stephane granger: la guyane et le bresil
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8/17/2019 Stephane Granger: La Guyane Et Le Bresil
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La Guyane et le Brésil, ou la quête d’intégration
continentale d’un département français d’Amérique
Stéphane Granger
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Stéphane Granger. La Guyane et le Brésil, ou la quête d’int́egration continentale d’undépartement français d’Amérique. Géographie. Université Paris III-Sorbonne nouvelle, 2012.Français.
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UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE – PARIS 3
INSTITUT DES HAUTES ÉTUDESDE L’AMÉRIQUE LATINE
ECOLE DOCTORALE 122 : EUROPE ET AMERIQUE LATINES
Thèse de doctorat de Géographie-Aménagement
Stéphane GRANGER
LA GUYANE ET LE BR SIL,
OU LA QUÊTE D’INTÉGRATIONCONTINENTALE D’UN DÉPARTEMENTFRANÇAIS D’AMÉRIQUE
Thèse dirigée par M. Hervé THÉRY (2012)
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UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE – PARIS 3
INSTITUT DES HAUTES ÉTUDESDE L’AMÉRIQUE LATINE
ECOLE DOCTORALE 122 : EUROPE ET AMERIQUE LATINES
Thèse de doctorat de Géographie-Aménagement
Stéphane GRANGER
LA GUYANE ET LE BR SIL,
OU LA QUÊTE D’INTÉGRATIONCONTINENTALE D’UN DÉPARTEMENTFRANÇAIS D’AMÉRIQUE
Thèse dirigée par M. Hervé THÉRYSoutenue le 16 mai 2012
Jury :
Mme Marie-France PREVOT-SCHAPIRA, présidenteMme Françoise GRENANDM. André CALMONTM. Hervé THERYM. Sébastien VELUT
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Résumé
L’objectif général de ce travail est d’expliquer la nature des relations particulières entre une région
française d’Amérique du Sud, la Guyane, et le Brésil, que l’histoire coloniale a rendus frontaliers,
au moment où dans un contexte général d’intégrations continentales s’amorce entre eux un
rapprochement institutionnel mettant un terme à quatre siècles de rivalités et d’ignorance
réciproque.
Or la Guyane subit une forte pression migratoire et environnementale de la part d’un Brésil
particulièrement dynamique, ainsi que les contraintes d’une appartenance française et européenne
perçue comme étouffante en dépit des avantages qu’elle procure. En pleine quête identitaire, elle
aimerait s’intégrer à un environnement géopolitique que le Brésil cherche de son côté à organiser à
son profit dans sa stratégie d’affirmation continentale.
Au moment où se construit un pont sur l’Oyapock entre les deux voisins, les récents accords de
coopération régionale visent à une « continentalisation » de la Guyane, dans une Amérique du Sud
dans laquelle elle était jusque là peu intégrée, mais elle doit se débattre entre de multiples enjeux
régionaux, nationaux voire supranationaux qui la dépassent.
Mots clés : Guyane, Amapá, Amazonie, Brésil, frontières, continentalisation,coopération et intégration régionales, immigration, géopolitique.
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Abstract
The overall objective of this paper is to explain the nature of the special relationship between a
French region of South America, French Guiana, and Brazil that colonial history made neighbors,
at the time when in a general context of continental integration these two countries are starting to
knit closer institutional links putting an end to four centuries of rivalry and mutual ignorance.
But French Guiana is undergoing high migration and environmental pressure on the part of a
particularly dynamic Brazil, as well as the constraints of a french and european membership felt as
choking in spite of the benefits it provides. In the midst of its search for its own identity quest,
French Guiana would like to integrate into a geopolitical environment than Brazil on its side seeks
to organize to its benefit, as part of its strategy for continental assertion.
At the time when a bridge over the Oyapock river between the two neighboring is being built,recent regional cooperation agreements are aimed at "continentalization" French Guiana, in South
America which it has so far been little integrated, but it must struggle between of multiple regional,
national or supranational issues, which it is far too small.
Keywords : French Guiana, Amapá, Amazonia, Brazil, boundaries,continentalization, regional cooperation and integration, migrations, geopolitics.
Resumo
O objetivo geral deste trabalho é explicar as relações particulares que existem entre uma região
francesa na América do Sul, Guiana Francesa, e o Brasil, que a história colonial tornou vizinhos,
enquanto, dentro de um contexto geral de integrações continentais, começa entre eles um processo
de aproximação institucional pondo fim a quatro séculos de rivalidades e ignorância mútua.
Porém, a Guiana Francesa é vítima de uma forte pressão migratória e ambiental por conta de um
Brasil especialmente dinâmico, como dos constrangimentos decorrendo de uma situação de região
francesa e europeia vista como sufocante apesar das vantagens. Em busca de uma identidade
própria, a Guiana queria integrar-se dentro de um conjunto geopolítico que o Brasil tenta organizar
no quadro de uma estratégia de afirmação continental.
Enquanto está se erguendo uma ponte sobre o rio Oiapoque ligando os dois vizinhos, os recentes
acordos de cooperação regional buscam uma “continentalização” da Guiana Francesa dentro de
uma América do Sul na qual se encontrava pouco integrada. Mas ela tem que se debater entre
numerosos alvos regionais, nacionais, e até supranacionais que estão superando-a.
Palavras-chave: Guiana Francesa, Amapá, Amazônia, Brasil, fronteiras,
continentalização, cooperação e integração regionais, migrações, geopolítica.
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A Charles des VAUX, gentilhomme de Sainte-Maure ( † 1619),initiateur de la France Équinoxiale qui s’est poursuivie en Guyane,
et qui le premier jeta un pont entre la Touraine et le Maranhão.
A la mémoire de mes amis Ronaldo de Camargo AROUCK (1956-2001) et Francinete dos SantosCARDOSO-GALANT (1972-2005), tragiquement disparus au moment où, pionniers en la matière,ils s’impliquaient dans la coopération scientifique entre le Brésil et la Guyane.
A mes grands-parents, si fiers de voir leur petit-fils entamer ce travail, mais qui n’en auront pas vul’aboutissement .
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Remerciements
Réaliser pendant près de dix ans une thèse de doctorat en Guyane, dans des conditions particulièresd’isolement et de manque de disponibilités, ne fut pas chose facile. Aussi me dois-je d’adresser magratitude à un certain nombre de personnes ;
Tout d’abord à mon directeur Hervé THÉRY, pour ses conseils, ses encouragements et, ce quin’est pas mince compte tenu des conditions dans lesquelles j’ai travaillé, sa patience et son humour.
Au professeur André CALMONT, de l’UAG, qui au vu de mon parcours brésilien me conseilla cethème de recherche lorsque je le sollicitai à mon arrivée en Guyane. Au professeur ChristianGIRAULT (CNRS), pour ses encouragements depuis Paris quand je commençai ce travail.
A mes parents aussi, géographiquement éloignés mais toujours présents dans les périodes dedoute.
A mes camarades thésards géographes de Guyane Rémi AUBURTIN et Stan AYANGMA, moncollègue historien Richard TOUCHET, ainsi que Frédéric PIANTONI pour les nombreuses etenrichissantes discussions, leurs informations, conseils et encouragements.Aux journalistes Laurent MAROT (RFO), Frédéric FARINE (RFI et La Semaine Guyanaise) etDenis VANNIER ( France-Guyane), dont l’aide, les enquêtes et les commentaires me furent
précieux. Merci à Jean SOUBLIN de m’avoir reçu à Paris et confié de précieux documents. Et,d’une façon générale, à tous ceux qui ont bien voulu me recevoir.
A tous mes amis, collègues, doctorants et I.P.R. de Guyane, pour leurs encouragements et certainesdiscussions, que je ne peux tous citer mais ils se reconnaitront (notamment mes camarades de larevue Guaïana).
A Gutemberg de Vilhena SILVA, géographe amapaense devenu un ami très cher, pour nos
discussions sur la géographie de l’Amapá et de la Guyane autour d’une bonne cerveja au bord del’Amazone… A Macapá toujours, merci à Lidiane VIEIRA et Carla Amorim da SILVA (ADAP), Carmentilla das Chagas MARTINS (UNIFAP) ainsi que Manoel de Souza PINTO (UNIFAP et CNRS) pour leurs informations. A Belém et Salvador, Catherine (Cathy) PROST,géographe franco- brésilienne, m’a gentiment reçu et conseillé. Frédéric BOURDIER ,anthropologue alors en mission à Belém, m’a également fourni de précieuses informations.
A Antoine KARAM, ancien président du Conseil régional de Guyane, qui m’a fait confiancedepuis le début de ce tr avail et m’a fourni témoignages et documents originaux.
Aux différents consuls du Brésil en Guyane, particulièrement Mme Ana Lélia BELTRAME et M.Carlos REIS pour la confiance qu’ils m’ont accordée. A Jean-François LE CORNEC, consul de
France à Macapá pour ses informations. L’aide et l’amitié de l’ex-attachée culturelle du Consulatdu Brésil à Cayenne, Ana Fátima Pinheiro KOHLER , me furent également précieuses.
En Guyane toujours, Jacqueline ZONZON et Philippe GUYOT aux Archives départementales deGuyane, dont je salue le personnel sympathique et dévoué, l’Association des Amis des Archives deGuyane et l’APHG de Guyane, le CRDP et l’IRD de Cayenne, particulièrement LaurentPOLIDORI et Arthur OTHILY, m’ont permis localement de valoriser mes travaux.
Enfin je n’oublie pas Mme PAPPALARDO, directrice de la Bibliothèque Franconie à Cayenne, pour avoir mis à ma disposition (et celle de la Guyane) les mémoires du baron de Rio Branco, ni les patients bibliothécaires de l’IHEAL, et encore moins Ivete Castro BOTELHO, documentaliste àla Commission de Démarcation des Frontières à Belém, pour sa gentillesse et son efficacité.
Et Cristina bien sûr, dans le Maranhão, l’ancienne France Equinoxiale. Sans eux ce projet n’auraitsans doute jamais pu être mené à bien. Qu’ils reçoivent ce témoignage de ma reconnaissance.
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SOMMAIRE :
INTRODUCTION. La Guyane entre appartenance européenne, repositionnement sud-américain et stratégie continentale brésilienne ………………………………………………... 7
1ERE PARTIE : LA GUYANE, UNE RÉGION FRANÇAISE D’AMÉRIQUE SOUS LAPRESSION BR ÉSILIENNE……………………………………………………………………. 21
CHAPITRE I – LA GUYANE FRANÇAISE, UNE EXCEPTION POLITIQUE ET ECONOMIQUEAU SEIN DU SOUS-CONTINENT SUD-AMERICAIN ……………………………………………… 25
I – Un territoire européen en Amérique du Sud …………………………………………. 26
II – Un isolat en voie de continentalisation ? ……………………………………………… 51Conclusion du 1er chapitre : une région française et européenne en Amérique du Sud….. 96
CHAPITRE II – LA GUYANE DANS LA NOUVELLE DYNAMIQUE D’EXTERNALISATION DU BRESIL………………………………………………………………………………………. 99
I – L’impact de la pression migratoire brésilienne sur la Guyane………………………… 100 II – L’État d’Amapá : un miroir brésilien en rapide expansion ....……………………… . 151III – Le contexte brésilien : entre externalisation et continentalisation des activités etdes tensions ……………………………………………………………………………….. 196Conclusion du second chapitre : une pression moindre qu’aux autres frontières ………… 229
Conclusion de la première partie : la Guyane, une région française sous la pressionbrésilienne ………………………………………………………………………………… 232
2EME PARTIE : LA GUYANE ENTRE MENACE ET ENJEU POUR LE BRÉSIL……… 235
CHAPITRE I – LA DIFFICILE FIXATION DES FRONTIERES ……………………………………. 239
I – Les Guyanes et le Brésil, enjeu des convoitises européennes …………………………. 240II – Le cas particulier de la frontière guyano-brésilienne ………………………………… 301Conclusion du premier chapitre : des légitimités mutuellement contestées ………………. 431
CHAPITRE II – LA GUYANE DANS LA PROJECTION CONTINENTALE DU BRESIL …………….. 435I – La Geopolítica brésilienne et les frontières amazoniennes : une géopolitiqueessentiellement défensive ………………………………………………………………… 436II – Les Guyanes dans la zone de sécurité du Brésil ……………………………………… 488III – Réalité des convoitises brésiliennes sur la Guyane ………………………………….. 535Conclusion du second chapitre : une Guyane plus menaçante que convoitée pour leBrésil ……………………………………………………………………………………… 567
Conclusion de la deuxième partie : entre Guyane et Brésil, des convoitises et peursmutuelles ……………………………………………………………………………………. 568
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3EME PARTIE : LA COOPÉRATION RÉGIONALE, UN ENJEU D’INTÉGRATIONET D’AFFIRMATION ………………………………………………………………………. 571
CHAPITRE I – ENJEUX, REPRESENTATIONS ET OUTILS DE LA COOPERATION GUYANE-AMAPA .................................................................................................................................... 575
I – Vers un rapprochement institutionnel ………………………………………………. 576II – La coopération régionale transfrontalière : principes et exemples ………………….. 621Conclusion du premier chapitre : la coopération régionale, un enjeu qui va au-delà d’un simple accord transfrontalier …………………………………………………………… 675
CHAPITRE II – L’AMAZONIE, UNE NOUVELLE TERRITORIALITE POUR LA GUYANE ? …… 679
I – Le Programme Opérationnel Amazonie : un nouvel enjeu de pouvoir local ………... 680II – Les limites de l’intégration régionale ………………………………………………… 701 Conclusion du second chapitre : une division « nord-sud » encore insurmontable ……… 759
Conclusion de la troisième partie : la Guyane et l’Amérique du Sud : des enjeux trop
contradictoires …………………………………………………………………………….. 762
CONCLUSION GÉNÉRALE. La Guyane dans l’Amérique du Sud, une impossiblecontinentalisation ? ………………………………………………………………………… 765
ANNEXES …………………………………………………………………………………… 771
BIBLIOGRAPHIE ……………………………………………………………………………. 807
TABLE DES DOCUMENTS …………………………………………………………………. 843
TABLE DES MATIÈRES …………………………………………………………………..... 847
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INTRODUCTION : LA GUYANE ENTRE APPARTENANCE EUROPÉENNE,
REPOSITIONNEMENT SUD-AMÉRICAIN
ET STRATÉGIE CONTINENTALE BRÉSILIENNE
Un territoire du « Nord » en Amérique du Sud
2012 devrait voir l’inauguration d’un pont inédit sur le fleuve Oyapock en Amérique du Sud,
reliant un département-région français d’outre-mer, la Guyane, au Brésil. Symbole de l’excellence
des relations bilatérales franco- brésiliennes mais aussi de l’ouverture de la Guyane sur son
environnement, il concrétise une dynamique d’intégration régionale amorcée depuis une vingtaine
d’année par cette dernière, mais qui n’est rien moins qu’évidente.
En effet, le 8 décembre 2004 était signé à Cuzco, au Pérou, un accord d’intégration entre les 12
pays d’Amérique du Sud : la Communauté Sud-américaine des Nations, qui devait devenir
l’Unasud1 en 2008. Mais toute l’Amérique du Sud n’était pas représentée : la Guyane justement,
seul ensemble non souverain du continent en tant que collectivité régionale de la République
française, ne fut pas conviée. Cette marginalisation n’était pas pour autant totale : parrainée par le
Brésil, la Guyane avait été admise en cette même année 2004 comme membre observateur au nom
de la France de l’Organisation du Traité de Coopération Amazonien, signé par les huit pays
concernés par l’écosystème amazonien, et participait peu après dans ce cadre au projet Orellana dedécouverte scientifique de l'Amazone, première implication du département français d’Amérique
dans un projet international sud-américain.
Longtemps ostracisée, encore perçue par de nombreux Sud-américains comme le résidu
anachronique d’une histoire coloniale révolue, la Guyane est ainsi coupée de son environnement
régional par son statut de département français, n’entretenant de relations pratiquement qu’avec
l’Hexagone (appelé improprement Métropole), les Antilles françaises et l’Union Européenne. Elle
se trouve de même physiquement isolée par la quasi absence de voies de communication la reliantau reste du continent. Néanmoins, son haut niveau de vie, permis par son insertion française et
européenne, ainsi que sa faible population au sein d’un continent pauvre provoquent toutes sortes
de flux illicites : contrebande, immigration clandestine, orpaillage illégal… qui la relient
informellement à des pays comme le Surinam, le Guyana et surtout le Brésil bien sûr, mais aussi de
plus en plus la Colombie et le Pérou. La prise de conscience de cette situation par les autorités
1 Union des Nations Sud-Américaines. En espagnol, Unasur ; en portugais Unasul . Nous avons choisi d’adopter lecompromis francophone Unasud .
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locales et nationales, qui comprennent qu’elles ne peuvent plus s’abstraire de leur environnement
géographique et géopolitique, ainsi que l’intérêt manifesté par le Brésil pour les territoires voisins,
ont permis depuis les années 1990 un repositionnement de la Guyane comme un territoire sud-
américain par la signature d’un certain nombre d’accords allant jusqu’à la construction d’un pont
international, alors qu’elle semblait jusqu’ici exclusivement française et européenne.
Mais c’est également une quête identitaire qui conduit les Guyanais à se rapprocher d’un monde
sud-américain avec lequel ils partagent les écosystèmes amazoniens, et qui leur semble plus
prometteur et prestigieux, au détriment du traditionnel tropisme antillais et hexagonal induit par
leur appartenance française. Représentative à cet égard, mais en même temps novatrice est la
déclaration récurrente de l’ancien président du Conseil régional, grand artisan de l’ouverture vers le
Brésil, Antoine Karam : « la Guyane n’est pas caraïbe, elle est sud -américaine ! »
Partie orientale du Plateau des Guyanes, espace longtemps marginalisé par ses difficultés d’accès
entre les fleuves Orénoque et Amazone, la Guyane se trouve de fait dans une espèce d’angle mort
du sous-continent sud-américain négligé par les colonisateurs ibériques. Les puissances de l’Europe
du Nord-ouest, Grande Bretagne, France et Pays-Bas, s’en emparèrent et en firent une extension de
leur domaine caraïbe. Seuls territoires non ibériques du sous-continent, les Guyanes tournèrent
ainsi le dos au reste du monde sud-américain, de colonisation espagnole et portugaise.
La Guyane cependant, unique collectivité française d’outre-mer continentale, partage plus de 700km de frontière avec le Brésil, il s’agit même de la plus importante frontière terrestre française.
Aussi l’une des marques les plus visibles de son appartenance sud-américaine, en dehors bien sûr
des éléments naturels, est la présence de fortes communautés immigrées issues des pays voisins,
notamment les Brésiliens, qui constitueraient environ 10 % de la population. De sort e que l’on n’y
retrouve pas l’attraction mutuelle qui caractérise les relations entre la France et le Brésil : seuls
Français frontaliers de ce pays, les Guyanais éprouvent encore un sentiment de crainte mêlée de
condescendance et de fascination qui caractérise souvent les représentations frontalières, face à un
pays toujours considéré comme un envahisseur potentiel.
En effet, comme région française et européenne la Guyane est un territoire « du Nord » car partie
intégrante d’un pays industrialisé, au sein d’un « Sud » auquel appartient encore l’Amérique du
Sud, qui comprend néanmoins des pays « émergents » comme l’Argentine, le Chili ou surtout le
Brésil. Les frontières Guyane-Brésil et Guyane-Surinam sont parmi les très rares endroits au monde
où « Nord » et « Sud », pays industrialisés et « pays en développement » ne sont séparés que par
une frontière terrestre, comme plus au nord le Rio Grande entre États-Unis et Mexique.
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Mais la Guyane, plus petite et moins peuplée que ses voisins, est contrairement aux États-Unis bien
vulnérable face à ces flots migratoir es incessants. Faiblement productrice, elle est d’autre part
menacée par une possible invasion de marchandises produites ailleurs à moindres coûts. D’où une
pression plus forte, et la peur d’un engloutissement qui renforce la fermeture d’une frontière jusque
là fort poreuse... On assiste alors à l’opposition entre une volonté régionale et européenne
d’ouverture vers les pays voisins, qui se traduit par des accords de coopération et une participation
croissante à des schémas et des regroupements sud-américains, et une crispation française sur les
frontières guyanaises, partagée d’ailleurs par la population locale pour mieux assurer une
souveraineté apparaissant menacée alors qu’un pont franchira bientôt le fleuve-frontière. Les
appartenances multiples de la Guyane semblent l’écarteler entre enjeux et intérêts régionaux,
nationaux et supranationaux : elle intéresse le Brésil parce qu’elle est française et européenne, mais
c’est aussi pour cette raison que la France en dépit des discours d’ouverture veut la protéger des
flux en provenance du reste du continent….
Alors que ses voisins et en premier lieu le Brésil l’avaient marginalisée pour son appartenance
européenne, la Guyane, périphérie de la France, les attire désormais pour cette même raison, dans
un contexte de globalisation des échanges qui provoque des recompositions territoriales sur
l’ensemble de la planète, mais aussi le réveil identitaire de peuples menacés par la mondialisation.
Ces différentes observations nous amènent à nous interroger sur les enjeux et les moteurs de ce
repositionnement si tardif de la Guyane en Amérique du Sud, et le rôle particulier qu’y joue le
Brésil en tant que grande puissance régionale et frontalière.
La Guyane et son environnement dans la recherche actuelle
L’isolement de la Guyane comme son début d’intégration actuel dans l’Amérique du Sud résultent
de choix et décisions politiques, à différents niveaux : régional (Guyane et États fédérés brésiliens
voisins comme l’Amapá), national (essentiellement France et Brésil), et supranational (UnionEuropéenne et, d’une certaine manière, Mercosud2 et Unasud). Cette situation et son évolution se
doivent, d’autre part, à une histoire coloniale et politique tourmentée qui ont fait de la Guyane une
périphérie de la France et une marge isolée de l’Amérique du Sud. Aussi, si ces thèmes de
l’intégration, des rapports centre-périphérie et de la recomposition territoriale sont éminemment
géographiques, ils ont des implications historiques, diplomatiques et politiques. Nous avons donc
choisi de les traiter sous l’angle de la géographie politique, de la géopolitique et de la géohistoire,
2 Marché commun de l’Amérique du Sud. En espagnol, le plus couramment admis, Mercosur ; en portugaisMercosul . Nous avons là encore choisi d’adopter le compromis francophone Mercosud .
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branches de la géographie qui nous paraissent les plus à mêmes d’interpréter et d’expliquer
l’évolution en cours dans cette partie des Amériques, par leur nature et l’interdisciplinarité qu’elles
impliquent. La géographie politique est, pour André-Louis Sanguin (1977) l’analyse des
conséquences spatiales du processus politique et des relations entre les facteurs géographiques et
les entités politiques3, alors que la géopolitique est l’analyse des « enjeux de pouvoir sur des
territoires4 » pour reprendre la définition d’Yves Lacoste (1976). Enfin, la géohistoire dans son
acception commune étudie la construction des espaces sur la longue durée. Ces disciplines
paraissent ainsi les mieux à même de nous faire comprendre la formation et la problématique
actuelle de ces territoires, et leurs multiples enjeux.
L’espace concerné, qui va donc être le cadre et l’enjeu de ces décisions politiques et rivalités de
pouvoir, est la Guyane française mais également l’État frontalier de l’Amapá, au Brésil, qui doit
son existence au voisinage avec le territoire français, et qui fut son premier partenaire sud-
américain. Mais, derrière, les décisions sont prises par les États nationaux, France et Brésil, voire
un regroupement supranational comme l’Union Européenne.
La Guyane longtemps n’intéressa que peu les chercheurs en sciences humaines. En histoire et en
anthropologie, Serge Mam Lam Fouck 5 et Marie-José Jolivet6 ont montré, le premier l’origine de la
volonté guyanaise d’intégration renforcée à la France, la seconde l’ambivalence qui en découla sur
l’identité guyanaise. En géographie, il fallut attendre 1975 pour qu’un jeune professeur de Cayenne,
André Calmont, réalise une thèse sur la Guyane, mais centrée sur le chef-lieu, Cayenne7.
Mais depuis le mouvement est lancé, et semble même s’accélérer depuis la fin des années 1990.
1998 a vu en effet la soutenance de deux thèses particulières : celle d’Antoinette Masteau sur
l’Oyapock 8, montrant la particularité, avant les accords de coopération régionale, de la frontière
avec le Brésil, et celle d’Emmanuel Lézy sur l’organisation et la perception des Guyanes9, les
abordant tant sous l’angle proprement géographique qu’également mental et imaginaire… Ces
travaux ont pour caractéristique de davantage présenter la Guyane dans son contexte régional voire
continental, en embrassant toutes les branches de la géographie, depuis la géomorphologie jusqu’à
la géographie culturelle et des représentations.
3 André-Louis Sanguin, La géographie politique, PUF 1977.4 Yves Lacoste, La géographie ça sert d’abord à faire la guerre, Maspero, 1976.5 Serge Mam Lam Fouck : Société et économie de la Guyane française, de l’esclavage à la départementalisation,
Montpellier 1985, et Les mutations économiques, sociales et politiques de la Guyane française de 1940 à 1982,Paris X 1991.
6 Marie-José Jolivet : La question créole, essai de sociologie sur la Guyane française, Paris V 1978.7 André Calmont, La croissance urbaine dans les pays tropicaux : Cayenne, la ville et sa région, Bordeaux 1975.
8
Antoinette Masteau, 1998. La frontière franco- brésilienne de l’Oyapock Guyane-Amapá, essai de géographie politique et culturelle. IHEAL Paris III, 1998.9 Emmanuel Lézy, Guyane Guyanes, perception et organisation de l’espace entre Orénoque et Amazone , Paris X 1998.
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D’autres, plus spécialisés, se sont depuis intéressés aux problématiques migratoires et frontalières :
Sabine Miévilly (2000) étudiant l’intérêt pour la France de la possession des DOM à travers le cas
de la Guyane10, Frédéric Piantoni (2002) les enjeux politiques des migrations notamment dans la
Guyane occidentale, espace en marge d’un territoire lui-même périphérique11. Jean-François Orru
(2001) a montré les rapports tant avec l’État qu’avec les territoires frontaliers des communes
isolées12, et Stanislas Ayangma (2009) la reterritorialisation induite notamment sur l’Oyapock par
la politique des parcs nationaux13. Mentionnons par ailleurs le DEA de Madeleine Boudoux
d’Hautefeuille (2008) sur les enjeux multiscalaires et contradictoires du pont de l’Oyapock 14, suivi
d’une thèse dont la soutenance est prévue en 2012 à l’université des Antilles-Guyane. La notoriété
croissante de la situation exceptionnelle de la Guyane provoque bien à l’heure actuelle un essor des
travaux de recherche en cours sur ce territoire, et notamment sur ces problématiques frontalières ou
migratoires comme le montre la création par le CNRS de l’Observatoire Hommes-Milieux (OHM),
« l’Oyapock, un fleuve en partage », piloté par l’anthropologue Françoise Grenand, puis le
géographe Hervé Théry.
Le Brésil n’est pas en reste, incité sans doute par l’ouverture prochaine du pont sur l’Oyapock, et
plusieurs monographies ont récemment été soutenues en géographie sur la frontière guyanaise et
ses dynamiques particulières, notamment par Guilherme Carvalho da Silva15 (2006) et Gutemberg
de Vilhena Silva (2008), lequel prolonge actuellement son travail par une thèse à l’Université
fédérale de Rio de Janeiro16. Tous deux insistent sur le rôle de la mondialisation et de la volonté
d’externalisation du Brésil dans l’intérêt nouveau suscité par la Guyane en tant que région
européenne. En sciences sociales, Carmentilla Martins (2008), également doctorante, a travaillé sur
les enjeux politiques et économiques de la coopération transfrontalière entre la Guyane et l’État
10 Sabine Miévilly, Des enjeux géopolitiques aux mutations institutionnelles de l’outre-mer français : le cas de laGuyane, UAG 2000.
11 Frédéric Piantoni, Pouvoir national et acteurs locaux en Guyane française, l’enjeu des mobilités dans un espace enmarges, Poitiers 2002.
12 Jean-François Orru, Les communautés isolées de Guyane et la France, de la colonisation à la globalisation, IHEALParis III, 2001.
13 Stanislas Ayangma, La prise en compte des patrimoines des communautés amérindiennes dans le projet de Parcnational en Guyane Française, Paris VII 2009.
14 Madeleine Boudoux d’Hautefeuille, La frontière, lieu de pouvoir multi-scalaire. Réflexion autour des enjeux géopolitiques pour les échelles nationale, régionale et locale françaises dans le franchissement de la frontière franco-brésilienne de l’Oyapock , DEA Paris XII, 2008.
15 Guilherme Carvalho da Silva, Oiapoque, uma parabólica na floresta. Estado, integração e conflitos no extremo
norte da Amazônia brasileira, mestrado UFPA 2006.16 Gutemberg de Vilhena Silva, Usos contemporaneos da fronteira franco-brasileira: entre os ditames globais e asarticulações locais, mestrado UFRGS, 2008.
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aussi de l’Union Européenne dont elle constitue officiellement une région « ultrapériphérique », et
d’où proviennent également règlements et transferts financiers.
Cette périphérie française et européenne se trouve située sur un continent, l’Amérique du Sud, avec
lequel les relations physiques, politiques et économiques sont très réduites : la Guyane est, en
somme, en marge du monde sud-américain. Mais cette situation d’isolat en fait désormais un enjeu
d’affirmation de pouvoir régional tant pour le centre français qui perçoit depuis peu l’importance de
sa situation amazonienne, que pour le Brésil, soucieux d’étendre son influence sur des Guyanes
jusque ici à l’écart du monde sud-américain, mais intégrées à un autre centre que sont les Caraïbes
pour le Guyana et le Surinam, et la France et l’Europe pour la Guyane française. Quant à cette
dernière, son objectif est d’assumer ces appartenances multiples afin de tenter de constituer une
nouvelle centralité par une position d’interface entre Europe, Caraïbes et Mercosud, qui passe aussi
par l’acquisition d’un nouveau statut lui laissant une plus grande marge de manœuvre au sein de
l’ensemble français.
L’enjeu commun à tous les acteurs va ainsi consister en la continentalisation de la Guyane,
processus que le juriste Jean-Michel Blanquer (2005) définit comme une association croissante à
des projets d’intégration sous-continentaux19. En somme, un processus d’intégration régionale dans
un continent duquel la Guyane était exclue tant physiquement que par son statut de département
français, mais aussi par ses propres représentations. D’autre part, on peut considérer qu’elle fut de
même ostracisée par des États sud-américains au nationalisme sourcilleux, qui n’admettaient pas ce
vestige de la colonisation européenne dans un continent tôt émancipé de la tutelle coloniale, mais
qui découvrent dans ce contexte de mondialisation l’intérêt d’un territoire européen à leur porte.
Cela s’est traduit dans un premier temps par des accords de coopération régionale entre Guyane et
Amapá signés en 1996, et élargis en 2008 à d’autres territoires amazoniens dans le cadre d’un
projet de coopération transfrontalière financé par l’Union Européenne.
Ceci confirme Stéphane Rosière (2008), pour qui la coopération, y compris transfrontalière,
apparaît par les nouvelles solidarités induites comme un moteur des recompositions territoriales
actuelles20. De fait, montrant combien le thème des intégrations devient pleinement un sujet
d’études pour les géographes, Michel Bussi a tout récemment coordonné un ouvrage général sur la
question : Un monde en recomposition, géographie des coopérations territoriales21. Comme l’écrit
l’auteur à propos de ces projets toujours plus nombreux d’intercommunalités ou, dans le cas qui
19 J.M. Blanquer, « Les Guyanes et les Amériques entre continentalisation et "océanisation" » , Etudes de la Documentation Française, Amérique Latine, pp. 69-79.
20
S. Rosière, « Coopération », in : Dictionnaire de l'espace politique, géographie politique et géopolitique. ArmandColin, 2008.21 Publications des universités de Rouen et du Havre, 2009.
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nous intéresse, de régions transfrontalières (par ailleurs assez peu représentées dans cet ouvrage),
« la géographie politique s’est jusqu’à présent peu intéressée à ces enjeux coopératifs22. »
De même, l’économiste martiniquais Jean Crusol, notamment avec Les Antilles-Guyane et la
Caraïbe, coopération régionale et globalisation23, s’interroge depuis près de vingt ans sur la place
que peuvent occuper dans une Caraïbe en pleine recomposition des départements français
d’Amérique encore très dépendants de leur appartenance française. Cette préoccupation franco-
caribéenne apparaît également, mais partiellement, dans l’ouvrage collectif coordonné par François
Taglioni et Jean-Marie Théodat, Coopération et intégrations, perspectives panaméricaines24, qui
s’attache surtout au mouvement plus général d’intégration caractérisant l’ensemble du monde
américain, mais qui laisse relativement à l’écart les départements français d’Amérique.
L’intégration sud-américaine en cours a quant à elle récemment suscité la rédaction d’un ouvrage
coordonné par le géographe Christian Girault, Intégrations en Amérique du Sud 25, qui évoque bien
le rôle moteur du Brésil, mais pas la place – encore insignifiante il est vrai – qu’y occupe la
Guyane.
Ces intégrations régionales constituent donc des thèmes et des préoccupations très actuels, et il sera
intéressant de voir comment s’intègre un territoire aussi atypique que la Guyane, qui n’est pas
l’objet principal de ces travaux loin s’en faut, dans ces différents schémas. De fait, sa
continentalisation va s’accompagner d’un repositionnement comme une région également
amazonienne, au moyen d’accords de coopération qui se doivent à la politique définie par la
France, l’Union Européenne, le Brésil, et la périphérie de ce dernier constituée par l’État d’Amapá,
frontalier de la Guyane mais non relié par voie terrestre au reste du Brésil. Mais elle est, d’abord,
une volonté des élus guyanais, et participe ainsi d’un processus de reterritorialisation, c’est-à-dire
d’un nouveau rapport entre les Guyanais et le positionnement de leur espace, qui se doit autant à
des motifs économiques qu’idéologiques, dans la foulée du tiers-mondisme des années 70. Aussi
allons-nous nous interroger sur les raisons de cette reterritorialisation, et les enjeux
qu’elle constitue pour des acteurs aussi divers que la France, l’Union Européenne et le Brésil, dans
un contexte d’intégration continentale sud-américaine grandement impulsé par ce dernier.
Marge sud-américaine et périphérie européenne, la Guyane est-elle en mesure de jouer le rôle
d’interface que lui attribuent tous ces acteurs ? En ce cas, les enjeux contradictoires de ces derniers
et leurs écarts de développement, ainsi que les conséquences psychologiques et politiques de
22 Op. cit., 4ème page de couverture.23
L’Harmattan, 2003. 24 L’Harmattan, 2007.25 Presses de la Sorbonne nouvelle, 2009.
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l’histoire de la frontière, du statut au sein de la République française et de la forte pression exercée
par les émigrants et les garimpeiros brésiliens, ne sont-ils pas de nature à faire échouer une
continentalisation qui pourrait à terme submerger un territoire jusque là tourné quasi exclusivement
vers la France et l’Europe ? D’autre part, quelle est la réalité des rumeurs d’invasion de la Guyane
par le Brésil, qui longtemps freina leur rapprochement ?
Pour répondre à ces questions, notre objectif sera d’étudier si les tensions entre les divers acteurs
politiques et économiques dues aux différences de statut et aux écarts socio-économiques entre la
Guyane et ses voisins sont de nature à empêcher une véritable intégration. Car il semble que la
France essaie d’acquérir par la Guyane une nouvelle identité amazonienne, alors que cette dernière
aimerait au contraire s’affranchir davantage de la tutelle nationale et s’affirmer par une meilleure
intégration régionale. Pour le Brésil, après une longue période d’indifférence voire de crainte
diffuse du fait de l’influence européenne, c’est cette même appartenance européenne de la Guyane
qui la rend désormais attractive et en fait un élément de sa stratégie d’affirmation régionale.
Méthodologie et plan adopté
La spécificité de la situation guyanaise et la nature des différents enjeux qu’elle pouvait constituer
nous ont fait recourir à une démarche comparative et multiscalaire, avec une forte dimension
historique pour comprendre d’une part l’origine de ces relations particulières entre Guyane et
Brésil, d’autre part comment elles s’insèrent dans la dynamique générale déjà ancienne desrelations entre le Brésil et ses voisins, notamment les autres Guyanes.
Il a d’abord fallu analyser et identifier la situation de la Guyane par rapport au Brésil et à
l’Amérique du Sud pour expliquer son isolement, sa place dans l’ensemble français et dans l’Union
Européenne, pour comprendre tant la réalité de son intégration sud-américaine que la pression du
Brésil qui s’y exerce, et l’enjeu pour ce dernier. Cela a nécessité la lecture de nombreux ouvrages
scientifiques ou universitaires français et brésiliens, pour beaucoup inédits, des rapports, des
articles de presse, des entretiens avec des acteurs, des statistiques… afin de corroborer des
observations personnelles recoupées par des témoignages locaux sur la perception en Guyane de
cette pression brésilienne, de voir comment elle s’exerce aux autres frontières brésiliennes, et
comment s’y insère l’État brésilien d’Amapá, le premier à signer des accords de coopération avec
la Guyane. L’objectif était aussi de construire une typologie des frontières et des émigrations
brésiliennes pour expliquer la place qu’y prenait la Guyane et relativiser – ou non - le sentiment
d’invasion qui s’y exerce.
Nous avons à partir de ces éléments réalisé plusieurs croquis et figures afin de modéliser lasituation particulière à la frontière (long enclavement, frontière « Nord-Sud »), la pression exercée
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par les Brésiliens et par l’État d’Amapá, et de mettre cette situation en perspective par rapport à
l’émigration brésilienne en général et à la situation sur tout le pourtour du territoire brésilien, pour
voir comment s’insère la Guyane dans la dynamique plus générale du Brésil et de l’Amérique du
Sud.
Il fallait ensuite expliquer l’origine historique de ce voisinage si particulier d’une région française
avec le Brésil, et surtout ces représentations plutôt négatives alors que le Brésil a toujours joui
d’une excellente image en France, et réciproquement. Par l’analyse comparative des
historiographies nationales, très foisonnante du côté brésilien, la consultation de nombreux
documents originaux tant français que brésiliens notamment aux Archives départementales de
Guyane, au Consulat du Brésil à Cayenne ou encore au ministère des Affaires étrangères à Brasilia,
à l’Ecole supérieure de Guerre à Rio de Janeiro ou à la Commission de Démarcation des Frontièresà Belém, nous avons tenté de revisiter l’origine et d’étudier les conséquences du long conflit
frontalier sur la perception et les représentations du voisin, ainsi que le long isolement entre
Guyane et Brésil, indépendamment des décisions politiques nationales. Ces thèmes ayant
jusqu’alors été traités presque exclusivement à partir de sources mononationales détaillées dans le
cœur de notre travail, l’objectif était également d’apporter une vision nouvelle de l’histoire de la
frontière et des relations bilatérales Guyane-Brésil par l’analyse croisée des deux historiographies.
En outre, la géopolitique brésilienne ayant toujours eu en Amérique du Sud une réputation
expansionniste, il nous fallait voir la place qu’occupait la Guyane dans les théories et projets de
géopoliticiens brésiliens tels Golbery do Couto e Silva et Carlos de Meira Mattos entre autres, qui
furent les grands inspirateurs des politiques amazoniennes et intégrationnistes apparues dès les
années 50, afin de voir l’enjeu voire la cible que pouvait constituer le petit territoire français aux
marges d’une partie sensible du Brésil. Etudier la réalité des revendications frontalières et des
thèses annexionnistes brésiliennes, à l’origine de nombreux fantasmes, permettait aussi de justifier
ou d’infirmer les craintes guyanaises.
Mais pour le Brésil désormais l’heure n’est plus aux contestations territoriales mais à l’intégration
continentale. Il fallait donc analyser les contenus et motif s de convergence de l’actuelle politique de
rapprochement entre Guyane et Brésil, les objectifs d’affirmation identitaire et politique du côté
guyanais et amapéen, et économiques de la part des deux grands ensembles nationaux, avec les
jeux et enjeux de pouvoir qui s’exercent sur ces territoires périphériques, mais dont la contiguïté se
révèle – enfin – source d’intérêt(s) en pleine mondialisation. Ceci alors que l’Amazonie et
l’Amérique du Sud d’une façon générale connaissent un processus d’intégration en grande partie
sous la houlette du Brésil, qui ne pouvait plus laisser la Guyane à l’écart.
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Pour cela, l’étude de nombreux rapports et statistiques, des articles de presse interrogeant les
acteurs ou évoquant les principales manifestations de la coopération dans l’immédiateté, des
entretiens avec certains des principaux acteurs ont permis d’étudier les multiples difficultés et
contradictions d’une coopération aux ambitions assez précises, mais quelquefois opposées selon les
échelles de pouvoir, alors que la lecture d’ouvrages récents sur les intégrations dans les mondes
caraïbes et sud-américains permettaient de replacer cette politique dans un contexte et une
perspective plus vastes.
Car l’objectif est également de montrer que la Guyane commence à se repositionner comme une
région sud-américaine par son intégration à des schémas continentaux, ce qui doit mieux être pris
en compte dans un statut appelé à une évolution future, afin qu’elle bénéficie au mieux de cette
situation au lieu de la subir, et que les différents enjeux finissent par converger plutôt ques’opposer. De territoire périphérique et négligé, la Guyane peut en effet devenir la synapse entre
deux des principaux regroupements économiques de la planète, à condition que le pont sur
l’Oyapock, qui est le symbole de cette redécouverte d’une frontière franco-brésilienne longtemps
oubliée, « ne parte pas de rien pour aller nulle part », pour reprendre une expression consacrée au
Brésil…
Aussi, la première partie de notre travail prétend montrer la situation atypique de la Guyane et les
conditions dans lesquelles elle est devenue un « associat » français et européen en Amérique duSud, relié néanmoins au reste du continent par des frontières terrestres ; nous nous attacherons alors
plus particulièrement au point de passage que constitue la frontière brésilienne (chapitre un). La
pression brésilienne qui en découle a des conséquences sur les flux migratoires et l’espace et la
société guyanaises, avec un fort impact culturel et environnemental (orpaillage clandestin), qui
rattachent bel et bien mais informellement la Guyane à l’Amérique du sud ; mais cette pression est
en fait bien plus faible que celle qui s’exerce aux frontières méridionales du Brésil (chapitre deux).
La deuxième partie cherchera les explications historiques de ce voisinage et de ces relations. Loin
des soupçons d’invasion qu’on lui prête, même s’ils se sont quelquefois concrétisés, le Brésil a au
contraire toléré la présence des Guyanes à condition que sa souveraineté sur le bassin
hydrographique amazonien soit reconnue, ce qui n’aboutit qu’après plusieurs siècles de rivalités et
de contestations (chapitre un). Du coup, plus qu’un enjeu, la Guyane française et son appartenance
à une puissance coloniale européenne ont longtemps constitué une menace pour une géopolitique
brésilienne marquée par la Guerre froide et la nécessité de maîtriser l’ensemble de son territoire
notamment dans ses marges amazoniennes, ce qui passe aussi par une intégration impliquant les
États et territoires voisins (chapitre deux).
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La troisième partie évoquera alors les dynamiques permises par l’évolution du contexte mondial
vers la globalisation et les intégrations continentales, ainsi que les enjeux et représentations
identitaires du rapprochement inédit que constituent dans cette optique les accords de coopération
Guyane-Amapá de 1996 (chapitre un). Il faudra alors voir si les accords de coopération régionale
plus élargis qui ont suivi, comme le Programme Opérationnel Amazonie de 2008 qui implique
également l’Union Européenne, le Surinam et deux autres États du Brésil, permettront une
meilleure « continentalisation » de la Guyane dans une Amérique du Sud dans laquelle elle était
jusque là peu intégrée, au milieu d’enjeux nationaux voire supranationaux qui la dépassent
(chapitre deux).
Notre objectif général est ainsi de fournir les éléments de compréhension des relations entre la
Guyane et le Brésil et de leurs dynamiques, à l’image de ce que Claude Raffestin, grand spécialistedes frontières, écrivait en 1979 :
« Le géographe n’est pas un juge et il n’a pas à jouer un rôle normatif, encore moins unrôle de censeur ; il doit expliciter les connaissances et les pratiques qui circulent dansles relations. Il doit fournir les éléments théoriques pour apprécier le caractèresymétrique ou dissymétrique de ces relations26. »
26 Claude Raffestin, Pour une géographie du pouvoir , Litec 1979, p. 244.
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PREMIÈRE PARTIE :
LA GUYANE,
UNE RÉGION
FRANÇAISE
D’AMÉRIQUE SOUS
LA PRESSION
BRÉSILIENNE
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« On ne va pas en Guyane. On y est envoyé1. »
Dans une Amérique du Sud très largement ibérique et catholique, tôt émancipée, seuls trois petits territoires, peu attractifs et en marge des ensembles attribuées par le Pape aux puissances
ibériques, ont échappé à la colonisation exercée par les Espagnols et les Portugais : les Guyanes
française, anglaise et hollandaise. D'où des liens plus étroits, tant historiques que culturels et
économiques avec la Caraïbe qui a connu les mêmes colonisateurs et dont elles constituent un
prolongement, et des métropoles européennes. Celles-ci sont en effet restées plus longtemps
puisque Guyanes britannique et hollandaise se sont émancipées tardivement : 1966 pour la
première, 1975 pour la seconde. La Guyane française, seule, a fait le choix contraire derenforcer son intégration en devenant partie intégrante de la République par la loi de
départementalisation du 19 mars 1946.
La conséquence en a été un isolement continental durable. Entre conflits frontaliers toujours
non résolus et faibles affinités culturelles, tropisme européen et caribéen et méfiance vis-à-vis
des grands voisins que sont le Venezuela et surtout le Brésil due à des représentations issues
d’une histoire coloniale quelquefois mal digérée, ce n’est que récemment que les Guyanes ont
amorcé, à l’initiative du Brésil qui s’affirme comme la grande puissance régionale, unmouvement de rapprochement vers un sous-continent sud-américain duquel elles étaient
toujours restées en marge.
Mais la Guyane française reste encore, en apparence, à l’écart de cette dynamique
d’intégration, prisonnière d’un statut à la fois français et européen qui l’incorpore à un
ensemble régional distant de plusieurs milliers de kilomètres, au détriment de son
environnement proche. Lequel est précisément composé d’un Brésil actuellement en plein
processus d’externalisation : économique par des investissements dans de nombreux paysvoisins tels le Paraguay ou la Bolivie, territoriale par le rachat et l’exploitation de terres
1 Daniel Bourmaud, préface de l’ouvrage de P. Mouren-Lascaux, La Guyane, Karthala 1990, p. 7.
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agricoles au-delà de ses frontières méridionales, humaine enfin par l’émigration de deux
millions de Brésiliens, peut-être davantage, vers des destinations lointaines et prometteuses, ou
encore à la recherche d’un eldorado agricole ou aurifère dans les pays voisins.
C’est donc par la pression causée par des flux migratoires et aurifères brésiliens informels quela Guyane va prendre conscience de sa sud-américanité, et amorcer à son tour un processus de
continentalisation, terme que nous emploierons dans le sens d’un mouvement d’intégration
progressive dans son continent d‘appartenance géographique. Mais cette continentalisation,
même voulue par ses autorités tant nationales que régionales avec d’ailleurs des enjeux
différents, va entrer en contradiction avec une appartenance française et surtout européenne,
provoquant un certain nombre de tensions paraissant encore insolubles. Cela amènera sans
doute la Guyane à faire des choix cruciaux entre ces différentes appartenances qu’elle ne pourra probablement pas toutes assumer.
Aussi allons-nous commencer par étudier la situation, les avantages et les inconvénients que
procurent ces appartenances, et comment elles agissent face à une pression brésilienne de plus
en plus prégnante, alors que la Guyane est encore très faiblement intégrée tant dans son
environnement que dans le système-monde.
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CHAPITRE I – LA GUYANE FRANÇAISE,
UNE EXCEPTION POLITIQUE ET ÉCONOMIQUE
AU SEIN DU SOUS-CONTINENT SUD-AMÉRICAIN
La situation de la Guyane française peut paraître en effet assez schizophrénique : département
français et région européenne, territoire amazonien aux fortes influences caribéennes… Outre
les faibles liaisons routières et aériennes, c’est ce statut atypique dans un monde largement
décolonisé qui l’isole de ses voisins : en tant que département et région d’outre-mer elle n’a
que peu de compétences internationales, celles-ci faisant partie des compétences régaliennes de
l’État, d’autre part le haut niveau de vie et de coûts de production induits ainsi que les protectionnismes propres aux ensembles régionaux (Union Européenne dans son cas,
CARICOM et Mercosud pour ses voisins) empêchent l’établissement de véritables relations
économiques.
Mais ce même statut français et européen la rend attractive d’abord pour des dizaines de
milliers d’immigrants à la recherche du rêve européen, ou bien d’un filon aurifère à exploiter
en toute tranquillité dans le vide de l’Amazonie guyanaise… Mais aussi pour des États voisins,
et en premier lieu le Brésil, désireux de mieux l’intégrer aux accords régionaux afin de profiterde ce voisinage avec une région encore oubliée de l’Union Européenne en pleine Amérique du
Sud. Les immigrants ont-ils alors été les pionniers de la continentalisation de la Guyane
française, par l’intégration informelle de cette dernière dans leur stratégie territoriale, et la prise
de conscience qu’ils ont provoqué de part et d’autres du fleuve Oyapock de cette interface
potentielle mais encore grandement inexploitée entre Europe, Caraïbes et Amérique du Sud ?
Il faudra donc dans un premier temps montrer en quoi ce statut politique original, désiré au
départ par la classe politique locale, est responsable de l’isolement structur el, politique etéconomique de la Guyane au sein du monde sud-américain, même s’il n’a fait que renforcer
une tendance très ancienne, en raison de l’orientation océanique et de la culture
majoritairement caribéenne de la Guyane française comme de ses voisines anciennement
hollandaise et britannique.
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I - UN TERRITOIRE EUROPÉEN EN AMÉRIQUE DU SUD
Seul territoire non souverain de l’Amérique continentale depuis l’indépendance du Bélize en
1981, la Guyane est en même temps un département français et une région européenne. Cela luiconfère une faible marge d’autonomie tout en lui assurant un niveau de vie unique en
Amérique du Sud. Mais ce statut politique qui fonde sa singularité dans le monde sud-
américain et les coûts élevés de production qui en découlent freinent les échanges avec son
environnement géographique, qui longtemps l’a ostracisé à cause de son appartenance
française. La Guyane constitue aussi un espace singulier pour la France et l’Union Européenne
par sa situation ultra-marine et ultrapériphérique, mais elle en constitue malgré tout une
extension territoriale dans une Amérique du Sud à laquelle elle paraît de prime abord
totalement étrangère. Cette double singularité explique un isolement tant vis-à-vis du monde
sud-américain que du monde européen, faisant de la Guyane un espace totalement marginal,
alors que les autres Guyanes sont soit partie intégrante d’un État continental (le Venezuela et le
Brésil), soit des États souverains, le Guyana et le Surinam, rattachés à un regroupement
économique régional (le CARICOM) ou politique (AEC et Unasud).
A – UN DEPARTEMENT ET UNE R EGION DE LA R EPUBLIQUE FRANÇAISE
1. Les contradictions d’une périphérie de la France en Amérique du Sud
a) Outre-mer et ultrapériphérie
Seul territoire d’Amérique du sud sous tutelle européenne, la Guyane appartient à une catégorie
particulière au sein de l’ensemble français et européen : celle des départements-régions d’outre-
mer et des régions ultrapériphériques. Un statut de forte intégration à double tranchant, qui lui
assure par les transferts et la redistribution nationale le plus haut niveau de vie de la région,
mais l’en isole par les faibles compétences en matière de relations internationales.
Depuis 1946 et la départementalisation des vieilles colonies, la Guyane constitue ainsi une
extension territoriale de l’Hexagone, désormais improprement qualifié de « métropole »
puisque toutes les lois nationales s’y appliquent, et que la Guyane y jouit d’une stricte égalité
juridique avec les autres départements. Mais cet Hexagone, où se situe la capitale nationale,centre des décisions politiques et économiques et de la redistribution financière, constitue un
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centre éloigné de plus de 7.000 kilomètres, qui évolue dans un autre cadre mental et
géographique.
En 1982 les lois de décentralisation ont donné une personnalité juridique aux nouvelles régions
qui se superposent désormais à chacun des départements d’outre-mer, avec un budget propre et
des compétences accrues en matière de développement et d’aménagement du territoire. Ces
com pétences étaient encore augmentées par la loi d’orientation pour l’Outre-mer (LOOM) de
2000 qui permet aux régions d’outre-mer d’adapter la législation nationale, de proposer des
« lois-pays » et de signer des accords avec des États voisins de leur zone géographique, en
accord avec l’État, donc un début de compétences législatives et internationales.
Au titre de départements et régions français, les quatre DOM furent de fait intégrés dans
l’Union Européenne dès sa création, ce qui fut institutionnellement confirmé par l’arrêt Hansende 1978, et elles constituent désormais, avec les archipels portugais de Madère et des Açores et
espagnol des Canaries, les « Régions ultrapériphériques » (RUP), territoires politiquement
européens mais situés géographiquement hors de ce continent, définis par le traité de
Maastricht en 1992. Marginaux dans un ensemble lui-même très disparate, ils bénéficient d’une
politique spéciale permettant de pallier ce handicap par davantage de subventions et de
dérogations aux dispositions communautaires.
Il est à noter que trois autres pays européens possèdent des territoires dans le monde
américain : le Danemark avec le Groenland, les Pays-Bas avec les Antilles néerlandaises, la
Grande-Bretagne avec les Iles Vierges, les Bermudes et autr es petites îles de l’archipel
antillais. Mais dans tous ces cas le statut de large autonomie interne dont ils disposent fait qu’à
l’image de la Nouvelle-Calédonie ou de la Polynésie pour la France, ils ne sont pas intégrés
dans l’Union Européenne même s’ils jouissent d’un accès privilégié au marché européen en
tant que PTOM (Pays et Territoires d’Outre-Mer). Antilles françaises et Guyane constituent
donc avec la Réunion, et dans l’attente de Mayotte, un cas unique de rattachement politique et
d’intégration pleine et entière à un continent éloigné, mis à part l’exemple d’Hawaii,
cinquantième État des États-Unis mais situé en plein monde océanien… Cependant, la
transformation prévue mais plusieurs fois repoussée des îles antillo-néerlandaises de Saba,
Bonaire et Saint-Eustache en communes des Pays-Bas les ferait ipso facto passer par rapport à
l’Union Européenne du statut de PTOM à celui de régions ultrapériphériques, et donc
bénéficier des précieux fonds européens. Face aux incertitudes de la mondialisation, dans le
monde désormais post-colonial, certaines anciennes colonies faiblement peuplées et n’ayant
pas tout à fait coupé le cordon ombilical semblent donc préférer une intégration renforcée à leur
ancienne métropole.
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Cette intégration pleine et entière, même géographiquement périphérique, fait de la Guyane un
territoire au niveau de vie et d’équipement quasiment européen, au milieu d’un monde caraïbe
et amazonien aux indices de développement et aux salaires encore bien faibles. L’incitation à
l’immigration que cela constitue pour les pays pauvres voisins est source de tensions qui
plongent la Guyane dans ses contradictions politiques et sociales : périphérie de la France et de
l’Europe, elle constitue un eldorado facilement accessible pour des pays voisins moins
favorisés auxquels elle a longtemps tourné le dos.
b) Une périphérie intégrée ? Limites et contradictions du « système domien »
Partie intégrante de la France et de l’Union Européenne, la Guyane comme les autres DOM
bénéficie donc de nombreux transferts au titre de la redistribution nationale, ainsi que de la
manne européenne en tant que région « en retard de développement » et géographiquement
éloignée. On peut donc raisonnablement la qualifier de périphérie intégrée par cette
redistribution financière et les investissements en provenant.
Si cela en fait le territoire à plus haut niveau de vie de l’Amé rique latine avec un IDH de 0,85,
dépassée dans la grande région seulement par les autres départements français d’Amérique,
Martinique et Guadeloupe, la Barbade, l’Argentine et le Chili, cette prospérité, qui attirenombre de migrants venus tant de la Caraïbe que de l’Amérique du Sud, est néanmoins
relativement artificielle car basée presque exclusivement sur ces transferts, mais aussi sur la
présence d’un centre spatial fonctionnant encore grandement en vase clos. L’intégration
croissante de ce dernier est désormais incontestable, à travers la Mission Guyane qui le lie aux
collectivités locales par des partenariats divers, mais la Guyane attend encore un véritable
développement économique endogène alors qu’elle est presque totalement dépendante des
importations européennes, et que les transferts comme le système social et économiquedécouragent d’éventuels investisseurs à cause d’un marché encore trop étroit et d’une sous-
valorisation de l’emploi privé.
Il est vrai que les indicateurs sociodémographiques montrent une situation bien plus favorable
que dans les pays voisins en termes de revenus par habitant ou d’espérance de vie, mais la
fécondité et la mortalité infantile relativement élevées rappellent davantage l’Amérique du Sud
que la France et l’Europe (tableau 1). La Guyane ne s’est jamais remise de l’économie
esclavagiste, et les diverses tentatives de mise en valeur, à l’exception du spatial dont ce n’étaitd’ailleurs pas le but, se sont révélées des échecs. Elle peine actuellement à faire face à une forte
explosion démographique due à une fécondité moyenne de 4 enfants par femme, qui s’avère
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Tout cela est source ou indicateur pour la Guyane d’un sous-équipement chronique en matière
scolaire, sanitaire, social ou de logements… causé par un rattrapage quasi impossible tant sont
rapides les évolutions. Quartiers informels ou autochtones sans eau courante, enfants non
scolarisés, pandémies propres aux pays en développement, forte délinquance urbaine… qui
caractérisent les pays voisins d’Amérique du Sud, sont ainsi monnaie courante dans ce pourtant
bout d’Europe en Amazonie. Ni l’État ni les collectivités locales ne semblent en mesure de
résorber une fracture qui s’avère non seulement sociale mais aussi en grande partie ethnique,
alors même que leurs politiques, également du fait du sous-peu plement du territoire, n’ont pu
raccommoder un territoire qui s’apparente encore à un patchwork.
La Guyane illustre bien les contradictions du système « domien » : haut niveau de vie et
exclusion3, équipements « européens » mais grandement insuffisants, importants flux financiers
en provenance de l’Hexagone et de l’Europe mais sous-emploi et sous-équipement chroniques
(expliqués aussi, malgré les transferts, par les faibles rentrées fiscales de communes ou
collectivités dont nombre d’habitants échappent légalement ou non à l’impôt) , économie de
comptoir avec très faible taux de couverture, macrocéphalie urbaine et enclavement au sein de
déserts humains, intégration européenne et enclavement continental, vie politique dominée par
une forte abstention, sentiment de périphéricité et de domination lié à des centres de décision et
d’impulsion lointains, entraînant complexe et volonté d’affirmation identitaire et politique...
L’intégration pourtant incontestable à la France et à l’Union Européenne est ainsi diversement
perçue par les habitants, les uns l’estimant incomplète, d’autres la rejetant…
Trop pauvre donc pour une région européenne (tout au moins jusqu’à la récente arrivée des
pays d’Europe centrale et orientale), la Guyane constitue néanmoins un îlot de pr ospérité au
sein du monde caribéen et amazonien qui en fait une destination recherchée par les flux illicites
en provenant alors qu’elle y est très mal intégrée, tout en peinant à s’affirmer dans le monde
européen… Comment un tel territoire a-t-il pu voir le jour au sein d’un continent américain tôt
émancipé de la tutelle coloniale européenne, composé d’États au nationalisme ombrageux ?
3 Sans les prestations sociales le taux de pauvreté serait de 37 % au lieu de 25 actuellement, ces prestationsconstituant 60 % des ressources des populations à bas revenus ( Migrations et soins en Guyane, INSERM,rapport final à l’AFD, septembre 2009, p. 18).
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GUYANE SURINAM GUYAN A
IDH de la grande région
0
0,1
0,2
0,3
0,4
0,5
0,6
0,7
0,8
0,9
1
1 2 3 4 5 6 7 8
GUYANE HAITI REPUBLIQUE
DOMINICAINESURINAM GUYANA BRESIL COLOMBIE PEROU
0
2 000
4 000
6 000
8 000
10 000
12 000
14 000
16 000
18 000
1 2 3 4 5 6 7 8
PIB/hab. de la grande région
Figures 1 et 2 : PIB par habitant et indices de développement humain de la Guyane et despays de la grande région (source : INSEE, chiffres 2005).
0
10
20
30
40
50
60
70
H a i t i
B o l i v i e
G u y a n a
P a r a g u a y
R e p .
D o m
.
U r u g u a
y
C o s t a R i
c a
G u y a n e
P o r t o
R i c o
C h i l i
C u b a
Figure 3 : les extrêmes pour la mortalité infantile en Amérique latine et dans la Caraïbe.Malgré son taux élevé par rapport à la France, la Guyane a l’un des plus faibles taux du
monde latino-américain (source : INED, chiffres 2005).
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facto libéré. La demande d'assimilation et de départementalisation était aussi une garantie
contre un éventuel retour de l'esclavage, comme cela s'était produit en 18025 (Mam Lam
Fouck, 1987).
L'incontestable patriotisme manifesté par les Guyanais lors des deux guerres mondiales
(nombreux engagés volontaires devançant l'appel en 1914, ralliement à la France libre en
1943), la présence d'un Guyanais dans un gouvernement du Front Populaire (Gaston
Monnerville, sous-secrétaire d'Etat aux colonies en 1937), le rôle éminent du guyanais Félix
Eboué dans la constitution de la France libre, remirent sur le tapis cette revendication
également portée par les trois autres « vieilles colonies » (Guadeloupe, Martinique et Réunion)
à travers des leaders charismatiques : Gaston Monnerville en Guyane, Aimé Césaire et Léopold
Bissol en Martinique, Raymond Vergès à la Réunion, et qui avait fait l'objet de plusieurs propositions de lois refusées sous la IIIe République.
Dans un contexte de tensions dans l'Empire colonial (émeutes meurtrières à Sétif en 1945,
déclaration unilatérale d'indépendance de l'Indochine, situation tendue à Madagascar qui
explosa un peu plus tard), l'Assemblée constituante vota à l'unanimité en 1946 la
départementalisation des quatre « vieilles colonies », malgré l'avis défavorable du ministre de
l'outre-mer Marius Moutet, qui craignait un coût incommensurable pour l’État en raison du
retard structurel à rattraper.Cependant, même si ce changement statutaire émanait des élus tant guyanais qu’antillais ou
réunionnais, jamais le peuple ne fut consulté par référendum. Revendication des élites créoles,
pour lesquelles de par leur assimilation culturelle le modèle français était l’idéal de civilisation,
la départementalisation ne fut votée, à l’échelle locale, que par les parlementaires issus de ces
mêmes élites. Mais l’État y trouvait son compte, ainsi pour Marie-José Jolivet, auteur d’une
thèse remarquée sur la sociologie du monde créole en Guyane (1982) :
« Par la départementalisation, le gouvernement français entend donc se démarqueraussi nettement que possible de la précédente régie colonialiste – où il trouveramême un excellent bouc émissaire pour ses erreurs et ses échecs transformés enautant de séquelles – tout en renforçant le lien entre ces pays et la métropole. Ladépartementalisation peut être dès lors définie comme une opération politique quicorrespond à une volonté de manipulation idéologique6. »
La départementalisation était finalement un moyen de renforcer la domination sur cette colonie
lointaine mais dont l’aspect stratégique n’était pas encore perçu. Ce lien politique renforcé avec
5 L'esclavage avait été aboli une première fois par la Convention en 1794. Mais Napoléon Bonaparte, sousl'influence de sa femme dit-on, l'avait rétabli huit ans plus tard pour remettre sur pied les colonies sucrièresfrançaises en pleine déconfiture économique. Les révoltes qui s'ensuivirent (les esclaves libérés étaient en outredevenus citoyens français) amenèrent l'indépendance d'Haïti en 1804.
6 Marie-José Jolivet, La question créole, essai de sociologie sur la Guyane française. ORSTOM, 1982, p. 228.
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la « Métropole », terme que l’on continue d’employer par commodité, écarta davantage la
Guyane de son environnement géographique tout en permettant un meilleur contrôle, ou une
reprise en main, par l’État. La France à travers la Guyane désormais département se retrouvait
frontalière de la Guyane hollandaise (laquelle venait d'obtenir un statut d'autonomie assez
large), et surtout du Brésil à travers sa plus longue frontière terrestre : 730 km. La Guyane
faisait donc de la France... une puissance également sud-américaine, ce qui longtemps ne fut
pas admis par les autres États de la région, ni même reconnu – ou perçu – par la France
pourtant une et indivisible. Ayant davantage intégré la Guyane à son ensemble national, l’État
ne l’utilisa jamais pour des relations (trans)frontalières qui ne semblaient pas non plus
prioritaires à ce moment pour les élus.
Une forme originale de décolonisation venait pourtant de voir le jour : la décolonisation parintégration pleine et entière à la Métropole, qui fait qu’au grand dam des indépendantistes les
départements d’Outre-mer ne figurent pas dans la liste des territoires à décoloniser de l’ONU.
Les services départementaux des administrations nationales s’implantèrent alors en Guyane
sous la conduite de son premier préfet, le dynamique Robert Vignon : agriculture et forêt,
équipement, santé, jeunesse et sports… mais, pour certaines autres, dépendait des Antilles.
Ainsi pour l’enseignement, la Guyane dépendait dans un premier temps de l’académie de
Bordeaux comme au temps de la colonie, puis se retrouva englobée en 1973 dans une académie
« des Antilles-Guyane » dont la majorité des cadres résidaient en Guadeloupe, la Guyane
devant se contenter d’une inspection académique pour l’enseignement primaire. Elle subissait
également la centralisation propre à l’Hexagone, des programmes mais aussi des dates de
vacances scolaires similaires, des cadres administratifs originaires de là ou des Antilles à cause
de la tradition pour les hauts fonctionnaires ou responsables de services publics de ne pas
exercer dans le département d’origine, au nom d’une certaine neutralité républicaine…
L’appartenance géographique mais aussi culturelle, ainsi que la situation socio-économique
semblaient niées au profit d’une assimilation totale, dont la revendication ne concernait au
départ que l’aspect politique et statutaire. Ainsi, pour Jolivet (1982), « la négation implicite de
la spécificité du D.O.M. est le point de départ de la série de blocages qui figera le processus de
départementalisation économique7. » Blocages sur lesquels nous aurons largement l’occasion
de revenir tant ils expliquent l’actuel isolement.
Mais la Guyane en tant que département bénéficie du coup de la redistribution nationale : la
France est un État unitaire, et cet autre aspect du jacobinisme, dans lequel on ne voit à tort que
la centralisation administrative, fait qu’elle bénéficie grâce aux impôts des entreprises, des
7 Id.
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contribuables et des régions riches de l’Hexagone des mêmes équipements et salaires que la
France hexagonale (même si les allocations n’ont été alignées qu’assez récemment), puisque
tout est financé par la Nation en fonction des besoins de chaque collectivité. Pour certains c’est
un juste retour des choses puisque c’est la Guyane qui fait de la France une puissance spatiale,
il n’en est pas moins vrai que cela a renforcé la dépendance de la Guyane par rapport au statut
colonial, le gouverneur disposant autrefois d’une marge de manœuvre plus large que celle du
préfet y compris dans les relations avec les pays voisins. Ce statut départemental, avec les
avantages qu’il procure, conjugué à une forte défiance vis-à-vis de la classe politique, n’a pas
été remis en cause lors des derniers referendums statutaires en janvier 2010 ; les électeurs ont
néanmoins approuvé la fusion du département et de la Région. Car la Guyane est aussi, pour
quelques années encore, une Région d’outre-mer.
b) Une régi on monodépartementale en quête d’évolution
Les lois de décentralisation, dites « lois Defferre », du nom du ministre de l’Intérieur de
l’époque qui fut par ailleurs un des artisans de la décolonisation, votées en 1982, s'appliquèrent
naturellement aux départements d'outre-mer. Donnant un pouvoir certain aux 22 régions de
programme de l'Hexagone, elles amenèrent également la régionalisation de l'outre-mer. Outrele cas de la Réunion très isolée dans l'océan indien, il n'apparaissait pas opportun tant pour des
raisons géographiques que politiques de regrouper Antilles et Guyane au sein d'une même
région de programme. Le projet de collectivités territoriales à assemblée unique substituant
conseils général et régional fut refusé par le Conseil constitutionnel au motif notamment que
les autres départements n'en bénéficiaient pas. Les DOM, après avoir tant désiré l'assimilation
législative, en percevaient une fois de plus les limites : les quatre DOM devinrent ainsi des
régions monodépartementales, des DROM (départements-régions d’outre-mer), où pouvoirdépartemental et pouvoir régional se chevauchaient, même si leurs compétences respectives
étaient distinctes.
Aiguillonné par les statuts d'indépendance du Surinam et de relative autonomie de l'État
brésilien voisin d'Amapá, ainsi que d'autres régions européennes, Antoine Karam, président du
Conseil régional de 1992 à 2010, n'eut de cesse de réclamer un nouveau statut de collectivité
territoriale dans la République, qui seul selon lui serait en mesure de faire décoller
économiquement la Guyane et de mieux l’insérer dans son environnement par des compétencesaccrues en matière de relations internationales. La consultation populaire sur une modification
statutaire du 10 janvier 2010, dont l’une des justifications était pour les élus la possibilité de
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En dépit des mouvements sociaux survenus dans les quatre départements d’outre-mer en 2008-
2009 et qui étaient partis de Guyane, du quasi black out médiatique subi par cette dernière au
début de son mouvement en novembre 2008 qui a occasionné certains ressentiments et des
soupçons de largage de la part de l’État, l’appartenance de la Guyane à la France fait encore
l’objet d’un quasi consensus, comme l’a bien montré le débat statutaire de 2010 dans lequel les
tenants du statut d’autonomie, indépendantistes compris, insistaient auprès des électeurs sur le
maintien de l’appartenance à la République qu’il conférait...
En effet, quoi qu’en pensent les autres pays d’Amérique latine, qui ont du mal à admettre qu’un
pays européen puisse encore avoir des possessions d’origine coloniale, les Guyanais ne
semblent pas vouloir remettre en cause le lien qui les relie à la France, dont l’historien Serge
Mam Lam Fouck précédemment cité a expliqué l’origine et le désir d’intégration qui en résulta.
D’autre part, par leur rôle dans les deux guerres mondiales, les Guyanais ont fait preuve d’un
indéniable patriotisme envers la « mère patrie », qui, s’il s’est fortement émoussé par la suite,
n’a jamais cependant abouti à une demande majoritaire de séparation d’avec la France. Il reste
un indéniable lien affectif, et l’explication courante dans l’Hexagone de la volonté de maintien
dans la France uniquement par le niveau de vie élevé qu’il procure n’est pas fausse, mais
néanmoins un rien rapide. Les Guyanais s’honorent d’avoir un des leurs, Félix Éboué, petit-fils
d’esclaves, enterré au Panthéon pour son rôle décisif dans la constitution de la France libre. Et
que dire de l’autre grande gloire guyanaise, l’ancien député-maire de Cayenne Gaston
Monnerville, président du Conseil de la République puis du Sénat de 1947 à 1958 et donc
deuxième personnage de l’État, fonction qu’il occupa jusqu’en 1968… Il faillit donc à quelques
mois près assurer l’intérim du général de Gaulle après la démission de celui -ci ! Ces exemples,
pour peu nombreux qu’ils soient, contribuent à ancrer un sentiment d’appartenance bien réel à
la France, et une preuve que la République pouvait promouvoir aux plus hautes fonctions des
hommes de couleur descendants d’esclaves, même s’ils sont aussi les arbres cachant la forêt
quasi amazonienne de leur sous-représentation politique et médiatique dans l’Hexagone.
Mais ces appartenances françaises et guyanaises, plus ou moins bien assumées, s’opposent
assez souvent, et ces relations d’amour/haine, d’attente/déception et d’affirmation vis -à-vis de
la France amènent par leurs contradictions un malaise identitaire bien réel (Jolivet, 1982).
Certains intériorisent le fait que sans la France la Guyane ne peut s’en sortir, d’où un certain
complexe d’infériorité que le maintien désiré dans l’ensemble français ne peut, dans le contexte
actuel, que prolonger alors que les pays voisins sont, à l’exception récente du Brésil, plongés
dans le marasme... En effet, le niveau de vie permis par l’appartenance française est un élément
indéniable dans cette volonté très majoritaire de rester dans l’ensemble français. Mais comme
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l’explique l’administrateur régional Pierre-Yves Chicot (2005) :
« La norme qui possède à la fois la capacité de gommer les différences en proclamant l’égalité, qui peut réduire l’éloignement en cultivant l’uniformité, aincontestablement permis à cette volonté politique étatique de connaître un succès
durable8
. »Ces contradictions mal assumées, cette uniformité désormais mal acceptée alors q