s&a oct 2012 - prions et alzheimer

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CREDIT CNRS OCTOBRE 2012 - SCIENCES ET AVENIR 53 L’hypothèse inattendue d’une maladie à prion Le prion, entité terrifiante popularisée lors de la crise de la vache folle qui a sévi entre 1996 et 2002, n’avait plus fait parler de lui depuis une décennie. Cette particule pro- téique refait aujourd’hui surface à la fa- veur des dernières découvertes sur la ma- ladie d’Alzheimer. Car oui, les chercheurs fondamentaux en sont aujourd’hui prati- quement convaincus, cette pathologie, et sans doute beaucoup d’autres affections neurodégénératives, serait une maladie à prion. Les indices s’accumulent depuis 2008 et plusieurs travaux ont permis de re- mettre ce concept sur le devant de la Deux protéines, dotées de capacités infectieuses à l’instar du prion, seraient en cause. Peu à peu, elles contamineraient l’ensemble du cerveau. En haut : coupe d’un cerveau atteint de maladie neurodégénérative. Ci-dessus : fibres typiques du prion infectieux. scène. Le plus récent est d’ailleurs issu de « Monsieur Prion » en personne, l’Amé- ricain Stanley Prusiner – prix Nobel de médecine en 1997 pour avoir quinze ans plus tôt élaboré sa théorie. En juin, lui et son équipe de l’université de Californie (San Francisco) ont publié dans les PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences) un travail surprenant : l’injec- tion dans le cerveau de souris saines de protéines A-bêta, extraites du cerveau de souris malades, induit la propagation de la protéine pathologique dans tout l’encéphale. Or, on ne connaissait

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L’hypothèse inattendue d’une maladie à prion

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  • CREDIT

    CN

    RS

    OCTOBRE 2012 - SCIENCES ET AVENIR 53

    Lhypothse inattendue dune maladie prion

    Le prion, entit terrifiante popularise lors de la crise de la vache folle qui a svi entre 1996 et 2002, navait plus fait parler de lui depuis une dcennie. Cette particule pro-tique refait aujourdhui surface la fa-veur des dernires dcouvertes sur la ma-ladie dAlzheimer. Car oui, les chercheurs fondamentaux en sont aujourdhui prati-quement convaincus, cette pathologie, et sans doute beaucoup dautres affections neurodgnratives, serait une maladie prion. Les indices saccumulent depuis 2008 et plusieurs travaux ont permis de re-mettre ce concept sur le devant de la

    Deux protines, dotes de capacits infectieuses linstar du prion, seraient en cause. Peu peu, elles contamineraient lensemble du cerveau.

    En haut : coupe dun cerveau atteint de maladie neurodgnrative. Ci-dessus : fibres typiques du prion infectieux.

    scne. Le plus rcent est dailleurs issu de Monsieur Prion en personne, lAm-ricain Stanley Prusiner prix Nobel de mdecine en 1997 pour avoir quinze ans plus tt labor sa thorie. En juin, lui et son quipe de luniversit de Californie (San Francisco) ont publi dans les PNAS (Proceedings of the National Academy of Sciences) un travail surprenant : linjec-tion dans le cerveau de souris saines de protines A-bta, extraites du cerveau de souris malades, induit la propagation de la protine pathologique dans tout lencphale. Or, on ne connaissait

  • 54 SCIENCES ET AVENIR - OCTOBRE 2012

    DOSSIER Alzheimer, maladie infectieuse

    jusque-l quune autre protine, la PrPsc, implique dans la maladie de la vache folle (encphalopathie spongiforme bovine, en langage plus scientifique), do-te de capacits infectieuses et capable, elle aussi, de se propager comme le ferait un virus, une bactrie ou un parasite. Do lappellation de prion, acronyme de pro-teinaceous infectious only particle, cest--dire particule protique infectieuse.Quant lautre protine responsable de la maladie dAlzheimer, la protine tau (voir linfographie ci-dessus), elle adop-terait le mme comportement. En fvrier,

    une tude publie dans la revue PloS One montrait sa progression infectieuse dun neurone lautre chez des souris vieillis-santes souffrant dune forme dAlzheimer. Pour A-bta comme pour tau, le processus serait identique et caractristique des prions : le remplacement progressif dune protine naturelle par sa jumelle de forme anormale.Mais la dynamique de la propagation et ses mcanismes varieraient normment selon les maladies. Les premiers indices de limplication des prions dans les ma-ladies neurodgnratives sont venus de

    travaux raliss chez lhomme pour la maladie de Parkinson et publis dans Na-ture Medicine en mai 2008 , rappelle Ro-nald Melki, du Laboratoire denzymologie et de biochimie structurales (Lebs) au CNRS de Gif-sur-Yvette. Dans les annes 1990, certains patients bnficient en effet dune stratgie thrapeutique novatrice : la greffe de cellules ftales cense corri-ger leur dficit en dopamine. Cette ap-proche conduit la rmission de la mala-die chez certains dentre eux, mais les tudes en double aveugle ne concluent pas des amliorations cliniques pour la

    Neurone

    Cellule microgliale

    Synapse

    Axone

    Monomre

    Oligomre

    1

    2 3

    Formationdune plaque amylode

    Peptide A-bta 42toxique

    Plaqueamylode

    Deuxenzymesproduisentle peptideA-bta 42

    A-bta 42est expuls

    de lamembrane

    A-bta 42est limin

    par une cellulenettoyeuse

    Membrane

    Membrane

    Comment deux agents pathognes se Cerveau sain Les agents toxiques limins

    Stade 1 Formation de plaques amylodes

    Dans un cerveau sain, une protine de la membrane des neurones, coupe par des enzymes, produit un petit peptide lA-bta 40 (40 acides amins).

    Pour des raisons encore inconnues, dautres enzymes librent parfois un autre peptide, un peu plus long, le peptide A-bta 42 (42 acides amins).

    En temps normal, les cellules nettoyeuses liminent ce peptide A-bta 42.

    Problme : si le nettoyage nest pas efficace 100 %, les peptides A-bta 42 saccumulent. Ils sagrgent en oligomres solubles, qui eux-mmes sassocient en un noyau dur insoluble : la plaque amylode.

    En fixant des dchets, la plaque amylode devient plaque snile . Des troubles cognitifs lgers peuvent apparatre chez certains sujets, mais pas forcment chez tous.

  • OCTOBRE 2012 - SCIENCES ET AVENIR 55

    Axone

    AxoneDchets

    Plaque snile

    Microtubules

    Microtubules

    Protine tau hyperphos- phoryle (tau-P)

    Enchevtrementsneurofibrillaires

    Protine tau normale Tauopathie

    Neurone sain

    Neurone atteint

    propagent dans le cerveauStade 2 Dgnrescence des neurones

    Stade 3 Extension jusquau cortex

    Quand les peptides A-bta 42 sattaquent la phosphoprotine tau (tubule associated unit), la maladie dAlzheimer se dclare. Tau, qui maintient les microtubules la faon dun lastique autour dune tresse lintrieur des axones des neurones sains, fixe trop de phosphates.

    Devenue tau-P, elle a moins daffinit pour les microtubules, qui se dsagrgent. Laxone se dstructure, des enchevtrements neurofibrillaires apparaissent : le neurone meurt. Les symptmes de dmence dAlzheimer augmentent en mme temps que la tauopathie progresse.

    Probablement par un mcanisme de type prion, les plaques sniles et la tauopathie se propagent de neurone en neurone et envahissent le cerveau.

    La contagion dbute toujours dans les zones impliques dans la mmoire (hippocampe), puis gagne les autres structures et enfin le cortex. Peu peu, la neurodgnrescence gagne tout le cerveau.

    majorit des patients. Le traitement est ar-rt. A la mort de quelques malades, une quinzaine dannes plus tard, les cher-cheurs dcident danalyser leur cerveau.Ils constatent alors que les greffons ont t envahis par des agrgats protiques de corps de Lewy, caractristiques de la ma-ladie de Parkinson. Tout sest pass comme si ceux-ci taient infectieux , poursuit le chercheur.A la suite de cette observation rvolution-naire publie en 2008, la piste des prions est relance pour dautres maladies neuro-dgnratives. Le groupe de Ronald Melki

    se concentre sur la maladie de Huntington, terrible affection gntique hrditaire survenant en moyenne vers lge de 40 ans et due une mutation dans une protine, la huntingtine. En 2009, il dmontre que la forme normale de cette protine sagrge lors de lexposition des agrgats de la forme pathologique. Les maladies dAlzheimer, de Parkinson et de Huntington ne seraient-elles que les arbres qui cachent la fort de toutes les maladies neurologiques impliquant des prions ? Stanley Prusiner voque ainsi les dmences fronto-temporales, la sclrose

    latrale amyotrophique (ou maladie de Charcot), dont souffre lastrophysicien Stephen Hawking, ou bien encore les syn-dromes de stress post-traumatique dve-lopps chez certains soldats de retour dIrak ou dAfghanistan, qui seraient dus lagrgation de prions tau dans certaines rgions du cerveau. Pour toutes ces ma-ladies, le processus serait identique, g-nralise Ronald Melki. Dans les condi-tions normales, tout se passe bien, et lorganisme parvient parfaitement li-miner les agrgats protiques qui se for-ment naturellement de temps en

    SYLVIE

    DESSER

    T P

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  • 56 SCIENCES ET AVENIR - OCTOBRE 2012

    DOSSIER Alzheimer, maladie infectieuse

    Trois candidats-mdicaments dimmunothrapie passive

    taient en lice cet t, dont deux en phase finale des-

    sai clinique (phase III) tests sur plus de 6000 malades au total, soit une marche de demander une autori-sation de mise sur le march. Une marche de

    taille cependant, qui a fait chuter jusquici tous

    les autres mdicaments. Labandon dun de ces deux fi-

    nalistes, le bapineuzumab (des labo-ratoires Pfizer et Janssen Alzheimer Immunotherapy, filiale de Johnson & Johnson) a t annonc le 7 aot. Le traitement na en effet pas apport damlioration cognitive significative chez les personnes traites. Ce pre-mier chec ninvalide pas pour autant la piste, qui reste prometteuse. Ce sont les rsultats de son concurrent, le solanezumab, des laboratoires Eli Lilly, que lon attend en octobre. Pour rappel, un anticorps est une molcule qui dtecte une cible dans lorganisme, sy fixe, puis attire les cellules nettoyeuses (macrophages) pour quelles la dtruisent. En immu-nothrapie passive, les anticorps

    Chercheurs, mdecins, patients et familles de malades retien-nent leur souffle. En oc-tobre, on devrait savoir si un nouveau type de th-rapie anti-Alzheimer est ef f icace chez lhomme. Il sagit de limmunothrapie pas-sive, cest--dire linjec-tion danticorps au ma-lade pour stimuler son systme immunitaire et combattre la maladie, du moins freiner sa progression. Si les rsultats sont spectacu-laires, cela changera la face du monde, affirme Bruno Dubois, di-recteur de lInstitut de la mmoire et de la maladie dAlzheimer, lhpital de la Piti-Salptrire, Paris. Ce serait lquivalent de la dcouverte des trithrapies pour le traitement du sida. Selon le neurologue, si un traite-ment tait disponible, on pourrait enfin envisager de proposer aux pa-tients un diagnostic prcoce, des annes avant que les premiers symptmes napparaissent. En labsence de thrapie, il nest pour le moment pas thique dassner une telle annonce.

    temps. Mais il suffit dun stress ou dun vnement trauma-tique pour dsorganiser la machi-nerie cellulaire. Elle ne parvient alors plus liminer efficacement ces dchets protiques, et leur accu-mulation au fil du temps provoque les symptmes dune maladie neu-rodgnrative. Cest la raison pour laquelle la majorit de ces pathologies, en dehors des cas hr-ditaires et favoriss par une muta-tion dorigine familiale, mettent de longues annes sinstaller. Leur progression sacclre avec le vieillissement de lorganisme. Cest particulirement flagrant dans le cas de la maladie dAlzheimer.Concrtement, limplication des prions a des consquences normes. Dun point de vue prventif comme thrapeutique, cest toute une conception de la maladie dAlzhei-mer et des autres affections neuro-dgnratives qui est revoir. Cela risque de poser de srieuses diffi-cults de sant publique, salarme Ronald Melki. La propagation dun individu un autre nest pas d-montre et est probablement trs rare. Mais des centaines dactes chirurgicaux sont raliss tous les jours sur le systme nerveux cen-tral. Combien ont favoris la trans-mission de prions, et quelle quan-tit circule dans les diffrents tissus de nos organismes ? Nous lignorons. Et cette ignorance risque de perdu-rer. Car nos connaissances ne sont pas la hauteur des prions. Pratique-ment indestructibles et quasi indce-lables avant quils ne sagrgent en plaques sniles (do la difficult dintervenir trs prcocement), ils ncessitent des appareillages extr-mement sophistiqus par exemple, des microscopes lectroniques et des spectromtres de masse. Des ap-pareils trs coteux qui ne peuvent tre employs autre chose et doi-vent donc leur tre ddis, en raison du risque infectieux que ces parti-cules reprsentent. Et, par voie de consquence, des appareils qui doi-vent tre dtruits une fois leur dure de vie atteinte. Bref, un vritable casse-tte pour leur surveillance et leur dtection.Aprs la crise de la vache folle, on croyait en avoir fini avec les prions pathologiques. Les chercheurs sont en train de sapercevoir que cest loin dtre le cas Herv Ratel

    Les pistes les plus prometteuses

    Deux essais cliniques en cours, un vaccin thrapeutique sans ractions nfastes lessai, des tudes sur le changement de style de vie Les chercheurs sefforcent de ralentir lvolution de la maladie.

    1 Des anticorps pour stimuler le systme immunitaire

    Les anticorps monoclonaux, qui attaquent les cellules cancreuses (ici, vue dartiste), pourraient aussi fournir des mdicaments contre Alzheimer.

    SP

    L C

    OSM

    OS