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LA DAME AUX CAMELIAS / LA TRAVIATA Résumé : La Dame aux camélias raconte l’amour d'un jeune bourgeois, Armand Duval, pour une courtisane, Marguerite Gautier, atteinte de tuberculose. Elle a pour habitude de porter à son buste des camélias de différentes couleurs (blancs quand elle est disponible pour ses amants, rouges quand elle est indisposée)1. La narration constitue un récit dans le récit, puisque Armand Duval raconte son aventure au narrateur initial du roman. Dans le demi-monde parisien chic, où se côtoient riches amateurs et femmes légères, le jeune Armand Duval tombe amoureux de la jeune et belle Marguerite Gautier, une des reines de ce monde éphémère de la noce. Armand l'amant de Marguerite, obtient d'elle qu'elle renonce à sa vie tapageuse pour se retirer avec lui à la campagne, non loin de Paris. Mais la liaison est menacée par le père d’Armand, qui obtient de Marguerite qu'elle rompe avec son fils, sous prétexte que son autre enfant, la jeune sœur d'Armand doit épouser un homme de la bonne société. Jusqu'à la mort de Marguerite, Armand sera persuadé qu'elle l'a trahi avec un nouvel amant, et quitté volontairement. La mort pathétique de Marguerite, abandonnée et sans ressources, conclut l'histoire racontée par le pauvre Armand Duval lui-même. Pour son roman, Alexandre Dumas s'inspire de son histoire d'amour fiévreuse avec la demi-mondaine Marie Duplessis, entre septembre 1844 et août 1845, histoire d'amour qui lui inspire l'écriture du roman La Dame aux camélias, écrit en 1848, quelques mois après la mort de la jeune femme. Mis en pension très jeune, il vit très mal son statut d'enfant « bâtard » comme il le dit lui-même. Lorsqu'il rencontre Marie Duplessis, elle lui apporte la stabilité dont il a besoin. Il s'installe à Saint-Germain-en-Laye, à l'Auberge du Cheval Blanc, et achève l'œuvre en trois semaines « C’est Verdi et La Traviata qui ont donné un style à La Dame aux camélias ». Proust Objets d’étude : - Le roman au XIXe s ; Un mouvement culturel et littéraire : le Romantisme + La courtisane

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LA DAME AUX CAMELIAS / LA TRAVIATA

Résumé : La Dame aux camélias raconte l’amour d'un jeune bourgeois, Armand Duval, pour une courtisane, Marguerite Gautier, atteinte de tuberculose. Elle a pour habitude de porter à son buste des camélias de différentes couleurs (blancs quand elle est disponible pour ses amants, rouges quand elle est indisposée)1. La narration constitue un récit dans le récit, puisque Armand Duval raconte son aventure au narrateur initial du roman.

Dans le demi-monde parisien chic, où se côtoient riches amateurs et femmes légères, le jeune Armand Duval tombe amoureux de la jeune et belle Marguerite Gautier, une des reines de ce monde éphémère de la noce.

Armand l'amant de Marguerite, obtient d'elle qu'elle renonce à sa vie tapageuse pour se retirer avec lui à la campagne, non loin de Paris. Mais la liaison est menacée par le père d’Armand, qui obtient de Marguerite qu'elle rompe avec son fils, sous prétexte que son autre enfant, la jeune sœur d'Armand doit épouser un homme de la bonne société. Jusqu'à la mort de Marguerite, Armand sera persuadé qu'elle l'a trahi avec un nouvel amant, et quitté volontairement. La mort pathétique de Marguerite, abandonnée et sans ressources, conclut l'histoire racontée par le pauvre Armand Duval lui-même.

Pour son roman, Alexandre Dumas s'inspire de son histoire d'amour fiévreuse avec la demi-mondaine Marie Duplessis, entre septembre 1844 et août 1845, histoire d'amour qui lui inspire l'écriture du roman La Dame aux camélias, écrit en 1848, quelques mois après la mort de la jeune femme. Mis en pension très jeune, il vit très mal son statut d'enfant « bâtard » comme il le dit lui-même. Lorsqu'il rencontre Marie Duplessis, elle lui apporte la stabilité dont il a besoin. Il s'installe à Saint-Germain-en-Laye, à l'Auberge du Cheval Blanc, et achève l'œuvre en trois semaines

« C’est Verdi et La Traviata qui ont donné un style à La Dame aux camélias ». Proust

Objets d’étude :

- Le roman au XIXe s ; Un mouvement culturel et littéraire : le Romantisme + La courtisane

Lecture cursive

- PREVOST, Manon Lescaut : intertextualité affichée

- BALZAC, Splendeur et misère des courtisanes

- MAUPASSANT, Boule de Suif d’autres visages de prostituées- ZOLA, Nana-GONCOURT Germinie Lacerteux

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Introduction

I. Marie Duplessis   : «   la Dame aux camélias   »

1. « Mademoiselle Marie Duplessis » : la vie d’une courtisane

► Synthèse : extrait de « A propos de La Dame aux camélias » d’Alexandre Dumas fils (texte en annexe) et de quelques citations prêtées à Marie Duplessis pour cerner davantage la jeune femme :- « Le mensonge blanchit les dents. »- « Tout ce qui est beau me plaît, et tout ce qui me plaît, je le veux. »- « On sait bien que je dépense les yeux fermés tout ce que j’ai, même ma vie, et même tout ce que je n’ai pas, c’est-à-dire l’avenir. »- « Votre conscience oserait-elle affirmer que les désordres de ma vie ne sont imputables qu’à moi seule  ? Si la société me condamne, moi je l’accuse – et j’en ai le droit – de n’avoir pas protégé mon inconscience. »(La Vérité sur la Dame aux camélias, Frédérik Romain Vienne, 1887)

→ Quels sont les traits de caractère qui se dégagent de ces citations ?

► Le motif des camélias : explication du titre du roman. Le camélia est une fleur onéreuse et sans odeur que Marie prit comme emblème (mais qui ne lui a jamais valu ce « surnom » de son vivant comme l’avoue Dumas fils lui-même), symbole de luxe, de beauté et de volupté. Alexandre Dumas fils choisit cette périphrase pour titre de son roman, liant Marie à Marguerite, réalité et fiction :

« Pendant vingt-cinq jours du mois les camélias étaient blancs, et pendant cinq ils étaient rouges ; on n’a jamais su la raison de cette variation de couleurs, que je signale sans pouvoir l’expliquer et que les habitués des théâtres où elle allait le plus fréquemment et ses amis avaient remarquée comme moi.

On n’avait jamais vu à Marguerite d’autres fleurs que des camélias. Aussi chez Mme Barjon, sa fleuriste, avait-on fini par la surnommer La Dame aux camélias, et ce surnom lui était resté. » (Extrait du chap. II du roman)

→ Les s savent-ils ce qu’est un camélia ? En apporter en classe / faire passer deux photos. Question : d’après eux, pourquoi cette alternance blanc / rouge ? Hypothèses.

Retenir le témoignage de F. Liszt : « c’était l’incarnation la plus absolue de la femme qui ait jamais existé… Elle avait beaucoup de cœur et un entrain tout à fait idéal ».

Analyse de deux portraits

Retrouver les éléments physiques donnés par J. Janin et A. Dumas fils dans deux portraits de Marie Duplessis :« Elle avait en effet, et de la façon la plus naturelle, le regard ingénu, le geste décevant, la démarche hardie et

décente tout ensemble, d’une femme du plus grand monde. […] Tout l’ensemble de sa toilette était en harmonie avec

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cette taille souple et jeune ; ce visage d’un bel ovale, un peu pâle, répondait à la grâce qu’elle répandait autour d’elle comme un indicible parfum. […] Ainsi son maintient répondait à son langage, sa pensée à son sourire, sa toilette à sa personne » (Jules Janin).

« Elle était grande, très mince, noire de cheveux, rose et blanche de visage. Elle avait la tête petite, de longs yeux d’émail comme une Japonaise, mais vifs et fins, les lèvres du rouge des cerises, les plus belles dents du monde  » (Alexandre Dumas fils).

Marie Duplessis, peinture d’E. Vienot, Coll. particulière

Aquarelle de Marie Duplessis peinte par Camille Roqueplan, musé Carnavalet

Retenir la remarque d’Alexandre Dumas fils : elle était « belle à faire croire un athée ».

2. Marie Duplessis et Alexandre Dumas fils

Revenir sur la relation qu’Alexandre Dumas fils, alors qu’il n’a que vingt ans, a entretenue avec Marie Duplessis depuis cette rencontre chez elle après une représentation au théâtre des Variétés (la même finalement qu’entre Armand et Marguerite dans le roman…) jusqu’à ce billet de rupture (environ onze mois, septembre 1844 – août 1845) :

« Ma chère Marie,Je ne suis ni assez riche pour vous aimer comme je voudrais, ni assez pauvre pour être aimé comme vous le

voudriez. Oublions donc tous deux – vous un nom qui doit vous être à peu près indifférent, moi un bonheur qui me devient impossible.

Il est inutile de vous dire combien je suis triste, puisque vous savez déjà combien je vous aime. Adieu, donc. Vous avez trop de cœur pour ne pas comprendre la cause de ma lettre, et trop d’esprit pour ne pas me pardonner.

Mille souvenirs, A.D.30 août, minuit »

Retenir les propos de Christiane Issartel : Dumas fils « vous aima, Marie […], il vous sanctifia, vous transforma. Il vous a fait, Marie, avec sa Dame aux camélias, un mausolée définitif. Pour sa propre gloire…pour la vôtre, Marie. »

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II. De Marie à Marguerite   : un double «   mausolée   »

1. Le contexte historique et littéraire de La Dame aux camélias

► La Monarchie de Juillet (1830- 1848)Les Trois Glorieuses 27, 28, 29 juillet 1830 mettent fin à la Restauration, consacrant Louis-Philippe Ier, Roi des Français. Cette révolution a suscité une grande vague d’enthousiasme : retour au drapeau tricolore, liberté de la presse mais très vite elle cède la place à une forte désillusion face à un régime où l’argent devient le moteur principal, entre immoralité des riches, mesquinerie des petits, injustices frappantes… Le malaise et le désordre politique, les crises successives donnent naissance à toute une littérature du désenchantement (pamphlets, caricatures, railleries…) et surtout à la Révolution de 1848, avant la proclamation de la IIe République (24 février).

► Romantisme et réalismeEn fonction de la place de cette séquence dans la progression annuelle, du travail qui a pu être effectué auparavant, revenir ou non sur la notion de « mouvement culturel et littéraire », sur le « romantisme » et le « réalisme » (définition, grandes figures, objectifs, principales caractéristiques…)

Retenir : L’œuvre de Dumas fils s’inscrit au croisement du romantisme et du réalisme, dans une période historique et sociale trouble (mutation d’une société qui voit la bourgeoisie triompher en même temps que l’injustice et l’argent, aux dépens de certaines valeurs comme la vertu…)

2. Vie et œuvre de Dumas fils (1824 - 1896)

►Retenir : une enfance douloureuse (problème de son « illégitimité » / enfant bâtard – ce qui l’a probablement conduit à se faire « porte parole des causes singulières » notamment la condition des femmes et des enfants illégitimes) et les liens difficiles qu’il entretient avec son père (cf. Le Fils Naturel et Un Père prodigue) ; sa relation maternelle avec G. Sand ; son élection à l’Académie française en 1874.

3. Du roman au drame : réception et réécriture

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► Ce qui a pu pousser Dumas fils à écrire ce roman : « Cette femme morte, Dumas voulu raconter son existence. Il écrivit La Dame aux camélias comme il eût laissé couler ses larmes en une confession d’un cœur de vingt ans 1 ». Comprendre comment vont se mêler éléments autobiographiques et fiction.

► Malgré le scandale (fascination que dégage une courtisane, d’autant qu’elle assume parfaitement ce qu’elle est) et les critiques (la précision des besoins d’argent, la bourgeoisie, incarnée par les Duval père et fils, peu exemplaire), le roman de Dumas connut un succès certain.

► Quelques anecdotes pour nous aider à comprendre le passage du roman à la pièce :1) « On raconte qu’un soir de 1848, peu de jours après l’apparition du roman, Alexandre Dumas fils rencontra au théâtre des Variétés, Siraudin le vaudevilliste qui lui dit à brûle-pourpoint : ‘‘Pourquoi donc ne tirez-vous pas un drame de votre roman ? Vous avez-là, mon cher, un terrain fécond qu’il ne faut pas laisser inexploité.’’ »2) De même, quelques jours plus tard, de la part d’Anthony Béraud, littérateur et auteur dramatique : « Ma petite vieille, il faut mettre ta Dame aux camélias en pièce, je n’ai pas lu la machine, mais ça a trop de vogue pour qu’on en extirpe pas quatre actes pour l’Ambigu avec un prologue.2 »

Joué pour la première fois le 2 février 1852, le drame rencontra un véritable engouement auprès du public. Voici ce que télégraphia Dumas fils à son père : « Grand succès ! Si grand que j’ai cru assister à la première représentation d’un de tes ouvrages ? » A quoi son père répondit : « Mon meilleur ouvrage c’est toi, mon cher enfant ! »

► Si le roman a été publié en 1848, il a fallu attendre le 2 février 1852 pour que la pièce soit jouée alors que Dumas fils l’avait achevée dès 1849 → censure (demander ce qui a pu choquer l’opinion et déclencher pareille censure.) L’auteur raconte lui-même les ‘‘péripéties de cette censure’’ dans « A propos de la Dame aux camélias » (pp.498–500 de l’édition GF) et explique pourquoi le théâtre est soumis à un contrôle renforcé : « La scène ne pourra jamais dire tout ce que dira le livre, pas plus qu’on ne peut toujours, quand on est trois, dire et faire tout ce qu’on peut dire quand on est deux. Au théâtre, on est toujours trois. » (Préface à l’Etrangère). Pourtant, en écrivant son drame, Dumas fils avait déjà apporté qqs atténuations et modifications (pp. 29-33 préface à l’édition GF).

III. La Traviata , opéra de Verdi

1. Qu’est-ce que l’Opéra ?

► Les éléments à connaître :- L’opéra comme lieu (salle, loge, foyer, fosse d’orchestre, avant-scène, scène, coulisse, rideau, le parterre, le

paradis, côté cour, côté jardin…) // schéma, photos ;- L’opéra comme art (sa naissance sur un malentendu fin du XVIe s, son évolution, entre opéra bouffe, opéra

comique, opéra romantique, drame wagnérien…) ;- La voix (voix de femme : soprano, mezzo-soprano, contralto ; voix d’homme : ténor, baryton, basse ;

tessiture, timbre, vibrato, legato…) ;- Les instruments de l’orchestre (les cordes, les cuivres, les percussions, la disposition) ;- Les métiers de l’opéra (le compositeur, le librettiste, le musicien, le chef d’orchestre, le chanteur, le

costumier, le metteur en scène, le décorateur…) ;- Le lexique de l’opéra (adagio, air, allegro, andante, brindisi, crescendo, forte, chœur…).

Retenir : L’opéra est à la fois une œuvre dramatique mise en musique (livret / partition), un genre musical qui a évolué au fil des siècles et un lieu où se jouent ces œuvres musicales.

1

Henry Lyonnet, La Dame aux camélias de Dumas fils, Les grands événements littéraires, Malfère, 1930, p.55

2 Les deux anecdotes sont reprises par Henry Lyonnet, ibid. pp. 77-78

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2. « Viva Verdi » (1813 - 1901)

► Travail préparatoire demandé aux s : faire la biographie de Giuseppe Verdi ou le renouveau de l’opéra romantique.Retenir : l’un des + grands compositeurs d’opéras ; l’influence de Donizetti et Bellini ; le renouveau qu’il apporte à l’opéra en lui offrant une dimension + réaliste et populaire, en liant les événements de l’histoire, en créant des mélodies plus fluides, en développant la psychologie des personnages et en interrogeant la complexité des sentiments humains ; le triomphe de Nabucco créé à la Scala le 9 mars 1842 marque le début d’une carrière longue de cinquante ans. Exigeant avec ses librettistes, il travaille notamment avec Piave ; la « trilogie verdienne » composée de Rigoletto, Le Trouvère et La Traviata lui assure un succès jms démenti ; sa participation aux mouvements révolutionnaires que connaît l’Italie à cette époque (« Viva V.E.R.D.I. » // Vittorio Emanuele Rè D’Italia).

3. La Traviata : du fiasco au succès

Lors de son séjour à Paris, Verdi assiste à l’une des représentations de La Dame aux camélias. Il est séduit par ce drame bouleversant (d’autant que certains font le lien avec son histoire personnelle et sa liaison avec la soprano Giuseppina Strepponi, au passé « chargé », difficilement acceptée par son entourage provincial, la société mondaine parisienne qu’il côtoie régulièrement) Lorsque, de retour en Italie, La Fenice de Venise lui commande un opéra, il s’adresse au librettiste Francesco Piave pour l’adaptation de la pièce de Dumas. A contrecœur, Verdi est contraint de transposer l’histoire au XVIIIe siècle (sous le règne de L. XV) et le statut social de l’héroïne, Violetta, est plus flou. Les sentiments et l’intériorité du personnage seuls prédominent. D’abord intitulé Amore e morte, il devient La Traviata signifiant en italien « La dévoyée » (cf. sur les personnages féminins).La première représentation le 6 mars 1853 est un véritable fiasco (probablement en raison des solistes : Fanny Salvani-Donatelli est un peu trop bien portante pour jouer une Violetta se mourant de phtisie, Lodovico Graziani qui joue Alfredo apparaît dans une méforme évidente et Felice Varesi, le père, se trouve en fin de carrière). Le lendemain, Verdi écrit : « La Traviata, hier, fiasco. Est-ce ma faute ou celle des chanteurs ? Le temps jugera. » Les représentations qui suivent sont plus mitigées, la reprise un an plus tard, connaît un triomphe incontestable.

Retenir : les facteurs qui accompagnent la genèse de La Traviata : l’éclectisme de Verdi, l’influence de l’opéra sémisera, les événements politiques en Italie, son rapport à Paris, sa relation avec G. Strepponi  ; la rupture qu’a marquée cet opéra dans l’évolution du genre ; la prédominance des sentiments, de l’humanité, de l’intériorité des personnages.

Problématique de la séquence « parmi les sujet du XIXe siècle qui ont connu le plus grand succès et la plus grande longévité et qui sont sans cesse repris jusqu’à nos jours par le cinéma et la télévision, on compte ‘‘La Dame aux camélias’’, qui est probablement le mythe féminin le plus populaire de l’ère bourgeoise. » (Préface à l’édition GF p.19)→ La Dame aux camélias entre littérature et opéra, entre réalité et fiction, entre humanité et mythe.

IV. Projection de La Traviata

QUESTIONNAIRE si vous voulez vous amuser : Pour chaque acte :

- Décrivez les décors et les costumes ;- Résumez l’action et donnez un titre ;- Repérez les personnages et indiquez l’impression, les émotions qu’ils dégagent ;- Quelles différences avec le roman de Dumas fils avez-vous déjà pu remarquer ?- Quel air vous a principalement plu ? Pourquoi ?

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ANNEXE

A propos de la Dame aux Camélias (pp.497- 498 GF)

La personne qui m'a servi de modèle pour l'héroïne de la Dame aux camélias se nommait Alphonsine Plessis, dont elle avait composé le nom plus euphonique et plus relevé de Marie Duplessis. Elle était grande, très mince, noire de cheveux, rose et blanche de visage. Elle avait la tête petite, de longs yeux d'émail comme une Japonaise, mais vifs et fins, les lèvres du rouge des cerises, les plus belles dents du monde ; on eut dit une figurine de Saxe. En 1844, lorsque je la vis pour la première fois, elle s'épanouissait dans toute son opulence te sa beauté. Elle mourut en 1847, d'une maladie de poitrine, à l'âge de vingt-trois ans.

Elle fut une des dernières et des seules courtisanes qui eurent du cœur. C'est sans doute pour ce motif qu'elle est morte si jeune. Elle ne manquait ni d'esprit, ni de désintéressement. Elle a fini pauvre dans un appartement somptueux, saisi par ses créanciers. Elle possédait une distinction native, s'habillait avec goût, marchait avec grâce, presque avec noblesse. On la prenait quelquefois pour une femme du monde. – Aujourd'hui, on s'y tromperait continuellement. Elle avait été fille de ferme. Théophile Gautier lui consacra quelques lignes d'oraison funèbre, à travers lesquelles on voyait s'évaporer dans le bleu cette aimable petite âme qui devait, comme quelques autres, immortaliser le péché d'amour.

Cependant Marie Duplessis n'a pas eu toutes les aventures pathétiques que je prête à Marguerite Gautier, mais elle ne demandait qu'à les avoir. Si elle n'a rien sacrifié à Armand, c'est qu'Armand ne l'a pas voulu. Elle n'a pu jouer, à son grand regret que le premier et le deuxième acte de la pièce. Elle les recommençait toujours, comme Pénélope, sa toile : seulement c'est le jour que se défaisait ce qu'elle avait commencé la nuit. Elle n'a jamais, non plus, de son vivant, été appelé la Dame aux camélias. Le surnom que j'ai donné à Marguerite est de pure invention. Cependant il est revenu à Marie Duplessis par ricochet, lorsque le roman a paru, un an après sa mort. Si au cimetière Montmartre, vous demandez à voir le tombeau de la Dame aux camélias, le gardien vous conduira à un petit monument carré qui porte sous ces mots : Alphonsine Plessis,

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une couronne de camélias blancs artificiels, scellée au marbre blanc. Cette tombe a maintenant sa légende. L'art est divin ; il crée ou ressuscite.

Marie, Marguerite, Violetta : Moi oxymorique et personnage mythique

Introduction : la représentation de la femme : partir du clivage chrétien entre Eve la pécheresse et Marie la rédemptrice pour décliner toute une série d’oppositions. Par rapport aux modèles masculins de l’homme, de l’amant, du père, du beau-père, du sorcier, du magicien…faire trouver les oppositions entre :

1. la mère douce et généreuse / la marâtre méchante et tyrannique ;2. l’épouse vertueuse / la maîtresse, objet de désir ;3. la muse idéalisée et intouchable / la putain ;4. la fée / la sorcière.

Le propre de la femme dans la littérature est d’être un objet ambigu que ce soit au niveau familial, social, fantasmatique ou merveilleux et d’offrir ainsi de multiples visages.

La « Dame aux camélias » en revendique au moins quatre : Marie Duplessis, la femme réelle, que Dumas fils a connue ( 1) ; Marguerite Gautier, à la fois héroïne de roman et personnage de théâtre, Violetta Valery, la dévoyée de Verdi. Quatre figures, une même femme ?

Parallèlement, l’œuvre de Dumas témoigne de l’importance que le mythe de la courtisane a prise au cours des siècles en littérature, et particulièrement au XIXe siècle. De Manon à Nana, de Marion à Esther, autant de portraits, de parcours de courtisanes / prostituées (synthèse du travail à la maison) :

« Pauvres créatures ! Si c’est un tort de les aimer, c’est bien le moins qu’on les plaigne. Vous plaignez l’aveugle qui n’a jamais vu les rayons du jour, le sourd qui n’a jamais entendu les accords de la nature, le muet qui n’a jamais pu rendre la voix de son âme, et, sous un faux prétexte de pudeur, vous ne voulez pas plaindre cette cécité du cœur, cette surdité de l’âme, ce mutisme de la conscience qui rendent folle la malheureuse affligée et qui la font malgré elle incapable de voir le bien, d’entendre le Seigneur et de parler la langue pure de l’amour et de la foi.

Hugo a fait Marion Delorme, Musset a fait Bernerette, Alexandre Dumas a fait Fernande, les penseurs et les poètes de tous les temps ont apporté à la courtisane l’offrande de leur miséricorde, et quelquefois un grand homme les a réhabilitées de son amour et même de son nom. Si j’insiste ainsi sur ce point, c’est que parmi ceux qui vont me lire, beaucoup peut-être sont déjà prêts à rejeter ce livre, dans lequel ils craignent de ne voir qu’une apologie du vice et de la prostitution, et l’âge de l’auteur contribue sans doute encore à motiver cette crainte. Que ceux qui penseraient ainsi se détrompent, et qu’ils continuent, si cette crainte seule les retenait. » (Extrait du chap. III)

→ Pourquoi continuer la lecture ? Quelle image de la courtisane le roman renvoie-t-il ? Est-ce la même image qu’offre l’opéra ? Qui sont Marguerite Gautier et Violetta Valery ? Pourquoi la « dame aux camélias » a-t-elle atteint une dimension mythique ?

1. Portrait ambigu d’une courtisane

1. Une beauté trouble et troublante

Le portrait physique de Marguerite que dessine le narrateur tient du blason et fait apparaître tout le charme, toute la beauté que dégage la jeune femme cf. texte en annexe →Cf les figures de style  : les hyperboles - insistent sur la perfection qu’incarne l’héroïne tandis que les métaphores et les comparaisons tentent de nous faire saisir cette beauté troublante, fascinante qui semble échapper à la nature pour devenir œuvre d’art. Ce portrait idéalisé sera confirmé par la première « apparition » de la jeune femme, élégante, « charmante » (dans les deux sens) et admirable. Ce physique a quelque chose d’irréel alors qu’il est rattrapé très vite par la réalité ; il faut opposer cet idéal féminin à la scène de l’exhumation et la lente agonie du personnage « pâle comme le marbre » qui traduisent la déchéance et la

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décrépitude d’un corps malade. Déjà le premier portrait indiquait l’extrême minceur de la jeune femme atteinte de phtisie. Il est remarquable cependant que ce soit le « premier » narrateur, et non Armand, qui dresse le portrait physique de Marguerite, comme si le jeune homme était aveuglé par sa beauté troublante, comme si son récit finalement était tout entier portrait, comme s’il avait cherché à dépasser les apparences pour comprendre son âme.

2. Un être insaisissable

Or le portrait moral de Marguerite qu’offre le roman semble éclaté, obéissant à une logique de la remémoration par scène : chaque moment, chaque chapitre serait comme un nouveau voile levé sur le caractère de la jeune femme, sur une nouvelle facette du personnage qui demeure insaisissable, entre être et paraître.- « Taquine » (comme elle le reconnaît elle-même), ironique, femme d’esprit, voilà ce qui émane d’elle et des premières paroles échangées avec Gaston et Armand dont elle se moque (p.95)  : « j’ai la mauvaise habitude de vouloir embarrasser les gens que je vois pour la première fois. » (p.106)- Cette ironique moqueuse peut devenir pique acerbe et blessante : Marguerite est capable de cynisme et de méchanceté comme elle en joue avec le Comte de N***, désespérément amoureux d’elle p. 106 : « Ce n’est pas vous, comte, qui auriez fait cela » (lorsqu’elle apprend qu’Armand venait prendre de ses nouvelles tous les jours lorsqu’elle était malade) ; p.129 « Qu’est-ce que vous voulez ? Que je sois votre maîtresse ? Eh bien, je vous ai déjà dit cent fois que non, que vous m’agacez horriblement […] : je ne veux pas de vous. » Voir encore la formule lancée à propos d’Armand jaloux qui a voulu rompre : « Il a soupé deux fois chez moi, et il ne me fait même pas de visite de digestion. » (p.156)- Cette attitude, de défense ou de vengeance, a toutefois ce quelque chose d’enfantin et d’immature. Elle aime les « raisins glacés » et ne mange jamais d’autres « bonbons » (p.94) ; elle est capricieuse et impulsive comme lorsqu’elle ne parvient pas à jouer un morceau de piano : « Est-ce incroyable, dit-elle avec une véritable intonation d’enfant, que je ne puisse pas arriver à jouer ce passage ! […] Que le diable emporte Weber, la musique et les pianos ! dit-elle en jetant le cahier à l’autre bout de la chambre » (p. 111).- Surtout, les contraires qui l’animent, passant quasiment du rire aux larmes, cachant les larmes derrière le rire, achèvent d’en faire un être insaisissable, oxymorique, tiraillé, partagé, déchiré : « une femme nerveuse, malade, triste ou gaie d’une gaieté plus triste que le chagrin » (p.117) ; « cette gaieté, cette façon de parler et de boire […] me semblaient chez Marguerite un besoin d’oublier » (p.113). L’extrait le plus caractéristique de cette cyclothymie se trouve au chapitre XI : ayant oublié le rendez-vous avec Armand, l’accueillant avec « mauvaise humeur » (p.132), Marguerite retrouve sa joie et son sourire lorsqu’elle apprend que le vieux Duc lui donne de l’argent. S’empressant de « rire de tout, de peur d’être obligé[e] d’en pleurer », la gaieté, feinte ou réelle, traduit sa volonté, son appétit de vivre dans l’instant, se sachant malade et condamnée. Sa mort comme moyen de résoudre les contraires…

3. Une courtisane lucide

Avant même que le lecteur n’apprenne son nom, qu’il ne découvre son portrait, le début du roman ne laisse planer aucun doute : l’héroïne sera « une femme entretenue », une « courtisane » (chap. I) Et il n’est pas anodin de constater que le portrait physique s’accompagne d’une description de ses vêtements, bijoux et autres accessoires comme l’appartement renvoyait déjà cette impression de « luxe » et de richesse incroyables. Le portrait moral d’ailleurs tient en grande partie à sa position de courtisane. De même pour l’intertextualité avec Manon Lescaut et la dédicace (chap. III). Le récit indique sans retenue les nombreuses relations que la jeune femme a eues et dont témoignent tous les objets qui parsèment son appartement : « Cependant cette collection n’avait pu se faire que peu à peu, et ce n’était pas le même amour qui l’avait complétée » (p. 53, noter l’euphémisme !) ; « tous ces ustensiles magnifiquement ciselés portaient des initiales variées et des couronnes différentes. » Lorsqu’Armand visite à son tour l’appartement de Marguerite, il découvre des miniatures comme autant de trophées de conquêtes : « Voilà le Comte de G… qui a été très amoureux de Marguerite » ; « C’est le petit Vicomte de L… » (p. 112) sans parler de cette étrange relation qu’elle entretient avec le vieux Duc (chap. II).Ce qui surprend, et qui a pu choquer, c’est que l’héroïne assume avec une totale franchise ce qu’elle est, sa vie, ses besoins d’argent : « une femme qui crache le sang et qui dépense cent mille francs par an » (p.117) ; « vous ne savez donc pas que je dépense six ou sept mille francs par mois, et que cette dépense est devenue nécessaire à ma vie  » (p.118) ; « Je ne suis ni une vierge ni une duchesse » (p.120).

Ce qu’elle défend par-dessus-tout, c’est sa liberté et son indépendance : « je veux être libre de faire ce que bon me semblera » (p.121) On comprend comment cette attitude va à l’encontre de l’ordre social bourgeois et de la

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représentation de la femme soumise et dépendante financièrement de l’homme ; on entend le danger qu’elle représente pour cet ordre / figure du père .Marguerite n’en demeure pas pour autant parfaitement lucide quant à sa condition : « Si celles qui commencent notre honteux métier savaient ce que c’est, elles se feraient plutôt femmes de chambre. Mais non ; la vanité d’avoir des robes, des voitures, des diamants nous entraîne ; on croit à ce que l’on entend, car la prostitution a sa foi, et l’on use peu à peu son cœur, son corps, sa beauté ; on est redoutée comme une bête fauve, méprisée comme un paria, on n’est entourée que de gens qui vous prennent toujours plus qu’ils ne vous donnent, et on s’en va un beau jour crever comme un chien, après avoir perdu les autres et s’être perdue soi-même. »Passage crucial, symbolisant la conscience amère et dépitée de la jeune femme face à la « profession » embrassée ; remarquer surtout l’énumération qui insiste sur l’impitoyable de cette condition et la multiplication des passifs impersonnels qui montrent combien les courtisanes ne sont que des objets ; la comparaison finale avec le « chien » achève la déshumanisation de la femme, que la société perd, qui se perd elle-même (et qui ne se retrouve que dans la mort…)

→ Lecture analytique de la tirade de Marguerite, porte-parole des courtisanes (texte en annexe)Argumentation, entre pathétique et polémique, plaidoyer et réquisitoire, parcours individuel et parole collective, « je » et « nous », « nous » et « ils », « je » et « tu », passé présent et avenir.

2. L’amante d’Armand   : la femme derrière la courtisane

3. Le regard d’Armand

La dualité et le mystère de Marguerite ne sont que plus éclatants dans sa relation avec Armand et le récit qu’en fait le jeune homme, récit rétrospectif qui cherche sinon à résoudre ces paradoxes du moins à traduire cette dualité. Et c’est d’ailleurs cet insaisissable qui a éveillé et suscité une telle fascination : « Cette fille me bouleversait. Ce mélange de gaieté, de tristesse, de candeur, de prostitution, cette maladie même qui devait développer chez elle la sensibilité des impressions comme l’irritabilité des nerfs » (p.118).Le paradoxe est d’autant plus prégnant et grand qu’Armand n’accepte pas de voir en elle qu’une simple courtisane ; il s’oblige ou il s’attèle à la séparer des autres, à la différencier : « Je m’entêtais encore à ne pas voir en elle une fille semblable aux autres » (p.124 : quel sens l’adverbe « encore » prend-il ici ?...)Il tente de justifier cette condition de courtisane en n’y voyant que l’effet d’un accident : « on reconnaissait dans cette fille la vierge qu’un rien avait fait courtisane, et la courtisane dont un rien eût fait la vierge la plus amoureuse et la plus pure » (p.110). Quel est ce « rien » qui pourtant est à l’origine de tout dans le roman ? Ce rien est primordial puisqu’il a dessiné à la fois le destin de la jeune femme et concrétise la dualité du personnage, courtisane mais virginale. Tout se passe comme si le mythe de la « belle âme » était sous-jacent, comme si la beauté physique reflétait une noblesse d’âme, comme si Marguerite n’avait pas le visage de sa profession.Armand participe totalement à la complexité (et partant, à la construction du mythe) de l’héroïne. Pour preuve les différents visages qu’il lui offre de prendre lorsqu’il l’invite à se soigner / la soigner : « je voudrais être votre ami, votre parent, pour vous empêcher de vous faire mal ainsi » (p.114) ; « si vous le vouliez, je vous soignerais comme un frère, je ne vous quitterais pas, et je vous guérirais » (p.116).

4. La femme amoureuse

Cette attitude, justement, a touché et ému Marguerite. Parce que (incroyablement ?) elle rêvait d’amour, de bonheur, de vérité ; pas l’amour vaniteux de l’homme fier d’arborer à son bras une belle femme ; pas l’amour d’« amants égoïstes qui dépensent leur fortune non pas pour [elles, les courtisanes], comme ils le disent, mais pour leur vanité  » (p.162). Au départ, elle reconnaît chercher « un amant jeune, sans volonté, amoureux sans défiance, aimé sans droits » (p.121) ; elle sait qu’aimer Armand est insensé : « J’ai la folie de vous aimer » (p.147). Mais elle va s’abandonner complètement à cet amour, sincère : « Je me suis donnée à toi plus vite qu’à aucun homme, je te le jure ; pourquoi ? parce que me voyant cracher le sang tu m’as pris la main, parce que tu as pleuré, parce que tu es la seule créature humaine qui ait bien voulu me plaindre (p.161). Finalement pas grand-chose : Armand a vu en elle une femme et non un objet ; parce qu’il a eu des sentiments humains et altruistes. Malgré la jalousie première d’Armand, les obstacles économiques, la relation qu’elle entretient avec lui signe une nouvelle vie comme une nouvelle identité ; ou plutôt, l’amour révèle la femme qui est en elle, la Marguerite que cachait le masque de la courtisane comme le remarque le jeune homme lors de leur promenade en bateau à Bougival  : « La courtisane y disparaissait peu à peu. J’avais auprès de moi une femme jeune, belle, que j’aimais, dont j’étais

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aimé et qui s’appelait Marguerite » (p.170). Comme si Marguerite était la femme, Marguerite Gautier la courtisane. Non Seulement les masques tombent, mais les objets qui construisaient la courtisane disparaissent en même temps : elle vend, met en gage voiture, bijoux, cachemire, certes pour financer leur séjour et payer ses dettes (puisqu’elle a perdu l’appui des autres hommes) mais le rapport des valeurs s’inverse : l’amour lui importe à présent bien plus que n’importe quel train de vie et ce sacrifice ne représente rien comparé à la vérité et à l’identité que lui procure Armand : « Crois-tu donc que je compare une voiture et des bijoux à ton amour ? Crois-tu donc que le bonheur consiste pour moi dans les vanités dont on se contente quand on n’aime rien, mais qui deviennent bien mesquines quand on aime ? » (p.189). Le mot est lâché : Marguerite aime.

5. Le sacrifice : « mythe de la Reconnaissance »

Armand, enveloppé dans le manteau de la bourgeoisie, a du mal à comprendre que Marguerite puisse abandonner son luxe pour lui ; il veut tout payer, tout racheter, signe peut-être d’un fossé infranchissable entre leurs deux mondes  : « En me conservant le luxe au milieu duquel j’ai vécu, tu veux conserver la distance morale qui nous sépare  ; toi, enfin, qui ne crois pas mon affection assez désintéressée […] esclave que tu es d’un préjugé ridicule » (p.189).Car tout est là : croire ; Marguerite a besoin qu’on la croit, Marguerite a besoin de « reconnaissance » comme l’a expliqué Barthes (texte en annexe), notamment du monde bourgeois : « Marguerite a d’abord été touchée de se sentir reconnue par Armand ». Elle aime pour se faire reconnaître. L’amour que lui porte le jeune homme lui confère déjà une dignité, lui permet de devenir quelqu’un. Le chantage du père, le sacrifice qu’il lui demande sera alors l’occasion inespérée et idéale d’assouvir ce besoin de reconnaissance, d’être enfin reconnue par la société bourgeoise : « L’estime de ce vieillard loyal que j’allais conquérir, la vôtre que j’étais sûre d’avoir plus tard, tout cela éveillait en mon cœur de nobles pensées qui me relevaient à mes propres yeux » (p.234-235). En un mot, d’exister.Toute la complexité du personnage éclate : sa relation avec Armand lui permettait de devenir une femme, de rompre avec sa vie passée et tumultueuse de courtisane : « maintenant que j’ai goûté d’une nouvelle vie, je mourrais en reprenant l’autre » (p.180). Et pourtant, obéissant au père, rompant avec Armand, elle replonge tête baissée dedans, retrouve le Comte de N***, court bals et soirées... Etait-ce nécessaire pour conquérir le monde bourgeois ? pour être reconnu de ce monde ? Finalement, comme l’explique Barthes, Marguerite est soumise à une double aliénation : elle est prisonnière de sa condition de courtisane de même qu’elle est aliénée par les valeurs bourgeoises qu’elle révère.Mieux, « elle se veut courtisane » : c’est ce qu’elle est, sa nature profonde, son essence première. Son sacrifice, ce « martyre joyeux » n’est que la tentative de résoudre les paradoxes : non plus femme vertueuse ou courtisane mais courtisane et vertueuse, une « courtisane superlative » capable de dévouement, de générosité. Toute l’ambiguïté qui émergeait du portrait physique et moral ne consistait qu’en les deux faces d’une même pièce, grotesque et sublime pour reprendre la dualité hugolienne. Ce sacrifice lui permet de devenir ce qu’elle est (il y a du Nietzsche là-dedans…).Sauf qu’elle ne remet pas en cause ces étiquettes bourgeoises et qu’elle s’épuise à force de contraires. Certes, il n’y a pas de fatalité métaphysique ; mais il y a bien une double fatalité, à la fois externe (la société) et interne (être oxymorique qui se déchire). Sa mort autoriserait sans doute la réconciliation des extrêmes, prostitution et vertu, monde courtisan et monde bourgeois. Les Duval ne seront pas là pour le voir ; la pièce et l’opéra le feront.

3. Violetta, «   Traviata   »   : trajectoire d’une dévoyée

1. Un être mystérieux et sensible

Comme le texte théâtral, le livret d’opéra se démarque du roman par son « incomplétude » : il n’y aura aucun portait physique de l’héroïne ; il appartient au metteur en scène de combler ce manque en choisissant la soprano qui incarnera Violetta.

→ Voir des photos des différentes cantatrices qui ont joué la Traviata (Nelly Melba, Géraldine Garrar, Maria Callas, Christine Schäfer, Angela Gheorhiu) et choisir celle qui correspond le plus à l’image du personnage.

Le mystère plane sur cet être de papier, cet être de musique, qui attend un corps et surtout une voix, d’autant que l’on ne sait presque rien d’elle. Parce que la bien et la censure le lui imposaient, Verdi propose une héroïne très édulcorée par rapport au roman. Qui est-elle réellement ? Quelles sont ses origines ? Quel est son statut social ? Le flou règne.Les seuls éléments que l’on possède viennent de la scène, de ce que l’on découvre lorsque le rideau se lève  : une femme qui vit dans le luxe, qui aime la fête, le monde et ses plaisirs ; une femme séduisante qui a charmé le Baron

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douphol et Alfredo ; une femme qui a de multiples conquêtes mais qui ignore ce qu’est l’amour. Le titre même de l’opéra nous invite à la considérer comme une « Traviata », autrement dit une dévoyée, une femme qui s’est détournée du droit chemin mais rien ne nous permet d’affirmer qu’elle est courtisane. D’ailleurs, la réalité financière et économique a pratiquement disparu du livret de même qu’il n’est plus questions de ses nombreux amants ou prétendants (Piave et Verdi ont « fondu » en un même personnage, le vieux Duc, le Comte de G***, le Comte de N*** ; elle ne trompera plus Alfredo avec le Comte, n’obtiendra pas d’argent du Baron pour louer la maison…).Difficile dès lors de l’imaginer fréquentant les bas-fonds de la société ; au contraire, elle apparaît élégante, raffinée, cultivée, jouant parfaitement son rôle d’hôtesse souriante et chaleureuse vers qui tous les regards sont tournés.Psychologiquement, l’on retrouve le même caractère taquin (elle reprend la pique lancée au Comte de N*** / Baron, elle sourit aux premières avances d’Alfredo), léger (elle invite à la jouissance), joyeux, franc («  Je suis franche et ingénue : cherchez une autre femme ») mais rien concernant quelque caprice ou méchanceté. Surtout, elle s’identifie à Hébé, la déesse de la jeunesse, de la vitalité, de la vigueur.Simultanément, Alfredo abandonne les enfantillages et la jalousie d’Armand ; il se donne davantage à l’amour quelles que soient les contraintes.En un mot, le drame s’intériorise et laisse entendre tous les aléas des sentiments qui règnent en maîtres sur l’opéra et que les personnages vont révéler.

2. Une femme déchirée

Violetta attend d’être seule à la fin du premier acte pour les exprimer, pour chanter la dualité qui la déchire dans un des airs les plus célèbres de l’opéra : «   È strano   ! È Strano   !   »

→ Ecoutez l’air de Violetta avec le texte du livret pour identifier les différents moments et comprendre la parfaite adéquation entre « vérité musicale d’une forme et vérité humaine d’une situation. » (Stéphane Goldet, La Traviata, Avant Scène Opéra, 51).

L’air s’inspire du monologue de Marguerite acte II scène 5, entre doute, hésitation et décision prise d’aller s’installer avec Armand à la campagne :« Qui m’eût dit, il y a huit jours, que cet homme, dont je ne soupçonnais pas l’existence, occuperait à ce point, et si vite, mon cœur et ma pensée ? M’aime-t-il d’ailleurs ? sais-je seulement si je l’aime, moi qui n’ai jamais aimé ? Mais pourquoi sacrifier une joie ? Pourquoi ne pas se laisser aller aux caprices de son cœur ? – Que suis-je ? Une créature du hasard ! Laissons donc le hasard faire de moi ce qu’il voudra. – C’est égal, il me semble que je suis plus heureuse que je ne l’ai encore été. C’est peut-être d’un mauvais augure. Nous autres femmes, nous prévoyons toujours qu’on nous aimera, jamais que nous aimerons, si bien qu’aux premières atteintes de ce mal imprévu nous ne savons plus où nous en sommes. »

Il est tout d’abord introduit par un récitatif dans lequel Violetta expose son dilemme, discrètement accompagnée par l’orchestre dont les cordes ponctuent les interventions de la jeune femme : abandonner les « folies de [sa] vie » pour Alfredo ? Aimer ? Surtout, entendre la vocalise sur le mot « gioia » et qui s’opposera à l’autre vocalise sur le mot « gioir ». Joie de l’amour ou jouir de la vie, tel est le dilemme dans lequel le personnage se trouve enfermé (relever les ponctuations expressives notamment) et l’aveu, également, terrible : « joie que je n’ai pas connue : être aimée en aimant ».

La première partie de l’air est un andantino à la mélodie simple et naturelle (vérité des mots, des sentiments…) ; la première moitié est en Fa mineur joue sur le modalisateur « peut-être » en évoquant ses rêves d’amour passés ; la deuxième moitié qui n’est que la reprise de la déclaration d’Alfredo « A quelle’amor, quell’amor » est en Fa majeur, la tonalité de l’amour dans la Traviata. Le passage du mode mineur au mode majeur nous invite à comprendre une évolution de l’ombre à la lumière : Violetta reprend les mots d’Alfredo qu’elle ne « voulait » entendre : à distance, elle le rejoint.

Avant la deuxième partie de l’air, Verdi insère un second récitatif au cours duquel Violetta, comme si elle revenait à la réalité, se rétracte : « Follie !... Follie ! delirio vano è questo !... » Réveil brutal dans un tempo allegro au débit rapide, aux sentiments désespérés : « Pauvre femme, solitaire, abandonnée au milieu de ce désert peuplé qu’o n appelle Paris ». Les aposiopèses et les exclamations insistent sur le trouble dépité de la jeune femme qui s’achève sur

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un cri autant qu’un désaveu retentissant : « Gioir » avec une vocalise où la note la plus aigüe de la tessiture est atteinte (Ré bémol).

La deuxième partie de l’air est une cabalette dans laquelle, sa nature frivole, superficielle cherche à prendre le dessus sur la femme amoureuse. Le staccato permanent est évidemment symbolique ; il traduit le détachement désinvolte, l’impossible attachement à un homme ; de même les vocalises, les notes trillées, les extrêmes de sa tessiture (note la plus haute et la plus basse) traduisent son conflit intérieur, sa lutte entre son Surmoi et son Moi, entre la dévoyée et l’amante, entre mensonge et vérité, illusion et sincérité.

3. Voix et voie

→ Ecoutez aux s les différents chants de Violetta pour percevoir l’évolution de la voix du personnage.

La Traviata explique Michel Parouty « Ce n’est d’abord qu’une voix. Virtuose et pathétique. Charmeuse et déchirante.3 » Une voix, certains disaient même trois voix, une par acte, tant l’évolution du personnage est sensible, tant le chant se veut différent selon les moments, les sentiments, l’état du personnage. Finalement, la voix de Violetta nous indique la voie qu’elle prend, ou plutôt qu’elle retrouve, elle la dévoyée qui s’est trompée de route.Derrière la légèreté, la désinvolture affichée, la première caractéristique vocale de Violetta est la nervosité. Face à la déclaration d’amour d’Alfredo à l’acte I, la jeune femme sourit, se protège derrière ses vocalises, se cache sous le masque de l’ironie  : le staccato traduit son émoi, son trouble que l’on retrouve dans son air déchiré et agité à la fin de l’acte.La confrontation avec Germont père à l’acte II constitue le tournant de l’opéra. On attendait de la colère, de l’indignation, de la résistance de la part de Violetta mais très vite sa voix s’adoucit, fond face aux arguments de la figure paternelle, face à l’évocation d’une sœur angélique et pure. L’instant est grave (Violetta retrouve les notes les plus basses de sa tessiture) ; loin d’un staccato heurté, loin des cris de révolte, c’est un andantino simple, lent, intérieur qu’offre la jeune femme, « Et pour sa voix, lointaine, et grave, elle a / L’inflexion des voix chères qui se sont tues » pourrait-on dire : Violetta est transfiguré en cygne.A quand la révolte alors ? Aux portes de la mort. Alfredo revient à l’acte III, Violetta a envie de vivre, veut guérir, veut aimer, se battre et voit son corps incapable de s’animer. Colère, violence face à cette injustice du sort  : « Gran Dio, morir si giovine ! » La voix éclate enfin, comme un dernier cri, elle jette ses dernières forces dans la cabalette, dans la bataille contre la maladie et la mort.Ultime mot qu’elle prononce : « Gioia »…écho évident avec le « gioia » de l’acte I : on comprend alors le parcours de la jeune femme, de la dévoyée qui a retrouvé le droit chemin, qui meurt heureuse, apaisée, entourée des gens qui l’aiment, reconnue par le monde bourgeois pleurant. En même temps que sa mort résout les contraires qui la déchiraient (Joie / jouissance), elle réconcilie les deux mondes (Violetta invite Alfredo à se marier avec une jeune femme vierge, digne de lui). Violetta apaisée devient ce qu’elle est, accède au rang de sainte et entre définitivement dans la légende.

La voix de Violetta, comme son héroïne, blessée, fragile, brisée. Paraphrasant Musset, lorsque la voix se brise c’est le cœur qui chante…

→ Les discours rapportés Le passage du roman au livret a nécessité parfois la transposition du récit, du discours indirect en dialogue. Revenir avec les s sur les caractéristiques de chaque discours (direct, indirect, indirect libre). Exercices.ConclusionMarie, Marguerite, Violetta, trois femmes, trois visages comme les trois côtés d’un triangle ; au centre, une périphrase, « la dame aux camélias », une fleur réunissant ces figures bien plus complexes et mystérieuses que la simple image de la courtisane. Et c’est ce mystère enveloppant et fascinant qui crée justement le mythe. «  C’est une fleur qui naît et meurt » chantait Violetta pour parler de l’amour, pour parler d’elle(s) finalement.Le roman et l’opéra témoignent de l’importance que le mythe de la courtisane a prise au XIXe siècle en même temps qu’ils contribuent à le créer. De Balzac à Zola, de Hugo à Maupassant, ils se sont tous arrêtés un instant sur ces lorettes, ces cocottes, ces filles de joie, à la fois victimes et pécheresses, splendides et misérables, libres et prisonnières, fascinantes et repoussantes. Autant d’auteurs, d’œuvres, de personnages, de termes mêmes pour les appeler, les approcher, les immortaliser… Pourtant, cette multiplication, cette succession de points de vue révèle

3 Verdi et la Traviata, vivre avec Violetta, Editions Mille et une Nuits / Arte éditions, 2001

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également combien ces femmes demeurent insaisissables, comme si, sous les pétales, sous les robes, quelque chose d’inaccessible restait. Balzac choisit l’antithèse pour raconter le parcours d’Esther ; Zola quant à lui, dressant un portrait sans concession de Nana, préféra l’oxymore et c’est sans doute lui qui est parvint le plus subtilement à capter, à rendre, à nous faire sentir toute la dualité de la courtisane métaphorisée en « mouche d’or ».Entre les deux, la position de Dumas-fils semble plus équivoque qu’il n’y paraît, marqué probablement qu’il était par son enfance bâtarde tandis que son père courait courtisanes et femmes faciles. Lorsque le corps de Marguerite est exhumé, « une odeur infecte s’en exhala. » Que nous indique cette odeur ? Simple souci de réalisme ? La pourriture méritée d’une prostituée, qu’un camélia sans parfum ne peut cacher ? Dumas fils à la fois narrateur distant mais compatissant et amant malheureux (on a déjà constaté le jeu des initiales A. D.) n’apparaîtrait-il pas également dans la figure morale et bourgeoise du père ? Un auteur aussi ambigu que son personnage, le mythe n’en demandait pas davantage. Au lecteur, au spectateur de choisir, de défendre ou de condamner Marguerite / Violetta, sur le chemin du cimetière Montmartre.

1er temps 2e temps 3e temps

Légèreté, frivolité

Courtisane

Sommet de la gloire (socialeEt physique)

ascension

Amante

chute

Martyre, victime, Moralité et rédemption

Sainte

Déchéance physique et Sociale (abandon)

Prolongement possible : Groupement de textes autour de la figure de la courtisane en littérature- Manon Lescaut, PREVOST- Splendeur et misère des courtisanes, BALZAC- Boule de Suif, MAUPASSANT- Nana, ZOLA

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ANNEXES

Le portrait physique de Marguerite

Or, il était impossible de voir une plus charmante beauté que celle de Marguerite.Grande et mince jusqu’à l’exagération, elle possédait au suprême degré l’art de faire disparaître cet oubli

de la nature par le simple arrangement des choses qu’elle revêtait. Son cachemire, dont la pointe touchait à terre, laissait échapper de chaque côté les larges volants d’une robe de soie, et l’épais manchon, qui cachait ses mains et qu’elle appuyait contre sa poitrine, était entouré de plis si habilement ménagés, que l’œil n’avait rien à redire, si exigeant qu’il fût, au contour des lignes.

La tête, une merveille, était l’objet d’une coquetterie particulière. Elle était toute petite, et sa mère, comme dirait de Musset, semblait l’avoir faite ainsi pour la faire avec soin.

Dans un ovale d’une grâce indescriptible, mettez des yeux noirs surmontés de sourcils d’un arc si pur qu’il semblait peint ; voilez ces yeux de grands cils qui, lorsqu’ils s’abaissaient, jetaient de l’ombre sur la teinte rose des joues ; tracez un nez fin, droit, spirituel, aux narines un peu ouvertes par une aspiration ardente vers la vie sensuelle ; dessinez une bouche régulière, dont les lèvres s’ouvraient gracieusement sur des dents blanches comme du lait ; colorez la peau de ce velouté qui couvre les pêches qu’aucune main n’a touchées, et vous aurez l’ensemble de cette charmante tête.

Les cheveux noirs comme du jais, ondés naturellement ou non, s’ouvraient sur le front en deux larges bandeaux, et se perdaient derrière la tête, en laissant voir un bout des oreilles, auxquelles brillaient deux diamants d’une valeur de quatre à cinq mille francs chacun.

Comment sa vie ardente laissait-elle au visage de Marguerite l’expression virginale, enfantine même qui le caractérisait, c’est ce que nous sommes forcés de constater sans le comprendre.

(Extrait du chapitre II)

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Tirade des courtisanes

– C’est vrai, reprit-elle ; nous autres créatures du hasard, nous avons des désirs fantasques et des amours inconcevables. Nous nous donnons tantôt pour une chose, tantôt pour une autre. Il y a des gens qui se ruineraient sans rien obtenir de nous, il y en a d’autres qui nous ont avec un bouquet. Notre cœur a des caprices ; c’est sa seule distraction et sa seule excuse. Je me suis donnée à toi plus vite qu’à aucun homme, je te le jure; pourquoi ? parce que me voyant cracher le sang tu m’as pris la main, parce que tu as pleuré, parce que tu es la seule créature humaine qui ait bien voulu me plaindre. Je vais te dire une folie, mais j’avais autrefois un petit chien qui me regardait d’un air tout triste quand je toussais ; c’est le seul être que j’aie aimé. Quand il est mort, j’ai plus pleuré qu’à la mort de ma mère. Il est vrai qu’elle m’avait battue pendant douze ans de sa vie. Eh bien, je t’ai aimé tout de suite autant que mon chien. Si les hommes savaient ce qu’on peut avoir avec une larme, ils seraient plus aimés et nous serions moins ruineuses. Ta lettre t’a démenti, elle m’a révélé que tu n’avais pas toutes les intelligences du cœur, elle t’a fait plus de tort dans l’amour que j’avais pour toi que tout ce que tu aurais pu me faire. C’était de la jalousie, il est vrai, mais de la jalousie ironique et impertinente. J’étais déjà triste, quand j’ai reçu cette lettre, je comptais te voir à midi, déjeuner avec toi, effacer enfin par ta vue une incessante pensée que j’avais, et qu’avant de te connaître j’admettais sans effort. Puis, continua Marguerite, tu étais la seule personne devant laquelle j’avais pu comprendre tout de suite que je pouvais penser et parler librement. Tous ceux qui entourent les filles comme moi ont intérêt à scruter leurs moindres paroles, à tirer une conséquence de leurs plus insignifiantes actions. Nous n’avons naturellement pas d’amis. Nous avons des amants égoïstes qui dépensent leur fortune non pas pour nous, comme ils le disent, mais pour leur vanité. Pour ces gens-là, il faut que nous soyons gaies quand ils sont joyeux, bien portantes quand ils veulent souper, sceptiques comme ils le sont. Il nous est défendu d’avoir du cœur sous peine d’être huées et de ruiner notre crédit. Nous ne nous appartenons plus. Nous ne sommes plus des êtres, mais des choses. Nous sommes les premières dans leur amour-propre, les dernières dans leur estime. Nous avons des amies, mais ce sont des amies comme Prudence, des femmes jadis entretenues qui ont encore des goûts de dépense que leur âge ne leur permet plus. Alors elles deviennent nos amies ou plutôt nos commensales. Leur amitié va jusqu’à la servitude, jamais jusqu’au désintéressement. Jamais elles ne vous donneront qu’un conseil lucratif. Peu leur importe que nous ayons dix amants de plus, pourvu qu’elles y gagnent des robes ou un bracelet, et qu’elles puissent de temps en temps se promener dans notre voiture et venir au spectacle dans notre loge. Elles ont nos bouquets de la veille et nous empruntent nos cachemires. Elles ne nous rendent jamais un service, si petit qu’il soit, sans se le faire payer le double de ce qu’il vaut. Tu l’as vu toi-même le soir où Prudence m’a apporté six mille francs que je l’avais priée d’aller demander pour moi au duc, elle m’a emprunté cinq cents francs qu’elle ne me rendra jamais ou qu’elle me payera en chapeaux qui ne sortiront pas de leurs cartons. Nous ne pouvons donc avoir, ou plutôt je ne pouvais donc avoir qu’un bonheur, c’était, triste comme je le suis quelquefois, souffrante comme je le suis toujours, de trouver un homme assez supérieur pour ne pas me demander compte de ma vie, et pour être l’amant de mes impressions bien plus que de mon corps. Cet homme, je l’avais trouvé dans le duc, mais le duc est vieux, et la vieillesse ne protège ni ne console. J’avais cru pouvoir accepter la vie qu’il me faisait; mais que veux-tu ? je périssais d’ennui et, pour faire tant que d’être consumée, autant se jeter dans un incendie que de s’asphyxier avec du charbon. Alors, je t’ai rencontré, toi, jeune, ardent, heureux, et j’ai essayé de faire de toi l’homme que j’avais appelé au milieu de ma bruyante solitude. Ce que j’aimais en toi, ce n’était pas l’homme qui était, mais celui qui devait être. Tu n’acceptes pas ce rôle, tu le rejettes comme indigne de toi, tu es un amant vulgaire; fais comme les autres, paye-moi et n’en parlons plus.

(Extrait du chapitre XV)

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Structure et énonciation

V. De l’incipit au prélude   : Eros et Thanatos

4. Lecture analytique de l’incipit (cf. texte en annexe)

■ Retrouver les trois grandes fonctions d’un incipit :- Fonction informative / information sur le cadre spatio-temporel, sur les personnages, la narration ;- Fonction programmatique / annonce des thèmes majeurs de l’œuvre ;- Fonction apéritive / susciter la curiosité et l’envie du lecteur.

■ Mise en place du pacte de lecture : le narrateur invite le lecteur à croire à la véracité des faits qui vont être racontés. A la fois observateur, témoin, rapporteur, garant, il signe avec ce dernier un pacte : « All is true » pour reprendre la célèbre formule de Balzac dans Le Père Goriot.(vu en classe)

5. Ecoute et analyse du prélude

- repérer les trois moments du prélude et ce qu’ils peuvent annoncer, signifier.

Le prélude du premier acte expose tous les ingrédients du drame :1) Les premières mesures (violons divisés, seuls, et pp) dessinent une phrase dépouillée qui semble manquer de force pour poursuivre, perdre son souffle, s’épuiser d’elle-même dans des périodes de plus en plus courtes (4 puis 3 puis 2 mesures). Ce début figure la maladie et l’imminence de la mort (essoufflement musical // phtisie…) que l’on retrouvera au début du IIIe acte ;2) Après une pause, une tonalité majeure s’installe : quelque chose de plus serein et de plus chaleureux. Il s’agit du thème de l’amour, le besoin d’amour de Violetta (thème repris à son amant en guise d’adieu au IIe acte) ;3) Après une rupture (comme une crampe, un toussotement ?), une brisure, le thème de Violetta reprend par les violoncelles, une clarinette et un basson. Il s’agit d’un accompagnement plus léger qui signifie toute la frivolité de Violetta mondaine. Une ligne d’octaves piquées et trillées vient comme enserrer le thème de Violetta : tentation pour la légèreté et le plaisir, loin de la sincérité précédente.

→ Dès l’ouverture la vie de Violetta, sa destinée est tracée : la mort et la frivolité de la société d’une part, la femme aimante d’autre part. En quelques minutes, Verdi réunit les éléments du drame à venir.

Retenir : les premiers mots, les premières notes laissent apparaître d’entrée les thèmes qui seront développés (la courtisane, Paris / la société, l’amour, la mort) et nous jouent, entre les lignes, entre les portées, déjà la fin.

VI. Deux narrateurs, une même fascination   : la question des points de vue

1. A partir de différents extraits (chap. I et VII en annexe) de La Dame aux camélias, faire apparaître les deux narrateurs principaux et montrer qu’ils ressentent la même fascination pour Marguerite.

► L’incipit s’ouvre sur un possessif de 1ère personne « Mon » et les premiers chapitres s’organisent à partir d’un Je dont on ne connaît pas l’identité. Hypothèse (avec les s) : il s’agit d’Alexandre Dumas fils lui-même. Or, s’il invite le lecteur à croire l’authenticité des faits, il n’en est pas de même pour l’objectivité du récit. On voit déjà combien la jeune femme fascine le narrateur et surtout la manière dont il prend fait et cause pour la jeune femme (faire un parallèle avec le chap. III) : « Malgré moi, je m’apitoyais sur le sort de Marguerite Gautier. » (Chap. I)

► Au chapitre IV apparaît « un jeune homme blond, grand, pâle, vêtu d’un costume de voyage » : Armand Duval. Ce jeune homme deviendra au chapitre VII le deuxième narrateur de l’histoire : « Il faut pourtant que je vous raconte cette histoire ; vous en ferez un livre » / « C’est une bien simple histoire […] et que je vous raconterai en suivant l’ordre des événements » / « Voici ce qu’il me raconta, et c’est à peine si j’ai changé quelques mots à ce touchant récit. » C’est le principe de récit enchâssé (utiliser, pour les s, le principe des poupées russes), reprenant la même structure (cf. tableau) que Manon Lescaut (Renoncour / Des Grieux). Armand Duval ressent la même fascination pour Marguerite (fascination qui se double du sentiment amoureux cf. sur l’Amour) : « Il faut que vous sachiez, mon ami, que depuis deux ans la vue de cette fille, lorsque je la rencontrais, me causait une impression étrange  » « je devenais pâle et mon cœur battait violemment », « une impression réelle », « un murmure d’admiration », « je restai cloué à ma place », « en rougissant » (chap. VII) ; « Plus je voyais cette femme, plus elle m’enchant ait. Elle était belle à ravir. Sa maigreur était une grâce. J’étais en contemplation. » (Chap. IX)

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Retenir cette notion de « ravissement », à la fois comme plaisir et comme vol (le personnage ravi et ravi à lui-même… // Le Ravissement de Lol V Stein de Duras) et l’idée de focalisation interne à partir de laquelle les événements sont vus et racontés. D’ailleurs, cette fascination est également ressentie par les autres personnages (les femmes curieuses, les clients…)

Remarque : fait exprès ou non, l’écrivain a choisi les mêmes initiales pour son personnage que les siennes  : A.D. comme si les lettres (et partant, l’écriture) réunissaient les individus et leurs sentiments.

2. Le point de vue dans La Traviata est là encore double : - celui de Verdi / Piave, véritable parti pris pour l’héroïne (place qu’elle occupe, les grands airs) ;- celui de Violetta majoritairement adopté dans l’opéra. Les tableaux se construisent autour (ou contre) d’elle : reine de la fête dans son salon, apparition et fuite, entrée au bras du Baron chez Flora, dans son lit… L’histoire est vécue par et à travers elle (son dilemme, son amour, son sacrifice, sa déchirure, sa douleur, sa mort). Lorsqu’elle ne chante pas, les autres la chantent ou chantent pour elle (le toast d’Alfredo, ses déclarations) ; même la musique semble soumise à sa voix (les instruments disparaissent au début de l’acte III « Annina ? Comandate ? »).

Retenir : un renversement de point de vue entre le roman et l’opéra, un renversement qui fait écho à la fin de La Dame aux camélias, lorsque le narrateur reprend le journal intime de Marguerite et que sa voix éclate jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus parler ni écrire.

VII. Etude comparée des deux structures (roman et opéra)

A partir du dossier accompagnant la lecture de La Dame aux camélias et du questionnaire sur La Traviata, faire apparaître les points communs et les différences entre les deux œuvres au niveau de la structure et de l’intrigue :

Si Verdi et Piave ont repris l’intrigue principale du roman dont on retrouve les différentes étapes (rencontre-présentation Alfredo / Violetta, la déclaration, l’idylle à la campagne, la rupture, la déchirure, la mort) et les situations fondamentales (notamment les jeux d’opposition), l’opéra respecte davantage la structure de la pièce : - il n’y a plus de dédoublement avec récit enchâssé ; l’opéra suit un ordre chronologique / fil des événements (Verdi souhaitait d’ailleurs que tout s’enchaîne – les airs, les tableaux, les scènes – naturellement, sans brisure, sans artificialité). Qqch de linéaire et surtout d’épuré en trois temps, comme une danse macabre : exposition, péripétie, catastrophe, avec l’acmé, le tournant que constitue la confrontation Violetta / Germont père. Le dépouillement voulu permet ainsi de mettre à nu les cœurs et les sentiments.- Chaque acte est individualisé, orchestré autour d’une thématique propre (la fête, le bonheur rompu, la mort) tout en participant d’une dynamique d’ensemble d’une efficacité dramatique sans faille. Verdi et Piave ont joué d’ellipses entre les actes (notamment entre l’acte I et l’acte II : l’on avait quitté une Violetta en plein dilemme, achevant sa cabalette sur un flagrant « mensonge » ; on retrouve la jeune femme et Alfredo heureux et amoureux depuis « trois mois » à la campagne…) pour accentuer la dramatisation : l’opéra devient combat contre le temps (le passé de Violetta que tout accuse, le présent que l’on voudrait éternel, l’avenir volé et brisé) en même temps qu’il est lutte contre la société et la mort.Retenir : Quels que soient les différences, les effets, les arrangements, il est important de constater que les deux structures révèlent la trajectoire complexe et double de Marguerite / Violetta  : de la beauté fascinante à la déchéance physique, de la courtisane légère à la sainte martyre (cf. sur Marguerite / Violetta).

1er temps 2e temps 3e temps

Légèreté, frivolité

Courtisane

Sommet de la gloire (socialeEt physique)

ascension

Amante

chute

Martyre, victime, Moralité et rédemption

Sainte

Déchéance physique et Sociale (abandon)

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Ce parcours est parfaitement révélateur du personnage de Violetta, incarnant le mélange idéal entre humanité et mythe.

Conclusion : La structure comme l’énonciation centrent l’attention sur l’héroïne, la fascination qu’elle exerce, l’humanité qu’elle dégage, le mythe qu’elle engendre suivant cette double trajectoire ascension / chute aux thèmes éternels : amour et mort, Eros et Thanatos.

ANNEXES

L’incipit

Mon avis est qu’on ne peut créer des personnages que lorsque l’on a beaucoup étudié les hommes, comme on ne peut parler une langue qu’à la condition de l’avoir sérieusement apprise.

N’ayant pas encore l’âge où l’on invente, je me contente de raconter.J’engage donc le lecteur à être convaincu de la réalité de cette histoire dont tous les personnages, à l’exception de

l’héroïne, vivent encore.D’ailleurs, il y a à Paris des témoins de la plupart des faits que je recueille ici, et qui pourraient les confirmer, si

mon témoignage ne suffisait pas. Par une circonstance particulière, seul je pouvais les écrire, car seul j’ai été le confident des derniers détails sans lesquels il eût été impossible de faire un récit intéressant et complet. Or, voici comment ces détails sont parvenus à ma connaissance. — Le 12 du mois de mars 1847, je lus, dans la rue Laffitte, une grande affiche jaune annonçant une vente de meubles et de riches objets de curiosité.

Cette vente avait lieu après décès. L’affiche ne nommait pas la personne morte, mais la vente devait se faire rue d’Antin, n° 9, le 16, de midi à cinq heures.

L’affiche portait en outre que l’on pourrait, le 13 et le 14, visiter l’appartement et les meubles.J’ai toujours été amateur de curiosités. Je me promis de ne pas manquer cette occasion, sinon d’en acheter, du

moins d’en voir.Le lendemain, je me rendis rue d’Antin, n° 9. Il était de bonne heure, et cependant il y avait déjà dans

l’appartement des visiteurs et même des visiteuses ; qui, quoique vêtues de velours, couvertes de cachemires et attendues à la porte par leurs élégants coupés, regardaient avec étonnement, avec admiration même, le luxe qui s’étalait sous leurs yeux.

Plus tard je compris cette admiration et cet étonnement, car m’étant mis aussi à examiner, je reconnus aisément que j’étais dans l’appartement d’une femme entretenue.

Or, s’il y a une chose que les femmes du monde désirent voir, et il y avait là des femmes du monde, c’est l’intérieur de ces femmes, dont les équipages éclaboussent chaque jour le leur, qui ont, comme elles et à côté d’elles, leur loge à l’Opéra et aux Italiens , et qui étalent, à Paris, l’insolente opulence de leur beauté, de leurs bijoux et de leurs scandales.

Celle chez qui, je me trouvais était morte : les femmes les plus vertueuses pouvaient donc pénétrer jusque dans sa chambre. La mort avait purifié l’air de ce cloaque splendide, et d’ailleurs elles avaient pour excuse, s’il en était besoin, qu’elles venaient à une vente sans savoir chez qui elles venaient. Elles avaient lu des affiches, elles voulaient visiter ce que ces affiches promettaient et faire leur choix à l’avance ; rien de plus simple ; ce qui ne les empêchait pas de chercher, au milieu de toutes ces merveilles, les traces de cette vie de courtisane dont on, leur avait fait, sans doute, de si étranges récits. Malheureusement les mystères étaient morts avec la déesse, et, malgré toute leur bonne volonté, ces dames ne surprirent que ce qui était à vendre depuis le décès, et rien de ce qui se vendait du vivant de la locataire.

Du reste, il y avait de quoi faire des emplettes. Le mobilier était superbe. Meubles de bois de rose et de Boule, vases de Sèvres et de Chine, statuettes de Saxe, satin, velours et dentelle, rien n’y manquait.

Je me promenai dans l’appartement et je suivis les nobles curieuses qui m’y avaient précédé. Elles entrèrent dans une chambre tendue d’étoffe perse, et j’allais y entrer aussi, quand elles en sortirent presque aussitôt en souriant et comme si elles eussent eu honte de cette nouvelle curiosité. Je n’en désirai que plus vivement pénétrer dans cette chambre. C’était le cabinet de toilette, revêtu de ses plus minutieux détails, dans lesquels paraissait s’être développée au plus haut point la prodigalité de la morte.

Sur une grande table, adossée au mur, table de trois pieds de large sur six de long, brillaient tous les trésors d’Aucoc et d’Odiot. C’était là une magnifique collection, et pas un de ces mille objets, si nécessaires à la toilette d’une femme comme celle chez qui nous étions, n’était en autre métal qu’or ou argent. Cependant cette collection n’avait pu se faire que peu à peu, et ce n’était pas le même amour qui l’avait complétée.

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Moi qui ne m’effarouchais pas à la vue du cabinet de toilette d’une femme entretenue, je m’amusais à en examiner les détails, quels qu’ils fussent, et je m’aperçus que tous ces ustensiles magnifiquement ciselés portaient des initiales variées et des couronnes différentes.

Je regardais toutes ces choses dont chacune me représentait une prostitution de la pauvre fille, et je me disais que Dieu avait été clément pour elle, puisqu’il n’avait pas permis qu’elle en arrivât au châtiment ordinaire, et qu’il l’avait laissée mourir dans son luxe et sa beauté, avant la vieillesse, cette première mort des courtisanes.

(Extrait du chapitre I)

Armand débutant son récit

« C’est à peu près à cette époque de l’année et le soir d’un jour comme celui-ci que je connus Marguerite  », me dit Armand, écoutant ses propres pensées et non ce que je lui disais. Je ne répondis rien. Alors, il se retourna vers moi, et me dit : « Il faut pourtant que je vous raconte cette histoire; vous en ferez un livre auquel on ne croira pas, mais qui sera peut-être intéressant à faire. - Vous me conterez cela plus tard, mon ami, lui dis-je, vous n’êtes pas encore assez bien rétabli. - La soirée est chaude, j’ai mangé mon blanc de poulet, me dit-il en souriant; je n’ai pas de fièvre, nous n’avons rien à faire, je vais tout vous dire. - Puisque vous le voulez absolument, j’écoute. - C’est une bien simple histoire, ajouta-t-il alors, et que je vous raconterai en suivant l’ordre des événements. Si vous en faites quelque chose plus tard, libre à vous de la conter autrement. » Voici ce qu’il me raconta, et c’est à peine si j’ai changé quelques mots à ce touchant récit. Oui, reprit Armand, en laissant retomber sa tête sur le dos de son fauteuil, oui, c’était par une soirée comme celle-ci ! J’avais passé ma journée à la campagne avec un de mes amis, Gaston R... Le soir nous étions revenus à Paris, et ne sachant que faire, nous étions entrés au théâtre des Variétés. Pendant un entracte nous sortîmes, et, dans le corridor, nous vîmes passer une grande femme que mon ami salua. «  Qui saluez-vous donc là ? lui demandai-je. - Marguerite Gautier, me dit-il. - Il me semble qu’elle est bien changée, car je ne l’ai pas reconnue, dis-je avec une émotion que vous comprendrez tout à l’heure. - Elle a été malade; la pauvre fille n’ira pas loin.  » Je me rappelle ces paroles comme si elles m’avaient été dites hier. Il faut que vous sachiez, mon ami, que depuis deux ans la vue de cette fille, lorsque je la rencontrais, me causait une impression étrange.

Sans que je susse pourquoi, je devenais pâle et mon cœur battait violemment. J’ai un de mes amis qui s’occupe de sciences occultes, et qui appellerait ce que j’éprouvais l’affinité des fluides; moi, je crois tout simplement que j’étais destiné à devenir amoureux de Marguerite, et que je le pressentais. Toujours est-il qu’elle me causait une impression réelle, que plusieurs de mes amis en avaient été témoins, et qu’ils avaient beaucoup ri en reconnaissant de qui cette impression me venait. La première fois que je l’avais vue, c’était place de la Bourse, à la porte de Susse. Une calèche découverte y stationnait, et une femme vêtue de blanc en était descendue. Un murmure d’admiration avait accueilli son entrée dans le magasin. Quant à moi, je restai cloué à ma place, depuis le moment où elle entra jusqu’au moment où elle sortit. A travers les vitres, je la regardai choisir dans la boutique ce qu’elle venait y acheter. J’aurais pu entrer, mais je n’osais. Je ne savais quelle était cette femme, et je craignais qu’elle ne devinât la cause de mon entrée dans le magasin et ne s’en offensât. Cependant je ne me croyais pas appelé à la revoir. Elle était élégamment vêtue; elle portait une robe de mousseline tout entourée de volants, un châle de l’Inde carré aux coins brodés d’or et de fleurs de soie, un chapeau de paille d’Italie et un unique bracelet, grosse chaîne d’or dont la mode commençait à cette époque. Elle remonta dans sa calèche et partit. Un des garçons du magasin resta sur la porte, suivant des yeux la voiture de l’élégante acheteuse. Je m’approchai de lui et le priai de me dire le nom de cette femme. «  C’est Mlle Marguerite Gautier », me répondit-il. Je n’osai pas lui demander l’adresse, et je m’éloignai. Le souvenir de cette vision, car c’en était une véritable, ne me sortit pas de l’esprit comme bien des visions que j’avais eues déjà et je cherchais partout cette femme blanche si royalement belle.

A quelques jours de là, une grande représentation eut lieu à l’Opéra-Comique. J’y allai. La première personne que j’aperçus dans une loge d’avant-scène de la galerie fut Marguerite Gautier. Le jeune homme avec qui j’étais la reconnut aussi, car il me dit, en me la nommant: « Voyez donc cette jolie fille. » En ce moment, Marguerite lorgnait de notre côté, elle aperçut mon ami, lui sourit et lui fit signe de venir lui faire visite. « Je vais lui dire bonsoir, me dit-il, et je reviens dans un instant. » Je ne pus m’empêcher de lui dire : « Vous êtes bien heureux ! - De quoi ? - D’aller voir cette femme. - Est-ce que vous en êtes amoureux ? - Non, dis-je en rougissant, car je ne savais vraiment pas à quoi m’en tenir là-dessus ; mais je voudrais bien la connaître. - Venez avec moi, je vous présenterai. - Demandez-lui-en d’abord la permission. – Ah ! pardieu, il n’y a pas besoin de se gêner avec elle; venez. »

(Extrait du chapitre VII)Légende :

Surligné en jaune : les thèmes du romanSurligné en turquoise : le pacte de lectureSurligné en gris : les deux narrateursSurligné en vert : la fascination dégagée par Marguerite

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L’Art, miroir d’une société

6. La figure du père, incarnation de la bourgeoisie Le portrait de M. Duval, père d’Armand. Qu’incarne-t-il ?Questions de préparation en vue de la lecture analytique.

► Lecture analytique : Le discours du père (texte en annexe)► Plan possible pour un commentaire : A_ Un discours efficace et persuasif

6. Un discours organisé7. Un discours théâtral8. Un discours argumenté : séduction et prophétie

B_ De la figure du père à l’image de la société : l’ordre bourgeois- L’argent- Honneur et famille : la réputation- Amour, femmes et intérêts

► En parallèle, pour préciser le portrait de M. Duval, lecture :- du chap. XX : la confrontation entre Armand et son père ;- de la lettre du père à Marguerite mourante (extraite du chap. XVI) ;- de certaines expressions utilisées par les autres personnages pour le caractériser (travail à la maison)  : « une grande réputation de loyauté » p.164 ; « il est bon, il est juste » p.198 ; « un ami à côté de moi » p.212 ; « visage sévère », imbu des vieilles théories » p.231 ; « un noble cœur » p.240 ; « grand, digne, bienveillant » p.250.

► Comparaison avec le livret de Piave et la musique de Verdi

La scène entre Violetta et Germont constitue le tournant de l’action et de l’Opéra. Si elle s’inspire précisément de la pièce, elle s’inscrit surtout dans la dramaturgie verdienne qui offre de nombreuses confrontations père / fille (Aida ou Rigoletto par exemple) dans lesquelles le père, tout-puissant, parvient toujours à imposer sa volonté à sa fille, causant inévitablement sa perte.

L’arrivée, imprévue du père, se déroule dans un climat de grande froideur pour laquelle Verdi reprend une des formulations du Mal et de l’Interdit : « le diabolus in musica » / « le triton Fa-Si ». Germont accuse Violetta de mener son fils à sa « ruine » (1er argument). La dignité, l’acte prouvant que c’est elle et non Alfredo qui entretient le couple déconcertent le père, d’autant que Violetta retrouve la tonalité de Fa Majeur (1 er acte) pour clamer son amour. Germont, touché mais déterminé, inverse alors les rôles : d’accusateur il devient suppliant et se lance dans un terrible plaidoyer pour obtenir le sacrifice de Violetta. Il commence par une aria en La bémol « Si. Pura siccome un angelo iddio mi diè una figlia » : pour mieux culpabiliser la jeune femme, il en appelle au sentiment familial (2e argument) : si Alfredo ne reprend pas le chemin de la raison et de la province, sa sœur ne pourra pas se marier. Violetta abat alors sa dernière carte : sa maladie et sa mort prochaine. Plutôt que de rompre, elle préfère mourir  : « Ah, il supplizio è si spietato, che a morir preferirò ». Germont, inflexible, achève la jeune femme : le temps joue contre elle, elle vieillira, l’amour est éphémère, Alfredo la trompera (3e argument) ; d’autant qu’ils ne sont pas mariés (4e argument). Violetta, vaincue, cède : « Dite alla giovane si bella e pura ». Dans un ambitus très restreint, une concentration de sens et d’émotion, une mélodie simple et intériorisée, l’andantino cantabile qu’elle offre devient chant du cygne : mot à mot, note à note, larme à larme. Germont est ému, cherche à la réconforter, mais il a obtenu ce qu’il voulait.

Retenir : Duval / Germont « s’avoue comme le masque pompeux de l’étroite morale bourgeoise, d’un souci forcené de respectabilité4 » derrière lequel se cache l’unique intérêt de la bourgeoisie : la conservation de l’argent. Véritable bourreau, entraînant Marguerite / Violetta dans sa chute, il fait entendre la « voix de la morale » (celle, grave, du baryton…) devenue banderilles et machine à tuer. Pourtant, le père, par ce chantage odieux, le mensonge qu’il fomente, est loin d’être un modèle ; pire, alors qu’il paraissait sûr de son impunité et de sa légitimité, il devient peut-être à son tour victime des valeurs morales qu’il véhicule à en lire / entendre les remords qu’il éprouve.

7. Argent et existence   : la question du train de vie

► - Des personnages entretenus

4

Gilles de Van, « Pères et filles, » L’Avant-Scène Opéra : un bal masqué, n°32

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- Une vie oisive- Un train de vie onéreux- Argent et société : cupidité et intérêts

Retenir : A l’image de certaines couches de la société, Marguerite et Armand sont des personnages entretenus  : sans métier, l’argent qu’ils ont vient de leur famille (rente) ou d’activités « parallèles » (jeu, prostitution). Ils mènent une vie oisive, insouciante, désœuvrée, entre restaurants, spectacles et promenades. Ce train de vie onéreux les contraint à trouvez des moyens qui les dépossèdent de leurs biens (Marguerite vend ses biens pour subvenir à leurs besoins, Armand lui offre sa rente) d’autant que les protecteurs de la jeune femme (le vieux Duc, le Comte de N***) l’abandonnent à partir du moment où ils ne peuvent plus en profiter. La jeune femme finit ruinée (huissier, créancier), abandonnée (par Prudence son « amie » !). C’est finalement Marguerite qui se révèle la plus généreuse (par son sacrifice d’une part, ce qu’elle donne aux pauvres à la fin d’autre part) tandis que la société apparaît cupide, intéressée et immorale. Dans ce monde, l’argent est élevé au rang de valeur suprême.

La précision des besoins financiers de Marguerite et le fait qu’elle soit plus forte économiquement qu’Armand ont soulevé les critiques à l’époque ce qui explique que le rapport à l’argent est bien moins fort et présent dans la pièce comme dans l’opéra. Violetta est moins une courtisane qu’une dévoyée ( 4) ; surtout, les problèmes de dépenses disparaissent pratiquement. Il faut attendre le début de l’acte II pour qu’il en soit question : Alfredo réalise qu’il faut de l’argent pour vivre ! A l’acte III, l’oppression des huissiers et des créanciers s’évanouit au profit de la générosité de l’héroïne : « Donnes-en dix [louis] aux pauvres » alors qu’Annina, dans un joli euphémisme, lui répond : « Il vous restera bien peu… ».

8. La société et ses courtisanes   : le motif de la fête dans la Traviata

Remarque : Pour étudier le motif de la fête dans l’opéra de Verdi, la mise en scène, grandiloquente, de la Scala de Milan en 2007 est, selon moi, la plus efficace

5. Luxe et amusement : plaisir de jouir

Acte I : la fête chez Violetta et le toast portéLe rideau se lève sur une fête qui a lieu chez Violetta. Le tempo rapide traduit cette ambiance joyeuse et festive que l’on retrouve dans le jeu des chanteurs/comédiens : le metteur en scène insiste sur la richesse :

4. de la table (chandeliers, champagne qui coule, mets raffinés) ;5. des convives : tenues des invités, bijoux, robes imposantes, éventails ;6. du lieu (lustres, porcelaine…).

Le luxe s’affiche dans cette multitude mouvementée // tempo allegro brillantissimo du refrain. Le champagne pétille / corps et cœurs qui s’enivrent : « Dans les coupes, la fête est plus joyeuse », « c’est à table que s’ouvrent les cœurs ». Tourbillon qui emporte tout le monde.Pourtant certains éléments annoncent déjà le drame à venir :

7. l’incise de Flora et du marquis s’adressant à Violetta : « Mais pourrez-vous en profiter ? » qui leur répond : « Je le veux ; je me fie au plaisir et j’ai coutume d’apaiser mes malheurs par ce remède » nous indique déjà la maladie de l’héroïne (les intimes connaissent l’état de santé fragile de la jeune femme) ;

8. l’alternance entre les interventions collectives et celles individuelles posent d’entrée l’opposition entre la société de plaisir et le drame individuel de Violetta.

La chanson à boire (« Libiamo, libiamo ») ne fait que confirmer cette opposition et reprendre les éléments du drame à venir. Le brindisi met en avant la relation naissante entre Violetta et Alfredo (la jeune femme ramène Alfredo dans sa tonalité (Si bémol majeur pour les deux jeunes gens, mi bémol majeur pour les invités) nous montrant à la fois :

9. la manière dont l’héroïne distingue, détache son futur amant du reste des convives ;10. l’opposition entre leur future passion et la société qui ne peut l’accepter (cf. I.).

Plus marquantes encore sont les paroles échangées :11. Alfredo affiche un esprit tourné vers la volupté, l’amour, les baisers / quête d’amour ;12. Violetta insiste sur l’éphémère des plaisirs et de la vie : « Jouissons ! fugitive, rapide est la joie de

l’amour : c’est une fleur qui naît et meurt, et l’on ne peut plus en jouir. » Derrière ce carpe diem, le motif du camélia, de la fleur qui se fane nous annonce déjà la fin et la mort du personnage.

A ces indications, le chœur semble sourd, tout à son insouciance et à son plaisir. Le motif du banquet et de la nourriture est à ce titre significatif : les individus consomment et s’en vont (fin de l’acte), les individus consomment et se consument. Le calice est bu jusqu’à la lie…

6. Une société de masques : le double discours des gitanes et de l’histoire de Piquillo

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Acte II : jeu et bal masqué chez FloraLe chœur des Gitanes et l’histoire de Piquillo ont avant tout une fonction de divertissement : ils servent de pause entre les affrontements précédents et suivants. Le spectateur comme les chanteurs peuvent respirer. Pourtant, il ne s’agit pas d’un simple artifice.Le Chœur des Gitanes « Noi siamo zingarelle » propose un air simple, des mélodies et des phrases répétées. Mais si l’on s’intéresse à la tonalité, on remarque une opposition entre mode majeur et mode mineur, traduisant une nouvelle fois toute l’opposition entre la fête et le drame. Surtout, les gitanes lisent l’avenir dans les lignes de la main et révèlent la vérité sur les individus. Ainsi les jeunes femmes :

13. annoncent à Flora qu’elle ne manque pas de « rivales » ;14. indiquent au marquis (l’amant de Flora) qu’il n’est pas « un modèle de fidélité ».

Or ces thèmes (rivalité, infidélité) sont justement ceux qui construisent le triangle Alfredo / Le Baron / Violetta  : Alfredo et le Baron s’affrontent pour obtenir le cœur de la jeune femme (il y aura un duel d’ailleurs entre les deux) ; Alfredo accuse Violetta d’infidélité et se sent trahi.Le principe d’horoscope à son tour est significatif puisqu’il évoque l’idée que notre destinée est inscrite dans les astres et que la Nécessité toute-puissante a fixé d’avance le cours de notre vie. Alfredo à l’acte I parlait de «  destin ». La fatalité règne sur les deux amants.

L’histoire de Piquillo (« E Piquillo un bel gagliardo ») propose quant à elle des allusions à la corrida et à la mise à mort que l’on peut considérer comme métaphore de la mise à mort de l’héroïne. Le rouge de la cape symbolise à la fois le rouge du sang et de la passion ; les banderilles plantées dans le corps du taureau reprennent à la fois les arguments de Germont père (acte II) et les coups (du sort ou donné par Alfredo) que recevra Violetta (qui porte une robe rouge dans la mise en scène de la Scala de Milan…)

Surtout, le motif du masque qui plane sur tout ce deuxième tableau est symbolique d’une société d’apparence, de mensonges, de faux-semblants ; plus précisément, comme une synecdoque, ce motif reprend également le mensonge de Violetta (avouant à Alfredo qu’elle aime le Baron !), rapport au fait que dans cette mise en scène, l’arrivée de Violetta au bras du Baron est accompagnée de femmes masquées. Tout ceci n’est qu’un jeu de dupes.

7. Mépris et indifférence

Acte III : le CarnavalAlors que Violetta apparaît dans le dénuement le plus total, qu’elle agonise, qu’elle vient d’abandonner ses rêves et espoirs passés (« Addio del passato bei sogni ridenti », « Ah della traviata sorridi al desio »), la fête bat son plein dans les rues de Paris. La bacchanale, malgré la platitude déplorée par certains critiques, n’en demeure pas moins significative et constitue l’aboutissement de la dramaturgie de la fête. Par opposition à l’acte I où Violetta était l’instigatrice de la fête, l’hôte qui reçoit, la femme au centre de la scène et des regards, l’acte III marque l’isolement de l’héroïne qui ne peut plus être que spectatrice d’une fête qui ne la concerne plus. La mise en scène est particulièrement éclairante : Violetta, malade, seule, abandonnée, déchue est enfermée dans sa chambre et séparée du spectacle des rues par le motif de la fenêtre à travers laquelle elle observe le cortège chantant « del Bue grasso » (le Bœuf gras). La musique volontairement indifférenciée que Verdi a choisie pour sa bacchanale traduit l’indifférence de la société face à la mort d’une femme qu’elle admirait. L’égoïsme, la cruauté du monde éclatent : Paris a consommé la dévoyée pour mieux l’abandonner à son triste sort.

Retenir : le système dramaturgique, mis en place par Verdi / Piave autour du motif de la fête, composant parmi les airs les plus célèbres de La Traviata, est révélateur :

15. des profonds contrastes qui organisent l’œuvre : opposition entre l’individu et le groupe, entre les joies de la fête et la douleur de l’agonie ;

16. de la manière dont la société traite les « courtisanes » : objet de plaisir que l’on goûte, consomme puis que l’on abandonne.

Plus largement, ce système participe à la construction du mythe en suivant la trajectoire de l’héroïne et en invitant le spectateur à la réflexion. Touché, ému, ce dernier prendra le parti de la jeune femme alors que son attitude réelle trouve son reflet dans l’hypocrisie et l’indifférence de la société.

ConclusionDerrière l’histoire de Marguerite / Violetta se cache une réflexion (une condamnation) bien plus profonde sur la société qui rejette ce qu’elle-même pourtant crée. L’héroïne-courtisane assumant ce qu’elle est, revendiquant sa liberté et son indépendance, avouant avec franchise ses dépenses et ses besoins vient mettre à mal l’ordre bourgeois. Fascination, jalousie, intérêt, rejet, tout se déroule comme s’il fallait que la jeune femme meure pour sauver la face d’une morale bien injuste et rétablir l’ordre social in extremis. La société, dominée par l’argent, éclate dans toute son hypocrisie, jouissant des plaisirs, consommant les êtres pour mieux les abandonner.

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Le roman est à ce titre plus moralisateur que l’opéra : Armand comme son père ne se rendront pas au chevet de Marguerite mourante et révélant le mensonge qui entraîna sa perte. L’opéra, confronté à une censure plus sévère, réunit les personnages à l’acte III, pour les rendre témoin de ce qu’ils ont suscité et obtenir le pardon réclamé. De même sans doute pour le spectateur.

ANNEXES

Le discours du père

Puis il me dit :– Alors, madame, ce n’est plus par des remontrances et des menaces, mais par des prières, que j’essayerai

d’obtenir de vous un sacrifice plus grand que tous ceux que vous avez encore faits pour mon fils. »Je tremblai à ce préambule. Votre père se rapprocha de moi, me prit les deux mains et continua d’un ton affectueux : – Mon enfant, ne prenez pas en mauvaise part ce que je vais vous dire ; comprenez seulement que la vie a parfois

des nécessités cruelles pour le cœur, mais qu’il faut s’y soumettre. Vous êtes bonne, et votre âme a des générosités inconnues à bien des femmes qui peut-être vous méprisent et ne vous valent pas. Mais songez qu’à côté de la maîtresse il y a la famille ; qu’outre l’amour il y a les devoirs ; qu’à l’âge des passions succède l’âge où l’homme, pour être respecté, a besoin d’être solidement assis dans une position sérieuse. Mon fils n’a pas de fortune, et cependant il est prêt à vous abandonner l’héritage de sa mère. S’il acceptait de vous le sacrifice que vous êtes sur le point de faire, il serait de son honneur et de sa dignité de vous faire en échange cet abandon qui vous mettrait toujours à l’abri d’une adversité complète. Mais ce sacrifice, il ne peut l’accepter, parce que le monde, qui ne vous connaît pas, donnerait à ce consentement une cause déloyale qui ne doit pas atteindre le nom que nous portons. On ne regarderait pas si Armand vous aime, si vous l’aimez, si ce double amour est un bonheur pour lui et une réhabilitation pour vous; on ne verrait qu’une chose, c’est qu’Armand Duval a souffert qu’une fille entretenue, pardonnez-moi, mon enfant, tout ce que je suis forcé de vous dire, vendît pour lui ce qu’elle possédait. Puis le jour des reproches et des regrets arriverait, soyez-en sûre, pour vous comme pour les autres, et vous porteriez tous deux une chaîne que vous ne pourriez briser. Que feriez-vous alors ? Votre jeunesse serait perdue, l’avenir de mon fils serait détruit ; et moi, son père, je n’aurais que de l’un de mes enfants la récompense que j’attends des deux.

« Vous êtes jeune, vous êtes belle, la vie vous consolera ; vous êtes noble, et le souvenir d’une bonne action rachètera pour vous bien des choses passées. Depuis six mois qu’il vous connaît, Armand m’oublie. Quatre fois je lui ai écrit sans qu’il songeât une fois à me répondre. J’aurais pu mourir sans qu’il le sût !

« Quelle que soit votre résolution de vivre autrement que vous avez vécu, Armand qui vous aime ne consentira pas à la réclusion à laquelle sa modeste position vous condamnerait, et qui n’est pas faite pour votre beauté. Qui sait ce qu’il ferait alors ! Il a joué, je l’ai su ; sans vous en rien dire, je le sais encore ; mais, dans un moment d’ivresse, il eût pu perdre une partie de ce que j’amasse, depuis bien des années, pour la dot de ma fille, pour lui, et pour la tranquillité de mes vieux jours. Ce qui eût pu arriver peut arriver encore.

« Êtes-vous sûre en outre que la vie que vous quitteriez pour lui ne vous attirerait pas de nouveau  ? Êtes-vous sûre, vous qui l’avez aimé, de n’en point aimer un autre ? Ne souffrirez-vous pas enfin des entraves que votre liaison mettra dans la vie de votre amant, et dont vous ne pourrez peut-être pas le consoler, si, avec l’âge, des idées d’ambition succèdent à des rêves d’amour ? Réfléchissez à tout cela, madame : vous aimez Armand, prouvez-le-lui par le seul moyen qui vous reste de le lui prouver encore : en faisant à son avenir le sacrifice de votre amour. Aucun malheur n’est encore arrivé, mais il en arriverait, et peut-être de plus grands que ceux que je prévois. Armand peut devenir jaloux d’un homme qui vous a aimée ; il peut le provoquer, il peut se battre, il peut être tué enfin, et songez à ce que vous souffririez devant ce père qui vous demanderait compte de la vie de son fils.

« Enfin, mon enfant, sachez tout, car je ne vous ai pas tout dit, sachez donc ce qui m’amenait à Paris. J’ai une fille, je viens de vous le dire, jeune, belle, pure comme un ange. Elle aime, et elle aussi elle a fait de cet amour le rêve de sa vie. J’avais écrit tout cela à Armand, mais, tout occupé de vous, il ne m’a pas répondu. Eh bien, ma fille va se marier. Elle épouse l’homme qu’elle aime, elle entre dans une famille honorable qui veut que tout soit honorable dans la mienne. La famille de l’homme qui doit devenir mon gendre a appris comment Armand vit à Paris, et m’a déclaré reprendre sa parole si Armand continuait cette vie. L’avenir d’une enfant qui ne vous a rien fait, et qui a le droit de compter sur l’avenir, est entre vos mains.

Avez-vous le droit et vous sentez-vous la force de le briser ? Au nom de votre amour et de votre repentir, Marguerite, accordez-moi le bonheur de ma fille. »

Chap. XXV (extrait)

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Confrontation Violetta / Germont

GERMONTMadamigella Vale'ry?

VIOLETTASon io.

GERMONTD'Alfredo il padre in me vedete!

VIOLETTA (Sorpresa, gli accenna di sedere.)Voi ?

GERMONT (sedendo)Si', dell'incauto, che a ruina corre,Ammaliato da voi.

VIOLETTA (alzandosi risentita)Donna son io, signore, ed in mia casa;Ch'io vi lasci assentite,Piu' per voi che per me.(per uscire)

GERMONT(Quai modi!) Pure

VIOLETTATratto in error voi foste…(Toma a sedere.)

GERMONTDe' suoi beni dono vuol farvi…

VIOLETTANon l'oso' finora…Rifiuterei.

GERMONT (guardandosi intorno)Pur tanto lusso…

VIOLETTA (Gli da' le carte.)A tutti e' mistero quest'atto…A voi nol sia…

GERMONT (scorse coll'occhio)Ciel ! che discopro ? D'ogni vostro avereOr volete spogliarvi ?Ah, il passato perche', perche' v'accusa ?

VIOLETTA (con entusiasmo)Piu' non esiste… Or amo Alfredo, e DioLo cancello' col pentimento mio.

GERMONTNobili sensi invero !

VIOLETTAOh, come dolceMi suona il vostro accento !

GERMONTMademoiselle Valéry ?

VIOLETTAC’est moi.

GERMONTVous voyez en moi le père d’Alfredo.

VIOLETTA (surprise, l’invite à s’asseoir.)Vous ?

GERMONT (s’asseyant.)Oui, le père de l’impudent qui court à sa ruine,Ensorcelé par vous.

VIOLETTA (blessée, se levant.)Monsieur, je suis femme et je suis chez moi.Souffrez que je me retire,Plus pour vous que pour moi.(Elle s’apprête à sortir.)

GERMONT(Quelles manières !) Cependant…

VIOLETTAOn vous a induit en erreur…(Elle se rassoit.)

GERMONTIl veut vous faire don de ses biens…

VIOLETTAIl ne l’a pas osé jusqu’à présent…Et je refuserais.

GERMONT (regardant autour de lui)Mais tout ce luxe…

VIOLETTA (lui donnant un papier.)Cet acte est ignoré de tous…Qu’il ne le soit pas de vous…

GERMONT (parcourant l’acte)Ciel ! Qu’apprends-je ? De tous vos biensVous voulez vous dépouiller ?Ah, pourquoi, pourquoi le passé vous accuse-t-il ?

VIOLETTA (avec enthousiasme) Il n’est plus… A présent j’aime Alfredo et DieuA tout effacé par mon repentir.

GERMONTNobles sentiments !

VIOLETTAAh, combien vos motsMe sont doux !

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GERMONT (alzandosi)Ed a tai sensiUn sacrificio chieggo.

VIOLETTAAh no… tacete…Terribil cosa chiedereste certoIl previdi… v'attes…i era feliceTroppo…

GERMONTD'Alfredo il padreLa sorte, l'avvenir domanda or quiDe' suoi due figli !...

VIOLETTADi due figli !

GERMONTSi'. Pura siccome un angeloIddio mi die' una figlia;Se Alfredo nega riedereIn seno alla famiglia,L'amato e amante giovane,Cui sposa andar dovea,Or si ricusa al vincoloChe lieti ne rendea.Deh, non mutate in triboliLe rose dell'amor.Ai preghi miei resistere,Non voglia il vostro cor.

VIOLETTAAh, comprendo dovro' per alcun tempoDa Alfredo allontanarmi dolorosoFora per me pur…

GERMONTNon e' cio' che chiedo.

VIOLETTACielo, che piu' cercate? offersi assai!

GERMONTPur non basta.

VIOLETTAVolete che per sempre a lui rinunzi ?

GERMONTE' d'uopo !

VIOLETTAAh, no giammai!Non sapete quale affettoVivo, immenso m'arda in petto?Che ne' amici, ne' parentiIo non conto tra i viventi ?E che Alfredo m'ha giuratoChe in lui tutto io trovero' ?

GERMONT (se levant)Et c’est pourquoiJe demande un sacrifice.

VIOLETTAAh non… taisez-vous…Vous me demanderez, c’est sûr, une chose terribleJe l’avais prévu… Je vous attendais… J’étais Trop heureuse…

GERMONTLe père d’AlfredoVous réclame ici le sort et l’avenirDe ses deux enfants !...

VIOLETTASes deux enfants ?

GERMONTOui. Aussi pure qu’un ange,Dieu m’a donné une fille ;Si Alfredo refuse à présentDe retourner au sein de sa famille,Le jeune homme aimant et aimé,Qu’elle devait épouser,Se refuse à ces liensQui nous rendaient heureux.Ah, ne changez pas en tourmentsLes roses de l’amour…Ah, que votre cœur, non, non,Ne s’oppose pas à mes prières.

VIOLETTAAh, je comprends, je devrais quelque tempsM’éloigner d’Alfredo… Ce me seraDouloureux mais…

GERMONTCe n’est pas ce que je demande.

VIOLETTACiel ! Que cherchez-vous de plus ? je vous offre bcp

GERMONTPourtant ce n’est pas assez.

VIOLETTAVous voulez que je renonce à lui pour toujours ?

GERMONTC’est nécessaire !

VIOLETTAAh, non ! Jamais, jamais !Vous ne savez donc pas le sentimentImmense, ardent, qui brûle dans mon cœur ?Que je ne compte, parmi les vivants,Ni amis, ni parents ?Et qu’Alfredo m’a juréQue je trouverai tout en lui ?Vous ne savez donc pas que ma vie

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Non sapete che colpitaD'altro morbo e' la mia vita ?Che gia' presso il fin ne vedo ?Ch'io mi separi da Alfredo !Ah, il supplizio e' si spietato,Che morir preferiro', si…

GERMONTE' grave il sacrifizio ;Ma pur tranquilla udite :Bella voi siete e giovane… Col tempo…

VIOLETTAAh, piu' non dite !V'intendo m'e' impossibile…Lui solo amar vogl'io…

GERMONTSia pure ma volubileSovente e' l'uom…

VIOLETTA (colpita)Gran Dio !

GERMONTUn di', quando le veneriIl tempo avra' fugate,Fia presto il tedio a sorgere…Che sara' allor? Pensate…Per voi non avran balsamoI piu' soavi affetti|Poiche' dal ciel non furonoTai nodi benedetti….

VIOLETTAE' vero !

GERMONTAh, dunque sperdasiTal sogno seduttore…Siate di mia famigliaL'angiol consolatore…Violetta, deh, pensateci !Ne siete in tempo ancor…E' Dio che ispira, o giovine,Tai detti a un genitor.

VIOLETTA (con estremo dolore)Cosi' alla misera - ch'e' un di' caduta,Di piu' risorgere - speranza e' muta!Se pur beneficio - le indulga Iddio,L'uomo implacabile - per lei sara'.GERMONTSiate di mia famigliaL'angiol consolatore…

VIOLETTADite alla giovine - si' bella e puraCh'avvi una vittima - della sventura,Cui resta un unico - raggio di bene…Che a lei il sacrifica - e che morra'.

Est atteinte d’un mal obscur ?Que déjà je vois ma fin ?Que je me sépare d’Alfredo !...Ah, le supplice est si cruel,Que je préfèrerais mourir, oui…

GERMONTLe sacrifice est grand ;Mais, avec calme, écoutez-moi :Vous êtes belle et jeune… Avec le temps…

VIOLETTAAh, taisez-vous !Je vous comprends… C’est impossible…C’est lui seul que je veux aimer…

GERMONTBien, bien… Mais l’hommeEst souvent versatile…

VIOLETTA (frappée)Grand Dieu !

GERMONTUn jour, lorsque le tempsAura chassé l’amour,L’ennui surgira vite…Qu’adviendra-t-il alors ? Pensez-y…Pour vous les sentiments les plus douxNe seront pas un baumePuisque ces liens n’auront pasEté bénis par le ciel…

VIOLETTAC’est vrai !

GERMONTAh, que se dissipe doncCe rêve mensonger…Soyez de ma familleL’ange consolateur…Violetta, pensez-y !Il en est temps encore…C’est Dieu qui dicte, ô jeune fille,Des mots semblables à un père.

VIOLETTA (avec une douleur extrême)Ainsi, pour la malheureuse qui est un jour tombée,L’espoir de renaître est refusé !Si même Dieu lui prête son aide,L’homme est implacable, pour elle.

GERMONTSoyez de ma familleL’ange consolateur…

VIOLETTADites à l’enfant si belle et pure,Qu’il y a une victime dans cette mésaventure,A qui reste un unique rayon de bien…Qu’elle mourra, qu’elle mourra..

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GERMONTSi', piangi, o misera - supremo, il veggo,E' il sacrificio - ch'ora io ti chieggo…Sento nell'anima - gia' le tue pene…Coraggio e il nobile - cor vincera' !

VIOLETTAOr imponete.

GERMONTNon amarlo ditegli.

VIOLETTANol credera'.

GERMONTPartite…

VIOLETTASeguirammi.

GERMONTAllor…

VIOLETTAQual figlia m'abbracciate forteCosi' saro'. (S'abbracciano.)Tra breve ei vi fia reso,Ma afflitto oltre ogni dire…A suo conforto di cola' volerete.

GERMONTChe pensate?

VIOLETTASapendol, v'opporreste al pensier mio.

GERMONTGenerosa!

GERMONTPleure, pleure, pleure ô malheureuse,Suprême est le sacrifice que je te demande…En mon âme je sens déjà tes peines…Courage, ton noble cœur triomphera !

VIOLETTAOrdonnez.

GERMONTDites-lui que vous ne l’aimez plus.

VIOLETTAIl ne le croira pas.

GERMONTPartez…

VIOLETTAIl me suivra.

GERMONTAlors…

VIOLETTAEmbrassez-moi comme votre filleJe serai forte ainsi. (Ils s’embrassent.)Dans peu de temps, il vous sera rendu,Mais accablé plus qu’on ne peut le dire…Pour le réconforter, vous viendrez en hâte.

GERMONTA quoi pensez-vous ?

VIOLETTASi vous le saviez, vous vous opposeriez à ma pensée

GERMONTGénéreuse !

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T.D. « Argent et existence : la question du train de vie »

VIII. Les ressources et les besoins   : des personnages entretenus

- Chap. X p. 117-118 « Une femme nerveuse […] franchement »- Chap. XIII p. 140-141 « Vous n’êtes pas raisonnable […] demandez-trop. »- Chap. XVI p. 164-165 « Comme je vous l’ai dit […] de dettes. »

→ Combien Marguerite dépense-t-elle par mois, par an ? dans quel domaine ?…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………→ Où trouve-t-elle l’argent nécessaire ?…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………→ Qu’apprenons-nous sur Armand ? De quoi vit-il ?…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

IX. Une vie............................................. (titre à compléter)

- Chap. IX p. 105-114 (en entier)- Chap. XI p. 126-127 « Quand je me réveillai […] temps de partir. »- Chap. XIV p. 152-153 « A cinq heures […] vous y voir. »- Chap. XVI p. 168-169 « Il arriva […] le dimanche. »

→ Comment les jeunes occupent-ils leurs journées ? leurs soirées ? Qualifiez leurs vies (titre).…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

→ Quels lieux aiment-ils fréquenter ?…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

→ Que font-ils les beaux jours arrivés ?…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

X. Un train de vie………………………. (titre à compléter)

- Chap. XVI p. 165-167 « Vous comprenez […] que je fisse ? »- Chap. XVIII p. 183-184 « Voyons […] ces papiers. »- Chap. XIX p. 189-191 « Toi, qui ne veut […] morale de Prudence. »

→ Quel train de vie les jeunes gens mènent-ils ? Qualifiez-le (titre).…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………→ Que font-ils pour le maintenir ?……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

XI. Argent et société   : …………………………………………….. (titre à compléter)

- Chap. IV p. 68 « Deux jours après […] venait de faire. »- Chap. XI p. 131-132 « Eh bien […] Soyez tranquille. »- Chap. XX p. 196« Autant il y a de cupidité […] me suivre. »

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- Chap. XXVI p. 240-248 « j’ai reçu […] ensevelir. » (+ p. 249 « Prudence […] maîtresse XXVII)

→ Quel rapport la société entretient-elle avec l’argent ? Complétez le titre.…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

Le motif de la fête dans la Traviata

1) La chanson à boire

AlfredoLibiamo, libiamo ne’ lieti caliciChe la bellezza infiora ;E la fuggevol oraS’inebri a voluttà.Libiam ne’ dolci fremitiChe suscita l’amore,(indicando Violetta)Poiché quell’occhio al coreOnnipotente va.Libiamo, amore, fra i caliciPiù caldi baci avrà.

[…]Violetta (s’alza)Tra voi saprò divedereIl tempo moi giocondo ;Tutto è follia, follia nel mondeCiò che non è piacer.Godiam, fugace e rapidoÈ il gaudio dell’amore ;È un fior che nasce e muore,Né più si può goder.Godiam, c’invita un fervidoAccento lusinghier.

AlfredoBuvons, buvons dans les joyeuses coupesQue fleurit la beauté ;Et que l’heure fugitiveS’enivre de volupté.Buvons dans la douceur des frissonsQue suscite l’amour,(montrant Violetta)Puisque ces yeux, tout-puissants,Vont au cœur.Buvons ! l’amour, au milieu des coupes,Aura des baisers plus ardents.

Violetta (se levant)Entre vous je saurai partagerLe temps de mon bonheur ;Au monde, tout est folie, folie,Qui n’est pas plaisir.Jouissons ! fugitive, rapide,Est la joie de l’amour :C’est une fleur qui naît et meurt,Et l’on ne peut plus en jouir.Jouissons : une fervente, une flatteuse voixNous y appelle.

2) Le chœur des gitanes

Coro di ZingarelleNoi siamo zingarelleVenute da lontano;D'ognuno sulla manoLeggiamo l'avvenir.Se consultiam le stelleNull'avvi a noi d'oscuro, noE i casi del futuroPossiamo altrui predir.Se consultiam le stelle, ecc.

Prima parte del coroVediamo ! (osservando la mano di Flora)Voi, signora,Rivali alquante avete…

Seconda parte del coro

Chœur des gitanesNous sommes des gitanes,Et nous venons de loin ;Dans la main de chacun,Nous lisons l’avenir ;Lorsque nous consultons les astres,Rien ne nous est obscur,Et les événements futurs,Nous pouvons les prédire.Lorsque nous consultons les astres, etc.

Première partie du chœurVoyons ! (observant la main de Flora)Vous, Madame,Vous ne manquez pas de rivales…

Deuxième partie du chœur

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(osservando la mano del Marchese)Marchese, voi non sieteModel di fedeltà.

(observant la main du Marquis)Marquis, vous n’êtes pasUn modèle de fidélité.

3) L’histoire de Piquillo

Gastone e coro di uominiDi Madride noi siam mattadori,Siamo i prodi del circo de' tori,Teste' giunti a godere del chiassoChe a Parigi si fa pel bue grasso ;E una storia, se udire vorrete,Quali amanti noi siamo saprete.

Flora, Dottore, Marchese e coro di donne

Si', si', bravi : narrate, narrate:Con piacere l'udremo

Gastone e coro di uominiAscoltate.E' Piquillo un bel gagliardoBiscaglino mattador:Forte il braccio, fiero il guardo,Delle giostre egli e' signor.D'andalusa giovinettaFollemente innamoro';Ma la bella ritrosettaCosi' al giovane parlo':Cinque tori in un sol giornoVo' vederti ad atterrar;E, se vinci, al tuo ritornoMano e cor ti vo' donar.Si', gli disse, e il mattadore,Alle giostre mosse il pie';Cinque tori, vincitoreSull'arena egli stende'.

Flora, Dottore, Marchese e coro di donne

Bravo, bravo il mattadore,Ben gagliardo si mostro'Se alla giovane l'amoreIn tal guisa egli provo'!

Gastone e coro di uominiPoi, tra plausi, ritornatoAlla bella del suo cor,Colse il premio desiatoTra le braccia dell'amor.

Flora, Dottore, Marchese e coro di donne

Con tai prove i mattadoriSan le belle conquistar!

Gaston et le chœur des hommesNous sommes des matadors de Madrid,C’est nous les preux de l’arène,Venus pour jouir du vacarmeQui se fait à Paris en l’honneur du Bœuf gras ;Si vous voulez écoutez une histoire,Vous apprendrez quels amants nous sommes.

Flora, le docteur, le marquis, le chœur des femmesOui, oui, bravo ! raconez, racontez,Nous écoutons avec plaisir.

Gaston et le chœur des hommesEcoutez.Piquillo était un beau gaillard,Matador de Biscaye ;Le bras fort, le regard fier,C’était le roi des corridas.Or, d’une jeune Andalouse,Il devint amoureux fou,Mais la belle, rétive,Alors lui tint ce discours :Cinq taureaux en un seul jour,Je veux te voir abattre,Si tu triomphes, à ton retour,Mon cœur tu gagneras.Oui, répondit le matador,Et il alla combattre :Et cinq taureaux sur l’arène,Il abattit, vainqueur.

Flora, le docteur, le marquis, le chœur des femmesBravo, bravo le matador !Il s’est monrtré bien gaillardEn démontrant ainsiSon amour à la belle !

Gaston et le chœur des hommesVers la belle de son cœur,Il revint au milieu des vivats,Et cueillit le prix désiréDans les bras de l’amour.

Flora, le docteur, le marquis, le chœur des femmesC’est ainsi que les matadorsSavent vaincre les belles.

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Gastone e coro di uominiMa qui son piu' miti i cori;A noi basta folleggiar

Gaston et le chœur des hommesMais ici les cœurs sont plus tendres,Il nous suffit de badiner.

4) Le Bœuf gras du Carnaval

Baccanale

Coro (all'esterno)Largo al quadrupedeSir della festa,Di fiori e pampiniCinto la testa…Largo al piu' docileD'ogni cornuto,Di corni e pifferiAbbia il saluto.Parigini, date passoAl trionfo del Bue grasso.L'Asia, ne' l'AfricaVide il piu' bello,Vanto ed orgoglioD'ogni macello…Allegre maschere,Pazzi garzoni,Tutti plauditeloCon canti e suoni !Parigini, date passo, eccLargo al quadrupede, ecc.Largo, largo, largo!

Bacchanale

Chœur (à l’extérieur)Place au quadrupèdeSeigneur de la fête,Le front couronnéDe fleurs et de pampres…Place au plus docileDe tous les cornus,Que les cors et les fifresIci le saluent.Parisiens, faites placeAu triomphe du Bœuf gras,Ni l’Asie ni l’AfriqueN’en ont vu de plus beau,Orgueil et fiertéDe la boucherie…Masques joyeux,Jeunes gens fous,Honorez-lePar des cris et des chants !Parisiens faites place, etc.Place au quadrupède, etc.Place, faites place !

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De l’Amour et de la passion

Introduction« Nous nous promenions tous deux dans ces charmants endroits qui semblent faits exprès pour rappeler les vers de

Lamartine » (Chap. XVI). L’intertextualité romantique s’affiche librement et nous invite à comprendre combien le lyrisme parcourt les pages du roman. Dans l’histoire d’Armand et de Marguerite, Orphée n’est jamais très loin, lui qui affronta et descendit aux Enfers pour retrouver Eurydice.

Le sentiment amoureux traverse l’œuvre, les deux œuvres, comme les êtres : rencontre, séparation, jalousie, pardon, retrouvailles, sacrifices… offrant une véritable géographie (anatomie) de l’amour qui devient, avec la mort, indissociable, le thème central du mythe, retrouvant par là dans une tradition ancestrale de couples malheureux, de Didon et Enée à Ariane et Solal en passant par Roméo et Juliette.

Pour autant, contrairement à Racine ou à Prévost, nulle préface défendant ou justifiant la portée morale de l’histoire : aucune volonté de faire de la Dame aux camélias « un exemple terrible de la force des passions ».

Quel rôle dès lors la passion joue-t-elle dans le roman et l’opéra ? Quelle place ces deux œuvres lui réservent-elle ? Dans quelle mesure contribue-t-elle au mythe ? Est-ce un mythe de l’Amour ? Pourquoi l’histoire finit-elle tragiquement alors qu’aucune fatalité divine ne pèse sur les amants ?

- Les chants d’Amour

Certains airs de La Traviata construisent un véritable parcours amoureux, Violetta et Alfredo passant par tous les états, toutes les émotions. L’idée est double, à partir d’une écoute approfondie de ces morceaux (rythme, tonalité, choix des instruments, inflexion de la voix…) :- retrouver, à travers l’étude de ces airs, les différentes étapes de l’Amour ;- comprendre que la musique et la voix, plus que le livret finalement, traduisent, interrogent, développent le sentiment amoureux.

Le deuxième thème du prélude (acte I) On a déjà vu la construction du prélude exposant les ingrédients du drame ( 2). Parmi ces éléments, au centre, le thème de l’amour, serein et chaleureux, le besoin d’amour désespéré de Violetta (qui sera repris à l’acte II lors de sa déclaration d’amour passionnée…avant sa fuite).

La « chanson à boire » (acte I) « Libiamo, Libiamo, ne’ lieti calici »Ce brindisi a pour fonction essentielle de lier, par les notes et la tonalité, Violetta et Alfredo. Loin d’être un pur divertissement, il annonce la relation naissante entre les jeunes gens. Alfredo avoue implicitement son amour : « Buvons dans la douceur des frissons que suscite l’amour, (montrant Violetta) puisque ces yeux, tout-puissants, vont au cœur ».Violetta quant à elle invite à profiter de l’instant et des plaisirs, puisque la vie est éphémère. Participe à cette chanson le chœur et c’est là, en réalité, que tout se joue : les deux jeunes gens sont réunis par la même tonalité (Si bémol majeur) tandis qu’ils sont séparés du reste des convives (Mi bémol majeur). Derrière des propos légers et frivoles, ils échangent ainsi des phrases qui les lieront à jamais.

La déclaration d’amour (acte I) « Un di, felice, eterea » / « Ah se ciòè ver, fuggitemi »Alors que Violetta est prise d’un malaise, Alfredo vient la rejoindre pendant que les autres invités dansent. Aux premiers aveux, Violetta se cache derrière le masque de l’ironie « Cli è vero ! (C’est vrai !) » avant un premier accent de vérité : « Un cor ? Si… forse… (Un cœur ? Si…peut-être) » C’est tout l’enjeu de ce 1er acte : faire tomber les masques pour que naisse le véritable amour et que les êtres se dévoilent. La musique là encore est significative  : au tempo rapide, festif qui dominait depuis l’ouverture du rideau succède l’andantino d’Alfredo. Sa déclaration est d’abord hésitante : la première phrase traduit sa timidité, son émotion : « Un di, felice, etera » ; les notes ne modulent guère, la ponctuation introduit des silences. La deuxième phrase libère progressivement la parole, le cœur se lance, monte jusqu’au Mi. La troisième phrase consacre l’épanouissement de la déclaration sans retenue qui surprend et touche Violetta. A la mélodie legato (liée) du jeune homme, le staccato (saccadé) du chant de l’héroïne traduit toute sa nervosité cherchant à se raccrocher à ses vocalises comme à des éléments rassurants de son existence  : « Ah se ciò è ver, fuggitemi… ». L’enjeu pour Alfredo sera d’atténuer ces vocalises, ce à quoi il parvient : la partition montre parfaitement comment le staccato disparaît progressivement ; la jeune femme chante alors à l’unisson de son partenaire : c’est ici que Violetta se donne.

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L’idylle amoureuse (acte II) « Lunge da lei per me non v’ha diletto ! » / « De’ miei bollenti spiriti »L’ouverture musicale du IIe acte contraste avec le prélude malade et mortuaire des Ier et IIIe actes. Le récitatif et l’air d’Alfredo qui suivent expriment son bonheur exalté, sa joie, son amour partagé pour Violetta depuis « trois mois ». Malgré tout, les phrases courtes, en intervalles restreints, la brièveté même de cet air nous indiquent déjà que ce bonheur sera de courte durée : lutte contre le temps, implicitement, cette ouverture signale les tensions et pose le climat du drame de tout l’acte. Ce contraste (bonheur / tension) apparaît dans l’accompagnement musical en doubles croches en pizzicato (urgence) et dans les nuances du chant (dualité, écart des notes).

La déclaration d’amour désespérée de Violetta (acte II) « Nulla. » / « Ch’ei qui non mi sorprenda » / « Di lagrime avea d’uopo… » / « Amami, Alfredo »La scène qui se joue entre Violetta et Alfredo, succédant immédiatement à la confrontation Violetta / Germont, est aussi brève qu’intense. Le mouvement musical s’accélère, d’adagio à allegro. Ce qui est censé être un duo se transforme très vite en monologue passionné et déchiré. Les premières paroles de la jeune femme traduisent tout son émoi, son malaise, sa fébrilité (cf. les nombreuses aposiopèses). Musicalement, elles donnent l’impression de tourner sur elles-mêmes, de se répéter, de se dévorer. Le jeu de scène indique l’état de fébrilité dans lequel se trouve la jeune femme : « agitée », « refrénant mal ses larmes ». Elle bouge, tourne, avance, recule, ment. L’orchestre accompagne cette nervosité par des effets de contraste (crescendi, forte / piano), par les trilles de violons… jusqu’au climax « Amami, Alfredo » qui reprend le 2e thème du prélude, celui de Violetta amoureuse pour offrir une déclaration d’amour désespérée… avant de s’enfuir.

Mensonge, jalousie et rupture (acte II) « Mi chiamaste ? Che bramate ? » / « Ebben… l’amo… » / « Ogni suo aver tal femmina »La scène qui se joue chez Flora entre Violetta et Alfredo n’est que l’inversion tragique de leur premier duo à l’acte I. A la vérité des cœurs qui se dévoilaient, de l’abandon progressif à la sincérité de l’amour succèdent ici mensonge, colère, jalousie : Alfredo est tout à sa colère, son orgueil d’homme blessé qui se sent trahi  ; Violetta et son sacrifie qu’elle ne doit pas révéler…Le climat est donc tendu, violent, froid, fait de discussions rapides sur l’impatience de l’orchestre, semble un instant s’apaiser : Alfredo passe du vouvoiement au tutoiement, espère jusqu’à son accès de colère final, comme hors de contrôle : loin de comprendre la souffrance de celle qu’il aime, d’entendre le mensonge dans la tierce descendante « Ebben… l’amo », il s’attaque publiquement à elle : le saut de sixte puis de 7ème « Ogni suo aver tal femmina », « Per amor moi sperdea » exprime la violence de sa colère (sur scène, le chanteur serre les lèvres, appuie les mâchoires, fronce les sourcils) avant de jeter à la figure de Violetta l’argent qu’il vient de gagner : « Il jette, avec fureur et mépris, une bourse aux pieds de Violetta, qui s’évanouit dans les bras de Flora ». La vulgarité, le cynisme consternent les invités. Violetta et Alfredo plongent dans les affres de la passion.

Retrouvailles et pardon (acte III) « Parigi, o cara, noi lasceremo »Verdi permet aux jeunes amants de se retrouver, et de chanter une ultime fois, ensemble. La scène de retrouvailles se veut touchante, entre pardons échangés et promesses d’avenir heureux. Les voix s’entremêlent, les paroles se croisent, se superposent comme les amants s’embrassent (au sens propre comme au sens figuré) et signent leur réconciliation. Pourtant (cf. 7), leurs espoirs se brisent rapidement, comme la voix et le corps de Violetta. La réalité, de la maladie, de la mort, les rattrape.

Retenir : Stéphane Goldet « Les thèmes d’amour de la Traviata contiennent en eux leur propre mort.  » Eros et Thanatos inextricablement liés : de la rencontre à la rupture, de la déclaration à la jalousie, du mensonge au pardon les amants franchissent toutes les étapes, connaissent tous les aléas de la passion.

- Mythe de l’Amour… ou de la Reconnaissance   ?

9. La rencontre amoureuse : coup de foudre et ravissement4. Lecture analytique : la (1ère) scène de la rencontre amoureuse (texte en annexe)5. Plan possible pour un commentaire :

4. Récit rétrospectif d’une rencontre amoureuse ;5. Une apparition : le motif du regard ;6. Armand bouleversé et charmé.

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L’originalité de Dumas fils est d’avoir triplé cette scène de rencontre amoureuse insistant chaque fois davantage sur le ravissement d’Armand subjugué, fasciné, pris par Marguerite et la passion naissante : « Plus je voyais cette femme, plus elle m’enchantait. Elle était belle à ravir. […] J’étais en contemplation. » (cf. 2) Le jeune homme est capturé et enchanté, charmé véritablement, collé à la vitre du magasin comme « le nez collé à l’image » pour reprendre la formule de Barthes.

Cette fascination semble avoir une double explication. D’une part, Armand est l’archétype du jeune homme romantique mû par l’envie d’aimer et de souffrir : « […] moi qui aurais voulu souffrir pour cette femme, je craignais qu’elle ne m’acceptât trop vite et ne me donnât trop promptement un amour que j’eusse voulu payer d’une longue attente ou d’un grand sacrifice. » D’autre part, cette fascination tient à la nature ambigüe, mystérieuse, double de Marguerite : « on reconnaissait dans cette fille la vierge qu’un rien avait faite courtisane, et la courtisane dont un rien eût fait la vierge la plus amoureuse et la plus pure. »

Cette fascination agit comme une hypnose ; s’il est difficile de parler d’aveuglement total, le motif du regard insiste sur la manière dont la passion limite le champ visuel : Armand ne voit plus qu’elle. Paradoxalement, il décrit peu la jeune femme (le véritable portrait physique nous est proposé par le narrateur). Les trois premières entrées de la jeune femme dans le récit qu’il fait l’évoquent finalement sur le mode de l’apparition : un coup de foudre qui ne cesse de se reproduire. On peut voir sans doute dans ces répétitions le fait que le texte serait comme l’évocation d’une figure qu’Armand chercherait à arracher du tombeau (qu’il vient de voir chap. VI) pour la faire renaître, tel Orphée aux Enfers.

10. Les désordres de la passion

La passion se traduit d’abord par un bouleversement physique. Armand perd ses mots, perd le sommeil : la vue le plonge dans l’embarras le plus complet à la limite du malaise : « je devenais pâle et mon cœur battait violemment » en même temps, telle Méduse, qu’elle le paralyse : « je restais cloué à ma place », « je baissais les yeux, je rougis ».

Plus profond est le désordre intérieur qu’engendre la passion qui fait passer Armand de l’amour à la haine. Par jalousie il est prêt de rompre plusieurs fois (chap. XII, XIII, XIV) comme il se battra en duel dans l’opéra  : « je vous aime trop, et je suis jaloux de la moindre de vos pensées ». La passion le plonge dans la démesure, faisant voler en éclat les principes ou l’ordre bourgeois (il se met à jouer, emprunte de l’argent). C’est qu’en réalité la passion entraîne la perte de soi, la passion est folie : « j’ai la folie de vous aimer ! » reconnaît Marguerite ; lorsqu’il reçoit le billet de rupture, Armand est plongé dans un état de trouble, de déraison terrible « c’était à devenir fou ». La passion transfigure les êtres, les modifie profondément jusqu’à ce qu’ils ne se reconnaissent plus. D’où les introspections dans lesquelles Armand tente de se plonger pour se retrouver. D’où le récit qu’il fait, sans doute.

La passion, suivant son étymologie, devient surtout souffrance, comme si le bonheur et la tranquillité de l’amour n’étaient qu’éphémères (pensons au toast de Violetta…) Ce n’est pas anodin si Armand, avant même leur relation, cherche à se « guérir de [sa] passion ». La passion fait souffrir comme lorsqu’Armand vient de recevoir le billet de rupture : « Un moment j’eus réellement peur de tomber sur le pavé de la rue. Un nuage me passait sur les yeux et le sang me battait les tempes. Enfin je me remis un peu, je regardai autour de moi, tout étonné de voir la vie des autres se continuer sans s’arrêter à mon malheur. ». Elle fait passer les individus de l’amour à la haine (qui ne sont que les deux faces d’une même pièce…) qui cherchent alors à se venger, à détruire l’autre parce que leur cœur est lui-même déchiré. D’où toutes les persécutions qu’Armand fait subir à Marguerite, la lettre grossière et l’argent qu’elle contient, « le prix de [sa] nuit ». Les gestes et les paroles sont démesurés (voir la réaction du chœur dans l’opéra lors du même geste d’Alfredo) mais ils ne sont que l’expression d’une profonde et incommensurable douleur : « Oh, Dolor ! »

11. Deux personnages, deux passions, un impossible amour

A partir de l’extrait de Mythologies, R. Barthes (annexe) : même si Armand croit qu’il était « destiné à devenir amoureux de Marguerite », il n’y a aucune fatalité métaphysique qui plane sur leur relation ; la fatalité est bien davantage sociale (la société bourgeoise et son « ordre moral ») et interne (dualité de Marguerite, être oxymorique, épuisée par ses contradictions). Finalement, comme l’explique Barthes, l’impossible amour des deux amants vient de deux passions différentes.

D’une part, Armand, archétype du bourgeois, plaque, applique sa vision, son fonctionnement sociétal (propriété, rapport de possession, de biens…) au sentiment amoureux, transformant l’autre en bien que l’on possède, que l’on ne prête pas, que l’on a peur de perdre ou de se faire voler. Sa jalousie serait alors moins psychologique que sociologique. Il n’en résulte pas moins que, dans ce type de passion, l’autre n’est plus considéré en tant qu’individu libre mais en tant que chose que l’on s’accapare. Barthes parle de « meurtre d’autrui ».

D’autre part, Marguerite serait moins animée par le sentiment d’amour que par le besoin de reconnaissance. Ou plutôt elle aime pour se faire reconnaître. Elle, la courtisane dont l’immoralité est rejetée par la caste bourgeoise,

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acquiert respect et dignité en sacrifiant son amour et en se sacrifiant, montrant par là sa sincérité et son désintéressement : « L’estime de ce vieillard loyal que j’allais conquérir, la vôtre que j’étais sûre d’avoir plus tard… » (On ne revient pas ici sur la double aliénation dont elle est victime, cf. 4). Ce «  mythe de la reconnaissance » l’oblige alors à tuer la passion d’Armand pour obtenir cette reconnaissance (et par là-même une renaissance) de la bourgeoisie. Sa mort signera la réconciliation du monde bourgeois et de ce monde à elle.

Retenir : Si la passion apparaît comme l’un des thèmes majeurs des deux œuvres, interrogeant son expression, ses aspects, ses conséquences, le roman comme l’opéra ne cherchent à devenir apologie ou, inversement, contre-exemple. Phèdre se suicide, pas Marguerite ; Des Grieux sort brisé de douleur, Armand, en convalescence, guérira. Ce qui oppose, sépare les amants, ce n’est pas un Dieu ou un nom ; ils sont eux-mêmes à l’origine de leur impossible amour, comme deux lieux sociaux inconciliables, ou seulement dans la mort. La morale, nous l’avons vu, porte bien plus sur la société bourgeoise, viciée et corrompue, cupide et intéressée, arc-boutée sur ses principes comme dormant sur son argent qu’elle protège, au lieu de protéger les individus.

- Les couples malheureux   : inscription dans une tradition

des couples malheureux dans la mythologie et la littérature (certains ayant été repris à l’opéra)

Pyrame et Thisbé (histoire en annexe comme exemple), Didon et Enée, Héro et Léandre, Tristan et Iseult, Lancelot et Guenièvre, Roméo et Juliette, Héloïse et Abélard (Julie et Saint-Preux), Rodrigue et Chimène, Paul et Virginie, Hernani et Dona Sol, Ariane et Solal, Colin et Chloé…

Retenir : Amour malheureux comme mythe ancestral qui parcourt toutes les époques, tous les mouvements, tous les genres. Les histoires d’amour finissent mal…en général.

Conclusion Anatomie de la passion dont l’opéra de Verdi traduit les plus infimes aspects, le roman de Dumas offre une

histoire d’amour mythique, inscrite dans une éternelle tradition, simple, efficace, touchante qui lui sert finalement de révélateur : par elle, par opposition à elle, la société apparaît dans toute sa cruauté. Ne proposant aucun discours moralisateur sur les dangers de la passion, Dumas crée le personnage de Marguerite pour montrer le besoin insatiable de reconnaissance, d’appartenance à une classe, une caste ; en un mot d’exister aux yeux des autres et pour elle-même tandis que la bourgeoisie préfère défendre ses intérêts et détruire tout ce qui viendrait s’y opposer.

La véritable réflexion qui émergerait alors serait plutôt à sentir du côté de la différence entre amour de soi et amour-propre, pendant que Marguerite / Violetta meurt pour résoudre les contraire, réconcilier les mythes et rassurer la bourgeoisie dans son ordre ; pendant qu’Armand, des abîmes, la fait revivre, pendant que le lecteur, la reconnaissant à son tour, la fait exister.

Prolongement possible : « La scène de rencontre amoureuse »

Groupement de textes autour du motif de la rencontre amoureuse dans :- Manon Lescaut, PREVOST / fatalité d’une rencontre- Le Rouge et le Noir, STENDHAL / coup de foudre- Le Lys dans la Vallée, BALZAC / idéalisation et érotisme- L’Education sentimentale, FLAUBERT / ironie et échec

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ANNEXES

La rencontre amoureuse

Il faut que vous sachiez, mon ami, que depuis deux ans la vue de cette fille, lorsque je la rencontrais, me causait une impression étrange.

Sans que je susse pourquoi, je devenais pâle et mon cœur battait violemment. J’ai un de mes amis qui s’occupe de sciences occultes, et qui appellerait ce que j’éprouvais l’affinité des fluides ; moi, je crois tout simplement que j’étais destiné à devenir amoureux de Marguerite, et que je le pressentais. Toujours est-il qu’elle me causait une impression réelle, que plusieurs de mes amis en avaient été témoins, et qu’ils avaient beaucoup ri en reconnaissant de qui cette impression me venait.

La première fois que je l’avais vue, c’était place de la Bourse, à la porte de Susse. Une calèche découverte y stationnait, et une femme vêtue de blanc en était descendue. Un murmure d’admiration avait accueilli son entrée dans le magasin. Quant à moi, je restai cloué à ma place, depuis le moment où elle entra jusqu’au moment où elle sortit. A travers les vitres, je la regardai choisir dans la boutique ce qu’elle venait y acheter. J’aurais pu entrer, mais je n’osais. Je ne savais quelle était cette femme, et je craignais qu’elle ne devinât la cause de mon entrée dans le magasin et ne s’en offensât. Cependant je ne me croyais pas appelé à la revoir.

Elle était élégamment vêtue; elle portait une robe de mousseline tout entourée de volants, un châle de l’Inde carré aux coins brodés d’or et de fleurs de soie, un chapeau de paille d’Italie et un unique bracelet, grosse chaîne d’or dont la mode commençait à cette époque.

Elle remonta dans sa calèche et partit. Un des garçons du magasin resta sur la porte, suivant des yeux la voiture de l’élégante acheteuse. Je

m’approchai de lui et le priai de me dire le nom de cette femme. – C’est Mlle Marguerite Gautier, me répondit-il. Je n’osai pas lui demander l’adresse, et je m’éloignai.

Le souvenir de cette vision, car c’en était une véritable, ne me sortit pas de l’esprit comme bien des visions que j’avais eues déjà et je cherchais partout cette femme blanche si royalement belle.

(Extrait du chap. VII)

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Pyrame et Thisbé

Pyrame et Thisbé, lui le plus beau des jeunes hommes, elle surpassant toutes les jeunes filles que vit naître l’Orient, habitaient des maisons contiguës […]. Ils firent connaissance, et leur amour connut ses premiers progrès grâce à ce voisinage. Avec le temps grandit cet amour. Les torches nuptiales les eussent légitimement unis, si leurs pères ne si étaient opposés. Mais – à cela ils ne pouvaient s’opposer – tous deux, le cœur épris, brûlaient d’une même ardeur. […] Souvent, quand postés, Thisbé d’un côté, Pyrame de l’autre, ils avaient recueilli tour à tour le souffle de leur bouche : « Mur jaloux, disaient-il, pourquoi dresser ton obstacle entre deux amants ? Que donnerions-nous pour que tu nous permettes de nous étreindre corps à corps ou, si c’était là trop, que tu t’ouvrisses au moins pour les baissers que nous échangerions ! Mais nous ne sommes pas des ingrats. Nous te devons – nous en faisons l’aveu – d’avoir donné passage à nos propos jusqu’aux oreilles chéries. » Après avoir ainsi échangé de vaines paroles, chacun de sa place, à la nuit, ils se dirent adieu, prodiguant chacun à sa paroi des baisers qui n’arrivaient pas de l’autre côté. L’aurore du jour suivant avait chassé les astres nocturnes, et le soleil, de ses rayons, séché la rosée sur les herbes ; ils se retrouvèrent à leur place accoutumée. Alors, après avoir, à mi-voix, dans un murmure, exhalé longuement leurs plaintes, ils décident d’essayer, dans le silence de la nuit, de tromper leurs gardiens et de franchir les portes ; puis, une fois sortis de leur maison de quitter l’abri même de la ville. Et, pour éviter de s’égarer en errant à travers champs, ils se donnent rendez-vous au bûcher de Ninus, où ils se cacheront à l’ombre d’un arbre. Il y avait là un arbre couvert de fruits de neige, un haut mûrier, dans le proche voisinage d’une source fraîche. […]

Adroitement, à la faveur des ténèbres, Thisbé a fait tourner la porte sur ses gonds ; elle sort et trompe la vigilance des siens, et, le visage voilé parvient au tombeau, s’assied sous l’arbre convenu. L’amour la rendait audacieuse. Mais voici qu’une lionne, qui vient d’égorger des bœufs, le mufle tout couvet d’écumes, arrive pour étancher sa soif dans l’onde de la source voisine. De loin, aux rayons de la lune, la Babylonienne Thisbé l’a vue et court, toute tremblante, se réfugier dans l’obscurité d’une grotte. En fuyant, elle perdit son voile, tombé de ses épaules. Quand la féroce lionne eut, à longs traits, bu et apaisé sa soif, en rentrant dans les bois, trouvant par hasard, sans sa maîtresse, le léger voile, de sa gueule ensanglantée elle le mis en pièce. Pyrame, sorti plus tardivement, releva dans l’épaisse poussière les traces indubitables de la bête, et la pâleur envahit tout son visage. Mais, quand il découvrit aussi l’étoffe teinte de sang : « Une même nuit, s’écria-t-il, causera la perte des deux amants ; des deux, elle était la plus digne d’une longue vie ; pour moi, combien je me sens coupable ! C’est moi, malheureuse, qui t’ai tuée, en te demandant de venir de nuit dans des lieux ou règne la peur, en n’arrivant pas ici avant toi. Déchirez mon corps, faites disparaître sous votre dent féroce ces entrailles criminelles, où vous, lions dont cet antre rocheux est la demeure ! […] ». Et du fer qu’il portait à la ceinture, il se perça le flanc, puis, aussitôt, il le retira, mourant, de sa blessure ou le sang bouillonne. […]

Et voici que, mal remise de sa peur, mais craignant d’induire en erreur son amant, Thisbé revient ; brûlant de lui raconter à quels grands périls elle a échappé. Elle reconnaît bien les lieux et […] elle voit, avec terreur les soubresauts d’un corps sur le sol baigné de sang […] ; elle reconnaît l’objet de son amour, elle frappe bruyamment à coups redoublés ses bras qui n’en peuvent mais ; et, s’arrachant les cheveux, enlacent le corps adoré, elle combla les blessures de ses larmes et mêla ses pleurs au sang qui en coulait, et, collant ses lèvres au visage déjà glacé : « […] Pyrame, réponds-moi ; c’est ta chère, si chère Thisbé qui t’appelle. Entends-là et soulève vers elle ton visage abattu ! » Au nom de Thisbé, Pyrame leva ses yeux déjà appesantis par la mort et, quand il l’eut vue, les referma. Elle, lorsqu’elle eut reconnu son voile et vu le fourreau d’ivoire sans épée : « Ta propre main, dit-elle, et l’amour ont causé ta perte, malheureux. Mais j’ai une main, moi aussi, qui aura le courage d’en faire autant, et j’ai un amour qui me donnera la force de me porter ce coup. Je te suivrai dans la mort, et tous diront qu’au comble de la misère, j’ai été la cause et la compagne de ton trépas. Et toi, dont la mort seule, hélas ! pouvait me séparer, tu ne pourras pas, même par la mort, être séparé de moi. Ecoutez, cependant notre commune prière, ô vous qu’accable le malheur, toi mon père, vous le sien : à ceux qu’un amour profond, à ceux que leur dernière heure ont unis, ne refusez pas d’être ensemble

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déposés dans le même tombeau. Pour toi, arbre […] garde les marques du sang répandu, porte à jamais de sombres fruits, qui conviennent au deuil, en souvenir de notre double trépas. »

Elle dit, et après en avoir appliqué la pointe au bas de sa poitrine, elle pesa sur le fer encor tiède de sang. Sa prière cependant fut entendue des dieux, entendue des deux pères. Car la couleur du fruit du mûrier, arrivé à maturité, est noire, et les restes échappés aux deux bûchers reposent dans une même urne. »

Ovide, Les Métamorphoses, IV, trad. Joseph Chamonard

Les chants d’amour dans la Traviata

1) La chanson à boire

AlfredoLibiamo, libiamo ne’ lieti caliciChe la bellezza infiora ;E la fuggevol oraS’inebri a voluttà.Libiam ne’ dolci fremitiChe suscita l’amore,(indicando Violetta)Poiché quell’occhio al coreOnnipotente va.Libiamo, amore, fra i caliciPiù caldi baci avrà.

[…]Violetta (s’alza)Tra voi saprò divedereIl tempo moi giocondo ;Tutto è follia, follia nel mondeCiò che non è piacer.Godiam, fugace e rapidoÈ il gaudio dell’amore ;È un fior che nasce e muore,Né più si può goder.Godiam, c’invita un fervidoAccento lusinghier.

AlfredoBuvons, buvons dans les joyeuses coupesQue fleurit la beauté ;Et que l’heure fugitiveS’enivre de volupté.Buvons dans la douceur des frissonsQue suscite l’amour,(montrant Violetta)Puisque ces yeux, tout-puissants,Vont au cœur.Buvons ! l’amour, au milieu des coupes,Aura des baisers plus ardents.

Violetta (se levant)Entre vous je saurai partagerLe temps de mon bonheur ;Au monde, tout est folie, folie,Qui n’est pas plaisir.Jouissons ! fugitive, rapide,Est la joie de l’amour :C’est une fleur qui naît et meurt,Et l’on ne peut plus en jouir.Jouissons : une fervente, une flatteuse voixNous y appelle.

2) La déclaration d’amour d’Alfredo

ALFREDOAh si', da un anno.Un di', felice, eterea,Mi balenaste innante,E da quel di' tremanteVissi d'ignoto amor.Di quel amor, quel amor ch'e' palpitoDell'universo, dell’universo intero,Misterioso, misterioso, altero,Croce, croce e delizia,Croce e delizia al cor.

ALFREDOAh oui ! depuis un an.Un jour, joyeuse, éthérée,Vous m’êtes apparue comme un éclair,Et tremblant depuis ce jour,J’ai vécu d’un amour secret.De cet amour, cet amour qui est la vieDe l’univers, de l’univers entier,Mystérieux, mystérieux et altier,Croix, croix et délice,Croix et délice, délice au cœur.

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VIOLETTAAh, se cio' e' ver, fuggitemiSolo amistade io v'offro:Amar non so, ne' soffroUn cosi' eroico amor.Io sono franca, ingenua;Altra cercar dovete;Non arduo trovereteDimenticarmi allor.

VIOLETTAAh, si c’est vrai, fuyez-moi…Je ne vous offre qu’une amitié ;Je ne sais pas aimer, je ne saurais souffrirUn amour si puissant.Je suis franche, ingénue :Cherchez une autre femme,Il vous sera facile alorsDe m’oublier.

3) L’idylle amoureuse

ALFREDO(entra in costume da caccia)Lunge da lei per me non v'ha diletto !Volaron gia' tre luneDacche' la mia ViolettaAgi per me lascio', dovizie, onori,E le pompose festeOve, agli omaggi avvezza,Vedea schiavo ciascun di sua bellezza.Ed or contenta in questi ameni luoghiTutto scorda per me. Qui presso a leiIo rinascer mi sento,E dal soffio d'amor rigeneratoScordo ne' gaudii suoi tutto il passato.De' miei bollenti spiritiIl giovanile ardoreElla tempro' col placidoSorriso dell'amore!Dal di' che disse: vivereIo voglio a te fedel,Dell'universo immemoreIo vivo quasi in ciel.

ALFREDO(entrant en costume de chasse)Loin d’elle, il n’est plus de plaisir pour moi !Trois mois déjà sont passésDepuis que ma ViolettaAbandonna pour moi luxe, richesse, amours,Et les brillantes fêtesOù, comblée d’hommages,Elle voyait tout le monde esclave de sa beauté.Et heureuse, à présent, dans ces aimables lieuxElle oublie tout pour moi… Près d’elle, iciMoi, je me sens renaître,Régénéré par le souffle de l’amourJ’oublie dans les bonheurs tout le passé.De mes bouillants espritsElle apaisa la juvénile ardeurDans le paisibleSourire de l’amour !Du jour où elle me dit :Je veux vivre fidèle à toiOubliant l’univers,Je me sens vivre dans les cieux.

4) La déclaration d’amour désespérée de Violetta

ALFREDO (entrando)Che fai ?

VIOLETTA (nascondendo la lettera)Nulla.

ALFREDOScrivevi ?

VIOLETTA (confusa)Si… no…

ALFREDOQual turbamento ! a chi scrivevi ?

ALFREDOQue fais-tu ?

VIOLETTA (cachant la lettre)Rien.

ALFREDOTu écrivais ?

VIOLETTAOui…non…

ALFREDOQuel trouble ! A qui écrivais-tu ?

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VIOLETTAA te.

ALFREDODammi quel foglio.

VIOLETTANo, per ora.

ALFREDOMi perdona… son io preoccupato.

VIOLETTA (alzandosi)Che fu?

ALFREDOGiunse mio padre…

VIOLETTALo vedesti?

ALFREDOAh no : severo scritto mi lasciava !Pero' l'attendo… t'amera' in vederti…

VIOLETTA (molto agitata)Ch'ei qui non mi sorprenda…Lascia che m'allontani… tu lo calma…Ai piedi suoi mi getterò…(mal frenato il pianto)DivisiEi piu' non ne vorrà… sarem felici…Sarem felici…Perche' tu m'ami, tu m’ami, Alfredo, Tu m’ammi, non è vero ? Tu m’ami ?Alfredo, tu m’ami,Alfredo, non è vero ?

ALFREDOO, quanto !... Perche' piangi ?

VIOLETTADi lagrime avea d'uopo… or son tranquilla…Lo vedi ? ti sorrido… Lo vedi ?(sforzandosi)Or son tranquilla… ti sorrido…Saro' la', tra quei fior presso a te sempre,Sempre, sempre, presso a te,Amami, Alfredo, amani quant'io t'amo…Addio !(Corre in giardino.)

VIOLETTAA toi.

ALFREDODonne-moi cette lettre.

VIOLETTANon, pas pour l’instant.

ALFREDOPardonne-moi… Je sui préoccupé.

VIOLETTA (se levant)Qu’y a-t-il ?

ALFREDOMon père est arrivé…

VIOLETTAL’as-tu vu ?

ALFREDOAh, non : il m’a laissé une lettre sévère !Mais je l’attends… et il t’aimera en te voyant.

VIOLETTA (agitée)Qu’il ne me trouve pas ici…Laisse-moi m’éloigner… Toi, calme-le…A ses pieds je me jetterai…(réfrénant mal ses larmes)Il ne voudra plusNous séparer… Nous serons heureux…Nous serons heureux…Car tu m’aimes, tu m’aimes Alfredo,Tu m’aimes, n’est-ce pas ? Tu m’aimes ?Alfredo, tu m’aimes,Alfredo, n’est-ce pas ?

ALFREDOAh, combien je t’aime !...Pourquoi pleures-tu ?

VIOLETTAJ’avais besoin de larmes… je suis calme à présent…Tu vois ? Je te souris… Tu vois ?(avec effort)Je suis calme à présent, je te souris…Je serais là, parmi ces fleurs, à jamais près de toi,A jamais près de toi, à jamais près de toi,Aime-moi, Alfredo ! Oh, aime-moi comme je t’aimeAdieu !(Elle s’enfuit dans le jardin.)

5) Retrouvailles et pardon

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ALFREDOOh mia Violetta ! Oh gioia !Colpevol sono… so tutto, o cara…

VIOLETTAIo so che alfine reso mi sei !

ALFREDODa questo palpito s'io t'ami impara,Senza te esistere piu' non potrei.

VIOLETTAAh, s'anco in vita m'hai ritrovata,Credi che uccidere non puo' il dolor.

ALFREDOScorda l'affanno, donna adorata,A me perdona e al genitor.VIOLETTACh'io ti perdoni? la rea son io :Ma solo amore tal mi rendè.

ALFREDONull’uomo o demone, angiol mio,Mai più dividermi potrà da te.

VIOLETTANull’uomo o demone, angiol moi…Mai più dividermi potrà da te.

ALFREDOParigi, o cara, noi lasceremo,La vita uniti trascorreremo…De’ corsi affanni compenso avrai,La tua salute rifiorirà…Sospiro e luce tu mi sarai,Tutto il futuro ne arriderà.

VIOLETTAParigi, o caro, noi lasceremo,La vita uniti trascorreremo…Ecc.

ALFREDOÔ ma Violetta ! Ô joie !Je suis coupable… Je sais tout, ma bien-aimée…

VIOLETTAJe sais, moi, qu’enfin tu m’es rendu !

ALFREDOApprends de mon cœur si je t’aime,Sans toi je ne pourrais plus vivire.

VIOLETTAAh, si tu m’as retrouvée vivante,Crois bien que la douleur ne peut tuer.

ALFREDOOublie les tourments, mon adorée,Pardonne à moi et à mon père.VIOLETTATe pardonner ? C’est moi qui suis coupable :Mais seul l’amour put ainsi me changer.

ALFREDOAucun homme ou démon, ange adoré,Ne pourra jamais plus me séparer de toi.

VIOLETTAAucun homme ou démon, ange adoré…Ne pourra jamais plus me séparer de toi.

ALFREDOÔ bien-aimée, nous quitterons Paris,Unis tous deux, nous passerons nos jours…Tu recevras le prix de tes tourments passés,Et ta santé refleurira…Tu sera mon souffle et ma lumière,Tout le futur en sourira.

VIOLETTAÔ bien-aimée, nous quitterons Paris,Unis tous deux, nous passerons nos jours…Etc.

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La mort de l’héroïne : fin du roman/ de l’opéra, naissance du mythe

En introduction, quelques strophes issues du morceau intitulé « M. D. » extrait du recueil Péchés de jeunesse d’Alexandre Dumas fils.

Dumas fils laisse d’abord entendre qu’il projetait de rendre visite à Marie Duplessis au retour de son voyage en Espagne et en Algérie :

Nous nous étions brouillés ; et pourquoi ? Je l’ignore :Pour rien ! Pour le soupçon d’un amour inconnu ;Et moi, quoi vous ai fuie, aujourd’hui je déploreDe vous avoir quittée et d’être revenu.

Et quand mon âme accourt, depuis longtemps absente,Votre fenêtre est close et votre seuil fermé ;Et voilà qu’on me dit qu’une tombe récenteCouvre à jamais le front que j’avais tant aimé.

A son retour de voyage, on lui raconta en effet l’agonie de Marie Duplessis. Dumas-fils voulut alors revoir les lieux, les murs de cet amour passé et heureux, qui ne reviendra plus :

Vous souvient-il des nuits où, brûlante amoureuseTordant sous les baiser votre corps éperdu,Vous trouviez, consumée à cette ardeur fiévreuse,Dans vos sens fatigués le sommeil attendu ?

Les trois dernières strophes reviennent sur les dernières heures et sur l’enterrement de la jeune femme, totalement, ou presque, abandonnée de ses amants et amis :

Pauvre fille ! on m’a dit qu’à votre heure dernièreUn seul homme était là pour vous fermer les yeux,Et que, sur le chemin qui mène au cimetière,Vos amis d’autrefois étaient réduits à deux !

Eh ! bien, soyez bénis, vous deux qui, tête nue,Méprisant les conseils de ce monde insolent,Avez, jusques au bout, de la femme connue,En vous donnant la main, mené le convoi blanc !

Vous qui l’avez aimée et qui l’avez suivie !Qui n’êtes pas de ceux qui, duc, marquis ou lord,Se faisant un orgueil d’entretenir sa vie,N’ont pas compris l’honneur d’accompagner sa mort !

→ Qu’en est-il dans la fiction ? Comment l’héroïne meurt-elle ? Quelles réflexions cette mort engendre-t-elle ? En quoi participe-t-elle à la construction du mythe ?

12. De l’agonie à la mort : les derniers moments de l’héroïne13. L’excipit, entre bilan et ouverture : morale du mythe14. L’exhumation de Marguerite : de la mort à l’éternité, les enjeux de l’art

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8. De l’agonie à la mort   : les derniers moments de l’héroïne (chap. XXVI / Acte III)

1. Déchéance physique et déchéance sociale

Lente et terrible agonie de Marguerite : la fièvre se fait de plus en plus brûlante, la toux de plus en plus sanglante, le corps de plus en plus douloureux : « j’ai été prise d’une telle fièvre », « je ne cesse de cracher le sang », « j’ignorais que le corps pût faire souffrir ainsi », « voilà onze nuits que je ne dors pas », « je souffre horriblement »…La maladie :- amenuise et annihile progressivement toutes ses forces : son corps n’est plus qu’un fardeau qui ne fonctionne plus, loin des charmes attrayants d’autrefois : « je ne peux plus parler, à peine si je peux remuer les bras », « elle a perdu complètement l’usage de la voix, plus l’usage de ses membres », « l’air d’un cadavre » ; - en même temps qu’elle atteint sa raison : « folle », « elle a presque toujours le délire ».La mort se réalise dans d’extrêmes souffrances, comme un comble de douleur : « Marguerite est entrée en agonie cette nuit à deux heures environ. Jamais martyre n’a souffert pareilles tortures, à en juger par les cris qu’elle poussait. »

A l’acte III de la Traviata, le rideau se lève sur une Violetta pâle, les joues creusées, les cheveux lâchés, dans un dénuement total, vêtue d’une simple chemise de nuit blanche, sans bijoux, sans fard. Verdi n’a pas souhaité qu’elle tousse directement, alors c’est la musique, ce sont les notes qui la font tousser. L’agonie est moins violente, moins cruelle que dans le roman mais l’on retrouve l’incapacité physique comme le prouvent les didascalies : « Elle vacille », « Elle s’abandonne épuisée sur un siège », « Annina présente à Violetta une robe que celle-ci essaie de passer, mais la faiblesse l’en empêche » et le motif du miroir. De même le délire de ses dernières paroles : « Les spasmes de la douleur ont cessé… En moi renaît, renaît… m’anime une force insolite !... Ah, je… mais je reviens à la vie ! Oh joie !... » A noter notamment la multiplication des aposiopèses, symbole d’une voix qui n’en finit pas de mourir, de perdre sens et souffle.

Cette déchéance physique s’accompagne d’une déchéance sociale. Les proches, les soi-disant amis l’oublient et l’abandonnent. Prudence, qui ne peut plus obtenir argent ou bénéfices d’une mourante ne lui rend pas visite : « voyant que sa voisine ne lui sert plus à rien, elle ne vient même pas la voir ». Le vieux Duc, un temps à son chevet, ne supporte plus l’état d’agonie de Marguerite qui le replonge dans le passé et la mort de sa fille ; les nouveaux prétendants fuient : « tout le monde l’abandonne ». Pire, sa famille comme les rues sont indifférentes et méprisantes : « quelques visages de connaissance sont passés dans la rue, rapides, joyeux, insouciants. Pas un n’a levé les yeux sur mes fenêtres. » Alors que les créanciers et l’huissier finissent d’achever socialement la jeune femme en saisissant les objets de valeur qui lui restent pour rembourser ses dettes : « les créanciers sont revenus et m’apportent leurs notes avec un acharnement sans pitié », « L’huissier est entré dans ma chambre […], il n’a pas eu l’air de s’apercevoir qu’il y avait une mourante dans le lit qu’heureusement la charité de la loi me laisse. »

Seuls Julie Duprat (et le médecin) soigne et veille Marguerite comme une véritable amie ; le Comte de G… fait tout ce qu’il peut financièrement pour aider la jeune femme alors qu’il est lui-même rattrapé par ses dettes. De leurs côtés, les Duval écrivent chacun une lettre, le père ne se déplace pas (même pas !), Armand, à l’étranger, arrivera trop tard.

Cette déchéance sociale parcourt le troisième acte, mais là encore moins violemment. Deux symboles  : l’eau a remplacé le champagne et le Carnaval bat son plein pendant que Violetta agonise, spectatrice d’une fête qui la renie . Verdi ne fait intervenir aucun huissier ni créancier de même que les anciennes relations sont oubliées. En revanche (artifice d’opéra, les principaux protagonistes doivent être sur scène pour le final), outre Annina et le médecin, il fait revenir Alfredo et son père, pour sauver la morale bourgeoise, obtenir le pardon, et souffrir du mal qu’ils ont causé  : « Oh, dolor ! »

Reprendre l’image que Marguerite emploie, celle de l’hiver qui caractérise à la fois cette déchéance physique et sociale : « un hiver de glace qui vous pèse sur la poitrine. »

2. Entre espoir et désillusion : la révolte

Deux espoirs animent Marguerite, retardant sa mort prochaine :- celui de guérir : « j’ai dîné avec assez d’appétit. Cette sortie m’a fait du bien. Si j’allais guérir ! », « Il me semble que je vais mieux » ;

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- celui de revoir Armand : « Il me semble que, si vous veniez, je guérirais », « quand je pense qu'il peut arriver que je ne meure pas, que vous reveniez, que je revoie le printemps, que vous m’aimiez encore et que nous recommencions notre vie de l’année dernière ! », « je serais morte depuis bien longtemps si je n’avais pour m’assister le souvenir de cet amour, et comme un vague espoir de vous revoir encore près de moi ».

Marguerite réalise toutefois très vite que ces espoirs sont vains : « Cette espérance de santé n’était qu’un rêve ». Son état s’aggrave tandis qu’Armand n’arrive pas : « Ne reviendrez-vous donc point avant que je meure ? […] A quoi bon guérir ? » Pire, « [ses] souvenirs ne font qu’augmenter [sa] fièvre. »

Ces désillusions font naître :- les regrets, celui notamment d’avoir obéi au père d’Armand et de s’être sacrifiée : « Maintenant que je suis près de mourir, […] je regrette presque s’avoir écouté votre père » ;- la révolte face à l’injustice de la situation et la souffrance exacerbée : révolte contre ceux qui les ont séparés : « Le comte de N… m’a envoyé de l’argent hier, je ne l’ai pas accepté. Je ne veux rien de cet homme. C’est lui qui est cause que vous n’êtes pas près de moi » ; contre Dieu « La volonté de Dieu soit faite ! », « je souffre horriblement, je vais mourir mon Dieu » et contre elle-même : « Oh ! ma vie passée ! je la paye deux fois aujourd’hui. »

Violetta n’est pas dupe du mensonge de son médecin : « Oh, le pieux mensonge est permis aux médecins ! ». Son seul espoir est lié finalement au retour d’Alfredo (sur leur air ) : en un unisson tendu, une andante mosso, les deux amants tombent dans les bras l’un de l’autre ; chacun reprend le texte musical de l’autre, entre pardon, promesses et projets : « Ô bien aimée, nous quitterons Paris, Unis tous deux, nous passerons nos jours… Tu recevras le prix de tes tourments passés, et ta santé refleurira… Tu seras mon souffle et ma lumière, tout le futur en sourira. »

Néanmoins, sur le mot « tourment », le doute s’installe : un petit tournoiement chromatique accentué envahit la fin du duo comme si Violetta sentait la fragilité et la vanité de leurs espoirs communs. Ce que confirme d’ailleurs le malaise suivant qui l’oppresse « Elle vacille ».

Violetta se lance alors dans un combat acharné, animée par une irrésistible envie de vivre : « Ora son forte (A présent je suis forte) » « Dis-lui que je veux vivre encore… ». Mais ce n’est qu’un leurre ; les malaises se font de plus en plus forts, traduits par une « crampe » de violons et de contrebasses. Chaque mouvement, chaque note sont comme arrêtés dans leur élan par une octave creuse des cuivres. Elle le sait, il est tard, « bien tard », « tout est fini ».

C’est alors qu’elle se révolte, dernier sursaut de colère, bien plus véhément que face à Germont (acte II), bien plus douloureux aussi, se lançant dans une cabalette terrible adressée à Dieu : « Ah, mon Dieu, mourir si jeune, Moi qui ai tant souffert !... Mourir au moment même où je séchais mes larmes ! Ah, la crédule espérance n’était donc que folie ! En vain j’aurais armé de constance mon cœur. »

Violetta réalise la vanité de tout espoir, l’injustice de la situation qui la torture davantage. Parfaitement lucide, elle comprend que si le retour d’Alfredo n’a pu la guérir, nul ne le pourra : « Mais si ton retour ne m’a pas sauvée, nul sur la terre ne pourra me sauver. »

3. De la courtisane-dévoyée à la sainte : religion et pardon

Pratiquement absente du reste de l’œuvre, la religion domine les dernières pages : Marguerite voit dans sa douloureuse agonie une punition de Dieu ou la promesse d’un paradis : « Il faut que nous ayons bien fait du mal avant de naître, ou que nous devions jouir d’un bien grand bonheur après notre mort, pour que Dieu permette que cette vie ait toutes les tortures de l’expiation et toutes les douleurs de l’épreuve » (p.242). Surtout, sa souffrance est l’occasion de se racheter, d’absoudre ses péchés cf. la scène de l’extrême onction et le commentaire du prêtre : « Elle a vécu comme une pécheresse, mais elle mourra comme une chrétienne » (p.247). Enfin, face au silence et à l’absence d’Armand, Dieu reste l’interlocuteur privilégié de la jeune femme élevée au rang de « martyre joyeux » qui la grandit aux yeux du monde et des lecteurs.

Si le personnage du prêtre n’apparaît pas dans le dénouement de l’opéra, on sait que Violetta en a vu un la veille  : « Hier, un prêtre m’a réconfortée ». La religion, dans son agonie, joue alors un rôle consolateur et réconfortant : « La religion est le soulagement de ceux qui souffrent ». Face à la torture, Violetta se tourne vers Dieu.

On peut cependant comprendre l’absence du prêtre comme ceci : Violetta attendrait moins le pardon divin que celui du monde bourgeois. En outre, si Verdi fait plutôt intervenir Alfredo et son père, ce n’est pas simplement par pure convention ; ils donnent toute sa valeur au sacrifice de la jeune fille. Réalisant combien ils se sont trompés sur Violetta, comprenant le mal qu’ils ont pu lui faire, ils souffrent autant, si ce n’est davantage, que la jeune femme  : la mort de Violetta est leur punition. « Dieu ne m’a pas conduit ici pour ce cruel martyre » déplore Alfredo ; « Trop de remords me dévorent l’âme » confesse Germont. Tandis que Violetta chante un dernier « Gioia », heureuse de son sacrifice et de sa rédemption, la bourgeoisie ne peut que crier sa douleur : « Oh, dolor ! »

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Car Violetta meurt soulagée : si elle s’est révoltée contre la justice / l’injustice divine, ce ne fut que brièvement. Son dernier acte est pure générosité : elle remet son portrait à Alfredo et l’invite à épouser une jeune femme qui sera digne de lui : « Si jamais une jeune fille pure, dans la fleur de ses années, te donnait son cœur, qu’elle soit ton épouse, je le veux ». Sacrifice ultime, don de soi héroïque, amour de l’autre touchant qui réconcilient l’inconciliable, le monde bourgeois et le monde courtisan. Elle accorde son pardon à son bourreau et n’est déjà plus humaine ; elle a gagné sa place auprès de Dieu. Telle Déa dans l’Homme qui rit, c’est une âme qui s’envole : « Vole vers les esprits bienheureux ». Dans la mise en scène de Richard Eyre, on la voit courir en formant un cercle, mimant cet envol en même temps qu’elle trace le cercle de la réconciliation, de l’éternité, de l’ordre retrouvé.

Violetta a retrouvé le droit chemin : la dévoyée est devenue sainte.

9. L’excipit, entre bilan et ouverture   : un mythe moral

► Lecture analytique du chapitre XXVII (texte en annexe)► Plan possible pour un commentaire :

A_ Bilan : la fin du roman, la fin du parcours9. La trajectoire des personnages : jeu sur les discours rapportés10. Rappel des thèmes majeurs11. Des mémoratifs

B_ Ouverture : la morale du mythe6. La renaissance : Blanche et le printemps7. La fin est le début : le « je » de la morale8. « Vous avez lu ? » : le lecteur et le mythe

Retenir : L’excipit est l’occasion de retrouver les principaux protagonistes de l’intrigue en même temps qu’il rappelle les thèmes majeurs de l’œuvre (Paris / Province, argent, amour, mort). L’ordre bourgeois et la morale semblent sauvés : le fils prodigue, sur la voie de la guérison, est de retour à la maison ; l’innocence de Blanche est récompensée, son mariage assuré ; l’honneur de la famille, la dignité des Duval, la tutelle patriarcale sont saufs ; Prudence, tout à sa noirceur, est ruinée pendant Marguerite repose en paix au cimetière, quelques camélias sur sa tombe. Derrière ce bilan dressé, l’excipit permet également au narrateur, qui reprend la main (et la plume) :- d’ouvrir son récit sur des hypothèses heureuses. Le printemps offre aux êtres comme à la nature une renaissance que l’on imagine heureuse (la mort engendre la vie en quelque sorte) ;- de confirmer la valeur morale de son œuvre qu’il cherche, jusque dans les derniers mots, à justifier et défendre ;- d’inscrire le roman dans un principe de cercle vicieux : la fin de l’histoire marque le début de l’écriture ;- de construire davantage, un peu plus, le mythe de Marguerite, être unique, exceptionnel, héroïque.

10. L’exhumation de Marguerite   : de la mort à l’éternité, les enjeux de l’art

► TD en classe (proposition de polycopié en annexe)

1. Une description méthodique et minutieuse2. La convocation des sens3. Les procédés stylistiques4. La réaction des personnages… et du lecteur

Retenir : L’exhumation du corps de Marguerite relève d’un réalisme macabre et précis. Le récit insiste sur l’horreur du spectacle (détails sordides, jeux de couleurs), convoque les sens pour que le lecteur devienne témoin à son tour de la scène et de la cruauté de la mort qui n’épargne personne. Dumas fils joue de la surprise et ménage un certain suspense en même temps qu’il multiplie les effets stylistiques (oxymore, comparaison, métaphore, accumulation, allitération, registre soutenu). Cette stylisation doit nous aider à comprendre le sens de cette scène. Elevant le cadavre en décomposition au rang d’objet littéraire, Dumas fils cherche à nous faire saisir le passage de la réalité à la fiction, de la mort à l’éternité, de la vie au mythe : si ce passage se trouve au début du roman, c’est pour que le lecteur découvre tout l’enjeu des chapitres suivants. Tandis que la mort détruit, annihile, décompose les corps, l’art sauve les êtres de l’oubli et de la décrépitude ; il recompose une existence pour l’inscrire dans l’éternité de la page et du mythe. L’odeur putride de la mort contre le camélia, une fleur sans odeur.

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ConclusionL’originalité de La Dame aux camélias, empruntée à Manon Lescaut, est d’avoir pris pour héroïne une morte. Dès

le début, le lecteur connaît la fin et pourtant il continue sa lecture comme si, finalement, ce qui importe se trouve moins dans ce dénouement malheureux que dans les événements, les circonstances qui conduisent à cette fin tragique et qui permettent à Dumas fils d’introduire une réflexion morale et critique. Tout le texte s’achemine vers le personnage féminin et sa mort, construit le mythe en l’immobilisant pour jamais dans la pureté de l’amour, la fleur éclose d’un printemps. L’œuvre se veut et se réalise comme combat contre la mort. Une fois l’exhumation passée, aucun doute, Marguerite est bien morte. Et pourtant, elle renaît, à travers la parole d’Armand qui se fait évocation, incantation, résurrection. Une analepse tendre et douloureuse autant que cathartique : il guérira. Au soir de la première de la pièce, Gautier lança : « Marie Duplessis a enfin la statue que nous réclamions pour elle. » Statue contre le temps, contre l’oubli, l’œuvre s’écrit à partir comme si la plume trempait dans les cendres d’une femme sacrifiée et martyre. Elle renaît également par la lecture compatissante, émue, révoltée, touchée.

Verdi a vu, Verdi a lu, Verdi a composé. A son tour il s’accapare, prolonge et construit le mythe de «  la dame aux camélias » devenue Traviata. « Je chante, je meurs, je chante que je meurs. » selon la formule de Lars von Trier pour définir l’Opéra. Et le spectateur pleure : « Celui dont les cils restent secs devant cela n’a pas un cœur humain dans la poitrine » publiait La Gazetta officiale di Venizia le 8 mai 1854. Tout l’acte III est centré sur les dernières heures d’une agonie violente et douloureuse alors que la fête bat son plein dans les rues de Paris. Entre espoir et échec, joie et larmes, cri et silence, la salle respire à peine, « un silence de mort » pour accueillir le chant du cygne.

Des questions pourtant restent en suspens : Marguerite / Violetta meurt-elle d’amour ou de maladie ? Quel dernier mot choisir pour l’opéra : « Gioia » ou « Dolor » ? Il appartient au lecteur, au spectateur au metteur en scène de choisir pour participer, à leur tour, au mythe désormais en marche.

Prolongements possibles :1) « Marie Duplessis a enfin la statue que nous réclamions pour elle. »Réflexion autour de l’art et la mort : de l’instant faire naître l’éternité, en étudiant le poème « Une Charogne » de Baudelaire.

2) Travail d’écriture. Imaginez une suite fantastique à l’exhumation de Marguerite.

ANNEXES

Tableau à remplir par les s / les derniers moments de l’héroïne (chap. XXVI / Acte III)

La Dame aux camélias chap. XXVI

La Traviata acte III

Où ?

Quand ?

Personnages présents

Personnages absents / évoquésCirconstances de la mort

Points communs / différences

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L’air de Violetta

Addio, del passato bei sogni ridenti,Le rose del volto gia' son pallenti ;L'amore d'Alfredo pur esso mi manca,Conforto, sostegno dell'anima stanca…Ah, della traviata sorridi al desio,A lei, deh, perdona, tu accoglila, o Dio !Ah !... tutto, tutto fini,Or tutto, tutto, fini…

Adieux, beaux rêves souriants du passé,Les roses de mon visage ont déjà pâliEt l’amour d’Alfredo me manque toujoursSoutien et réconfort de mon âme épuisée…Ah, souris au désir de la dévoyée,Ah pardonne-lui, accueille-la, mon Dieu !Ah, tout est fini,Désormais tout est fini…

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L’excipit

– Vous avez lu ? me dit Armand quand j’eus terminé la lecture de ce manuscrit.– Je comprends ce que vous avez dû souffrir, mon ami, si tout ce que j’ai lu est vrai !– Mon père me l’a confirmé dans une lettre.Nous causâmes encore quelque temps de la triste destinée qui venait de s’accomplir, et je rentrai chez

moi prendre un peu de repos. Armand, toujours triste, mais soulagé un peu par le récit de cette histoire, se rétablit vite, et nous allâmes

ensemble faire visite à Prudence et à Julie Duprat. Prudence venait de faire faillite. Elle nous dit que Marguerite en était la cause ; que pendant sa maladie,

elle lui avait prêté beaucoup d’argent pour lequel elle avait fait des billets qu’elle n’avait pu payer, Marguerite étant morte sans le lui rendre et ne lui ayant pas donné de reçus avec lesquels elle pût se présenter comme créancière.

A l’aide de cette fable que Mme Duvernoy racontait partout pour excuser ses mauvaises affaires, elle tira un billet de mille francs à Armand, qui n’y croyait pas, mais qui voulut bien avoir l’air d’y croire, tant il avait de respect pour tout ce qui avait approché sa maîtresse.

Puis nous arrivâmes chez Julie Duprat qui nous raconta les tristes événements dont elle avait été témoin, versant des larmes sincères au souvenir de son amie.

Enfin, nous allâmes à la tombe de Marguerite sur laquelle les premiers rayons du soleil d’avril faisaient éclore les premières feuilles.

Il restait à Armand un dernier devoir à remplir, c’était d’aller rejoindre son père. Il voulut encore que je l’accompagnasse.

Nous arrivâmes à C.., où je vis M. Duval tel que je me l’étais figuré d’après le portrait que m’en avait fait son fils : grand, digne, bienveillant.

Il accueillit Armand avec des larmes de bonheur, et me serra affectueusement la main. Je m’aperçus bientôt que le sentiment paternel était celui qui dominait tous les autres chez le receveur.

Sa fille, nommée Blanche, avait cette transparence des yeux et du regard, cette sérénité de la bouche qui prouvent que l’âme ne conçoit que de saintes pensées et que les lèvres ne disent que de pieuses paroles. Elle souriait au retour de son frère, ignorant, la chaste jeune fille, que loin d’elle une courtisane avait sacrifié son bonheur à la seule invocation de son nom.

Je restai quelque temps dans cette heureuse famille, tout occupée de celui qui leur apportait la convalescence de son cœur.

Je revins à Paris où j’écrivis cette histoire telle qu’elle m’avait été racontée. Elle n’a qu’un mérite qui lui sera peut-être contesté, celui d’être vraie.

Je ne tire pas de ce récit la conclusion que toutes les filles comme Marguerite sont capables de faire ce qu’elle a fait ; loin de là, mais j’ai connaissance qu’une d’elles avait éprouvé dans sa vie un amour sérieux, qu’elle en avait souffert et qu’elle en était morte. J’ai raconté au lecteur ce que j’avais appris. C’était un devoir.

Je ne suis pas l’apôtre du vice, mais je me ferai l’écho du malheur noble partout où je l’entendrai prier. L’histoire de Marguerite est une exception, je le répète; mais si c’eût été une généralité, ce n’eût pas été la peine de l’écrire.

(Chap. XXVII)

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L’exhumation de Marguerite

D’où vient le douloureux plaisir qu’on prend à ces sortes de spectacles ! Quand nous arrivâmes à la tombe, le jardinier avait retiré tous les pots de fleurs, le treillage de fer avait été enlevé, et deux hommes piochaient la terre.

Armand s’appuya contre un arbre et regarda. Toute sa vie semblait être passée dans ses yeux. Tout à coup une des deux pioches grinça contre une pierre. A ce bruit Armand recula comme à une commotion électrique, et me serra la main avec une telle force qu’il me fit

mal. Un fossoyeur prit une large pelle et vida peu à peu la fosse; puis, quand il n’y eut plus que les pierres dont on

couvre la bière, il les jeta dehors une à une. J’observais Armand, car je craignais à chaque minute que ses sensations qu’il concentrait visiblement ne le

brisassent ; mais il regardait toujours ; les yeux fixes et ouverts comme dans la folie, et un léger tremblement des joues et des lèvres prouvait seul qu’il était en proie à une violente crise nerveuse.

Quant à moi, je ne puis dire qu’une chose, c’est que je regrettais d’être venu. Quand la bière fut tout à fait découverte, le commissaire dit aux fossoyeurs :– Ouvrez.Ces hommes obéirent, comme si c’eût été la chose du monde la plus simple. La bière était en chêne, et ils se mirent à dévisser la paroi supérieure qui faisait couvercle. L’humidité de la terre

avait rouillé les vis et ce ne fut pas sans efforts que la bière s’ouvrit. Une odeur infecte s’en exhala, malgré les plantes aromatiques dont elle était semée.

– O mon Dieu ! mon Dieu ! murmura Armand, et il pâlit encore. Les fossoyeurs eux-mêmes se reculèrent. Un grand linceul blanc couvrait le cadavre dont il dessinait quelques

sinuosités. Ce linceul était presque complètement mangé à l’un des bouts, et laissait passer un pied de la morte. J’étais bien près de me trouver mal, et à l’heure où j’écris ces lignes, le souvenir de cette scène m’apparaît encore

dans son imposante réalité. – Hâtons-nous, dit le commissaire. Alors un des deux hommes étendit la main, se mit à découdre le linceul, et, le prenant par le bout, découvrit

brusquement le visage de Marguerite. C’était terrible à voir, c’est horrible à raconter.Les yeux ne faisaient plus que deux trous, les lèvres avaient disparu, et les dents blanches étaient serrées les unes

contre les autres. Les longs cheveux noirs et secs étaient collés sur les tempes et voilaient un peu les cavités vertes des joues, et cependant je reconnaissais dans ce visage le visage blanc, rose et joyeux que j’avais vu si souvent.

Armand, sans pouvoir détourner son regard de cette figure, avait porté son mouchoir à sa bouche et le mordait. Pour moi, il me sembla qu’un cercle de fer m’étreignait la tête, un voile couvrit mes yeux, des bourdonnements m’emplirent les oreilles, et tout ce que je pus faire fut d’ouvrir un flacon que j’avais apporté à tout hasard et de respirer fortement les sels qu’il renfermait.

Au milieu de cet éblouissement, j’entendis le commissaire dire à M. Duval : – Reconnaissez-vous?– Oui, répondit sourdement le jeune homme.– Alors fermez et emportez, dit le commissaire. Les fossoyeurs rejetèrent le linceul sur le visage de la morte,

fermèrent la bière, la prirent chacun par un bout et se dirigèrent vers l’endroit qui leur avait été désigné. Armand ne bougeait pas. Ses yeux étaient rivés à cette fosse vide ; il était pâle comme le cadavre que nous venions

de voir... On l’eût dit pétrifié.(Extrait du chap. VI)

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« L’exhumation de Marguerite : mort, art et éternité »

Objectifs : Montrer le réalisme macabre de la description Comprendre la portée de cette scène

1. Une description méthodique et minutieuse

→ Repérez les différentes étapes de l’exhumation du corps. ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

→ Relevez l’isotopie du cadavre en décomposition.……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

→ Quel jeu de couleurs le narrateur met-il en place ?……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

2. La convocation des sens

→ Quels sont les sens (ouïe, vue, odorat, toucher, goût) convoqués dans cette scène ? Pourquoi le narrateur apporte-t-il ces précisions ?…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

3. Des effets stylistiques

→ Quels procédés stylistiques le narrateur utilise-t-il pour renforcer l’horreur du spectacle ?………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

4. La réaction des personnages… et du lecteur

→ Quelle est la réaction des différents personnages lors de l’exhumation ? …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

→ Quelle(s) réaction(s) cette scène suscite-t-elle chez le lecteur ?

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L’air de Violetta

Violetta[récitatif]È strano!... è strano!... in coreScolpiti ho quegli accenti!Sarìa per mia sventura un serio amore?Che risolvi, o turbata anima mia?Null'uomo ancora t'accendeva... O gioiaCh'io non conobbi, essere amata amando!...E sdegnarla poss'ioPer l'aride follie del viver mio?

[andantino]Ah, forse è lui che l'animaSolinga ne' tumultiGodea sovente pingereDe' suoi colori occulti!...Lui che modesto e vigileAll'egre soglie ascese,E nuova febbre accese,Destandomi all'amor !...A quell'amor, quell’amor ch'è palpitoDell'universo, dell’universo intero,Misterïoso,misterïo altero,Croce e delizia, delizia al cor.A me fanciulla, un candido etrepido desireQesti effigiò dolcissimo sinor dell'avvenire,Qando ne' cieli il raggio disua beltà vedea,E tutta me pascea di quel divino error.Sentìa che amore è palpitoDell'universo, dell’universo intero,Misterïoso, misterïo altero,Croce e delizia, delizia al cor!(resta concentrata ; scuotendosi)

[récitatif]Follie!... follie!... delirio vano è questo!...Povera donna, solaAbbandonata in questoPopoloso desertoChe appellano Parigi, Che spero or più ?... che far degg'io ?... Gioire !Di voluttà nei vortici, di voluttà perir !

[cabalette]Sempre libera degg'ioFolleggiar di gioia in gioia,Vo’ che scorra il vever mioPei sentieri del piacer.Nasca il giorno, o il giorno muoia,Sempre lieta ne’ ritrovi,A diletti sempre nuoviDee volare il mio pensier…

Violetta

Comme c’est étrange ! Etrange! Dans mon cœurSont gravés ces accents !Un amour vrai, pour moi, serait-il un malheur ?Que résous-tu, ô mon âme troublée ?Nul homme encore ne t’avait enflammée… ô joieQue je n’ai pas connue : être aimée en aimant !Pourrais-je donc lui préférer les stériles folies de ma vie ?

Ah, peut-être est-ce celui que mon âme,Solitaire au milieu des tumultes,Aimait souvent à peindreDe couleurs inconnues…Lui qui, modeste et vigilant,Gravit mon seuil de maladeEt m’enflamma d’une nouvelle fièvre,M’éveillant à l’amour !...A cet amour, cet amour qui est la vieDe l’univers, de l’univers entier,Mystérieux, mystérieux et altier,Croix, croix et délice, délice au cœur.Enfant, un frémissant et candide désirMe peignait ce très doux seigneur de l’avenir,Quand au ciel je voyais les rayons de sa beauté,Je me repaissais toute de cette erreur divine.Je sentais que l’amour, que l’amour est la vieDe l’univers, de l’univers entier,Mystérieux, mystérieux et altier,Croix, croix et délice au cœur !(Violetta demeure pensive, puis soudain)

Folies !... Folies !… ce n’est qu’un vain délire !...Pauvre femme, solitaire,Abandonnée au milieuDe ce désert peupléQu’on appelle Paris,Que puis-je donc espérer ?... Que faire ?... Jouir !Dans les tourbillons de la volupté, périr de volupté !

Toujours libre, il me fautPasser de jouissance en jouissance,Je veux que ma vie s’écoulePar les chemins du plaisir.Que le jour naisse ou bien qu’il meure,Toujours heureuse entourée d’amis,Ma pensée doit volerVers des joies toujours neuves…