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AVRIL 2013 E.R.I.C.A. NUMERO 26 Revue du Conservatoire botanique national de Brest CONNAISSANCE DE LA FLORE ET DES VEGETATIONS REPARTITION DE L’AVOINE DE THORE [PSEUDARRHENATHERUM LONGIFOLIUM (THORE) ROUY] DANS LE MASSIF ARMORICAIN ET HYPOTHESE DE SON ORIGINE DANS LES LANDES DE LOCARN (CÔTES-D’ARMOR) Agnès STEPHAN 1 Résumé Pseudarrhenatherum longifolium est une espèce rare dans le nord-ouest de la France. Cet article fait le point sur les observations de l’Avoine de Thore sur le Massif armoricain et propose une hypothèse de dispersion de l’espèce entre Erquy et Locarn (22). Mots clés : Pseudarrhenatherum longifolium ; Côtes-d’Armor ; Locarn ; Erquy ; agochorie Keywords : Pseudarrhenatherum longifolium ; Côtes-d’Armor ; Locarn ; Erquy ; agochory INTRODUCTION En 2006, je repère une graminée cespiteuse, particulièrement poilue au niveau des feuilles, dans les landes de Locarn, dans le cadre d’une étude de cartographie des groupements végétaux pour le compte du Conseil général des Côtes-d’Armor. Très broutée, son identification s’en montre difficile. Ce n’est qu’en 2011, que j’en prélève des épis et d’autres éléments et réussis à mettre un nom sur la plante, avec la confirmation de José Durfort : Pseudarrhenatherum longifolium ! Sa répartition costarmoricaine, en isolats, est intrigante mais des liens existent entre les sites. PRESENTATION DE LA PLANTE 1. NOMENCLATURE DE L’ESPECE Pseudarrhenatherum longifolium est décrite pour la première fois en 1810 par Jean THORE, un botaniste landais, dans son ouvrage « Promenade sur les côtes du Golfe de Gascogne ». Il la nomme avoine à longues feuilles et en fait une description en note de bas de page, sous la dénomination Avena longifolia. La plante s’est vue attribuer d’autres noms, notamment Arrhenatherum thorei Des Moul. (CORBIERE, 1894), Arrhenatherum thorei (Duby) Desv. (DES ABBAYES et al., 1971), Avena Thorei Duby (CROUAN & CROUAN 1867). (Source R.N.F.O.). 1 Kerservan, 29700 - Pluguffan

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REPARTITION DE L’AVOINE DE THORE

[PSEUDARRHENATHERUM LONGIFOLIUM (THORE) ROUY] DANS LE MASSIF ARMORICAIN ET HYPOTHESE

DE SON ORIGINE DANS LES LANDES DE LOCARN (CÔTES-D’ARMOR)

Agnès STEPHAN1

Résumé Pseudarrhenatherum longifolium est une espèce rare dans le nord-ouest de la France. Cet article fait le point sur les observations de l’Avoine de Thore sur le Massif armoricain et propose une hypothèse de dispersion de l’espèce entre Erquy et Locarn (22). Mots clés : Pseudarrhenatherum longifolium ; Côtes-d’Armor ; Locarn ; Erquy ; agochorie Keywords : Pseudarrhenatherum longifolium ; Côtes-d’Armor ; Locarn ; Erquy ; agochory

INTRODUCTION En 2006, je repère une graminée cespiteuse, particulièrement poilue au niveau des

feuilles, dans les landes de Locarn, dans le cadre d’une étude de cartographie des groupements végétaux pour le compte du Conseil général des Côtes-d’Armor. Très broutée, son identification s’en montre difficile. Ce n’est qu’en 2011, que j’en prélève des épis et d’autres éléments et réussis à mettre un nom sur la plante, avec la confirmation de José Durfort : Pseudarrhenatherum longifolium ! Sa répartition costarmoricaine, en isolats, est intrigante mais des liens existent entre les sites.

PRESENTATION DE LA PLANTE

1. NOMENCLATURE DE L’ESPECE Pseudarrhenatherum longifolium est décrite pour la première fois en 1810 par Jean

THORE, un botaniste landais, dans son ouvrage « Promenade sur les côtes du Golfe de Gascogne ». Il la nomme avoine à longues feuilles et en fait une description en note de bas de page, sous la dénomination Avena longifolia.

La plante s’est vue attribuer d’autres noms, notamment Arrhenatherum thorei Des

Moul. (CORBIERE, 1894), Arrhenatherum thorei (Duby) Desv. (DES ABBAYES et al., 1971), Avena Thorei Duby (CROUAN & CROUAN 1867). (Source R.N.F.O.).

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2. DESCRIPTION DE LA PLANTE

Pseudarrhenatherum longifolium est une graminée cespiteuse à souche dense (cf. photo 1).

Ses chaumes mesurent de 60 à 150 cm. Ils sont scabres sous la panicule, très velus aux nœuds (longs poils blancs). Les entre-noeuds inférieurs ne sont pas renflés.

Ses feuilles, longues, persistantes, glauques, étroites (3-7 mm de large) sont scabres en dessus et couvertes à la face inférieure de longs poils espacés et réfléchis. Les gaines des feuilles sont très poilues. La ligule est tronquée, pubescente à l’extérieur, et mesure environ 2 mm de long. Les innovations et les bordures des terminaisons sont enroulées en condition sèche.

La panicule vert-blanchâtre à violacée, longue de 8 à 20 cm, est dressée et plus ou moins contractée. Les épillets à deux fleurs fertiles montrent des glumes inégales. Le callus est velu. La glumelle inférieure, poilue, est munie vers le tiers supérieur d’une arête genouillée, tordue, très saillante (cf. photo 2).

Photo 2 : zoom sur un épi d'Avoine de Thore. Photo : A. Stéphan

3. ECOLOGIE DE L’ESPECE

Pseudarrhenatherum longifolium est une espèce acidophile, qui affectionne les sols plus ou moins secs, à humus de type moder à dysmoder. C’est aussi une espèce héliophile à semi-sciaphile. Caractéristique de pelouses acidophiles médioeuropéennes, planitiaires-

Photo 1 : Avoine de Thore à Locarn (22). Photo : A. Stéphan

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collinéennes, thermoatlantiques (Agrostion curtisii2 De Foucault, 1986), elle constitue (aussi) une espèce compagne de landes intérieures ou littorales3 (Ulicetalia minoris Quantin 1935) et de forêts claires (chênaies des Quercion robori-pyrenaicae (Br.-Bl., P. Silva, Rozeira & Fontes 1956) Rivas-Martinez 1975 nom. nud., Quercenion robori-petraeae4 Rivas-Martinez 1975, pineraies de substitution5).

Pseudarrhenatherum longifolium fleurit de mai à juillet. Elle est classée dans les plantes anémogames (pollinisées par le vent) et épizoochores (ses graines peuvent se disperser en s’agrippant aux pelages des animaux) (Baseflor JULVE)

4. REPARTITION MONDIALE

L’Avoine de Thore est aujourd’hui connue du nord-ouest de la France (Bretagne, Basse-Normandie) (RAMEAU et al., 1989) jusqu’au Centre du Portugal et au sud de l’Espagne (ROMERO ZARCO, 1985 ; Anthos 2.3.2012) ; elle est ainsi désignée comme une espèce holarctique, uniquement européenne, eu-atlantique à tendance méditerranéenne.

5. STATUTS

L’espèce n’est pas protégée mais elle est inscrite sur les listes des espèces rares et en régression en Bretagne (HARDEGEN et al., 2009), en Basse-Normandie (ZAMBETTAKIS et al., 2006) et en Pays de la Loire (LACROIX et al., 2008) ainsi que la liste rouge d’Andalousie en Espagne (CABEZUDO et al., 2005).

DISPERSION DE L’ESPECE SUR LE MASSIF ARMORICAIN

Contrairement au sud-ouest de la France où l’espèce est dite répandue, elle se révèle assez éparpillée sur le Massif armoricain, mais se concentre surtout dans le nord-est du Finistère (cf. figure 1).

1. DISTRIBUTION DANS LES PAYS DE LA LOIRE

Signalée autrefois en Vendée par Letourneux au nord de Fontenay-le-Comte (Moulins Rouges) (LLOYD, 1897), l’Avoine de Thore « est retrouvée par Contré sur des talus dans la commune de Bourneau, station visitée lors de la Session de la Société Botanique de France de 1971. Elle a été, hélas ! détruite par la transformation de tout le secteur en un vaste verger » (DUPONT, 2001).

2 Landes de Locarn (Locarn - 22),- parcelle n°162 : [ déc. 2012] 35 m² : Pseudarrhenatherum longifolium 3 ; Agrostis curtisii 2 ; Ulex gallii 2a ; Erica ciliaris 2a ; Molinia caerulea 2a ; Carex pilulifera ; Cirsium cf. filipendulum + ; Carex cf binervis + ; Polygala serpyllifolia + ; Danthonia decumbens + ; Pteridium aquilinum + ; Agrostis capillaris + ; Scleropodium purum + 3 Cap d’Erquy (Erquy - 22) pointe du Portuais [déc. 2012] 100 m² : Pseudarrhenatherum longifolium 2a ; Ulex europaeus var. maritimus 2 ; Ulex gallii var. humilis 1 ; Erica cinerea 3 ; Calluna vulgaris ; Rosa pimipinellifolia 1 ; Pinus sp. (j.) 1 ; Scleropodium purum 1 4 Lann Drevrez (Trémel - 22) : [jan 2013] 100 m²: Pseudarrhenatherum longifolium 3 ; Quercus robur 4 ; Frangula alnus 2 ; Molinia caerulea 3 ; Agrostis curtisii 1 ; Pteridium aquilinum 3 ; Rubus sp. 2 ; Lonicera periclymenum + ; Blechnum spicant + 5 Le Grand Rocher (Plestin-les-Grèves - 22) [jan. 2013] 100 m² : Pseudarrhenatherum longifolium + ; Pinus maritimus : + ; Quercus robur + ; Frangula alnus + ; Ulex gallii 3 ; Erica ciliaris 2 ; Erica cinerea 2 ; Calluna vulgaris 3 ; Teucrium scorodonia + ; Lonicera periclymenum +

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Figure 1 : répartition de l'Avoine de Thore sur le Massif armoricain

2. DISTRIBUTION EN BASSE-NORMANDIE

Signalée autrefois à Vire dans le Calvados (CORBIERE, 1894), la station n’a pas été revue (DUPONT, 1995).

Très récemment, en 2004, l’Avoine de Thore est observée dans la Manche, sur une zone de landes qui s’étendent sur les communes littorales voisines de Fermanville et de Carneville par Rémy Ragot et Julien Geslin. La zone compte trois stations de 50 m², 205 m², 500 m² réparties sur des landes mésophiles à Ajonc de le Gall et Bruyère ciliée (comm. pers. Julien Geslin et Thomas Bousquet). Une partie est propriété du Conservatoire du Littoral, et gérée par le SyMEL.

3. DISTRIBUTION EN BRETAGNE

En Bretagne, l’Avoine de Thore est connue dès le XIXe siècle de deux foyers historiques : la région de Morlaix et les portes de la Presqu’île de Crozon.

Dans la région de Morlaix, l’Avoine de Thore est signalée par de Guernisac et de Crec’hquerault sur les communes de Ploujean, Sainte-Sève, Taulé, Plouigneau, Garlan (CROUAN & CROUAN, 1867).

De nouvelles localités s’ajoutent ensuite ponctuellement, et étendent ce foyer sur les communes intérieures du Trégor finistérien et de la vallée du Queffleuth, ainsi que la côte

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de la baie de Morlaix : Saint-Martin-des-Champs, Pleyber-Christ, landes du Cragou près du Cloître[-St-Thégonnec], Pen-Al-Len en Carantec (DES ABBAYES, 1971), le Fumé en Plourin-lès-Morlaix, Scrignac, route de Sizun à Landivisiau au niveau de Loc Melan6 (Kerg.) (DUPONT, 1995). Dans les landes du Cragou, l’Avoine de Thore forme un faciès de lande (GLOAGUEN & TOUFFET, 1975).

Depuis les années 1980, les prospections se sont intensifiées (du fait des recherches de Y. Le Gall et autres) et ont confirmé le foyer principal trégorrois qui s’étend désormais aux communes côtières, plus particulièrement de Plougasnou et Saint-Jean-du-Doigt, avec une majorité de stations dans les petits bois landicoles de l’intérieur de ces communes, ainsi que les communes de Guimaëc et Locquirec où, par contre, les stations se concentrent sur les landes proches du littoral (côte de Beg an Fry et Marc’h Sammet).

Dans l’intérieur, de nouvelles stations sont signalées dans les vallées des rivières Jarlot (Plourin-lès-Morlaix, Plougonven) et son affluent le Tromorgant, ainsi que dans la vallée du Douron (Plouigneau) et à proximité (Lan Drevrez en Trémel (22)).

Dès 1994, plusieurs stations nouvelles ont été recensées dans les landes mésophiles des Monts d’Arrée, de part et d’autres des landes du Cragou : vers l’est sur Plougonven, Lannéanou, Botsorhel et Scrignac, ainsi qu’au sud et à l’ouest sur Berrien. L’Avoine de Thore n’apparaît ensuite qu’en quelques stations plus réduites dans la partie ouest des Monts d’Arrée, toujours suivant sa principale ligne de crête, sur Plounéour-Ménez et Commana. Elle s’en écarte sensiblement qu’en quelques points sur Brennilis et Saint-Rivoal. On la retrouve localement sur le plateau des landes de Ménez-Meur (CLEMENT 1994, revu). Dans le Léon son aire de distribution se poursuit sur les communes de Saint-Thégonnec, Guimiliau et Lampaul-Guimiliau, elle n’a pas été revue sur Locmélar.

La localité de Saint-Jacques sur l’aval du Guillec en Plougoulm apparaît isolée sur la côte léonarde.

De même, les localités de la Lieue de Grève en Côtes-d’Armor – Saint-Michel-en-Grève signalée par Picquenard (DES ABBAYES, 1971), le Grand Rocher en Plestin-les-Grèves (CHICOUENE & CORTES, 1986), et ses bois et landes alentour aussi sur Ploumilliau (Anonyme, 2007), semblent encore isolées.

Aux portes de la Presqu’île de Crozon, l’Avoine de Thore est observée historiquement sur Argol par les frères Crouan (CROUAN & CROUAN, 1867). Picquenard l’indiquera aussi dans la vallée du Folgoat7 en Landévennec (DES ABBAYES, 1971). En 1974, Dizerbo complète ou précise ces localités par le carrefour de Landévennec vers Crozon, Tal-ar-Groas, Telgruc, à 500 m de la gare d’Argol. Sa présence sur Landévennec et les landes d’Argol (à l’ouest du Ménez Hom et lande résiduelle de la gare d’Argol) a été largement confirmée depuis par plusieurs botanistes. Sur Tal-ar-Groas en Crozon et sur Telgruc, elle n’apparaît pas avoir été revue.

Ailleurs, en Finistère, l’Avoine de Thore est connue historiquement (avant 1974) sur la côte nord du Cap Sizun. Kerguelen l'a observée sur la commune de Beuzec-Cap-Sizun « vers la pointe du Van » (DUPONT, 1995). Récemment, elle a été observée à la Pointe du Millier en Beuzec-Cap-Sizun et à la pointe de Beuzec, et sur les talus en accotements de la route départementale, aussi sur la commune de Goulien.

Dans le Morbihan, l’Avoine de Thore a été historiquement (avant 1974) répertoriée sur le littoral par le Frère Ariste dans une lande près de Nostang vers Merlevenez (DUPONT,

6 Commune de Locmélar 7 Le Folgoët, station signalée par LLOYD (1897) et non la commune, près de Lesneven, en Finistère

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1995) - elle y a été vainement recherchée (G. Rivière in RIVIERE, 2007) - et dans un bois en bordure du Vincin près Vannes (Delv. et Géhu in RIVIERE, 2007).

Ces dernières années, Gabriel Rivière repère l’Avoine de Thore en plusieurs points du secteur des landes de Lanvaux : bois de Kerfily (Elven), Kerlan (Trédion), en 1999 aérodrome de Monterblanc en 2002, bois de Cadoudal en Plumelec et bois de Saint-Bily en Plaudren en 2003, forêt de Molac à la limite Molac / Le Cours en 2005 (RIVIERE, 2007).

Gabriel Rivière découvre aussi une localité isolée, en 2008, dans le massif forestier de Paimpont, à la Ville Bizard en la commune de Beignon.

En Côtes-d’Armor, en dehors de la Lieue de Grève et de Trémel, l’Avoine de Thore existe historiquement en une localité isolée : le Cap d’Erquy. Elle y est connue depuis 1958 (GEHU, 2008), et revue régulièrement jusqu’à aujourd’hui (DAUMAS, 2005 ; GLEMAREC, 2007), dans les landes littorales à Ulex europaeus var. maritimus et Erica cinerea, ou en lisière de pinèdes. La population du Cap d’Erquy compte, en 2012, plusieurs milliers de touffes (obs. pers.)

Locarn, la nouvelle localité hébergeant l’Avoine de Thore, est distante d’une centaine de kilomètres du Cap d’Erquy, d’une quarantaine de kilomètres de la Lieue de Grève, de même que des landes du Cragou. L’espèce n’est pas connue sur le reste du site de Locarn étudié assez fréquemment depuis les années 1980, et, plus globalement du massif granitique de Quintin personnellement parcouru en 2001 dans le cadre de la cartographie des habitats dans le périmètre Natura 2000. La station est implantée au sein de landes mésophiles à Ulex gallii et Erica ciliaris. En 2006, la station compte moins d’une dizaine de pieds. En 2012, elle compte une quarantaine de pieds plus ou moins agglomérés (obs. pers.).

HYPOTHESES DE DISPERSION VERS LOCARN

Suite à la détermination de l’Avoine de Thore repérée en 2006, la consultation des photographies prises lors d’études antérieures (DURFORT & STEPHAN, 2003), dont l’une, heureuse coïncidence, est prise à l’emplacement la station (qui correspondait à une aire d’empoussiérage des chevaux pâturant les landes), a permis de préciser la date supposée de l’arrivée de l’espèce sur le site.

La photographie est prise en 2003 en hiver (la molinie est fanée) et il n’y apparait pas de touffes d’Avoine de Thore (qui reste verte et se distingue bien de la molinie). Une photographie sur un plan plus large en 2004 ne permet pas non plus de la repérer. Il fut donc possible de considérer que l’apparition de l’Avoine de Thore date de la période 2004-2006.

Cette période de 2004-2006 coïncide avec la mise en œuvre, par le Conseil général des Côtes-d’Armor, d’un pâturage ovin extensif à l’aide d’un troupeau de moutons.

Double coïncidence troublante : ce troupeau paissait alternativement sur le site de Locarn et du Cap d’Erquy entre 2005 et 2009. Le site des Landes de Locarn fait en effet l’objet, depuis 1995, d’une convention entre le Conseil général et l’un des principaux propriétaires fonciers, et le Cap d’Erquy a été acquis par le Conseil général en 1980 au titre des Espaces naturels sensibles. L’hypothèse d’un transfert entre ces deux sites a donc été approfondie en questionnant les techniciens du Conseil général des Côtes-d’Armor.

En 2005, Pseudarrhenatherum longifolium n’est observée qu’en un seul point des 4 enclos du Cap d’Erquy, d’après une cartographie précise des espèces végétales remarquables et de la végétation, dressée par Marc Daumas et Daniel Chicouène, entre juin

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et septembre 2005 (CERA Environnement, 2005). La station est située en bordure Nord-Ouest de l’enclos D4, non loin de la zone décrite par le Professeur J.-M. Géhu, en 1958.

Les 25 moutons sont arrivés à Erquy le 2 novembre 2004. Ils ont été transportés à Locarn seulement l’année suivante, le 29 juin 2005. En 2005, contrairement aux années suivantes, ils ont été tondus à Erquy, le 21 juin 2005 (E. PORCHER comm. pers.).

Cela signifie-t-il que l’hypothèse d’un transfert par le biais du troupeau tombe à l’eau, du fait que les graines attachées aux toisons sont enlevées en 2005 alors même que la plante est bien présente l’année suivante ?

Non, car entre le 21 juin où les moutons ont été tondus et le 29 juin où ils ont été transportés à Locarn, ils ont séjourné… dans l’enclos D4 !

Il est donc fort possible, voire très probable, que des semences d’Avoine de Thore aient été transportées dans le pelage des moutons, eux-mêmes transportés entre les deux sites distants d’une centaine de kilomètres. Cette forme de dissémination involontaire de graines déplacées par l’homme porte le nom d’agochorie (du grec. ἄγω ago : entraîner). D’autres hypothèses ont été envisagées mais paraissent moins vraisemblables (dissémination sur le pelage des animaux sauvages (épizoochorie), dissémination par les visiteurs ou les équipes gestionnaires (anthropochorie directe).

Fait rare, il paraît possible de déterminer à la journée près, la date d’introduction d’une espèce sur un site : en l’occurrence, l’Avoine de Thore serait arrivée sur les landes de Locarn le 29 juin 2005.

CONCLUSION ET PERSPECTIVES

L’Avoine de Thore est rare sur le Massif armoricain mais elle semble se disperser progressivement à partir des stations historiques. Sa répartition sur le Massif armoricain coïncide avec la localisation, sur le littoral ou dans l’intérieur, de grands ensembles ou de complexes plus dispersés mais assez denses de landes (à l’exception, a priori, des Montagnes noires, Liscuis et Quénécan…).

L’évolution des populations de l’Avoine de Thore dans ses localités (effectifs, emplacements) et sa progression sur de nouveaux sites serait intéressante à suivre, au titre, par exemple, des enjeux du réchauffement climatique, des échanges écologiques entre sites (trame verte)... Appel aux naturalistes du réseau Erica ! Remerciements : le Conseil général des Côtes-d’Armor, notamment Olivier Lebihan et Estelle Porcher, et mes collègues naturalistes avec qui j’ai pu échanger, Daniel Chicouène, José Durfort, Julien Geslin, Emmanuel Holder, Alexandra Kielius, Agnès Lieurade, Rémy Ragot.

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