettrée, offerte à toutes les manipulations, est une caricature. La solution réside alors dans ce qui soutient l’institution : l’existence d’une opinion publique éclairée, qui tend — idéalement — à être non une masse réagissant mais une pluralité d’individus capables de penser par soi-même. C’est pourquoi “oser penser par soi- même” est la formule qui pour Kant (dans l’opuscule Qu’est-ce que les Lumières?), résume l’esprit des Lumières.Si le principe même de pensée rationnelle ne fait qu’un avec celui d’universalité, alors toute pensée rationnelle est a prioricommunicable. Aucune pensée ne peut se passer de l’effort d’être compris par un autre esprit humain. Mais cette “communicabilité” essentielle se heurte aux conditions qui forment la publicité de fait d’une pensée: ainsi ce qu’on croit, ce qui convainc immédiatement n’est pas ce que la raison enseigne. C’est pourquoi je peux avoir raison seul contre tous, quand “tous” ont la forme de la foule ou la masse. Mais non contre ceux qui, pensant personnellement, forment les interlocuteurs avec lesquels je dois être nécessairement en dialogue.

Epicuriens et stoïciens : idéal d’ataraxie À la suite d’Aristote, deux écoles philosophiques s’opposent sur la nature du bonheur. Chacune retient une leçon différente de l’Ethique à Nicomaque d’Aristote : pour les épicuriens, le bonheur consiste dans le plaisir; les épicuriens sont hédonistes. Pour les stoïciens, seule la vertu peut apporter le bonheur.1. Les plaisirs naturels selon Épicure : Épicure (-342 à -270), fondateur de l’école qui porte son nom, explique sa doctrine du bonheur dans la Lettreà  Ménécée. Nous résumerons très rapidement sa position : La pensée d’Epicure n’est pas absolument dépourvue de pessimisme, puisque sa définition du bonheur est surtout négative : éviter la souffrance. Cela dit, il pense qu’il est possible d’y parvenir sans ascétisme, sans réprimer quoi que ce soit en l’homme. Une fois parvenu à cet état, l’homme sera sans aucun trouble, sans inquiétude et sans douleur : c’est l’ataraxie, état du sage dont l’épicurisme et le stoïcisme partagent l’idéal.

 

Le remède naturel à la souffrance étant le plaisir, la voie du bonheur n’est pas difficile à tracer. Mais encore faut-il que ce plaisir vienne satisfaire un désir naturel, c’est-à-dire un désir qui ne soit pas insatiable. Les désirs naturels, pour Epicure, ont des seuils de satisfaction : lorsqu’on les assouvit, on parvient à un certain point de plaisir auquel le désir cesse, et on est rassasié. Suivre ses désirs naturels permet donc de parvenir au bonheur. En revanche, certains désirs, ceux que nous dépravons, sont vains : ils sont à proprement parler vides, ils n’ont aucun seuil de satisfaction. On peut les assouvir sans retenue, ils ne seront jamais satisfaits, ils nous laisseront toujours en souffrance. Par exemple, l’amour des richesses est un désir vain : car à quel moment peut-on dire que l’on a assez de richesses ? Pourquoi pas en avoir encore davantage ? Mais on ne répond jamais à cette question : un oui conduit à la réitérer encore. On va ainsi à l’infini, sans limite, mais toujours en souffrance.

 2. Les stoïciens : une recherche de l’absolu : Les stoïciens sont beaucoup plus exigeants que leurs adversaires épicuriens sur la définition du bonheur. Ils soutiennent qu’il n’y a de bien qu’absolu et sans mélange : de même que le chaud ne peut se mêler au froid, le bien ne peut se mêler d’imperfection ou de mal. Une vie vraiment bonne, vraiment réussie, c’est une vie sans aucun défaut. Par conséquent, le bonheur c’est la vertu, et non le plaisir. Le plaisir est par essence imparfait, car il ne concerne que l’individu etne le satisfait jamais qu’un temps ; non, le vrai bonheur humain est celui des dieux.

Page 27: sujet de dissertation.docx

L’incarnation du bien, pour le philosophe stoïcien, c’est le sage, qui jouit d’une impassibilité et d’une ataraxie parfaites, comme les dieux.

Tout en étant extrêmement exigeants sur le bonheur, les stoïciens sont plutôt pessimistes sur la nature humaine : la vraie plénitude n’est pas à sa portée. Etre vertueux n’est plus seulement, comme pour Aristote, réaliser les capacités humaines et donner l’image d’un être humain épanoui. Pour les stoïciens, l’homme fait partie d’un tout plus vaste qui l’englobe, et qui est le seul être vraiment parfait : le monde entier, qui pour eux est un être vivant, un véritable dieu — en fait le seul vrai Dieu. On retrouve ici la même exigence peut-être démesurée de perfection absolue, mais cette fois dans le domaine de la physique : le monde est un vivant entièrement rationnel et parfait, où tout est à sa place, et qui réalise le bien absolu. Alors pourquoi le mal, pourquoi l’imperfection? Cela vient uniquement de nos limites, du fait que nous ne sommes qu’une partie de ce tout parfait : ce qui est bon pour le tout peut être mauvais pour une de ses parties. Ainsi la vertu n’est pas seulement le moyen de réaliser le plein épanouissement de l’homme mais aussi la volonté de se soumettre à un ordre total qui nous dépasse. Seul pourra être heureux l’homme qui dit « oui » au destin, qui acquiesce à cet ordre du monde qu’il ne maîtrise pas.

 Il reste que le sage est semblable à un dieu. Comment comprendre une telle gageure? Comment l’homme, être dépendant de tout pour sa survie, pourrait-il se suffire à lui-même ? Pour répondre à cette question, les stoïciens reprennent une vieille distinction grecque, entre « ce qui dépend de nous » et « ce qui n’en dépend pas ». La fortune, le hasard, les circonstances de la vie, voilà par excellence ce qui ne dépend pas de nous ; les stoïciens y ajoutent la santé, la richesse, le plaisir, la beauté... Que reste-t-il qui dépend vraiment de l’homme? Sa pensée, ses idées, son jugement; ou comme le dit Epictète au tout début de son Manuel: « nos jugements, nos tendances, nos désirs, nos aversions ». Les stoïciens inventent ici ce qu’on appellera à partir du XVIIe siècle la conscience : le domaine intérieur et subjectif des pensées, des jugements et des valeurs de chacun. Le sage est celui qui sait maîtriser entièrement sa propre pensée, son propre jugement; confronté aux assauts du monde, son «domaine intérieur »reste inébranlable ; là, le sage est vraiment « roi » et « invincible ». C’est donc dans la «forteresse» intérieure invincible de son intériorité que le sage est heureux.

Evolution de la tragédieI- La tragédie antiqueDans l’Antiquité, les tragédies étaient liées au culte du dieu Dionysos. A l’origine, un chœur célébrait le dieu en évoluant autour de son autel. Puis la présence d’acteurs permit les dialogues. Le premier à les introduire fut Eschyle (Ve siècle av. J-C); Sophocle, puis Euripide augmentèrent leur importance, diversifiant les sujets, et faisant de l’homme un héros. Les représentations tragiques sont de véritables cérémonies religieuses : le théâtre en demi- cercle, à ciel ouvert, contient jusqu’à 20 000 places ; les acteurs déclament; leur lourd costume, les masques, les chaussures qui les grandissent, leur donnent jeu solennel et saisissant. Les thèmes sont pris dans les légendes de la Grèce. Ils montrent l’Homme aux prises avec des forces qui le dépassent: la nature, les dieux, les autres hommes ou l’hérédité. Des héros comme Oedipe ou Oreste incarnent les problèmes de la responsabilité de l’Homme face à la fatalité, de sa révolte ou de sa soumission à la volonté des dieux. Antigone de Sophocle montre le combat pour la justice.

 

II - La tragédie classique1 - L’imitation des Anciens :      par admiration pour l’Antiquité, le XVIIe siècle s’inspire de la tragédie antique et emprunte la plupart de ses sujets tragiques à l’histoire grecque ou romaine (Corneille, Racine). Il renoue également avec les grands thèmes tragiques de la révolte(Horace), de l’opposition à des forces adverses (Andromaque), de la fatalité (Phèdre). Il

Page 28: sujet de dissertation.docx

conserve aussi, de l’Antiquité, le caractère cérémonial: une action simple et noble, une langue poétique et majestueuse.2 - Les traits caractéristiques :   genre noble par excellence, la tragédie est strictement codifiée par les Doctes à la suite de la querelle du Cid. Elle doit répondre à plusieurs impératifs:être écrite en vers, en langue soutenue comporter cinq actes (l’Acte I est celui de l’exposition, les trois suivants font progresser l’action dramatique jusqu’à la catastrophe, le dernier contient le dénouement). Elle doit se terminer par un dénouement malheureux, la mort. Les personnages doivent être illustres ou d’un statut social élevé (héros légendaires, rois, princes); l’action doit se situer à une époque passée (la mythologie, l’Antiquité, l’histoire biblique). Elle obéit strictement à la règle des trois unités:• l’unité de temps : l’action est concentrée sur une durée de 24 heures au plus •   l’unité de lieu : l’intrigue se déroule d’un bout à l’autre dans le même lieu (un palais, une antichambre); •     l’unité d’action : l’action est composée d’une intrigue unique. Ces unités donnent à la tragédie classique une grande intensité dramatique. Mais celle intensité passe par les ressources du dialogue essentiellement: en effet, la violence ne doit pas être montrée sur le théâtre. Les scènes de combats ou de meurtres font l’objet de récits.3. Les fonctions de la tragédie :     selon le philosophe grec Aristote (IVe siècle avant J-C.) la tragédie doit inspirer la terreur et la pitié. Son but est la catharsis, c’est-à-dire la purgation des passions. Le spectacle des malheurs du héros conduit le spectateur, par la terreur et la pitié, à se libérer de ses propres passions. C’est là une fonction initiatique et purificatrice. A ces sentiments de terreur et de pitié, Corneille ajoute l’admiration. Le héros cornélien, en effet, a une fonction de modèle. Avec Racine, la tragédie exprime une vision plus pessimiste de la condition humaine, où le personnage est victime de lui-même, de ses propres pulsions, autant que du destin. La différence avec Corneille se révèle particulièrement au cours du conflit tragique. Ce moment de crise est l’occasion pour le héros cornélien d’affronter le destin dans un f ace à face héroïque. Le personnage racinien au contraire assiste à la défaite de sa volonté. La fonction primordiale de la tragédie devient alors l’émotion.III - Evolution historiqueAu XVIIIe siècle, Voltaire, par admiration pour Racine, écrit encore de nombreuses tragédies. Au XIXe siècle, les Romantiques rejettent les règles classiques comme contraires à la vraisemblance. Victor Hugo les ridiculise dans la célèbre préface de Cromwell. La tragédie n’existe plus au XXe siècle, mais le tragique demeure et le théâtre reste son mode d’expression privilégié. Les thèmes développés rattachent ce tragique moderne aux tragédies antiques : la liberté, la révolte, la solitude humaine. Certains écrivains s’inspirent directement des mythes antiques et donnent une interprétation moderne des tragédies grecques.

Consulter plus d'articles sur le même sujet

a société, un terme vague impossible à définir?

Page 29: sujet de dissertation.docx

«Changez la vie, changez la société », « la société française va mal», «la société de philatélie se réunira jeudi prochain » : autant de locutions dans lesquelles la réalité désignée semble aller de soi. Pourtant une simple réflexion sur chaque énoncé nous met en difficulté. S’il est possible de dire que le mot renvoie à une association d’individus, l’embarras commence dès que l’on tente d’approfondir cette première approche. En effet, les associations en question n’ont pas grand chose à voir les unes avec les autres. La première renvoie à un état général de la condition humaine aux contours imprécis (l’homme vit avec ses semblables, il parle, échange, etc.) ; la deuxième à une réalité délimitée sur le plan géographique (un ensemble circonscrit dans l’espace se caractérisant par des mœurs communes) ; la troisième à une organisation instituée en vue de la satisfaction d’une passion partagée. Puisque le même terme s’applique à des types d’association très différents, c’est qu’il dénomme moins un collectif précis qu’un ensemble flou dont l’unité est assurée par certaines relations. Autrement dit, tout ensemble n’est pas une société, mais n’importe quel ensemble peut l’être, dès lors que ses membres sont unis d’une certaine manière. On arrive donc à une définition qui ferait les délices de Monsieur de La Palice : une société est un ensemble d’individus liés par un lien dit «social».

La société se définit par ce qu’elle n’est pas

Pourtant cette tautologie désespérante nous dit en creux plus qu’il n’y paraît. Le terme de lien s’oppose à l’idée qu’une société soit un simple «tas»: les grains de sable, simplement juxtaposés, ne font pas société. Le «tas» explicite la menace qui pèse sur toute société: celle de la dissolution. Une force centrifuge peut détacher les individus les uns des autres et transformer la société en une simple collection d’atomes. Le terme d’individu, pour sa part, s’oppose à l’idée que la société soit un «tout» absolu. Parlant des cellules qui composent mon corps, je ne dirais pas qu’elles font société. Elles ont certes une certaine individualité mais elles manquent de l’autonomie nécessaire pour être membres d’une société : elles sont comme fusionnées. Ici la force centripète a eu raison de la société, amalgamant ses membres en une unité absolue. Puisque la définition de la société est « quelque part» entre ces deux extrêmes, nous pouvons alors comprendre le problème qu’elle pose et les querelles qu’elle suscite : toute thèse sur la question repose toujours sur la décision de placer le curseur plus d’un côté que de l’autre, de se rapprocher du tas ou du tout!

Ayant vu où réside le cœur de toute problématique, il nous est maintenant possible d’examiner les trois grands axes sur lesquels se distribuent la plupart des sujets envisageables.

1 La société entre nature et culture

La question du caractère naturel ou artificiel de la société sera supposée par bien des sujets. Existe-t-elle à la manière des êtres vivants, se développant de manière spontanée, comme le soutient le naturalisme? Ou bien est-elle le produit d’un artifice humain, comme le soutient le contractualisme ? Cette opposition claire doit cependant être précisée, notamment du fait de l’histoire de la pensée qui introduit un risque de confusion lorsque l’on veut utiliser les auteurs. Trois grandes positions peuvent être dégagées dans le débat actuel.

Le naturalisme traditionnel

Cette position, soutenue par la plupart des grands philosophes de la Grèce antique et du Moyen Âge, continue à être adoptée de nos jours par ceux qui s’inscrivent dans cette tradition. L’analyse d’Aristote qui recourt à la finalité de la nature pour montrer que l’homme est un animal politique, est ici emblématique. Elle entend d’une part que l’homme, depuis toujours et à jamais, vit en société, ne pouvant être homme en dehors d’elle, et d’autre part que, par nature, sa sociabilité a une essence spécifique, qui le distingue radicalement des membres des autres sociétés animales : il possède par exemple une raison, une conscience, un langage, bref quelque chose que les animaux n’ont pas et qui détermine un mode d’être social à nul autre pareil. Ici la question de l’origine de la société ne se pose pas : le problème central est celui de la bonne société puisqu’en fonction de la vraie nature humaine, bien comprise, il existe nécessairement un mode d’existence social plus adéquat qu’un autre à cette essence de l’homme.

Le contractualisme moderne

Page 30: sujet de dissertation.docx

Si les sophistes grecs ont compris la société comme le résultat d’une convention, refusant de souscrire à son caractère naturel, il appartient aux philosophes modernes, notamment Hobbes et Rousseau, d’avoir thématisé en tant que telle la notion de contrat. Bien que leurs analyses présentent des différences que vous devrez maîtriser, elles soulignent, toutes deux, le caractère artificiel de la société. Loin d’être une réalité toujours déjà donnée, la société est établie par un pacte social. Ici la question de son origine se pose, et de manière cruciale : qu’est-ce qui a poussé l’homme à sortir de l’état de nature pour entrer dans l’état civil? Ainsi comprise comme une construction artificielle, la société apparaît infiniment plus plastique. À l’existence d’un modèle unique idéal se substituent plusieurs modes possibles, en fonction de la libre créativité de l’homme et de ce que les circonstances exigent, ce qui ne revient pas bien sûr à justifier tout type de société. Cette position est pour notre société la conception dominante.

Le naturalisme scientifique

C’est en quelque sorte l’invité surprise qui perturbe quelque peu le débat parfois un peu trop simple opposant les deux premiers. Vous ne pouvez l’ignorer au vu de l’importance de la science aujourd’hui et vous ne devez surtout pas le confondre avec le premier: en effet, la position traditionnelle admet peu ou prou le caractère «extraordinaire» de l’homme, ce que refuse l’orthodoxie scientifique. Qu’est-ce à dire?

Dans la mesure où la méthode scientifique récuse le finalisme, cette conception, qu’il ne faut pas caricaturer, ne nie pas que l’homme possède des particularités mais les inscrit dans le prolongement d’une nature, notamment animale, avec laquelle on ne rompt pas. Or ce naturalisme est en quelque sorte contre-intuitif: comme Spinoza l’a remarqué, l’homme est spontanément anthropocentré, se croit «un empire dans l’empire », libre, poursuivant des valeurs et répugnant à dépasser ce qui, pour ce philosophe, est pure illusion. On notera que les sciences sociales sont particulièrement travaillées par ce débat. À côté d’une sociologie «scientifique », voire scientiste, défendue notamment à l’origine par Spencer, existe une autre option méthodologique: celle prenant au sérieux le caractère non naturel de la société et prônant, par conséquent, l’invention d’une méthode scientifique originale. Ainsi la sociologie herméneutique élaborée par Dilthey considère que les phénomènes humains peuvent se comprendre et non s’expliquer, en raison de la conscience et de la liberté humaines.

2.  L’organisation de la société: fondement et valeur

Un deuxième grand type de sujets portera sur la question du fonctionnement et de la légitimité de la société. Pour y répondre, il est indispensable de maîtriser les rapports entre l’individu, la société civile et I ‘État. La distinction entre les deux derniers termes, relativement tardive dans l’histoire des idées (ce sont les théoriciens des Lumières écossaises — Hume, Smith, Ferguson — qui ont thématisé pour elle-même la société civile comme sphère de relations non étatiques au XVIII siècle), ne saurait être méconnue aujourd’hui.

La place et le rôle de l’individu dans la société

Un certain nombre de sujets porteront sur le rapport entre le tout, la société, et ses parties, les individus. À la position holiste (le tout est plus que la somme de ses parties) s’oppose la position individualiste ou atomiste (le tout n’est rien de plus que la somme de ses parties et se rapproche du tas). On peut exprimer ce problème de multiples façons. Qu’est-ce qui est premier : l’individu ou la société? Il ne s’agit pas bien sûr de s’interroger sur une primauté réelle, chronologique, mais sur une primauté logique, conceptuelle. Et cette primauté, qui recoupe en partie l’opposition naturalisme / contractualisme, débouche immédiatement sur la question des valeurs : est-ce que l’individu, et son bonheur par exemple, sont le but de la société ou est-ce l’inverse, l’individu se devant alors d’être au service de cette société qui vaut plus que lui? Cette opposition s’applique à des questions très concrètes, comme l’organisation de la sphère des échanges. L’individu en est-il le moteur, la façonnant à son gré ou, au contraire, le produit en subissant ses lois? On aborde ici l’actualité brûlante, comme les problèmes du libéralisme économique.

Questions de gouvernement et de souveraineté

Les questions portant sur l’individu débouchent ainsi naturellement sur celles portant sur le gouvernement de la société par l’tat. Pour y répondre, il faudra vous demander quel doit être le

Page 31: sujet de dissertation.docx

fondement du pouvoir politique pour qu’il gouverne d’une manière souhaitable la société civile et que l’on puisse qualifier de juste la société politique ainsi formée. La philosophie politique, engageant des questions morales et juridiques, vous fournira des critères de légitimité (respect du droit naturel, efficacité, compétence des gouvernants, etc.) pour interroger des problèmes de société actuels comme l’inégalité de la répartition des richesses.

Traiter ce type de sujet vous obligera à porter des jugements de valeur. C’est toujours une mauvaise tactique, quand on vous demande de le faire, d’essayer une position « molle» en vous disant que cela vous garantit l’indulgence du correcteur: cela risque surtout de faire une copie confuse, passe- partout, qui rate la radicalité du problème. Vous avez donc intérêt, sur ces questions politiques, à vous forger avant l’épreuve vos propres solutions. Aucune ou presque n’est interdite : mais bien évidemment, plus vous vous éloignez des réponses attendues, plus il faudra adopter un ton mesuré, être informé pour ne pas caricaturer l’adversaire et argumenter pour ne pas lui opposer une simple fin de non recevoir.

3. La société et ses constituants: le monde social

Les sujets sur la société sont susceptibles de porter sur l’ensemble des phénomènes humains pour autant que les hommes vivent toujours en compagnie les uns des autres. Ainsi un certain nombre d’énoncés vous demanderont-ils d’effectuer un gros plan sur un des constituants de la sphère sociale, qu’il s’agisse d’un ingrédient ou d’une relation. Si, en droit, la liste est infinie (l’art, la morale, la connaissance, les mythes, la politesse, etc.) et que les sujets portant sur ce champ exigent un minimum de connaissances spécifiques, il ne faut cependant pas céder à la panique.

Tout d’abord, utilisez les ressources de la culture commune : si un terme vous semble anecdotique, voyez ses emplois en français, les expressions toutes faites dont il fait partie et ses champs d’utilisation. Vous vous apercevrez alors qu’il renvoie à un élément majeur constitutif de la société.

Dès lors, vous aurez de quoi le raccrocher aux problématiques solides des axes précédents, qui vous permettront de donnez consistance au sujet, même si au départ la question semblait anecdotique.

Enfin, et c’est pourquoi le travail au cours de l’année est indispensable, il y a de grande chance que vous ayez rencontré cet élément sous une forme ou sous une autre lors de votre préparation : un sujet général vous demande toujours, en effet, de développer des arguments, et ces derniers s’appuient bien souvent sur un domaine particulier de la société qui illustre ou vérifie votre thèse générale. En vous entraînant régulièrement, vous éliminerez quasiment le risque de faire le grand saut dans l’inconnu.

Extrait de La société, ouvrage collectif, H&K, 2011

ProblématiqueQuelle est l’origine, et comment se manifeste le sentiment du tragique, dans l’art et la littérature?I. Le sentiment du tragique est associé à l’expression de la douleur.1. Le tragique est associé à la souffrance morale.Exemple : Dans les stances de Rodrigue, héros du Cid (1636) de CORNEILLE, répétition de « Ô Dieu, l’étrange peine »2. II caractérise une douloureuse hésitation.Exemple : Situation de dilemme: l’amour ou l’honneur, dans Le Cid; pour Titus, héros de Bérénice (1670) de RACINE, devoir de choisir entre amour et pouvoir politiqueII. Le sentiment du tragique est l’apanage d’une certaine catégorie des personnages1. Le héros tragique n’est jamais dépourvu d’une certaine grandeur.Exemple : Héros tragiques concernés par le tragique : personnages de haut rang (rois, reines, dieux) selonla Poétique d’ARISTOTE (4e s. av. J.-C.)

Page 32: sujet de dissertation.docx

2. Le héros tragique est un personnage en butte à une fatalité écrasante.Dans La Machine infernale (1934) de Jean COCTEAIJ, comparaison entre le destin tragique de la famille d’OEdipe (les labdacides) et un mécanisme que rien n’arrêteIII. Plus généralement, le tragique caractérise aussi la condition humaine1. L’idéalisme engendre naturellement un individu naturellement tragique.Exemple : Lorenzo, héros de Lorenzaccio (1834), d’Alfred de MUSSET, partagé entre la corruption où il vit et son idéal républicain2. Le Moi est, par définition, placé sous le régime de la division.Exemple : Dualisme de l’homme, partagé entre sa finitude et son désir d’absolu, l’un des thèmes centraux des Pensées (1670) de PASCALConclusionLe sentiment du tragique ne concerne pas seulement les auteurs tragiques de l’Antiquité ou de l’âge classique (17es.); il Caractérise les plus grands chefs-d’œuvre de notre culture, car II révèle l’un des aspects fondamentaux du rapport de l’être au monde.Sujet de dissertation :« La parole est l’ombre de l’action. » En quoi cette affirmation de Démocrite entre-t-elle en résonance avec votre lecture des œuvres au programme sur le thème de la parole? Analyse du sujet : Le sujet établit la confrontation entre deux termes, fréquemment opposés : la parole et l’action. La première est définie de façon absolue avec l’auxiliaire « être »  sous la dépendance de la seconde. En effet, l’action, capacité à transformer et à créer des situations nouvelles, présente un caractère tangible, on peur en percevoir physiquement ou concrètement les résultats, tandis que la parole se déployant dans une dimension verbale, ne se concrétise pas nécessairement en actes au-delà de la mise en œuvre du langage. D’où la métaphore de l’ombre qui relie parole et action. Elle se comprend à partir de la caractérisation de l’ombre relativement à son inconsistance, sa subordination à un corps et éventuellement son obscurité. La parole serait donc d’une réalité inférieure et subordonnée à celle de l’action, elle ne ferait que la suivre ou en être une projection inconsistante. L’ombre portée de la parole peut être aussi ce qui masque l’action.Problématique : La parole ne se définit-elle que par un rapport de dépendance vis-à-vis de l’action?

Dissertation semi-rédigéeIntroductionLe simple fait que, grâce à l’écriture, nous puissions encore être à l’écoute de paroles anciennes donne à penser qu’une continuité persiste dans notre rapport à la parole, et ce malgré les variations et les techniques nouvelles de la communication. Aussi quand Démocrite au Ve siècle avant Jésus-Christ affirme, «  la parole est l’ombre de l’action », nous pouvons encore entendre résonner ce propos qui a presque la valeur d’un adage. La définition donnée par le penseur présocratique, use d’une métaphore pour transposer les rapports d’un corps et de son ombre à ceux de la

Page 33: sujet de dissertation.docx

parole et de l’action. L’ombre, en effet, est sous la dépendance d’un corps, elle le suit et n’est pourvue d’aucune autonomie, insaisissable, elle en est aussi une projection « en négatif ». Obscure ou opaque, elle présente également une part d’indistinction qui peut la rendre trompeuse, quand, par exemple, on prend l’ombre pour la proie. En d’autres termes, et pour expliciter le transfert métaphorique, la parole serait strictement une manifestation extérieure de l’action qui n’aurait par de consistance propre et pourrait en avoir seulement l’apparence. De là, nous pouvons nous demander si la parole n’a effectivement aucune autonomie par rapport à l’action, si elle n’en est toujours qu’un dérivé, qu’un instrument ou qu’un faux-semblant. La subordination ou l’infériorité de la parole par rapport à l’action sera donc d’abord considérée, mais cela conduira à envisager ultérieurement l’hypothèse d’une action de la parole sur l’action elle-même, dans une forme de réciprocité que Démocrite semble avoir d’emblée écartée. Plus encore, la parole ne disposerait-elle pas, finalement, d’une portée d’action qui lui appartiendrait en propre, et par laquelle elle atteindrait son plein rayonnement? Plan de la dissertation :I. En quoi la parole est-elle subordonnée à l’action?a) la parole comme auxiliaire de l’actionb) l’ambiguïté de la parolec) l’action comme démenti à la paroleTransition: quand parole et acte ne s’accordent pas se produit une scission qui met en cause la parole elle-même.II. D’où : la parole n’agit-elle pas sur l’action?a) les effets de la paroleb) la mise à distance par la parole comme prise sur l’actionc) la parole et la connaissanceTransition : la parole porte à la conscience ce que nous éprouvons, elle assure par là le passage de la sensation à l’action.III. N’y a-t-il pas une action propre à la parole?a) ce qui doit être dit pour êtreb) la possibilité de dire ce qui se situe au-delà de l’action. Conclusion :Finalement, la parole n’est pas subordonnée à l’action, elle n’en est pas non plus l’ombre, elle peut la diriger, la maîtriser ou l’éclairer dans l’accès qu’elle ouvre à la connaissance. Elle peut même constituer une action à part entière, d’ailleurs les œuvres littéraires sont-elles autre chose que cette action ? On pourrait cependant concéder à Démocrite que dans les cas extrêmes, parfois désespérants, où aucune action n’est plus possible, il nous teste encore la parole. Alors, il est vrai, elle se présente comme la trace ultime de ce que peut faire ou peut être un homme.

Extrait de La parole, Ellipses, 2012La parole est la présence de la pensée dans le monde sensible

«!La parole n'est pas le « signe!» de la pensée, si l'on entend par là un phénomène qui en annonce un autre comme la fumée annonce le feu. La parole et la pensée n'admettraient cette relation extérieure que si elles étaient l'une et l'autre thématiquement données ; en réalité elles sont enveloppées l'une dans l'autre, le sens est pris dans la parole et la parole dans l'existence extérieure du sens.

Page 34: sujet de dissertation.docx

Nous ne pourrons pas davantage admettre, comme on le fait d'ordinaire, que la parole soit un simple moyen de fixation, ou encore l'enveloppe et le vêtement de la pensée. Pourquoi serait-il plus aisé de se rappeler des mots ou des phrases que de se rappeler des pensées, si les prétendues images verbales ont besoin d'être reconstruites à chaque fois ? Et pourquoi la pensée chercherait-elle à se doubler ou à se revêtir d'une suite de vociférations, si elles ne portaient et ne contenaient en elles-mêmes leur sens ?

Les mots ne peuvent être les "forteresses de la pensée" et la pensée ne peut chercher l'expression que si les paroles sont par elles-mêmes un texte compréhensible et si la parole possède une puissance de signification qui lui soit propre. Il faut que, d'une manière ou de l'autre, le mot et la parole cessent d'être une manière de désigner l'objet ou la pensée, pour devenir la présence de cette pensée dans le monde sensible, et, non pas son vêtement, mais son emblème ou son corps. (…) Des malades peuvent lire un texte en « mettant le ton!» sans cependant le comprendre. C'est donc que la parole ou les mots portent une première couche de signification qui leur est adhérente et qui donne la pensée comme style, comme valeur affective, comme mimique existentielle, plutôt que comme énoncé conceptuel. Nous découvrons ici sous la signification conceptuelle des paroles une signification existentielle, qui n'est pas seulement traduite par elles, mais qui les habite et en est inséparable. Le plus grand bénéfice de l'expression n'est pas de consigner dans un écrit des pensées qui pourraient se perdre, un écrivain ne relit guère ses propres ouvrages, et les grandes oeuvres déposent en nous à la première lecture tout ce que nous en tirerons ensuite. L'opération d'expression, quand elle est réussie, ne laisse pas seulement au lecteur et à l'écrivain lui-même un aide-mémoire, elle fait exister la signification comme une chose au coeur même du texte, elle la fait vivre dans un organisme de mots, elle l'installe dans l'écrivain ou dans le lecteur comme un nouvel organe des sens, elle ouvre un nouveau champ ou une nouvelle dimension à notre expérience.!»

Maurice Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception, p.211-212.

 

Dossier sur les Romances sans paroles de Paul Verlaine

Ecouter Romances sans paroles de Mendelssohn

Les Romances sans paroles ont été écrites entre le début de l’année 1872 et celui de l’année suivante, c’est-à-dire durant la période où le poète partage la vie de Rimbaud. Le recueil, en dépit d’une grande diversité de ton et d’une originalité poétique qui transcende l’anecdote et la confidence, est hanté par la présence de deux figures entre lesquelles Verlaine se trouve écartelé: celle de Rimbaud, le «compagnon d’enfer», et celle de sa femme Mathilde, qu’il a abandonnée non sans connaître ensuite la nostalgie et le remords.

Structure des Romances sans paroles

La première section du recueil s’intitule «Ariettes oubliées» et se compose de neuf poèmes dépourvus de titres. La deuxième section, «Paysages belges», comprend cinq poèmes écrits durant le vagabondage en Belgique puis le séjour à Bruxelles de Verlaine et Rimbaud, entre juillet et septembre 1872. Les titres de ces poèmes de l’errance et de la découverte jalonnent l’itinéraire du voyage: “Walcourt”, “Charleroi”, “Bruxelles. Simples fresques”, “Bruxelles. Chevaux de bois”, “Malines”. La troisième section est formée d’un seul long poème de vingt et une strophes constituées chacune de quatre décasyllabes: “Birds in the night”. Ce poème, que Verlaine avait d’abord songé à intituler “la Mauvaise chanson”, a un rapport direct et explicite avec l’événement vécu: adressé à la femme aimée, il évoque le souvenir d’une visite effectuée par Mathilde à Bruxelles pour tenter de reprendre son époux, ainsi que la nostalgie, la tendresse et la souffrance de ce dernier. La dernière partie du recueil, «Aquarelles», contient six poèmes aux titres anglais: “Green”, “Spleen”, “Streets”, “Child Wife”, “A Poor Young Shepherd”, “Beams”. Tous, sauf le dernier, ont été écrits en Angleterre, durant le séjour à Londres des deux amis.

Regarder Le film Verlaine et RimbaudSynthèse critique des Romances sans paroles

Page 35: sujet de dissertation.docx

Le titre du recueil, primitivement attribué à la seule première section, inscrit ce dernier au sein d’une continuité esthétique. Il jette un pont entre cette œuvre et la précédente puisque «Romances sans paroles» est le deuxième vers d’un poème des Fêtes galantes intitulé “À Clymène”. En outre, il établit une connivence culturelle plus large et une concordance entre poésie et musique puisque les Romances sans paroles sont des pièces pour piano de Mendelssohn. Ce titre en forme de citation pose donc le travail poétique comme primordial et invite sans doute à ne pas privilégier l’anecdote et la confession, pourtant sous-jacentes dans de nombreuses pièces. Sous l’influence de Rimbaud, Verlaine participe alors à la quête d’une «poésie objective» qui échapperait à l’emprise de l’expression subjective. La tournure privative «sans paroles» peut aussi indiquer ce souci d’évincer la confidence et le lyrisme. Essentielle, la mise à distance de l’aveu n’est toutefois que partielle. La référence personnelle est évidente dans “Birds in the Night”, mais le poème est isolé dans le recueil, tant par sa longueur que par le fait qu’il constitue à lui seul une section. Cette propension de la poésie verlainienne à glisser vers l’épanchement du moi intime se retrouve également dans des poèmes dont l’inspiration et la facture ne sont en apparence nullement ancrées dans la biographie. Par exemple, le balancement effaré du poète dans la deuxième ariette: «Ô mourir de cette escarpolette!», peut-il être déchiffré comme celui de Verlaine tiraillé entre l’«aurore future» promise par l’amour rimbaldien, le regret des «voix anciennes» et du «cher amour» connu auprès de Mathilde. La lecture de ces poèmes ne saurait toutefois se limiter à de tels décryptages, même s’ils sont quasi inévitables.

Un poème des Romaces sans paroles chanté par Billy Cowie

Les titres choisis par Verlaine invitent à établir des équivalences entre la poésie et la musique — «romances», «ariettes» — ainsi qu’entre la poésie et la peinture — «paysages», «aquarelles». Les notations auditives et visuelles sont abondantes dans les textes, et l’on connaît l’importance attachée par le poète à la musicalité des vers ainsi que son goût pour l’impressionnisme. Univers de l’immédiateté des sensations mêlées, cette poésie, qui s’écrit volontiers au présent et utilise fréquemment la synesthésie, note des impressions fugitives, captées par exemple au rythme d’un train qui passe: «L’avoine siffle, / Un buisson gifle / L’œil au passant» (“Charleroi”). Les choses imposent d’elles-mêmes leur présence que le poète se borne à enregistrer, et le caractère parfois rudimentaire de la syntaxe exprime l’évidence du monde. Ainsi, la phrase est souvent nominale: «Ô bruit doux de la pluie / Par terre et sur les toits!» («Ariettes oubliées», III). Ailleurs, une tournure présentative répétée affirme la présence des choses: «C’est l’extase langoureuse, / C’est la fatigue amoureuse, / C’est tous les frissons des bois» («Ariettes oubliées», I).

Les multiples objets évoqués dans les poèmes ne sont pas véritablement décrits en eux-mêmes. On assiste plutôt à une fusion de l’objet et du sujet, car la poésie verlainienne restitue avant tout l’impression ressentie. Le monde est comme fragmenté, le poète n’en retenant que les détails dont s’empare sa subjectivité, au gré de sa rêverie et de ses désirs: «Briques et tuiles, / Ô les charmants / Petits asiles / Pour les amants!» (“Walcourt”). Aucune frontière distincte ne sépare choses vues et sentiments éprouvés. L’univers poétique des Romances sans paroles mêle étroitement le moi et le monde, selon un processus d’analogie qui se transmue en véritable osmose: «Il pleure dans mon cœur / Comme il pleut sur la ville; / Quelle est cette langueur / Qui pénètre mon cœur?» («Ariettes oubliées», III).

La saisie immédiate du monde qu’effectue le poète est forcément partielle et fugace. Ainsi, cette poésie privilégie le vocabulaire de l’incertain, les nuances plutôt que les couleurs franches: «La fuite est verdâtre et rose» (“Bruxelles. Simples fresques”), «Le soir rose et gris vaguement» («Ariettes oubliées», V), les contours flous: «L’ombre des arbres dans la rivière embrumée / Meurt comme de la fumée» («Ariettes oubliées», IX), les formes indécises: «Comme des nuées / Flottent gris les chênes / Des forêts prochaines / Parmi les buées» («Ariettes oubliées», VIII). Là résident le paradoxe majeur et le pouvoir captivant d’une poésie toujours placée entre saisie et désaisissement, vouant aussitôt à leur perte les objets qu’elle convoque ou retenant un monde au bord de s’évanouir, tout comme la parole est au bord de s’effacer, à l’image de ce «fin refrain incertain / Qui [va] tantôt mourir vers la fenêtre» («Ariettes oubliées», V).

A. SCHWEIGER, Dictionnaire des oeuvres littéraires françaises, Bordas, 1994

Sujet de dissertation: Le langage exprime-t-il les idées ou les choses?

Page 36: sujet de dissertation.docx

 Introduction:

Que se passe-t-il lorsque nous parlons ? Qu’est-ce qui se communique à travers le langage : une subjectivité, avec ses idées et ses sentiments, ou au contraire l’objectivité du monde ? Parler, est-ce « s’exprimer », c’est-à-dire communiquer à autrui une intériorité, ce qui se passe en nous ? Ou bien parler, est-ce porter le monde au langage, décrire la réalité à travers des mots ? Comment s’articulent, dans le langage, la pensée et les choses ?

 I.  Le langage comme mise en paroles du monde.

 

A/ Le discours scientifique.

1. La science comme discours théorique visant à rendre compte de la réalité.

2. La science, constatant l’insuffisance du langage courant, est amenée à élaborer son propre langage (conceptuel ou mathématique) lui permettant de poser et de résoudre ses problèmes.

3.  Ce faisant, elle ne fait, selon la science classique, que déchiffrer le langage de la nature elle-même.

Citation : « La nature est écrite en langage mathématique. » (Galilée) C’est parce que la structure du monde est elle-même un langage (un ensemble de lois) que les mathématiques  peuvent nous Fournir l’instrument pour la déchiffrer. B/ L’interrogation philosophique. 1. Selon Platon, la philosophie apparaît avec l’étonnement que fait naître en nous le contact du monde.

2. Cet étonnement prend la forme d’un questionnement.

 Philosopher,  c’est éprouver e besoin de penser et de s’interroger au contact des choses et des autres.

3. Ce questionnement donne lieu à un dialogue avec autrui. La pensée « est le dialogue silencieux de l’âme avec elle-même ». (Platon) Loin que le dialogue soit seulement l’expression de ma pensée intérieure, c’est plutôt la pensée qui résulte d’une intériorisation du dialogue avec autrui.

4. Pour que le monde puisse être interprété, ne faut-il pas qu’il soit lui-même fait de signes, qu’il ait un sens que le philosophe n’ait plus qu’à déchiffrer? (Michel Foucault)

Citations : « le monde est une grammaire que Dieu nous parle. » (Berkeley) Pour comprendre le monde qui nous entoure, il n’est que de « lire dans le grand livre de la nature », (Descartes)C/La parole poétique.

1. La poésie est aussi un registre du langage tentant de rendre compte d’une expérience du monde.

EX : La parole poétique dans Le parti pris des choses de Francis Ponge.

2. Le langage, modelé sur les choses, est inapte à exprimer les nuances de la subjectivité. (Bergson)

3.  La poésie comme mise en œuvre du monde.

Citation : Le monde est fait pour aboutir dans un beau livre » (Stéphane Mallarmé)

 

II.  Le langage comme expression de la subjectivitéA/ La fonction expressive de la parole : parler c’est toujours dire « je ».

1. « Les mots sont les symboles des états de l’âme. » (Aristote)

Page 37: sujet de dissertation.docx

Les mots ne signifient pas les choses mais expriment les pensées et les émotions.

2. Dans toute parole est présente une fonction « expressive » ou émotive à travers laquelle le sujet parlant s’exprime lui-même et exprime sa position vis-à-vis de ce dont il parle. (R. Jakobson)

B/ Les mots ne sont que des métaphores pour désigner les choses. (Nietzsche)

1. L’élaboration du langage est contemporaine de la mentalité animiste: l’homme projette sa propre subjectivité sur les choses.

« Partout où les hommes plaçaient un nouveau mot, ils croyaient avoir fait une découverte. » (Nietzsche. )

2.  En plaçant des mots sur les choses, ils avaient l’illusion d’avoir découvert des entités censées expliquer les phénomènes observés.

Les mots peuplent le monde d’entités qui ne sont que des solutions verbales aux problèmes que ‘esprit rencontre.

3. Les mots de la langue ne sont que le symptôme d’un problème confusément perçu. Chaque mot n’est que le programme d’une science à naître, alors qu’il paraît d’abord être une explication.

Citation : «  Ils avaient tout juste effleuré un problème, et, croyant l’avoir résolu, ils avaient fabriqué un obstacle à sa solution. » (Nietzsche) La parole est à la fois l’organe et l’obstacle de notre relation au monde.C/ La poésie lyrique.

1. La poésie comme expression des sentiments, des émotions.

La poésie lyrique, ou élégiaque, peint le monde aux couleurs de l’affect qui domine l’âme du poète.

2. La musique comme langage des passions dans la théorie romantique.

 

III. Le langage comme médiateur du rapport du sujet au mondeA/ Le langage est plus qu’un moyen d’expression : une condition de la conscience.

1. Il n’y a pas de conscience antérieure au langage que le langage n’aurait plus pour fonction que d’exprimer. (Nietzsche)

2. La conscience elle-même naît de sa confrontation au monde.

Citation : La conscience est la couche la plus superficielle de notre psychisme, celle exposée à la réalité extérieure. (Freud)

3.  La conscience est une conséquence et non une condition de la communication. (Nietzsche)

B/  La passion s’exprime, et donc s’éprouve, toujours à travers des codes.

1. Les passions humaines se structurent de façon culturelle à travers les mythes, les épopées, les romans, la poésie.

Ex.:l’amour courtois, l’amour romantique. Cf. L ‘Amour et l’Occident, de Denis de Rougemont.

2. Il y a donc un langage chiffré des passions, culturellement déterminé, et qui peut profondément varier d’une civilisation à une autre.

Page 38: sujet de dissertation.docx

C/ Pour la science contemporaine, les mathématiques ne constituent plus le langage de la réalité mais celui de notre rapport à la réalité.

1. Les mathématiques sont le langage de notre mode d’accès à la nature, non celui de la nature elle- même. Elles sont le langage de la physique, non celui de la nature. (Contrairement à ce que pensait Galilée)

Citation : « Les mathématiques  constituent  le langage à l’aide duquel une question peut être posée et résolue. » (W. Heisenberg)

2.  Dès lors, le statut des théories scientifiques est modifié : il ne s’agit plus de déchiffrer la nature, mais de construire des modèles pour la penser.

 

Conclusion de la dissertation :  

Demander si le langage exprime les pensées ou les choses, c’est présupposer d’une part que la fonction du langage est une fonction d’expression, et d’autre part que le langage exprime soit les pensées, soit les choses. Or, réduire le langage à un rôle d’expression, c’est dire que la conscience et la pensée existent d’abord comme intériorité sans rien devoir au langage, et que le langage n’intervient que dans un second temps pour permettre d’exprimer cette intériorité. Or nous avons besoin du langage pour pouvoir penser, avant d’exprimer, à travers lui, nos pensées. Définir la conscience comme une intériorité pose aussi un problème, puisque la conscience ne contient rien qu’elle n’emprunte au monde; nos idées portent sur le réel ou ne portent sur rien. Le langage n’est-il pas plutôt le milieu qui permet à la pensée et au monde d’entrer en contact, la toile de fond de tous nos échanges avec le monde ? Notre rapport au monde, notre perception du monde sont médiatisés par une langue, c’est-à-dire par l’expression d’une société, du rapport d’un groupe d’hommes déterminé avec le monde qui l’entoure .

Fin de la dissertation 

La possibilité d’utiliser la parole pour être violent ne provient-elle pas d’un mélange, d’une confusion des formes de la parole ? Il est frappant en effet de remarquer que la violence est presque toujours, dans ce contexte, le produit du décalage entre un contrat de communication annoncé et une pratique effective qui s’en détourne le plus discrètement possible.

Prenons l’exemple de l’information. L’emploi de cette forme implique que l’on annonce, le plus souvent sur un mode implicite, le contrat de communication suivant : ce que je vais vous décrire correspond à l’observation la plus objective que je sois capable de faire. Ce contrat est passé avec l’auditoire qui s’attend donc à rencontrer une parole composée de « faits» (c’est le cas typique du reportage réalisé par un journaliste). On sait la difficulté de l’opération, mais on sait aussi, que, dans certaines limites, elle n’est pas impossible.

La violence exercée sur l’auditoire commence lorsque, tout en annonçant que l’on met en oeuvre ce contrat de communication, on travestit en « faits » les opinions que l’on veut faire passer. Le cas ultime de cette torsion est la désinformation, véritable mécanique de précision destinée à faire passer pour fait ce qui ne l’est pas. Il y a violence non pas parce que les faits sont tordus et déformés, ou parce que c’est une opinion que l’on transmet, mais parce que cela s’accompagne de l’annonce que l’on se situe sur le registre de l’information. La confusion cachée des formes est ici le ressort de la contrainte exercée — car on force ainsi l’auditoire à accepter quelque chose qu’il n’aurait pas admis autrement.

Un autre exemple de la confusion des formes est l’usage — toujours caché comme tel — de la séduction dans l’argumentation. La publicité utilise beaucoup ce registre, mais il est fréquent aussi dans la manipulation politique, où il est la marque des démagogues. Le contrat de communication implicite qui accompagne la forme argumentative est que l’on va proposer de « bonnes raisons » à l’auditoire pour le convaincre, que rien ne sera caché dans le jeu et qu’il sera libre d’adhérer à l’opinion qu’on lui propose. Or le contrat est violé, discrètement mais avec de fortes conséquences, si les « bonnes raisons» s’effacent devant des procédés relevant de la forme expressive, comme par exemple, la séduction.

Page 39: sujet de dissertation.docx

Séduire pour séduire, voilà qui ne fait aucun problème, à l’intérieur de la forme expressive où le contrat de communication est clair de ce point de vue : j’éprouve de l’attirance, je l’exprime, j’en déduis des souhaits, des désirs, Séduire pour argumenter, en revanche, fait passer une frontière et sauter d’un genre a l’autre. Là aussi, la confusion des genres est porteuse de violence. L’exemple de l’emploi de stimuli érotiques sans rapport, associés mécaniquement à un objet dont on veut faire la promotion, est typique de ces procédés de confusion des genres qu’emploie la publicité.

L’usage de la parole séductrice en politique semble attesté dès les débuts de la démocratie. En politique, le prototype du séducteur est le démagogue, personnage déjà bien connu des Grecs anciens. Euripide décrit ainsi « celui qui est capable de s’adapter aux circonstances les plus déconcertantes, de prendre autant de visages qu’il y a de catégories sociales et d’espèces humaines dans la cité, d’inventer les mille tours qui rendront son action efficace dans les circonstances les plus variées »

Le démagogue est celui qui veut convaincre qu’il est le bon candidat au poste auquel il postule. Pour cela, il va faire croire à l’auditoire, par différentes stratégies, qu’il pense comme lui. Mieux : s’adressant à plusieurs auditoires particuliers, il va faire croire à chacun d’eux qu’il pense comme lui.

Le séducteur n’affirme pas son point de vue propre, il se coule dans le point de vue d’autrui. Comme le dit joliment Lionel Bellenger, « séduire, c’est mourir comme réalité et se produire comme leurre ». Jean Baudrillard a insisté avec raison sur l’importance de la métamorphose dans l’acte de séduction. L’exercice démagogique implique une incroyable souplesse et, très souvent, passe par la construction d’un vocabulaire politique suffisamment ambigu pour que les mêmes mots puissent se métamorphoser, en fonction de l’attente de chacun des auditoires qui les reçoivent.

Si l’on en croit Aristote, une nouvelle norme de la parole tendra à s’imposer dans plusieurs cités grecques, celle qui consiste à refuser que les orateurs plaident « en dehors de la cause ». Cette règle, simple en théorie, permet d’écarter la séduction comme procédé qui se détourne de l’énoncé argumentatif. Elle a pour origine, toujours selon Aristote, les trop nombreuses tentatives de séduire le juge, tes jurys, l’assemblée, en lieu et place d’un discours argumentatif. La fréquence du recours à la séduction en politique et la tolérance dont elle est l’objet seraient-elles un bon indicateur du statut de la parole dans une société donnée?

Texte de Philippe Breton, Éloge de la parole, 2007

Sujet de dissertation :Philippe Breton écrit: « La parole est ainsi le lieu privilégié de l’ignorance, non pas comme absence de savoir, mais comme creux dynamique qui nous met en mouvement pour comprendre ce que nous ne savons pas. » Dans quelle mesure votre lecture des trois œuvres au programme vous permet-elle de souscrire à cette affirmation?Analyse de la citationL’affirmation de Philippe Breton ne relève pas du jugement tranché ou polémique: elle propose de penser ce qu’est fondamentalement la parole, en partant d’un paradoxe apparent («La parole est ainsi le lieu privilégié de l’ignorance»), que la suite de la phrase permet de comprendre et de résoudre. La vérité de la parole réside en fait dans son caractère « dynamique», dans le fait qu’elle soit « mouvement»: c’est un savoir en action. Plus précisément, la parole n’est pas en elle-même un savoir, elle est cet outil qui permet de penser et de connaître. Il ne s’agira donc pas d’adopter un plan dialectique pour infirmer en partie cette affirmation — ce qui mènerait au contresens —, mais d’élucider les différentes formules qui la composent, et qui permettent en fait d’aller vers une compréhension de plus en plus fine de ce qu’est la parole. Le plan suivi sera donc progressif; il procédera par approfondissement pour comprendre ce qu’est la parole.

Page 40: sujet de dissertation.docx

Concrètement, il faudra donc d’abord justifier pourquoi la parole est « lieu privilégié de l’ignorance». Elucider cette formule ne doit pas amener à jeter le discrédit sur la parole humaine, mais à faire comprendre ce qu’elle est par nature: écart, « distance», « décentrement » (pour reprendre les mots que Philippe Breton emploie dans le texte du résumé) par rapport à la réalité. Il faudra ensuite montrer que les mots n’étant pas en eux-mêmes un savoir, la parole qui les anime est l’instrument et le processus de la pensée; les mots n’expriment pas la vérité, mais ils permettent de cheminer vers elle. On pourra alors comprendre que dans sa dynamique, la parole est porteuse d’un savoir qui l’excède; elle ne traduit pas la pensée, mais donne à penser. Pour l’homme, le savoir est dans cette relation dynamique entre la pensée et la parole.Introduction de la dissertation :Il ne fait pas de doute que la pensée humaine est intimement liée à l’usage des mots: les mots désignent la réalité, ils sont les signes qui nous permettent de nous l’approprier de façon abstraite. Pourtant, il y a des formes de pensée qui ne sont pas tributaires des mots: le langage mathématique, par exemple, utilise des signes qui permettent justement de dissiper le caractère arbitraire du mot, et sa polysémie presque constitutive. De fait, les mots désignent indirectement la réalité et pour la désigner, ils s’écartent d’elle. D’autre part, la parole, comme usage singulier de la langue, est un autre écart qui vient se rajouter à celui-ci. On comprend donc pourquoi Philippe Breton affirme: « La parole est ainsi le lieu privilégié de l’ignorance, non pas comme absence de savoir, mais comme creux dynamique qui nous met en mouvement pour comprendre ce que nous ne savons pas. » Il s’agira de montrer que cette affirmation ne jette pas le discrédit sur la parole humaine: c’est dans cet écart avec le réel que constitue la parole que l’homme mesure son ignorance, mais trouve aussi le moyen de la combler. Affirmer que « la parole est le lieu privilégié de l’ignorance» est un paradoxe apparent qui permet de comprendre ce qu’est véritablement la parole: non pas un savoir, mais la condition « dynamique » du savoir. En nous appuyant sur le Phèdre de Platon, Les Fausses Confidences de Marivaux et les Romances sans paroles de Verlaine, nous montrerons d’abord que, comme écart constitutif par rapport à la réalité, la parole est ce « lieu privilégié de l’ignorance». Qu’elle ne constitue pas en elle-même un savoir explique et conditionne le caractère dynamique de la parole: c’est ce que nous soulignerons ensuite. Ceci nous permettra de comprendre finalement que le savoir, pour l’homme, tient à la relation dynamique entre la parole et la pensée. Plan de la dissertationI. La parole est écart par rapport à la réalité, et à ce titre elle est le « lieu privilégié » où l’homme mesure et exerce son ignorance.1. Autonome par rapport à la réalité, la parole peut aller jusqu’à la trahir.2. La parole est en fait toujours susceptible de dire le faux.3. Mais la parole, qui suppose l’écart entre les mots et les choses, est elle- même ce qui permet de réduire cet écart.

Page 41: sujet de dissertation.docx

II. L’écart qui définit la parole lui confère aussi son caractère dynamique; comme le savoir dont elle est l’instrument, la parole tend vers la vérité.1. La connaissance est conscience d’un manque, élan vers la complétude.2. La parole, elle-même dynamique, est donc naturellement l’instrument du savoir.3. Paradoxalement, c’est en creusant l’écart avec la vérité que la parole est la plus propice à la suggérer.III. Mais la parole n’est pas que l’instrument de la connaissance: elle est porteuse d’un savoir qui lui est propre.1. La parole construit le savoir qu’elle se propose d’atteindre.2. L’homme se découvre par la parole, car la vérité n’existe que par les mots qui mènent à elle.3. La vérité de la parole tient au déploiement de la parole elle-même. ConclusionL’affirmation de Philippe Breton amène donc à saisir ce qu’est la parole dans son essence, et ce qu’est le savoir qu’elle permet d’approcher. C’est dans l’écart qui fonde la parole, dans sa différence fondamentale avec le réel que le savoir est rendu possible. La parole est tout à la fois cet écart avec le réel et la vérité, et l’instrument dynamique qui permet de le combler. Mais finalement, la parole n’est pas tant un instrument qu’un savoir, dans la mesure où elle est capable d’améliorer cet instrument qu’elle est au premier chef. Pour parodier Jean-Luc Godard, la parole a en elle-même le pouvoir de n’être pas « juste une parole», mais une « parole juste».

La parole, Bréal, 20121. le rôle et la nature de l'introduction

L’introduction introduit. Elle peut être longue ou brève, mais sa nature reste la même. L’introduction doit comporter quatre moments, qui peuvent constituer autant de paragraphes: 

(1) une phrase amène « naturellement » le sujet. On évitera les débuts du type: « de tous temps les hommes, etc. ». La seule question que les hommes se posent depuis toujours est celle de savoir s’ils vont manger demain. ..La philosophie est un luxe....

(2) Analyse du sujet  

(3) préciser la problématique du devoir, c’est-à-dire les difficultés, les enjeux, le « pourquoi » de la question posée, ce qu’éventuellement la question « cache » ou « ne dit pas » (ses présupposés), et qui sera pourtant le « ressort » de votre réflexion (Derrière la question du préjugé, il y a par exemple la question du doute... Derrière la question de la tolérance, il y a surtout celle de ses limites, l’intolérable… Derrière la question de la culture, il y a le problème de l’appartenance, etc.).

(4). Enfin, vous annoncez le plan que suivra le devoir (ce qui est indispensable). Ces étapes de l’introduction ne sont justifiables  qu’à condition de reprendre l’étude des notions et la problématique, qui n’ont été qu’amorcées dans l’introduction, dans la première partie du devoir.

2. Forme du développement

Vous êtes libres de concevoir votre devoir comme vous l’entendez, à cinq conditions:

a. Le devoir doit avoir au moins deux parties, et au plus trois parties. Mais rien n’exige qu’il y en ait trois; il peut très bien n’y en avoir que deux...

Page 42: sujet de dissertation.docx

b. Il faut sauter au moins une ligne entre les parties (de même qu’entre l’introduction et le développement, et entre le développement et la conclusion).

c. Chaque partie doit être composée de plusieurs paragraphes, au moins deux, signalés par un passage à la ligne.

d. Chaque partie doit avoir une cohérence, une certaine unité, et vous devez mettre en valeur cette unité, soit au début de votre partie, par une mini-introduction, soit à la fin, par une mini-conclusion. Il est hors de question de juxtaposer des paragraphes sans rapport.

e. Il faut ménager des transitions entre les parties. Il est hors de question de juxtaposer des parties sans rapport.

Si vous respectez ces règles, vous pouvez même faire votre dissertation sous forme d’un dialogue imaginaire.

3. Contenu du développement

Puisque vous pouvez ne faire que deux parties, vous n’êtes absolument pas invités à pratiquer le plan « thèse-antithèse-synthèse ». Certes, ce plan, adopté par bien d’autres disciplines, a un prestige et une origine philosophiques. Au moyen âge, le Maître proposait les arguments pour (PRO), puis les arguments contraires ou objections (CONTRA), avant de déterminer sa position personnelle et de répondre définitivement aux objections (DETERMINATIO). Au XlXe siècle, Hegel interprétait le mouvement même de l’histoire, accordé par principe à celui de la pensée vraie, comme la position d’une réalité, la négation de cette position, et le dépassement de cette négation. C’est l’origine historique du plan synthétique, ses « lettres de noblesse » philosophique...

Mais encore une fois, vous faites ce que vous voulez. D’ailleurs, si vous consacrez une partie à l’analyse du sujet et à sa problématisation (ce qui est raisonnable...), vous ne pouvez guère adopter un plan synthétique. De plus, celui-ci paraît parfois (très) difficile à mettre en oeuvre. Bien souvent, il est artificiel. Mieux vaut sans doute suivre le cours naturel de votre réflexion, en construisant progressivement votre réponse, pas à pas, sans passer par ce que Hegel appelait « le chemin de croix du négatif », c’est-à-dire la négation de ce que vous venez de dire pour rebondir sur une thèse encore plus intelligente. Toutefois, il faut souligner que nier ce que l’on pense d’abord, spontanément, essayer de montrer la pertinence et la force de la position contraire à la votre, est un excellent moyen pour trouver des idées nouvelles, ou des arguments plus convaincants. N’oubliez jamais de le faire « au brouillon ». Comme le disait Platon, « la pensée est un dialogue de l’âme avec elle-même », où nous devons être bien souvent nos plus féroces « objecteurs ». Si, comme le disait Alain, « penser, c’est dire non », c’est d’abord et avant tout dire non à ce que l’on pensait immédiatement, de prime abord, au premier moment, c’est-à-dire précisément avant d’y avoir pensé...

4. Le rôle et la nature de la conclusion

La conclusion conclut. Elle résume le devoir, pour ne retenir de celui-ci que l’essentiel. Elle montre que l’on a bien vu le problème, ses difficultés et ses enjeux; elle rappelle quelles ont été les lignes directrices qui ont été suivies par le devoir. Elle met en valeur la solution à laquelle la réflexion est parvenue. Cette solution peut être en l’espèce nuancée, articulée, « fine », mais elle doit en tout état de cause être « ferme ». Il est intéressant de terminer l’épreuve par une « formule marquante », selon les vieilles ficelles de la rhétorique ancienne qui voulait que la fin d’un discours soit précisément le moment le plus séducteur, le sommet (l’acmé) d’une prise de parole. Il est enfin possible, mais maladroit, d’ « ouvrir » le sujet. C’est faire remarquer à l’examinateur que le « sujet » qu’il a éventuellement choisi n’était pas très bon...

Dernières remarques: On souligne les mots étrangers et les titres d’oeuvres. Le sens français des parenthèses est le suivant: on ne lit pas à l’oral ce qui a été mis à l’écrit entre parenthèses. Rien d’important ne doit donc être mis entre parenthèses, et surtout pas ce qui permettrait de clarifier votre propos.. Nous n’êtes pas notés sur l’orthographe, parce qu’on la considère acquise...

Page 43: sujet de dissertation.docx

En conclusion, puisque l’on vous pose une question, il faut essayer d’y répondre de la manière la plus pertinente possible. 

Le paradoxe du sixième sensS’il fallait parler du sixième sens, nous ne manquerions pas d’éprouver un certain embarras, une honte diffuse pour ce qui peut passer pour une croyance ridicule. Superstition ou prétention de celui qui se veut tant original, le sixième sens apparaît d’abord comme un pouvoir extraordinaire. Celui de connaître, plus peut-être de savoir, de détenir un savoir mais par un sens, cela ne désignant que l’immédiateté du contact, l’illumination par la clarté de la présence. Il y a donc dans l’idée de sixième sens, le paradoxe d’un savoir d’ordre et de raison, par exemple l’existence d’un événement à venir, descriptible et historiquement repérable, d’une part et, d’autre part, le moyen : un sens, c’est-à-dire ce qui légitimement ne peut donner qu’un sentiment, qu’une impression, une émotion dans le partage traditionnel des relations de l’homme au monde! Ainsi le sixième sens nous pose le problème de la synthèse de la connaissance, celle qui serait à la fois intelligente et pourtant sensible, qui serait connaissance suffisante et pourtant sans raisons! En une question, ce sixième sens est-il déjà pensable?

 

I. Le sixième sens est l’expression de substitution aux mystères de la connaissanceLa première chose à dire pour que la réflexion soit saine, c’est que cette expression recouvre du mystère. Elle ne porte qu’une incertitude. Nous nous proposons d’examiner non pas un objet, serait-il résistance à la connaissance, mais un non-sens.En effet l’idée de sixième sens renvoie à du non-sens. C’est le sens (signification) du non-sens, c’est-à-dire de ce qui ne devrait pas se passer. Le sixième sens est d’abord une anomalie dans le champ de la connaissance, une sorte de don, irrégulièrement réparti chez les hommes, dispensé par on ne sait quelle règle, ni de l’ordre de l’intelligence, ni de celui de la physiologie.Le sixième sens nous renvoie à l’irrationnel. Le sixième sens, c’est ce qu’« on ne connaît pas », ce que l’on « ne peut expliquer ». On le constate ou on le vit, mais ce n’est pas un objet de connaissance.Il échappe à toutes les caractéristiques par lesquelles on identifie une connaissance pour prétendre être un contact rare et privilégié avec la connaissance.Nous avons donc un moyen de connaissance qui échappe à la connaissance.Nous n’en avons que la supposition, nous ne désignons que par défaut. Le Sixième sens tombe lui-même sous le coup d’une seule intuition, intuition de l’intuition, nous dirait le dictionnaire qui choisit ce mot pour définir cette rencontre immédiate avec le savoir.Le sixième sens n’est donc qu’une expression de substitution qui ne se sert du terme de « sens » que pour fixer cette seule certitude : il échappe à la compréhension.

Page 44: sujet de dissertation.docx

Le problème du sixième sens, ce n’est pas « ce » qu’il connaît, comment il connaît, ce que vaut ce qu’il connaît... mais c’est sa propre nature, voire sa propre existence, ou reconnaissance.En effet, elle-même peut tomber sous le coup du doute ou de l’ironie moqueuse.Donc ici la sensibilité ne sert que d’alibi à l’ignorance. Le sixième sens apparaît comme la capacité à atteindre un savoir non pas par les voies de la raison, de la preuve ou de la succession des arguments ou objets, mais dans l’immédiateté et la globalité.C’est le pressentiment, c’est même « savoir avant » le savoir officiel, celui de la rencontre avec la réalité, l’événement ou sa preuve ou annonce rationnelle, expliquée.Le mystère est là. Et « sensibilité» ne sert qu’à désigner le caractère total, coïncident de soi avec une certitude. À savoir : le fonctionnement de la sensibilité lorsqu’elle désigne naturellement le contact purement informatif du corps avec le réel présent. Mais précisément, dans cette sommaire définition, on a tout le paradoxe de cette expression. Car dans le sixième sens, on n’a pas le réel, il est absent, et il n’est même pas représentable par l’esprit, car il n’est pas « arrivé ». Et de plus ce n’est pas « informatif », mais « formatif », c’est-à-dire qu’il y a savoir (transformation et interprétation de l’information en signification) et non seulement « information » (prise de contact isolée).Ainsi posséder un sixième sens désigne moins une qualité sensitive ou sensible supplémentaire, que la possibilité mystérieuse d’atteindre un savoir (non sensible mais identifiable par une raison purement passive et constatative, celle qui pourra dire «je sais ») par une relation purement analogue à celle de la sensibilité (immédiate, sans intermédiaires et totale).Nous avons donc avec le sixième sens une Intelligence sensible, ou une Sensibilité intelligente.Il. Le sixième sens désigne alors une troisième voie de la relation au monde qui unirait les ennemis éternels sens/raisonDans l’opposition aux sophistes, Platon installe l’Occident dans le rationalisme et cette méfiance, parfois cette haine contre la sensibilité, qu’elle soit celle de la simple rencontre avec l’ordre physique, qu’elle soit celle de l’émotion et du sentiment. À partir de là, à l’exception de quelques déviances marginalisée, c’est la philo-sophia. La raison ou l’erreur!N’y-a-t-il donc pas dans cette expression de sixième sens la volonté ou l’espérance de pouvoir réhabiliter une connaissance recevable, estimable et digne d’efficacité qui ne soit pas condamnée à ce choix œdipien?Le sixième sens serait l’union retrouvée entre raison et unité sensible, immédiateté et certitude.On peut même prendre le risque d’aller plus loin dans ces retrouvailles entre les « sœurs » ennemies, car si l’on n’espère penser que par la sensibilité, c’est l’échec de l’informel et du divers. Si on espère de même qu’avec la raison, c’est l’échec du désincarné, du conceptuel creux et qui ne parle du monde de personne. N’y a-t-il pas dans la volonté ferme de supposer un sixième sens, celle d’unifier l’homme total pour unifier une connaissance plus complète.

Page 45: sujet de dissertation.docx

Ainsi le sixième sens aurait une valeur épistémologique. Réfléchissons sur la carence de la raison sur l’Histoire, sur le Temps. Vaincue sans cesse, impuissante dans sa mécanique des causes et des effets d’anticiper sur l’existence réelle, de savoir avant! La raison seule est condamnée à ramper au niveau de l’expérience. Seule la sensibilité peut lui donner cette pénétration humaine qui fait l’histoire plus que ce que peut y comprendre la logique. C’est cette « humanité » que la sensibilité introduirait dans l’analyse idéale et rigide de la causalité. N’y-a-t-il pas de cela dans ce que Machiavel, dans Le Prince, nomme la « virtu ». Sorte, dit-il de «flair », d’intelligence des circonstances, de sentir des hommes, de fluide sur les événements, d’aura sur l’ordre des conséquences, qui donnent la force de la réussite de la volonté politique la plus rationnelle! Le sixième sens politique!Plus encore, dans les sciences les plus « sérieuses », celle de la mathématique, quel serait le devenir de la raison si elle n’était que rationalité? L’absurde. Tout déterminisme est en soi absurde s’il tente de se fonder en raison (ce qui paraît le minimum), car la régression à la cause, qui est le fondement de l’explication, régresse dans un infini que la raison elle-même rend inacceptable. N’y-a-t-il donc pas la nécessité d’une association, qui pourrait être contre-nature, entre la raison et cette connaissance immédiate, celle qui n’a plus besoin de raison, pour que la rationalité soit.Nous reconnaissons d’ailleurs ici la rencontre de deux autres frères ennemis (ironie) : Descartes et Pascal! Descartes qui fait de l’« évidence » cette sensibilité de l’intelligence, cette capacité à être en contact « intuitif » avec la certitude sur les éléments simples, « clairs et distincts ». [...]Quant à Pascal, c’est la certitude du « cœur », celle qui permet d’atteindre dans un premier temps les principes fondamentaux, « esprit de finesse », puis cette force de la foi qui passe par-dessus les lenteurs et les embarras bassement techniques de la démonstration et qui atteint la certitude de Dieu. Une intelligence de la sensibilité qui est supérieure pour Pascal à la raison raisonnante car, dans cette immédiateté qui la caractérise, elle est toujours présente à la certitude sans exiger (faiblesse de la raison) la répétition des éléments et le temps de la démonstration. (« Le cœur a des raisons... ») [...]Ainsi il y a sixième sens lorsqu’il y a cette communion avec la finalité de la raison (la certitude arrêtée) et le moyen de la sensibilité (la rencontre sans médiation perturbatrice avec elle). III. Mais on oublie que la sensibilité n’est pas que servante d’une raison plus forte encore. Le sixième sens, c’est aussi voir et savoir ce qui est hors de la raisonL’idée de pressentiment que contient « sixième sens » nous renvoie à l’idée de mystère que peut-être la raison jalouse lui a ravi par cette intégration de la sensibilité à son projet.En effet avoir un sixième sens, c’est pressentir, c’est-à-dire savoir avant, réussir à savoir lorsque c’est impossible!Sixième sens entraîne pressentiment, et lui-même résonne avec prémonition. « Monere» en latin signifie « avertir ». Donc le sixième sens voit plus loin ou plus profondément que la raison et la compréhension

Page 46: sujet de dissertation.docx

traditionnelle. Plus encore celui qui « entendrait » ce sixième sens verrait en quelque sorte par-dessus la raison, alors que l’homme de logique et limité à ses sens physiologiques serait pris aux pièges du réel!Ainsi dans de nombreuses cultures le statut du «fou », notamment chez les Indiens d’Amérique. Chez eux le fou est un voyant, dans son délire irrationnel il communique avec un sens supérieur, un regard qui voit au-delà de ce qu’il perçoit.L’idée de sixième sens garde donc cette supériorité, mais moins comme accomplissement de la raison que son dépassement. Tout se passe comme si cela désignait une retrouvaille avec une force naturelle de pénétration. L’idée de « don » s’agissant du cas de figure de la divination répond bien à cette idée de naturalisé ou, plus mystique, l’idée d’élection. Le sixième sens c’est à ce titre l’idée de communion avec la chose, sorte d’harmonie, de résonnance avec l’ensemble confronté.Cette acceptation de l’expression se retrouve dans la certitude (souvent vérifiée) que nous avons de la « performance animale » telle que la nomme J. Monod dans Le Hasard et la Nécessité. L’instinct, parfois ainsi nommé, qui permet à l’animal de gérer une conduite efficace sur la seule force de cette « écoute » indicible d’une parole du réel que lui entend, une communication secrète ou silencieuse que seul lui perçoit avec précision et identification. C’est l’histoire de ce fameux cheval, célèbre parmi les linguistes, Clever Hans, qui donnait le sentiment de lire, penser et compter, sur la piste de cirque. En effet à la question posée par un spectateur, il allait frapper du sabot les lettres ou les chiffres préalablement posés devant lui, formant ainsi le mot attendu comme réponse. Tellement attendu, que l’on s’aperçut que cette « science» lui venait de la capacité qu’il avait à « voir » la direction que prenaient les regards des spectateurs, tout tendus vers la lettre ou le chiffre qu’il devait frapper... et bien sûr, Clever d’aller sans hésitation la frapper!Ce sixième sens, alors, désigne en quelque sorte un sens de plus pour le coup.Sens de plus ou plus de sens, c’est le cas de la fameuse intuition féminine. Mais là le propos est plus ambigu, car on ne sait s’il s’agit d’une supériorité ou de la conséquence d’un avatar. En effet cette sensibilité exacerbée de la femme qui lui donnerait accès à une adhérence au monde est un cadeau empoisonné. Car c’est depuis l’antiquité grecque, notamment Aristote (Livre I de La Politique), que la femme est dévolue au sens et à la sentimentalité, mais par son impuissance à la raison. Son « âme » est mi-rationnelle mi-irrationnel et elle est incapable de dominer ses sens, pour ne pas dire dans un vocabulaire plus récent, « ses nerfs ». La femme est l’être de la sensibilité, adhérente à ce contact immédiat avec le monde, incapable de la distance critique et de la maîtrise de soi. Elle est l’être qui est dans son univers dans la sensibilité. C’est pourquoi elle y entend effectivement ce que les autres n’y entendent pas. On comprend le ton souvent véhément d’E. Badinter, dans L’amour en plus, lorsqu’elle rejette la notion d’instinct maternel pour affirmer que l’amour d’une mère pour son enfant n’a rien d’automatique ni de purement animal, mais qu’il est voulu, fruit d’une lucidité maîtresse d’elle- même et d’un effort qui en fait toute la valeur.

Page 47: sujet de dissertation.docx

Donc le sixième sens peut devenir un don bien ambigu dans son rapport à cette nature coïncidente, ce qui n’est jamais très bien accepté par l’homme.Ne faudrait-il pas alors revoir cette relation à la nature. Car avoir un sixième sens c’est sous-entendre la continuité entre soi-tout-entier et la chose-toute-présente, sorte d’osmose compréhensive (au sens étymologique), complicité et confidence avec le monde, comme si celui-ci se livrait, se laissait voir dans une unité que la lucidité et l’analyse brisent.Il faudrait peut-être mieux y voir, un peu dans le sens d’A. Arendht, une unité des sens eux-mêmes dans l’idée de sixième sens. Non pas un sens de plus, énigmatique, mais l’harmonie, l’interdépendance entre les cinq sens, devenue perception supérieure, unité de l’homme frontale à l’unité du monde cernée.

 

IV. Donc I ‘idée de sixième sens doit renvoyer à celle de liberté et d’interprétation et non à celle de soumission au réelAvoir un sixième sens, c’est finalement être habité par le monde, tout entier et non découpé, tout autant par la raison et ses analyses que par les cinq sens et leur « spécialité ». Il y a dans ce dernier sens une « œuvre » au sens d’ « opus », (travail en latin), une architecture, sorte de synthèse où l’ordre (offert par les sens) devient signification, c’est-à-dire supplément d’âme d’un monde qui ne se réduit pas à l’addition (offerte par les sens) de ses parties ou éléments.Cela nous conduit à penser que ce sixième sens que nous cherchons à définir en l’homme (ou dans une sur-humanité, ou plus profonde humanité, etc.) n’est peut-être pas cette qualité supplémentaire (encore et toujours une) de la condition humaine. Il s’agit pour l’homme d’être plus humble devant cette appropriation du futur, cette élasticité de sa conscience dans le temps, cette dilution au cœur du sens, pour s’apercevoir que, pour être sixième, ce sens n’est peut-être pas le sien, mais celui du monde!Sens supplémentaire, surnuméraire, certes, mais non pas comme privilège de l’homme qui dans son égocentrisme ne peut le supposer autrement. Mais ce sixième sens, c’est en effet le sens du monde. C’est la capacité du monde à offrir une sensibilité (et non un « sens » — signification qui est un terme de la rationalité). Le monde manifestant, lui, de la sensibilité, c’est-à-dire cette unité, ce mode d’existence unifié qui lui donne, au-delà de sa réalité, sa vérité, sa force d’expression. En ce sens, c’est le monde qui est chargé de sensibilité, et le sixième sens est à ce titre une vive expérience, en effet indubitable, mais que l’homme a tort de s’attribuer et qu’il devrait rendre au monde.D’ailleurs cette dispersion et cette fragilité de son apparition prouvent qu’il n’appartient pas à l’homme de l’initier.En faire preuve pour l’homme, c’est en revanche avoir la disposition, l’écoute, la liberté et certainement l’abandon aux formes, couleurs et sons pour lesquels l’homme n’a plus de questions et plus d’intentions. Alors ce monde se révèle selon sa figure.

Page 48: sujet de dissertation.docx

N’est-ce pas la tâche, le talent de l’artiste de saisir cette sensibilité du monde. En regardant un tableau impressionniste, qui est porteur des impressions? Est-on bien sûr que c’est le spectateur ou le créateur qui sont désignés comme ceux qui ont ou qui vivent des émotions, des impressions? Dans un Monet, n’a-t-on pas la diffuse certitude que ces impressions sont celles du monde lui-même que l’artiste a su capturer, et non pas les siennes?Alors ce sixième sens, ce supplément d’âme est porté par le monde et la tâche de l’artiste est de le formuler. C’est tout le travail que décrit Bergson avec le dégagement de l’« intuition ».Après l’avoir élucidé dans la relation générale de l’homme au monde, comme inscription de l’objet dans la durée de la conscience, saisie unifiée du surgissement global de la chose â soi, Bergson va confier à l’artiste la capacité de lui donner des formes. li alliera donc cette force de la subjectivité de la sensibilité et la pénétration en vérité du seul vrai sens du monde, son unité.Le sixième sens serait une illusion transcendantaleIl est donc certain que revendiquer un sixième sens ne consiste pas seulement à vouloir faire preuve de divination, comme s’il s’agissait de s’éloigner du réel. C’est toujours au contraire une volonté de le rencontrer au plus profond de sa vérité et par-dessus sa réalité. C’est vrai qu’à ce titre on pourra penser, en paraphrasant Kant, que ce n’est encore qu’une « illusion transcendantale », c’est-à-dire une de ces idées par lesquelles l’homme tente la cohérence de ses actions ou de ses pensées. Vieux fantasme de pouvoir faire et de pouvoir voir encore quand la force et quand la vue s’arrêtent.La dissertation de culture générale et la philosophieBien évidemment, vous ne pouvez réussir la dissertation de culture générale sans posséder à la fois un bagage et une méthode philosophique. En effet, pour problématiser les dissertations, il faudra bien utiliser des analyses conceptuelles apprises en étudiant le thème. De la même façon, les thèses défendues ont tout intérêt à s’appuyer sur des auteurs qui permettent de donner densité et rigueur au propos. C’est ce que vous apprendrez tout au long de l’année et ce sur quoi vous ne pouvez faire l’impasse.Élaborer une réflexion personnelle, ce n’est donc pas penser seul. C’est au contraire avoir la modestie intellectuelle de voir que les auteurs et les théories peuvent vous aider à formuler votre pensée.La spécificité de la dissertation de culture généraleCe que l’on vous demande cependant n’est pas une dissertation philosophique au sens du baccalauréat ou au sens des études universitaires. Ce qui est difficile à comprendre c’est qu’on ne vous demande pas moins, à savoir une production sous-philosophique, mais plus : il faut que vous ayez suffisamment digéré votre culture philosophique pour produire une analyse efficace des problèmes proposés par le sujet. En somme, vous devez posséder une philosophie active, capable d’éclairer toute situation, et pas seulement une philosophie théorique qui risque de vous entraîner dans des digressions à l’infini. Il n’y a donc pas, contrairement à ce que pensent trop souvent les étudiants, de rupture essentielle entre la partie philosophique et la partie culturelle de la

Page 49: sujet de dissertation.docx

matière. Si les questions que vous posez sont de vraies questions, c’est-à- dire des questions qui peuvent poser problème à tout homme, il n’y a aucune raison pour qu’elles n’aient fait l’objet que de  traités philosophiques : des romans, des films, d’autres sciences auront pu tout aussi bien en traiter.On peut donc résumer les attentes finales des jurys en deux points.

La clartéMon propos doit être maîtrisé et limpide. Il faut que de l’introduction à la conclusion, je donne le sentiment que j'ai une vue d’ensemble du sujet et que je progresse vers une solution en sachant distinguer les considérations essentielles de celles qui ne sont qu’anecdotiques.

Le sens de la complexitéSans que le propos précédent soit démenti, et l’on mesure alors la difficulté de l’exercice, je dois dépasser les analyses du sens commun, caricaturant les problèmes, avides d’affirmations brutales. En un mot, la clarté n’est pas le simplisme. Je dois repérer la complexité du problème, bien en faire le tour et le dépasser dans ma solution par le haut, et non en le niant. Et c’est dans la construction de la complexité, repérée, maîtrisée, dans laquelle je ne dois pas me noyer, que l’on comprend l’intérêt de mobiliser une solide culture générale.Pourquoi une dissertation  de culture générale?Clarté et sens de la complexité sont deux qualités que l’on attend d’un décideur. L’épreuve de culture générale ne constitue pas une forme d’alibi culturel mais permet de tester ainsi une future compétence professionnelle : serai-je, pour tout type de problème, capable de produire une analyse claire et exhaustive et de proposer à des collaborateurs des solutions tout aussi claires et sensées, capables de mobiliser des acteurs différents ? Bref, saurai-je prendre les bonnes décisions pour de bonnes raisons et convaincre chacun de la justesse de mon analyse?Le contenu et l’usage de  la culture générale L’important ici est de comprendre que la question de la culture générale est moins la question de son étendue que celle de ma capacité à la mobiliser. Vous l’aurez compris, il ne s’agit pas ici de proposer un travail moindre, au sens ou vous n’auriez pas à en connaître beaucoup, mais un travail plus important. En effet, il est plus facile de jouer à «Questions pour un champion» (un savoir superficiel et allusif dans toutes les directions) que de vraiment posséder une solide culture générale (peut-être moins étendue, mais utile).La part de la philosophie, nous l’avons vu, est bien sûr prépondérante. Mais ne s’en tenir qu’à elle serait insuffisant : des connaissances en littérature, sociologie, peinture, faits de société, cinéma, économie, histoire sont tout à fait utiles, aucun domaine n’est à négliger. Elles vous aideront d’une part à donner une dimension concrète à vos analyses, d’autre part vous disposerez ainsi d’exemples capables d’illustrer avec clarté un propos qui sans cela risquerait d’être abscons.La mobilisation de la culture générale dans la dissertationVous l’avez deviné, c’est ici que tout se joue. La dissertation de culture générale n’est pas un exercice de récitation. Une bonne copie n’est pas celle qui étale sans retenue le travail fait pendant l’année, aussi ne mobilise-t-elle pas des connaissances à l’infini. Elle fait appel à des

Page 50: sujet de dissertation.docx

références peut-être moins nombreuses qu’on ne s’y attendrait, mais toujours avec pertinence et profondeur. Cela signifie que lorsque vous convoquez un auteur, un film, un roman, une donnée quelconque, ce n’est pas parce que vous savez peu de chose et que vous essayer de tout «placer », c’est parce que vous choisissez avec intelligence seulement ce qui convient dans le cours de votre dissertation. Et lorsque vous en faites usage, ce n’est jamais allusif. En effet, vous maîtrisez cette référence, vous êtes capable d’en tirer tout le suc. Cela implique que tant dans vos lectures que dans, par exemple, les films que vous voyez en cours d’année, vous ayez l’idée d’écrire des notes sérieuses en rapport avec le thème : une culture générale se construit avec papier et crayon, l’imprégnation passive ne donnant jamais des résultats suffisants.Chaque année, les étudiants sont tentés de préférer des références nombreuses à des exemples approfondis. Or ces dernières n’ont aucun sens lorsqu’elles sont «expédiées» sommairement en deux ou trois lignes ou enchaînées en forme de «brochettes» censées impressionner. L’effet attendu — démonstration de vaste culture — n’est jamais celui qui est obtenu: vous démontrez ainsi au correcteur que vous n’avez rien tiré de vos lectures, qu’elles ne valent pour vous que par leur poids et non par leur profondeur.Dernière précision : un exemple bien exploité, ou encore une référence culturelle bien développée, valent tout autant qu’un passage théorique bien maîtrisé. Il n’y a pas de hiérarchie entre la part philosophique et la part culturelle de la dissertation. Plus encore, si vous ne vous sentez pas à l’aise avec une référence philosophique mais que vous maîtrisez mieux un exemple, n’hésitez pas à recourir à celui-ci plutôt qu’à celle-là : bien des copies pourraient tirer plus facilement leur épingle du jeu si elles ne s’obstinaient pas à adopter un ton théorique maladroit et préféraient avoir plus largement recours à des exemples bien développés.

Quelques conseils pour passer du plan à la dissertation rédigéeLa rédaction n’est pas la simple application mécanique de votre plan elle reste un temps de réflexion. Il s’agit de développer, de déployer et d’expliciter votre pensée qui n’était contenue qu’ « en germe » dans votre plan.

1/ L’unité de la dissertation

Votre devoir doit consister en un trajet de pensée clair et cohérent, même si ce trajet vous fait envisager tour à tour plusieurs hypothèses.

Les idées ne doivent pas être simplement juxtaposées, mais articulées par des transitions explicites.

2/ Netteté, concision et précision

Netteté: la démarche philosophique consiste dans un effort d’élucidation des difficultés, de dissipation des imprécisions et des confusions, dans l’établissement de distinctions claires. Ne pensez surtout pas qu’introduire du « flou » dans votre développement donnera à votre devoir une apparence plus «philosophique ».

Concision :  évitez les « copies fleuves » où l’on se perd dans des détails, Il s’agit d’aller droit à l’essentiel, de traiter sérieusement un sujet sérieux, de faire le tour des hypothèses possibles en faisant clairement apparaître les enjeux et de risquer une réponse argumentée à la question posée.

Page 51: sujet de dissertation.docx

Précision : soyez aussi précis que possible dans vos exemples (montrez ce qu’ils permettent d’affirmer ou de critiquer, en quoi ils sont effectivement exemplaires), dans vos références (renvoyez à un auteur ou à un courant précis, même si vous n’avez pas de citation) et dans vos idées.

3/ Sur l’usage des citations dans la dissertation philosophique

Il n’est nullement indispensable de faire des citations. On vous évalue moins sur vos connaissances que sur votre capacité à comprendre un sujet et ses enjeux, à déployer une démarche cohérente pour le traiter et à avancer une réponse argumentée à la question posée. Mais le recours aux auteurs — et donc aux citations — peut constituer une aide précieuse à laquelle vous ne devez pas hésiter à recourir pour faire progresser votre propre réflexion.

Quelques règles de bon sens sont à respecter 

a) Ne recourez à une citation que si elle vous aide vraiment à poser le problème (dans l’introduction) ou à le traiter (dans le développement et la conclusion).

b) Citez toujours explicitement, entre guillemets : ne vous appropriez pas les propos d’un auteur. (Si son nom vous échappe, vous pouvez toujours écrire « comme l’a dit un philosophe... ».)

c) Une citation n’est jamais un argument. C’est à vous de justifier la citation, et non pas, inversement, à la citation de prouver que ce que vous dites est vrai.

4/ Conseils de style

La dissertation est un exercice écrit, Il faut donc recourir à un style écrit, exclure toute vulgarité, manifester à l’égard du correcteur le même respect que vous êtes en droit d’attendre de sa part.

Ceci étant dit, ce doit être votre réflexion : utilisez vos propres mots, ou ceux que vous avez appris à employer au cours de votre formation. Evitez les termes ronflants et qui peuvent vous sembler « philosophiques », mais dont vous n’êtes pas sûr de maîtriser le sens, ni donc le bon usage.

5/ Le recours au « je » dans la dissertation philosophique

La dissertation doit être le fruit d’un travail personnel. Il faut vous engager dans ce que vous dites.

Mais il ne s’agit pas pour autant de raconter sa vie ou d’écrire un journal intime. À travers l’histoire vécue, il faut viser ce qu’elle a d’universel, ce qu’elle vous apprend de la condition humaine ou de la réalité en général. Il s’agit donc de la démarche d’un être doué de raison qui s’adresse, d’égal à égal, à un autre être doué de raison, et qui s’adresse à sa raison plus qu’à ses émotions. Le « je «qui s’exprime dans une dissertation n’est pas seulement un individu singulier, mais un être humain qui réfléchit sur sa condition.

6/ État d’esprit général 

La dissertation de philosophie est un travail réflexif et critique consistant à s’interroger sur ses propres croyances et convictions. Mais ne prenez pas le correcteur à partie, évitez le « militantisme » qui cherche à convaincre le lecteur au lieu de se demander d’abord si l’on a raison. Soumettez votre propre démarche à son jugement, ce qui est la meilleure façon de vous astreindre à l’exercice de l’argumentation rationnelle issue d’une démarche critique.

Présentation du plan dialectique :Afin de construire une dissertation cohérente et pertinente, il ne faut pas accepter passivement le sujet ni le rejeter. Pour cela, il faut  envisager un plan d’ensemble qui va de la question initiale à la réponse finale. Car il s’agit de prendre position (votre thèse) après seulement avoir vérifié la validité logique et la pertinence sémantique — conceptuelle — d’autres positions (thèse ou antithèse). Mais attention, il ne s’agit pas, dans un plan

Page 52: sujet de dissertation.docx

dialectique,de dire blanc (thèse) puis noir (antithèse), mais de vérifier que ce qui est vrai d’un certain point de vue (moral, historique, social, psychologique, axiologique, idéologique, esthétique, philosophique, etc., du point de vue d’un auteur, d’un lecteur, d’un personnage littéraire, à une époque, une autre, etc.) ne se vérifie plus pour un autre aspect. Il s’agit donc de construire une opposition, non de se contredire. Après les concessions nécessaires, la réfutation doit conduire à reconsidérer les présupposés du problème en allant de l’assentiment, l’agrément fondé sur le sens commun à la discussion. Ainsi l’argumentation construit-elle une victoire à travers la défaite de l’adversaire dont on réfute tout ou partie de l’opinion. Quand on veut « montrer à un autre qu’il se trompe, il faut observer de quel côté il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté-là, et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté par où elle est fausse » dit Pascal. Ce «côté », ce sont donc les présupposésComprendre le plan dialectique (thèse/antithèse) :On apprend parfois au lycée à ne pas utiliser le plan thèse/antithèse. C’est pourtant ce qu’il faut mettre en place. Encore faut-il distinguer plan et démarche: un plan dit thèse/antithèse ne consiste pas à dire une chose, à défendre un point de vue, puis d’en défendre un autre, opposé : en ce cas, effectivement, le plan thèse/ antithèse équivaut à se contredire. C’est ce qu’il faut absolument éviter. Comment? Une technique efficace consiste à inscrire sur son brouillon autant de questions que le libellé du sujet suggère : questions à partir de ce qu’il pose ainsi que de ce qu’il présuppose. Ces questions, il s’agit ensuite de les répartir en trois ensembles chacun constitué d’une question principale (ce qu’on appelle des axes ou idées directrices) s’évertuant de reprendre la totalité des questions de l’ensemble. Ce qui se réalise plutôt facilement dès l’instant où l’on connaît la démarche à suivre, mais difficilement quand les pistes d’étude sont nombreuses et que règne la dispersion. Cette démarche se nomme dialectique: elle est fondée non sur l’opposition mais sur la concession, nuance importante qu’un manuel de grammaire de base vous permet de comprendre: la concession est une proposition qui s’oppose non à la thèse mais à ce qu’elle implique, c’est-à-dire présuppose afin de la réévaluer: bonne thèse mais mauvais arguments ou mauvaise thèse mais des arguments justes.Disserter, c’est commenter, puis discuter en concédant d’abord, en imposant d’autres présupposés ensuite. Sauf dans les cas de sujet qui présente une antithèse avec insistance, le commentaire précède alors souvent la discussion. Dans le cadre des concours, la démarche dialectique est la plus sûre En bref:Commenter, c’est vérifier le bien-fondé du sujet, son argumentation apparente jusqu’à ce qu’elle soit intenable.Discuter, c’est remettre en cause les arguments, dévoiler les présupposés non apparents qui commandent l’enchaînement logique entre les arguments et la thèse défendue dans e sujet.Le mieux est d’abord de réduire la démonstration à une structure minimale et dialectique, cette organisation étant la plus sûre. En voici le schéma qui resservira à la conclusion:

Certes… acceptation provisoire de la thèse et des présupposés. Mais… réfutation totale ou partielle de la thèse et des présupposés.

Page 53: sujet de dissertation.docx

En fait... autres présupposés : même thèse ou autre.Dépasser l’opposition, tel est l’objectif de la démarche dialectique.À l’intérieur de chaque partie du raisonnement, de chaque paragraphe de chaque partie, les arguments thématiques et logiques (causes, conséquences, ressemblances, différences, formes, fonctions, points de vue, visions, etc.) doivent concourir à la démarche concessive, puis correctrice et progressivement assertive de l’ensemble. Voilà ce qui s’appelle mettre le sujet sous la pression constante du questionnement : je concède, je corrige, je rectifie !Elaborer un plan dialectiqueThèse, antithèse, synthèse : de tous les plans d’ensemble, l’organisation dialectique est la plus sûre, la plus souvent exigée par les sujets. Mais il s’agit d’appliquer une exigence de progression (de l’apparence à la profondeur, du bon sens au sens profond, donc philosophique, du connu au moins connu, de l’accord à la discorde, de la discorde à l’alliance) ainsi qu’une logique de cohérence, à savoir ne pas déroger au principe de contradiction : pour ne pas commenter une thèse pour affirmer ensuite le contraire dans l’antithèse. En ce cas, la partie consacrée à la synthèse conduirait dans un embarras, une aporie plutôt rédhibitoire. Thèse, antithèse... malaise... ce qui explique la méfiance envers une utilisation caricaturale de la démarche dialectique, souvent plaquée en raison d’un manque d’attention aux termes du sujet dont on ne retient que ce qui ressemble au déjà connu. La  démarche dialectique n’est pas simple en effet.Afin d’éviter de dire blanc puis de dire noir, le commentaire propose pour ce faire des arguments qui étayent la thèse en présence. Puis la discussion propose des objections, des restrictions sans opposition radicale à la thèse de l’auteur de la citation. Ruse qui permet alors la synthèse, laquelle peut montrer un autre aspect de l’affirmation présente dans le sujet sans affirmer nécessairement une opposition à l’opinion de l’auteur du sujet. Autre aspect fondé sur la recherche d’autres conceptions, à partir d’autres présupposés dégagés lors de l’analyse du sujet et, évidemment, d’une culture générale solide. C’est à ces conditions que le commentaire (thèse) et ses objections (antithèse) ne s’effondreront pas.Les trois moments du plan dialectique1. Vérifier une opinion en examinant une réponse possible fondée sur ce

qui est supposé admis par le sens commun et/ou l’auteur de la question. Partie qui équivaut à dégager les définitions (les données apparentes) d’une ou plusieurs notions, à vérifier une relation logique entre ces notions imposée par l’affirmation du sujet. Cette vérification s’effectue jusqu’à ce que la thèse devienne intenable.

2. Critiquer cette opinion, en montrer le caractère intenable à partir d’une thèse contraire ou d’arguments opposés fondés sur la mise au jour des présupposés : à quelle condition est-elle acceptable ? Partie qui équivaut à envisager une autre relation logique, inverse ou distincte, à examiner les manifestations (les données réelles), les fonctions d’une notion, d’autres définitions.

3. Proposer — sorte de coup de théâtre préparé — une autre opinion fondée sur d’autres présupposés, concepts que je définis différemment

Page 54: sujet de dissertation.docx

de l’auteur de l’opinion examinée. Partie qui peut correspondre à envisager la valeur profonde d’une notion (les données éthiques ou métaphysiques, souvent), un rapport logique différent sous couvert d’une redéfinition de la ou des notions             

Dissertation: Enjeux sociaux du langage

     La société désigne un groupe plus ou moins étendu d’individus liés par un ensemble organisé de relations. Que celles-ci soient fonctionnelles ou personnelles, qu’elles relèvent de la sphère publique ou privée, elles font généralement appel à la médiation  du langage. Dans les groupes humains, le social et le langagier s’interpénètrent dans de nombreuses situations qui vont du bavardage au discours et du tract au roman. Il est vrai que la faculté du langage est liée à divers centres cérébraux qui commandent aux différents organes de la phonation (de l’audition, de la lecture ou de l’écriture), mais tous ces centres ne contrôlent que des parties du langage,  car la synthèse ne s’effectue qu’au niveau social de l’échange, de l’apprentissage, de la pratique effective du langage. Cela prouve bien que le langage est bien une fonction sociale, rendue pourtant possible par le fonctionnement biologique. Omniprésent dans la société, le langage est élaboré, préservé et modifié par les interactions sociales, et constitue une partie intégrante des représentations collectives. Inversement, le corps de la société est conditionné par le langage, puisque la communication sociale détermine d’une façon significative la conduite quotidienne des membres et constitue le tissu de l’organisation sociale. Le langage est par conséquent un phénomène social de premier ordre qui a pour condition la société dont il est l’instrument indispensable et sur laquelle il agit de façon continue. L’analyse de la relation entre société et langage permettra de mettre en évidence les fonctions et les enjeux sociaux de celui-ci. Phénomène fondateur de la société, il se transforme pourtant en facteur de division, d’où la nécessité d’une éthique de la communication.

 

     La société apparaît tellement dépendante de la communication que le langage semble constituer une de ses conditions nécessaires. Phénomène social par excellence, le langage est un outil de communication privilégié et un facteur efficace de socialisation.

 I    –   Langage et sociabilité     Tout d’abord, les liens entre société et langage sont très étroits, à tel point qu’il est difficile d’imaginer l’un sans l’autre. La philosophie grecque a perçu très tôt cette interdépendance. Aristote par exemple s’est attaché  à montrer l’originalité de la société humaine par rapport à celles des animaux: « il est évident que l’homme est un animal politique plus que n’importe quelle abeille et que n’importe quel animal grégaire. Car comme nous le disons, la nature ne fait rien en vain ; or seul parmi les animaux l’homme a un langage» (Aristote, Politiques, I, 2). Certes, l’homme est seulement « plus politique » que les autres animaux, il n’est donc pas le seul à vivre en société. Par conséquent, la vie sociale n’est pas la propriété spécifique de l’homme, mais il y a une distinction essentielle entre société animale et cité humaine : alors que les animaux n’ont que « la voix… qui est le signe du douloureux et de l’agréable…, le langage (logos, qui signifie aussi raison) existe en vue de manifester l’avantageux et le nuisible, et par suite aussi le juste et l’injuste. Or, avoir de telles notions en commun, c’est ce qui fait une famille et une cité. » (Idem). Le langage rationnel (logos) apparaît ici comme fondateur de la cité humaine puisque le fait de partager et d’exprimer les notions morales est à la fois ce qui rend possible la vie en commun et sépare radicalement l’homme de l’animalité. Plus près de nous, Emile Benveniste résume le caractère inséparable de ces deux phénomènes dans Problèmes de linguistique générale (1964) : «  En posant l’homme dans sa relation avec la nature ou dans sa relation avec l’homme, par le truchement du langage, nous posons la société... langue et société ne se conçoivent pas l’une sans l’autre  ». L’existence de l’homme est ici d’abord une relation dont le langage est le mode d’accomplissement privilégié, le médiateur (truchement) dans un rapport de communication spécifique, qui a pour condition et pour cadre la société. Celle-ci se constitue justement par le fait d’entrer en relation et de communiquer au moyen du langage articulé, qui prend obligatoirement la forme sociale  d’une langue, et la forme individuelle de parole.     Fondateur de la relation sociale, le langage a pour principale fonction la communication entre les membres de la société. Pour Rousseau, la parole a d’abord servi à communiquer des sentiments et non des besoins, c’est ce qu’il explique dans son Essai sur l’Origine des Langues (posthume 1781): « Ce n’est ni la faim, ni la soif, mais l’amour, la haine, la pitié, la colère, qui   ont arraché aux hommes les premières

Page 55: sujet de dissertation.docx

voix ». Pour John Locke, c’est surtout les idées que le langage permet de partager : « comme on ne saurait jouir des avantages et des commodités de la société sans une communication de pensées, il était nécessaire que l’homme inventât quelques signes extérieurs et sensibles par lesquels ces idées invisibles, dont ses pensées sont composées, puissent être manifestées aux autres », (Essai philosophique concernant l’entendement humain ,1690). On voit ici que c’est la vie sociale et ses exigences qui conduisent à l’élaboration d’un système de signes efficace  qui permette de se comprendre en société. En plus de cette vertu théorique, le langage en société a également une  finalité pratique. C’est ce que pense par exemple Henri Bergson qui s’exprime ainsi dans Le Rire (1899) : « Or, quelle est la fonction primitive du langage ? C'est d'établir une communication en vue d'une coopération. Le langage transmet des ordres ou des avertissements. Il prescrit ou il décrit. Dans le premier cas, c'est l'appel à l'action immédiate ; dans le second, c'est le signalement de la chose et de quelqu'une de ses propriétés, en vue de l'action future. Mais dans un cas comme dans l'autre, la fonction est industrielle, commerciale, militaire, toujours sociale. » Pour Bergson, la fonction du langage est toujours sociale : ce qui est premier, c'est l'organisation sociale, qui est fondatrice de notre vision du réel. L'originalité de cette position est donc que le langage a pour origine la forme de nos actions possibles au sein de la société. Ainsi, la vie en société dépend de l’intercompréhension rendue possible par le langage qui permet de partager des émotions, transmettre des idées ou préparer des actions.       Grâce à ces fonctions d’expression et de communication, le langage participe à la socialisation de l’individu. Celle-ci se réalise graduellement au stade de l'enfance durant  laquelle va se construire la personnalité sociale. Jean Piaget reconnaît le rôle décisif des interactions sociales dans le développement individuel, en particulier de l’enfant. Il l’explique en ces termes dans La Psychologie de l’Intelligence (1947) : « Avec l’acquisition du langage par contre, c'est-à-dire avec les périodes symbolique et intuitive, de nouvelles relations sociales apparaissent qui enrichissent et transforment la pensée de l'individu ». Pour Piaget, le langage est déterminant dans la formation de la pensée individuelle parce qu’il ouvre la voie à l’interaction avec autrui qui va favoriser le développement cognitif et social. Grâce aux échanges sociaux, la qualité des processus de socialisation s’ajoute à la qualité des expériences cognitives. Emile Durkheim insiste sur la formation des mentalités par le moyen du langage. Dans L’Education Morale (1903), il explique le rôle décisif du langage dans ce processus : « le langage est chose sociale au premier chef, explique-t-il, c'est la société qui l'a élaboré, et c'est par elle qu'il se transmet de génération en génération. Or, le langage n'est pas seulement un système de mots ; chaque langage implique une mentalité propre, qui est celle de la société qui le parle, où s'exprime son tempéra-ment propre, et c'est cette mentalité qui fait le fond de la mentalité individuelle ». Il s’agit du phénomène de reproduction sociale qui joue le double rôle de perpétuation  et d’intégration des individus dans la société. Plus généralement, la langue est le véhicule principal de la culture d’une société puisque l’apprentissage d’une langue implique l’assimilation et la reproduction de la culture véhiculée par cette langue. « Par la langue, explique Benveniste dans Problèmes de Linguistique générale (1964), l’homme assimile la culture, la perpétue ou la transforme. Or comme chaque langue, chaque culture met en œuvre un appareil spécifique de symboles en lequel s’identifie chaque société.» Tout comme la langue, la culture inhérente à la société humaine, est un système de symboles vivants, dont la reconnaissance et l’assimilation favorise l’intégration et l’identification mais aussi la créativité et l’innovation au sein de cette culture. Ainsi, par le langage, la société façonne la pensée, la mentalité et la culture de l’individu. 

 

     Fait social par excellence, le langage crée les liens, favorise les échanges et assure l’intégration. Mais cela signifie-t-il que c’est un outil neutre et objectif ? Loin s’en faut, car le langage se trouve investi des passions, des divisions et des rivalités sociales.

 

 II   –  Langage et domination     Le langage sera très tôt utilisé pour agir sur autrui. Le développement des cités grecques amène tout naturellement au premier plan le discours : pour agir, il faut persuader les citoyens, qui décident en dernier ressort. Apparaissent, au Ve siècle av. J.-C., des maîtres qui vont de ville en ville enseigner l'art du discours : ce sont les sophistes. Gorgias de Leontium (487-380 av. J.-C.), comme tous ces maîtres d’éloquence, s'est profondément intéressé à la thaumaturgie du langage, cet art d'agir sur les âmes et d'exercer sur elles un pouvoir. Pour lui, Discours est un grand roi, qui peut tout et fait tout. Rien ne saurait résister à ce grand tyran qui, avec un corps imperceptible, parachève les actes les plus « divins ».

Page 56: sujet de dissertation.docx

Dans la mise en scène qu’en fait Platon dans son Gorgias, il apparaît comme un cynique qui manie un art sans autre objet que de dominer les autres. Voici comment il définit la rhétorique : « Je veux dire le pouvoir de persuader par ses discours les juges au tribunal, les sénateurs dans le Conseil, les sénateurs dans l’assemblée du peuple et dans toute autre réunion de citoyens. Avec ce pouvoir, tu feras ton esclave du médecin, ton esclave du pédotribe (maître de gymnastique et d’hygiène du corps) et, quant au fameux financier, on reconnaîtra que ce n’est pas pour lui qu’il amasse de l’argent, mais pour autrui, pour toi qui sait parler et persuader les foules. » Si pour Gorgias, la rhétorique est « le bien suprême » c’est parce qu’elle permet de commander aux autres hommes dans la cité. On voit ici que la fonction sociale de communication est dévoyée, détournée au profit de l’égoïsme individuel. L’art de persuader par le discours devient une source prodigieuse de pouvoir qui offre à son détenteur un avantage décisif sur les autres citoyens, généralement mal armés pour y résister. La rhétorique est l’exemple même du discours perverti, car elle place le dialogue dans une perspective de prise de pouvoir sur l’autre. La question de la rhétorique reste une question de notre temps. Le pouvoir des médias est un pouvoir sans réel savoir. Il ne repose que sur un ensemble de techniques de communication.     D’un autre point de vue, le pouvoir du langage peut être senti au niveau des processus de socialisation où il exerce un rôle de classification et parfois de cloisonnement des groupes sociaux. En même temps que les individus assimilent et des normes sociales de conduite à travers le langage, ils sont intégrés malgré eux dans des groupes socialement marqués et identifiables par opposition aux autres groupes sociaux (ouvriers, paysans, bourgeois…) De ce fait, l’accès d’un individu aux moyens de communication et l’utilisation effective qu’il en fait seront socialement déterminés. Du coup, par son parler (vocabulaire, syntaxe, prononciation…) l’individu se trouve attribuer une identité sociale qui révèle son origine et son appartenance. Ainsi, l’individu socialement catégorisé par son langage, se trouve enfermé dans une identité sociale dont il ne peut échapper. C’est ce qu’explique Roland Barthes dans Le Degré Zéro de l’Ecriture (1953) : «à l’intérieur d’une norme nationale comme le français, les parlers diffèrent de groupe à groupe, et chaque homme est prisonnier de son langage: hors de sa classe, le premier mot le signale, le situe entièrement et l’affiche avec toute son histoire. » Il est dès lors quasiment impossible de se détacher du sociolecte de sa propre classe, tellement c’est difficile d’effacer de son discours tous les indices de son appartenance sociale. Dans cette situation, deux réactions sont possibles : soit l’individu assume son identité sociolinguistique, soit il la conteste et tente une migration vers des formes de discours plus prestigieuses à ses yeux. Le sociolinguiste américain William Labov a mené une enquête en 1966 sur la stratification sociale de l’anglais à New-York. Il s’agissait d’isoler les variables linguistiques socialement pertinentes pour les corréler aux lignes de force principales de la société. Ses enquêtes montrent entre autres résultats que les membres des classes populaires tendent à se rapprocher de la manière de prononcer des classes privilégiées. Il en conclut que des pressions sociales s’exercent sur les formes linguistiques: elles sont soit de l’ordre du conscient, du volontaire, du maîtrisé, soit de l’ordre du non conscient, s’imposant alors à leurs usagers.        Ce rapport problématique des individus avec le langage de leur classe est symptomatique des rapports de domination sociale qui s’exercent dans et par la langue. Ces rapports sont analysés par le sociologue Pierre Bourdieu dans Ce que parler veut dire (1982). Critiquant la linguistique structurale et son approche abstraite du langage à travers la figure du «locuteur-auditeur idéal membre d’une communauté homogène » de Chomsky, il y oppose  le locuteur socialement défini, élément d’une communauté hétérogène, dans un cadre social non seulement compartimenté mais hiérarchisé. Les locuteurs sont inégaux devant la langue qu’ils maîtrisent plus ou moins bien : on distingue un français qu’on dit par exemple soutenu, correct, incorrect, familier, populaire, argotique, un français d'immigré, d'ouvrier, de paysan, de professeur …Etc. Le sujet parlant, bien qu’il ne soit pas divisé lui-même, vit cependant dans une société divisée, hiérarchisée, cloisonnée, c’est un sujet parlant dont la langue reproduit dans sa logique propre les traces de cette division et de cette hiérarchisation. Si la faculté de langage est le propre du genre humain, il y a dans l’utilisation de cette faculté à l’expression, des différences. Il y a des styles expressifs (syntaxe, lexique, registre) qui sont des pratiques langagières socialisées, éminemment variables et hétérogènes, qui sont mesurées à la norme de la langue dominante. Bourdieu introduit la notion de « marché linguistique »  pour expliquer la signification de la communication dans la société. Dans ce marché, l’échange linguistique est aussi un échange économique, où l’on ne parle pas seulement pour communiquer, mais pour s’assurer, dans un rapport de forces symbolique, un certain nombre de profits (être évalué positivement, cru, apprécié, admiré, obéi…etc.)  Les échanges linguistiques ne sont pas seulement des actes de communication entre égaux, entre pairs, ce qui supposerait égale la compétence  linguistique des locuteurs, mais ils sont « des rapports de pouvoir où s’actualisent des rapports de force entre les locuteurs et les groupes respectifs dont ils sont les agents ». La communication verbale implique désaccord, conflit, violence, négociation, résistance. Elle

Page 57: sujet de dissertation.docx

est le lieu de l’interaction verbale, lieu où s’inscrivent, dans et par la langue, des rapports de force.                                                                        

 

     Le langage est donc un instrument paradoxal. Bien qu’il soit un agent de liaison, d’échange et d’intégration, son usage dans la société n’est ni innocent ni inoffensif puisqu’il se transforme en facteur de manipulation, de division et de domination. Il devient donc révélateur des conflits sociaux qui traversent la société. Toutefois, ces tensions sociales ne peuvent se résoudre que par l’intermédiaire du langage qui devient alors dialogue.

 

 III  –  Langage, éthique et esthétique.     Aujourd’hui, plus les sociétés se complexifient, plus les gens s’isolent et l’individualisme triomphe. Au meilleur des cas, les individus se réfugient dans  leurs petites différences ethniques ou idéologiques pour retrouver une certaine sécurité et un sentiment d’appartenance. Des îlots se constituent alors et le communautarisme s’installe avec son cortège d’incompréhension, de rejet, et de violence. Pour en sortir, il n’y a pas mieux que l’ouverture sur l’autre, briser la glace pour établir un véritable dialogue fondé sur le respect et la dignité de chacun. Le dialogue va servir justement à jeter les ponts entre les individus et les communautés pour parer à la déshumanisation issue de  l’isolement et de l’enclavement. Pour Hannah Arendt, c’est parce qu’ils peuvent parler ensemble sur ce qui les concerne tous que les hommes peuvent partager la même vie et le même monde. Le dialogue est pour elle bien plus qu’une condition de la vie en société, il est un critère majeur d’humanité. Dans Vies Politiques (1974), elle revient sur la notion d’amitié chez les Grecs : « seul un ‘parler-ensemble’ constant unissait les citoyens en une polis (une cité). Avec le dialogue se manifeste l’importance politique de l’amitié, et de son humanité propre  ». L’amitié n’est pas seulement un phénomène de l’intimité, où les amis s’ouvrent leur âme sans tenir compte du monde et de ses exigences, mais elle consiste d’abord en un discours qui se soucie du monde commun, qui reste « inhumain », tant que les hommes n’en discutent pas en permanence. Plus fondamentalement, c’est le dialogue qui humanise le monde : « car le monde n’est pas humain pour avoir été fait par des hommes, il ne devient pas humain parce que la voix humaine y résonne, mais seulement lorsqu’il est devenu objet de dialogue ». Ce qui fait vraiment de la société un espace humain, ce n’est pas le langage mis au service des appétits de pouvoir et de domination, ce n’est pas le langage qui divise et qui exclut mais le dialogue qui jette les ponts entre les humains.       Mais que doit-on entendre par dialogue ? Et comment garantir l’authenticité de l’échange social ? L’aptitude de dialogue implique le dépassement de l’égocentrisme, du dogmatisme et des préjugés pour tenter d’entendre ce que dit l’autre : condition pour que la confrontation des idées et des personnes soit créatrice et ne se transforme pas en fausse motivation pouvant conduire à des affrontements obstinés et violents. Les règles de libre confrontation et de vérification collective que les scientifiques ont su, à l’épreuve des faits, s’imposer, ne sont-elles pas au plus profond inspirées par cette sagesse ? Des règles analogues devraient jouer dans les autres sphères de réflexion et de décision. La théorie dialogique de « l’agir communicationnel » de Jürgen Habermas, qui se veut une sorte d’éthique de la discussion, cherche à élaborer des critères de réussite du dialogue. Pour le philosophe allemand, il existe une "raison communicationnelle" qui s’oppose à la raison strictement "instrumentale". La première a pour but d'abord l'intercompréhension entre les humains, particulièrement par le moyen du dialogue, alors que la seconde cible la maîtrise des choses. Ce mouvement rationnel qui aboutit à l'intercompréhension exige trois conditions nécessaires et complémentaires : il requiert que les locuteurs s’accordent à la  fois sur la vérité de leurs affirmations,  sur la justesse des normes qui président à leur interaction  et sur lasincérité de leurs propos (concordance entre paroles et actes).  Ainsi, quiconque parle à autrui dans le but de s’entendre avec lui suppose que les arguments qu’il avance peuvent être appréciés discursivement à la fois sous l’angle de la vérité objective, de la justesse normative et de la sincérité subjective, et qu’ils peuvent de la sorte être validés au sein d’un accord rationnel et librement consenti. Dans tous les cas, la fréquentation d'autrui s'effectue sur l'établissement d'un « consensus ». Dans cette « éthique du dialogue », autrui est moins envisagé sous l’angle de sa subjectivité que sous celui de la sociabilité. C'est plus la société davantage qu'autrui lui-même qui fait l'objet de cette réflexion. Mais au-delà de ces considérations éthiques, comment faire de l’échange social une source de plaisir ? Le dialogue réussi dépend aussi de la forme du discours et de l’énonciation. Celle-ci se rapporte non à la rhétorique qui vise la domination, mais à ce qu’on pourrait appeler une esthétique du dialogue.

Page 58: sujet de dissertation.docx

Autrement dit l’art de parler qui consiste à rendre l’échange agréable pour les deux parties. Il s’agit bien ici du plaisir qu’on éprouve en parlant à autrui ou en l’écoutant, car la société des hommes, c’est aussi cela. Le vocabulaire, le style, ou l’intonation peuvent être l’occasion de créations verbales et de jeux de langage (analysés par Wittgenstein), qui peuvent procurer une  jouissance verbale. C’est dans ce cadre qu’on parle de remarque succulente, de commentaire savoureux, ou de plaisanterie truculente. Et c’est en général pourquoi les gens apprécient la compagnie de certaines personnes douées pour la conversation. L’histoire littéraire nous apprend par exemple l’importance de l’art de parler dans la société aristocratique sous le règne de louis XIV. Dans les salons distingués  de l’époque, dominait l’idéal de  « l’honnête homme », qui se caractérisait, entre autre par ses qualités sociales, ses manières raffinées, sa maîtrise de l’art de parler. Bref il dispose de ce qu’on appelle généralement avoir de ‘l’esprit’, qualité qui réunit la raison et le goût, mais aussi l’effort et le plaisir. Dans Le mot d'esprit et ses rapports avec l'inconscient (1905),  Sigmund Freud s’est intéressé au « trait d’esprit » comme représentatif de la jouissance par la parole. « L’intention du trait d’esprit est de produire du plaisir », explique-t-il, mais le mot d’esprit revêt aussi une fonction sociale : « Personne ne peut se contenter d'avoir fait un mot d'esprit pour soi seul » soulignait Freud, qui trouvait que cette activité de la pensée était « la plus sociale de toutes les prestations psychiques tendant au plaisir ». Le mot d'esprit, en procurant du plaisir partagé, va consolider la relation sociale, ou initier la possibilité d'un nouveau lien, une complicité nouvelle. Ce qui crée le lien social ici, ce n’est pas simplement le langage, mais une forme et un agencement particulier du discours qui font appel à la fois à l’intelligence et à la sensibilité.

 

     Ainsi, langage et société sont intimement liés. Grâce au langage la société se forme, s’anime et se perpétue. Paradoxalement, c’est aussi par le langage que ses membres sont divisés, manipulés et dominés. Étrangement, ce n’est que par lui qu’ils peuvent retrouver la paix, l’entente  et le plaisir de vivre ensemble. L’ambivalence de cet outil magnifique fait de lui à la fois le ciment de la société, le creuset des rivalités sociales et l’agrément de la vie commune. Aujourd’hui, les échanges symboliques, généralisés et démocratisés grâce aux nouvelles technologies, bouleversent les notions de société et de langage. Sur l’immense toile virtuelle, des individus géographiquement éloignés fondent de nouvelles communautés qui ont leurs normes, leurs codes et leurs valeurs propres. Mais s’agit-il encore de ‘‘sociétés’’ virtuelles ? Les récentes révoltes de la jeunesse du monde arabe ont démontré que ce qu’on appelle justement les ‘‘réseaux sociaux’’ sont d’une redoutable efficacité sociale et politique. Ils ont rendu possible  le triomphe des idéaux humains de liberté et de justice sur  la servitude et la tyrannie.

 

Dissertation de culture générale rédigée par : Abdelbasset Fatih, professeur agrégé de lettres modernes, enseigne le français et la culture générale en CPGE économiques, au lycée Omar El Khayyam à Rabat. 

Sujet de dissertation: suffit-il d'être juste? D’abord on peut répondre que La justice est une vertu complète. Être juste est objectivement suffisant.

Etre juste c’est mettre le centre de sa vie dans ta loi morale. Cette centration se constitue à partir de la déception à L’égard des promesses de La vie empirique : plaisirs sensibles, puissance, richesse, gloire. Toutes ces satisfactions, certes bien réelles, dépendent en grande partie des circonstances et restent donc à ce titre précaires. Une seule chose dépend de soi, l’accord raisonnable avec soi-même, à partir de quoi l’individu conquiert un bonheur imperdable. Socrate meurt en accord avec lui-même dans le désaccord avec la doxa de son temps. Les stoïciens définissent le bonheur par le critère unique de L’accord intérieur. Ils ont compris l’essentiel.  Rien n’est plus simple, rien n’est plus commun. Lorsqu’il apprend qu’un innocent doit être condamné à sa place, Jean Valjean devenu monsieur Madeleine, préfère après une longue nuit tourmentée se livrer à la justice plutôt que de vivre confortablement (Les Misérables, première partie, livre 7)!

Peut-on étendre l’autarcie morale à la dimension de la cité ? C’est Le problème politique. L’expérience courante montre que l’individu ne veut pas nécessairement la loi, c’est pourquoi il faut des lois (externes). La cité doit allier le juste commun avec  l’utile particulier à travers la différenciation des tâches. Platon élabore le schéma d’une cité rationnelle où la classe productive est subordonnée à la

Page 59: sujet de dissertation.docx

classe publique des gardiens, elle même dirigée par la classe savante. La justice tient dans le fait que chacun est à sa place en fonction de ses capacités, que chaque groupe social remplit sa fonction pour le maintien du tout. La loi constitue l’universel présent pour celui qui ne peut s’élever à l’universel.  La cité organique ainsi dessinée a sa propre suffisance.

Cette suffisance objective s’accompagne toutefois de la conscience aiguë de la difficulté de la réalisation du juste. Au sein de l’école stoïcienne, peu d’adeptes ont employé le nom de sage à la première personne. Quant à la cité juste, Platon est fort pessimiste sur son accomplissement. Il voit plutôt des cités dégénérées, où le principe de l’intérêt particulier tend à prévaloir sur le principe de l’intérêt général (cf. les livres VIII et IX de la République). L’intérêt particulier tire L’individu et les groupes sociaux vers leur égoïsme au préjudice de la réciprocité et de la justice proportionnelle. C’est pourquoi la justice n’a jamais fini d’être réalisée. La forme la plus haute de l’éducation est le dialogue, grâce auquel chacun peut reconnaître l’humain en l’autre. Or, les échecs du dialogue attestent du fait que Le trouble de l’immédiat n’est jamais maîtrisé. On voit donc que, si le juste est une vertu complète, c’est aussi une vertu exigeante et incommode.

On peut cependant mettre en question la suffisance de ta vertu de justice en réfléchissant sur le formalisme de la Loi et les contradictions de l’action.

Première limite: l’insuffisance à l’égard du sentiment.

Suffit-il d’être juste pour être heureux? La réponse à la question dépend de l’anthropologie à laquelle on se réfère. Si l’on pose, comme les philosophes grecs, que l’homme est essentiellement raison et secondairement sentiment (animalité), alors on doit conclure que la justice est vertu complète, qu’il suffit d’être juste. Socrate meurt sereinement ! En revanche, si l’on se réfère à l’anthropologie initiée par la foi biblique, il faut alors admettre que le sentiment n’est pas un accident de la nature humaine. Au sein du sentiment il y a le désir de reconnaissance de soi-même dans sa singularité auquel le Dieu de La Bible est le premier à donner droit. L’individu ne peut clore son existence dans la médiation assurée du rapport à soi et des rapports aux autres, il est ouverture de soi à l’autre  dans Le risque absolu du sans réponse et du sans retour. Cf. te Christ sur la croix : “Mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ?“ (Evangile selon saint Matthieu, ch.27). Bref, au dessus de La Loi, Il y a l’amour, l’abandon volontaire de la personnalité abstraite avec te sentiment de se retrouver et de se compléter dans et par L’autre. Au fond de l’existence se découvre une dialectique qui n’est pas celle de la médiation (par la discussion et par Les lois), mais celle de l‘appel et de l’attente de l’autre qui répond librement, gracieusement. On comprend que Pascal puisse reprocher aux stoïciens Leur superbe ! Dans L’Entretien avec M. de Saci, il montre la force et les Limites du stoïcisme. Epictète a bien compris la grandeur de L’homme, qui vient de sa liberté, mais il n’a pas compris sa faiblesse, c’est pourquoi  ‘’connaissant Le devoir de l’homme et ignorant son impuissance, il se perd dans La présomption’’.  Seule la foi nous éclaire sur l’union paradoxale de La grandeur et de La faiblesse propre à l’homme.

Les chrétiens ajoutent à La “vertu cardinale” de ta justice la “vertu théologale” de La charité. IL ne suffit pas de respecter l’autre dans tout ce qui concerne les échanges et les partages, mais il convient d’aider l’autre à la mesure de sa faiblesse et de sa singularité. Evoquons ici une scène célèbre au début des Misérables. Myriel héberge Jean Valjean. Ce dernier fuit au milieu de La nuit en lui volant ses couverts en argent, qui sont sa seule richesse. Lorsque Jean Valjean revient encadré par trois gendarmes, la justice voudrait que Myriel récupère son bien et se plaigne de son ingratitude. MyrieL va vers Jean Valjeau “aussi vivement que son grand âge le lui permettait” et lui donne les chandeliers en plus ! L’éthique du don et du pardon vient ici sublimer la morale stricte de la justice (de l’égalité ou de l’équivalence calculée à partir de l’intérêt).

L’approfondissement (initialement religieux) de la subjectivité s’accompagne d’un doute quant à la réalisation du juste : “Il n’y a pas un seul juste” ! Car au-delà de la justice attendue on peut toujours se demander si le juste est voulu pour lui-même ou non. La valeur morale ne vient pas de la rectitude, de la conformité au devoir (pflichtmassig), elle vient plus profondément de l’intention. Mais on ne peut jamais savoir ce qu’il en est au fond des motifs de nos propres actions, Le cœur humain est insondable. Cette obscurité à soi et à la loi est bien l’expression de la finitude constitutive de l’homme.

Deuxième Limite, l’insuffisance à l’égard de la pratique.

Page 60: sujet de dissertation.docx

Il peut être tentant pour se préserver dans la pureté et la cohérence de ses principes de ne pas intervenir dans le monde, et par peur de l’injustice commise de favoriser l’injustice de autres ! C’est pourquoi on peut dire : il ne suffit pas d’être juste, il faut être courageux. Les hommes ne sont pas totalement moralisés, il faut donc intervenir, éduquer les autres. Cette éducation ne consiste pas à faire aux autres des leçons condescendantes de morale, mais plutôt à tenir fermement sa place dans des interactions effectives. Il est vrai que, pour La paix de son âme et pour éviter de se poser des questions difficiles, il est préférable de ne pas intervenir et de ne pas agir sur ses semblables. “Pour vivre heureux, vivons caché”, dit le proverbe. Le problème c’est qu’à partir  de sa retraite la conscience morale distille ses critiques et son acrimonie: Les gens sont malhonnêtes et hypocrites! Les lois ne sont pas ce qu’elles devraient être ! Les gouvernants n’agissent pas comme il faut I La seule issue à cette contradiction est d’affronter le monde, d’apprendre les lois du réel.

Il ne suffit pas d’être juste, il faut être prudent. Nous prenons le mot prudence en son sens aristotélicien (phronèsis), à savoir l’intelligence de la situation particulière, ce qu’on appelle aussi discernement ou lucidité. La prudence est la vertu de tout homme en tant qu’il est agissant. Autant il peut être facile de dire ce qu’est le juste en général: l’égalité pour tous, l’objectivité dans les partages, autant il est difficile de déterminer, ici et maintenant, une récompense ou une sanction, un salaire ou un prix, d’évaluer véritablement ce qui vaut approbation ou blâme. C’est le métier du juge. Si le juge dépend d’abord de la loi, il doit être capable d’interpréter, voire exceptionnellement de corriger la loi, là où son application mènerait vers une injustice, ce qu’Aristote appelle l’équité (epieikeia). La prudence est la vertu de l’homme politique, homme d’action par excellence. Sans la prudence le projet de la réalisation de la justice dans la société risque de conduire à renforcer la violence dans le monde. C’est ainsi que Hegel interprète le moment de La Terreur pendant la Révolution française. La Terreur est une sorte de fanatisme de la loi universelle, le refus de laisser les individus s’épanouir dans le moment de la particularité. L’agir politique demande un dosage toujours circonstancié d’idéalisme et de réalisme : idéalisme, car la société n’est pas ce qu’elle doit être, elle contient des injustices objectives, il faut donc la transformer!, réalisme, car il faut connaître les contraintes de la situation et les moyens effectifs, la teneur et la différenciation des sensibilités et des intérêts, si l’on veut modifier la société de manière effective sans accomplir de violences inutiles. Hegel remarque que le défaut de la jeunesse est de se vouer à l’universel abstrait. Il faut une certaine maturité pour accepter ce qui peut apparaître comme un compromis avec le réel. En ce sens, la prudence accomplit l’amour et la volonté de justice.

Etre juste ne suffit pas, il faut être charitable, courageux, prudent... Maintenant, il reste à savoir si ces vertus s’inscrivent dans la logique même de l’accomplissement de la justice ou si elles constituent un complément véritable à la vertu de justice. Il y a deux styles de réponses : on peut insister sur l’affinité forte entre justice, bonté et équité, et conclure à une insuffisance extrinsèque du juste ; on peut tout au contraire insister sur la discontinuité et l’hétérogénéité, et conclure à une insuffisance intrinsèque du juste (moral). Eu égard à l’expérience de l’hypocrisie régnante de la bonne conscience ou de la bette âme (attitudes décrites par Hegel dans le prolongement de la “vision morale du monde”), eu égard à la facilité coupable de tous ceux qui se croient justes (et justifiés) par la parole en évitant toute confrontation avec le monde et tout exercice de responsabilité, nous serions tentés de répondre que le juste ne s’épuise pas dans le rapport conscientiel à soi-même. Ajoutons que la véritable justice est une inquiétude sur elle-même (comme la vérité, comme la raison) et qu’elle s’interdit en ce sens toute suffisance.

SUJET DE DISSERTATION :Rejetant le slogan des naturalistes ou réalistes « rien que la vérité, toute la vérité », Maupassant affirme que les « Réalistes de talent devraient s’appeler plutôt des Illusionnistes ». Comment cette affirmation s'applique-t-elle aux romans naturalistes que vous connaissez? PLAN DE LA DISSERTATION :Les naturalistes ont voulu être les témoins sincères de la réalité. Jouant du paradoxe, Maupassant leur rappelle que le réalisme est un art de l’illusion.I - LES NATURALISTES DISENT LA VÉRITÉ DE LEUR TEMPSLe naturaliste dit toute la véritéLa formule dont Maupassant résume la doctrine des romanciers naturalistes ou réalistes, «rien que la vérité, toute la vérité », inscrit leur

Page 61: sujet de dissertation.docx

démarche dans une perspective judiciaire. Il est vrai que le romancier naturaliste instruit le procès de son temps. Comme un témoin à la barre, souvent un témoin à charge, il s’engage à ne rien cacher des réalités qu’on ignorait jusqu’alors pudiquement.Le naturalisme élargit en effet le champ de la représentation aux plaisirs du corps, il dévoile turpitudes morales et misères sociales. Dans Pot-Bouille par exemple, Zola révèle les vices cachés derrière une façade respectable ; dans Nana, il nous entraîne dans les coulisses de la prostitution ; dans Germinal, il montre dans l’enfer de la mine l’envers du luxe et de la quiétude bourgeoise.Le naturalisme contre les mensonges et les silences romantiquesLe naturalisme rompt ainsi avec les mensonges et les silences romantiques. Les paysans de La Terre ne sont pas ceux de George Sand: âpres au gain, violents, mécréants, ils n’ont rien des vertus champêtres, de bonté, de piété, de probité des Marie ou des Germain. Quant aux ouvriers de L’Assommoir, ils contredisent l’idéal menteur des Misérables: ivrognes et fainéants, ils sont, certes, empoisonnés par leur milieu mais ils ne sont plus les victimes innocentes que peignait Victor Hugo.« Rien que la vérité »Le naturaliste s’interdit donc, en témoin honnête, d’enjoliver ou de noircir le récit des faits, d’égarer le lecteur par d’invraisemblables péripéties : « Toute la vérité» sans doute, mais «rien que la vérité ». Conçue selon ce modèle judiciaire, l’intrigue échappe aux ficelles du romanesque : les coups de théâtre, les signes auxquels on reconnaît les enfants abandonnés, les lettres qui démasquent les coupables et récompensent la vertu, tous ces contes à dormir debout sont désormais caducs.II – LE NATURALISME : UN ART DE L’ILLUSIONTout roman est une fictionSans remettre en cause les objectifs du naturalisme, Maupassant rappelle que tout roman est une fiction, soumise, en tant que telle, aux lois de l’illusion.Il serait en effet totalement impossible de tout montrer. La vie ne choisit pas, elle met sur le même plan une multitude d’incidents insignifiants qui encombrent nos journées. Or le romancier vise le sens, il lui faut donc, par la composition, guider le lecteur, lui permettre de décrypter la vérité enfouie sous les faits.La vérité du récitLe romancier de talent est un escamoteur qui, sans recourir aux ficelles voyantes du romanesque, organise subtilement l’intrigue pour convaincre. Chez Zola comme chez Maupassant, des scènes se répondent en écho elles font sens parce qu’elles font signe.Les scènes doubles qui jalonnent le récit, par exemple, donnent la mesure d’une désillusion : Renée, les yeux dessillés, retrouve à la fin de La Curée les grâces factices du Bois de Boulogne qui l’ont perdue ; Gervaise, reléguée dans le coin des pouilleux, se revoit, dans L’Assommoir, pleine d’espérance, ambitionnant un appartement dans la maison ouvrière qui l’a corrompue ; Jeanne, dans Une vie, retourne dans le petit bois où elle a connu le premier frisson de l’amour pour y découvrir la trahison de son mari.Les artifices de la description dans le roman naturaliste

Page 62: sujet de dissertation.docx

De la même manière, décrire, c’est toujours choisir. Choisir le petit fait vrai qui fonctionne comme un indice : le bruit de l’or rythme ainsi la quête de l’arriviste dans Bel-Ami, des amours de coccinelles disent au lecteur d’Une vie le piège de la nature auquel se laisse prendre Jeanne, emportée dans le grand rut universel, et le crachat noir de Bonnemort, leitmotiv obsédant de Germinal, insiste sur la terrible condition des damnés de la mine.III - LES JEUX DU STYLE DANS LE ROMAN NATURALISTELe naturalisme pratique l'art de la suggestionÉcrire, c’est enfin mettre en œuvre les ressources du style, qui suggère comme l’illusionniste fait voir un monde qui n’existe pas. Par l’art de l’esquisse ou de la caricature, Maupassant évoque ainsi un personnage ou une scène comme on dit d’un magicien qu’il évoque les esprits : «une chevelure scientifique » et le médecin charlatan de Mont-Oriol est là, devant nous deux rivaux affrontés, « les dents près des dents, [...] l’un maigre et la moustache au vent, l’autre gras et la moustache en croc », et nous voyons Bel-Ami défier Laroche-Mathieu.le naturaliste passe de l a métaphoreà la métamorphoseCaricaturiste, Zola brosse lui aussi parfois ses personnages d’un trait comme la Levaque dans Germinal, qui s’avachit, «la gorge sur le ventre et le ventre sur les cuisses », mais c’est surtout par la métaphore qu’il fait naître un monde irréel du monde réel, comme le magicien fait naître une colombe d’un foulard. La métaphore est en effet l’art des métamorphoses : la maison de la Goutte-d’or ouvre des mâchoires d’ogre qui mangeront Gervaise, le Voreux jette son haleine de bête mauvaise tapie au fond d’un trou et la Lison expire comme une femme aimée.En guise de conclusion de la dissertationLe paradoxe de Maupassant n’est donc qu’ apparent, c’est bien en effet par l’illusion, par les choix narratifs et descriptifs, par les artifices du style que les naturalistes atteignent la vérité.Pour réussir le commentaire, il faut d'abord bien apprécier la spécificité du texte à étudier et ne pas développer un commentaire vague ou trop général. Pour cela il faut en examiner toutes les caractéristiques. Après avoir lu le texte au moins deux fois, il faut  procéder à une analyse littéraire de celui-ci et commencer à noter les diverses remarques. Vous essayerez  ensuite de regrouper ces dernières autour de deux ou trois axes pertinents et complémentaires de façon à obtenir une progression cohérente. Le plan ainsi obtenu servira de base pour la rédaction du commentaire. I - Comment analyser un texte?1- Aborder le texte à commenter• Identifier la structure du texteExaminer comment le sens est distribué dans les différentes parties du texte et la logique de sa progression : ordre chronologique, raisonnement inductif ou déductif, structure oppositive, énumération, des causes vers les conséquences ou l'inverse, le fait et le droit, de l'intérieur vers l'extérieur ou l'inverse ...etc• Analyser la situation d’énonciationII est intéressant de repérer en quoi un texte révèle, par les marques de subjectivité, la personnalité du locuteur. Demandez-vous par exemple:

Page 63: sujet de dissertation.docx

— Le destinataire est-il impliqué (utilisation du pronom nous, interrogatives) ?— La situation d’énonciation change-t-elle?— Quand passe-t-on du récit au discours? Pourquoi ?— Le locuteur s’adresse-t-il à un être inanimé, à un mort?• Repérer le registreSi le texte a recours à un registre particulier (tours épiques, enthousiasme lyrique, ironie, comique, polémique...etc.), mentionnez-le.2. Analyser un texte en détailAnalyser un texte revient à inspecter chaque phrase dans ses moindres détails, en examinant tous les aspects suivants• Les champs lexicaux• Les symbolesDemandez-vous toujours si certains éléments du texte n’ont pas une valeur symbolique. Soyez sensible en particulier aux descriptions.• Les métaphoresExpliquer une métaphore consiste à développer les points communs sous- entendus. Justifier la métaphore consiste à se demander ce qu’elle apporte au texte (connotation positive ou négative ?), si elle se justifie par le contexte (métaphore maritime si l’on est au bord de la mer, par exemple).• Les autres figures de style• La syntaxe de la phrase• Les sonorités et le rythme• La typographiePensez à repérer d’éventuelles informations purement visuelles— Les paragraphes : si les paragraphes sont de taille très différente, on pourra s’interroger sur ces déséquilibres.— Les vers: en poésie, pensez que les mots placés à la rime se trouvent mis en évidence. Si les vers sont libres Fiche 20, demandez-vous pourquoi l’auteur préfère ici un vers long (grandeur? lenteur?) et là un vers court (étroitesse? accélération ?).— La forme des lettres peut, en poésie, devenir symbolique, si la lettre est mise en évidence par une majuscule ou une répétition : le O évoquera un objet circulaire (œil, globe); le V un oiseau en vol. etc.3. Adapter l’analyse aux spécificités d’un genreChaque type de texte oriente l’analyse vers des problématiques spécifiques.• Commenter un texte narratif— Qui raconte le récit ? Est-ce le narrateur ou un personnage ? Peut-on déceler des marques de subjectivité ?Quelle est la focalisation adoptée par le récit ? Reste-t-elle constante ou change-t-on de point de vue ?— Interrogez-vous sur le temps du récit: pourquoi y a-t-il une accélération ou un ralentissement du texte ? Trouve-t-on des ellipses ?Opère-t-on un retour dans le passé ou annonce-t-on l’avenir?• Commenter un texte descriptif—Trouvez l’axe d’organisation : suit-on un mouvement dans l’espace ou le temps? Pour un portrait, comment s’articulent le physique et le moral?

Page 64: sujet de dissertation.docx

— En vous appuyant sur les modalisateurs , demandez-vous si la description comporte des jugements de valeur. Est-ce la façon de voir du narrateur ou d’un personnage ?— Demandez-vous quelle est la fonction de la description : créer une atmosphère ? renforcer « l’effet de réel » ? révéler le caractère d’un personnage ?Et surtout, comporte-t-elle des éléments symboliques?• Commenter un texte théâtral— Se trouve-t-on à un moment particulier: exposition, crise, dénouement?— N’oubliez pas de commenter les didascalies. Sont-elles symboliques?— Analysez la situation d’énonciation : les répliques contiennent-elles des allusions que le destinataire ne peut pas comprendre ? L’auteur adresse-t-il un message au spectateur à travers les répliques des personnages?— Joue-t-on sur une convention théâtrale : monologue, aparté, stichomythie, quiproquo?— Dans une comédie, identifiez les différentes formes de comique ( comique de mots, de geste, de situation...)• Commenter un texte poétique— Identifiez le genre poétique (lyrique, élégiaque...) et la forme retenue (sonnet, vers libres, prose...)— Les rimes rapprochent-elles certains mots?— Étudiez la métrique : songez qu’une diérèse allonge le mot, qu’une césure déplacée crée un effet de rythme important. Trouve-t-on des enjambements ou des rejets ?• Commenter un texte argumentatif— Quelle est la (ou les) stratégie(s) de modalisation choisie?— Sachez reconnaître les types de raisonnements et d’arguments mis en œuvre.— Repérez tous les indices de subjectivité : connotations du lexique et des exemples, pronoms on et je, verbes d’énonciation, ponctuation... Le texte le plus objectif en apparence recèle toujours des traces de subjectivité. II - Le plan du commentaire :Le plan est l’élément essentiel : il faut proscrire toute analyse «  juxtalinéaire » (texte suivi ligne à ligne ou vers à vers) et éviter d’utiliser un plan de commentaire qui suivrait de trop près celui de l’extrait à commenter.Il convient d’utiliser avec prudence le libellé qui donne des « pistes de lecture », non un plan. Il n’y a pas de plan passe-partout, le moins risqué reste néanmoins celui qui consiste à traiter les thèmes successivement. On peut aussi aller d’une lecture au premier degré à des lectures de plus en plus complexes (deuxième et troisième degrés).Souvent, le type de plan suivant fonctionne pour tous les commentaires :1) Aspect documentaire ou informatif (qu’est-ce que le texte nous apprend ? les lieux? les personnages ? l’époque?, etc.)2) Aspect poétique (comment la réalité est transfigurée par l’art)3) Aspect idéologique (le sens profond ou symbolique, les intentions cachées du texte, etc.).

Page 65: sujet de dissertation.docx

De toute façon, un plan qui ne vous satisfait pas totalement est préférable à l’absence de plan. Parmi les exemples de « mauvais » plan de commentaire, il y aurait celui qui consiste à séparer le fond et la forme systématiquement. Pour ce qui est de l’étude stylistique, (champs lexicaux, registres de langue, effets de style, procédés de versification, présence ou absence du narrateur dans le texte, etc.), il faut insister sur ce qui est véritablement signifiant et produit un effet. Il est inutile par exemple de rappeler les règles du sonnet. En revanche, s’il y a un rejet qui paraît expressif, on le signale en précisant l’effet qu’il produit. III - La rédaction du commentaireL’introduction (dix à quinze lignes au maximum) sera rédigée après l’élaboration du plan du commentaire et écrite en entier au brouillon. Elle doit situer l’extrait dans un contexte historique ou thématique ou encore idéologique, citer l’œuvre, l’auteur, la date de parution. Il faut ensuite formuler de façon clair la problématique ou la question qui constituera le fil directeur de votre commentaire. Enfin annoncez le plan de manière habile. Dans un même temps, il est conseillé de rédiger en entier la conclusion. Elle répond à l’introduction, forme une synthèse et émet au besoin un jugement personnel. Elle peut opérer des comparaisons, ouvrir sur d’autres œuvres, d’autres questions. Il est important pour vous d’avoir en tête votre conclusion pour rédiger votre devoir : cela donnera plus de force à votre pensée.Il vous faut alors recopier l’introduction, laisser deux lignes blanches et commencer votre devoir au propre. Votre plan détaillé au brouillon et le texte que vous aurez annoté et souligné vous permettent de rédiger directement. N’oubliez pas de citer abondamment (et à bon escient) le texte avec des guillemets (même s’il ne s’agit que d’un mot). Il faut éviter à tout prix de plaquer artificiellement ces citations entre parenthèses par exemple de faire de la paraphrase.Entre chaque partie, vous devez laisser une ligne en blanc et prévoir entre elles d’habiles transitions (pour « visualiser » le plan).À la fin, il doit vous rester dix minutes pour vous relire, corriger l’orthographe et rétablir une syntaxe correcte.Quelques conseils généraux pour réussir votre commentaire :—N’oubliez pas de souligner les titres des œuvres ;—ne faites pas des paragraphes trop longs (ni trop courts) ;— soyez clair ;—Ecrivez lisiblement ;—Rédigez avec soin;—Evitez le hors-sujet ;— ne privilégiez pas le contexte aux dépens du texte (le pire qui puisse arriver est de « tomber sur un auteur que l’on connaît et de courir le risque de s’étendre sur des considérations qui n’ont rien à voir avec l’extrait à commenter) ;—N’utilisez pas trop la biographie.I - Comment aborder le sujet de dissertation?

Page 66: sujet de dissertation.docx

Abordez le sujet, autant que possible, sans idée préconçue. Laissez-vous interpeller par la question posée : posez-vous vraiment la question énoncée par le sujet.

Prenez le temps nécessaire pour bien comprendre le sujet, bien analyser, voir ses implications : cela vous évitera les errements hors-sujet !

Commencez par écarter toutes les réponses qui vous viennent spontanément à l’esprit, c’est-à-dire avant réflexion. Toute votre dissertation sera un effort pour parvenir à la fin, à une réponse argumentée et réfléchie.

Après avoir élaboré un plan pertinent et cohérent, il s'agit de rédiger l'introduction et la conclusion sur le brouillon . Ces deux paragraphes ont une importance capitale dans l'économie du devoir : l'introduction offre l'occasion d'un  premier contact du correcteur avec la copie et doit lui donner envie de lire la suite, et la conclusion laisse une dernière impression qui peut favoriser une décision en faveur du candidat. C'est pourquoi il faut accorder le plus grand soin à ces deux composantes essentielles de votre dissertation. II - Le rôle de l’introduction.

      1 - Commencer par amener le sujet

c’est-à-dire par montrer à l’aide d’un exemple que cette question surgit d’une situation de la vie, Vous justifiez ainsi le sujet en montrant que la question n’est pas arbitraire.

Ex. : Soit le sujet « Faut-il tout soumettre à la raison ? »

On entend souvent dire : « il faut être raisonnable » « sois raisonnable ». Si on dit cela, c’est que l’homme ne ‘est pas toujours, et suit parfois une autre voie que celle de la raison : ses désirs, ses passions, ses émotions, les coutumes, etc. Pourquoi faudrait-il toujours être raisonnable ?

     2 - Poser la problématique 

vous montrez ce qui pose problème dans la question proposée, et pourquoi on ne peut pas y répondre d’emblée.

Ex. La raison peut-elle juger de tout, à la fois dans le domaine des idées (de ce que nous pensons) et dans celui des conduites, des comportements (de ce que nous faisons) ? Ou bien y a-t-il en nous quelque chose qui lui échappe : l’amour, le désir, les passions, etc, qui peut parfois l’emporter et même qui le doit parfois ? Qu’est-ce qui donne de la valeur, du poids, à ce que nous pensons et vivons : est- ce seulement la raison, ou bien l’envie ou le désir que nous en avons ? Y a-t-il en nous quelque chose qui importe plus que la raison ou du moins dont la valeur ne dépende pas du jugement de la raison ?

      3 - Montrer les enjeux:

quelles conséquences y aurait-il, sur notre compréhension du monde et notre façon de vivre, à répondre de telle ou telle manière à la question posée ?

Ex. : Quelle voix, quels conseils, quel guide faut-il écouter et suivre 7 Faut-il toujours suivre la voix de la raison, ou la raison peut-elle nous égarer ou nous faire passer à côté de l’essentiel ? Y a-t-il autre chose qui puisse nous guider, par exemple l’intuition, les impulsions, les traditions, etc. 7 Et ce, tant dans le domaine de la pensée, si ce que l’on recherche est la vérité, que dans celui de l’action, de la vie, des décisions à prendre, si ce qu’on recherche est la bonne décision ?

      4 - Annoncer le plan

en une phrase, annoncez dans quel ordre vous allez aborder les questions vous permettant de traiter le sujet. Annoncez ce que vous cherchez, non ce que vous trouverez.

Page 67: sujet de dissertation.docx

Ex. : On commencera par se demander si la raison peut juger de tout, pour ensuite examiner ce qui lui échappe et peut donc déprécier ses jugements, voire peut-être produire d’autres jugements qu’on pourrait opposer à ceux de la raison.

Toute l’introduction doit être interrogative. Ne commencez pas à répondre à la question posée. À la fin de l’introduction, la discussion sur le sujet doit être aussi ouverte que possible.

 

VI – La conclusion

La conclusion établit un bilan de l’ensemble du développement. Vous montrez que vous avez bien traité la question posée. Vous soulignez l’approfondissement qu’elle a subi au cours du développement.

En fonction des conclusions auxquelles vous aboutissez, vous vous demandez ce qu’il en est des enjeux annoncés en introduction.

Vous explicitez les questions qui restent en suspens, ou les nouvelles questions qui surgissent de la réponse que vous apportez au problème posé.

La conclusion ne se contente pas de résumer ce qui a déjà été dit, mais elle en assume les implications et ouvre de nouvelles perspectives.