revue l'autre 2011 vol. 12 n°3

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Extrait de la revue L'autre 2011 Vol. 12 n°3 Dossier : Parentalités

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Cliniques, Cultures et soCiétés

Revue tRanscultuRelle2011, Vol. 12, N°3

ÉditorialLes enfants de migrants à l’école : une chance!Marie Rose MORO, Claire MESTRE

EntretienIntroduire l’histoire dans la psychanalyseEntretien avec Alice CHERKIPar Claire MESTRE et Malika MANSOURI

Dossier ParentalitésDossier coordonné par Claire MESTRE

Apaiser les enfants.Une fonction parentale singulière et universelleJonathan AHOVI, Marie Rose MORO

Le fosterage : entre enjeux psychologiques et culturelsPaola PORCELLI

« Des gamètes de couleur » : phénotype, race ou ethnie?Corinne FORTIER

Tous parents, tous différents.Parentalités dans un monde en mouvementSaskia VON OVERBECK OTTINO

Articles originauxKarim et son premier « fix » : un adolescenten mal d’appartenanceDanièle PIERRE

Traumatisme psychique chez des femmes en exil :un dispositif de soin groupalClaudia DERDERIAN MAEDER, Betty GOGUIKIAN RATCLIFF

RecherchesÉthique et Narrativité dans les Addictions (EthNaA)Myriam LARGUECHE, Raphaël JEANNIN, Aymeric REYRE

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Directeur de la publication : Allan GEOFFROYDirectrice scientifique : Marie Rose MORORédacteurs en Chef : Thierry BAUBET, Taïeb FERRADJI,François GIRAUD, Claire MESTREComité de rédaction : Tahar ABBAL, Hélène ASENSI, JulieAZOULAY, Malika BENNABI, Stéphane BOUSSAT, DanielDERIVOIS, Najib DJAZIRI, Elisabeth DO, Patrick FERMI,Taïeb FERRADJI, Michèle FIÉLOUX, Marion GÉRY, MyriamHARLEAUX, Felicia HEIDENREICH, Raphaël JEANNIN,Lucette LABACHE, Christian LACHAL, MyriamLARGUECHE, Jacques LOMBARD, Jean-BaptisteLOUBEYRE, Héloïse MARICHEZ, Yoram MOUCHENIK,Lisa OUSS-RYNGAERT, Danièle PIERRE, Benoit QUIROT,Alejandro ROJAS-URREGO, Dominique ROLLAND, Jeanne-Flore ROUCHON, Sophia SELOD, Leticia SOLIS, OlivierTAIEB, Saskia von OVERBECK OTTINOComité scientifique : Jean-François ALLILAIRE, Thérèse AGOS-SOU, Marc AUGÉ, Lionel BAILLY, Armando BARRIGUETE,Patrick BAUDRY, Esther BENBASSA, Alban BENSA, AlainBENTOLILA, Gilles BIBEAU, Alain BLANCHET, DorisBONNET, Michel BOTBOL, Abdelwahab BOUHDIBA, MichelBOUSSAT, Salvador CELIA, René COLLIGNON, EllenCORIN, Boris CYRULNIK, Alberto EIGUER, MarcelleGEBER, Maurice GODELIER, Bernard GOLSE, Antoine GUE-DENEY, Momar GUEYE, Françoise HÉRITIER, BabaKOUMARÉ, Suzanne LALLEMAND, Jon LANGE, FrançoisLAPLANTINE, Serge LEBOVICI, Michel LEMAY, MarshaLEVY WARREN, Jean MALAURIE, Martin Jesus MALDON-ADO-DURÁN, Jacqueline RABAIN-JAMIN, Jean-Jacques RAS-SIAL, Cécile ROUSSEAU, Carolyn SARGENT, JérômeVALLUY, Andras ZEMPLÉNIComité de lecture : il figure en fin de numéro.Traducteurs : Wilmer HERNANDEZ-ARIZA, Gema ZURITA-GOMEZ, Marie MORO (espagnol), Anne-Charlotte CHAPUT,Felicia HEIDENREICH (anglais), François GIRAUD (anglais, es-pagnol)Secrétaire de rédaction : Thierry BAUBETCommunication : Héloïse MARICHEZRevue L’autre, Service de Psychopathologie, Hôpital Avicenne, 125 rue de Stalingrad, F93009 Bobigny cedex.Tél. : (33) 01 48 95 54 71/75, Fax : (33) 01 48 95 59 70E-mail : [email protected] de rédaction : Stéphanie BRUNEAU, Sophie WERYIllustration de couverture créée par Anna et Elena BalbussoMise en pages : Jean CORRÉARDIndexation : Les articles publiés dans L'autre sont indexés dans lesbases suivantes :Anthropological Index Online (Royal Anthropological Institute,British Museum, Royaume-Uni) ; Base SantéPsy (Réseau as-codocpsy, France) ; Bibliothèque Sigmund Freud (Société Psychan-alytique de Paris, France) ; FRANCIS (INIST/CNRS, France) ;IBSS : International Bibliography of Social Sciences (The LondonSchool of Economics and Political Science, Royaume-Uni) ; PAS-CAL (INIST/CNRS, France).Abonnements : vous trouverez le bulletin d’abonnement à la fin dece numéroÉditeur : LA PENSÉE SAUVAGE,BP 141, 12 Place Notre Dame, F-38002 Grenoble cedex.Tél. (33) 04 76 42 09 37 - Fax : (33) 04 76 42 09 32E-mail : [email protected]

Revue publiée avec le concours de la région Rhône-Alpes.Numéro publié avec le soutien du l’ACSÉ et de l’AIEP.© 2011, Eds La pensée sauvage. Tous droits réservésISSN 1626-5378 - ISBN 978 2 85919 277 8

Illustration de couverture créée par Anna et Elena Balbusso

DÉBATDu paradoxe de Jules Ferryaux « héritiers » des coloniesMalika MANSOURI, Marie Rose MORO

ACTUALITÉPour une politique de santé mentalepour les demandeurs d’asile et exilésJacky ROPTIN

VOYAGES DES CRÉATEURSCorps, esprits, mots en dérive :réalisme et modernité dans l’œuvrede Gisèle PineauLaurette CÉLESTINE

REVUE DE PRESSEFrançois GIRAUD

LIVRES

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Il nous faut réagir face aux at-taques virulentes d’un ministrede la République qui disait ré-

cemment que les enfants de mi-grants constituaient la majorité desenfants en échec scolaire dans notreécole française, laïque et républi-caine et cela pour le leur reprocheret les désigner comme des boucsémissaires.Le procédé est bien connu, il n’enreste pas moins révoltant. On dési-gne un coupable, facile, vulnérableet on construit une fausse évidencequ’ensuite on déclare avoir été dé-montrée par les statistiques ou leterrain. La violence des enfants se-rait liée à la polygamie, faux. Lesjeunes filles de familles musulma-nes sont obligées de se voiler, faux.La Burqa est un problème de sécu-rité en France, faux. Et tant d’autresallégations mensongères à l’appuidesquelles on trouvera toujours

quelqu’un qui trans-formera un fait di-vers ou un cas parti-culier en règle gé-

nérale. On a donc entendu ces der-niers jours que la grande majoritédes échecs scolaires en France étaitcelle des enfants de migrants sansqu’il ne soit fait mention des tra-vaux qui existent sur ce sujet. Si onles lit, on apprend plusieurs chosesimportantes qui permettent decomprendre et d’agir, et ce depuislongtemps déjà. Nombre de tra-vaux français et européens ont étémenés : statistiques, sociologiques,psychologiques, linguistiques ouethnopsychiatriques. Pour ma part(Marie Rose Moro), les premierstravaux que j’ai faits sur ce sujet da-tent de 1994 (Parents en exil), puis

de 2000 (Psychothérapie transcul-turelle des enfants de migrants) ouencore de 2010 (Nos enfants de-main). Si on croise les travaux sta-tistiques et les travaux qualitatifscomme les nôtres, on voit que,comme tous les enfants de classessociales défavorisées, les enfants demigrants de même niveau socialsont massivement et tragiquementen échec, et que rien ne bouge de-puis ces dernières années. On voitaussi qu’en plus de la part liée à laclasse sociale, ils sont mis en situa-tion de vulnérabilité du fait de leurappartenance à une minorité cultu-relle non reconnue comme telle etnon valorisée. L’on ne prend pas encompte le fait que le français est leurlangue seconde et qu’ils doiventpasser d’un univers culturel (celuide la maison) à un autre (celui del’école), avec des habitudes et desreprésentations du savoir différen-tes, ce qui génère des difficultés(Chomentowski 2009). Enfin, ilssubissent des discriminations liéesà leurs appartenances sociales etculturelles qui font qu’on projettesur eux - et tout particulièrementsur les garçons - des représenta-tions négatives et stigmatisantes.Malgré un désir important queleurs enfants réussissent bien à l’é-cole française, ceci est retrouvé danstoutes les études, les parents sonttrès peu associés au projet scolairede leurs enfants car l’école ne s’a-dapte pas à eux et ne crée pas lesconditions pour leurs implications(langue des parents, informationsadaptées dans la langue maternellesi besoin…). Par ailleurs, les en-fants de migrants sont plus facile-ment que les autres mis dans des

Les enfants de migrantsà l’école : une chance !

Le français estleur langue seconde

Marie Rose MoRoClaire MestRe

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classes en marge du système géné-ral ou dans des cycles courts. Unerecommandation européenne quiest parue en 2008 sur l’éducationdes enfants de migrants en Europe,basée sur une méta-analyse de tou-tes les études européennes disponi-bles sur le sujet, préconisait desmesures concrètes pour inversercette vulnérabilité des enfants demigrants et faire en sorte que cesenfants réussissent bien à l’école etsoient une chance pour la sociétéqu’ils sont en train de construire etdont ils seront membres. Cette re-commandation rejoint ce que nousavons nous-mêmes mis en évidenceet démontré depuis 1994. L’école

doit reconnaître la diversitéculturelle et sociale en sonsein : équipe enseignante,adultes encadrants, présenceconcrète des parents de tou-tes cultures et langues, pré-sence dans les programmesgénéraux de thèmes qui re-

connaissent la diversité culturelle(histoire ou géographie des autrespays que les nôtres et, en particu-lier, ceux des enfants de migrants,introduction à la linguistique…).En second lieu, cette circulaire re-commande de reconnaître le faitque la langue de l’école peut être lalangue seconde des enfants et, parconséquent, de s’adapter à cela pardes classes de petite taille au débutde la scolarité pour permettre auxenfants de faire le passage d’unelangue à l’autre en s’appuyant surleur langue maternelle, dont l’ap-prentissage est recommandé forte-ment. On parle d’autant mieux etavec plaisir la langue seconde que salangue première est acquise aveccertitude et dignité. Rien de plusdélabrant pour les enfants et leursapprentissages que d’intérioriser lefait que cette langue seconde seraitmauvaise et inutile. C’est pourtantce qui est véhiculé actuellement par

le discours ambiant qui dévalorisecette diversité linguistique et cultu-relle et en fait un problème majeurde notre société européenne. Uneétude de 1994, que nous avionsfaite sur les enfants de migrants quiréussissent mieux à l’école que leurscamarades nés de parents eux-mêmes nés ici, avait montré que cesenfants remarquables présentaientdeux caractéristiques : c’étaient ma-joritairement des enfants bilinguesou lorsqu’ils ne l’étaient pas, ilsavaient une représentation positivede leur langue maternelle et de laculture de leurs parents et, secondecaractéristique, ils avaient tousdans leur parcours un passeur,c’est-à-dire une personne qui leurdonnait envie de s’inscrire dans cemonde français et qui ne dénigraitpas celui de leurs parents. Ce pas-seur pouvait être un enseignant, unanimateur, un travailleur social ouun membre de la communauté bieninscrit dans ce monde français.Leur donner envie d’appartenir à cemonde choisi par leurs parents etreconnaître leur diversité, tellessemblent être les clés de la réussitede ces enfants de migrants. Ainsi,on sait ce que l’on doit faire pourque ces enfants qui ont envie d’ap-prendre puissent le faire pour leurplaisir et le nôtre. On ne pourra pasdire que l’on ne savait pas !

Nous avons vu un slogan affichésur un réverbère parisien, nous lefaisons volontiers nôtre : D’ailleurs,nous sommes d’ici.

Paris, 2 juin 2011.

on parle d’autant mieuxet avec plaisir la langueseconde que sa languepremière est acquise

avec certitude et dignité

Bibliographie

Chomentowski M. L'échec scolaire desenfants de migrants. L'illusion de l'égalité.Paris : L’Harmattan ; 2009.

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Claire Mestre et Malika Man-souri (L’autre) : Merci, Ma-dame Cherki, d’accepter derépondre à quelques questionspour la revue L’autre. Nousavons beaucoup de questionspour la grande dame de la psy-chanalyse que vous êtes.Vous êtes née en Algérie, je croisque cela est un point important.Comment viviez-vous en Algé-rie ? Et quels souvenirs impor-tants en gardez-vous ?Alice Cherki (AC) : Oui, je nel’ai jamais caché. J’y suis née etj’y ai grandi, de parents quiétaient en Algérie depuis la nuitdes temps si on peut dire, mesdeux parents étaient issus de fa-milles juives d’Algérie, et on neconnaissait pas d’autre «  ori-

gine  ». Je suis partie d’Algérieune première fois au moment dela guerre d’indépendance parceque, comme je le dis souvent, jen’avais aucune envie d’aller enprison. Donc j’ai quitté l’Algérieclandestinement en 1956, et j’ysuis revenue, après un long par-cours, en 1962, au moment dece qu’on a appelé les accords duRocher Noir, en pleine efferves-cence du déclenchement del’OAS, plus précisément, d’ungrand bouleversement de l’OASavec les Algériens de ladeuxième zone autonome quiont essayé de résister. Ça a étéune époque assez apocalyptique.Puis je suis revenue en France en1964 pour faire une psychana-lyse. J’avais donné sept ans de

ma vie à cette guerre de libéra-tion et il fallait que je poursuivemon parcours.Mais le plus intéressant, ce sontles souvenirs que j’ai gardés del’Algérie, des souvenirs de petiteenfance qui ont été curieuse-ment, j’en ai pris conscienceaprès, très marqués par les loisde Vichy. J’ai constaté, à magrande surprise, quand je suisarrivée en France en 1964, quel’application des lois de Vichy enAlgérie n’était pas très connue.L’Américain Paxton en a parlépour la première fois avant queles Français s’en émeuvent, danstous les milieux, même les mi-lieux les plus initiés. On disaitalors qu’il ne s’était rien passépour les Juifs d’Afrique du

Alice Cherki est psychiatre et psychanalyste. Née à Alger en 1936, elle a participé activement à la lutte pourla décolonisation. Au plus près d’un trajet singulier, elle montre une passion pour la psychanalyse confron-tée à l’« actuel », mettant en exergue une clinique du transfert à travers la psychanalyse en prise avec l’His-

toire. Elle a débuté sa carrière dans des services de prévention et en particulier à la sauvegarde de l’enfance et del’adolescence des Yvelines. Elle reste très attachée à son expérience dans le 18e arrondissement de Paris où la miseen place de classes transitoires pour des enfants de parents migrants lui a permis de faire la part entre des troublesd’ordre réactionnel et des signes pathologiques plus inquiétants chez les jeunes enfants. Dans son ouvrage té-moignage intitulé Frantz Fanon, portrait (Le Seuil, 2000), traduit en plusieurs langues, Alice Cherki contribueà faire redécouvrir l’action et l’œuvre d’un psychiatre au parcours singulier ayant analysé les conséquences psycho-logiques de la colonisation sur le colon et sur le colonisé. En 2007, dans La Frontière invisible, violences de l’im-migration (Editions Elema), qui a obtenu le prix Œdipe, elle poursuit une réflexion qui l’a toujours accompagnée.Nourrie de sa pratique psychanalytique et de son expérience politique, elle nous éclaire sur les enjeux psychiquesdes silences de l'Histoire dont sont porteurs ceux qu’elle nomme les « enfants de l'actuel ». Elle nous permet d’ap-préhender l'après-coup traumatique des massacres et des génocides qui ont marqué le 20e siècle, en questionnantplus particulièrement le vécu des descendants des guerres et des violences coloniales, supportant des défaillancesde représentations historiques et familiales. Au plus près d’une écoute singulière, l'exclusion, la destruction del'autre, le déni de l'altérité et ses conséquences d'errance psychique, avec ce que cela peut transporter de honte etde violence, sont au cœur de son travail.

Introduire l’histoiredans la psychanalyseentretien avec Alice CherkiPar Claire Mestre et Malika Mansouri

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Nord. J’ai un souvenir très trau-matisant que j’ai d’ailleurs écritdans un livre avec Leila Sebbar1,dans «  Comment c’était votreenfance en Algérie ». Je me sou-viens de la façon dont j’ai étérenvoyée de l’école. Je devaisavoir environ trois ans, et une in-stitutrice m’a dit : « Tu diras à tamère qu’à la rentrée de décem-bre tu ne reviens pas en classe ».J’étais très intimidée, j’ai rassem-blé mon courage, je m’en sou-viens encore physiquement, matête tournait et je lui ai dit :«  Pourquoi madame ?  ». Oserune question à une institu-trice… Elle me répond : « C’estparce que tu es juive ». Je ne sa-vais pas ce que ça voulait dire.J’allais chez mon grand-père cer-tains soirs de fête, mais…qu’est-ce que ça voulait dire ? Etje lui ai dit : «  C’est quoi, ma-dame, être juive ? ». Elle m’a ré-pondu par unedésignation bio-logique : «  C’estcomme toi, avoirdes grands yeux,une grande bouche, des grandesoreilles ». C’est un souvenir quia marqué ma grande sensibilitéà l’injustice de la société colo-niale dans laquelle on vivait.L’autre : Ce sont des souvenirsd’exclusion… Effectivement, lesJuifs devenus français se sont vuperdre la nationalité pour être denouveau qualifiés d’«  indigè-nes » durant la Seconde Guerremondiale. Comment cela a-t-ilété vécu par votre famille et parvous-même ?AC : Vous avez une premièrepartie de la réponse, la deu-xième, je pourrais vous direaussi autre chose… J’ai écrit dessouvenirs plus drôles ! À l’écolejuive, j’ai appris les fables de LaFontaine et la grammaire fran-

çaise et quand je suis rentrée àl’école, c’était pour le coursmoyen deuxième année, j’avaisdeux ans d’avance, j’avais trèsbien travaillé à l’école juive.Mon père a été très marqué luiaussi parce qu’il n’avait plus le

droit d’exercer sonmétier qui était im-portateur-exporta-teur de légumessecs, de len til les,

pois chiches, caroubes, enfintoutes les odeurs de l’Algérie.Pour réintroduire un peu d’his-toire, il faut dire que malgré latentative de dresser les musul-mans arabes et kabyles contreles Juifs en leur faisant miroiterla possibilité de prendre les pe-tits commerces, les administra-tions, etc. tenus par les Juifs, çan’a pas marché dans l’ensemblede la population ; il n’y a eu vrai-ment qu’une petite poignée degens qui se sont engagés d’unefaçon pro-vichyste, pro-alle-mande. Il y a eu une certaine so-lidarité.Un ami de mon père, qui faisaitle même métier, lui a dit : « Net’en fais pas, on va faire sem-blant… faire comme si j’avais

accepté, mais tu continueras àtravailler ». Mais j’ai un souve-nir de mon père, rentrant unsoir… Son plus jeune frère etun de mes cousins étaient pri-sonniers des Allemands ; j’étaisamoureuse de ces deux jeuneshommes quand j’étais petiteparce qu’ils étaient superbes.Dans le même temps, on étaittous renvoyés de l’école, monpère n’avait plus de travail etles autres étaient prisonniersdes Allemands. Et j’ai vu monpère, qui était pourtant unhomme réservé, s’asseoir surson lit (nous, les enfants, regar-dions à travers la porte et n’o-sions pas trop nousapprocher), déchirer sa chemiseen pleurant…L’autre: Un souvenir freudien…AC : Oui, c’est très bien de faireavec ces souvenirs-là, parce quecela veut dire qu’on élaborequelque chose du traumatisme,et qu’on peut en parler et en rireéventuellement un petit peu…Bon ça suffit pour l’histoirejuive !

C’est quoi madame,

être juive ?

1 Sebbar L. C’était leur France, En Algérie,avant l’indépendance. Paris : Gallimard ;2007.

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IEN L’autre : Encore une question

sur le statut d’indigène…AC : J’ai un autre souvenir que jepeux vous raconter. Dans les an-nées 1980, j’étais alors enFrance depuis très longtemps,j’ai un jour demandé à ma mère :« Je n’ai aucun souvenir de la cir-concision d’un de mes frères quiest plus jeune que moi de cinqans, comment ça se fait ? Je mesouviens des fêtes de mon frèreaîné, quand il a fait sa Bar-mitsva, c’était une grande fête ».Elle me répondit : « Quand tonjeune frère est né, on venait denous annoncer qu’on était dé-chus de la nationalité françaiseet le jour où on aurait dû faire sacirconcision on a été à la mairiepour qu’on nous marque sur lescartes d’identité française “juifindigène” ». C’était écrit en tou-tes lettres comme ça. Ça répondà votre question de la déchéancede la nationalité et c’est vrai qu’ila fallu beaucoup de temps pourque les Juifs d’Algérie quiavaient la nationalité françaisedepuis le décret Crémieux puis-sent la récupérer. Le général Gi-raud n’était pas d’accord, doncça a mis du temps.L’autre : Comment comprenez-vous la décision des Juifs algé-riens de partir en Francemétropolitaine au même titreque les colons et leurs descen-dants au moment de l’indépen-dance en 1962 ?AC : Je ne suis pas du tout histo-rienne… et chaque histoire estsingulière. Je pourrais vous direque si mon père avait pu rester,il serait resté. S’il n’est pas restéen 1964, c’est parce qu’on lui afait entendre qu’il n’avait plus saplace. Mais c’était après l’indé-pendance. Très nettement,d’ailleurs il n’a plus jamais vouluremettre les pieds en Algérie.

Mais c’est une histoire singu-lière. Quant à l’histoire collec-tive, on peut dire que beaucoupde Juifs sont partis parce qu’ilssont partis en même temps queles autres. Dans une paniquenoire, ils ont suivi. Il y avait despetites gens, des plus grandesgens, des moyennes gens, unéventail considérable. Et puis ily a eu vraiment une très trèsgrande violence, les dernièresannées de guerre, je dis toujours

que la guerre aurait dû s’arrêteren 1956. Au moment où c’étaitpossible, après ça a été des mas-sacres réciproques. Les chosesdeviennent irréductibles quandles fossés se creusent. Maisj’espère que les historiens pour-ront reprendre ce moment avectous les témoignages qu’on leurfournit maintenant. Et des ac-cords d’Évian jusqu’en juil-let 1962, ça a été terrifiant cequi s’est passé en Algérie, terri-fiant…De façon générale, tous les Juifs,qu’ils soient fonctionnaires,postiers, artisans, etc., se sontsentis incertains sur leur avenir.Ils sont partis en masse, commeles Français. Il faut dire quandmême que dans la populationjuive, il y en a beaucoup qui, pro-portionnellement plus que dansla population chrétienne, ont étéplus engagés pour l’indépen-dance ; c’était une minorité, maisils étaient proportionnellementplus nombreux que les Euro-péens de petite bourgeoisie. Lasituation coloniale était unestructure qui allait de soi. Vousavez maintenant encore des en-fants, qui ont maintenant un

certain âge, dont les parentsétaient « pieds-noirs » 2, et quiracontent qu’en Algérie toutétait très bien, qu’on vivait bien,qu’il n’y avait pas de problème.Une dame me disait : « Mais mamère est une très vieille dame etelle n’en démord pas, elle n’arien vu, rien entendu, ni de la si-tuation coloniale, ni de la guerred’indépendance ». C’est très fré-quent cette négation de la situa-tion coloniale, c’est un fait destructure, ça allait de soi.L’autre : Oui, ça me fait penser,par association d’idées, auxécrits de Germaine Tillion quin’a pas reconnu le fait colonialcomme structure d’oppression,c’est un reproche qu’on lui a fait.Elle trouvait que le colonialismeétait un « vieux croquemitaine »,mais sans en percevoir la réalitéoppressante et négatrice de la li-berté de l’autre. Donc en effet, cequi montre bien que c’était unfait de structure admis et qui pé-nétrait les consciences de façonprofonde.AC : De façon très profonde,sans compter que GermaineTillion a quand même essayé dedire des choses… Mais elle étaittrès proche des populations ber-bères avec lesquelles elle tra-vaillait, et elle avait un rapportd’intimité, de complicité aveceux, elle n’a pas vécu réellementdans la société coloniale.L’autre : Il faut avoir été dumauvais côté de la colonisationpour se rendre compte à quelpoint ça a été un phénomèned’oppression institué.

La situation colonialeétait une structure

qui allait de soi

2 Je dis « pieds-noirs » par commodité delangage. Mais j’insiste depuis toujours, ycompris auprès des historiens, sur le faitque cette appellation n’est venue qu’a-près-coup, pour désigner les « rapatriés »d’Algérie. Elle n’existait pas en Algérie jus-qu’à l’Indépendance.

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AC : Tout à fait, du mauvais côté,ou atteint d’une façon ou d’uneautre. Quand on est sur le bord,on peut mieux entendre. Maisles gens ne se rendaient pascompte. Par exemple, et ce n’é-tait un scandale pour personne,je vais encore parler de l’antisé-mitisme : mais, quand j’étais aulycée, on faisait un journal avecdes copines, je n’ai jamais pufranchir lap o r t ed’une mai-son de mesamies ca-tholiques. Plus tard, j’ai eu descopains chrétiens progressistes.Et personne ne s’étonnait dufait, que ce soit les directrices ouautre, qu’il n’y ait jamais qu’uneou deux filles d’origine musul-mane dans les classes.L’autre : C’était une évidence…AC : C’était une évidence ! Et lesdockers sur les quais dans leport d’Alger, les gens se par-laient entre eux et disaient :« Oh, il n’y avait personne surles quais ce matin ». Or, il y avaitdes dockers indigènes et ilsétaient très nombreux !L’autre : Nous voudrions parlerde votre engagement personnelet de votre rencontre avec FrantzFanon, vous qui êtes une pas-seuse de ses idées. Comments’est passé ce moment-là ?AC : Les deux sont associés, c’é-tait dans cette période des an-nées 1953-1954. J’ai rencontréFrantz Fanon3, à l’AJASS (As-sociation de la Jeunesse Algé-rienne pour l’Action Sociale),qui regroupait des jeunes demon âge, plus âgés également,j’étais une des plus jeunes (oui,nous voulions parler au nom dela jeunesse algérienne) : il y avaittout un mouvement issu duscoutisme musulman qui était

très en pointe, des chrétiensprogressistes. On était là dansune expectative sur l’avenir, onvoulait que ça change en Algé-rie. Je crois que c’est Chaulet quia invité Fanon, qui venait d’arri-ver à l’hôpital psychiatrique deBlida, fraîchement débarqué demétropole comme on disait. Il afait une brillante conférence surl’angoisse et sur la peur.

Pour les jeunesque nous étions, sipleins de question-nements, maisavec très peu de ré-

ponses, c’était une ouvertureconsidérable qui liait le singu-lier et le politique : il y avaitceux qui étaient du côté dumarxisme pur et dur : « Quandla révolution de l’inégalité so-ciale arrivera tous les autresproblèmes seront résolus » ;quelques-uns étaient vague-ment phénoménologues…,bien sûr on lisait, mais Fanonouvrait un champ, un mondepour beaucoup d’entre nous,pour moi notamment qui savaisque je voulais faire psychiatrie,j’étais externe, et c’est commeça que la rencontre s’est faite.On m’a présenté à Fanon à lasortie de cette conférence etl’année d’après, il m’a proposéde venir comme interne à Blida.Tout est toujours intriqué : laréflexion politique, l’engage-ment, la rencontre, la psychia-trie. Voilà. Par rapport à l’écoled’Alger, il avait une conceptionde la psychiatrie qui était radi-calement différente… mais quecertains d’entre nous cher-chions, parce que nous étionsaffligés de ce qu’on nous ensei-gnait à la fac en psychiatrie ouen neurologie.L’autre : Comment pourrait-onparler de Fanon ? Quel genre d’-

homme c’était ? En tant que chefde service déjà puisque vousétiez son interne, en tant quethéoricien ?AC : Il avait déjà écrit Peau noire,masques blancs4 et Le Syn-drome nord africain5… dont ilne faisait jamais état ! Ce n’estque par des gens de France quenous avons su ce qu’il avait écrit.Il n’en parlait jamais. En tous lescas avec ses internes. MêmePierre et Claudine Chaulet ontappris par d’autres personnes deFrance que ce psychiatre avaitdéjà écrit Peau noire et masquesblancs. C’était quelqu’un quivoulait tout changer.

Il y avait de quoi dans la psychia-trie des années 1954-1955.C’était comme en France, enpire : des grands asiles, des infir-miers pas du tout formés, et puisla ségrégation, pavillons d’hom-mes musulmans, pavillons defemmes musulmanes, pavillonsd’hommes européens d’Algérie,pavillons de femmes européen-nes d’Algérie. Tout était vrai-ment très compartimenté.D’autres médecins se méfiaientde lui. Ils disaient : « Maisqu’est-ce que c’est que ce nègrequi vient nous embêter, c’estcomme ça en Algérie depuistoujours, on ne peut rien faireavec les indigènes ». Fanon étaittoujours très bien habillé, même

Fanon ouvrait unchamp, un monde pourbeaucoup d’entre nous

J’avais commencépar faire philo avantmédecine parce qu’il

fallait que je connaissel’homme, l’humain

3 Voir la préface de Frantz Fanon, portrait.Paris : Le Seuil ; 2000.4 Peau noire, masques blancs. Paris : LeSeuil ; 1952.5 Le Syndrome nord africain. In : Esprit, fév.1952.

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IEN ses blouses étaient d’une élé-

gance totale, il avait trente ans.Au début, les infirmiers dis-aient : «  Mais qu’est-ce qu’ilnous veut celui-là ? ». En Algé-rie, à l’époque, quand on étaitnoir, ce n’était pas pareil quequand on était blanc. Après, ilsont été enthousiastes car ilsavaient compris le rapport à l’au-tre, l’aliéné, pensionnaire de l’-hôpital et qu’eux-mêmesaccédaient au savoir de ce rap-port.Donc, il voulait changerbeaucoup de choses et ilvoulait nous enseigner.L’autre : Il vous faisait lire juste-ment…AC : Beaucoup…L’autre : C’est grâce à lui quevous avez découvert la psycha-nalyse ?AC: Pas seulement. J’ai découvertla psychanalyse par deux choses.La première est que j’avais com-mencé par faire philo avant mé-decine parce qu’il fallait que jeconnaisse l’homme, l’humain.Les réponses données en méde-cine ne me satisfaisaient pasbeaucoup, et je m’étais dit : « Jevais faire de la psychiatrie » ; maisen même temps, je continuais àlire beaucoup de philo et j’ai luPulitzer, vous ne connaissez pasvous, cette génération-là ?L’autre : Non…AC : Critique des fondementsde la psychologie de Pulitzer. Iln’était pas psychanalyste mais ilposait des questions qui allaientdirectement du côté de l’incon-scient et de la subversion detoute psychologie. Ça m’a beau-coup orientée. Fanon avaitmonté toute une bibliothèque àl’hôpital psychiatrique où il avaitfait entrer beaucoup de livres.On lisait tout pêle-mêle : Reich,Hélène Deutsch, Freud, c’était

un peu morcelé mais… oui, ilnous orientait beaucoup vers ceslectures-là.L’autre : Alors il y a eu l’indé-pendance, le départ en France.Mais ce projet d’être psychana-lyste vous pouvez en faire unehistoire ? À quel moment vousvous êtes dit que vous vouliezêtre psychanalyste ?AC : N’oubliez pas que c’était en1963-1964, j’ai débarqué ensachant que je voulais faire une

psychanalyse. Mais à l’époque, ily avait ce qu’on appelait l’analysedidactique pour devenir psycha-nalyste ; ce que j’ai beaucoupcombattu les années après. Je nesavais pas si j’allais retourner enAlgérie ou pas, ce sont les cir-constances de la vie qui l’ont dé-cidé. J’y allais assez réguliè-rement, aux vacances scolaires.Je me suis rendu compte trèsprogressivement que le régimechangeant, les mentalités aussi,je n’avais plus beaucoup d’espoird’y faire ma vie comme on dit.Puis j’ai fait des rencontres dansma vie personnelle.En France, dans les années1970-1972 comme étudiant,c’était une époque de galère, etpour gagner ma vie, j’ai été prisedans les institutions, j’ai été àl’impasse Compoint, qui est cequ’on appelle actuellement uncentre médico-psychologique. Ildépendait de la Croix-Rouge,beaucoup de gens de ma généra-tion y ont été, soit commepsychothérapeute, soit commemédecin-psychiatre. Et là j’ai in-venté ce qu’on appelait les clas-ses d’appoint. Ce n’était pas unjoli nom, mais ça rimait avecCompoint. À l’époque, il y avait

beaucoup d’enfants portugaisdans les écoles du 18e, fraîche-ment arrivés, et dont on sentaitqu’en rentrant au cours prépara-toire ils n’étaient pas encore enétat d’apprendre à lire et à écrirele français. C’étaient des espècesde classes de transition. J’ai misça en place, pendant trois ouquatre ans, et ça donnait de trèsbons résultats.Et puis j’ai fait une analyse, j’aipoursuivi ce projet. Pour moi, ça

avait une autre finalité quecelle de devenir titulaire etmembre d’une société.L’analyse m’a beaucoup

apporté.L’autre : Y a-t-il eu dans votrepensée psychanalytique deschoix très déterminés, par rap-port à Lacan, par exemple ?AC : Lacan entre autres. J’ai dé-missionné de l’Institut de psy-chanalyse, mais je connaissaisbeaucoup de monde… des gensau Quatrième groupe, j’ai trèsbien connu François Perrier. Onse croisait beaucoup plus quemaintenant, puis il y a eu la créa-tion d’un mouvement Confron-tation, dans le milieu des années1970. Il correspondait à un be-soin de décloisonnement des in-stitutions psychanalytiques, ilsera le cadre d’« événements »,tel celui des retrouvailles deFrançois Perrier et de WladimirGranoff à l’occasion de la pré-sentation du livre de Serge Le-claire, On tue un enfant. Lesquelques numéros de la revueConfrontation seront l’occasiond’aborder des thèmes peu ou pastravaillés jusque-là par la psycha-nalyse.Ce mouvement rassemblait desgens venus de l’Institut commemoi et qui étaient frondeurs, etd’autres venus de l’École freu-dienne. À l’époque, on avait fait

Pour ma part, je crois profondémenten l’expérience psychanalytique

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un petit groupe de travail avecRené Major. Denis Vasse, Mi-chèle Montrelay, Maria Török,Derrida sont venus parler…Quand Denis Vasse est venuparler, ça a fait un scandale à l’É-cole freudienne, alors que juste-ment Confrontation essayait dese rapprocher des gens de l’É-cole freudienne. Beaucoup degens se rencontraient. Le faitd’être dans une institution nem’intéressait pas trop. Un jour,j’ai eu un coup de téléphone deLacan, parce qu’une de mes ana-lysantes avait été le voir. Il medit : « Ah je vois qu’elle est dansde très bonnes mains, mais vousne voudriez pas venir me ren-contrer ?  ». C’était le style deLacan. Alors j’ai été le voir et ilvoulait vraiment que je fasse untravail avec lui. Je lui ai dit non,je venais de reprendre mon ana-lyse avec quelqu’un que j’aimebeaucoup, qui est morte depuis,elle-même était une immigréehongroise qui avait eu des en-nuis à l’Institut. C’était unegrande dame de la psychanalyse :Maria Torök.Je me suis rapprochée de l’Écolefreudienne, un peu sur la pointedes pieds, pour assister à cer-tains colloques, et participer àcertains groupes. Je connaissaistrès bien les gens de l’Ordinairedu psychanalyste. Un petit col-lectif de jeunes de l’École freu-dienne qui avait créé un journalsans que les noms des auteurs yfigurent, mais où déjà apparais-saient de façon impertinente despréoccupations du politique etdu social. Je vois que vous neconnaissez rien de cette périodealors il va falloir que vous culti-viez vos classiques, parce que, necomptez pas sur moi pour vousraconter l’histoire du mouve-ment ! Cela prendrait des heu-

res ! Je voyais beaucoup de cliva-ges au sein de l’École, il y avaitles maoïstes, ceux qui sont deve-nus ceux que j’appelais les « in-génieurs de la psychanalyse  ».Bon, ils débutaient leur analyse,il ne faut pas trop leur en vou-loir, mais quand même. Pour mapart, je crois profondément enl’expérience psychanalytique. Ily a eu la dissolution de l’École ;

je préférais ceux qui étaientcontre la dissolution, du grouped’Entretemps à ceux qui, com-plètement aveuglés par ce qui sepassait, ne pensaient qu’à suivrece que, paraît-il, Lacan disait ourecommandait.Les choses se sont défaitescomme ça. Je me suis dit que çaallait donner un peu de souffle.Et puis il y a eu tous les groupesqui se sont formés. J’ai fait partied’Entretemps, du Cercle freu-dien, la Fédération des ateliersde psychanalyse. Il y avait aussile groupe de Clavreul, plus tard,lors d’une deuxième dissolution,quand Melman, Clavreul, Sa-fouan se sont séparés de Miller.Et puis il y en a eu d’autres de-puis ! J’avoue, je ne suis plus toutà fait au courant.L’autre : Donc vous avez suivitous ces mouvements et ces dis-solutions de très près.AC : On avait créé un journalqui s’appelait Espace, dans lecadre de la Fédération des ate-liers. À cette époque-là, nousvoulions créer des transversali-tés. Les groupes se multi-pliaient, se fondant sur desrelations plutôt transférentielles,

mais les gens avaient envie detravailler d’un groupe à l’autre.Puis il y a eu la création du Col-lège de Psychanalystes. Il s’agis-sait de travailler, quelles quesoient les écoles, ce qu’on appe-lait pudiquement le social. Celavoulait interroger « les rapportsde la psychanalyse et du champsocial ». Des psychanalystes detous bords y sont venus, restés,repartis. Des gens de toutes sor-tes, anthropologues, sociolo-gues, historiens, philosophes yont participé. Lefort est venuadmonester les psychanalystespour leur dire qu’avec les outilsqu’ils avaient, ils devaient s’oc-cuper du politique. La politiqueles attendait ! Le collège éditaitune excellente revue Psychana-lystes. Plus de quarante numérosavec des thèmes très précur-seurs : « L’argent, les violences,l’étranger, le rapport aux tech-nosciences ». J’ai été un grandmoment responsable de cetterevue et organisé le colloque sur« Violences et subjectivation »avec une table ronde sur «  Laguerre d’Algérie ». C’était la pre-mière fois que l’on parlait dansles milieux psy des conséquen-ces psychiques de cette guerre…J’avais invité Benjamin Storadont je connaissais le travail delongue date, mais dont l’œuvreétait encore peu médiatisée. C’é-tait en 1989-1990 je crois.L’autre : Justement, cette articu-lation entre psychanalyse et his-toire, psychanalyse et politique,l’avez-vous faite à partir de cettepensée que vous décrivezcomme très en avance ou avez-vous dû vous décaler de la pen-sée psychanalytique ?AC : Je me suis décalée par rap-port à une pensée psychanaly-tique à l’époque, en exercice.C’était le triomphe de la struc-

C’était le triomphede la structure ;

l’histoire, disait-on,c’était de l’ordrede l’imaginaire

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