relecture du droit des présomptions à la lumière du droit

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UNIVERSITÉ DE LIMOGES FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCES ÉCONOMIQUES RELECTURE DU DROIT DES PRÉSOMPTIONS A LA LUMIÈRE DU DROIT EUROPÉEN DES DROITS DE L’HOMME Thèse pour l’obtention du grade de DOCTEUR EN DROIT DE L’UNIVERSITÉ DE LIMOGES présentée et soutenue publiquement le 9 juillet 2010 par Anne-Blandine CAIRE Directeur de recherches : - Monsieur Jean-Pierre MARGUÉNAUD, Professeur à la Faculté de droit et de sciences économiques de Limoges Rapporteurs : - Madame Pascale DEUMIER, Professeur à l’Université de Saint-Etienne - Madame Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, Professeur à l’Université de Paris X- Nanterre Assesseurs : - Madame Françoise TULKENS, Juge à la Cour européenne des droits de l’Homme - Monsieur Fabien MARCHADIER, Professeur à l’Université de Poitiers

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UNIVERSITÉ DE LIMOGES

FACULTÉ DE DROIT ET DE SCIENCES ÉCONOMIQUES

RELECTURE DU DROIT DES PRÉSOMPTIONS A LA LUMIÈRE DU DROIT EUROPÉEN DES

DROITS DE L’HOMME

Thèse pour l’obtention du grade de

DOCTEUR EN DROIT DE L’UNIVERSITÉ DE LIMOGES présentée et soutenue publiquement le 9 juillet 2010 par

Anne-Blandine CAIRE

Directeur de recherches : - Monsieur Jean-Pierre MARGUÉNAUD, Professeur à la Faculté de droit et de sciences

économiques de Limoges

Rapporteurs : - Madame Pascale DEUMIER, Professeur à l’Université de Saint-Etienne - Madame Véronique CHAMPEIL-DESPLATS, Professeur à l’Université de Paris X-

Nanterre Assesseurs :

- Madame Françoise TULKENS, Juge à la Cour européenne des droits de l’Homme - Monsieur Fabien MARCHADIER, Professeur à l’Université de Poitiers

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Relecture du droit des présomptions à la lumière

du droit européen des droits de l’Homme

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Je tiens à remercier Monsieur le Professeur Marguénaud pour la confiance et la liberté

qu’il m’a accordées, pour la beauté du sujet qu’il m’a confié, les conseils qu’il m’a prodigués,

enfin, et surtout, pour le goût qu’il m’a donné d’une matière avec laquelle j’avais, initialement,

si peu d’affinités.

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A mes parents, dont le soutien et les encouragements constants m’ont été très précieux.

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Sommaire

Introduction _______________________________________________________________ 9

Partie I- Révélation de la nature unitaire des présomptions ________________________ 28

Titre I- Essai de théorie générale des présomptions ___________________________________ 32

Chapitre 1- La présomption-preuve _______________________________________________________ 35

Chapitre 2- La présomption-postulat ______________________________________________________ 64

Chapitre 3- La présomption-concept ______________________________________________________ 88

Titre 2- La trinité présomptive à l’épreuve du droit européen des droits de l’Homme ______ 107

Chapitre 1- L’existence de trois types de présomptions confirmée _____________________________ 110

Chapitre 2 – L’essence commune des présomptions révélée __________________________________ 176

Partie II- Revalorisation du rôle des présomptions _______________________________ 232

Titre 1- Facteur de cohésion _____________________________________________________ 237

Chapitre 1- Une technique de réalisation __________________________________________________ 240

Chapitre 2- Une technique de régulation __________________________________________________ 280

Titre 2 – Facteur d’évolution ____________________________________________________ 328

Chapitre 1- La contribution des présomptions à l’interprétation progressiste _____________________ 330

Chapitre 2 – La découverte de la légitimité des présomptions _________________________________ 406

Conclusion générale _______________________________________________________ 439

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Introduction

Dans son acception la plus générale, la présomption est une supposition fondée sur des

signes de vraisemblance ou encore une anticipation sur ce qui n’est pas prouvé1. Le droit des

présomptions a donc pour objet ce type de vérités conjecturales.

Le droit européen des droits de l’Homme, quant à lui, correspond à la branche

européenne du droit international des droits de l’Homme2 , à savoir le droit textuel et

prétorien3 de la Convention européenne des droits de l’Homme.

En conséquence, la présente étude tentera de confronter ces deux branches du droit, et,

plus précisément, d’analyser le nouvel éclairage que la seconde – relativement récente et en

pleine expansion – peut apporter à la première – ancienne et cependant mal connue.

Autrement dit, il ne s’agit nullement d’examiner l’usage des présomptions en droit européen

des droits de l’Homme mais de poser un regard neuf, si possible critique et synthétique, sur

l’ensemble de la matière présomptive, à l’aide du droit européen des droits de l’Homme.

Ces précisons apportées, il convient d’abord d’établir l’utilité d’une relecture du droit

des présomptions (Section 1), ensuite de souligner l’intérêt d’effectuer ladite relecture à la

lumière du droit européen des droits de l’Homme (Section 2), enfin de préciser la manière

dont sera menée la relecture (Section 3).

Section 1- L’utilité d’une relecture du droit des présomptions

Relire le droit des présomptions n’est pas superflu car, derrière l’apparente clarté de la

notion (§ 1-), on devine une relative méconnaissance de cette dernière (§ 2-).

1 André LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, Quadrige, 1926, vol. 2, « Présomption ». 2 Sur l’appellation « droit européen des droits de l’Homme », V. Frédéric SUDRE, Droit européen et international des droits de l’Homme, 9ème éd. revue et augmentée, Paris, PUF, 2008, p. 13-15. 3 Dans ce cadre, seront prises en compte la jurisprudence de l’ancienne et de la nouvelle Cour européenne des droits de l’Homme mais aussi l’œuvre de la défunte Commission européenne des droits de l’Homme.

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§ 1- L’apparente clarté de la notion de présomption

A priori, relire le droit des présomptions peut paraître inutile car la notion de

présomption semble parfaitement claire non seulement aux yeux du juriste averti, mais encore

à ceux du profane.

En premier lieu, tout juriste digne de ce nom, même débutant, est en mesure d’évoquer

plusieurs présomptions : la présomption de paternité4 ou la présomption d’innocence5 pour ne

citer que les plus célèbres d’entre elles. Ce constat n’est, somme toute, que celui du profond

ancrage de la présomption dans le champ juridique, ancrage dû à trois éléments : l’ancienneté

d’abord, puis l’importance quantitative et enfin qualitative de la présomption.

Point n’est besoin de faire un historique des présomptions pour se rendre compte

qu’elles sont anciennes ; de simples rappels suffisent. En droit romain déjà, elles étaient

utilisées, notamment en raison du fait que le juge y a longtemps joui d’une grande liberté dans

l’appréciation des preuves, ce qui lui permettait de se fonder sur de simples indices6. Le droit

romain connaissait aussi des présomptions légales7 qui ont inspiré celles de notre droit positif.

A l’époque médiévale, l’utilisation des présomptions était courante en droit pénal. Les

épreuves et les ordalies, comme le combat judiciaire, permettaient de présumer la

responsabilité de celui qui échouait8. Dans le même ordre d’idées, divers adages9, évoqués par

le Professeur LANGUI10, traduisaient le recours aux présomptions : « Rumeur commune est

rarement fausse », « Jeune prostituée, vieille sorcière », « Semel malus, semper praesumitur

esse malus »11, ou encore, selon la formule de Loisel, « Qui s’enfuit, ou brise la prison étant

du cas atteint, s’en rend coupable et quasi-convaincu ». C’est d’ailleurs à cette époque que la

doctrine entreprit de s’intéresser à la notion. Ce sont d’abord les glossateurs12, tel ACURSE,

4 Article 312 du Code civil. 5 V. l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, l’article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme, l’article 14 § 2 du Pace civil relatif aux droits civils et politiques, l’article 9-1 du Code civil, l’article préliminaire III et l’article 137 du Code de procédure pénale. 6 Jean GAUDEMET, Les institutions de l’Antiquité, 6ème éd., Paris, Montchrestien, 2000, p. 377. 7 Certaines sont restées célèbres comme la présomption mucienne. V. Roger DECOTTIGNIES, Les présomptions en droit privé, Paris, LGDJ, 1950, p. 30. 8 Pour un bref historique des présomptions en droit pénal, V. Philippe MERLE, Les présomptions légales en droit pénal, Paris, LGDJ, 1970, pp. 19-24. 9 V. aussi : « Qui vole un œuf vole un bœuf », cité dans Dictionnaire de Proverbes et dictons, Paris, Les usuels du Robert, 1980, p. 52. 10 André LANGUI, « Les adages du droit pénal », RSC, 1986, pp. 26 sq. 11 On présume que celui qui a commis le mal une fois le commettra toujours. 12Jacqueline BARBIN, « Glossateurs, droit médiéval », Encyclopedia Universalis, [http://www.universalis.fr/encyclopedie/glossateurs-droit-medieval/], (2010-04-15).

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érudits du Moyen Âge interprétant les textes du droit romain à l’aide de méthodes d'analyse

interlinéaire et d'explication des mots, qui tentèrent de rassembler les données romaines

relatives aux présomptions. Ils distinguèrent les présomptions simples, qu’ils nommèrent juris

tantum, des présomptions irréfragables, qu’ils qualifièrent de juris et de jure13. Puis les

canonistes, parmi lesquels TANCREDE, introduisirent implicitement la distinction, désormais

classique, entre présomptions judiciaires et présomptions légales en opposant les probabilités

de fait aux règles de droit fondées sur une probabilité14. Par la suite, divers jurisconsultes, tels

LE DUAREN, ALCIAT, D’ARGENTRE et MENOCHIUS au XVIème siècle, DOMAT au

XVII Ième siècle ou encore POTHIER et D’AGUESSEAU au XVIIIème siècle, se penchèrent sur

la thématique présomptive, s’intéressant plus particulièrement à la possibilité d’interdire le

renversement d’une présomption en la rendant irréfragable15 . Ces évolutions prirent

finalement corps, en 1804, dans le Code civil. Dès sa création, cet ouvrage contenait de

nombreuses présomptions qui existent encore aujourd’hui 16 et consacrait déjà ses articles

1349 et 1353 à la technique présomptive. Ce processus révèle l’ancienneté du mécanisme

présomptif. Cela dit, si l’on devait choisir entre tous un exemple du grand âge des

présomptions, celui du jugement de Salomon serait pertinent. Comme l’ont rappelé certains

auteurs, ledit jugement « n’était en définitive qu’une présomption »17. Le roi Salomon a

simplement présumé la qualité de mère d’une femme réclamant un enfant à partir du choix de

celle-ci : plutôt attribuer l’enfant à une autre que de le voir coupé en deux18.

Par ailleurs, les présomptions sont quantitativement importantes ; deux phénomènes en

attestent.

D’une part, leur champ d’intervention n’est pas limité à une branche du droit en

particulier. Le droit positif français abonde en présomptions, à tel point qu’il en devient

malaisé de choisir des exemples. A lui seul, le Code civil en contient déjà pléthore : la

présomption de paternité de l’article 312, les présomptions de mitoyenneté des articles 653,

654 et 666, la présomption de captation d’héritage de l’article 909, la présomption de

communauté de l’article 1402 ou encore la présomption de bonne foi de l’article 2274 n’en

sont que quelques exemples parmi d’autres. En droit douanier, on pense notamment à l’article

13 Raymond BARRAINE, Théorie générale des présomptions en droit privé, Paris, LGDJ, 1942, p. 151. 14 Ibid., p. 152. 15 Ibid., pp. 153-161. 16 V. par exemple les articles 312, 911, 1283… 17 Raymond BARRAINE, op. cit., p. 148. 18 V. La Sainte Bible, « Le jugement de Salomon », Premier livre des Rois, II- Histoire de Salomon le Magnifique ; FOUILLOUX Danielle et al., Dictionnaire culturel de la Bible, Paris, Nathan, Cerf, 1990, p. 227.

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392 § 1 du Code des Douanes19 qui répute responsable de la fraude le détenteur de la

marchandise de fraude et présume donc l’infraction douanière sur la base de la simple

détention. En droit pénal, les délits dits de fréquentation ou d’entourage de l’article 321-6 du

Code pénal20 reposent sur une présomption : le fait qu’une personne ne puisse justifier de

l’origine licite de ses ressources tout en entretenant des relations habituelles avec des

individus se livrant à des activités immorales ou illicites permet de présumer qu’elle vit de

l’activité illicite ou immorale d’autrui. Enfin, pour prendre un dernier exemple, citons la

présomption de représentativité dont disposaient, en droit du travail, les organisations

représentatives au plan national21.

D’autre part, si les présomptions sont présentes dans toutes les branches du droit, elles

interviennent également dans de nombreux systèmes juridiques. La lecture de quelques arrêts

de la Cour européenne des droits de l’Homme suffit pour se convaincre de cette transversalité:

elle souligne que bien des Etats membres du Conseil de l’Europe ont recours aux

présomptions, et ce dans des domaines variés. Les publicistes remarqueront par exemple que

la Grèce a longtemps affectionné une présomption légale un peu particulière : celle selon

laquelle le propriétaire exproprié tire profit de la construction d’une route nationale. Cette

présomption permettait à l’Etat, est-il besoin de le préciser, d’échapper à ses obligations

d’indemnisation après une expropriation22. Les civilistes constateront que, si la présomption

de paternité légitime, selon laquelle le mari de la mère est présumé être le père de l’enfant, est

19 Article 392 § 1 du Code des Douanes : « Le détenteur de marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude ». 20 Article 321-6 du Code pénal : « Le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie ou de ne pas pouvoir justifier de l'origine d'un bien détenu, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes qui soit se livrent à la commission de crimes ou de délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect, soit sont les victimes d'une de ces infractions, est puni d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 Euros d'amende. Est puni des mêmes peines le fait de faciliter la justification de ressources fictives pour des personnes se livrant à la commission de crimes ou de délits punis d'au moins cinq ans d'emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect ». 21 Sur la suppression de cette présomption et sa survivance ponctuelle dans les dispositions de droit transitoire, V. : Georges BORENFREUND, « Le nouveau régime de la représentativité syndicale », Revue de droit du travail, 2008, pp. 712 sq. ; François DUSQUESNE, Le nouveau droit du travail, Paris, Lextenso, 2008, n° 791 sq. ; Manoëlla RASSELET, « La représentativité syndicale mise en perspective », P.A., 21 mars 2008, n° 59, pp. 4 sq. 22 CEDH, 25 mars 1999, Papachelas c/ Grèce, n° 31423/96 ; CEDH, 1er août 2000, Savvidou c/ Grèce, req. n° 38704/97 ; CEDH, 19 septembre 2002, Azas c/ Grèce, req. n°50824/99 ; CEDH, 10 juillet 2003, Interoliva contre Grèce, req. n° 58642/00 ; CEDH, 10 juillet 2003, Efstathiou et Michaïlidis et Cie Motel Amerika c/ Grèce, req. n° 55794/00 ; CEDH, 10 juillet 2003, Konstanpoulos AE et autres c/ Grèce, req. n° 58634/00.

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très répandue en Europe23, l’article 54 du Code de la famille slovaque24 contient une

présomption apparentée selon laquelle le père de l’enfant est l’homme qui a eu des rapports

sexuels avec la mère entre le 180ème et le 300ème jour avant la naissance. Les pénalistes, quant

à eux, noteront que le droit bulgare consacre une présomption de justification de la détention

provisoire pour les infractions d’une certaine gravité25, présomption que le droit italien

applique également mais seulement aux délits de type mafieux26.

L’importance qualitative de la présomption est, quant à elle, indéniable : la

présomption a, au moins à première vue, un rôle essentiellement probatoire ; elle a pour

fonction principale de pallier la carence de preuve. Or, on connaît la portée de la preuve en

droit. C’est ce qui a fait écrire au Professeur BARRAINE dans l’enthousiasme des premières

lignes de l’introduction de sa Théorie générale des présomptions en droit privé : « Qu’est-ce

qu’une présomption ? C’est à la fois un mode de preuve et quelque chose de beaucoup plus

large ; c’est la preuve en général, c’est-à-dire la base du droit : la présomption (…) se trouve

dans toute preuve : écrit, témoignage, serment ; ne renferment-ils pas tous à leur base une

présomption, à savoir celle de leur véracité ? Dominant la preuve, la présomption domine le

droit »27.

De ces considérations ressort donc une sorte d’universalité de la présomption.

Juridiquement, la notion de présomption doit son apparente clarté au fait que, fréquemment

utilisée et dans toutes les branches du droit, elle est connue de tous les juristes.

En second lieu, la notion de présomption s’avère évocatrice pour tout un chacun car

elle n’est nullement l’apanage de la langue juridique ; le Doyen CORNU évoque à cet égard

sa « double appartenance »28. Le commun des mortels peut en effet y recourir notamment

comme synonyme de conjecture ou de supposition, pour désigner une opinion fondée

seulement sur des apparences, c’est-à-dire dans un sens identique à la signification juridique29.

23 Par exemple, la présomption de paternité existe à Malte (CEDH, 12 janvier 2006, Mizzi c/ Malte, req. n°26111/02), en Russie (CEDH, 2 juin 2005, Znamenskaya c/ Russie, req.n° 77785/01), aux Pays-Bas (CEDH, 27octobre 1994, Kroon et autres c/ Pays-Bas)… 24 CEDH, 10 octobre 2006, Paulik c/ Slovaquie, req. n° 10699/05. 25 CEDH, 26 juillet 200, Ilijkov c/ Bulgarie, n° 33977 ; CEDH, Shishkov c/ Bulgarie, 9 janvier 2003, n° 38822/97 ; CEDH, 8 mars 2007, Dimov c/ Bulgarie, req. n° 56762/00 ; CEDH, 14 juin 2007, Nikola Nikolov c/ Bulgarie, req. n°68079/01. 26 CEDH, 6 avril 2000, Labita c/ Italie, req. n° 26772/95 ; CEDH, 6 novembre 2003, Pantano c/ Italie, req. n° 60851/00. 27 Raymond BARRAINE, op. cit., p. 2, § 3. 28 Gérard CORNU, Linguistique juridique, Paris, Montchrestien, 2005, pp. 68 sq. 29 Définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/présomption], (2010-04-15).

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Ce phénomène contribue à donner l’impression qu’il s’agit d’une notion dépourvue

d’ambiguïté. Cependant, les notions apparemment limpides sont parfois les plus obscures et

les plus méconnues. A force d’évidence, elles sombrent dans l’opacité, l’esprit ayant « une

irrésistible tendance à considérer comme claire l’idée qui lui sert le plus souvent »30. Ainsi,

par-delà l’apparente clarté de la notion, des signes de complexité se font-ils rapidement jour.

Si la présomption évoque, la plupart du temps, une conjecture, elle revêt aussi d’autres

significations31, lesquelles, loin de n’avoir aucun lien avec le sens juridique, en constituent

simplement de légères déviances, propres à semer le doute. Ainsi la présomption, parfois

synonyme d’orgueil, de prétention ou encore d’arrogance, est-elle susceptible de désigner

l’« opinion très favorable que l'on a de ses propres facultés physiques ou intellectuelles » ou

une « grande confiance en soi »32. On retrouve dans cet usage l’idée de conjecture mais avec

une connotation péjorative. Présumer de quelque chose33, c’est donc s’en faire une trop haute

idée. Dans cette optique, la présomption est, du point de vue religieux, considérée comme un

péché34.

Ainsi, l’apparente appréhension générale de la notion de présomption ne sert qu’à

éviter l’élaboration d’une définition précise et rigoureuse et, en somme, à nourrir sa

méconnaissance.

§ 2- La méconnaissance de la notion de présomption

La clarté de la notion de présomption ne résiste qu’à condition de demeurer à la

surface du discours. Dès que l’on cherche à savoir précisément ce qu’est une présomption,

quel est son mode de fonctionnement, quel mécanisme intellectuel elle met en jeu ou encore

quels sont ses effets, on aboutit au constat d’une multitude de pratiques mêlées d’incohérence,

30 Gaston BACHELARD, Epistémologie, Paris, PUF, 1971, pp. 159-160. 31 La présomption fait donc partie de « la catégorie des mots à sens multiples, générateurs d’ambiguïté et de confusion ». Françoise LLORENS-FRAYSSE, La présomption de faute dans le contentieux administratif de la responsabilité, Paris, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », 1985, p. 16. 32 Définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/présomption], (2010-05-12). 33 D’ailleurs, cette distinction se retrouve au niveau grammatical : présumer, verbe transitif direct signifie « donner comme probable, supposer » alors que, verbe transitif indirect, il signifie « avoir une trop bonne opinion de quelqu’un ». Petit Robert, Paris, 1990. 34 Sur ce point V. : MGR Louis-Albert VACHON, Espérance et présomption, Québec, Presses universitaires de Laval, 1958. L’auteur explique que la présomption peut s’opposer soit à la vertu de magnanimité, le présomptueux étant « celui qui affronte des dangers supérieurs à ceux qu’il est en mesure de surmonter, celui qui aspire à des honneurs plus considérables ou des profits plus élevés que ceux qui lui conviennent » (pp. 115-116), soit à la vertu d’espérance. Dans ce cas, la présomption est un excès d’espérance, le présomptueux ayant une « espérance immodérée » (p. 124). Est-il besoin de rappeler que pour MGR VACHON, prélat catholique, l’Espérance est avec la foi et la charité l’une des trois vertus théologales, lesquelles sont essentielles pour le salut.

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ou, pire, à un véritable procès verbal de carence. S’inspirant d’une formule de Mme de

STAAL35, Françoise LLORENS-FRAYSSE, déplore qu’ « elle a[it] tant de hauteur et si peu

de bases »36. Pour sa part, le Professeur MERLE note que la matière est « réputée confusa et

inextricabilis depuis Alciat »37. Autrement dit, la clarté de la notion de présomption est une

illusion comme le révèle l’indigence définitionnelle qui l’affecte. Sans entrer dans le vif de

l’étude, on peut, dès à présent, pointer les défaillances de la définition la plus répandue38, qui

reprend grosso modo l’article 1349 du Code civil au terme duquel « les présomptions sont des

conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu » : la

présomption serait ainsi un « mode de raisonnement juridique en vertu duquel, de

l’établissement d’un fait on induit un autre fait qui n’est pas prouvé »39. Quel que soit l’angle

sous lequel on la considère, cette définition est déficiente. Paradoxalement, elle est à la fois

trop large - André LALANDE l’a constaté qui note l’inadaptation d’une définition englobant

« la preuve rigoureuse d’un fait qui n’est pas immédiatement connu ou directement attesté »40

- et trop étroite - bien des présomptions juridiques y échappent : par exemple prétendre que la

présomption d’innocence consiste à induire l’innocence d’une personne de son accusation

défierait la logique. L’avant-projet de réforme du droit des obligations41 qui prétend « mettre

au clair le fondement de toute présomption » n’y change rien. L’article 1314, appelé à

remplacer l’article 1349, précise simplement, de manière quasi superfétatoire, que le passage

d’un fait connu à un fait inconnu consiste à tenir « celui-ci pour certain sur le fondement du

fait qui le rend vraisemblable ». Dans la même optique, le fait que la présomption, au sens de

l’article 1349, soit réductible à un syllogisme n’a qu’une portée relative. Par exemple, la

présomption de paternité de l’article 312 du Code civil peut certes se ramener à un

35 Marguerite-Jeanne CORDIER STAAL de LAUNAY (baronne de), Mémoire de Mme de Staal, écrits par elle-même, 1755. 36 Françoise LLORENS-FRAYSSE, op. cit., p. XII. 37 Philippe MERLE, op cit., p. 2. 38 Même la doctrine anglo-saxonne reprend cette définition. Ainsi, d’après Thomas M. FRANCK et Peter PROWS, « a presumption stipulates that if on fact (or the commission, or omission, of an act) can be demonstrated, then another may (or must) be inferred from it ». FRANCK Thomas M., PROWS Peter, « The role of presumptions in international tribunals », The law and Practice of International Courts and Tribunals, vol. 4, n°2, 2005 pp. 197-245, spéc. p. 200. 39 Serge GUINCHARD et Gabriel MONTAGNIER (dir.), Lexique des termes juridiques, 16ème éd., Paris, Dalloz, 2009. V. aussi la définition du Professeur LARROUMET selon laquelle « la présomption est une opération intellectuelle qui consiste à se fonder sur un fait connu, lequel permet de supposer l’existence d’un fait inconnu (…) » (Christian LARROUMET, Droit civil – Introduction à l’étude du droit privé, 3ème éd., Paris, Economica, 1998, p. 90, n° 149). 40 André LALANDE, loc. cit.. 41 Avant-projet de réforme du droit des obligations (articles 1101 à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (articles 2234 à 2281 du Code civil), rapport à Monsieur Pascal CLEMENT, Garde des Sceaux, ministre de la justice, le 22 septembre 2005.

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raisonnement syllogistique. Sa majeure consiste dans l’énoncé de la présomption : tout enfant

conçu a pour père le mari ; sa mineure recouvre le fait connu : or, cet enfant a été conçu

pendant le mariage de sa mère ; sa conclusion correspond à l’établissement du fait inconnu :

donc cet enfant a pour père l’époux de sa mère. Mais le caractère syllogistique de la

présomption ne renseigne guère sur son mode de construction et ne fait qu’octroyer une

apparence de rigueur à un raisonnement tissé de doutes42. Finalement, il est même possible de

« reprocher à l’assimilation entre syllogisme et présomption (…) d’occulter le travail de

construction de la majeure et par là de masquer l’incertitude qui préside à la détermination

des prémisses du raisonnement »43.

Evidemment, plusieurs études concernant les présomptions ont déjà été menées et s’il

faut reconnaître leur importance et leurs mérites, on peut tout de même faire part de certains

regrets les concernant.

Dans un premier temps, on ne peut que déplorer l’absence de vue d’ensemble de la

matière présomptive. Certes, dans son livre intitulé Presumption and the Practices of

Tentative Cognition44, le Professeur RESCHER aborde la présomption d’un point de vue

général. Il s’agit d’un ouvrage majeur sur lequel nous serons amené à revenir ; cependant, il

correspond à une étude philosophique : les présomptions juridiques n’y sont donc évoquées

qu’en tant que déclinaisons, dans un domaine particulier, d’un mécanisme cognitif de plus

grande envergure. Mis à part le Professeur GROSSEN45 et Françoise LLORENS FRAYSSE46,

lesquels ont tous deux consacré un chapitre préliminaire de leurs thèses respectives à

l’identification de la notion, les auteurs qui se sont intéressés à la présomption en ont traité

incidemment, au cours d’une étude sur un tout autre thème47, ou se sont cantonnés à une étude

de la présomption dans une branche spécifique du droit : le droit privé bien souvent48 puisque

42 La formulation syllogistique n’empêche pas l’éventuel sophisme, raisonnement erroné voire absurde mais formellement satisfaisant, à partir du moment où la majeure est inexacte ou abusive ; ainsi une femme mariée peut-elle très bien concevoir un enfant en dehors des liens du mariage. 43 Françoise LLORENS-FRAYSSE, op. cit., p. 45 . 44 Nicholas RESCHER, Presumption and the practices of tentative cognition, Cambridge University Press, 2006. 45 Jacques-Michel GROSSEN, Les présomptions en droit international public, Neuchâtel, imprimerie Delachaux et Niestlé S.A., 1954. 46 Françoise LLorens-FRAYSSE, op. cit. 47 Jean DABIN, Théorie générale du droit, Paris, Dalloz, 1969 ; Jacques GHESTIN et al., Traité de droit civil. Introduction générale, Paris, LGDJ, 1994 ; Jean-François CESARO, Le doute en droit privé, Paris, Ed. Panthéon-Assas, 2003 ; François GENY, Science et technique en droit privé positif : nouvelle contribution à la critique de la méthode juridique, T. III : Elaboration technique du droit positif, Paris, Société du recueil Sirey, 1913-1930. 48 Raymond BARRAINE, op. cit. ; Roger DECOTTIGNIES, op. cit..

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

17

le Code civil a consacré, dès ses débuts, cinq articles49 aux présomptions, le droit pénal50, le

droit social51 mais aussi le droit international public52 ou encore le droit administratif53. Ce

phénomène a incontestablement nui à la théorisation, car, au lieu de mettre l’accent sur des

aspects fondamentaux susceptibles de transcender un domaine d’intervention particulier, les

études menées ont surtout pris en compte les données techniques propres à chaque branche du

droit ; ce n’est pas leur dénier tout intérêt que de regretter leur manque de coordination.

Dans un deuxième temps, les ouvrages traitant de la théorie du droit des présomptions

sont souvent anciens : sans remonter jusqu’à BARTOLE54, LE DUAREN55, ALCIAT 56,

MENOCHIUS57 ou encore POTHIER, on note que beaucoup d’entre eux datent du XIXème ou

de la première moitié du XXème siècle58 à l’instar de la thèse du Doyen DECOTTIGNIES

intitulée Les présomptions en droit privé59 et parue en 1950. A bien des égards, ils sont encore

d’actualité, mais leur ancienneté met en évidence le désintérêt actuel pour la théorie générale

des présomptions.

Dans un troisième temps, cette absence de vue d’ensemble a contribué à rendre la

matière encore plus nébuleuse et confuse qu’elle n’était avant d’être explorée. Tous les

auteurs qui se sont un tant soi peu intéressés à la présomption ont en effet développé leur

propre vision de la notion renforçant son ambiguïté et son imprécision. Par souci de simplicité,

certains d’entre eux ont considérablement restreint le champ présomptif, l’amputant de

catégories que d’autres considéraient comme des composantes essentielles de la notion. Bien

souvent ce sont les présomptions irréfragables60 et les présomptions de fait61, assimilées à des

dénaturations du mécanisme présomptif, qui ont fait les frais de cette épuration.

49 V. les articles 1349 à 1353 du Code civil. 50 Philippe MERLE, op. cit. ; Virginie HECQUET, Les présomptions de responsabilité en droit pénal, Thèse, Lille, 2006. 51 Valérie LE BALCH, Les présomptions en droit social, Presses Universitaires du Septentrion, 2002. 52 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit.. 53 Louis DE GASTINES, Les présomptions en droit administratif, Paris, LGDJ, 1991. 54 BARTOLE, Digestum vetus, Lugduni, 1581, « De probatione et praesumptionibus », XXII, III, cité par Jacques-Michel GROSSEN, op. cit.. 55 LE DUAREN, Opera Omnia, 1746, Vol. III, « De probationibus », Cap. IV, cité par Jacques-Michel GROSSEN, op. cit.. 56 ALCIAT, Tractatus de praesumptionibus, 1571, cité par Jacques-Michel GROSSEN, op. cit.. 57 MENOCHIUS, De praesumptionibus, signis et indiciis, 1688, cité par Jacques-Michel GROSSEN, op. cit.. 58 François GENY, op. cit.. 59 Roger DECOTTIGNIES, op. cit.. 60 Ibid., pp. 41 sq.; Jean DEVEZE, Contribution à l’étude de la charge de la preuve en matière civile, Thèse, Toulouse, 1980, p. 473. 61 Françoise LLORENS-FRAYSSE, op. cit., p. 23 sq.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Enfin, dans un quatrième temps, il faut avouer que la méconnaissance de la

présomption est aussi due au manque de considération dont elle fait souvent l’objet, quoique,

à cet égard, on ne sache plus très bien qui de la méconnaissance ou de la faible considération a

engendré l’autre. « L’ancien droit criminel considérait la preuve par présomption ou “preuve

conjecturale” comme une preuve indirecte et par conséquent inférieure aux autres modes de

preuve : aveu, témoignage, écrit, et même expertise, qualifiés de “preuves directes” »62,

explique le Professeur LANGUI. Dans le même ordre d’idées, certains qualifient la

présomption de « pis-aller »63, d’autres encore estiment que certaines matières « répugnent »

à y recourir64 ou évoquent « la réputation d’infériorité de ce procédé »65. D’où vient que la

présomption inspire si souvent de la défiance ? L’atout et la faiblesse de la présomption, c’est-

à-dire les raisons de son emploi et celles de sa dépréciation, résident précisément dans la

même caractéristique : le fait qu’elle est un mode de connaissance conjectural, l’acceptation

raisonnée d’une vérité incertaine. C’est cet aspect qui fait d’elle à la fois un mécanisme

indispensable et un pis-aller : mode de connaissance par anticipation, la présomption

deviendrait un moyen de prendre ses distances vis-à-vis du réel, voire de le façonner

arbitrairement66. Assurément, le contraste entre l’utilisation fréquente de la présomption et sa

traditionnelle dévalorisation est symptomatique de la méconnaissance dont elle souffre.

Ainsi, compte tenu des lacunes dans la perception du droit des présomptions une

relecture de ce dernier s’impose. Toutefois, eu égard aux constats précédents, on pourrait aller

jusqu’à douter de l’existence d’un droit des présomptions à proprement parler. Pareil doute ne

peut subsister si l’on considère que, malgré un manque incontestable de théorisation, les

présomptions sont omniprésentes dans toutes les branches du droit. Pérennes et transversales,

elles ne sont pas l’apanage d’une époque ou d’une civilisation ; elles se caractérisent au

contraire par leur « permanence » et leur « universalité »67. Non, la présomption n’est pas la

62 André LANGUI, loc. cit., p. 36. 63 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 18 64 MERLE Philippe, op. cit., p. 1. Le Professeur MERLE commence sa thèse relative aux présomptions légales en droit pénal en rappelant la phrase suivante de J.A. ROUX « Le droit pénal répugne aux présomptions ». 65 Henri ROLAND et Laurent BOYER, Adages du droit français, 4ème éd., Paris, Litec, 1999, n° 335 « Praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit ». 66 Valérie LASSERE-KIESOW, « La vérité en droit civil », D., 2010, pp. 907 sq., spéc. p. 911. D’après cet auteur, « Le droit impose des vérités par le mécanisme des fictions ou des présomptions, qui sont des techniques juridiques, mais aussi des mensonges de la loi. Il crée des vérités juridiques incontestables en cachant les artifices exploités à cette fin. S’agissant de la présomption du fait de l’Homme, elle est “fondée sur la probabilité”, ce qui colore la vérité judiciaire d’un vernis d’approximation ». 67 Françoise LLORENS-FRAYSSE, op. cit., pp. XIII et XIV, notes 10 et 11. Françoise LLORENS-FRAYSSE rappelle que l’utilisation des présomptions se retrouve dans la rhétorique grecque et romaine, chez les glossateurs et les canonistes du Moyen Âge et enfin dans l’œuvre de POTHIER. Elle souligne également que les

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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terra incognita du juriste, des ouvrages d’importance ayant déjà grandement défloré la

matière68. Oui, il existe un droit des présomptions et, par delà, on pressent qu’il existe la

Présomption, moyen universel de connaissance sans lequel tout projet de connaissance serait,

à un moment ou un autre, voué à l’échec. Comme l’a démontré le Professeur Rescher: « The

practice of presumption arose initially in the law but subsequently became operative in

virtually every area rational endeavour, for presumption is a remarkably versatile and

pervasively resource. Firmly grounded in the law of evidence from its origins in classical

antiquity, it made its way in the days of medieval scholasticism into the theory and practice of

disputation and debate. And it subsequently extended its reach to play an increasingly

significant role in the philosophical theory of knowledge. It has thus come to represent a

region where lawyers, debaters, and philosophers can all find some common ground69 »

Ainsi, il est impératif de relire le droit des présomptions : si des lacunes sont tolérables

dans l’appréhension d’une notion émergente ou de moindre importance, elles le sont moins

concernant une notion ancienne (pour ne pas dire immémoriale !) et fréquemment usitée

comme la présomption. Finalement, relire, lire une nouvelle fois, c’est simplement tenter de

donner une vision nouvelle d’un domaine déjà connu. En l’occurrence, il s’agit de relire la

nature, le mode de fonctionnement et le rôle de la présomption et peut-être, aussi, de lui faire

quitter le statut de pis-aller pour un autre, plus glorieux, plus lumineux. Pour ce faire, le droit

européen des droits de l’Homme peut constituer une aide précieuse.

Section 2- L’intérêt d’une relecture à la lumière du droit

européen des droits de l’Homme

Avant d’envisager en détail l’intérêt d’une relecture du droit des présomptions à la

lumière du droit européen des droits de l’Homme, une remarque sémantique s’impose.

L’emploi de la locution « à la lumière » dans le titre de l’étude est significatif ; par sa

connotation positive70, la lumière étant ce qui éclaire et guide l’esprit, ce qui rend visible les

présomptions sont connues des civilisations archaïques mais aussi des civilisations africaines, islamiques et indochinoises, etc. 68 Les présomptions et les fictions en droit, études publiées par Chaïm PERELMAN et Paul FORIERS, Bruxelles, Bruylant, 1974. 69 Nicholas RESCHER, op. cit., Preface, XI. 70 Etymologiquement, le terme « lumière » relève de l’éloge (y compris dans des acceptions techniques). On retrouve cette valeur dans le contexte théologique quand il s’agit de rayonnement divin, de source de vérité et dans le contexte philosophique avec les Lumières. V. REY Alain (dir.), Le Robert, Dictionnaire historique de la langue française, janvier 1994.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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obscurités71, cette locution suggère quel sera le rôle du droit européen des droits de l’Homme

dans la relecture entreprise. Des expressions moins imagées telles que « à l’aune » ou « à

l’épreuve » aurait pu être choisies. Leur préférer « à la lumière », c’est énoncer l’hypothèse

sur laquelle se fonde ce travail ; hypothèse selon laquelle le droit européen des droits de

l’Homme apporte un éclairage novateur au droit des présomptions et marque son renouveau.

D’aucuns tiendront sans doute pareille hypothèse pour fantasque. Comment la

conjonction d’une technique ancienne, parfois rangée parmi les « procédés archaïques et peu

sûrs venant de l’ancien droit »72 ou encore fermement condamnée par certains auteurs73, et

d’un droit récent, peuplant les nuits de certains juristes éminents d’affreux cauchemars74,

pourrait-elle conduire au renouveau de la première, à la réalisation du second et, finalement, à

la promotion des deux ? Et voici l’un des attraits de l’étude entreprise : relever un défi et

montrer que, en droit comme en mathématiques, deux données négatives qui s’ajoutent

peuvent engendrer une donnée positive !

Par delà son aspect polémique et de ce fait attirant, l’étude entreprise nous semble

digne d’intérêt pour deux autres raisons.

La première raison tient au fait que l’usage des présomptions par la Cour européenne

des droits de l’Homme est désormais trop ostensible et surtout trop varié pour rester ignoré.

Ostensible tout d’abord puisque l’œuvre créatrice de la Cour en la matière est parfois

spectaculaire. L’usage le plus remarquable des présomptions concerne notamment l’article 2

de la Convention relatif au droit à la vie, l’article 3 relatif à la torture ou encore l’article 14

relatif à l’interdiction de la discrimination. Ainsi, la Cour de Strasbourg n’hésite pas à

présumer la responsabilité de l’Etat sur le fondement des articles 2 et 375 lorsqu’une personne,

71 LITTRE, Dictionnaire de la langue française, T. 3, éditions du cap, Monte-Carlo, 1974. 72 Louis DE GASTINES, op. cit.., p. 1. 73 Ainsi le Professeur DE CORAIL écrit dans la préface de l’ouvrage de Louis DE GASTINES sur Les présomptions en droit administratif que : « M. de Gastines apprécie avec pessimisme l’accueil qui peut être réservé à la présomption dans la théorie du droit administratif et même dans la théorie générale du droit. Il écarte délibérément la présomption dans le domaine de la connaissance du droit dès lors qu’elle ne pourrait servir de fondement aux règles et qu’elle ne rend qu’imparfaitement compte des solutions complexes. Du point de vue de la casuistique juridique, elle serait présente dans divers contentieux mais sous la forme d’une présomption de fait. Au niveau supérieur de la législation, la présomption serait exclue du domaine des présomptions “règles-valeurs”, elle pourrait être admise, mais le droit positif est contraire, dans celui des “règles-moyens” qui mettent en œuvre les premières ». DE GASTINES Louis, op. cit., Préface, XV-XVI. 74 Sur ce point, V. l’article du Professeur MALAURIE « Grands arrêts, petits arrêts et mauvais arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme », in P.A., 21 août 2006, n° 166. L’auteur, non content d’y tenir lui-même des propos critiques à l’égard de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg, rappelle ceux des Doyens CORNU et CARBONNIER. 75 CEDH, 1er septembre 2006, Taïs contre France, req. no 39922/03.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

21

en bonne santé au moment de son arrestation, a trouvé la mort ou a subi des blessures alors

qu’elle se trouvait aux mains des agents de l’Etat. De même, en s’appuyant sur l’article 14 de

la Convention, elle accepte de présumer la discrimination indirecte76, à l’instar du droit de

l’Union européenne77. Pareille utilisation du mécanisme présomptif invite tout simplement à

repenser le droit des présomptions. Si la Cour européenne accorde dans sa jurisprudence une

place prépondérante à la présomption, c’est parce que celle-ci lui permet de réaliser ses

objectifs, de promouvoir les droits conventionnellement garantis et de constater la violation de

certains d’entre eux alors même que les faits n’ont pas pu être clairement établis. On voit mal

quelle autre technique permettrait à la Cour de constater la violation des articles 2 et 3

lorsqu’une personne gardée à vue est décédée ou a subi des blessures, toutes les preuves se

trouvant aux mains de l’Etat. La présomption participerait donc à l’interprétation évolutive de

la Convention européenne des droits de l’homme. Cependant, son usage ne serait pas à sens

unique, puisque la Cour se sert parfois des présomptions en dehors de l’interprétation

évolutive. En effet, elle manie la présomption dans bien d’autres domaines ; la présomption

d’équivalence entre le système de protection des droits fondamentaux de l’Union européenne

et la Convention européenne élaborée dans l’arrêt Bosphorus Air lines du 30 juin 200578 le

prouve. Apparaît alors l’idée que la présomption serait fondamentalement une technique

neutre pouvant être utilisée à des fins diverses et qu’ainsi, loin d’être un pis-aller à éliminer du

droit, elle est liée à la réalisation du droit, et, osons le mot, à son effectivité.

L’usage des présomptions est ensuite varié : les juges européens ont affaire aux

présomptions à double titre. D’un côté, ils sont susceptibles d’user de leurs propres

présomptions. Celles-ci peuvent être conventionnelles, comme la présomption d’innocence

garantie par l’article 6 § 2 de la Convention européenne des droits de l’Homme, ou judiciaires,

à savoir celles qu’ils créent eux-mêmes. Ainsi, la Cour établit l’existence d’une pratique

administrative79 grâce au mécanisme présomptif : l’accumulation de violations analogues ou

identiques et la tolérance officielle permettent de présumer l’existence d’une telle pratique80.

76 CEDH, Grde Ch., 13 novembre 2007, D.H. c/ République Tchèque, req. n° 57325/00. 77 Voir les directives du Conseil 97/80/CE et 2000/43/CE. 78 CEDH, Grde Ch., 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yollaris turizm ve ticaret sirketi c/ Irlande (Bosphorus Air lines), req. n° 45036/98. 79 CEDH, 28 juillet 1999, Di Mauro c/ Italie, req. n° 34256/96 ; CEDH, 28 juillet 1999, Ferrari c/ Italie, req. n° 33440/96. 80 Franklin KUTY, « Les violations répétées de l’exigence de délai raisonnable : une pratique incompatible avec la Convention », RTDH 2000, p. 531 sq. ; Jean-François FLAUSS, « La Cour de Strasbourg face aux violations systématiques des droits de l’Homme », Mélanges en hommage à Pierre LAMBERT - Les droits de l’Homme au seuil du troisième millénaire, 2000, Bruxelles, Bruylant, pp. 341-351.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

22

D’un autre côté, les mêmes juges européens ont parfois à se prononcer sur des présomptions

de droit interne. Par exemple, dans les arrêts Salabiaku81 et Pham Hoang82, l’utilisation par le

juge français de présomptions de culpabilité en matière douanière a été examinée sur le

fondement de l’article 6 § 2.

La seconde raison découle de la précédente : grâce à son usage manifeste et multiple

des présomptions, le droit européen des droits de l’Homme en offre une vue d’ensemble ;

celle-là même qui, jusqu’alors, faisait cruellement défaut. Il mène en effet à toutes les

présomptions : celles qui, classiques, sont issues du droit civil à l’instar de la présomption de

paternité83, celles qui proviennent du droit pénal, du droit douanier84 ou encore du droit

fiscal85 et enfin celles qui, transversales, irriguent l’ensemble du droit positif, telle la

présomption de connaissance de la loi86. Ce faisant, il permet de relativiser la distinction entre

droit public et droit privé et par là-même d’analyser globalement le droit des présomptions.

Comme le souligne le Professeur TAVERNIER : « La Convention européenne des droits de

l’Homme intéresse pratiquement toutes les branches du droit : au premier chef le droit pénal,

mais aussi le droit civil et notamment le droit de la famille, le droit du travail et le droit de la

sécurité sociale et aussi le droit de l’urbanisme, celui de l’environnement ou même de

nombreux aspects du droit administratif, y compris du droit fiscal et douanier, qui constituent

pourtant le symbole le plus fort de la souveraineté étatique et de la puissance publique. (…)

Désormais tous les juristes, qu’ils soient spécialistes de droit public ou de droit privé, sont

intéressés par la Convention et par l’interprétation qui en est donnée par les tribunaux

nationaux ainsi que par les organes de Strasbourg. On peut affirmer que la Convention

européenne se situe à la charnière du droit public et du droit privé »87. Dans le même ordre

d’idées, d’autres auteurs comparent même la Cour de Strasbourg à une cour

constitutionnelle88.

81 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83. 82 CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87. 83 CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et autres c/ Pays-Bas, req. n° 18535/91 ; CEDH, 2 juin 2005, Znamenskaya c/ Russie, req. n° 77785/01 ; CEDH, 24 novembre 2005, Shofman c/ Russie, req. n° 74826/01 ; CEDH, 12 janvier 2006, Mizzi c/ Malte, req. n° 26111/02 ; CEDH, 9 novembre 2006, Tavli c/ Turquie, req. n° 11449/02. 84 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83 ; CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87. 85 CEDH, 23 juillet 2002, Janosevic c/ Suède, req. n° 34619/97. 86 CEDH, 13 décembre 2007, Emonet et autres c/ Suisse, req. n°39051/03. 87 Paul TAVERNIER, « La Convention européenne des droits de l’Homme et la distinction droit public - droit privé », Liber amicorum Marc-André EISSEN, Bruxelles, Bruylant, 1995, pp. 399 sq. 88 Jean-François FLAUSS, « La Cour européenne des droits de l’Homme est-elle une Cour constitutionnelle ? », RFDC, 1996, pp.711 sq. et « La Convention européenne des droits de l’Homme et la volonté des Etats », Le rôle

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

23

Dès lors, le droit européen des droits de l’Homme apparaît comme un observatoire

privilégié de la matière présomptive ; grâce à lui, l’analyse du droit des présomptions peut

non seulement quitter le giron maternel que représente le droit civil, mais encore s’affranchir

du traditionnel clivage entre droit public et droit privé et, enfin, s’inscrire dans une

perspective totalement novatrice : une perspective systémique, seule à même de dévoiler son

ampleur et ses potentialités. En effet, envisager le droit des présomptions au sein du système

juridique paraît être la solution adéquate pour dégager une vision générale de ce dernier.

Apparemment simple et classique - « on présente volontiers, dans tous les secteurs de la

pensée juridique, le droit comme un système » explique le Professeur TIMSIT89 - cette

démarche mérite cependant de plus amples explications eu égard aux difficultés engendrées

par l’utilisation de la notion de système juridique.

Souvent contestée, cette notion fait figure de fourre-tout abstrait et commode

permettant de désigner « le droit en soi »90. Ainsi certains tiennent le terme de système pour

un « mot à tout faire » ou encore un « concept incertain »91. D’autres, cependant, ne lui

dénient pas toute pertinence ; le Professeur RIALS rappelle ainsi que la « systématicité du

droit s’offre à la raison comme un fait »92. Pour sa part, le Professeur GRZEGORCZYK,

même s’il émet diverses critiques à l’égard de la conception systémique du droit, explique

qu’elle est « une réponse au morcellement du savoir » et permet « une globalisation du

regard sur la réalité, pour la rendre intelligible dans son unité fondamentale »93. Dans cette

optique, le droit européen des droits de l’Homme semble bel et bien offrir une vision

systémique de la matière présomptive, permettant de relire le droit des présomptions. Reste

alors à envisager comment mener cette relecture.

de la volonté dans les actes juridiques - Etudes à la mémoire du Professeur Alfred RIEG, Bruxelles, Bruylant, 2001. 89 Gérard TIMSIT, « Système », Denis ALLAND et Stéphane RIALS Stéphane (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, Lamy, 2003, pp. 1462 sq. 90 Roberto J. VERNENGO, « Le droit est-il un système ? », Archives de Philosophie du droit, T. 36 : Droit et science, Paris, Sirey, 1991, pp. 253 sq., spéc. p. 255. 91 Jean COMBACAU, « Le droit international : bric à brac ou système ? », Archives de Philosophie du droit, T. 31 : Le système juridique, Paris, Sirey, 1986, pp. 84 sq., spéc. P. 84. 92 Stéphane RIALS, « Supraconstitutionnalité et systématicité du droit », Archives de Philosophie du droit, T. 31, op. cit. note 91, pp. 57 sq., spéc. p. 71. 93 Christophe GRZEGORCZYK, « Evaluation critique du paradigme systémique dans la science du droit », Archives de Philosophie du droit, T. 31, op. cit. note 91, pp. 281 sq., spéc. p. 282. L’auteur explique également qu’on est alors face à un « système-synthèse » qui répond au besoin de « dépasser le morcellement du droit dû à la spécialisation croissante de ses branches, et d’assurer son unité de plus en plus problématique ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

24

Section 3- La manière de relire le droit des présomptions à la

lumière du droit européen des droits de l’Homme

Il semble à présent utile d’apporter quelques précisions concernant la manière dont

l’étude va être menée. Toutes ces précisions ont trait à l’idée selon laquelle la tâche entreprise

paraît colossale et son ampleur déraisonnable.

Relire le droit des présomptions, c’est, on l’a dit, essayer de poser un regard neuf, si

possible critique et synthétique, sur la globalité de la matière présomptive. Pareil projet

semble pour le moins téméraire : comment relire rigoureusement un droit dont on a souligné

l’ampleur – les présomptions interviennent dans toutes les branches du droit – et les lacunes

fondamentales – c’est un droit morcelé et incomplet, aucune définition unanime des

présomptions n’existe ?

Et voilà qu’à peine entamée, cette étude semble vouée à l’échec faute de pouvoir tout

dire sur toutes les présomptions.

Il semble pourtant possible de surmonter ces obstacles grâce à une délimitation précise

du sujet résultant de la détermination d’une définition de recherche du terme présomption

d’une part, grâce au choix d’une méthode d’autre part.

Si le but d’une définition de recherche est avant tout de délimiter le thème de la

recherche, il est aussi de ne pas éliminer par avance trop d’objets de la catégorie étudiée. La

définition choisie ne doit donc pas être trop restrictive. A cet égard, la définition classique de

la présomption semble dangereusement réductrice. En mettant en avant le passage du fait

connu à un fait inconnu, elle exclut de son champ certaines notions juridiques pourtant

qualifiées de présomptions. La présomption d’innocence déjà mentionnée, la présomption de

connaissance de la loi, la présomption de bonne foi ou encore la présomption selon laquelle la

chose jugée correspond à la vérité ne pourront être rattachées qu’artificiellement à cette

définition. Le fait présumé ne semble pas à proprement parler découler d’un autre fait : on sait

que l’innocence ne découle pas de l’accusation, on sait combien la présomption de

connaissance de la loi est artificielle, on sait que la bonne foi est plus un a priori positif que la

conséquence d’un fait particulier, on sait enfin que l’autorité de chose jugée est avant tout une

nécessité pour le fonctionnement de la Justice. Est-ce à dire que ces présomptions, parmi les

plus illustres, n’en sont pas vraiment ? Rien n’est moins sûr ! On peut en effet se demander si

elles ne correspondraient pas à la définition citée au début de notre introduction, selon

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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laquelle la présomption est une anticipation sur ce qui n’est pas encore prouvé ou sur ce qui

ne peut l’être.

Cela dit, choisir comme point de départ une définition extensive, c’est prendre le

risque d’une dilution de la notion. A cet égard, GENY écrivait à propos de la présomption que,

« tant qu’on lui conserverait une généralité aussi diffuse, il serait malaisé d’y découvrir un

procédé spécifique, méritant d’être étudié à part »94. Mais des tentatives de décryptage du

mécanisme présomptif à partir d’une définition plus restrictive, telle celle de l’article 1349 du

Code civil, ont déjà été menées à bien sans qu’une véritable unité lui soit conférée, le terme de

présomption semblant toujours recouvrir des procédés juridiques disparates. Par conséquent,

il paraît opportun de se fonder sur une définition plus large, de type étymologique, l’objectif

étant, à terme, d’en élaborer une plus complète.

Dans le même ordre d’idées, pour éviter d’aborder trop restrictivement le sujet, il

convient de déterminer si son approche doit se faire grâce à une heuristique nominaliste,

amenant à n’admettre l’existence de présomptions que là où le terme de présomption ou un

vocable apparenté est employé, ou grâce à une heuristique conceptuelle, qui requiert le choix

d’une définition préalable à l’aune de laquelle sont ensuite déterminées les manifestations de

la présomption95. Ainsi que l’a démontré le Professeur VAN DROOGHENBROECK, ces

deux approches connaissent des limites. La première « interdit de déduire quelqu’extension

du champ d’analyse au départ des parallèles sémantiques que l’auteur du discours étudié

s’autorise lui-même »96 tandis que, dans la seconde, « le choix de la définition de départ

oriente en fait, de manière décisive les résultats de l’analyse », ce dont on peut déduire « que

ce sont, en fait les résultats espérés de l’analyse qui rétroagissent sur le principe de la

définition de départ » 97. Par conséquent, à l’instar de cet auteur, on peut considérer que le

meilleur choix est peut-être celui d’une solution intermédiaire consistant à partir d’une

approche nominaliste et à la compléter par une approche conceptuelle, approche opportune en

l’occurrence puisqu’une définition de recherche a été adoptée.

Par ailleurs, l’objectif de notre étude étant à présent clair - il s’agit de poser un regard

nouveau sur le droit des présomptions, de le repenser grâce au droit européen des droits de

94 François GENY, op. cit., p. 267. 95 Sébastien VAN DROOGHENBROECK, La proportionnalité dans le droit de la Convention européenne des droits dd el’Homme – Prendre l’idée simple au sérieux, Publications des facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, Bruylant, 2001, V. pp. 28-30. 96 Ibid., p. 29 § 22. 97 Ibid., p. 29 § 23.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

26

l’Homme et à l’hypothèse fondatrice selon laquelle, la présomption, technique de réalisation

du droit, peut servir au mieux les droits de l’Homme -, il est nécessaire de choisir une

méthode pour tenter de l’atteindre. Celle-ci doit tenir compte du caractère nébuleux du droit

des présomptions qu’une première approche a mis en évidence. Le droit des présomptions est

susceptible d’être éclairé par le droit européen des droits de l’Homme précisément parce qu’il

est obscur ; s’il avait d’ores et déjà un objet nettement déterminé, la notion de présomption

étant elle-même clairement définie, point ne serait besoin de le relire à la lumière du droit

européen des droits de l’Homme ; il suffirait d’analyser les relations qu’entretiennent ces deux

branches du droit grâce à un inventaire commenté des présomptions auxquelles recourt le

droit européen des droits de l’Homme et dont traite sa jurisprudence. Dès lors, compte tenu

des incertitudes voire des béances qui ourlent encore le droit des présomptions, une telle

démarche paraît prématurée. Aussi lui en préfèrerons-nous une autre, plus classique et surtout

plus fondamentale, consistant à analyser l’apport du droit européen des droits de l’Homme à

l’égard de la nature des présomptions d’une part, de leur fonction d’autre part.

Le premier volet de la relecture entreprise portera donc sur l’essence du mécanisme

présomptif. Loin d’étayer la thèse d’une diversité insurmontable des présomptions, le droit

européen des droits de l’Homme, mettant de l’ordre dans le désordre, révèle au contraire

qu’elles ont toutes, malgré la variété de leurs modes de fonctionnement, une nature profonde

commune. Au lieu de réduire le droit des présomptions à l’une des composantes du droit de la

preuve, il lui confère donc une ampleur considérable et une autonomie certaine.

Le second volet de la relecture s’attachera, pour sa part, à la mission du droit des

présomptions. Il s’agira plus précisément de reconsidérer le rôle des présomptions,

traditionnellement tenu pour relatif. Les présomptions participent en effet tant à la cohésion

qu’à l’évolution du droit européen des droits de l’Homme, c’est-à-dire à ces deux

mouvements à la fois contradictoires et complémentaires qui assurent la pérennité de tout

système juridique98.

Encore faut-il préciser que le premier aspect de cette recherche ne le cède en rien au

second : il en constitue le préalable indispensable ; on ne saurait en effet identifier les

missions du droit des présomptions et encore moins les reconsidérer si l’on ne sait exactement

98 Sur cette question, V. notamment : Jean CARBONNIER, Sociologie juridique, 2ème éd., Paris, PUF, Quadrige, 2004, pp. 346-355 ; Georges RIPERT, Les forces créatrices du droit, Paris, LGDJ, 1955, pp. 86 sq., n° 31.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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ce qu’il recouvre. Voilà pourquoi, relire le droit des présomptions à la lumière du droit

européen des droits de l’Homme, c’est d’abord révéler la nature unitaire des présomptions

(Partie I), ensuite revaloriser leur rôle (Partie II).

Partie 1- Révélation de la nature unitaire des présomptions

Partie 2- Revalorisation du rôle des présomptions

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Partie I- Révélation de la nature unitaire

des présomptions

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

29

A première vue, excepté de vagues pressentiments et l’espérance naïve selon laquelle

le mot présomption dans ces divers emplois aurait toujours la même signification, rien ne

laisse supposer l’unité fondamentale du mécanisme présomptif. D’une part, la doctrine

s’applique à montrer combien la matière est confuse voire inextricable et nombre d’auteurs

ont proposé des distinctions refoulant certaines présomptions au rang des fictions99 ou encore

des principes100. D’autre part, lorsqu’on traque le mécanisme présomptif à travers la

jurislation101, lorsqu’on le scrute à travers la littérature juridique, on se perd, on piétine en

cette recherche avec la désagréable impression d’être face à un mécanisme fondamental,

nécessaire au droit, mais que cette nécessité soustrait à tout effort de théorisation.

On s’embarrasse alors dans la confusion de questions qui sont toujours les mêmes.

Qu’est-ce qu’une présomption ? Quelle caractéristique commune permet d’appeler

présomption des mécanismes aussi différents que la présomption d’innocence, considérée

avant tout comme un droit subjectif, et la présomption de paternité, prototype du mécanisme

mettant en œuvre le passage d’un fait connu à un fait inconnu ? Cet emploi d’un même terme

dans des circonstances si variées n’est-il pas abusif ?

Puis, alors même qu’on croit s’être définitivement enlisé, qu’on se résigne à admettre

que les multiples présomptions irrigant notre droit ont en partage leur seule dénomination, on

devine une solution. Lentement, l’essence primordiale de la présomption apparaît. On perçoit

ce que la présomption a de permanent, cette puissance d’anticipation sur une réalité toujours

fuyante, puissance qui cède parfois devant la preuve d’une réalité contraire (lorsque la

présomption est réfragable) ou devant laquelle il arrive, à l’inverse, que la réalité s’incline

(lorsque la présomption est irréfragable). On perçoit que chaque présomption est un fragment

d’un même mouvement de pensée, l’un des reflets d’une forme unique de raisonnement.

Finalement, derrière la diversité se cacherait l’unité.

Ainsi la prise de conscience de l’unité fondamentale de la présomption est-elle de

l’ordre de la révélation, ce terme désignant le fait de montrer ce qui était caché, secret : la

99 Pascale DEUMIER, « La publication de la loi et le mythe de sa connaissance », P.A., 6 mars 2000, n° 46, pp. 6 sq. 100 Hervé HENRION, La nature juridique de la présomption d’innocence – Comparaison franco-allemande, Facultés de droit de Montpellier, coll. Thèses, 2006. 101 D’après le Professeur TUSSEAU, « Le terme « jurislation » et ses dérivés s’appliquent aux activités d’émission du droit, qu’il s’agisse de lois, de règlements administratifs, de décision juridictionnelles ou encore de contrats ». Guillaume TUSSEAU, « Jeremy Bentham et les droits de l’Homme : un réexamen », RTDH, 2002, pp. 407 sq., spéc. p. 410, note 17.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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nature unitaire des présomptions, si elle est parfois pressentie102, n’est pas pour autant

évidente et ne peut être capturée qu’au terme d’importants efforts de théorisation.

Révéler la nature unitaire des présomptions, c’est donc, dans une première étape,

tenter d’élaborer une théorie générale des présomptions. L’élaboration d’une telle théorie

apparaît comme l’indispensable point de départ de la relecture du droit des présomptions

entreprise dans cette étude. Elle permettra en effet de clarifier ledit droit, dont on a déjà

évoqué la méconnaissance et les importantes lacunes. Mais surtout, elle permettra de vérifier

si toutes les présomptions, en dépit de leurs divergences, sont bel et bien les déclinaisons d’un

seul et même procédé d’anticipation sur une réalité inconnue.

Révéler la nature unitaire des présomptions nécessitera ensuite une deuxième étape :

pour acquérir toute sa valeur, la théorie générale devra être confrontée au droit de la

Convention européenne de droits de l’Homme. Cette confrontation, eu égard à l’usage intensif

des présomptions en droit européen des droits de l’Homme, permettra de vérifier la pertinence

de la théorie générale et, peut-être, de corroborer la thèse de l’unité du mécanisme présomptif

notamment en mettant à jour les liens concrets entre les diverses présomptions.

De prime abord, la démarche ainsi choisie, c’est-à-dire l’élaboration d’une théorie

générale et sa confrontation ultérieure au droit européen des droits de l’Homme, n’est peut

être pas la plus évidente compte tenu du titre de l’étude entreprise, Relecture du droit des

présomptions à la lumière du droit européen des droits de l’Homme, et de l’intitulé de la

partie entamée, Révélation de la nature unitaire des présomptions. D’aucuns s’attendraient

peut-être à une approche plus directe de la matière présomptive européenne, sans

l’intermédiaire abstrait – pour ne pas dire ingrat - d’une théorie. Pourtant, plusieurs arguments

justifient pleinement cette approche originale.

Tout d’abord, si l’on considère la visée globale de l’étude, l’élaboration d’une théorie

générale s’avère nécessaire. Elle seule rend possible une vision globale de la matière

présomptive et par la même une relecture du droit des présomptions.

Ensuite, concernant la volonté de révéler l’unité du mécanisme présomptif,

l’élaboration d’une théorie générale semble là encore opportune : elle seule permet de voir si

102 Après avoir montré qu’il existe plusieurs sortes de présomptions, le Professeur BARRAINE explique qu’il n’existe pas cependant « de distinction nettement tranchée » et que toutes les présomptions « émergent en quelque sorte d’un tout continu ». BARRAINE Raymond, op. cit., p. 230.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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derrière un même concept se cachent des réalités tellement divergentes que de nouvelles

dénominations seraient bienvenues ou si, au contraire, malgré la diversité des présomptions,

un même mécanisme, un même mouvement de pensée est toujours à l’œuvre.

En définitive, l’apport du droit européen, pour indispensable qu’il soit, ne pourra être

logiquement envisagé que dans un second temps, lorsque des bases claires et précises auront

été posées. Il permettra alors d’affiner la première approche théorique de la matière

présomptive par une analyse plus pragmatique.

Ainsi, la révélation de la nature unitaire de la présomption se déroulera en deux temps :

tout d’abord il conviendra d’en poser les fondements en tentant d’élaborer une théorie

générale des présomptions (Titre I), ensuite il sera opportun de la finaliser en la confrontant

au droit européen des droits de l’Homme (Titre II).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Titre I- Essai de théorie générale des

présomptions

Ainsi que le notait déjà le Professeur GROSSEN en 1956, « il est à peu près autant de

définitions des présomptions que d’auteurs qui ont consacré quelques lignes à cette notion, et

ces définitions varient indéfiniment »103. Donner une définition de la présomption n’est donc

pas chose facile, c’est pourtant ce que nous essayerons de faire en nous appuyant sur les

définitions et les tentatives de classifications existantes.

Lorsqu’un juriste français s’intéresse à la notion de présomption – notion souvent

utilisée et cependant floue – il pense immédiatement, et avec raison, à l’article 1349 du Code

civil. D’après cette disposition, empruntée à DOMAT104 « les présomptions sont des

conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu ». Néanmoins, il

semble que le terme de présomption dépasse le seul cadre de la technique probatoire visée à

l’article 1349, technique permettant d’inférer l’existence d’un fait à partir d’un autre fait plus

simple à prouver, et recouvre d’autres notions, qui, quoiqu’importantes qualitativement et

quantitativement, sont sans doute moins visibles au sein du système juridique ou, en tout cas,

insuffisamment visibles pour faire l’objet d’une catégorisation.

On note cependant que certains auteurs ont tenté de dépasser la définition

traditionnelle.

D’une part, certains d’entre eux ont envisagé des classifications originales. M. Louis

DE GASTINES, par exemple, estime qu’il faut distinguer entre les présomptions légales et les

présomptions de fait, c’est-à-dire celles du juge. Selon lui, les premières seraient des règles de

preuve mettant en œuvre un procédé logique, « la présomption-affirmation » consistant à tenir

pour vrai une affirmation jusqu’à preuve ou démonstration du contraire. Les secondes

correspondraient à un raisonnement par lequel on pose, en matière de fait une conclusion

probable bien qu’incertaine. Il s’agirait d’une « présomption-induction » 105. Le Professeur

BARRAINE, quant à lui, distingue trois grands types de présomptions : les présomptions

règles de preuve admettant la preuve contraire, les présomptions également règles de preuve

103 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., 1956, p. 15. 104 Jean DOMAT, Les lois civiles dans leur ordre naturel, Livre III, T. VI, Section IV, article 1er, 1756. 105 Louis DE GASTINES, op. cit., pp. 58-60.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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mais n’admettant pas la preuve contraire et, enfin, les présomptions qui sont des éléments

constitutifs d’une règle de fond, c’est-à-dire qui tendent « à justifier, à côté d’autres motifs »,

une règle de droit106.

D’autre part, la doctrine, dans une conception relativement proche de celle du

Professeur BARRAINE, reconnaît fréquemment l’existence de deux grands types de

présomptions : le premier correspondrait aux présomptions règles de preuves, le second aux

présomptions motivant une règle de fond. « Monsieur Gény nomme les présomptions se

mouvant sur le terrain de la preuve, les présomptions « sensu stricto », et celles qui servent de

motif à une règle de fond, les présomptions « sensu largo ». Monsieur Dabin parle

de « présomptions-preuves » dans le premier cas, de « présomptions-concepts » dans le

second, Monsieur Burckhard de « prozessualische Präsumtionen » et de « materielle

Präsumtionen » » 107 souligne le Professeur GROSSEN qui reprend à son compte les

appellations « présomptions-preuves » et « présomptions-concepts ».

Cette classification n’est pas entièrement dénuée d’intérêt : elle a le mérite de montrer

que les présomptions n’interviennent pas toujours sur le même plan, certaines ayant un rôle

probatoire, d’autres justifiant une règle juridique. Cependant, elle doit être révisée pour deux

raisons. La première est que sa portée demeure très limitée : elle en est encore au stade de

l’émergence plus que d’une véritable reconnaissance ; les deux catégories qu’elle fait

apparaître n’ont donc pas de définition unanime. Il est par conséquent impératif d’analyser

plus précisément leur champ d’intervention. La seconde est que cette classification paraît vite

incomplète si l’on considère qu’elle ne prend pas en compte les « présomptions formelles »108,

lesquelles correspondent à des affirmations non démontrées dont le système juridique a besoin

pour fonctionner et peuvent, à ce titre, être appelées présomptions-postulats109. Ainsi, cette

classification laisse un goût d’approximatif, d’inachevé, justifiant que, lors de l’élaboration

d’une théorie générale, on la revisite et on la dépasse en y intégrant une autre catégorie.

En définitive, trois catégories de présomptions semblent irriguer le droit positif. Si l’on

tente d’analyser les présomptions en allant des plus classiques au plus originales, on découvre,

106 BARRAINE Raymond, op. cit., pp. 227-230. 107 Ibid., p. 21. 108 L’appellation est du Professeur WROBLEWSKI. V. Jerzy WROBLEWSKI, « Structure et fonctions des présomptions juridiques », dans Chaïm PERELMAN et Paul FORIERS, op. cit. p. 19, pp. 43 sq. 109 Il semble justifié de désigner la catégorie des présomptions formelles par l’appellation présomptions-postulats afin que les trois catégories portent un nom établi sur le même modèle, à savoir deux substantifs dont le second révèle l’orientation de la présomption.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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en premier lieu les présomptions-preuves, mécanismes de raisonnement permettant de pallier

la carence de preuve, en deuxième lieu les présomptions-postulats, affirmations axiomatiques

qui consistent à considérer quelque chose comme existant de plein droit tant que la preuve

contraire n’est pas fournie, et, en dernier lieu, les présomptions-concepts, situées en amont

d’une règle de droit ou du raisonnement d’un juge dont elles sont le motif.

Seront donc successivement étudiées la présomption-preuve (Chapitre 1), la

présomption-postulat (Chapitre 2) et la présomption-concept (Chapitre 3).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Chapitre 1- La présomption-preuve

Avant d’entamer l’étude des présomptions-preuves, appellation dont, rappelons-le, la

paternité revient au Professeur DABIN et la consécration au Professeur GROSSEN, il

convient de situer le mécanisme et ses enjeux. Pour ce faire, un détour par la doctrine

classique semble de bon aloi. D’après le Doyen GENY, la présomption, lorsqu’elle est une

règle de preuve, est une « opération intellectuelle, consistant à dissiper les incertitudes ou les

troubles des situations et des concepts, au moyen d’une affirmation audacieuse, qui tranche

violemment le débat possible dans le sens le plus conforme à ce que l’ordre des choses permet

normalement d’attendre. – L’usage fréquent de ce procédé s’explique sans peine, si l’on

considère, d’une part, tout ce que le monde à régir enferme d’obscurité et d’équivoques (…),

d’autre part, la sécurité et la précision, que postule (…) la réalisation pratique du Droit. Le

seul moyen de résoudre pareille antinomie, c’est de transformer les doutes en vérités, les

hésitations en certitudes ; et ce résultat ne s’obtient rationnellement, que par un effort de

l’esprit, se basant sur les suggestions que l’expérience a acquises, pour conformer ses

décisions à ce que formule la normalité (…) ».110 On entrevoit déjà le lien existant entre

présomption-preuve et vérité111 : symbolique de la relativité de la vérité judiciaire en ce

qu’elle permet de pallier la carence de preuve par l’établissement d’un fait inconnu à partir

d’un fait connu (Section 1), la présomption-preuve aboutit à une vérité construite grâce à des

critères objectifs et subjectifs (Section 2).

110 François GENY, op. cit., p. 266. 111 Gérard CORNU, L’art du droit en quête de sagesse, PUF, doctrine juridique, 1998, chapitre 17, « La vérité et le droit », pp. 211 sq. : le Doyen CORNU estime d’ailleurs que le terme de présomption fait partie des termes juridiques qui entourent la notion de vérité.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Section 1- Le symbole de la relativité de la vérité judiciaire

On affirme fréquemment que toute vérité est relative112. Pareille affirmation s’explique

par le fait que la vérité, même si elle s’efforce de refléter la réalité, ne se confond pas avec

elle. En effet, à la différence du réel, la vérité est de l’ordre du discours, elle se situe donc

dans un rapport de dépendance vis-à-vis de l’homme et doit être, nécessairement,

recherchée113. En matière judiciaire, l’objet du débat étant justement d’établir, au moyen de

preuves, la vérité de faits contestés - auxquels sont attachés des effets de droit - ces remarques

sont singulièrement valables114. La présomption, technique qui permet d’inférer un fait

inconnu d’un fait établi, en témoigne. Précisément, l’existence de ce procédé, de cet « artifice

de la pensée corrigeant l’inconsistance ou la contingence de la vie »115 suffit pour révéler la

subjectivité de la vérité judiciaire : il montre que lorsque les faits sont discutés et échappent

au domaine des simples constatations matérielles, la vérité s’éloigne et n’est plus accessible

que par des voies intellectuelles. Plus question alors de parler d’une vérité absolue. On peut

par conséquent se ranger aux côtés de M. Paul FORIERS lorsqu’il écrit : « un fait n’est pas

une chose ou un événement réellement existant, c’est une chose dont l’existence (réelle ou

112 Pour une définition de la notion de vérité V. : « Vérité », Elizabeth CLEMENT et al., La Philosophie de A à Z, Paris, Hatier, octobre 1994. 113 Gérard CORNU, loc. cit., p. 114. L’auteur estime que l’office du juge est de « reconnaître la vérité ». Selon lui, « en tout jugement, il y a un verdict qui se cherche, vere dictum, une diction, une juridiction de vérité, ou plutôt même, si l’on osait créer ce mot, une factidiction, dès lors que l’office du juge est de dire le Droit sur le fait et donc avant de dire le droit (et parfois avant dire droit), de dire le fait en le constatant et en l’appréciant ». 114 Gérard CORNU, loc. cit., pp. 116-117 : « dès sa formation, la vérité judiciaire est, non pas absolue, mais cumulativement relative. Elle l’est car elle n’est jamais que l’expression d’un débat (…). Elle l’est aussi parce qu’elle est comparative et que, dans l’obligation où il est de statuer, le juge n’est pas en droit de suspendre sa décision jusqu’à ce qu’il accède à une certitude parfaite, réduit à se prononcer en faveur de la meilleure preuve ». 115 François GENY, op. cit., p. 261.

« Le droit a toujours modéré la vérité. A la vérité, il dit oui, mais non à la vérité

absolue, parce qu’il dit non à l’impossible. Du fond des âges, nous voyons monter

une sagesse millénaire et réconciliatrice en faveur d’une vérité bien tempérée.

Cette sagesse nous la nommerons équilibre humaniste ».

Gérard CORNU, L’art du droit en quête de sagesse, chapitre 17, « La vérité et le

droit », p. 215.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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hypothétique) est assumée en droit au départ d’une technique juridique »116, par exemple une

présomption.

Appréhender les présomptions-preuves en tant que symboles de la relativité de la vérité

judiciaire revient à analyser le mécanisme qu’elles mettent en œuvre, à savoir le passage du

connu à l’inconnu (§ 1-), mais aussi leur typologie (§ 2-).

§ 1- Le passage d’un fait connu à un fait inconnu

Après un exposé des principales caractéristiques des présomptions (A-), il conviendra

de s’intéresser à leur mode de fonctionnement (B-).

A- Les principales caractéristiques des présomptions-preuves

Nombreuses sont les définitions des présomptions-preuves, certaines étant, bien sûr, plus

précises que d’autres. Elles se complètent peu ou prou et dévoilent la globalité des

composantes du concept.

1- Les définitions

La définition la plus connue des présomptions-preuves figure, ainsi qu’on l’a

précédemment noté, à l’article 1349 du Code civil ; elle est fréquemment reprise par la

doctrine. Le terme « présomption », dans son sens le plus courant servirait donc à désigner

une technique de raisonnement reposant sur l’établissement d’un rapport entre deux faits, dont

l’un est établi avec certitude alors que l’autre reste inconnu117. Il s’agirait d’un mécanisme

probatoire permettant, à partir d’un fait établi, de faire un choix parmi les hypothèses

envisageables pour ne retenir que la plus probable d’entre elles. Comme l’expliquent Thomas

M. FRANCK et Peter PROWS « a presumption stipulates that if one fact (or the commission,

or omission, of an act) can be demonstrated, then another may (or must) be inferred from it. It

116 Paul FORIERS, « Introduction au droit de la preuve », dans La preuve en droit, Etudes publiées par Chaïm PERELMAN et Paul FORIERS, Bruxelles, Bruylant, 1981, pp. 7 sq. 117 Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri CAPITANT, 7ème éd. revue et augmentée avec locutions latines, Paris, PUF, Quadrige, 2005, « Présomption » ; Roger DECOTTIGNIES, op. cit. ; Gildas ROUSSEL, Mise en œuvre de la suspicion et procès pénal équitable, Thèses, Nantes, 2007, p. 45, § 29. Selon M. ROUSSEL, la présomption « se définit comme le rapport entre un fait certain (factum probans) et un autre demeurant inconnu (factum probandum) ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

38

can be denoted by the formula If A then B. In a sense, presumptions are a guess about

causality or correlation based on the common experience of a community of law »118.

D’autres définitions, relativement détaillées, retiennent l’attention en ce qu’elles mettent

en valeur les notions connexes à celle de présomption-preuve119. Par exemple, le Doyen

CORNU écrit qu’il s’agit d’ « une opération de l’esprit par laquelle on admet l’existence d’un

fait incertain dont on cherche la preuve, à partir d’un fait dont on a la preuve et qui rend le

premier vraisemblable »120. Le Professeur DE VISSCHER définit la présomption comme « un

procédé de raisonnement logique utilisé à des fins probatoires et que caractérise un

déplacement de l’objet de la preuve : de l’existence ou de l’inexistence d’un fait connu, non

destiné en soi à faire preuve, mais temporellement voisin (…) ou expérimentalement connexe

au fait à prouver, on induit l’existence de ce dernier (…) »121. Le Doyen GENY décrit la

présomption, dans son sens général, comme « un procédé intellectuel tendant à tenir pour

certain ce qui est douteux, pour avéré ce qui est tout au plus probable, en vue d’un résultat

juridique quelconque ».

Des définitions évoquées ressortent, bien évidemment, les divers éléments constitutifs des

présomptions-preuves, éléments qui renvoient à diverses notions et ouvrent la voie à plusieurs

questions que nous tenterons de traiter dans la suite des développements, mais, avant tout,

ressort la grande intimité entre doute et présomption.

2- Le doute, père de la présomption

Si l’on aborde le cadre d’intervention de la présomption, on constate que cette dernière

naît du doute122. Le juge y a recours – conformément aux prescriptions légales ou de sa propre

118 Thomas M. FRANCK et Peter PROWS, loc. cit., p. 200. 119 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit.. L’auteur cite quelques définitions anciennes de la présomption qui méritent d’être reprises. Selon BARTOLE (Digestum vetus, Lugduni, 1581, « De probatione et praesumptionibus », XXII, III) la présomption est une conjecture ou un pressentiment engendré dans des affaires incertaines à partir de preuves ou d’indices fréquemment relevés lors des même situations » [« Praesumptio est coniectura seu divinatio in rebus dubiis collecta, ex argumentiis vel indiciis per rerum circumstancias frequenter eventiebus »]. D’après MENOCHIUS (De praesumptionibus, signis et indiciis, 1658), la présomption est une preuve artificielle, vraisemblable, crédible, par laquelle ce que nous envisageons vient d’autres affaires de manière vraisemblable, avec probabilité, mais pas avec nécessité [« Praesumptio est probatio artificialis, verisimilis, credibilis, in qua ex aliquibus verisimiliter atque ita probabiliter, non autem necessario, equitur quod intendimus »]. 120 Gérard CORNU, Droit civil. Introduction au droit, 13ème éd., Paris, Montchrestien, 2007, p. 110, n° 200. 121 Charles DE VISSCHER, Problèmes d’interprétation judiciaire en droit international public, Paris, Pedone, 1963, pp. 36-37. 122 Selon M. P. HAYOIT, « devant les tribunaux, qui doivent se contenter d’une vérité relative, la présomption joue un rôle seulement à l’instant où même cette vérité relative fait défaut ». HAYOIT P., La présomption du droit dans la tradition canonique, Thèse, Louvain, 1941, p. 74, cité par Jacques-Michel GROSSEN, op. cit..

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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initiative - lorsqu’il existe un doute sur les faits, lorsque plusieurs possibilités s’offrent à lui

sans qu’aucune preuve directe lui permette de tenir l’une d’entre elles pour la vérité. Deux

conséquences découlent du lien entre doute et présomption.

D’une part, la présomption est souvent vue comme un « pis-aller », un « expédient »123.

Cette vision dépréciative est à mettre en relation avec le fait que la présomption intervient

uniquement si le doute atteint un certain degré, si le réel est sur le point d’être un horizon hors

de champ. En effet, la question de la preuve ne surgit que lorsque des faits (susceptibles

d’entraîner des conséquences juridiques) sont contestés et donc mis en doute. Or, la

présomption intervient en cas de carence de preuve, c’est-à-dire si le doute franchit un cran

supplémentaire. Cela explique que la présomption soit considérée comme un moyen peu sûr,

utilisé par défaut et qui fait bon marché de la réalité au profit du probable.

D’autre part, plus concrètement, on note que, engendrée par le doute, la présomption vise

à le dépasser : c’est une opération intellectuelle, « un procédé de raisonnement logique »124

visant à établir la vérité. A ce titre, elle relève de la « technique juridique », entendue comme

l’ensemble des procédés de réalisation du droit125, fait « partie, en fait, « du matériel

d’exploitation », indispensable au jurisconsulte 126 » et repose sur un rapport d’inférence liant

un fait inconnu à un fait connu. Parmi les notions qui guident ce saut vers l’inconnu, on

pressent déjà le rôle de l’expérience et de la probabilité127 sur lequel on reviendra. La volonté

de celui qui met en œuvre la présomption-preuve entre également en ligne de compte : la

nature de la présomption est avant tout intellectuelle, il s’agit d’un mécanisme de

raisonnement qui passe par un choix, ce qui renvoie à la volonté. L’étude de ces notions

permettra donc de voir à quel type de rapport logique – analytique ou dialectique – la

présomption-preuve est apparentée, quels sont les buts poursuivis par l’utilisation des

présomptions-preuves et enfin s’il est possible de proposer une nouvelle définition qui

engloberait de manière synthétique les éléments constitutifs desdites présomptions. Mais,

avant de se pencher en détail sur ces questions, il conviendra de s’intéresser au mode de

fonctionnement des présomptions-preuves, c’est-à-dire leur influence sur la preuve qu’évoque,

123 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 18 - Jean DABIN, La technique de l’élaboration du droit positif spécialement en droit privé, Bruxelle, Bruylant, 1935, p. 239. 124 V. note 121. 125 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., pp. 10-12. 126 François GENY, op. cit., p. 264. 127 Ibid., p. 261. GENY évoque les « vraisemblances » à la base des présomptions.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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à travers l’idée de « déplacement de l’objet de la preuve », la définition du Professeur DE

VISSCHER128.

B- Le mode de fonctionnement des présomptions-preuves

Pour désigner la présomption entendue comme mécanisme par lequel on passe d’un

fait connu à un fait inconnu, certains auteurs emploient l’expression « présomption-preuve »

qui en dit long sur la nature du procédé129. D’ailleurs, on observe que la doctrine est unanime

pour reconnaître l’appartenance dudit procédé au droit de la preuve130. Selon le Doyen

CORNU, « la présomption est un mode de preuve ; c’est une façon, entre beaucoup d’autres

(preuves par témoins, écrit, etc.) de prouver un fait »131. Il s’agirait d’une preuve indirecte132.

Etudier le mode de fonctionnement du mécanisme mis en œuvre par la présomption-preuve

revient donc à chercher à quel stade de la preuve se fait sentir son influence : charge de la

preuve ou objet de la preuve? Ces notions pouvant faire l’objet de confusions, quelques

éclaircissements les concernant ne semblent pas de trop : celui qui supporte la charge de la

preuve est celui à qui il revient de produire une preuve ; quant à l’objet de la preuve, il

désigne le fait sur lequel porte la preuve.

Traditionnellement deux adages complémentaires133 régissent la charge de la preuve.

Selon le principe « actori incumbit probatio », le fardeau de la preuve pèse sur celui qui élève

une prétention en justice134. Cependant, lorsque le demandeur a fourni sa preuve, le défendeur

peut soulever une exception. Au plan de la preuve il devient donc à son tour demandeur et, en

vertu de l’adage « reus in excipiendo fit actor », il prend la place du demandeur quant à la

charge de la preuve et se trouve soumis à la première maxime.

En cas de recours à une présomption, on a tendance à considérer que celui qui en

bénéficie est exonéré de tout effort probatoire et que la charge de la preuve est inversée, par

dérogation au principe « actori incumbit probatio ». Ainsi, que ce soit le demandeur à l’action

ou le défendeur, excipant d’une exception, qui invoque une présomption, on a l’impression

128 V. note 121. 129 L’expression a été employée par les Professeurs DABIN et GROSSEN, V. note 107. 130 Paul FORIERS, loc. cit. p. 37, p. 8. Selon l’auteur, « les présomptions se rattachent à la théorie de la preuve » ; Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 9. Le Professeur GROSSEN, quant à lui, montre que les présomptions « ressortissent au droit de la preuve ». 131 Gérard CORNU, op. cit. p. 38, p. 111, n° 200. 132 Virginie HECQUET, op. cit., pp. 20-21. 133 Henri ROLAND et Roland BOYER Laurent, op. cit., « Actori incumbit probatio », n° 10, p. 16 et « Reus in excipiendo fit actor », n° 403, p. 817. 134 Ce principe est valable au civil comme au pénal.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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que, ce faisant, il passe son tour et que, par dérogation aux adages précités, la charge de la

preuve est inversée. Plusieurs questions se posent concernant la pertinence de cette conception.

La charge de la preuve est-elle réellement déplacée, le demandeur n’ayant alors aucune

preuve à fournir ? N’est-ce pas plutôt l’objet de la preuve qui est modifié ?

En réalité, comme le démontre M. Gérard NYUNGEKO135, si la charge de la preuve

passe à l’autre partie, c’est parce que la partie qui jouit de la présomption a fourni sa preuve

par le jeu de celle-ci. Ce transfert est donc identique à celui qui aurait eu lieu si la même

partie avait prouvé le fait pertinent par un moyen de preuve habituel. Ainsi, ce n’est pas la

charge de la preuve qui est inversée mais l’objet de la preuve qui est déplacé : la partie qui

bénéficie de la présomption n’a pas à prouver le fait inconnu mais simplement le fait

connu136 ; « alors que normalement la preuve à fournir doit porter directement sur le fait

pertinent, le mécanisme de la présomption déroge à cette règle en autorisant que la preuve ait

pour objet un autre fait (…) »137.

Ainsi, la présomption n’anéantit pas le principe « actori incumbit probatio », qui ne

saurait être écarté par la difficulté ou l’impossibilité des preuves à fournir. Elle en corrige

simplement les effets pervers en facilitant la preuve. A titre d’exemple, l’article 312 du Code

civil énonce que « l’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari ». Cet article

instaure donc une présomption de paternité à l’égard de l’époux de la mère de l’enfant. Pour

conclure qu’un individu est le père d’un enfant, point n’est besoin de faire la preuve de la

paternité, pour laquelle des analyses médicales sont obligatoirement requises, il suffit de

montrer, d’une part que l’individu en question est l’époux de la mère, d’autre part que l’enfant

a été conçu ou est né pendant le mariage. Dans ce cas, l’objet de la preuve glisse de la

paternité vers le mariage et la date de la naissance ou de la conception. Comme le décrit le

Doyen CORNU, « au lieu de prouver directement le fait A, on se contente de la preuve du fait

B qui rend A vraisemblable »138. En outre, en droit anglo-saxon non plus, le recours à une

présomption ne ruine pas le principe « actori incumbit probatio ». « Presumptions (…) are

used by common law judges to regulate fact-finding, a practice expressly ackowlegded in

135 Gérard NYUNGEKO, La preuve devant les juridictions internationales, Bruylant, Bruxelles, 2005, pp. 127 sq. 136 Cass. civ. 3, 5 mai 1975, Dame Hays, JCP G, 1975, IV, p. 201. D’après cet arrêt, celui qui invoque une présomption légale doit établir l’existence du fait d’où la loi la tire. Ainsi, le lit naturel d’un cours d’eau, fût-il aménagé comme canal de décharge d’un moulin, n’étant pas, à la différence des canaux creusés par l’homme, présumé appartenir exclusivement au propriétaire de ce bâtiment, il incombe à ce dernier, s’il prétend bénéficier de cette présomption, de prouver que le bras d’eau litigieux a été créé artificiellement par le service de son moulin. 137 Gérard NYUNGEKO, op. cit., p. 129. 138 Gérard CORNU, op. cit. p. 38, pp. 111-112, n° 201.

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Rule 301 of the U.S. Federal Rules of evidence » soulignent Thomas M. FRANCK et Peter

PROWS 139 qui rappellent par la même occasion le contenu de la disposition concernée : « In

all civil actions and proceedings not otherwise provided for by Act of Congress or by rules, a

presumption imposes on the party against whom it is directed the burden of going forward

with evidence to rebut or meet the presumption, but does not shift to such party the burden of

proof in the sense of the risk of nonpersuasion140, which remains throughout the trial upon the

party on whom it was originally cast ».

Ainsi, le déplacement de l’objet de la preuve s’avère être le fondement du mécanisme

de la présomption-preuve. Toutefois, deux remarques, révélatrices de l’ambiguïté des rapports

entre présomption-preuve et charge de la preuve méritent d’être faites. D’une part, on note

que le terme « dispense »141, qui semble indiquer que le demandeur a un comportement

totalement passif, est parfois employé pour qualifier les effets probatoires de la présomption-

preuve142. L’article 1352 du Code civil précise que « la présomption légale dispense de toute

preuve celui au profit duquel elle existe » et le Professeur GROSSEN, qui admet pourtant que

« la présomption reporte la preuve à fournir sur un autre fait que le fait présumé », analyse

ce déplacement en une « dispense de preuve » 143. D’autre part, le Doyen GENY explique les

raisons pour lesquelles on a tendance à croire que la présomption-preuve inverse la charge de

la preuve : « quelquefois même, elle paraîtra intervertir la position des parties dans la preuve,

en offrant, à celle qui devait normalement justifier des éléments de son droit, un objectif si

aisé à établir que cette partie semblera avoir ainsi une preuve toute faite, que son adversaire

devra s’efforcer de renverser »144. Il n’en demeure pas moins que le terme de dispense n’est

guère le plus approprié pour désigner le mode de fonctionnement de la présomption-preuve.

« En réalité, rappelle le Professeur HUET, il appartient toujours au plaideur qui entend se

prévaloir d’une présomption légale de prouver l’existence de ses prémisses, c’est-à-dire du

fait qui a servi de base à l’induction légale : il ne faut pas perdre de vue, en effet, que toute

139 Thomas M. FRANCK et Peter PROWS, loc. cit., p. 207-208. 140 C’est nous qui soulignons. 141 Le terme de dispense signifie, au sens négatif, exemption. LITTRE, Dictionnaire de la langue française, T. 2, éd. du Cap, Monte-Carlo, 1974. 142 Philippe JESTAZ, Le droit, 5ème éd., Paris, Dalloz, Connaissance du droit, 2007, p. 78. Selon cet auteur « le droit vient au secours de certains plaideurs par la technique de la présomption, laquelle dispense d’avoir à rapporter une preuve ». 143 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., V. respectivement p. 40 et p. 26. 144 François GENY, op. cit., p. 281.

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présomption implique l’existence d’un fait connu, mais qui doit être établi, duquel le juge

induira l’existence d’un fait inconnu »145.

La présomption-preuve a donc partie liée avec la preuve et ce à plus d’un titre146. Tout

d’abord, rappelons-le, elle accroît le rôle du juge dans la recherche de la preuve en ce qu’elle

lui permet de combler, par le raisonnement, les déficiences des preuves fournies. Ensuite, elle

favorise celui qui en bénéficie : elle allège la preuve à fournir en déplaçant son objet. Enfin, il

est évident que la partie adverse va assumer le risque de la preuve si elle ne peut apporter la

preuve contraire. Encore faut-il qu’elle en ait la possibilité : l’étude de la typologie des

présomptions-preuves révèle que certaines présomptions, dites irréfragables, ne supportent

pas la preuve contraire.

§ 2- La typologie des présomptions-preuves

La doctrine admet couramment certaines subdivisions au sein des présomptions-preuves,

subdivisions sur lesquelles il semble utile de s’attarder afin d’en déterminer l’exacte portée.

La première, qui sépare les présomptions légales des présomptions de l’homme, repose sur

l’origine des présomptions (A-). La seconde oppose les présomptions simples, pouvant céder

devant la preuve contraire, aux présomptions irréfragables n’admettant pas la preuve contraire

(B-).

A- La typologie d’après leur origine

L’article 1349 du Code civil évoque la possibilité que la présomption émane de « la loi »

mais aussi du « magistrat ». L’autorité créatrice de la présomption n’est donc pas toujours la

même.

D’une part, l’initiative de la présomption peut appartenir au législateur. Dans ce cas c’est

lui qui infère un fait inconnu d’un fait connu et, si le juge intervient, il se contentera

145 André HUET, Les conflits de lois en matière de preuve, Paris, Dalloz, 1965, p. 160. 146 Xavier LAGARDE, Réflexion critique sur le droit de la preuve, Paris, LGDJ, 1994, p. 355. L’auteur montre que la notion de présomption se trouve au cœur même du droit de la preuve : « la notion de présomption, et cela au moins depuis les travaux de Bartin, est indissociablement liée à celle de preuve. Bartin remarquait que logiquement, il faudrait prouver les faits même conditionnant la règle de droit ; il ajoutait que tout aussi logiquement cette preuve est impossible. Aussi bien avançait-il que la preuve judiciaire est toujours une preuve indirecte, signifiant par là qu’on ne prouve que des faits voisins aux faits conditionnant l’application des règles de droit. Or le procédé logique par lequel on passe de l’affirmation de la vérité des premiers à l’affirmation de la vérité des seconds s’appelle présomption ».

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d’appliquer cette présomption. En droit civil français, les présomptions légales sont

nombreuses. On peut citer, notamment, l’article 88 qui permet de présumer mort « tout

Français disparu en France ou hors de France, dans des circonstances de nature à mettre sa

vie en danger, lorsque son corps n’a pu être retrouvé », les articles 112 et suivants relatifs aux

présomptions liées à l’absence, l’article 911 alinéa 2 qui instaure une présomption

d’interposition de personne en réputant interposée en matière de disposition à l’égard d’un

incapable « les père et mère, les enfants et descendants, et l’époux de la personne incapable »,

les articles 653 et 654 qui posent respectivement une présomption de mitoyenneté des murs

séparant deux propriétés et une présomption spéciale de non mitoyenneté des mêmes murs,

les articles 1282 et 1283 qui présument le débiteur libéré de sa dette en cas de « remise

volontaire du titre original sous signature privée, par le créancier au débiteur » et en cas de

« remise volontaire de la grosse du titre », l’article 311 selon lequel l’enfant est présumé

avoir été conçu « pendant la période qui s’étend du trois centième au cent quatre-vingtième

jour, inclusivement, avant la date de sa naissance » et enfin l’article 312 qui met en place la

présomption de paternité147. On trouve aussi des présomptions-preuves légales dans d’autres

branches du droit. Ainsi, l’article 321-6 du Code pénal148 instaure une présomption de

responsabilité à l’égard de ceux qui ne peuvent justifier de l’origine licite de leurs ressources

tout en entretenant des relations habituelles avec certaines catégories d’individus qui se livrent

à des activités illicites ou immorales149. L’article 122-6 de ce même code présume que celui

qui a repoussé de nuit, l'entrée par effraction, violence ou ruse dans un lieu habité ou s’est

défendu contre les auteurs de vols ou de pillages exécutés avec violence a agi en état de

légitime défense. De même, l’article 392 § 1 du Code des douanes énonce que le détenteur de

marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude150. Les articles L 121-2 et L 121-3

du Code de la route, quant à eux, présument que le titulaire du certificat d'immatriculation du

véhicule est coupable des infractions à la réglementation sur le stationnement ou sur

147 La présomption de survie entre comourants des anciens articles 720 et suivants a aujourd’hui disparu (V. supra : La fin des présomptions de survie découlant de la théorie des comourants. Henri ROLAND et Laurent BOYER, op. cit., « Le premier né le dernier mort », n° 366. 148 Article 321-6 du Code pénal : « Le fait de ne pas pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie ou de ne pas pouvoir justifier de l’origine d’un bien détenu, tout en étant en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes qui soit se livrent à la commission de crimes ou de délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement et procurant à celles-ci un profit direct ou indirect, soit sont les victimes d’une de ces infractions, est puni d’une peine de trois ans d’emprisonnement et de 750 000 euros d’amende ». 149 Virginie HECQUET, op. cit., pp. 51-79. 150 Ibid., p. 92.

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l'acquittement des péages et les vitesses autorisées, à moins qu’il ne rapporte la preuve de la

force majeure ou de la culpabilité d’une autre personne151.

D’autre part, l’initiative de la présomption peut aussi venir du juge. La voie des

présomptions lui est en effet ouverte par l’article 1353. La présomption est alors appelée

« présomption de l’homme » et elle découle des circonstances de la cause152. Le juge a

fréquemment recours à ce mécanisme en droit pénal153, en droit administratif154 ou encore en

droit civil. A titre d’exemple, l’article 342 alinéa 1 du Code civil énonce que « tout enfant

dont la filiation paternelle n'est pas légalement établie, peut réclamer des subsides à celui qui

a eu des relations avec sa mère pendant la période légale de la conception ». La

jurisprudence155 estime que la preuve des relations intimes peut être faite par tous moyens et

notamment par présomptions au nombre desquelles figure un examen comparé des sangs156.

La question qui se pose est donc de savoir quelle est la portée de la distinction entre

présomptions légales et présomptions du juge. Existe-t-il de réels changements dans le

mécanisme mis en œuvre ?

Au premier abord, on pourrait penser qu’une différence existe bel et bien dans le

mécanisme : l’article 1353 précise que le juge « ne doit admettre que des présomptions graves,

précises et concordantes ». Tout d’abord, l’emploi du terme présomption est ici inapproprié

puisqu’il sert à désigner, non le mécanisme dans sa globalité, mais simplement les faits de

départ : ce ne sont pas les présomptions qui doivent être concordantes mais les indices

recueillis par le juge, afin qu’il puisse en tirer des conclusions conformément au mécanisme

151 Stéphane DETRAZ, Note ss Cass. Crim., 13 janvier 2009, Gaz. Pal., 24 février 2009, n° 55, pp. 15 sq., Mehdi SAADOUN, « Procédure de l’amende forfaitaire, circulation routière et droits du contrevenant : constat d’un droit déséquilibré au profit des finances publiques ! », P.A., 6 octobre 2009, n° 199, pp. 7 sq. 152 Par exemple, plusieurs arrêts de la Chambre commerciale de la Cour de cassation indiquent que l’absence de protestation ou de réserve de la part du titulaire du compte bancaire après la réception du relevé de compte mentionnant un virement permet de présumer que ce virement a été effectué avec son accord. Cf. Cass. Com. 26 novembre 1990 (D., 1992, somm. p. 25) ; Cass. Com. 13 mai 1997 ; Cass. Com. 22 novembre 2005. 153 Jacques BUISSON, « Les présomptions de culpabilité », Procédures, 1999, chronique n° 15, pp. 3 sq. L’auteur cite divers exemples de présomptions judicaires pénales : Cass. Crim. 22 mai 1989, Gabanou, Dr. Pénal, 1989, comm. n°56 : l’élément moral, en l’occurrence l’intention de tuer, est présumé à partir de plusieurs indices recueillis par les enquêteurs (arme utilisée, direction du tir, région vitale du corps atteinte, nombre de coups portés). Cass. Crim. 12 décembre 1989, Dr. Pénal, 1990, p. 185 : l’élément moral du recel est présumé grâce à un faisceau d’indices (conditions de la transaction, prix payé par rapport à celui du marché, lieu d’acquisition de l’objet, l’attitude ultérieure du prévenu, la profession du vendeur et celle de l’acheteur). 154 Benjamin DEFOORT, « Incertitude scientifique et causalité : la preuve par présomption », RFDA, 2008, p. 549 sq. L’auteur examine l’utilisation par le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 9 mars 2007, d’une présomption pour reconnaître l’existence d’un lien entre le vaccin contre l’hépatite B et la sclérose en plaque. 155 Cass. civ. 1, 14 février 1995 ; Mme X c/ Y, note C. PUIGELIER, JCP G, 1996, pp. 41 sq. 156 En vertu de l’article 342 alinéa 1, ce n’est pas la paternité qui est présumée, mais seulement les relations intimes. Est donc condamné un amant présumé qui n’est qu’un père probable.

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de la présomption-preuve. Ensuite, et c’est là l’essentiel, pareille formule pourrait laisser

croire, comme le souligne M. Paul FORIERS157, qu’un seul fait n’est pas suffisant pour qu’un

juge en tire des conclusions. Pratiquement, ce critère de la pluralité d’indices ne semble guère

décisif car, la jurisprudence de la Cour de cassation l’affirme, nonobstant la particularité

rédactionnelle de l‘article 1353, cette disposition « traitant des présomptions qui ne sont pas

établies par la loi, ne s’oppose pas à ce que les juges forment leur conviction sur un fait

unique, si celui-ci paraît de nature à établir la preuve nécessaire »158.

Une fois ce problème exégétique résolu, on serait tenté de dire que présomptions de

l’homme et présomptions de la loi se confondent exactement. Certes le mécanisme de la

présomption-preuve ne change pas, qu’elle soit légale ou judiciaire : l’opération intellectuelle

reste identique, comme le but visé (faciliter la preuve). Cependant, il existe une différence

entre présomptions judiciaires et présomptions légales. Les premières interviennent de

manière ponctuelle, toujours « in casu et in concreto »159, le mécanisme employé n’ayant pas

été systématisé par une loi. Elles sont facultatives160 et reposent sur une analyse casuistique,

pragmatique des faits connus. « Preuve judiciaire, la présomption devient, par espèce, la

pesée circonstanciée de la valeur d’un fait connu comme indice d’un fait inconnu »161. C’est

pour cette raison que l’article 1353 du Code civil met l’accent sur l’aspect indiciaire du ou des

faits connus en ce qui concerne les présomptions de l’homme, en évoquant des

« présomptions graves, précises et concordantes ». A l’inverse, les présomptions légales sont

établies « a priori, in abstracto et en général »162. Ce sont de véritables règles de preuve.

Malgré le désaccord doctrinal sur ce point163, présomptions légales et présomptions

judiciaires ne sont que deux déclinaisons d’un même procédé164. D’ailleurs, les présomptions

157 Paul FORIERS, « Présomptions et fictions », dans Chaïm PERELMAN et Paul FORIERS, op. cit. p. 19, p. 9. 158 V. par exemple :

- Cass. Civ. 2, 28 octobre 1970, Camisan, JCP G, 1970, IV, p. 300. - Cass. Civ. 3, 28 novembre 1972, époux Ackermann, JCP G, 1973, IV, p. 16. - Cass. Civ. 1, 3 juillet 1996, D., 1998, sommaire commenté p. 31.

159 Gérard CORNU, op. cit. p. 38, p. 114, n° 205. 160 Virginie HECQUET, op. cit., pp. 27-28. 161 Gérard CORNU, op. cit. p. 38, p. 114, n° 205. 162 Ibid., p. 92, n° 204. 163 Raymond BARRAINE, op. cit., p. 270 ; Louis DE GASTINES, op. cit., pp. 58-60. Pour le Professeur BARRAINE, « il existerait une identité entre les deux procédés », qui sont tous les deux « de même nature et constituent un déplacement de preuve » alors que M. de Gastines soutient la thèse contraire : pour lui, « les présomptions de droit (ou légales) et les présomptions de fait ne mettent pas en oeuvre le même procédé logique : les premières utilisent la présomption-affirmation, les secondes utilisent la présomption-induction ». L’auteur estime en effet que seules les présomptions judiciaires opèrent un passage d’un fait connu à un fait inconnu. Les présomptions légales seraient des « présomptions-affirmations », correspondant à « l’action de tenir une affirmation pour vraie jusqu’à la preuve ou la démonstration du contraire ».

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légales ne sont jamais originellement que des présomptions judiciaires qui, à force de se

répéter, ont été insérées dans la loi165.

Si la portée de la distinction entre présomptions légales et présomptions du juge est très

relative166, il n’en va pas de même pour la distinction entre présomptions réfragables et

présomptions irréfragables.

B- La typologie d’après leur réfragabilité

Présomptions juris tantum, présomptions juris et de jure, caractère réfragable ou

irréfragable des présomptions… Voilà bien des expressions, hermétiques pour les profanes,

qui concernent simplement la possibilité d’apporter la preuve contraire à une présomption.

Bien que cette possibilité apparaisse comme le corollaire logique de la présomption-preuve eu

égard à la relativité de la vérité à laquelle celle-ci aboutit, elle est parfois rejetée167. Aussi

distingue-t-on au sein des présomptions légales, les présomptions simples ou réfragables, dites

juris tantum, qui peuvent être combattues par la preuve contraire et les présomptions absolues

ou irréfragables, dites juris et de jure, qui ne supportent pas la preuve contraire168.

Seules les présomptions légales peuvent être irréfragables. Ainsi que le souligne le Doyen

CORNU, « toutes les présomptions de l’homme souffrent la preuve contraire »169. Cette

caractéristique est une garantie du droit à la preuve. Il s’agit certes d’une limite au pouvoir du

juge mais d’une limite logique : on ne saurait admettre qu’il porte atteinte, au cas par cas et

arbitrairement, au droit à la preuve d’une manière si étendue. Le pouvoir créateur du juge en

164 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 34: « le même procédé de raisonnement se trouve dans les présomptions de fait et dans les présomptions de droit, caractérisé par le passage d’un fait connu à un fait inconnu bien que le premier ne constitue pas une preuve du second et qu’il n’y ait pas entre eux de lien de causalité logique ». 165 Par exemple, la présomption de responsabilité à l’égard de celui qui ne peut justifier de ressources conformes à son train de vie alors qu’il fréquente des trafiquants de stupéfiants à d’abord été retenue par le juge (Cass. crim. 30 mai 1988, Ben Chaad), avant d’être consacrée par l’article 222-39-1 puis l’article 321-6 du Code pénal. Dans le même ordre d’idées, le Professeur DEVEZE explique que « l’inscription au Registre du Commerce qui n’avait, sous l’empire du Code de commerce, aucune valeur obligatoire quant à la détermination de la qualité de commerçant, mais était généralement retenue par les tribunaux comme un indice en ce sens, a été érigée par le décret du 9 août 1953 en présomption légale ». Jean DEVEZE, op. cit., p. 479, note 355. 166 La doctrine reconnaît même l’existence de présomptions « quasi-légales » que « la jurisprudence énonce comme des principes ». « Non écrites dans la loi, elles ont cependant force de loi ». Pierre MIMIN, « Les présomptions quasi-légales », JCP G, 1946, I, n° 578. 167 François GENY, op. cit., p. 282. 168 Si la présomption irréfragable ne peut être combattue par la preuve contraire, son adversaire peut tout de même faire la preuve que ses conditions d’application ne sont pas réunies. 169 Gérard CORNU, op. cit. p. 38, p. 114 n° 206.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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matière de présomptions trouve ici sa limite : faciliter ponctuellement une preuve, oui,

interdire d’apporter une preuve, non.

C’est un point important de savoir que seules les présomptions légales peuvent être

irréfragables, c’en est un autre de savoir s’il existe un critère général de détermination de la

présomption légale irréfragable. L’article 1352 alinéa 2 dispose : « nulle preuve n’est admise

contre la présomption de la loi, lorsque, sur le fondement de cette présomption, elle annule

certains actes ou dénie l’action en justice, à moins qu’elle n’ait réservé la preuve contraire et

sauf ce qui sera dit sur le serment et l’aveu judiciaire ». Ce texte donne donc deux critères

alternatifs170 d’irréfragabilité des présomptions et une limite générale à ladite irréfragabilité.

Quelque peu ésotérique, cet écrit mérite une analyse plus précise. Selon le premier critère,

lorsque la présomption conduit à annuler un acte juridique, la preuve contraire doit être

écartée. Ce critère est-il toujours utile ? Pour le savoir, il convient de s’appuyer sur des

exemples de présomptions qui annulent un acte. On pense à l’article 911 alinéa 2 et à l’ancien

article 1100 qui présument que certaines personnes sont interposées dans le cadre de

donations et conduisent à annuler les actes de disposition concernés. La présomption de

l’article 911 est désormais réfragable et l’article 1100 a été abrogé : la portée du premier

critère de l’article 1352 alinéa 2 s’en trouve grandement amoindrie ! Quant au deuxième

critère, qui dit que les présomptions déniant l’action en justice sont irréfragables, le Doyen

GENY buttait déjà sur son interprétation au début du XXème siècle et soulignait son obscurité :

« (…) jamais, à proprement parler, la loi ne dénie l’action en justice, en ce sens qu’elle

fermerait brutalement l’accès même du prétoire à certaines réclamations. Semblable procédé

serait manifestement contraire à ce principe essentiel de toute constitution sociale moderne,

que les tribunaux sont destinés à dirimer tous litiges quelconques entre les hommes. Il faut

donc trouver à la formule de la loi un sens différent de sa signification littérale. Et, l’on en

arrive aisément à cette idée, qu’elle viserait ici les cas où l’effet direct de la présomption

légale est de ruiner, avant tout débat de fond,la prétention qu’elle contredirait (…). Mais, si

l’on observe que le résultat propre de la présomption légale est de couper court aux

discussions délicates, en tranchant d’autorité le point de fait qui emporte la décision de droit,

on en conclura que le critère, ici envisagé, s’adapte, à peu près, à toutes les présomptions de

droit (…) »171.

170 Cf. l’emploi de la conjonction de coordination « ou ». 171 François GENY, op. cit., p. 307.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Les deux critères de l’article 1352 alinéa 2 pèchent donc, l’un par perte d’adéquation avec

les réalités actuelles, l’autre par manque de clarté ou excès de généralité. Sans doute

conviendrait-il de supprimer purement et simplement ledit alinéa et d’indiquer clairement

dans chaque article concerné si la présomption est ou non réfragable. Le nombre des

présomptions irréfragables se réduit d’ailleurs comme peau de chagrin172. D’une part, pour

éviter un excès de rigidité, les présomptions admettent de plus en plus souvent la preuve

contraire : c’est le cas des présomptions relatives à la période de conception de l’article 311173

ou encore des présomptions d’interposition de l’article 911174 qu’il est désormais possibles de

renverser. D’autre part, les présomptions irréfragables peuvent, comme indiqué dans l’article

1352 alinéa 2, succomber en cas d’aveu ou de serment émanant de l’adversaire de la

présomption175. Actuellement, c’est le droit administratif qui fournit le plus célèbre exemple

de présomption irréfragable : il s’agit de la présomption de rejet d’une demande en cas de

silence176 de l’administration177.

A côté de ces présomptions simples et absolues existent des présomptions dites

« mixtes »178. Il s’agit de présomptions en théorie réfragables mais, en pratique, très difficile à

renverser. En matière de responsabilité civile délictuelle, de véritables présomptions de

responsabilité existent que seule une preuve contraire très lourde, comme celle de la force

majeure, sera à même de détruire. Depuis l’arrêt Bertrand179, la présomption de responsabilité

des parents du fait de leurs enfants mineurs ne peut être détruite que par la preuve de la force

majeure ou par celle de la faute de la victime. En matière de responsabilité du fait des choses,

172 En droit civil, on peut citer comme exemple de présomption irréfragable celle de l’article 1908. 173 Article 311 alinéa 3 : « La preuve contraire est recevable pour combattre ces présomptions » ; Cass. Civ. 1, 27 novembre 1979. 174 Article 911 alinéa 2 : « Sont présumés personnes interposées, jusqu'à preuve contraire, les père et mère, les enfants et descendants, ainsi que l'époux de la personne incapable » ; François FRULEUX, « Aspects fiscaux de la loi du 23 juin 2006. Le nouveau droit des libéralités », JCP N, 2006, n° 1367, pp. 2086 sq., spéc. pp. 2086-2087. 175 V. Jean-François CESARO, op. cit., p. 353. L’auteur rappelle la controverse doctrinale concernant l’aveu et le serment. La formule de l’article 1352 alinéa 2 pourrait avoir deux significations : « s’agit-il d’un renvoi précisant le régime de l’aveu judiciaire et du serment, étant entendu qu’ils appartiendraient l’un et l’autre à la catégorie des présomptions irréfragables ? Signifie-t-elle qu’aveu et serment permettent d’apporter la preuve contraire à une présomption irréfragable ? ». Il semble que la deuxième possibilité soit la plus logique : ainsi les sections consacrées au serment et à l’aveu sont totalement autonomes par rapport à celles relatives aux présomptions. 176 Notons que cette présomption prend le contrepied de la sagesse populaire selon laquelle, « qui ne dit mot consent », ce qui assimile le silence à un consentement tacite. 177 Sur cette question V. : René CHAPUS, Droit administratif général, T. 1, 15ème éd., Paris, Montchrestien, 2001, § 676 sq. ; Jean RIVERO, « Fictions et présomptions en droit public français », dans Chaïm PERELMAN et Paul FORIERS, op. cit. p. 19, p. 107. 178 Philippe MALAURIE et Patrick MORVAN, Introduction générale, Paris, 3ème éd., Defrénois, 2009, p. 150, § 176. 179 Cass. civ. 2, 19 février 1997, D., 1997, p. 265.

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l’article 1384 alinéa 1 contient une présomption de responsabilité qui ne peut être écartée

qu’en cas de force majeure. Ainsi, l’arrêt Jand’heur énonce que « la présomption de

responsabilité établie (…) à l’encontre de celui qui a sous sa garde la chose inanimée qui a

causé un dommage à autrui ne peut être détruite que par la preuve d’un cas fortuit ou de

force majeure ou d’une cause étrangère qui ne lui sont pas imputables, (…) il ne suffit pas de

prouver qu’il n’a commis aucune faute ou que la cause du fait dommageable est demeurée

inconnue »180. L’article 1733 du Code civil instaure lui aussi une présomption mixte : en vertu

de cette disposition, le locataire est présumé responsable en cas d’incendie à moins qu'il ne

prouve que l'incendie est arrivé par cas fortuit ou force majeure, ou par vice de construction

ou que le feu a été communiqué par une maison voisine181.

Après ces quelques remarques générales sur la distinction entre présomptions simples et

présomptions absolues, deux questions plus fondamentales se posent. Les présomptions

irréfragables sont-elles véritablement des présomptions-preuves ? Quelles raisons justifient

leur emploi, même restreint ?

Tout d’abord, on constate que la doctrine est unanime pour reconnaître la proximité des

présomptions irréfragables et des fictions juridiques182. Rappelons que la fiction183 est

couramment définie comme « un procédé de technique juridique consistant à supposer un fait

ou une situation différente de la réalité pour en déduire des conséquences juridiques »184. La

fiction « contredit la vérité : elle en prend le contre-pied : ce qui est faux est tenu pour vrai en

vue d’arriver à un certain résultat convenable »185. La présomption irréfragable va-t-elle

jusque là ? Il est permis d’en douter. A l’instar de la fiction qui méconnaît systématiquement

la réalité, la présomption irréfragable pourra aboutir à une solution contraire à la réalité, mais

ce n’est qu’une simple possibilité. Et c’est bien là toute la différence. La fiction se fonde

180 Cass. ch. réunies, 13 février 1930. 181 La jurisprudence a toutefois assimilé à un vice de construction le défaut d’entretien imputable au bailleur lorsqu’il est à l’origine de l’incendie (Cass. civ. 3, 15 juin 2005). Si la faute assimilable à un vice de construction n’a joué aucun rôle dans la réalisation du sinistre, l’exonération ne sera pas admise (Cass. civ. 3, 13 juin 2007, P.A., 14 février 2008, n° 33, note Mamadou KETIA, pp. 12 sq.). 182 Guillaume WICKER, Les fictions juridiques – Contribution à l’analyse de l’acte juridique, Paris, LGDJ, T. 253, 1997, pp. 12-13 n° 3.2. 183 Par exemple, l’article 524 du Code civil qui assimile « les animaux et les objets que le propriétaire d’un fonds y a placés pour le service et l’exploitation de ce fonds » à des immeubles (on parle alors d’immeubles par destination) repose sur une fiction juridique. Il est bien évident que ni les animaux, ni les objets ne sont des immeubles ! 184Gérard CORNU (dir.), op. cit. p. 37, « Fiction ». 185 Jean BRETHE DE LA GRESSAYE et Marcel LABORDE-LACOSTE, Introduction à l’étude générale du droit, Paris, 1947, n°187, p. 151.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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volontairement, en connaissance de cause, sur une donnée fausse186. Ce n’est nullement le cas

de la présomption irréfragable : elle met en œuvre le même mécanisme intellectuel que la

présomption simple, son but premier reste bien la recherche de la vérité ; seulement, une fois

que cette vérité relative est obtenue, elle refuse de la remettre en cause quand bien même sa

non conformité à la réalité serait établie. Ce refus d’aller jusqu’au bout dans la recherche de la

vérité peut s’expliquer par divers éléments. On pourrait penser que le législateur cherche à

protéger certaines institutions ou certaines valeurs. Mais on s’aperçoit que le nombre de

présomptions irréfragables diminue et que les domaines les plus sensibles en matière de

morale échappent à l’emprise des présomptions irréfragables. Ainsi, la présomption de

paternité de l’article 312, qui pourrait servir de bouclier à la famille légitime, est simple. Il

faut donc chercher ailleurs pour expliquer le caractère irréfragable des présomptions. Si le

législateur attribue une grande force à une présomption en la rendant irréfragable, c’est peut-

être parce qu’elle exprime une très grande probabilité mathématique. Mais dans ce cas, point

ne serait besoin d’interdire la preuve contraire : elle serait très difficile à rapporter du fait de la

grande probabilité de la solution. En réalité, le Professeur RIVERO a montré que, si certaines

présomptions sont irréfragables, c’est pour inciter ceux qu’elles concernent à s’y conformer187.

En assimilant le silence de l’administration au rejet de la demande, la législation française

invite l’administration à se conformer à la présomption ainsi établie : « (…) à partir du

moment où la règle est posée, l’administration, qui ne l’ignore pas, sait que, si elle se tait

quatre mois durant, elle refuse. (…) la connaissance de la présomption aboutit à la faire

coïncider avec la volonté réelle de l’administration. Elle se tait, parce qu’elle sait que son

silence vaut refus, et qu’elle veut refuser. La présomption a engendré sa conformité à la

réalité »188. La présomption irréfragable aurait donc « un rôle éducatif »189.

Ainsi, la présomption irréfragable se situe-t-elle à mi-chemin entre la présomption-preuve

classique et la fiction190. Selon le Doyen GENY, il s’agirait d’un « chaînon intermédiaire

186 Pour une approche plus générale des rapports entre présomptions et fictions, V. infra : la limite à la diversité présomptive : la fiction. 187 V. infra : le caractère performatif de la présomption. 188 Jean RIVERO, loc. cit., p. 107. 189 Chaïm PERELMAN, « Présomptions et fictions en droit, essai de synthèse », dans Chaïm PERELMAN et Paul FORIERS, op. cit. p. 19, p. 341. 190 Philippe MALAURIE et Patrick MORVAN, op. cit., p. 150. Pour les Professeurs MALAURIE et MORVAN, la présomption irréfragable se situe à la charnière des règles de preuve et des règles de fond, voire serait une véritable règle de fond. Pourtant ces auteurs reconnaissent qu’il « arrive néanmoins que la structure du raisonnement demeure typique d’une présomption règle de preuve ». Ils prennent l’exemple de la présomption irréfragable selon laquelle l’absence d’énonciation par l’employeur dans la lettre de licenciement adressée au

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entre la présomption de droit normale et la fiction »191. Sans nier la réalité comme le fait la

fiction, elle s’en désintéresse au profit d’une vérité qu’elle a construite. Elle met en valeur le

fait que si la présomption-preuve est symbolique de la relativité de la vérité judiciaire, c’est

parce qu’elle débouche sur une vérité choisie192.

salarié des motifs de la rupture du contrat de travail (article 12 du Code du travail, ancien article L122-14-2) fait présumer que celle-ci n’a aucune cause réelle et sérieuse. 191 François GENY, op. cit., p. 299. 192 Gérard CORNU, loc. cit. p. 35, p. 217. Selon le Doyen CORNU, « toute limite à la preuve est un choix de vérité ».

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Section 2- La construction de la vérité

Admettre la relativité de la vérité judiciaire, c’est admettre l’impuissance de l’homme, en

l’occurrence du juriste, à restituer fidèlement la réalité, c’est admettre que ladite vérité n’est

pas forcément le reflet de la réalité. Mais cette absence d’adéquation entre réalité et vérité

judiciaire ne doit, ni ne peut, être vécue comme une fatalité : si la vérité judiciaire est relative,

elle n’en est pas moins une vérité. Une vérité construite. Le juge ne peut refuser de trancher

un litige sans s’exposer au déni de justice, il doit donc composer avec ses doutes, les canaliser,

par exemple en ayant recours à une présomption-preuve. Cette dernière permet de transcender

le doute et de choisir une vérité. Pour ce faire elle mélange subtilement induction et déduction

(§ 1-) et s’appuie sur la probabilité, l’expérience et la volonté (§ 2-).

§ 1- Un subtil mélange d’induction et de déduction

La preuve, on le sait, est un facteur « de praticabilité du droit »193, elle participe à sa

réalisation effective, c’est même « la rançon des droits que l’on demande à la justice de

consacrer »194. Cependant certains faits sont difficiles à prouver : on peut alors recourir à la

présomption qui comble « par le raisonnement les lacunes que laisseraient subsister les

preuves »195et construit la vérité. La nature du raisonnement ainsi mis en œuvre constitue le

point névralgique de la question : c’est en l’analysant qu’on comprendra comment la

présomption-preuve construit la vérité. Par delà les hésitations quant à sa nature (A-), il

semble que le raisonnement mis en œuvre dans la présomption-preuve puisse être qualifié de

sui generis (B-).

193 Jean DABIN, op. cit. p. 16, 1969, p. 291, n°255. 194 Rudolph VON JHERING, L’esprit du droit romain dans les diverses phases de son développement, 1886-1888, Forni editore, réimpression 1969, T. IV, p. 200. 195 Shalev GINOSSAR, « Preuve judiciaire », Encyclopdia Universalis, Paris, 1995.

« Le caractère constructif du doute est lié (…) à notre condition d’êtres

finis qui ne pouvons ni tout savoir ni tout prévoir ni tout contrôler, et donc

qui ne peuvent atteindre une vérité absolue, une solution unique et

définitive à leurs questions pratiques ».

René SEVE, « Douter c’est décider : nature et caractère constructif du

doute », dans Le doute et le droit, sous la direction de François TERRE,

Paris, Dalloz, Philosophie et théorie générale du droit, 1994.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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A- Les hésitations quant à la nature du raisonnement mis en œuvre

La présomption-preuve, en tant qu’elle permet de passer d’un fait connu à un fait inconnu

est une inférence, à savoir une « opération de l’esprit par laquelle on conclut d’une idée à une

autre »196. Une inférence, donc, mais de quel type ? Là est toute la question. L’inférence peut

être soit déductive, ou démonstrative, soit inductive, ou non démonstrative. Dans le premier

cas, elle va du principe au cas particulier et sa conclusion est logiquement nécessaire. Dans le

second cas, la conclusion n’est que probable ou vraisemblable, le raisonnement tirant des lois

générales à partir de cas particuliers197.

La doctrine est très partagée quant au rattachement de la présomption à l’induction ou à la

déduction. Il semble néanmoins que la présomption-preuve ne soit pas une déduction à

proprement parler198, dans la mesure où sa conclusion n’est pas logiquement nécessaire. Si

c’était le cas, il existerait un rapport de cause à conséquence entre le fait connu et le fait

inconnu. Or, dans le cas de la présomption de paternité on infère la paternité d’un homme de

sa qualité d’époux mais l’inverse est inenvisageable : un homme peut très bien être le père

d’un enfant sans avoir épousé sa mère ! Ainsi, lorsqu’un lien réversible de cause à

conséquence unit un fait établi à un fait inconnu, lorsque ces deux faits vont toujours de pair,

admettre l’existence de l’un grâce à celle de l’autre revient à opérer une déduction pure et

simple et non une présomption.199. Si la présomption n’est pas une déduction, c’est qu’elle est

une induction, espère-t-on alors. Si l’on se contente de la définition classique de l’induction200,

à savoir procédé par lequel on va du particulier au général, le lien de parenté entre cette

dernière et la présomption-preuve ne saute pas aux yeux. Cette solution n’est admissible qu’à

condition de prendre l’induction dans le sens proposé par le dictionnaire LALANDE, celui de

« processus reconstructif, par lequel partie en raisonnant, partie en devinant, on remonte de

196 Pour une définition de la notion d’inférence, V. : Elizabeth CLEMENT et al., op. cit.. 197 Pour une définition de la déduction et de l’induction, V.: Elizabeth CLEMENT et al., op. cit.. 198 Contra: Thomas M.FRANCK et Peter PROWS, loc. cit., pp. 200-201. « A presumption is a form of deductive legal reasoning. A judge who supports a conclusion, in part, through a presumption, is deducing a fact necessary to that conclusion. Instead of requiring direct evidence of that fact, the judge is drawing an inference from some other demonstrated fact. This way of gleaning evidence of one thing by inference from another, rather than by evidence of the thing itself, is in contrast to inductive reasoning, which relies wholly on that which can be demonstrated by direct evidence ». 199 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 18 : « il n’est pas de présomption réversible: le fait connu et le fait inconnu sont toujours les mêmes et non interchangeables ». 200 Patrick MORVAN, Le principe de droit privé, Paris, LGDJ, Ed. Panthéon-Assas, 1999, p. 6. Pour le Professeur MORVAN, l’induction « consiste pour l’intellect à produire des universels à partir de choses singulières dans lesquelles il recherche des similitudes. C’est l’induction qui permet à l’intellect d’appréhender les principes qui demeurent inaccessibles à la science démonstrative. A ce titre écrit Aristote, elle “est principe de science car elle est principe du principe lui-même” ».

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certains indices à des faits qu’ils rendent plus ou moins probables »201. En se basant sur cette

définition, on peut admettre, à l’instar de M. Louis DE GASTINES202, que le passage du fait

connu au fait inconnu est une induction.

B- Un raisonnement sui generis

La présomption-preuve met donc en œuvre un raisonnement qui lui est propre, sui generis,

qui n’est ni vraiment une déduction, ni vraiment une induction mais englobe ces deux

procédés203. Ce constat, pour paradoxal qu’il paraisse, n’est pas entièrement nouveau.

S’inspirant de JHERING pour qui la présomption « ne se meut pas en ligne droite en allant

du connu à l’inconnu » mais « fait un détour par le principe », le Professeur

DECCOTIGNIES constate : « (…) l’auteur de la présomption fait appel à une proposition

générale conforme au cours naturel des événements, pour l’appliquer ensuite à l’espèce

considérée. La présomption suppose donc un double mouvement de pensée. On peut dire

qu’elle combine les deux méthodes inductive et déductive par lesquelles l’esprit humain peut

découvrir et démontrer ce qui lui semble la vérité »204.

En définitive, la présomption est construite à partir de la conception que son auteur et son

destinataire ont de l’ordre normal des choses. Si elle est assurément avant tout inductive, car

prenant en compte une série de faits donc elle induit un autre fait, elle est aussi déductive :

l’induction première ne sera validée qu’à l’épreuve d’une comparaison avec l’ordre normal

des choses205 . Pourrait-on sincèrement présumer un fait contraire à ce qui arrive

habituellement ? En théorie, cette hypothèse est envisageable. En pratique, elle est

difficilement acceptable. D’une part, si l’on prend en compte le contexte juridique de la

présomption-preuve, son but cognitif et sa vocation à pallier l’absence de preuve directe, il est

intellectuellement malaisé d’admettre qu’on va présumer un fait à partir des seules

circonstances de l’espèce, sans considérer ce qui se passe ordinairement. Dans le cadre d’une

présomption légale dont la portée et le cadre sont très généraux, comme la présomption de

201 André LALANDE, op. cit., Vol. 1, « Induction ». 202 Louis DE GASTINES, op. cit., p. 14-15. Cet auteur crée d’ailleurs l’appellation « présomption-induction ». 203 Emmanuel TREUIL, La preuve en droit de l’environnement, Thèse, Paris, Panthéon-Sorbonne, 2002, p. 79. La présomption impliquerait « un raisonnement de type inductif au stade se son élaboration et déductif au stade de sa mise en œuvre ». 204 Roger DECOTTIGNIES, op. cit., p. 11. 205 Si la déduction est un mode de raisonnement, tel n’est pas le cas de l’induction, simple processus de pensée. La déduction, partant d’une règle générale qui ne souffre aucune exception, permet de l’appliquer à tous les cas particuliers ; l’induction partant d’un grand nombre de cas particuliers ne peut que dégager un principe qui devrait vraisemblablement s’appliquer à un autre cas particulier similaire.

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paternité, on voit bien que c’est le cours normal des événements qui est déterminant. D’autre

part, on peut penser que le corps social sanctionnerait pareille présomption. Une vérité

construite ne peut être acceptée par le corps social que si elle lui correspond culturellement.

Souligner le caractère mi-inductif mi-déductif de la présomption-preuve revient à montrer que

la complexité du procédé présomptif est liée à la diversité des notions qui interviennent dans

le passage du connu à l’inconnu : la probabilité, l’expérience et la volonté.

§ 2- Du connu à l’inconnu : probabilité, expérience et volonté

Selon le Professeur GROSSEN, le raisonnement présomptif « se fonde sur une vérité

d’expérience, sur une probabilité. Force est bien de constater cependant qu’à elle seule,

l’idée de probabilité ne suffit pas à justifier une manière de raisonner anormale, éloignée de

la vérité. La présomption suppose une intervention de la volonté qui supplée aux insuffisances

de la logique » 206. L’auteur met ainsi en évidence les notions guidant l’inférence présomptive :

la probabilité et l’expérience, qui vont de pair, et la volonté, qui les complète voire les

supplante. Lorsqu’un problème de preuve intervient, a fortiori lorsqu’on fait appel à une

présomption-preuve, la vérité restera relative, excluant l’exactitude mathématique. Il faudra

donc construire une vérité. Premier temps de cette construction : la probabilité et l’expérience

qui, ne suffisant pas, supposeront une intervention de la volonté.

Ainsi, la présomption, comme l’énonce l’adage latin « praesumptio sumitur de eo

quod plerumque fit », se tire de ce qui arrive le plus souvent (A-). Elle met aussi

corrélativement en œuvre des modes d’appréciation subjectifs et objectifs (B-).

A- “Praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit”

La présomption-preuve aboutit à une vérité construite sur le probable207 et

l’expérience208. Ce constat n’est guère nouveau puisque la formule latine « praesumptio

sumitur de eo quod plerumque fit » « signifie que le fondement des présomptions est dans la

probabilité »209. Dans le même ordre d’idées, le Doyen GENY considère que la présomption

206 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 50. 207 Pour AUBRY et RAU, la présomption est « une opération de l’esprit dans laquelle on décide de tenir pour existant un fait probable ou même seulement possible ». Charles AUBRY et Charles RAU, Droit civil français, T. XII, 6ème éd., Paul ESMEIN, 1958, § 750, note 1, p. 83. 208 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 20. Le Professeur GROSSEN estime qu’il s’agit d’ « une vérité d’expérience ». 209 Henri ROLAND et Laurent BOYER, op. cit., V. n° 335, « Praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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tient « pour certain ce qui est douteux, pour avéré ce qui est tout au plus probable »210. Le

Doyen DECOTTIGNIES, quant à lui, évoque l’apport conjugué du probable et de la volonté

dans les présomptions aussi bien légales que judiciaires211. Chacun pressent en son for

intérieur qu’en matière de présomption-preuve les notions d’expérience et de probabilité sont

liées et règnent grosso modo sur le même domaine ; cependant celui de l’empirisme est plus

facile à cerner que celui du probable qui est porteur d’une connotation mathématique.

L’expérience est, d’après Claude BERNARD, « l’instruction acquise par l’usage de la

vie »212. Elle a un rôle cognitif, consistant à tirer des enseignements du passé. Le Professeur

OST estime à cet égard que « l’ « expérience » (…) renvoie à un passé actuel et actualisable,

un acquis toujours mobilisable, un enseignement toujours pertinent », qu’elle est « du passé

capitalisable »213. Appliqué à la présomption-preuve, cela signifie qu’un juriste serait mal

avisé d’inférer l’existence du fait B de celle du fait A, si l’expérience ne lui a pas montré qu’il

est possible qu’un fait de type B découle d’un fait de type A, ou, en d’autres termes, si

l’expérience ne lui a pas permis d’éprouver la possibilité de cette inférence. Le premier

élément de l’inférence présomptive est donc la connaissance empirique de la possibilité du

résultat de la présomption. Il est évident que, plus cette expérience se reproduit, plus il est

légitime d’en tirer une règle générale : c’est alors que la notion de probabilité fait son

apparition.

Le résultat d’une présomption-preuve ne doit pas être simplement possible, encore

faut-il qu’il soit probable : il doit s’agir d’une possibilité dotée d’une grande plausibilité. Le

terme « probable »214 a deux sens. Au sens épistémologique, la probabilité est la

vraisemblance, la crédibilité. Dire d’un énoncé qu’il est probable, c’est évaluer sa crédibilité.

Au sens mathématique, la probabilité est le rapport du nombre d’occurrences effectives au

nombre d’occurrences possibles d’un événement. Ces deux sens ne sont pas en situation

d’incompatibilité totale : plus la probabilité mathématique d’un événement est importante,

plus la survenance de celui-ci sera crédible. En matière de présomption, le terme « probable »

210 François GENY, op. cit.., p. 335. 211 Roger DECOTTIGNIES, op. cit., p. 24-28. 212 Elizabeth CLEMENT et al., op. cit. 213 François OST, Le temps du droit, Paris, éd. Odile Jacob, 1999, p. 25. 214 Gilles-Gaston GRANGER, Le probable, le possible et le virtuel. Essai sur le non-actuel dans la pensée objective, Paris, Odile Jacob, 1995, p. 14, § 6. Dans l’introduction de cet ouvrage, l’auteur écrit : « le probable est un non-actuel envisagé pleinement et concrètement dans son rapport à l’actualité, pour ainsi dire comme une préactualité, ou une actualité au second degré, qui ne concerne pas directement le faits. Il est à première vue de nature épistémique, c’est-à-dire exprimant une qualification de nos connaissances, et peut être conçu comme désignant un degré de notre attente de l’actuel ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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est généralement employé au sens épistémologique : le plus souvent, on ne connaît pas la

probabilité mathématique de survenance du fait inconnu en cas d’existence du fait connu. On

sait simplement de manière empirique que cette survenance est possible et s’est produite

plusieurs fois.

Des notions de probabilité et d’expérience, doit être rapprochée celle d’apparence. Le

législateur fait endosser le rôle de présomptions-preuves à des situations apparentes. Le

titulaire apparent de certains droits est alors présumé en être véritablement titulaire dans la

mesure où il est probable, vraisemblable, que ce soit le cas. Ainsi, la possession d’état215

repose sur un certain nombre de faits donnant à quelqu’un l’apparence d’être l’enfant de telle

personne. Lesdits faits constituent les indices, les faits connus dont sera inférée la possession

d’état. Il en va de même de l’usucapion216 qui, finalement, est une présomption de propriété.

Se comporter en propriétaire, c’est donner l’apparence qu’on l’est véritablement et, dès lors,

laisser présumer qu’on l’est.

La présomption-preuve est donc construite à partir de l’expérience et du probable.

Mais l’expérience n’est que l’expérience, le probable n’est que le probable et, par conséquent,

pour construire la vérité un tiers élément doit intervenir : la volonté du juriste qui met en

œuvre la présomption. C’est par un apport de la conscience que la présomption va pallier la

carence de preuve et faire du probable le certain. En somme, la présomption-preuve, c’est la

force de la volonté et de l’affectivité en sus de la rationalité, c’est un choix de vérité.

Lorsqu’un jurislateur prend conscience, grâce à la probabilité et à l’expérience, de la

vraisemblance d’un fait, il doit faire un choix : soit il repousse cette vraisemblance, soit il

l’érige au rang de présomption, de vérité construite et choisie. Dans cette dernière hypothèse,

il adopte volontairement (à titre seulement provisoire si la présomption n’est pas absolue) une

vérité simplement conjecturale. Comme le souligne le Professeur GROSSEN « (…) il n’est

pas de présomption sans une intervention de la volonté qui peut être celle du législateur ou

celle du juge (…). La présomption fait disparaître l’incertitude dans la mesure où la volonté

l’écarte »217.

215 Article 311-1 du Code civil. 216 Articles 2219 et 2262 du Code civil. 217 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 44.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

59

B- L’utilisation concomitante de modes d’appréciation subjectifs et

objectifs

Ainsi, la présomption-preuve repose sur des moyens de connaissance opposés et, par

là même, complémentaires dans la mesure ou certains sont objectifs (le mécanisme inductif,

l’expérience et la probabilité) et d’autres subjectifs (la volonté), les seconds permettant de

pallier l’insuffisance des premiers. Ce mélange incongru de modes d’appréciation subjectifs et

objectifs scelle l’appartenance de la présomption-preuve à la logique dialectique qui, à

l’inverse de la logique formelle, science des inférences, est d’essence argumentative218. Ces

distinctions aristotéliciennes219 ont été reprises par KANT220 qui oppose la logique dialectique

ou « logique de l’apparence » à la logique analytique ou « logique de la vérité ». On peut

penser que la présomption-preuve relève de la logique dialectique même si le principal

procédé qu’elle met en œuvre – l’inférence – est habituellement rattaché à la logique formelle

ou analytique. Ici, l’inférence dégagée est celle d’une probabilité, non d’une certitude et elle

ne se suffit pas à elle-même : elle doit être finalisée par la volonté. En ce sens, la

présomption-preuve est une conviction, c'est-à-dire une assurance justifiée reposant,

contrairement à la croyance ou à l’opinion, sur une réflexion approfondie, sur un choix clair et

lucide221. C’est la conviction du législateur ou du juge qui permet de passer de l’expérience et

de la probabilité à la certitude morale. Plusieurs éléments corroborent l’idée que la

présomption-preuve correspond à une conviction. Mme Marie-Cécile NAGOUAS-GUERIN

donne une définition de l’intime conviction, qui pourrait s’appliquer à la présomption-preuve :

elle parle de « l’adhésion morale à la connaissance de très hautes probabilités »222. En outre,

ce même auteur estime que la logique dialectique, à laquelle la présomption-preuve vient

d’être rattachée, « implique la confrontation logique d’opinions ou d’arguments contraires

afin d’aboutir à une conclusion qui ne correspondra pas à une vérité absolue mais à une

vérité dégagée par les personnes se livrant à cette confrontation, en fonction du raisonnement

suivi et de la balance des raisons avancées. Il s’agit ainsi, non d’une vérité absolue, mais

d’une conviction »223.

218 Pour une définition de la logique formelle et de la logique dialectique: Elizabeth CLEMENT et al., op. cit. 219 ARISTOTE, Les Topiques. 220 KANT, Critique de la raison pure. 221 La présomption-preuve est donc le fruit d’une délibération. 222 Marie-Cécile NAGOUAS-GUERIN, « Mythe et réalité du doute favorable en matière pénale », Revue de sciences criminelles et de droit comparé (2), avril-juin 2002, pp. 283 sq., p. 285. 223 Ibid., p. 284.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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La présomption-preuve, en tant que modalité de construction de la vérité, est une

conviction. De ce fait, elle est empreinte de subjectivité. Découlant du choix individuel du

législateur ou du juge, la présomption-preuve n’est donc pas uniquement fondée sur la

rationalité et va parfois jusqu’à faire fi du très faible degré de probabilité de la conclusion à

laquelle elle parvient224. Dans le même ordre d’idées, que dire des présomptions irréfragables

qui ne souffrent guère la preuve contraire ? La question qui se pose alors est celle de

l’arbitraire de la présomption-preuve. Subjectivité n’est pas forcément synonyme d’arbitraire,

et, la conviction est basée sur une démonstration. Comme le note M. Daniel AMMAR,

« l’injustice et l’arbitraire consistent précisément (…) à être convaincu d’une prétendue

vérité sans être à même de fonder sa conviction sur un fait démontré »225. Malgré tout, la

présomption pourrait être source d’arbitraire. Si toutes les présomptions-preuves ont un but

général commun, à savoir pallier la carence de preuve, chacune d’entre elles poursuit un

objectif qui lui est propre226 et participe globalement au maintien de l’ordre social (et donc du

conformisme social ?)227. Ainsi selon le Professeur X. LAGARDE, on ne peut, la plupart du

temps, prouver la valeur empirique des présomptions, celles-ci « ne sont que l’expression

d’une norme sociale et les jugements qui les mettent en œuvre tirent leur légitimité de la

standardisation des rapports sociaux dont ils s’inspirent. Cette normalisation fonctionne ici

en creux car opposer une présomption à un plaideur revient à lui signifier qu’il n’est pas

dans la norme et qu’en conséquence ses prétentions ne sauraient trouver leur place dans le

jeu social »228. Ainsi certaines présomptions auraient pour but de protéger des institutions : la

présomption de paternité229 est, ou a été, un moyen de valoriser la famille légitime. La

présomption de l’article 2276 du Code civil230, selon laquelle, « en fait de meubles, la

possession vaut titre », participe vraisemblablement de la volonté de protéger la propriété…

224 On pense par exemple à la présomption d’interposition de l’article 911 du Code civil. Cf. Paul FORIERS, loc. cit. p. 46, pp. 11-13. 225 Daniel AMMAR, « Preuve et vraisemblance. Contribution à l’étude de la preuve technologique », RTD civ, 1993, pp. 499 sq. 226 Jerzy WROBLEWSKY, loc. cit. p. 33, p.57-58. Cet auteur montre que « les présomptions sont basées sur certaines valeurs acceptées comme leur fondement ». Certaines seraient idéologiques, il s’agirait des « intérêts garantis par la norme de présomption ». Certaines seraient techniques, il s’agirait des « principes d’efficacité dans le processus de décision des cas ». 227 Sur le but des présomptions, V. : Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 45 ; François GENY, op. cit., pp. 288 sq. 228 Xavier lAGARDE, « Vérité et légitimité dans le droit de la preuve », Droits. Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridique, n°23, 1996, pp. 31 sq. 229 Frédérique GRANET-LAMBRECHTS, « La présomption de paternité », Droit de la famille, 2006, pp. 11 sq. 230 Ancien article 2279 du Code civil.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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En tant que procédé technique permettant la réalisation pratique du droit, la

présomption est susceptible de s’adapter aux objectifs que poursuit le système juridique dans

lequel elle intervient. Qu’on le veuille ou non, elle est un vecteur idéologique car elle est au

service d’un système. Sa qualité dépend donc du système dans lequel elle fonctionne. Mais le

droit tout entier n’est-il pas, dans ces conditions, un vecteur idéologique ?

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Conclusion du Chapitre 1

La présomption est couramment définie comme le passage opéré par le juge ou la loi

d’un ou de plusieurs faits connus à un fait inconnu. En réalité, cette définition ne correspond

pas à l’ensemble de la matière présomptive mais plutôt à un type particulier de présomptions :

les présomptions-preuves. Celles-là seules correspondraient à la connaissance anticipée d’une

réalité incertaine fondée sur un passage du connu à l’inconnu.

Choisir l’appellation présomption-preuve pour désigner ce mode de raisonnement

aboutissant à une vérité conjecturale, c’est mettre en valeur son objectif primordial : faciliter

une preuve difficile, remédier à l’absence de preuve directe, en bref pallier les difficultés

probatoires en cas de doute sur les faits.

On reproche fréquemment à la présomption-preuve son caractère artificiel : elle ne

serait qu’un pis-aller, le dernier recours d’un juriste impuissant face à une réalité fuyante.

Confusément, elle recèle donc quelque chose de peu glorieux, de quasi inavouable, comme le

signe de la relation laborieuse du droit au monde sensible. Pourtant, le simple énoncé de sa

finalité probatoire met en évidence son importance dans le champ juridique : voie d’accès au

réel, elle contribue à la réalisation du Droit car elle lui permet de remplir son office, à savoir

régir la société, malgré ses doutes et incertitudes.

Concrètement, la présomption-preuve déplace l’objet de la preuve d’un fait

impossible à prouver directement vers d’autres faits, plus aisés à prouver, et qui rendront le

premier vraisemblable. Pour ce faire, elle construit la vérité en alliant modes d’appréciation

subjectifs et objectifs : d’une part, mi-inductive la présomption-preuve infère d’indices un fait

inconnu qu’ils rendent probable, d’autre part, mi-déductive elle valide l’induction première en

faisant un détour par le principe, c’est-à-dire par l’ordre normal ou habituel des choses. De

même, pour passer du connu à l’inconnu, elle s’appuie avant tout sur la probabilité et

l’expérience, mais également sur la volonté de celui qui la met en œuvre puisqu’il s’agit de

choisir entre plusieurs options.

D’une manière générale, la notion de présomption avoisine celle de preuve. Mais,

parmi les diverses présomptions, c’est précisément celle qu’on a nommée présomption-preuve,

qui s’en rapproche le plus. A présent, reste donc à s’intéresser aux autres types de

présomptions lesquels, tout en conservant des liens avec le domaine probatoire, se

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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rapprochent aussi d’autres notions : la présomption-postulat d’abord, la présomption-concept

ensuite.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Chapitre 2- La présomption-postulat

Etymologiquement, le terme « présomption » signifie : jugement anticipé, adoption

anticipée de la vérité d’un fait. C’est ce que révèle la formule du Doyen GENY selon laquelle

la présomption est une « anticipation du jugement sur une réalité insuffisamment connue, ou

mieux, [un] acte volontaire de l’esprit, tenant pour certain ce qui est douteux, pour avéré ce

qui est tout au plus probable »231. Pareille définition, si elle renvoie bien évidemment aux

présomptions-preuves, semble dépasser ce seul concept. Elle ouvre la voie à une autre

présomption, qui, pour n’être pas un mécanisme permettant de passer du connu à l’inconnu,

serait malgré tout une présomption: la présomption-postulat ou présomption-axiome.

Avant de s’intéresser plus avant à la présomption-postulat, précisons qu’elle ne saurait

être amalgamée avec le « postulat juridique » du Professeur BARRAINE. Ce « postulat

juridique » serait une « règle de preuve, basée sur des motifs d’intérêt général, suppléant à la

preuve complète par son simple énoncé et insusceptible d’être détruit par une preuve

inverse »232 ; il serait, en somme, une présomption irréfragable. Pour attrayante qu’elle soit,

cette conception semble dépassée. Certes, les présomptions irréfragables peuvent rappeler des

postulats dans la mesure où elles ne souffrent pas la preuve contraire et ressemblent à des a

priori de raisonnement. Néanmoins, la possibilité d’apporter ou non la preuve contraire ne

modifie pas la nature profonde de la présomption. Ainsi certaines présomptions-preuves

reposant sur un passage du connu à l’inconnu sont irréfragables. Par conséquent, ce qui

rapproche une présomption d’un axiome, ce n’est pas son irréfragabilité mais, bien davantage,

la façon dont elle est élaborée et dont elle fonctionne. La présomption d’innocence, par

exemple, bien que réfragable, n’en est pas moins un postulat de raisonnement, une affirmation

initiale non démontrée à partir de laquelle le procès va se dérouler.

Comme le souligne Nicholas RESCHER: « It is clear that there are various sorts of

rationales for presumptions. Some are a priori matters of procedural convenience or

propriety (e. g., that someone is « innocent until proven guilty »); others are empirically

guided by evidential backing (e.g. that someone missing for more than seven years is dead).

But, irrespective of their grounding, the operative functioning of presumptions is substantially

231 François GENY, op. cit., pp. 264-265. 232 Raymond BARRAINE, op. cit., pp. 227-228.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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the same. In every case, a presumption is a plausible pretender to truth whose credentials

may well prove insufficient, a runner in a race it may not win »233. Ainsi, outre la

présomption-preuve, un autre type de présomption existerait, que nous nommerons

présomption-postulat. Il s’agirait de sortes d’a priori considérés comme vrais notamment pour

des raisons pratiques. Certains auteurs ont déjà évoqué l’existence de cette présomption, par

exemple sous l’appellation « présomption antéjudiciaire »234. Ils incluent dans cette catégorie

les présomptions énonçant quel plaideur supportera la charge de la preuve : la présomption de

bonne foi235, la présomption d’absence de solidarité… Ainsi, comme son nom l’indique, la

présomption-postulat consisterait, par anticipation, à considérer quelque chose comme

existant de plein droit. Elle serait donc autre chose et plus qu’une présomption-preuve

(Section 1) et conduirait à transcender la réalité au profit des besoins du système (Section 2).

233 Nicholas RESCHER, op. cit., p. 3. 234Jean-François CESARO, op. cit., pp. 196-198 ; Jacques GHESTIN et al., op. cit., n° 646 p. 618 et n° 717, p. 699 ; Virginie HECQUET, op. cit., pp. 28-29 ; Xavier LAGARDE, op. cit., p. 356. 235Xavier LAGARDE, op. cit., p. 356. « Constitue par exemple une présomption antéjudiciaire, la présomption de bonne foi prévue par l’article 2268 du Code civil [actuel article 2274]; cette disposition ne dit pas ce qu’il faut prouver quand les parties sollicitent l’application d’une règle dont le présupposé fait référence à la bonne foi de l’une des parties ; elle dit simplement que cette bonne foi est présumée ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Section 1- Autre chose et plus qu’une présomption-preuve

Même si les exemples de présomptions-preuves cités dans le précédent chapitre ne

sont guère exhaustifs, on note que certaines présomptions parmi les plus célèbres, telle la

présomption d’innocence, n’y figurent pas. Que cache cette lacune : un oubli de taille, des

présomptions qui n’en sont pas, ou encore une deuxième sorte de présomptions ne reposant

pas sur le passage d’un fait connu à un fait inconnu ? Il semble qu’il faille opter pour la

dernière hypothèse : il existerait des présomptions en dehors de la catégorie des présomptions-

preuves (§ 1-), présomptions qui auraient pour fonction d’attribuer la charge de la preuve à

leur adversaire (§ 2-).

§ 1- L’existence de présomptions en dehors de la catégorie des

présomptions-preuves

Les exemples de présomptions impossibles à rattacher à la catégorie des

présomptions-preuves sont importants quantitativement et qualitativement. Les plus flagrants

d’entre eux - la présomption d’innocence (A-), la présomption de connaissance de la loi (B-),

la présomption de vérité de la chose jugée et de la chose décidée (C-) ou encore la

présomption de communauté en droit des régimes matrimoniaux (D-) - méritent qu’on s’y

arrête.

A- La présomption d’innocence

Tout prévenu doit être a priori tenu pour innocent, grâce à la bien connue présomption

d’innocence. Le procès, dont elle est la base de déroulement, la fera tomber ou la confortera,

étant entendu qu’il appartient au ministère public de prouver la culpabilité de l’accusé.

Assurément, la présomption d’innocence n’est pas une présomption-preuve. En effet,

il ne s’agit point d’un mécanisme permettant le passage d’un fait connu à un fait inconnu.

L’innocence présumée est l’état de tout accusé jusqu’à l’issue du procès : elle est

indépendante des circonstances particulières de l’espèce, elle n’est pas inférée de faits connus.

Au contraire, si une personne bénéficie de la présomption d’innocence, c’est parce qu’elle est

un coupable potentiel. Les définitions de la présomption d’innocence ne mettent point l’accent

sur son aspect présomptif et font primer son objectif sur sa nature. Elle est définie comme

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« un droit procédural destiné à donner à chaque justiciable accusé les garanties et les moyens

de se défendre comme s’il était innocent afin de le demeurer »236. En raison de l’inadéquation

de la présomption d’innocence à la définition classique de la présomption et de son

assimilation pure et simple à un droit subjectif, on en vient à penser qu’elle n’aurait de

présomption que le nom. La doctrine relaie d’ailleurs parfois cette idée237. Par exemple, M.

Stéphane DETRAZ estime que « (...) la « présomption » d’innocence n’est pas une

présomption : elle ne repose aucunement sur l’opération intellectuelle selon laquelle un fait

non prouvé directement peut s’acquérir par l’établissement d’un autre (…) il serait bien

étrange d’affirmer que l’on tire de l’existence de soupçons la preuve de l’innocence de

l’intéressé »238. Certes, la présomption d’innocence n’est pas une présomption reposant sur un

passage du connu à l’inconnu, elle n’est donc pas une présomption-preuve. Pour autant, cela

ne signifie pas qu’elle ne serait pas une présomption. La présomption d’innocence est en effet

une présomption au sens d’« anticipation du jugement sur une réalité insuffisamment connue,

ou mieux, [d’] acte volontaire de l’esprit, tenant pour certain ce qui est douteux, pour avéré

ce qui est tout au plus probable »239.

B- La présomption de connaissance de la loi

La présomption de connaissance de la loi, qui correspond à l’adage « nul n’est censé

ignorer la loi »240, n’est pas non plus une présomption-preuve. La fréquente association de

ladite présomption à la publication de la loi pourrait le laisser croire. Le Professeur

DEUMIER le souligne et résume ainsi le raisonnement généralement suivi : « la loi par sa

publication devient accessible au public. A lui de faire l’effort de se renseigner sur son

contenu. Nul n’est plus alors censé ignorer la loi. Le raisonnement est généralement qualifié

de « présomption » : les juristes tirent des conséquences d’un fait connu, la publication, a un

fait inconnu, sa connaissance »241. Pour séduisant qu’il soit, le raisonnement évoqué par

l’auteur n’en est pas moins discutable. D’une part, la présomption de connaissance de la loi

est dissociable de sa publication. Ainsi, au Royaume Uni, l’entrée en vigueur de la loi

intervient dès l’approbation royale et donc avant la publication qui n’est qu’une mesure

236 Daniel SOULEZ-LARIVIERE, « Présomption d’innocence », dans Loïc CADIET (dir.), Dictionnaire de la justice, 1ère éd., Paris, PUF, 2004. 237 Pour une étude détaillée de la nature juridique de la présomption d’innocence, V. : Hervé HENRION, op. cit.. 238 Stéphane DETRAZ, « La prétendue présomption d’innocence », Droit pénal, 2004, n° 3, pp. 4-7. 239 François GENY, op. cit., pp. 264-265. 240 Cet adage est parfois formulé en latin : « nemo censetur ignorare legem », « nemo jus ignorare censetur ». 241 Pascale DEUMIER, loc. cit., pp. 6 sq.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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d’ordre pratique. Pourtant, M. Charles HUBERLANT242 souligne que, paradoxalement, ce

système est justifié par la présomption de connaissance de la loi : « En fait, la jurisprudence

et la doctrine invoquent la présomption. M. L. Neville Brown cite un jugement extrêmement

ancien puisqu’il date de 1835… Ce jugement déclare : « Chacun est tenu de savoir ce qui se

fait au Parlement, même à défaut d’une proclamation dans le comté ; dès qu’une décision a

été prise au Parlement, chacun est juridiquement présumé en avoir connaissance car le

Parlement représente le corps du royaume ». Beaucoup plus tard, l’écrivain et homme

politique John Selden observera : « L’ignorance de la loi n’excuse personne, non que tous les

hommes connaissent la loi, mais parce que c’est là une excuse que chacun invoquerait et que

personne ne pourrait la réfuter » ». D’autre part, même dans les systèmes où l’entrée en

vigueur de la loi est subordonnée à sa publication243, l’inflation législative est un obstacle à la

connaissance de la loi. La présomption de connaissance de la loi n’est donc pas une

présomption-preuve inférant la connaissance de la loi de sa publication. On sent alors venir

l’hypothèse suivante : si ce n’est une présomption-preuve, c’est donc une fiction ! Ainsi, le

Professeur PUIGELIER soutient que « la présomption de connaissance de la loi est une

fiction »244. A bien y regarder, cette thèse semble inexacte. Est-il utile de souligner que la

fiction est le refus, la négation volontaire de la réalité, ce à quoi la présomption de

connaissance de la loi ne peut être assimilée? Certes la présomption de connaissance de la loi

témoigne d’un désintérêt pour la réalité, d’autant plus qu’elle est irréfragable. Mais, pour

reprendre la formule du Professeur RIVERO245, « elle n’est pas, comme la fiction, négation

consciente de la réalité, mais refus de rechercher celle-ci ». En réalité, la présomption de

connaissance de la loi n’est ni une présomption-preuve, ni une fiction. C’est une construction

juridique permettant d’anticiper et de considérer pour acquise la connaissance de la loi. A ce

titre, comme la présomption d’innocence, elle coïncide avec le sens étymologique du terme

présomption.

C- L’autorité de la chose jugée et de la chose décidée

Qui ne connaît l’adage « res judicata pro veritate habetur » ? Fondamental, il signifie

que le droit attache une présomption irréfragable de vérité à la chose jugée. Bien évidemment,

242 Charles HUBERLANT, « La présomption de connaissance de la loi dans le raisonnement juridique », dans Chaïm PERELMAN et Paul FORIERS, op. cit. p. 19, pp. 186 sq. , p. 194. 243 V. l’article 1er du Code civil français. 244 Catherine PUIGELIER, « La maxime "Nul n’est censé ignorer la loi" », in La loi – Bilan et perspective, Catherine PUIGELIER (dir.), Paris, Economica, 2005, pp. 309 sq., p. 309. 245 Jean RIVERO, loc. cit., p. 102.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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il ne s’agit pas d’une présomption-preuve. On sait le juge, simple mortel, capable d’erreur. Ce

n’est donc pas en recourant à une présomption-preuve qu’on peut dire d’une chose qu’elle est

vraie parce qu’elle est jugée. En réalité, l’adage « res judicata pro veritate habetur », qui

permet, par anticipation, de tenir la chose jugée pour la vérité, s’analyse en une présomption-

postulat.

En droit administratif, il existe une présomption comparable ; les actes de l’administration

bénéficient d’une présomption de légalité réfragable, parfois appelée « autorité de la chose

décidée »246 en référence à l’autorité de chose jugée. C’est cette présomption qui rend la

décision administrative exécutoire. D’après le Professeur RIVERO cette

présomption « déplace le fardeau de la preuve : au requérant d’établir l’illégalité qu’il

dénonce »247. D’aucuns estiment qu’il ne s’agirait pas réellement d’une présomption, mais

simplement « d’une manière de s’exprimer »248, à quoi l’on peut répondre que s’il ne s’agit

assurément pas d’une présomption mettant en œuvre un passage du connu à l’inconnu, en

revanche, il s’agit bien d’une présomption au sens étymologique du terme. L’acte

administratif est a priori tenu pour légal. Le justiciable peut par la suite contester sa légalité.

D- La présomption de communauté de l’article 1402 du Code civil

En énonçant que « tout bien meuble ou immeuble est réputé acquêt de communauté si

l’on ne prouve qu’il est propre à l’un des époux par application d’une disposition de la loi »,

le premier alinéa de l’article 1402 du Code civil instaure une véritable présomption de

communauté. Conformément à cette dernière, en l’absence de preuve contraire, tous les biens

des époux sont considérés comme des acquêts de communauté.

De prime abord, on pourrait penser que cette présomption pluriséculaire249 est une

présomption-preuve. Il est en effet admis qu’une de ses principales fonctions est de pallier les

difficultés de preuve résultant de doutes sur la provenance des biens lors de la liquidation de

la communauté250. Or, résoudre des difficultés probatoires est précisément la mission des

présomptions-preuves.

246 Ibid., p. 108. 247 Ibid., p. 109. 248 Louis DE GASTINES, op. cit., p. 2, § 6. 249 Bernard BEIGNIER, Les régimes matrimoniaux, Paris, Montchrestien, 2008, p. 88. L’auteur rappelle que LOYSEL, dans ses Institutes, expliquait déjà que « tous les biens sont acquêts s’il n’appert du contraire ». 250 Cass. Civ. 1, 18 novembre 1992, D., 1993, obs. GRIMALDI. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a considéré que l’épouse dont l’un des biens propres (car acquis avant le mariage) a été financé grâce à un emprunt

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Cependant, classer la présomption de communauté parmi les présomptions-preuves

pour cette seule raison reviendrait sans doute à opérer une assimilation rapide. A la différence

d’une présomption-preuve, la présomption de l’article 1402 ne permet nullement de prouver

un fait difficile à prouver à partir d’un autre fait plus aisé à prouver. Si elle pallie les

difficultés de preuve, c’est simplement en remédiant aux hésitations quant à l’origine d’un

bien en lui octroyant a priori la qualification de bien commun.

Par conséquent, son mode de fonctionnement diffère passablement de celui d’une

présomption-preuve. On ne passe pas à proprement parler du connu à l’inconnu en inférant la

nature commune des biens des époux (l’inconnu) de leur régime matrimonial (le connu). En

réalité, les biens des époux sont a priori tenus pour communs, à moins qu’on parvienne à

prouver le contraire. Autrement dit, le caractère commun des biens est d’une part l’hypothèse

de départ, le postulat sur lequel est construit le régime légal, d’autre part la solution qui

prévaudra par défaut en cas d’incertitudes persistantes sur l’origine d’un bien. Pour reprendre

la formule du Doyen CORNU, la présomption de communauté serait un « facteur

d’accroissement résiduel de la communauté au bénéfice du doute »251.

Ainsi, la présomption de communauté n’a guère pour objectif de résoudre une

difficulté probatoire ponctuelle concernant la provenance d’un bien précis, mais d’instaurer

un principe exprimant en quelque sorte l’âme du régime communautaire, principe en vertu

duquel tout est mis en commun. A ce titre, la présomption de communauté ne s’agrège certes

pas à la notion de présomption-preuve mais à celle, plus vaste, de présomption au sens

étymologique d’anticipation sur ce qui n’est pas prouvé.

Finalement, bien d’autres présomptions existent en dehors de la catégorie des

présomptions-preuves. Ainsi en est-il de la présomption de bonne foi, de la présomption de

respect du droit international252… Il est donc incontestable que toutes les présomptions ne

sont pas des présomptions-preuves. Reste à savoir si ces présomptions, apparemment très

hétérogènes, ont des points communs justifiant leur regroupement au sein d’une catégorie à

part entière.

remboursé pendant le mariage doit récompense à la communauté en raison de ces versements. Les paiements effectués sont en effet réputés faits avec des deniers communs en vertu de la présomption de l’article 1402 du Code civil. 251 Gérard CORNU, Régimes matrimoniaux, 9ème éd., Paris, PUF, 1997, p. 285, n° 44. 252 V. aussi la présomption de solidarité en matière commerciale, Bruno DONDERO, « La présomption de solidarité en matière commerciale : une rigueur à modérer », D., 2009, pp. 1097 sq.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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§ 2- L’attribution de la charge de la preuve

Si l’on recherche des points communs aux présomptions venant d’être mentionnées

pour justifier leur regroupement sous l’appellation commune de présomptions-postulats, il

faut regarder du côté de leur mode de fonctionnement ; elles attribuent la charge de la

preuve253 ou, plus précisément, le risque de la preuve 254 à l’une des parties: c’est à celui qui

conteste l’élément présumé, ou plutôt postulé, d’apporter la preuve contraire. Autrement dit,

« certaines règles formulées en termes de présomptions ont pour effet premier de désigner

celui des plaideurs qui succombera faute de preuve, c’est-à-dire supportera le risque de la

preuve » constate le Professeur DEVEZE255. Il ajoute que « ces dispositions ne gouvernent

pas l’administration de la preuve ou son admissibilité » mais « indiquent qu’en cas de doute

irréductible, sera débouté le plaideur qui alléguait le dol, la novation, la solidarité ou la

renonciation ».

Ainsi, en droit pénal, conformément à la présomption d’innocence, l’innocence du

prévenu étant postulée, le ministère public doit prouver la culpabilité de ce dernier256. En droit

international, puisque les sujets de droit international, en particulier les Etats et les

organisations internationales, sont a priori présumés agir en conformité avec le droit en

général et le droit des gens spécialement257, il faudra faire la preuve de la non-conformité de

leurs agissements. De même, lorsque deux époux sont mariés sous le régime de la

253 Raymond LEGEAIS, Les règles de preuve en droit civil « permanences et transformations », Paris, LGDJ, 1955, p. 169. On distingue en réalité au sein de la charge de la preuve, la charge subjective de la preuve (ou administration de la preuve) et la charge objective de la preuve. La première a trait au processus de réunion des preuves et peut prendre la forme d’une coopération des parties. La seconde est liée au fond du litige et indique quel plaideur perdra le procès au cas où la lumière ne serait pas faite, c’est-à-dire quel plaideur subira le préjudice du doute. 254 Mustapha MEKKI, « Réflexions sur le risque de la preuve en droit des contrats (1ère partie) », Revue des contrats, 2008, pp. 681 sq. « Alors que la charge de la preuve répond, dans une optique statique, à la question de savoir qui doit prouver ce qu’il allègue et prétend, explique le Professeur MEKKI, le risque de la preuve renvoie, dans une perspective dynamique, à celui qui, en cas de doute, doit succomber et perdre le proècs engagé (en d’autres termes, “Actore non probante reus absolvitur” (“si le demandeur ne fait pas sa preuve, le défendeur est libéré”) ». 255 Jean DEVEZE, op. cit., p. 483. L’auteur cite à titre d’exemple divers « articles du Code civil qui édictent des interdictions de présumer ». Il fait notamment référence à l’ancien article 784 (actuel article 804) selon lequel « la renonciation à une succession ne se présume pas », à l’article 1116 en vertu duquel « il [le dol] ne se présume pas et doit être prouvé » et à l’article 1273 qui énonce que « la novation ne se présume point ». 256 Georges LEVASSEUR, « La régime de la preuve en droit répressif français », dans La présentation de la preuve et la sauvegarde des libertés individuelles, 3ème colloque du département des droits de l’Homme, Bruxelles, Bruylant, 1977, p. 9 sq., spéc. p. 16. « En vertu du principe de la présomption d’innocence, c’est la partie poursuivante (ministère public ou partie civile si celle-ci a pris l’initiative de mettre en mouvement l’action publique ou de se joindre au ministère public devant alors démontrer la preuve de l’infraction pour obtenir la réparation du dommage que celle-ci lui a prouvé) qui doit rapporter la preuve de l’existence de l’infraction et de son imputabilité ». 257 Gérard NIYUNGEKO, op. cit., p. 114.

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communauté, en vertu de la présomption de communauté de l’article 1402 du Code civil, il

appartiendra à celui qui prétend qu’un bien lui est propre d’en rapporter la preuve258. Pour

comprendre plus précisément comment fonctionnent les présomptions-postulats, de brefs

rappels préalables concernant la charge de la preuve paraissent nécessaires.

On le sait, d’une manière schématique, le mode général d’attribution de la charge de la

preuve est déterminé par deux adages : « actori incumbit probatio » et « reus in excipiendo fit

actor »259. En vertu du premier de ces adages, c’est au demandeur d’établir les faits sur

lesquels se fonde sa réclamation : le fardeau de la preuve pèse donc sur celui qui élève une

prétention en justice. En vertu du second, lorsque le défendeur invoque un fait par lequel il

entend anéantir la demande, il devient à son tour demandeur : il se trouve alors soumis à la

maxime « actori incumbit probatio » et doit prouver le fait qu’il invoque260.

Attributive de la charge de la preuve, la présomption-postulat peut, nous le verrons,

soit confirmer l’attribution habituelle, c’est-à-dire attribuer la charge de la preuve à celui qui

élève une prétention en justice conformément aux adages susmentionnés, soit, au contraire,

l’inverser en l’attribuant au défendeur.

Cette fonction d’attribution de la charge de la preuve appelle donc trois remarques : la

première porte sur l’intérêt de présomptions renforçant le principe « actori incumbit

probatio », principe qui semble se suffire à lui-même (A-), la deuxième a trait à la question de

l’inversion de la charge de la preuve (B-), la troisième concerne la portée de cette fonction

lorsque la présomption est irréfragable (C-).

A- L’intérêt des présomptions renforçant le principe « actori incumbit

probatio »

Par principe, la charge de la preuve est attribuée au demandeur à l’action en vertu de

l’adage « actori incumbit probatio ». Cette règle repose sur « le respect des situations

acquises »261 et sur l’idée fondamentale d’après laquelle celui qui prétend que le cours normal

258 Cass. Civ. 1, 7 juin 1988, JCP G, 1989, II, 21341, obs. SIMLER. La communauté qui prétend avoir droit à récompense n’a pas à établir le caractère commun des deniers qui ont servi à acquitter une dette personnelle à l’un des époux, ces deniers étant réputés communs en vertu de l’article 1402 du Code civil, sauf preuve contraire. 259 Henri ROLAND et Laurent BOYER, op. cit., « Actori incumbit probatio », n° 10, p. 16 et « Reus in excipiendo fit actor », n° 403, p. 817. 260 Henri MAZEAUD et al., Leçons de droit civil, Introduction à l’étude du droit, T. 1, 1er Vol., 11ème éd., Paris, Montchrestien, 1999, p. 510 sq., § 376. 261 Henri ROLAND et Laurent BOYER, op. cit., « Actori incumbit probatio », n° 10, p. 16.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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des choses a été troublé doit prouver ce trouble. On voit immédiatement qu’un grand nombre

de présomptions-postulats confortent ce mécanisme : elles postulent un élément conforme à

l’ordre normal des choses, conforme à ce qui devrait se passer pour que la société fonctionne

sans heurt, conforme, en somme, à ce qui se passerait si tout un chacun se comportait en bon

père de famille. Peuvent êtres ainsi postulées l’innocence262, la bonne foi, le caractère

d’acquêt de communauté d’un bien… C’est donc à celui qui les remet en cause dans un cas

donné de prouver leur fausseté, et ainsi de démontrer la culpabilité263, la mauvaise foi, le

caractère propre d’un bien…

On peut se demander quelle est l’utilité d’une présomption venant renforcer le principe

« actori incumbit probatio » en attribuant clairement le fardeau de la preuve à son adversaire.

N’est-ce pas faire double emploi avec le principe général ? La réponse est négative. On s’est

gardé d’écrire que les présomptions concernées reprennent l’adage « actori incumbit

probatio ». C’est à dessein que le verbe renforcer a été employé, les présomptions-postulats

ne se contentant pas de reprendre l’adage.

En réalité, ainsi qu’on l’a déjà souligné, il faut entendre ici l’expression charge de la

preuve au sens de risque de preuve 264: il s’agit de savoir quel plaideur succombera au cas où

le juge aurait encore un doute, bref « qui perdra le procès dans le cas où la lumière ne sera

pas faite »265. Les présomptions-postulats préorientent donc l’issue du procès en indiquant qui

perdra si le doute n’est pas levé. Ainsi, en vertu de la présomption-postulat d’innocence, le

juge en proie au doute doit prononcer la relaxe du prévenu ou acquitter l’accusé.

262 Sur les rapports entre la présomption d’innocence et les adages « actori incumbit probatio » et « reus in excipiendo fit actor », V. Georges LEVASSEUR, loc. cit., pp. 16-17. 263 Fabrice DEFFERARD, Le suspect dans le procès pénal, Paris, LGDJ, 2005, p. 41. En écrivant que, « parce qu’il est présumé innocent, le suspect n’est pas tenu de prouver qu’il est impliqué en rien dans l’infraction », Fabrice DEFFERARD montre clairement la logique de la présomption-postulat en général à travers la présomption d’innocence en particulier : celui en faveur duquel joue la présomption-postulat peut, au moins dans un premier temps, rester passif ; il revient à son adversaire de faire tomber la présomption et de démontrer la fausseté de l’objet postulé. 264 En effet, en l’occurrence, on peut substituer à l’expression de charge de la preuve celle de risque de la preuve, le véritable enjeu du problème étant de savoir qui va succomber en cas de persistance du doute. Comme l’a énoncé MOTULSKY, « lorsque la conviction du juge est établie dans un sens ou dans l’autre, il est comme indifférent de savoir à laquelle des deux parties incombait la tâche de la provoquer. Mais quand la balance reste en suspens, quand la vérité, même cette vérité restreinte que permet la procédure, ne peut être découverte, c’est alors qu’il convient de déterminer sur qui pèse le fardeau de la preuve. Comme le juge n’a pas (ou n’a plus en droit moderne) la ressource de renoncer à prendre parti et qu’il doit, dès lors, toujours se prononcer pour l’une ou l’autre des parties, la carence de celle qui se trouve sous le coup de cette charge suffit à entraîner une décision favorable à son adversaire ». Henri MOTULSKY, Principes d’une réalisation méthodique du droit privé (La théorie des éléments générateurs des droits subjectifs), Paris, Sirey, 1948, n° 117, pp. 130-131. 265 Raymond LEGEAIS, op. cit., p. 169.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Par ailleurs, on peut constater, avec le Professeur NIYUNGEKO, que la présence

d’une présomption de ce type accroît « le quantum de preuve exigée de la partie contre

laquelle elle joue »266 et ajouter qu’elle devrait en principe entraîner une exclusion des

présomptions-preuves à titre de preuve. Des exemples concrets semblent tout indiqués pour

cerner les liens entre ces divers types de présomptions, en sachant que le phénomène de

connexion entre elles est d’autant plus visible si la formule de départ de la présomption-

postulat est négative.

En droit civil267 ou en droit international public, dire que « la bonne foi est toujours

présumée », revient à considérer la bonne foi comme existante jusqu’à ce que la preuve

contraire soit rapportée, à savoir la preuve de la mauvaise foi. Par conséquent, le pendant

négatif de cette présomption-postulat est celle selon laquelle la mauvaise foi ne se présume

pas268. En matière de mauvaise foi, le mécanisme de la présomption-preuve est donc

apparemment exclu : on ne peut pas présumer la mauvaise foi en l’inférant d’un autre fait ;

celui qui allègue la mauvaise foi doit la prouver directement. La difficulté d’appréhension du

phénomène est sémantique : on emploie toujours le verbe présumer sans faire allusion à la

même technique.

Pour prendre un autre exemple, en suivant le même raisonnement, on peut dire que la

règle selon laquelle l’impartialité du juge est présumée jusqu’à preuve du contraire signifie

aussi que la partialité du juge ne se présume pas, et donc que la présomption-preuve sera, en

principe, impropre pour établir la partialité du juge.

De même, en matière pénale, comme le souligne le Professeur WRΟBLEWSKI à

propos de la présomption d’innocence, « on connaît la conclusion de cette présomption quand

il n’y a pas de preuve contraire, et l’accusé ne doit fournir aucune preuve pour qu’elle lui soit

appliquée ». On sait également qu’ « a priori (…) les principes d’interprétation du droit pénal

doivent interdire les présomptions défavorables à l’auteur. La présomption d’innocence

interdit au juge de présumer l’un des éléments constitutifs d’une infraction, spécialement les

266 Gérard NIYUNGEKO, op. cit., p. 126. 267 Article 2274 du Code civil. 268 Le Professeur NIYUNGEKO note que plusieurs décisions internationales se réfèrent à la bonne foi, « soit directement, soit indirectement en portant que la mauvaise foi, l’abus de droit ou la fraude ne sauraient se présumer, ce qui revient au même ». V. notamment C.P.I.J., Certains intérêts allemands en Haute Silésie polonaise, arrêt du 26 mai 1926.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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éléments matériels, ceux-ci devant être établis par l’accusation » 269 . La présomption

d’innocence est, par conséquent, écartée si la culpabilité du prévenu est prouvée, mais ladite

culpabilité ne peut être prouvée au moyen d’une présomption-preuve.

Les présomptions-postulats semblent donc exclure les présomptions-preuves à titre de

preuve contraire. Ce phénomène est encore plus visible si la formulation de la présomption-

postulat est négative, par exemple : la renonciation à un droit ne se présume pas. Dans ce cas,

on voit bien que l’objectif de l’affirmation est le rejet de la présomption-preuve permettant

d’inférer la renonciation à un droit d’un fait connu, tel le silence. Renoncer à un droit est trop

grave pour que le juge puisse admettre cette renonciation sur le fondement d’une simple

présomption. Celui qui allègue la renonciation doit la prouver pleinement.

Néanmoins, ces constatations théoriques ne sont pas respectées en pratique. Il existe

par exemple quelques présomptions-preuves de mauvaise foi. Leur domaine de prédilection

est celui des vices cachés, le vendeur270 et l’acquéreur271 professionnels étant toujours réputés

de mauvaise foi. On en trouve également en droit douanier272 et en matière de contrefaçon273.

De même, en droit pénal, les présomptions de responsabilité qui contrecarrent la présomption

d’innocence sont nombreuses274.

Le quantum de la preuve contraire à rapporter est donc l’un des enjeux des

présomptions-postulats: il ne pourrait s’agir que d’une preuve très rigoureuse et non d’une

preuve par présomption. Ainsi, une présomption-postulat tombe si la preuve contraire est

rapportée, mais celle-ci ne peut, en principe, être fondée sur une présomption-preuve. Encore

faut-il que la présomption-postulat concernée soit réfragable, point sur lequel nous

reviendrons. Mais auparavant, il convient de s’intéresser aux présomptions-postulats qui, loin

269 Lydie DUTHEIL-WAROLIN, La notion de vulnérabilité de la personne physique en droit privé, Thèse, Limoges, 2004. 270 Depuis 1965, la Cour suprême estime de manière constante que le vendeur professionnel ne peut ignorer les vices affectant la chose vendue. Cf. Cass. Civ. 1, 19 janvier 1965 ; Cass. Com., 28 novembre 1966, D. 1967, 99 ; Cass. Civ. 1, 30 janvier 1967, J.C.P. G, 1967, II, 15025 ; Cass. Com., 21 janvier 1992, CCC, 1992, n°5. 271 Cass. Civ. 1, 25 novembre 1963 ; Cass. Com., 14 janvier 1969, J.C.P. G 1970, II, 16167. 272 P. DE GUARDIA, « L'élément intentionnel dans les infractions douanières », RSC, 1986, pp. 487sq. : en droit douanier, si un individu franchit irrégulièrement les limites du territoire ou importe sans déclarations des marchandises prohibées, la jurisprudence présume qu'il avait conscience de commettre le délit de contrebande ou d'absence de déclaration. 273 C'est le cas depuis la fin du XIXe siècle : Cass. Crim. 11 avril 1889 et 13 mars 1890. Cf. Sylviane DURRANDE, « L'élément intentionnel de la contrefaçon et le nouveau Code pénal », D. 1999, pp. 319 sq. 274 V. l’article 321-6 du Code pénal qui instaure une présomption de responsabilité à l’égard d’une personne qui ne peut justifier de ressources conformes à son train de vie tout en entretenant des relations habituelles avec l’auteur ou la victime de certaines infractions.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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d’être à la solde du principe « actori incumbit probatio », l’envoient plutôt aux oubliettes en

inversant la charge de la preuve.

B- La question de l’inversion de la charge de la preuve

Certes, on peut attribuer la charge de la preuve à celui qui élève une prétention en justice.

Il n’y a là rien que de très classique, voire de très moral. Qui trouverait légitime d’avoir à

prouver un fait négatif pour échapper à une condamnation judiciaire après que son adversaire

aura simplement allégué – et non prouvé - son comportement répréhensible ?

Mais on peut aussi inverser la charge de la preuve, c’est-à-dire la faire reposer sur le

défendeur. Contrairement à ce que laisse parfois entendre la doctrine, notamment en classant

les présomptions que nous avons qualifiées de preuves dans les exceptions au principe

« actori incumbit probatio »275 , ces dernières n’inversent nullement la charge de la preuve :

elles ne font que la faciliter, parfois amplement, en déplaçant son objet. Seules les

présomptions-postulats sont capables d’inverser la charge de la preuve. L’objet du mécanisme

présomptif est alors le nœud du problème : si, lorsqu’elle présume un élément conforme à

l’ordre normal des choses, la présomption-postulat renforce la maxime traditionnelle « actori

incumbit probatio », en revanche, lorsqu’elle postule un comportement contraire à cet ordre

normal des choses, elle prend le contre-pied de cette maxime et inverse ainsi la charge de la

preuve en la transférant vers le défendeur. Un exemple concret s’impose : en matière pénale,

si, au lieu de présumer l’innocence, on présumait la culpabilité, tout le mécanisme probatoire

pénaliste serait bouleversé : il appartiendrait au prévenu d’apporter la preuve de sa non

culpabilité ! Point n’est besoin de s’étendre sur les conséquences fâcheuses qu’entraînerait

semblable présomption, qui exhale de forts relents d’arbitraire.

On ne saurait s’intéresser aux présomptions inversant la charge de la preuve sans évoquer

la nature ambiguë de la présomption mise en place par la Cour de cassation276 pour se

conformer à la réglementation communautaire en matière de preuve de la discrimination.

Dans un article intitulé « Présomption et preuve de la discrimination en droit du travail »277,

Mme Catherine MINET analyse ce sujet. Au niveau communautaire, les dispositions

275 Henri MAZEAUD et al., op. cit., pp. 510 sq. 276 Cass. Soc. 23 novembre 1999 (D., 2000, Info. rap. p. 124) ; Cass. Soc. 28 mars 2000 (D., 2000, somm. p. 375, obs, J.M. LATTES) ; Cass. Soc. 10 octobre 2000 (RJS, 2000, n° 1253) ; Cass. Soc. 4 juillet 2000 (Droit social, 2000, obs. J. MOULY, p. 920). 277 Catherine MINET, « Présomption et preuve de la discrimination en droit du travail », JCP E, n° 21-22, 22 mai 2003, pp. 894 sq.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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adoptées278 ont introduit une présomption de discrimination correspondant à celles que nous

nommons présomptions-preuves. A partir de certains faits prouvés (ceux caractérisant une

atteinte au principe d’égalité de traitement), la discrimination (le fait inconnu) est présumée.

Dans ce cas, celui qui allègue la discrimination n’est pas dispensé de toute preuve : il devra

prouver l’atteinte à l’égalité de traitement afin que la discrimination soit présumée. L’auteur

explique que « (…) la Cour de cassation semble être allée plus loin que la présomption

établie au niveau communautaire »279 en mettant en place, non une présomption permettant

de faciliter la preuve de la discrimination en passant de faits connus à un fait inconnu, mais

une présomption répartissant le fardeau de la preuve. En effet, selon la jurisprudence il semble

que le salarié n’ait qu’à invoquer (non à prouver ou établir) une atteinte à l’égalité de

traitement280. La Cour aurait donc utilisé une véritable présomption-postulat de discrimination,

inversant la charge de la preuve et allant à l’encontre du principe « actori incumbit probatio »

puisque ce serait à l’employeur de prouver l’absence de discrimination alors que le salarié ne

supporterait que la charge de l’allégation. Mme Catherine MINET montre que face aux

risques d’une telle présomption – notamment celui d’un « contentieux abusif de salarié de

mauvaise foi »281 -, un retour à une présomption traditionnelle légale a eu lieu282.

En bref, les présomptions-postulats sont donc susceptibles, du fait de leur fonction

d’attribution de la charge de la preuve, d’aller à l’encontre du principe « actori incumbit

probatio » et de favoriser le demandeur à une action. Cependant, compte tenu des risques

qu’elles engendrent, pour les droits de la défense notamment, ces présomptions demeurent

souvent théoriques et toujours réfragables.

278 Directive n° 97/80/CE, 15 décembre 1997, relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe ; Directive n° 2000/43/CE, 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe d’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d’origine ethnique ; Directive 2000/78/CE, 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail. 279 Catherine MINET, loc. cit., p. 894. 280 Ibid., p. 896 : « il appartient au salarié de“ soumettre” les éléments de faits susceptibles de caractériser une atteinte au principe d’égalité de traitement et non d’ “établir” comme il est prévu dans les directives communautaires ». 281 Ibid., p. 896. 282 Ibid., p. 897.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

78

C- Le problème de l’attribution de la charge de la preuve par une

présomption irréfragable

Les présomptions-postulats attribuent la charge de la preuve à leur adversaire. Ce

faisant, elles renforcent, la plupart du temps, la portée de la maxime « actori incumbit

probatio » en interdisant de faire la preuve contraire à l’aide d’une présomption-preuve. A

l’inverse, elles sont également susceptibles d’inverser la charge de la preuve. Ces

constatations ont-t-elle encore un sens lorsque la présomption-postulat, irréfragable, ne

souffre pas la preuve contraire ?

Avant toute réponse à cette question, le problème de la présomption-postulat inversant

la charge de la preuve doit être éliminé. On ne saurait admettre l’irréfragabilité d’une telle

présomption : considérant qu’elle contraindrait le défendeur à une passivité irrémédiable, elle

porterait définitivement atteinte aux droits de la défense et présenterait des dangers

inadmissibles pour la bonne administration de la justice, le respect du contradictoire, l’égalité

des armes, etc. Ce problème réglé, les présomptions-postulats irréfragables renforçant le

principe général d’attribution de la charge de la preuve peuvent être abordées.

En premier lieu, on note qu’aujourd’hui, l’irréfragabilité des présomptions, qu’elles

soient probatoires ou axiomatiques, n’est guère à la mode. La présomption de connaissance de

la loi, par exemple, est théoriquement irréfragable. Pourtant, comme le constate le Professeur

DEUMIER, « il est unanimement admis aujourd’hui que le caractère irréfragable de l’adage

souffre en fait de nombreuses dérogations : par le biais de notions existantes telles que la

croyance, la bonne foi ou l’erreur de fait, l’ignorance de la loi trouve droit de cité »283. La

fonction primaire de la présomption-postulat, à savoir attribuer la charge de la preuve, refait

donc surface grâce à ces dérogations et montre que les présomptions-postulats, qu’elles soient

ou non réfragables, ont bien une nature profonde identique.

En second lieu, bien évidemment, l’irréfragabilité de la présomption-postulat modifie

son impact. Néanmoins l’idée selon laquelle l’attribution de la charge de la preuve est hors

circuit en raison de l’impossibilité de rapporter la preuve contraire doit être relativisée. La

notion d’attribution de la charge de la preuve revient au premier plan si l’on s’aperçoit que la

présomption-postulat permet de changer l’orientation globale de la preuve en admettant,

comme base de raisonnement, une affirmation non démontrée. Tel ou tel élément sera

283 Pascale DEUMIER, loc. cit., p. 12.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

79

finalement exclu du domaine de la preuve car il sera considéré comme existant de plein droit.

On touche donc là à l’essence même de la présomption-postulat, à ce qui lui donne son nom,

c’est-à-dire la possibilité de tenir pour existants une affirmation, des faits non démontrés : à ce

titre, la présomption-postulat dépasse les simples questions de preuve.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

80

Section 2- La transcendance de la réalité au profit des besoins

du système

La réalité, bien souvent, le droit la cherche, veut s’en faire l’écho. Mais, impuissant à la

reconstituer exactement, il construit sa vérité, notamment à l’aide de présomptions-preuves

symboliques de la relativité de la vérité judiciaire.

Parfois aussi, le droit fuit la réalité, la nie : on parle alors de fictions juridiques. Des

fictions qui permettent de considérer un animal, créature animée284, comme un immeuble285…

Enfin, il arrive que le droit transcende la réalité. Sans la nier véritablement, sans la

rechercher pour autant, il s’en détache. C’est que le droit est un système, un ensemble de

règles et donc d’idées qui se soutiennent les unes les autres. C’est une construction théorique.

Par souci de cohérence, il est parfois nécessaire de considérer, par anticipation, certaines

choses comme existantes ou inexistantes. Cette voie est ouverte par les présomptions-

postulats. Comme leur nom l’indique, elles s’apparentent à la fois à la présomption, entendue

comme « anticipation du jugement sur une réalité », et au postulat ou axiome - le second

étant la version mathématique du premier - qui désigne la base de départ d’un raisonnement,

le principe indémontrable ou non démontré qu’il faut admettre pour établir une démonstration.

Ces présomptions peuvent être qualifiées de postulats car elles sont créées ex nihilo (§ 1-) et

sont la base de l’ordre juridique (§ 2-).

§ 1- Ex nihilo, praesumptionem fit

Le Professeur NIYUNGEKO soutient qu’il existe deux types de présomptions, ayant tous

deux une influence probatoire, mais une influence différente. Le premier type de

présomptions serait le mécanisme de raisonnement par lequel le juge ou la loi tire des

conséquences d’un fait connu à un fait inconnu. Il s’agit bien sûr des présomptions-preuves

sur lesquelles nous ne reviendrons pas. Le second type de présomptions consisterait à

considérer quelque chose comme existant ou n’existant pas jusqu’à preuve du contraire et

aurait pour conséquence d’attribuer la charge de la preuve à une partie286. L’auteur rappelle

284 Jean-Pierre MARGUENAUD, L’animal en droit privé, Publications de la faculté de droit et des sciences économiques de l’Université de Limoges, Paris, PUF. 285 V. l’article 524 du Code civil. 286 Virginie HECQUET, op. cit., pp.28-29. Cet auteur montre qu’il existe un type de présomptions légales « dont l’unique objet est d’attribuer la charge de la preuve à un plaideur ». Il s’agirait alors d’ « un présupposé établi

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

81

qu’on trouve une définition semblable dans le Dictionnaire de la terminologie du droit

international287 : la présomption serait un « terme employé parfois, ainsi que le verbe

présumer, pour désigner ce qui est considéré de plein droit comme existant tant que la preuve

contraire n’est pas fournie », ce terme « dans une proposition négative, désigne ce qui est

considéré comme n’existant pas à moins que la preuve contraire n’en soit fournie ».

Intéressantes en ce qu’elles corroborent la distinction entre présomptions déplaçant la charge

de la preuve et présomptions attribuant la charge de la preuve, ces définitions ne permettent

pas, néanmoins, d’élucider comment sont construites ces diverses présomptions. On pense

alors à l’adage « praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit » qui révèle, on le sait, que la

présomption-preuve correspond à un passage du connu à l’inconnu fondé, notamment, sur la

probabilité et l’expérience. Cependant on pressent immédiatement l’inadaptation de cet adage :

on le sait, de nombreuses présomptions font l’économie d’un passage du connu à l’inconnu et

ne sont pas inférées de ce qui se fait le plus souvent.

En vérité, la création d’un nouvel adage, par exemple « ex nihilo praesumptionem fit »,

semble opportune pour décrire le processus de création des présomptions-postulats. Elaborées

ex nihilo, non factuelles, les présomptions axiomatiques ne tiennent nullement compte des

contingences circonstancielles. Leur objet est tout simplement postulé.

Pour comprendre ce que signifie cette distension du lien entre présomption et données

événementielles, il convient d’évoquer les « présomptions formelles » décrites par le

Professeur WRΟBLEWSKI288. Selon cet auteur, dans la prémisse de la présomption-preuve,

deux éléments sont présents : l’état des choses E qui est démontré et l’absence d’informations

constituant la preuve contraire PC. Donc, la prémisse est composée de l’état des choses E et

du manque de preuve contraire PC, ce qu’on formuler ainsi : E + (-PC) → CP (CP étant

entendu comme le comportement consistant à reconnaître les conclusions de la présomption).

Si la preuve contraire est établie, on rejette la conclusion de la présomption : E + PC → (-

CP). Outre ces présomptions classiques, dans lesquelles la reconnaissance du fait est

nécessaire pour accepter la prémisse de la présomption, il existerait, des « présomptions

formelles », « qui ne demandent aucune vérification de l’état des choses E, car cet état existe

par la loi dans le seul but de modifier les règles habituelles d’attribution du fardeau de la preuve, afin de satisfaire à des motifs de politique juridique ». 287 Dictionnaire de la terminologie du droit international, publié sous le haut patronage de l’Union académique internationale, Paris, Sirey, 1960. 288 Jerzy WROBLEWSKI, loc. cit. p. 33, pp. 50 et 55.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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toujours »289. Dans ces présomptions formelles, on peut laisser de côté la variable E, ce qui

donne la formule suivante : (-PC) → CP ou PC → (-CP). Bien évidement ces formules

mathématiques s’appliquent seulement aux présomptions réfragables car elles prennent en

compte la preuve contraire. Mais cela n’a pas réellement d’importance en l’occurrence : l’idée

à retenir est que, dans un cas, l’état des choses entre en ligne de compte alors qu’il reste en

dehors dans l’autre. Cet élément ne disparaît pas avec la réfragabilité. Ces « présomptions

formelles » semblent rejoindre les présomptions dont le Professeur NIYUNGEKO dit qu’elles

consisteraient à considérer quelque chose comme existant ou n’existant pas jusqu’à preuve du

contraire : on a l’impression que l’on présume un élément ex nihilo, sans tenir compte des

données factuelles. Par exemple, dire que la bonne foi est présumée consiste bien à l’établir ex

nihilo, sans la déduire d’un autre fait. D’ailleurs, comme le souligne le Professeur

WRΟBLEWSKI, « l’exemple standard de la présomption formelle est la présomption

d’innocence. On connaît la conclusion de cette présomption quand il n’y a pas de preuve

contraire, et l’accusé ne doit fournir aucune preuve pour qu’elle lui soit appliquée ». On voit

donc que ces présomptions formelles ne reposent pas sur le passage d’un fait connu à un fait

inconnu. C’est ce détachement vis-à-vis des circonstances qui fait d’elles des

présuppositions290 291 , voire d’authentiques postulats292 . Il ne s’agit pas, en effet de

raisonnements permettant de bâtir une vérité mais de procédés consistant à admettre, par

anticipation et comme point de départ du raisonnement juridique, des éléments dont

l’adéquation avec le réel est pour le moins douteuse.

§ 2- Les piliers de l’ordre juridique

Et si des pans entiers du droit reposaient sur des présomptions-postulats?

Pareille affirmation semble, à première vue, audacieuse. Il paraît bien improbable que

notre édifice juridique soit fondé sur des présomptions, ces mécanismes fragiles qui, drapés

289 Ibid., p. 52. 290 Charles DE VISSCHER, op. cit., pp. 35-36. L’auteur emploie le terme de présupposition. Selon lui, « c’est par un abus de langage que les auteurs qualifient souvent de présomptions ce qui est présupposition générale du raisonnement. (…) C’est, par exemple parce que la bonne foi et le respect du droit sont à la fois le fondement nécessaire des relations entre Etats et le principe auquel ils sont généralement disposés à conformer leur conduite que ces dispositions sont présupposées et que l’allégation contraire doit être démontrée (…). Dans tout cela, il s’agit non de présomptions, mais de données générales, de présuppositions valables dans toute situation où se trouvent engagés les rapports entre Etats souverains et indépendants ». 291 André LALANDE, op. cit., « Présupposition » : dans son sens premier, la présupposition est « ce que l’on prend pour accordé au début d’une recherche, d’une démonstration, d’une discussion ». 292 Le postulat est, au sens ordinaire, la position, avouée ou non, qui constitue la base de départ d’un raisonnement. Pour des définitions, V. : Elizabeth CLEMENT et al., op. cit. ; LALANDE André, op. cit..

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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d’abstraction, ne bénéficient pas de la rassurante garantie du réel. Pourtant, indéniablement, la

présomption d’innocence est un des principes directeurs du droit pénal tandis que la vérité de

la chose jugée et la présomption de connaissance de la loi dépassent les frontières du droit

privé et régissent également le droit public. De même, on ne peut nier la portée considérable

de l’adage selon lequel « la bonne foi est toujours présumée »293 qui fait l’objet de

nombreuses applications particulières294. Dans le même ordre d’idées, il n’est pas anodin que

toutes les présomptions-postulats soient formulées sous la forme de sentences générales alors

que les présomptions-preuves ont une formulation beaucoup plus concrète et factuelle.

La qualité d’un système juridique, construction intellectuelle s’il en est, ne s’évalue pas

seulement à l’aune de son adéquation à la réalité. Il faut avant tout que l’ordre juridique soit

cohérent et logique. Afin de saisir cet aspect du problème, il faut l’analyser d’un point de vue

concret.

Pour que le système juridique fonctionne, présumer que chacun connaît la loi est

indispensable : si chacun pouvait invoquer son ignorance des choses du droit pour échapper à

son application, il n’y aurait plus ni réparation, ni sanction possibles ; le droit ne serait plus

obligatoire : il serait ravalé au rang d’indicateur de bonne conduite. Selon le Doyen

CARBONNIER, ladite présomption « repose sur une nécessité pratique » et « l’empire de la

loi qui, par définition, est une disposition générale, ne saurait sous peine d’anarchie,

dépendre de circonstances propres à chaque individu »295. Le Professeur DABIN semble

partager cette vision de la présomption de connaissance de la loi puisqu’il estime qu’elle

« vient restaurer l’harmonie momentanément détruite entre la logique et la vie »296. M.

Charles HUBERLANT, quant à lui, estime d’une part, que « la règle dont il s’agit est si

fondamentale, d’une nécessité si élémentaire qu’on conçoit difficilement qu’un ordre

293 Henri ROLAND et Laurent BOYER, op. cit., p. 66. 294 En droit civil, une telle présomption détermine ce que devra restituer l’accipiens. Selon l’article 1378 du Code civil, il ne doit rembourser que la somme d’argent ou la chose tandis que celui qui a reçu l’indu sciemment doit de surcroît payer les intérêts et rembourser les fruits. Bref, le solvens doit prouver que l’accipiens était de mauvaise foi. En droit social, la jurisprudence rappelle régulièrement cette présomption. Par exemple : Cass. Soc., 23 février 2005, il appartient au salarié « de convaincre les juges que la décision d’user de la clause a été prise pour des raisons étrangères à l’intérêt de l’entreprise » ; Cass. Soc., 3 octobre 2007, à propos d’une clause de mobilité, la Cour énonce qu’il revient au salarié de prouver que la décision de l'employeur a été mise en œuvre dans des conditions exclusives de la bonne foi contractuelle. En droit fiscal, selon l’article L 195 A du Livre des procédures fiscales il arrive qu’« en cas de contestation des pénalités fiscales appliquées à un contribuable (…) la preuve de la mauvaise foi et des manœuvres frauduleuses incombe à l'administration ». 295 Jean CARBONNIER, Droit civil, Paris, Thémis, PUF, 1955, pp. 85-86. 296 Jean DABIN, loc. cit. p. 39, p. 271.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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juridique ne la comprenne pas », d’autre part que cette présomption « est employée pour

renforcer la cohérence logique du système de droit. Des règles sont conçues par référence à

cette présomption, par exemple celle de l’exigence du « dol général » pour les crimes et les

délits »297.

Concernant l’adage « res judicata pro veritate habetur » qui présume que la chose jugée

est la vérité, le raisonnement est comparable. Dans ce cas, il en va de la légitimité de l’action

du juge. Les décisions judiciaires doivent avoir une certaine autorité pour être respectées. De

plus, il est nécessaire de ne pas prolonger indéfiniment les litiges et d’admettre que la vérité

est finalement atteinte. Sinon, le monde serait un champ de bataille juridique encore plus

vaste qu’il ne l’est déjà298.

De même, certaines présomptions sont utiles au bon fonctionnement du système juridique

sur le plan des valeurs. La présomption d’innocence favorise le déroulement équitable et, pour

ainsi dire, indolore, du procès...

Enfin, de manière plus ponctuelle, les présomptions-postulats peuvent représenter la

philosophie d’un domaine précis. Ainsi, en droit des régimes matrimoniaux, la présomption

de communauté de l’article 1402 du Code civil a une portée considérable. La doctrine estime

généralement qu’elle reflète l’esprit du régime de la communauté d’acquêts puisqu’elle tend à

amplifier le contenu de cette communauté299. En 1948, le Professeur A. PONSARD notait

déjà que cette présomption permet « d’assurer le jeu efficace des principes fondamentaux du

régime matrimonial » et constitue, dès le XIXème siècle, « un moyen technique au service de

l’organisation que le législateur entend donner au régime matrimonial »300.

297 Charles HUBERLANT, loc. cit., pp. 190 et 224-225. 298Henri MAZEAUD et al., op. cit., p. 518. Selon ces auteurs, « il est nécessaire (…) qu’un litige terminé ne puisse être à nouveau soumis aux tribunaux. Ce qui a été définitivement jugé ne doit plus être remis en question. Il y a là un principe d’ordre public sans lequel n’existerait aucune sécurité ; son abandon provoquerait une prodigieuse multiplication des procès, certains plaideurs ne voulant jamais s’avouer battus ! Aussi l’autorité de la chose jugée est-elle une présomption irréfragable qui ne souffre aucune preuve contraire, pas même par l’aveu ou le serment. Cette solution est motivée par les nécessités d’une bonne administration judiciaire ». 299 François TERRE et Philippe SIMLER, Les régimes matrimoniaux, Paris, Dalloz, 2008, p. 237, § 302. « La présomption d’acquêt témoigne (…) du souci du législateur de souligner (…) le caractère communautaire du régime légal. Elle assure une certaine continuité d’inspiration. On peut même penser qu’elle est de l’essence d’un régime de communauté véritable ». 300 André PONSARD, « La présomption de communauté », RTD civ, 1948, pp. 387 sq., spéc. p. 388. L’auteur explique également qu’ « on pourrait montrer par l’histoire comment l’existence et la force de la présomption de communauté se trouvent liées à la force de l’esprit communautaire lui-même : la présomption est apparue comme un moyen pour le droit coutumier de tenir en échec les préoccupations individualistes des conjoints traduites dans les clauses du contrat de mariage ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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En somme, il y a bien souvent dans la présomption-postulat le souci, non pas de ce qui est,

mais de ce qui devrait être. Par exemple, on présume l’innocence car c’est ce qui devrait être

(pour que la société fonctionne le mieux). A ce propos, bien que la présomption-postulat ne

soit guère un passage du connu à l’inconnu, elle s’inspire tout de même, comme la

présomption-preuve, de l’expérience et de la probabilité. Ce faisant, elle ne se déleste pas de

son identité axiomatique : elle utilise l’expérience et la probabilité d’une manière qui lui est

propre, non pour savoir ce qui se produit le plus souvent, mais pour saisir ce qui est favorable

au bon fonctionnement du système. A cet égard, la présomption d’innocence est le parangon

de la présomption reflet de l’ordre normal des choses, à savoir ce qui est juste, ce qui devrait

être pour que l’humanité soit proche du bonheur, de l’harmonie. Certes, il y a parfois

adéquation entre la réalité et l’objet postulé – le présumé innocent sera par exemple acquitté –

mais cela n’est pas décisif. D’ailleurs, la présomption-postulat dépasse sa précarité de vérité

conjecturale, puisque, pleinement consciente de cette dernière, elle vise le devoir être comme

justification de son existence. La présomption-postulat a un aspect incitatif, elle tend à rendre

la réalité conforme à ce qu’elle devrait être. Elle exprime un désir et tend à sa réalisation.

Ainsi les présomptions-postulats seraient, pour reprendre une expression du Professeur

RIVERO, des « présomptions fondamentales »301, qui irriguent tout le système juridique et

sont liées à notre conception du droit. Elles constituent les piliers de l’ordre juridique, sont

nécessaires à son existence et à son fonctionnement. Leur absence possible de concordance

avec la réalité ne les entache pas irrémédiablement d’arbitraire : « vouloir sur quelques points

essentiels, s’attacher à la réalité des choses, ce serait rendre impossible la mise en ordre de

la société par la règle et la sanction »302.

301 Jean RIVERO, loc. cit., pp. 107 et 111. 302 Ibid., p. 111.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Conclusion du Chapitre 2

Conformément à l’hypothèse émise au début de cette étude, le mécanisme permettant

d’inférer un fait connu d’un fait inconnu n’englobe pas toutes les présomptions. Autrement dit,

certaines lui échappent et correspondent simplement à la définition étymologique de la

présomption, à savoir jugement par anticipation sur les réalités qui nous entourent. A cet

égard, l’appellation présomption-postulat, semble leur convenir : grâce à la conjonction des

substantifs présomption et postulat, cette dénomination révèle que le mécanisme présomptif

est en jeu et, qu’en l’occurrence, il consiste à établir par avance une position constituant la

base de départ d’un raisonnement.

On ne saurait recenser toutes les présomptions-postulats mais les plus célèbres sont

aisément identifiables : la présomption de bonne foi, la présomption de connaissance de la loi,

la présomption de vérité de la chose jugée, la présomption de légalité des actes administratifs,

la présomption d’innocence…

Toutes ont pour fonction d’attribuer la charge de la preuve. A ce titre, elles peuvent

renforcer le principe « actori incumbit probatio » - traditionnel en la matière - qui fait peser le

fardeau probatoire sur le demandeur. Ainsi en est il de la présomption d’innocence qui

indique que le ministère public devra prouver la culpabilité du prévenu. Au contraire, elles

peuvent, exceptionnellement, inverser la charge de la preuve en la transférant au défendeur.

La Chambre sociale de la Cour de cassation semble ainsi avoir établi une présomption-

postulat de discrimination en droit du travail et inversé la charge de la preuve en la matière, le

salarié n’ayant qu’à alléguer une inégalité de traitement et l’employeur devant prouver

l’absence de discrimination.

Souvent assimilées à des fictions, les présomptions-postulats, à la différence des

présomptions-preuves ne recherchent pas un rapport d’exacte adéquation à la réalité. Leur

objet étant postulé indépendamment de considérations factuelles, elles dépassent la simple

recherche de la vérité. Elles s’intéressent bien davantage à ce qui devrait être afin de faire

fonctionner le système. A ce titre, les présomptions-postulats sont essentielles à la réalisation

et à la cohérence du droit ; elles sont les piliers de notre ordre juridique.

A ce stade de l’étude, on pourrait penser que toute la matière présomptive a été visitée.

Pourtant - excès de prudence peut-être, la suite le dira - il nous faut maintenant procéder à un

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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examen plus approfondi du champ juridique pour voir si - innommées, implicites, cachées, en

bref sournoises - d’autres présomptions ne rôderaient pas de ci de là.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Chapitre 3- La présomption-concept

Les présomptions-preuves et les présomptions-postulats sont assez aisément repérables

dans notre système juridique car elles sont explicites ; la plupart du temps, l’inférence est

clairement désignée par le terme « présomption » ou un champ lexical apparenté303. La

question se pose désormais de savoir si ce rôle visible de la présomption ne se double pas

d’une fonction plus souterraine, mais tout aussi importante, qui placerait la présomption en

amont du raisonnement juridique. Dès lors, il nous faut aborder le mécanisme de la

présomption-concept, à la fois original (Section 1) et ambigu (Section 2).

303 Par exemple, l’emploi du terme « réputé » marque fréquemment l’existence d’une présomption, comme l’illustre l’article 666 du Code civil. Rappelons, à ce propos, la discussion doctrinale sur le point de savoir si le mot « réputé » ne tendrait pas à désigner une présomption irréfragable, discussion trouvant son origine dans les conclusions de Y. CHAUVY sur un arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 21 mai 1996 (D., 1996 pp. 562 sq.). Cet arrêt a prononcé le caractère irréfragable de la présomption selon laquelle, en l’absence d’écrit, le contrat de travail à durée déterminé est réputé conclu à durée indéterminée. Dans ses conclusions, le représentant du Parquet a souligné que le terme « réputé », utilisé dans la loi du 12 juillet 1990 à l’article L. 122-3-1 du Code du travail au lieu du terme « présumé », écartait la preuve contraire. Sur cette question, V. Jean-François CESARO, op. cit., pp. 357-358.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Section 1- L’originalité de la présomption-concept

Originales. Paraissant ne ressembler à rien d’autre. Uniques. Hors du commun.

Marquées de caractères nouveaux et particuliers au point de paraître bizarres, peu normales304.

Telles sont, en effet, les présomptions nommées présomptions-concepts, qui ne sont ni tout à

fait des présomptions-preuves, ni tout à fait des présomptions-postulats (§ 1-) et ont un

domaine de prédilection singulier (§ 2-).

§ 1- Ni tout à fait une présomption-preuve, ni tout à fait une

présomption-postulat

Si le besoin se fait sentir de créer une tierce catégorie de présomptions, c’est parce le

mécanisme présomptif ne correspond parfois ni à celui mis en œuvre dans les présomptions

dites preuves ni dans celle dites postulats. Dans un premier temps, nous verrons qu’il s’agit

des cas où la présomption devient le motif de la règle de fond (A-) ; dans un second temps,

nous tenterons de justifier le choix de l’appellation « présomption-concept » concernant ce

type de présomption (B-).

A- Le motif d’une règle de fond

A bien y regarder, il semble qu’un certain nombre de règles de droit reposent sur des

présomptions, mais d’une nature particulière : les présomptions-concepts qui n’ont pour but ni

de déplacer l’objet de la preuve, ni d’attribuer la charge de la preuve. Situées en amont de la

règle de droit, elles en constituent simplement les motifs. Elles peuvent aussi intervenir dans

l’activité du juge. Tout d’abord, le juge, en tant qu’exécutant des règles élaborées par le

législateur, devient l’héritier des présomptions-concepts ayant inspiré ce dernier, même s’il ne

les approuve pas. Ensuite, sa fonction lui permet d’utiliser ses propres présomptions-concepts.

Celles-ci seraient, finalement, les mobiles du juriste.

Pour bien cerner de quoi il retourne, des exemples concrets s’imposent. Celui de la règle

établissant la majorité à dix-huit ans est édifiant. Une présomption-concept expliquerait le

choix de cet âge comme celui de la majorité : celle selon laquelle, à un âge donné, toute

personne est mature et apte à gérer ses biens. De même, la règle de l’usucapion305, elle-même

304 V. les définitions du substantif « originalité » et de l’adjectif « original » du Petit Robert 2006. 305 V. les articles 2262 et 2265 du Code civil.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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assimilable à une présomption-preuve de la propriété, est liée à une présomption-concept

selon laquelle celui qui accepte les contraintes liées à l’entretien d’un bien en est propriétaire.

La faible notoriété des présomptions-concepts est due au fait que, à la différence des

présomptions-preuves ou des présomptions-postulats, elles ne sont pas visibles dans la règle

de droit et demeurent, la plupart du temps, implicites. Pourtant, la doctrine admet

fréquemment l’existence de telles présomptions. Ainsi, le Professeur BARRAINE constate

qu’il existe d’autres présomptions que celles ayant une vocation purement probatoire : selon

lui, certaines règles de droit seraient expliquées par des présomptions qui en formeraient alors

« un des éléments constitutifs » et s’intégreraient finalement dans la règle elle-même306. En

outre, reprenant à son compte les propositions fondatrices du Doyen GENY307, le Professeur

GROSSEN écrit, à propos des présomptions : « en tant qu’elles constituent un procédé de

raisonnement qui opère une réduction simplificatrice des faits en tenant pour certain ce qui

n’est que probable, elles peuvent servir à d’autres fins que probatoires »308.

Les présomptions-concepts, outre le fait qu’elles n’ont pas d’influence probatoire à

proprement parler, présentent une autre particularité : les concernant, la question de la preuve

contraire est hors sujet. Le bien-fondé de la présomption n’est pas vérifié au moment de

l’application de la loi qu’elle motive. Une telle vérification serait d’ailleurs impossible car la

présomption-concept n’est pas forcément consciente d’elle-même. Il s’agit d’une émanation

spontanée de la culture de celui qui les emploie. Ainsi, la présomption-concept tombera

seulement si la règle de droit qu’elle motive disparaît.

Après avoir démontré que certaines présomptions sortent du domaine purement

probatoire pour devenir les motifs d’une règle de fond, il convient d’examiner leur

dénomination.

306 Raymond BARRAINE, op. cit., pp. 227-228. 307 François GENY, op. cit., pp. 339 sq. 308 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 153.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

91

B- La justification de l’appellation

Pourquoi avoir choisi de nommer « présomption-concept » le mécanisme par lequel le

jurislateur fait d’un élément incertain le motif de sa jurislation309? Plusieurs raisons expliquent

ce choix.

Tout d’abord, les présomptions-concepts sont avant tout des présomptions, et ce

malgré leurs particularités.

D’une part, elles ont en partage avec les présomptions-preuves de reposer sur le même

type d’inférence : il s’agit toujours d’un passage du connu à l’inconnu fondé sur l’expérience,

la probabilité et la volonté. Présumer qu’une personne est capable de gérer seule ses biens à

dix-huit ans, c’est s’appuyer sur la probabilité et l’expérience : dans la majorité des cas, on a

pu constater qu’un individu de dix-huit ans est apte à gérer seul ses biens. C’est aussi un choix

de politique législative, découlant de la volonté du législateur. Par ailleurs, le fait que les

présomptions-concepts soient parfois le motif d’une présomption-preuve, met en évidence les

liens profonds entre ces deux catégories de présomptions. Ainsi, à la base de la présomption

de paternité, on trouve deux présomptions-concepts : la présomption selon laquelle le mari a

eu des rapports sexuels avec sa femme, et celle selon laquelle ces rapports ont été exclusifs310.

D’autre part, les présomptions-concepts sont proches des présomptions-postulats dans

la mesure où, comme celles-ci, elles sont aussi une sorte d’a priori à partir duquel le juriste va

raisonner.

Ensuite l’emploi du substantif « concept » pour les qualifier est justifié à plusieurs égards.

Dans un premier temps, l’utilisation de cette terminologie est due à un souci d’honnêteté

intellectuelle. Plusieurs auteurs avaient déjà repéré l’existence de présomptions en amont du

droit ; pour les désigner, certains avaient usé de l’expression présomption « sensu largo »,

d’autres de l’expression « materielle Präsumptionen », d’autres enfin de l’expression

« présomption-concept »311. Il semble donc logique de reprendre cette dernière dénomination,

309 D’après le Professeur TUSSEAU, « le terme “ jurislation” et ses dérivés s’appliquent aux activités d’émission du droit, qu’il s’agisse de lois, de règlements administratifs, de décisions juridictionnelles ou encore de contrats ». V. Guillaume TUSSEAU, « Jeremy Bentham et les droits de l’Homme : un réexamen », RTDH, 2002, pp. 407 sq., spéc. p. 410. 310 Gérard CORNU, op. cit. p. 38, p. 113 n° 204. Il y aurait en réalité une « présomption de consommation du marige » doublée d’une « présomption de fidélité de la femme ». 311 Jean DABIN, op. cit. p. 39, p. 240 ; Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 21. Cet auteur explique que « Monsieur Gény nomme les présomptions se mouvant sur le terrain de la preuve, les présomptions “sensu

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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composée, à l’instar des appellations « présomptions-preuves » et « présomptions-postulats »,

de deux substantifs.

Dans un second temps, le terme « concept » lui-même paraît approprié à la nature du

mécanisme en jeu. Etymologiquement, ce terme traduit notamment le fait de « concevoir »,

d’« avoir une conception » ; pratiquement, les notions de concept et d’idée sont souvent

utilisées indifféremment312. Ainsi entendu, le mot « concept » renvoie clairement au rôle des

présomptions concernées, sorte de préconceptions en amont de la règle de droit.

Ainsi, les présomptions-concepts sont indéniablement un mécanisme juridique original :

héritières directes des présomptions-preuves, parentes des présomptions-postulats, elles se

distinguent tout de même fondamentalement de ces deux catégories par leur nature, mais aussi

par leur domaine de prédilection.

§ 2- Le singulier domaine de prédilection de la présomption-

concept

Le champ d’action des présomptions-concepts est extrêmement étendu et il serait, par

conséquent, utopique de vouloir toutes les recenser. Néanmoins, certaines se laissent deviner

car elles excellent à rechercher la volonté ou l’intention (A-). Il conviendra cependant de

relativiser leur rôle en la matière (B-).

A- La recherche de la volonté ou de l’intention

Les termes volonté et intention sont quasiment synonymes ; ils désignent respectivement

l’acte de celui qui veut et le fait de se proposer un certain but313. La volonté serait néanmoins

plus forte parce que plus explicite qu’une simple intention même si elles participent toutes

deux originellement d’un même principe. Cette différence de degré semble trouver sa

traduction concrète en matière de présomptions-concepts.

stricto”, et celles qui servent de motif à une règle de fond, les présomptions « sensu largo ». Monsieur Dabin parle de “présomptions-preuves” dans le premier cas, de “présomptions-concepts” dans le second, Monsieur Burckhard de “ prozessualische Präsumtionen” et de “ materielle Präsumtionen” »311, lui-même reprend à son compte l’appellation présomption-concept. 312 Pour la définition du mot « concept », V.: Elizabeth CLEMENT et al., op. cit., « Concept » ; André LALANDE, op. cit., Vol. 1, « Concept ». 313 Pour une définition précise de ces termes, V. Le Robert, dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Société du nouveau Littré, Paris 1973.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

93

D’une part, les présomptions-concepts peuvent intervenir en amont des règles supplétives

de volonté. Dans les domaines laissant une large place à l’autonomie de la volonté, elles

peuvent en effet permettre de pallier les carences de volonté en présumant celle probable des

intéressés314. Dans ce cas, on présume quel serait le comportement de l’individu moyen, c’est-

à-dire du bon père de famille. Le droit civil offre des exemples symptomatiques des rapports

entre présomptions-concepts et règles supplétives de volonté. On pense avant tout au régime

matrimonial de droit commun315 : en l’absence d’une volonté spécialement exprimée par les

époux, la loi les place sous le régime de la communauté316. Ce faisant, elle s’appuie sur une

présomption-concept de volonté desdits époux : celle selon laquelle ils souhaitent, entre autres,

que la communauté se compose de biens communs appartenant aux deux conjoints, même si

ces biens n’ont pas été acquis en commun. On pense également à la dévolution des

successions ab intestat317. Là encore, une présomption-concept de volonté du défunt permet

d’établir le régime successoral ab intestat. A ce propos, certains auteurs évoquent une

véritable « présomption de sentiments » : le législateur doit rechercher ce qu’auraient dû être

les dispositions du testament car le droit des successions serait lié à l’affection que se portent

les membres d’une famille318. On pense enfin à l’article 1064 du Code civil qui énonce grosso

modo que les bestiaux et ustensiles servant à faire valoir les terres sont compris dans les

donations desdites terres, article derrière lequel le Professeur BARRAINE discerne une

présomption-concept de volonté. Selon lui, « destinées à éviter des chicanes sans fin, ces

présomptions ne font que compléter une volonté libre mais inexprimée, par des règles que le

raisonnement et la logique ne peuvent qu’approuver »319.

D’autre part, certaines règles de fond, qu’il faut tenter de distinguer des règles supplétives

de volonté précédemment évoquées, reposent sur l’intention présumée des personnes

concernées. Il ne s’agirait plus alors de pallier la carence de volonté des parties là où règne

314 François GENY, op. cit., p. 342. Déjà au début du XXème siècle, cet auteur relevait un certain nombre de présomptions en amont des règles supplétives de volonté. 315 V. les articles 1387 et 1400 et sq. du Code civil. 316 Philippe MALAURIE et Laurent AYNES, Les régimes matrimoniaux, Defrénois, 2ème éd., Paris, 2007. 317 V. l’article 721 du Code civil. 318Philippe MALAURIE et Laurent AYNES, op. cit.,, p. 23, § 25. Selon ces auteurs, « pendant longtemps en France, sous l’influence des idées romaines, on a fondé les règles légales de la succession sur un testament présumé : le droit des successions aurait eu pour raison d’être des sentiments. L’étroitesse des liens entre le défunt et l’héritier serait le facteur décisif. La loi aurait dû rechercher ce qu’eussent été les dispositions du testament s’il en avait existé ». 319 Raymond BARRAINE, op. cit., p. 71.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

94

l’autonomie de la volonté en présumant celle qui devrait être, mais de trouver l’intention

tacitement exprimée derrière certains actes et d’en tirer les conséquences qui s’imposent.

Parfois l’intention présumée est neutre. Ainsi, le Professeur BARRAINE estime que, afin

d’établir des présomptions (-preuves) de mitoyenneté, le législateur a préalablement recherché

« l’intention présumée des propriétaires ». Incontestablement, « chacun d’eux a voulu utiliser

son terrain au maximum ; il est donc a peu près certain qu’il aura établi son mur à l’extrême

limite de son héritage »320, d’où la présomption (-preuve) selon laquelle les murs servant de

séparation entre les bâtiments, les cours et les jardins sont mitoyens321. Pour prendre un autre

exemple, les articles 888 (ancien article 892) et 1115 du Code civil sont eux aussi fondées sur

une présomption-concept de volonté. Dans le premier cas, le fait pour le copartageant d’avoir

aliéné son lot postérieurement à la découverte du dol, de l’erreur ou à la cessation de la

violence, permet de présumer qu’il a entendu renoncer tacitement mais en connaissance de

cause à intenter une action ; c’est pourquoi la loi, sur la base de cette présomption implicite,

énonce que le copartageant n’est alors « plus recevable à intenter une action fondée sur le dol,

l’erreur ou la violence ». Dans le second cas, on présume que celui qui a approuvé « soit

expressément, soit tacitement, soit en laissant passer le temps de la restitution fixé par la loi »

un contrat après la cessation de la violence a renoncé à attaquer cet acte dont la nullité était

pourtant certaine, d’où l’interdiction légale d’attaquer ce contrat pour cause de violence.

Parfois l’intention présumée est mauvaise. On se trouve alors face à une présomption-

concept de mauvaise intention. La loi qui s’inspire de telles présomptions vise à empêcher les

comportements que pourraient engendrer ces mauvaises intentions, comme en témoignent les

articles 472 et 909 du Code civil.

Aux termes de l’article 472 du Code civil qui concerne les comptes de tutelles :

« Le mineur devenu majeur ou émancipé ne peut approuver le compte de tutelle qu’un

mois après que le tuteur le lui aura remis, contre récépissé, avec les pièces justificatives.

Toute approbation est nulle si elle est donnée avant la fin du délai.

Est de même nulle toute convention passée entre le pupille, devenu majeur ou émancipé,

et celui qui a été son tuteur si elle a pour effet de soustraire celui-ci en tout ou partie, à son

obligation de rendre compte (…) ». Cet article est l’archétype d’une disposition légale

reposant sur une présomption-concept de mauvaise intention. Le tuteur - en position de force

320 Raymond BARRAINE, op. cit., p. 27. 321 V. les articles 653 et 666 du Code civil.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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vis-à-vis du mineur (devenu majeur ou émancipé) qui a longtemps été soumis à son autorité -

pourrait abuser de son influence. La loi interdit donc une approbation prématurée du compte

de tutelle et certaines conventions car elle présume, de manière sous-jacente, la malhonnêteté

du tuteur.

Dans le même ordre d’idées, les articles 909 du Code civil et L 331-4 du Code de l’action

sociale et des familles retiennent l’attention. Ces articles, purement prohibitifs – ils interdisent

les dispositions entre vifs ou testamentaires à l’égard de certaines professions322 - sont souvent

qualifiés de présomption de captation. Pourtant, aucun d’eux ne fait clairement allusion au

mécanisme présomptif. C’est que, dans les deux cas, la présomption est antérieure à la règle

de droit : le bénéficiaire de la libéralité interdite est présumé avoir eu une mauvaise influence

sur le donateur, du fait de sa profession et de ses rapports particuliers qu’elle lui a permis

d’entretenir avec ledit donateur. L’interprétation de la jurisprudence en la matière confirme

d’ailleurs qu’on se trouve face à des présomptions-concepts : fort logiquement, aucune preuve

contraire n’est admise à l’encontre de la présomption de l’article 909323, irréfragable par sa

nature même.

En définitive, on constate que le législateur n’hésite pas à présumer la mauvaise intention.

Ainsi, contrairement à ce qu’aurait pu laisser présager une disposition comme l’article 2274

énonçant que la bonne foi est toujours présumée, les rédacteurs du Code civil ne

s’illusionnaient guère concernant la nature humaine et ne s’appuyaient pas sur une

présomption-postulat globale de bonté de l’être humain !

Si la recherche de la volonté ou de l’intention est indéniablement le domaine de

prédilection des présomptions-concepts, leur rôle en la matière doit cependant être relativisé.

B- Relativisation du rôle des présomptions-concepts en la matière

Tout à la joie de la découverte, on pourrait être tenté d’exagérer l’importance des

présomptions-concepts en général et en matière de volonté ou d’intention en particulier.

322 L’article 909 du Code civil concerne « les docteurs en médecine ou en chirurgie, les officiers de santé et les pharmaciens ». L’article L 331-4 du Code de l’action sociale et des familles concerne les propriétaires, administrateurs ou employés des établissements hébergeant, à titre gratuit ou onéreux, des mineurs, des personnes âgées, des personnes handicapées ou inadaptées ou en détresse. 323 Cass. Req., 7 avril 1863 et 29 juillet 1891 et TGI Seine, 4 juin 1964 (D., 1965, 271, RTD civ, 1965, 689 obs. SAVATIER).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

96

Certes, la loi a parfois pour motif conscient ou inconscient une présomption. Pour autant,

il ne faudrait pas chercher à étendre artificiellement le champ d’intervention des

présomptions-concepts. Le danger d’une telle attitude serait grand. Elle pourrait conduire à

banaliser le mécanisme et à lui faire perdre tout intérêt. En découvrant partout des

présomptions-concepts, on avouerait paradoxalement l’inexistence, la fictivité du mécanisme.

La présomption-concept ne doit pas servir à tout justifier.

A titre d’exemple, l’influence de la présomption de sentiment ne peut qu’être nuancée en

matière de succession ab intestat. Si, désormais, le conjoint survivant n’est pas totalement

laissé pour compte lors de la dévolution successorale, il n’en a pas toujours été ainsi. Or, dès

avant la loi du 3 décembre 2001324, une soi-disant présomption de sentiment présidait à la

dévolution successorale. A-t-on pu honnêtement présumer la mise à l’écart du conjoint par le

défunt, alors même que le droit des successions est censé reposer sur l’affection ? Certes, dans

la conception française, le mariage est avant tout celui de deux âmes ; or, épouser une âme, ce

n’est pas épouser un héritage : on ne mélange pas amour et deniers ! Est-ce là ce qui a justifié

l’absence réelle de vocation successorale du conjoint survivant pendant si longtemps ?

Ces considérations révèlent en vérité un problème plus fondamental : peut-on

rigoureusement présumer des sentiments, de la volonté ou de l’intention ? N’y a-t-il pas là une

gigantesque contradiction de principe? N’est-ce pas vouloir prévoir l’imprévisible,

standardiser des données singulièrement personnelles, rationaliser des notions purement

subjectives325?

Point n’est besoin de répondre à ces questions ; l’essentiel était de les poser pour dévoiler

que les présomptions-concepts, à l’instar de tous les mécanismes intellectuels, ont des limites

et sont ambiguës.

324 Loi du 3 décembre 2001, n° 2001-1135, « relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral », entrée en vigueur le 1er juillet 2002. 325 Philippe MALAURIE et Laurent AYNES, Les successions – Les liberalités, Defrénois, Paris, 2004, p. 23, § 25. Pour les Professeurs MALAURIE et AYNES, il est « difficile de fonder des droits successoraux sur des sentiments qui, par définition, sont inconstants. Les sentiments peuvent encore moins expliquer la réserve : une affection est nécessairement libre, elle ne s’impose pas ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Section 2- L’ambiguïté de la présomption-concept

Difficile à cerner, évanescente malgré son pragmatisme, ou peut-être justement à cause

de lui, la présomption-concept, rebelle à la théorisation, est ambiguë. Conformément à la

définition de cet adjectif326, la présomption-concept semble parfois réunir deux qualités

opposées, participer de deux natures divergentes. Ses rapports paradoxaux au temps (§ 1-) et

indécis au droit lui-même mettent en évidence cette ambiguïté (§ 2-).

§ 1- Un rapport au temps paradoxal

L’étrange relation au temps de la présomption-concept symbolise parfaitement son

aspect insaisissable. Alors même qu’on pense avoir enfin assimilé son mode de

fonctionnement, la présomption-concept, faux-fuyant juridique, semble s’enfuir dans une

direction inattendue ; ainsi, sa détemporalisation apparente (A-) va de pair avec sa mutabilité

constitutive (B-).

A- L’apparente détemporalisation de la présomption-concept

On peut parfois avoir l’impression que l’irréfragabilité d’une présomption-preuve ou

postulat la place hors du temps, qu’elle en fait une vérité abstraite, une donnée a priori que

l’écoulement du temps n’affecte pas. En somme, pour employer un néologisme,

l’irréfragabilité détemporaliserait327 les présomptions- preuves et postulats328.

Il est vrai qu’à l’origine, le propre du mécanisme présomptif – en tant qu’anticipation sur

une réalité mal connue - est de proposer une affirmation qui sera tenue pour vraie seulement à

326 V. les définitions du substantif « ambiguïté » et de l’adjectif « ambigu » du Petit Robert 2006 327 François OST, op. cit., pp. 12-14. Pour le Professeur OST, le concept de temporalisation sert à « penser cette institution sociale du temps » et est en rapport avec « un temps qui ne demeure plus extérieur aux choses, comme un contenant formel et vide, mais qui participe de leur nature même ». Ainsi, la détemporalisation est, a contrario, « la sortie du droit commun instituant ». Concernant le domaine de l’irréfragabilité, le terme détemporalisation semble donc approprié puisqu’il s’agit de démontrer que les présomptions qui ne souffrent pas la preuve contraire échappent à la force constructive (instituante) du temps. 328 Ainsi, il n’est pas anodin qu’on distingue traditionnellement les présomptions simples et les présomptions irréfragables, ni que le Professeur BARRAINE ait considéré que les présomptions irréfragables constituaient une catégorie à part entière de présomptions, celles qu’il assimilait à des postulats juridiques. Cf. Raymond BARRAINE, op. cit., pp. 226-228.

« Vienne la nuit sonne l’heure

Les jours s’en vont je demeure »

APOLLINAIRE, « Le Pont Mirabeau », in Alcools, NRF, Gallimard, 1977

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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titre provisoire. C’est l’écoulement du temps qui dira si cette proposition pourra ou ne pourra

pas être conservée, c’est-à-dire si elle correspond effectivement à la réalité. Le temps aurait

donc un caractère constructif en la matière. Rappelons que certains auteurs vont jusqu’à

soutenir que l’impossibilité d’apporter la preuve contraire métamorphoserait la présomption

en fiction.

En vérité, l’irréfragabilité soustrait simplement la présomption à l’emprise du temps, la

transformant en une vérité acquise une fois pour toutes, même si les faits prouvent finalement

le contraire.

A ce titre, la présomption-concept est le parangon de la présomption détemporalisée. A la

différence des présomptions-preuves et postulats, dont l’irréfragabilité n’est pas évidente mais

correspond à un choix de politique juridique visant souvent à la protection de tel ou tel intérêt,

la présomption-concept présente une irréfragabilité naturelle329, une aréfragabilité330. Parce

qu’elle n’est que l’un des motifs de la règle de droit, a fortiori souvent implicite et pas

toujours conscient de lui-même, la présomption-concept ne peut pas être détruite par la preuve

contraire. Elle n’est donc pas affectée par l’écoulement du temps contrairement à ce

qu’impliquerait sa nature de présomption au sens de vérité temporaire. Est-ce à dire qu’elle

est immuable ?

B- La mutabilité constitutive de la présomption-concept

Désormais, le point essentiel est donc de savoir si l’impossibilité d’apporter la preuve

contraire – qui correspond à une forme de détemporalisation – rend les présomptions-concepts

immuables, c’est-à-dire insusceptibles de changement.

De prime abord, la réponse semble inévitablement affirmative. Si un mécanisme est

détemporalisé, comment pourrait-il être évolutif ? Pourtant, on perçoit immédiatement la

contradiction entre la place de la présomption-concept, motif de la règle de droit, et son

immutabilité prétendue : si une règle de droit change, c’est parce que ses motifs changent.

Compte tenu de sa place dans le processus créateur du droit, la présomption-concept n’est

329 A ce propos, notons que, selon le Professeur DABIN, les présomptions irréfragables sont toutes des présomptions-concepts. On peut, au contraire, penser que l’irréfragabilité est susceptible d’être une caractéristique de n’importe quelle présomption, mais que seules les présomptions-concepts sont naturellement irréfragables. Jean DABIN, op. cit. p. 39, p. 241. 330 Néologisme signifiant que la question de la preuve contraire est hors sujet. Si on ne peut prouver la fausseté d’une présomption-concept, ce n’est pas parce qu’on la considère comme irréfragable ; c’est simplement parce que sa nature la place en dehors de la distinction entre présomptions simples et absolues.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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donc nullement immuable ; elle est au contraire susceptible de transformations aisées. Elle est

un authentique facteur de mutation du droit, ce que le Professeur BARRAINE a ainsi résumé :

« (…) les présomptions et les règles de fond à base conjecturable331 évitent que le droit

conserve un caractère immuable, en préparant son évolution selon les conditions d’existence

propres à chaque époque. Et ce mouvement lent et continu du droit est une nécessité. Un droit

stagnant, en retard sur l’évolution générale des mœurs d’un pays, présenterait rapidement un

caractère rétrograde ; mais un bouleversement rapide serait bien plus dangereux encore »332.

Située en amont de la règle de droit, la présomption-concept évolue plus vite et plus

facilement que cette dernière. Elle varie en fonction des données sociologiques. Processus

d’ajustement du droit, sorte d’adaptateur juridique, elle permet au jurislateur de s’adapter aux

changements sociaux, politiques, économiques… Pour s’en convaincre, il suffit de prendre un

exemple significatif. Autrefois, la majorité était acquise à vingt et un ans. Désormais, elle l’est

à dix-huit ans car la présomption-concept déterminant l’âge à partir duquel une personne est

mature a évolué en fonction de la libéralisation des mœurs notamment.

La mutabilité est donc l’un des éléments constitutifs de la présomption-concept, qui se

trouve, par là même, re-temporalisée. Le cœur du paradoxe caractérisant les relations entre

temps et présomption-concept est atteint lorsqu’on pense que c’est la même caractéristique –

le fait qu’elle n’apparaisse pas dans la règle de droit, qu’elle ne soit pas accessible à première

vue – qui tout à la fois place la présomption-concept hors du temps et la rend facilement

variable. En définitive, si la présomption-concept demeure immuable dans son principe (telle

ou telle règle de droit pourra toujours avoir comme motif une présomption), elle varie dans

son contenu (si telle ou telle règle de droit change, c’est sans doute parce que la présomption

sur laquelle elle repose aura évolué avec la société). Ainsi la résolution du conflit logique

entre la détemporalisation apparente et la mutabilité constitutive de la présomption-concept

repose sur le credo suivant : « permanente dans son principe, variable dans son contenu ».

Si le rapport au temps de la présomption-concept contribue à son ambiguïté, il en va de

même de son rapport au droit.

331 C’est nous qui soulignons. 332 Raymond BARRAINE, op. cit., p. 288.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

100

§ 2- Un rapport au droit indécis

La présomption-concept est-elle vraiment du droit ? On le sait, elle se situe en amont de la

règle de droit, voire du raisonnement juridique ; elle intervient dans la phase de création de la

jurislation. L’idée selon laquelle, plus que du droit, elle serait une source du droit se fait alors

jour. Il semble en effet que sa fonction corresponde à celle des sources du droit : « le terme de

« source » désigne l’ « endroit où l’on puise » et, par extension, les « principe, cause,

origine ». Appliquée au droit (…), l’idée de « source » désigne les forces d’où surgit le droit

(objectif) ; ce qui l’engendre » »333. Cependant, même en admettant que la présomption-

concept soit une source du droit, le problème n’est pas résolu car la distinction entre le droit et

ses sources manque elle-même de clarté. Selon les Professeurs DEUMIER et REVET « par

hypothèse, le phénomène des sources est aussi ancien que celui du droit, au point qu’ils se

confondent, au moins en partie : l’activité juridique commence dès l’élaboration des

prescriptions (générales ou individuelles), si bien que « le Droit » comprend « la production

du droit » ; et sachant que celle-ci est non seulement permanente, mais, plus encore,

« toujours recommencée », n’est-il pas tentant de ramener « le Droit » à sa production ? »334.

En définitive, la présomption-concept, naturellement ambiguë, oscille perpétuellement

entre le juridique et l’extrajuridique335. Quel que soit le point de vue que l’on adopte, on a

l’impression que l’un mène toujours à l’autre, et inversement. Ainsi, la présomption pourrait

devenir un préjugé (A-), tandis que l’intuition précèderait la présomption (B-).

A- De la présomption au préjugé

Toutes les présomptions, qu’elles soient des preuves, des postulats ou encore des concepts

s’appuient peu ou prou sur les mêmes éléments : certains sont objectifs (la probabilité et

l’expérience), d’autres subjectifs (la volonté)336. Toutefois, la présomption-concept présente

une subjectivité nettement plus importante que ses consoeurs. On l’a dit, il s’agit d’une

émanation spontanée, instinctive, parfois inconsciente ou inavouée, de la culture du jurislateur.

333 Pascale DEUMIER et Thierry REVET, « Sources du droit (problématique générale) », dans Denis ALLAND et Stéphane RIALS (dir.), op. cit., pp. 1430 sq., spéc. p. 1431. 334 Ibid.. 335 Françoise LLORENS-FRAYSSE, op. cit., p. 61. Pour cet auteur, la présomption qui motive une règle de fond « se situe exclusivement sur le plan infra-juridique. Elle n’est qu’un élément intellectuel à l’origine d’une construction législative. En droit strict, elle n’a pas d’existence effective : la règle qu’elle motive peut parfaitement s’appliquer sans qu’il soit nécessaire ou même utile de s’y référer. Sa valeur est purement explicative ». 336 V. supra et infra.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

101

Par hypothèse, la volonté (même si elle demeure implicite) y est donc prépondérante et peut

même prendre le pas sur les modes de connaissance objectifs dont elle ne devrait,

normalement, que pallier les insuffisances. La présomption-concept risque donc de se départir

de toute rigueur juridique pour tomber dans l’aléatoire et l’arbitraire et devenir un préjugé.

Etymologiquement, la présomption se rapproche, on le sait, de l’idée de préjugement. A

ce titre, elle est quasi synonyme du terme préjugé337, substantif formé à partir du participe

passé du verbe « préjuger ». Incontestablement, les deux notions sont voisines, l’une comme

l’autre ayant trait à la préconnaissance, à l’anticipation. Toutefois, le préjugé serait la versant

péjoratif de la présomption338. A l’inverse de celle-ci qui est un mode de raisonnement

rigoureux répondant à des critères précis, le préjugé, lui, est une idée préconçue, voire

prématurée, en somme un parti pris. Loin de toute rigueur intellectuelle, il est une porte

ouverte sur l’injustifié et l’irréfléchi. Ainsi, la présomption-concept, du fait de son éminente

subjectivité et de son retranchement derrière la règle de fond, pourrait parfois se muer en

préjugé. Mécanisme trompeur, n’ayant de juridique que le nom, elle risquerait de faire office

de paravent juridique à la subjectivité la plus débridée339.

L’usage historique de la présomption-concept révèle d’ailleurs qu’elle est un vecteur

idéologique en puissance. Ainsi, la femme mariée a longtemps été considérée comme

incapable du fait d’une double présomption-concept (d’un préjugé ?): une fragilité particulière

due à son sexe - le beau sexe ! – et une aggravation de cette fragilité « par la dépendance, où

l’état de mariage place la femme respectivement au mari »340. De même, le droit d’aînesse a

longtemps prévalu en raison d’une présomption-concept particulièrement contestable, pour ne

337 D’après le CNRTL, le préjugé est une « opinion a priori favorable ou défavorable qu'on se fait sur quelqu'un ou quelque chose en fonction de critères personnels ou d'apparences » ou encore une « opinion hâtive et préconçue souvent imposée par le milieu, l'époque, l'éducation, ou due à la généralisation d'une expérience personnelle ou d'un cas particulier », [http://www.cnrtl.fr/definition/préjugé], (2010-05-28). 338 Ainsi, on peut noter qu’au sein du champ lexical de l’anticipation, seul le mot « présomption » est susceptible d’être lié à des termes mélioratifs (innocence, bonne foi, etc.) tandis que « préjugé », « prévention », « opinion préconçue », sont systématiquement dépréciatifs. 339 On pourrait reprendre le raisonnement du Professeur KAPFERER sur la rumeur à propos de la présomption-concept. En effet, cet auteur souligne que la rumeur est omniprésente et ancienne, mais mal connue et qu’il est difficile d’en donner une définition précise. Il ajoute qu’elle est mal vue et qu’on en a souvent une conception négative. Selon lui, « les rumeurs nous rappellent l’évidence : nous ne croyons pas nos connaissances parce qu’elles sont vraies, fondées ou prouvées ; toute proportion gardée, c’est l’inverse : elles sont vraies parce que nous y croyons. La rumeur redémontre, s’il était nécessaire, que toutes les certitudes sont sociales : est vrai ce que le groupe auquel nous appartenons considère comme vrai. Le savoir social repose sur la foi et non sur la preuve ».Toutes ces considérations valent, dans une certaine mesure, pour la présomption-concept qui, comme la rumeur, n’est pas nécessairement fausse, mais a une situation marginale, non officielle. La présomption-concept se situe à la charnière du mécanisme probatoire rigoureux qu’est la présomption-preuve et d’un savoir social reposant sur la foi, l’instinct. Jean-Noël KAPFERER, Rumeurs, le plus vieux média du monde, Paris, Seuil, 1987. 340 François GENY, op. cit., pp. 347-348.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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pas dire inepte: celle selon laquelle l’aîné aurait été le plus fort et par conséquent le mieux

placé pour gérer le patrimoine familial341.

Si l’on s’abstient de faire des commentaires trop acerbes concernant de telles

présomptions-concepts, on remarque tout de même que, ces présomptions discrètes, cachées

par la règle de droit, sont parfois aussi sournoises qu’arbitraires. Cela fait d’elles une arme à

double tranchant dont la qualité dépendra de l’évolution de l’ordre juridique qu’elles servent,

mais aussi des protagonistes de cet ordre juridique : le législateur certes, mais aussi le juge.

Finalement, leur éminente subjectivité est à mettre en parallèle avec leur aspect intuitif.

B- De l’intuition à la présomption

Pour mettre en évidence la proximité des présomptions-concepts et des préjugés, les

termes instinctif, spontané, irréfléchi ont, entre autres, été précédemment employés. Ces

termes révèlent l’aspect quasi automatique de l’émergence de la présomption-concept dans

l’esprit du juriste. Finalement, la présomption-concept, sorte de surgissement intellectuel,

s’impose au juriste qui ne pourra la justifier qu’a posteriori. A ce titre, elle serait une intuition,

c’est-à-dire, une conception immédiatement claire, « une modalité de la connaissance qui met,

sans médiation, l’esprit en présence de son objet »342 . La démonstration n’interviendrait

qu’après cette illumination intuitive, pour la transformer en une authentique opération

intellectuelle.

L’intuition est non seulement le point de départ de la présomption-concept, mais encore

celui du mécanisme présomptif dans son ensemble. Vérité relative, construite et choisie, la

présomption – quels que soient ses caractéristiques et son domaine d’intervention - serait,

originellement, une vérité intuitive, une prescience. Cependant, la présomption juridique est

une intuition particulière, conditionnée par les buts qu’elle poursuit. Ce que le juriste pressent,

c’est, avant tout, l’utilité de telle ou telle affirmation pour l’ordre juridique. Comme l’écrit le

Professeur OST, « en droit, les rapports entre pensée formelle et pensée intuitive sont des

rapports ambigus. La mise en forme logique semble toujours postérieure à la fulguration

341 Raymond BARRAINE, op. cit., p. 85. 342 Elizabeth CLEMENT et al., op. cit., « Intuition ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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intuitive, lui apportant seulement un surcroît de rigueur » 343. La présomption-concept serait

donc une traduction parmi d’autres de ce phénomène.

343 François OST, « L’interprétation logique et systématique et le postulat de rationalité du législateur », dans Michel VAN DE KERCHOVE (Dir.), L’interprétation en droit, approche pluridisciplinaire, Facultés universitaires Saint-Louis, Bruxelles, Bruylant, 1978, pp. 97 sq., spéc. pp. 105 sq.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Conclusion du chapitre 3

Grâce à la définition étymologique de la présomption – anticipation sur ce qui n’est pas

prouvé - et à une approche dérivant du nominaliste vers le conceptuel, une troisième

déclinaison du mécanise présomptif a pu être dégagée : la présomption-concept.

Indéniablement, c’est la moins juridique de toutes les présomptions. Contrairement aux

autres présomptions, elle n’a pas d’influence probatoire. Assimilable à une source du droit,

elle constitue l’un des motifs, l’une des raisons d’être d’une règle de droit. A ce titre, elle est

souvent implicite, non formulée. Pourtant, il s’agit bien d’une présomption : non seulement,

on l’a dit, elle correspond à la définition étymologique de la présomption – c’est un jugement

par anticipation sur les réalités qui nous entourent -, mais encore elle a des points communs

avec les deux autres déclinaisons du mécanisme présomptif. Proche de la présomption-preuve,

elle repose sur le même mode d’inférence, c’est-à-dire un passage du connu vers l’inconnu

grâce à la probabilité, l’expérience et la volonté. Voisine de la présomption-postulat, elle

constitue elle aussi une sorte d’a priori à partir duquel le juriste va raisonner. Son domaine de

prédilection est la recherche de la volonté ou de l’intention, ainsi en matière de succession ab

intestat, il existerait une véritable présomption-concept de sentiments d’après laquelle le

législateur aurait construit le régime successoral.

Naturellement irréfragable, du fait de son retranchement derrière la règle de droit, elle doit

être maniée avec prudence pour ne pas se transformer en authentique préjugé !

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Conclusion du titre I

Après avoir brossé un tableau parfois alarmiste des présomptions-concepts en

particulier et des présomptions en général – elles seraient toutes engendrées par une simple

intuition et entretiendraient une relation d’émancipation avec la réalité, certaines pouvant

devenir de vrais préjugés – faut-il crier haro sur elles ? Autrement dit, doit-on s’efforcer de

recourir moins souvent aux présomptions, pis-aller dangereux pour la rigueur du droit devant

rester un simple ultima ratio?

La réponse est, à notre sens, définitivement négative pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la transformation précédemment évoquée de la présomption en préjugé

n’est que potentielle et, même si la vérité présomptive ne correspond pas toujours à la vérité

matérielle, point n’est besoin de s’en inquiéter, car c’est là une caractéristique de la vérité

juridique dans son ensemble. Comme l’explique Pierre LOUIS-LUCAS, « (…) seule la réalité

matérielle, et à condition qu’elle soit exactement vérifiée, peut-être qualifiée de vérité. La

réalité juridique n’est, elle, qu’une effectivité, c’est-à-dire une certitude imaginée, et qui n’a

de valeur contraignante que localement et temporairement. La vérité, nous dit Pascal, c’est

ce qui ne change jamais » 344. Or, par essence, la vérité juridique est changeante345. On ne

peut donc faire grief aux présomptions de prendre du recul par rapport à la réalité, alors même

que le droit dans son ensemble prend ses distances à l’égard d’une réalité qu’il ne voit qu’à

travers les buts qu’il poursuit.

En vérité, juger les présomptions à partir de leur seule conformité à la réalité est très

réducteur. Il paraît même particulièrement peu rigoureux d’analyser la qualité d’une

présomption à l’aune de ce critère, dont elle est précisément censée pallier la méconnaissance

et dont on sait qu’elle peut, dans ce but, s’éloigner voire se désintéresser. Les présomptions-

344 Pierre LOUIS-LUCAS, loc. cit., p. 601. 345 Sur cette question, V. MONTAIGNE, Essais, II, 12, coll. Univers des lettres Bordas, Bordas : « La vérité doit avoir un visage pareil et universel. La droiture et la justice, si l’homme en connaissait qui eût corps et véritable essence, il ne l’attacherait pas à la condition des coutumes de cette contrée ou de celle-là (…). Il n’est rien de plus continuelle agitation que les lois. Que nous dira donc en cette nécessité la philosophie ? Que nous suivions les lois de notre pays ? C’est-à-dire cette mer flottante des opinions d’un peuple ou d’un prince, qui me peindront la justice d’autant de couleurs et la reformeront en autant de visages qu’il y aura en eux de changements de passion ? Je ne puis pas avoir le jugement si flexible. Quelle bonté est-ce que je voyais hier en crédit, et demain plus, et que le trait d’une rivière fait crime ? Quelle vérité que ces montagnes bornent, qui est mensonge au monde qui se tient au-delà ? »

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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postulats, notamment, se détachent des contingences factuelles et dépassent la simple

recherche de la vérité.

Dans cet ordre d’idées, on constate qu’il existe plusieurs modes d’acceptation d’une

proposition. Bref, on peut parfaitement accepter une proposition tout en sachant qu’elle n’est

pas en adéquation totale avec le réel. Comme le démontre le Professeur RESCHER,

« acceptance does not lie along a one-dimensional spectrum that ranges from « uncertainty »

to « certainty ». There are not only degrees of acceptance but also kinds of acceptance. And

presumption represents such a kinds of acceptance: it is a sui generis, and not just an

attenuated version of “acceptance as certain” »346. Par conséquent, si l’on présente une

proposition A en tant que présomption, cela revient simplement à affirmer que A est

potentiellement vraie et non que A est actuellement vraie. Cette proposition de type

présomptif est seulement « a promising truth-candidate ».

D’autres critères devront donc être recherchés pour apprécier les présomptions. Sans

doute faudra-t-il se pencher sur la légitimité de ces dernières ou encore sur leur utilité. A cet

égard, l’importance quantitative de la présomption en droit positif qu’on a pu constater tend à

prouver son utilité, pour ne pas dire sa nécessité. Indispensable à la réalisation pratique du

droit, la présomption procède toujours d’un même mouvement de pensée : l’anticipation

d’une conception, d’un jugement concernant un élément donné. Peu importe qu’elle soit une

preuve, un concept ou un postulat, peu importe qu’elle soit l’essence ou le soubassement

d’une règle de droit ou le mode de raisonnement du juge, peu importe, enfin, qu’elle puisse ou

non être infirmée par la suite.

Quoi qu’il en soit, nous reviendrons sur ces différents points au cours de cette étude.

Néanmoins, avant de les aborder de nouveau, il paraît indispensable de mettre la trinité

présomptive347 dégagée à l’épreuve du droit européen des droits de l’Homme afin de vérifier

son acuité.

346 Nicholas RESCHER, op. cit., p. 23. 347 Pour un bilan des caractéristiques de chaque catégorie de présomption, V. Annexe 1 : tableau comparatif des différentes présomptions.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Titre 2- La trinité présomptive à l’épreuve du

droit européen des droits de l’Homme

Elaborée dans un but de cohérence, la théorie générale des présomptions a tenté de

mettre en ordre l’extrême quantité et variété des modes d’expression du mécanisme

présomptif. Ce faisant, elle a, d’une part, mis à jour trois catégories de présomptions, elle a,

d’autre part, révélé l’absence de séparation hermétique entre ces catégories, chacune étant

l’émanation d’un même mouvement de pensée, d’une même tentative de connaissance. Ainsi,

l’unité du mécanisme présomptif se traduit par une trinité348 : la présomption-preuve, la

présomption-postulat et la présomption-concept consistent toutes trois en une anticipation sur

ce qui n’est pas prouvé, elles sont donc trois manifestations distinctes d’une même entreprise

cognitive349. Autrement dit, elles participent d’une seule et indivisible nature et ne possèdent

une identité propre qu’au sein du tout présomptif. Ontologiquement, la présomption est une.

A présent, pour que la théorie générale des présomptions acquière sa pleine valeur et

que la nature unitaire des présomptions soit parfaitement révélée, un détour par le droit

européen des droits de l’Homme semble nécessaire. Comme l’a constaté le Professeur

CONSTANTINESCO, « une véritable théorie, réellement générale du droit, ne peut être

élaborée (…) que sur une base comparative »350. Or, on l’a dit, le potentiel comparatiste du

droit européen des droits de l’homme en matière de présomptions est assez considérable.

D’un côté, il utilise ses propres présomptions, conventionnelles et prétoriennes. Par

exemple, l’article 6 § 2 de la Convention consacre la présomption d’innocence, tandis que le

juge européen fait véritablement œuvre créatrice allant jusqu’à ériger la présomption en un

348 Le substantif trinité, dont on connaît l’emploi théologique, est ici utilisé à dessein. Rappelons que, en théologie, ce terme signifie l’union de trois personnes distinctes, ne formant qu’un seul Dieu. Ainsi, suivant le dogme catholique, il y a ainsi trois personnes en Dieu : le Père, le Fils et le Saint Esprit. Elles sont distinctes, égales et consubstantielles dans une seule et indivisible nature. Chacune de ces trois personnes est réellement Dieu, et cependant il n’y a qu’un seul Dieu. En l’occurrence, l’emploi du terme trinité se justifie donc par le fait que la triple déclinaison du mécanisme présomptif, loin d’être un obstacle à son unité, la met au contraire en valeur en montrant que, fondamentalement, toutes les présomptions, qu’elles soient des présomptions-preuves, des présomptions-postulats ou des présomptions-concepts, correspondent à un mécanisme cognitif d’anticipation sur ce qui n’est pas prouvé. Pour une définition du terme de trinité, V. notamment : AUGE Paul (dir.), Larousse du XXème siècle, Paris, 1933, T. 6. 349 Un schéma triangulaire des liens entre les différentes présomptions se dessine alors. V. Annexe 2 : triangle juridique figurant la trinité présomptive. 350 CONSTANTINESCO Léontin-Jean, Traité de droit comparé, T. II, La méthode comparative, Paris, LGDJ, 1974, p. 70, § 18.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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mode de preuve à part entière dans certains domaines. La Cour de Strasbourg a ainsi créé des

présomptions de responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article 2, relatif au droit à la vie,

et de l’article 3, relatif à l’interdiction de la torture : lorsqu’une personne, en bonne santé au

moment de son arrestation, a trouvé la mort ou a subi des blessures alors qu’elle se trouvait

aux mains des agents de l’Etat, ce dernier est présumé responsable de ces graves violations351.

D’un autre côté, le droit européen des droits de l’Homme offre un accès aux

présomptions issues des droits des pays membres du Conseil de l’Europe : la conventionalité

de telles présomptions est en effet parfois en jeu dans le contentieux strasbourgeois. La Cour

européenne a ainsi, entre autres exemples, été confrontée aux présomptions françaises de

culpabilité en matière douanière352, aux présomptions grecques dites d’auto-indemnisation

d’après lesquelles les propriétaires expropriés tirent profit de la construction de l’ouvrage, et

sont ainsi indemnisés par ce seul profit353, aux présomptions bulgares selon lesquelles la

détention provisoire est justifiée pour les infractions d’une certaine gravité354 , aux

présomptions suédoises en matière fiscale355.

Le droit européen des droits de l’Homme est donc un véritable terreau présomptif.

Pour cette raison, il permet un examen pragmatique et diversifié de la matière présomptive et,

par là-même, une vérification de la pertinence de la théorie générale.

351 L’arrêt Taïs contre France du 1er juin 2006 offre un exemple édifiant de présomption de responsabilité à l’encontre de l’Etat dans le cadre du décès d’une personne en cellule de dégrisement. La Cour énonce que « Lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, toute blessure ou mort survenue pendant cette période de détention donne lieu à de fortes présomptions de fait. Il convient en vérité de considérer que la charge de la preuve pèse sur les autorités, qui doivent fournir une explication satisfaisante et convaincante » (CEDH, 1er septembre 2006, Taïs contre France, req. n° 39922/03, § 85). Cette formule est d’ailleurs classique et on la retrouve, sous cette forme ou sous une autre, dans de nombreux arrêts. V. entre autres : CEDH, 27 août 1992, Tomasi c/ France, req. n° 12850/87, §§ 109-110 ; CEDH, 4 décembre 1993, Ribitsch c/ Autriche, req. n° 18896/91, § 31 ; CEDH, 28 juillet 1999, Selmouni c/ France req. n° 25803/93, § 87 ; CEDH, 1er mars 2001, Berktay c/ Turquie, req. n° 22493/93, § 167 ; CEDH, 18 mai 2000, Velikova c/ Bulgarie, req. n° 41448/98, § 70 ; CEDH, 13 juin 2002, Anguelova c/ Bulgarie, req. n° 38361/97, § 111 ; CEDH, 29 avril 2008, Kaplanova c/ Russie, req. n° 7653/02, § 94 ; CEDH, 17 juin 2008, Karaduman et autres c/ Turquie, req. n° 8810/03, § 64. 352 V. notamment : CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87 ; CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83. 353 V. notamment : CEDH, 15 novembre 1996, Katikaridis et autres c/ Grèce, req. n° 19385/92; CEDH, 15 novembre 1996, Tsomtsos et autres c/ Grèce, req. n° 20680/92 ; CEDH, 25 mars 1999, Papachelas c/ Grèce, req. n° 31423/96 ; CEDH, 19 septembre 2002, Azas c/ Grèce, req. n° 50824/99 ; CEDH, 1er août 2000, Savvidou c/ Grèce, req. n° 38704/97. 354 CEDH, 26 juillet 2001, Ilijkov c/ Bulgarie, req. n°33977/97; CEDH, 9 janvier 2003, Shishkov c/ Bulgarie, n° 38822/97; CEDH, 8 mars 2007, Dimov c/ Bulgarie, req. n° 56762/00 ; CEDH, 14 juin 2007, Nikola Nikolov c/ Bulgarie, req. n° 68079/01 ; CEDH, 8 mars 2007, Dimov c/ Bulgarie, req. n° 56762/00. 355 CEDH, 23 juillet 2002, Janosevic c/ Suède, req. n°34619/97.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

109

En définitive, l’enjeu de la confrontation de la trinité présomptive au droit européen

des droits de l’Homme est donc de rechercher si l’unité trinitaire de la présomption résiste au

regard du droit européen des droits de l’Homme. Par conséquent, les questions suivantes

résument clairement cet enjeu : les trois catégories de présomptions dégagées dans la théorie

générale se retrouvent-elles en droit européen des droits de l’Homme ? Malgré leurs

différences, ces trois catégories ont-elle un noyau dur commun ?

C’est affirmativement que nous répondrons à ces questions, puisque la confrontation

de la trinité présomptive au droit européen des droits de l’Homme confirme l’existence de

trois types de présomptions (Chapitre 1) et révèle leur essence commune (Chapitre 2).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Chapitre 1- L’existence de trois types de

présomptions confirmée

La présomption-preuve, la présomption-postulat, la présomption-concept : telles sont

les trois catégories de présomptions que la théorie générale a permis de mettre à jour. Il

convient à présent de rechercher si l’on retrouve ces trois catégories en droit européen des

droits de l’Homme. L’objectif n’est pas de recenser toutes les présomptions auxquelles cette

branche du droit a recours, entreprise qui risquerait d’être pour le moins fastidieuse, mais

simplement d’examiner, à partir des présomptions les plus flagrantes, la pertinence des trois

catégories. En d’autres termes, il s’agit, grâce à l’analyse technique de quelques présomptions

fréquemment utilisées, de vérifier que le droit européen des droits de l’Homme met bien en

œuvre des présomptions-preuves, des présomptions-postulats et des présomptions-concepts.

Si cette démarche ne pose pas de difficultés pour les deux premières catégories, explicites et

aisément repérables en raison de leur influence probatoire, elle risque de se révéler plus ardue

pour les présomptions-concepts dont l’utilisation est souvent implicite voire inconsciente.

Pour cette raison, l’existence des trois types de présomptions sera confirmée en deux étapes,

d’abord par le constat de l’influence probatoire de deux types de présomptions (Section1),

ensuite par celui de l’existence d’un troisième type de présomption en amont de la jurislation

(Section 2).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Section 1- L’influence probatoire de deux types de

présomptions

Alors qu’elle est traditionnellement envisagée comme un mode de preuve parmi

d’autres, on a pu constater que la présomption entretient avec la preuve des rapports plus

subtils qu’il n’y paraît. Son influence probatoire est en effet susceptible de varier. Les

présomptions-concepts, situées en amont de la jurislation, n’ont pas d’influence probatoire

directe et seront pour cette raison traitées séparément. En revanche, les présomptions-preuves

ainsi que les présomptions-postulats interfèrent sur la preuve à différents stades. Or, le droit

de la CEDH a recours de manière aussi fréquente qu’évidente à ces deux déclinaisons de la

présomption. A titre d’exemple citons la fameuse présomption-preuve créée par la Cour de

Strasbourg, selon laquelle l’Etat est responsable en cas de décès ou blessures survenus

pendant une détention, ou encore la présomption-postulat d’innocence consacrée par l’article

6 de la Convention.

Grâce à cet usage manifeste de la présomption-preuve et de la présomption-postulat, le

droit de la CEDH permet d’affiner l’analyse de leur influence probatoire respective et

d’affirmer sans ambages que la première déplace l’objet de la preuve tandis que la seconde

attribue la charge de la preuve.

§ 1- La présomption-preuve ou le déplacement de l’objet de la

preuve

Les présomptions-preuves issues du droit européen des droits de l’Homme sont

uniquement des présomptions prétoriennes : aucune présomption-preuve ne figure dans le

texte de la Convention ; cette absence s’explique par la généralité du texte qui consacre les

droits et libertés fondamentaux mais ne traite guère d’aspects procéduraux.

Par ailleurs, devant la Cour de Strasbourg, la preuve doit être établie « au-delà de tout

doute raisonnable » : aucun doute raisonnable, c’est-à-dire aucun doute « dont les raisons

peuvent être tirées des faits présentés »356, ne doit subsister dans l’esprit du juge. Bref, même

si elle ne peut correspondre à une certitude absolue, la preuve doit être très convaincante.

356 Com. EDH, Affaire grecque, Annuaire de la Convention, 12, p. 196, § 30.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

112

Ainsi, avant d’évoquer l’utilisation abondante par le juge européen des présomptions-

preuves (B-), encore faut-il analyser leur compatibilité avec le rigoureux critère de preuve

« au-delà de tout doute raisonnable » (A-).

A- Compatibilité de la présomption-preuve avec le critère de la preuve

« au-delà de tout doute raisonnable »

Plus le degré de certitude requis par une juridiction pour établir un fait est élevé, plus il est

difficile pour le plaideur d’établir ce fait : les présomptions-preuves, preuves indirectes ayant

pour but de faciliter une preuve difficile à rapporter et aboutissant seulement à une vérité

choisie que certains qualifient de vérité de second rang, sont alors refoulées357. Or, la Cour de

Strasbourg a, on le sait, opté pour le rigoureux standard de preuve « au-delà de tout doute

raisonnable » qui semble exclure les présomptions-preuves (1-). En réalité, il est compatible

avec elles (2-).

1- Un critère apparemment exclusif des présomptions-preuves

Quoiqu’il revête désormais une portée générale en droit de la CEDH (a-), le critère de la

preuve « au-delà de tout doute raisonnable » reste rigoureux (b-) et controversé (c-).

a- La généralité du critère

Ni la Convention, ni le règlement de procédure ne prévoient l’application d’un standard de

preuve. Néanmoins, la jurisprudence européenne fait constamment appel au critère de la

preuve « au-delà de tout doute raisonnable ». Si l’apparition dudit critère est liée au travail de

357 La question du niveau de preuve requis est liée à la répartition de la charge de la preuve pendant l’instruction d’une part, à la répartition du risque de la preuve d’autre part. Devant la Cour de Strasbourg, la répartition de la charge de la preuve pendant l’instruction atténue la rigueur du standard de preuve utilisé : en effet, selon Fred DESHAYES, « s’il est clair qu’au moment de l’introduction de l’instance, il pèse sur l’individu la charge de donner quelque consistance à la demande qu’il formule ; passée la phase d’admissibilité, la Cour se soucie peu de savoir lequel des plaideurs doit lui rapporter les preuves qu’elle désire » (Fred DESHAYES, Contribution à une théorie de la preuve devant la Cour européenne des droits de l’Homme, Thèse, Montpellier, 2003, p. 247). Ainsi, outre les requérants, la Cour et l’Etat défendeur participent à la recherche des preuves. En revanche, la répartition du risque de la preuve (c’est-à-dire la répartition de la charge de la preuve lors du jugement), qui consiste à choisir quelle partie subira les conséquences d’un doute persistant à l’issue de la recherche des preuves, n’atténue pas la rigueur du standard de preuve. Conformément aux adages classiques « actori incumbit probatio » et « reus in excipiendo fit actor », la Cour « fait peser le fardeau de la preuve sur celui qui affirme l’existence du fait pertinent » (Fred DESHAYES, op. cit., p. 409). En bref, une violation de la Convention doit être établie « au-delà de tout doute raisonnable » grâce aux éléments de preuve que lui ont fournis les requérants et le gouvernement ou que la Cour se procure d’office, sans quoi celui qui l’allègue subira le risque de la preuve. L’utilisation d’un standard rigoureux de preuve augmentera donc le risque pour le requérant de succomber. Voilà pourquoi il est crucial d’examiner si le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » est aussi sévère qu’il en a l’air et exclut ou non l’utilisation des présomptions-preuves.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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la défunte Commission dans la célèbre « affaire grecque »358, sa véritable consécration date,

quant à elle, de l’affaire Irlande contre Royaume Uni, où, dans le cadre de l’article 3, la Cour

énonce qu’elle « se rallie au principe de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » »359.

Progressivement le champ d’application de ce critère probatoire s’est élargi360. Dès 1980,

sa vocation générale est mise en valeur par le Juge ZEKIA dans son opinion séparée à la suite

de l’arrêt Guzzardi contre Italie361: selon lui, « une violation de la part d’un Etat contractant

doit être établie aussi clairement que possible, au-delà de tout doute raisonnable ». Il faut

attendre l’arrêt Velikova contre Bulgarie du 18 mai 2000362, pour que l’ampleur de la preuve

« au-delà de tout doute raisonnable » soit expressément proclamée: « en matière

d’appréciation des preuves, le principe général est que la Cour applique le critère de la

preuve « au-delà de tout doute raisonnable » ».

Depuis, la Cour applique ce standard dans nombre de domaines, notamment dans celui,

classique, de l’interdiction de la torture et des peines et traitements inhumains ou

dégradants363, mais aussi dans ceux du respect du droit à la vie364, du respect du droit à un

recours effectif365 ou encore du respect de la vie privée et familiale366.

b- La rigueur d’un critère issu du droit pénal anglo-saxon

Ce critère probatoire est traditionnellement considéré comme rigoureux, ce qui semble

logique compte tenu de ses origines. Comme l’indique la version anglaise qui utilise la

formule de « standard of proof beyond reasonable doubt », ce critère correspond à la

358 Annuaire de la Convention, 1969, Affaire grecque, 12, p. 196, § 30. 359 CEDH, 18 janvier 1978, Irlande c/ Royaume Uni, req. n° 5310/71, § 161. 360 Sur l’application extensive de la preuve au-delà de tout doute raisonnable, V. Fred DESHAYES, op. cit., pp. 214 sq.. 361 CEDH, 6 novembre 1980, Guzzardi c/ Italie, req. n° 7367/76. 362 CEDH, 18 mai 2000, Velikova c/ Bulgarie, req. n°41488/98, § 70. 363 V. par exemple : CEDH, 28 juillet 1999, Selmouni c/France, req. n° 25803/94, § 88 ; CEDH, 6 avril 2000, Labita c/ Italie, req. n° 26772/95, § 121 ; CEDH, 12 avril 2005, Chamaïev et autres c/ Géorgie et Russie, req. n° 36 378/02, § 338 ; CEDH, 26 juillet 2007, Cobzaru c/ Roumanie, req. n° 48254/99, § 64 ; CEDH, 24 juin 2008, Iambor c/ Roumanie (n° 1), req. n° 64536/01, § 167 ; CEDH, 22 juillet 2008, Boyko Ivanov c/ Bulgarie, req. n° 69138/01, § 31 ; CEDH, 4 novembre 2008, Nita c/ Roumanie, req. n° 10778/02, § 33 ; CEDH, 4 novembre 2008, Lupascu c/ Roumanie, req. n° 14526/03, § 48. 364 V. par exemple : CEDH, 19 février 1998, Kaya c/ turquie, req. n°22729/93, § 76 ; CEDH, 9 juin 1998, Tekin c/ Turquie, req. 22496/93 ; CEDH, 28 juillet 1998, Ergi c/ Turquie, req. n° 23818/94 ; CEDH, 2 septembre 1998, Yasa c/ Turquie, req. 22495/96, §§ 96-97 ; CEDH, 28 mars 2000, Kilic c/ Turquie, req. n° 22492/93 ; CEDH, 9 mai 2000, Ertak c/ Turquie ; CEDH, 27 juin 2000, Salman c/ Turquie, req. n° 21986/93, § 100 ; CEDH, 18 juillet 2000, Ekinci contre Turquie, req. n° 25625/94, § 72 ; CEDH, 21 novembre 2000, Demiray c/ Turquie, req. n° 27308/95, § 43 ; CEDH, 29 avril 2008, Kaplanova c/ Russie, req. n° 7653/02, § 92. 365 CEDH, 10 mai 2001, Chypre c/ Turquie, req ; n° 25581/94, § 118. 366 CEDH, 28 novembre 1997, Mentes et autres c/ Turquie, req. n° 23186/94.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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transposition d’un concept anglo-saxon de procédure pénale367 lié à la volonté de protéger la

présomption d’innocence368. D’après S. GINOSSAR, en droit pénal anglo-saxon, « le moindre

doute, pourvu seulement qu’il soit possible aux yeux de la raison, doit entraîner

l’acquittement de l’accusé ; et ce dernier ne peut être condamné que si la culpabilité se

trouve établie au-delà de pareil doute (beyond reasonable doubt) »369. La rigidité de ce

standard probatoire est à mettre en parallèle avec l’adage « in dubio pro reo » indiquant que le

doute doit profiter à l’accusé et avec l’idée selon laquelle mieux vaut, ainsi que le soutenaient

VOLTAIRE370 et GOETHE371, laisser un coupable impuni que punir un innocent.

A priori, la rigueur de ce critère semble neutraliser l’utilisation des présomptions-preuves :

seule une preuve directe est susceptible d’atteindre le niveau de certitude requis, non une

simple présomption. Cette approche semble corroborée par le fait que, comme l’explique le

Juge européen Loukis G. LOUCAIDES, « in the common law that formula of « proof beyond

reasonable doubt » is also intertwined with the principle that the burden of proof is upon

prosecution and that the accused does not have to prove anything in support of his innocence

(…) »372. Sont ainsi mis en valeur les liens entre le standard de preuve « au-delà de tout doute

raisonnable » et la présomption-postulat d’innocence qui n’est, ainsi qu’on l’a précédemment

constaté, guère favorable à l’utilisation de présomption-preuve.

Si l’on peut admettre l’inefficience de la présomption-preuve en matière pénale, il est en

revanche plus difficile de le faire concernant le contentieux strasbourgeois qui diffère

substantiellement du domaine pénal. La transposition de ce critère par le juge européen paraît

367 Barbara J. SHAPIRO, "Beyond reasonable doubt" and "probable cause" - historical perspectives on the Anglo-American law of evidence, Berkeley, University of California Press, 2000, pp. 244-245. Selon l’auteur, « The beyond reasonable doubt doctrine evolved as judges came to inform jurors that they must evaluate the testimony of witnesses. The language of satisfied conscience conceivably might have been used even when jurors thought of themselves as self-informing, but the beyond reasonable doubt language suggests a standard to be attained after a rational consideration of evidence. Somewhat more slowly there developed the position that inferences made by jurors from circumstantial evidence might yield proof beyond reasonable doubt ». 368 Mireille DELMAS-MARTY (dir.), Procédures pénales d’Europe, PUF, Thémis, Paris, 1995, p. 521. 369 Shalev GINOSSAR, « Eléments du système anglais de la preuve judiciaire », dans Chaïm PERELMAN et Paul FORIERS, op. cit. p. 37, p. 108. 370 Dans Zadig ou la Destinée (1747), VOLTAIRE affirmait déjà qu’ « il vaut mieux hasarder de sauver un coupable que de condamner un innocent » (Chapitre IV). 371 GOETHE écrivit dans son récit du siège de Mayence : « je préfère commettre une injustice que de tolérer un désordre ». Selon lui mieux vaut laisser s’échapper un coupable potentiel que de tolérer la condamnation injuste d’un innocent. D’ordinaire, on donne par incompréhension aux propos de GOETHE un sens radicalement opposé : on pense qu’il choisit la condamnation d’un innocent plutôt que l’impunité d’un coupable. Pour une analyse de cette phrase à l’aune de son contexte, V. : Pierre LEGROS, « Je préfère commettre une injustice que de tolérer un désordre », dans Philosophie Magazine, n°12, septembre 2007, p. 72. 372 Loukis G. LOUCAIDES, « Standards of proof in proceedings under the European Convention of Human Rights », dans Présence du droit public et des droits de l’Homme, Mélanges offerts à Jacques VELU, Bruxelles, Bruylant, 1992, pp. 1431 sq., spéc. p. 1436.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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même paradoxale. Ainsi que l’a clairement énoncé la Cour interaméricaine des droits de

l’Homme « la protection internationale des droits de l’Homme ne doit pas être confondue

avec la procédure pénale : les Etats ne comparaissent pas devant la Cour en qualité de

défendeurs dans le cadre d’une procédure pénale ; l’objectif du droit international des droits

de l’Homme n’est pas de punir les personnes responsables de violations, mais plutôt de

protéger les victimes et de prévoir une réparation des dommages résultant des actes commis

par les Etats responsables »373. Par conséquent, puisque le contentieux strasbourgeois ne

ressortit nullement au droit pénal, et que l’Etat défendeur ne bénéficie pas de la présomption

d’innocence, on voit mal pourquoi se référer à un critère qui est habituellement le corollaire

de cette dernière.

c- Un critère controversé

L’apparente rigueur du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » a suscité

de nombreuses critiques à l’encontre de son utilisation en droit de la CEDH : un critère si

sévère paraît inadapté à la protection effective des droits de l’Homme.

Fred DESHAYES, s’appuyant sur l’arrêt HLR contre France374, souligne les dangers de

ce critère375. En l’espèce, le requérant, ressortissant colombien, s’opposait à son expulsion

vers son pays d’origine : il évoquait les risques de subir des mauvais traitements, plus

précisément la vengeance des narcotrafiquants l’ayant recruté comme passeur et qu’il avait

dénoncés pendant sa garde à vue. Pour la Commission « compte tenu de la situation

extrêmement délicate dans laquelle se trouve le gouvernement colombien en lutte contre le

danger que représente l’existence sur son sol d’organisations criminelles puissantes et

structurées, il apparaît plus que vraisemblable que le requérant ne pourra pas recevoir de la

part de ces autorités une protection adéquate »376. La commission avait donc présumé

l’incapacité de la Colombie à protéger le requérant à partir du contexte local délicat. A

l’inverse, la Cour, utilisant implicitement le critère de la preuve « au-delà de tout doute

raisonnable », estima que la réalité du risque encouru par HLR n’était pas établie. L’analyse

de cet arrêt met en évidence l’apparente incompatibilité entre le standard de preuve utilisé par

la Cour et le recours aux présomptions-preuves.

373 Traduction de Stefan TRECHSEL dans son commentaire de l’article 28 § 1 a) de la Convention européenne des droits de l’Homme, dans Louis-Edmond PETTITI et al.(dir.), La Convention européenne des droits de l’Homme, commentaire article par article, Paris, Economica, 1995, p. 659. 374 CEDH, 29 avril 1997, HLR c/ France, req. n° 24573/94. 375 Fred DESHAYES, op. cit., pp. 218-219. 376 Com. EDH, 7 décembre 1995, HLR c/ France, req. n° 24573/94, § 47.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

116

Le Juge BONELLO, quant à lui, exprime clairement sa désapprobation quant à

l’utilisation du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » dans son opinion

dissidente annexée à l’arrêt Sevtap Veznedaroğlu contre Turquie377. Quitte à transposer un

critère probatoire anglo-saxon, le Juge BONELLO semble - à l’instar du Professeur R.

LEGEAIS 378 - plus favorable à celui utilisé en matière civile, appelé « balance of

probabilities » ou « preponderance of evidence », qui consiste à retenir la thèse la plus

vraisemblable.

Finalement, ces quelques remarques ont tenté de montrer qu’en général, un standard de

preuve trop rigide serait défavorable à la protection des droits de l’Homme379 et, qu’en

particulier, exclure les présomptions-preuves au moyen d’un critère de preuve très rigoureux

serait non seulement inutile car l’Etat défendeur n’a pas besoin d’une protection particulière,

mais encore dangereux puisque cela risquerait d’entraver considérablement le contentieux, les

faits étant parfois impossibles à prouver sans présomptions. Mais le critère de la preuve « au-

delà de tout doute raisonnable » est-il aussi rigoureux qu’on pourrait le penser ? Est-ce

réellement l’exacte transposition du critère issue de la Common Law ou, au contraire, une

libre adaptation qui n’empêcherait pas le recours aux présomptions-preuves ?

2- Un critère effectivement compatible avec les présomptions-preuves

La compatibilité du critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » avec les

présomptions-preuves en droit de la CEDH s’explique par l’assouplissement (a-) et

l’autonomisation dont il a fait l’objet (b-).

a- L’assouplissement européen du critère de la preuve « au-delà de tout doute

raisonnable »

Si la Cour de Strasbourg se réfère au critère de la preuve « au-delà de tout doute

raisonnable », c’est que, loin d’être aussi rigoureux que le laisse souvent supposer

377 CEDH, 11 avril 2000, Sevtap Veznedaroğlu contre Turquie, req. n° 32357/96. 378 Raymond LEGEAIS, « Le droit de la preuve à la Cour européenne des droits de l’Homme », dans Mélanges offerts à Pierre COUVRAT, La sanction du droit, Paris, PUF, Publications de la faculté de droit et de sciences économiques de Poitiers, 2001, pp. 256 sq., p. 266-267. 379 Stefan TRECHSEL, « L’établissement des preuves devant la Commission européenne des droits de l’Homme », dans La présentation de la preuve et la sauvegarde des libertés individuelles, Troisième colloque du département des droits de l’Homme, Bruxelles, Bruylant, 1977, pp. 121 sq., p. 123. L’auteur rappelle que, devant une cour d’assises, plus la loi est sévère, plus elle protège le prévenu contre un jugement erroné. Il ajoute que, « devant la Commission, la situation est inversée. C’est toujours l’Etat qui doit se défendre. Une rigidité sévère du droit de la preuve irait donc à l’encontre des libertés individuelles ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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l’interprétation liée à son origine anglo-saxonne, il est au contraire relativement souple.

Certains l’ont remarqué qui parlent de l’ « imprécision » de ce critère et le qualifient de

« notion floue »380.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, la Cour européenne indique constamment que la

preuve « au-delà de tout doute raisonnable » peut « résulter d’un faisceau d’indices, ou de

présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants » 381 . Pareille

affirmation, devenue un vrai leitmotiv, révèle à elle seule l’assouplissement considérable subi

par le critère anglo-saxon382 : en droit européen des droits de l’Homme, une preuve « au-delà

du doute raisonnable » n’est pas obligatoirement une preuve directe et n'écarte donc pas le

recours aux présomptions-preuves.

Une véritable profession de foi figure d’ailleurs dans l’arrêt de Grande Chambre Natchova

et autres contre Bulgarie du 6 juillet 2005. La Cour y rappelle que, « pour l'appréciation des

éléments de preuve, elle retient le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » ».

Puis elle ajoute qu’ « elle n'a toutefois jamais eu pour dessein d'emprunter la démarche des

ordres juridiques nationaux qui appliquent ce critère. Il ne lui incombe pas de statuer sur la

culpabilité en vertu du droit pénal ou sur la responsabilité civile, mais sur la responsabilité

des Etats contractants au regard de la Convention. La spécificité de la tâche que lui attribue

l'article 19 de la Convention – assurer le respect par les Hautes Parties contractantes de leur

engagement consistant à reconnaître les droits fondamentaux consacrés par cet instrument –

conditionne sa façon d'aborder les questions de preuve. Dans le cadre de la procédure devant

la Cour, il n'existe aucun obstacle procédural à la recevabilité d'éléments de preuve ni de

formules prédéfinies applicables à leur appréciation. La Cour adopte les conclusions qui, à

son avis, se trouvent étayées par une évaluation indépendante de l'ensemble des éléments de

380 Jean-François RENUCCI, Traité de droit européen des droits de l’Homme, Paris, LGDJ, 2007, p. 134, § 103. 381 V. par exemple : CEDH, 12 mai 2005, Öcalan c/ Turquie, req. n° 46221/99, § 180 ; CEDH, 24 mai 2005, Süheyla Aydin c/ Turquie, req. n° 25660/94, § 147 ; CEDH, 31 mai 2005, Çelikbilek c/ Turquie, req. n° 27693/95, § 66 ; CEDH, 31 mai 2005, Koku c/ Turquie, req. n° 27305/96, § 110 ; CEDH, 20 septembre 2005, Frik c/ Turquie, req. n°45443/99, § 28 ; CEDH, 20 septembre 2005, Baltaş c/ Turquie, req. n° 50988/99, § 48 ; CEDH, 20 septembre 2005, Sevgin et Ince c/ Turquie, req. n° 46262/99, § 52 ; CEDH, 25 octobre 2005, Hüsniye Tekin c/ Turquie, req. n° 50971/99, § 43 ; CEDH, 13 décembre 2005, Bekos et Koutropoulos c/ Grèce, req. n° 15250/02, § 46 ; CEDH, 23 février 2006, Ognyanova et Choban c/ Bulgarie, req. n° 46317/99, § 95 ; CEDH, 15 mai 2007, Ramsahai et autres c/ Pays-Bas, req. n°52391/99, § 273. 382 Dans son opinion dissidente annexée à l’arrêt Pruneanu contre Molavie, Sir Nicolas BRATZA écrit : « the oft-repeated principle that the burden lies on an applicant to prove “beyond reasonable doubt” that he has been subjected to ill-treatment attaining the threshold set by that Article has been tempered by the equally well-established principle that such proof may follow from the co-existence of sufficiently strong, clear and concordant influences and similar unrebutted presumptions of facts ». CEDH, 16 janvier 2007, Pruneanu c/ Moldavie, req. n° 6888/03.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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preuve, y compris les déductions qu'elle peut tirer des faits et des observations des parties.

Conformément à sa jurisprudence constante, la preuve peut résulter d'un faisceau d'indices,

ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants. En outre, le

degré de conviction nécessaire pour parvenir à une conclusion particulière et, à cet égard, la

répartition de la charge de la preuve sont intrinsèquement liés à la spécificité des faits, à la

nature de l'allégation formulée et au droit conventionnel en jeu. La Cour est également

attentive à la gravité d'un constat selon lequel un Etat contractant a violé des droits

fondamentaux »383.

Tout d’abord, cet arrêt confirme l’absence de coïncidence entre preuve « au-delà de tout

doute raisonnable » et preuve directe : déductions, indices et présomptions - en somme toutes

sortes de preuves indirectes - sont admis.

Ensuite, on s’aperçoit que la possibilité de recourir à des preuves indirectes résulte de

l'ajustement du standard de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » aux spécificités

du contentieux européen. Ce standard doit avant tout pouvoir s’adapter à la singularité des

fonctions de la Cour – le contentieux mettant en jeu la responsabilité étatique n’est ni civil, ni

pénal384 – et au contexte précis de chaque affaire. Cette dernière exigence implique

vraisemblablement une indexation du standard utilisé sur la difficulté probatoire : plus les

preuves sont difficiles à réunir, moins le standard de preuve sera rigide. En droit de la CEDH,

le standard de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » se caractérise donc par sa

souplesse, voire sa malléabilité. Cette caractéristique n’a pas de quoi surprendre compte tenu

de la philosophie générale du droit européen des droits de l’Homme qui cherche à promouvoir

une protection effective des droits385.

383 CEDH, 6 juillet 2005, Natchova et autres c/ Bulgarie, req. nos 43577/98 et 43579/98, § 147 ; V. aussi : CEDH, 26 juillet 2007, Cobzaru c/ Roumanie, req. n° 48254/99, § 93. 384 Antérieurement, la Cour avait déjà fait un constat semblable dans l’arrêt Tanli contre Turquie de 2001 : « il ne faut pas perdre de vue que la responsabilité pénale se distingue de la responsabilité internationale au titre de la Convention. La compétence de la Cour se borne à déterminer la seconde. La responsabilité au regard de la Convention découle des dispositions de celle-ci, qui doivent être interprétées et appliquées conformément aux objectifs de l’instrument et à la lumière des principes du droit international. Il ne faut pas confondre responsabilité d’un Etat à raison des actes de ses organes, agents ou employés et questions de droit interne concernant la responsabilité pénale individuelle, dont l’appréciation relève des juridictions internes. Il n’entre pas dans les attributions de la Cour de rendre des verdicts de culpabilité ou d’innocence au sens du droit pénal ». V. CEDH, 10 avril 2001, Tanli c/ Turquie, req. n° 26129/95, § 111. 385 La Cour a affirmé dans son arrêt Airey du 9 octobre 1979 que sa préoccupation première est « de protéger des droits non pas théoriques ou illusoires mais concrets et effectifs ». CEDH, 9 octobre 1979, Airey c/ Irlande, req. n° 6289/73, § 24.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

119

Enfin, l’arrêt Natchova, évoquant « le degré de conviction nécessaire pour parvenir à une

conclusion particulière », met en évidence une donnée capitale pour expliquer la

compatibilité des présomptions-preuves avec le standard probatoire concerné : l’influence du

système français de l’intime conviction.

On le sait, le système pénal français, qui repose sur l’intime conviction, a recours aux

indices et aux présomptions du juge. Le Professeur LEVASSEUR explique que « les indices

sont des faits matériels dont l’existence est établie et qui, sans valeur démonstrative par eux-

mêmes, peuvent, rapprochés les uns des autres, permettre de parvenir à la conviction que tel

ou tel événement dont l’existence n’est pas établie autrement s’est bien réalisé, de présumer

par conséquent cette réalisation. Les présomptions (il s’agit ici de « présomptions du fait de

l’homme » et non de présomptions légales) sont des raisonnements à l’aide desquels on infère,

de la réunion précisément des indices, des conclusions relatives au déroulement des faits et à

l’existence des éléments, matériels ou psychologiques, de l’infraction »386. On reconnaît sans

conteste les mécanismes mis en œuvre par la Cour pour tempérer son standard de preuve, à

savoir les faisceaux « d’indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis

et concordants ».

En outre, l’emploi ordinaire de termes relevant du champ lexical de la conviction dans

certains arrêts387 corrobore la thèse d’une influence du système de l’intime conviction. Le

Professeur R. LEGEAIS note que « (…) certains arrêts utilisent des formulations proches de

la française « intime conviction » »388. Pour sa part, Katarzyna GRABARCZYK relève que

« le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » semble être influencé par un

386 LEVASSEUR Georges, op. cit., p. 30. 387 L’arrêt Tanli contre Turquie du 10 avril 2001 est un bel exemple de revendication par la Cour de l’utilisation de l’intime conviction. La Cour y exprime à quatre reprises sa conviction : au § 113, « La Cour a donc la conviction que lorsqu’il fut placé en garde à vue, Mahmut Tanlı était en bonne santé et n’avait pas d’antécédents médicaux » ; au § 126, « La Cour a la conviction que le requérant a retiré sa demande en raison à la fois des difficultés inhérentes à ce type de démarche et de l’angoisse qu’il éprouvait à l’idée de se heurter à une réaction hostile de certains côtés » ; au § 150, « La Cour n’a toutefois pas la conviction que la nécessité que l’examen ait lieu avant le moment de la rigidité cadavérique justifie qu’on se soit passé d’un médecin légiste » ; au § 165, « La Cour n’a donc pas la conviction que les membres des forces de l’ordre aient agi sans avoir de raison plausible de soupçonner Mahmut Tanlı d’avoir commis une infraction pénale ». CEDH, 10 avril 2001, Tanli c/ Turquie, req. n° 26129/95. V. aussi CEDH, 13 novembre 2007, D.H. contre République Tchèque, req. n° 57325/00, § 178 : « En outre, le degré de conviction nécessaire pour parvenir à une conclusion particulière et, à cet égard, la répartition de la charge de la preuve sont intrinsèquement liés à la spécificité des faits, à la nature de l'allégation formulée et au droit conventionnel en jeu ». 388 LEGEAIS Raymond, op. cit.. L’auteur cite à ce propos le § 105 de l’arrêt Selmouni : « la Cour est convaincue que les actes de violence physique et mentale commis sur la personne du requérant, pris dans leur ensemble, ont provoqué des douleurs et des souffrances “aiguës” et revêtent un caractère parfaitement grave et cruel ». CEDH, 28 juillet 1999, Selmouni c/ France, req. n° 25803/94.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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système national, et être contrebalancé par d’autres systèmes nationaux, notamment par le

concept de « l’intime conviction » du juge pénal français ou de la coexistence d’indices clairs

et concordants du juge administratifs français »389.

Ainsi, en tempérant le standard probatoire traditionnel par le système de l’intime

conviction, le juge européen peut attribuer une grande force probante à une preuve indirecte

(par exemple à une présomption fondée sur un faisceau d’indices). On se demande alors si

cette aptitude ne correspond pas à une dénaturation du standard initial. A bien y regarder, le

mélange de l’intime conviction française et de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable »

anglo-saxonne ne semble pas vraiment contre-nature. Plusieurs arguments plaident en faveur

d’une relativisation des divergences entre ces deux systèmes. Non seulement tous deux

interviennent dans le même contexte pénal, mais encore ils semblent faire appel à des

mécanismes similaires même si, en raison de leurs appellations, l’un - l’intime conviction -

semble nettement plus subjectif390 que l’autre – la preuve « au-delà de tout doute

raisonnable ». Dans les deux cas, le degré de certitude requis est très élevé : il s’agit de

protéger la présomption d’innocence et d’éviter les erreurs judiciaires en s’appuyant sur des

paramètres d’évaluation objectifs et rationnels. D’ailleurs l’antonyme de conviction est

doute391, ce qui démontre que le juge français cherche lui aussi à dépasser le doute et à

atteindre, au plus profond de soi, une certitude. Comme l’écrit M. Enzo ZAPPALA, « (…) la

lecture qui a été faite par les spécialistes de l’intime conviction a toujours été dans le sens

d’une « impression sur la raison » (PRADEL), la conviction se construisant sur des

paramètres rationnels et non sur des élans émotifs. A tel point même que quelques auteurs de

culture anglo-saxonne (SPENCER) ont déclaré ne pas trouver grande différence dans le

niveau de certitude imposé par le critère de l’intime conviction et celui du « beyond

reasonable doubt » »392.

389 GRABARCZYK Katarzyna, Les principes généraux dans la jurisprudence de la CEDH, PUAM, 2008, V. pp. 78-79, §§ 164-165. 390 ZAPPALA Enzo, « Présomption d’innocence entre “intime conviction” et “beyond reasonable doubt”, dans Mélanges offerts à Raymond GASSIN, Sciences pénales et criminologiques, PUAM, 2007, pp. 345 sq., spéc. p. 345 : « la libre conviction du juge a été conçue (…) comme persuasion subjective, certitude morale, intime conviction du juge basée sur des émotions et des sentiments irrationnels. Elle a été liée à ce qu’on désigne comme théorie romantique de la preuve, théorie qui trouve son fondement dans la chaîne logique du jugement, à savoir : “jury-verdict immotivé, persuasion émotive” (Amadio) ». 391 Sur ce point V. : Jean-Denis BREDIN, « Le doute et l’intime conviction », Droits – revue française de théorie, de philosophie et de culture juridique, n° 23 (1996), pp. 21 sq. 392 ZAPPALA Enzo, loc. cit., p. 345.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

121

En fait de dénaturation, on serait donc simplement face à une autonomisation du critère de

la preuve « au-delà de tout doute raisonnable ».

b- L’autonomisation du critère

Il n’est pas rare que les dispositions de la CEDH contiennent des termes assez vagues et

imprécis : « victime », « détention », « aliéné », « vagabond » en sont quelques exemples. Par

facilité, on pourrait être tenté d’élaborer des définitions sur la base de celles retenues en droit

interne, mais la Cour de Strasbourg attribue une signification européenne aux termes de la

Convention qui lui semblent flous ; c’est ce qu’on appelle l’autonomie des termes de la

Convention393 . C’est désormais une technique classique qui poursuit un objectif

« d’uniformité et d’effectivité »394.

C’est par l’intermédiaire de cette technique que la Cour a donné au standard de la preuve

« au-delà de tout doute raisonnable » une définition différente de celle issue de la Common

Law. Dans un premier temps, à l’instar de M. FROWEIN selon lequel « The formula

« beyond reasonable doubt » should not be seen as refering to the anglo-saxon standard for

criminal cases combined with special rules of evidence prevailing there »395, plusieurs

auteurs396 ont constaté les singularités de l’emploi du standard en droit de la CEDH, laissant

implicitement entrevoir son autonomie. Finalement, la Cour de Strasbourg, elle-même, a

expressément avoué que ce « (…) critère particulier de la preuve prend un sens autonome397

dans la procédure de la Cour (…) ; elle n’a jamais eu pour dessein d’emprunter la démarche

des autres systèmes juridiques nationaux qui appliquent le critère de la preuve « au-delà de

393 Jean-Pierre MARGUENAUD, La Cour européenne des droits de l’Homme, 4ème édition, Paris, Dalloz, Connaissance du droit, Paris, 2008, p. 39. 394 Ibid., p. 33. 395 Jochen Abr. FROWEIN, « Fact-finding by the European Commission of human Rights », in Richard Bonnot Lilitch (Ed.), Fact-finding before international tribunal, Transnational publishers, 1992, p. 247. 396 Selon le juge Loukis G. LOUCAIDES, « there is a substantial difference between the proof of allegations beyond “reasonable doubt” against an individual accused in a criminal case and the establishment of facts beyond “reasonable doubt” in human rights proceedings. The methods, the kind of proof and the practical application of the formula “beyond reasonable doubt” differ ». Loukis G. LOUCAIDES, op. cit., p. 1436. Mme le Juge TULKENS écrit : « le critère de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » est employé, dans certains systèmes juridiques pour les affaires criminelles ; or, la Cour n’est pas appelée à juger de la culpabilité ou de l’innocence d’un individu, ni à sanctionner les auteurs d’une violation, mais à en protéger les victimes et à réparer les préjudices causés par les actions de l’Etat responsable : le test, la méthode et le niveau de preuve au regard de la responsabilité au titre de la Convention diffèrent alors de ceux applicables dans les différents systèmes nationaux pour ce qui est de la responsabilité des individus en matière d’infractions pénales ». Françoise TULKENS, « L’interdit de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants – Les développements récents de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme », dans Mélanges offerts à Pierre COUVRAT – La sanction du droit, Paris, PUF, 2001, pp. 323 sq., spéc. p. 322, note 18. 397 C’est nous qui soulignons.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

122

tout doute raisonnable ». Ainsi, conformément à sa jurisprudence constante, en l’absence de

preuves directes, la preuve peut résulter d’un faisceau d’indices ou de présomptions non

réfutées (…) »398.

Cependant, en l’occurrence, le terme d’autonomisation semble plus approprié que celui

d’autonomie pour décrire le mécanisme à l’œuvre. Les circonstances d’émergence de la

notion qualifiée d’autonome (la preuve « au-delà de tout doute raisonnable ») sont en effet

inhabituelles : il ne s’agit nullement de l’utilisation d’un terme courant que la fréquence de

son usage rend flou et imprécis, mais de la transposition volontaire d’un concept issu d’une

procédure nationale pour désigner une technique nouvelle créée par la Cour. Autrement dit, la

démarche est nettement plus active que d’habitude puisqu’elle ne se contente pas de constater

l’autonomie d’une notion mais attribue un sens nouveau à un concept ayant déjà une

signification forte dans un système donné en le détachant dudit système. En extrayant le

standard de preuve « au-delà de tout doute raisonnable » de la procédure pénale anglo-

saxonne, la Cour européenne l’autonomise.

Intellectuellement séduisante, cette démarche présente néanmoins quelques faiblesses.

Elle semble artificielle : autant on comprend que la Cour précise le sens des termes usuels

qu’elle est obligée d’utiliser, autant il est difficile d’admettre pourquoi elle s’est appropriée un

standard dont elle a finalement changé la signification. Sans doute est-ce dû à l’utilisation

spontanée par les juges de la Cour de leurs propres standards nationaux. Par ailleurs, en

établissant une filiation trompeuse avec le droit pénal anglo-saxon, elle ne contribue pas à la

clarté des mécanismes du droit de la CEDH et favorise un mélange des procédures. On ne

peut que déplorer le manque d’originalité de la Cour : il aurait sûrement été préférable qu’elle

choisisse une appellation nouvelle restituant mieux la variabilité du standard de preuve.

L’expression « au-delà de tout doute raisonnable » reste inéluctablement connotée et masque

la cohérence de la démarche ; il est difficile de se défaire de l’impression que la Cour utilise

un standard d’une grande rigueur peu adapté à la protection des droits de l’Homme399 et dont

398 CEDH, 24 janvier 2008, Osmanoğlu c/ Turquie, req. n° 25165/94. 399 Fred DESHAYES, op. cit., pp. 233-235. L’auteur plaide « pour l’adoption d’un standard de preuve moins contraignant » et rappelle d’une part, que, dès son apparition, le standard utilisé par la Cour « n’a jamais cessé de susciter une vive contestation », d’autre part, que « pour la critique, le recours à un standard issu de la procédure pénale ne sied pas à la mission de la Cour qui alourdit plus qu’elle ne devrait le fardeau de la preuve supporté par le requérant. A ses yeux, la Cour s’est rendue coupable d’avoir procédé à la greffe d’un standard contre-nature qui, au regard de la protection internationale des droits de l’Homme, ne peut avoir qu’un effet contre-productif ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

123

l’assouplissement par le recours aux présomptions-preuves demeure accidentel400 malgré

l’utilisation exemplaire de ces dernières.

B- L’utilisation exemplaire par le juge européen

Lorsqu’elle se heurte à des difficultés probatoires, la Cour EDH n’hésite pas à appeler à la

rescousse les présomptions consistant à inférer un fait inconnu d’un ou de plusieurs faits

connus, c’est-à-dire les présomptions-preuves. Par exemple, dans les affaires particulièrement

obscures de disparitions forcées, les faits sont souvent établis grâce à de tels mécanismes401 :

l’arrêt Osmanoğlu contre Turquie de 2008402, dans lequel la Cour présume le décès du fils du

requérant (fait inconnu) en prenant en compte d’une part, l'absence de toute information

depuis plus de onze ans quant au lieu où il pourrait se trouver, d’autre part sa propre

connaissance du contexte turc (faits connus), le rappelle. De même, c’est en utilisant une

présomption-preuve que la Cour conclut à l’existence d’une pratique administrative : ainsi

l’accumulation des condamnations de l’Italie pour violation du délai raisonnable (fait connu)

a permis la Cour de constater l’existence d’une pratique incompatible avec l’article 6 § 1 de la

CEDH (fait inconnu).

Abondante, l’utilisation des présomptions-preuves est même parfois exemplaire, pour ne

pas dire édifiante. Clairement évoquée, la présomption est alors mise en évidence et devient le

pivot autour duquel s’articule le raisonnement de la Cour. C’est d’abord le cas des

présomptions de responsabilité pesant sur l’Etat défendeur en cas de décès ou de blessures

intervenus lors d’une détention : comme le constate Katarzyna GRABARCZYK, la Cour a

érigé ces présomptions au rang des « principes généraux » qu’elle rappelle dans ses arrêts

avant d’en faire application au cas d’espèce403. C’est également le cas des présomptions de

discrimination indirecte grâce auxquelles le caractère discriminatoire d’une mesure peut être

établi sur la base de données statistiques révélant les effets néfastes de cette mesure sur un

groupe particulier de personnes. Pour l’heure, même si la Cour EDH utilise bien d’autres

400 La lecture de l’opinion dissidente des Juges RYSSDAL, MATSCHER et JAMBREK dans l’affaire Ribitsch laisse ainsi penser qu’en l’espèce, l’utilisation d’une présomption de responsabilité de l’Etat pour des blessures subies au cours d’une garde à vue modifie purement et simplement le standard utilisé puisque, selon eux, « il planait manifestement un doute raisonnable sur les allégations du requérant selon lesquelles il avait été victime de sévices (…) au cours de sa garde à vue, même s’il n’a pas été possible de prouver de manière irréfutable que les lésions et symptômes dont l’intéressé s’est plaint après sa libération avaient une origine étrangère aux faits dénoncés par lui ». 401 CEDH, 13 juin 2000, Timurtas c/ Turquie, req. n° 23531/94, § 82. 402 CEDH, 24 janvier 2008, Osmanoğlu c/ Turquie, req. n° 25165/94, V. §§ 55-60. 403 Katarzyna GRABARCZYK, op. cit., pp. 109-111, §§ 261-266.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

124

présomptions-preuves intéressantes qui seront abordées ultérieurement, seules ces deux

présomptions retiendront notre attention : l’exemplarité – c’est-à-dire la revendication et la

récurrence - de leur usage facilitera en effet l’analyse du mécanisme mis en œuvre et

permettra de vérifier si le droit de la CEDH conforte ou non l’existence de la catégorie des

présomptions-preuves. Les présomptions de responsabilité en matière de respect du droit à la

vie et d’interdiction de la torture (1-) ainsi que les présomptions de discrimination indirecte

(2-) seront donc successivement étudiées.

1- Les présomptions de responsabilité en matière de droit à la vie et

d’interdiction de la torture

Qualifiées pas certains de « présomptions de causalité » 404 , par d’autres

de « présomptions de culpabilité »405, par d’autres encore de présomptions « garde à vue »406,

les présomptions mises en œuvre par la Cour EDH pour imputer à l’Etat la responsabilité de

blessures ou décès survenus pendant une détention – et que nous qualifierons pour cette raison

de présomptions de responsabilité - sont désormais des mécanismes classiques en droit

européen des droits de l’homme. Appliquées pour la première fois dans les arrêts Tomasi

contre France407 et Ribitsch contre Autriche408, elles n’ont, depuis, cessé d’être présentes dans

les arrêts strasbourgeois et particulièrement dans le contentieux turc. Mais c’est sans doute

l’arrêt Taïs contre France de 2006409, relatif au décès d’un homme en cellule de dégrisement

après une interpellation mouvementée, qui fournit le plus remarquable exemple de leur mise

en œuvre : l’Etat français, n’ayant pas pu renverser la présomption en expliquant les causes du

décès du fils des requérants dont le corps présentait de nombreuses blessures, est tenu pour

responsable de ce décès sur le fondement de l’article 2.

404 Cette expression est employée par le Professeur SUDRE (Frédéric SUDRE, « L’arrêt de la Cour européenne des droits de l’Homme, du 27 août 1992, Tomasi c/ France : mauvais traitements et délais raisonnable », RSC, janvier-mars 1993, pp. 33 sq., spéc. p. 35), par le Professeur RENUCCI (Jean-François RENUCCI, op. cit., p. 134, § 103), par le Professeur MARGUENAUD (Jean-Pierre MARGUENAUD, op. cit., p. 55-56) et par Fred DESHAYES (Fred DESHAYES, op. cit., p. 406. 405 Cette expression est employée par Mikaël POUTIERS (Mikaël POUTIERS, Commentaire de l’arrêt Ribitsch c/ Autriche, JDI 1996, pp. 269-271). Elle ne semble pas être la plus adaptée : dans le contentieux concerné, l’Etat défendeur n’est pas un accusé au sens pénal du terme. Il est donc préférable de parler de présomption de responsabilité. 406 Cette expression est celle du Professeur MASSIAS (Florence MASSIAS, « Chronique internationale – Droits de l’Homme », RSC, 2005, pp. 643 sq.). 407 CEDH, 27 août 1992, Tomasi c/ France, req. n° 12850/87. 408 CEDH, 4 décembre 1993, Ribitsch c/ Autriche, req. n° 18896/91. 409 CEDH, 1er juin 2006, Taïs c/ France, req. n° 39922/03.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

125

Tant l’objectif (a-) que le mode de fonctionnement (b-) de ces présomptions de

responsabilité sont symptomatiques de leur appartenance à la catégorie des présomptions-

preuves.

a- L’objectif

La Cour traite souvent d’affaires dont les faits sont, grosso modo, les suivants : un individu

en bonne santé est arrêté puis placé en détention (garde à vue, cellule de dégrisement…). Au

cours de cette détention, il est blessé ou même décède410. Il est extrêmement difficile de faire

la lumière sur ce genre d’affaires, puisque les autorités sont les seules à connaître réellement

leurs tenants et aboutissants qu’elles ont souvent intérêt à garder secrets. Pour remédier aux

difficultés probatoires, la Cour a donc pris l’habitude d’énoncer que : « (…) lorsqu'un individu

est placé en garde à vue alors qu'il se trouve en bonne santé et que l'on constate qu'il est

blessé au moment de sa libération, il incombe à l'Etat de fournir une explication plausible sur

l'origine des blessures411. L'obligation qui pèse sur les autorités de justifier le traitement

infligé à un individu placé en garde à vue s'impose d'autant plus lorsque cet individu

meurt »412. Elle ajoute également : « Lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou

pour une large part, sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des

personnes soumises à leur contrôle en garde à vue, toute blessure ou décès survenu pendant

cette période de détention donne lieu à de fortes présomptions de fait. Il convient en vérité de

considérer que la charge de la preuve pèse sur les autorités, qui doivent fournir une

explication satisfaisante et convaincante »413.

Dans ce type de situation, la preuve directe d’une violation de l’article 3 ou de l’article

2 est impossible à rapporter. Dans la mesure où les événements sont uniquement connus des

autorités, seuls des commencements de preuves ou indices, par exemple des constats

médicaux de blessures ou de décès ainsi que des témoignages, peuvent être rapportés. Mais

410 Ce qui importe véritablement, c’est que les blessures ou le décès soit survenus alors que la victime se trouvait aux mains des autorités. Si dans la plupart des cas, cette situation est constituée par une détention, d’autres circonstances peuvent être prises en compte. Ainsi dans l’arrêt Berktay, le requérant a fait une chute par le balcon alors que des policiers se trouvaient chez lui pour faire une perquisition. CEDH, 1er mars 2001, Berktay c/ Turquie, req. n° 22493/93, § 141. 411 CEDH, 28 juillet 1999, Selmouni c/ France, req. n° 25803/94, § 87 412 CEDH, 10 juillet 2001, Avsar c/ Turquie, req. n°25657/94. 413 CEDH, 27 juin 2000, Salman c/ Turquie, req. n° 21986/93, § 100 ; CEDH, 8 juillet 1999, Çakici c/ Turquie, req. n° 23657/94, § 85 ; CEDH, 9 mai 2000, Ertak c/ Turquie, req. n° 20764/92, § 32 ; CEDH, 13 juin 2000, Timurtaş c/ Turquie, req. n° 23531/94, § 82 ; CEDH, 11 juillet 2000, Dikme c/ Turquie, § 78 ; CEDH, 20 juillet 2000, Caloc c/ France, req. n° 33951/93, § 84 ; CEDH, 21 décembre 2000, Buyukdag c/ Turquie, req. n° 28340/95, § 51 ; CEDH, 31 octobre 2006, Dilek Yilmaz c/ Turquie, req. n° 58030/00.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

126

aucun moyen ne permet au requérant de prouver directement comment sont survenues les

blessures ou le décès. Sans le recours à une présomption de responsabilité, ce genre de

requêtes serait donc systématiquement voué à l’échec ; toute décision, hormis un non-liquet414

que la Convention semble implicitement interdire, serait impossible. Dès lors, l’Etat

bénéficierait d’une impunité systématique pour les exactions commises par ses agents sur les

détenus. L’objectif des présomptions de responsabilité utilisées par la Cour EDH est donc

conforme à celui d’une présomption-preuve : il s’agit de faciliter une preuve difficile, de

remédier à l’absence de preuve directe, en bref de pallier les difficultés probatoires en cas de

doute sur les faits.

b- Le mode de fonctionnement

L’objectif des présomptions de responsabilité mises en œuvre par la Cour de

Strasbourg sur le fondement des articles 2 et 3 est sans conteste celui d’une présomption-

preuve. Pour autant, on ne saurait affirmer à la lumière de ce seul critère que lesdites

présomptions de responsabilité sont des présomptions-preuves. Il faut préalablement examiner

avec attention leur mode de fonctionnement, afin de déterminer, d’une part, si elles reposent

sur un passage du connu à l’inconnu, d’autre part, si elles opèrent un déplacement de l’objet

de la preuve et un allégement de la charge probatoire au profit de leur bénéficiaire.

Tout d’abord, l’analyse des présomptions de responsabilité montre qu’elles reposent

toujours sur un passage du connu à l’inconnu.

En matière de présomption de responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article 3,

la responsabilité étatique est généralement présumée à partir de deux indices ou faits connus :

premièrement l’état de bonne santé de la personne au moment de sa détention, deuxièmement

le diagnostic médical d’un traumatisme415 ou le constat de blessures et/ou de traces de

414 Non-liquet : « le cas n’est pas clair », expression utilisée pour désigner les cas où un arbitre ou un juge international est dans l’impossibilité de juger. 415 L’absence de traces de coups ou de blessures sur le corps du requérant est indifférente : ainsi dans l’arrêt Boicenco contre Moldavie, la responsabilité de l’Etat est inférée d’un diagnostique médical établissant un traumatisme crânien et une commotion justifiant la perte de conscience du requérant. La Cour explique expressément pourquoi un simple diagnostique pour donner naissance à la présomption en l’absence de traces visibles de coups ou de blessures : « The Court is well aware that ther are methods of applying force wich do not leave any traces on a victim’s body ». CEDH, 11 juillet 2006, Boicenceo c/ Moldavie, req. n° 41088/05, § 109.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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coups416 à l’issue de la détention. Parfois, les témoignages de co-détenus417 constituent

également des indices à partir desquels la violation de l’article 3 sera présumée.

En matière de présomption de responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article 2,

le mécanisme est identique. De deux éléments connus - le placement en détention d’une

personne en bonne santé et son décès pendant la détention - est inféré un élément inconnu : la

responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article 2. Cependant, deux cas méritent d’être

distingués. Dans les cas que nous appellerons présomptions de violation complexe, le corps

du défunt porte des traces de blessures ou de coups : c’est l’obligation négative de ne pas

porter atteinte à la vie dont la violation est présumée. La présomption de responsabilité sur le

fondement de l’article 2 peut alors fort logiquement aller de pair avec une présomption de

violation de l’article 3. Ainsi, dans l’arrêt Salman418, non seulement le décès d’Agit Salman

entraîna une présomption de responsabilité sur le fondement de l’article 2, mais encore les

blessures qu’on lui avait visiblement infligées donnèrent lieu à une présomption de

responsabilité sur le fondement de l’article 3. Il arrive aussi qu’après avoir constaté une

violation du droit à la vie en prenant en compte le décès et les blessures visibles sur le cadavre,

la Cour ne juge même pas utile d’examiner la requête sous l’angle de l’article 3419. Enfin,

dans d’autres cas que nous appellerons présomptions de violation simple, aucune trace de

torture ne peut être décelée sur le corps de la victime : le décès permet certes de présumer une

violation du droit à la vie, mais il est difficile de savoir, lorsque la Cour ne le précise pas, si

c’est l’obligation négative de ne pas porter atteinte à la vie ou l’obligation positive de protéger

la vie qui a été violée. Ainsi, dans l’arrêt Tanli420 après avoir présumé la responsabilité

étatique en raison du décès du fils du requérant, la Cour estime qu’aucune violation de

l’article 3 n’est établie du fait de l’absence de marques ou blessures révélant le recours à la

torture.

416 Par exemple, dans l’arrêt Alsayed Allaham contre Grèce, la Cour infère la responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article 3 d’un certificat médical constatant une perforation du tympan et d’une réduction significative de sa capacité à travailler. CEDH, 18 janvier 2007, Alsayed Allaham c/ Grèce, req. n° 25771/03. 417 CEDH, 8 juillet 1999, 8 juillet 1999, Çaciki c/ Turquie, req. n° 23657/94. 418 CEDH, 27 juin 2000, Salman c/ Turquie, req. n° 21986/93. 419 CEDH, 1er septembre 2006, Taïs contre France, req. n° 39922/03, § 111. 420 CEDH, 10 avril 2001, Tanli c/ Turquie, req. n° 26129/95.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

128

A titre récapitulatif, un tableau des différents faits connus permettant de présumer la

responsabilité de l’Etat pour violation du droit à la vie ou de l’interdiction de la torture peut

être brossé421.

Ensuite, en inférant la responsabilité étatique de simples indices, la Cour déplace

l’objet de la preuve : ce n’est plus la responsabilité de l’Etat que le requérant doit prouver

mais simplement les blessures ou le décès intervenus pendant la détention. En somme, le

requérant est dispensé de prouver l’imputabilité des blessures ou du décès mais non de

prouver les blessures ou le décès. Déplacée, la charge de la preuve est tout simplement

allégée : la preuve des blessures ou du décès est plus aisée à rapporter que celle de la

responsabilité de l’Etat.

Logique, ce constat d’un allégement probatoire semble toutefois en contradiction avec

les énonciations de la Cour. D’après elle, il y aurait une véritable inversion de la charge de la

preuve ; elle énonce en effet que « la charge de la preuve pèse sur les autorités ». La doctrine,

elle aussi, voit dans ces présomptions une « inversion »422 ou un « transfert »423 de la charge

de la preuve.

Déplacement de l’objet de la preuve ou attribution de la charge de la preuve ? L’enjeu

est de taille. En effet, d’après les critères précédemment dégagés, les présomptions

attributives de la charge de la preuve sont des présomptions-postulats devant être distinguées

des présomptions-preuves, lesquelles se contentent de déplacer la charge de la preuve. Par

conséquent, si la charge de la preuve est inversée pour être attribuée à l’Etat, les présomptions

de responsabilité deviendraient axiomatiques. La simple allégation d’une violation de la

Convention suffirait alors à mettre en œuvre ces présomptions-postulats.

Néanmoins, plusieurs arguments démontrent que la notion d’inversion de la charge de

la preuve est vraisemblablement employée abusivement et confirment que les présomptions

de responsabilité sont bien des présomptions-preuves.

Tout d’abord, malgré la volonté affirmée de la Cour d’assurer une protection effective

des droits garantis par la Convention, le recours à une présomption-postulat semble excessif :

le renversement complet de la charge de la preuve ne paraît pas utile pour rééquilibrer le

421 V. Annexe 3 : passage du connu à l’inconnu dans les présomptions de responsabilité sur le fondement des articles 2 et 3 de la CEDH. 422 Florence MASSIAS, « Chronique internationale – Droits de l’Homme », préc.; Claire SAAS, Obs. sous l’arrêt Taïs, AJP, 2006, n° 10 p. 403. 423 Fred DESHAYES, op. cit., p. 408.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

129

procès des droits de l’Homme ; il ferait peser sur l’Etat un fardeau probatoire exagérément

lourd.

Par ailleurs, s’il suffisait d’alléguer une violation des articles 2 et 3 pour que leur

violation soit présumée, des dérives auraient sûrement lieu. Voilà pourquoi un

commencement de preuve est toujours le préalable nécessaire à l’apparition d’une

présomption. Bien sûr, la charge probatoire du requérant est si considérablement amoindrie

qu’elle en paraît dérisoire. Dans cet ordre d’idées, Lydie DUTHEIL-WAROLIN estime qu’il

est difficile de distinguer entre la question de la recevabilité de la requête et celle de

l’établissement au fond de la violation. Selon elle, « concernant la recevabilité de la requête,

on admet que le requérant soit tenu de fournir un commencement de preuve des faits à

l’origine de ses griefs en vue d’apprécier si la requête n’est pas manifestement mal fondée en

vertu de l’article 35-3 de la Convention. Ainsi la requête serait-elle manifestement mal fondée

si les faits ne révélaient même pas une apparence de violation de la Convention. Or, un tel

commencement de preuve est également admis par la Cour en vue d’établir la violation d’un

droit garanti par la Convention »424.

Ces propos méritent d’être nuancés. En effet, si tel était vraiment le cas, toute requête

recevable donnerait donc naissance à une présomption de responsabilité. Or, l’examen de la

jurisprudence montre que la portée du commencement de preuve requis est réelle : il n’est pas

rare qu’après avoir rappelé, au titre des principes généraux que, « lorsqu'une personne est

blessée au cours d'une garde à vue, alors qu'elle se trouve entièrement sous le contrôle de

fonctionnaires de police, toute blessure survenue pendant cette période donne lieu à de fortes

présomptions de fait », la Cour constate qu’aucune présomption ne peut être mise en œuvre en

l’espèce, faute pour le requérant d’avoir fourni le commencement de preuve requis425. Ainsi,

dans l’arrêt Gürü Toprak contre Turquie de 2007, la Cour estime que « le dossier ne donne

lieu à aucune présomption à la charge des autorités policières » dans la mesure où le

requérant n’a fourni aucun commencement de preuve ». De même, dans l’arrêt Ataman, la

présomption n’est pas applicable puisque « les allégations du requérant relatives à un

424 Lydie DUTHEIL-WAROLIN, « La Cour européenne des droits de l’Homme aux prises avec la preuve de violations du droit à la vie ou de l’interdiction de la torture : entre théorie classique aménagée et innovation européenne », RTDH, 2005, pp. 33 sq., p. 335. 425 La Cour se montre même parfois tellement sévère qu’on pourrait penser qu’elle opère un revirement mettant en cause la présomption. Heureusement, les arrêts reflétant cette sévérité sont suffisamment rares pour être considérés comme des exceptions. V. entre autres, CEDH, 6 octobre 2005, H. Y. et Hu. Y. c/ Turquie, req. n°40262/98.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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homicide se résument en réalité à des suppositions »426. Enfin dans l’arrêt Labita, alors même

qu’il ressortait du registre médical de la prison de Pianosa que l’état de santé du requérant

était bon à son arrivée, la Cour refuse de présumer que le requérant a été maltraité en prison

puisque, selon elle, aucune des preuves médicales produites n’est susceptible de constituer un

véritable commencement de preuve.

Ces remarques prennent tout leur sens lorsqu’on les replace au sein de la politique

globale de la Cour EDH, politique qui affermit la thèse d’une différence entre simple

allégation défendable et commencement (même minimal) de preuve d’une violation. Quand

aucun élément ne peut constituer le commencement de preuve nécessaire pour mettre en

œuvre une présomption de responsabilité, mais que l’allégation reste cependant défendable,

l’Etat défendeur est généralement condamné pour défaut d’enquête effective sur le fondement

des articles 2 et 3. Cette solution comporte cependant un risque : la Cour pouvant désormais

conclure à une violation du volet procédural des articles 2 et 3 risque de se montrer plus

exigeante pour conclure à une violation du volet substantiel des dits articles. Cette démarche

pourrait se traduire par une exigence accrue en matière de faits connus pouvant constituer le

commencement de preuve et conduire à un recul du recours aux présomptions de

responsabilité. Certains auteurs427 soulignent ce risque que plusieurs arrêts semblent

accréditer428.

Ainsi, la volonté de la Cour n’est pas d’inverser pleinement la charge de la preuve, ni

son but d’instaurer une présomption de véracité des allégations qui aménagerait une sorte de

responsabilité automatique de l’Etat. Certes, la charge probatoire du requérant est

426 CEDH, 27 avril 2006, Ataman c/ Turquie, req. n° 46252/99, § 53. 427 Selon le Professeur BEERNAERT, « chaque fois que la Cour condamne un Etat du chef de violation de l’article 3 pour n’avoir pas mené une telle enquête effective, (…) la charge de la preuve qui pèse sur le requérant devrait dès lors être allégée, à peine d’en arriver à une situation pour le moins paradoxale dans laquelle la Cour reconnaîtrait que si les éléments de preuve produits devant elles sont insuffisants, c’est par la faute de l’Etat défendeur qui n’a pas mené d’enquête efficace, tout en considérant que c’est le requérant qui doit en faire les frais, dans la mesure où ses allégations de mauvais traitements ne seront pas considérées comme suffisamment étayées ». Marie-Aude BEERNAERT, Obs. sous l’arrêt Labita, « Mafia, maltraitance en prison et repentis », RTDH., 2001, pp. 124 sq., pp. 130-131. 428 Outre l’arrêt Labita, les arrêts Sevtap Veznedaroglu (CEDH, 11 avril 2000, req. n° 32357/94) et H. Y. et HU. Y. (CEDH, 6 octobre 2005, H. Y. et Hu. Y. c/ Turquie, req. n°40262/98) semblent révéler une plus grande sévérité de la Cour dans la mis en œuvre d’une présomption de responsabilité lorsqu’une reconnaissance de la violation du volet procédural de l’article 3 intervient. D’ailleurs, Mmes les Juges VAJIĆ et BOTOUCHAROVA soulignent, dans leur opinion dissidente commune annexée à l’arrêt H. Y. et HU. Y que, dans la mesure où l’Etat n’a pas fourni d’explication plausible au décès du fils des requérant, sa responsabilité devrait être engagée. Elles estiment « que le gouvernement défendeur a ainsi bénéficié d’une situation qu’il a lui-même créée en ne menant pas une enquête sur les faits qui ont conduit à la mort du fils des requérants » et « que les éléments qui ont amené la Cour à constater la violation du volet procédural de l’article 2 (§§ 119 à 129) étaient, de par leur clarté et leur évidence, suffisants pour aboutir à une violation du volet substantiel de l’article 2 ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

131

considérablement allégée tandis que celle de l’Etat est alourdie. Mais l’Etat conserve

cependant deux possibilités pour faire tomber la présomption.

Première possibilité : l’Etat défendeur refuse d’admettre que ses agents ont, par une

action ou une inaction, porté atteinte à l’intégrité d’un détenu. Dans ce cas, il ne pourra pas se

contenter d’apporter une preuve négative. Autrement dit, il ne devra pas seulement démontrer

qu’aucune atteinte à l’intégrité physique du détenu n’a été provoquée par ses agents, encore

faudra-t-il qu’il fournisse « une explication plausible » aux traitements infligés à l’individu : il

devra prouver qu’il a respecté non seulement son obligation négative, mais encore son

obligation positive429. Ainsi, dans l’arrêt Tanribilir 430, la présomption ne joue pas car l’Etat a

prouvé qu’il avait respecté ses obligations au titre de l’article 2 ; la Cour conclut donc à un

suicide que les gendarmes ne pouvaient légitimement prévoir.

Deuxième possibilité : l’Etat défendeur opte pour une stratégie totalement différente.

La présomption ayant été mise en œuvre, il peut essayer de la renverser en prouvant, par

exemple, que les blessures ou le décès du détenu résultent d’un recours à la force, mais d’un

recours légitime et proportionné. Le gouvernement défendeur peut ainsi montrer que les traces

de coups médicalement constatées résultent d’une arrestation mouvementée. Autrement dit,

dans ce cas de figure, l’Etat admet que les faits impliquant ses agents ont été établis mais

soutient que les conditions de mise en jeu de sa responsabilité internationale ne sont pas

réunies pour autant431.

En définitive, il n’est nullement question d’obliger l’Etat à se justifier à la moindre

allégation de mauvais traitement - les arrêts Salgin et Geziki contre Turquie ont clairement

mis en évidence que la présomption doit s’effacer quand commence la « spéculation »432 -

mais seulement de le contraindre à expliquer l’origine des traumatismes, blessures ou décès

survenus pendant une détention.

429 Il semble cependant que la preuve contraire soit parfois difficile à rapporter. Ainsi, dans son opinion dissidente annexée à l’arrêt Pruneanu contre Moldavie, le Juge PAVLOVSCHI se demande si la présomption de responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article 3 n’équivaudrait pas à une présomption selon laquelle les policiers moldaves appliquent la torture. CEDH, 16 janvier 2007, Pruneanu c/ Moldavie, req. n° 6888/03. 430 CEDH, 16 novembre 2000, Tanribilir c/ Turquie, req. n° 21422/93. 431 Ainsi, dans l’arrêt Rivas contre France, le Gouvernement français a vainement tenté de démontrer que la fracture testiculaire infligée au requérant, alors âgé de 17 ans résultait d’un coup porté par un policier en situation de légitime défense. CEDH, Rivas c/ France, 1er avril 2004, req. n° 59584/00. 432 CEDH, 17 mars 2005, Geziki c/ Turquie, req. n° 34594/97 § 48 ; CEDH, 20 février 2007, Salgin c/ Turquie, req. n° 46748/99, § 47.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

132

Par conséquent, les présomptions de responsabilité en matière de droit à la vie et

d’interdiction de la torture relèvent indéniablement de la catégorie des présomptions-preuves

comme les présomptions de discriminations indirectes.

2- Les présomptions de discrimination indirecte

En droit de l’Union européenne, discriminations directes et discriminations indirectes

ont un régime probatoire distinct433. Pour établir une discrimination directe, il faut prouver

l’existence d’une règle ou d’une pratique se référant à un critère prohibé de distinction (par

exemple, le sexe). En revanche, pour établir une discrimination indirecte, il suffit de montrer

que les effets d’une règle ou d’une pratique en apparence neutre, sont discriminatoires. Le

demandeur établit donc seulement l’élément matériel et non l’élément intentionnel, tandis que

le défendeur devra démontrer que les effets de la règle ou de la pratique étaient justifiés

objectivement et non disproportionnés434. Dans l’arrêt D.H. contre République Tchèque, la

Grande Chambre de la Cour de Strasbourg435, s’inspirant ouvertement de ce système

probatoire436, revendique l’utilisation d’une présomption de discrimination indirecte et admet

que les effets néfastes d’une mesure à l’encontre d’une minorité constituent une

discrimination. Concrètement, observant, grâce à des statistiques, que la législation tchèque en

matière de scolarisation, malgré son apparente neutralité, a conduit au placement de

nombreux enfants roms dans des écoles spéciales pour enfants handicapés, la Cour conclut à

l’existence d’une présomption de discrimination indirecte non réfutée par l’Etat défendeur.

C’est un raisonnement similaire qui conduit à un constat de violation de l’article 14 combiné

avec l’article 2 du Protocole 1 dans l’arrêt Sampanis et autres contre Grèce437 relatif, lui-aussi,

au placement d’enfants Roms dans des classes préparatoires spéciales.

Remarquable, cette présomption mérite une analyse plus approfondie, d’une part en

raison des incertitudes quant à la nature du mécanisme qu’elle met en œuvre (a-), d’autre part

en raison des limites de son champ d’application (b-).

433 Jean-François RENUCCI, op. cit., pp. 610-611, § 494. 434 Directive 97/80/CE du Conseil du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe ; Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique ; Directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. 435 CEDH, 13 novembre 2007, D.H. et autres c/ République Tchèque, req ; n° 57325/00. 436 Ibid., V. §§ 81 à 91. 437 CEDH, 5 juin 2008, Sampanis et autres c/ Grèce, req. n°32526/05.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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a- Les incertitudes quant à la nature du mécanisme mis en œuvre

Dans l’arrêt D.H., la Cour observe, d’après les données statistiques présentées par les

requérants, que la législation sur la scolarisation a « eu des répercussions beaucoup plus

importantes sur les enfants roms que sur les enfants non roms, menant à une scolarisation

disproportionnée des premiers dans les établissements spéciaux »438 . Elle estime que,

« lorsque pareil effet discriminatoire d’une législation a été démontré, il n’est pas nécessaire,

dans le domaine de l’éducation comme de l’emploi(…), de prouver que les autorités

concernées étaient animées d’une intention de discriminer »439.

Si l’on s’en tient à ces seules énonciations, le mécanisme mis en œuvre semble être

l’archétype de la présomption-preuve. D’abord, le but poursuivi est celui d’une présomption-

preuve, à savoir faciliter la preuve de la discrimination en allégeant la charge probatoire du

requérant. Ce dernier est dispensé de prouver une quelconque intention discriminatoire des

autorités et peut se contenter de prouver les effets discriminatoires de la mesure, grâce à des

statistiques par exemple. Sans cet allégement probatoire, il serait « en pratique très difficile

pour le requérant de prouver la discrimination indirecte »440. Ensuite, le mode opératoire de

la présomption correspond à celui d’une présomption-preuve : d’un fait connu (les effets

néfastes d’une mesure apparemment neutre sur un groupe de personnes) est inféré un fait

inconnu (la discrimination). L’Etat pourra réfuter la présomption en démontrant que ces effets

défavorables résultent de facteurs objectifs.

Toutefois, la clarté de ces énonciations s’efface, et avec elle l’assurance d’être face à une

présomption-preuve, lorsqu’on s’aperçoit que la Cour a affirmé, quelques lignes auparavant

dans le même arrêt, qu’une discrimination indirecte « n'exige pas nécessairement qu'il y ait

une intention discriminatoire »441. Si la discrimination indirecte n’implique pas l’existence

d’une intention discriminatoire, il ne peut plus être question de présomption : la

discrimination étant constituée par le seul élément matériel qu’est la différence de traitement,

le constat de cette dernière prouvera directement la discrimination.

438 CEDH, 13 novembre 2007, D.H. et autres c/ République Tchèque, req. n° 57325/00, § 193. 439 Ibid., § 194. 440 CEDH, déc°, 6 janvier 2005, Hoogendijk c/ Pays-Bas , req. n° 58461/00. 441 CEDH, 13 novembre 2007, D.H. et autres c/ République Tchèque, req ; n° 57325/00, § 184.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

134

Face à une telle contradiction, on ne peut que souligner les « potentialités immenses »442,

voire inconsidérées, qu’ouvrirait la disparition totale de l’idée d’intention dans la

discrimination indirecte. Cette solution reviendrait « à admettre que ce qui était jusqu’alors

considéré comme juste et neutre par une société, peut en réalité être considéré comme

discriminatoire au regard de seules données statistiques »443. Le juge se verrait ainsi octroyer

un formidable pouvoir de censure dont on voit mal quelle pourrait en être la gestion pratique.

Dans le cadre d’une discrimination sans élément intentionnel, le simple constat du résultat

inégalitaire d’une mesure aboutirait à une reconnaissance automatique de discrimination.

Autoriser - comme le fait la Cour - l’Etat défendeur à tenter de prouver que la différence de

traitement était objectivement justifiée serait inopérant puisque, précisément, « la valeur

ajoutée de la discrimination indirecte par rapport à la discrimination directe » serait « de ne

pas s’attacher au critère de la distinction, qu’il soit volontaire ou non, mais aux effets de

celle-ci »444. En définitive, le fossé qui sépare une discrimination indirecte établie grâce au

seul constat d’une différence de traitement d’une discrimination indirecte dans laquelle

l’intention discriminatoire est présumée est comparable à celui qui, en matière pénale, oppose

les infractions matérielles et les infractions pour lesquelles l’élément moral est présumé. Selon

Virginie HECQUET, « pour les premières, la constitution de l’infraction ne suppose

l’existence d’aucune infraction, tandis que pour les secondes, cette volonté, bien que

présumée, appartient à la structure de l’infraction »445. Ainsi, une contravention, en tant

qu’infraction matérielle, est constituée par la seule matérialité de son résultat, la preuve de

l’absence de volonté infractionnelle demeurant donc inefficiente. En revanche, en matière de

contrefaçon, conformément à l’article 521-2 du Code de la propriété intellectuelle, le

contrefacteur, présumé de mauvaise foi lorsque les faits sont postérieurs à la publicité du

dépôt, peut rapporter la preuve de sa bonne foi446.

Malgré les difficultés d’interprétation de la notion de discrimination indirecte qui tantôt

semble reposer sur une présomption d’intention, tantôt paraît constituée indépendamment de

tout élément intentionnel, trois arguments plaident en faveur de l’utilisation d’une

présomption-preuve pour établir la discrimination indirecte. Premièrement, admettant la

442 DUBOUT Edouard, « L’interdiction des discriminations indirectes par la CEDH : rénovation ou révolution ? Epilogue dans l’affaire D.H. et autres contre République tchèque, CEDH (Grande Chambre), 13 novembre 2007 », RTDH, 2008, pp. 821 sq., p. 828. 443 Ibid., p. 828. 444 Ibid., p. 825. 445 HECQUET Virginie, op. cit., p. 102. 446 Ibid., pp. 107-108.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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rationalité du juge européen447, on peut supposer que celui-ci ne fait rien d’inutile, ni ne se

contredit, et que, par conséquent, l’emploi ostentatoire du terme présomption en l’espèce n’est

pas dû au hasard. Deuxièmement, on peut penser que l’élément intentionnel, parfois

inconscient, n’en est pas moins toujours présent. Même Edouard DUBOUT, qui penche pour

une définition matérielle de la discrimination indirecte et se réjouit des possibilités ainsi

offertes, reconnaît implicitement que l’intérêt majeur de cette solution revient à sanctionner

une intention inavouée et tellement ancestrale qu’elle est, pour ainsi dire, invisible. D’après

cet auteur, « la justification de cette solution tient en ce que la discrimination est bien souvent

le fruit de comportements inconscients, de préjugés sociaux qui entraînent des formes

d’exclusion systémique. Par définition, ces comportements ne sont pas nécessairement voulus,

ils sont le fruit de représentations qui découlent du fonctionnement global d’une société plutôt

que de manifestations de volonté isolées : on parle alors de discriminations « structurelles ».

En l’espèce la Cour prend soin de souligner une certaine hostilité générale de la population à

faire côtoyer leurs propres enfants avec ceux issus de la minorité rom [§ 205] ».

Troisièmement, l’arrêt Sampanis et autres contre Grèce448, situé dans la droite ligne de l’arrêt

D.H., fait pencher la balance en faveur de la catégorie des présomptions-preuves. Dans sa

partie relative à la recherche de l’existence d’une présomption de discrimination, il place le

débat sous l’angle du but poursuivi par les autorités en rappelant dans un premier temps que

« les requérants allèguent que les autorité étatiques poursuivaient la ségrégation des enfants

Roms, tandis que le gouvernement affirme que leur but était de faciliter l’intégration des

enfants d’origine rom aux classes ordinaires (…) ». Après un tel rappel, il semble difficile de

conclure que l’intention discriminatoire est absente de la présomption de discrimination

indirecte.

En définitive, on se demande si l’angle d’analyse de la discrimination en cause dans l’arrêt

D.H. n’aurait pas pu être différent. En effet, si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout, on

s’aperçoit que, si présomption il y a, le seul moyen de la renverser serait de montrer que le

placement des roms dans des écoles spéciales résulte d’un critère objectif. En l’occurrence, ce

critère serait la déficience intellectuelle. Ainsi dans l’arrêt de chambre, la Cour avait refusé

d’admettre une violation de l’article 14 au motif que « le Gouvernement avait réussi à

prouver que le système des écoles spéciales en République tchèque (…) poursuivait le but

légitime de l'adaptation du système d'éducation aux besoins, aptitudes ou déficiences des

447 OST François, loc. cit.. 448 CEDH, 5 juin 2008, Sampanis et autres c/ Grèce, req. n°32526/05.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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enfants »449 et que « les requérants n'avaient pas réussi à réfuter les conclusions des experts

selon lesquelles leurs lacunes intellectuelles étaient telles qu'elles les empêchaient de suivre

le cursus proposé dans des écoles primaires ordinaires »450. A l’aspect peu orthodoxe de cette

preuve contraire s’ajoute son inadéquation certaine : le placement majoritaire des enfants

roms dans des écoles spéciales est dû à l’inadaptation des tests qu’on leur fait passer, tests

identiques pour tous les enfants quel que soit leur environnement, leur milieu socioculturel.

En l’espèce, la discrimination ne provient pas d’une différence de traitement entre Roms et

non Roms, au contraire son origine réside dans l’inadaptation des tests aux enfants Roms,

c’est-à-dire dans l’absence d’un traitement différent à l’égard de personnes dans des situations

sensiblement différentes451.

b- Un champ d’application limité

En admettant que le mécanisme à l’œuvre dans l’arrêt D.H. soit une présomption-preuve,

sa portée reste très relative : la lecture d’autres arrêts révèle les limites de son champ

d’application.

Déjà dans l’arrêt Natchova du 6 juillet 2005, la Grande Chambre de la Cour EDH,

refusant de présumer l’aspect discriminatoire de l’homicide de deux Roms par un membre de

la police militaire énonçait : « La Grande Chambre n'exclut pas la possibilité d'inviter, dans

certains cas où est dénoncée une discrimination, le gouvernement défendeur à réfuter un grief

défendable de discrimination et, s'il ne le fait pas, de conclure à la violation de l'article 14 de

la Convention. Toutefois, lorsqu'il est allégué – comme en l'espèce – qu'un acte de violence

était motivé par des préjugés raciaux, une telle démarche reviendrait à exiger du

gouvernement défendeur qu'il prouve que la personne concernée n'a pas adopté une attitude

subjective particulière. Si dans les ordres juridiques de nombreux pays la preuve de l'effet

discriminatoire d'une politique ou d'une décision dispense de prouver l'intention s'agissant

d'une discrimination qui se serait produite dans les domaines de l'emploi ou de la prestation

de services, cette démarche est difficile à transposer dans une affaire où un acte de violence

aurait été motivé par des considérations raciales »452.

449 CEDH, 13 novembre 2007, D.H. et autres c/ République Tchèque, req ; n° 57325/00, § 125. 450 Ibid., § 126. 451 Ce refus d’appliquer un traitement différent à des personnes en situations différentes est pourtant condamnable sur le fondement de l’article 14 depuis l’arrêt Thlimmenos (CEDH, 6 avril 2000, Thlimmenos c/ Grèce, req. n° 34369/97). 452 Confirmé par CEDH, 13 décembre 2005, Bekos et Koutropoulos c/ Grèce, req. n° 15250/02, § 65.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

137

Les arrêts ultérieurs corroborent cette affirmation : non seulement l’arrêt D.H. puisqu’il

met en œuvre la présomption dans le domaine de l’éducation, domaine proche de ceux cités

dans l’arrêt Natchova, mais encore l’arrêt Cobzaru contre Roumanie453 puisqu’il refuse de

présumer que les mauvais traitements subis par le requérant ont été motivés par des préjugés

raciaux.

Cette application limitée de la présomption surprend454, d’autant plus qu’elle a lieu au

détriment des domaines protégés par les articles 2 et 3, dans lesquels, on l’a vu, la Cour

cherche pourtant à alléger le fardeau probatoire des requérants. Il existe néanmoins plusieurs

explications à ce phénomène.

Dans un premier temps, la Cour a trouvé un palliatif à ses réticences à présumer le

caractère discriminatoire d’un acte violent : la jurisprudence Natchova455 a créé, en matière

d’actes violents, une obligation d’enquête effective en cas de présomption de racisme456.

Lorsque les commencements de preuve sont insuffisants pour présumer que les actes violents

étaient motivés par des mobiles racistes, la non reconnaissance d’une violation du volet

substantiel des articles 2 ou 3 combinés avec l’article 14 est compensée par une

reconnaissance de la violation du volet procédural de ces articles combinés avec l’article 14.

Finalement, une présomption-preuve de discrimination intervient donc, mais uniquement pour

constater la violation du volet procédural. Cependant, la portée de la présomption reste limitée

et l’impression demeure que la violation du volet procédural est l’os à ronger offert par la

Cour aux requérants en attendant d’oser présumer plus courageusement les violations

substantielles.

Dans un deuxième temps, la Cour justifie ses réticences à présumer le caractère raciste

d’un acte violent par les difficultés que rencontrerait l’Etat pour renverser pareille

présomption : « une telle démarche reviendrait à exiger du gouvernement défendeur qu'il

prouve que la personne concernée n'a pas adopté une attitude subjective particulière »457.

Comme le note le Professeur ROSENBERG « ce que semble ici signifier la Cour, c’est qu’on

453 CEDH, 26 juillet 2007, Cobzaru c/ Roumanie, req. n° 48254/99. 454 Sur les difficultés de preuve en matière de discrimination raciale, V. Dominique CACCAMISI « Quand “faire que ce qui est juste soit plus fort” conduit à paralyser la lutte contre la discrimination raciale… Vers une dépénalisation partielle de la discrimination raciale ?», dans CARTUYVELS Yves et al. (dir.), Les droits de l’Homme, bouclier ou épée du droit pénal ?, pp. 427 sq., spéc. pp. 436-444. 455 V. pour le même mécanisme : CEDH, 6 décembre 2007, Petropoulou-Tsakiris c/ Grèce, req. n° 44803/04. 456 Si la Grande Chambre ne soutient pas la création par l’arrêt de chambre d’une présomption de discrimination du fait d’un acte violent en cas de commencement de preuve, elle confirme en revanche la création d’une obligation procédurale au titre de l’article 14 dans ces circonstances. 457 CEDH, 6 juillet 2005, Natchova et autres c/ Bulgarie, req. nos 43577/98 et 43579/98, § 157.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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ne peut demander à l’Etat de faire la preuve de l’intention non discriminatoire d’un de ses

agents, qui a commis un acte de violence, parce qu’il s’agit là d’un élément trop subjectif et

personnel, dont les autorités, qui ne sondent ni les âmes ni les cœurs, sont incapables

d’apporter la preuve »458. La présomption-preuve trouve donc dans l’intention une importante

limite. Si l’on comprend les réticences de la Cour à présumer ainsi l’immatériel, le personnel,

le subjectif, bref les mobiles d’un homicide, on remarque cependant que l’utilisation de la

présomption dans ce domaine contribuerait précisément à l’objectivisation du contentieux. Ce

refus d’objectivisation se traduit par une indifférence de la Cour au contexte, pourtant

révélateur d’un climat de violence raciale459, dans lequel sont intervenus les actes violents

prétendument racistes460. Or, ce contexte pourrait, à l’instar des statistiques dans les domaines

de l’éducation, de l’emploi et de la prestation de service, être un indice laissant présumer la

discrimination461. La timidité de la Cour semble en contradiction avec la politique qu’elle

mène en matière de pratiques administratives dont l’existence est justement présumée grâce

au contexte.

Enfin, dans un troisième temps, on note que la discrimination est plus facilement

présumée lorsqu’elle a une dimension collective. Dans l’arrêt D.H., la présomption de

discrimination indirecte en matière d’éducation s’appuie sur des bases statistiques : le nombre

important d’enfants roms est une des manifestations tangibles de la discrimination462. Lorsque

le caractère discriminatoire d’un acte ponctuel est en cause, on ne peut se référer à des

statistiques463. Les difficultés probatoires sont donc encore plus grandes. Cette constatation,

458 Dominique ROSENBERG, « Quand la Grande Chambre affirme sa prééminence jurisprudentielle en matière de non-discrimination… L’épilogue de l’affaire Natchova », RTDH, 2006, pp. 655 à 665, spéc. p. 659. 459 CEDH, 6 juillet 2005, Natchova et autres c/ Bulgarie, req. nos 43577/98 et 43579/98, §§ 138-139 ; CEDH, 18 mai 2000, Velikova c/ Bulgarie, req. n° 41488/98, § 92. 460 A propos de l’arrêt Velikova (CEDH, 18 mai 2000, Velikova c/ Bulgarie, req. n° 41488/98), le Professeur ROSENBERG constate : « l’observateur ne peut (…) manquer d’éprouver un certain sentiment de frustration, lorsqu’il fait le constat du complet décalage entre l’accumulation d’éléments laissant présumer des pratiques discriminatoires, qui sont d’ailleurs relevées par la Cour (§ 94), et les conclusions qu’elle en tire, où elle rappelle le standard de preuve qui exige un seuil « au-delà du doute raisonnable » et se contente d’en déduire une non violation de l’article 14 en l’espèce ». ROSENBERG Dominique « L’indifférence du juge européen aux discriminations subies par les Roms (En marge de l’arrêt Chapman) », RTDH, 2001, pp. 1017 sq., spéc. p. 1025. 461 Pour un bilan sur la situation des Roms en Euorpe : « Les Roms ou l’âme de l’Europe – Fichés en Italie, méprisés ailleurs », Courrier International, n° 926-927-928 du 1er au 20 août 2008, pp. 26 sq. 462 Dans l’arrêt Sampanis, sans se référer à des statistiques, la Cour prend en compte le fait que les trois classes préparatoires spéciales créées n’étaient composées que d’enfants d’origine rom. CEDH, 5 juin 2008, Sampanis et autres c/ Grèce, req. n°32526/05, § 80-81. 463 Dans son opinion dissidente annexée à l’arrêt Natchova de 2005, Sir Nicolas BRATZA critique le refus de la Cour de présumer la discrimination en matière d’actes violents. Il prend alors plusieurs exemples dans lesquels une telle présomption mériterait d’être mise en œuvre, mais ces exemples ont tous, précisément, une dimension collective : « Je puis parfaitement envisager des cas où, relativement à un homicide commis par un agent de l'Etat, les éléments fournis à la Cour soient de nature à exiger du gouvernement défendeur qu'il établisse que

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

139

loin de refréner l’usage de la présomption, devrait au contraire l’amplifier : le rôle de la

présomption-preuve n’est-il pas justement de remédier à l’absence de preuve directe ?

Présumer seulement les discriminations collectives est dangereux : faudrait-t-il qu’un grand

nombre de personnes d’une même origine ethnique soient victimes d’actes violents pour

présumer la discrimination ? Là encore, une meilleure prise en compte du contexte dans

lequel l’acte violent intervient s’avèrerait utile.

Ainsi, pour donner sa pleine effectivité à l’article 14, l’extension du champ d’intervention

de la présomption-preuve en matière de discrimination serait utile.

En définitive, l’usage que fait la Cour EDH de la présomption-preuve en matière de

respect du droit à la vie et d’interdiction de la torture mais aussi en matière d’interdiction de la

discrimination est incontestablement instructif. D’une part, il confirme l’existence de la

catégorie des présomptions-preuves, mécanismes fondés sur un passage du connu à l’inconnu

dont l’objectif est de faciliter une preuve difficile. D’autre part, il met en évidence les

potentialités extraordinaires de cette technique dont on peut simplement déplorer qu’elle ne

soit pas utilisée d’une manière encore plus extensive.

Il convient à présent de rechercher si Cour de Strasbourg utilise également les autres

présomptions ayant une influence probatoire, à savoir les présomptions-postulats qui

attribuent la charge de la preuve.

§ 2- La présomption-postulat ou l’attribution du fardeau de la

preuve

L’importance d’une relecture du droit des présomptions par le biais du droit européen

des droits de l’Homme se manifeste notamment à travers l’apport de celui-ci concernant les

présomptions-postulats. Grâce à lui, on prend conscience que l’existence des présomptions-

postulats est incontestable (A-) ; grâce à lui on comprend comment celles-ci s’articulent avec

les présomptions-preuves (B-).

l'homicide n'était pas inspiré par des considérations raciales. On peut prendre l'exemple d'une affaire où les preuves montreraient que les tentatives d'arrêter des personnes appartenant à un groupe ethnique particulier ont invariablement ou systématiquement abouti au décès de celles-ci, alors que l'arrestation de personnes d'une autre origine ethnique aurait rarement, voire n'aurait jamais entraîné mort d'homme. On peut également envisager des affaires où les éléments de preuve indiqueraient que dans le cadre de la préparation d'une opération d'arrestation, ce n'est que lorsque des personnes d'une certaine origine ethnique étaient impliquées que les agents chargés de l'arrestation ont été munis d'armes à feu ou autorisés à en faire usage ». Cela confirme l’idée que l’aspect discriminatoire d’un acte ponctuel est particulièrement difficile à présumer.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

140

A- L’existence incontestable de présomptions-postulats en droit

européen des droits de l’Homme

Considérer, par anticipation, quelque chose comme existant de plein droit, telle est la

définition de la présomption-postulat. Pratiquement, cette définition signifie d’une part que

l’objet de la présomption, établi ex nihilo pour constituer le point de départ d’un raisonnement,

est postulé, d’autre part que la mission de la présomption est d’attribuer la charge de la preuve.

L’existence des présomptions-postulats en droit européen des droits de l’Homme est

incontestable puisque celui-ci offre plusieurs exemples de présomptions qui correspondent à

cette définition tant par leur objet (1-) que par leur mission (2-).

1- Quant à l’objet

Les présomptions-postulats, ainsi nommées parce que leur objet est tout simplement

postulé, ne tiennent nullement compte des contingences factuelles, contrairement aux

présomptions-preuves qui mettent en œuvre un passage du connu à l’inconnu pour induire un

fait de circonstances particulières. Signe d’un parti pris pour une position donnée plutôt que

pour son contraire, on dit souvent des présomptions-postulats qu’elles sont des présomptions

de faveur. Tant le texte conventionnel que la jurisprudence strasbourgeoise font appel à de

telles présomptions.

Dans un premier temps, l’article 6 § 2 de la CEDH selon lequel « Toute personne

accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été

légalement établie » consacre une présomption classique, déjà mentionnée comme le

prototype de la présomption-postulat : la présomption d’innocence. Grâce à l’emploi de la

locution « jusqu’à ce que »464, l’article 6 § 2 met en évidence le fait que l’objet de la

présomption-postulat – en l’occurrence l’innocence – sert de point de départ au

raisonnement : on doit adopter comme position initiale l’idée que toute personne – bien

qu’accusée d’une infraction - est innocente. Puisque l’innocence est ainsi postulée, tout

préjugement – entendu au sens de parti pris ou de position préconçue - sur la culpabilité d’une

personne est exclu ; la jurisprudence relative à l’article 6 § 2 le souligne lorsqu’elle

464 Notons que l’article 11 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme du 10 décembre 1948, selon lequel « Toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie (…) », emploie également l’expression « jusqu’à ce que », tandis que l’article préliminaire du Code de procédure pénale emploie une formulation assez proche : « Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

141

énonce que ladite présomption « se trouve atteinte par des déclarations ou des actes qui

reflètent le sentiment que la personne est coupable et qui incitent le public à croire en sa

culpabilité ou qui préjugent de l'appréciation des faits par le juge compétent »465.

Autrement dit, le fait que certaines présomptions reposent sur un objet postulé a des

répercussions de taille : la présomption d’innocence peut être violée à un stade ante probatoire,

celui, plus subjectif, des prémisses du raisonnement conduisant au constat définitif de

culpabilité. Ainsi, même dans le cadre d’un procès respectant les règles procédurales

d’attribution de la charge de la preuve à l’accusation, la présomption d’innocence peut être

violée par des déclarations faites en amont de la procédure proprement dite par divers

protagonistes466. C’est le cas si ces déclarations révèlent que le parti pris intime n’était pas

celui de l’innocence mais celui de la culpabilité, bref que le postulat d’innocence était

concrètement réduit à néant. Par exemple, les propos d’un procureur « indiquant clairement

que les requérants s’étaient rendus coupables d’incitation à de faux témoignages », quoique

prononcés « dans un contexte indépendant de la procédure pénale elle-même, à savoir

au cours d'une interview diffusée au journal télévisé »467 constituent des préjugements qui

ruinent la présomption d’innocence468. Adopter l’innocence comme base d’un raisonnement

visant à déterminer si une personne est coupable ou non est incompatible avec un

465 CEDH, 4 mars 2008, Samoilă et Cionca c/ Roumanie, req. n° 33065/03, § 92 ; CEDH, 26 juin 2005, Karakaş et Yeşilirmak c/ Turquie, req. n° 43925/98, § 49. 466 A cet égard, l’arrêt Abdülkerim Arslan évoque les « représentants de l’Etat » (CEDH, 20 septembre 2007, Abdülkerim Arslan c/ Turquie, § 20). Ces représentants peuvent être un juge, un tribunal, un policier, un procureur… (V. par exemple CEDH, 4 mars 2008, Samoilă et Cionca c/ Roumanie, req. n° 33065/03, § 92). 467 CEDH, 4 mars 2008, Samoilă et Cionca c/ Roumanie, req. n° 33065/03, §§ 94-95. 468 Dans l’arrêt Allenêt de Ribemont, la présentation sans ambiguïté du requérant par la police comme complice d’un assassinat constitue une déclaration de culpabilité incitant le public à croire en celle-ci et préjugeant de l’appréciation des juges (CEDH, 10 février 1995, Allenêt de Ribemont c/ France, req. n° 15175/89, § 41). Dans l’arrêt Lavents, l’article 6 § 2 est violé en raison des déclarations du magistrat allant dans le sens de la culpabilité (CEDH, 28 novembre 2002, Lavents c/ Lettonie, req. n° 58442/00, § 127). Dans l’arrêt Vitan, l’article 6 § 2 est violé car « le procureur chargé de l'enquête pénale contre le requérant a affirmé, le 19 décembre 2000, lors d'une conférence de presse, que le requérant était coupable de trafic d'influence, alors que sa culpabilité n'a été légalement établie que le 15 mai 2002, date de l'arrêt définitif rendu en l'espèce (…). De même il n'a pas nuancé ses propos ni pris le soin de les situer dans le contexte de la procédure pendante contre le requérant. Dans ces circonstances, la Cour estime que cette déclaration faite par le procureur a pu être perçue comme une déclaration officielle dans le sens que le requérant était coupable alors que sa culpabilité n'avait alors pas encore été légalement établie » (CEDH, 25 mars 2008, Vitan c/ Roumanie, req. n° 42084/02, § 70). De même, dans l’arrêt Ismoilov et autres contre Russie, c’est le contenu d’une décision d’extradition qui viole la présomption d’innocence : « The extradition decisions declared that the applicants should be extradited because they had “committed” acts of terrorism and other criminal offences in Uzbekistan (…). The statement was not limited to describing a “state of suspicion” against the applicants, it represented as an established fact, without any qualification or reservation, that they had been involved in the commission of the offences, without even mentioning that they denied their involvement. The Court considers that the wording of the extradition decisions amounted to a declaration of the applicants' guilt which could encourage the public to believe them guilty and which prejudged the assessment of the facts by the competent judicial authority in Uzbekistan » (CEDH, 24 avril 2008, Ismoilov et autres c/ Russie, req. n° 2947/06, § 168).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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constat469prématuré de culpabilité : c’est comme si l’on résolvait une équation avant même

d’en connaître les données. En revanche, la Cour établit fort logiquement une distinction entre

l’authentique préjugement et la simple mention d’un état de suspicion470: le premier est

incompatible avec la présomption d’innocence car il ruine l’ensemble du raisonnement mené

au cours du procès en anéantissant ses prémisses, tandis que la seconde respecte l’article 6 § 2

car elle n’est que l’expression du raisonnement dont la présomption d’innocence est le

fondement471. A titre d’exemple, dans l’arrêt Chesne contre France472, la Cour estime « qu'en

s'exprimant en des termes clairs et non équivoques quant au rôle exact du requérant et à sa

place dans le réseau délictueux (« il agissait en véritable professionnel du trafic », et était

considéré comme « l'un des principaux trafiquants »), ainsi que sur l'étendue de son

implication dans ce trafic (« dont il tirait très largement bénéfice ») les magistrats de la

chambre de l'instruction de la cour d'appel d'Orléans sont allés au-delà d'un simple état de

suspicion à son encontre »473. Elle en conclut que l’impartialité des deux magistrats de la

chambre des appels correctionnels de la Cour d’appel d’Orléans ayant fait partie de la

chambre de l’instruction de la Cour d’appel d’Orléans pouvait sembler sujette à caution et que

l’article 6 § 1 a été violé474.

Dans un second temps, en matière de présomptions dont l’objet n’est pas induit de

faits connus mais est postulé, l’apport du droit européen des droits de l’Homme ne se limite

pas à la seule consécration conventionnelle de la présomption d’innocence. On ne saurait

ignorer le recours fréquent de la jurisprudence européenne à plusieurs présomptions dont

l’objet paraît bien être simplement postulé.

469 Le Professeur SUDRE constate que pour être critiquable, le préjugement n’a pas à revêtir la forme d’un constat formel : « une simple motivation donnant à penser que le juge considère l’intéressé comme coupable » suffit. Frédéric SUDRE, op. cit., p. 347, § 218. 470 CEDH, 4 mars 2003, Yaşar Kemal Gökçeli c/ Turquie, req. nos 27215/95 et 36194/97, § 47 ; CEDH, 24 avril 2008, Ismoilov et autres c/ Russie, req. n° 2947/06, § 166. 471 Cependant, la distinction établie par la Cour entre le constat de culpabilité et la mention d’un état de suspicion n’est pas toujours d’une grande clarté, comme le révèle l’arrêt Nölkenbockhoff. Cette affaire concernait la demande faite par la veuve d’un citoyen allemand, poursuivi pour plusieurs délits, en vue du remboursement des frais occasionnés par la procédure pénale à laquelle le décès du mari avait mis fin. Cette demande avait été refusée par la juridiction saisie au motif qu’on pouvait s’attendre à une condamnation de l’accusé. Pour la Cour de Strasbourg, un pronostic quant au résultat auquel aurait abouti la poursuite de la procédure était bien en cause, mais il n’impliquait pas un constat de culpabilité : il décrivait seulement la persistance d’un état de suspicion et ne portait pas atteinte à la présomption d’innocence (CEDH, 25 août 1987, Nölkenbockhoff c/ Allemagne, req. n° 10300/83, § 39). V. Wilfrid JEANDIDIER, « La présomption d’innocence ou le poids des mots », RSC, janvier-mars 1991, pp.49-52. 472 CEDH, 22 avril 2010, Chesne c/ France, req. n° 29808/06. 473 Ibid., § 38. 474 Ibid., §§ 39-40.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

143

La jurisprudence de la Cour de Strasbourg recèle notamment diverses traces, plus ou

moins marquées, d’une présomption bien connue en droit international et exprimée par

l’adage « Omnia rite praesumuntur esse acta »475 : la présomption de respect du droit par les

Etats. Cette présomption consiste à considérer a priori, comme point de départ du

raisonnement, que les Etats et les organisations internationales agissent en conformité avec le

droit en général et le droit international en particulier. Elle repose sur une démarche

comparable à celle de la présomption d’innocence, ce que le juge ECER n’a pas manqué de

noter dans l’affaire du Détroit de Corfou : « (…) il y a en droit international en faveur de

chaque Etat une présomption qui correspond à peu près à la présomption d’innocence en

faveur de chaque individu dans le droit national : la presumptio juris qu’un Etat se comporte

en accord avec le droit international »476. Il s’agit donc d’une proposition de départ

s’apparentant à une hypothèse, à une présupposition, qui pourra ou non être confirmée par la

suite.

On trouve une première trace de cette présomption internationaliste dans l’arrêt Klaas

et autres de 1978 où la Cour énonce que, « en l’absence de preuve ou indice montrant que la

pratique réellement suivie est différente, la Cour doit présumer que dans la société

démocratique de la République Fédérale d’Allemagne, les autorités compétentes appliquent

correctement la législation en cause »477. Pour cerner la portée de la présomption de respect

du droit dans la jurisprudence strasbourgeoise, il convient d’évoquer, outre cette résurgence

ponctuelle, ses deux héritières directes : la présomption de régularité dans l’établissement

national des faits et la présomption d’impartialité du juge.

La première signifie que les faits sont présumés régulièrement établis par les

juridictions internes. Comme le constate Fred DESHAYES478, cette présomption de régularité

des faits est indissociable des principes de subsidiarité et d’autonomie de l’appréciation

nationale des preuves. En vertu de ces principes, il n’entre pas dans les attributions de la Cour

« de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux nationaux, auxquels il

appartient en principe de peser les données recueillies par eux »479, ceux-ci étant en principe

475 Gérard NIYUNGEKO, op. cit., pp. 114-118, §§ 104-107 ; GROSSEN Jacques-Michel, op. cit., pp. 60-63. 476 CIJ, 9 avril 1949, Détroit de Corfou, opinion dissidente du juge ECER, Recueil, 1949, p.119. 477 CEDH, 6 septembre 1978, Klaas et autres c/ RFA. 478 Fred DESHAYES, op. cit., pp. 184-185, §§ 486-489. 479 CEDH, 22 septembre 1993, Klaas c/ Allemagne, req. n° 15473/89, § 29 ; CEDH, 5 avril 2005, Nevmerjitski c/ Ukraine, req. n° 54825/00, § 73 ; CEDH, 21 juin 2007, Karagiannopoulos c/ Grèce, § 56 ; CEDH, 20 mai 2008, Tekin et autres c/ Turquie, req. n° 8534/02, § 47.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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« mieux placés et mieux équipés pour établir les faits »480. Elle se justifie également pour des

raisons pratiques : elle épargne à la Cour un réexamen systématique des faits qui équivaudrait

à un alourdissement considérable de sa charge de travail sans toutefois l’empêcher d’y

procéder si le besoin s’en fait sentir.

La seconde exige qu’on présuppose que tout juge est impartial : « l'impartialité

personnelle se présume jusqu'à preuve du contraire »481. Là encore, l’objet de la présomption

est postulé : l’impartialité n’est guère induite d’un ensemble de circonstances, elle est au

contraire admise ex nihilo comme prémisse d’un raisonnement au terme duquel elle pourra

être confirmée ou infirmée.

Par ailleurs, il existerait une autre présomption qu’on peut rattacher, à l’instar des deux

précédentes, à la présomption générale de respect de droit : la présomption de respect de la

Convention européenne par les Etats membres du Conseil de l’Europe. D’après Marina

EUDES, elle « permet[trait] notamment d’exclure le prononcé de mesures provisoires si

l’Etat membre de destination est un membre du Conseil de l’Europe ayant reconnu le droit de

recours individuel : par hypothèse, dans un tel pays, aucun traitement contraire à la

Convention européenne des droits de l’homme ne devrait survenir en principe et, dans le cas

contraire, un recours juridictionnel serait directement exercé contre les autorités nationales

responsables »482. Cependant, son impact est à relativiser puisque la Cour n’hésite pas à

indiquer des mesures provisoires pour empêcher l’extradition vers des pays membres du

Conseil de l’Europe. Ce fut le cas dans l’affaire Chamaïev et autres contre Géorgie et

Russie483 : la Cour indiqua au gouvernement géorgien qu’il était souhaitable, à titre de mesure

provisoire, de ne pas extrader les requérants vers la Russie484.

480 CEDH, 4 mai 2001, McKerr c/ Royaume Uni, req. n° 28883/95, § 117. Dans cet arrêt, la Cour énonce que, « compte tenu des circonstances de l'espèce, une démarche consistant pour elle à tenter d'établir les faits de la cause en convoquant des témoins dans le cadre d'une mission d'enquête serait inopportune et la conduirait à outrepasser le rôle subsidiaire que lui confère la Convention. Une telle initiative reviendrait à répéter les procédures suivies devant les tribunaux civils, lesquels sont mieux placés et mieux équipés pour établir les faits ». 481 CEDH, 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et de Meyere, req. n°s 6878/75 ; 7238/75, § 58 ; CEDH, 10 juin 1996, Pullar c/ Royaume Uni, req. n° 22399/93, § 30 ; CEDH, 10 octobre 2000, Daktaras c/ Lituanie, req. n° 42095/98, § 30 ; CEDH, 21 décembre 2000, Egmez c/ Chypre, req. n° 30873/96, § 56 ; CEDH, 22 avril 2004, Cianetti c/ Italie, req. n° 55634/00, § 37 ; CEDH, 7 juin 2005, Chmeliř c/ République tchèque, req. n° 64935/01, § 56. 482 EUDES Marina, La pratique judiciaire interne de la CEDH, Paris, A. Pedone, 2005. 483 CEDH, 12 avril 2005, Chamaïev et autres c/ Géorgie et Russie, req. n° 36378/02. 484 De même, le 11 août 2008, le Gouvernement Géorgien dans le cadre d'une requête interétatique contre la Fédération de Russie, a demandé des mesures provisoires que la Cour a acceptées.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

145

On pourrait citer d’autres présomptions permettant de considérer quelque chose

comme existant de plein droit485. On pense notamment à la présomption instaurée par l’arrêt

Bosphorus486 sur laquelle nous reviendrons plus tard : selon cette présomption la protection

des droits fondamentaux offerte par le droit de l’Union européenne serait équivalente à celle

résultant du droit de la CEDH. Cependant, à ce stade de notre étude, ces quelques exemples

semblent suffisants pour constater l’existence de présomptions reposant sur un objet postulé

en droit de la CEDH. Néanmoins, avant de les qualifier définitivement de présomptions-

postulats, il est préférable de s’assurer que leur mission est bien celle de ce type de

présomptions.

2- Quant à la mission

D’après les éléments de théorie générale que nous avons essayé de dégager en Titre 1,

les présomptions-postulats présentent deux caractéristiques fondamentales487 : d’une part leur

objet est postulé, d’autre part leur mission consiste à attribuer la charge de la preuve. Ces

deux caractéristiques sont indissociables : puisque l’objet postulé reflète l’état des choses

devant être pris en compte comme fondement du raisonnement, il revient, fort logiquement, à

celui qui le conteste de prouver ses allégations. En d’autres termes, celui qui ne partage pas

l’hypothèse de départ doit prouver la fausseté de celle-ci.

Ainsi, en droit de la CEDH comme en droit interne, la présomption d’innocence

repose sur le mécanisme suivant : l’innocence est l’état des choses admis à titre d’hypothèse

initiale quand on cherche à déterminer si un individu est ou non coupable ; l’accusation doit

ensuite prouver la culpabilité de l’accusé. La Cour de Strasbourg, suivie par la doctrine488, le

rappelle clairement dans sa jurisprudence en énonçant fréquemment que « (…) la charge de la

preuve pèse sur l’accusation »489. L’arrêt Capeau contre Belgique490 offre un exemple

485 V. infra. 486 CEDH, 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yollari Turizm Ve Ticaret Anonim Şirketi c/ Irlande, req. n° 45036/98. 487 V. supra, le chapitre consacré aux présomptions-postulats. 488 Patricia HENNION, Preuve pénale et droits de l’Homme, Presses universitaires du Septentrion, coll. Thèse à la carte, 1998, p. 21 ; Franklin KUTY, Justice pénale et procès équitable – Exigence de délai raisonnable, présomption d’innocence, droit spécifique du prévenu, Vol. 2, Larcier, 2006, § 1061 ; Jean-Pierre MARGUENAUD, op. cit., p. 99 ; Jean-François RENUCCI, op. cit.., p. 456, § 354. 489 CEDH, 6 décembre 1998, Barberà, Messegué et Jabardo c/ Espagne, req. n° 10590/83, § 77 ; CEDH, 23 juillet 2002, Janosevic c/ Suède, req. n° 34619/97, § 97 ; CEDH, 28 novembre 2002, Lavents c/ Lettonie, req. n° 58442/00, § 125 ; CEDH, 13 janvier 2005, Capeau c/ Belgique, req. n° 42914/98, § 25 ; CEDH, 4 octobre 2007, Anghel c/ Roumanie, req. n° 28183/03, § 54 ; CEDH, 24 juillet 2008, Melich Beck c/ république Tchèque, req. n° 35450/04, § 49. 490 CEDH, 13 janvier 2005, Capeau c/ Belgique, req. n°42914/98.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

146

d’application de cette règle. L’affaire avait trait au refus d’accorder une indemnité à un

requérant pour sa détention provisoire, au motif que, même si les charges pesant sur lui étaient

insuffisantes pour le renvoyer devant les juridictions du fond, il n’avait tout de même pas

rapporté la preuve de son innocence. Pour la Cour, « (…) on ne saurait à bon droit renverser

purement et simplement la charge de la preuve dans le cadre de la procédure introduite à la

suite d’une décision définitive de non-lieu à des poursuites. Le fait d’exiger d’une personne

qu’elle apporte la preuve de son innocence (…) révèle une atteinte à la présomption

d’innocence. (…) dans le domaine du droit pénal, le problème de l’admission des preuves doit

notamment être envisagé au regard de l’article 6 § 2 et exige entre autres que la charge de la

preuve pèse sur l’accusation »491. Autre exemple, l’arrêt Kabili de 2008 constate la violation

de l’article 6 § 2 puisque « la cour d’appel s’est contentée de considérer le requérant

responsable de sa détention provisoire en se fondant uniquement et sans autre précision sur

la circonstance que celui-ci avait failli à apporter la preuve de son innocence. (…) ce

raisonnement a renversé la charge de la preuve au détriment du requérant qui s’est ainsi

trouvé dans l’obligation de prouver son innocence « afin d’être remis en liberté ». Or, un tel

raisonnement semble difficilement compatible avec le principe de la présomption

d’innocence » qui « impose qu’une personne accusée ne se voie, à aucun stade de la

procédure pénale engagée à son encontre, dans l’obligation de prouver son innocence. Ceci

est d’autant plus vrai lorsqu’une personne ne fait plus l’objet d’une accusation ou a été déjà

acquittée, comme en l’espèce »492.

Les autres présomptions précédemment évoquées attribuent elles aussi la charge de la

preuve à leur adversaire. Considérées dans leur ensemble, elles sont des déclinaisons de la

présomption de respect du droit dont Gérard NIYUNGEKO a déjà dit qu’elle désigne la partie

titulaire de la charge de la preuve puisqu’il revient à la partie « qui prétend que son adversaire

a violé le droit international par ses actes ou son comportement de prouver ses assertions »493.

Considérées séparément, chacune d’entre elles doit être renversée par son adversaire qui

supporte donc la charge de la preuve. Premièrement, si la Cour a considéré dans l’arrêt Klaas

de 1978 que les autorités allemandes ont correctement appliqué la législation, c’est parce

qu’aucune preuve ou indice n’a renversé la présomption-postulat de respect du droit en

laissant supposer que la pratique réellement suivie était différente. Deuxièmement, si les

491 Ibid., § 25. 492 CEDH, 31 juillet 2008, Kabili c/ Grèce, req. n° 28606/05, § 26. 493 Gérard NIYUNGEKO, op. cit., p. 125, §114.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

147

requérants renversent la présomption de régularité des faits en prouvant que leur

établissement par les juridictions internes est sujet à caution, la Cour peut les réexaminer.

Troisièmement, concernant la présomption d’impartialité du juge, l’enjeu est, là encore, « de

fournir des preuves permettant de renverser la présomption »494.

Enfin, la présomption-postulat, si elle n’est pas la possession prématurée d’une

solution, est cependant une proposition hypothétique initiale qui pourra être conservée à

défaut d’une autre. Par conséquent, sa véritable portée apparaît lorsque le doute subsiste : si

l’adversaire de la présomption-postulat ne parvient pas à s’acquitter de sa tâche probatoire,

que des incertitudes persistent, la situation restera conforme à l’état des choses initialement

présumé. Cette règle est particulièrement visible en matière de présomption d’innocence : elle

est formulée par le célèbre adage « in dubio pro reo »495, selon lequel, comme le rappelle la

Cour, « le doute profite à l’accusé »496. En réalité, elle vaut pour toute présomption-postulat.

Ainsi, dans l’arrêt Gomez De Liaňo y Botella, la Cour estime que « les allégations du

requérant concernant l'amitié proche du magistrat en cause avec l'avocat de l'un des

plaignants, à supposer même qu'elles puissent être considérées comme prouvées », ne sont

pas suffisantes pour renverser la présomption d’impartialité du juge497.

L’existence de la catégorie des présomptions-postulats est donc incontestablement

confirmée par le droit européen des droits de l’Homme. Néanmoins cette confirmation appelle

trois remarques.

La première remarque tient à l'emploi prépondérant par le droit de la CEDH de

présomptions-postulats renforçant le principe traditionnel d’attribution de la charge probatoire

au demandeur, « actori incumbit probatio ». De présomptions opérant un véritable

renversement de la charge de la preuve, il n’est jamais question. Cette exclusion n’a rien

d’étonnant : on avait certes déjà évoqué la possible existence de ce type de présomptions mais

aussi leur rareté et les risques engendrés pour les droits de la défense498.

494 CEDH, 15 décembre 2005, Kyprianou c/ Chypre, req. n° 73797/01, § 119 ; CEDH, 22 juillet 2008, Gomez De Liaňo y Botella c/ Espagne, req. n° 21369/04, § 61. 495 CEDH, 27 septembre 2007, Vassilios Stravapoulos c/ Grèce, req. n° 35522/04, § 39 ; CEDH, 24 juillet 2008, Melich et Beck c/ République Tchèque, req. n° 35450/04, § 49. 496 CEDH, 6 décembre 1988, Barberà, Messegué et Jabardo c/ Espagne, req. n° 10590/83, § 77. V. Jean-Claude SOYER et Michel DE SALVIA, « Article 6 », dans PETTITI Louis-Edmond et al. (dir.), op. cit., p. 269 sq. 497 CEDH, 22 juillet 2008, Gomez De Liaňo y Botella c/ Espagne, req. n° 21369/04, § 61. 498 V. supra, la question de l’inversion de la charge de la preuve.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

148

La deuxième remarque est liée à la transcendance des présomptions axiomatiques,

transcendance que le droit de la CEDH conforte. Les présomptions-postulats dépassent

allègrement leur seule fonction attributive de la charge de la preuve : tenant pour existants des

faits non démontrés (l’innocence, le respect du droit, l’impartialité, etc.), elles orientent tout le

raisonnement qu’elles fondent ; elles « permettent au tribunal de prendre en compte un fait

qui n’est pas prouvé (…) ce qui est un effet positif qui ne saurait résulter du principe de

répartition de la charge de la preuve »499 . A l’échelle du droit de la CEDH, cette

transcendance est particulièrement visible en matière de présomption d’innocence : la Cour

reconnaît que celle-ci peut-être violée « soit par la présentation d’une personne comme

coupable avant qu’elle ne soit jugée comme telle », donc à un stade ante probatoire, « soit par

le fait de faire peser sur la personne poursuivie la charge de la preuve de son innocence »,

donc à un stade probatoire.

La troisième et dernière remarque est liée au quantum de preuve requis pour détruire la

présomption-postulat. En principe, on le sait, une preuve légère n’est pas suffisante pour

renverser une telle présomption. Par conséquent, les présomptions-preuves sont donc

théoriquement exclues à titre de preuve contraire. La pratique prenant parfois le contre-pied

de la théorie, cette question mérite qu’on s’y arrête et qu’on examine plus précisément

l’articulation entre présomptions-postulats et présomptions-preuves.

B- L’articulation entre présomptions-postulats et présomptions-

preuves

La question qu’il convient de résoudre à présent peut être formulée ainsi : est-il

concevable de renverser une présomption-postulat au moyen d’une présomption-preuve

contraire ? Au premier abord, cette question paraît pour le moins paradoxale : la lutte

fratricide évoquée semble difficilement envisageable pour des raisons de cohérence. Pourtant,

malgré l’apparent conflit de présomptions ainsi créé (1-), la réfutation d’une présomption-

postulat par une présomption-preuve contraire serait en définitive possible (2-).

1- Un apparent conflit de présomptions

En droit européen des droits de l’Homme, il existe au moins deux cas dans lesquels une

présomption-postulat entre en concurrence avec des présomptions-preuves contraires : la

499 Gérard NIYUNGEKO, op. cit., p. 126, § 114.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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présomption d’innocence peut être renversée par des présomptions de culpabilité (a-), tandis

que la présomption d’impartialité peut l’être par des présomptions de partialité (b-).

a- Présomption-preuve de culpabilité contre présomption d’innocence

Le sort réservé aux présomptions de culpabilité par la Cour européenne mériterait une

analyse détaillée500. Pour l’heure, nous nous contenterons d’évoquer l’absence de réticence de

la Cour européenne à l’égard de ces présomptions, malgré leur apparente incompatibilité avec

la présomption d’innocence. Il est aujourd’hui acquis que « (…) la Convention ne prohibe pas

les présomptions de fait ou de droit en matière pénale » et que « l'article 6 § 2 ne se

désintéresse (...) pas des présomptions de fait ou de droit qui se rencontrent dans les lois

répressives. Il commande aux Etats de les enserrer dans des limites raisonnables prenant en

compte la gravité de l'enjeu et préservant les droits de la défense »501. Bref, la Cour

européenne considère que la présomption d’innocence n’empêche pas un recours aux

présomptions de culpabilité. Ainsi a-t-elle validé l’existence de présomptions de culpabilité en

matière douanière502, en matière fiscale503 ou encore en matière de responsabilité du directeur

de publications504. Néanmoins, l’usage de ces présomptions n’en constitue pas moins, aux

yeux de la doctrine, une véritable atteinte à la présomption d’innocence : certains évoquent

des « tempéraments »505 à la présomption d’innocence, d’autres de véritables « exceptions »506

et le titre d’un article de G. ZDROJEWSKI concernant l’arrêt Salabiaku résume clairement

l’enjeu du problème : « la présomption d’innocence contre la présomption de culpabilité »507.

b- Présomption-preuve de partialité contre présomption d’impartialité

Traditionnellement, la doctrine considère que le droit de la CEDH établit une distinction

entre impartialité subjective et impartialité objective. La première permet de déterminer « ce

que tel juge pensait en son for intérieur en telle circonstance », la seconde consiste à

500 V. infra, l’admission des présomptions nationales en matière répressive, signe d’un contrôle européen limité. 501 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83, § 28 ; CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87, § 33 ; CEDH, 23 juillet 2002, Janosevic c/ Suède, req. n° 34619/97, § 101. 502 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France ; CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87. 503 CEDH, 23 juillet 2002, Janosevic c/ Suède, req. n° 34619/97, JCP 2003 –I – 109, n°13, obs. F.SUDRE. 504 CEDH, 30 mars 2004, Radio France c/ France, req. n° 53984/00. 505 Jean-François RENUCCI, op. cit., pp. 460, § 356. 506 Bohumil REPIK, « Réflexions sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant la présomption d’innocence », dans Liber amicorum Marc-André Eissen, Bruylant, Bruxelles, Paris, LGDJ, 1995, pp. 331 sq., spéc. p. 338. 507 G. ZDROJEWSKI, « La présomption d’innocence contre la présomption de culpabilité », Gaz. Pal., 25-27 juin 1989, pp. 4 sq.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

150

rechercher « si le juge offrait des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime »508.

Cette seconde démarche, fondée sur l’apparence509, met en œuvre une présomption-preuve :

elle vise à faciliter une preuve difficile à apporter grâce à un passage du connu à l’inconnu - à

partir de faits connus510 (le cumul de certaines fonctions511 par exemple), on conclut à

l’existence d’un fait inconnu, à savoir un risque de partialité.

Pour sa part, la Cour rappelle fréquemment, on le sait, qu’il existe une présomption

simple d’impartialité. On peut donc s’étonner que nul n’ait relevé ce problème de

compatibilité entre la présomption axiomatique d’impartialité et les présomptions-preuves de

risque de partialité. En réalité, cette indifférence s’explique aisément : le discours

strasbourgeois manquant parfois de clarté, il est difficile de savoir si la présomption-postulat

d’impartialité a une portée générale ou si elle vaut simplement dans le cadre de la démarche

subjective (ce qui éliminerait tout problème de compatibilité, puisque les présomptions-

preuves de partialité n’interviennent que lors de la démarche objective). D’un côté, la Cour

énonce que « dans le cadre de la démarche subjective (…) l’impartialité personnelle d’un

magistrat se présume jusqu’à preuve du contraire » 512 , laissant ainsi penser que la

présomption est limitée à la seule démarche subjective. D’un autre côté, elle affirme que,

« même si dans certains cas il peut s’avérer difficile de fournir des preuves permettant de

renverser la présomption, l’exigence d’impartialité objective fournit, il convient de le

508 CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c/ Belgique, req. n° 8692/79, § 30 ; CEDH, 116 décembre 2003, Grieves c/ Royaume-Uni, req. n° 57067/00, § 69 ; CEDH, 15 décembre 2005, Kyprianou c/ Chypre, req. n° 73797/01, § 118. 509 D’après Maître DE GOUTTES, la conception objective « est fondée sur le risque de partialité au vu de “l’apparence” ». Régis DE GOUTTES, « L’impartialité du juge. Connaître, traiter et juger : quelle compatibilité ? », RSC, janvier-mars 2003, pp. 63 sq., spéc. p. 66. 510 Cette présomption de fait n’a pas de caractère automatique et consiste dans une analyse in concreto, pesée précise de chaque donnée pouvant faire présumer le risque d’impartialité. Ainsi dans l’arrêt Tedesco, la Cour rappelle « que le simple fait, pour un juge, d'avoir pris des décisions avant le procès ne peut passer pour justifier en soi des appréhensions relativement à son impartialité. Ce qui compte, c'est l'étendue des mesures adoptées par le juge avant le procès. De même, la connaissance approfondie du dossier par le juge n'implique pas un préjugé empêchant de le considérer comme impartial au moment du jugement sur le fond. Enfin, l'appréciation préliminaire des données disponibles ne saurait non plus passer comme préjugeant l'appréciation finale. Il importe que cette appréciation intervienne avec le jugement et s'appuie sur les éléments produits et débattus à l'audience » (CEDH, 10 mai 2007, Tedesco c/ France, req. n° 11950/02, § 58). V. aussi : CEDH, 24 août 1993, Nortier c/ pays Bas, req. n° 13924/88 ; CEDH, 22 avril 1994, Saraiva de Carvalho c/ Portugal, req. n° 15651/89, § 35. 511 Sur cette question, V. : Adeline GOUTTENOIRE, obs. sous l’arrêt Hauschildt c/ Danemark, dans SUDRE Frédéric et al., Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’Homme, 5ème éd. mise à jour, Thémis droit, PUF, Paris, 2009, p. 329 sq. 512 CEDH, 24 mai 1989, Hauschildt c/ Danemark, req. n° 10486/83, § 47 ; CEDH, 15 décembre 2005, Kyprianou c/ Chypre, req. n° 73797/01, § 119.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

151

rappeler, une garantie importante de plus »513. On peut interpréter cette affirmation comme

révélant la généralité de la présomption-postulat d’impartialité, présomption que la démarche

subjective serait bien souvent inapte à renverser ce qui justifierait le recours à une démarche

objective. Face à ce manque de cohérence de la jurisprudence européenne, la doctrine

majoritaire514 soutient, pour sa part, que la présomption d’impartialité ne se rattache qu’à la

démarche subjective. Voilà pourquoi le fait que la démarche objective repose sur des

présomptions de partialité passe inaperçu.

Néanmoins, on peut penser avec Damien ROETS que « (…) l’approche de la notion

d’impartialité par la CEDH n’est pas sans ambiguïté : elle semble opposer impartialité

objective et impartialité subjective – ou personnelle. Or, en logique pure, une telle opposition

est sans fondement : l’impartialité est ou n’est pas. La formule utilisée par la doctrine,

d’« impartialité objective » (…) n’est donc recevable qu’en tant qu’elle est une commodité de

langage. Mais elle ne doit pas induire en erreur : il n’y a pas d’un côté, les règles relevant de

l’impartialité objective et, de l’autre, celles procédant de l’impartialité subjective. Il est plus

juste de dire que le droit ne pouvant appréhender l’impartialité que par des règles et des

mécanismes a priori - sauf rares exceptions - , en se fondant sur des éléments objectifs,

l’impartialité - la démarche - objective a pour fin l’impartialité subjective »515. On peut

également rejoindre Madame le Professeur FRICERO lorsqu’elle constate que « la partialité

est toujours un phénomène subjectif, quelle qu’en soit la cause » et que la preuve de celle-ci

« repose sur une démarche objective pour la Cour européenne (qui pose une présomption

simple d’impartialité que le requérant doit renverser par des éléments extérieurs) »516.

Finalement, loin d’être associée exclusivement à la démarche subjective, la présomption-

postulat d’impartialité revêt, au contraire, une dimension générale. Autrement dit, il existe

systématiquement une présomption simple d’impartialité que le requérant doit renverser. Pour

ce faire, il peut utiliser ce que la Cour appelle la démarche subjective et tenter de prouver que

le juge était animé par un préjugé. Cette démarche a peu de chances d’aboutir517car il faudrait

que le juge ait manifesté clairement sa partialité518. C’est pourquoi le requérant peut aussi

513 CEDH, 10 juin 1996, Pullar c/ Royaume-Uni, req. n° 22399/93, § 32 ; CEDH, 15 décembre 2005, Kyprianou c/ Chypre, req. n° 73797/01, § 119. 514 Régis DE GOUTTES, loc. cit., p. 65 ; Adeline GOUTTENOIRE, obs. préc.. 515 Damien ROETS, Impartialité et justice pénale, Paris, Cujas, 1997, pp. 18-19. 516 Nathalie FRICERO, Mémento - Droit européen des droits de l'Homme, Paris, Gualino, 2007, p. 134. 517 Jean-Pierre MARGUENAUD, op. cit., p. 83. 518 CEDH, 16 septembre 1999, Buscemi c/ Italie, req. n° 29569/95, § 68.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

152

utiliser une démarche objective et essayer de démontrer que les circonstances étaient de nature

à faire naître des doutes sérieux dans son esprit et qu’un risque de partialité existait. Cette

démarche permet de contrecarrer beaucoup plus facilement que la précédente la présomption

initiale d’impartialité par l’intermédiaire de présomptions-preuves appliquant la théorie des

apparences. Lesdites présomptions sont comparables aux présomptions d’élément moral en

droit pénal qui induisent d’un élément matériel particulièrement révélateur de la volonté

infractionnelle. En matière d’impartialité - celle-ci étant entendue comme « la qualité de celui

qui apprécie ou juge (lato sensu) une personne, une chose, une idée sans parti pris favorable

ou défavorable » -, c’est un risque de partialité qui serait présumé à partir d’éléments

concrètement très significatifs519. Par exemple dans l’arrêt Tedesco520, la Cour sanctionne la

présence du rapporteur au délibéré de la chambre régionale des comptes statuant en matière

de gestion de fait: elle induit de « la nature et de l’étendue de ses tâches » - il avait été à

l’origine de la saisine et avait participé à la formulation des griefs contre le requérant521 – un

risque de partialité du fait de sa présence lors du délibéré522 .

Ainsi, en droit de la CEDH, une présomption-preuve de partialité ou, plus précisément, de

risque de partialité permet bien de renverser la présomption initiale d’impartialité du tribunal.

Présomptions-preuves contre présomptions-postulats : voilà une situation qui à toute

l’apparence d’un conflit de présomptions. Mais les apparences sont parfois trompeuses et le

conflit apparent pourrait bien n’être que le signe d’un agencement présomptif des plus

logiques.

2- La possible réfutation d’une présomption-postulat par une présomption-

preuve contraire

Les présomptions-preuves de partialité sont-elles des exceptions à la présomption-postulat

d’impartialité ? Les présomptions-preuves de culpabilité sont elles des exceptions à la

présomption d’innocence ? N’aboutiraient-elles pas, comme le prétend Patricia HENNION, à

519 On peut également constater l’existence de présomptions de risque de partialité dans la pratique judiciaire interne de la Cour de Strasbourg, présomptions elles aussi liées à la théorie des apparences. Ainsi ne peuvent être juges à la Cour européenne, d’une part les militants des droits de l’Homme qui risqueraient d’être favorables au requérant, d’autre part les personnes qui occupent un poste au sein de la fonction publique, d’un parti ou d’un organe politique car elles risqueraient d’être favorables à leur Etat d’origine. Le risque de partialité est induit dans les deux cas d’une qualité particulière du candidat. Sur cette question, V. Marina EUDES, op. cit., p. 49-50. 520 CEDH, 10 mai 2007, Tedesco c/ France, req. n° 11950/02. 521 Ibid., § 61. 522 JDI, juillet-août-septembre 2008.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

153

« (…) un illogisme, dont le droit pénal [et le droit de la CEDH peut-on ajouter] semble

s’accommoder : l’accusé est présumé coupable de façon irréfragable, alors qu’il est

constitutionnellement présumé innocent »523 ?

Au premier abord, l’utilisation de présomptions-preuves pour renverser des présomptions-

postulats n’apparaît pas comme un procédé d’une grande honnêteté intellectuelle. Présumer

axiomatiquement un état des choses, pour faire ensuite voler en éclat cette présomption au

moyen d’une présomption contraire semble absurde ; il est tentant d’assimiler cette démarche

à une tentative pour concilier l’inconciliable, pour sortir au plus vite de difficultés probatoires.

Cependant, un examen plus poussé révèle que la combinaison de présomptions-postulats

avec des présomptions-preuves contraires ne choque en rien les règles de la logique juridique.

En effet, bien que permettant toutes deux de considérer comme existant quelque chose qui

n’est pas prouvé, elles n’interviennent pas au même moment et ne reposent pas sur le même

mode opératoire.

La présomption-postulat intervient au début du raisonnement pour l’orienter dans une

direction particulière: elle indique d’une part l’état des choses initial devant être pris en

compte à titre d’hypothèse, d’autre part la solution qui prévaudra en cas de doute,

lorsqu’aucune preuve décisive permettant de faire pencher la balance en faveur d’une solution

contraire n’aura pu être rapportée. La présomption-preuve, quant à elle, intervient

ultérieurement, au cœur même du raisonnement, pour aider un des plaideurs à apporter une

preuve difficile. L’alliance de ces deux types de présomptions dans un même raisonnement

peut donc s’avérer parfaitement harmonieuse : si la présomption-postulat attribue la charge de

la preuve à l’un des plaideurs, pourquoi ce dernier ne pourrait-il pas s’aider d’une

présomption-preuve (qui déplacera l’objet de la preuve d’un fait difficile à prouver vers un

fait plus facile à prouver) pour s’acquitter de sa tâche probatoire ?

Reprenons l’exemple de la présomption d’innocence. En vertu de ladite présomption,

l’accusation doit prouver la culpabilité de l’accusé. Il faudrait donc une véritable inversion de

la charge de la preuve pour violer la présomption d’innocence. Or, les présomptions-preuves

de culpabilité - dont l’accusation pourra éventuellement s’aider pour prouver la culpabilité -

n’opèrent nullement une inversion de la charge de la preuve : elles se contentent, comme toute

présomption-preuve, de déplacer l’objet de la preuve vers un élément plus facile à prouver.

523 Patricia HENNION, op. cit., p. 45.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Il en va exactement de même en matière d’impartialité : du fait de sa subjectivité, la

partialité est difficile à prouver. Celui qui l’allègue doit la prouver conformément à la

présomption-postulat d’impartialité. Pour ce faire, il peut utiliser une présomption-preuve qui

déplacera l’objet de la preuve de la partialité notamment vers un cumul de fonctions. Par

exemple, dans l’arrêt Gomez De Liaňo y Botella, la Cour européenne induit du fait que tous

les membres de la juridiction de jugement étaient déjà intervenus « dans de nombreux actes

d'instruction dont, en particulier, l'appel contre l'ordonnance d'inculpation prononcée à

l'encontre du requérant » un risque d’impartialité524.

En définitive, croire que les présomptions de culpabilité sont des exceptions à la

présomption d’innocence et, plus largement, qu’il est illogique de renverser une présomption-

postulat par une présomption-preuve contraire, procède d’une méconnaissance du mécanisme

présomptif et de la croyance générale selon laquelle les présomptions-preuves inversent la

charge de la preuve alors qu’elles ne font que déplacer son objet.

Si la réfutation d’une présomption-postulat par une présomption-preuve contraire est

envisageable, elle semble en revanche ruiner la thèse de l’unité du mécanisme présomptif et la

confiner au rang de leurre. En effet, à travers ce mécanisme de présomption contre

présomption, on perçoit comme distinctes, selon l’ordre de leur succession dans le

raisonnement juridique, chacune des présomptions qui concourent à sa réalisation. Il ne faut

pas perdre de vue qu’à l’instar du mouvement d’un être humain qui, décomposé en de

multiples étapes, perdrait toute signification, le mouvement de pensée qui donne naissance

concomitamment à la fois à une présomption-postulat et à une présomption preuve ne peut

être fragmenté. Il est unique, il est volonté d’anticipation sur une réalité inconnue. La

destruction d’une présomption-postulat par une présomption preuve contraire procède donc

d’un subtil jeu d’équilibre présomptif permis par les nuances de mécanisme général de la

présomption. Mais elle ne remet pas en cause l’unité fondamentale de la présomption.

Concernant les présomptions-postulats, l’analyse du droit européen des droits de l’homme

s’avère donc fructueuse : non seulement elle confirme les hypothèses émises à leur sujet dans

la théorie générale - il s’agit bien de présomptions dont l’objet est postulé et qui attribuent la

charge de la preuve - mais encore elle montre qu’elles peuvent, le cas échéant, se concilier au

524 Gomez De Liaňo y Botella c/ Espagne, req. n° 21369/04, § 71. V. aussi : CEDH, 28 octobre 1998, Castillo Algar c/ Espagne, req. n° 28194/95, § 50 ; CEDH, 25 juillet 2002, Perote Pellon c/ Espagne, n° 45238/99, § 51.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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sein d’un même raisonnement avec des présomptions-preuves contraires, celles-ci permettant

de renverser celles-là.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

156

Section 2- Un type de présomption en amont de la jurislation

L’analyse du droit européen des droits de l’Homme confirme l’influence probatoire de

deux types de présomptions : la présomption-preuve et la présomption-postulat. Confirme-t-

elle également l’existence du troisième type de présomptions, la présomption-concept ?

Singulière entre toutes, cette dernière est d’abord syncrétiste puisqu’elle parvient à concilier

certaines caractéristiques de ses deux consœurs : elle repose, comme la présomption-preuve,

sur un passage du connu à l’inconnu et fonde, à l’instar de la présomption-postulat, une sorte

de présupposé à partir duquel le juriste raisonne. Par ailleurs, elle est fuyante pour ne pas dire

insaisissable : constituant le motif d’une jurislation, elle se situe en amont de celle-ci et, par là

même, est fréquemment implicite. Pour cette raison, repérer les présomptions-concepts

pourrait, malgré leur importance qualitative, apparaître comme une gageure. Heureusement, le

droit de la CEDH, magnanime, en laisse transparaître certaines. Ainsi peut-on dès à présent

évoquer la présomption-concept d’existence des voies de recours internes : il semble que le

principe de subsidiarité – et, plus précisément, la règle de l’épuisement des voies de recours

internes qui n’est qu’une application dudit principe en ce qu’elle « vise (…) à ménager la

souveraineté et la susceptibilité des Etats en leur permettant de remédier par leurs propres

ressources juridiques aux situations attentatoires au droits de l’Homme »525 - présuppose

l’existence d’un recours interne. En d’autres termes, si l’on exige des requérants qu’ils

épuisent les voies de recours internes, c’est qu’on présuppose leur existence. Il s’agirait d’une

présomption-concept d’existence des voies de recours internes située en amont de l’article 35

de la CEDH526. En outre, on rencontre souvent une autre présomption-concept, celle de la

vulnérabilité des personnes détenues. Doublement originale, cette présomption-concept est

non seulement jurisprudentielle, mais encore explicite. Autrement dit, elle ne fonde pas un

article de la Convention mais le raisonnement du juge européen ; celui-ci l’évoque

expressément en tant que source de l’obligation positive des Etats de protéger les détenus

lorsqu’il énonce qu’ « il y a lieu de présumer qu'un détenu, enfermé dans un espace clos,

525 Jean-Pierre MARGUENAUD, op. cit., p. 6. 526 Par exemple, l’arrêt Selmouni (CEDH, 28 juillet 1999, Selmouni c/ France, req. n° 25803/94, § 74) énonce que « Les Etats n’ont donc pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d’avoir eu la possibilité de redresser la situation dans leur ordre juridique interne. Cette règle se fonde sur l’hypothèse, objet de l’article 13 de la Convention – et avec lequel elle présente d’étroites affinités – que l’ordre interne offre un recours effectif quant à la violation alléguée. De la sorte, elle constitue un aspect important du principe voulant que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l’homme ». V. aussi : CEDH, 1er mars 2006, Sejdovic c/ Italie, req. n° 56581/00, § 43 ; CEDH, 27 mars 2008, Azevedo c/ Portugal, req. n°20620/04, § 17.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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ayant peu de contacts avec ses proches ou avec le monde extérieur et constamment soumis à

l'autorité de l'administration de la prison, présente un degré de vulnérabilité certain »527.

A peine évoquée, la présomption-concept ouvre donc de multiples perspectives en

droit de la CEDH : son étendue y semble vaste et moins discrète qu’on aurait pu le croire.

Néanmoins, à ce stade de l’étude, nous ne nous attarderons pas sur l’ensemble des

présomptions-concepts européennes ; pour l’heure, l’une d’entre elles seulement retiendra

l’attention. S’agissant de vérifier si le droit de la CEDH corrobore l’existence de la

présomption-concept telle que définie dans la théorie générale, seul l’exemple le plus édifiant

de présomption-concept offert par ce dernier - celui de la présomption de dangerosité des

marginaux – (§ 1) sera examiné, ainsi que son mode de fonctionnement (§ 2).

§ 1- L’exemple de la présomption-concept de dangerosité des

marginaux

Que peuvent donc bien avoir en commun l’article 488 du Code civil et l’article 5 § 1 e)

de la CEDH ? A première vue, rien. L’un définit l’âge de la majorité ; l’autre énonce de façon

détaillée quelles personnes peuvent être privées de liberté et dans quelles circonstances528 ; il

ajoute aux cas classiques de détentions liées à une infraction pénale, celui de personnes qui,

527 CEDH, 15 juin 2006, Moisejevs c/ Lettonie, 15 juin 2006, req. n° 64846/01, § 180 ; CEDH, 15 juin 2006, Kornakovs c/ Lettonie, req. n° 61005/00, § 164 ; CEDH, 30 novembre 2006, Igors Dmitrijevs c/ Lettonie, req. n° 61638/00, § 95. Parfois, la Cour évoque la vulnérabilité des détenus comme source de l’obligation de les protéger sans employer le terme de présomption. On ne saurait en déduire un changement de nature du procédé ; il s’agit toujours d’une présomption-concept judiciaire : la vulnérabilité des détenus est toujours induite de leur situation de sujétion et d’enfermement et elle demeure le motif sous-jacent de la nécessité de les protéger (V. notamment : CEDH, 5 juillet 2005, Troubnikov c/ Russie, req. n° 49790/99, § 68 ; CEDH, 1er juin 2006, Taïs c/ France, req. n° 39922/03, § 84 ; CEDH, 16 octobre 2008, Renolde c/ France, req. n° 5608/05, § 83). 528 C’est d’ailleurs ce qui fait son originalité par rapport aux autres textes protecteurs du droit à la liberté. Sources internationales : La D.U.D.H. du 10 décembre 1948 énonce dans son article 3 que « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne » et dans son article 9 que « Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ni exilé ». L’article 9 du Pacte Internationale Relatif aux Droits Civils et Politiques du 16 décembre 1966 énonce que « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut faire l’objet d’une arrestation ou d’une séquestration arbitraire. Nul ne peut être privé de sa liberté, si ce n’est pour des motifs et conformément à la procédure prévue par la loi ». Sources nationales : Les articles 2 et 7 de la D.D.H.C. du 26 août 1789 disposent respectivement que « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression » et que « Nul ne peut être accusé, arrêté, ni détenu que dans les cas déterminés par la loi et selon les formes qu’elle a prescrites ». La Constitution du 4 octobre 1958 affirme, dans son article 66, que « Nul ne peut être arbitrairement détenu. L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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quoiqu’innocentes pénalement, sont susceptibles d’être détenues du seul fait de leur état: les

marginaux. Selon cet article :

« Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf

dans les cas suivants et selon les voies légales :

(…)

e) S’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie

contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ».

Pourtant à bien y regarder, on s’aperçoit que ces deux articles ont en partage un élément

fondamental : leur mode de construction. Tous deux attachent en effet des conséquences

juridiques précises à une caractéristique humaine : la majorité à l’âge de 18 ans, la possibilité

d’une détention à la marginalité. Or, on l’a dit, l’article 488 du Code civil, est bâti sur une

présomption-concept selon laquelle, à un âge donné, toute personne est mature et apte à gérer

ses biens. Sans doute l’article 5 § 1 e), apparemment injustifié, est-il lui aussi lié à une

présomption-concept expliquant la détention des marginaux. On devine qu’il pourrait s’agir

d’une présomption de dangerosité. Qu’est-ce qui - plus que la dangerosité – pourrait en effet

justifier une privation de liberté ?

Ainsi, la singulière catégorisation opérée par l’article 5 § 1 e) (A-) ne saurait être

autrement expliquée que par la présence sous-jacente d’une présomption de dangerosité des

marginaux (B-).

A- La singulière catégorisation de l’article 5 § 1 e)

Si la CEDH contient une disposition étonnante, c’est incontestablement l’article 5 § 1 e)529.

Il semble inouï, voire paradoxal, qu’un texte voué à la protection des droits de l’Homme

consacre expressément la possibilité de détenir530 des personnes pénalement innocentes.

Pourtant, l’article 5 § 1 e) n’énumère pas de façon anodine cinq types précis d’individus

pouvant être détenus en dehors de toute infraction pénale. Ce faisant, il opère une véritable

529 Thomaïs DOURAKI, La Convention européenne des droits de l’Homme et le droit à la liberté de certains malades et marginaux, Paris, LGDJ, 1986. 530 CEDH, 16 juin 2005, Storck c/ Allemagne, req. n° 61603/00, § 74 : la notion de privation de liberté au sens de l'article 5 § 1 comporte « un aspect objectif, à savoir l'internement d'une personne dans un certain espace restreint pendant un laps de temps non négligeable » et un « aspect subjectif » lié à l’absence de consentement de la personne concernée à son internement.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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catégorisation. Ainsi sa cohérence, voilée par l’apparente hétérogénéité des personnes qu’il

vise (1-), se révèle dans le but clair qu’il poursuit : autoriser la détention des marginaux (2-).

1- Une cohérence voilée par l’apparente hétérogénéité des personnes

concernées

Loin d’être le fruit du hasard, l’énumération de l’article 5 § 1 e) revêt la rigueur

caractéristique d’une catégorie au sens juridique531, entendue comme une construction

rassemblant « des personnes dont une caractéristique au moins est identique et apparemment

objective »532. Malades contagieux, aliénés, alcooliques, toxicomanes et vagabonds ont en

effet un point commun primordial – flagrant même aux yeux des profanes - pouvant justifier à

lui seul leur amalgame : la marginalité533. Elle peut reposer soit sur un problème de santé

(maladie contagieuse, aliénation), soit sur un problème social (le vagabondage), soit sur un

problème médico-social (alcoolisme et toxicomanie). Dans l’arrêt Guzzardi contre Italie, le

message est clair : malades contagieux, aliénés, alcooliques, toxicomanes et vagabonds sont

des personnes « toutes socialement inadaptées »534. Ces individus présentent donc un trouble

social ou médical, voire médico-social, dû à l’état mental, à l’état de santé ou au mode de vie.

Dans tous les cas de figure de l’alinéa e), on trouve donc deux aspects - la maladie, et le

problème social - lesquels sont toujours liés et peuvent résulter indifféremment l’un de l’autre.

La qualification envisageable du vagabondage en « maladie sociale » 535 illustre ce

phénomène. Ainsi, ce n’est pas l’état d’alcoolisme, de toxicomanie, d’aliénation, de maladie

ou de vagabondage en tant que tel qui lie les individus cités à l’article 5 § 1 e), mais plutôt la

nouvelle situation qu’il engendre : « l’inadaptation sociale », notion confuse s’il en est, que

531 Yaël ATTAL-GALLY, Droits de l’Homme et catégorie d’individus, Paris, LGDJ, 2003, p. 3. Pour cet auteur, « la catégorie se définit comme un agrégat d’individus ayant au moins en commun une spécificité de nature intrinsèque comme l’âge, le sexe, l’état de santé, le handicap, ou extrinsèque, comme l’extranéité. Ces caractéristiques identifient un individu autant qu’elles le différencient des autres ». 532 Ibid., p. 3. 533 D’après le CNRTL, la marginalité désigne ce « qui est en marge de ou n'est pas conforme aux normes, aux critères admis ou retenus dans un système donné ». Le marginal est donc une « personne vivant ou se situant en marge d'un groupe social déterminé ou plus généralement de la société dans laquelle elle vit », bref un asocial. [http://www.cnrtl.fr/definition/marginal], (2010-06-02). 534 CEDH, 6 novembre 1980, Guzzardi c/ Italie, req. n° 7367/76. 535 Yves VARGAS, « Paresse et friponnerie », Cités, philosophie, politique, histoire, PUF, n° 21, 2005. L’auteur qualifie non le vagabondage mais la paresse de « maladie sociale ». Il souligne : « Il semble bien établi que Rousseau n’accorde à la paresse aucune vertu et qu’elle soit à la racine de nombreux vices ; bref elle est une sorte de maladie sociale ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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l’on pourrait rapprocher de la déviance536 et dont on pressent déjà qu’elle engendre une forme

de dangerosité, laquelle est indissociable du but poursuivi par la catégorisation.

2- Un but précis : autoriser la détention des marginaux

Le regroupement des marginaux poursuit un but clair, lequel est l’essence même de la

catégorisation ainsi opérée : autoriser la détention de ces cinq types de déviants. A cet égard,

les arrêts Witold Litwa contre Pologne et Enhorn contre Suède537 précisent d’ailleurs qu’« il

existe un lien entre ces catégories de personnes, en ce qu’elles peuvent être privées de leur

liberté pour être soumises à un traitement médical ou en raison de considérations dictées par

la politique sociale, ou à la fois pour des motifs médicaux et sociaux ». Ainsi le but de la

catégorisation de l’article 5 § 1 e) confine à la prophylaxie sociale. A ce titre, la détention des

marginaux peut-être analysée comme une mesure de contrôle social et, plus juridiquement,

comme une mesure de police administrative.

a- La détention des marginaux, une mesure de contrôle social

Il va sans dire que la détention de l’alinéa e), intervenant hors le champ pénal, n’est

pas une peine538. Compromis entre une répression pénale inadaptée aux déviants car trop

sévère et une absence totale de contrôle de leur état qui avoisinerait le laxisme, elle rappelle la

notion de contrôle social définie comme « l’ensemble des moyens sur lesquels les composants

d’un groupe social s’imposent entre eux le respect des règles qu’ils se sont données »539.

Cette approche intuitive est confirmée par les travaux de Jacques ELLUL540. Il

considère que l’un des modes de réaction de notre société face au déviant est sa « soumission

à un contrôle social » visant à mettre ledit déviant hors d’état de nuire, à le contraindre à

intérioriser les valeurs transgressives, puis à le normaliser, à l’intégrer. Ainsi, l’article 5 § 1 e)

536 Jacques ELLUL, Déviances et déviants dans notre société intolérante, Paris, coll. trajets, Erès, 1992, p. 13. Selon cet auteur, « dans la déviance, il y a à la fois transgression d’une norme, mauvaise intégration de l’individu qui assimile mal les valeurs dominantes, et à la fois développements institutionnels qui rejettent des groupes ne correspondant pas au modèle social conforme au bon fonctionnement de la société ». 537 CEDH, 4 avril 2000, Witold Litwa c/ Pologne, req. n° 26629/95, § 60 ; CEDH, 25 janvier 2005, Enhorn c/ Suède, req. n° 56529/00, § 43. 538 Frédéric DESPORTES et Francis LE GUNEHEC, Droit pénal général, 12ème éd., Paris, Economica, 2005, p. 32. D’après ces auteurs, « rétributive, la peine est une souffrance infligée en compensation du mal causé à la société (…). Eliminatrice, elle a pour objet d’empêcher le condamné de nuire à la société (…).Intimidatrice, la peine doit à la fois dissuader le condamné de récidiver (intimidation individuelle) et décourager d’éventuels candidats à la délinquance (intimidation collective) ». 539 Définition donnée par Lygia NEGRIER-DORMONT s’appuyant sur les travaux de Maurice CUSSON, dans son ouvrage intitulé Criminologie (Paris, Litec, 1992, p. 175). 540 Jacques ELLUL, op. cit., pp. 51-52.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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semble poursuivre les objectifs traditionnels d’une mesure de contrôle social : protection du

corps social par la contrainte éventuellement, contrôle des comportements physiques et

psychiques, volonté de réinsertion, etc541.

b- La détention des marginaux, une mesure de police administrative

Le Professeur CHAPUS542, soutient que la moralité publique – au cœur de la notion de

contrôle social précédemment évoquée – est une composante de la notion d’ordre public,

lequel pourrait être vu « en tant que bon ordre moral » : « si la protection d’un certain bon

ordre moral est au nombre des buts légaux du pouvoir de police, ce dernier peut être exercé

pour prévenir (ou faire cesser) le trouble de conscience susceptible d’être provoqué par des

faits publics considérés comme contraires à la morale et aux bonnes mœurs ». Par conséquent,

si la détention des marginaux autorisée par l’alinéa e) est, sociologiquement, une mesure de

contrôle social, elle est, juridiquement, une mesure de police administrative tendant au

maintien de l’ordre public.

L’ordre public, est-il besoin de le rappeler, est construit autour d’un triptyque regroupant

tranquillité, salubrité et sécurité publiques. Dans le cadre de l’alinéa e), pour chaque type

d’individu, la volonté de protéger les trois éléments constitutifs de l’ordre public est présente,

l’accent étant mis plus particulièrement sur l’une des composantes selon le trouble concerné.

Pour le malade contagieux, il s’agit surtout de protéger la salubrité publique543, pour les

vagabonds, la tranquillité publique. L’hospitalisation psychiatrique d’office, l’une des forme

de la détention d’un aliéné au sens de l’article 5 § 1 e), est le parangon de la mesure de police

administrative dont le but est de protéger, préventivement, l’ordre public. L’article L 3213-1

du Code de la santé publique indique clairement qu’elle vise les « personnes dont les troubles

541 Ibid., pp. 51-52. L’auteur reprend la définition du contrôle social de Danièle LOSCHAK dans son article « Espace et contrôle social » (Centre, périphérie, territoire, 1978). Le contrôle social est « l’ensemble des processus conscients ou inconscients, spontanés, suscités ou imposés par lesquels une société assure les conditions de sa reproduction, demeure une et la même, maintient sa cohésion dans le temps et l’espace, surmonte éventuellement en les occultant ses contradictions internes, désamorce les tensions qui menacent, à terme, sa survie. Le contrôle social suppose le pouvoir sans préjuger des formes dans lesquels il s’exerce (…). Ce champ d’investigation comprend ainsi l’ensemble des mécanismes par lesquels sont obtenus la soumission des individus et l’intégration sociale (…) il inclut à la fois la violence physique et la violence symbolique, l’assujettissement des corps et le contrôle des consciences, la répression et la manipulation, la contrainte et la persuasion, l’inculcation des valeurs et l’imposition des pratiques, l’appel à la raison comme à l’imaginaire ou au désir… ». 542 René CHAPUS, op. cit., pp. 707 et sq. 543 CEDH, 25 janvier 2005, Enhorn c/ Suède, req. n° 56529/00. Dans cet arrêt, parmi les critères de détention du malade contagieux, la Cour cite la nécessité de cette détention pour éviter la propagation d’une maladie dangereuse pour la santé ou la sécurité publique.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte,

de façon grave, à l'ordre public ».

Finalement, cette première approche de l’article 5 § 1 e) a tenté de démontrer que la

possible détention des marginaux est inséparable de la notion de dangerosité. Si la société

exerce un contrôle sur les marginaux, si l’on autorise, par des mesures de police

administrative, la détention de certains d’entre eux, c’est parce qu’ils sont considérés comme

susceptibles de troubler l’ordre public, bref parce qu’ils sont tenus pour potentiellement

dangereux. En d’autres termes, la nature de ce type de privations de liberté – mesures de

police administratives en droit français - révèle clairement que la dangerosité sociale est le

motif fondamental de la détention des déviants.

B- La présomption sous-jacente de dangerosité des marginaux

La seule formulation de l’article 5 § 1 e) ne permet pas de saisir pourquoi il autorise les

détentions de marginaux. Néanmoins, d’après une première approche, de telles détentions

constituent des mesures de police administrative qui reposent, par hypothèse, sur la

dangerosité des personnes visées. Ce constat permet d’envisager la thèse suivante : si les

marginaux peuvent être privés de liberté, c’est que l’article 5 § 1 e) s’appuie sur une

présomption sous-jacente de dangerosité de ces individus. L’énigme de cet article, implacable

de concision, se résoudrait donc en une présomption-concept (1-) qui mérite une analyse

critique (2-).

1- Une présomption-concept

L’article 5 § 1 e) semble fondé sur l’idée selon laquelle les marginaux représentent un

danger pour la société. Le contexte de cet article n’est donc pas celui d’une dangerosité avérée

ou prouvée, loin s’en faut. C’est au contraire celui d’une dangerosité inavouée, rampante, plus

pressentie que vécue. A ce titre, la place de la dangerosité dans cet article est

incontestablement celle d’une présomption et, plus exactement, d’une présomption-concept.

Présomption tout d’abord car la dangerosité sociale des marginaux est bien admise par

anticipation sur une réalité qui n’est pas prouvée : le processus à l’œuvre correspond bien à la

définition générale de recherche du mécanisme présomptif.

Présomption-concept ensuite puisque la présomption de dangerosité présente les deux

caractéristiques traditionnelles de cette catégorie de présomptions. D’une part, la présomption

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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de dangerosité n’intervient pas à n’importe quel stade du raisonnement : implicite, elle se

situe en amont de l’article 5 § 1 e) et constitue simplement le motif dudit article. Voilée par la

formulation épurée de l’alinéa e), elle n’en constitue pas moins sa raison d’être : on peut

détenir certaines personnes en raison de leur marginalité précisément parce qu’on présume

que cette marginalité est potentiellement dangereuse pour la société. D’autre part, comme

toute présomption-concept, la présomption de dangerosité tient à la fois de la présomption-

preuve et de la présomption-postulat. Proche de la première, elle repose sur le même mode

d’inférence, c’est-à-dire un passage du connu (la marginalité) vers l’inconnu (la dangerosité).

Voisine de la seconde, elle est une sorte de présupposition, d’a priori à partir duquel on

raisonne : les rédacteurs de la Convention, en rédigeant l’article 5 § 1 e), ont présupposé la

dangerosité des marginaux. Autrement dit, la dangerosité sociale544 de certains individus a été

induite de leur marginalité (entendue au sens d’inadaptation sociale). Sans être directement

visible dans le champ juridique, cette inférence a ensuite engendré l’alinéa e) de l’article 5 § 1

qui autorise sans plus de précision la détention des malades contagieux, aliénés, alcooliques,

toxicomanes et vagabonds.

2- Analyse critique

D’après les éléments de théorie générale que nous avons tenté de dégager en Titre 1, la

présomption-concept avoisine souvent l’arbitraire et peut aisément se muer en préjugé.

L’analyse de la présomption européenne de dangerosité des marginaux renforce cet aspect

négatif de la présomption-concept. Retranchée derrière la jurislation qu’elle motive, la

présomption-concept n’a pas besoin de la même apparence de rigueur que la présomption-

preuve traditionnelle. La présomption-concept de dangerosité en témoigne. Réminiscence de

craintes ancestrales d’individus pénalement innocents mais coupables socialement qu’on

enfermait autrefois dans des asiles, léproseries, Workhouses et autres hospices, elle recèle

indéniablement une subjectivité empreinte d’arbitraire.

544 Pour définir la dangerosité sociale des marginaux de l’alinéa, on peut s’inspirer des définitions de la dangerosité criminelle et de la dangerosité psychiatrique. « Dans son acception criminologique, la dangerosité peut se définir comme “un phénomène psychosocial caractérisé par les indices révélateurs de la grande probabilité de commettre une infraction contre les personnes ou les biens”. L’évaluation de l’état dangereux se confond alors avec le pronostic de la réitération et de la récidive » (C. DEBUYST, IIème cours international de criminologie de Paris en 1953, in Rapport d’information Assemblée nationale, n°1718, du 7 juillet 2004, sur le traitement de la récidive des infractions pénales, p. 45) tandis que la dangerosité psychiatrique serait « un risque de passage à l’acte principalement lié à un trouble mental, et au notamment au mécanisme et à la thématique de l’activité délirante » (Santé, justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de la récidive. Rapport de la Commission Santé-Justice, présidée par Monsieur Jean-François BURGELIN, juillet 2005).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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A l’instar de la présomption-preuve, la présomption-concept repose sur un passage du

connu à l’inconnu qui s’opère grâce à l’intervention conjuguée de deux modes d’appréciation

objectifs, la probabilité et l’expérience, et d’un mode d’appréciation subjectif, la volonté. Or,

la présomption de dangerosité des marginaux révèle qu’en matière de présomption-concept,

même les deux premiers éléments, la probabilité et l’expérience, peuvent se teinter de

subjectivité.

Tout d’abord, la probabilité de passage à l’acte n’a ici rien de la rigueur mathématique. Un

exemple suffit : le rapport de la Commission santé-justice précise que « tous les psychiatres

auditionnés par la commission se sont montrés sceptiques quant à l’existence d’une

corrélation entre criminalité et troubles mentaux »545.

Ensuite, l’expérience en matière d’internements des marginaux ne peut pas non plus être

assimilée, sans mauvaise foi, à un mode d’appréciation objectif : elle est en effet l’héritage

des efforts séculaires de réglementation du comportement des individus nuisibles, efforts qui

se sont souvent traduits par un ostracisme à l’égard des marginaux. On pense notamment à la

condamnation des aliénés pour sorcellerie à la fin du Moyen-Age546, à l’assimilation des

« insensés » et « furieux » aux « animaux féroces et malfaisants »547, à l’instauration en 1534,

sous le règne de François 1er du supplice de la roue pour les vagabonds548, au grand

renfermement du XVII ème siècle ou encore à la relégation consistant dans la transportation

des mendiants vers les colonies549.

En définitive, il existe un lien particulièrement profond entre ces deux registres

d’expérience, l’objectif et le subjectif, systole et diastole de la présomption-concept. Ils se

mêlent jusqu’à devenir inextricables. L’empirique devient subjectif puisque l’expérience en

matière d’internement est elle-même le fruit de préjugés ancestraux. Le probable le devient

doublement puisque l’objet de la présomption - la dangerosité - est lui-même une simple

probabilité de risque de passage à l’acte. La volonté s’objectivise car la création de la

catégorie de l’alinéa e), résultat direct de la présomption de dangerosité, implique

545 Santé, justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de la récidive. Rapport de la Commission Santé-Justice, préc., p. 8. 546 Au XXème siècle encore, la frontière était incertaine, c’est pourquoi Joseph de TONQUEDEC, « exorciste diocésain », publia un ouvrage intitulé Les maladies nerveuses ou mentales et les manifestations diaboliques (5ème éd., Beauchesne et ses fils, Paris, 1938). Le but de cet ouvrage était d’éclairer les prêtres sur les principaux types de morbides que la religion assimilait à des cas de possession afin d’éviter des erreurs. 547 Michel FOUCAULT, Histoire de la folie à l’âge classique, coll. Tel, Gallimard, 1972. 548 Julien DAMON, Des hommes en trop. Essai sur le vagabondage et la mendicité, Paris, Ed. de l’Aube, 1995. 549 André ZYSBERG, Les Galériens – Vies et destins de 60 000 forçats sur les galères de France – 1680-1748, coll. « L’univers historique », Paris, Seuil, 1987, pp. 59-116.

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indéniablement de la rigueur de la part du jurislateur (qui a d’ailleurs exclu certains types de

marginaux de l’alinéa e)550). Pour inquiétant qu’il puisse paraître, ce mélange des genres n’en

est pas moins logique : la présomption-concept est la moins juridique de toutes les

présomptions, elle est le lien entre la rigueur de la jurislation et l’affect du jurislateur et

rappelle simplement que toute règle de droit a des fondements concrets et intuitifs.

Cela dit, si l’on pousse le raisonnement jusqu’aux limites du jugement de valeur, on

peut comparer la présomption de dangerosité des marginaux à une quasi présomption de

culpabilité et, plus précisément, à une présomption de risque de culpabilité. En effet, la

présomption de dangerosité est, concrètement, une présomption de risque de passage à

l’acte551, une présomption de risque de nuisance des marginaux. Dans le même ordre d’idées,

on note la grande proximité de la détention des marginaux, mesure de police administrative,

avec une peine pénale, et celle de la présomption-concept de dangerosité avec une

présomption de culpabilité. En vérité, si l’on conjugue la dangerosité et le risque de

culpabilité, on obtient un terme intermédiaire, celui de suspicion, qui semble parfaitement

adapté à la situation des malades contagieux, des aliénés, des alcooliques, des toxicomanes et

des vagabonds. Ce terme est approprié puisqu’il englobe la notion de risque de culpabilité et

celle de présomption. A ce titre, il faut évoquer le travail de M. Gildas ROUSSEL sur la

suspicion552. D’une part, cet auteur a montré que la suspicion fonctionne sur le même

mécanisme que la présomption (il s’agirait d’une inférence inductive553 accordant un grand

poids à l’expérience554 et basée sur une logique probabiliste555) et aboutit à une « culpabilité

présumée »556. On peut donc employer en lieu et place de l’expression « présomption de

culpabilité » celle de « suspicion ». D’autre part, cet auteur a démontré que le soupçon peut

« naître d’un doute sur la probité d’une personne. Il procède d’un sentiment défavorable et

devient synonyme de défiance »557. Les marginaux de l’alinéa e) sont indéniablement des

personnes dont la société se méfie, qu’elle tient pour suspectes : du fait de leur état de

déviance les marginaux sont des coupables en puissance, des individus sur lesquels pèsent

doutes et soupçons. Bien sûr, ce doute n’est pas suffisant pour faire naître une authentique

550 Ainsi, on ne trouve aucune allusion dans l’alinéa e) à la déviance sexuelle. 551 CEDH, 20 avril 2010, Villa c/ Italie, req. n° 19675/06. En l’espèce, la dangerosité sociale du requérant est constituée notamment par « un manque de contrôle de ses pulsions agressives » (§ 46). 552 Gildas ROUSSEL, op. cit.. 553 Ibid., pp. 55-56, §§ 44-46. 554 Ibid., pp. 51-52, § 38. 555 Ibid., pp. 53-54, §§ 42-43. 556 Ibid., p. 117, § 131. 557 Ibid., p. 69 § 64.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

166

suspicion : encore faut-il qu’il soit affermi par d’autres éléments plus objectifs : « Le doute

peut alors être à l’origine du soupçon mais son caractère subjectif ne suffira pas à fonder une

suspicion pénale s’il n’est pas corroboré par d’autres éléments objectifs »558. Aussi peut-on

penser que la présomption-concept de dangerosité des déviants, pénalement innocents mais

coupables socialement, serait une suspicion-concept559.

Dans cet ordre d’idées, il n’est d’ailleurs pas anodin qu’on retrouve en droit interne

l’exact parallèle de cette présomption de dangerosité dans un contexte clairement pénal : celui

de la rétention de sûreté560 introduite dans notre droit par la loi n° 2008-174 du 25 février

2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de

trouble mental561. Destinée à réduire le risque de récidive, elle consiste à placer dans des

centres socio-médico-judiciaires de sûreté les personnes d’une « particulière dangerosité

caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu’elles souffrent d’un trouble

grave de la personnalité » et ayant été condamnées à une peine de réclusion criminelle d’une

durée égale ou supérieure à 15 ans pour l’un des crimes énumérés à l’article 706-53-13 du

Code de procédure pénale562.

A l’instar de la possible détention des marginaux, la rétention de sûreté repose sur une

présomption-concept de dangerosité563. Autrement dit, dans un cas comme dans l’autre, la

privation de liberté est une possibilité qui trouve sa source dans une présomption de

dangerosité. Certains individus précisément définis – les marginaux ou les personnes ayant

commis certaines infractions - peuvent être détenus car on les considère comme

potentiellement dangereux. Toute proportion gardée, on note d’ailleurs que les deux

catégories présumées dangereuses entretiennent une certaine proximité : le risque de récidive,

558 Ibid., p. 69 § 64. 559 Thomaïs DOURAKI, op. cit., p. 18. L’opinion de cet auteur sur l’alinéa e) de l’article 5 est sans ambiguïté : « la disposition de l’alinéa e) de l’article 5 § 1 de la Convention reflète la conception juridique positiviste, laquelle tient pour nécessaire la marginalisation de certaines catégories de personnes considérées comme dangereuses pour la société, par le biais de mesures portant atteinte à leur liberté individuelle ». 560 Jean DANET, « La rétention de sûreté au prisme de la politique criminelle : une première approche », Gaz. Pal., 2-4 mars 2008, pp. 10 sq. ; ROETS Damien « La rétention de sûreté à l’aune du droit européen des droits de l’Homme », D., 2008, pp. 1840 sq. 561 Loi n° 2008-174 du 25 février 2008, JO du 26 février 2008. 562 Crimes d’assassinat, de meurtre, de tortures ou d’actes de barbarie, de viol, d’enlèvement ou de séquestration commis sur une victime mineure (alinéa 1) et crimes de meurtre aggravé, de tortures ou d’actes de barbarie aggravés, de viol aggravé, d’enlèvement ou de séquestration aggravés commis sur une victime mineure (alinéa 2). 563 Dans cette optique, l’assignation à résidence, dans le cas où elle ne fait suite à aucun acte délictueux, est une pratique caractéristique des régimes autoritaires, qui semble reposer sur une présomption, sinon de culpabilité, du moins de dangerosité. A ce sujet, on pense au récit de l’écrivain italien Carlo LEVI, Le Christ s’est arrêté à Eboli, publié en 1945, dans lequel l’auteur évoque son assignation à résidence dans un bourg perdu de Lucanie, Gagliano, en 1935, suite à son activité antifasciste.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

167

en matière de rétention de sûreté doit être lié à un trouble grave de la personnalité qui n’est

pas loin de l’aliénation au sens de l’article 5 § 1 e)564.

Ainsi, l’apparente vacance de justification de l’article 5 § 1 e) cache en réalité une

présomption-concept de dangerosité. Elle explique cet article en lui donnant une cause

acceptable (la dangerosité). Mais elle l’amène sur les sentiers de la subjectivité et du préjugé.

Heureusement, ce penchant pour l’arbitraire semble être corrigé par le mode de

fonctionnement de la présomption.

§2- Le mode de fonctionnement de la présomption-concept de

dangerosité des marginaux

La présomption de dangerosité des marginaux met en lumière l’originalité du mode de

fonctionnement de la présomption-concept. Certes, celle-ci n’est pas liée aux questions

d’ordre probatoire contrairement aux présomptions-preuves et aux présomptions-postulats.

Cependant, sa portée juridique est incontestable : initialement sous-jacente à la jurislation

qu’elle motive, la présomption-concept réapparaît en quelque sorte lors de la mise en œuvre

de cette jurislation. Ainsi, la dangerosité de l’aliéné, de l’alcoolique, du toxicomane, du

malade contagieux ou du vagabond doit être réelle pour que son internement soit conforme à

la Convention. L’absence d’influence probatoire de la présomption-concept (A-) est donc

compensée par son caractère résurgent (B-).

A- Absence d’influence probatoire

L’analyse de la présomption de dangerosité des marginaux confirme que la présomption-

concept se situe en dehors de la sphère probatoire et ce, à deux niveaux.

564 Cependant Damien ROETS souligne qu’on ne saurait assimiler les aliénés visés par l’article 5 § 1 e) aux personnes susceptibles d’être placées en rétention de sûreté : « dans son rapport fait au nom de la commission des lois du Sénat, le sénateur Jean-René LECERF, après avoir conjuré l’écueil qui consisterait à confondre « dangerosité » et « maladie mentale », indique que la formule « trouble grave de la personnalité » « vise à réserver le dispositif aux personnes présentant les formes de psychopathologie les plus graves qui ne s’assimilent pas, comme la majorité des médecins et des magistrats rencontrés (…) l’ont confirmé à une maladie mentale ». Par delà la ratio legis, cette impossibilité d’assimiler la personne retenue dans un centre socio-medico-judiciaire de sûreté à un « aliéné » découle logiquement du simple fait que, demain, une personne souffrant d’une pathologie psychiatrique après avoir exécuté sa peine de réclusion criminelle, si elle compromettait la sûreté des personnes ou portait atteinte de façon grave à l’ordre public, relèverait en toute hypothèse non pas des dispositions relatives à la rétention de sûreté mais de celles, figurant dans le Code de la Santé publique, concernant l’hospitalisation d’office. La régularité de la privation de liberté inhérente à la rétention de sûreté ne peut ainsi reposer sur l’article 5 § 1 e) de la Convention ». ROETS Damien, loc. cit., préc., p. 1844.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

168

D’une part, cette présomption de dangerosité n’attribue pas la charge de la preuve à l’une

des parties comme le ferait une présomption-postulat. Elle ne déplace pas non plus l’objet de

la preuve comme le ferait une présomption-preuve. Ce constat n’a rien d’étonnant, il est

directement lié à la situation de la présomption-concept : elle est le soubassement d’une

jurislation et n’a d’influence que sur sa création. Sans la présomption de dangerosité, l’alinéa

e) de l’article 5 § 1 n’existerait pas. L’implicite présomption de dangerosité des marginaux est

simplement la source de l’article 5 § 1 e). Sa portée est donc à la fois considérable, car elle a

généré l’article 5 § 1 e), et limitée, puisqu’elle demeure sous-jacente à cet article.

D’autre part, toujours en raison de sa situation de retranchement derrière l’article 5 § 1

e), la présomption de dangerosité est aréfragable565. Il ne peut, en effet, être question de la

détruire par une preuve contraire : sa pertinence n’est pas vérifiée lors de l’application de

l’article 5 § 1 e). Une telle vérification serait d’ailleurs impossible car la présomption de

dangerosité est tacite. Cette présomption ne disparaîtra donc qu’avec l’alinéa e) de l’article 5

§ 1, aucun plaideur ne pouvant prouver utilement qu’une présomption source de droit est

erronée. Une telle charge probatoire - si l’expression peut encore être utilisée - appartiendrait

à la doctrine. Mais attaquer une présomption source de droit reviendrait à dénoncer les

fondements idéologiques d’une jurislation.

L’indépendance de la présomption-concept par rapport au droit de la preuve a deux

conséquences.

Premièrement, la présomption-concept, aréfragable, peut prendre sans risque ses distances

avec la réalité. A ce titre, elle est globalisante. Elle repose sur un mécanisme de généralisation,

de systématisation. Peu importe que chaque marginal présente une dangerosité réelle : on est

loin d’une présomption-preuve de dangerosité dont l’objectif serait d’atteindre la vérité.

L’important est la possibilité pour la marginalité de générer la dangerosité : c’est ce constat

d’ordre général qui permet d’autoriser conventionnellement la détention des déviants. La

présomption-concept cherche, pour ainsi dire, à gérer le tout-venant : elle tend à repérer une

orientation générale pour en dégager une règle de droit. Bref, la présomption-concept érige le

probable en système afin de créer une jurislation. Par conséquent, elle peut exister même si

565 V. note 330.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

169

elle n’est pas vraie en toutes circonstances, même si elle ne s’adapte pas à tous les cas

particulier566. C’est précisément ce qui fait d’elle une présomption-concept.

Deuxièmement, son aréfragabilité et l’aspect globalisant qui en découle renvoient de

nouveau la présomption-concept à ses limites, à savoir sa proximité avec le préjugé et son

attrait pour l’arbitraire. Mais une vision univoque du processus de systématisation ainsi mis

en œuvre ne doit pas masquer le rôle d’adaptateur juridique de la présomption-concept. Son

aréfragabilité est en effet singulière : si elle la préserve dans son principe, la rendant en

quelque sorte immuable, elle favorise concomitamment son adaptation à l’évolution des

moeurs567 . La présomption de dangerosité des marginaux est, à cet égard, riche

d’enseignements.

De tout temps, les marginaux ont fait l’objet de catégorisations visant à règlementer leur

comportement, catégorisations dont l’article 5 § 1 e) est l’héritier. De facto, dès le XVII ème

siècle, sont internés ensemble des individus auxquels l’article 5 § 1 e) assigne aujourd’hui une

patrie commune568. Signe de pérennité de la présomption-concept dans son principe, chacune

de ces politiques, dont l’objectif était de protéger la société des déviants, reposait déjà sur une

présomption concept de dangerosité. Signe de l’évolution du contenu de la présomption-

concept, le nombre des marginaux visés par ces politiques d’internements a diminué : l’article

5 § 1 e), qui doit d’ailleurs être interprété strictement569, ne vise pas les chômeurs, les

débauchés, les homosexuels ou encore les femmes. Ceux-ci ont pourtant pu être internés pas

le passé du seul fait de leur état : la dangerosité était en effet alors associée à l’oisiveté570 et à

566 Il en va de même pour la présomption-concept de droit interne selon laquelle toute personne âgée de dix-huit ans est mature et apte à gérer ses biens. On sait fort bien que, en réalité, certains majeurs n’ont pas cette aptitude. C’est d’ailleurs ce qui explique l’existence du régime des incapacités. 567 V. supra, un rapport au temps paradoxal. 568 Michel FOUCAULT, op. cit.., pp. 70-71 : à l’instar des « Workhouses » britanniques et des « Zuchthaüsern » allemandes, de vastes maisons d’internement existent en France. Elles assignent « une même patrie aux pauvres, aux chômeurs, au correctionnaires et aux insensés ». 569 Seule l’interprétation restrictive permet de respecter la lettre de l’article 5 § 1 e). Tout d’abord, il ne servirait à rien d’avoir énuméré précisément quels marginaux peuvent être détenus pour, ensuite, étendre leur nombre. Ensuite, l’arrêt Klass (CEDH, 6 septembre 1978, Klaas c/ Allemagne) a posé, à propos de l’article 8 de la CEDH, le principe de l’interprétation stricte des restrictions aux droits et libertés garantis par la Convention. Il semble inévitable d’appliquer ce principe à l’alinéa e) qui est une véritable limitation au droit à la liberté. Enfin, la Cour elle-même a énoncé dans l’arrêt Winterwerp (CEDH, 24 octobre 1979, Winterwerp c/ Pays-Bas, req. n° 6301/73, § 47) qu’« on ne saurait évidemment considérer que l’alinéa e) de l’article 5 § 1 autorise à détenir quelqu’un du seul fait que ses idées ou son comportement s’écartent des normes prédominant dans une société donnée ». 570 Yaël ATTAL-GALLY, op. cit. : « la distinction entre les citoyens actifs et les citoyens passifs est consacrée par les lois des 14 et 22 décembre 1789 (…). Les femmes, les vagabonds, les malades de l’esprit (…) sont alors marqués du « sceau de la nullité » ». De même, l’auteur souligne que « la loi du 27 mars 1790 ainsi que celle du 24 août 1790 prennent en compte l’état de démence des individus, et catégorisent de la sorte les malades mentaux ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

170

la déviance sexuelle571. De même, on ne peut nier qu’à présent la présomption de dangerosité

à l’œuvre en droit européen des droits de l’Homme se rapproche d’une présomption de

vulnérabilité. La Cour reconnaît en effet qu’on peut détenir les marginaux pour les protéger

contre eux-mêmes572. Ainsi, malgré son aréfragabilité, la présomption-concept n’est pas

immuable : elle varie en fonction des données sociologiques. Pour cette raison, la présomption

de dangerosité des marginaux sous-jacente à l’article 5 § 1 e) n’est sans doute pas aussi

pernicieuse qu’on pourrait le croire.

B- Une présomption résurgente

L’impossibilité de renverser la présomption-concept pourrait engendrer quelque

amertume ou frustration. S’abritant derrière la jurislation dont elle est le motif, la

présomption-concept semble en effet bénéficier d’une position particulièrement protectrice.

Elle paraît intouchable, comme si sa valeur était à l’abri de toute critique. Partant, une

question ne tarde pas à se poser : qu’arrive-t-il si de facto cette présomption, que nul ne peut

renverser, ne correspond pas à la réalité ? Pour en revenir à l’article 5 § 1 e), qu’advient-il

d’un marginal qui, concrètement, n’est pas dangereux? Pourra-t-il malgré tout être privé de

liberté ?

Cette question, pour absurde quelle puisse paraître – chacun sait que la CEDH ne

prône pas le grand renfermement – n’en est pas moins pertinente. Elle touche à l’essence

même de la présomption-concept et permet d’en comprendre définitivement le mode de

fonctionnement.

Certes, en rendant conventionnellement possible la détention des marginaux, on

présuppose que ces derniers peuvent être dangereux. Néanmoins, si un marginal n’est pas

réellement dangereux, il ne pourra pas être détenu sur le fondement de la présomption-

concept de dangerosité des marginaux. En effet, la présomption-concept n’a servi qu’à

formuler l’article 5 § 1 e) et à autoriser la détention des marginaux, pas à présumer la

dangerosité concrète de chaque marginal. A quoi l’on voit une nouvelle fois que la

présomption-concept est très différente de la présomption-preuve. La présomption-concept ne

571 Michel FOUCAULT, op. cit., p. 119. A l’âge classique, « les vénériens vont côtoyer les insensés dans l’espace d’une même clôture » et il existe une « parenté entre les peines de la folie et la punition des débauches ». 572 Plusieurs arrêts font référence au critère du propre intérêt de la personne à être privée de liberté. V. notamment : CEDH, 4 avril 2000, Witold Litwa c/ Pologne, req. n° 26629/95, §§ 61-62 ; CEDH, Hilda Hafsteinsdóttir c/ Islande, req. n° 40905/98, § 42 ; CEDH, 25 janvier 2005, Enhorn c/ Suède, req. n° 56529/00, § 42 ; CEDH, 5 octobre 2000, Varbanov c/ Bulgarie, req. n° 31365/96, § 46.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

171

se préoccupe guère de la situation réelle au cas par cas ; c’est précisément pour cette raison

qu’il n’est pas utile qu’elle soit visible dans la règle de droit.

Dans un premier temps, la présomption-concept est souterraine, puisque sous-jacente à

la jurislation qu’elle motive. Dans un second temps, elle est, pour ainsi dire, résurgente573 :

elle ne revient pas directement sur le devant de la scène mais son objet doit être avéré pour

que la règle qu’elle motive garde son intérêt.

Dans le cadre de l’article 5 § 1 e), la dangerosité, c’est-à-dire l’objet de la

présomption-concept, est ainsi devenue un véritable critère d’internement. La dangerosité de

l’aliéné, de l’alcoolique, du toxicomane, du vagabond ou du malade contagieux doit être

constatée pour que celui-ci puisse faire l’objet d’une privation de liberté. Nombreuses sont les

allusions jurisprudentielles à la nécessaire dangerosité du marginal détenu. Premier exemple,

l’une des conditions jurisprudentielles devant être respectées pour qu’un aliéné soit détenu,

renvoie indirectement au danger social présenté par l’individu : « le trouble doit revêtir un

caractère ou une ampleur légitimant l’internement »574. Deuxième exemple, selon la Cour, la

détention au sens de l'article 5 § 1 e) « ne se justifie que lorsque d'autres mesures, moins

sévères, ont été considérées et jugées insuffisantes pour sauvegarder l'intérêt personnel ou

public exigeant la détention. Il doit être établi que la privation de liberté de l'intéressé était

indispensable au vu des circonstances »575. Là encore la dangerosité est donc présente comme

un critère d’internement. Troisième exemple, dans l’arrêt Filip contre Roumanie, la Cour

estime que la privation de liberté était injustifiée : car « l'ordonnance du parquet ne

mentionnait pas les éléments qui l'avaient conduit à constater que l'état psychique du

requérant présentait un danger pour la société »576. Enfin, dernier exemple, l’affaire Enhorn,

relative à la privation de liberté d’un sidéen est symptomatique de la résurgence de la

dangerosité comme critère d’internement577. Dans cet affaire, il s’agissait « d'empêcher la

propagation de la maladie » ; la Cour rappelle que si la Convention permet de priver de leur

liberté les personnes visées au paragraphe 1 e) de l'article 5, c’est non seulement parce « qu'il

573 D’après le CNRTL, est résurgent ce « qui, après un trajet souterrain, réapparaît à la surface », [http://www.cnrtl.fr/definition/résurgent], (2010-06-02). 574 V. notamment : CEDH, 24 octobre 1979, Winterwerp c/ Pays-Bas, req. n° 6301/73, § 39 ; CEDH, 24 octobre 1997, Johnson c/ Royaume-Uni, req. n° 22520/93, § 60 ; CEDH, 5 octobre 2000, Varbanov c/ Bulgarie, req. n°31365/96, § 45 ; CEDH, 22 mai 2008, Todev c/ Bulgarie, req. n° 31036/02, § 27 ; CEDH, 3 juillet 2008, Kroushev c/ Bulgarie, req. n° 66535/01, § 39. 575 CEDH, 4 avril 2000, Witold Litwa c/ Pologne, req. n° 26629/95, § 78. 576 CEDH, 14 novembre 2006, Filip c/ Roumanie, req. n° 41124/02, § 64. 577 Selon le Juge COSTA, « cette affaire montre à la fois la difficulté de la conciliation entre la liberté (qui doit en définitive prévaloir) et la « défense sociale ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

172

faut les considérer comme dangereuses pour la sécurité publique, mais aussi parce que leur

propre intérêt peut nécessiter leur internement »578. D’ailleurs, toujours à propos des malades

contagieux, un indice d’ordre textuel prouvant la résurgence de la dangerosité ne doit pas être

négligé. A l’alinéa e), les malades contagieux sont désignés par la formule suivante : « les

personnes susceptibles de propager une maladie contagieuse »579 580. On peut s’étonner de

l’emploi d’une formule si longue, l’expression « malades contagieux » paraissant plus simple.

Sans doute n’est-ce pas un détail rédactionnel sans importance. Il pourrait s’agir d’un choix

délibéré des rédacteurs de la Convention : parmi les malades contagieux, ne pourraient alors

être détenus que ceux, qui, du fait de leur imprudence, de leur négligence ou de leur

désinvolture, sont réellement capables de contaminer leur prochain581; en somme, ceux qui

sont réellement dangereux. Voilà encore un signe de la nécessité de la dangerosité des

marginaux pour légitimer leur détention.

A titre de comparaison, on remarque que la présomption de dangerosité est également

résurgente dans le cas de la rétention de sûreté : une telle rétention n’est légale que si la

dangerosité est avérée, c’est-à-dire qu’il existe une probabilité très élevée que la personne

visée commette à nouveau l’une des infractions mentionnées à l’article 706-53-13 du Code de

procédure pénale582. On peut également évoquer la présomption-concept de droit interne selon

laquelle, à 18 ans, toute personne est apte à gérer ses biens. On ne pourra jamais démontrer

qu’elle est fausse, sans supprimer la règle de la majorité à 18 ans. Cela n’empêche pas pour

autant de constater que telle ou telle personne de 18 ans (ou plus) est inapte à gérer ses biens

et de considérer cette personne comme un majeur incapable. Là encore l’objet de la

présomption-concept (la capacité) réapparaît lors de la mise en œuvre de l’article 488 du Code

civil.

Ainsi le droit européen des droits de l’Homme confirme l’existence de la présomption-

concept, pourtant si fuyante et mal connue. Il confirme également son originalité qui repose

578 CEDH, 25 janvier 2005, Enhorn c/ Suède, req. n° 56529/00, § 43. 579 Pour des indications sur certaines maladies contagieuses, V. : Jean-Simon CAYLA, « Les maladies transmissibles par contact sexuel », RDSS, 29 (1), janvier- mars 1993, p. 27 et sq. 580 Thomaïs DOURAKI, op. cit., p. 32. L’auteur souligne : « A notre avis comme personne susceptible de propager une maladie contagieuse au sens de l’article 5 § 1 e), il faudrait entendre : la personne atteinte d’une maladie qualifiée par le Règlement Sanitaire International comme contagieuse, à savoir de peste, du choléra, de fièvre jaune ; la personne atteinte d’une maladie qualifiée de contagieuse par un texte sanitaire national ; le malade vénérien au stade contagieux ». 581 En anglais le texte parle de « lawful detention of persons for the prevention of the spreading of infectious diseases »: le texte semble faire plus directement allusion à des mesures prophylactiques du type de la quarantaine. 582 Article 706-53-19, alinéa 3 du Code procédure pénale.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

173

principalement sur sa situation particulière de source du droit et entraîne son aréfragabilité. Il

confirme enfin son ambiguïté et son penchant pour le préjugé ; il n’est d’ailleurs pas anodin

que la plus édifiante d’entre elles, la présomption de dangerosité des marginaux, se situe en

amont d’un des articles les plus critiquables de la CEDH, l’article 5 § 1 e).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

174

Conclusion du chapitre 1

Fragments présomptifs

L’horizon présomptif de cette mise à l’épreuve est resté limité à quelques exemples, se

trouvant ainsi essentiellement cantonné aux présomptions les plus fondamentales du système

européen : tout d’abord, les présomptions de responsabilité en matière de respect du droit à la

vie et d’interdiction de la torture et les présomptions de discrimination pour les présomptions-

preuves ; ensuite, la présomption d’innocence et la présomption d’impartialité du juge pour

les présomptions-postulats ; enfin, la présomption de dangerosité des marginaux pour les

présomptions-concepts.

Cependant, à travers ces quelques exemples, l’apport du droit de la CEDH concernant

les présomptions se fait déjà nettement sentir. Bref, l’intérêt d’une relecture du droit des

présomptions à la lumière du droit européen des droits de l’Homme apparaît évident et ce

pour deux raisons.

D’une part, le droit de la CEDH a rendu intelligibles certains aspects hermétiques des

présomptions. Il a notamment permis de comprendre comment s’articulent présomptions-

preuves et présomptions-postulats et comment les présomptions-concepts, initialement situées

en amont d’une jurislation, resurgissent lors de sa mise en œuvre.

D’autre part, le droit de la CEDH a confirmé la triple déclinaison du mécanisme

présomptif et permet déjà de pressentir sa profonde unité : il existe bien trois types de

présomptions parfaitement distincts quant à leur mode de fonctionnement mais répondant à

une même définition, celle - étymologique - selon laquelle la présomption est un jugement par

anticipation sur les réalités qui nous entourent.

Ainsi, sans qu’on sache réellement pourquoi, malgré la fracture du mécanisme, il reste

dans chaque présomption, des traces d’un mouvement cognitif de plus grande envergure, un

mouvement transcendant dont la trame complète nous fait pour l’instant défaut.

Aussi est-on encore loin d’en avoir fini avec cette mise à l’épreuve. Se contenter d’une

confirmation des trois catégories de présomptions serait ruiner la Présomption dans son

intégrité, ce serait l’expulser, la désinvestir de son principe fondamentalement unitaire. Il faut

donc à présent creuser cette intuition de l’unité présomptive. Ainsi, après avoir cerné les

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différentes formes du mécanisme présomptif, il convient à présent de mettre à jour son

essence, encore mystérieuse, mais à coup sûr unique.

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Chapitre 2 – L’essence commune des

présomptions révélée

La nature unitaire des présomptions est à présent indubitable. Tout d’abord, d’un point

de vue théorique, l’unité fondamentale du mécanisme présomptif s’augure à sa définition

générale. D’après cette dernière, toutes les présomptions procèdent en effet d’un même

mouvement de pensée : un jugement par anticipation sur ce qui n’est pas prouvé. Peu importe

qu’elles soient de nature probatoire, axiomatique ou conceptuelle. En somme, la fonction de

préconnaissance commune à toutes les présomptions, serait la source de leur l’unité. Ensuite,

d’un point de vue pratique, les liens entre présomptions sont nombreux : il n’est pas rare

qu’une présomption en appelle une autre. A titre d’exemple, la présomption-preuve de

paternité repose sur deux présomptions-concepts, une présomption de consommation du

mariage et une présomption de fidélité de la femme583. Enfin, certains auteurs soutiennent la

thèse de l’unité présomptive. Selon le Professeur BARRAINE, les présomptions, aussi

diverses soient-elles, « émergent en quelque sorte d’un tout continu »584. Dans le même ordre

d’idées, le Professeur CESARO évoque « l’unité du mécanisme des présomptions »585 et

prône le rassemblement des « présomptions antéjudicaires » et des « authentiques

présomptions légales »586. Pour sa part, le Professeur RESCHER écrit, après avoir constaté

l’existence de raisonnements présomptifs variables : « (…) irrespective of their grounding, the

operative functionning of presumptions is substantially the same. In every case, a

presumption is a plausible pretender to truth whose credentials may well prove insufficient, a

runner in a race it may not win »587.

Mais, afin que la révélation de la nature unitaire des présomptions soit complète, il

faut dépasser le stade de l’unité seulement constatée pour atteindre celui de l’unité

rigoureusement définie et juridiquement nommée. Bref, il est indispensable de trouver en

quels termes désigner le substrat présomptif. A cet égard, l’intérêt d’une relecture du droit des

présomptions par le biais du droit de la CEDH se manifeste avec une particulière acuité. Cette

583 V. note 310. 584 Raymond BARRAINE, op. cit., p. 230. 585 Jean-François CESARO, op. cit., p. 345, § 318. 586 Ibid., p. 347, § 319. 587 Nicholas RESCHER, op. cit., p. 3.

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branche du droit parvient en effet à faire toute la lumière sur l’essence présomptive, alors

même que le droit international privé permet seulement de l’entrevoir.

Depuis plusieurs décennies, il est difficile de faire abstraction du droit international

privé. Les techniques subtiles qu’il a créées font de lui une discipline « majestueuse »588 et

fournissent des réponses précieuses aux questions les plus complexes. « Régissant les

relations privées des individus », cette matière est en effet « confronté[e] à tous les problèmes

que l’on rencontre dans les diverses disciplines du droit privé »589. Dès lors, les présomptions

n’échappent guère à son champ d’investigation. A cet égard, il permet notamment de

déterminer si elles appartiennent au droit de fond ou à la procédure. Cette démarche permet-

elle de surmonter les apparentes différences de valeur juridique des présomptions pour

dégager leur nature profonde commune ? Il semble qu’à lui seul, l’apport du droit

international privé soit insuffisant pour découvrir la substantifique moelle des présomptions,

l’apport du droit de la CEDH apparaissant indispensable pour mener à bien cette démarche.

Ainsi, nonobstant ses potentialités considérables, le droit international privé échoue à

révéler l’essence commune des présomptions : la valeur juridique des présomptions demeure

changeante et incertaine (Section 1). C’est donc grâce à la contribution décisive du droit de la

CEDH que l’essence présomptive se fait jour : les présomptions sont toutes des principes

d’orientation cognitifs (Section 2).

588 Jean-Pierre MARGUENAUD, Préface à la Thèse de Fabien MARCHADIER, Les objectifs généraux du droit international privé à l’épreuve de la Convention européenne des droits de l’Homme, Bruxelles, Bruylant, 2007, p. XIX. 589 Yvon LOUSSOUARN et al., Droit international privé, précis Dalloz, 9ème éd., Paris, 2007, p. 2.

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Section 1- L’échec du droit international privé : l’inconstante

valeur juridique des présomptions

Lorsque, l’entrevoyant sans pouvoir encore la décrire précisément, on entreprend

d’analyser l’essence des présomptions, on s’interroge sur leur valeur juridique. N’auraient-

elles pas toutes une valeur juridique identique symptomatique de leur profonde unité ?

S’il est une branche du droit qui aborde la question, c’est incontestablement le droit

international privé.

S’agissant de déterminer la loi applicable, le droit international privé oppose règles

procédurales et règles substantielles. Les premières constituent « les formalités qui doivent

être suivies pour soumettre une prétention à un juge »590 ; elles relèvent de la loi du juge saisi.

Les secondes, qui fixent « les conditions d’existence, le domaine et les causes d’extinction des

droits subjectifs »591 et recouvrent donc tant le fond du droit que la forme, sont régies soit par

la loi du fond de l’acte ou du fait à prouver, soit par la loi de la forme de l’acte.

Ces précisions effectuées, on comprend l’intérêt du droit international privé concernant la

valeur juridique des présomptions : il constitue un outil de qualification. Lorsqu’une

présomption se présente dans un litige international, l’enjeu est de savoir de quelle loi elle

dépend. Son sort est en effet variable : non seulement la force probante de la présomption peut

évoluer d’un pays à l’autre, mais encore la présomption existant dans tel pays peut être

inconnue dans tel autre. Pour savoir quelle loi gouverne la présomption, il faut donc

déterminer si cette dernière relève du droit substantiel (et plus précisément du droit de fond, la

forme n’étant pas ici en cause) ou de la procédure.

Une première approche de la valeur juridique des présomptions par le biais du droit

international privé paraît donc intéressante. Son apport est d’ailleurs certain puisqu’elle

permet de constater l’influence substantielle des présomptions légales (§ 1-). Néanmoins cet

apport reste lacunaire, le droit international privé n’offrant pas une vision d’ensemble du

champ présomptif (§ 2-).

590 Serge GUINCHARD et Gabriel MONTAGNIER (dir.), op. cit. p. 15, « Procédure ». 591 Eric FONGARO, La loi applicable à la preuve en droit international privé, Paris, LGDJ, 2004, p. 9.

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§ 1- Un apport certain : le constat de l’influence substantielle des

présomptions légales

Les présomptions relèvent-elles de la procédure ou du droit de fond ? Cette question,

plusieurs fois soulevée par la doctrine592 a toujours été abordée par le prisme de la preuve en

raison de l’évidente fonction probatoire des présomptions. Un premier courant semblait plus

favorable au classement des présomptions parmi les règles de procédure. Ainsi le Doyen

DECOTTIGNIES593, assimilant la preuve à la procédure, tient les présomptions, même

irréfragables, pour des règles procédurales. Contestable, cette conception fait bon marché de

l’influence substantielle qu’exerce la preuve par delà son rôle procédural. Idem est non esse

aut non probari dit l’adage. Comme le résume Eric FONGARO, « parce qu’elle a vocation à

établir l’existence ou, le cas échéant, l’absence d’un droit, la preuve semble intimement liée

au fond du droit. Parce qu’elle a pour objet l’activité du juge, et qu’elle dépend de ce dernier,

la preuve semble aussi relever de la procédure »594. En somme, la preuve a « un caractère

hybride »595. Dans cet ordre d’idées, la distinction désormais classique entre decisoria litis et

ordinatoria litis oppose, en matière de preuve, les règles concernant la charge et l’objet de la

preuve lesquelles relèvent du droit de fond aux règles relatives à l’administration de la preuve,

dispositions procédurales rattachées à la lex fori596.

Or, à première vue, les présomptions concernées - à savoir les présomptions légales, le

droit international privé ne se préoccupant pas des présomptions judiciaires comme on le

précisera ultérieurement597 - semblent avoir une influence substantielle. Dans le cadre de leur

fonction probatoire, les présomptions légales concernent en effet la détermination de l’objet et

de la charge de la preuve, les présomptions-preuves déplaçant celui-là, les présomptions-

postulats attribuant celle-ci.

Une analyse plus précise confirme cette hypothèse : en les rattachant à la loi du fond, le

droit international privé reconnaît l’influence substantielle des présomptions-preuves (A-) et

des présomptions-postulats (B-) légales.

592 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 30. 593 Roger DECOTTIGNIES, op. cit., p. 94. 594 Eric FONGARO, op. cit., p. 8. 595 Ibid.. 596 Sur ces questions V. : Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 31 ; André HUET, op. cit. ; Thomas Habu GROUD, La preuve en droit international privé, P.U.A.M., 2000. 597 V. infra.

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A- Le rattachement des présomptions-preuves légales à la loi du fond

Dans une étude intitulée La loi applicable à la preuve en droit international

privé, Eric FONGARO traite remarquablement du sort de certaines présomptions légales :

celles qui opèrent un « déplacement de l’objet de la preuve »598, en d’autres termes les

présomptions-preuves. L’auteur réfute la thèse opposée au rattachement de ces présomptions

à la loi du fond. En s’appuyant sur cette analyse et sur la jurisprudence, il semble possible de

démontrer que le droit international privé rattache les présomptions-preuves à la loi du fond,

reconnaissant, par là-même, leur influence substantielle.

Tout d’abord, le fait que la doctrine ait ponctuellement qualifié les

présomptions-preuves légales de « présomptions de procédure »599 ou prôné leur rattachement

à la lex fori600 ne doit pas faire oublier que l’analyse du procédé à l’œuvre dans ces

présomptions commande plutôt leur rattachement à la loi du fond. En effet l’objet de la

preuve, constitué des éléments devant être présentés par un plaideur au soutien de sa

prétention, est considéré comme lié au fond du droit601 : en droit international privé, c’est

donc la loi du fond qui régit, en principe, l’objet de la preuve. Or, les présomptions-preuves

ont partie liée avec l’objet de la preuve : elles le déplacent d’un fait difficile à prouver vers un

autre fait dont la preuve sera plus aisée. Par conséquent, elles doivent logiquement ressortir à

la loi du fond602.

Ensuite, le principal argument visant à faire échapper les présomptions-preuves

légales à la lex causae est très discutable. Il s’appuie sur la différence structurelle qui

séparerait présomptions-preuves légales et règles substantielles : « si la présomption légale se

rapporte à la démonstration de la réalité d’un fait, les règles dispositives du droit substantiel,

au contraire, ont vocation à déterminer les conséquences juridiques attachées à ce fait, ce qui

est différent »603. Compte tenu de cette différence, les présomptions-preuves légales ne

pourraient guère être régies par la loi du fond. Néanmoins, formaliste voire artificiel, ce

critère de distinction présente des failles.

598 Eric FONGARO, op. cit.., p. 55. 599 Jean DABIN, op. cit. p. 39, p. 240. 600 Eric FONGARO, op. cit., p. 55. L’auteur rappelle que, selon la théorie de BROCHER (Cours de droit international privé, T. II, p. 124), « les présomptions légales tracent au juge la voie à suivre dans la production de la preuve et doivent donc relever de la lex fori ». 601 Idem est non esse aut non probari : celui qui ne peut prouver son droit est en réalité dans la même situation que celui qui n’en a pas. 602 Eric FONGARO, op. cit., p. 59. Selon l’auteur, « dans leur principe, les conflits de lois relatifs à l’objet de la preuve ressortissent à la lex causae. Il en résulte que la présomption légale elle-même doit relever de cette loi ». 603 Eric FONGARO, op. cit., p. 56.

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D’une part, il est difficile à mettre en œuvre pratiquement : si la loi ordonne de

présumer un fait, c’est précisément en raison des conséquences juridiques auxquelles il

aboutit. Dans ces conditions, il devient parfois difficile de distinguer le fait à proprement

parler de ses conséquences juridiques. Ainsi, l’article 88 du Code civil peut être analysé

comme une règle de preuve - de la disparition d’une personne « dans des circonstances de

nature à mettre sa vie en danger, lorsque son corps n’a pu être retrouvé » on infère la mort de

cette dernière – mais aussi comme une règle de fond : le décès est bien la conséquence

juridique de la disparition. Autre exemple, celui de la présomption de paternité : l’article 312

est à la fois une règle de preuve permettant d’inférer la paternité du mari de la conception

durant le mariage et une règle de fond qui attache à un fait donné (la conception pendant le

mariage) une conséquence juridique précise (la paternité)604.

D’autre part, ce critère de distinction ignore trop catégoriquement les

considérations de fond qui peuvent motiver les présomptions-preuves légales. On le sait, toute

présomption-preuve est construite grâce à l’apport conjugué de la probabilité, de l’expérience

et de la volonté. Or, cette dernière notion correspond aux considérations diverses ayant

conduit le législateur à transformer une hypothèse simplement probable en une présomption

légale, c’est-à-dire en une vérité construite et choisie. « Si l’on envisage la raison d’être de la

présomption légale, écrit le Professeur HUET, le rapprochement de celle-ci et de la règle de

fond s’accuse de manière fort nette » ; il ajoute ensuite : « c’est en vue d’obtenir un résultat

bien déterminé, et parce qu’il est directement intéressé par des considérations de fond, que le

législateur veut faire bénéficier le demandeur à la preuve d’une dispense ou d’un allégement

de preuve »605. On en revient donc à l’aléatoire et fragile frontière entre règles de preuve et

règles de fond606, l’ambiguïté de la présomption-preuve agissant comme le révélateur du

caractère artificiel de cette dernière. Servant « d’accessoire à la règle de fond, dont elle

apparaît comme le prolongement dans le domaine de la preuve »607 , la présomption

« correspond à un aménagement du droit lui-même dont elle ne saurait être détachée »608.

Dans ces conditions, il convient d’appliquer à la présomption la même loi qu’à la règle de

fond. A titre d’illustration, on cite généralement la présomption de paternité légitime. Elle a

certes avant tout un rôle probatoire mais, à travers lui, elle fait prévaloir une certaine

604 Jean DEVEZE, op. cit., p. 487. 605 André HUET, op. cit., p. 154 n°124. 606 Jean DEVEZE, op. cit., pp. 486 sq.. 607 André HUET, op. cit., p. 154 n°124. 608 Ibid., p. 161 n° 128.

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conception de la famille. Il est donc logique qu’en droit international privé, elle relève du

statut personnel.

Cependant, on pourrait être tenté d’introduire au sein des présomptions-preuves

légales une distinction liée à leur portée, ou, plus précisément, à leur réfragabilité : seules les

présomptions irréfragables seraient substantielles, les autres étant procédurales.

A première vue, cette différence de régime liée à la portée variable des présomptions

est séduisante ; elle paraît même justifiée à certains égards. Comme l’écrit Eric FONGARO

« (…) si la présomption irréfragable a certes une finalité probatoire en ce qu’elle permet

d’établir le factum probandum, elle constitue surtout un excellent moyen pour le législateur

d’obliger le juge à appliquer les conséquences juridiques attachées à ce fait inconnu ».

D’après lui, « de nature essentiellement substantielle, elle doit, en cas de conflit de lois dans

l’espace, être régie par la lex causae et non par la lex fori ». Autrement dit, nul ne peut

contester que les présomptions irréfragables s’éloignent de la recherche de la vérité qui

motive initialement le mécanisme présomptif, confinant ainsi à la fiction, et ont une nature

substantielle plus marquée que les présomptions simples. Ces dernières, en revanche,

pourraient bien avoir une nature simplement processuelle si l’on considère qu’elles permettent

avant tout un gain de temps dans le cadre du procès et visent donc à une meilleure

administration de la justice609.

Néanmoins, l’idée selon laquelle les présomptions-preuves irréfragables seraient

seules à avoir une influence substantielle peut être doublement remise en cause. Lorsqu’on la

replace dans son contexte d’origine, on comprend qu’elle repose sur des motifs erronés. C’est

le Tribunal de Rome du 13 septembre 1954610 qui l’a répandue concernant la présomption

irréfragable de propriété établie en faveur du possesseur d’un bien. Selon lui, les présomptions

légales simples sont régies par la loi du lieu où le procès se déroule alors que les présomptions

absolues, « exclusives de la preuve contraire, échappent à l’ordinatorium litis et sont attirées

pas le decisiorum litis : leur effet étant substantiel en tant qu’elles conduisent à l’appréciation

légale de la portée de divers faits, elles sont régies pas la loi substantielle et non par celle du

procès ». En réalité, le tribunal opère une confusion : il considère que les présomptions

simples inversent la charge de la preuve, raison pour laquelle elles devraient été régies par la

609 Eric FONGARO, op. cit., p. 67. 610 Tribunal de Rome, 13 septembre 1954, RCDIP, 1958, pp. 519 sq., note R. DE NOVA.

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lex fori611. Or, ce n’est plus à démontrer, les présomptions-preuves qu’elles soient simples ou

absolues reposent sur un déplacement de l’objet de la preuve. Aucune conclusion intéressante

ne peut donc être tirée de ce raisonnement italien.

Par ailleurs, l’idée selon laquelle les présomptions irréfragables seraient régies

par la lex causae tandis que les présomptions simples seraient régies par la lex fori est difficile

à mettre en pratique : elle ne tient nullement compte de l’existence de présomptions mixtes,

celles qui, à mi-chemin entre les présomptions simples et les présomptions absolues,

admettent certes une preuve contraire mais ne peuvent être détruites que par certains moyens

de preuve. « Parce qu’elles peuvent être détruites, comme les présomptions simples, ne

devraient-elles pas dépendre de la lex fori ? Mais parce que leur contestation est plus

difficile, ne se rapprochent-elles pas des présomptions irréfragables ? »612. Voilà autant de

questions qui demeurent sans réponse.

En vérité, il semble que la réfragabilité de la présomption dépende de la lex

causae613 : il est logique que ce soit la loi ayant créé la présomption qui en détermine la

portée. C’est en ce sens que se prononce la jurisprudence614.

D’ailleurs, cette dernière confirme globalement la thèse de l’influence

substantielle des présomptions-preuves : elle admet en effet que c’est à la loi du fond de les

régir. L’existence et les conditions de la présomption de paternité du mari de la mère sont,

entre autres exemples615, soumises à la loi de la filiation légitime616.

Ainsi, la recherche de la loi applicable aux présomptions-preuves montre que

celles-ci ont incontestablement une influence substantielle qui entraîne, en principe,

l’application de la loi du fond sous réserve de la compatibilité de cette dernière avec l’ordre

public international français.

611 Le Tribunal de Rome semble d’ailleurs commettre une autre erreur en considérant que la charge de la preuve (entendue au sens de risque de la preuve) dépend de la loi de la juridiction saisie. 612 André HUET, op. cit., p. 164 n° 129. 613 Ibid., p. 165 n°130. 614 V. notamment : TGI Paris, 12 juillet 1982, RCDIP, 1983 p. 461, note SANTA-CROCE ; Cass. Civ. 1, 4 novembre 1958, RCDIP, 1959 p. 303, note FRANCESCAKIS ; CA paris, 21 juin 1955, JDI, 1956 p. 1008, obs. GOLDMAN ; Cass. Civ. 1, 4 mai 1976, JCP G, 1979, II, 19092, note CHABAS. 615 En matière de responsabilité civile délictuelle, les présomptions de fautes sont régies par la lex loci delicti : Cass. Civ. 25 mai 1948, RCDIP, 1949 p. 89, note BATTIFOL. 616 TGI Paris, 12 juillet 1982, RCDIP, 1983 p. 461, note SANTA-CROCE ; Cass. Civ. 1, 3 juin 1998, D., 1998 p. 578, note FULCHIRON.

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B- Le rattachement des présomptions-postulats légales à la loi du

fond

On ne s’attardera guère sur ce point, la question de la loi applicable aux présomptions-

postulats n’ayant jamais été abordée en droit international privé, faute pour ces dernières de

constituer une catégorie clairement reconnue. Cependant, le discours doctrinal contient des

éléments de réponse indirects à cette question qui méritent d’être brièvement évoqués.

Concernant la charge de la preuve, la doctrine distingue deux types de règles. Les

premières ont trait à l’administration de la preuve et déterminent qui doit réunir les preuves

pendant le procès. Purement procédurales, elles relèvent de la lex fori. Les secondes

concernent le risque de la preuve et indiquent quel plaideur perdra le procès en cas de doute.

Parmi les règles d’application contentieuse du droit, si certaines semblent liées au fond du

droit, ce sont bien celles-ci : pour déterminer qui succombera si le doute persiste, elles

prennent en compte les personnes, les intérêts en cause et la protection qu’ils méritent. Par

conséquent, elles concourent au même but que les règles de droit substantiel à savoir

« organiser les rapports de la vie sociale selon un idéal de justice »617. Elles ont donc une

réelle influence substantielle618 et doivent pour cette raison dépendre de la lex causae619. Or,

les présomptions-postulats, ce n’est plus à démontrer, ont précisément pour fonction

d’attribuer le risque de la preuve. Comme toutes les règles dont c’est la mission, elles ont une

influence substantielle et devraient donc relever de la loi du fond.

Grâce au droit international privé, l’influence substantielle des présomptions-preuves et

des présomptions-postulats légales est désormais évidente. Cependant l’apport de cette

branche du droit se borne à ce constat, diverses présomptions lui échappant.

617 Eric FONGARO, op. cit., p. 32. 618 Jean DEVEZE, op. cit., p. 596. D’après l’auteur, « l’attribution du risque de la preuve peut apparaître comme un instrument privilégié de la technique au service de la politique juridique du législateur ou de la jurisprudence ». 619 C’est en ce sens que s’est prononcée la jurisprudence : Cass. Civ. 10 janvier 1951, RCDIP, 1952, p. 95, note BATTIFOL. En outre, la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles soumet, dans son article 14, les règles répartissant la charge de la preuve à la loi du contrat.

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§ 2- Un apport lacunaire : l’absence d’une vision d’ensemble des

présomptions

Les présomptions-preuves et les présomptions-postulats légales ont une influence

substantielle. Est-ce là le seul constat que l’approche de la valeur juridique des présomptions

par le droit international privé permette de dresser ? Qu’en est-il des autres présomptions,

c’est-à-dire des présomptions judiciaires et des présomptions-concepts ? Face à ces questions,

les limites du droit international privé comme moyen de cerner l’essence présomptive

apparaissent nettement. Cette branche du droit n’offre pas une vision globale du droit des

présomptions, puisque le sort de certaines d’entre elles, à savoir les présomptions judiciaires

(A-) et les présomptions-concepts (B-), ne le préoccupe guère.

A- L’indifférence du droit international privé à l’égard des

présomptions judiciaires

Concernant les présomptions judiciaires, on pourrait d’abord penser qu’elles relèvent

de la lex fori. En effet, comme le souligne le Professeur HUET, « quelles que soient les

dispositions de la loi en vertu de laquelle les présomptions ont été reçues, le juge appréciera,

conformément à sa propre loi, les faits et les circonstances de la cause, et déterminera les

indices qui entraîneront sa conviction »620.

En réalité, le rattachement des présomptions judiciaires à la lex fori paraît tellement

logique en pratique qu’on en vient à se demander si le problème se pose véritablement en

termes de conflits de lois621. La présomption judicaire est un mode de raisonnement, un travail

intellectuel naturel du juge. Créée ponctuellement par ce dernier pour les besoins d’un cas et

dans un but seulement probatoire, elle semble échapper au domaine des conflits de lois, la

règle de l’article 1353 en vertu de laquelle ne sont admises que les « présomptions graves,

précises et concordantes » faisant alors simplement figure de règle de « bon sens »622.

Néanmoins, cette inadaptation de la méthode des conflits de lois pour apprécier les

présomptions de fait n’est pas certaine : certes c’est le magistrat qui présume, mais c’est au

620 André HUET, op. cit., p. 322. 621 Ibid., p. 322. Le Professeur HUET rappelle d’ailleurs que « certains auteurs affirment même que l’appréciation des présomptions n’impliquent aucun conflit de lois ». 622 Ibid., p. 322.

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législateur qu’il appartient de préciser les conditions de liberté d’appréciation dudit magistrat

et ces conditions peuvent évidemment varier d’un Etat à un autre623.

Quoi qu’il en soit, l’impression domine d’une dichotomie entre les présomptions

légales et les présomptions judiciaires. Les premières, se rapprochant d’une règle de fond,

relèvent de la lex causae ; les secondes, d’essence purement procédurale, peuvent être

considérées comme régies par la lex fori624 voire comme échappant au domaine des conflits

de lois.

B- L’indifférence du droit international privé à l’égard des

présomptions-concepts

Les présomptions-concepts, quant à elles, semblent encore plus rétives à l’emprise

qualificatrice du droit international privé. Pour des raisons structurelles – elles constituent le

motif souvent implicite d’une règle de droit et sont donc situées en amont de cette dernière –

elles échappent à coup sûr au domaine des conflits de lois. A cet égard, le droit international

privé ne fait que confirmer ce qu’on savait déjà : fondamentalement ambiguës, les

présomptions-concepts sont plus proches des sources du droit que du droit lui-même.

Finalement, l’approche de la valeur juridique des présomptions par le biais du droit

international privé est à la fois intéressante et frustrante. Intéressante car elle révèle la

proximité entre les présomptions légales et les règles de fond. Frustrante car elle n’a pas

permis d’en découvrir davantage quant à la nature profonde commune des présomptions. Au

contraire, elle semble avoir repoussé cette dernière au rang des perspectives inattingibles.

Cependant il est encore trop tôt pour considérer l’unité présomptive comme une chimère : là

où le droit international privé a échoué, le droit européen des droits de l’Homme peut sans

doute réussir.

623 Eric FONGARO, op. cit., p. 229. 624 A ce propos, on note qu’il serait facile de rattacher les présomptions légales, qui ne sont jamais que des présomptions judiciaires systématisées par le législateur, à la même loi que ces dernières, à savoir la lex fori. Cependant, comme l’explique M. FONGARO : « si, dans le cas d’une présomption de l’homme, le fait inconnu se trouve établi au moyen d’une démarche intellectuelle du juge, la technique de la présomption légale, au contraire, force l’intime conviction de celui-ci, qui, dès lors, n’a plus à inférer de l’existence du fait connu l’établissement du fait inconnu. Il s’ensuit que la démonstration selon laquelle les présomptions légales doivent être analysées comme une généralisation et une systématisation des présomptions de fait ne prouve en rien la nature procédurale de ces dernières. Au contraire, le caractère forcé de l’inférence qui les caractérise tendrait à leur conférer une nature substantielle ». Eric FONGARO, op. cit., p. 56.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

187

Section 2- La contribution décisive du droit européen des

droits de l’Homme : les présomptions, des principes

d’orientation cognitifs

L’approche de la nature fondamentale des présomptions par le biais de la distinction

classique entre règles de preuves et règles de fond, telle que le droit international privé l’a

tentée, n’apporte aucun élément concluant concernant la recherche de l’essence présomptive.

Pour analyser la contribution du droit de la CEDH quant à cette question, il convient donc de

se placer sur un autre terrain: celui du processus présomptif, dans sa part commune à toute

présomption. On le sait, la présomption est non seulement une technique probatoire mais aussi

un mode d’expression de visées substantielles. Autrement dit ces deux aspects sont

inévitablement mêlés dans chaque présomption car, si chaque présomption a une origine

purement probatoire625, son objectif, lui, n’est pas exclusivement probatoire. Ce constat tient à

la structure même de la présomption : elle permet de tenir quelque chose pour vrai par

anticipation lorsque les autres modes de preuve sont inopérants. Pour surpasser en puissance

les preuves traditionnelles, la présomption a donc recours à un ingrédient particulier : la

volonté de celui qui choisit de la mettre en œuvre. Or, qui dit volonté dit subjectivité : celui

qui présume a déjà une idée de la solution à laquelle il souhaite parvenir, c’est d’ailleurs

précisément pour cette raison qu’il présume. Les répercussions sur le mécanisme présomptif

sont sensibles : chaque présomption contribue à modifier en douceur la situation juridique de

son bénéficiaire (pendant le procès du fait de son rôle probatoire ou parfois à un stade

antérieur pour ce qui est des présomptions-concepts, en amont de la jurislation), elle l’oriente

dans une direction particulière, liée à des considérations extraprobatoires, c’est-à-dire à la

solution au fond du litige. Bref, celui qui présume ne le fait pas impunément. Comme l’a

constaté le Professeur DABIN, grâce aux présomptions « le législateur parvient à refouler

dans l’ombre telle réalité déplaisante, ou bien à prôner et à « légaliser » telle solution qui lui

plaît. En tout état de cause, il préjuge contre le vrai, parfois même contre le vraisemblable et,

sous couleur de preuve, c’est le fond du droit qui est engagé »626. C’est dans cette tension

625 Même les présomptions-concepts peuvent être considérées comme ayant une origine probatoire en ce sens qu’elles reposent, comme les présomptions-preuves, sur un passage du connu à l’inconnu. V. supra : ni tout à fait une présomption-preuve, ni tout à fait une présomption-postulat. 626 Jean DABIN, op. cit. p. 39, pp. 92-93.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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constante de la présomption vers une solution donnée, que réside l’essence présomptive.

Voilà pourquoi on peut qualifier toutes les présomptions de principes d’orientation cognitifs.

A ce titre, les présomptions, qu’elles soient probatoires, axiomatiques ou

conceptuelles, ont donc toutes un modus operandi fondamentalement identique (§ 1-) et sont

liées par des convergences concrètes (§ 2-).

§1- Un modus operandi fondamentalement identique

Principes d’orientations cognitifs, les présomptions opèrent toujours un infléchissement

sur la situation de leur bénéficiaire (A-) et constituent une source de connaissance préorientée

(B-).

A- L’infléchissement opéré par la présomption sur la situation de son

bénéficiaire

Modifier, influencer, orienter, ou encore infléchir, telle est bien l’action des présomptions

sur la situation de leur bénéficiaire. En droit de la CEDH, deux phénomènes le révèlent : le

fait que la présomption peut être une source d’objectivisation de la responsabilité d’une part

(1-), la censure in abstracto de certaines présomptions d’autre part (2-).

1- La présomption, source d’objectivisation de la responsabilité

Traditionnellement, la notion de responsabilité627 qui recouvre « l’obligation de répondre

d’un dommage devant la justice et d’en assumer les conséquences, civiles, pénales,

disciplinaires »628 est liée à celle, éminemment subjective, de faute. Est responsable celui qui

par sa faute, laquelle peut être constituée par une action ou une omission, cause à autrui un

préjudice. Pourtant, il est possible d’envisager des systèmes de responsabilité objective629

dans lesquels la référence à la faute disparaît, l’objectivisation ou « désubjectivisation » de la

responsabilité conduisant en somme à simplifier les conditions d’engagement de cette

dernière.

627 Geneviève VINEY, « La responsabilité », dans Archives de philosophie du droit, T. 35 : Vocabulaire fondamental du droit, Paris, Sirey, 1990, pp. 275 sq. 628 Gérard CORNU (dir.), op. cit. p. 37, « Responsabilité ». 629 Dans sa thèse, le Professeur DAVIGNON rappelle que, dans les sociétés dites primitives, la responsabilité est un concept purement objectif qui se subjectivise peu à peu (Jean-François DAVIGNON, La responsabilité objective de la puissance publique, Thèse, Grenoble, 1976, pp. 32-33). Dans ces conditions, on peut se demander si l’objectivisation ne marque pas un retour à une conception archaïque de la responsabilité.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Que le chemin vers la responsabilité objective soit pavé de présomptions n’a donc rien

d’étonnant : les présomptions-preuves qui déplacent l’objet de la preuve d’un fait difficile à

prouver vers un autre fait semblent taillées sur mesure pour faciliter les conditions

d’engagement de la responsabilité. Quelle meilleure source d’objectivisation qu’une

présomption de faute voire une présomption de responsabilité ?

En droit de la CEDH, un tel processus est à l’œuvre de manière flagrante dans les

présomptions de responsabilité sur le fondement des articles 2 et 3 de la Convention,

évoquées dans le précédent chapitre. Ces présomptions facilitent considérablement la preuve

de la violation desdits articles et donc la mise en jeu de la responsabilité étatique. Leur

fondement est, faut-il le rappeler, « l’obligation pour les autorités de rendre compte des

individus placés sous leur contrôle »630.

Dans un premier temps, sur le fondement de l’article 3, l’Etat peut être présumé

responsable de mauvais traitements subis pas une personne qui a été emprisonnée631, gardée à

vue632 ou a fait l’objet d’une arrestation633. Mais, dans ces circonstances, l’objectivisation de

la responsabilité se laisse, la plupart du temps, seulement pressentir. La responsabilité s’efface

en effet souvent derrière la causalité, le mécanisme à l’œuvre pouvant être décomposé comme

suit : en parallèle jouent une première présomption, dite « présomption de gravité »634, en

vertu de laquelle tout usage de la force tombe sous le coup de l’article 3 et une seconde

présomption, dite « présomption de causalité »635, selon laquelle les séquelles constatées

médicalement à l’issue d’une arrestation, garde à vue ou détention ont pour origine une

violation de l’article 3636, c’est-à-dire précisément un tel usage de la force.

630 CEDH, 9 mai 2000, Ertak c/ Turquie, req. n° 20764/92, § 132 ; CEDH, 1er mars 2001, Berktay c/ Turquie, req. n° 22493/93, § 169 ; CEDH, 22 juillet 2003, Ayşe Tepe c/ Turquie, req. n° 29422/95, § 40 ; CEDH, 22 juillet 2003, Esen c/ Turquie, Req. no 29484/95, § 28 ; CEDH, 31 mai 2005, Gültekin et autres c/ Turquie, req. n° 52941/99, § 28 ; CEDH, 21 septembre 2006, Söylemez c/ Turquie, req. n° 46661/99, § 106 ; CEDH, 31 octobre 2006, Dilek Yilmaz c/ Turquie, req. n° 58030/00, § 31. 631CEDH, 6 avril 2000, Labita c/ Italie, req. n° 26772/95, RTDH 2001, pp. 117 sq., obs. Marie-Aude BEERNAERT. 632 CEDH, 4 décembre 1993, Ribitsch c/ Autriche, req. n° 18896/91. 633 CEDH, 28 novembre 2000, Rehbock c/ Slovénie, req. n° 29462/95. 634 Frédéric SUDRE, op. cit., p. 305. 635 Ibid., p. 307. 636 Florence MASSIAS, « Chronique internationale – Droits de l’Homme », préc., p. 642. L’auteur énonce : « les requérants qui ont réussi à prouver la réalité des mauvais traitements (notamment par des expertises médicales constatant des traces physiques ou mentales) bénéficient dans certaines circonstance d’une double présomption : celle-ci inverse la charge de la preuve à la fois quant à l’origine des mauvais traitements (présomption dite « garde à vue ») et quant au seuil d’applicabilité de l’art. 3 (présomption dite « privation de liberté ») ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

190

Cependant, ce constat doit être relativisé puisque la Cour présume parfois directement la

responsabilité de l’Etat sans même attribuer précisément les blessures aux agents de l’Etat.

Ainsi dans l’arrêt Yücel contre Turquie637 , la Cour met clairement l’accent sur la

responsabilité puisqu’elle n’établit pas explicitement la causalité entre les séquelles

médicalement constatées sur le corps du requérant à l’issue de sa détention et l’emploi de la

force par les agents de l’Etat mais constate « un manquement de l’Etat à son obligation, au

regard de l’article 3, de protéger toute personne confiée aux mains de fonctionnaires de

police ou à un établissement carcéral et se trouvant de ce fait en situation de vulnérabilité,

sans qu’il puisse légitimement faire valoir ni l’acquittement des présumés responsables mis

en cause par les victimes de mauvais traitements (…) ni les difficultés inhérentes, par

exemple, à la lutte contre le terrorisme ou le crime organisé ». La responsabilité de l’Etat

pourrait même être ici engagée sur le fondement d’une obligation positive. Il en va de même

dans l’arrêt Dönmüş et Kaplan contre Turquie638 . D’ailleurs, certaines formules

particulièrement concises vont droit au but soulignant que c’est la responsabilité qui,

finalement, est l’objet de la présomption. Par exemple, on lit dans l’arrêt Cafer Kurt contre

Turquie : « Vu l’ensemble des éléments soumis à son appréciation et l’absence d’une

explication plausible de la part du Gouvernement, la Cour estime que l’État défendeur porte

la responsabilité des blessures constatées sur le corps du requérant »639. Grâce à cette

présomption, la responsabilité étatique est aisément engagée, on avoisine d’ailleurs une forme

d’automatisation : il suffit que la situation suivante soit avérée : une personne a été blessée

alors qu’elle était aux mains des agents de l’Etat, pour que la responsabilité de l’Etat soit

présumée.

Dans un second temps, le paroxysme de l’objectivisation est atteint en matière de respect

du droit à la vie : lorsqu’une personne a trouvé la mort alors qu’elle était aux mains des agents

de l’Etat, ce dernier est présumé responsable de son décès. L’objectivisation est d’autant plus

visible qu’il n’est pas rare que la violation intervienne sur le fondement d’une obligation

positive (l’obligation de protéger la personne détenue, éventuellement contre elle-même) ou

sur un fondement indéterminé ; peu importe alors que le décès soit survenu en raison d’une

intervention active des agents de l’Etat (meurtre ou torture) ou d’une absence d’intervention

637 CEDH, 8 avril 2008, Yücel c/ Turquie (n°1), req. n° 6686/03, § 50. 638 CEDH, 31 janvier 2008, Dönmüş et Kaplan c/ Turquie, req. n° 9908/03, § 49. 639 CEDH, 24 juillet 2007, Cafer Kurt c/ Turquie, req. n° 56365/00, § 34. V. aussi : CEDH, 20 octobre 2005, Orhan Aslan c/ Turquie, req. n° 48063/99, §51 : « la Cour estime établi en l’espèce que les séquelles constatées dans les rapports médicaux établis par un médecin de l’hôpital public, un médecin légiste et un médecin de la maison d’arrêt (…) ont pour origine un traitement dont l’Etat défendeur porte la responsabilité ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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de ceux-ci640. L’essentiel est l’engagement de la responsabilité étatique qui devient, à ce titre,

l’objet de la présomption.

On constate que le mouvement d’objectivisation de la responsabilité, lorsqu’il atteint une

certaine ampleur, se traduit par une véritable mutation du mécanisme de la présomption-

preuve. En effet lorsque ce n’est plus le comportement fautif source de responsabilité qu’on

présume mais directement la responsabilité, on n’infère plus un fait inconnu d’un fait connu :

on infère une conséquence juridique dudit fait connu. C’est bien le cas en droit de la CEDH.

Ainsi, dans le précédent chapitre, à propos des présomptions de responsabilité sur le

fondement des articles 2 et 3 de la Convention, s’était-on gardé d’énoncer que la présomption

inférait un fait inconnu d’un fait connu. On avait plus largement mentionné un passage du

connu à l’inconnu.

Ainsi, la responsabilité s’automatise en quelque sorte grâce aux présomptions, lesquelles

exigent de l’Etat une preuve contraire particulièrement lourde : il doit fournir une explication

plausible aux événements en cause et ne peut se contenter de montrer qu’il n’y a pas participé.

La présomption de responsabilité est, en quelque sorte, une présomption de faute d’une

puissance démultipliée, si considérable, qu’elle en perd son âme - la faute - pour réaliser son

objectif - la responsabilité. Autrement dit, la présomption de responsabilité naît d’une

présomption de faute qu’elle métamorphose par la perte de son aspect factuel et la résurgence

de sa finalité dans son objet même. A quoi l’on voit que la présomption se substantialise et

que son mode d’action consiste en un infléchissement de la situation de son bénéficiaire : si

on ne fait que l’entrevoir dans les présomptions plus traditionnelles on le comprend

pleinement avec les présomptions de responsabilité qui, dénuées d’hypocrisie, font prévaloir

leur but - la responsabilité - au point qu’il devient leur objet. En somme, toute présomption

poursuit un but précis à travers son action initialement probatoire et interfère, ce faisant, sur la

situation de son bénéficiaire. Ainsi la présomption de paternité du mari de la mère a-t-elle

pour but de protéger la famille légitime en simplifiant la preuve de la paternité du mari. De

même, toujours en droit interne, l’article 1731 du Code civil selon lequel « s'il n'a pas été fait

d'état des lieux, le preneur est présumé les avoir reçus en bon état de réparations locatives, et

doit les rendre tels, sauf la preuve contraire » a pour but d’avantager le bailleur641. Dans le

premier cas, la situation est infléchie dans le sens d’une protection de la famille légitime, dans

le second dans le sens d’une protection du bailleur. Toute présomption, qu’elle soit une

640 CEDH, 10 avril 2001, Tanli c/ Turquie, req. n° 26129/95. 641 Jean DEVEZE, op. cit., p. 494.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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preuve, un postulat ou un concept, favorise toujours une option au détriment d’une autre :

pour ne citer qu’elles, la présomption-postulat d’innocence favorise la thèse de l’innocence,

tandis que la présomption-concept de dangerosité des marginaux favorise la thèse de la

dangerosité de ces derniers.

Ces constatations basées sur le processus d’objectivisation de la responsabilité via le

mécanisme présomptif prennent d’autant plus d’importance que ledit processus est loin d’être

un phénomène isolé, propre au droit de la CEDH. De semblables présomptions de

responsabilité existent notamment en droit civil et en droit pénal français.

En droit civil, on pense aux présomptions liées à l’article 1384 du Code civil. Par exemple

la responsabilité des parents du fait de leurs enfants mineurs642 reposait initialement sur une

présomption de faute643 que la preuve de l’absence de faute suffisait à renverser. Par la suite

cette présomption de faute se mua en une présomption de responsabilité644 ne cédant que

devant la preuve d’une cause étrangère. Elle devint finalement une véritable responsabilité de

plein droit645, seule la force majeure ou la faute de la victime pouvant alors exonérer les

parents. A l’instar d’Eric FONGARO, on observe que « si la responsabilité subjective

reposait sur la démonstration d’une faute de l’auteur du dommage, le souci d’indemnisation

des victimes caractérisant le droit contemporain de la responsabilité civile extra-

contractuelle tend à lui substituer de plus en plus fréquemment une responsabilité objective

s’appuyant sur une présomption de responsabilité »646.

Mutatis mutandis, de telles présomptions existent aussi en droit pénal. Ainsi les

responsabilités du fait d’autrui du chef d’entreprise et du directeur de publication sont-elles

des responsabilités présumées. Virginie HECQUET estime que ces présomptions tendent à

désigner un responsable et à assurer une répression systématique, en garantissant l’existence

d’un responsable647. Evoquant une conception « finaliste » de la présomption648, elle explique

qu’il s’agirait pour le législateur ou le juge de mettre « la présomption au service de l’objectif

642 Mireille BACACHE-GIBEILI, Les obligations, la responsabilité extracontractuelle, Economica, Paris, 2007, pp. 288 sq. 643 Cass. Civ. 2, 12 octobre 1955, D., 1956 p. 301 note R. RODIERE. 644 Cass. Ass. Plén. 9 mai 1984, Fullenwarth, RTD civ,. 1984, P. 508, obs. J. HUET. 645 Cass., Civ. 2, 19 février 1997, Bertrand, D., 1997, p. 265, note P. JOURDAIN. 646 Eric FONGARO, op. cit., pp. 58-59. 647 Virginie HECQUET, op. cit., p. 290. 648 Ibid., p. 289.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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qu’il s’est fixé, c’est-à-dire la désignation d’un responsable en vue de garantir la répression

d’une infraction »649.

Si l’on peut partager ses vues à cet égard, on peut cependant s’en éloigner lorsqu’elle voit

dans ces présomptions de véritables dénaturations du mécanisme originel fondé sur la

probabilité affirmant que « le raisonnement suivi dans l’élaboration de ces dispositions est

inverse de celui qui conduit aux présomptions tendant à faciliter la preuve »650. On peut au

contraire considérer ces présomptions de responsabilité comme de simples mutations du

mécanisme originel, mutations qui reflètent en définitive l’ambiguïté fondamentale de toute

présomption. Si l’on présume un fait inconnu B à partir d’un fait connu A, c’est précisément

parce que ce fait B est juridiquement pertinent, qu’il a des conséquences juridiques

particulières. « Le procédé des présomptions, écrit le professeur DABIN, ne frappe que les

faits eux-mêmes susceptibles de déterminer, à un titre quelconque (de conditions

d’application ou de simples motifs) les solutions juridiques consécutives »651. Sinon quel

intérêt aurait la présomption ? Or, de là à présumer directement les conséquences juridiques il

n’y a qu’un pas, aisément franchissable. Finalement, toute présomption est conditionnée par

les buts qu’elle poursuit, lesquels infléchissent inéluctablement, d’une manière ou d’une autre,

la situation du bénéficiaire de la présomption, l’orientant dans une situation précise. Le

comble de ce conditionnement des présomptions par leur but est atteint avec les présomptions

de responsabilité qui rendent tangible l’infléchissement ainsi opéré.

On reviendra plus tard sur les objectifs poursuivis par les présomptions de responsabilité ;

pour l’heure, il convient d’aborder l’autre phénomène symptomatique de l’infléchissement

opéré par la présomption sur la situation de son bénéficiaire.

2- La censure in abstracto de certaines présomptions

A chaque pays ses présomptions, à chaque pays sa couverture juridique pour des pratiques

suspectes ! Tel est le constat qu’on aurait envie de dresser à la lecture d’une longue série

d’arrêts rendus par la Cour de Strasbourg contre la Grèce652, Etat habitué à exproprier en toute

649 Ibid., p. 291. 650 Ibid., p. 211. 651 Jean DABIN, op. cit. p. 39, p. 233. 652 CEDH, 15 novembre 1996, Katikaridis et autres c/ Grèce, req. n° 19385/92 ; CEDH, 15 novembre 1996, Tsomtsos et autres c/ Grèce, req. n° 20680/92 ; CEDH, 1er août 2000, Savvidou c/ Grèce, req. n° 38704/97 ; CEDH, 25 mars 1999, Papachelas c/ Grèce, req. n° 31423/96 ; CEDH, 19 septembre 2002, Azas c/ Grèce, req. n° 50824/99 ; CEDH, 10 juillet 2003, Efstathiou et Michaïlidis & Cie Motel Amerika c/ Grèce, req. n° 55794/00 ; CEDH, 10 juillet 2003, Interoliva Abee c/ Grèce, 58642/00 ; CEDH, 10 juillet 2003, Konstantopoulos AE et

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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facilité grâce à des présomptions légales. Il s’agit de présomptions dites « de profit » ou

« d’auto-indemnisation » en vertu desquelles les propriétaires expropriés, présumés avoir tiré

profit de ladite expropriation, ne sont pas indemnisés. Intéressantes à plus d’un titre, ces

présomptions le sont spécialement à ce stade de notre étude puisque, ayant été censurées in

abstracto par la CEDH, elles révèlent pleinement l’infléchissement opéré par la présomption

sur la situation de son bénéficiaire.

Certes, les Etats bénéficient d’une large marge d’appréciation dans le choix des moyens

leur permettant de réaliser leur politique d’aménagement du territoire. Cependant, aussi vaste

soit-elle, cette marge d’appréciation n’échappe guère au contrôle européen653 lequel s’étend

notamment à la proportionnalité de l’ingérence. En l’occurrence, la Cour a donc dû vérifier

qu’un juste équilibre avait été préservé entre l’intérêt général et le droit de chacun au respect

de ses biens au sens de l’article 1 du Protocole 1. Or, en principe, le contrôle européen

intervient in concreto654 : « (…) la cour ne saurait, dans le cadre de l’examen auquel elle se

livre par rapport à des faits précis, se pencher dans l’abstrait sur la compatibilité d’une

législation avec la Convention ; elle doit se prononcer seulement sur la manière dont cette

législation a été appliquée au détriment du requérant », rappelle Michele DE SALVIA655. Le

contentieux européen a donc un caractère subjectif, la Cour n’ayant pas pour mission

d’invalider un texte de portée générale et impersonnelle mais de contrôler la conventionalité

d’une situation individuelle656. L’originalité des affaires grecques réside précisément dans le

fait que la censure n’intervient pas in concreto, mais in abstracto, le système bâti sur la

présomption étant jugé en soi d’une rigidité excessive657. Cette condamnation abstraite montre

que la présomption avant même d’être appliquée, c’est-à-dire par sa seule existence, modifie

la situation de son bénéficiaire. Cette modification est d’une telle ampleur que l’existence de

la présomption est susceptible de constituer, à elle seule, une violation de la Convention. C’est

dire à quel point l’intervention d’une présomption dépasse le cadre probatoire de son contexte

d’émergence. Ainsi, dans l’arrêt Papachelas, après avoir souligné que « ce système, qui ne

tient aucun compte de la diversité des situations, en méconnaissant les différences résultant

autres c/ Grèce, req. n° 58634/00 ; CEDH, 18 janvier 2005, Organochimika Lipasmata Makedonias A.E. c/ Grèce, req. n° 73836/01 ; CEDH, 11 octobre 2007, Poulitsidi c/ Grèce, req. n° 35178/05. 653 Sur la question de la marge nationale d’appréciation et du contrôle européen, V. : Jean-Pierre MARGUENAUD, op. cit., pp. 51-56. 654 Serge GUINCHARD et al., Droit processuel, droit commun du procès, Paris, Précis Dalloz, 2001, p. 91. 655 Michele DE SALVIA, « La Cour européenne des droits de l’Homme est-elle par la nature de ses arrêts un véritable tribunal de pleine juridiction ? », RTDH, 2006, pp. 483 sq., p. 490. 656 Jean-François FLAUSS, loc. cit. p. 22, pp. 720-721. 657 Sébastien VAN DROOGHENBROECK, op. cit., pp. 322-323.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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notamment de la nature des travaux et de la configuration des lieux, a déjà amené la Cour à

conclure à la violation de l’article 1 du Protocole n° 1 dans deux affaires similaires »658, cette

dernière avoue sans ambiguïté la nature abstraite de son analyse : « il n’y a pas lieu, à ce

stade, de rechercher si les requérants ont réellement subi un préjudice ; c’est dans leur

situation juridique même que l’équilibre à préserver a été détruit »659. En d’autres termes, la

Cour ne tient nullement compte de l’existence réelle d’une violation : peut-être les requérants

n’ont-ils même pas subi de préjudice. Cependant, leur situation a été si bien infléchie par la

présomption que la pesée concrète des intérêts en présence n’était plus possible, le juste

équilibre entre ces divers intérêts pouvant se réaliser par hasard660 mais ne pouvant plus être

recherché.

Ainsi, tant l’objectivisation de la responsabilité grâce aux présomptions que la censure in

abstracto de ces dernières tendent à prouver qu’elles infléchissent la situation de leur

bénéficiaire. Cette caractéristique semble se vérifier dans toute présomption : il va sans dire

que les présomptions-postulats, du fait de leur nature axiomatique, supposent le choix d’une

hypothèse précise par préférence à d’autres comme point de départ. Ainsi l’innocence, la

bonne foi ou encore le respect du droit par les Etats sont les options que l’on préférerait voir

consacrer et qui vont donc guider le raisonnement. Mais la présomption-preuve et la

présomption-concept déterminent, elles aussi, une direction orientant tout le raisonnement qui

va suivre en favorisant telle ou telle thèse. Par ailleurs, à bien y regarder, l’infléchissement

opéré par la présomption est confirmé par un élément d’ordre structurel: lorsqu’une

présomption ne peut être renversée, qu’elle est irréfragable ou aréfragable comme la

présomption-concept, nul ne conteste qu’elle modifie complètement la situation de son

bénéficiaire, à tel point qu’on a pu la comparer à la fiction. Or, toute présomption est

théoriquement susceptible de devenir absolue. Quelle que soit la présomption avec laquelle on

fasse le test, on constate que l’irréfragabilité la rendrait implacable : il n’y aurait aucun moyen

de se soustraire à l’infléchissement qu’elle entraîne. Par exemple, si la présomption

d’innocence était irréfragable, il ne pourrait plus y avoir de coupables ; à l’inverse si les

présomptions de responsabilité étaient absolument irréfragables, rien ne pourrait empêcher

leur application. Mais ne jouons pas trop à l’irréfragabilité présomptive de peur que

658 CEDH, 25 mars 1999, Papachelas c/ Grèce, req. n° 31423/96, § 53. 659 Ibid., § 54. 660 Cas où les travaux réalisés à la suite de l’expropriation augmenteraient la valeur de la partie non expropriée du bien.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

196

l’effrayant potentiel des présomptions ne nous conduise à reléguer celles-ci au rang des

techniques à bannir de l’espace juridique !

Finalement, cette tension de la connaissance dans une direction choisie est la

caractéristique essentielle de toutes les présomptions, lesquelles sont donc des sources de

connaissance préorientée.

B- La présomption, source de connaissance préorientée

Le droit de la CEDH est parvenu à déceler le point focal des présomptions : il se situe

dans leur capacité à infléchir la situation juridique qu’elles régissent. En choisissant d’emblée

une hypothèse par préférence à une autre, les présomptions favorisent une solution précise.

Ajoutée à leur fonction cognitive primordiale, cette caractéristique fait d’elles des sources de

connaissance préorientée. C’est précisément pour cette raison que les présomptions peuvent

être qualifiées de principes d’orientation cognitifs (1-), certains indices jurisprudentiels étant

en outre favorables à l’utilisation de cette appellation (2-).

1- La justification de l’appellation principe d’orientation cognitif

En tant que sources de connaissance préorientée, les présomptions sont toutes susceptibles

d’être qualifiées de principes d’orientation cognitifs.

Dans un premier temps, l’emploi du substantif orientation et de l’adjectif cognitif,

respectivement complément du nom et épithète du terme principe, ne pose guère de

difficultés. Le premier vocable évoque l’infléchissement opéré par la présomption sur la

situation juridique à laquelle elle est liée, les substantifs orientation et infléchissement étant

d’ailleurs quasiment synonymes. Le second a trait au fait que la présomption, mécanisme

permettant de tenir pour vrai quelque chose qui n’est pas prouvé, intervient au sein d’une

entreprise de connaissance. Ainsi, d’après le Professeur RESCHER, « presumption (…) is a

salient resource of cognition », tandis que « “to presume” is a cognitive verb »661.

Dans un second temps, l’utilisation du terme principe mérite en revanche d’être davantage

explicitée. Elle pourrait en effet susciter des réticences pour deux raisons. D’un côté, il est

notoire qu’à force d’usages plus ou moins opportuns, ce terme a perdu qualitativement ce

qu’il a gagné quantitativement : sa visibilité s’est accrue à mesure que sa signifiance s’est

altérée. « Les principes juridiques sont abondamment mis à contribution pour ne rien

exprimer, asservis à la dialectique » observe le Professeur MORVAN. Il ajoute que « le

661 Nicholas RESCHER, op. cit..

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

197

succès du mot a ruiné sa valeur singulière, noyée dans un pluriel ampoulé »662. Avoir recours

une nouvelle fois à ce terme pourrait donc être assimilé à un manque de rigueur. D’un autre

côté, le second reproche auquel on s’expose est celui d’avoir employé un mot déjà fortement

connoté juridiquement hors de son contexte habituel. Le juriste évoquant la notion de

principe, fait en effet référence, la plupart du temps, à celle de « principes généraux » ou de

« principes généraux du droit » 663 lesquelles recouvrent indistinctement « une même

technique de découverte (ou de création) des sources non écrites du droit »664, ce qui ne nous

concerne pas ici.

Cependant l’emploi du terme principe pour décrire le substrat présomptif n’est ni un

expédient, ni une référence à la notion de principes généraux. On ne saurait oublier que ce

terme revêt d’autres significations dans le langage extrajuridique ; il désigne généralement

une « notion importante de laquelle dépend tout développement ultérieur en toute

connaissance »665. Or, concernant les présomptions, c’est dans ce sens là qu’il doit être

compris666. Etymologiquement, il y a dans le terme principe tout à la fois une idée de

commencement – le principe étant l’origine première d’une chose - et une idée de causalité,

lesquelles sont d’ailleurs interdépendantes, un principe étant en définitive la source d’une

action. Comme le souligne André LALANDE667, le principe est aussi « ce qui rend compte

d’une chose, ce qui en contient ou ce qui en fait comprendre les propriétés essentielles et

caractéristiques ». Or, ce qui est remarquable et fait la richesse de ce mot, c’est que tous ses

sens sont liés, formant « une sorte de champ continu où l’on ne peut définir que des points de

condensation et des repères »668. Cette ampleur sémantique paraît donc appropriée pour

refléter l’ambiguïté et le rayonnement de la présomption, et surtout le fait que celle-ci est une

forme de préconnaissance conditionnée par ses objectifs669.

662 Patrick MORVAN, « Principes », dans Denis ALLAND et Stéphane RIALS, op. cit. p. 23, pp. 1201 sq. 663 Sur cette question, V. : Marielle DE BECHILLON, La notion de principe général en droit privé, Thèse, PUAM, 1998. 664 Katarzyna GRABARCZYK, op. cit., p. 98. 665 Définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/principe], (2010-06-02). 666 A cet égard, on peut également noter que, d’après le Professeur MORVAN, « les principes demeurent le vocable privilégié pour désigner le résultat, l’objet de toute activité de connaissance de l’être ». MORVAN Patrick, op. cit., p. 10. 667 André LALANDE, op. cit., V. Vol. 2, « Principe », pp. 287 sq. 668 Ibid.. 669 A cet égard, la définition fournie par Michel BLAY est également intéressante : un principe serait le « commencement de l’être d’une chose, en tant qu’il conditionne aussi la possibilité d’une connaissance adéquate de la chose ». Michel BLAY, Dictionnaire des concepts philosophiques, CNRS Ed., Larousse, Paris, 2006.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

198

Par ailleurs, il convient de relativiser la portée du mot principe. En l’occurrence, il ne

s’agit nullement de rebaptiser les présomptions et d’en faire de nouveaux principes juridiques,

mais simplement de tenter de décrire ce qui fait leur unité fondamentale.

En somme, l’expression « principe d’orientation cognitif » semble correspondre au

processus à l’œuvre dans la présomption entendue comme la source d’une connaissance

qu’elle conditionne par les moyens auxquels elle fait appel pour l’acquérir et le but qu’elle

poursuit. Certains indices jurisprudentiels semblent d’ailleurs favorables à son utilisation.

2- Les indices jurisprudentiels favorables à son utilisation

Le droit de la CEDH recèle trois indices corroborant l’idée que les présomptions, quelle

que soit leur nature, sont des principes d’orientation cognitifs. L’un est structurel et a trait au

rôle des présomptions-concepts dans la jurisprudence européenne (a-). Les deux autres sont

textuels : le premier concerne le classement de certaines présomptions-preuves dans les

« principes généraux » cités par la Cour dans ses arrêts (b-), le second est lié au fait que la

présomption-postulat d’innocence est souvent nommée « principe de la présomption

d'innocence » par le juge européen (c-).

a- Présomptions-concepts, principes et sources du droit

En droit de la CEDH, c’est paradoxalement grâce à la plus discrète des présomptions, la

présomption-concept, que la pertinente de l’expression « principes d’orientation cognitifs »

apparaît.

L’apport du droit de la CEDH concernant ces présomptions est en effet si considérable

qu’il modifie le rapport que le juriste entretient avec elles en les rendant, le cas échéant,

explicites. Si, en droit interne, les présomptions-concepts ne peuvent généralement être

décelées qu’au prix d’efforts intellectuels, il arrive que le juge européen, à l’inverse, les

revendique. C’est le cas des présomptions de vulnérabilité applicables notamment aux

détenus670. D’après la Cour de Strasbourg, « il y a lieu de présumer qu’un détenu, enfermé

dans un espace clos, ayant peu de contacts avec ses proches ou avec le monde extérieur et

670 Les détenus ne sont pas les seuls à bénéficier d’une telle présomption. Lydie DUTHEIL-WAROLIN montre qu’il existe en réalité quatre « catégories générales de personnes présumées vulnérables dans la jurisprudence de la Cour » : les enfants mineurs, les personnes atteintes d’une maladie (maladie incurable en phase terminale ou troubles mentaux), les personnes en détention et enfin les victimes de torture. Lydie WAROLIN-DUTHEIL, op. cit..

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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constamment soumis à l’autorité de l’administration de la prison, présente un degré de

vulnérabilité certain »671.

Il s’agit indubitablement de présomptions-concepts car elles motivent le raisonnement qui

va suivre et sont aréfragables. L’Etat défendeur ne peut les renverser, car elles correspondent

aux motifs sous-tendant le raisonnement de la Cour, à sa conception profonde du sort des

détenus. Or, l’aréfragabilité des présomptions-concepts conjuguée à leur situation

d’antériorité par rapport au raisonnement juridique les rapproche sensiblement des principes

entendus comme des « propositions directrices, caractéristiques, auxquelles tout le

développement ultérieur doit être subordonné »672

La revendication par le juge européen de la présomption constituant la source de son

raisonnement met en lumière l’infléchissement opéré par cette dernière sur la situation

juridique qu’elle concerne. Sans cette présomption-concept, la solution serait

incontestablement différente. La Cour le révèle lorsque, après avoir qualifié de pressions

inacceptables entravant l’article 34 les actes d’intimidation de gardiens à l’égard d’un détenu

entretenant une correspondance avec elle, elle ajoute que « cette conclusion s’impose d’autant

plus en l’espèce eu égard à la vulnérabilité du plaignant, enfermé dans un espace clos et

ayant, de ce fait, peu de contacts avec ses proches ou avec le monde extérieur »673. En

définitive, la présomption-concept de vulnérabilité est la source de l’obligation positive674

particulièrement forte de protéger les détenus. Ainsi, la présomption-concept semble mériter

l’appellation de principe d’orientation cognitif.

b- Présomptions-preuves et « principes généraux » au sens de la jurisprudence

européenne

Lorsque sa jurisprudence concernant la question dont il doit traiter est déjà établie, le juge

européen procède selon une sorte de schéma qui guide son raisonnement. Dans la partie de

l’arrêt intitulée en droit, après avoir annoncé l’article de la Convention dont la violation est

alléguée, il rappelle les « principes généraux » pertinents et, enfin, les applique au cas

d’espèce. Or, il n’est pas rare qu’au titre desdits principes généraux, soient évoquées certaines

présomptions-preuves. C’est le cas, par exemple, des présomptions de responsabilité sur le

671 CEDH, 15 juin 2006, Moisejevs c/ Lettonie, 15 juin 2006, req. n° 64846/01, § 180 ; CEDH, 15 juin 2006, Kornakovs c/ Lettonie, req. n° 61005/00, § 164 ; CEDH, 30 novembre 2006, Igors Dmitrijevs c/ Lettonie, req. n° 61638/00, § 95. 672 André LALANDE, op. cit., Vol. 2, « Principe ». 673 CEDH, 3 juin 2003, Cotleţ c/ Roumanie, req. n° 38565/97, § 71. 674 V. par exemple : CEDH, 14 mars 2002, Paul et Audrey Edwards, req. n° 46477/99, § 56.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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fondement des articles 2 et 3 de la Convention. Ainsi, dans l’arrêt Canan contre Turquie675, la

Cour se réfère implicitement à ces présomptions en énonçant : « lorsqu'un individu est placé

en garde à vue alors qu'il se trouve en bonne santé et que l'on constate qu'il est blessé au

moment de sa libération, il incombe à l'Etat de fournir une explication plausible sur l'origine

des blessures ». De même, dans l’arrêt Isigova et autres contre Russie676, beaucoup plus

explicite, on lit lors du rappel des “general principles”: « Where the events in issue lie wholly,

or in large part, within the exclusive knowledge of the authorities, such as in cases where

persons are under their control in custody, strong presumptions of fact will arise in respect of

injuries and death occurring during that detention. Indeed, the burden of proof may be

regarded as resting on the authorities to provide a satisfactory and convincing explanation

(…). These principles apply also to cases in which, although it has not been proved that a

person has been taken into custody by the authorities, it is possible to establish that he or she

entered a place under their control and has not been seen since. In such circumstances, the

onus is on the Government to provide a plausible explanation of what happened on the

premises and to show that the person concerned was not detained by the authorities, but left

the premises without subsequently being deprived of his or her liberty (…) »677.

Les présomptions de discrimination sur le fondement de l’article 14 sont également citées

au titre des principes généraux dans les arrêts D.H. contre République tchèque et Sampanis

contre Grèce678.

A première vue, l’intégration de ces présomptions-preuves au sein des principes généraux

rappelés par la Cour de Strasbourg dans ses arrêts paraît contredire les développements

précédents. Il s’agissait en effet de démontrer que le terme « principe » tel qu’utilisé dans

l’expression « principes d’orientation cognitifs » ne devait rien à la notion classique de

principe général. En réalité, la cohérence est sauve car la notion de principe général utilisée en

l’occurrence n’a rien à voir avec la notion de principe général dans son sens juridique

traditionnel. D’après Katarzyna GRABARCZYK, ce type de principe général équivaudrait à

« une règle théorique qui guide une conduite » ou encore à « une proposition admise comme

675 CEDH, 26 juin 2007, Canan c/ Turquie, req. n° 39436/98, § 72. 676 CEDH, 26 juin 2008, Isigova et autres c/ Russie, req. n° 6844/02, §§ 90-91. 677 Les présomptions de responsabilité sont classées parmi les principes généraux, de manière plus ou moins explicite, dans de nombreux arrêts. V. entre autres : CEDH, 27 juin 2000, Salman c/ Turquie, req. n° 21986/93, §§ 99-100 ; CEDH, 10 avril 2001, Tanli c/ Turquie, req. n° 26129/95, § 109 ; CEDH, 29 avril 2008, Kaplanova c/ Russie, req. n° 7653/02, §§ 94-95 ; CEDH, 31 juillet 2008, Vasil Petrov c/ Bulgarie, req. n° 57833/00, § 66. 678 CEDH, 13 novembre 2007, D. H. c/ République Tchèque, req. n° 57325/00, §§177-180 ; CEDH, 5 juin 2008, Sampanis et autres c/ Grèce, req. n° 32526/05, §§ 70-71.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

201

base de raisonnement ». L’emploi de cette expression manifesterait donc simplement

« l’intention du juge européen de réitérer sa jurisprudence ». En somme, le mot principe

serait utilisé en l’occurrence dans uns sens similaire à celui qu’on entend lui donner dans

l’expression « principe d’orientation cognitif ».

c- Le principe de la présomption d’innocence

D’après plusieurs indices jurisprudentiels européens, l’expression principe d’orientation

cognitif paraît pertinente pour désigner les présomptions-concepts et les présomptions-

preuves. De tels indices existent-ils également en matière de présomptions-postulats ? Sans

doute ; c’est en tout cas à semblable indice qu’on pourrait assimiler la désignation de la plus

célèbre d’entre elles par la formule « principe de la présomption d’innocence »679.

Outre la Cour européenne, diverses juridictions ainsi que la doctrine tiennent la

présomption d’innocence pour un véritable principe juridique. Cependant cette qualification

est parfois considérée comme incompatible avec celle de présomption, la présomption

d’innocence étant, en quelque sorte, une fausse présomption680. C’est ce qui ressort de la thèse

d’Hervé HENRION681 : selon cet auteur, la présomption d’innocence ne saurait être assimilée

à une présomption. Elle se serait émancipée du domaine probatoire au point de devenir un

principe juridique consubstantiel au procès pénal.

Or, si l’on ne peut contester que la présomption d’innocence soit un véritable principe, on

voit mal en quoi cet aspect serait en contradiction avec sa nature fondamentalement

présomptive. A l’inverse, on peut même soutenir que, si la présomption d’innocence

correspond à un principe juridique au sens traditionnel de l’expression, c’est précisément

parce qu’elle est d’abord une présomption, qui plus est une présomption de nature

axiomatique. Point de départ d’un raisonnement favorisant l’hypothèse de l’innocence du

prévenu, la présomption d’innocence attribue la charge de la preuve à l’accusation, le doute

profitant ainsi au présumé innocent. Mais, comme toute présomption-postulat, elle a un

caractère transcendant et ses conséquences dépassent le simple cadre probatoire. En tant que

principe d’orientation cognitif, elle indique un état de l’ordre du désirable - l’innocence - et

679 V. notamment : CEDH, 27 septembre 2007, Vassilios Stravopoulos c/ Grèce, req. n° 35522/04, §§ 23, 25, 37, 39 et 53 ; CEDH, 27 septembre 2007, Smatana c/ République tchèque, req. n° 18642/04, § 102 ; CEDH, 6 décembre 2007, Giannetaki E. & S. Metaforiki LTD et Giannetakis c/ Grèce, req. n° 29829/05, § 33 ; CEDH, 2 décembre 2008, Erdal Aslan c/ Turquie, req. n°s 25060/02 et 1705/03, § 80 ; CEDH, 9 décembre 2008, Korkut c/ Turquie, req. n° 10693/03, § 17. 680 Stéphane DETRAZ, loc. cit.. 681 Hervé HENRION, op. cit..

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

202

infléchit, ce faisant, la situation juridique de son bénéficiaire: « la présomption d’innocence

modèle les interactions entre protagonistes du procès pénal en rééquilibrant de manière

optimale l’antagonisme de concurrence les opposant. Du point de vue de l’individu, elle lui

garantit une sphère de liberté intangible dans le cadre de la règlementation des mesures de

contrainte étatiques. Du point de vue de l’Etat, elle engendre le devoir d’impartialité des

organes publics du procès » 682 . Ainsi, ne soyons pas trop prompts à nier la nature

essentiellement présomptive de la présomption d’innocence : cette dernière est un principe

juridique parce qu’elle est initialement une présomption, c’est-à-dire un principe d’orientation

cognitif. En d’autres termes, les répercussions du processus probatoire qu’elle met en œuvre

sont telles qu’elles conditionnent l’ensemble de la procédure pénale méritant à juste titre

l’appellation de principe.

Finalement toute présomption est donc un principe d’orientation cognitif. Sans doute

nombreuses sont celles qui, de ce fait, sont d’authentiques principes juridiques en puissance.

En réalité, tout est ici question d’échelle. La différence entre la présomption, simple principe

d’orientation cognitif, et celle qui acquiert la force d’un authentique principe juridique est une

différence de degré et non de nature.

Quoi qu’il en soit, chaque présomption est source de connaissance, principe de

connaissance. Chaque présomption est le premier pas vers une connaissance dont l’acquisition

est préorientée par la structure de la présomption et les buts extracognitifs de cette dernière.

Cette essence présomptive fondamentale se manifeste par des convergences concrètes.

§ 2- Des convergences concrètes

Il n’est pas rare que les chemins des présomptions-preuves, présomptions-postulats et

présomptions-concepts se croisent, se rencontrent, bref convergent. Ce phénomène, mis en

évidence par le droit de la CEDH, n’est pas anodin. Il atteste l’essence commune des

présomptions. Les convergences entre présomptions sont en effet tout à la fois la

manifestation et la conséquence de leur nature de principes d’orientation cognitifs. Elles

s’articulent autour de trois mouvements symboliques des chevauchements et recoupements

présomptifs : tout d’abord un cycle présomptif (A-), ensuite un équilibre présomptif (B-) et

enfin des échelles présomptives (C-).

682 Marie-Laure LANTHIER, « Actualité doctrinale de la présomption d’innocence », RPDP, 2007, pp. 829 sq., spéc. p. 831.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

203

A- Cycle présomptif

Premier signe des convergences entre les diverses présomptions, l’existence d’un cycle

présomptif683 : les changements et variations subis par la présomption – en tant que principe

d’orientation cognitif - et qui en font soit une présomption-preuve, soit une présomption-

postulat, soit une présomption-concept, la ramènent précisément toujours à son état primordial

de principe d’orientation cognitif. Ce cycle présomptif se manifeste tantôt par des incertitudes

quant à la catégorie à laquelle appartient une présomption, c’est-à-dire par des interférences

intracatégorielles (1-), tantôt par une relation de proximité entre plusieurs présomptions, c’est-

à-dire par des liens interprésomptifs (2-).

1- L’existence d’interférences intracatégorielles

En un sens, on serait porté à croire que le respect des catégories établies dans la théorie

générale garantit la spécificité et la qualité des présomptions et, surtout, celle de l’étude

entreprise. Toutefois, il ne faudrait pas manifester un excès de rigidité et ériger le respect des

catégories établies en une sorte de principe de conformité ayant valeur absolue. Au contraire,

la perméabilité des frontières entre présomptions-preuves, présomptions-postulats et

présomptions-concepts est sans doute l’une des manifestations les plus significatives de leur

essence commune. Avant de rechercher des explications aux interférences entre les catégories

de présomptions (b-), quelques exemples de ce genre de phénomènes méritent d’être évoqués

(a-).

a- Exemples d’interférences intracatégorielles

Manifestation évidente d’interférences intracatégorielles, la détermination de la catégorie

dont relève une présomption s’avère parfois malaisée voire impossible684.

En droit de la CEDH, le processus d’explicitation des présomptions-concepts - déjà

plusieurs fois évoqué685 - rend leur caractérisation ardue. En tant que raison d’être d’une

683 V. Annexe 4 : cycle présomptif. 684 Outre ces difficultés inhérentes à la détermination de la nature d’une présomption, il existe un second type de manifestation des interférences entre les catégories présomptives : la possibilité pour une présomption de changer de catégorie au gré des circonstances. Ainsi, en droit international privé, à propos des effets des jugements étrangers indépendants de l’exequatur, les Professeurs LOUSSOUARN et BOURREL notent qu’« on peut admettre que la chose jugée elle-même est une circonstance favorable au bénéficiaire qui peut y puiser une présomption-simple ». L’autorité de chose jugée quitterait donc son statut de présomption-postulat pour celui de présomption-concept. Yvon LOUSSOUARN et Pierre BOURREL, Droit international privé, 7ème éd., Précis Dalloz, Paris, 2001, p. 634 § 10. 685 V. supra : une présomption en amont de la jurislation.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

204

jurislation, les présomptions-concepts sont en principe implicites. Or, quelles que soient les

motivations qui l’animent - visée pédagogique, désir d’objectivité et d’honnêteté intellectuelle

ou encore volonté de revendication de ses valeurs - le juge européen n’hésite pas à expliciter

certaines présomptions-concepts comme les présomptions de vulnérabilité. Ce processus

rapproche considérablement les présomptions-concepts des présomptions-postulats et atténue

la frontière entre ces deux types de présomptions au point de la rendre imperceptible.

Devenue explicite, la présomption-concept semble en effet s’apparenter elle aussi à un

axiome. A l’instar d’une présomption-postulat, elle paraît constituer le principe indémontrable

ou non démontré servant de point de départ au raisonnement. Dans ces conditions, comment

savoir si la présomption est restée le motif profond sous-tendant le raisonnement ou s’est

transformée en un véritable postulat juridique servant d’ancrage au raisonnement? Comment

analyser, notamment, le rôle joué par les présomptions de vulnérabilité vis-à-vis des

obligations positives qu’ont les Etats de protéger certaines catégories d’individus ? L’enjeu

est donc de savoir si cette inclination axiomatique de la présomption-concept est une simple

apparence ou, au contraire, une véritable interférence entre la catégorie des présomptions-

postulats et celle des présomptions-concept, interférence qu’aucun moyen ne permet de

dépasser en tranchant en faveur de l’une ou l’autre qualification.

Des indices structurels peuvent d’abord guider l’analyse: la présomption-postulat,

technique juridique à part entière, a un aspect nettement plus mécanique que la présomption-

concept qui, en tant que source du droit, tend davantage vers le subjectif. On pense ensuite à

l’incidence de la présomption sur la preuve : si la présomption-postulat attribue le risque de la

preuve à l’un des plaideurs, en revanche la présomption-concept n’a aucune répercussion sur

ce plan, puisqu’elle se situe en amont de tout débat probatoire. Il devrait donc être facile de

les distinguer l’une de l’autre.

Cependant, le critère de l’influence probatoire n’est pas toujours décisif quant au choix de

la catégorie dont dépend la présomption. La présomption-postulat irréfragable, dont

l’existence pour hypothétique qu’elle soit n’en est pas moins envisageable, place, elle aussi, la

question de la preuve contraire en dehors du débat. Ce faisant, elle n’attribue plus vraiment le

risque de la preuve mais permet, plus largement, de changer l’orientation globale de la preuve

en prenant en compte initialement une affirmation non démontrée. Dès lors, la présomption-

concept explicite et la présomption-postulat irréfragable semblent bien difficiles à distinguer,

toutes deux revenant peu ou prou à introduire dans le débat juridique un élément donné non

contestable par la suite (par exemple, la vulnérabilité des détenus).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

205

Finalement, la plupart du temps, le critère de la réfragabilité est suffisant pour distinguer

une présomption-concept explicite d’une présomption-postulat. Tandis que les présomptions-

postulats sont en principe simples, les présomptions-concepts sont naturellement aréfragables.

Même revendiquées, elles ne peuvent jamais être renversées par une preuve contraire. Les

plaideurs sont impuissants contre les valeurs des jurislateurs. Ainsi, devant la Cour de

Strasbourg, l’Etat défendeur tenterait vainement de démontrer que le détenu dont les droits

garantis par la Convention forment l’objet du litige n’était nullement vulnérable. En théorie,

un tel argument lui permettrait de se dégager de l’obligation positive lui incombant, à savoir

protéger les personnes détenues, mais il ne serait guère recevable en pratique. Reste qu’il

existe une zone de confusion entre présomptions-postulats et présomptions-concepts

explicites, une sorte de point d’achoppement indépassable situé là où l’irréfragabilité

potentielle de la première lui permet de s’aligner sur l’aréfragabilité naturelle de la seconde.

Ce type d’interférences intracatégorielles n’est pas un phénomène isolé propre au droit de

la CEDH et à la revendication des présomptions-concepts. Ainsi existe-t-il en droit interne des

zones de confusion entre présomptions-preuves et présomptions-postulats. On ne reviendra

pas sur le flou entourant les présomptions de discrimination utilisées par la Cour de cassation

en droit du travail686 : la nature de ces dernières évolue entre le probatoire et l’axiomatique au

gré des variations jurisprudentielles687. En revanche, la profonde ambiguïté de la présomption

de propriété attachée à la possession688 mérite plus ample présentation.

D’après le Doyen CARBONNIER, « Toute possession fait présumer jusqu’à preuve du

contraire, le droit de propriété dont elle est l’apparence689. Suivent de là des corollaires : 1)

Que le possesseur assume la position de défendeur dans le procès relatif à la propriété de la

chose (revendication) ; 2) Que le fardeau de la preuve, dans ce procès, incombe à la partie

qui n’est pas en possession ; 3) Que si la preuve de la propriété n’est par rapportée, le bien

devra, dans le doute, être laissé au possesseur (in pari causa melior causa possidentis) »690.

A première vue, on a donc l’impression que la présomption de propriété, puisqu’elle a pour

fonction d’attribuer la charge de la preuve, est une présomption-postulat. Toutefois, un doute

686 Catherine MINET, loc. cit.. 687 V. supra, le chapitre consacré aux présomptions-postultats. 688 Sur la possession, V.: Gérard CORNU, Droit civil, Introduction, Les personnes, Les biens, Paris, LGDJ, Montchrestien, 2005, pp. 477 sq.; Jean CARBONNIER, Droit civil, T. 3, Les biens, 19ème éd. refondue, Paris, PUF, 2000. 689 Gérard CORNU, op. cit. note 688, p. 488 n° 1158. Le Doyen CORNU observe qu’ « on dit volontiers que la possession vaut présomption de propriété ». 690 Jean CARBONNIER, op. cit. note 688, § 122, pp. 208 sq.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

206

surgit si l’on considère que cette présomption n’intervient pas vraiment ex nihilo mais repose

plutôt sur le passage du connu à l’inconnu caractéristique des présomptions-preuves. Un fait

inconnu, la propriété, est en effet inféré d’un fait connu, la possession. Autrement dit, sans

possession pas de présomption.

La présomption de propriété se trouve donc à mi-chemin entre la présomption-preuve et la

présomption-postulat. Les causes de cette situation indécise sont évidentes : le débat pétitoire

dans lequel le possesseur occupe donc la position de défendeur est souvent précédé, en

matière immobilière, d’un débat possessoire. Celui-ci est donc « conçu comme une sorte de

préalable au pétitoire »691 : une partie cherchera à faire reconnaître sa position dans le procès

possessoire afin de s’assurer la position de défendeur dans un procès pétitoire. Néanmoins, le

possessoire et le pétitoire sont parfaitement dissociables, la possession n’étant pas toujours

contestée. Eu égard à cette dissociabilité du possessoire et du pétitoire, deux cas de figure sont

envisageables. Si un débat possessoire intervient avant le débat pétitoire, le caractère

probatoire de la présomption semble prédominer. La possession doit d’abord être prouvée

pour qu’on en infère la propriété. La présomption paraît donc entraîner un simple allégement

probatoire lié à un déplacement de l’objet à prouver : il suffit de prouver la possession pour

que joue la présomption de propriété. A l’inverse, si le débat pétitoire est autonome, l’aspect

axiomatique de la présomption semble l’emporter, la possession n’ayant pas à être prouvée.

L’évidence de ses causes ne permet pas de lever l’ambiguïté affectant la présomption de

propriété liée à la possession. On est donc face à un nouvel exemple d’interférence

intracatégorielle liée à l’essence commune des présomptions dont l’explication réside dans la

complexité du rôle probatoire subtil que peut revêtir la présomption.

b- Explications des interférences intracatégorielles

Les interférences entre présomptions-postulats et présomptions-concepts s’expliquent

relativement aisément. Toutes deux introduisent en effet dans le débat une donnée nouvelle du

fait de leur situation : prémisses du raisonnement, les premières forment son point de départ

alors que les secondes constituent son véritable soubassement.

En revanche, les interférences entre présomptions-postulats et présomptions-preuves ont

une origine plus complexe. Et si, se demande-t-on finalement, les présomptions-preuves

avaient elles aussi une influence sur l’attribution du risque de la preuve et recelaient une part

691 Ibid., p. 317, § 208.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

207

axiomatique ? Cette question vient à l’esprit si l’on considère que les interférences entre ces

deux catégories proviennent des incertitudes et fluctuations entourant l’influence probatoire.

Et la réponse est positive qu’on l’envisage subjectivement (i-) ou objectivement (ii-) .

i- Explications subjectives

A première vue, on peut parfois avoir l’impression que les présomptions-preuves

attribuent, à l’instar des présomptions-postulats, le risque de la preuve et ce pour deux raisons.

D’une part, faut-il le rappeler, les présomptions qu’on nomme présomptions-preuves

semblent diviser la doctrine. Certes, d’aucuns pensent qu’elles doivent être clairement

distinguées des règles attribuant la charge de la preuve692. Mais la plupart estiment au

contraire qu’elles modifient voire renversent la charge de la preuve693 ; ce qui favorise la thèse

selon laquelle les présomptions-preuves auraient une influence sur le risque de la preuve. En

réalité, cette division doctrinale est plus sémantique que fondamentale : elle résulte

simplement de la coexistence de différentes conceptions de la charge de la preuve. Comme

l’explique le Professeur DEVEZE, « les auteurs qui appréhendent la question globalement et

enseignent que la charge de la preuve passe de l’une à l’autre partie selon l’apparence ou la

vraisemblance, sont naturellement portés à considérer que les présomptions légales

renversent la charge de la preuve. A l’inverse, les auteurs qui réduisent la question de la

charge de la preuve à celle du risque sont, tout aussi logiquement, conduits à penser que les

présomptions ne tranchent pas la question »694.

D’autre part, le plaideur qui doit combattre des présomptions-preuves favorables à son

adversaire pour gagner son procès ressent le poids de la preuve. Autrement dit, il a

l’impression que les présomptions concernées lui ont attribué le fardeau de la preuve. Cette

impression découle du fait que celui qui bénéficie d’une présomption-preuve a peu d’efforts à

fournir pour convaincre le juge de la véracité de ses allégations, tandis que l’autre partie doit

trouver les moyens adéquats pour ébranler cette conviction facilement forgée.

Pour comprendre ce phénomène il convient de se référer à une notion bien spécifique,

celle de charge de la conviction. Afin de saisir de quoi il retourne, il convient d’en rappeler

quelques éléments de définition. De deux choses l’une : soit le juge se heurte à un doute,

aucune des allégations des parties n’ayant pu être vérifiée, et il tranche la question par rapport

692 Philippe MALAURIE et Patrick MORVAN, op. cit., p. 136 ; François GENY, op. cit., p. 281 - Roger DECOTTIGNIES, op. cit., n° 91 sq. 693 Christian LARROUMET, op. cit., pp.339-340, n° 551 ; Chaïm PERELMAN, loc. cit. p. 51, p. 340. 694 Jean DEVEZE, op. cit., p. 496.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

208

aux règles du risque de la preuve ; soit le juge a été convaincu par l’une des parties qui a

prouvé ses allégations. La charge de la conviction peut donc être présentée comme « la tâche

incombant à chaque partie de persuader le juge de la véracité de ses allégations (ou de la

fausseté de celle de son adversaire), à peine de voir rejeté le fait par elle invoqué (ou retenir

celui allégué par son adversaire) »695. Elle s’ordonne autour de l’idée de vraisemblance696.

Or, en imposant au juge de tenir pour établi un fait inconnu, la présomption-preuve, sans

attribuer le risque de la preuve, influence la charge de la conviction. Elle la modifie ou même

la renverse697. Parfois, lorsque le fait connu dont est inféré le fait inconnu est extrêmement

facile à prouver, elle décharge même purement et simplement son bénéficiaire de la charge de

la conviction. Or, pour les plaideurs, simple charge de la conviction et authentique risque de

la preuve s’avèrent fort délicats à distinguer : celui qui doit combattre des présomptions-

preuves ou celui qui perd son procès à cause d’elles a l’impression compréhensible que le

poids de la preuve pèse entièrement sur lui.

A ces explications subjectives, plus ressenties que rigoureuses, s’ajoutent des explications

objectives.

ii- Explications objectives

Tout d’abord, pour comprendre quelle peut être l’influence sur le risque de la preuve des

présomptions-preuves, il faut avoir à l’esprit le lien unissant les règles attribuant le risque de

la preuve à l’objet de la preuve. « Le risque de la preuve, rappelle le Professeur DEVEZE,

dépend étroitement de l’objet de la preuve » 698 , puisque, pour savoir quel plaideur

succombera en cas de doute, encore faut-il connaître les éléments générateurs ou conditions

d’application d’une règle de droit, c’est-à-dire l’étendue de la preuve qui incombe aux parties.

Par exemple, en matière de responsabilité civile, le demandeur doit en principe prouver une

faute, un dommage et un lien de causalité. Cette précision effectuée, un examen approfondi

695 Ibid., p. 500. 696 Ibid., pp. 454 et 500. 697 En réalité, l’influence de la présomption-preuve sur la charge de la conviction dépend de l’importance du rôle de la probabilité dans la présomption. On peut constater avec le Professeur DEVEZE qu’en matière de présomptions légales, si la présomption « repose sur une forte probabilité, la charge de la conviction n’est que très peu modifiée puisque le juge, en l’absence de cette présomption légale, aurait sans doute considéré que le factum probans établissait par présomption du fait de l’Homme, le factum probandum (…). Par contre, dans la mesure où la présomption s’éloigne du « plerumque fit », la charge de la conviction est modifiée, voire renversée lorsqu’on tend vers la fiction ». Jean DEVEZE, op. cit., p. 501. 698 Ibid., p. 503.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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révèle que les présomptions-postulats ne sont guère les seules à influer sur le risque de la

preuve, raison pour laquelle existeraient des interférences intracatégorielles.

On le sait, les présomptions-preuves déplacent l’objet de la preuve d’un fait difficile à

prouver vers un fait plus facile à prouver. Dès lors, deux situations doivent être distinguées699.

Dans la première situation, le fait connu dont on infère un fait inconnu n’est pas l’élément

générateur d’une règle de droit. La présomption-preuve ne détermine pas l’élément générateur

devant être prouvé, elle permet simplement de l’établir. Ainsi, la naissance pendant le mariage

prouve la paternité de l’époux, mais n’est pas elle-même un élément générateur du droit

réclamé. Ici, la présomption-preuve se cantonne à ses effets traditionnels : elle n’a d’incidence

que sur la charge de la conviction, puisque, en présence d’un élément donné (la naissance

pendant le mariage par exemple) elle « force la conviction du juge »700 (concernant la

paternité).

La seconde situation, plus rare, est particulièrement évidente dans les présomptions de

responsabilité utilisées par la Cour européenne des droits de l’Homme sur le fondement de

l’article 3 de la CEDH, présomptions déjà évoquées dans le précédent chapitre. Si l’on admet

qu’en droit de la CEDH, la mise en œuvre de la responsabilité repose, comme la

responsabilité civile classique, sur trois éléments constitutifs, un préjudice, une faute et un

lien de causalité entre les deux, on constate que la preuve d’un seul de ces éléments permet de

présumer l’existence des deux autres. D’un préjudice, les traces de coup sur le corps d’un

individu détenu, on infère la responsabilité de l’Etat, c’est-à-dire la faute (qui peut être active,

si le détenu a été maltraité par des agents de l’Etat, ou passive, si le détenu n’a pas été

surveillé correctement par les agents de l’Etat) et le lien de causalité (ces maltraitances ou ce

manque de surveillance sont à l’origine du préjudice). Dès lors, il semble incontestable que la

présomption-preuve ait « une incidence pratique capitale sur la question de fond de la

détermination des éléments que chacun doit prouver sous peine de perdre son procès »701. En

l’occurrence, il suffit donc de prouver que l’individu concerné par la violation alléguée a été

privé de liberté et que son corps présentait des marques de coups ou de blessures à l’issue de

sa détention. C’est bien là que gît l’essence des interférences entre présomptions-preuves et

présomptions-postulats : le fait connu dont on infère le fait inconnu peut constituer un des

éléments générateurs du droit réclamé : « il n’est pas rare que le factum probans, base de

699 Ibid., p. 504-507, n° 378-380. 700 Ibid., p. 500. 701 Ibid., p. 507.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

210

l’inférence, soit lui-même une condition d’application de la règle de droit substantiel en

cause »702. Dans ce cas, un des éléments générateurs est alors inféré d’un ou de plusieurs

autres éléments générateurs.

La portée de cette explication structurelle des interférences entre présomptions-preuves et

présomptions-postulats est d’autant plus importante qu’on la retrouve en droit interne. A titre

d’exemple, on distingue deux éléments constitutifs en matière de possession: un élément

matériel, le « corpus », qui consiste à exercer en fait un pouvoir effectif sur la chose possédée

et un élément psychologique, l’ « animus possidendi », qui correspond à l’intention délibérée

de s’affirmer en maître703. Sans ces deux éléments, point de possession. Or, l’article 2256

présume l’élément psychologique à partir de l’élément matériel : « On est toujours présumé

posséder pour soi, et à titre de propriétaire, s'il n'est prouvé qu'on a commencé à posséder

pour un autre ». Et la jurisprudence le confirme qui estime que les juges n’ont pas à

caractériser spécialement l’élément intentionnel de la possession704. Le mécanisme est donc le

suivant : un des éléments dont l’absence de preuve signifierait la perte du procès est présumé

à partir d’autres éléments que le plaideur aurait, de toute façon, dû établir puisqu’il s’agit

également de conditions d’existence du droit réclamé. Celui qui prétend posséder une chose

doit établir, dans tous les cas, le corpus, c’est-à-dire prouver qu’il a la maîtrise réelle de la

chose possédée. Mais, si l’article 2256 n’existait pas, il lui faudrait en plus rapporter la preuve

de son intention de posséder.

En somme, il existe des présomptions-preuves « dont le factum probans correspond,

comme le factum probandum, à une condition d’application d’une règle de droit substantiel et

qui influent à la fois sur la charge de la conviction et la question de fond de l’étendue de la

preuve, ou risque de la preuve »705.

Ensuite, une autre raison explique parfois les interférences entre présomptions-preuves et

présomptions-postulats. Certes, contrairement à celles-là, celles-ci ne reposent pas sur un

passage du connu à l’inconnu fondé sur une probabilité, l’objet de la présomption étant en

réalité postulé. Mais, historiquement, ce constat mérite d’être relativisé comme en témoigne le

cas de la présomption de bonne foi. « La règle selon laquelle la bonne foi se présume,

702 Ibid., p. 505. 703 Gérard CORNU, op. cit. p. 205, pp. 478-480, n° 1129-1132. 704 Cass. civ. 1, 21 décembre 1964, Bull. civ., I, n° 589 p 454. 705 Jean DEVEZE, op. cit., p. 507.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

211

explique le Professeur CESARO706, serait une authentique présomption antéjudiciaire car on

ne la déduirait d’aucun fait connu. D’un point de vue historique, l’affirmation est contestable.

La présomption antéjudicaire n’était, à l’origine, qu’une présomption légale classique qui

supposait un fait connu : la détention matérielle et le juste titre(…). Affirmer la bonne foi est

à la foi probable et moral ». Bref, certaines présomptions-postulats ne seraient pas si loin du

plerumque fit…

De réelles interférences existent donc entre les trois types de présomptions. Mais, à trop

souligner les difficultés potentiellement inhérentes à la détermination de la catégorie à

laquelle appartient une présomption, on risque de donner l’impression d’une obsolescence de

ces catégories. Ce serait oublier que, fût-elle atteinte au terme d’un effort intellectuel parfois

artificiel, la caractérisation des trois figures présomptives demeure essentielle car elle seule

révèle les multiples implications du mécanisme présomptif, implications jusqu’alors trop

souvent oblitérées par une analyse fragmentée des présomptions. En réalité, souligner

l’existence d’interférences entre les trois catégories de présomptions permet simplement de

relativiser leurs différences pour révéler leur profonde unité. Dans cette optique, on peut

également s’intéresser aux liens interprésomptifs.

2- L’existence de liens interprésomptifs

Révélateurs de la dynamique cyclique ramenant toutes les présomptions à leur qualité

primordiale de principe d’orientation cognitif, les liens interprésomptifs se manifestent par

l’existence de véritables faisceaux de présomptions, une présomption semblant souvent en

appeler une autre. Ainsi les présomptions peuvent-elles s’autogénérer (a-) ou encore être

étroitement imbriquées (b-).

a- L’autogénération présomptive

Le droit de la CEDH offre divers exemples de présomptions en générant une autre. Deux

d’entre eux retiendront notre attention.

Le premier exemple d’autogénération présomptive figure dans la jurisprudence relative à

la notion de pratique administrative. D’après l’arrêt Irlande contre Royaume Uni du 18

janvier 1978, une telle pratique « consiste en une accumulation de manquements de nature

706 Jean-François CESARO, op. cit., p.347 § 319.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

212

identique ou analogue assez nombreux et liés entre eux pour ne pas se ramener à des

incidents isolés ou à des exceptions et pour former un ensemble ou un système »707.

Par ailleurs, comme le rappelle le Professeur Xavier DUPRE DE BOULOIS708, la notion

de pratique administrative revêt plusieurs fonctions spécifiques en droit de la CEDH. Si elle

souvent associée à l’épuisement des voies de recours internes - l’existence d’une telle pratique

rendant ces voies de recours ineffectives - elle peut aussi jouer un rôle lors de l’appréciation

au fond de la requête, la violation constatée étant alors aggravée709 par l’existence de la

pratique administrative. Cette possibilité a été révélée par une série d’affaires italiennes710

concernant le délai des jugements. Cette utilisation de la notion retient l’attention car, dans ce

cas, non contente d’être elle-même présumée, la pratique administrative engendre à son tour

une présomption de violation.

Comme l’a montré Fred DESHAYES, si la Cour a conclu à l’existence d’une pratique

administrative de dépassement du délai raisonnable dans ces affaires italiennes, c’est parce

que certains faits empiriquement pertinents - l’accumulation des condamnations de l’Italie sur

le terrain de la célérité des procès - lui ont permis de le faire. Or, si un fait normativement

pertinent est celui qui rend une situation vraisemblable, on ne saurait oublier que « la

pertinence empirique procède aussi d’une décision » et qu’elle « ne donne pas prise à des

calculs définitifs, mais à un raisonnement probabiliste qui laisse au juge le loisir d’adopter

une position volontariste ou une position de repli en se fondant sur la marge d’incertitude

qu’il n’est pas possible de faire disparaître totalement »711. La pratique contraire à la

Convention est donc constatée grâce à l’intervention conjuguée de trois éléments : la

probabilité, l’expérience et la volonté. Dès lors, c’est grâce à une présomption-preuve712 -

précisément fondée sur ces trois éléments - que l’existence de ladite pratique est établie. A

partir d’un fait connu, « l’accumulation de manquements de nature identique et assez

707 CEDH, 18 janvier 1978, Irlande c/ Royaume Uni, req. n° 5310/71, § 159. 708 Xavier DUPRE DE BOULOIS « Pratique administrative », dans ANDRIANTSIMBAZOVINA Joël et al. (dir.) Dictionnaire des droits de l’Homme, Paris, PUF, 2008. 709 CEDH, 27 avril 2000, Bertozzi c/ Italie, req. n° 39883/98, § 14. La Cour énonce qu’une telle pratique est « une circonstance aggravante de la violation de l’article 6 § 1 ». 710 CEDH, 28 juillet 1999, A. P. c/ Italie, req. n° 35265/97 ; CEDH, 28 juillet 1999, Bottazi c/ Italie, req. n° 34884/97 ; CEDH, 28 juillet 1999, Di Mauro c/ Italie, req. n° 34256/96 ; CEDH, 28 juillet 1999, Ferrari c/ Italie, req. n° 33440/96. 711 Fred DESHAYES, op. cit., pp. 170-171. 712 Fred DESHAYES, op. cit., p. 171. Selon l’auteur, l’analyse de la pertinence empirique enseigne que « l’inférence qui conduit le juge d’un indice à un fait et d’un fait à un autre fait considéré comme opératoire de la règle de droit est le raisonnement type de la preuve. Ce qui revient à dire que le cheminement intellectuel de la présomption est l’activité ordinaire impliquée par l’établissement des faits ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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nombreux pour ne pas se ramener à des incidents isolés »713, la Cour choisit d’induire

l’existence d’un autre fait, inconnu mais hautement probable, une pratique administrative.

Présumée, la pratique administrative italienne de dépassement du délai raisonnable

entraîne une autre présomption. En réalité, la reconnaissance de ladite pratique a des

répercussions sur le plan de la preuve de la violation, facilitant celle-ci en instaurant ce que le

Juge COSTA appelle une « présomption de lenteur coupable de l’Etat »714. On peut constater

à l’instar de Franklin KUTY que, « lorsque la durée d’une procédure civile se révèle a priori

assez importante, la Cour donne l’impression de conclure assez facilement à la violation de

l’exigence de délai raisonnable »715, même si elle prétend se fonder sur les faits de la cause et

les arguments des parties. La concision notable de ces arrêts est d’ailleurs significative de

l’examen superficiel auquel se livre la Cour en présence d’une pratique administrative. A cet

égard, l’arrêt Di Mauro met en évidence les effets pervers de ce mécanisme716 : l’Italie est

condamnée sur le fondement de l’article 6 § 1 alors même que la qualité de victime du

requérant était discutable (celui-ci avait incontestablement profité de la durée de la procédure

pour rester dans l’appartement dont il ne payait plus le loyer) et que le nombre d’instances

(six en tout) était important, relativisant ainsi la durée de la procédure.

La jurisprudence relative aux traitements infligés aux personnes privées de liberté offre un

autre exemple d’autogénération présomptive. Le juge européen, on l’a mentionné à plusieurs

reprises, présume la vulnérabilité de diverses catégories de personnes, notamment celle des

personnes détenues. On sait également qu’il présume la responsabilité de l’Etat lorsqu’un

détenu est blessé ou même décède pendant sa détention717. Il apparaît alors que la première

présomption contribue à l’utilisation de la seconde : sans la présomption de vulnérabilité des

détenus, la présomption de responsabilité de l’Etat n’aurait sans doute pas lieu d’être. Ce lien

entre les deux présomptions est d’autant plus évident qu’il est explicité par la jurisprudence.

Selon l’arrêt Taïs, « les personnes en garde à vue sont en situation de vulnérabilité et les

713 Par exemple, CEDH, 28 juillet 1999, Di Mauro c/ Italie, req. n° 34256/96, § 23. Si l’accumulation de violations de l’article 6 § 1 est empiriquement pertinente pour établir l’existence d’une pratique administrative, Fred DESHAYES souligne à propos du contentieux turc qu’il n’en va pas de même de l’augmentation soudaine du nombre de requêtes dans une région donnée pour des motifs similaires. 714 CEDH, 28 juillet 1999, Di Mauro c/ Italie, req. n° 34256/96, opinion dissidente de M. le Juge COSTA. 715 Franklin KUTY, « Les violations répétées de l’exigence de délai raisonnable : une pratique incompatible avec la Convention », RTDH, 2000, pp. 531 sq., spéc. p. 541. 716 Ainsi, selon le Juge Costa, « quelles que soient les imperfections du système italien de juridictions civiles (…), tout procès à l’intérieur de ce système n’est pas automatiquement jugé dans un délai raisonnable ; la présomption de lenteur coupable de l’Etat n’est pas irréfragable et, en l’espèce, elle me semble renversée ». CEDH, 28 juillet 1999, Di Mauro c/ Italie, req. n° 34256/96, opinion dissidente de M. le Juge COSTA. 717 V. supra : les présomptions de responsabilité en matière de droit à la vie et d’interdiction de la torture.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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autorités ont l’obligation de justifier le traitement qui leur est infligé. Par conséquent,

lorsqu’un individu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve en bonne santé et qu’il meurt

par la suite, il incombe à l’Etat de fournir une explication plausible sur les faits qui ont

conduit au décès »718. Autrement dit, la présomption-concept de vulnérabilité des détenus

engendre une présomption-preuve de responsabilité de l’Etat que celui-ci doit renverser en

apportant une explication au décès ou aux blessures du détenu.

Ainsi, la preuve que doit rapporter celui qui allègue une violation de l’article 2 ou de

l’article 3 est allégée en raison de la détention. Dans cette optique, la Cour reconnaît qu’ « il

peut être difficile pour un individu d’obtenir des preuves quant aux mauvais traitements

infligés lors d’une garde à vue (…), eu égard notamment au sentiment de vulnérabilité face

aux représentants de l’État, que pareille situation peut inspirer »719.

En somme, la détention place l’individu en situation de sujétion par rapport à l’Etat et

soustrait les faits à la connaissance des tiers, rendant par là-même nécessaire l’usage d’une

présomption-preuve : « lorsque les événements en cause, dans leur totalité ou pour une large

part, sont connus exclusivement des autorités, comme dans le cas des personnes soumises à

leur contrôle en garde à vue, toute blessure ou mort survenue pendant cette période de

détention donne lieu à de fortes présomptions de fait »720.

Par delà cet exemple d’autogénération présomptive, la jurisprudence relative aux

traitements infligés aux personnes privées de liberté révèle plus largement l’imbrication de

diverses présomptions.

b- L’imbrication présomptive721

Il n’est pas rare qu’une situation soit régie par plusieurs présomptions étroitement

imbriquées, pour ne pas dire inextricables. Dans ce cas, sans véritablement s’autogénérer,

l’existence des unes ne découlant pas de celle des autres, les présomptions se juxtaposent et se

mêlent tissant une trame probatoire des plus complexes.

Manifestement, la présomption de responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article 3

est en réalité constituée de deux présomptions accolées. D’après le Professeur MASSIAS,

« les requérants qui ont réussi à prouver la réalité des mauvais traitements (notamment par

718 CEDH, 1er juin 2006, Taïs c/ France, req. n° 39922/03, § 84. 719 CEDH, 20 février 2007, Gürü Toprak c/ Turquie, req. n° 39452/98, § 48. 720 CEDH, 1er juin 2006, Taïs c/ France, req. n° 39922/03, § 85. 721 V. Annexe 5 : imbrication et autogénération présomptive.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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des expertises médicales constatant des traces physiques ou mentales) bénéficient dans

certaines circonstances d’une double présomption: celle-ci inverse la charge de la preuve à

la fois quant à l’origine des mauvais traitements (présomption dite « garde à vue ») et quant

au seuil d’applicabilité de l’article 3 (présomption dite « privation de liberté »)722 ».

En matière de disparitions forcées, la Cour de Strasbourg combine également plusieurs

présomptions. L’une est purement factuelle : la disparition d’un individu dans certaines

conditions fait présumer son décès. « Plusieurs indices, explique Jérôme BENZIMRA-

HAZAN, fondent cette présomption : la preuve factuelle de l’état initial de détention d’une

personne, l’absence d’enregistrement de cette détention par les autorités, le fait que ces

dernières s’intéressaient spécialement à cette personne, et, enfin, le long temps passé sans

nouvelles d’elle »723. L’autre concerne la responsabilité de l’Etat : celui-ci n’ayant pas fourni

d’explications plausibles quant à la disparition, il en est tenu pour responsable puisque, selon

la présomption classique, « lorsqu’un individu est placé en garde à vue alors qu’il se trouve

en bonne santé et qu’il meurt par la suite, il incombe à l’Etat de fournir une explication

plausible sur les faits qui ont conduit au décès »724.

En vérité, la présomption de décès et de la présomption de responsabilité sont si

intimement liées qu’il est fort difficile de les distinguer. La tournure utilisée par la Cour dans

les arrêts Timurtas contre Turquie et Isigova contre Russie725 le montre clairement. Dans le

premier, la Cour conclut « qu'Abdulvahap Timurtaş doit être présumé mort à la suite d'une

détention non reconnue, opérée par les forces de l'ordre. Ce décès engage donc la

responsabilité de l'Etat défendeur. Les autorités n'ayant fourni aucune explication sur ce qui

s'est passé après l'arrestation de l'intéressé et n'ayant invoqué aucun motif de nature à

justifier un quelconque recours de ses agents à la force meurtrière, il s'ensuit que la

responsabilité de ce décès est imputable à l'Etat défendeur »726. Dans le second, elle énonce :

« For the above reasons the Court considers that Apti Isigov and Zelimkhan Umkhanov must

be presumed dead following their unacknowledged detention. Consequently, the responsibility

of the respondent State is engaged. Noting that the authorities do not rely on any ground of

722 Florence MASSIAS, « Chronique internationale – Droits de l’Homme », 2005, préc., p. 642. 723 Jérôme BENZIMRA-HAZAN, « En marge de l’arrêt Timurtas contre la Turquie : vers l’homogénéisation des approches du phénomène des disparitions forcées de personnes », RTDH, 2001, pp. 983 sq., spéc. p. 990. 724 CEDH, 1er juin 2006, Taïs c/ France, req. n° 39922/03, § 84. 725 Pour des tournures similaires, V. aussi : CEDH, 29 avril 2008, Kaplanova c/ Russie, req. n° 7653/02, § 107 ; CEDH, 9 octobre 2008, Zupla Akhmatova et autres c/ Russie, req. n°s 13569/02 et 13573/02, § 98. 726 CEDH, 13 juin 2000, Timurtas c/ Turquie, req. no 23531/94, § 86.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

216

justification in respect of the use of lethal force by their agents, it follows that liability for

their presumed deaths is attributable to the respondent Government »727.

Ce phénomène de juxtaposition est renforcé par la possible intervention d’une troisième

présomption : une sorte de présomption de bien-fondé des allégations découlant du non

respect par l’Etat défendeur de son obligation de coopération sur le fondement de l’article 38

§ 1 de la Convention et permettant de tenir pour vrai certaines allégations de la victime. Par

exemple dans l’arrêt Timurtas, le problème primordial était de savoir si la photocopie d’un

rapport d’intervention faisant ressortir qu’Abdulvahap Timurtas avait été arrêté le 14 août

1993, photocopie présentée au nom du requérant aux délégués de la Commission, était un

authentique. En l’espèce, la Cour choisit de donner raison à la Commission728, laquelle a

considéré que la photocopie était celle d’un authentique rapport de police, faute pour le

gouvernement défendeur d’avoir assisté la Commission dans sa tâche d’établissement des

faits en produisant le document dont il invoquait le caractère secret.

Ce phénomène d’imbrication présomptif particulièrement évident dans la

jurisprudence européenne n’est pas étranger au droit interne. L’article 222 du Code civil,

selon lequel « si l’un des époux se présente seul pour faire un acte d’administration, de

jouissance ou de disposition sur un bien meuble qu’il détient individuellement, il est réputé, à

l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul cet acte » en témoigne. A bien y

regarder, on s’aperçoit qu’il agence habilement deux présomptions : une présomption-preuve

de pouvoir et la classique présomption-postulat de bonne foi. Pour renverser l’article 222, il

faut donc prouver non seulement l’absence de pouvoir de l’époux mais aussi la mauvaise foi

du tiers. Comme le résume le professeur CESARO, « l’extension de l’effort probatoire (…)

résulte ici de l’imbrication d’une présomption dans une autre. En effet, si le renversement de

la présomption de l’article 222 suppose de surcroît la preuve de la mauvaise foi c’est parce

que l’article 2268 du Code civil [actuel article 2274] l’impose au juge ».

Finalement, une réelle dynamique cyclique anime les présomptions. Quelle que soit la

catégorie à laquelle elles appartiennent, les présomptions ne cessent de s’influencer et de se

mêler. Si ces interférences sont incessantes et font même la qualité du mécanisme, bref, si ce

cycle présomptif est possible, c’est parce qu’il s’accompagne d’un deuxième mouvement : un

équilibre présomptif.

727 CEDH, 26 juin 2008, Isigova et autres c/ Russie, req. n° 6844/02, § 100. 728 CEDH, 13 juin 2000, Timurtas c/ Turquie, req. no 23531/94, §§ 63-72.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

217

B- Equilibre présomptif

L’équilibre est l’état de repos résultant de l’action de forces qui s’annulent. Plus

abstraitement, c’est la juste combinaison de forces opposées729. L’équilibre présomptif730 ne

serait donc rien d’autre que la mise en balance de présomptions antinomiques.

A première vue, un tel équilibre semble difficile à atteindre : la matière présomptive

qui regorge d’antagonismes, paraît rebelle à toute tentative de pondération. La doctrine

évoque même l’existence de conflits de présomptions. Or, si les présomptions antagonistes

s’avéraient véritablement inconciliables, la thèse de l’unité présomptive s’en trouverait

fortement affaiblie. Heureusement, cette crainte est infondée. Les antagonismes présomptifs

se nourrissent les uns des autres, se soutiennent mutuellement. En d’autres termes, loin d’être

la marque de conflits de présomptions, ils participent au contraire à la révélation de la

convergence des différentes présomptions et à celle de leur profonde unité.

Tout d’abord, on a déjà montré que le possible renversement d’une présomption-

postulat par une présomption-preuve contraire était le signe de l’unité fondamentale de la

présomption, aussi ne s’attardera-t-on guère sur ce point731. On peut simplement rappeler que,

si la Cour de Strasbourg admet le renversement de la présomption-postulat d’innocence par

des présomptions-preuves de culpabilité732 et celui de la présomption-postulat d’impartialité

du juge par des présomptions-preuves de partialité, c’est précisément parce que ces deux

présomptions n’interviennent pas au même stade du raisonnement. Elles se succèdent : la

présomption-postulat indique l’hypothèse de départ sur laquelle s’appuieront les

développements ultérieurs tandis que la présomption-preuve intervient plus tard pour aider

l’un des plaideurs à rapporter une preuve difficile. L’harmonie est donc atteinte puisque les

présomptions-preuves tempèrent ponctuellement la prise de position sans nuance des

présomptions-postulats. Ce processus existe également en droit interne. Ainsi en droit

patrimonial de la famille, la présomption-postulat d’acquêts en régime de communauté peut

être renversée par des présomptions-preuves contraires. Conformément à l’article 1433 du

Code civil, la preuve du caractère propre de biens utilisés au profit de la communauté peut

être rapportée « par tous moyens, même par témoignages et présomptions ».

729Définition du Pluri dictionnaire Larousse, Larousse, Paris, 1975. On peut aussi entendre la notion d’équilibre comme « l’égalité de forces entre deux ou plusieurs choses qui s’opposent » (Le Petit Robert, Paris 1979). 730 V. Annexe 6 : équilibre présomptif. 731 V. supra : l’articulation entre présomptions-postulats et présomptions-preuves. 732 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83, § 28 ; CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87, § 33 ; CEDH, 23 juillet 2002, Janosevic c/ Suède, req. n° 34619/97, § 101.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

218

Ensuite, on peut encore observer ceci : les présomptions-postulats sont susceptibles de

s’équilibrer entre elles. Ainsi, il semble qu’en droit de la CEDH, présomption d’innocence du

prévenu et présomption d’impartialité du juge s’équilibrent. Cela n’a rien d’étonnant si l’on

considère que, du point de vue du juge, la présomption d’innocence est liée à son devoir

d’impartialité. Le juge doit en effet « aborder la cause sans parti pris, ni préjugé »733 et non

partir de la supposition que l’accusé est coupable. Par conséquent, le fait que l’impartialité du

juge soit initialement présumée permet d’établir un équilibre dans la situation des divers

protagonistes du procès pénal. Si l’un est présumé innocent, l’autre est présumé impartial.

Autrement dit la présomption d’impartialité du juge constitue un moyen de contrebalancer le

statut privilégié de l’accusé dû à la présomption d’innocence, laquelle serait violée si le juge

était partial. En l’occurrence, le lien entre unité présomptive et équilibre présomptif ressort

d’autant plus que les présomptions-postulats concernées sont toutes deux la déclinaison d’une

même présomption fondamentale : celle qui donne également naissance à la présomption de

bonne foi et repose sur un principe général de confiance, la présomption selon laquelle

l’homme se conduit en bon père de famille.

Ce phénomène d’équilibre présomptif n’est pas sans rappeler la théorie américaine des

« checks and balances » qui traduit, en droit constitutionnel, la volonté des « Pères

fondateurs » de trouver un équilibre aussi complet que possible entre les divers pouvoirs,

permettant de les limiter l’un par l’autre734. Présentes à toutes les étapes du raisonnement

juridique, tendant toutes à connaître ce qui n’est pas encore prouvé, les présomptions

s’articuleraient donc au sein d’un même mouvement cognitif, se modérant les unes les autres

pour atteindre finalement un point d’équilibre. Plus près du domaine de notre étude, ce

phénomène évoque également la notion de « pondération des intérêts »735, à savoir cette mise

en balance concrète des intérêts en jeux qui serait, d’après J. VAN CAMPERNOLLE, la

733 Caroline SILVESTRE, Le rôle régulateur de la CEDH sur les droits pénaux internes, Thèse, Aix-Marseille, 1995, p. 299. 734 V. Jean GICQUEL Jean-Eric GICQUEL, Droit constitutionnel et institutions politiques, 21ème éd., Paris, Montchrestien, 2007, p. 253 ; Edmond ORBAN et Michel FORTMANN (dir.), Le système politique américain. Mécanisme et décisions, 2ème éd., Presses universitaires de Montréal, coll. Politique et économie, 1994, p. 223 ; Jean-Jacques LAVENUE, Dictionnaire de la vie politique et du droit constitutionnel américain, coll. Logiques juridiques, éd. L’Harmattan 1995, p. 49. 735 Sur la notion de « pondération des intérêts » : Jacques VAN COMPERNOLLE « Vers une nouvelle définition de la fonction de juger : du syllogisme à la pondération des intérêts » dans Nouveaux Itinéraires en Droit, Hommage à François RIGAUX, Bruxelles, Bruylant, 1993, pp. 493 sq.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

219

méthode vers laquelle se dirige globalement la fonction de juger736 et que la Cour de

Strasbourg utilise en cas de conflits entre deux droits fondamentaux737.

Enfin, on ne saurait clore ces quelques considérations sans évoquer le symbole sans

doute le plus prégnant de l’équilibre présomptif : le statut du prévenu. Ce dernier n’est rien

d’autre qu’un suspect présumé innocent. Or, dans sa thèse intitulée Mise en œuvre de la

suspicion et procès pénal équitable, Gildas ROUSSEL738 a clairement montré que la

suspicion correspond à une forme de « culpabilité présumée »739. Non seulement l’étymologie

rapproche les notions de présomption et de suspicion ; « le terme présomption, rappelle Gildas

ROUSSEL740, provient du latin praesumere, « prendre d’avance », qui a donné praesumptio,

« conjecture ». Or, (…) à l’origine du terme suspicion, le verbe latin suspicere signifie lui

aussi conjecturer ». Mais encore, il s’avère que la suspicion utilise le mode de raisonnement

présomptif traditionnel (le passage du connu à l’inconnu)741. Ainsi, le statut du prévenu

combine deux présomptions contradictoires, le suspect étant à la fois « présumé innocent mais

coupable présumé »742. C’est précisément cette étrange - voire paradoxale - alliance de

présomptions opposées qui permet de poursuivre le prévenu tout en le protégeant. Comme le

souligne Gildas ROUSSEL, « la présomption d’innocence n’est pas utile sans la suspicion.

La première agit comme contrepoids lorsque la seconde s’exerce ». Il constate même

qu’ « une certaine gémellité apparaît entre elles au fil de la procédure (…) d’autant plus que

toutes deux se construisent autour des mêmes paradigmes de probabilité »743. Bref, « leur

origine est commune mais leur fonction est inverse », et « (…) la suspicion s’avère à la fois

une notion conforme, dans sa définition, et une notion contraire, dans son exercice, à la

présomption d’innocence. Celle-ci est son antinomie nécessaire, son indispensable contraire.

Le développement de l’une est inversement proportionnel à la relativité de l’autre »744.

Finalement, la situation d’équilibre entre présomption d’innocence et suspicion est

l’archétype des convergences entre présomptions. Elle va en effet jusqu’à rejoindre d’autres

736 Ibid., p. 502. 737 Ainsi, la Cour a précisé dans l’arrêt Chassagnou que « c’est précisément cette constante recherche d’un équilibre entre les droits fondamentaux de chacun, qui constitue le fondement d’une “société démocratique” ». CEDH, 29 avril 1999, Chassagnou et autres c/ France, req. n°s 25088/94 - 28331/95 - 28443/95, § 113. 738 Gildas ROUSSEL, op.cit.. 739 Ibid., p. 131, § 117. 740 Ibid., p. 43 § 26. 741 Ibid., p. 51. L’auteur explique que la suspicion « répond elle aussi à un raisonnement par inférence inductive ». 742 Ibid., p. 11, § 123. 743 Ibid., p. 110, § 122. 744 Ibid., p. 111, § 123.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

220

mouvements révélateurs desdites convergences : d’une part l’autogénération, puisque

l’existence des deux présomptions est indissociable, l’une découlant de l’autre et inversement,

d’autre part l’imbrication, puisqu’elles sont étroitement mêlées dans le statut unique du

prévenu.

C- Echelles présomptives

Indiquant « une ascension graduelle et une voie de communication à double sens, entre

différents niveaux »745, le symbole de l’échelle décrit bien le passage du concept fondamental

de Présomption à celui de présomption-preuve, de présomption-postulat ou encore de

présomption-concept. Les échelles présomptives sont donc de simples variations de degré (1-)

autour d’un mode de construction unique (2-).

1- De simples variations de degré

La notion de présomption se ramifie en trois branches clairement identifiables sans jamais

se départir de son essence primordiale de principe d’orientation cognitif. Ce phénomène est

lié d’une part au fait que toute présomption est construite à partir des trois mêmes éléments -

probabilité, expérience et volonté - dont le dosage subtil mais déterminant permet de faire

évoluer la notion vers d’autres concepts (a-), d’autre part au fait que la diversité présomptive

connaît une limite : la fiction (b-).

a- Probabilité, expérience et volonté : un dosage subtil mais déterminant

Présomptions-preuves, présomptions-postulats et présomptions-concepts reposent toutes

trois sur une conjonction de probabilité, d’expérience et de volonté. Cependant ces éléments

ne sont jamais présents pour la même part dans les diverses formes de présomptions. Par

exemple, dans les présomptions-preuves, la probabilité et l’expérience prédominent, la

volonté du juriste se contentant de finaliser l’apport mathématique et empirique. Lorsque le

juge européen présume qu’un individu a subi des traitements contraires à l’article 3 pendant

sa détention, il s’appuie non seulement sur la probabilité, les traces de coups médicalement

constatées rendant probables les mauvais traitements, mais encore sur l’expérience ; dans ce

type de situation, il est en effet fréquent que le détenu ait subi pareils traitements. La

745 Jean CHEVALIER et Alain GHEERBRANT, Dictionnaire des symboles – Mythes, rêves, coutumes, gestes, formes, figures, couleurs, nombres, éd. revue et corrigée, Paris, éd. Robert LAFFONT, coll. Bouquins, 1982, V. « Echelle ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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construction de la présomption-concept est comparable : comme la présomption-preuve elle

correspond à un passage du connu à un inconnu probable et empiriquement pertinent.

Cependant sa situation de source du droit entraîne un certain assouplissement de ces deux

critères. Ainsi, il est vraisemblable que les marginaux soient dangereux, l’expérience

semblant aller dans ce sens. Au contraire, dans la présomption-postulat, c’est l’apport de la

volonté du juriste qui s’avère essentiel. Pour le bon fonctionnement du système, le juriste

estime opportun de présumer l’innocence, l’impartialité etc.

Dans cette optique on note que ces trois éléments (probabilité, expérience et volonté) sont

certes toujours présents mais revêtent une signification et un rôle variables.

Pour ce qui est de la signification, plus la notion de probabilité se détache de son sens

mathématique pour se rapprocher de son sens courant, à savoir « vraisemblance » ou encore

« apparence de vérité »746, plus la présomption délaisse le champ de la preuve pour se diriger

vers le conceptuel ou l’axiomatique.

Pour ce qui est du rôle, la probabilité concerne dans les présomptions-preuves la

possibilité que le fait présumé se soit réellement produit. Dans les présomptions-postulats, elle

a plutôt trait à la possibilité d’acceptation du fait présumé par le corps social. Le fait présumé

est celui qui a le plus de chances d’être accepté par la société ; parfois, c’est aussi celui qu’on

aurait aimé voir se produire. Ainsi, la présomption d’innocence du prévenu correspond bien

davantage à ce qui est socialement acceptable qu’à l’état réel du prévenu. Dans la

présomption-concept, le rôle de la probabilité se situe à mi-chemin de ces deux acceptions de

la probabilité : celle-ci concerne à la fois le fait présumé à proprement parler et son

acceptation par la société.

Ces changements sémantiques et fonctionnels ne sont pas sans incidence sur la structure

du mécanisme présomptif. Grâce à eux, il s’oriente soit vers le probatoire, s’approchant de ce

fait des concepts de conjecture et de preuve, soit vers l’axiomatique, tendant alors vers les

notions d’hypothèse, de présupposition et de postulat, soit vers le conceptuel, avoisinant ainsi

le préjugé, le présupposé ou encore la préconception. Autrement dit, plus forte est l’emprise

de la probabilité, plus la présomption se rapproche de la notion de preuve. Au contraire, plus

la force mathématique de la probabilité s’amoindrit, plus grande est l’emprise de la volonté et

746 Définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/probabilité], (2010-06-02).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

222

plus on tend vers l’axiome entendu comme prémisse indémontrable d’un raisonnement voire

vers le préjugé au sens d’opinion hâtive et préconçue.

La part respective de la probabilité, de l’expérience et de la volonté est délicate à

déterminer. D’ailleurs, si de réelles interférences intracatégorielles747 existent c’est

précisément en raison de la place incertaine de ces trois éléments. En outre, toutes les

présomptions ont, on le sait, une influence tant sur la preuve que sur le fond du droit même si

la présomption-postulat ressemble plus à une règle de fond, la présomption-preuve à une règle

de preuve et la présomption-concept à une source du droit. Dès lors, on arrive au cœur même

des échelles présomptives, à savoir la constante tension de la présomption entre l’objectif et le

subjectif.

En somme, le corps de toute présomption est probabilité, expérience et volonté. Il est

même probabilité, expérience et désir ou encore tension vers un état particulier que celui qui

présume souhaiterait voir consacrer. Dans toute présomption, il y a ce qui est objectif et

évident, ce qui tombe sous le sens. Il y aussi ce qui relève du subjectif, ce qui est secret et

qu’on peine à percevoir. Ainsi, graduellement, le mécanisme présomptif gagne soit en

subjectivité, soit en objectivité, dans un échange incessant de ces deux modes de connaissance

opposés.

Finalement, il semble qu’on puisse véritablement parler d’échelles présomptives : à partir

d’un même concept, de multiples variations sont possibles. Ces variations n’altèrent en rien la

substance primitive du mécanisme ; il ne s’agit que de nuances de degré. Ainsi, le symbole

ascensionnel de l’échelle indique simplement le mouvement d’un concept - celui de

Présomption – vers d’autres notions adjacentes. Au départ, une notion unique, un mécanisme

identique : la Présomption ; à l’arrivée, une déclinaison particulière de ce mécanisme : la

présomption-preuve, la présomption postulat ou la présomption-concept. Entre les deux, des

étapes qui marquent l’influence plus ou moins importante de divers éléments : la probabilité,

l’expérience et la volonté.

b- La limite à la diversité présomptive : la fiction

Le mouvement ascensionnel de la présomption vers d’autres concepts n’est pas infini.

Ainsi, en aval de la présomption se situe la réalité évidente, celle qu’on peut appréhender

directement, sans utiliser un outil cognitif du type de la présomption. A l’extrême opposé, en

747 V. supra : l’existence d’interférences intracatégorielles.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

223

amont de la présomption, on trouve la fiction748 qui prend le contrepied de la réalité. Or, si des

points communs rapprochent indéniablement ces deux techniques juridiques (i-),

d’inaltérables différences les séparent (ii-) .

i- Des points communs indéniables

On associe parfois présomptions et fictions. Elles ont d’ailleurs fait l’objet de plusieurs

études communes, publiées par les professeurs PERELMAN et FORIERS dans un ouvrage

intitulé Les présomptions et les fictions en droit749. D’où vient que ces deux techniques dont

les définitions sont pourtant incontestablement distinctes sont si souvent associées ?

Tout d’abord, d’un point de vue général, l’usage de l’une comme de l’autre « donne une

coloration particulière au raisonnement juridique en y intégrant un facteur arbitraire et

artificiel »750. Toutes deux font en effet appel à la volonté du juriste dans leur rapport à la

réalité soit qu’elles veuillent la maîtriser (présomptions), soit qu’elles veuillent la refuser

(fictions). Les présomptions et les fictions seraient donc, pour reprendre la formule du

Professeur RIVERO, « des procédés qui, peu ou prou, témoignent d’un certain détachement à

l’égard de réalités »751. Dans cette optique, Benjamin DEFOORT estime que ces deux

techniques ont pour objectif de tenir un élément pour vrai et qu’elles se rejoignent

puisqu’elles font - au moins provisoirement pour les présomptions simples - « figure de

vérité »752.

Ensuite, plus spécialement, une partie de la doctrine s’accorde pour assimiler purement et

simplement les présomptions irréfragables aux fictions. Ainsi, dans sa thèse consacrée aux

fictions juridiques en droit administratif, le Professeur COSTA, exemples à l’appui, n’hésite

pas à énoncer que « la présomption irréfragable est identique à la fiction juridique »753. Cette

absorption des présomptions irréfragables par la catégorie des fictions est la conséquence du

748 Gérard CORNU (dir.), op. cit. p. 37. La fiction peut être définie comme « un procédé de technique juridique consistant à supposer un fait ou une situation différents de la réalité pour en déduire des conséquences juridiques ». 749 Chaïm PERELMAN et Paul FORIERS, op. cit. p. 19. 750 Paul FORIERS, « Présomptions et fictions », dans Chaïm PERELMAN et Paul FORIERS, op. cit. p. 19, pp. 7 sq., spéc. p. 7. 751 RIVERO Jean, loc. cit., p. 110. 752 Benjamin DEFOORT, loc. cit., p. 550 note 10. 753 Delphine COSTA, Les fictions juridiques en droit administratif, Paris, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », 2000, p. 48-52. Cet auteur explique que « les présomptions irréfragables consacrées par le droit administratif positif confirment leur qualité de fictions juridiques ». Elle cite par exemple des présomptions irréfragables de faute en matière de responsabilité administrative hospitalière : la présomption irréfragable de faute en cas de dommages causés par des vaccinations obligatoires, la présomption irréfragable de faute en cas de dommage graves causés par un acte de soin courant ou bénin.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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critère traditionnellement utilisé pour distinguer présomptions et fictions. Dégagé par

MENOCHIUS754, ce critère correspond à la possibilité d’apporter une preuve contraire : par

hypothèse, il est inopérant concernant les fictions mais aussi les présomptions irréfragables.

On ne peut nier que ce critère soit séduisant : en rejetant la possibilité d’une preuve contraire,

la présomption irréfragable met de côté la recherche de la réalité qui semblait pourtant être

son objectif primordial. Elle s’en désintéresse. Comme le souligne Paul FORIERS, la

présomption irréfragable « est un artifice technique tout au plus, qui permet de considérer

comme vrai ce qui peut tout aussi bien être faux et qui de plus pose comme vrai dans tous les

cas ce qui n’est pas absolument vrai ». Il paraît donc naturel d’en conclure qu’elle « se

confond avec la fiction juridique » puisque toutes deux « aboutissent (…) au même résultat ».

Toutefois, quelques récalcitrants pourraient s’étonner qu’on continue à qualifier certaines

fictions de présomptions irréfragables et deviner dans cette dichotomie langagière persistante

la trace d’inaltérables différences entre présomptions et fictions.

ii- D’inaltérables différences

Lorsque, de manière ingénue, on compare une présomption et une fiction intervenant dans

un même domaine, on perçoit confusément que la fiction a quelque chose de plus radical que

la présomption. A titre d’exemple, en droit des successions, la fiction de continuation de la

personne du défunt par celles des héritiers recèle une radicalité plus marquée que la

présomption-concept de sentiments, pourtant aréfragable par définition, permettant de répartir

la succession ab intestat755.

Cette première impression est corroborée par l’attitude d’une partie de la doctrine qui

refuse d’assimiler présomptions et fictions. Ainsi en est-il notamment du Professeur

FORIERS, de Françoise LLORENS-FRAYSSE, du Professeur GROSSEN ou encore du

Doyen GENY. Selon le premier de ces auteurs, « De la présomption qui peut être exacte mais

ne l’est pas forcément, tant s’en faut à la fiction qui est certainement la légitimation du faux,

nous passons de la vérité hypothétique à l’erreur manifeste et qui plus est au traitement de

l’erreur volontaire comme source de vérité juridique » 756. Selon le deuxième, « la fausseté du

fait en général fait sans doute perdre à la présomption sa justification rationnelle, mais ne la

transforme pas en une fiction, qui est la négation radicale, non pas de ce qui est vrai en

754 Cité par Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 27. 755 V. supra, le chapitre relatif aux présomptions-concepts. 756 Paul FORIERS, loc. cit. p. 223, p. 7.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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général, mais de ce qui est vrai toujours »757. D’après le troisième, « la présomption, même

lorsqu’elle est irréfragable, conserve un caractère probatoire. De plus, elle prétend toujours

à un rapport plus ou moins étroit avec la réalité. La fiction consiste au contraire dans un

aménagement volontairement détaché de la vérité (…) »758. Enfin, pour le Doyen GENY, les

fictions « heurtent franchement ce que l’esprit tient pour la réalité des choses ; bien plus c’est

en faussant délibérément celle-ci, qu’elles aboutissent à assujettir la vie sociale au précepte,

jugé désirable. Par où l’on voit qu’elles dépassent manifestement la sphère, où se contiennent

les présomptions, même absolument irréfragables »759.

Voilà autant d’analyses qui mettent en évidence l’existence de différences insurmontables

entre présomptions et fictions. Les premières - outre le fait qu’elles ont toujours une influence

probatoire à la différence des secondes760 - peuvent ne pas être en adéquation avec la réalité

mais ne tiendront pas pour vraie une chose impossible. A l’inverse, les secondes, défiant la

logique, n’hésitent pas à promouvoir des solutions apparemment aberrantes, consacrant par

exemple la personnalité juridique des personnes morales.

Même infinitésimale, la probabilité est toujours présente dans une présomption. Dès lors,

le fait présumé ne peut être impossible. En d’autres termes, si le but des présomptions simples

ou absolues n’est pas forcément la coïncidence avec la vérité, pareille coïncidence n’est pas

exclue. En revanche, la fiction est une négation délibérée, un refus volontaire et même

recherché de la réalité de la part du juriste qui place à la base de sa démarche « une

affirmation dont il sait qu’elle ne correspond pas à la réalité »761.

Ainsi, filant la métaphore, on dira que la fiction ne symbolise pas l’un des barreaux des

échelles présomptives mais plutôt le terme de l’ascension présomptive vers d’autres concepts.

2- Un mode de construction unique

Si l’image de l’échelle symbolise le fait que les différences entre les multiples

présomptions juridiques sont de simples variations de degré, c’est parce que toutes les

présomptions ont une même essence primordiale, certes susceptible d’évoluer dans diverses

directions mais avant tout identique. Cette même essence primordiale se manifeste

757 Françoise LLORENS-FRAYSSE, , op. cit., p. 78. 758 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 29. 759 François GENY, op. cit., p. 360. 760 Ibid., p. 360. 761 Jean RIVERO, loc. cit., p. 102.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

226

doublement. D’une part, pour ce qui est de leur mode de fonctionnement, elle signifie - on le

sait - que toutes les présomptions, dans la mesure où elles constituent des anticipations sur ce

qui n’est pas prouvé, peuvent être qualifiées de principes d’orientation cognitifs. D’autre part,

l’unité présomptive est encore plus profonde qu’il n’y paraît, ces principes d’orientation

cognitifs étant par ailleurs tous construits de la même manière.

Autrement dit, pour ce qui est du mode de construction des présomptions, l’existence

d’une même essence primordiale se manifeste en résumé par une intervention systématique de

modes de connaissance subjectifs et objectifs, intervention guidée, en trame de fond, par les

buts du juriste. A cet égard, la présomption représente bien le fait que « le droit (…) s’élabore

et s’applique en même temps dans une tension constante entre deux (…) sortes de contraires :

- d’une part, son pragmatisme et son « empirisme », qui lui imposent de répondre le mieux à

ses fins immédiates (…) ; - et d’autre part, un certain dogmatisme et un certain

« conceptualisme », eux aussi tout autant nécessaires (…) »762. En vérité, toute présomption

mêle intuition et rigueur. L’intuition, forme de pensée prélogique, précède la rigueur, celle-ci

n’intervenant qu’a posteriori pour mettre en forme ce premier mouvement instinctif. Toute

présomption serait donc une sorte de fulgurance instinctive transfigurée par la raison. Ce

phénomène n’est pas aussi insolite qu’il y paraît : comme l’écrit François OST, « (…) on peut

légitimement soutenir que, chez le juriste de profession, la pensée intuitive est déjà

préstructurée par une représentation logique et systématique du droit et de ses

évaluations »763. En outre, l’intervention de l’intuition au sein du raisonnement présomptif

perd de son étrangeté si l’on considère les développements de BERGSON relatifs aux

rapports entre l’intelligence et l’instinct764. D’après lui, « (…) l’intelligence et l’instinct (…)

s’opposent et se compètent »765 si bien qu’ « il n’y a pas d’intelligence où l’on ne découvre

des traces d’instinct, pas d’instinct surtout qui ne soit entouré d’intelligence »766.

762 Etienne PICARD, Préface à la thèse de Delphine COSTA (op. cit.), pp. VI-VII. 763 François OST, loc. cit., p. 110. On note que l’auteur cite M. MERLEAU-PONTY (Phénoménologie de la perception, Paris, 1945, p. 442) et se demande s’ils n’arrivent pas aux mêmes conclusions : « il semble que la formalisation mette à nu les fondements de notre certitude, mais en réalité le lieu où se fait la certitude et où apparaît une vérité est toujours la pensée intuitive, bien que les principes y soient tacitement assumés ou justement pour cette raison ». 764 Henri BERGSON, L’évolution créatrice, Paris, PUF, Quadrige, 2007. 765 Ibid., p. 136. 766 Ibid., pp. 136-137.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

227

Enfin, on ne saurait oublier que, dans sa quête, celui qui présume est guidé par les buts

qu’il poursuit, voire par le résultat auquel il souhaiterait parvenir767. Dès lors, puisqu’elles

correspondent à la faculté de deviner intuitivement ce qui est encore inconnu, faculté

préorientée par la culture768 et les objectifs de celui qui les met en œuvre, toutes les

présomptions seraient, en somme, des presciences préstructurées.

767 D’après le Professeur DABIN, « nombre de présomptions de droit s’expliquent moins par leur exactitude théorique, c’est-à-dire par le nombre de cas où elles ont chance de correspondre à la vérité, que par leur utilité pratique, ce qui ne les empêche pas de cadrer avec l’idée formelle de présomption ». Jean DABIN, op. cit. p. 39, p. 238. 768 Ainsi, à propos du mécanisme à l’œuvre dans les présomptions, Thomas M. FRANK et Peter PROWS écrivent : « That mental process engages the sum of the cultural, intellectual, rational and professional resources the judge brings to adjudication ». FRANK Thomas M., PROWS Peter, loc. cit., p. 201-202.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

228

Conclusion du chapitre 2

Unité présomptive

La théorie générale des présomptions résiste parfaitement à la mise à l’épreuve du droit

européen des droits de l’Homme ; elle en sort même renforcée.

En effet, le droit européen des droits de l’Homme a tout d’abord permis de dépasser les

divergences qui voilent traditionnellement l’unité des présomptions : là où le droit

international privé souligne simplement l’influence de certaines présomptions sur le fond du

droit, il a révélé que l’essence de la présomption repose en réalité sur l’infléchissement qu’elle

opère sur la situation de son bénéficiaire en l’orientant dans une direction particulière liée à

des considérations de fond.

Ensuite, il a même fait apparaître d’authentiques convergences entre les diverses

présomptions, lesquelles peuvent être imbriquées, peuvent se générer les unes les autres ou

encore peuvent se contrebalancer et sont en réalité simplement séparées par de modestes

variations de degré.

Finalement, à l’issue de cette confrontation, la nature profonde commune des

présomptions a donc été pleinement révélée. Toute présomption, qu’elle soit de type

probatoire, axiomatique ou conceptuel, correspond à la source d’une action de connaissance,

action orientée vers une solution donnée en fonction des objectifs de celui qui la met en œuvre.

Dès lors les présomptions sont toutes des principes d’orientation cognitifs, elles sont

construites sous la forme de presciences préstructurées, c’est-à-dire d’intuitions préorientées

par des considérations liées au fond du droit et formalisées a posteriori sous la dénomination

de présomption.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

229

Conclusion du Titre 2

C’est victorieusement que la trinité présomptive a franchi l’épreuve comparatiste de la

confrontation au droit européen des droits de l’Homme.

Dans un premier temps, en effet, l’existence de trois catégories de présomptions a été

confirmée. Si l’usage des présomptions-preuves par la Cour de Strasbourg est

particulièrement spectaculaire, ladite juridiction ayant notamment créé des présomptions de

responsabilité en matière de droit à la vie et d’interdiction de la torture ainsi que des

présomptions de discriminations indirectes sur le fondement de l’article 14 de la CEDH, celui

des présomptions-postulats est riche d’enseignements. Il confirme leur fonction d’attribution

de la charge de la preuve et met à jour la manière dont elles s’articulent avec des

présomptions-preuves contraires, celles-là pouvant être renversées par celles-ci. Par ailleurs,

grâce au fait qu’elles sont parfois revendiquées par le juge européen, les présomptions-

concepts gagnent en visibilité. Leur existence habituellement imperceptible est ainsi

confirmée comme leur originalité liée à leur aréfragabilité et leur tendance au préjugé.

Dans un second temps, la nature commune profonde de ces trois types de

présomptions a été clairement révélée et l’unité fondamentale du mécanisme présomptif avec

elle: toutes les présomptions participent d’un mouvement cognitif d’abord intuitif,

juridiquement formalisé par la suite, mais toujours conditionné par les objectifs de celui qui

présume. A ce titre toutes les présomptions peuvent être qualifiées de principes d’orientation

cognitifs.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Conclusion de la Partie 1

Traditionnellement, l’étude des présomptions est considérée comme pleine

d’embûches. « Every writer of sufficient intelligence to appreciate the difficulties of the

subject matter has approached the topic of presumptions with a sens of hopelessness and left

it with a feeling of despair » résumait Edmund M. MORGAN769. Certes, en pratique, la figure

présomptive est couramment utilisée, utile, pérenne et aisément repérable. Mais, dès qu’on

tente de l’aborder d’un point de vue plus théorique, elle devient fuyante voire insaisissable.

Ces difficultés classiques liées à l’analyse de la présomption ont pour conséquence une

méconnaissance définitionnelle et fonctionnelle de celle-ci. Or, méconnue, la présomption est

mésestimée. Reléguée au rang des notions génériques et floues, on estime parfois qu’elle

recouvre des réalités trop hétérogènes pour être autre chose qu’une généralité vide de sens.

Dès lors, on la traite comme une échappatoire, un expédient sans réelle portée juridique.

Cette vision dépréciative ne serait-elle pas un raccourci permettant d’échapper aux

problèmes théoriques posés par la complexité de la présomption ? Telle est l’une des

interrogations sous-jacentes à notre étude.

D’ores et déjà, divers éléments laissent envisager une réponse positive à cette question. Le

fondement de la conception négative de la présomption – l’idée selon laquelle la présomption

manquerait d’unité – est en effet éminemment contestable. Le mécanisme présomptif, malgré

la diversité de ses déclinaisons, est toujours la source d’une action cognitive et c’est

précisément là que réside son essence. Jusqu’à présent, les auteurs ayant évoqué une possible

unité du mécanisme s’étaient référés à l’article 1349 du Code civil. Si ce recours de principe à

ce texte se justifiait dans la mesure où aucune autre disposition ne tente de définir les

présomptions, il conduisait cependant à exclure celles qui ne reposent pas sur un passage du

connu à l’inconnu. Il est donc apparu salutaire de libérer l’analyse présomptive de

l’hégémonie civiliste. Ainsi, grâce au droit européen des droits de l’Homme, à son usage varié,

spontané, manifeste et récurrent des présomptions, on a pu mettre en lumière le fait que toutes

celles-ci, qu’elles soient des preuves, des postulats ou encore des concepts, sont des principes

769 Edmund M. MORGAN, « Presumptions », 12, Wash. L. Revue, 225-255 (1937), cité par Nicholas RESCHER.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

231

d’orientation cognitifs. A ce titre, elles orientent la connaissance vers une solution précise en

fonction du but poursuivi par le juriste et sont bâties sous la forme de presciences

préstructurées, c’est-à-dire d’intuitions guidées par des considérations liées au fond du droit et

formalisées a posteriori sous la dénomination de présomption.

Finalement, l’hétérogénéité des présomptions n’étant pas irréductible et leur

polymorphisme n’affectant nullement leur unité fondamentale, il convient désormais de

s’intéresser au rôle qui leur est dévolu. Est-il aussi secondaire et dérisoire qu’on a pu parfois

le laisser entendre ? La fonction cognitive des présomptions n’a-t-elle pas, au contraire,

l’envergure susceptible de briser la conception dévalorisante qu’on a parfois de ces dernières ?

Dès à présent, la pertinence de l’idée selon laquelle la présomption n’aurait qu’un rôle

mineur paraît fort relative. Cette idée découlait en effet directement de celle selon laquelle la

notion manquait d’unité. Or, la nature unitaire des présomptions ayant été révélée, les

fondements de cette vision dépréciative ont disparu, et il semble qu’il faille, au contraire,

revaloriser le rôle des présomptions.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

232

Partie II- Revalorisation du rôle des

présomptions

« Il est nécessaire (…) qu’il y ait des choses tenues pour vraies, non pas des choses vraies ».

NIETZSCHE, Par delà le bien et le mal.

« Le vrai, que ce soit une chose vraie ou un jugement vrai est ce qui est en

accord, ce qui concorde. Etre vrai et vérité signifient ici : s’accorder, et ce,

d’une double manière : d’abord, comme accord entre la chose et ce qui est

présumé d’elle et, ensuite, comme concordance entre ce qui est signifié par

l’énoncé et la chose ».

HEIDEGGER, De l’essence de la vérité, I, Le concept courant de vérité.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

233

Les présomptions symbolisent l’irrémédiable impuissance du juriste face à la réalité,

son absence de certitudes et, pour tout dire, l’inaccessibilité du vrai. Par conséquent, leur

usage suscite une certaine méfiance et fait aisément figure d’aveu de faiblesse. De là à les

tenir pour des outils à n’utiliser qu’en dernier recours, il n’y a qu’un pas que la doctrine a

parfois franchi.

Certes, plusieurs auteurs ont reconnu l’importance de la mission présomptive. Ainsi,

au début du XXème siècle, GENY et le Professeur BARRAINE ont-ils respectivement admis

que les présomptions « font partie (…) du “matériel d’exploitation” indispensable au

jurisconsulte »770 et que leur existence « constitue une nécessité absolue dans un droit

évolué »771. L’emploi de termes relevant du champ lexical de la nécessité dans ces assertions

contredit la thèse du rôle secondaire des présomptions. Dans le même ordre d’idées, le

Professeur FORIERS considère, pour sa part, qu’elles « aboutissent à autoactiver (…) le droit

en lui permettant d’appréhender un ensemble de circonstances réputées réelles »772.

Mais, la plupart du temps, elles demeurent considérées comme de simples « pis-

aller »773, de vulgaires « expédients »774 voire d’authentiques « mensonges »775 ; bref, comme

des procédés inférieurs potentiellement dangereux.

Or, le droit européen des droits de l’Homme, qui fait un usage remarquable776 des

présomptions et représente une porte ouverte sur celles provenant des différents Etats

membres du Conseil de l’Europe, souligne à la fois leur actualité et leur utilité, incitant ainsi à

s’interroger sur la pertinence d’une conception si dépréciative de leur rôle. En décalage avec

l’importance quantitative et qualitative des présomptions, pareille conception apparaît en effet

comme le signe d’une profonde méconnaissance de la place qu’elles occupent en droit positif.

Pire encore, elle semble tenir davantage du jugement péremptoire que du constat éclairé et

correspondre à une véritable politique de dévalorisation dictée par une sorte d’appréhension,

mêlée de pudeur, à l’égard des raisonnements trop éloignés du déductivisme.

770 François GENY, op. cit., p. 264. 771 Raymond BARRAINE, op. cit., p. 283. 772 Paul FORIERS, loc. cit. p. 37, p. 23. 773 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 18. 774 François GENY, op. cit., p. 263. 775 Valérie LASSERE-KIESOW, loc. cit., p. 911. 776 On pense notamment aux présomptions de responsabilité étatique en cas de décès ou de blessures survenus pendant une détention, V. supra.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

234

A cet égard, une précision mérite d’être apportée. On pourrait en effet penser que la

fonction des présomptions a déjà été mise en évidence. On sait, par exemple, que la

présomption-preuve déplace l’objet de la preuve ou encore que la présomption-postulat

attribue la charge de la preuve. Mais là n’est pas la fonction des présomptions : il s’agit

simplement de leur mode de fonctionnement, de leur modus operandi qu’il convient

précisément de ne pas assimiler à leur rôle. Autrement dit, jusqu’à présent, on s’est seulement

attaché à la manière dont les présomptions assurent leur mission. Mais cette dernière, en elle-

même, n’a pas encore été envisagée.

Il est donc temps de reconsidérer le rôle des présomptions : transversales, stables et

nécessaires, elles ne sont nullement des techniques juridiques de second rang. Par-delà

l’analyse proprement dite de leur rôle, c’est donc une véritable revalorisation de ce dernier qui

doit être entreprise. On ne saurait prétendre avoir relu le droit des présomptions sans avoir

levé l’ombre qui obscurcit sa mission.

Cela dit, au vu de certaines considérations doctrinales, pareille revalorisation apparaît

comme une gageure. Elle serait soi-disant incompatible avec l’existence d’une essence

commune à toutes les présomptions et avec la définition extensive qui en est le corollaire,

éléments ayant précisément fait l’objet de la première partie de notre étude. Rejoignant

GENY777, Françoise LLORENS-FRAYSSE met ainsi en garde contre une conception trop

large de la notion. Pour elle, il s’agirait d’« un facteur presque irréductible de confusion »778

susceptible d’anéantir toute possibilité d’attribuer une fonction précise aux présomptions.

Dans ce cas, écrit-elle, « (…) la présomption se confond avec la simple supposition. Elle se

dilue au point de trouver application dans toutes les situations laissant place à un doute qu’il

convient de dissiper, qu’elle relève du domaine matériel, moral, psychologique ou juridique.

Et sur le terrain du droit, elle pourrait désigner des opérations aussi nombreuses et diverses

que la détermination de la règle applicable, la qualification d’un acte, l’établissement d’un

fait inconnu, l’interprétation d’un texte. Chaque fois que la solution d’un problème est

affectée au départ d’une incertitude, il faudrait convenir que son adoption est fondée sur une

présomption. En un mot, la présomption serait partout où ne règne pas l’évidence. (…)

777 François GENY, op. cit., pp. 266-268. 778 Françoise LLORENS-FRAYSSE, op. cit., p. 24.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

235

Autant dire qu’elle ne possèderait en aucune manière ce caractère opérationnel qui est le

propre de toute notion »779.

Mais, très vite, les limites de ce raisonnement se font jour. Il rejette la définition

extensive du mécanisme présomptif sans raison véritable, uniquement par crainte de

reconnaître son omniprésence ; il conduit à lui préférer une définition restrictive qui, fondée

sur une assimilation des présomptions à de simples composantes du droit de la preuve, permet

de les tenir pour quantité négligeable, de relativiser leur rôle et même de nier implicitement

l’existence d’un droit des présomptions. Aussi entendons-nous prendre le contrepied de ce

raisonnement. Dans cette optique, la revalorisation du rôle des présomptions, loin d’être

incompatible avec la révélation de leur nature unitaire, apparaît, au contraire, comme sa

conséquence logique. Ayant révélé que les présomptions ne sont pas seulement des modes de

preuve parmi d’autres mais de véritables principes d’orientation cognitifs intervenant à tous

les stades du raisonnement juridique, le droit européen des droits de l’Homme amène en effet

à penser qu’elles contribuent d’une manière fondamentale à l’existence du système

juridique780 même.

D’après le Doyen CARBONNIER781, le système juridique repose avant tout sur les

idées de cohérence et d’homogénéité, c’est-à-dire sur une exigence de cohésion. Selon

l’éminent auteur, c’est alors le point de vue structuraliste du système juridique qui domine. A

cette première conception, vient s’ajouter celle, dite évolutionniste, qui a trait à la faculté

d’adaptation du droit : « le système juridique, écrit le Doyen CARBONNIER, occupe une

plage de temps. Il dure même si c’est en se transformant à l’intérieur »782. Autrement dit, les

besoins fondamentaux de tout système juridique seraient les suivants : cohésion et évolution

Revaloriser le rôle des présomptions consistera donc, dans une première étape, à tenter

de montrer qu’elles participent à la cohésion du système : mécanismes cognitifs, elles

permettent de dépasser les doutes et les incertitudes pour créer les connaissances dont le

système juridique, comme toute construction intellectuelle, a besoin pour fonctionner ; elles

assoient par là-même sa solidité logique.

Revaloriser le rôle des présomptions requerra dans une seconde étape la démonstration

de leur contribution à l’évolution du système : mécanismes volitifs, elles orientent la

779 Ibid., p. 23. 780 V. supra. 781 Jean CARBONNIER, op. cit. p. 26, pp. 346-355. 782Ibid., p. 350.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

236

connaissance qu’elles génèrent en fonction d’intérêts supérieurs et de considérations

sociologiques ; elles constituent donc une source de changement.

Pareille démarche trouve un appui dans la littérature juridique. Alors que le Professeur

BARRAINE évoque le double rôle « modérateur » et « novateur »783 de la présomption, qui

n’est pas sans rappeler l’idée selon laquelle la présomption participerait à la cohésion et à

l’évolution du système, le Professeur RIVERO, d’une manière encore plus explicite, cite la

présomption comme exemple de la double polarisation du droit autour de « l’abstraction

logique » d’une part et de la « fonction sociale à assumer dans le concret »784 d’autre part. On

en vient alors à se demander si la présomption ne ferait pas partie des deux grandes forces

créatrices du droit mises en valeur par RIPERT785, à savoir « les forces conservatrices qui

essaient de maintenir le droit existant » et « les forces réformatrices qui veulent le modifier

ou le transformer »786.

Mais seul le droit européen des droits de l’Homme, grâce à son usage intensif des

présomptions, nous permettra d’envisager de manière exhaustive les fonctions qu’elles

assument et de vérifier si ce sont effectivement des procédés qui, tout en ordonnant la réalité

et en donnant au droit une prise sur le réel qu’il soit inconnu ou même inconnaissable, sont

des vecteurs idéologiques permettant au droit d’évoluer voire de progresser en accroissant, par

exemple, la protection des droits garantis par la Convention.

Finalement, la revalorisation du rôle des présomptions se déroulera en deux temps : le

premier les présentera comme un facteur de cohésion (titre 1), le second comme un facteur

d’évolution (titre 2).

783 Raymond BARRAINE, op. cit., p. 287. 784 Jean RIVERO, loc. cit., p. 113. 785 Georges RIPERT, op. cit.. 786 Ibid., p. 86 n° 31.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

237

Titre 1- Facteur de cohésion

En tant que système, « un droit est un ensemble » écrit le Doyen CARBONNIER ;

« ses éléments composants (…), loin d’être rassemblés fortuitement, sont liés entre eux par

des rapports nécessaires »787. Il est alors question de « la cohérence intérieure de tout

système juridique »788, c’est-à-dire de sa cohésion, laquelle désigne le caractère de solidité du

lien logique unissant les éléments composant le système concerné789. Cette exigence de

cohésion est indispensable non seulement à l’existence mais encore à la stabilité, à l’harmonie

et à la pérennité dudit système.

Or, la présomption participe assurément à la cohésion du système qui la met en œuvre.

On peut d’ores et déjà l’affirmer fermement car elle relève sans conteste du domaine de la

technique juridique. La doctrine l’admet d’ailleurs unanimement790. « La présomption,

souligne Françoise LLORENS-FRAYSSE, (…) appartient au monde de la technique

juridique. Or, dans le travail législatif et plus encore dans celui du juge, la technique

représente ce qu’il y a de plus profond, de plus permanent, de premier au sens plein du terme.

Sans doute ne suscite-t-elle pas le même intérêt pratique immédiat que le fond du droit. Mais

elle constitue la part la plus secrète, et la plus constante de son élaboration, celle qui

demeure par delà les changements contingents. Celle qui fournit la solution de bien des

solutions inexplicables sans elle ». Autrement dit, la technique juridique, dont la présomption

fait partie, constitue la trame instrumentale sans laquelle le droit resterait un agglomérat de

concepts sans portée concrète.

A lui seul, ce constat suffit à entrevoir la puissance de cohésion du mécanisme

présomptif. Mais c’est le droit européen des droits de l’Homme qui la dévoile pleinement. Il

permet en effet d’embrasser d’un même regard les diverses catégories de présomptions : il les

utilise toutes trois d’une manière si ostensible qu’elle frôle parfois la revendication791. Ce

787 Jean CARBONNIER, op. cit., p. 346. 788 Ibid., pp. 346-347. V. aussi : Dimitri HOUTCIEFF, « Essai de maïeutique juridique : la mise au jour du principe de cohérence », JCP G, 2009, 463, p. 42 sq. 789 Définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/cohésion], (2009-01-06). 790 V. entre autres : Gérard CORNU (Dir.), op. cit. p. 37, V. le terme « Présomption » ; Jean DABIN, op. cit. p. 39, p. 237 ; François GENY, op. cit., p. 259 ; Françoise LLORENS-FRAYSSE, op. cit., p. 50 ; Jean RIVERO, loc. cit., p. 113. 791 On pense notamment aux présomptions de responsabilité étatique en cas de blessures ou de décès survenus pendant une détention ; on pense également à certaines présomptions-concepts, telle celle de vulnérabilité (V. supra) qui sont souvent plus visibles qu’en droit interne.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

238

faisant, il révèle que le mécanisme présomptif peut intervenir, au sein d’une même branche du

droit, à divers stades du raisonnement juridique pouvant tous être qualifiés de stratégiques

voire de décisifs. Concrètement, la présomption-concept constitue le fondement d’un

raisonnement, la présomption-postulat en est la première pierre et la présomption-preuve en

est le corps ; toutes trois opèrent lors de situations de blocage, quand nul autre moyen n’est

capable de pallier la méconnaissance de la réalité. Aussi permettent-elles à la Cour de

Strasbourg non seulement de présupposer l’existence d’un état des choses, telles l’impartialité,

l’innocence ou encore la dangerosité des marginaux, mais aussi de faciliter certaines preuves,

comme celle de la responsabilité étatique en cas de blessures ou de décès survenus pendant

une détention. Dans tous les cas, il s’agit d’envisager la réalité d’une manière qui permette au

droit de s’en saisir.

Dans cette optique, le Professeur DABIN souligne que beaucoup de présomptions

s’expliquent avant tout par « leur utilité pratique »792. Plus largement, on trouve de manière

récurrente dans les travaux doctrinaux l’idée selon laquelle l’essentiel n’est guère l’adéquation

de la présomption au réel mais plutôt le fait qu’elle facilite la mission du juge et du

législateur793. La présomption instaurerait donc un minimum d’adéquation entre la réalité et le

droit, permettant par là-même à ce dernier de se structurer de manière cohérente ; en somme,

elle viendrait « restaurer l’harmonie momentanément détruite entre la logique et la vie »794. A

la lumière du droit européen des droits de l’Homme, les deux aspects de cette puissance de

cohésion se dessinent plus précisément ; quoiqu’intimement liés, ils méritent d’être distingués.

Le premier, fondamental, concerne une forme de cohésion primordiale : la réalisation

du droit, c’est-à-dire son existence et son effectivité. Les présomptions appartiennent à

l’ossature originelle de la pensée juridique ; elles portent en elles une forme de

commencement : en orientant la connaissance dans une direction précise, en permettant de

tenir pour vrai - définitivement ou provisoirement - quelque chose d’incertain, elles offrent

des points d’ancrage au raisonnement juridique. Points d’ancrage plus ou moins discrets en

792 Jean DABIN, op. cit. p. 39, p. 238. 793 Pierre LOUIS-LUCAS, loc. cit.. Cet auteur explique que « le juriste (…) exprime la nature, mais suivant son destin particulier, il la transpose dans le milieu de l’ordre » (p. 584). Il énonce également à propos des présomptions : « Tout cela n’est que de l’approximatif. Mais le législateur ne doit pas être dominé par trop d’inquiétants scrupules. Et son œuvre n’en sera que meilleure à avoir préféré une certitude facilitée à une incertitude concevable mais dissolvante » (p. 587). 794 Jean DABIN, op. cit. p. 39, p. 271. L’auteur s’exprime ainsi à propos de la présomption de connaissance de la loi.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

239

fonction du type de présomption - les présomptions-concepts sont souvent plus difficiles à

repérer que les présomptions-preuves et postulats – mais toujours essentiels.

Le second aspect de cette puissance de cohésion, plus spécifique, vient compléter le

premier. Il concerne la faculté qu’ont les présomptions d’œuvrer au fonctionnement

harmonieux du système. A cet égard, le concept de régulation795, qui recouvre précisément

celui d’harmonie mais aussi ceux d’équilibre, de constance ou encore de régularité, paraît

approprié pour rendre compte de la façon dont la Cour de Strasbourg envisage ce versant de

l’activité présomptive. A titre d’exemple, la Cour a mis en évidence la nécessité pour le bon

fonctionnement du système de l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » en le reformulant

positivement dans l’arrêt Emonet et autres contre la Suisse ; pour elle, « (…) toute personne,

qu’elle soit représentée par un avocat ou non, est censée connaître la loi »796. Elle a aussi

reconnu l’utilité de certaines présomptions de culpabilité797. Enfin, faut-il rappeler qu’elle a

tenté d’articuler le système de protection des droits fondamentaux de l’Union européenne et

celui de la CEDH en présumant leur équivalence798 ? Autant d’exemples sur lesquels il

conviendra de s’attarder puisqu’ils dévoilent que la présomption, régulatrice, assure la

cohésion du système en la pérennisant.

Finalement, la présomption est indéniablement un facteur de cohésion : elle peut à la

fois l’initier et la perpétuer. A ce titre, elle apparaît non seulement comme une technique de

réalisation (Chapitre 1) mais encore comme une technique de régulation (Chapitre 2).

795 D’après le CNRTL, la régulation correspond notamment au « fait de rendre régulier, normal le fonctionnement de quelque chose » et, en parlant d'un dispositif au « fait d'en régler le fonctionnement ou le mode de fonctionnement, notamment pour l'adapter aux conditions extérieures ou au résultat à obtenir », [http://www.cnrtl.fr/definition/régulation], (2009-12-25). 796 CEDH, 13 décembre 2007, Emonet et autres c/ Suisse, req. n°39051/03, § 85. 797 Ainsi a-t-elle validé l’existence de présomptions de culpabilité en matière douanière (CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83 ; CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87), en matière fiscale (CEDH, 23 juillet 2002, Janosevic c/ Suède, req. n° 34619/97, JCP G, 2003, I, 109, n°13, obs. F. SUDRE), ou encore en matière de responsabilité du directeur de publications (CEDH, 30 mars 2004, Radio France c/ France, req. n° 53984/00). 798 CEDH, Grde Ch., 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yollaris turizm ve ticaret sirketi c/ Irlande (Bosphorus Air lines), req. n° 45036/98.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Chapitre 1- Une technique de réalisation

« Tout système juridique, souligne la Cour de Strasbourg, connaît des présomptions de

fait ou de droit ; la Convention n’y met évidemment pas obstacle en principe »799. La présence

de l’adjectif indéfini « tout », porteur d’une valeur universelle, et de l’adverbe « évidemment »,

lequel évoque ce qui s’impose à l’esprit, confère à l’assertion une radicalité certaine ; la

présomption apparaît alors comme une figure juridique capitale, de l’ordre de l’inéluctable.

La conception européenne de la présomption actualise donc sa représentation classique,

répandue par GENY au début du XXème siècle. La présomption y était décrite extensivement

comme le procédé intellectuel faisant partie de la « technique juridique fondamentale »800, à

savoir celle qui vise « à procurer la plus pure réalisation du droit en conformité de la nature

des hommes et des choses »801, synthétiquement comme une technique de réalisation.

Certes, il y a un je-ne-sais-quoi de redondant à qualifier la présomption de technique

de réalisation du droit. La technique juridique, explique le Professeur PERROT, est par

hypothèse un « procédé de réalisation », c’est-à-dire « un artifice de mise en œuvre »802

« destiné à produire certains résultats utiles »803. Pourtant, si l’on s’obstine à employer cette

formule voisine du pléonasme, c’est qu’elle présente un intérêt : elle reflète clairement le fait

que la présomption est une technique plurielle et, somme toute, assez complète de réalisation

du droit. Pour le comprendre, quelques rappels concernant la notion de réalisation sont sans

doute pertinents.

Juridiquement, le concept de réalisation recouvre la « mise en œuvre du droit » et

« l’ensemble des opérations qui assurent en pratique, la mise en application des règles de

droit »804. Il est donc assez proche de celui d’effectivité805 tout en le dépassant puisqu’il a trait

non seulement aux effets du droit, mais encore à son existence et à sa création. Dans le

langage courant, le verbe réaliser signifie d’ailleurs à la fois « faire exister » et

799 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83. 800 François GENY, op. cit., p. 31. 801 Ibid., p. 31. 802 Roger PERROT, De l’influence de la technique sur le but des institutions juridiques, Paris, Sirey, 1947, p. 205. 803 Ibid., p. 13. 804 Gérard CORNU (dir.), op. cit. p. 37, « Réalisation ». 805 Ibid., « Effectivité ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

241

« accomplir »806. Or, la présomption semble précisément contribuer à la réalisation du droit à

ces deux stades, à savoir celui de la création et celui de l’accomplissement.

Parfois, elle est en effet le préalable nécessaire à l’existence d’une règle de droit ou

d’une décision. Elle est alors le fondement à partir duquel celle-ci va être élaborée ou encore

la connaissance préliminaire à l’activité d’émission du droit. Ainsi les présomptions-postulats

consistent-elles à établir par avance une position marquant le point de départ d’un

raisonnement. De même, les présomptions-concepts, situées en amont de la jurislation, en

permettent l’élaboration.

Parfois, elle est plutôt le complément nécessaire à l’accomplissement d’une règle de

droit ou d’une décision. Ainsi, les présomptions-preuves agissent-elles au cours du

raisonnement juridique, lui permettant de la sorte d’aller jusqu’à son terme.

Néanmoins, on perçoit déjà confusément qu’il n’y a pas de séparation tranchée entre

les diverses étapes de la réalisation du droit. En vérité, la réalisation du droit repose sur un

seul et même mouvement qui va de son apparition jusqu’à son accomplissement.

Quoi qu’il en soit, il n’y a rien d’étonnant à ce que la présomption participe

doublement à la réalisation du droit. La jurisprudence de la Cour EDH révèle en effet

l’ambivalence du terme « présomption » qui est susceptible de désigner tantôt une action

cognitive, tantôt la connaissance qui en résulte807. Ainsi, lorsqu’elle évoque la possibilité, en

l’absence de preuves directes, de prouver un fait, par exemple le décès d’un individu, à partir

« d'un faisceau d'indices ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et

concordants »808, la Cour fait référence à la présomption en tant que mode de raisonnement.

En revanche, lorsqu’elle énonce qu’un individu, disparu depuis un certain laps de temps et

dans des circonstances obscures, doit être présumé mort, elle fait allusion à la connaissance

obtenue grâce au mécanisme présomptif809 . Pour reprendre les termes de Françoise

LLORENS-FRAYSSE, la présomption apparaît alors « à la fois comme un processus de

pensée, un mécanisme de raisonnement et comme l’aboutissement de celui-ci »810. A l’instar

806 Définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/réaliser], (2009-08-15). 807 Mieux encore, cette double acception du terme « présomption » est parfaitement compatible avec la qualification de principe d’orientation cognitif. En effet, comme l’explique le Professeur MORVAN, dans la pensée aristotélicienne, le principe « est aussi bien l’acte de connaissance le plus supérieur que l’objet essentiel et premier de cette connaissance ». Patrick MORVAN, op.cit.. 808 CEDH, 24 janvier 2008, Osmanoğlu c/ Turquie, req. n° 25165/94. 809 Voir, par exemple, CEDH, 29 avril 2008, Kaplanova c/ Russie, req. n° 7653/02, § 94 pour la première acception, § 107 pour la seconde. 810 Françoise LLORENS-FRAYSSE, op. cit., p. 31.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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de cet auteur, on peut finalement considérer que le terme « présomption » revêt simplement

une acception différente en fonction du point de vue adopté. D’un point de vue dynamique, la

présomption désignerait l’opération intellectuelle, « le travail de l’esprit »811 grâce auquel on

tient pour vrai quelque chose d’incertain. D’un point de vue statique, elle renverrait « au

résultat de ce cheminement »812, bref à la connaissance présumée.

En définitive, les présomptions désignent à la fois le processus d’acquisition d’une

connaissance et la connaissance acquise elle-même. Cette ambivalence symbolise d’ailleurs

parfaitement la structure du mécanisme présomptif : les présomptions se dirigent vers une

connaissance à partir de plusieurs éléments – la probabilité, l’expérience et la volonté - et ce

grâce au raisonnement qu’elles mettent en œuvre813. Voilà pourquoi elles accomplissent leur

mission de réalisation du droit à la fois par la connaissance (Section 1) et par le raisonnement

(Section 2).

811 Ibid., p. 31. 812 Ibid., p. 31. L’auteur développe ce point de vue uniquement à propos des présomptions que nous qualifions de preuves, c’est-à-dire celles qui reposent sur un passage du connu à l’inconnu : « D’un point de vue dynamique, le terme de présomption désigne le travail de l’esprit par lequel juge ou le législateur réalisent le passage du connu à l’inconnu. D’un point de vue statique, il renvoie au résultat de ce cheminement, c’est-à-dire à la proposition énonçant le passage du connu à l’inconnu ». 813 Ibid., p. 31. L’auteur souligne que les deux acceptions de la présomption sont « rigoureusement complémentaires » puisqu’ « il n’y a pas de présomption au sens statique du terme sans un travail préparatoire de présomption ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

243

Section 1- Réalisation par la connaissance

Indéniablement, les présomptions ont un objet cognitif. Tout d’abord, raccourcis

cognitifs, elles permettent de gagner du temps en simplifiant certaines preuves. Ensuite, outils

de sélection cognitifs, elles permettent d’opérer un choix parmi plusieurs explications

plausibles et de discerner ce qui, sans être véritablement inconnaissable, est incertain, douteux

ou ambigu. Enfin elles permettent de saisir, de manière apparemment paradoxale, ce qui

échappe normalement à la connaissance : le futur par exemple - les présomptions de risque

permettent ainsi de prévoir ce qui ne s’est pas encore passé - ou encore ce qui est purement

abstrait. A titre d’exemple, certaines présomptions envisagent un état des choses abstrait :

c’est le cas des présomptions qui se prononcent sur la nature humaine à l’instar de la

présomption d’innocence ou des présomptions de bonté de l’Homme.

Cependant la connaissance présomptive est singulière : parfois provisoire lorsque la

présomption est réfragable, elle est toujours indirecte, imparfaite, conjecturale et, pour tout

dire, construite. Peut-on alors vraiment prétendre que la présomption réalise le droit en

aboutissant à une connaissance aussi teintée d’artifice ?

On peut supposer que c’est justement dans l’originalité et le non-conformisme de la

connaissance ainsi obtenue que réside la faculté de réalisation du droit de la présomption.

Autrement dit, c’est précisément parce qu’elle construit la connaissance que la présomption

réaliserait le droit.

La présomption débouche sur l’acquisition d’une connaissance alors même que les

moyens de connaissance traditionnels sont restés impuissants. Pour cela, elle s’affranchit des

contingences, dépasse la réalité et les faits objectivement constatables ; elle transcende les

sources de connaissance classiques. Cependant, il n’est pas sûr que la présomption demeure

neutre. Dans cet ordre d’idées, on sait qu’en tant que principe d’orientation cognitif, la

présomption infléchit la connaissance en fonction des buts de celui qui la met en œuvre. Or,

ce processus semble a priori incompatible avec l’acquisition d’une connaissance neutre. Par

conséquent, afin de comprendre comment la présomption réalise le droit par la connaissance,

il convient d’aborder d’une part la transcendance cognitive de la présomption (§ 1-), d’autre

part sa neutralité cognitive (§ 2-).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

244

§ 1- Transcendance cognitive

La transcendance cognitive qui caractérise la présomption et lui permet de dépasser les

moyens cognitifs traditionnels pour « porte[r] remède à la quasi inconnaissabilité de la

situation réelle »814, se manifeste à la fois par un dépassement de la probabilité (A-) et par un

dépassement du paradigme probatoire (B-).

A- Le dépassement de la probabilité

A plusieurs reprises au cours de cette étude, le rôle joué par la probabilité au sein du

mécanisme présomptif a été mis en évidence. A présent, notre objectif n’est donc nullement

de le remettre en cause mais bien plutôt d’en montrer les limites : sa consécration européenne

(1-) n’équivaut pas à une assimilation de la présomption à la probabilité (2-).

1- La consécration européenne des liens unissant présomption et probabilité

La Cour EDH n’hésite pas à asseoir certaines présomptions de discrimination sur des

données statistiques (a-), attitude qui reflète la proximité globale qu’entretiennent la

présomption et la probabilité (b-).

a- Les statistiques, assises potentielles des présomptions de discrimination

C’est l’arrêt Zarb Adami contre Malte815 qui, à la suite de la décision Hoogendijk contre

Pays-Bas 816, semble avoir ouvert la voie à l’utilisation de données statistiques, lesquelles

traduisent une probabilité mathématique, concernant l’élaboration de présomptions-preuves

en matière de discrimination. Dans cette affaire, le requérant prétendait avoir subi un

traitement différent de celui réservé aux femmes concernant l’accomplissement du service de

juré. Bien que les dispositions maltaises ne fassent aucune différence entre homme et femme à

cet égard, le requérant prétendait que la différence existait de facto, les femmes étant

quasiment dispensées de cette obligation civique. Pour admettre la différence de traitement

814 Jean RIVERO, loc. cit., p. 112. 815 CEDH, 20 juin 2006, Zarb Adami c/ Malte, req. n° 17209/02. 816 CEDH, déc°, 6 janvier 2005, Hoogendijk c/ Pays-Bas, req. no 58461/00. Dans cette décision, la Cour affirme que « là où le requérant peut établir, sur la base des statistiques officielles qui ne prêtent pas à controverse, l'existence d'un commencement de preuve indiquant qu'une mesure – bien que formulée de manière neutre – touche en fait un pourcentage nettement plus élevé des femmes que des hommes, il incombe au gouvernement défendeur de démontrer que ceci est le résultat des facteurs objectifs qui ne sont pas liés à une discrimination fondée sur le sexe. Si la charge de prouver qu'une différence dans l'effet d'une mesure sur les femmes et les hommes n'est pas discriminatoire n'est pas transférée au gouvernement défendeur, il sera en pratique extrêmement difficile pour les requérants de prouver la discrimination indirecte ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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entre hommes et femmes, la Cour s’appuie sur les statistiques produites par les parties,

statistiques qui révèlent la faible représentation des femmes parmi les jurés à Malte lors des

faits817.

Par la suite, l’arrêt D.H. contre République Tchèque - déjà évoqué818 - a confirmé

l’utilisation de statistiques au sein d’un raisonnement présomptif. En l’espèce, la Grande

Chambre de la Cour de Strasbourg819 observe, grâce à des statistiques820, que la législation

tchèque en matière de scolarisation, malgré son apparente neutralité, a conduit au placement

de nombreux enfants roms dans des écoles spéciales pour enfants handicapés. Elle conclut dès

lors à l’existence d’une présomption de discrimination indirecte non réfutée par l’Etat

défendeur. Remarquable, cet arrêt lie explicitement présomption et probabilité en soulignant

qu’ « une présomption réfragable de discrimination »821 peut être établie sur la base de

statistiques. Au titre des « principes pertinents », la Cour y délivre même une véritable

profession de foi822 concernant l’utilisation des statistiques. Il n’en résulte rien de nouveau à

proprement parler, mais on peut en déduire que l’utilisation de la probabilité mathématique

comme base d’un raisonnement présomptif ne doit rien au hasard et s’apparente plutôt à un

procédé fondamental.

Affermissant les principes dégagés dans l’arrêt D.H., la Cour les reprend mot pour mot

dans l’arrêt Opuz contre Turquie823 ; elle les applique alors à un cas de violence domestique.

En l’espèce, la Cour s’appuie sur « des données statistiques non contestées, établissant que la

violence domestique touche principalement les femmes et que la passivité généralisée et

discriminatoire de la justice turque crée un climat propice à cette violence »824 pour présumer

que les sévices infligés par l’ex-mari de la requérante à cette dernière ainsi qu’à sa mère

correspondent à une forme de discrimination contraire à l’article 14 combiné avec les articles

2 et 3.

817 CEDH, 20 juin 2006, Zarb Adami c/ Malte, req. n° 17209/02, §§ 75-79. 818 V. supra : les présomptions de discrimination indirecte. 819 CEDH, 13 novembre 2007, D.H. et autres c/ République Tchèque, req ; n° 57325/00. 820 Ibid., § 190-191. 821 Ibid., §§ 188-189. 822 Ibid., § 180. 823 CEDH, 9 juin 2006, Opuz c/ Turquie, req. n° 33401/02, obs. Damien ROETS et Jean-Pierre MARGUENAUD, « La prolifération des obligations positives de pénaliser : honte aux époux violeurs et haro sur les juges laxistes », RSC, 2010, p. 219 sq. 824 CEDH, 9 juin 2006, Opuz c/ Turquie, req. n° 33401/02, § 198.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

246

Assurément, la corrélation entre statistiques et présomptions mise en valeur par la

jurisprudence européenne n’a rien d’incident ; c’est sans doute le signe du profond ancrage du

raisonnement présomptif dans le champ du probable.

b- Le reflet de la proximité globale entre présomption et probabilité

Les manifestations européennes des liens entre présomption et probabilité trouvent un

écho tant dans le discours doctrinal que dans la jurisprudence nationale.

La doctrine souligne systématiquement la proximité des deux notions. A titre d’exemple,

le Professeur BENABENT considère que les présomptions « expriment une probabilité »825

tandis que le Professeur RIALS écrit que « la présomption réduite à l’essentiel est fondée sur

un raisonnement probabiliste » 826 . Autre exemple, d’après le Professeur RESCHER :

« Presumption is often seen as a matter of plausible conjecture, with probability taken. The

pivotal principle here authorizes the presumption of the probable »827. D’ailleurs, les liens

entre les deux notions semblent si évidents et profonds que certains vont jusqu’à évoquer la

consubstantialité de ces deux notions828.

L’impression de proximité entre présomption et probabilité est également corroborée par

le fait que de nombreuses présomptions-preuves judiciaires nationales ont, à l’instar des

présomptions de discrimination européennes, une base statistique manifeste.

Cette tendance est particulièrement visible dans le contentieux environnemental comme

dans celui de la santé publique. Dans ces deux domaines, il arrive parfois qu’on soit face à

une incertitude scientifique quant à la cause exacte du dommage subi par un individu alors

même que des données statistiques tendraient à rapprocher ce cas individuel du cas d’autres

personnes ayant subi le même dommage dans des circonstances comparables. Selon

Emmanuel TREUIL, « ces cas correspondent à la situation (…) « d’indétermination de la

victime » : la probabilité indique que les facteurs technologiques identifiés sont

incontestablement à l’origine d’un certain nombre de dommages du type de celui subi par le

demandeur, l’incertitude résidant dans l’identité des individus à qui ils les ont causés »829.

825 Alain BENABENT, La chance et le droit, Paris, LGDJ, 1973, p. 150. 826 Stéphane RIALS, Le juge administratif français et la technique du standard (essai sur le traitement juridictionnel de l’idée de normalité, Paris, LGDJ, 1980, p. 158. 827 Nicholas RESCHER, op. cit., p. 42. 828 Françoise, LLORENS-FRAYSSE op. cit., p. 46 ; Alain BENABENT, op. cit., p. 150. Ces deux auteurs s’appuient sur l’une des définitions du terme probable, selon laquelle ce qui est probable correspondrait « à ce qui est présumable ». 829 Emmanuel TREUIL, La preuve en droit de l’environnement, Thèse, Paris, Panthéon-Sorbonne, 2002, p. 180.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

247

Or, l’adaptation du raisonnement probabiliste à ce type de situation a été mis en valeur par un

juge européen, le Juge ZUPANČIČ830, à l’occasion de l’arrêt Tǎtar contre Roumanie831 : si

l’« on ne peut pas démontrer avec certitude qu’une personne a une certaine maladie parce

qu’elle a été exposée à une source toxique », tels un risque nucléaire, l’amiante, le cadmium,

une vaccination obligatoire, etc., en revanche « on peut établir qu’une population exposée à

une telle source toxique va présenter, par rapport à une autre population qui n’y aura pas été

exposée, une augmentation statistique significative de telle maladie ou une aggravation de la

maladie qui préexistait ». En somme, la causalité théorique, c’est-à-dire « la relation pouvant

exister entre, d’une part, une action ou une substance et, d’autre part, une atteinte à

l’environnement ou à la santé humaine, relation envisagée de manière générale et non par

rapport à un cas particulier »832, est établie. En revanche, la causalité spécifique, à savoir

« celle qui porte sur la vérification, dans un cas particulier, du lien de causalité constaté en

théorie »833 fait défaut. Dès lors, le juge a la faculté de présumer cette causalité spécifique en

s’appuyant sur les données statistiques.

En France, de telles présomptions de causalité spécifique existent en matière de santé

publique834 : essentiellement fondées sur des données statistiques telles des études

épidémiologiques, elles renforcent l’impression d’une corrélation entre présomption et

probabilité. Les exemples sont nombreux et on ne saurait tous les citer. On peut toutefois

mentionner les présomptions existant en matière de transfusion et de contamination par le

VIH 835 ou par l’hépatite C836 et celles concernant les maladies de l’amiante et l’exposition

830 CEDH, 27 janvier 2009, Tǎtar c/ Roumanie, req. n° 67021/0, opinion partiellement dissidente du Juge ZUPANČIČ à laquelle se rallie la juge GYULUMYAN. 831 CEDH, 27 janvier 2009, Tǎtar c/ Roumanie, req. n° 62021/01. 832 Emmanuel TREUIL, op. cit., pp. 36-37. 833 Ibid., p. 37. 834 Benjamin DEFOORT, loc. cit. ; Luc GRYNBAUM, « La certitude du lien de causalité en matière de responsabilité est-elle un leurre dans le contexte d’incertitude de la médecine ? Le lien de causalité en matière de santé : un élément de la vérité judiciaire », D., 2008, p. 1928 sq. 835 Par exemple, Cass. Civ. 2, 9 octobre 2003, Bull. civ. II, n°367. 836 Article 102 de la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 (JO, 5 mars 2002) : « En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. Cette disposition est applicable aux instances en cours n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable ». Cass. Civ. 1, 5 mars 2009, n° 08-14.729 : Jean-Philippe BUGNICOURT, « Pluralité des causes possibles : le doute profite à la victime », Revue Lamy, droit civil, mai 2009, n°60, pp. 23-24 ; Christophe RADE, « Application de la protection édictée en faveur de la personne transfusée », Responsabilité civile et assurances, 2009, n°4 pp. 18-19.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

248

d’une personne à des poussières837. Dans les deux cas, il est statistiquement établi qu’un lien

est possible entre le fait et le dommage : d’une part la transfusion sanguine réalisée avec du

sang contaminé est une cause de transmission du VIH ou de l’hépatite C, d’autre part

l’exposition à l’amiante peut entraîner certaines maladies.

On peut également citer un autre exemple particulièrement éloquent de ce type de

présomption fondée sur une probabilité mathématique : dans un arrêt du 30 avril 2004, la cour

d’appel de Versailles a admis la responsabilité d’un laboratoire alors que la victime avait été

exposée in utero au Distilbène et souffrait d’une tumeur cancéreuse du vagin838. Selon la Cour,

même s’il était difficile de reconnaître au Distilbène le caractère d’une condition sine qua non

dans le cas de l’espèce, la prise de ce médicament constituait indiscutablement un facteur

majeur de la maladie, relevé au demeurant par des experts. Dans le même ordre d’idées, le 24

septembre 2009839, la première chambre civile de la Cour de cassation a estimé qu’il

appartenait aux laboratoires fabricant le Distilbène de prouver que la tumeur dont souffrait la

demanderesse ne résultait pas de la prise de Distilbène par la mère de cette dernière durant sa

grossesse.

En définitive, d’indéniables affinités existent entre présomption et probabilité ; elles se

conçoivent d’autant plus aisément si l’on considère la nature épistémique des deux notions :

toutes deux qualifient une connaissance, qui plus est une connaissance incertaine, il est donc

logique qu’elles soient voisines. Cependant – et c’est là le signe du dépassement de la

probabilité par la présomption - ces affinités ne rendent pas pour autant possible l’assimilation

de la présomption à la probabilité.

2- L’impossible assimilation de la présomption à la probabilité

L’inadéquation de la notion de probabilité à celle de présomption est certaine (a-) : la

présomption est plus qu’une plus simple probabilité, c’est une probabilité effective (b-).

a- Absence d’adéquation parfaite entre les deux notions

D’après sa définition la plus générale, la probabilité ou théorie des chances correspond au

« nombre de chances qu’un événement a de se produire » ou de s’être produit840. Fort

837 Par exemple, Cass. Civ. 2, 21 décembre 2006, Bull. civ. II, n°127. 838 CA Versailles, 30 avril 2004, D., 2004, IR p. 1502 839 Cass. Civ. 1, 24 septembre 2009, 08-16305. 840 Alain BENABENT, op. cit., p. 7.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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logiquement, si les notions de probabilité et de présomption étaient aussi proches qu’on le

prétend parfois, on devrait pouvoir dresser le constat suivant : plus la probabilité qu’un

événement se soit produit est élevée, plus il y a lieu de le présumer. Autrement dit, plus le

nombre de chances qu’un événement se soit produit est faible, moins il a vocation à être

présumé. Mais pareil constat ne correspond ni à la réalité pratique ni à la réalité théorique des

rapports entre présomption et probabilité.

D’un point de vue pratique, les arrêts précédemment mentionnés pourraient sans doute

faire accroire que la présomption est parfois la traduction directe d’une probabilité. Une telle

interprétation est, à l’occasion, relayée par la doctrine841. A cet égard, les présomptions de

causalité spécifique font parfois l’objet de vives critiques sous prétexte qu’elles seraient la

manifestation d’une vision mathématique de la preuve 842 . Mais, partager une telle

interprétation serait avoir une vision uniquement probatoire de la présomption et faire d’un

phénomène incident un processus habituel. Certes, la jurisprudence utilise la probabilité à des

fins présomptives, mais elle ne le fait ni systématiquement ni uniformément. Dans cette

optique, si la Cour de Strasbourg fait parfois jouer des données statistiques mineures pour

établir une présomption, il lui arrive aussi d’en écarter d’autres, pourtant au moins aussi

significatives. A titre d’exemple, l’arrêt Opuz accorde une valeur importante à des statistiques

sur la violence à l’égard des femmes, alors que le rapport publié en 2004 par Amnesty

International sous le titre « Turquie : les femmes et la violence au sein de la famille »

indiquait « que les statistiques sur l’ampleur de la violence contre les femmes en Turquie sont

rares et peu fiables » 843 . A l’inverse, l’arrêt Tǎtar refuse implicitement de présumer

l’existence d’un lien de causalité entre l’aggravation de l’asthme du requérant et son

exposition au cyanure de sodium, faute pour les données statistiques invoquées d’être

suffisantes et convaincantes : « le document réalisé par un hôpital de Baia Mare et attestant

841 Alain BENABENT, op. cit., pp. 152-153. L’auteur défend la thèse selon laquelle les présomptions simples seraient une application pure de la probabilité. 842 Emmanuel TREUIL, op. cit., pp. 203-204. L’auteur estime qu’« en se contentant, comme preuves du lien de causalité, de probabilités abstraites, le magistrat renonce à ce qui constitue l’une des deux facettes du rapport de nécessité définissant traditionnellement la causalité en droit. La nécessité signifie en particulier qu’il est impossible que le dommage ne se produise pas, si l’événement qu’on qualifie de cause existe (déterminisme). Or, loin de prouver que le fait du défendeur a entraîné à tout coup le dommage, une preuve probabiliste établit seulement, dans le meilleur des cas, qu’il en a augmenté la probabilité de survenance. Conclure à l’existence certaine du lien de causalité, alors que la preuve n’a établi qu’un « risque accru » de dommage lié à la réalisation de la prétendue cause devient, dès lors, nécessairement arbitraire ». 843 CEDH, 9 juin 2006, Opuz c/ Turquie, req. n° 33401/02, § 99.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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un certain accroissement du nombre des maladies des voies respiratoires ne suffit pas, à lui

seul, à créer une probabilité causale »844.

D’un point de vue théorique, si la présomption correspondait à une probabilité, elle devrait

toujours être réfragable pour tenir compte de l’incompressible marge d’erreur générée par

l’utilisation de la probabilité, marge d’erreur qui correspond à la différence entre la certitude

et la probabilité de l’événement envisagé.

Or, le mécanisme présomptif ne fonctionne guère ainsi: la présomption, non seulement,

peut être irréfragable, mais encore ne suit pas la progression de la probabilité ; bien souvent

elle s’en détache au point que la probabilité devient une composante très accessoire de la

présomption. Même dans les présomptions-preuves, pour lesquelles l’apport de la probabilité

est le plus évident, la probabilité s’efface derrière des considérations de politique juridique :

ainsi la présomption de paternité se justifie moins par la probabilité que le mari soit le père de

l’enfant que par la volonté de protéger la famille légitime ou l’intérêt de l’enfant845. A quoi

l’on voit que l’adéquation entre probabilité et présomption est loin d’être totale. Certes, la

fiction marquant la limite du mécanisme présomptif, celui-ci ne pourra porter que sur une

hypothèse possible, c’est-à-dire sur une hypothèse dont la probabilité de survenance n’est pas

nulle. Mais la comparaison s’arrête là. En outre - et c’est là l’argument décisif concernant

l’absence d’adéquation parfaite entre probabilité et présomption -, le terme de probabilité peut

aller du flou au rigoureux, suivant qu’on l’utilise dans son acception épistémologique ou

mathématique846. On ne sait d’ailleurs que rarement de quelle acception il est véritablement

question. Or, du fait de cette relative imprécision sémantique, un glissement s’opère

fréquemment de la probabilité vers des notions connexes. Ainsi, la probabilité dévie souvent

de la quasi certitude à la vraisemblance, en passant par la plausibilité et la crédibilité, jusqu’à

la simple possibilité. On peut penser avec Françoise LLORENS-FRAYSSE, qu’ « entre ces

divers rapports à la vérité, il n’existe pas de différences tranchées, mais une progression

continue dont les degrés sont difficiles à discerner ». Mieux encore, c’est parfois l’objet

même de la probabilité qui se déplace du probablement vrai, en matière de présomptions-

preuves, au probablement juste pour les présomptions-concepts et postulats. Le glissement

gagne alors en importance au point qu’on se demande s’il s’agit toujours de la même

844 CEDH, 27 janvier 2009, Tǎtar c/ Roumanie, req. n° 62021/01, § 106. 845 V. infra : l’exemple de la présomption de paternité. 846 V. supra : « praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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probabilité. Or, du glissement progressif de la notion de probabilité au dépassement pur et

simple de cette dernière par la présomption il n’y a qu’un pas.

En définitive, l’absence d’adéquation parfaite entre probabilité et présomption est

symptomatique de la faiblesse de la première et de la nécessité pour la seconde de la dépasser.

Après tout, la probabilité n’est qu’un moyen cognitif traditionnel parmi d’autres. Même si la

présomption l’utilise comme point de départ, il convient qu’elle le transcende pour le rendre

effectif.

b- La présomption, une probabilité effective

En tant que mode de connaissance transcendant, la présomption dépasse la probabilité.

Sans s’en affranchir totalement, elle lui offre le surcroît de valeur indispensable à son

effectivité. La présomption franchit en effet allègrement un obstacle insurmontable pour la

probabilité : l’irréductible risque d’erreur correspondant à la différence entre la certitude et la

probabilité de l’événement envisagé. A cet égard, que la probabilité soit mathématique ou non

est indifférent : il faudra toujours dépasser la part d’incertitude, que l’on connaisse ou non son

ratio. En définitive, la présomption dépasse la probabilité car elle surmonte l’incertitude ; elle

agit précisément là où la probabilité rencontre ses limites, la rendant ainsi effective.

La terminologie employée par la Cour EDH à propos des présomptions-preuves de

discrimination met ce processus en évidence. Lorsqu’elle admet que la présomption peut être

établie grâce à des statistiques, reconnaissant ainsi la force probante de la présomption, elle

précise concomitamment que les statistiques constituent un simple « commencement de

preuve »847 qui ne permet d’établir la discrimination qu’à condition d’être intégré dans une

présomption : « the Court does not consider that statistics can in themselves disclose a

practice which could be classified as discriminatory within the meaning of Article 14 »848. Ce

constat revêt une portée générale : les présomptions de causalité spécifique dans leur

ensemble démontrent l’impuissance de la probabilité, même mathématique. Lorsqu’on sait

qu’un individu présente une pathologie précise, le fait de savoir qu’il a été exposé à une

source toxique augmentant statistiquement le risque de développer ladite pathologie ne suffit

pas à démontrer que la cause de sa pathologie est justement l’exposition à la source toxique.

Pour prendre un exemple concret, le fait qu’une personne ayant été exposée à l’amiante – ce

847 CEDH, 13 novembre 2007, D. H. c/ République Tchèque, req. n° 57325/00, § 180 ; CEDH, 9 juin 2006, Opuz c/ Turquie, req. n° 33401/02, § 198 ; CEDH, 16 mars 2010, Oršuš et autres c/ Croatie, req. n° 15766/03, § 152. 848 CEDH, 4 mai 2001, Hugh Jordan c/ Royaume Uni, req. n° 24746/94, § 154.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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qui augmente statistiquement le risque de cancer – développe un cancer du poumon ne suffit

pas, en soi, à prouver que l’exposition à l’amiante a engendré le cancer. D’autres causes,

comme la consommation de tabac, pourraient expliquer l’apparition de cette maladie. Si la

jurisprudence849 admet pourtant, dans ce type de circonstances, que le cancer est imputable à

l’exposition à l’amiante, c’est par le biais d’une présomption de causalité. Pour que les

données statistiques pertinentes acquièrent une valeur probante, il faut donc les intégrer au

sein d’une présomption qui, seule, permet de dépasser la marge d’incertitude incompressible

liée à la probabilité850.

Pour employer une métaphore artistique, on pourrait dire que la probabilité est la muse de

la présomption, la source d’inspiration qui réveille sa puissance créatrice. La comparaison

vaut d’ailleurs aussi quant au résultat : là où le modèle de l’artiste est d’une fadeur tristement

réelle en comparaison de l’œuvre achevée, la probabilité apparaît bien limitée en comparaison

de la force probante de la présomption.

Si la présomption, transformant le plomb en or, réussit à ériger la probabilité en source de

connaissance, c’est qu’elle la place dans un contexte, qu’elle en fait un indice parmi d’autres.

Grâce à l’intervention de la volonté de celui qui présume, la probabilité devient pleinement

efficiente. En somme, s’affranchissant des contingences qui grèvent la probabilité, la

présomption, pour reprendre le mot du Professeur RIVERO, « systématise le probable »851.

Elle apparaît alors comme un « procédé de rationalisation »852 ce qui affermit, finalement,

l’idée selon laquelle la présomption est un facteur de cohésion.

Pour conclure sur ce point, deux remarques méritent d’être faites.

La première a trait au fait que le mécanisme rationalisateur à l’œuvre dans la présomption,

mécanisme consistant à donner un sens à une probabilité, n’est qu’une manifestation

ponctuelle « de cet autre versant de la raison humaine, évoqué par Alain SUPIOT, qui prend

en charge tout ce qui résiste à l’abstraction du nombre » ou encore de ce travail de la pensée

849 TA Marseille, 30 mai 2000, Bourdignon, Thomas, Xueref, Botella, Gaz. Pal., 2001, n°40-41, note B. PAUVERT ; AJDA, 2001, p. 529, note Ch. GUETTIER ; CAA Marseille, 18 octobre 2001, Ministère de l’emploi et de la solidarité, req. n°s 00MA01667 et 00MA01668, P. A., 27 mai 2002, n°105, p. 18, note A. GOSSEMENT ; CE, ASS., 3 mars 2004, Ministère de l’emploi et de la solidarité c/ Consorts Bourdignon et autres, RFDA, 2004, p. 612, E. PRADA-BORDENAVE. 850 François GENY, op. cit., p. 332. Selon cet auteur, « la probabilité, même la plus forte, ne suffit pas, à elle seule, pour justifier la présomption de droit ». 851 Jean RIVERO, loc. cit., p. 112. 852 Ibid., p. 112.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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qui « consiste à conférer au calcul une signification, en rapportant toujours les quantités

mesurées à un sens de la mesure »853.

La seconde a trait au dépassement du probable par la présomption et, plus précisément, au

fait qu’il va parfois plus loin que l’octroi d’une effectivité à une probabilité en elle-même

inerte. Il peut aller jusqu’à un détachement total à l’égard de cette dernière - tout au moins

dans son sens mathématique – voire s’accompagner d’un détachement vis-à-vis de la

matérialité elle-même. C’est le cas des présomptions intervenant en matière psychologique et

morale854, et elles sont nombreuses. On sait en effet que la recherche de l’intention et de la

volonté est le domaine de prédilection des présomptions-concepts855. Mais les présomptions-

preuves sont elles aussi vivaces en la matière puisqu’elles permettent d’établir des faits

psychologiques notamment dans les litiges dont la solution dépend de la preuve d’une

intention maligne856. A quoi l’on voit que la présomption, véritable outil cognitif transcendant,

ne se contente pas de dépasser la seule probabilité : elle dépasse également la matérialité et,

ainsi qu’on va le voir, le paradigme probatoire.

B- Le dépassement du paradigme probatoire

Le paradigme probatoire revêt un double aspect : il est à la fois rétrospectif857 et concret.

Ces deux caractéristiques sont interdépendantes et s’augurent à la définition classique de la

preuve selon laquelle celle-ci consisterait dans « l’établissement de la réalité d’un fait ou de

l’existence d’un acte juridique »858. Ce constat permet de comprendre que la preuve connaît

des limites ; elle envisage uniquement les événements concrets appartenant au passé. Dès lors,

le futur et, plus largement, ce qui ne relève pas du temporel, ne ressortissent pas à son

853 Alain SUPIOT, Homo juridicus – Essai sur la fonction anthropologique de l’Homme, Paris, Seuil, La couleur des idées, 2005, p. 13. 854 Françoise LLORENS-FRAYSSE, op. cit., p. 65-66. 855 V. supra : le singulier domaine de prédilection de la présomption-concept. 856 Virginie HECQUET, op. cit.. Cet auteur évoque diverses présomptions relatives à l’élément moral de l’infraction, comme la présomption légale d’intention en matière de contrefaçon (article 521-2 du Code de la propriété intellectuelle), la présomption légale d’intention en matière de diffamation (article 35 Bis de la loi du 29 juillet 1881) ou encore les présomptions d’élément moral en droit douanier (article 392 §§1 et 2 du Code pénal). 857 CEDH, 28 février 2008, Saadi c/ Italie, req. n° 37201/06, opinion concordante du juge ZUPANČIČ. Ainsi, le Juge ZUPANČIČ soutient que « le processus judiciaire, en tant que mécanisme de règlement des conflits, et accompagné de son dispositif d’administration des preuves, a toujours un caractère rétrospectif » ce qui corrobore l’idée que la preuve concerne les faits passés. Toutefois, selon lui, c’est « le paradigme juridique » dans son ensemble qui serait « rétrospectif ». On ne peut totalement souscrire à cette formule : excessive, elle laisse entendre que le droit en général - « le paradigme juridique » - se rapporte exclusivement au passé. Or il est patent que le droit n’a pas seulement pour but de connaître le passé mais également de prévenir le futur. Bref, ce n’est pas le paradigme juridique qui est rétrospectif mais le paradigme probatoire. 858 Serge GUINCHARD et Gabriel MONTAGNIER (dir.), op. cit. p. 15.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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domaine. On ne peut, en effet, prouver ce qui n’existe pas encore ni, à proprement parler, ce

qui est abstrait.

Si l’on ne peut le prouver, peut-on le présumer, se demande-t-on alors ? La réponse

semble être positive : la présomption, mode de connaissance transcendant, est un jugement

par anticipation sur ce qui ne peut être prouvé par les moyens cognitifs traditionnels. Il peut

évidemment s’agir d’un passé plus ou moins obscur, mais aussi d’un état des choses abstrait

ou encore de faits non encore réalisés. La présomption dépasse donc indéniablement le

paradigme probatoire dans son double aspect rétrospectif (1-) et concret (2-) en permettant de

connaître non seulement le futur mais encore l’abstrait.

1- Le dépassement du paradigme rétrospectif de la preuve : la connaissance

du futur

Le droit européen des droits de l’Homme met en lumière l’existence de présomptions

prospectives, grâce à l’exemple des présomptions de risque de traitements contraires à

l’article 3 de la CEDH (a-), révélant ainsi l’adaptation du modèle présomptif à une activité

prospective (b-).

a- Les présomptions de risque de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH,

exemples de présomptions prospectives

« Le système européen de protection des droits de l’Homme, explique le Professeur

SUDRE, est mis en harmonie, par la voie prétorienne, avec la Convention des Nations Unies

contre la torture du 10 décembre 1984 dont l’article 3, § 1 prévoit qu’ « Aucun Etat partie

n’expulsera, ne refoulera, ni n’extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs

sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture » »859. Autrement dit, d’après la

jurisprudence européenne, l’Etat contractant qui prend une mesure d’éloignement du territoire

à l’encontre d’un étranger peut violer l’article 3 de la Convention si l’individu éloigné risque

d’être torturé ou soumis à des traitements inhumains ou dégradants dans le pays de

destination860. Si le mécanisme présomptif intervient à titre prospectif dans ce type de

859 Frédéric SUDRE, op. cit., p. 55 4. 860 CEDH, 7 juillet 1989, Soering c/ Royaume Uni, série A n°161, §§90-91 ; CEDH, 20 mars 1991, Cruz Varas c/ Suède, req. n° 15576/89 ; CEDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres c/ Royaume Uni, série A n°215, § 103 ; CEDH, 15 novembre 1996, Chahal c/ Royaume Uni, req. n° 22414/93 ; CEDH, 17 décembre 1996, Ahmed c/ Autriche, § 39 ; CEDH, 11 janvier 2007, Salah Sheekh c/ Pays Bas, req. n° 1948/04, § 135 ; CEDH, 28 février 2008, Saadi c/ Italie, req. n° 37201/06, § 138 ; CEDH, 20 janvier 2009, F.H. c/ Suède, req. n° 32621/06, § 89.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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contentieux, c’est pour évaluer le risque encouru par le requérant dans le pays de destination.

A cet égard, même si elle n’est pas explicite, il semble qu’il existe, dans certains cas, une

véritable présomption de risque de traitements contraires à l’article 3.

Lorsque les actes intentionnels des autorités publiques du pays de destination font craindre

que les droits de l’Homme soient grossièrement violés ou lorsque la situation est gravement

troublée dans le pays de destination, le risque est en effet considéré comme établi861. En

d’autres termes, ces données contextuelles suffisent pour présumer que les droits du requérant

risquent d’être violés si la mesure d’éloignement est exécutée.

L’important contentieux opposant, depuis l’arrêt Saadi du 28 février 2008862, l’Italie à des

terroristes qu’elle souhaitait expulser vers la Tunisie est symptomatique du recours au

mécanisme de la présomption-preuve pour évaluer le risque encouru par le requérant. Dans

ces arrêts863, la Cour s’appuie avant tout sur des rapports d’Amnesty International, de Human

Rights Watch et du Département d’Etat américain pour évaluer le sort des terroristes en

Tunisie. Dans toutes ces affaires, puisque ces rapports ont permis d’établir l’existence de

pratiques contraires à l’article 3 à l’encontre de terroristes en Tunisie et que les requérants ont

précisément été poursuivis pour participation au terrorisme international, la Cour présume

l’existence d’un risque de traitement contraire à l’article 3 en cas d’expulsion vers la Tunisie.

En somme, à partir d’un contexte général délétère, on présume dans des cas spécifiques un

risque de violation de l’article 3 : est en quelque sorte présumée une causalité spécifique

potentielle. Incontestablement, la technique de la présomption-preuve est donc à l’œuvre :

d’une part, un fait inconnu, à savoir le risque de violation de l’article 3, est inféré de faits

connus, telle la situation dans le pays concerné ; d’autre part, la charge probatoire du

requérant est allégée par un déplacement de l’objet de la preuve864. Le seul moyen pour l’Etat

défendeur de renverser cette présomption est alors de démontrer que l’Etat de destination lui a

fourni des assurances concernant la sécurité du requérant sur son territoire865, encore faut-il

861 Sudre Frédéric, op. cit., p. 557. 862 CEDH, 28 février 2008, Saadi c/ Italie, req. n° 37201/06. 863 CEDH, 24 mars 2009, Abdelhedi c/ Italie, req. n° 2638/07 ; CEDH, 24 mars 2009, Ben Salah c/ Italie, req. n° 38128/06 ; CEDH, 24 mars 2009, Bouyahia c/ Italie, req. n°46792/06 ; CEDH, 24 mars 2009, C.B.Z. c/ Italie ; CEDH, 24 mars 2009, Darraji c/ Italie, req. n° 11549/05 ; CEDH, Hamraoui c/ Italie, req. n°16201/07 ; CEDH, 24 mars 2009, O. c/ Italie, req. n° 37257/06 ; CEDH, 24 mars 2009, Soltana c/ Italie, req. n° 37336/06. 864 CEDH, 28 février 2008, Saadi c/ Italie, req. n° 37201/06, opinion concordante du juge ZUPANČIČ : « Dans le cadre des droits de l’Homme, le minimum d’empathie requis et l’humanité commandent que la personne menacée d’expulsion ne doive pas s’acquitter d’un fardeau excessif en matière de preuve ». 865 CEDH, 28 février 2008, Saadi c/ Italie, req. n° 37201/06 : en l’espèce, les autorités tunisiennes n’ont pas fourni de telles assurances.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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que ces assurances soient effectives866. A cet égard, on peut aller jusqu’à se demander si la

présomption est réellement réfragable : la Cour termine systématiquement ses digressions sur

les assurances diplomatiques en rappelant « le principe affirmé par l’Assemblée parlementaire

du Conseil de l’Europe dans sa résolution 1433(2005), selon lequel les assurances

diplomatiques ne peuvent suffire lorsque l’absence de danger de mauvais traitement n’est pas

fermement établie » 867 . Dès lors, la possibilité pour l’Etat défendeur de renverser la

présomption de risque de traitements contraires à l’article 3 en fournissant des assurances

diplomatiques émanant de l’Etat de destination est en réalité un leurre.

Quoi qu’il en soit, la présomption-preuve apparaît comme l’outil idéal pour appréhender

des données futures, leur connaissance étant inévitablement d’ordre conjectural.

b- L’adaptation du modèle présomptif à une activité prospective

A partir de l’habitude européenne de présumer les risques de traitements contraires à

l’article 3, il est possible de mener une réflexion plus générale sur les relations que la

présomption entretient avec la prospection.

Il ressort en effet de l’expérience européenne que le modèle présomptif mêlant probabilité,

expérience et volonté, est parfaitement adapté à une activité prospective. Mais, dans ce cas, la

probabilité se fera pronostic868 . La présomption transcende le doute résultant

immanquablement de la différence entre le probable qui est son point de départ et le certain

qu’elle voudrait atteindre. Or, le doute ne plane pas seulement sur les faits passés ; il concerne

également les faits non encore advenus, lesquels échappent à la connaissance faute d’avoir eu

lieu, mais que le droit a parfois besoin de prévoir. A ce titre, même s’il est généralement

rétrospectif, le mécanisme présomptif apparaît comme un outil de prévision idéal.

Plus spécifiquement, c’est le modèle de la présomption-preuve, à savoir le passage d’un

ou de plusieurs faits connus à un fait inconnu, qui semble transposable à une activité

866 CEDH, 24 mars 2009, Abdelhedi c/ Italie, req. n° 2638/07, §§ 45-50 ; CEDH, 24 mars 2009, Ben Salah c/ Italie, req. n° 38128/06, §§ 34-39 ; CEDH, 24 mars 2009, Bouyahia c/ Italie, req. n°46792/06, §§ 37-42 ; CEDH, 24 mars 2009, C.B.Z. c/ Italie, §§ 38-43 ; CEDH, 24 mars 2009, Darraji c/ Italie, req. n° 11549/05, §§61-66 ; CEDH, Hamraoui c/ Italie, req. n°16201/07, §§ 40-45 ; CEDH, 24 mars 2009, O. c/ Italie, req. n° 37257/06, §§39-44 ; CEDH, 24 mars 2009, Soltana c/ Italie, req. n° 37336/06, §§ 41-46. 867 CEDH, 24 mars 2009, Abdelhedi c/ Italie, req. n° 2638/07, § 50 ; CEDH, 24 mars 2009, Ben Salah c/ Italie, req. n° 38128/06, § 39 ; CEDH, 24 mars 2009, Bouyahia c/ Italie, req. n°46792/06, § 42 ; CEDH, 24 mars 2009, C.B.Z. c/ Italie, § 43 ; CEDH, 24 mars 2009, Darraji c/ Italie, req. n° 11549/05, § 66 ; CEDH, Hamraoui c/ Italie, req. n°16201/07, § 45 ; CEDH, 24 mars 2009, O. c/ Italie, req. n° 37257/06, § 44 ; CEDH, 24 mars 2009, Soltana c/ Italie, req. n° 37336/06, § 46. 868 D’après le CNRTL, le pronostic est un « jugement conjectural sur ce qui doit arriver », [http://www.cnrtl.fr/definition/pronostic], (2009-01-01).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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prévisionnelle. En effet, comme le constate le Juge ZUPANČIČ dans son opinion concordante

annexée à l’arrêt Saadi, « il existe un parallélisme entre le problème de preuve que pose

l’appréciation du point de savoir si les événements passés se sont réellement produits, d’une

part, et l’évaluation probabiliste d’événements futurs (…) d’autre part »869. Dans les deux cas,

les situations concernées ne sont pas « totalement accessibles d’un point de vue cognitif »870.

Or, on peut penser que le mécanisme de la présomption-preuve, lequel a précisément pour

objectif de pallier les insuffisances cognitives, peut avoir une visée prospective.

Soit, rétrospectivement, on présume le fait inconnu (passé) grâce aux éléments de preuves

existants ; il s’agit de prouver le fait en question et on se situe dans le cadre d’une évaluation

a posteriori. Soit, prospectivement, on présume le fait inconnu (futur) à partir des

informations réunies ; il s’agit de prévoir ou de pronostiquer le fait concerné et l’évaluation

intervient donc a priori.

Si l’activité conjecturale apparaît nettement plus radicale en matière de prospection – elle

semble presque prophétique - l’évaluation reste néanmoins présomptive et suit le modèle de la

présomption-preuve. L’enjeu est en effet toujours le même, que le fait inconnu ait déjà eu lieu

ou non: il s’agit bien de pallier une difficulté cognitive. Dès lors, le modèle de la

présomption-preuve semble applicable en matière de prospection. L’origine de la difficulté

cognitive est sans importance quant à la manière d’y remédier. A partir d’un ou de plusieurs

faits connus, on choisit d’inférer un fait inconnu – passé ou à venir – en s’appuyant sur la

probabilité et l’expérience. En somme, la présomption-preuve permet de surmonter les

difficultés cognitives concernant les faits passés mais aussi futurs. Ce faisant, elle prend une

forme particulière, celle d’une présomption-pronostic.

En définitive, le mécanisme présomptif dépasse le paradigme rétrospectif de la preuve en

permettant de prévoir le futur ; il le dépasse également en se détachant de toute temporalité et

en conquérant ce qui relève de l’abstrait.

869 CEDH, 28 février 2008, Saadi c/ Italie, req. n° 37201/06, opinion concordante du juge ZUPANČIČ. 870 Ibid..

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

258

2- Le dépassement du paradigme concret de la preuve : la connaissance de

l’abstrait

Le droit européen des droits de l’Homme parie sur la nature humaine grâce au mécanisme

présomptif (a-) dans la mesure où celui-ci est parfaitement adapté à une activité spéculative

(b-).

a- Les présomptions européennes concernant la nature humaine, exemples de

présomptions spéculatives

« La valeur de la personne humaine est indémontrable parce qu’elle supposerait de

connaître, ce qui ne se peut, l’essence de l’Homme et le sens de la vie »871 affirme le

Professeur FABRE-MAGNAN. Dans la quête ontologique et métaphysique que constitue

l’interrogation sur la nature humaine, l’axiome apparaît alors comme une figure spéculative

particulièrement efficace, puisqu’il permet de tenir pour une vérité évidente, universelle et

fondamentale la dignité de la personne humaine. En somme, celle-ci « est le dogme premier,

l’axiome de base au fondement du système juridique, en réalité son but ultime »872.

Plus modestement, le droit européen des droits de l’Homme met en valeur le fait que la

présomption, d’ailleurs parfois proche de l’axiome873, est elle aussi susceptible de jouer un

rôle non négligeable dans la connaissance de la nature humaine. L’innocence présumée de

l’article 6 de la Convention, la dangerosité présumée des marginaux qui sous-tend l’article 5 §

1 e) ou encore la vulnérabilité présumée des détenus, des enfants, des malades et des victimes

de tortures874 sont autant de paris, au sens quasi pascalien du terme875, sur la nature des

individus. De même que l’axiome de dignité est une « fiction instituante » 876 , ces

présomptions sont elles aussi instituantes : elles attribuent aux individus ou à certains d’entre

eux des qualités qui font figure de vérités générales et abstraites. Autrement dit, les

présomptions d’innocence, de dangerosité et de vulnérabilité, détachées de circonstances

871 Muriel FABRE-MAGNAN, « La dignité en Droit : un axiome », RIEJ, 2007, n°58, pp. 1 sq., spéc. p. 10. 872 Ibid., p. 10. 873 V. supra, la définition des présomptions-postulats. 874 V. infra : le renforcement particulier de la protection des personnes vulnérables. 875 Le Pari de Pascal est l’argument qu’il emploie pour convaincre logiquement les non-croyants qu'en optant pour l'existence de Dieu ils ont tout à gagner et rien à perdre. En présumant certaines caractéristiques humaines, par hypothèse inconnaissables, pour en tirer des conséquences juridiques, on peut penser que le droit de la CEDH n’a rien à perdre mais, au contraire, tout à gagner. CLEMENT Elizabeth et al., op. cit., « Pari », p. 261. 876 Muriel FABRE-MAGNAN, op. cit., p. 11 : « Le Droit apparaît ainsi comme une fiction instituante : une fiction puisque, devant l’impossibilité de connaître la valeur de l’être humain, le Droit requiert de faire “comme si” il avait une valeur infinie ; instituante parce que c’est en posant la valeur infinie de l’être humain qu’on lui donne par là-même cette valeur ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

259

particulières et de données temporelles, spéculent sur la nature humaine. Leur existence révèle

l’aptitude du mécanisme présomptif à appréhender des données purement abstraites ; elle est

sans doute symptomatique de l’adaptation du modèle présomptif à une activité spéculative.

b- L’adaptation du modèle présomptif à une activité spéculative

Par delà ses volets rétrospectifs et prospectifs qui envisagent respectivement les faits

passés et à venir, la présomption aurait donc aussi un volet spéculatif877. Elle semble en effet

adaptée à la connaissance de ce qui n’a pas d’existence matérielle ou de réalité tangible ; bref,

ce qui est purement abstrait. Le Professeur RIVERO l’a d’ailleurs laissé entendre en

soulignant qu’elle permet de « remédier à l’inconnaissable »878. Pour sa part, le Professeur

BARRAINE 879 évoque, d’une manière encore plus explicite, la fonction spéculative des

présomptions.

Au demeurant, cet aspect spéculatif concerne surtout les présomptions-postulats, et les

présomptions-concepts : la présomption d’innocence fait effectivement partie de la première

catégorie, tandis que les présomptions de dangerosité et de vulnérabilité entrent dans la

seconde. A cela il n’y a rien d’étonnant : il s’agit des deux types de présomptions les plus

éloignées de la preuve stricto sensu dans la mesure où elles ne recherchent nullement une

adéquation casuistique à la réalité. Toutes deux correspondent plutôt à des a priori de

raisonnement ; elles établissent un état des choses indépendamment des contingences

factuelles880. Dans cet ordre d’idées, on a déjà eu l’occasion de souligner que la présomption-

concept s’épanouit particulièrement en matière de faits psychologiques, son champ d’action

favori étant la recherche de l’intention et la volonté881. On a également eu l’occasion de

souligner l’importance transversale des présomptions-postulats, dont l’objet est abstrait,

comme la présomption de bonne foi, d’autorité de chose jugée ou encore de connaissance de

la loi882.

877 La définition de la spéculation par le CNRTL est la suivante : « étude, recherche abstraite, théorique » ou encore « pensée abstraite, théorique », [http://www.cnrtl.fr/definition/spéculation], (2010-03-10). 878 Jean RIVERO, loc. cit., p. 112. 879 Raymond BARRAINE, op. cit., p. 283. 880 Jerzy WROBLEWSKI, loc. cit., p. 52. Comme l’énonce cet auteur, à propos des présomptions formelles, « cet état des choses existe toujours ». 881 V. supra : le singulier domaine de prédilection des présomptions-concepts. 882 V. supra, le chapitre sur les présomptions-postulats.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

260

Ainsi, à l’instar de l’axiome, la présomption permet d’établir les « vérités indémontrables,

c’est-à-dire des croyances fondatrices invérifiables et qui doivent être admises par tous »883,

sur lesquelles repose le Droit. Evoquer la fonction spéculative de la présomption, c’est donc

lui reconnaître une force constructive en matière de connaissance. Paradoxalement, la

présomption permet de connaître ce qui, par hypothèse, échappe à la connaissance car n’ayant

pas d’existence concrète. A quoi l’on voit non seulement que la présomption est un outil

cognitif transcendant mais encore qu’elle assure une mission de cohésion. Que deviendrait le

système juridique si l’on ne pouvait utiliser comme base de raisonnement ou comme ratio

legis ces présomptions abstraites, désincarnées, qui établissent conjecturalement un état des

choses tantôt réaliste tantôt irréaliste mais toujours utile?

Pour conclure, nous observerons simplement que la puissance cognitive de la présomption

assure sa pérennité. Incontestablement la présomption est un outil cognitif transcendant à côté

duquel la preuve traditionnelle ferait presque pâle figure. D’une part, elle s’affranchit du réel

en dépassant le probable mais aussi le concret. D’autre part, elle s’affranchit du temporel. Elle

peut permettre d’établir les faits passés et être connaissance de ce qui fut. Elle peut également

être prévision de ce qui sera ; c’est le cas de certaines présomptions de risque. Enfin elle peut

être énonciation de ce qui est abstraitement : ainsi, les présomptions-postulats et certaines

présomptions-concepts, en tant que présomptions ex nihilo et ab initio, énoncent des

abstractions. Bref, le modèle présomptif peut donc être rétrospectif, prospectif ou purement

spéculatif. Pour cette raison on peut partager les vues du Doyen CORNU lorsqu’il

constate que « dans sa pérennité, la présomption est à l’aise dans la modernité. A cet outil

pluriséculaire, viennent naturellement de nouvelles utilités. Il est vrai que, par un mouvement

inverse, les preuves scientifiques modernes pourraient être vues comme refoulant les

présomptions. Mais elles interviennent pour administrer la preuve contraire plutôt que pour

évincer les présomptions »884.

883 Muriel FARBRE-MAGNAN, loc. cit., p. 8. 884 Gérard CORNU, op. cit. p. 205, pp. 89-90 note 17.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

261

§ 2- Neutralité cognitive

En tant que technique de réalisation du droit, la présomption revêt certes une neutralité

fonctionnelle (A-) mais cette neutralité est originellement altérée (B-).

A- Une neutralité fonctionnelle

La neutralité est, grosso modo, le fait de s’abstenir de prendre parti dans un débat, dans un

conflit opposant des thèses ou des positions divergentes. Envisagée de manière strictement

mécanique, la présomption paraît correspondre à cette définition de la neutralité pour diverses

raisons.

Tout d’abord, les techniques juridiques sont généralement considérées comme neutres,

c’est-à-dire comme dépourvues de portée idéologique. D’après le Professeur J. GAUDEMET,

« (…) les techniques qui sont à la disposition du juge doivent être considérées comme de purs

instruments, dénués par eux-mêmes, et en dehors de l’emploi qui en est fait dans chaque

espèce, de toute espèce de valeur »885. En tant que technique, la présomption serait donc

neutre ; le Professeur RIVERO le constate qui dit des présomptions : « Par elles-mêmes, elles

sont neutres »886.

Ensuite, le mode d’action présomptif semble également neutre. Déplacer l’objet de la

preuve pour pallier les difficultés probatoires comme le fait la présomption-preuve, sous-

tendre l’activité de jurisdictio comme le fait la présomption-concept, attribuer le fardeau de la

preuve comme le fait la présomption-postulat sont autant de types d’intervention

apparemment neutres.

Enfin, cette impression de neutralité résultant d’une approche purement instrumentale de

la notion est corroborée par le fait que la présomption n’est jamais, à proprement parler, juste

ou fausse. D’une part, sa nature conjecturale est incompatible avec ce genre d’appréciation.

885 Jean GAUDEMET, op. cit., p. 41. 886 Jean RIVERO, loc. cit., p. 113.

« Le scientisme du XIXème siècle pouvait ériger l’objectivité en dogme, la physique moderne nous a retiré cette illusion en démontrant que l’observateur influence le résultat de

l’expérience. Nous savons désormais que tout ce que l’homme regarde ou manipule, malgré toutes ses précautions, porte son empreinte ».

Michel DEL CASTILLO, La religieuse de Madrigal, Préface, p. 11, Paris, Points, Fayard, Seuil, 2008.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

262

Toute présomption a son contraire et on peut choisir de présumer A plutôt que B sans que cela

choque la logique. A cet égard, le droit européen des droits de l’Homme a mis en lumière le

possible renversement d’une présomption-postulat par une présomption-preuve contraire, la

présomption d’innocence pouvant par exemple être renversée par une présomption de

culpabilité887. D’autre part, la nature épistémique du terme présumé – il sert à qualifier une

connaissance – semble elle aussi inconciliable avec ce genre d’appréciation. Dire d’une

connaissance qu’elle est présumée, c’est déjà qualifier son rapport à la vérité. Par conséquent,

on ne pourra dire de cette connaissance présumée qu’elle est juste ou fausse ; tout au plus

pourra-t-on dire que les faits l’ont ou non confirmée, qu’elle correspond ou non à la réalité. Or,

cette impossible fausseté de la présomption peut être vue comme une manifestation de sa

neutralité.

Cependant, cette analyse purement fonctionnelle de la présomption présente des faiblesses.

Elle coupe le mécanisme présomptif de la finalité qu’il poursuit et du contexte dans lequel il

est utilisé et revêt, de ce fait, un caractère artificiel. Or, « on ne saurait oublier que cette

technique « décharnée » a vocation à recevoir des contenus concrets » 888 . Certaines

définitions de la technique juridique réservent d’ailleurs une place explicite à sa finalité. Selon

le Professeur PERROT, la technique est ainsi « le procédé de mise en œuvre destiné à

atteindre le but recherché par la volonté en la faisant pénétrer sur le plan juridique »889.

Partant, il paraît peu rigoureux d’étudier une technique indépendamment de ses objectifs et de

son contexte. Mais, si l’on quitte l’analyse fonctionnelle pour une analyse plus téléologique de

la présomption, la neutralité de cette dernière devient moins évidente et semble même

originellement altérée.

B- Une neutralité originellement altérée

D’après la jurisprudence de la Cour EDH, la présomption, loin d’être neutre, exprimerait

une faveur (1-). Ce phénomène traduit ce que le Professeur RIVERO appelait la « polyvalence

des techniques » (2-).

887 V. supra : l’articulation entre les présomptions-postulats et les présomptions-preuves. 888 LLORENS-FRAYSSE Françoise, op. cit., p. 51. 889 Roger PERROT, op. cit., p. 13.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

263

1- La présomption, expression d’une faveur selon la jurisprudence

européenne

De prime abord, l’intervention de la volonté dans le mécanisme présomptif s’accommode

mal avec l’idée de neutralité. Pire encore, les définitions respectives de la neutralité et de la

présomption souffrent d’une antinomie fondamentale. La neutralité, faut-il le rappeler,

correspond à l’absence de parti pris, au refus de trancher ; elle a notamment pour synonymes

abstention, impartialité. Or, la présomption semble précisément être le contraire d’une

démarche abstentionniste: à partir d’éléments de preuves ou d’informations plus ou moins

parcellaires, elle surmonte l’incertitude et opte pour une solution parmi toutes celles

envisageables. Elle a d’ailleurs pu être qualifiée de « tranchante »890.

Confirmant cette première impression, la jurisprudence européenne allie souvent le terme

de présomption à la locution prépositive « en faveur de ». Ainsi, s’agissant de détentions

provisoires, la Cour rappelle régulièrement qu’« il existe une présomption en faveur de la

libération »891. De même, « de fortes présomptions en faveur des allégations du requérant »

existaient dans l’affaire Ergi contre Turquie892. Enfin, dans l’arrêt Norbert Sikorski contre

Pologne qui concernait l’allégation de traitements contraires à l'article 3 en raison de

conditions de détention, la Cour estime que « les documents attestant des taux de

surpopulation dans les différents établissements au sein desquels le requérant a été et

continue d'être incarcéré créent une forte présomption en faveur de893 ses affirmations selon

lesquelles cette norme minimale nationale a été méconnue durant la totalité de son

incarcération »894.

Ces exemples mettent en évidence le fait que la présomption consiste précisément à

s’affranchir de toute neutralité pour prendre parti et opérer un choix, bref pour favoriser une

thèse au détriment d’une autre. L’idée selon laquelle la présomption est un parti pris revêt

d’ailleurs une particulière acuité si l’on considère la présomption dans sa nature de principe

d’orientation cognitif et de prescience préstructurée. Sous cet angle, elle aboutit en effet à une

connaissance préorientée et le mécanisme qu’elle met en œuvre, artificiel, repose sur une

890 Françoise LLORENS-FRAYSSE, op. cit., p. XII. 891 CEDH, 3 octobre 2010, McKay c/ Royaume Uni, req. n° 543/03, § 41 ; CEDH, 1er juillet 2008, Calmanovici c/ Roumanie, req. n° 42250/02, § 90 ; CEDH, 10 mars 2009, Bykov c/ Russie, req. n° 4378/02, § 61 ; CEDH, 26 mars 2009, Krejčíř c/ République Tchèque, req. n°s 39298/04 et 8723/05, § 89. 892 CEDH, 28 juillet 1998, Ergi c/ Turquie, req. n° 23818/94, § 41. 893 C’est nous qui soulignons. 894 CEDH, 22 octobre 2009, Norbert Sikorski, req. n° 17597/05, § 136.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

264

intuition, une préconception quant au résultat recherché. Certes, ce phénomène n’a rien

d’original : comme le souligne Enrique P. HABA, « Lorsque la méthode vise une fin de

connaissance, ce procédé n’est que le moyen pour rechercher une vérité. Celle-ci constitue le

but que ladite méthode est censée poursuivre. Pour juger si de tels moyens sont véritablement

adéquats, il va de soi qu’il faut avoir une idée assez précise du genre de vérité envisagé. Non

que cette vérité soit elle-même connue d’avance, car, en un tel cas, il n’y aurait plus lieu de

pratiquer des recherches sur elle, les méthodes seraient superflues ; mais il est nécessaire de

savoir tout de même vers où l’on veut s’acheminer »895. Mais, concrètement, cela signifie que

l’apparente neutralité fonctionnelle de la présomption est initialement altérée. A cet égard,

toute présomption peut être interprétée comme une présomption de faveur : faveur à la bonne

foi au détriment de la mauvaise foi lorsqu’on présume axiomatiquement la bonne foi896,

faveur à la mitoyenneté des murs séparant une propriété, au détriment de la thèse de la non-

mitoyenneté, lorsqu’on présume probatoirement leur mitoyenneté897, etc.

Mieux encore, l’arrêt Hirst contre Royaume Uni898 érige la présomption en une sorte de

présupposé philosophique en faveur d’une thèse donnée. En l’espèce, le requérant se plaignait

d’avoir été privé de son droit de vote et invoquait l’article 3 du Protocole 1. Dans son

argumentation, il soulignait notamment l’existence d’« une présomption en faveur de l’octroi

du droit de vote, qui s’accorde avec la nature profonde de la démocratie »899. La Cour

partage ce point de vue. « Ainsi que le requérant le fait observer, énonce-t-elle, le droit de

vote ne constitue pas un privilège. Au XXIe siècle, dans un Etat démocratique, la présomption

doit jouer en faveur de l’octroi de ce droit au plus grand nombre900 comme l’illustre, par

exemple, l’histoire parlementaire du Royaume-Uni ou d’autres pays où ce droit a été

progressivement étendu, au fil des siècles, à d’autres personnes que des individus choisis, des

groupes d’élite ou des parties de la population ayant l’approbation du pouvoir en place »901.

La manière dont le terme de présomption est employé est remarquable : elle met en lumière le

fait que le mécanisme présomptif consiste à privilégier une thèse, en l’occurrence le droit de

vote.

895 Henrique P. HABA, « Rationalité et méthode dans le droit », Archives de philosophie du droit, T. 23 : Formes de rationalité en droit, Paris, Sirey, 1978, p. 265 sq., spéc. p. 271. 896 Article 2274 du Code civil. 897 Article 653 du Code civil. 898 CEDH, 6 octobre 2005, Hirst c/ Royaume Uni (n° 2), req. n° 74025/01. 899 Ibid., § 43. 900 C’est nous qui soulignons. 901 CEDH, 6 octobre 2005, Hirst c/ Royaume Uni (n° 2), req. n° 74025/01, § 59.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

265

2- Une manifestation de la « polyvalence des techniques »

Le constat de l’altération originelle de la neutralité présomptive se rattache à un thème

plus vaste, celui de la « polyvalence des techniques »902. Cette formule du Professeur

RIVERO traduit très exactement la dialectique de la neutralité présomptive. D’un côté, la

présomption est « un instrument inerte, passif, ployable en tout sens, et entièrement docile

entre les mains du juge »903 et celles du législateur. En résumé, c’est une technique flexible,

malléable et souple904. D’un autre côté, la présomption est indissociable du but qu’elle

cherche à atteindre. Or, l’orientation idéologique de la fin rejaillit inévitablement sur le moyen.

Toutes les présomptions s’inscrivent d’ailleurs dans des politiques juridiques qui les dépassent

et sont très diverses. Par exemple, en matière pénale, les présomptions de responsabilité

facilitent la répression : elles permettent « de réprimer efficacement les infractions »905 et

tendent parfois à « la désignation d’un responsable en vue de garantir la répression de

l’infraction »906. De même, en droit civil et administratif, les présomptions de faute visent à

assurer la réparation. Bref, ces présomptions, à l’instar de celles de causalité en matière de

santé publique, participent à un courant plus vaste, celui de la protection des victimes. Autre

exemple, les présomptions fiscales visent, d’après P.-S. GUILLET, à « garantir les intérêts du

trésor »907. Enfin, les présomptions de pouvoirs des articles 221 et 222 du Code civil

garantissent l’indépendance des époux. Chaque présomption a donc un but spécifique.

En somme, abstraitement neutre, la présomption se traduit concrètement par un parti pris

reflétant l’idéologie de son auteur. Elle est à l’image de celui qui l’utilise. Arme à double

tranchant, elle « n’a pas de morale »908 et peut « aussi bien opprimer que libérer »909. En

réalité, on peut même pousser cette perspective à son comble en soulignant que chaque

présomption libère et opprime simultanément. Toute présomption, si elle favorise une solution,

en défavorise forcément une autre. Ainsi l’accusé voit la présomption d’innocence comme un

bienfait tandis que l’accusation l’estime parfois pesante. De même, le bailleur apprécie,

902 Jean RIVERO, loc. cit., p. 113. 903 Françoise LLORENS-FRAYSSE, op. cit., p. XIV. 904 Manuel GROS, « La démonstration, la preuve et la présomption en matière juridictionnelle », P. A., 5 novembre 2003, n° 221, pp. 3-6, spéc. p. 6. L’auteur souligne que la présomption est « élastique » et qu’ « elle participe (…) de ce droit « mou », sans consistance malléable, à l’image des auberges espagnoles, où l’on trouve ce que l’on apporte ». 905 Virginie HECQUET, op. cit., p. 11. 906 Ibid., p. 291. 907 Pierre-Siffrein GUILLET, Les présomptions en droit fiscal, Thèse, Aix-Marseille III, 2008, p. 11, § 12. 908 Manuel GROS, loc. cit., p. 6. 909 Jean RIVERO, loc. cit., p. 113.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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contrairement au locataire, que le bon état des lieux loués soit présumé en cas d’absence

d’inventaire lors de la prise de possession des lieux910. En définitive, la présomption doit sans

doute son extrême malléabilité au fait qu’elle est un mode de raisonnement.

910 Article 1731 du Code civil.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Section 2- Réalisation par le raisonnement

La présomption n’a pas uniquement une fonction cognitive. Elle a également une

fonction rationalisatrice. Déjà entrevue à propos de la probabilité que la présomption rend

effective, cette fonction rationalisatrice consiste globalement à générer du sens à partir de

données variables, bref à raisonner, c’est-à-dire à user de sa raison pour connaître911.

Concrètement, si l’on prend l’exemple de la présomption de paternité, sa fonction

cognitive correspond au résultat de l’inférence d’après lequel le mari est le père de l’enfant

tandis que sa fonction rationalisatrice correspond à l’inférence elle-même et permet de donner

du sens à certaines données : en l’occurrence, le mariage et la naissance d’un enfant pendant

ce mariage. Ces deux fonctions sont donc étroitement liées, la présomption ne permettant

d’obtenir une connaissance qu’au prix d’un effort intellectuel, d’un raisonnement.

Or, il semble que la force réalisatrice du raisonnement présomptif se manifeste parfois

lors de l’activité de jurisdictio. En d’autres termes, lorsque le juge dit le droit, certaines

phases de son raisonnement semblent revêtir une forme présomptive voire se confondre avec

des présomptions. De telles présomptions qui participent à l’interprétation du droit -

l’interprétation devant ici être entendue au sens large d’activité servant « non seulement à

expliquer les normes en vigueur et à en fixer le sens mais encore à éliminer les ambiguïtés et

à combler les lacunes »912 - ne peuvent qu’être de type conceptuel puisqu’elles interviennent

lors de l’activité d’émission du droit, c’est-à-dire en amont du droit lui-même. L’importance

de leur rôle se manifeste lors de la phase précédant le travail interprétatif (§ 1-) d’une part,

lors de la phase interprétative à proprement parler d’autre part (§ 2-).

§1- Les présomptions antérieures au travail interprétatif

Lorsque le juge dit le droit et fait application d’une disposition normative, il interprète

cette dernière913. Or, l’interprétation à proprement parler ne peut avoir lieu sans quelques

étapes préparatoires. Pour faire œuvre interprétative, le juge doit en effet non seulement

911 Définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/raisonner], (2009-11-11 ). 912 Georges KALINOWSKI, Introduction à la logique juridique, Paris, LGDJ, 1965, p. 325. Dans la même optique, le Professeur OST écrit : « l’interprétation de la loi est un ensemble de procédés méthodiques par lesquels le juge compétent, confronté à une situation donnée, dégage d’une disposition, d’un ensemble de dispositions ou d’un système juridique, une norme obligatoire applicable en l’espèce » ; OST François, loc. cit., p. 111. 913 François OST, loc. cit., p. 110. Selon cet auteur, « l’interprétation est inhérente à toute lecture, même la plus banale, de la loi ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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présupposer la rationalité de l’auteur du texte à interpréter (A-) mais encore précomprendre ce

texte (B-), deux étapes assimilables à des présomptions-concepts.

A- Les présomptions de rationalité

D’après le Professeur OST, toute activité interprétative repose sur un postulat : celui

de la rationalité du législateur ou plus généralement de l’auteur du texte à interpréter.

Concrètement, ce postulat se traduirait par des « présomptions » diverses et variables ; par

exemple, une présomption selon laquelle le législateur ne se contredit pas, une autre d’après

laquelle il adapte les moyens qu’il utilise aux fins poursuivies, etc. Ainsi considère-t-on

souvent que « le juge européen présume que les rédacteurs de la Convention ne se sont pas

contredits et n’ont rien fait d’inutile »914. Dès lors - postulat ou présomption - le doute est

permis quant à la nature de ce présupposé nécessaire au travail interprétatif. Pour faire bonne

mesure, on peut l’analyser en une présomption-concept915 car il en revêt les caractéristiques :

non seulement il intervient en amont du droit, mais encore il est également proche de la

présomption-postulat et de la présomption-preuve. En effet, s’il va sans dire qu’il présente les

caractéristiques axiomatiques de la première, il ressemble aussi à la seconde: il repose sur une

inférence de même type - passage d’un fait connu à un fait inconnu grâce à la probabilité,

l’expérience et la volonté. En l’occurrence, la rationalité est inférée de la seule qualité de

législateur ; il s’agit d’une inférence vraisemblable fondée d’une part sur une « probabilité

d’évidence et de bon sens »916, d’autre part sur un choix de l’interprète nécessaire à la

cohésion du système juridique, ce présupposé participant effectivement à une « représentation

de l’essence même du droit comme ordre harmonieux, cohérent, stable et rationnel »917.

914 Sébastien VAN DROOGHENBROECK, op. cit., p. 64. 915 François OST, loc. cit., p. 159. Selon le Professeur OST, le postulat de rationalité débouche sur plusieurs présomptions dont certaines sont réfragables (comme la correction dans l’expression) et d’autres irréfragables (comme le fait que le législateur ne se contredit pas). De prime abord, ce phénomène semble incompatible avec la notion de présomption-concept, toute présomption-concept étant naturellement aréfragable. En réalité, il n’en est rien. Le présupposé de rationalité intervient bien lors de la phase d’émission du droit, terrain d’intervention des présomptions-concepts. La question de la preuve contraire est donc hors sujet. Lorsqu’on évoque le fait que certaines présomptions liées à la rationalité sont réfragables, cela signifie simplement que le contenu du postulat de rationalité est variable et que ce ne sont pas systématiquement les mêmes caractéristiques qui sont présumées. 916 Alain BENABENT, loc. cit., p. 154. 917 François OST, loc. cit., p. 181.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

269

B- La précompréhension

Après avoir présumé la rationalité de l’auteur du texte à interpréter, le juge recourt de

nouveau au raisonnement présomptif lors de la précompréhension du texte à interpréter (1-) ;

l’exemple de la précompréhension de la CEDH est à cet égard significatif (2-).

1- Un processus de type présomptif

Toujours d’après la terminologie du Professeur OST, la précompréhension correspond

à un jugement de valeur préstructurant l’ensemble de l’activité interprétative du juge. Elle va

guider l’opération d’interprétation. Le contenu de cette précompréhension est déterminé par

« l’interprétation fondatrice » qui « fournit le contexte global, le projet recteur, le champ

sémantique dans lesquels toute interprétation ponctuelle viendra s’inscrire »918. Dès lors, les

affinités entre le raisonnement présomptif et la précompréhension se font jour. Plus

précisément, en tant que principe d’orientation cognitif intervenant en amont du droit à

proprement parler, la présomption-concept semble pleinement coïncider avec le mécanisme à

l’œuvre lors de la précompréhension. A l’instar d’une présomption, la précompréhension

revient en effet à préorienter la connaissance en vertu des buts poursuivis par l’interprète ;

« (…) toute lecture herméneutique d’un événement, d’un document ou d’un récit, explique le

Professeur OST, est déjà préstructurée par une préinterprétation de ce qui y est à

comprendre »919. Dans cet ordre d’idées, on peut supposer que la précompréhension est

inférée de divers éléments objectifs et subjectifs tels les travaux préparatoires, la culture du

juge, sa philosophie spontanée, etc.

2- L’exemple de la précompréhension de la CEDH : « in dubio pro

libertate »

En droit européen des droits de l’Homme, la nature présomptive de l’interprétation

fondatrice de la Convention est tellement évidente qu’elle rejaillit sur sa formulation. D’après

la doctrine belge, l’interprétation fondatrice de la Convention correspondrait en effet à une

présomption de faveur à la liberté, présomption formulée par l’adage in dubio pro libertate920.

Cette favor libertatis, qui prend le contrepied de la présomption de faveur à la souveraineté

918 Ibid., p. 102. 919 Ibid., p. 99. 920 François OST et Sébastien VAN DROOGHENBROECK, « La responsabilité, face cachée des droits de l’Homme », dans Emmanuelle BRIBOSIA et Ludovic HENNEBEL (dir.), Classer les droits de l’homme, Bruxelles, Bruylant, 2004, pp. 87-134.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

270

des Etats traditionnelle en droit international public921, découle de la nature de la Convention:

il s’agit d’un traité protecteur des droits de l’Homme, il n’y a donc rien d’étonnant à ce que

« la Convention a[it] pour rôle et son interprétation pour objet de rendre efficace la

protection de l’individu »922. Concernant un tel traité, il faut donc « s’écarter de la théorie du

droit international classique d’après laquelle, en cas de doute, prévaut l’interprétation qui

restreint les obligations des Etats »923. Quoi qu’il en soit, pour en revenir aux rapports entre

précompréhension et présomption, l’interprétation fondatrice de la Convention appelle deux

remarques.

Premièrement elle est indéniablement une présomption au sens de principe

d’orientation cognitif : elle formate toute l’interprétation de la Convention924 . Ainsi

l’interprétation large des droits garantis par la Convention en est-elle une illustration comme

son corollaire l’interprétation étroite des restrictions aux droits garantis.

Deuxièmement, cette présomption de faveur à la liberté confirme que la

précompréhension est assimilable à une présomption-concept ; elle en revêt en effet tous les

aspects. S’il n’est guère utile de rappeler qu’elle se situe en amont du droit lui-même, on

soulignera en revanche qu’elle se situe à mi-chemin de la présomption-postulat et de la

présomption-preuve. De la première, elle tient sa position de point de départ de

l’interprétation. A cet égard, on aura beau jeu de souligner la proximité de la construction de

l’adage « In dubio pro libertate » avec l’adage « In dubio pro reo » relatif pour sa part à la

présomption d’innocence. De même, la doctrine souligne que la présomption de faveur à la

liberté correspond à un « double postulat d’interprétation extensive des droits et restrictive

des limitations »925. A la seconde, elle a emprunté son mode d’inférence : le juge européen

infère la favor libertatis de la nature du traité en s’appuyant sur sa culture, son expérience.

En définitive, le raisonnement présomptif - à travers la présomption-concept – occupe

une place de choix dès le début de la démarche herméneutique. Ses capacités n’en sont pas

921 Gérard NIYUNGEKO, op. cit., pp. 111-113 ; Sébastien VAN DROOGHENBROECK, loc. cit., pp. 45-50. 922 Affaire Golder, rapport de la Com. EDH du 1er juin 1973, Série B, vol. 16, 1975, p. 40. 923 Franz MATSCHER, « Les contraintes de l’interprétation juridictionnelle. Les méthodes d’interprétation de la Convention européenne », dans Frédéric SUDRE, L’interprétation de la Convention européenne des droits de l’Homme, Bruxelles, Bruylant, Droit et justice, 1998, pp. 20 sq., spéc. p. 20. 924 On rencontre des formulations ponctuelles de cette présomption au gré de la jurisprudence strasbourgeoise. Ainsi certains arrêts rappellent-ils de manière très générale qu’« une présomption en faveur de la libération découle de l'article 5 » (CEDH, 10 mars 2009, Bykov c/ Russie, req. n° 4378/02, § 61) ou encore qu’ « il existe une présomption en faveur de la libération » (CEDH, 3 octobre 2006, Mc KAY c/ Royaume Uni, req. n° 543/03, § 41 ; CEDH, 1er juillet 2008, Calmanovici c/ Roumanie, req. n° 42250/02, § 90 ; CEDH, 26 mars 2009, KREJČÍŘ c/ République Tchèque, req. n°s 39298/04et 8723/05, § 89). 925 Sébastien VAN DROOGHENBROECK, op. cit., p. 52.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

271

pour autant épuisées puisqu’il reste extrêmement important par la suite, lors de l’interprétation

« effectuante ».

§ 2- Les présomptions liées à l’interprétation « effectuante »

D’après le modèle herméneutique proposé par le Professeur OST, la troisième étape serait

celle de l’interprétation « effectuante »926, c’est-à-dire celle « de la mise en œuvre (…) de

diverses procédures d’interprétation technique relatives à la discipline considérée ». Or, au

rang de ces procédures, figure la présomption. L’analyse des rapports entre présomption et

interprétation (A-) le prouve qui permet même de formuler une relation métajuridique (B-).

A- Analyse des rapports entre présomption et interprétation

Malgré l’apparente antinomie entre présomption et interprétation (1-), il semble que le

juge utilise des présomptions-concepts à des fins interprétatives (2-).

1- L’apparente antinomie entre présomption et interprétation

De prime abord, on serait tenté de penser que présomption et interprétation sont

inconciliables et que la présomption ne peut être assimilée à une technique interprétative. La

présomption est, en effet, traditionnellement considérée comme une technique probatoire. Or,

même si l’existence de liens entre preuve et interprétation a pu être mise en évidence, ces

deux notions appartiennent néanmoins à des domaines différents. « Prouver, écrit le

Professeur CAUSIN927, c’est établir la vérité d’un fait allégué. Interpréter, c’est établir la

signification ou le sens d’un fait considéré comme signe ». Il ajoute qu’ « il existe donc une

différence d’objet entre la preuve et l’interprétation. Alors que le fait soumis à l’exigence de

la preuve est une réalité concrète, sensible ou observable, la signification ou le sens d’un fait

est une réalité abstraite, qui se manifeste à travers le fait mais qui est distincte de lui ».

Mais l’impression d’une incompatibilité entre présomption et interprétation ne résiste pas

à l’analyse. Lorsqu’on définit l’interprétation comme l’établissement de ce qui est signifié par

un signifiant928, la démarche intellectuelle à l’œuvre dans l’interprétation ne semble plus aussi

étrangère au mécanisme présomptif, lequel consiste précisément à générer du sens à partir de

926 Expression qu’il emprunte au Professeur LADRIERE. Cf. Jean LADRIERE, « Le rôle de l’interprétation en sciences, en philosophie et en théologie », Science, philosophie, foi, Paris, 1974, p. 213. 927 Eric CAUSIN, « La preuve et l’interprétation en droit privé », La preuve en droit, préc., p. 197 sq., spéc. p. 197. 928 Ibid., p. 211.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

272

données variables. A cet égard, la doctrine a pu reconnaître que l’utilisation du mécanisme

présomptif dans le processus d’interprétation 929 est parfaitement concevable. Il existe en effet

une certaine analogie entre l’interprétation d’une disposition légale à partir de la volonté du

législateur et la connaissance des faits psychologiques. Ceux-ci ne sont-ils pas, à l’instar de la

volonté du législateur, une réalité abstraite que la présomption permet de connaître ? « Dès

lors que l’on admet l’applicabilité du mécanisme présomptif aux faits psychologiques,

souligne Françoise LLORENS-FRAYSSE, force est de reconnaître que la présomption est

appelée à jouer un rôle (…) en matière d’interprétation »930. Dans les deux cas on cherche en

effet à connaître une volonté ; peu importe qu’il s’agisse de celle du législateur ou de celle

d’un citoyen quelconque. Or, si les présomptions-preuves mais surtout les présomptions-

concepts ont démontré leur efficacité en matière de recherche d’intention ou de volonté931, on

voit mal pourquoi elles ne pourraient également permettre de rechercher la volonté du

législateur lors du travail interprétatif.

Par ailleurs, l’apparente opposition entre présomption et interprétation découle d’un

contexte particulier : celui de l’assimilation de la présomption à une technique exclusivement

probatoire. Or, on a montré que la présomption n’a pas nécessairement à voir avec la preuve.

Ainsi la présomption-concept - antejuridique voire extrajuridique – intervient-elle en amont

de la jurislation. Dès lors l’antinomie entre présomption et interprétation paraît moins

évidente et il semble opportun de se pencher sur l’éventuel recours du juge aux présomptions-

concepts à des fins interprétatives.

2- L’utilisation des présomptions-concepts par le juge à des fins

interprétatives

La présomption-concept apparaît comme le moyen idéal de pallier les insuffisances du

droit positif (a-), et ce d’autant plus qu’elle permet au juge européen de développer le contenu

de la CEDH (b-).

929 Françoise LLORENS-FRAYSSE, op. cit., p. 68. 930 Ibid., p. 68. 931 V. supra : le singulier domaine de prédilection de la présomption-concept.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

273

a- La présomption-concept, moyen idéal de pallier les insuffisances du droit positif

La plupart du temps, on évoque surtout les présomptions-concepts sous-tendant des textes

conventionnels932, telle la présomption de dangerosité des marginaux sous-tendant l’article 5

§ 1 e) de la CEDH, ou législatifs, comme les présomptions situées en amont de règles

supplétives de volonté en droit civil. Or, le juge a lui aussi affaire aux présomptions-concepts

et ce à plus d’un titre. Tout d’abord, en tant qu’exécutant des règles élaborées par le

législateur, il devient l’héritier des présomptions-concepts ayant inspiré ce dernier, même s’il

ne les approuve pas. Ensuite, sa fonction lui permettra d’utiliser ses propres présomptions-

concepts. Ainsi a-t-on a pu noter l’existence de présomptions-concepts jurisprudentielles en

droit européen des droit de l’Homme, telle la présomption de vulnérabilité des détenus933 ; on

vient également de préciser le rôle joué par les présomptions-concepts lors de la phase

précédant l’interprétation. Plus généralement, ces constatations débouchent sur l’idée selon

laquelle l’activité de jurisdictio dans son ensemble est une présomption-concept.

Bien que les arrêts de règlements soient interdits934, le juge doit toujours se prononcer,

quand bien même le droit serait flou ou inexistant, sous peine de déni de justice935. Le pouvoir

ainsi octroyé au juge en cas de lacunes du droit peut être envisagé de diverses façons.

On peut admettre que le pouvoir normatif revient au juge lorsque la loi est lacunaire. Dès

lors, le juge deviendrait une sorte de législateur à titre subsidiaire. Ce pouvoir normatif

contiendrait ses propres limites, les décisions du juge ne valant que dans un cas d’espèce.

Mais, aujourd’hui, comme le montre le Professeur OST936, une autre explication prévaut.

A la base de celle-ci se trouve l’idée suivante : le droit existe toujours, mais il est parfois

implicite. Ainsi, le juge ne crée pas vraiment le droit mais se contente de le trouver, caché

dans la cohérence générale de l’ordre juridique. Dans cette conception, le juge se contente de

chercher sa solution, « inscrite en pointillé dans le système légal ». Il interprète les

dispositions préexistantes. En d’autres termes, lorsque le juge doit pallier les insuffisances de

la loi, il présume sa solution à partir des lois préexistantes mais aussi à partir de l’opinion

générale et des aspirations latentes du corps social. On rejoint indéniablement le mécanisme

du passage du connu à l’inconnu, mécanisme que les présomptions-concepts, on le sait,

932 V. supra : l’exemple de la présomption-concept de dangerosité des marginaux. 933 V. infra : l’utilisation des présomptions en faveur des personnes vulnérables. 934 V. l’article 5 du Code civil. 935 V. l’article 4 du Code civil. 936 OST François, loc. cit., pp. 105 sq.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

274

mettent à l’œuvre à l’instar des présomptions-preuves. Ainsi, le pouvoir créateur du juge

reposerait, pour une bonne part, sur une présomption-concept. En d’autres termes, en amont

du jugement, se trouverait une présomption-concept représentant le travail intellectuel mené

par le juge pour dire le droit.

En vérité, la proximité entre le mécanisme présomptif et le raisonnement du juge n’a pas

de quoi surprendre ; elle s’augure à la définition même de l’acte de juger. En effet, si l’on en

croit RICOEUR937, juger ne revêt pas seulement une signification. Juger signifierait d’abord

« opiner », lorsqu’« une opinion est exprimée, portant sur quelque chose », mais aussi

« estimer », lorsqu’« un élément hiérarchique est ainsi introduit, exprimant préférence,

appréciation, approbation ». Juger exprimerait ensuite « la rencontre entre le côté subjectif et

le côté objectif du jugement ; côté objectif : quelqu’un tient une proposition pour juste, bonne

vraie, légale ; côté subjectif : il y adhère ». Enfin, dans son sens le plus fort, ce verbe

traduirait « la conjonction de l’entendement et de la volonté ». En résumé, juger ce serait

« non seulement opiner, estimer, tenir pour vrai mais en dernier ressort prendre position ».

Or, la présomption recouvre précisément tout cela : ainsi qu’on a eu l’occasion de le souligner,

présumer consiste à prendre parti, à opérer un choix en associant des modes de connaissance

objectifs, à savoir l’induction, la probabilité et l’expérience, à des modes de connaissance

subjectifs : l’intuition et la volonté.

b- La présomption-concept, moyen efficace de développer le contenu de la CEDH

Par delà l’aspect théorique des précédentes observations, il semble que le juge européen

mène parfois un raisonnement de type présomptif pour interpréter les dispositions

conventionnelles et dépasser leur généralité938. Ainsi, lorsqu’il enrichit certaines dispositions

de la Convention en y intégrant un droit qui n’y figure pas expressément, le juge européen

peut inférer sa solution de la disposition concernée, des travaux préparatoires, d’un éventuel

consensus européen en la matière, des attentes du corps social, mais aussi des écrits

doctrinaux et de sa propre culture. A titre d’exemple, lors du rattachement du droit au nom à

l’article 8 de la CEDH par le fameux arrêt Burghartz939, un tel raisonnement a sans doute été

mis en œuvre. Pour passer outre le fait que l’article 8 ne mentionnait pas le nom, la Cour s’est

937 Paul RICOEUR, « L’acte de juger », Esprit, juillet 1992, pp. 20 sq., spéc. pp. 20-21. 938 Katarzyna GRABARCZYK, op. cit., p. 154, § 413. « Face à des articles souvent très généraux du texte conventionnel, explique l’auteur, le juge doit non seulement interpréter le texte, mais aussi trouver une solution adéquate, laquelle peut emprunter la vie de création d’une œuvre jurisprudentielle ». 939 CEDH, 22 février 1994, Burghartz c/ Suisse, req. n° 16213/90.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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inspirée d’« autres instruments internationaux, tels le Pacte international relatif aux droits

civils et politiques (article 24 par. 2), la Convention du 20 novembre 1989 relative aux droits

de l’enfant (articles 7 et 8) ou la Convention américaine relative aux droits de l’homme

(article 18) »940, lesquels y font allusion et reflètent une tendance générale. En d’autres termes,

elle a présumé que le droit au nom était l’une des composantes du droit au respect de la vie

privée car il est expressément mentionné dans les autres instruments internationaux

garantissant les droits de l’Homme.

Paradoxalement, la nature présomptive du raisonnement mis en œuvre se dégage de sa

fragilité : les juges européens ont indéniablement fait un choix parmi plusieurs hypothèses

contradictoires. Ils auraient pu refuser de rattacher le droit au nom à l’article 8; c’est d’ailleurs

ce que préconisaient les Juges PETITTI et VALTICOS941.

Grâce à un raisonnement comparable, l’arrêt Demir et Baykara942 a enrichi le contenu de

la liberté syndicale en rattachant à l’article 11 de la Convention, lequel évoque simplement le

droit de fonder un syndicat et de s’y affilier, le droit de mener des négociations collectives. La

Cour a en quelque sorte présumé qu’il est « l’un des éléments essentiels du “droit de fonder

avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts”

énoncé à l’article 11 de la Convention »943, en s’appuyant sur des « sources extérieures à la

Convention EDH »944, telles les conventions n°98 et 151 de l’OIT.

La présomption-concept serait donc tantôt le motif sous-jacent d’une loi, tantôt la méthode

globale de raisonnement du juge. Gageons qu’à l’heure où la doctrine reconnaît fréquemment

le caractère probabiliste des jugements945, évoquer l’éventuelle nature présomptive du

raisonnement judiciaire ne saurait passer pour extravagant !

Quoi qu’il en soit, la présomption-concept, technique juridique majeure, permet de

formuler une relation métajuridique.

940 Ibid., § 24. 941 Ibid., opinion dissidente de MM. Les juge PETTITI et VALTICOS. 942 CEDH, Gr. Ch., 12 novembre 2008, Demir et Baykara c/ Turquie, req. n° 3503/97 ; Frédéric SUDRE, « L’interprétation constructive de la liberté syndicale, au sens de l’article 11 de la Convention EDH », JCP G, 2009, II, 10018, pp. 30 sq. 943 CEDH, Gr. Ch., 12 novembre 2008, Demir et Baykara c/ Turquie, req. n° 3503/97. 944 Frédéric SUDRE, loc. cit. note 942, p. 33. 945 Guy THUILLIER, « Probabilisme et art de juger », Droits. Revue française de théorie, de philosophie et de culture juridiques, 2002, pp. 39-40 ; Dominique VIVIEN, « Essai sur l’art de juger », Revue administrative, 1999, pp. 458 sq.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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B- La formulation d’une relation métajuridique

Formuler une relation métajuridique à propos de la présomption, n’est-ce pas pécher par

excès de présomption ? A première vue, l’objectif peut paraître ambitieux, pour ne pas dire

inutile. En réalité, il s’agit de révéler l’aspect fondamental de la présomption au sein du droit.

Le terme métajuridique est calqué sur celui de métaphysique qui est lui-même polysémique

mais dont tous les sens se recoupent pour désigner soit la connaissance des réalités

immatérielles, soit « la connaissance de ce que les choses sont en elles-mêmes par opposition

aux apparences qu’elles présentent »946. Le préfixe méta-, d’origine grecque, signifie « au-

delà » ou « après » et exprime tout à la fois la succession, le changement et la participation947.

Formuler une relation métajuridique c’est donc montrer qu’en présumant, le juriste touche à

l’essence du droit, se livre à une authentique activité juridique et même la dépasse en ce que

ladite activité fait de lui un être pensant. Ainsi, la présomption consiste à traiter le doute (1-)

et nous permet de dire : je présume, donc je suis (2-).

1- Le traitement du doute

Le doute est indissociable du droit. La vérité judicaire est relative car la connaissance des

faits n’est qu’une succession de doutes dont le degré varie. Le doute est donc lié au droit

certes, mais ce lien est d’ordre méthodologique. Le doute ne peut en aucun cas faire obstacle

au droit, à la nécessité de la décision. Le doute du juriste n’est pas le doute radical et universel

du sceptique, de Pyrrhon et de ses disciples selon lesquels il convient de suspendre

définitivement son jugement et qui, comme l’observe le Professeur TERRE « conduit à la

négation du droit »948. Le doute du juriste est méthodique à l’instar de celui de DESCARTES,

qui révoque ses opinions en doute pour trouver celles qui résisteront et fait du doute une voie

d’accès au vrai. Le doute du juriste ne peut être que provisoire, « il constitue une étape dans

le cheminement de la pensée »949 ; c’est l’ « opération par laquelle l’esprit suspend son

jugement. Ce doute est le passage obligé dans une recherche de vérité »950. Or, ce doute peut

être canalisé par la technique présomptive. La présomption, fille parricide du doute, est une

946 Ferdinand ALQUIE, « Métaphysique », Encyclopedia universalis, Paris, 2002, T. 14, pp. 1067 sq. 947 ROBERT Paul, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, société du nouveau Littré, Paris, 1993, T. IV. V. les termes « méta » et « métaphysique ». 948 François TERRE, « Synthèse », in Le doute et le droit, sous la direction de François TERRE, sous l’égide de l’institut de formation continue du Barreau de Paris, Dalloz, philosophie et théorie générale du droit, Paris, 1994, pp. 1 sq., spéc. p. 3. 949 Ibid., p. 9. 950 Jean-Denis BREDIN, loc. cit., p. 21.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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technique révélatrice de la nature du doute du juriste : elle naît du doute – quel besoin aurait-

on de présumer un fait si l’on ne doutait pas de son existence ? – et le transcende, le dépasse

pour élaborer, sur sa base, une vérité. Ainsi, la technique présomptive est le parangon de

l’activité du juriste, de l’homo juridicus. D’ailleurs, certains auteurs l’admettent plus ou moins

explicitement, le Professeur GROS estimant par exemple que « la présomption est le pilier de

la vérité juridique » ou encore « un pilier du droit moderne »951. A ce titre, la présomption

justifie bien la formulation d’une relation métajuridique.

2- Je présume, donc je suis.

« Cogito, ergo sum » ; pourquoi pas « praesumo, ergo sum » ?

En énonçant le célèbre « je pense, donc je suis » DESCARTES énonce une vérité

indubitable que le doute ne fait que renforcer. Cette vérité se décompose en trois étapes.

Premièrement, si je doute, c’est que je suis : pour qu’il y ait un doute, encore faut-il que

quelqu’un doute. Or, deuxièmement, le doute est une modalité de la pensée donc je ne peux

être certain de mon existence que si je pense. Troisièmement, je suis donc une substance

pensante, « res cogitans »952. Dans la mesure où le doute du juriste est à rattacher au doute

méthodique, il semble possible de suivre jusqu’au bout la voie cartésienne et de formuler une

relation métajuridique. C’est le choix du Professeur TERRE pour qui, lorsqu’on se penche sur

la question des rapports entre doute et droit « on en vient à formuler en termes nouveaux une

relation métajuridique autant que métaphysique : je doute puis je juge, donc je suis ». Si l’on

poursuit ce raisonnement en y introduisant le fait que la présomption consiste à traiter le doute,

qu’elle est une modalité de traitement du doute, on peut dire « je présume, donc je suis » ce

qui signifie : « je doute, je transcende mon doute sans le nier, donc je suis ».

951 Manuel GROS, loc. cit., p. 6. 952 Ferdinand ALQUIE, loc. cit.. Selon cet auteur, « par la prise de conscience de ce doute, le moi pensant découvre son être propre et devient notre première certitude ».

« Je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui le pensais fusse quelque chose ; et remarquant que cette vérité : je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n’étaient pas capables de l’ébranler, je

jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie que je cherchais. »

Descartes, Discours de la méthode, IV ème partie, coll. « Profil philosophie », Hatier, Paris, 1990, pp. 49-50.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Conclusion du Chapitre 1

En guise de conclusion, nous sommes tentée de rappeler, pour le plaisir de la symétrie, le

constat dressé par la Cour EDH quant à la place des présomptions : « Tout système juridique

connaît des présomptions de fait ou de droit ; la Convention n’y met évidemment pas obstacle

en principe »953.

A la lumière des enseignements tirés de la jurisprudence européenne, ce constat se déploie

dans toute son envergure : en quelque sorte inévitable, la présomption apparaît comme une

technique majeure de réalisation du droit en raison de sa puissance cognitive.

A la fois science et nescience pour reprendre le titre d’un texte de Claude LOUIS-

COMBET, la présomption repousse les limites traditionnelles de l’activité cognitive. D’abord,

elle transcende la probabilité : elle s’en détache en dépassant l’irréductible marge d’erreur

correspondant à la différence entre la certitude et la probabilité de l’événement envisagé.

Ensuite, elle transcende le paradigme probatoire : rétrospective, elle permet de connaître le

passé, mais, prospective, elle permet aussi d’envisager le futur et, spéculative, elle offre une

voie d’accès au domaine de l’abstrait. Enfin - source ou rançon de cette capacité cognitive – la

présomption transcende la notion de neutralité : amorale, elle peut être mise au service de

n’importe quelle cause.

La présomption permet donc d’acquérir artificiellement des connaissances nécessaires

au fonctionnement du système. Bref, elle construit une connaissance en raisonnant. On en

vient alors à l’autre aspect qui promeut la présomption au rang des techniques de réalisation

du droit, à savoir sa fonction rationalisatrice : en tant que forme de raisonnement, la

présomption réalise le droit. Sous sa forme conceptuelle, elle se confond même purement et

simplement avec certaines phases de l’activité de jurisdictio. Ainsi, pour pallier les

insuffisances des dispositions normatives, le juge, lors de son travail interprétatif, présume-t-il

sa solution à partir des lois préexistantes.

Les conséquences du constat - qu’on espère objectif – concernant le rôle de premier

rang occupé par la présomption dans la réalisation du droit, sont plus importantes qu’il n’y

paraît : une dimension capitale de la vision de la présomption en cours d’ébauche paraît même

en résulter. A travers sa force réalisatrice, c’est en effet sa nécessité pour le juriste qui devient

953 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

279

évidente. Indispensable au droit, la présomption constitue un mode de raisonnement

fondamental dont le juriste ne saurait se passer, si bien qu’il l’utilise parfois inconsciemment.

En somme, elle participe à la cohésion primordiale du système juridique.

Le Professeur RESCHER semble partager cette thèse. Dans un paragraphe consacré à

la justification des présomptions954, il écrit : « The justifactory rationale for a policy of

epistemic presumption begins with the human need for information. And the obvious and

evident advantage of presumption as a cognitive resource is that it enables us vastly to extend

the range of questions we are able to answer ». Il ajoute: « That we can use the products of

our experience of the world to form at least somewhat reliable views of it is the indispensable

presupposition of our cognitive endeavors. If we systematically refuse, always and

everywhere, to accept seeming evidence as real evidence (…), then we can get nowhere in the

domain of practical cognition of rational inquiry. When the skeptic rejects any and all

presumptions, he automatically blocks the prospect of anyone reasoning with him within the

standard framework of discussion about the empirical facts of the world ».

Mais le droit européen des droits de l’Homme permet d’aller encore plus loin dans

l’affirmation du rôle joué par la présomption dans la cohésion du droit ; il ne se contente pas,

en effet, d’en percer à jour les capacités réalisatrices mais il en dévoile également les facultés

régulatrices.

954 Nicholas RESCHER, op. cit., p. 42.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

280

Chapitre 2- Une technique de régulation

La régulation correspond au « fait de rendre régulier, normal le fonctionnement de

quelque chose » ; il s’agit d’un « mécanisme de contrôle faisant intervenir des rétroactions

correctrices à l'intérieur d'un système (physique, biologique, social), et assurant l'équilibre de

ce système chaque fois que sa stabilité est momentanément perturbée par des causes internes

ou externes »955. De même, réguler, c’est « introduire des régularités dans un objet social,

assurer sa stabilité, sa pérennité, sans en fixer tous les éléments ni l’intégral déroulement »956.

Le concept de régulation renvoie donc à ceux d’équilibre, de constance, d’harmonie, de

stabilité957 et, bien évidemment, à celui de cohésion.

Ainsi définie, l’activité de régulation paraît présenter d’indéniables affinités avec la

présomption. Technique malléable à souhait, la présomption n’est-elle pas, précisément, un

mécanisme adaptable aux situations les plus variées et visant à assurer l’équilibre du système

juridique lorsque celui-ci est perturbé par des difficultés d’ordre probatoire ou, plus largement,

d’ordre cognitif ? Bref, la présomption n’est-elle pas un mécanisme régulateur ?

Deux arguments permettent de répondre positivement à cette interrogation.

D’une part, d’un point de vue général, le mécanisme présomptif semble toujours

participer d’un processus régulateur. Il est certes susceptible d’intervenir à tous les stades du

raisonnement juridique - il peut même le précéder ou en former l’armature - mais son

intervention a toujours pour but d’aplanir les difficultés rencontrées. Autrement dit, qu’elle

facilite une preuve en déplaçant son objet, qu’elle instaure comme a priori de raisonnement

un énoncé incertain, etc., la présomption contribue toujours au bon fonctionnement du

système en remédiant à l’inaccessibilité du vrai et à la mouvance de la réalité. Bref, elle

constitue un moyen de combler les failles et de masquer les faiblesses du système juridique ;

elle est l’antidote à certaines sources de blocage.

955 Définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/régulation], (2010-06-02). 956 Antoine JEAMMAUD, « Introduction à la sémantique de la régulation », J. CLAM & G. MARTIN (dir.), Les transformations de la régulation juridique, Paris, LGDJ, 1998, pp. 47-72. 957 Laurence CALANDRI, Recherche sur la notion de régulation en droit administratif français, Paris, LGDJ, 2008, p. 6.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

281

D’autre part, plus spécifiquement, le droit de la CEDH met en lumière la fonction

régulatrice des présomptions. La simple lecture de l’arrêt Bosphorus958 - déjà évoqué - suffit

pour s’en apercevoir. Cet arrêt institue en effet une présomption d’équivalence entre la

protection des droits fondamentaux offerte par le droit de l’Union européenne et celle

résultant du droit de la CEDH, présomption dont l’objectif est grosso modo d’assurer

l’harmonie et l’uniformité de la protection des droits fondamentaux, c’est-à-dire de réguler

cette dernière.

Ainsi la présomption apparaît-elle comme une technique de régulation ou encore

comme une technique régulatrice, l’utilisation de cette appellation semblant d’ailleurs

pertinente à plusieurs égards.

Tout d’abord, offrant un parallèle avec la dénomination technique de réalisation, cette

appellation révèle les liens entre réalisation et régulation : toutes deux concourent à la

cohésion du système et, si la présomption régule le droit, c’est avant tout parce qu’elle le

réalise.

Ensuite, dans le même ordre d’idées, cette appellation rappelle qu’on se situe dans une

logique systémique - la présomption œuvre à la cohésion du système - puisque, comme

l’explique le Professeur MARCOU, la notion de régulation « convient bien à la description

d’un système global et de la fonction qui maintient et reproduit l’ordre de ce système»959.

Enfin, cette appellation revêt un intérêt particulier en droit européen des droits de

l’Homme : elle peut y être vue comme le pendant des « concepts amplificateurs » et des

« concepts modérateurs » 960 . Mais, alors que ces derniers constituent les principes

d’interprétation de la Convention et visent respectivement à donner « toujours plus

d’effectivité à la CEDH » ou, au contraire, « à établir un équilibre entre l’intérêt de l’individu

et l’intérêt général »961, la présomption, en tant que technique régulatrice, aurait un rôle plus

prosaïque et échapperait de ce fait aux logiques d’amplification ou de modération des droits

garantis pas la Convention. Cette situation n’est pas sans rappeler les considérations sur

l’amoralité et la neutralité apparentes de la présomption962. Ni amplificatrice, ni modératrice

la présomption serait simplement régulatrice.

958 CEDH, 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yollari Turizm Ve Ticaret Anonim Şirketi c/ Irlande, req. n° 45036/98. 959 Gérard MARCOU, « La notion juridique de régulation », AJDA, 2006, pp. 347 sq., spéc. p. 347. 960 Jean-Pierre MARGUENAUD, op. cit., p. 51. 961 Ibid., p. 38. 962 V. supra : neutralité cognitive.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

282

En définitive, à la lumière du droit européen des droits de l’Homme, le versant

régulateur de la mission de cohésion assurée par la présomption consisterait à rechercher une

forme d’équilibre, de stabilité963, d’état statique. Voilà pourquoi, la fonction régulatrice de la

présomption évoque la notion de sécurité statique découverte par DEMOGUE (Section 1).

Voilà pourquoi, poussant le statisme à son comble, elle peut également mener à une forme de

retenue judiciaire (Section 2).

963 Slim LAGHMANI, « Le faux en droit et en théorie du droit », dans Jean-Jacques SUEUR (dir.), Le faux, le Droit et le juste, Actes du colloque international des 13 et 14 novembre 2008, Faculté de droit de Toulon, Bruxelles, Bruylant, 2009, pp. 1-12, spéc. p. 8. : « Si, parfois, le droit traque le faux, si, en d’autres occasions, il le tolère ou y recourt, c’est toujours pour réaliser d’autres valeurs proprement juridiques telles que la stabilité des rapports juridiques, la sécurité juridique ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

283

Section 1- La validation européenne de la thèse de

DEMOGUE

Selon DEMOGUE, la sécurité est l’une des idées fondatrices du droit privé. Il

distingue à cet égard deux types de sécurité qui s’opposent : la sécurité dynamique qui

« pousse à l’action »964 et la sécurité statique qui en serait la « contrepartie nécessaire »965.

Comme le résument les Professeurs KENNEDY et BELLEAU966, « la sécurité statique est

l’intérêt de tout possesseur d'un droit à ce que les règles de droit rendent difficile son

transfert contre son gré. Par contre, la sécurité dynamique désigne l’intérêt de tout acquéreur

d'un droit à ce que le transfert ne soit pas défait après coup par un tel possesseur antérieur

qui précisément prétend être victime d'un échec de ses intentions. L’exemple le plus simple est

celui du conflit d'intérêt entre l'acquéreur de bonne foi d'un bien volé et le propriétaire,

victime du vol ». Dans la mesure où la sécurité statique a trait aux notions d’apparence967 et de

stabilité968, DEMOGUE y rattache un certain nombre de présomptions régulatrices, par

exemple la présomption de connaissance de la loi969. Or, le droit européen des droits de

l’Homme affermit cette thèse en renouvelant la vigueur des présomptions au service de la

sécurité statique (§ 1-) et en clarifiant leur activité régulatrice (§ 2-).

§ 1- La vigueur renouvelée des présomptions au service de la

sécurité statique

Les présomptions au service de la sécurité statique, traditionnellement timides (A-),

sont revivifiées par le droit européen des droits de l’Homme (B-).

A- Des présomptions traditionnellement timides

Au cœur de la sécurité statique, se trouve une présomption de conformité de l’état de fait à

l’état de droit (1-) dont on pressent qu’elle pourrait faire l’objet de diverses extensions (2-).

964 René DEMOGUE, Les notions fondamentales du droit privé - Essai critique, Arthur ROUSSEAU, Paris, 1911, p. 72. 965 Ibid., p. 72. 966 Duncan KENNEDY et Marie-Claire BELLEAU, « La place de René DEMOGUE dans la généalogie de la pensée juridique contemporaine », [http://duncankennedy.net/documents/Photo%20articles/Rene%20Demogue%20dans%20la%20genealogie%20de%20la%20pensee%20juridique%20contemporaine.pdf], (2010-01-01). 967 René DEMOGUE, op. cit., p. 68. 968 Ibid., p. 84. 969 Ibid., p. 72.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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1- La présomption de conformité de l’état de fait à l’état de droit, cœur de la

sécurité statique

Déjà dans l’œuvre de DEMOGUE figure un lien explicite entre sécurité statique et

présomption. Fondamentalement, le principe de sécurité statique, qui correspond à un besoin

de cohésion par la stabilité, se manifesterait par une présomption présidant à la répartition de

la charge de la preuve en droit privé, laquelle repose sur l’adage « Actori incumbit probatio »

et sur l’article 1315 du Code civil. En vertu de cette présomption, évidemment réfragable,

l’état de fait serait conforme à l’état de droit. Voilà pourquoi la charge de la preuve pèse sur

celui-là même qui entend contester la présomption, le demandeur. « Le principe sur lequel

repose l’article 1315 peut (…) se ramener à cette idée : tout état de fait est supposé conforme

à l’état de droit. Si une personne possède un droit réel, elle en est présumée titulaire, si une

personne n’obtient pas paiement de ce qu’elle demande, on présume que c’est parce qu’on ne

lui doit rien » écrit DEMOGUE avant de préciser qu’il s’agit « d’un des grands principes de

la sécurité statique »970.

Certes il n’y a là désormais rien de très nouveau : l’idée selon laquelle le mécanisme de la

charge de la preuve reposerait sur un standard, à savoir une règle de bon sens en vertu de

laquelle la situation normale - le statu quo - est la liberté réciproque des individus971, a vécu972.

Cependant, le constat de DEMOGUE présente un intérêt : il révèle le potentiel régulateur de

la présomption. La présomption générale de conformité entre l’état de fait et l’état de droit a

pour objectif d’assurer l’équilibre du contentieux en limitant le nombre de requêtes

abusives973 : elle dissuade les justiciables d’introduire des requêtes purement fantaisistes.

Grâce à elle, la fonction régulatrice du mécanisme présomptif se fait jour.

Il est cependant regrettable que DEMOGUE lui-même n’ait pas développé davantage les

implications de cette présomption – véritable archétype de la présomption régulatrice – dont

on pressent déjà la multiplicité des ramifications. L’analyse de DEMOGUE, purement

civiliste et strictement probatoire, n’offre à la présomption de conformité de l’état de fait à

970 René DEMOGUE, op. cit., p. 543. 971 DEMOLOMBE, Cours de Code Napoléon, Paris, 1876, T. 29, pp. 184 sq. : « C’est évidemment à la partie qui prétend innover et changer la situation présente, que doit être imposé le fardeau de la preuve. La présomption est que la situation présente acquise actuellement, de part et d’autre, est conforme à la vérité. L’une des parties prétend le contraire. Qu’elle le prouve donc ! ». 972 Jean-François CESARO, op. cit., pp. 183 sq. ; Patrick KINSCH, « Entre certitude et vraisemblance, le critère de la preuve en matière civile », dans Mélanges en l’honneur du doyen Georges Wiederkehr, Paris, Dalloz, 2009, pp. 455 sq., spéc. p. 461. 973 René DEMOGUE, op. cit., pp. 544-545.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

285

l’état de droit qu’une portée limitée. La conclusion de l’auteur peut d’ailleurs se résumer

comme suit : le mode de répartition de la charge de la preuve reviendrait en définitive à une

présomption d’indépendance des individus les uns à l’égard des autres, c’est-à-dire à une

conception individualiste de l’individu974. Or, la sécurité statique semble au contraire

largement dépasser ce cadre et correspondre à un besoin juridique profond et transversal. A

cet égard, d’autres présomptions peuvent lui être rattachées.

2- Les extensions potentielles de cette présomption

Loin d’interpréter restrictivement la présomption de conformité de l’état de fait à l’état de

droit et de la réduire, à l’instar de DEMOGUE, à une simple présomption d’indépendance des

individus, le Professeur GROSSEN l’interprète au contraire extensivement tout en maintenant

son rattachement au principe de sécurité statique. Selon lui, « une (…) présomption apparaît

comme un principe fondamental de droit international, aussi bien que de droit interne. C’est

la présomption que les situations de fait, les droits tels qu’ils sont exercés et les obligations

telles qu’elles sont remplies sont justes »975. Cette affirmation ne fait l’objet que de quelques

lignes, autant dire presque rien à l’échelle de l’ouvrage qui la contient. Pourtant les

perspectives qu’elle engendre laissent pantois ! Partant, on se demande à laquelle de ces deux

interprétations il convient d’accorder le plus de crédit. La balance semble pencher en faveur

de l’interprétation extensive et ce pour deux raisons.

Premièrement, plusieurs présomptions peuvent être rattachées au principe de sécurité

statique en tant que déclinaisons de la présomption générale dégagée par le Professeur

GROSSEN. Ainsi en est-il de la présomption de respect du droit par les Etats, déjà

mentionnée976. Cette présomption, exprimée par l’adage « Omnia rite praesumuntur esse

acta »977, consiste à considérer que les Etats et les organisations internationales agissent en

conformité avec le droit en général et le droit international en particulier. Traduction directe

de la présomption de conformité de l’état de fait à l’état de droit, elle consiste à faire prévaloir

le statu quo tant que la preuve n’est pas rapportée. C’est également dans cette optique que

974 Ibid., p. 543 : « on présume que les hommes sont indépendants les uns des autres, qu’ils ne sont ni créanciers, ni débiteurs. Voilà bien la conception individualiste dans toute sa simplicité : les hommes sont présumés indépendants les uns des autres à eux de prouver le contraire ». 975 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 156. 976 V. note 475. 977 Gérard NIYUNGEKO, op. cit., pp. 114-118, §§ 104-107 ; Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., pp. 60-63.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

286

s’inscrit la présomption d’innocence : tant que la culpabilité n’est pas prouvée, le besoin de

sécurité statique permet de présumer que l’accusé est aussi intègre que lorsqu’il vit le jour.

Deuxièmement, il n’y a pas uniquement les présomptions de conformité de l’état de

fait à l’état de droit qui soient liées à la sécurité statique. DEMOGUE lui-même, au hasard

d’une digression, le reconnaît implicitement en rattachant la présomption de connaissance de

la loi au principe de sécurité statique978. On ne saurait contester cette filiation : la présomption

de connaissance de la loi participe indéniablement à l’équilibre et à la stabilité du système ;

« (…) utilisée comme une construction juridique, [elle] est employée pour renforcer la

cohérence logique du système de droit » note le Professeur HUBERLANT979. Voilà qui

corrobore l’importance des répercussions présomptives du besoin de sécurité statique.

Finalement, la sécurité statique et les présomptions qui en découlent semblent irriguer

l’ensemble du système juridique dans la mesure où elles répondent à un besoin d’équilibre

fondamental et transversal. Le droit européen des droits de l’Homme confirme pleinement

cette tendance.

B- Des présomptions hardies en droit européen des droits de l’Homme

On a déjà pu remarquer que le juge européen, suivant les traces de la présomption

générale de conformité de l’état de fait à l’état de droit, présume parfois le respect du droit.

C’est notamment le cas lorsqu’il recourt à la présomption de régularité dans l’établissement

national des faits ou à la présomption d’impartialité du juge. Mais d’autres manifestations

européennes des liens entre régulation présomptive et sécurité statique, plus audacieuses,

retiennent encore davantage l’attention, soulignant à nouveau l’intérêt d’une relecture du droit

des présomptions à la lumière du droit de la CEDH. C’est le cas de la présomption régulatrice

d’existence des voies de recours internes (1-) et de la présomption régulatrice d’équivalence

de la protection des droits fondamentaux par le droit de l’Union européenne et par le droit de

la CEDH (2-).

1- La présomption régulatrice d’existence des voies de recours internes

Le principe de subsidiarité, en vertu duquel « le mécanisme de sauvegarde des droits

fondamentaux institué par la Convention revêt un caractère subsidiaire par rapport aux

978 René DEMOGUE, op. cit., 1911, p. 72. 979 Charles HUBERLANT, loc. cit., p. 225.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

287

systèmes nationaux »980, « fonde l’économie de la Convention »981. Manifestation procédurale

dudit principe, la règle classique d’épuisement des voies de recours internes énoncée par

l’article 35 § 1 de la Convention « vise à ménager la souveraineté et la susceptibilité des Etats

en leur permettant de remédier par leurs propres ressources juridiques aux situations

attentatoires aux droits de l’Homme »982. En d’autres termes, elle oblige ceux qui s’estiment

victimes d’une violation de leurs droits garantis par la Convention à exercer tous les recours

utiles, efficaces et adéquats avant de saisir la Cour de Strasbourg. Cette dernière n’intervient

donc qu’à titre subsidiaire983. Or, on peut démontrer, en trois temps, que le principe de

subsidiarité et la règle d’épuisement des voies de recours internes reposent sur une

présomption-concept d’existence des voies de recours internes, laquelle serait une

manifestation du besoin de sécurité statique.

Premièrement, un constat : pour pouvoir exiger des requérants qu’ils épuisent les voies de

recours internes, encore faut-il présupposer l’existence de ces dernières. On ne peut, en effet,

attendre d’un individu qu’il remplisse certaines exigences si les conditions pour qu’il le fasse

ne sont pas réunies. Ce phénomène est mis en lumière dans de nombreux arrêts984. A l’instar

980 CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c/ Royaume Uni, req. n°5493/72, § 48 ; CEDH, 16 septembre 1996, Akdivar et autres c/ Turquie, req. n° 21893/93, § 65 ; CEDH, 8 avril 2004, Assanidzé c/ Géorgie, req. n° 71503/01, § 123 ; CEDH, 15 janvier 2007, Sissoyeva et autres c/ Lettonie, req. n° 60654/00, § 90. 981 Frédéric SUDRE, obs. sous l’arrêt Handyside c/ Royaume Uni, dans Frédéric SUDRE et al., op. cit. p. 150. 982 Jean-Pierre MARGUENAUD, op. cit., p. 6. 983 CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c/ Royaume Uni, req. n°5493/72, § 48 : « La Convention confie en premier lieu à chacun des États contractants le soin d’assurer la jouissance des droits et libertés qu’elle consacre. Les institutions créées par elle y contribuent de leur côté, mais elles n’entrent en jeu que par la voie contentieuse et après épuisement des voies de recours internes ». 984 CEDH, 18 décembre 1996, Aksoy c/ Turquie, req. n° 21987/93, § 51 ; CEDH, 28 juillet 1999, Selmouni c/ France, req. n° 25803/94, § 74 ; CEDH, 15 juin 2000, Erdogdu c/ Turquie, req. n° 25723/94, § 33 ; CEDH, 26 octobre 2000, Kudla c/ Pologne, req. n° 30210/96, § 152 ; CEDH, 13 février 2003, Cetin et autres c/ Turquie, req. n° 40153/98, § 37 ; CEDH, 15 avril 2003, Jarlan c/ France, req. n° 62274/00, § 11 ; CEDH, 17 juin 2003, Michel Raitière c/ France, req. n° 57734/00, § 10 ; CEDH, 17 juin 2003, Seidel c/ France (n° 2), req. n° 60955/00, § 12 ; CEDH, 24 juin 2003, Bouilly c/ France (n° 2), req. n° 57115/00, § 12 ; CEDH, 10 juillet 2003, Hartman c/ République Tchèque, req. n° 53341/99, § 56 ; CEDH, 29 juillet 2003, Poilly c/ France, req. n° 68155/01, § 15 ; CEDH, 23 octobre 2003, Peker c/ Turquie, req. n° 53014/99, § 20 ; CEDH, 12 novembre 2003, Bartre c/ France, req. n° 70753/01, § 18 ; CEDH, 10 février 2004, Gennadi Naoumenko c/ Ukraine, req. n° 42023/98, § 100 ; CEDH, 27 juillet 2004, Slimani c/ France, req. n° 57671/00, § 38 ; CEDH, 22 mars 2005, Gungor c/ Turquie, req. n° 28290/95, § 94 ; CEDH, 18 mai 2005, Prodan c/ Moldova, req. n° 49806/99, § 38 ; CEDH, 15 juillet 2007, Celik c/ Turquie, req. n° 61650/00, § 23 ; CEDH, 6 octobre 2005, Lukenda c/ Slovénie, req. n° 23032/02, § 42 ; CEDH, 1er mars 2006, Sejdovic c/ Italie, req. n° 56581/00, § 43 ; CEDH, 19 octobre 2006, Kamer Demir et autres c/ Turquie, req. n° 41335/98, § 52 ; CEDH, 26 octobre 2006, Fleri Soler et Camilleri c/ Malte, req. n° 35349/05 ; CEDH, 18 janvier 2007, Alliance Capital (Luxembourg) S.A. c/ Luxembourg, req. n° 24720/03, § 27 ; CEDH, 25 janvier 2007, Rompoti et Rompotis c/ Grèce, req. n° 14263/04, § 17 ; CEDH, 10 avril 2007, Öner Kaya c/ Turquie, req. n° 9007/03, § 20 ; CEDH, 10 mai 2007, Pantaleon c/ Grèce, req. n° 6571/05, § 18 ; CEDH, 21 juin 2007, Georgoulis et autres c/ Grèce, req. n° 38752/04, § 17 ; CEDH, 17 juillet 2007, Nagler en Nalimmo B.V.B.A. c/ Belgique, req. n° 40628/04, § 26 ; CEDH, 19 juillet 2007, Popescu et Daşoveanu c/ Roumanie, req. n° 24681/03, § 20 ; CEDH, 24 juillet 2007, De Saedeleer c/ Belgique, req. n° 27535/04, § 51 ; CEDH, 31 juillet 2007, Electro Distribution Luxembourgeoise (E.D.L.) S.A. c/ Luxembourg, req. n° 11282/05, § 46 ; CEDH, 25

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

288

de l’arrêt Akdivar contre Turquie, il rappellent d’abord grosso modo « (…) que la règle de

l'épuisement des voies de recours internes (…) impose aux personnes désireuses d'intenter

contre l'Etat une action devant un organe judiciaire ou arbitral international, l'obligation

d'utiliser auparavant les recours qu'offre le système juridique de leur pays. Les Etats n'ont

donc pas à répondre de leurs actes devant un organisme international avant d'avoir eu la

possibilité́ de redresser la situation dans leur ordre juridique interne ». Ils énoncent ensuite

que « cette règle se fonde sur l'hypothèse, objet de l'article 13 de la Convention (art. 13) – et

avec lequel elle présente d'étroites affinités - que l'ordre interne offre un recours effectif

quant à la violation alléguée985, que les dispositions de la Convention fassent ou non partie

intégrante du système interne. De la sorte, elle constitue un aspect important du principe

voulant que le mécanisme de sauvegarde instauré par la Convention revête un caractère

subsidiaire par rapport aux systèmes nationaux de garantie des droits de l'homme (…) ».

Deuxièmement, une question : ne serait-on pas face à une présomption-concept

d’existence des voies de recours internes ? « L’hypothèse » mentionnée par le juge européen,

d’après laquelle « l’ordre interne offre un recours effectif », paraît en effet revêtir toutes les

caractéristiques d’une présomption-concept. D’une part, il s’agit bien d’une vérité

conjecturale qui sous-tend l’article 35 § 1; située en amont de l’article 35 § 1, elle est même

l’une de ses raisons d’être. D’autre part, si elle est irréfragable du fait de sa situation – elle

n’est qu’une source du droit, la question de la preuve contraire est donc hors sujet la

concernant – elle est cependant résurgente. En effet, pour que l’article 35 § 1 soit applicable,

l’objet de cette présomption doit être avéré, ce qui signifie que les voies de recours internes

doivent exister. Cessante ratione legis, cessat ejus dispositio dit l’adage. Autrement dit, dans

le cas où l’Etat défendeur n’aurait pas respecté l’article 13 et où les voies de recours seraient

inexistantes986, la requête ne pourrait point être jugée irrecevable sur le fondement de l’article

35 § 1.

septembre 2007, De Turck c/ Belgique, req. n° 43542/04, § 25 ; CEDH, 2 octobre 2007, Dölek c/ Turquie, req. n° 39541/98, § 95 ; CEDH, 4 octobre 2007, Corcuff c/ France, req. n° 16290/04, § 26 ; CEDH, 11 octobre 2007, Fischer c/ Roumanie, req. n° 28400/04, § 57 ; CEDH, 11 octobre 2007, Fischer c/ Roumanie, req. n° 28400/04, § 57 ; CEDH, 25 octobre 2007, Katsivardelos c/ Grèce, req. n°2075/06, § 13 ; CEDH, 15 janvier 2008, Stanclik c/ Pologne, req. n° 31397/03, § 33 ; CEDH, 7 février 2008, Cherebetiu et Pop c/ Turquie, req. n° 36476/03, § 39 ; CEDH, 19 février 2009, Kozacioglu c/ Turquie, req. n° 2334/03, § 39 ; CEDH, 10 mars 2009, Turkan Cakir, req. n° 44256/06, § 45 ; CEDH, 23 juillet 2009, Bowler International Unit c/ France, req. n° 1946/06, § 29. 985 C’est nous qui soulignons. 986 A cet égard, la Cour considère de surcroît que « ces recours doivent exister à un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi leur manque l’effectivité et l’accessibilité voulues ». V. notamment : CEDH, 16 septembre 1996, Adkivar et autre c/ Turquie, req. n° 21893/93, § 66 ; CEDH, 20 février 1991,

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

289

Troisièmement, le fait qu’on soit face à une présomption-concept d’existence des voies de

recours internes étant désormais acquis, on peut aborder plus précisément le rôle de cette

dernière.

D’une part, sa fonction régulatrice est évidente. Cette présomption assure en effet la

cohésion entre diverses dispositions de la Convention, en l’occurrence l’article 13 qui oblige

les Etats contractants à offrir un recours effectif devant une instance nationale à toute

personne dont les droits garantis par la Convention ont été violés et l’article 35 § 1qui impose

aux requérants d’épuiser les voies de recours internes ainsi offertes. Cette présomption

symbolise donc les liens logiques unissant deux des dispositions de la Convention, liens qu’on

peut traduire sous la forme d’une double question : comment demander à un requérant

d’épuiser les voies de recours internes si l’on ne présuppose pas leur existence ? Pourquoi

imposer aux Etats l’obligation d’offrir des voies de recours internes si les requérants n’avaient

pas l’obligation de les épuiser ? A travers la présomption-concept d’existence des voies de

recours internes, il s’agit donc d’introduire – artificiellement et souterrainement - le minimum

de stabilité nécessaire pour qu’une disposition (l’article 35 § 1) liée au respect d’une autre

disposition (l’article 13) puisse exister.

D’autre part, le rattachement de sa fonction régulatrice à la sécurité statique est également

évident. La présomption d’existence des voies de recours internes n’est jamais qu’une

déclinaison de la présomption générale de conformité de l’état de fait à l’état de droit décrite

par DEMOGUE ou encore de la présomption de respect du droit évoquée par le Professeur

GROSSEN à propos de la sécurité statique. En présumant l’existence des voies de recours

internes, on présume tout simplement que les Etats ont respecté leurs obligations découlant de

l’article 13 de la Convention.

Ainsi, à travers la présomption-concept d’existence des voies de recours internes le droit

de la CEDH offre un exemple de présomption régulatrice procédant du besoin de sécurité

statique décrit par DEMOGUE. Le mécanisme à l’œuvre dans cette présomption est d’autant

plus remarquable qu’il n’est pas isolé. En effet, il n’y a pas qu’en droit de la CEDH que

Vernillo c/ France, req. n° 11889/85, § 27 ; CEDH, 18 décembre 1986, Johnston et autres c/ Irlande, req. n° 9697/82, § 45, AFDI, 1987, 239, obs. V. COUSSIERAT-COUSTERE ; CEDH, 10 mars 2009, Temel Conta Sanayi Ve Ticaret A.Ş, req. n° 45651/04, § 31 ; CEDH, 10 mars 2009, Şatir c/ Turquie, req. n° 36192/03, § 25 ; CEDH, 10 mars 2009, Nural Vural c/ Turquie, req. n° 16009/04, § 24 ; CEDH, 10 mars 2009, Rimer et autres c/ Turquie, req. n° 18257/04, § 28 ; CEDH, Zietal c/ Pologne, 12 mai 2009, req. n° 64972/01, § 63 ; CEDH, 22 septembre 2009, Stochlak c/ Pologne, req. n° 38273/02, § 50 ; CEDH, 22 septembre 2009, Ali Tas c/ Turquie, req. n° 10250/02, § 29.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

290

certaines dispositions normatives ont une influence sur les dispositions suivantes. Ce

phénomène existe aussi en droit interne, par exemple en droit civil en matière de mariage.

Selon l’article 212 du Code civil, « les époux se doivent mutuellement (…) fidélité (…) ». Or,

à bien y regarder, l’article 312, qui fait du mari le père de « l'enfant conçu ou né pendant le

mariage », repose directement sur une présomption-concept de respect du devoir de fidélité

de l’article 212. On avait d’ailleurs précédemment constaté que la présomption de paternité

repose sur une présomption-concept d’exclusivité des rapports sexuels entre les époux. En

définitive, ce type de présomption-concept assure la continuité logique d’un ensemble de

dispositions normatives, voilà pourquoi on peut le rattacher à la sécurité statique et considérer

son rôle comme indispensable.

2- La présomption régulatrice d’équivalence de la protection des droits

fondamentaux par le droit de l’Union européenne et par le droit de la

CEDH

Autre exemple des liens entre le rôle régulateur des présomptions et le besoin de sécurité

statique, la présomption d’équivalence entre la protection communautaire des droits

fondamentaux et leur protection conventionnelle. Quelques rappels concernant cette

présomption paraissent nécessaires avant d’envisager plus précisément sa fonction.

On associe en priorité cette présomption à l’arrêt Bosphorus Air lines du 30 juin 2005987.

Dans cette affaire, était en cause la saisie par les autorités irlandaises en 1993 d’un aéronef

que la compagnie aérienne turque Bosphorus Airlines avait loué à la compagnie yougoslave

JAT. La saisie intervint en application du règlement communautaire 990/93 mettant en œuvre

les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU soumettant la République fédérale de

Yougoslavie à un embargo. Or, la compagnie aérienne estimait que cette saisie avait porté

atteinte à son droit au respect des biens garanti par l’article 1 du Protocole 1 de la Convention.

L’enjeu était donc la compatibilité avec la Convention d’une mesure prise par un Etat membre

de l’Union européenne en application de ses obligations communautaires. C’est dans ce

contexte que la Cour de Strasbourg introduit la présomption d’équivalence entre protection

des droits fondamentaux par le droit de l’Union européenne et par le droit de la CEDH.

987 CEDH, 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yollari Turizm Ve Ticaret Anonim Şirketi c/ Irlande, req. n° 45036/98. V. notamment Florence BENOIT-ROHMER, « A propos de l’arrêt Bosphorus Air Lines du 30 juin 2005 : l’adhésion contrainte de l’union à la Convention », RTDH, 2005, pp. 827 sq. ; obs. SUDRE Frédéric, JCP G, 2005, II, 10128, pp. 1762 sq.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

291

En réalité, son raisonnement se fonde en l’espèce sur deux présomptions si étroitement

imbriquées qu’elles sont presque indissociables. La première est la fameuse présomption

d’équivalence ; la seconde est une présomption de respect de la Convention. La Cour présume

d’abord que le système de protection des droits fondamentaux est équivalent à celui de la

CEDH pour présumer ensuite que l’Etat membre, lequel a seulement rempli les obligations

juridiques lui incombant du fait de son appartenance à l’Union européenne, a respecté la

CEDH. Deux phénomènes révèlent ce dédoublement présomptif.

D’une part, l’arrêt lui-même ne permet pas de déterminer clairement sur quoi porte la

présomption. La Cour commence par rappeler, au titre de la démarche générale à adopter, que

« si l'on considère que l'organisation offre semblable protection équivalente, il y a lieu de

présumer qu'un Etat respecte les exigences de la Convention lorsqu'il ne fait qu'exécuter des

obligations juridiques résultant de son adhésion à l'organisation »988. La présomption de

respect de la Convention semble donc prédominer. Mais, plus loin, à la question

« l'observation de la Convention pouvait-elle être présumée à l'époque des faits ? », la Cour

répond en dressant un catalogue des éléments de la protection communautaire des droits

fondamentaux989 , puis en soulignant que, d’après ce catalogue, la protection était

équivalente990 et, enfin, qu’on peut par conséquent présumer que l’Irlande ne s’est pas écartée

de ses obligations résultant de la Convention991. On a donc l’impression que la méthode

permettant d’établir l’équivalence dans la protection n’est rien d’autre qu’une présomption-

preuve. A partir de plusieurs faits connus telle la reconnaissance par la CJCE du fait que les

droits fondamentaux font partie des principes généraux du droit de l’Union européenne992, la

Cour de Strasbourg infère un fait inconnu : l’équivalence de la protection des droits

fondamentaux par l’Union européenne et le droit de la CEDH. Intervient alors une seconde

présomption, celle du respect par l’Irlande des obligations lui incombant au titre de la

Convention lorsqu’elle a mis en œuvre celles qui résultaient de son appartenance à la

Communauté européenne.

988 CEDH, 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yollari Turizm Ve Ticaret Anonim Şirketi c/ Irlande, req. n° 45036/98, § 156. 989 Ibid., §§ 159 à 164. 990Ibid., § 165 : « Dans ces conditions, la Cour estime pouvoir considérer que la protection des droits fondamentaux offerte par le droit communautaire est, et était à l'époque des faits, « équivalente » (…) à celle assurée par le mécanisme de la Convention ». 991 Ibid., § 165 : « Par conséquent, on peut présumer que l'Irlande ne s'est pas écartée des obligations qui lui incombaient au titre de la Convention lorsqu'elle a mis en œuvre celles qui résultaient de son appartenance à la Communauté européenne ». 992 Ibid., § 159.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

292

D’autre part, la doctrine elle-même évoque tantôt l’une, tantôt l’autre présomption. Si les

Professeurs SUDRE et FLAUSS mettent en avant la présomption de compatibilité à la

Convention du droit de l’Union européenne993 parfois dénommée « présomption de

conventionalité »994, le Juge COSTA insiste plutôt sur la « présomption d’équivalence »995.

Pour sa part, le Professeur BENOIT-ROHMER évoque les deux présomptions. Cet auteur

souligne en effet l’existence d’un « système de présomption »996 qui comprendrait non

seulement « la présomption d’équivalence de protection des droits de l’Homme par le droit

communautaire »997 mais encore la « présomption de conformité » correspondant au fait que

« le respect de la Convention est présumé dès lors que l’Etat se limite à l’exécution, sans

aucune marge d’appréciation, d’obligations résultant de sa participation à

l’organisation »998. Dans la même optique, on remarque dans l’opinion concordante commune

aux Juges ROSAKIS, TULKENS, TRAJA, BOTOUCHAROVA, ZAGREBELSKY et

GARLICKI le constat suivant : « en l’espèce, l’arrêt adopte une démarche générale fondée

sur la figure de la présomption »999.

Cela étant, on note que l’œuvre présomptive de l’arrêt Bosphorus n’est pas totalement

novatrice ni isolée. En réalité, l’arrêt Solange II de la Cour constitutionnelle allemande du 22

octobre 1986 l’a nettement inspirée1000 . Cet arrêt instaurait déjà une présomption

d’équivalence entre la protection des droits fondamentaux par le droit communautaire et celle

de la loi fondamentale allemande. Dans le même ordre d’idées, la décision sur la recevabilité

Behrami et Behrami contre France et Saramati contre France, Allemagne et Norvège1001 a

ensuite rappelé voire étendu le champ d’application du système présomptif dégagé dans

l’arrêt Bosphorus. L’affaire Behrami concernait l’inexécution d’un déminage par la

993 Jean-François FLAUSS, « La présomption de compatibilité du droit communautaire à la Convention européenne des droits de l’Homme », RJC, 2005, n°6, pp. 487 sq., p. 1763. 994 Frédéric SUDRE, obs. préc., p. 1764. 995 Jean-Paul COSTA, « La responsabilité de l’Etat au regard de la Convention européenne des droits de l’Homme à raison d’actes accomplis en vertu de ses obligations internationales », La France et la Cour européenne des droits de l’Homme, la jurisprudence en 2005, Paul TAVERNIER (dir.), Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 35 sq., spéc. p.40. 996 Florence BENOIT-ROHMER, loc. cit., p. 845. 997 Ibid., p. 843. 998 Ibid., p. 845. 999 Opinion concordante commune aux Juges ROSAKIS, TULKENS, TRAJA, BOTOUCHAROVA, ZAGREBELSKY et GARLICKI annexée à l’arrêt Bosphorus. 1000 D’ailleurs, dans la décision d’irrecevabilité Melchers and Co contre Allemagne, précurseur direct de l’arrêt Bosphorus, la Commission s’inspirait .déjà de cet arrêt. Com. EDH, 9 février 1990, Melchers and Co. c/ Allemagne, req. n° 13258/87. V. notamment Antonio BULTRINI, « La responsabilité des Etats membres de l’Union européenne pour les violations de la Convention européenne des droits de l’Homme imputables au système communautaire », RTDH, 2002, pp. 5 sq. 1001 CEDH, Grde ch., déc., 2 mai 2007, Behrami et Behrami c/ la France, req. n° 71412/01, Saramati c/ France, Allemagne et Norvège, req. n° 78166/01.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

293

MINUK 1002. Dans l’affaire Saramati était en cause la détention extrajudiciaire du requérant

par la KFOR1003. La Cour commence par rechercher si l’inaction de la MINUK et l’action de

la KFOR étaient imputables à l’ONU. L’ayant admis, elle se prononce sur sa compétence

ratione personae. En définitive, elle s’estime incompétente ; selon elle, « les actions et

omissions litigieuses de la KFOR et de la MINUK ne sauraient être imputées aux Etats

défendeurs (…) », mais « sont donc directement imputables à l'ONU en tant qu'organisation à

vocation universelle remplissant un objectif impératif de sécurité collective ». Toutefois, au

cours de son raisonnement, préalablement à sa déclaration d’incompétence, la Cour évoque le

mécanisme présomptif à l’œuvre dans l’arrêt Bosphorus1004. Certes elle ne l’applique pas en

l’espèce du fait de son incompétence. Néanmoins, elle admet, plus ou moins explicitement,

que la présomption d’équivalence et la présomption de respect de la convention qui en

découle sont applicables à d’autres organisations internationales que la Communauté

européenne. Cette extension en puissance desdites présomptions n’a rien d’étonnant : déjà,

dans l’arrêt Bosphorus, la Cour s’était exprimée en termes généraux en évoquant une

organisation internationale indéfinie. Elle recommence dans les affaires Behrami et Saramati

en énonçant : « lorsque l'acte d'un Etat se justifiait par le respect des obligations découlant

pour celui-ci de son appartenance à une organisation internationale et que l'organisation en

question1005 accordait aux droits fondamentaux une protection à tout le moins équivalente à

celle assurée par la Convention, il y avait lieu de présumer que les exigences de la

Convention étaient respectées par l'Etat »1006.

Le mécanisme présomptif ainsi créé a fait couler beaucoup d’encre et les critiques à son

égard sont récurrentes1007. Grosso modo, on reproche à ce mécanisme son caractère artificiel –

mais n’est-ce pas le propre de toute présomption ? – et sa quasi irréfragabilité. L’arrêt

Bosphorus prévoit que le renversement de la présomption de respect de la Convention est

possible « si l’on estime que la protection des droits garantis par la Convention était

entachée d’une insuffisance manifeste ». Or, la notion d’ « insuffisance manifeste » demeure

floue1008. Le renversement de la présomption risque donc de ne jouer que « de manière

1002 La MINUK est la mission d’administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo. 1003 La KFOR est la force d'intervention de l'ONU au Kosovo 1004 Les requérants alléguaient en effet l’absence d’une telle protection équivalence au sens donné à cette expression par la Cour dans l’arrêt Bosphorus. V. § 150. 1005 C’est nous qui soulignons. 1006 § 145. 1007 V. notamment les réserves émises par sept juges européens dans deux opinions concordantes. 1008 Eric DESMONS, « Sur l’argument de l’évidence en droit public », La preuve, Catherine PUIGELIER (dir.), Economica, paris, 2004, pp. 179 sq., spéc. p. 180. On peut établir un parallèle entre la notion d’ « insuffisance

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

294

résiduelle »1009. Pour certains, la possibilité d’un tel renversement relèverait même « de la

clause de style »1010.

Certes, le mécanisme présomptif concerné n’est pas exempt de défauts. On peut même en

ajouter un à la liste de ceux traditionnellement dénoncés. Tout porte en effet à croire que la

présomption d’équivalence, à l’origine probatoire, risque de se transformer en une

présomption-postulat1011. Si la Cour précise que le constat de protection équivalente « ne

saurait être définitif », elle ajoute qu’ « il doit pouvoir être réexaminé à la lumière de tout

changement pertinent dans la protection des droits fondamentaux »1012. Or, l’emploi du verbe

« pouvoir » implique qu’il s’agit d’une simple faculté, dont on peut se demander dans quelle

mesure elle ne recoupe pas le concept d’insuffisance manifeste pouvant renverser la

présomption. Dès lors, on peut en conclure avec le Professeur FLAUSS que « l’existence

d’une « protection équivalente » n’a pas à être démontrée chaque fois que la conventionalité

des actes d’une organisation internationale est, via des mesures nationales d’application,

mise en cause sur le terrain de la CEDH. Le label de « protection équivalente », une fois

décerné, crée une présomption au profit de l’organisation bénéficiaire » 1013. Combiné à la

quasi irréfragabilité de la présomption, pareil phénomène ne fera qu’accentuer l’artificialité

du contrôle par la Cour du respect de la Convention par les Etats lorsqu’ils auront rempli leurs

obligations découlant de leur appartenance à la Communauté européenne. Dans cette optique,

le Professeur SUDRE soutient même que la présomption d’équivalence « confère[rait] une

immunité au système communautaire » en limitant le contrôle de la Cour « à un simple

manifeste » mentionnée par l’arrêt Bosphorus et les constats émis par Eric DESMONS à propos de la notion d’erreur manifeste d’appréciation dans la jurisprudence du Conseil d’Etat : « la mobilisation de la rhétorique de l’évidence pourrait se confondre avec un certain art d’écrire du juge, ou, si l’on veut, avec une certaine stratégie de la dissimulation visant à garantir sa légitimité : le topos de l’évidence - et de l’interprétation comme simple acte de connaissance qui est censé en donner raison - masquerait sous couvert d’objectivité la réalité d’une interprétation volontariste du droit, que le juge aurait intérêt à occulter pour échapper à l’accusation d’être un juge qui gouverne. Or, en s’autorisant de l’évidence, le juge s’efface derrière une prétendue vérité du droit qui le dispense par ailleurs de se justifier (ce qui est manifeste n’a pas besoin d’être prouvé, mais seulement d’être rappelé comme une vérité incontestable, sans autre forme de procès que celle de l’imperatoria brevitas) ». 1009 Jean-François FLAUSS, loc. cit. p. 292, p. 489. 1010 SUDRE Frédéric, obs. préc., p. 1764. 1011 Contra Jean-Paul COSTA, loc. cit., p. 40. Selon le Juge COSTA, la présomption d’équivalence « n’est ni irréfragable ni donnée abstraitement et une fois pour toute », il ne s’agirait donc nullement d’ « un blanc-seing ou [d’] un postulat ». 1012 CEDH, Grde Ch., 30 juin 2005, Bosphorus Hava Yollaris turizm ve ticaret sirketi c/ Irlande (Bosphorus Air lines), req. n° 45036/98, § 155. 1013 Jean-François FLAUSS, loc. cit. p. 192, p. 488 ; Frédéric SUDRE, obs. préc., p. 1764 : « le système communautaire se voit accorder (…) un « brevet de conventionalité », qui (…) nous semble valoir pour l’avenir ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

295

contrôle sur la légalité de la mesure, c’est-à-dire sur l’existence et la « qualité » de la base

légale communautaire »1014.

Néanmoins, si la figure présomptive - malgré ses imperfections et les risques qu’elle

présente - a été choisie par la Cour de Strasbourg pour faire valoir l’équivalence de la

protection des droits fondamentaux par le droit de l’Union européenne et par le droit de la

CEDH, c’est qu’elle présente un intérêt. En vérité, l’équivalence ne pourrait être admise sans

le recours à la présomption. L’analyse in concreto préconisée par les Juges ROSAKIS,

TULKENS, TRAJA, BOTOUCHAROVA, ZAGREBELSKY et GARLICKI1015 risquerait de

mettre en évidence les divergences entre droit de l’Union européenne et droit de la CEDH, tel

l’accès restreint des particuliers aux juridictions communautaires, nullement comparable au

droit de recours individuel de l’article 34 de la CEDH. Seule la présomption – approximative,

flexible et artificieuse - permet de passer outre les lacunes du système communautaire. A cet

égard, les Juges constatent que « sur le plan procédural, l’arrêt minimise ou néglige certains

éléments qui marquent une réelle différence et ne permettent pas raisonnablement de

conclure, dans tous les cas, à une protection équivalente ». Par ailleurs, la présomption est la

technique la plus appropriée pour admettre l’équivalence car elle permet non seulement une

analyse souple de l’équivalence, mais encore une absence de paralysie définitive du contrôle

de la Cour sur les mesures nationales d’application du droit de l’Union européenne. En

d’autres termes, la présomption protège le pouvoir de la Cour : elle n’équivaut pas à un blanc-

seing et permet au contraire à la Cour de reprendre son contrôle si elle le souhaite, si

l’insuffisance est manifeste1016. Il s’agit donc d’un système de compromis et de prudence :

dans la plupart des cas, la Cour n’approfondira guère son contrôle ; elle n’en reste pas moins

vigilante, se réservant la possibilité de reprendre son contrôle si la protection communautaire

des droits fondamentaux n’est pas satisfaisante. Ainsi pressent-on que la présomption

d’équivalence est une technique régulatrice au service de la sécurité statique.

Tout d’abord l’activité régulatrice de la présomption d’équivalence est liée à la volonté

d’harmoniser la protection des droits fondamentaux en instaurant une équivalence entre les

différents niveaux de cette protection. Ce phénomène était déjà visible dans l’arrêt Solange II,

1014 Frédéric SUDRE, obs. préc., p. 1764. 1015 Opinion concordante commune aux Juges ROSAKIS, TULKENS, TRAJA, BOTOUCHAROVA, ZAGREBELSKY et GARLICKI annexée à l’arrêt Bosphorus. 1016 Florence BENOIT-ROHMER, loc. cit., p. 846. Selon cet auteur, « A dire vrai, la présomption permet à la Cour de reprendre l’exercice de son contrôle dès qu’elle jugera dans une affaire donnée que la protection accordée par le droit communautaire n’est pas satisfaisante. Le système retenu est apparemment libéral car il laisse entendre que la protection communautaire est équivalente. En réalité, il préserve le pouvoir de la Cour ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

296

lequel posait le problème de l’agencement des relations entre les acteurs de la protection des

droits fondamentaux et y répondait en instaurant une présomption de compatibilité entre la

protection des droits fondamentaux offerte par le droit communautaire et celle exigée par la

Loi Fondamentale1017.

Ensuite, plus largement, l’activité régulatrice de la présomption d’équivalence se traduit

par la recherche d’un équilibre entre les exigences de protection des droits fondamentaux et

celles de la coopération internationale. D’une part, on note, avec le Juge RESS, qu’en

l’espèce, le véritable enjeu était celui de la relation entre les différentes sources du droit

international public1018. D’autre part, la Cour elle-même précise explicitement que l’intérêt de

la coopération internationale était en cause. A cet égard, on peut voir dans la présomption

d’équivalence à la fois une volonté de ne pas paralyser le fonctionnement de l’intégration

européenne et « une incitation directe à l’adhésion de l’Union à la Convention »1019. Dans cet

ordre d’idées, le Professeur SUDRE observe que « l’arrêt Bosphorus Airways, du 30 juin

2005, rendu en grande Chambre par la Cour EDH est sans conteste un arrêt de principe, en

ce qu’il régule1020, dans l’attente de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention, les

rapports du droit communautaire et de la Convention EDH »1021.

Enfin, l’activité régulatrice de la présomption d’équivalence est indéniablement liée à la

sécurité statique puisque cette présomption débouche, on le sait, sur une présomption de

respect de la Convention. Cette présomption qui permet de faire prévaloir par commodité à

titre de statu quo le respect de la CEDH ne serait qu’une déclinaison parmi d’autres de la

présomption générale de respect du droit découlant de la sécurité statique.

Ainsi, contre toute attente, est-ce grâce à un droit récent - le droit européen des droits de

l’Homme – qu’un concept ancien – la sécurité statique - est revivifié. Le droit européen des

droits de l’Homme abonde effectivement en présomptions qui consistent à rechercher un

équilibre en favorisant le statu quo, c’est-à-dire en admettant la conformité de l’état de fait à

l’état de droit. Il clarifie également leur activité régulatrice.

1017 Johan CALLEWAERT, « Les droits fondamentaux entre cours nationales et européennes », RTDH, 2001, p. 1183 sq., spéc. p. 1189. 1018 Opinion concordante de M. le Juge RESS. 1019 Florence BENOIT-ROHMER, loc. cit., p. 853. 1020 C’est nous qui soulignons. 1021 Frédéric SUDRE, obs. préc., p. 1762.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

297

§ 2- La clarification de l’activité régulatrice des présomptions au

service de la sécurité statique

En tant qu’outil régulateur au service de la sécurité statique, le mécanisme présomptif peut

être décrit comme une sorte de logique simplificatrice (A-), comme une source d’harmonie

artificielle (B-) et enfin comme une forme de cohésion ciblée (C-).

A- La régulation comme logique simplificatrice

Dans sa recherche d’un équilibre grâce au maintien d’un statu quo, le mécanisme

présomptif se veut simplificateur. Comment la distance entre l’état de fait et l’état de droit

pourrait-elle se dissiper à ce point qu’on présume la conformité de l’un à l’autre sans recourir

à une forme de simplification? De même, comment présumer le respect du droit sans une

action simplificatrice? L’inclusion de la régulation présomptive dans une logique

simplificatrice, justifiée par plusieurs arguments théoriques, se vérifie en pratique.

D’un point de vue théorique, les liens entre l’activité régulatrice des présomptions et la

notion de simplification se manifestent d’un côté par une corrélation entre régulation et

simplification, d’un autre côté par des affinités entre présomption et simplification.

Les termes de la corrélation entre régulation et simplification sont simples. La régulation

consiste, on le sait, à rechercher un équilibre. Or, la simplification correspond précisément à

l’« action d'enlever de la complexité, de réduire les difficultés en donnant plus de cohérence à

un ensemble »1022. Ainsi la régulation peut-elle passer par une simplification, tandis que celle-

ci peut générer celle-là.

Les affinités entre présomption et simplification sont, quant à elles, patentes. Là où la

présomption surmonte le doute, là où elle dépasse la marge d’incertitude du probable pour

devenir un outil cognitif transcendant, la simplification, c’est-à-dire l’« action de ne prendre

en compte que des éléments essentiels »1023 est bien à l’œuvre ainsi que son inéluctable

contrepartie : la perte d’exactitude de l’explication concernée. Bref, dans les deux cas, on

gagne en cohérence ce qu’on perd en complexité et en exactitude. La doctrine en convient

d’ailleurs. Ainsi, les présomptions sont parfois considérées comme « un procédé de

1022 Définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/simplification], (2010-01-01). 1023 Ibid..

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

298

raisonnement qui opère une réduction simplificatrice des faits » 1024 ou comme un

« phénomène de réduction de la complexité des faits de la vie »1025 ou encore comme « de

l’approximatif »1026. La figure présomptive fait alors figure d’archétype de l’activité juridique

tout entière, le droit, en tant que régulateur social, reposant sur une forme de simplification1027.

Comme l’explique Bernard CHENOT « en face de cette réalité mouvante et confuse, le juriste

(…) simplifie, extrapole, généralise. Il fausse la réalité mais il la rend compréhensible. Il

introduit l’ordre de son esprit, l’ordre logique, dans le chaos du drame social »1028. Ainsi

qu’Hector le dit à Busiris dans La Guerre de Troie n’aura pas lieu de GIRAUDOUX1029 « le

droit est la plus puissante des écoles de l’imagination. Jamais poète n’a interprété la nature

aussi librement qu’un juriste ».

D’un point de vue pratique, l’aspect simplificateur, voire réducteur, des présomptions

régulatrices est encore plus net. La présomption-concept d’existence des voies de recours

internes est singulièrement schématique : elle conduit à une représentation mécanique du

processus judiciaire à l’œuvre dans les Etats contractants. Il en va de même de la

présomption-concept française de respect du devoir de fidélité : elle offre bien une vision

schématique des rapports entre époux. Cette logique simplificatrice atteint parfois une

ampleur considérable. Elle peut ressembler à une sorte de dénaturation du réel ou encore à

une résorption de sa complexité, la présomption avoisinant alors la fiction. C’est le cas de la

présomption d’équivalence entre la protection des droits fondamentaux par le droit de l’Union

européenne et le droit de la CEDH qui apparaît abstraite et superficielle et schématise à

l’extrême le mécanisme de protection communautaire. Mieux encore, la formulation positive

inhabituelle de l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » de l’arrêt Emonet et autres contre

Suisse1030 apporte un éclairage nouveau aux perspectives simplificatrices des présomptions

régulatrices. En l’espèce, les requérants, à savoir Monsieur Emonet, sa concubine et la fille de

1024 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 153. 1025 Ibid., p. 155. 1026 Pierre LOUIS-LUCAS, loc. cit., p. 587. 1027 Pierre GODE, « la réalisation du droit un no man’s land », RRJ, 1983-3, pp. 523 sq., spéc. p. 528. L’auteur rappelle que, « conceptualisé le fait social est réduit. Ma réalité juridique n’est qu’une partie de la réalité brute ». 1028 Bernard CHENOT, « L’existentialisme et le droit », RFSP, 1953, p. 57 sq., spéc. p. 67 – François GENY, op. cit., p. 267 : selon cet auteur, la présomption « tend (…) à se confondre avec cette réduction simplificatrice des éléments substantiels du droit, où nous avons vu comme le prototype indéterminé des opérations intellectuelles de la techniques juridique fondamentale ». 1029 Jean GIRAUDOUX, La Guerre de Troie n’aura pas lieu, Grasset 1935, p. 111. 1030 CEDH, 13 décembre 2007, Emonet et autres c/ Suisse, req. n° 39051/03 ; Jean HAUSER, « Le droit à l’enfant, un droit de la personnalité », RTD civ, 2008, pp. 272 sq. ; Jean-Pierre MARGUENAUD, « L’adoption de l’enfant de la concubine », RTD civ, 2008, pp. 255 sq. ; SUDRE Frédéric, JCP G, 2008, I, 110.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

299

cette dernière, se plaignaient, sur le fondement de l’article 8 de la Convention, du fait que

l’adoption par Monsieur Emonet de la fille de sa concubine avait rompu le lien de filiation

maternelle, alors que le but de l’adoption était simplement de consacrer les liens familiaux

existant de facto entre ces trois personnes et non d’en supprimer un au profit d’un autre. Les

requérants alléguaient notamment « ne pas avoir été informés en temps utile des conséquences

découlant de leur demande d’adoption »1031. C’est à cette occasion que la Cour a précisé que

« toute personne, qu’elle soit représentée par un avocat ou non, est censée connaître la

loi » 1032 . Or, si la doctrine a l’habitude d’évoquer sans ambages la présomption de

connaissance de la loi1033, la jurisprudence se contente en général de reprendre la tournure

négative classique. Comme le souligne le Professeur MARGUENAUD, « cette actualisation

de l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » - qui ne signifie peut-être pas exactement « toute

personne est censée connaître la loi » - montre que chaque phrase d’un arrêt de la Cour de

Strasbourg peut réserver une surprise »1034. En formulant positivement cette présomption que

DEMOGUE tenait pour une application directe du principe de sécurité statique1035, la Cour

met fin à la litote originelle qui permettait d’adoucir la signification de la présomption. Faut-il

voir dans cette reformulation prosaïque un dédain pour la langue de Corneille1036 ? Plus

juridiquement, mettre fin à la litote permet, d’une part, de révéler la puissance simplificatrice

de l’adage, d’autre part, de lever le voile hypocrite couvrant sa force régulatrice. Toutefois, il

est curieux de constater que la Cour se livre à cet exercice linguistique, non pour asseoir

l’application de l’adage, mais au contraire pour en affaiblir la portée. Après l’avoir énoncé

positivement et alors même qu’elle constate la clarté de la législation suisse sur l’adoption et

le fait que les requérants étaient assistés d’un avocat devant les instances internes, la Cour

conclut qu’« on ne saurait leur reprocher d’avoir ignoré (…) l’ampleur des conséquences

découlant de leur demande d’adoption, qui a entraîné la rupture du lien de filiation entre les

deux requérantes »1037. Est-ce à dire que la présomption de connaissance de la loi compterait

pour rien ? C’est l’impression qui se dégage de l’arrêt, d’autant plus que l’ignorance des

1031 CEDH, 13 décembre 2007, Emonet et autres c/ Suisse, req. n° 39051/03, § 85. 1032 Ibid., § 85. 1033 Pascale DEUMIER, loc. cit. ; Charles HUBERLANT, loc. cit..V. aussi CEDH, 10 novembre 2004, Achour c/ France, req. n° 67335/01, opinion dissidente de M. le Juge COSTA à laquelle se rallient MM. les Juges ROZAKIS et BONELLO. Le Juge COSTA évoque le fait que le délinquant « connaît ou doit connaître la loi nouvelle ». 1034 Jean-Pierre MARGUENAUD, loc. cit.. 1035 V. supra : la validation européenne de la thèse de DEMOGUE. 1036 CORNEILLE, Le Cid. V. la célèbre litote de Chimène s’adressant à Rodrigue : « Va, je ne te hais point ». 1037 CEDH, 13 décembre 2007, Emonet et autres c/ Suisse, req. n° 39051/03, § 85.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

300

requérants pourrait, en l’espèce, passer pour volontaire1038 compte tenu de la clarté de la loi

qui évoque comme seule exception à la rupture des liens de filiation antérieurs l’adoption de

l’enfant du conjoint et non du concubin1039. Sans doute l’arrêt Emonet dénonce-t-il,

implicitement, la simplification extrême à l’œuvre dans la présomption de connaissance de la

loi.

La déférence de la Cour à l’égard des présomptions régulatrices au service de la sécurité

statique n’est donc pas totale. Si elle en use parfois pour parvenir à ses fins elle n’hésite pas à

les remettre en cause à d’autres occasions, méprisant le fait qu’elles sont source d’harmonie

artificielle.

B- La régulation comme source d’harmonie artificielle

La sécurité statique, ce maintien commode d’un statu quo, s’apparente à une forme

d’harmonie artificielle, c’est-à-dire à un « rapport d'adéquation »1040 entre divers éléments,

rapport établi sans tenir compte « des caractères naturels, des faits réels, rationnels »1041. Or,

cette caractéristique concrétise les liens entre statisme et régulation. Les présomptions

régulatrices créent en effet artificiellement une relation de convenance entre deux éléments.

Par exemple, la présomption d’équivalence de l’arrêt Bosphorus instaure une relation

d’adéquation entre la protection des droits fondamentaux par le droit de l’Union européenne

et la protection desdits droits par le droit de la CEDH, sans tenir compte de la stricte réalité de

cette protection. De même, la présomption d’existence des voies de recours internes met en

place, sans tenir compte des faits réels, un rapport d’adéquation entre les faits (l’existence de

voies de recours internes) et le droit (l’exigence découlant de l’article 13 que de telles voies

de recours existent). Voilà pourquoi les présomptions régulatrices sont souvent au service de

la sécurité statique.

1038 Compte tenu de la clarté de la loi suisse qui indique, à l’article 267 alinéa 2 du Code civil, qu’en cas d’adoption « les liens de filiation antérieurs sont rompus, sauf à l’égard du conjoint de l’adoptant », il est permis de penser que la Cour, lorsqu’elle précise qu’on ne peut reprocher aux requérants d’avoir ignoré l’ampleur des conséquences de l’adoption, emploie le verbe ignorer dans le sens suivant : « ne pas vouloir connaître, feindre de ne pas connaître », [http://www.cnrtl.fr/definition/ignorer], (2008-01-06). 1039 Jean-Pierre MARGUENAUD, loc. cit..Cependant, comme le précise le Professeur MARGUENAUD, « il faut alors avoir des qualités de pédagogue très nettement au-dessus de la moyenne pour arriver à faire comprendre à l’adopté que le compagnon de sa mère qui n’était pas son père est désormais son père tandis que sa mère, qui avait toujours été sa mère, ne l’est plus à jamais ». 1040 Définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/harmonie], (2010-06-03). 1041 Définition du Petit Robert.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

301

A cet égard, on peut penser que les présomptions régulatrices liées à la sécurité statique

revêtent ce que les Professeurs DABIN1042 et GROSSEN1043 appelaient « un rôle

d’explication “logique” purement constructif » par opposition au rôle « d’explication

“réelle” » qu’auraient certaines présomptions plus factuelles et plus proches de la probabilité

mathématique. Ils citent d’ailleurs à titre d’exemple la présomption régulatrice de

connaissance de la loi, laquelle serait fondée sur une présomption uniquement « du point de

vue logique, pour les besoins du système »1044.

L’harmonie artificielle ainsi créée est parfois mise au service d’une cohésion ciblée.

C- La régulation comme cohésion ciblée : de la cohésion du système à

la coordination des ordres

Cohésion du système, coordination des ordres : voilà deux expressions, sémantiquement

proches, dont l’emploi concomitant s’avère délicat. La différence entre ordre et système et,

plus largement, les difficultés liées à leurs définitions respectives ont abondamment alimenté

la littérature juridique1045. L’impression est souvent celle d’un sens concurrent, le mot

système étant d’ailleurs parfois employé pour définir le terme ordre1046. Cependant, si ces

vocables font tous deux référence à un mode d’organisation, le système est une notion

relativement floue et large, dont l’ampleur demeure variable, et qui correspond à une forme

d’organisation spontanée1047 , tandis que l’ordre juridique serait plutôt une forme

d’organisation rigoureuse et précise, c’est-à-dire « l’ensemble des règles de droit en vigueur à

un moment donné dans une société donnée »1048. De ce fait et compte tenu de la conception

extrêmement large du système pour laquelle on a précédemment opté, ne pourrait-on voir

dans l’ordre juridique un sous-ensemble, plus hiérarchisé, plus organisé du système ? La

vision systémique du droit choisie en l’occurrence pour des raisons pratiques - il s’agit

1042 Jean DABIN, op. cit. p. 39, p. 266. 1043 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p.23. 1044 Ibid., p. 23. 1045 Paul AMSELEK (dir.), Archives de philosophie du droit, T. 31 : Le système juridique, Paris, Sirey, 1986 ; Jacques CHEVALLIER, « L’ordre juridique », dans Jacques CHEVALLIER et al., Le droit en procès, Paris, PUF, 1983 ; Charles LEBEN, « Ordre juridique », dans Denis ALLAND et Stéphnane RIALS (dir.), op. cit. p. 23, pp. 1113 sq. ; Michel VAN DE KERCHOVE et François OST, Le système juridique entre ordre et désordre, Paris, PUF, Les voies du droit, 1988 ; Roberto J.VERNENGO, loc. cit.. 1046 Charles LEBEN, loc. cit., p. 1113 : « On appelle ordre juridique l’ensemble, structuré en système, de tous les éléments entrant dans la constitution d’un droit régissant l’existence et le fonctionnement d’une communauté humaine ». 1047 Michel VAN DE KERCHOVE et François OST, op. cit.. 1048 Dictionnaire de la terminologie du droit international, Paris, Sirey, 1960.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

302

d’analyser de manière transversale le rôle des présomptions grâce au potentiel comparatiste

du droit de la CEDH - ne semble pas incompatible avec l’existence de divers ordres juridiques

au sein de ce système. En outre, le constat du Professeur J. CHEVALLIER selon lequel,

« l’ordre juridique se trouve (…) absorbé dans un concept plus large de système

juridique »1049 accrédite ce point de vue. Quoi qu’il en soit, c’est seulement en l’adoptant

qu’on pourra soutenir la thèse selon laquelle certaines présomptions au service de la sécurité

statique, en favorisant la coordination des ordres juridiques, contribuent à la cohésion du

système.

Certes, lorsqu’on envisage la présomption en tant que technique de réalisation du droit

ainsi qu’on a pu le faire, sa fonction de cohésion s’inscrit dans une logique systémique pure

car théorique et globale : la présomption, à la fois mode de connaissance et mode de

raisonnement, est un facteur de cohésion fondamental. En revanche, lorsqu’on envisage la

présomption en tant que technique de régulation, sa fonction de cohésion paraît plus ciblée.

Est alors en jeu une potentialisation ponctuelle de la cohésion concernant un élément précis

du système. Par exemple, la présomption régulatrice d’existence des voies de recours interne

assure la cohésion entre deux dispositions précises de la Convention, l’article 13 et l’article 35

§ 1. Mais cette cohésion ponctuelle participe bien à la cohésion globale du système.

Par ailleurs, cet effort de cohésion présomptif ciblé peut se traduire par une volonté de

favoriser la coordination entre divers ordres juridiques. Parangon de ce phénomène, la

présomption d’équivalence de l’arrêt Bosphorus tend à coordonner deux ordres juridiques -

l’ordre communautaire et l’ordre juridique créé par la CEDH1050 - quant à la protection des

droits fondamentaux. Il s’agit d’éviter les conflits entre ces deux ordres juridiques. Peut-être

même la présomption d’équivalence participe-t-elle à la construction d’un ordre européen des

droits de l’Homme qui engloberait à la fois droit de l’Union européenne et droit de la

CEDH1051.

1049 Jacques CHEVALLIER, loc. cit., p. 9. 1050 Nous admettons ici à titre de postulat que la CEDH a créé un ordre juridique. Cependant cette question est débattue. Certains estiment qu’il existe un ordre juridique du Conseil de l’Europe en s’appuyant sur la formule de l’arrêt Loizidou (CEDH, 23 mars 1995, Loizidou c/ Turquie, req. n° 15318/89, § 75) selon laquelle la Convention serait un « instrument constitutionnel de l’ordre public européen » (Alexander KISS, « La CEDH a-t-elle créé un ordre juridique autonome ? », Mélanges en hommage à Louis Edmond PETTITI, Bruylant, Némésis, Bruxelles, 1998, pp. 493 sq.). D’autres auteurs au contraire refusent d’employer le terme ordre à propos de la CEDH (GRABARCZYK Katarzyna, op. cit., p. 32, §§ 45-46). 1051 Jean-Paul COSTA, « Vers un ordre juridique européen », Mélanges en hommage à Louis Edmond PETTITI, préc. Note 1050, pp. 197 sq.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

303

Compte tenu de sa configuration, il va de soi que la présomption d’équivalence de l’arrêt

Bosphorus, existe mutatis mutandis aussi en droit international privé et, même, trouve là son

terrain de prédilection. Cette branche du droit est précisément liée à la coexistence d’ordres

juridiques, il n’est donc ni surprenant que l’objectif de coordination soit, pour reprendre

l’expression de BATTIFOL, « immanent à tout le droit international privé »1052, ni qu’« on

présume l’équivalence des lois et des juridictions des divers Etats de la planète »1053 mettant

ainsi en place une « présomption de fongibilité des institutions »1054.

Concernant les conflits de lois, on présume parfois l’équivalence entre le droit du for et le

droit étranger1055. Cette présomption, liée au contenu du droit étranger, consiste à admettre la

similarité du droit étranger au droit du for1056.

Concernant les jugements étrangers, l’existence d’une présomption d’équivalence entre

les différentes justices du monde en droit de l’exequatur aurait contribué à la suppression par

l’arrêt Cornelissen1057 d’une des conditions de régularité internationale posée par l’arrêt

Munzer1058, à savoir la compétence de la loi appliquée par le juge étranger. De même,

concernant les effets des jugements indépendants de l’exequatur, le Professeur MUIR-WATT

rappelle le « débat doctrinal ayant pour enjeu l’existence ou non, au profit du jugement

étranger, d’une présomption de régularité internationale »1059 avant d’admettre que la

jurisprudence consacre à présent l’existence d’une telle présomption. Plus précisément, on

serait face à une véritable présomption-postulat de régularité1060 instaurant, comme a priori de

1052 Henri BATTIFOL, Aspects philosophiques du droit international privé, Dalloz, Paris, 1956, p. 315 n° 142. 1053 Marie-Laure NIBOYET et Géraud DE GEOUFFRE DE LA PRADELLE, Droit international privé, LGDJ, Paris, 2007, p. XI. 1054 Ibid., p. XI. 1055 Marthe WESER, « Les présomptions en droit international privé », Chaïm PERELMAN et Paul FORIERS, op. cit. p. 19, pp. 144 sq., spéc. pp. 158-160. L’auteur explique notamment quelles sont les variations de cette présomption d’équivalence en droit allemand, droit américain, droit anglais. 1056 Cass. Com., 16 novembre 1993, Amerford, obs. Paul LAGARDE, RCDIP, avril-juin 1994, pp. 334 sq., obs. Jean-Baptiste DONNIER, JDI, 1, 1994, pp. 101 sq. Cet arrêt offrait un exemple de présomption d’équivalence entre la loi du for et la loi étrangère. Il instaurait la solution suivante : en matière de droits dont les parties ont la libre disposition, la partie qui invoque la loi étrangère doit prouver une différence entre la loi étrangère et la loi française. A ce titre, on peut dire que la jurisprudence Amerford reposait sur une présomption d’équivalence entre ces deux lois. 1057 Cass. Civ. 1, 20 février 2007, Cornelissen, obs. Marie-Laure NIBOYET, « L’abandon du contrôle de la compétence législative indirecte (le « grand arrêt » Cornelissen du 20 février 2007) », Gaz. Pal., mai-juin 2007, pp. 1387 sq. 1058 Cass. Civ. 1, 7 janvier 1964, Munzer, obs. ANCEL Marc, JCP G, 1964, II, 14590. 1059 Horatia MUIR-WATT, « Remarques sur les effets en France des jugements étrangers indépendamment de l’exequatur », Mélanges dédiés à Dominique HOLLEAUX, Litec, Paris, 1990, pp. 301 sq., spéc. p. 308. 1060 Sur l’apport du droit communautaire concernant les présomptions de régularité des jugements étrangers, cf. Hélène PEROZ, « Jugements étrangers et pratique notariale : l’apport du droit international privé communautaire », JCP N, 2004, pp. 1624 sq.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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raisonnement, la régularité internationale des jugements et attribuant dès lors la charge de la

preuve à celui qui s’oppose à la reconnaissance de la décision étrangère1061.

Ces exemples, issus du droit international privé, pourraient sembler s’éloigner du droit

européen des droits de l’homme n’était la possibilité, envisagée par le Professeur

MARCHADIER1062, de croiser ces deux branches du droit afin d’asseoir une présomption de

régularité internationale des jugements sur le fondement de l’article 6 de la CEDH. Ledit

article, compte tenu de ses incidences en matière de compétence internationale qui « atténuent

fortement le risque que la décision dont la reconnaissance est sollicitée émane d’un juge

incompétent », pourrait étayer « une présomption de régularité des décisions étrangères qui

justifierait la reconnaissance de plano davantage qu’elle n’en découlerait »1063. Serait ainsi

exclu tout contrôle a priori de la régularité. Pareille présomption n’est pour l’heure pas

consacrée par la jurisprudence européenne1064 mais l’envisager révèle le potentiel présomptif

en matière de coordination des ordres juridiques.

En définitive, le droit européen des droits de l’Homme offre divers exemples de

présomptions, qui, régulatrices, consistent à rechercher une forme d’équilibre et à maintenir la

stabilité et peuvent, à ce titre, être rapprochées de ce que DEMOGUE nommait sécurité

statique. Mais, parfois, le statisme attaché à la notion de régulation dévie vers une forme

d’immobilisme1065 qui, loin de servir la sécurité statique, semble plutôt être l’allié d’une

forme de retenue judiciaire1066. Le Professeur TAVERNIER remarquait déjà que « l’affaire

Bosphorus (…) semble (…) faire preuve d’une trop grande retenue vis-à-vis de la Cour de

Luxembourg et du droit communautaire »1067.

1061 Cass. Civ. 1, 27 mars 1984, obs. Georges WIEDERKHER, JDI, 1984, pp. 898 sq. 1062 Fabien MARCHADIER, op. cit., pp. 364 à 372. 1063 Ibid., pp. 370-371. 1064 Ibid., p. 372. 1065 D’après le C.N.R.T.L., l’immobilisme est « l’état de celui ou de ce qui s'oppose au changement et au progrès », ou encore, « la politique d'attente consistant à ne prendre qu'un minimum d'initiatives pour éviter de s'engager ou pour maintenir l'équilibre entre des tendances opposées », [http://www.cnrtl.fr/definition/immobilisme], (2009-12-14). 1066 Pour une définition de la retenue judiciaire, V. : Marina EUDES, op. cit., pp. 352-356. 1067 Paul TAVERNIER, « Juridiction des Etats et protection équivalente du droit communautaire », JDI, 2006, p. 1073-1076, spéc. p. 1076.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

305

Section 2- Un risque de retenue judicaire

En s’efforçant de maintenir le statu quo, en recherchant le confort de l’habitude,

certaines présomptions s’opposent au changement et deviennent les ennemies du

progrès ; elles peuvent même conduire la Cour EDH à s’autolimiter. Ainsi, certaines

présomptions européennes, engendrées par le principe de subsidiarité, limitent le

contrôle européen (§ 1-), tandis que l’admission des présomptions nationales en

matière répressive semble résulter d’un contrôle européen limité (§ 2-).

§ 1- Les présomptions européennes engendrées par le principe de

subsidiarité, limites au contrôle européen

Le principe de subsidiarité génère d’une part des présomptions allégeant le contrôle de

proportionnalité (A-), d’autre part une présomption de régularité dans l’établissement national

des faits (B-).

A- La marge nationale d’appréciation, source de présomptions

allégeant le contrôle de proportionnalité

Dans le cadre du contrôle de proportionnalité se sont développées des présomptions

témoignant d’une certaine retenue judiciaire de la Cour : limitant son contrôle, elles laissent

une grande autonomie aux Etats contractants via la marge d’appréciation. On ne saurait

développer cette analyse sans s’appuyer sur les travaux du Professeur VAN

DROOGHENBROECK. Dans sa thèse consacrée à la proportionnalité dans le droit de la

Convention européenne des droits de l’Homme1068, cet auteur démontre que la règle de

proportionnalité qui recouvre « l’ensemble des exigences substantielles que la

proportionnalité impose aux Etats et à leurs actes »1069 est invariable : elle englobe toujours

les trois mêmes exigences, à savoir l’appropriation qui implique l’adaptation de la mesure au

but poursuivi, la nécessité d’après laquelle il convient de choisir la mesure la moins liberticide

possible et enfin la proportionnalité stricto sensu qui consiste en une pesée des intérêts en

présence. En revanche, le contrôle de proportionnalité qui désigne « la compétence que se

1068 Sébastien VAN DROOGHENBROECK, op. cit.; comp. avec Petr MUZNY, La technique de proportionnalité et le juge de la Convention européenne des droits de l’Homme. Essai sur un instrument nécessaire dans une société démocratique, PUAM, 2005. 1069 Ibid., p. 173 § 222.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

306

reconnaît le juge européen des droits de l’homme pour juger de l’observation, par l’Etat, de

la règle de proportionnalité »1070 est variable : il peut ne porter que sur l’une des exigences de

la règle de proportionnalité. C’est alors qu’entrent en jeu des présomptions liées à la marge

d’appréciation dont bénéficient les Etats, présomptions permettant de tenir pour établie l’une

ou l’autre de ces exigences.

Sans reprendre dans leur intégralité les développements du Professeur VAN

DROOGHENBORECK, quelques rappels paraissent utiles. D’une part, il estime que « la

concession au profit de l’Etat d’une large « marge d’appréciation » conduit, dans la quasi-

totalité des hypothèses, à fonder, dans le chef de celui-ci, une véritable présomption

irréfragable de satisfaction aux exigences substantielles de la proportionnalité que sont,

d’une part, l’appropriation, et, d’autre part, la nécessité. Eu égard à la « meilleure position »

des autorités étatiques, la Cour s’abstiendra purement et simplement de vérifier l’idonéité des

mesures par elles adoptées, ainsi que la possibilité de leur entrevoir une alternative moins

restrictive »1071. Les arrêts Linguistique belge du 23 juillet 19681072, Hadjiastanassiou contre

Grèce du 6 juin 19911073, Handyside contre Royaume Uni du 7 décembre 19761074 ou encore

Plattform « Ärzte für das Leben » contre Autriche du 21 juin 19881075 sont autant d’exemples

de refus du contrôle de l’exigence d’appropriation, refus assimilable à une présomption

d’idonéité de la mesure litigieuse. Pour sa part, l’arrêt Andronicou et Constantinou contre

Chypre du 9 octobre 19971076 offre un exemple parmi d’autres de présomption de nécessité de

la mesure. D’autre part, la proportionnalité au sens strict ferait parfois elle aussi l’objet d’une

présomption simple. Interviendrait alors une véritable présomption-postulat de

proportionnalité inversant le sens du débat et faisant peser sur le requérant le risque de la non

persuasion : « d’un contrôle positif visant à établir la proportionnalité de la mesure

1070 Ibid., p. 173 § 222. 1071 Ibid., p. 510 § 708. 1072 CEDH, 23 juillet 1968, Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » c/ Belgique, req. n°s 1474/62; 1677/62; 1691/62; 1769/63; 1994/63; 2126/64, § 10. 1073 CEDH,16 décembre 1992, Hadjiastanassiou c/ Grèce, req. n° 12945/87, §§ 44-47. 1074 CEDH, 7 décembre 1979, Hanxyside c/ Royaume Uni, req. n°5493/72 : la question de l’appropriation n’est pas abordée, c’est donc, comme l’explique le Professeur VAN DROOHGHENBROECK, qu’elle est « implicitement laissée à la large marge d’appréciation concédée au gouvernement britannique ». 1075 CEDH, 21 juin 1988, Plattform « Ärzte für das leben », req. n°10126/82, § 34. 1076 CEDH, 9 octobre 1997, Andronicou et Constantinou c/ Chypre, req. n° 86/1996/705/897. Etaient en cause en l’espèce la proportionnalité d’une mesure d’intervention des forces de sécurité dans un affaire de kidnapping, intervention ayant conduit à la mort des l’auteur du kidnapping et de sa victime. La Cour n’a pas estimé opportun d’examiner si une autre tactique aurait pu être employée (§ 181).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

307

incriminée sans la présumer, l’on glisse vers un contrôle négatif dont l’objet est de démontrer

la « non-proportionnalité » de celle-ci »1077.

Ainsi la marge d’appréciation influencerait-elle, grâce à l’utilisation de présomptions,

l’ampleur du contrôle de proportionnalité. Il s’agirait d’un nouvel exemple de la fonction

régulatrice des présomptions. Elles permettent de moduler l’importance du contrôle européen,

phénomène qui n’est pas sans rappeler celui à l’œuvre dans l’arrêt Bosphorus dans lequel la

Cour a pu limiter son contrôle sur le droit de l’Union européenne en présumant la conformité

de la protection des droits fondamentaux issue du droit de l’Union européenne à celle offerte

par le droit de la CEDH.

En vérité, le rôle régulateur de la présomption découlant de la marge d’appréciation n’est

guère surprenant puisque celle-ci aurait elle-même une vocation conciliatrice : ne tend-elle

pas, pour reprendre l’expression du Professeur DELMAS-MARTY, à « conjuguer

l’universalisme des droits de l’Homme avec le relativisme des traditions nationales » 1078 ?

Par ailleurs, ce rôle régulateur a partie liée avec la sécurité statique précédemment évoquée.

Présumer que la mesure litigieuse est appropriée, nécessaire, voire proportionnée, c’est en

effet présumer la conformité de l’état de fait à l’état de droit. Or, pareille présomption est, on

le sait, au cœur de la sécurité statique. Enfin, la régulation du contrôle européen allant

toujours dans le sens d’une limitation de l’étendue du contrôle elle peut, à ce titre, être

assimilée à une forme de retenue judiciaire, c’est-à-dire à un procédé par lequel le juge

européen délimite son contrôle. Là encore, ce constat n’a pas de quoi surprendre.

Précédemment citées, les considérations du Professeur TAVERNIER1079 à propos de l’arrêt

Bosphorus relevaient déjà l’inclination de la présomption, technique de régulation européenne,

à la retenue judiciaire. Ce penchant est encore affermi par la présomption de régularité dans

l’établissement national des faits.

1077 Sébastien VAN DROOGHENBROECK, op. cit., pp. 232-235, §§ 306-312 et p. 510 § 709. 1078 Mireille DELMAS-MARTY, Le flou du droit. Du Code pénal au droit de l’Homme, Paris, PUF, coll. « Quadrige », 2004, 388 p., préface, p.15. 1079 V. p. 304.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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B- La présomption de régularité dans l’établissement national des

faits

Fred DESHAYES1080 a mis en évidence le recours par la Cour EDH à une véritable

présomption de régularité dans l’établissement national des faits consistant à reconnaître

l’autonomie de l’appréciation nationale des preuves. La Cour affirme ainsi que « la

Convention (…) ne réglemente pas (…) l’admissibilité des preuves ou leur appréciation,

matière qui relève dès lors au premier chef du droit interne et des juridictions nationales »1081

auxquelles « il revient en principe (…) d’apprécier les éléments recueillis par elles »1082.

D’une manière plus générale encore, elle répète à l’envi qu’ « il n’entre pas dans ses

attributions de substituer sa propre vision des faits à celle des cours et tribunaux nationaux,

auxquels il appartient de peser les données recueillies par eux »1083, réservant cependant le

cas de l’erreur manifeste et des indices d’arbitraire1084.

Les tenants et aboutissants de cette présomption sont perceptibles dans l’arrêt McKerr

contre Royaume Uni du 4 mai 20011085. La Cour, particulièrement explicite, refuse une

convocation des témoins afin d’établir les faits de la cause en s’appuyant sur le fait qu’une

telle démarche « serait inopportune et la conduirait à outrepasser le rôle subsidiaire que lui

confère la Convention ». Elle ajoute qu’ « une telle initiative reviendrait à répéter les

procédures suivies devant les tribunaux civils, lesquels sont mieux placés et mieux équipés

pour établir les faits »1086. La présomption de régularité dans l’établissement national des faits

semble donc découler directement du principe de subsidiarité. La Cour, faut-il le rappeler, n’a

1080 Fred DESHAYES, op. cit., pp. 184-185. 1081 CEDH, 12 juillet 1988, Schenk c/ Suisse, req. n° 10862/84, §§ 45-46 ; CEDH, 21 janvier 1999, García Ruiz c/ Espagne, req. n° 30544/96, § 28 ; CEDH, 23 janvier 2007, Kondu c/ Turquie, req. n° 75694/01, § 42 ; CEDH, 13 novembre 2008, Muszyński c/ Pologne, req. n° 24613/04, § 41. 1082 CEDH, 20 novembre 1989, Kostovski c/ Pays-Bas, req. n° 11454/85, § 39 ; CEDH, 19 décembre 1990, Delta c/ France, req. n° 11444/85, § 35 ; CEDH, 15 juin 1995, Lüdi c/ France, req. n°12433/86, § 43 ; CEDH, 13 avril 2006, Vaturi c/ France, req. n° 75699/01, § 49 ; CEDH, 17 octobre 2006, Göçmen c/ Turquie, req. n° 72000/01, § 70 ; CEDH, 21 février 2008, Pyrgiotakis c/ Grèce, req. n° 15100/06, § 15 ; CEDH, 22 juillet 2008, Panasenko c/ Portugal, req. n° 10418/03, § 56 ; CEDH, 24 juillet 2008, Melich et Beck c/ République Tchèque, req. n° 35450/04, § 48 ; CEDH, 25 novembre 2008, Dağdelen et autres c/ Turquie, Req. nos 1767/03, 14246/04 et 16584/04, § 116 ; CEDH, 24 février 2009, Tarău c/ Roumanie, req. n° 3584/02, § 69 ; CEDH, 26 avril 1991, Asch c/ Autriche, req. n° 12398/86, § 26 ; CEDH, 3 mars 2009, Băcanu et SC « R » SA c/ Roumanie, req. n° 4411/04, § 74. 1083 CEDH, 16 décembre 1992, Edwards c/ Royaume Uni, req. n° 13071/87, § 34 ; CEDH, 22 septembre 1993, Klaas c/ Allemagne, req. n° 15473/89, § 29 ; CEDH, 4 décembre 1995, Ribitsch c/ Autriche, req. n° 18896/91, § 32 ; CEDH, 22 octobre 1997, Erdagöz c/ Turquie, req. n° 127/1996/945/746, § 40 ; CEDH, 20 mai 2008, Tekin et autres c/ Turquie, req. n° 8534/02, § 47. 1084 CEDH, 28 mai 2009, Roïdakis c/ Grèce (No 2), req. no 50914/06, § 26. 1085 CEDH, 4 mai 2001, McKerr c/ Royaume Uni, req. n° 28883/95. 1086 Ibid., § 117.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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pas été conçue comme un tribunal de première instance1087 et n’est pas non plus un quatrième

degré de juridiction1088. Certes, « une fois régulièrement saisie, la Cour jouit (…) de la

plénitude de juridiction et peut donc connaître de toutes les questions de fait et de droit qui se

poseront (…) »1089. Mais, comme le résume le Juge BAKA, la « jurisprudence constante et la

logique même du système établi par la Convention imposent des limites raisonnables au

contrôle que la Cour européenne peut exercer sur l'établissement des faits et l'appréciation

des preuves effectués par les juridictions nationales. A cet égard, les tribunaux internes

doivent bénéficier d'une large marge d'appréciation, et ce à juste titre. Cette marge

d'appréciation n'est certes pas illimitée et est en dernière analyse l'objet d'un examen strict,

mais ce contrôle international ne peut aller jusqu'à une nouvelle appréciation des preuves

soumises au niveau national dans un grand nombre de cas »1090.

D’après ces observations, la présomption de régularité dans l’établissement national des

faits semble tout d’abord régulatrice. Ne régule-t-elle pas l’activité de la Cour, la présomption

qui allège sa charge de travail en lui épargnant un réexamen systématique des faits, tout en lui

réservant la possibilité d’y procéder le cas échéant ? Ensuite, elle paraît se rattacher à la

sécurité statique. Elle s’apparente en effet à une déclinaison de la présomption - décrite par le

Professeur GROSSEN comme reflétant le principe de sécurité statique - selon laquelle « les

situations de fait, les droits tels qu’ils sont exercés et les obligations telles qu’elles sont

remplies sont justes »1091. En somme, lorsque la Cour présume que les juridictions nationales

ont régulièrement établi les faits, elle use d’une sorte de présomption de conformité de l’état

de fait à l’état de droit. Enfin la combinaison de ses caractéristiques régulatrices et statiques

rapproche cette présomption d’une forme de retenue judiciaire : si le statisme à l’œuvre en

l’occurrence permet avant tout à la Cour de diminuer sa charge de travail, il débouche

concomitamment sur un contrôle limité des faits établis par les juridictions nationales. Ce

statisme avoisinerait alors l’immobilisme, la Cour restant en retrait pour maintenir l'équilibre

de sa charge de travail mais aussi pour éviter de s'engager. Un auteur est même allé jusqu’à

souligner qu’en s’appuyant « sur les faits tels qu’établis par celui-là même dont on prétend

1087 Marina EUDES, op. cit., pp. 124-125. 1088 Fred DESHAYES, op. cit., p. 185, § 489. 1089 CEDH, 18 juin 1971, De Wilde, Ooms et Versyp c/ Belgique, req. n°s 2832/66; 2835/66; 2899/66, § 49. 1090 CEDH, 13 juillet 2000, Elsholz c/Allemagne, req. n° 25735/94, opinion en partie dissidente de M. le juge BAKA, à laquelle Mme la juge PALM, MM. les juges HEDIGAN et LEVITS déclarent se rallier. 1091 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 156.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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qu’il n’a pas rempli sa mission, la Cour semble trahir l’objectif de défense des droits de

l’Homme »1092.

Ainsi la régulation présomptive aboutit-elle parfois à une forme de retenue judiciaire,

certaines présomptions européennes limitant le contrôle de la Cour. Une question, sur laquelle

il y a lieu de s’arrêter, reste encore en suspens : les liens entre retenue judicaire et régulation

présomptive qu’on discerne dans certaines présomptions européennes se manifestent-ils aussi

par l’admission de présomptions nationales ?

§ 2- L’admission des présomptions nationales en matière

répressive, signe d’un contrôle européen limité

Bien que les présomptions de culpabilité aient déjà été abordées, il est à nouveau temps de

se pencher sur elles. Non qu’il faille revenir sur le problème de la compatibilité technique

entre présomption d’innocence et présomption de culpabilité : cette question est résolue

puisqu’on sait qu’une présomption-postulat peut être renversée par une présomption-preuve

contraire1093. Toutefois, même si elle est techniquement incontestable, l’utilisation de

présomptions en matière répressive suscite diverses interrogations. Certes, on perçoit l’utilité

de telles présomptions pour faciliter la preuve et la réparation, et, par là-même, leur fonction

régulatrice - elles facilitent les objectifs répressifs en rééquilibrant les mécanismes probatoires.

Néanmoins, on peut tenir leur admission par la Cour de Strasbourg pour une manifestation de

retenue judiciaire. Dès lors, la jurisprudence strasbourgeoise, constamment favorable aux

présomptions nationales en matière répressive (A-), peut faire l’objet d’une appréciation

critique (B-).

A- Une jurisprudence constante favorable aux présomptions

nationales en matière répressive

L’admission des présomptions nationales en matière répressive, annoncée par diverses

décisions de la défunte commission européenne (1-), est classiquement associée à deux arrêts

fondateurs (2-), que la Cour a par la suite confirmés (3-).

1092 Fred DESHAYES, op. cit., p. 189, § 499. 1093 V. supra : l’articulation entre présomptions-postulats et présomptions-preuves

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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1- Les décisions annonciatrices

Le Professeur Jean-Pierre DELMAS-SAINT-HILAIRE, s’interrogeant « sur la

compatibilité de certaines dispositions de notre droit positif édictant de véritables

présomptions de culpabilité avec celles consacrant la présomption d’innocence » 1094 ,

s’appuyait sur une décision de la Commission européenne du 19 juillet 19791095, pour

mentionner l’absence d’incompatibilité fondamentale entre l’article 6 § 2 de la Convention et

les présomptions de culpabilité. En l’espèce était concernée une présomption de culpabilité

anglaise en matière de proxénétisme, laquelle réputait proxénète celui qui vit avec une

prostituée et ne justifie pas de ressources correspondant à son train de vie.

Cinq ans plus tard, la Commission fit également montre d’indulgence à l’égard de

présomptions de responsabilité civile. Le 2 mai 19881096, elle traita de la compatibilité entre

l’article 6 et la présomption de responsabilité des dirigeants sociaux issue de l’article 99 de la

loi du 13 juillet 19671097. Sans entrer dans des considérations de fond sur les présomptions de

responsabilité, la Commission estima cependant que le requérant ne pouvait se plaindre d’une

violation conventionnelle car il avait eu la possibilité de renverser la présomption, possibilité

qu’il n’avait pas saisie.

Quelques mois plus tard, le 5 octobre 19881098, cette position fut affermie par une autre

décision de la Commission, relative à la même présomption. La Commission aborda alors

plus franchement le problème des présomptions de responsabilité, énonçant que « l'article 6

par.1 (…) de la Convention ne réglemente pas, en tant que tel, l'aménagement de la charge de

la preuve. Une disposition posant, dans le cadre d'un litige de caractère civil, une

présomption de responsabilité ne saurait, dès lors, porter atteinte à l'équité du procès que si

et dans la mesure où elle peut entraîner un déséquilibre entre les parties ».

1094 Jean-Pierre DELMAS-SAINT-HILAIRE, Chronique, RSC, 1989, pp. 105 sq. 1095 Com° EDH, 19 juillet 1972, X. c/ Royaume Uni, req. n° 5124/71. 1096 Com° EDH, 2 mai 1988, C. c/ France, req. n° 11542/85. 1097 Article 99 de la loi du 13 juillet 1967 n° 67-563 sur le règlement judiciaire, la liquidation des biens, la faillite personnelle et les banqueroutes: « Lorsque le règlement judiciaire ou la liquidation des biens d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal peut décider, à la requête du syndic, ou même d’office, que les dettes sociales seront supportées, en tout ou en partie, avec ou sans solidarité, par tous les dirigeants sociaux, de droit ou de fait, apparents ou occultes, rémunérés ou non ou par certains d’entre eux. (…) Pour dégager leur responsabilité, les dirigeants impliqués doivent faire la preuve qu’ils ont apporté à la gestion des affaires sociales toute l’activité et la diligence nécessaire ». 1098 Com° EDH, 5 octobre 1988, G. c/ France, req. n° 11941/86.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Quoiqu’intervenue en matière de responsabilité civile, ces deux décisions marquaient déjà

une certaine bienveillance à l’égard des présomptions de responsabilité. Il n’y a donc rien

d’étonnant à ce que, mutatis mutandis, la Cour ait transposé cette solution à la matière pénale

deux jours plus tard.

2- Les arrêts fondateurs

L’admission des présomptions nationales en matière répressive repose sur deux arrêts

rendus à quatre ans d’intervalle, l’arrêt Salabiaku contre France du 7 octobre 19881099 et

l’arrêt Pham Hoang contre France du 25 septembre 19921100. Dans ces deux affaires, les

requérants invoquaient l’incompatibilité avec l’article 6 § 2 de la CEDH de présomptions

issues de la législation douanière française. Plus précisément, était en cause dans l’arrêt

Salabiaku l’article 392 § 1 du Code des douanes en vertu duquel « le détenteur de

marchandises de fraude est réputé responsable de la fraude » et qui instaure donc une

présomption de responsabilité du détenteur de marchandises de fraude à partir d’un simple fait

matériel, la détention desdites marchandises. Dans l’arrêt Pham Hoang, outre cet article, était

aussi sur la sellette l’article 399 du même code. Il permet de réputer intéressées à la fraude - et

donc de les sanctionner comme les auteurs de cette dernière - toute une série de personnes1101.

Or, par deux fois, la Cour constate l’absence de violation de l’article 6 § 2 de la CEDH. Si elle

prétend se limiter à un contrôle in concreto, sa tâche consistant seulement à déterminer si les

articles concernés ont été appliqués d’une manière compatible avec la présomption

d’innocence et avec la notion de procès équitable1102, elle tend tout de même vers une analyse

plus abstraite et générale de l’utilisation du mécanisme présomptif en matière répressive.

Ainsi énonce-t-elle que « tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit;

la Convention n’y met évidemment pas obstacle en principe, mais en matière pénale elle

1099 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83. 1100 CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87. 1101 Article 399 § 2 du Code des douanes : « Sont réputés intéressés : a) les entrepreneurs, membres d'entreprise, assureurs, assurés, bailleurs de fonds, propriétaires de marchandises, et, en général, ceux qui ont un intérêt direct à la fraude ; b) ceux qui ont coopéré d'une manière quelconque à un ensemble d'actes accomplis par un certain nombre d'individus agissant de concert, d'après un plan de fraude arrêté pour assurer le résultat poursuivi en commun ; c) ceux qui ont, sciemment, soit couvert les agissements des fraudeurs ou tenté de leur procurer l'impunité, soit acheté ou détenu, même en dehors du rayon, des marchandises provenant d'un délit de contrebande ou d'importation sans déclaration ». 1102 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83, § 30 ; CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87, § 33.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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oblige les États contractants à ne pas dépasser à cet égard un certain seuil »1103. La Cour ne

délivre donc pas de blanc-seing aux présomptions pénales, cependant elle reconnaît que la

Convention ne contient pas d’obstacle de principe à leur encontre. Autrement dit, si l’analyse

in concreto est possible au cas par cas, c’est que la Cour a préalablement et, semble-t-il, une

bonne fois pour toutes, accepté la possibilité d’utiliser des présomptions en matière répressive.

3- La confirmation ultérieure

Par la suite, la jurisprudence a constamment réaffirmé sa position initiale tant dans le

domaine du droit douanier que dans d’autres branches du droit.

En droit douanier, plusieurs décisions de la Commission européenne ont affermi

l’admission des présomptions de culpabilité dès avant l’arrêt Pham Hoang. Les décisions

Paolo Senis contre France du 13 mars 19891104, F. S. et N. S. contre France du 28 juin

19931105, Fatma Mustafa contre France du 13 octobre 19931106 et enfin Pierre Boutemy contre

France du 2 mars 19941107 sont autant de décisions qui reprennent quasiment mot pour mot les

énonciations de l’arrêt Salabiaku reconnaissant ainsi la possibilité pour les Etats d’utiliser des

présomptions en matière pénale à condition de les « enserrer (…) dans des limites

raisonnables prenant en compte la garantie de l'enjeu et préservant les droits de la défense ».

Ces décisions semblent d’autant plus favorables à l’admission des présomptions de culpabilité

qu’elles ne se contentent pas de réitérer, abstraitement, l’absence d’obstacle à l’utilisation de

telles présomptions : concrètement la Commission estime, dans chacune de ces affaires, que le

recours à des présomptions de culpabilité n’a pas porté atteinte à l’article 6 § 2 de la

Convention.

La Cour de Strasbourg a également étendu la solution dégagée dans les arrêts Salabiaku et

Pham Hoang en dehors du droit douanier admettant le recours à des présomptions à différents

stades du procès pénal.

1103 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83. 1104 Com° EDH, 13 mars 1989, Palo Senis c/ France, req. n° 11423/85. Etaient en cause les présomptions des articles 418 et 392 § 1 du Code des douanes. 1105 Com° EDH, 28 juin 1993, F. S. et N. S. c/ France, req. n° 15669/89. Etaient en cause les présomptions des articles 215 et 419 du code des douanes. 1106 Com° EDH, 13 octobre 1993, Fatma Mustafa c/ France, req. n° 16393/90. Etaient en cause les présomptions des articles 215 et 419 du code des douanes. 1107 Com° EDH, 2 mars 1994, Pierre Boutemy c/ France, req. N°19922/92. Etaient en cause les présomptions des articles 215 et 419 du code des douanes.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

314

Tout d’abord, sans prétendre à l’exhaustivité, on peut citer trois exemples1108 confirmant

cette solution au stade de la déclaration de culpabilité.

Premièrement, à l’occasion de l’affaire Janosevic contre Suède1109, la Cour a appliqué un

raisonnement similaire en matière fiscale. Le droit fiscal suédois inflige des majorations

d’impôt pour des raisons objectives, c’est-à-dire sans qu’il soit nécessaire de prouver qu’il y a

eu intention ou négligence du contribuable. Dès lors une présomption de responsabilité pénale

pèse sur ce dernier à qui il appartiendra de la réfuter. La Cour, qui cite l’arrêt Salabiaku,

estime que cette présomption est restée dans des « limites raisonnables » notamment parce

que « les règles applicables en matière de majorations d'impôt prévoient certains moyens de

défense fondés sur des éléments subjectifs »1110.

Deuxièmement, l’arrêt Radio France contre France du 30 mars 20041111 a permis à la

Cour de réitérer sa position en matière d’infraction de presse. Le requérant critiquait la

présomption de responsabilité du directeur de publication résultant de l’article 93-3 de la loi

du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle avec l’article 6 § 2. Selon la Cour, elle

ne viole pas l’article 6 § 2 de la Convention. Après avoir rappelé l’absence d’obstacle de

principe à l’égard des présomptions de responsabilité 1112 , la Cour estime que cette

présomption-là est restée dans des « limites raisonnables »1113. Elle démontre que « plusieurs

éléments doivent être réunis pour que l'infraction soit constituée à l'égard du directeur de la

publication : l'intéressé doit avoir la qualité de directeur de la publication ; le message

incriminé doit avoir été diffusé et avoir un caractère diffamatoire ; ledit message doit avoir

fait l'objet d'une « fixation préalable » à sa diffusion »; elle reconnaît ensuite que « la

difficulté tient de ce que cette présomption se combine en la matière avec une autre, les

1108 Il existe même un quatrième exemple : au stade de la déclaration de culpabilité, on peut interpréter le refus du juge européen de consacrer l’absoluité du droit au silence comme le signe d’une absence de réticences de sa part à l’égard des présomptions répressives (CEDH, 8 février 1996, Murray c/ Royaume Uni, req. n° 18731/91, § 47 ; CEDH, 2 mai 2000, Condron c/ Royaume Uni, req. n° 35718/97, § 56 ; CEDH, 29 juin 2007, O’Halloran et Francis c/ Royaume Uni, req. n° nos 15809/02 et 25624/02, § 46, JCP G, 2008, I, 110, n° 6 ; CEDH, 10 mars 2009, Bykov c/ Russie, req. n° 4378/02, § 7). Ainsi, d’après l’arrêt John Murray l’interdiction de fonder une condamnation exclusivement ou essentiellement sur le silence du prévenu n’empêche point de prendre en compte le silence de l'intéressé, dans des situations qui appellent assurément une explication de sa part, pour apprécier la force de persuasion des éléments à charge. En d’autres termes, et comme le rappelle le Professeur GOUTTENOIRE, « si le silence de l’accusé ne peut, à lui seul, permettre de conclure à sa culpabilité, il peut venir corroborer d’autres éléments à charges ». obs sous l’arrêt Murray dans SUDRE Frédéric et al., op. cit. p. 150. 1109 CEDH, 23 juillet 2002, Janosevic c/ Suède, req. n° 34619/97, obs. SUDRE Frédéric, JCP G, 2003, chron., I, 109. 1110 Ibid., § 104. 1111 CEDH, 30 mars 2004, Radio France c/ France, req. n° 53984/00. 1112 Ibid., § 24. 1113 Ibid., § 24.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

315

imputations diffamatoires étant présumées faites de mauvaise foi ». Mais elle souligne

aussitôt que « cette seconde présomption n'est (…) pas irréfragable » 1114 . Ainsi, la

présomption de responsabilité serait conforme aux exigences conventionnelles, le directeur de

la publication pouvant la renverser en prouvant la bonne foi de l'auteur des propos incriminés

ou l'absence de fixation préalable du message litigieux.

Troisièmement, lors de l’affaire Müller contre Autriche du 18 septembre 20081115, la

Cour a rappelé l’absence d’incompatibilité de principe entre l’article 6 § 2 et les présomptions

de fait ou de droit concernant la procédure pénale administrative engagée contre M. Müller,

propriétaire et directeur général d’une entreprise du bâtiment, du fait du décès de l’un de ses

employés qui tomba d’un échafaudage, sur l’un des chantiers de l’entreprise. Pesait en effet

sur le requérant une présomption en vertu de laquelle la négligence suffisait à établir la

culpabilité. Là encore, pareille présomption ne viole pas la CEDH car M. Müller aurait pu la

renverser. La Cour souligne : « He had the opportunity to show that he had established an

effective control system ensuring that the workers employed by the M company were informed

about safety regulations and that compliance with such regulations was checked. The

Austrian authorities found, however, that the applicant had not set up an effective system to

check whether his orders had been complied with. The Court cannot find that in so holding,

the Austrian authorities overstepped the limits set by Article 6 § 2 »1116.

Ensuite, la Cour a appliqué la solution dégagée dans les arrêts Salabiaku et Pham

Hoang au stade de l’infliction de la peine à l’occasion de l’arrêt Phillips contre Royaume

Uni1117. En droit anglais, pour déterminer le profit qu’une personne condamnée pour trafic de

drogue a retiré dudit trafic, le tribunal présume, en vertu de l’article 4 §§ 2 et 3 de la loi de

1994, que tout bien s’avérant avoir été détenu par l’accusé à quelque moment que ce soit

depuis sa condamnation ou pendant la période de six ans ayant précédé la date à laquelle la

procédure pénale a été engagée, a été reçu par l’intéressé à titre de paiement ou de rétribution

en rapport avec le trafic de la drogue, et que toute dépense consentie par l’intéressé pendant la

même période a été réglée à partir du produit de ce trafic. L’accusé peut renverser cette

présomption légale s’il démontre qu’elle est incorrecte ou que son application comporterait un

1114 Ibid., § 24. 1115 CEDH, 18 septembre 2008, Müller c/ Autriche (n° 2), req. n° 28034. 1116 Ibid., § 40. 1117 CEDH, 5 juillet 2001, Phillips c/ Royaume Uni, req. n° 41087/98.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

316

risque grave d’injustice. A bien y regarder la présomption légale concernée se dédouble1118 :

la présomption initiale, à savoir la présomption d’illégalité de la source des biens, débouche

sur une autre présomption en vertu de laquelle l’intéressé a participé à d’autres activités

illégales liées au trafic de la drogue avant la commission de l’infraction pour laquelle il a été

condamné. Sont en effet présumés d’origine illicite les biens détenus par l’accusé pendant une

période de 6 ans précédant sa condamnation. Or, dans cette affaire, la Cour écarte

l’applicabilité de l’article 6 § 2 et constate la non-violation de l’article 6 § 1. Pour évincer le

premier texte, elle énonce que la procédure de confiscation est simplement le prolongement

de la décision de culpabilité. Ce raisonnement est contestable puisque, comme on l’a souligné,

la présomption d’illégalité entraîne une seconde présomption de culpabilité. Concernant le § 1,

la Cour reprend ses considérations traditionnelles concernant les présomptions de

responsabilité. La présomption est restée dans des limites raisonnables car elle pouvait être

renversée1119.

La même solution a prévalu dans l’arrêt Grayson et Barnham contre Royaume Uni du

23 septembre 20081120, où les requérants, impliqués dans le trafic de drogue, mettaient de

nouveau en cause la présomption d’illégalité de la source des biens. L’article 6 § 1 n’a pas été

violé : « bien que la loi imposât au juge de présumer que les actifs en question provenaient

d’un trafic de stupéfiants, admet la Cour, les requérants pouvaient faire échec à cette

présomption en démontrant qu’ils les avaient acquis par des moyens licites »1121.

Un raisonnement similaire a également été mis en œuvre dans deux affaires italiennes

comparables, l’affaire Francesco Perre de 20071122 et l’affaire Bongiorno et autres de

20101123. Le droit italien instaure en effet, à titre de mesure de prévention, une présomption

selon laquelle les biens d’une personne dont le train de vie est disproportionné par rapport à

ses revenus apparents ou déclarés proviennent d’une activité illicite. Cette présomption avait

1118 Ibid., § 33 : « il est vrai qu’en vertu de la présomption de la loi de 1994, selon laquelle l’ensemble des biens s’étant trouvés en possession de l’accusé dans les six années précédentes entrent dans la notion de produit du trafic de la drogue, la juridiction nationale doit supposer que l’intéressé a participé à d’autres activités illégales liées au trafic de la drogue avant la commission de l’infraction pour laquelle il a été condamné. Contrairement au cas ordinaire, où l’accusation a l’obligation de prouver la matérialité des éléments des charges pesant sur l’accusé, c’est à ce dernier qu’il incombe de prouver, selon le critère de la probabilité, qu’il a acquis les biens en question autrement que grâce au trafic de la drogue ». 1119 Florence MASSIAS, « Chronique internationale – Droits de l’Homme », RSC, 2002, pp. 408 sq., spéc. pp. 419-420. 1120 CEDH, 23 septembre 2008, Grayson et Barnham c/ Royaume Uni, req. nos 19955/05 et 15085/06. 1121 Ibid., § 45. 1122 CEDH, déc°, 12 avril 2007, Francesco Perre et autres c/ Italie, req. n° 1905/05. 1123 CEDH, 5 janvier 2010, Bongiorno et autres c/ Italie, req. n° 4514/07.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

317

permis la confiscation des biens présumés provenir d’activités mafieuses. La Cour a estimé

que pareille présomption ne viole ni l’article 1 du Protocole 1 relatif au droit au respect des

biens, dans la mesure où l’ingérence dans le droit des requérants au respect de leurs biens

n’est pas disproportionnée par rapport au but légitime poursuivi (la lutte contre la mafia), ni

l’article 6, dans la mesure où la présomption n’était pas irréfragable.

Enfin, la bienveillance de la Cour de Strasbourg à l’égard des présomptions en matière

répressive est également visible au stade de la détention provisoire. En vertu de l’article 5 § 3

de la CEDH, « toute personne arrêtée ou détenue (…) doit être aussitôt traduite devant un

juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit

d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure (…) ». Sur le

fondement de cette disposition, la Cour se reconnaît le pouvoir de contrôler les motifs de

maintien en détention provisoire avancés par les juridictions internes. Si peu d’entre eux

trouvent grâce à ses yeux, elle se montre néanmoins indulgente à l’égard de deux

présomptions évoquées par les juridictions internes à propos des détentions provisoires.

La première, assez spectaculaire au premier abord, n’a en réalité aucune portée

pratique : il s’agit de la présomption selon laquelle un individu pourrait entraver la procédure

en cas de probabilité de peine sévère1124. Cette présomption fréquemment citée par la Cour ne

semble guère avoir d’autre utilité que rhétorique. La Cour précise en effet que, si elle peut

servir à évaluer le risque d’évasion ou de récidive, ladite présomption ne peut justifier le

maintien en détention provisoire1125. Cette solution apparaît logique si l’on considère que,

pour justifier le prolongement de la détention, le danger de fuite lui-même ne doit pas être

1124 Voir, pour des exemples récents récents : CEDH, 15 septembre 2009, Jamrozy c/ Pologne, req. n° 6093/04, § 38 ; CEDH, 6 septembre 2009, Kliza c/ Pologne, req. n° 8363/04, § 48 ; CEDH, 6 septembre 2009, Kakol c/ Pologne, req. n° 3994/0, § 51 ; CEDH, 10 juin 2009, Kazmierczak c/ Pologne, req. n° 4317/04, § 36 ; CEDH, 19 mai 2009, Kulikowski c/ Pologne, req. n° 18353/03 § 47 ; CEDH, 3 février 2009, Kauczor c/ Pologne, req. n° 45219/06, § 46 ; CEDH, 23 octobre 2007, Wedekind c/ Pologne, req. n° 26110/04, § 32 ; CEDH, Szydlowski, req. n° 1326/04, 16 octobre 2007, § 55 ; CEDH, 16 octobre 2007, Niecko c/ Pologne, req. n° 3500/04, § 33; CEDH, 16 octobre 2007, Malikowski c/ Pologne, req. n° 15154/03, § 54 ; CEDH, 16 octobre 2007, Osinski c/ Pologne, req. n° 13732/03, § 53 ; 1125 CEDH, 2 décembre 2008, Janicki c/ Pologne, req. n° 35831/06, § 32: « According to the authorities, the likelihood of a severe sentence being imposed on the applicant created a presumption that the applicant would obstruct the proceedings. However, the Court would reiterate that, while the severity of the sentence faced is a relevant element in the assessment of the risk of absconding or re-offending, the gravity of the charges cannot by itself justify long periods of detention on remand ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

318

analysé seulement sur la base de la gravité de la peine encourue mais au regard d’un ensemble

d’éléments1126.

La seconde présomption vis-à-vis de laquelle la Cour fait montre d’indulgence produit

des effets nettement plus sensibles quant au maintien en détention provisoire. Il s’agit de la

présomption de dangerosité légale issue de l’article 275 § 3 du Code de procédure pénale

italien permettant d’assouplir les conditions de détention des personnes impliquées dans des

infractions de type mafieux. L’arrêt Pantano contre Italie1127 a en effet énoncé que, dans le

contexte de la lutte contre la Mafia, « une présomption légale de dangerosité peut se justifier,

en particulier lorsqu’elle n’est pas absolue, mais se prête à être contredite par la preuve du

contraire ». Comme le souligne le Professeur MARGUENAUD, il s’agit là d’une « véritable

dérogation à la règle fixée par l’article 5 § 3 »1128. Certes, la jurisprudence Pantano ne

conduit pas les juges européens à reconnaître systématiquement le bien-fondé du recours à ce

type de présomptions1129. Mais elle été affermie par l’arrêt Kliza contre Pologne dans lequel

aucune violation de l’article 5 § 3 n’a été constatée, les autorités ayant pu légitimement

présumer un risque de pression sur les témoins ainsi qu’un risque d’obstruction de la

procédure du fait de l’appartenance du requérant à un groupe criminel organisé1130.

En définitive, la jurisprudence européenne, même si elle leur fixe des limites qui

seront abordées plus en détail ultérieurement, comme la réfragabilité, admet largement les

présomptions répressives. Elle peut dès lors faire l’objet d’une appréciation critique.

1126 CEDH, 8 juin 1995, Yagci et Sargin c/ Turquie, req. n°s 16419/90 - 16426/9, § 52 ; CEDH, 8 juin 1995, Mansur c/ Turquie, req. n° 16026/90, § 55 : « La Cour rappelle que le danger de fuite ne peut s'apprécier uniquement sur la base de la gravité de la peine encourue; il doit s'analyser en fonction d'un ensemble d'éléments supplémentaires pertinents propres soit à en confirmer l'existence, soit à le faire apparaître à ce point réduit qu'il ne peut justifier une détention provisoire ». 1127 CEDH, 6 novembre 2003, Pantano c/ Italie, req. n° 60851/00, § 69. 1128 Frédéric SUDRE et al., op. cit.p. 150, pp. 207-2008. 1129 Ainsi, dans plusieurs arrêts, l’utilisation de semblables présomptions par les juridictions internes n’a pas permis d’éviter le constat de violation de l’article 5 § 3. Pour la présomption de l’article 275 § 3 du Code de procédure pénal italien, V. : CEDH, 6 avril 2000, Labita c/ Italie, req. n° 26772/95, §§ 162-165 ; CEDH, 16 novembre 2000, Vaccaro c/ Italie, req. n° 41852/98, § 38. Pour la présomption de l’article 152 du Code de procédure pénale bulgare selon laquelle la détention provisoire est justifiée pour les infractions d’une certaine gravité, V. : CEDH, 8 mars 2007, Dimov c/ Bulgarie, req. n° 57762/00, §§ 106-108 ; CEDH, 14 juin 2007, Nikola Nikolov c/ Bulgarie, req. n° 68079/01, §§ 49-51; CEDH, 26 juillet 2001, Ilijkov c/ Bulgarie, req. n° 33977/93, §§ 79-83. 1130 CEDH, 6 septembre 2007, Kliza c/ Pologne, req. n° 8363/04, § 49: « As regards the risk of pressure being brought to bear on witnesses or of the obstruction of the proceedings by other unlawful means, the Court notes that at the initial stages of the proceedings the judicial authorities presumed that such risks existed on the ground that the applicant had been a member of an organised criminal group. The Court accepts that, in the special circumstances of the case, the risk flowing from the nature of the applicant's criminal activities existed and justified holding him in custody for the relevant period ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

319

B- Appréciation critique de la jurisprudence favorable aux

présomptions nationales en matière répressive

L’appréciation critique de la jurisprudence admettant le recours aux présomptions en

matière répressive passe par l’analyse de ses justifications pratiques (1-) et théoriques (2-).

1- Justification pratique

A la lecture des arrêts précédemment évoqués, le constat suivant vient à l’esprit : les juges

européens acceptent le recours aux présomptions en matière répressive car elles permettent

aux Etats contractants de remplir leurs objectifs répressifs malgré les éventuelles difficultés

probatoires qu’ils pourraient rencontrer ; bref, ils les acceptent en raison de leur aspect

régulateur.

Or, la confrontation de ce constat à la définition de la régulation1131 le conforte.

Conformément à ladite définition, les présomptions concernées constituent biens « des

rétroactions correctrices » assurant l’équilibre et, par là-même, la réalisation des objectifs

répressifs poursuivis par les Etats contractants lorsqu’ils sont compromis par des difficultés

probatoires. Ainsi, en revient-on à la dialectique des rapports entre présomption-postulat et

présomption-preuve contraires et, plus spécifiquement, entre présomption d’innocence et

présomption de culpabilité1132. Tandis que la présomption d’innocence, consacrée par la

CEDH, forme la ligne directrice du raisonnement, la présomption de culpabilité, contre

laquelle la Cour n’érige pas d’obstacle de principe, intervient éventuellement lors du même

raisonnement pour contrebalancer ponctuellement la présomption d’innocence. Autrement dit,

cette dernière assure l’équilibre général du processus répressif - elle constitue même sa raison

d’être en protégeant l’accusé des préjugements - tandis que les présomptions de culpabilité

peuvent le restaurer au cas où il serait momentanément détruit au détriment d’un Etat

contractant. Bref, régulatrices, les présomptions répressives compenseraient ponctuellement la

rigidité axiomatique de la présomption d’innocence.

Toutefois, peut-être n’eût-on pas pu dresser ce constat si la Cour n’avait explicité les

raisons pour lesquelles elle admet les présomptions en matière répressive. Mais, à plusieurs

reprises, elle a clairement justifié sa position, mettant ainsi en évidence les vertus régulatrices

1131 V. p. 239 note 795. 1132 V. supra : l’articulation entre présomptions-postulats et présomptions-preuves.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

320

des présomptions qui permettent de surmonter certaines difficultés probatoires et ainsi de

garantir l’équilibre entre protection des droits de l’Homme et objectifs répressifs internes,

l’effectivité de la première ne devant pas empêcher la réalisation des seconds.

Ainsi, d’après la décision Francesco Perre, le recours à la présomption selon laquelle

les biens d’une personne dont le train de vie est disproportionné par rapport à ses revenus

apparents ou déclarés proviennent d’activités illicites n’est pas contraire à la CEDH eu égard

au contexte particulier de la criminalité mafieuse. « Les profits démesurés que les associations

de type mafieux tirent de leurs activités illicites, note la Cour, leur donnent un pouvoir dont

l’existence remet en cause la primauté du droit dans l’Etat. Ainsi, les moyens adoptés pour

combattre ce pouvoir économique, notamment la confiscation litigieuse, peuvent apparaître

comme indispensables pour lutter efficacement contre lesdites associations »1133. De même,

dans l’arrêt Pantano, la Cour estime que la présomption de dangerosité de l’article 275 § 3 du

Code de procédure pénale italien se justifie dans le contexte de la lutte contre la Mafia1134.

Elle démontre qu’en l’occurrence « la détention provisoire (…) tend à couper les liens

existant entre les personnes concernées et leur milieu criminel d'origine, afin de minimiser le

risque qu'elles ne maintiennent des contacts personnels avec les structures des organisations

criminelles et ne puissent commettre entre-temps des délits similaires ». Dès lors, elle tient

« compte de la nature spécifique du phénomène de la criminalité organisée et notamment de

type mafieux » et en conclut que « le législateur italien pouvait raisonnablement estimer (…)

que les mesures de précaution s'imposaient pour une véritable exigence d'intérêt public,

notamment pour la défense de l'ordre et de la sûreté publics, ainsi que pour la prévention des

infractions pénales »1135.

Dans le même ordre d’idées, si les présomptions fiscales suédoises concernées par

l’arrêt Janosevic « restent confinées dans des limites raisonnables », c’est « qu’un système

efficace d'imposition est important pour la défense des intérêts financiers de l'Etat »1136.

Enfin, l’idée du rôle régulateur de la présomption quant aux activités répressives des

Etats contractants se manifeste dans l’arrêt Radio France. Pour la Cour, « (…) eu égard à

l'importance de l'enjeu – il s'agit de prévenir efficacement la diffusion dans les médias

d'allégations ou imputations diffamatoires ou injurieuses en obligeant le directeur de la

1133 CEDH, déc°, 12 avril 2007, Francesco Perre et autres c/ Italie, req. n° 1905/05. 1134 CEDH, 6 novembre 2003, Pantano c/ Italie, req. n° 60851/00, § 69. 1135 Ibid., § 70. 1136 CEDH, 23 juillet 2002, Janosevic c/ Suède, req. n° 34619/97, § 104.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

321

publication à exercer un contrôle préalable – (…) la présomption de responsabilité de

l'article 93-3 de la loi de 1982 reste dans des « limites raisonnables » requises »1137. En

réalité, la justification avancée dans cet arrêt glisse même du constat de la capacité régulatrice

de la présomption vers celui de ces facultés incitatrices, lesquelles mériteraient une analyse

détaillée1138. Pour l’heure, précisons simplement que la présomption de responsabilité du

directeur de publication se justifie non seulement car elle permet de désigner un responsable -

le directeur de publication - mais aussi car elle incite ce responsable potentiel à exercer un

contrôle préalable.

En définitive, l’admission des présomptions en matière répressive correspond à un

choix délibéré de la Cour lié à la souplesse du mécanisme présomptif et à la volonté de

prendre en compte les réalités internes, telle la lutte contre certains types de criminalité.

Néanmoins - et c’est leur originalité - la forme de régulation à l’œuvre dans ces présomptions

n’a rien à voir avec la sécurité statique. Point n’est question de conformité de l’état de fait à

l’état de droit. Au contraire, ces présomptions s’inscrivent dans une logique totalement

opposée : la logique délinquante1139. C’est en effet la non-conformité de l’état de fait à l’état

de droit qui est présumée, par exemple la culpabilité, l’illégalité de la source des biens, etc.

Dès lors, l’admission de tels mécanismes pourrait être assimilée à une forme exacerbée de

retenue judiciaire, voire à une politique rétrograde de la Cour. On imagine en effet aisément

les risques générés par de telles présomptions : atteinte au procès équitable en général, atteinte

aux droits de la défense et à l’égalité des armes en particulier. Tout au moins leur admission

est-elle le signe d’un contrôle européen limité comme le révèle l’examen de sa justification

théorique.

2- Justification théorique

C’est une chose de savoir que la Cour admet le recours à des présomptions répressives

pour des raisons concrètes ; c’en est une autre de cerner quel mécanisme interprétatif lui

permet d’agir ainsi. Il semble que le principe de subsidiarité et la marge nationale

d’appréciation soient directement impliqués : le juge européen admettrait de telles

présomptions en vertu de la marge d’appréciation laissée aux Etats.

1137 CEDH, 30 mars 2004, Radio France c/ France, req. n° 53984/00, § 24. 1138 V. infra. 1139 Gildas ROUSSEL, op. cit., p. 51 § 38.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

322

La plupart du temps, les requérants allèguent une violation de l’article 6 § 2 de la CEDH.

Or, l’article 6 ne fait pas partie de ce que Mme le juge TULKENS et Luc DONNAY appellent

« les terrains d’élection naturels »1140 de la marge d’appréciation. Autrement dit, l’article 6 ne

ferait pas partie des articles pour lesquels la marge d’appréciation joue naturellement, à savoir

l’article 15 et les articles qui consacrent des droits à une protection relative et prévoient donc

des limitations à ceux-ci tels les articles 8 à 11 de la Convention ou encore l’article 1 du

Protocole 1. Cependant, ces auteurs reconnaissent que « la marge d’appréciation est (…) en

expansion constante »1141 et démontrent que le droit à un procès équitable garanti par l’article

6 « se prête à des limitations implicitement admises car il commande de par sa nature même

une règlementation par l’Etat. Les Etats jouissent dès lors en la matière d’une certaine marge

d’appréciation »1142. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que cette dernière se manifeste à

travers une « liberté de qualification pénale »1143 reconnue aux Etats, laquelle engendre

notamment la possibilité de tenir pour établie la culpabilité d’une personne ou pour certains

les éléments matériel ou moral d’une infraction, bref d’établir une présomption. Comme le

résume P. ROLLAND1144, « la présomption d’innocence de l’article 6 § 2, n’interdit pas à un

Etat d’établir des présomptions légales dans le cadre du droit pénal. Ceci résulte d’un

principe déjà plusieurs fois reconnu par la Cour, celui de la liberté de qualification des

législations pénales nationales ». Le principe de subsidiarité et la marge d’appréciation

attribuée aux Etats créent donc, pour ces derniers, une liberté de qualification pénale, laquelle

leur offrirait la possibilité d’établir des présomptions en matière répressive1145. L’arrêt

Salabiaku, qui a admis le recours à une présomption de responsabilité du détenteur de

marchandises de fraude à partir d’un simple fait matériel de détention, le met en lumière :

« (…) les États contractants demeurent libres, en principe, de réprimer au pénal un acte

accompli hors de l’exercice normal de l’un des droits que protège la Convention (…) et,

partant, de définir les éléments constitutifs de pareille infraction. Ils peuvent notamment,

toujours en principe et sous certaines conditions, rendre punissable un fait matériel ou

1140 Françoise TULKENS et Luc DONNAY, « L’usage de la marge d’appréciation par la Cour européenne des droits de l’Homme. Paravent juridique superflu ou mécanisme indispensable par nature ? », RSC, 2006, pp. 3 sq., spéc. p. 7. 1141 Ibid., p.10. 1142 Ibid., p. 10. 1143 Virginie HECQUET, op. cit., p. 340. 1144 P. ROLLAND, obs. sous Salabiaku, JDI, 1989, pp. 830-831. 1145 Virginie HECQUET, op. cit., p. 340-343.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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objectif considéré en soi, qu’il procède ou non d’une intention délictueuse ou d’une

négligence; leurs législations respectives en offrent des exemples »1146.

Le contrôle exercé par la Cour sur les présomptions répressives peut alors être rapproché

de la proportionnalité qui est, précisément, un élément du contrôle de la marge nationale

d’appréciation. Non seulement la Cour recherche systématiquement si la présomption est

restée dans des limites raisonnables en prenant en compte tout à la fois la gravité de l’enjeu et

la nécessaire sauvegarde des droits de la défense, mais encore elle fait parfois explicitement

allusion à la proportionnalité. C’est le cas dans l’arrêt Janosevic1147. Avant d’évaluer « si ce

principe de proportionnalité a été respecté en l'espèce »1148, la Cour commence par rappeler

que, « lorsqu'ils emploient des présomptions en droit pénal, les Etats contractants doivent

ainsi ménager un équilibre entre l'importance de l'enjeu et les droits de la défense ; en

d'autres termes, les moyens employés doivent être raisonnablement proportionnés au but

légitime poursuivi »1149. En l’occurrence, après avoir mis en balance les difficultés pour le

requérant de réfuter la présomption et « l'intérêt financier de l'Etat en matière fiscale »1150, la

Cour estime que la présomption concernée est restée dans des limites raisonnables.

Parfois il arrive que la présomption répressive soit mise en cause, non sur le fondement de

l’article 6 mais sur celui d’un article faisant partie des « terrains d’élection naturels » de la

marge nationale d’appréciation. Ainsi dans la décision Francesco Perre, la Cour a-t-elle

analysé la présomption d’illégalité de la source des biens ayant permis la confiscation de ceux

du requérant au regard de l’article 1 du Protocole 1. Après avoir rappelé la possibilité pour les

Etats d’adopter « les lois qu’ils jugent nécessaires pour règlementer l’usage des biens

conformément à l’intérêt général », la Cour constate que la confiscation fondée sur la

présomption était prévue par la loi, poursuivait un but d’intérêt général et enfin qu’elle était

proportionnée.

Ainsi la marge d’appréciation, assimilable à « l’expression d’une « déférence », d’une

« retenue », d’un « judicial self-restraint » du juge »1151, fixe les limites du contrôle du juge

européen concernant les présomptions nationales en matière répressive : aucun obstacle de

principe ne s’oppose à de telles présomptions que les Etats sont donc libres d’instituer, elles

1146 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83. 1147 CEDH, 23 juillet 2002, Janosevic c/ Suède, req. n° 34619/97, §§ 101-104. 1148 Ibid., § 102. 1149 Ibid., § 101. 1150 Ibid., § 103. 1151 Sébastien VAN DROOGHENBROECK, op. cit., p. 503.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

324

doivent simplement demeurer dans des limites raisonnables. Sous couvert de la marge

d’appréciation et en vertu de leur rôle régulateur, la Cour admet donc le recours à des

présomptions qu’on ne peut assurément tenir pour extensives des droits garantis par la

Convention, faisant ainsi montre d’une réelle retenue judiciaire.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

325

Conclusion du chapitre 2

Au gré des précédents chapitres, la présomption était apparue comme un outil de

concordance pratique entre le besoin de connaissance et les difficultés probatoires mais aussi

entre la réalité matérielle et les buts poursuivis par le juriste et enfin entre des intérêts

antagonistes, la présomption favorisant toujours une thèse au détriment d’une autre ; autant

d’éléments qui ouvraient des perspectives régulatrices au mécanisme présomptif.

Ces perspectives ont d’abord trouvé un écho dans certains écrits doctrinaux du début

du XX ème siècle selon lesquels la présomption est au cœur de la sécurité statique, la stabilité

dont tout système juridique a besoin pour fonctionner reposant sur une présomption de

conformité de l’état de fait à l’état de droit. Elles ont ensuite été pleinement mises en lumière

par le droit de la CEDH qui non seulement les consacre mais encore les élargit.

Consacre, tout d’abord, puisque plusieurs présomptions créées par la Cour de

Strasbourg correspondent à une forme de sécurité statique et sont indéniablement régulatrices.

Ainsi en est-il, pour ne citer qu’elle, de la présomption d’équivalence de la protection des

droits fondamentaux par le droit de l’Union européenne et par le droit de la CEDH qui assure

incontestablement l’harmonie entre ces deux branches du droit quitte à simplifier grandement

leur analyse et à se teinter d’artifice.

Elargit, ensuite, puisque le droit de la CEDH attire l’attention sur un autre versant de

la régulation présomptive : le statisme propre à toute recherche d’équilibre et de stabilité

s’achemine parfois vers une forme d’immobilisme voire de retenue judiciaire. Le juge

européen utilise ainsi des présomptions qui limitent son contrôle : il présume parfois que

certaines conditions de la proportionnalité sont remplies voire qu’une mesure est globalement

proportionnée. De même, il se montre bienveillant à l’égard des présomptions répressives

d’origine nationale, admettant notamment le recours à des présomptions de culpabilité ou à

des présomptions d’illégalité de la source des biens.

Quoi qu’il en soit, le mécanisme présomptif revêt donc une fonction régulatrice qui

n’est guère surprenante compte tenu de sa flexibilité fondamentale et augure sans doute

favorablement de sa pérennité. A l’heure où « le « flou du droit » est devenu réalité »1152 et où

1152 Mireille DELMAS-MARTY, op. cit., préface p. 13.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

326

règne la proportionnalité, il semble logique que la présomption, singulièrement malléable,

participe à la cohésion du système.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

327

Conclusion du titre 1

Plusieurs indices, telle son appartenance à la technique juridique, ont laissé envisager

la participation de la présomption à la cohésion du système qui la met en œuvre. A l’heure du

bilan, l’enjeu est donc de déterminer si la présomption revêt réellement une telle fonction,

sachant qu’une infirmation remettrait en cause la revalorisation de son rôle. L’interrogation

porte donc sur l’utilité des présomptions : promesse tenue, promesse dépassée.

Promesse tenue tout d’abord. Technique de réalisation du droit, la présomption est à la

fois source de connaissance et mode de raisonnement. Technique de régulation, elle consiste à

assurer une forme d’harmonie. Dès lors, ciment scellant les pierres de l’édifice juridique, elle

constitue indéniablement un facteur de cohésion. Voilà de quoi étayer la thèse de l’utilité

présomptive ! La présomption n’est pas une simple technique parmi d’autres ; elle est certes

cela mais aussi plus que cela : c’est une forme de raisonnement hautement juridique qui

oriente dynamiquement le système juridique et dont on peut analyser les effets comme un jeu

et un équilibre de puissances.

Promesse dépassée ensuite. A l’instar d’un être intelligent qui, comme le constatait

Bergson, « porte en lui de quoi se dépasser lui-même »1153, la présomption, en tant que facteur

de cohésion, porte en elle de quoi se dépasser elle-même. Sa force de cohésion est en effet

indissociable de son extrême malléabilité ; apparemment neutre, la présomption est en réalité

à l’image de celui qui l’utilise. Alors même qu’on aurait plutôt associé les notions de cohésion

et de régulation à une forme de neutralité, elles débouchent sur la finalité de celui qui présume.

Ainsi le juge européen a-t-il pu mettre la présomption au service de la retenue judiciaire afin

de limiter son contrôle, par exemple en utilisant une présomption de régularité dans

l’établissement national des faits. Mais la présomption peut, à l’inverse, participer à

l’interprétation dynamique de la convention et servir l’activisme judicaire européen. En

définitive, grâce à ses formidables capacités d’adaptation, elle permet de surmonter le clivage

entre activisme et retenue judiciaire.

Facteur de cohésion elle participe à la recherche d’un « juste équilibre ».

Facteur de cohésion, elle devient aussi facteur d’évolution.

1153 Henri BERGSON, L’évolution créatrice, Paris, PF, Quadrige, 2007.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

328

Titre 2 – Facteur d’évolution

Lorsqu’on opte pour une vision structuraliste du système juridique, les présomptions

apparaissent comme des facteurs de cohésion. Qu’en est-il lorsqu’on passe à une vision

évolutionniste, c’est-à-dire qu’on s’intéresse à l’adaptabilité du système? Sont-elles également

nécessaires de ce point de vue ? Contribuent-elles à l’évolution du système ? Favorisent-elles

son adaptation ? L’utilité des présomptions, parfois liées à une forme de statisme, résiste-elle

à cette mise en mouvement ?

D’ores et déjà divers arguments accréditent la thèse d’une intervention active des

présomptions à cet égard. Ainsi le Professeur BARRAINE soutient-il une telle thèse. « Les

présomptions, écrit-il, (…) évitent que le droit conserve un caractère immuable, en préparant

son évolution selon les conditions d’existence propres à chaque époque. Et ce mouvement lent

et continu du droit est une nécessité – un droit stagnant, en retard sur l’évolution générale

des mœurs d’un pays, présenterait rapidement un caractère rétrograde ; mais un

bouleversement rapide serait bien trop dangereux »1154. De ces considérations ressortent deux

observations principales. D’une part, le Droit, s’adaptant aux changements sociaux, est en

perpétuelle évolution ; on rejoint là la conception évolutionniste du système juridique qui

concerne l’adaptabilité du droit. D’autre part, la présomption favoriserait cette évolution.

D’un point de vue général, la flexibilité et la versatilité propres au mécanisme

présomptif semblent en effet compatibles avec sa participation à l’évolution du système. Une

technique elle-même évolutive et mouvante n’est-elle pas la plus propre à accompagner, voire

à prévenir, les changements du système ?

D’un point de vue particulier, la présomption-concept a déjà révélé sa mutabilité

constitutive qui seule lui permet de maintenir sa place de source du droit : elle varie en

fonction des données sociologiques et constitue pour cette raison un processus d’ajustement

du droit1155.

Dès lors, la présomption, soumise aux objectifs de celui qui l’utilise, indexée sur son

idéologie, apparaît comme un facteur d’évolution en puissance. L’éventuel statisme sur lequel

elle s’appuie n’y change rien : il consiste simplement à considérer comme conforme à ce qui

1154 Raymond BARRAINE, op. cit., p. 288. 1155 V. p. 99.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

329

devrait être l’état des choses tel qu’il est ; solution de facilité qui n’empêche guère la

présomption de poursuivre un but précis et, ce faisant, d’être une source de mutation. Ainsi le

statisme peut-il mener à une certaine retenue judiciaire en droit de la CEDH. Pour régressif

qu’il soit, ce processus correspond quand même à un infléchissement dans une direction

particulière, c’est-à-dire à une évolution.

Cependant, le Doyen CARBONNIER constatait que, selon la doctrine évolutionniste,

le sens du devenir du système est plutôt celui d’ « un progrès linéaire (plus de sécurité, plus

de justice, plus de vérité, etc.) »1156. Par conséquent, la participation des présomptions à

l’évolution du système ne saurait être parfaite si elle est uniquement régressive.

A cet égard, l’apport du droit européen des droits de l’Homme qui met en valeur le fort

potentiel progressiste des présomptions est capital : si quelques présomptions européennes

limitent le contrôle de la Cour, d’autres, parmi les plus spectaculaires, accroissent

indéniablement la protection des droits fondamentaux; tel est manifestement le cas des

présomptions de responsabilité en matière de droit à la vie et d’interdiction de la torture ou

encore des présomptions de discriminations indirectes précédemment mentionnées1157. Ainsi,

l’époque évoquée par GENY où les présomptions étaient tenues pour « des expédients

temporaires, qui devraient disparaître, au profit de moyens plus sincères et plus rationnels,

par l’effet du progrès juridique »1158 est-elle révolue : les présomptions n’ont pas été évincées

par le progrès juridique dont elles sont même devenues l’un des vecteurs !

Mieux encore, le droit européen des droits de l’Homme met en lumière l’origine du

potentiel progressiste des présomptions : leur légitimité. Conjonction de juste, d’équitable et

de raisonnable1159, la vérité présomptive est légitime. A ce titre, elle est par exemple

susceptible de constituer la base juridique d’une espérance légitime, comme l’enseigne l’arrêt

Kopecký1160; en d’autres termes, c’est parfois l’instrument grâce auquel la Cour peut légitimer

une espérance.

En définitive, la découverte de leur légitimité (Chapitre 2), explique pourquoi les

présomptions contribuent à l’interprétation progressiste (Chapitre 1).

1156 Jean CARBONNIER, op. cit., p. 351. 1157 V. supra : l’utilisation exemplaire des présomtions-preuves. 1158 François GENY, op. cit., p. 263. 1159 Le Robert. 1160 CEDH, 28 septembre 2004, Kopecký c/ Roumanie, req. n° 44912/98.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

330

Chapitre 1- La contribution des présomptions à

l’interprétation progressiste

En observant les présomptions utilisées par la Cour de Strasbourg, on s’aperçoit que

beaucoup d’entre elles bénéficient au requérant, défavorisant par là-même l’Etat défendeur.

Par exemple, la Cour fait appel à des présomptions pour établir les faits dans les cas de

disparitions forcées, comme le montrent notamment les arrêts Timurtas1161 et Osmanoğlu1162

contre Turquie. De même, elle admet l’existence d’une pratique administrative1163 grâce au

mécanisme présomptif : l’accumulation de violations analogues ou identiques et la tolérance

officielle permettent de présumer l’existence d’une telle pratique1164. En outre, faut-il à

nouveau rappeler qu’elle utilise ce mécanisme pour admettre la responsabilité de l’Etat en cas

de décès et de blessures pendant une garde à vue ou encore pour conclure à l’existence de

discriminations indirectes ?

On en vient finalement à se demander si l’usage du mécanisme présomptif par la Cour

ne participerait pas d’une véritable stratégie, c’est-à-dire d’un « ensemble d'actions

coordonnées, d'opérations habiles, de manœuvres en vue d'atteindre un but précis »1165 : la

présomption ne serait-elle pas l’un des moyens permettant d’optimiser la protection des droits

garantis par la Convention ? Certes, l’usage du terme « stratégie »1166 pourrait, du fait de sa

connotation militaire, paraître inapproprié dans le contexte de la protection des droits de

l’Homme ; il décrit pourtant assez fidèlement l’attitude générale du juge européen à l’égard

des présomptions.

La Cour EDH, qui a le pouvoir d’interpréter la Convention en vertu de l’article 32 de

cette dernière, a manifesté sa préférence pour une interprétation dynamique voire progressiste

de celle-ci. Depuis l’arrêt Airey elle a ainsi affirmé vouloir « protéger des droits non pas

1161 CEDH, 13 juin 2000, Timurtas c/ Turquie, req. n° 23531/94, § 82. 1162 CEDH, 24 janvier 2008, Osmanoğlu c/ Turquie, req. n° 25165/94, §§ 55-60. 1163 CEDH, 28 juillet 1999, Di Mauro c/ Italie, req. n° 34256/96 ; CEDH, 28 juillet 1999, Ferrari c/ Italie, req. n° 33440/96. 1164 Franklin KUTY, loc. cit. ; Jean-François FLAUSS, loc. cit. p. 21. 1165 V. la définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/stratégie], (2009-12-22). 1166 Sur la notion de stratégie, V. : Jean MEUNIER, Le pouvoir du Conseil constitutionnel. Essai d’analyse stratégique, Paris, LGDJ, Publications des Universités de Rouen et du Havre, 1994, pp. 13-18.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

331

théoriques ou illusoires mais concrets et effectifs »1167. A cet égard, « les idées, principes et

méthodes qui lui ont permis de faire triompher cette option sont nombreux »1168. C’est, entre

autres, le cas de l’autonomie des termes de la Convention, des obligations positives, de l’effet

horizontal, etc. C’est sans doute aussi le cas des présomptions qu’on vient d’énumérer : elles

semblent bien se situer dans la dialectique de l’interprétation progressiste. S’insérant dans un

double mouvement, elles bénéficient en effet manifestement au requérant, au détriment de

l’Etat défendeur.

En outre, la jurisprudence européenne révèle comment favoriser l’usage progressiste

des présomptions alors même que celles-ci, fondamentalement malléables, pourraient servir

n’importe quelle cause. A travers le sort qu’elle réserve aux présomptions issues du droit

interne et les caractéristiques de celles qu’elle crée, on peut discerner quelles précautions

doivent être respectées pour préserver le mécanisme présomptif de l’instrumentalisation : il

semblerait par exemple aberrant d’étendre l’usage des présomptions absolues alors même que

l’irréfragabilité rapproche les présomptions des fictions et leur confère une inhabituelle

rigidité. La jurisprudence européenne constitue donc une sorte de guide permettant de cerner

la manière d’affermir l’utilisation progressiste de la présomption et de la transposer en droit

interne.

Aussi la contribution des présomptions à l’interprétation progressiste, doublement

décisive (Section 1), apparaît-elle comme indissociable de leur encadrement (Section2).

1167 CEDH, 9 octobre 1979, Airey c/ Irlande, req. n° 6289/73, § 24. 1168 Jean-Pierre MARGUENAUD, op. cit..

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

332

Section 1- Une contribution doublement décisive

A travers les présomptions, c’est toute la conception strasbourgeoise des droits de

l’Homme qui s’exprime : il ne s’agit pas simplement de réparer et de punir mais aussi de

prévenir et d’expliquer. D’un côté, les présomptions favorisent les victimes de violations en

allégeant leur charge probatoire et, plus globalement, en renforçant leur protection. D’un autre

côté, elles sanctionnent les Etats ayant violé la Convention de manière qu’ils puissent tirer un

enseignement du constat de violation prononcé à leur encontre. En somme, les présomptions

assurent l’effectivité de la protection des individus (Section 1) tout en faisant œuvre

didactique à l’égard des Etats (Section 2).

§ 1- Les présomptions, outils d’effectivité de la protection des

individus

Le recours au mécanisme présomptif accroît la protection des individus en renforçant,

d’une manière générale, celle des droits fondamentaux (A-) et, plus particulièrement, celle des

personnes vulnérables (B-).

A- Le renforcement général de la protection des droits fondamentaux

Source d’avancées procédurales en amont et en aval de la violation alléguée (2-), les

présomptions contribuent avant tout au rééquilibrage probatoire du contentieux au profit des

requérants (1-).

1- Le rééquilibrage probatoire du contentieux au profit des requérants

Les arrêts strasbourgeois comportent une partie intitulée « En fait » ; une autre intitulée

« En droit ». Déterminer à quel stade intervient une présomption, c’est-à-dire savoir si elle

permet d’établir des données factuelles ou une violation, devrait donc être aisé. Ce n’est

pourtant guère le cas. D’une part, la frontière séparant les faits de la violation est ténue, la

seconde n’étant prononcée qu’en fonction de l’établissement des premiers. D’autre part, toute

présomption vise à pallier la méconnaissance de la réalité et revêt donc un aspect factuel1169.

1169 V. supra : le rattachement des présomptions-preuves légales à la loi du fond.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

333

Cependant le fait présumé entraîne plus ou moins directement des conséquences

juridiques. Par exemple, en cas de disparition inexpliquée d’un objet, présumer le vol est

important - c’est le préalable à la recherche du coupable - mais il s’agit d’une présomption

strictement factuelle. En revanche, la présomption selon laquelle un individu X a commis ce

vol, tout en ayant un aspect factuel, emporte directement désignation du coupable.

Or, en droit de la CEDH, le schéma est comparable. Parfois la présomption permet

simplement d’établir ponctuellement un fait : le décès d’une personne disparue, la censure

d’une lettre par les autorités pénitentiaires, etc. Parfois elle équivaut directement à un constat

de violation lorsqu’elle impute la responsabilité d’un fait à l’Etat défendeur. Dès lors, il

semble possible de distinguer les présomptions qui agissent sur l’établissement des faits (a-)

de celles qui agissent sur le constat de violation (b-).

a- L’établissement des faits

En principe, la Cour européenne des droits de l’Homme n’a pas à réexaminer les faits de

l’espèce. Ceux-ci ont déjà été établis par les juridictions internes et, le principe de subsidiarité

aidant, la Cour présume en général la régularité de cet établissement1170. Il arrive néanmoins

que des doutes, des incertitudes ou des controverses entre les parties obscurcissent les faits.

Dans ce cas, le recours à des présomptions de fait peut permettre au juge européen de

surmonter ces difficultés. Or, le contentieux des droits de l’Homme est originellement

inégalitaire et déséquilibré : il oppose, la plupart du temps, une personne physique à un Etat,

celui-ci ayant une capacité probatoire qui fait défaut à celui-là. Il est donc logique, en termes

d’effectivité de la protection des droits et de respect des objectifs de la Cour, que la

présomption rééquilibre plutôt la preuve en faveur du requérant. Concrètement, le mécanisme

présomptif permet à la Cour de tenir pour acquis les faits potentiellement constitutifs de la

violation, alors même que le requérant a seulement apporté un commencement de preuve.

Divers exemples aident à cerner le rôle progressiste joué par la présomption lors de

l’établissement des faits.

Dans un premier temps, de nombreux arrêts révèlent la variété des présomptions de fait

employées par le juge européen. Quatre d’entre eux, présentés chronologiquement, retiendront

ici l’attention.

1170 V. p. 143-144.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

334

Révélateur de l’absence de réticences du juge européen à l’égard des présomptions de fait,

l’arrêt Modinos contre Chypre du 22 avril 19931171 se situe, quant au fond, dans la lignée des

arrêts Dudgeon1172 et Norris1173, lesquels avaient admis que les législations incriminant les

relations sexuelles entre majeurs consentants n’étaient pas nécessaires pour protéger la morale

dans une société démocratique au regard de l’article 8 § 2 et constituaient de ce fait une

violation du droit au respect de la vie privée. Monsieur Modinos, homosexuel entretenant une

relation charnelle avec un autre homme, estimait en effet que certaines dispositions du Code

pénal chypriote réprimant les relations homosexuelles privées étaient pour lui « source de

grande tension, d’appréhension et de crainte des poursuites »1174 et violaient son droit à la vie

privée. Mais le Gouvernement prétendait que les dispositions litigieuses ne pouvaient plus

être appliquées en raison de leur contrariété à l’article 15 de la Constitution et à l’article 8 de

la CEDH et n’étaient donc « en réalité plus en vigueur »1175. Il soutenait également que

l’Attorney-General n’avait lancé aucune poursuite de ce type depuis 1981. Un problème

d’ordre factuel devait donc être résolu, celui de savoir si une disposition législative non

encore abrogée, quoiqu’inappliquée et contraire à des normes constitutionnelles et

conventionnelles, est encore en vigueur. Son abrogation tacite n’aurait en effet pas permis

d’examiner sa compatibilité avec l’article 8. Pour résoudre ce problème, la Cour fait appel au

mécanisme présomptif. D’un ensemble de fait connus - l’absence d’abrogation de la

législation litigieuse, sa possible application subséquente et « des déclarations ministérielles

donnant à penser que les dispositions en cause (…) demeurent en vigueur »1176 - elle infère un

fait inconnu : le fait que cette législation demeure en vigueur. Sur le fondement de ces

données factuelles établies présomptivement, elle conclut à une violation de l’article 8

conformément à sa jurisprudence antérieure.

Autre illustration du rôle dynamique de la présomption-preuve, au stade de

l’établissement des faits, l’arrêt Alver contre Estonie1177 concerne les conditions matérielles

de détention. Dans ce type d’affaires, il n’est par rare, comme l’observe Sandrine GIL, qu’on

se heurte à une « (…) absence d’indications précises, par exemple sur l’espace par détenu

lorsque le taux d’occupation de la prison en cause a été variable et que le Gouvernement

1171 CEDH, 22 avril 1993, Modinos c/ Chypre, req. n°15070/89. 1172 CEDH, 22 octobre 1981, Dudgeon c/ Royaume Uni, req. n° 7525/76. 1173 CEDH, 26 octobre 1988, Norris c/ Irlande, req. n° 10581/83 1174 Ibid., § 7. 1175 Ibid., § 17. 1176 Ibid., § 23. 1177 CEDH, 8 novembre 2005, Alver c/ Estonie, req. n° 64812/01.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

335

n’est pas en mesure ou ne veut pas donner de chiffres précis »1178. Pour remédier à ces

difficultés, la Cour use, en l’espèce, d’une présomption-preuve : de la détention du requérant

dans deux établissements pénitentiaires où le CPT a effectué une visite en 1997 à l’issue de

laquelle il a constaté le surpeuplement, le manque d’aération, de lumière naturelle et

d’hygiène, la Cour infère que le requérant a été détenu dans des conditions de surpeuplement,

d’insalubrité et de délabrement. C’est donc encore une fois sur le fondement de données

établies grâce à une présomption que la Cour constate une violation de la Convention.

Par ailleurs, le recours à la présomption pour établir les faits est parfois explicite. C’est

notamment le cas dans l’arrêt Kliza contre Pologne du 6 septembre 20071179 où le potentiel

dynamique de la présomption apparaît singulièrement fort. Non contente de soulever de son

propre chef un problème sur le fondement de l’article 8 du fait de la censure de la

correspondance entre elle et le requérant détenu, la Cour établit ladite censure via une

présomption : « (…) as long as the Polish authorities continue the practice of marking

detainees' letters with the “censored” stamp, the Court has no alternative but to presume1180

that those letters have been opened and their contents read »1181. C’est également le cas dans

l’arrêt Samoilă et Cionca contre Roumanie du 4 mars 20081182. En l’espèce, selon les

requérants, certaines déclarations des représentants des autorités locales auraient méconnu la

présomption d’innocence garantie par l’article 6 § 2 de la Convention. Or, « S'agissant de la

déclaration du commandant de la police, la Cour note qu'elle fait l'objet d'une controverse

entre les parties. La Cour constate cependant que son auteur prétendu n'est pas revenu

publiquement sur sa déclaration et n'a pas demandé la publication d'un démenti. Ces

éléments induisent la Cour à présumer1183 que les propos litigieux ont réellement été tenus

(…) »1184.

Dans un second temps, on en vient à l’exemple le plus spectaculaire et le plus

systématique du recours à la présomption au stade de l’établissement des faits : celui de la

1178 Sandrine GIL, « La dignité de l’Homme en prison. La jurisprudence de la Cour en 2005 sur les conditions de détention en prison au regard de l’article 3 de la Convention », dans Paul TAVERNIER (dir.), La France et la Cour européenne des droits de l’Homme, la jurisprudence en 2005, Bruxelles, Bruylant, 2006, pp. 77 sq., spéc. pp. 84-85. 1179 CEDH, 6 septembre 2007, Kliza contre Pologne, req. n° 8363/04. 1180 C’est nous qui soulignons. 1181 CEDH, 6 septembre 2007, Kliza contre Pologne, req. n° 8363/04, § 62. V. aussi : CEDH, 2 décembre 2003, Matwiejczuk c/ Pologne, req. n° 37641/97, § 99 ; CEDH, 14 juin 2005, Pisk-Piskowski c/ Pologne, req. n° 92/03, § 26 ; CEDH, 4 mai 2006, Michta c/ Pologne, req. n° 13425/02, § 57. 1182 CEDH, 4 mars 2008, Samoilă et Cionca c/ Roumanie, req. n° 33065/03. 1183 C’est nous qui soulignons. 1184 CEDH, 4 mars 2008, Samoilă et Cionca c/ Roumanie, req. n° 33065/03, § 96.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

336

présomption de décès en matière de disparitions forcées, lesquelles semblent devenues

monnaie courante en Europe en raison des conflits turco-kurde1185 et russo-tchétchène1186.

La dépouille du disparu est parfois retrouvée, à l’instar de celle de Nura Luluyeva1187

découverte dans un charnier plusieurs mois après sa disparition, mais ce n’est pas l’hypothèse

la plus fréquente. Or, « il n’y a pas de crime sans le corps du délit », dit l’adage. La

problématique probatoire des cas de disparitions forcées se réduit donc au constat suivant :

l’absence de corps. Comment, en effet, examiner la responsabilité étatique sous l’angle de

l’article 2 alors même que le corps du disparu n’a pu être retrouvé ? « Le point de savoir si

l'absence d'explication plausible de la part des autorités relativement au sort d'un détenu, en

l'absence de corps1188, peut (…) soulever des questions au regard de l'article 2 de la

Convention, rappelle la Cour, dépend de l'ensemble des circonstances de l'affaire, et

notamment de l'existence de preuves circonstancielles suffisantes, fondées sur des éléments

matériels, permettant de conclure au niveau de preuve requis que le détenu doit être présumé

mort pendant sa détention »1189. Mais la Cour donne la solution du problème tout en le

formulant : faute de cadavre, il faut recourir à une présomption de décès.

Concrètement cette présomption, calquée sur celle élaborée par la Cour interaméricaine

des droits de l’Homme1190 lors de l’affaire Veslásquez Rodríguez1191, s’analyse en une

présomption-preuve. Elle repose en effet sur un déplacement de l’objet de la preuve, sur un

passage du connu à l’inconnu et sur la probabilité1192. Le décès du disparu ne pouvant être

prouvé directement faute de corps, il est inféré d’un ensemble d’indices qui le rendent

probable. A cet égard, les indices susceptibles d’être pris en compte sont grosso modo

1185 V. entre autres : CEDH, 10 juillet 2001, Avşar c/ Turquie, req. no 25657/94 ; CEDH, 30 mars 2004, Nuray Şen c/ Turquie (no 2), req. no 25354/94; CEDH, 31 mai 2005, Çelikbilek c/ Turquie, req. n° 27693/95. 1186 V. entre autres : CEDH, 27 juillet 2006, Bazorkina c/ Russie, req. n° 69481/01, §§ 108-111 ; CEDH, 9 novembre 2006, Imakayeva c/ Russie, req. n° 7615/02, §§ 139-142 ; CEDH, 20 mars 2008, Aziyevy c/ Russie, req. n° 77626/01, §§ 68-76 ; CEDH, 19 avril 2008, Kaplanova c/ Russie, req. n° 7653/02, §§ 104-108 ; CEDH, 26 juin 2008, Isigova et autres c/ Russie, req. n° 6844/02, §§ 92-101 ; CEDH, 9 octobre 2008, Zulpa Akhmatova contre Russie, req. n°s 13569/02 et 13573/02, §§ 87-93. 1187 CEDH, 9 novembre 2006, Luluyev et autres c/ Russie, req. n° 69480/01, § 28. 1188 C’est nous qui soulignons. 1189 CEDH, 8 juillet 1999, Çakıcı c/ Turquie, req. no 23657/94, § 85 ; CEDH, 9 mai 2000, Ertak c/ Turquie, no 20764/92, § 13 ; CEDH, 13 juin 2000, Timurtas c/ Turquie, req. n° 23531/94, § 82 ; CEDH, 24 janvier 2008, Osmanoğlu c/ Turquie, req. n° 25165/94, § 55 1190 Sur la présomption de décès telle qu’élaborée par la Cour interaméricaine, V. : Laurence Burgorgue-Larsen et al., Les grandes décisions de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme, Bruxelles, Bruylant, 2008, n°13, CIDH, 22 septembre 2006, Goiburú c/ Paraguay, pp. 327 sq. 1191 CIDH, 29 juillet 1988, Velásquez Rodríguez, série C no 4. 1192 Jérôme BENZIMRA-HAZAN, loc.cit., pp. 990-991.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

337

toujours les mêmes1193. Tout d’abord, la disparition doit obligatoirement être intervenue à la

suite d’une détention non-reconnue mais opérée par les forces de l’ordre ; la preuve peut être

rapportée par des témoignages comme le rappelle l’arrêt Mutsayeva contre Russie du 23

juillet 20091194. Ensuite la Cour peut aussi prendre en compte l’attention particulière que les

autorités portaient aux agissements du disparu, puis l’écoulement du temps car « plus le temps

passe sans que l'on ait de nouvelles de la personne détenue, plus il est probable qu'elle est

décédée »1195, et enfin le contexte global du pays où a eu lieu la disparition. Pour renverser

cette présomption, l’Etat défendeur doit prouver ce qu’il est advenu du disparu, à quoi l’on

perçoit combien elle est favorable au requérant.

On ne saurait citer en détail tous les arrêts relatifs à la présomption de décès, mais la

présentation de certains d’entre eux suffit à saisir son mécanisme. Ainsi, lors de l’affaire

Zulpa Akhmatova contre Russie1196, la Cour a-t-elle présumé le décès de Said-Magomed

Debizov, Iznovr Serbiyev and Bekkhan Bargayev grâce à trois faits connus : la détention des

disparus par des militaires lors d’une intervention non reconnue1197, leur absence consécutive

longue de plus de sept années1198 et enfin le contexte général en Tchétchénie1199. De même,

deux ans auparavant dans l’arrêt Imakayeva contre Russie1200, la Cour recensait fort

synthétiquement les raisons pour lesquelles Said-Khuseyn Imakayev devait être présumé

mort : « The Court recalls that it has found it established that the applicant's son was last

seen on 17 December 2000 in the hands of unidentified military or security personnel. There

has been no news of him since that date, which is more than five and a half years ago. The

Court also notes the applicant's reference to the available information about the phenomenon

of “disappearances” in Chechnya and agrees that, in the context of the conflict in Chechnya,

when a person is detained by unidentified servicemen without any subsequent

acknowledgement of detention, this can be regarded as life-threatening »1201. Mutatis

mutandis, c’est d’une manière similaire que la présomption de décès intervient dans le

1193 Ibid., p. 990. 1194CEDH, 23 juillet 2009, Mutsayeva c/ Russie, req. n° 24297/05, § 84. 1195 CEDH, 13 juin 2000, Timurtas c/ Turquie, req. n° 23531/94, § 83. 1196 CEDH, 9 octobre 2008, Zulpa Akhmatova contre Russie, req. n°s 13569/02 et 13573/0. 1197 Ibid., §§ 89-90. 1198 Ibid., § 91. 1199 Ibid., § 91. 1200 CEDH, 9 novembre 2006, Imakayeva c/ Russie, req. n° 7615/02. 1201 Ibid., § 141-142.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

338

contentieux turco-kurde au sein duquel la Cour se montre sensible à l’appartenance du disparu

au PKK1202.

Bien évidemment la présomption de décès n’équivaut pas à elle seule à un constat de

violation de l’article 2. Encore faut-il que l’Etat soit responsable du décès ainsi présumé.

L’affaire Osmanoğlu le montre pleinement : malgré la mise en œuvre d’une présomption de

décès, la Cour, n’ayant pu établir qui pouvait être responsable de la disparition d'Atilla

Osmanoğlu, ne constate aucune violation de l’article 2 de ce chef1203. Quoi qu’il en soit, le

mécanisme présomptif contribue grandement à l’effectivité de l’article 2 : il permet de

surmonter les difficultés probatoires découlant de l’absence de corps et constitue le préalable

indispensable à l’examen de la responsabilité étatique.

On reviendra bientôt sur l’utilisation de toutes ces présomptions factuelles puisque, ainsi

qu’on l’avait déjà rapidement évoqué, lorsqu’un Etat ne remplit pas les obligations lui

incombant au terme de l’article 38 § 1, la Cour s’octroie la possibilité d’inférer des données

factuelles de cette carence, sanctionnant ainsi son auteur tout en favorisant le requérant.

Auparavant, il convient de voir que les présomptions peuvent rééquilibrer le contentieux au

profit du requérant en conduisant directement au constat de violation.

b- Le constat de violation

Outre les présomptions permettant d’établir les faits pertinents, le juge européen use

parfois d’autres présomptions judiciaires agissant plus directement sur le constat de violation

de la Convention. Pour que la responsabilité internationale d’un Etat soit engagé, l’acte en

cause doit non seulement « lui être imputable », mais encore « être illicite au regard de ses

obligations internationales »1204. Or, la présomption peut justement faciliter le constat de

violation en agissant sur l’une ou l’autre de ces conditions.

Dans le premier cas, le mécanisme présomptif permet d’imputer à l’Etat défendeur des

faits attentatoires aux droits fondamentaux. Ainsi les présomptions de responsabilité en

matière de droit à la vie et d’interdiction de la torture, sur lesquelles il n’est guère utile de

revenir en détail1205, permettent-elles d’engager la responsabilité de l’Etat du fait de blessures

ou décès survenus pendant une détention à moins que ce dernier ne fournisse une explication

1202 CEDH, 13 juin 2000, Timurtas c/ Turquie, req. n° 23531/94, § 85. 1203 CEDH, 24 janvier 2008, Osmanoğlu c/ Turquie, req. n° 25165/94,§ 64. 1204 MOUTEL Béatrice, L’effet horizontal de la CEDH en droit privé français. Essai sur la diffusion de la Convention dans les rapports entre personnes privées, Thèse, Limoges, 2006, p. 83. 1205 V. supra : les présomptions de responsabilité en matière de droit à la vie et d’interdiction de la torture.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

339

plausible aux événements litigieux. On peut cependant souligner que ces présomptions

participent assurément au rééquilibrage probatoire du contentieux au profit des requérants et,

ce faisant, à l’interprétation progressiste de la Convention. Sans elles, toutes les allégations de

violation des articles 2 et 3 concernant des décès ou blessures intervenus dans l’intimité des

geôles seraient vouées à l’échec et la portée de ces deux dispositions conventionnelles

s’arrêterait par là-même au seuil des prisons et autres lieux de détention.

Alors, quid de l’effectivité du droit à la vie et de l’interdiction de la torture sans le

mécanisme présomptif?

Dans le second cas, le mécanisme présomptif permet d’admettre le caractère attentatoire

aux droits fondamentaux de certains faits imputables à l’Etat. C’est de nouveau l’occasion

d’évoquer l’usage dynamique des présomptions de discrimination sur le fondement de

l’article 14 ainsi que leur mise à l’honneur dans les affaires D. H. et Sampanis contre

République Tchèque1206, lesquelles concernaient le problème de la scolarisation massive des

enfants Roms dans des écoles spéciales. Mais les présomptions de discrimination ne sont pas

utilisées dans ce seul contexte : leur champ d’intervention, pour n’être pas illimité1207, n’en est

pas moins vaste comme le dévoilent, entre autres, les arrêts Timichev contre Russie du 13

décembre 2005, Petropoulou-Tsakiris contre Grèce du 6 décembre 20071208, Backowski

contre Pologne du 3 mai 20071209 et E. B. contre France du 22 janvier 20081210.

Dans l’affaire Timichev, c’est une présomption de discrimination qui a valu à la Russie

une condamnation sur le fondement de l’article 14 combiné avec l’article 2 du Protocole n°4.

En l’espèce, le requérant s’étant vu interdire l'entrée en Kabardino-Balkarie au poste de

contrôle d'Ouroukh prétendait que cette restriction à sa liberté de circulation était

discriminatoire car elle se fondait sur son origine ethnique. Une fois ce point établi, la Cour

ayant constaté « qu'un officier supérieur de police de Kabardino-Balkarie a[vait] ordonné

aux agents de la police de la circulation de ne pas admettre de « Tchétchènes » »1211, il

appartenait au Gouvernement de se justifier. La discrimination étant difficile à prouver, la

Cour choisit de déplacer l’objet de la preuve pour aider le requérant et rééquilibrer la preuve à

1206 CEDH, 13 novembre 2007, D.H. et autres c/ République Tchèque, req. n° 57325/00 ; CEDH, 5 juin 2008, Sampanis et autres c/ Grèce, req. n°32526/05. 1207 V. supra : un champ d’application limité. 1208 CEDH, 6 décembre 2007, Petropoulou-Tsakiris c/ Grèce, req. n° 44803/04. 1209 CEDH, 3 mai 2007, Baczkowski c/ Pologne, req. n° 1543/06 ; Frédéric SUDRE, obs., JCP G, 2007, I, 182, n°12. 1210 CEDH, 22 janvier 2008, E. B. c/ France, req. n° no 43546/02. 1211 Ibid., § 54.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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son profit : « une fois que le requérant a démontré qu'il y a eu différence de traitement,

rappelle la Cour, il appartient au Gouvernement défendeur d'en établir la justification »1212.

Intervient donc bien une présomption-preuve de discrimination fondée sur une différence de

traitement.

Le même mécanisme est à l’œuvre dans l’affaire Petropoulou-Tsakiris. Une jeune femme

d’origine Rom ayant fait une fausse couche à la suite de brutalités policières alléguait que son

origine ethnique était la cause non seulement des mauvais traitements qu’elle avait subis mais

aussi du défaut d’enquête effective à ce sujet. La Cour ne va pas jusqu’à présumer que les

mauvais traitements eux-mêmes étaient dus à l’origine Rom de la jeune femme1213 ; en

revanche, elle admet que le manquement des autorités grecques à rechercher, dans le cadre

d’une enquête, si les mauvais traitements allégués par la requérante étaient motivés par le

racisme, ainsi que l’attitude globalement partiale manifestée tout au long de l’enquête

s’analysent en une discrimination contraire à l’article 14 combiné avec l’article 3 à défaut de

justification du Gouvernement1214.

L’affaire Baczkowski, quant à elle, concernait la conformité à l’article 14, combiné avec

l’article 11, du refus opposé par les autorités municipales de Varsovie à une association

militant en faveur de l’homosexualité d’organiser des marches pour protester contre la

discrimination subie par différentes minorités et par les femmes. Le raisonnement de la Cour,

alambiqué, mérite quelques éclaircissements. Après avoir constaté qu’aucun des motifs

justifiant officiellement l’interdiction « ne saurait être considéré comme relevant de l'une des

catégories interdites de discrimination » 1215, elle affirme refuser de « se livrer à des

conjectures quant à savoir si l'organisation des manifestations en cause a été refusée pour

des motifs autres que ceux expressément énoncés dans les décisions administratives

litigieuses »1216. Or, contrairement à ce que pareille position laissait présager, la Cour conclut

que le point de vue du maire, notoirement défavorable à l’homosexualité, a pu avoir des

répercussions sur le processus décisionnel et porter atteinte de manière discriminatoire au

droit des requérants à la liberté de réunion. En d’autres termes, la Cour concède d’abord que

les motifs officiels d’interdiction du défilé (le risque d’affrontements avec d’autres

1212 Ibid., § 57. 1213 Pour un autre exemple, V. : CEDH, 6 juillet 2005, Natchova et autres c/ Bulgarie, req. nos 43577/98 et 43579/98. 1214 Ibid., §§ 56-66. 1215 Ibid., § 95. 1216 Ibid., § 97.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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manifestants et le risque de perturbation du trafic routier) n’avaient rien de discriminatoire

pour mieux présumer, ensuite, le caractère discriminatoire de son motif officieux. D’un fait

connu - les déclarations antérieures du maire qui avait affiché sa volonté d’interdire la

manifestation pour empêcher la propagande homosexuelle – elle infère en effet un fait

inconnu : le caractère discriminatoire de l’interdiction. Bref, pour l’exprimer sans détour, elle

présume que l’homophobie du maire a influencé la décision, qu’elle en était même la

justification tacite. D’après la rédaction de l’arrêt, cette présomption n’apparaît d’ailleurs que

comme la déclinaison ponctuelle d’une présomption plus générale selon laquelle les opinions

des hommes politiques peuvent « être prises pour des instructions par les fonctionnaires dont

l'emploi et l'avancement sont tributaires de leur assentiment »1217 et donc influencer les

décisions prises par ces derniers. Dès lors, si la présomption de discrimination à l’œuvre en

l’espèce peut être considérée comme une source d’effectivité de l’article 14, elle constitue

concomitamment une limite à la liberté d’expression des hommes politiques, la Cour l’affirme

explicitement1218. Cette présomption concourt donc à l’effectivité de la Convention d’une

manière particulière, à travers la conciliation des droits fondamentaux décrite dans l’arrêt

Chassagnou du 29 avril 19991219. L’effectivité de la protection des droits de l’Homme exige

en effet une conciliation pragmatique de ces derniers, une « pondération des intérêts »1220 qui

doit se faire dans le respect du principe de proportionnalité et se réaliser selon l’approche

globale des « checks and balances »1221. En l’espèce, il s’agissait finalement de concilier le

droit à la liberté d’expression du maire, garanti par l’article 10 de la Convention, avec la

liberté des requérants de se réunir sans discrimination, garantie par l’article 14 combiné avec

l’article 11.

1217 Ibid., § 98. 1218 Ibid., § 98. 1219 CEDH, 29 avril 1999, Chassagnou c/ France, req. nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95, §113 : « En l’espèce, le seul but invoqué par le Gouvernement pour justifier l’ingérence incriminée est celui de la « protection des droits et libertés d’autrui ». Si ces « droits et libertés » figurent eux-mêmes parmi ceux garantis par la Convention ou ses Protocoles, il faut admettre que la nécessité de les protéger puisse conduire les Etats à restreindre d’autres droits ou libertés également consacrés par la Convention : c’est précisément cette constante recherche d’un équilibre entre les droits fondamentaux de chacun qui constitue le fondement d’une « société démocratique ». V. aussi : CEDH, Leyla Şahin c/ Turquie, req. n° 44774/98, § 108. 1220 Jacques VAN COMPERNOLLE, loc. cit.. 1221 En droit constitutionnel des Etats-Unis, la théorie des « checks and balances » traduit la volonté des « Pères fondateurs » de trouver un équilibre aussi complet que possible entre les divers pouvoirs permettant de les limiter l’un l’autre. V. : Jean GICQUEL Jean-Eric GICQUEL, op. cit., p. 253 ; Edmond ORBAN et Michel FORTMANN (dir.), op. cit., p. 223 ; Jean-Jacques LAVENUE, op. cit., p. 49.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

342

Toujours dans le domaine de la discrimination à l’égard des homosexuels, l’affaire E.

B.1222 retient également l’attention. Grâce à une présomption, le refus d’agrément à l’adoption

opposé à la requérante homosexuelle est jugé discriminatoire, souligne le Professeur

GOUTTENOIRE1223. Ce refus était pour partie fondé sur l’absence de référent paternel dans

l’entourage de la requérante. « Aux yeux de la Cour, un tel motif aurait (…) pu conduire à un

refus arbitraire et servir de prétexte pour écarter la demande de la requérante en raison de

son homosexualité »1224. Il appartenait donc au Gouvernement de renverser la présomption de

discrimination ainsi fondée en produisant « des informations statistiques sur le recours à un

tel motif selon l'orientation sexuelle – déclarée ou connue – des demandeurs, seules à même

de fournir une image fidèle de la pratique administrative et d'établir l'absence de

discriminations dans son utilisation »1225, ce qu’il ne fit pas en l’espèce.

La présomption-preuve permet donc de rétablir l’équilibre probatoire entre la partie faible

qu’est le requérant et celle, nettement plus puissante, qu’est l’Etat défendeur. En déplaçant

l’objet de la preuve, cette technique anéantit l’éventuelle paralysie qui pourrait résulter de

l’impossibilité pour le requérant d’apporter certaines preuves. Le contentieux des droits de

l’Homme, qui concerne parfois des drames humains d’une envergure singulière, se prête mal

à un standard probatoire trop rigoureux1226, imperméable à la souplesse présomptive. Lorsque

certaines tragédies échappent à la connaissance en raison du contexte trouble dans lequel elles

ont eu lieu et des motivations obscures qui les ont engendrées, il est opportun que la part

d’évidence qu’elles recèlent accède à la vie juridique. Le meilleur moyen pour cela n’est-il

pas la présomption, intuition d’autant plus secourable qu’elle est juridiquement formalisée, et

s’appuie sur la probabilité, sur l’expérience et, finalement, sur les apparences ?

A cet égard, un constat peut d’ailleurs être dressé : les présomptions-preuves facilitant le

constat de violation sont souvent liées aux apparences à un degré variable. La violation est

constatée grâce à une présomption car les circonstances de l’espèce ont l’apparence d’une

violation. Ainsi, lorsqu’un détenu décède en garde à vue, son décès revêt l’apparence d’une

bavure policière. De même, lorsqu’on refuse à une femme homosexuelle le recours à

l’adoption faute pour elle d’offrir un référent paternel à l’enfant, ce refus s’apparente à une

1222 CEDH, 22 janvier 2008, E. B. c/ France, req. n° 43546/02. 1223 Adeline GOUTTENOIRE, « La France est condamnée pour discrimination fondée sur l’homosexualité de la requérante », JCP G, 2008, p. 36 sq., spéc. pp. 37-38. 1224 CEDH, 22 janvier 2008, E. B. c/ France, req. n° 43546/02, § 73. 1225 Ibid., § 74. 1226 Fred DESAYES, op. cit., pp. 233-234.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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réaction homophobe, etc. Aussi peut-on constater avec le Professeur SUDRE, que « se situe là,

dans la fonction d’une présomption simple d’une inconventionalité – particulièrement en

matière de droit à la non discrimination – les potentialités d’un usage dynamique, pour

l’avenir, de la théorie des apparences par le juge européen »1227.

La question qui se pose alors est celle de savoir jusqu’où va le dynamisme de la

combinaison de la théorie des apparences avec la technique présomptive. Selon le Professeur

SUDRE, cette combinaison déploierait ses effets dans le domaine du procès équitable1228.

Ainsi cet auteur voit-il dans la jurisprudence Kress1229, qui condamne la participation du

commissaire du Gouvernement près le Conseil d’Etat au délibéré sur le fondement de l’article

6, une « présomption d’inconventionalité »1230. Il paraît cependant possible d’interpréter

différemment cette jurisprudence et notamment de reconnaître que, si elle se fonde sur les

apparences, celles-ci se suffisent à elles-mêmes et n’ont nul besoin du mécanisme présomptif

pour aboutir à un constat de violation de l’article 6.

Le commissaire du Gouvernement près le Conseil d’Etat, devenu à présent rapporteur

public à la suite d’un décret de 20091231, est un jurisconsulte qui ne dit pas son nom, un juge

qui n’en est pas vraiment un, une partie qui n’en est pas tout à fait une, bref, une institution

sui generis dont le rôle1232 n’est pas forcément clair aux yeux du justiciable moyen. Or, c’est

précisément ce phénomène qui s’avère incompatible avec la notion de procès équitable, à

l’heure de la transparence et de « la sensibilité accrue du public aux garanties d’une bonne

justice »1233. Dès lors, pour la Cour, « (…) la théorie des apparences doit (…) entrer en jeu :

en s’exprimant publiquement sur le rejet ou l’acceptation des moyens présentés par l’une des

parties, le commissaire du Gouvernement pourrait être légitimement considéré par les parties

1227 Frédéric SUDRE, « Le mystère des « apparences » dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme », RTDH, 2009, pp. 633 sq., spéc. p. 649. 1228 Ibid., pp. 645-647. 1229 CEDH, 7 juin 2001, Kress c/ France, req. n° 39594/98 ; Frédéric SUDRE, « La participation du Commissaire du Gouvernement au délibéré viole l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme », JCP G, 2001, II, 10578, pp. 1571 sq. ; Frédéric ROLIN, obs., AJDA, 2001, pp. 675 sq.. 1230 Frédéric SUDRE, loc. cit., pp. 645 et 647. 1231 Décret no 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions, JO du 8 janvier 2009, p. 479. Sur cette évolution, V. : Marianne MOLINER-DUBOST, « Le commissaire du Gouvernement : épilogue. A propos du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 », Gaz. Pal., 10 février 2009 n° 41, p. 4. 1232 D’après le Conseil d’Etat, le commissaire du Gouvernement a pour mission « d’exposer au conseil les questions que présente à juger chaque recours contentieux et de faire connaître, en formulant en toute indépendance ses conclusions, son appréciation, qui doit être impartiale, sur les circonstances de fait de l’espèce et les règles de droit applicables, ainsi que son opinion sur les solutions qu’appelle, suivant sa conscience, le litige soumis à la juridiction à laquelle il appartient ». CE, 10 juillet 1957, Gervaise, Recueil Lebon, p. 466 ; CE, 29 juillet 1998, Esclatine. 1233 CEDH, 7 juin 2001, Kress c/ France, req. n° 39594/98, § 82.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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comme prenant fait et cause pour l’une d’entre elles ». En outre, « (…) un justiciable non

rompu aux arcanes de la justice administrative peut assez naturellement avoir tendance à

considérer comme un adversaire un commissaire du Gouvernement qui se prononce pour le

rejet de son pourvoi. A l’inverse, il est vrai, un justiciable qui verrait sa thèse appuyée par le

commissaire le percevrait comme son allié ». Enfin, un plaideur pourrait même « éprouver un

sentiment d’inégalité si, après avoir entendu les conclusions du commissaire dans un sens

défavorable à sa thèse à l’issue de l’audience publique, il le voit se retirer avec les juges de la

formation de jugement afin d’assister au délibéré dans le secret de la chambre du

conseil »1234.

Autrement dit, la Cour considère que la participation du commissaire du Gouvernement au

délibéré viole l’article 6 dans la mesure où elle pourrait entraîner chez le plaideur des craintes

quant à l’impartialité de la justice et, surtout lui donner l’impression d’une rupture de l’égalité

des armes. Mais y a-t-il là une présomption ? Si présomption il devait y avoir, ce serait soit

une présomption de partialité, soit une présomption de rupture de l’égalité des armes ; elle

découlerait du rôle incertain du commissaire du Gouvernement. Or, il ne semble pas que la

Cour de Strasbourg aille jusque là. Au contraire, le sentiment subjectif potentiellement

éprouvé par le justiciable désemparé devant la participation du commissaire du Gouvernement

au délibéré paraît suffisant pour constater l’absence d’adéquation de cette participation avec

les exigences du procès équitable. La violation de l’article 6 ne repose donc pas sur la preuve

directe d’une atteinte au procès équitable, mais elle n’est pas pour autant présumée : elle est

tout simplement apparente. « Justice must not only be done, it must also be seen to be done ».

Deux arguments corroborent ce point de vue. D’une part, la Cour compare son

raisonnement à celui qu’elle mena dans sa jurisprudence relative aux avocats et procureurs

généraux auprès de certaines cours suprêmes1235dont « l’indépendance et l’impartialité (…)

n’encouraient aucune critique » 1236 . Il en va de même du commissaire du

Gouvernement puisque « nul n’a jamais mis en doute l’indépendance ni l’impartialité » de ce

dernier1237. D’autre part, à la suite de l’arrêt Kress, l’argumentation développée par la France

pour démontrer l’absence d’influence du commissaire sur l’issue du délibéré n’a jamais

1234 CEDH, 7 juin 2001, Kress c/ France, req. n° 39594/98, § 81. 1235 CEDH, 30 octobre 1991, Borgers c/ Belgique, req. n° 12005/86 ; CEDH, 20 février 1996, Vermeulen c/ Belgique, req. n° 19075/91 ; CEDH, 20 février 1996, Lolo Machado c/ Portugal, req. n° 15764/89. 1236 CEDH, 7 juin 2001, Kress c/ France, req. n° 39594/98, § 82. 1237 Ibid.i, § 71.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

345

trouvé grâce devant la Cour1238 qui n’a cessé de se référer aux apparences pour censurer

l’intervention du commissaire du Gouvernement lors du délibéré. Sa seule présence1239, si

passive soit-elle, suffit à créer un sentiment d’inégalité chez les plaideurs. Si la violation avait

été non pas simplement apparente, mais véritablement présumée, la preuve de la passivité du

commissaire aurait permis d’écarter ce sentiment.

Partant, le potentiel dynamique des présomptions concernant la preuve de la violation

n’est pas illimitée, la violation pouvant être constatée par un simple recours à la théorie des

apparences. Quoi qu’il en soit, elle demeure un mécanisme au service de l’effectivité des

droits garantis par la Convention, notamment par les avancées procédurales qu’elle a

favorisées.

2- Les avancées procédurales encadrant la violation alléguée

Le mécanisme présomptif ne joue pas seulement lors de l’examen de la violation alléguée.

En réalité, il concerne l’ensemble de la procédure devant la Cour de Strasbourg. Ainsi la

qualité de victime (a-) peut-elle être présumée à l’instar du dommage moral (b-).

a- Victime présumée

En vertu de l’article 34 de la CEDH, seule une personne se prétendant victime d’une

violation de ses droits peut saisir la Cour. Or, la notion de victime, qui n’implique pas

1238 V. entre autres : CEDH, 14 février 2008, Association avenir d’Alet c/ France, req. n° 13324/04, §§ 16 à 22 ; CEDH, 26 juillet 2007, Pieri c/ Fance, req. n° 7091/04, §§ 9-11 ; CEDH, 9 janvier 2007, SCI les Rullauds et autres c/ France, req. n° 43972/02, §§ 31-33 ; CEDH, 28 novembre 2006, Poulain de Saint Père c/ France, §§ 21-25 ; CEDH, 10 octobre 2006, Bonifacio c/ France, req. n° 18113/02, §§ 14 à 20 ; CEDH, 3 octobre 2006, Courty et autre c/ France, req. n° 15114/02, §§ 9 à 20 ; CEDH, 20 juin 2006, Syndicat national des professionnels des procédures collectives c/ France, req. n° 70387/01, §§ 14 à 27 ; CEDH, 20 juin 2006, Malquarti c/ France, req. n° 39269/02, §§ 18 à 25 ; CEDH, 27 juillet 2006, CED Viandes et autre c/ France, req. n° 77240/01 §§ 13 à 18 ; CEDH, 11 juillet 2006, SARL du parc d’activités de Blotzheim, req. n° 72377/01, §§ 30-37. 1239 CEDH, 12 avril 2006, Martinie c/ France, req. n° 58675, § 53 : « La Cour souligne en premier lieu que, si dans le dispositif (…) de l’arrêt Kress elle indique conclure à la violation de l’article 6 § 1 de la Convention en raison de la « participation » du commissaire du Gouvernement au délibéré de la formation de jugement du Conseil d’Etat, il est fait usage dans la partie opérationnelle de l’arrêt tantôt de ce terme (§§ 80 et 87), tantôt de celui de « présence » (titre 4 et §§ 82, 84 et 85), ou encore des termes « assistance » ou « assiste » ou « assister au délibéré » (§§ 77, 79, 81, 85 et 86). La lecture des faits de la cause, des arguments présentés par les parties et des motifs retenus par la Cour, ensemble avec le dispositif de l’arrêt, montre néanmoins clairement que l’arrêt Kress use de ces termes comme de synonymes, et qu’il condamne la seule présence du commissaire du Gouvernement au délibéré, que celle-ci soit « active » ou « passive ». Les paragraphes 84 et 85, par exemple, sont à cet égard particulièrement parlants : examinant l’argument du Gouvernement selon lequel la « présence » du commissaire du Gouvernement se justifie par le fait qu’ayant été le dernier à avoir vu et étudié le dossier, il serait à même pendant les délibérations de répondre à toute question qui lui serait éventuellement posée sur l’affaire, la Cour répond que l’avantage pour la formation de jugement de cette « assistance » purement technique est à mettre en balance avec l’intérêt supérieur dgu justiciable, qui doit avoir la garantie que le commissaire du Gouvernement ne puisse pas, par sa « présence », exercer une certaine influence sur l’issue du délibéré, et constate que tel n’est pas le cas du système français ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

346

l’existence d’un préjudice1240, fait à la fois l’objet d’une interprétation autonome et d’une

interprétation évolutive à la lumière des conditions de vie actuelles. Elle doit en outre être

utilisée sans trop de formalisme1241. Par conséquent, la Cour, à la suite de la Commission1242,

a pu ponctuellement accepter le recours de victimes potentielles1243, c'est-à-dire de victimes

pouvant se plaindre, non d’une atteinte directe, mais seulement d’une atteinte possible,

pouvant advenir.

Surtout connue pour avoir obscurci la frontière entre le droit de recours direct et l’actio

popularis1244 qui consiste à discuter dans l’abstrait la compatibilité d’une disposition de droit

interne avec la Convention et ne ressort pas, en principe, de la compétence de la Cour1245, la

notion de victime potentielle a également à voir avec celle de présomption.

D’aucuns ont déjà pu remarquer que la présomption « Procédé type du déplacement de

l’objet de la preuve, (…) a permis à la Cour d’alléger le fardeau de la preuve dans le

domaine de la recevabilité des requêtes individuelles par un amendement de la notion de

victime »1246. En effet, les victimes potentielles n’ont pas à prouver l’atteinte directe à leurs

droits garantis par la Convention ; il leur suffit, par exemple1247, de démontrer qu’un texte

normatif, prétendument contraire aux exigences conventionnelles, est susceptible de leur être

appliqué1248. En réalité, il semble qu’on puisse véritablement réinterpréter la notion de victime

potentielle à l’aune du mécanisme présomptif et ce pour deux raisons.

D’une part, le déplacement du fardeau probatoire de l’atteinte directe vers l’existence

d’une loi incompatible avec la Convention est symptomatique de l’utilisation d’une

présomption-preuve. Ce type de présomption allège précisément la charge de la preuve en

déplaçant l’objet de la preuve d’un fait difficile ou impossible à prouver vers un fait plus aisé

1240 V. notamment : CEDH, 13 juin 1979, Marckx c/ Belgique, série A n° 31, § 27, CEDH, 28 octobre 1987, Inze c/ Autriche, série A n° 126, § 32. 1241 CEDH, 27 avril 2004, Gorraiz Lizarraga et autres c/ Espagne, req. n° 62543/00, § 38. 1242 V. par exemple : Com° EDH, 19 mai 1976, Brüggemann et Sheuten. 1243 CEDH, 6 septembre 1978, Klass c/ Allemagne, série A n°28, § 34 ; CEDH, 7 juillet 1989, Soering c/ Royaume-Uni. 1244 Jean-Pierre MARGUENAUD, op.cit., p. 18. 1245 CEDH, 27 mars 1962, De Becker c/ Belgique, req. n° 214/56, § 14 : la Cour n’a pas à statuer sur un problème abstrait de compatibilité d’une loi avec la Convention, « mais sur le cas concret de l’application d’une telle loi à l’égard du requérant et dans la mesure où celui-ci se trouverait, de ce fait, lésé dans l’exercice de l’un des droits garantis par la Convention ». 1246 Fred DESHAYES, op. cit., p. 173, § 452. 1247 Dans l’affaire Klass, étaient ainsi en cause des dispositions légales en vertu desquelles les autorités allemandes pouvaient surveiller la correspondance et les communications téléphoniques des personnes soupçonnées d’activités subversives (Com° EDH, 18 décembre 1974 et CEDH, 6 septembre 1978, Klass c/ Allemagne, série A n°28). Les affaires Dudgeon, Norris et Modinos concernaient des textes incriminant les pratiques homosexuelles (CEDH, 22 octobre 1981, Dudgeon c/ Royaume Uni, req. n° 7525/76 ; CEDH, 26 octobre 1988, Norris c/ Irlande, req. n° 10581/83 ; CEDH, 22 avril 1993, Modinos c/ Chypre, req. n°15070/89). 1248 Frédéric SUDRE, op.cit., p.569-570, n° 312.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

347

à prouver. A titre d’exemple, dans l’affaire Open Door et Dublin Well Woman contre

Irlande1249, la Cour a admis que deux des requérantes, qui s’étaient jointes à la requête de

l’association Dublin Well Woman, pouvaient se prétendre victimes de l’interdiction

constitutionnelle faite aux associations requérantes d’aider les femmes enceintes à se rendre à

l’étranger pour avorter car elles « figur[ai]ent sans conteste parmi les femmes en âge de

procréer pouvant pâtir des restrictions incriminées »1250. Ces deux requérantes étaient donc

dispensées de prouver l’atteinte directe à l’un de leurs droits, leur âge et leur sexe suffisant à

faire d’elles des victimes en puissance.

D’autre part, derrière la potentialité de la qualité de victime se cacherait une présomption-

preuve d’une nature singulière : une présomption prospective1251. La potentialité a en effet

trait au futur : elle concerne ce qui est susceptible d’advenir. La victime potentielle est donc

concernée par un simple risque de violation. Or, ce qui appartient au futur échappe à

proprement parler à la preuve et tombe, on le sait, dans le domaine de la présomption. Celle-

ci, en tant que mécanisme conjectural, est adaptée aux activités prospectives et

prévisionnelles. Quelques exemples révèlent clairement cet aspect du phénomène.

Tout d’abord, on songe à l’affaire Burden et Burden contre Royaume Uni1252 dans laquelle

deux sœurs célibataires vivant ensemble, se plaignaient sur le terrain de l'article 1 du

Protocole no 1 combiné avec l'article 14 de la Convention du fait que, si l’une d’entre elles

venait à décéder, la survivante devrait s'acquitter d'un montant considérable au titre des droits

de succession, ce qui ne serait pas le cas du membre survivant d'un couple marié ou d'un

partenariat civil. Or, la Cour a admis leur qualité de victime ; l’utilisation de la présomption-

preuve, quoiqu’implicite, est alors repérable. Là où le Gouvernement britannique, pour dénier

la qualité de victime aux requérantes, argue du caractère futur et hypothétique de leur

plainte1253, l'obligation de verser des droits de succession n'étant pas encore survenue et

pouvant ne jamais survenir, la Cour, s’appuyant notamment sur la probabilité, « estime

comme les requérantes que si l'on se place au moment présent il apparaît pratiquement

certain que l'une d'elles, dans un futur qui n'est guère éloigné, devra acquitter des droits de

succession considérables sur les biens hérités de sa sœur »1254 et en conclut qu’elles peuvent

1249 CEDH, 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c/ Irlande, req. n°s 14234/88; RTDH, 1993, pp. 345 sq., obs. F. RIGAUX. 1250 CEDH, 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c/ Irlande, req. n°s 14234/88, § 44. 1251 V. supra : le dépassement du paradigme rétrospectif de la preuve : la connaissance du futur. 1252 CEDH, 12 décembre 2006, Burden et Burden c/ Royaume Uni, req. n° 13378/05. 1253 Ibid., § 25. 1254 Ibid., § 28.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

348

se prétendre affectées par la législation litigieuse1255. Ainsi la qualité de victime des

requérantes repose-t-elle sur une présomption-preuve de risque de survenance de la situation

incriminée (le décès de l’une des sœurs et l’application à la survivante de la législation

critiquée), présomption fortement teintée de probabilité.

Ensuite, ces considérations rappellent le contentieux des expulsions vers des pays où

règne un risque de traitements contraires à l’article 3. On a déjà eu l’occasion de noter que ce

contentieux repose sur une présomption de risque de mauvais traitements. Procéduralement, la

violation future de l’article 3 justifie l’extension du droit d’introduire une requête individuelle

et offre au requérant la qualité de victime potentielle1256.

Enfin, une interprétation différente pourrait être choisie sans remettre en cause le rôle de

la présomption. On pourrait en effet penser, avec le Professeur WYLER1257, que les

requérants à l’égard desquels « la loi dénoncée n’a pas encore fait l’objet d’une mesure

d’exécution »1258 sont susceptibles d’avoir la qualité de victimes non en raison d’une menace

de violation mais en raison « d’atteinte dans leurs droits découlant directement de l’entrée en

vigueur des législations litigieuses »1259. Par exemple, dans l’affaire Klass1260 qui concernait

les dispositions légales autorisant les autorités allemandes à surveiller la correspondance et les

communications téléphoniques des personnes suspectées d’activités subversives, la violation

se serait d’après l’auteur « matérialisée in casu, chaque usager du système de communication

surveillé se trouvant gêné dans l’utilisation de ce système par la connaissance, précisément,

de la possibilité d’une surveillance »1261. Il s’agirait donc de présumer que les citoyens

concernés par la législation vont limiter leurs comportements afin de la respecter - cette

présomption ne serait d’ailleurs qu’une déclinaison de la présomption de conformité de l’état

de fait à l’état de droit, tout un chacun étant présumé respecter la loi afin de maintenir le statu

quo et la paix sociale. Mais, cette interprétation connaît des limites : si elle est transposable

aux cas des homosexuels vivant dans un pays où l’homosexualité est incriminée et à celui des

femmes en âge de procréer vivant dans un pays où l’avortement est interdit, lesquels risquent

de limiter leur sexualité, elle ne peut expliquer l’octroi de la qualité de victime aux

1255 Ibid., § 29. 1256 CEDH, 7 juillet 1989, Soering c/ Royaume Uni, série A n° 161, RTDH, 1990, pp. 5 sq., obs. W. J.. GANSHOF VAN DER MEERSCH. 1257 Eric WYLER, « Victime « actuelle » et victime « virtuelle » d’une violation des droits de l’homme dans la jurisprudence relative à l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme », Schweizerische Zeitschrift für internationales und europaïsches Recht, 1991, pp. 3 à 38. 1258 Ibid., p. 8. 1259 Ibid., p. 19. 1260 CEDH, 6 septembre 1978, Klass c/ Allemagne, série A n° 28. 1261 Ibid., p. 19.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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requérantes dans l’affaire Burden et Burden. L’obligation de s’acquitter des droits de

succession appartient au futur et n’a pas de répercussion sur le mode de vie actuel des

requérantes.

Finalement, la notion de victime potentielle est à ce point liée au mécanisme de la

présomption-preuve qu’on pourrait aussi bien employer l’expression victime présumée. Ce

lien est une nouvelle illustration du rôle des présomptions dans l’interprétation progressiste de

la Convention : en l’occurrence, la technique présomptive permet d’élargir l’ouverture du

prétoire et donc d’œuvrer à l’effectivité des droits de l’Homme.

b- Dommage moral présumé

Mu par la volonté de rendre la protection des droits fondamentaux concrète et effective, le

juge européen estime qu’il faut prendre en compte non seulement le préjudice matériel mais

encore le préjudice moral subi par la victime d’une violation de la Convention1262. Or, celui-ci

est plus difficile à établir que celui-là : il s’agit d’un fait psychologique, c’est-à-dire d’un

objet de preuve subjectif1263, dont l’établissement exigerait de scruter les consciences. Pour

pallier ces difficultés, le juge européen peut choisir de présumer le dommage moral lors de

l’examen de l’application de l’article 41 de la CEDH ou même avant, lors de l’examen de la

recevabilité de la requête.

Le plus souvent, c’est au moment de l’examen de la satisfaction équitable à accorder au

requérant au titre de l’article 41, que la Cour utilise une présomption de préjudice moral.

Assurément, pareille présomption concourt à l’effectivité de la protection des droits : grâce à

elle, le dommage moral est inféré de l’atteinte à la Convention et les victimes en obtiennent

réparation sans avoir à fournir le considérable effort probatoire que la preuve directe dudit

dommage impliquerait. Le recours au mécanisme présomptif est alors plus ou moins explicite,

l’emploi de certaines formules permettant parfois de le déceler. Par exemple, dans l’arrêt

Velikova, la Cour énonce que la requérante, dont le compagnon est mort en garde à vue à la

suite de violences policières, « (…) doit avoir beaucoup souffert du fait des graves violations

constatées en l’espèce, qui concernent les droits les plus fondamentaux consacrés par la

Convention. Elle relève notamment qu’à l’origine de l’affaire se trouve le décès du concubin

de la requérante, qui était aussi le père de ses trois enfants »1264. Autre exemple, dans l’arrêt

1262 Frédéric SUDRE, op. cit., n°336, p. 609. 1263 Fred DESHAYES, op. cit., n° 1029, p. 376. 1264 CEDH, 18 mai 2000, Velikova c/ Bulgarie, req. n°41488/98, § 98.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Aydin1265, après avoir constaté une violation de l'article 3 de la Convention du fait du viol subi

par la requérante pendant sa garde à vue, la Cour décide de lui allouer une somme d’argent à

titre de réparation du dommage moral, compte tenu notamment « du préjudice psychologique

durable que son viol peut être réputé lui avoir causé »1266. Le terme « réputé » semble

symptomatique de l’emploi d’une présomption. De même, dans divers arrêts, la Cour admet

que, du fait de la violation conventionnelle, le requérant « a dû subir un tort moral

certain »1267 ou encore « a dû éprouver un tort moral »1268. Ce faisant, souligne le Professeur

MARCHADIER, elle « (…) tend à présumer qu’un préjudice naît nécessairement de

l’atteinte »1269.

Parfois, la présomption de préjudice moral joue dès l’appréciation de la recevabilité de la

requête, lors de l’appréciation de la qualité de victime du requérant. Quelques arrêts relatifs au

droit à être jugé dans un délai raisonnable - les deux plus connus sont les arrêts de Grande

Chambre Scordino et Cocchiarella contre Italie1270 - le révèlent1271. Dans chaque affaire, les

conditions d’intervention de la présomption sont analogues. D’un côté, le Gouvernement

défendeur invoque l’irrecevabilité de la requête en se fondant sur l’absence de qualité de

victime du requérant. Le préjudice subi par ce dernier du fait de la durée excessive de la

procédure aurait déjà été réparé en droit interne, les juridictions nationales ayant d’une part

reconnu la violation du droit à un procès équitable, d’autre part octroyé une réparation à ce

titre. D’un autre côté, le requérant prétend que le montant de la réparation en question serait

insuffisant pour compenser le préjudice subi. Par conséquent, il estime avoir encore la qualité

de victime. Avant de s’intéresser au fond de l’affaire et à la violation alléguée de l’article 6, la

Cour doit donc résoudre cette controverse et examiner si la réparation a été réellement

suffisante. Mais cet examen implique l’existence d’un préjudice : pour qu’une atteinte soit

1265 CEDH, 25 octobre 1997, Aydin c/ Turquie, req. n° 23178/94. 1266 Ibid., § 131. 1267 CEDH, 19 février 1991, Maj c/ Italie, req. n° 13087/87, § 18 ; CEDH, 10 juillet 2001, Versini c/ France, req. n° 40096/98, § 39. 1268 CEDH, 25 février 1993, Crémieux c/ France, req. no 11471/85, § 45 ; CEDH, 25 février 1993, Funke c/ France, req. n° 10588/83, § 62 ; CEDH, 23 novembre 1993, A. c/ France, req. n° 14838/89, § 42 ; CEDH, 2 novembre 1993, Kemmache c/ France n°s 1et 2 (article 50), req. n° 12325/86, 14992/89, § 11 ; CEDH, 29 novembre 1993, Miailhe c/ France n°1 (article 50), req. n° 12661/87, § 11 ; CEDH, 19 décembre 1994, Vereinigung Demokratischer Soldaten Österreichs et Gubi c/ Autriche, req. n° 15153/89, § 62. 1269 Fabien MARCHADIER, « La réparation des dommages à la lumière de la Convention européenne des droits de l’Homme », RTD civ, 2009, pp. 245 sq., spéc. p.266, note 180. 1270 CEDH, 29 mars 2006, Scordino c/ Italie (n° 1), req. n° 36813/97 ; CEDH, 29 mars 2006, Cocchiarella c/ Italie, req. n° 64886/01. 1271 CEDH, 29 juillet 2008, Zajac c/ Pologne, req. n° 19817/04 ; CEDH, 16 octobre 2007, Zon c/ Pologne, req. n° 14357/03.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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réparable encore faut-il qu’elle ait engendré un préjudice. C’est alors qu’intervient la

présomption de préjudice moral : « (…) la Cour rappelle que dans sa jurisprudence récente

(…) elle a défini les critères selon lesquels il convient d'apprécier si un requérant qui se

plaint d'une violation de son droit à un jugement dans un délai raisonnable peut toujours se

prétendre victime au sens de l'article 34 de la Convention. Ainsi, il ressort de la jurisprudence

en question que le constat de la violation du droit à un procès raisonnable induit une

présomption d'un dommage moral1272 subi de ce fait par le requérant et implique un droit à

réparation sans que l'intéressé doive prouver le préjudice qu'il a subi. Cependant, le montant

de l'indemnisation octroyée dans l'ordre interne doit constituer un redressement approprié et

suffisant au sens de la Convention »1273. Inutile de préciser que cette présomption est celle-là

même qui est utilisée au titre de l’article 41. En toute logique, la présomption de préjudice

moral qui préside à l’octroi d’une éventuelle satisfaction équitable intervient également lors

du contrôle de la réparation octroyée par l’Etat. Que la réparation émane de l’Etat au titre du

principe de subsidiarité ou de la Cour, peu importe : ses conditions ne changent pas et le

préjudice moral, s’il est présumé dans un cas, l’est aussi dans l’autre.

Quoi qu’il en soit, la possibilité de présumer le préjudice moral influe sur l’effectivité des

droits en aval de la violation. Elle permet de prendre en compte la souffrance, la détresse,

l’angoisse ou encore le sentiment d’injustice qu’a probablement1274 éprouvés la victime d’une

violation. Cependant, elle le ferait avec davantage de force si elle était systématique et

absolue. La combinaison de ces deux caractéristiques pourrait même conduire à

l’objectivisation du droit à réparation1275.

Mais de systématicité et d’irréfragabilité, il n’est pas question. L’arrêt Pakelli1276, qui

concernait une violation du droit à l’assistance judiciaire, montre que le préjudice moral n’est

1272 C’est nous qui soulignons. 1273 CEDH, 29 juillet 2008, Zajac c/ Pologne, req. n° 19817/04, § 84 ; CEDH, 16 octobre 2007, Zon c/ Pologne, req. n° 14357/03, § 11. 1274 CEDH, 13 mai 1980, Artico c/ Italie, req. n° 6694/74, § 47. D’après cet arrêt, la présomption de préjudice moral s’appuie sur la probabilité. La Cour énonce que le requérant du fait de la violation de l’article 6 « a éprouvé selon toute probabilité une impression pénible d’isolement, de désarroi et d’abandon. En particulier, il s’est certainement senti désarmé quand le procureur général eut conclu, les 3 et 10 juillet 1973, au rejet des pourvois en chambre du conseil, car seul un avocat pouvait y parer en exigeant une audience contradictoire et publique ». 1275 Fabien MARCHADIER, loc. cit., p. 265. Selon l’auteur, «un droit à réparation purement objectif supposerait que le versement de dommages et intérêts ne soit pas conditionné par le préjudice ou bien que, un préjudice étant nécessaire, il soit irréfragablement présumé par la violation du droit en cause ». 1276 CEDH, Pakelli c/ Allemagne, 25 avril 1983, req. n° 8398/78.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

352

pas automatiquement présumé1277. En l’espèce, selon la Cour, rien ne démontre l’existence du

préjudice moral invoqué, rien n’indique même sa nature et enfin, « rien ne prouve que M.

Pakelli ait ressenti, en raison de l’absence de défenseur, une impression pénible d’isolement,

de désarroi et d’abandon » 1278 . Par ailleurs, la présomption des arrêts Scordino et

Cocchiarella, selon laquelle la durée excessive d’une procédure occasionne un dommage

moral, pour être « solide » n’en est pas moins « réfragable »1279, l’Etat défendeur pouvant

donc la renverser. Toute violation de la Convention n’entraîne donc pas de préjudice moral.

Voilà de quoi relativiser nettement la portée des droits garantis par la Convention !

En définitive, le potentiel dynamique de la présomption de préjudice moral n’est pas

totalement utilisé par la Cour de Strasbourg. Mais peut-être est-ce mieux ainsi ; certains juges

lui attribuent en effet d’ores et déjà certains dysfonctionnements du mécanisme de réparation

européen. Dans les arrêts Kakamoukas et Arvanitaki-Roboti contre Grèce1280, relatifs eux

aussi à des violations du délai raisonnable, « la Cour estime que le prolongement de la

procédure litigieuse au-delà du « délai raisonnable » a causé aux requérants un tort moral

certain justifiant l'octroi d'une indemnité » mais, pour déterminer le montant de la satisfaction

équitable, « elle prend (…) en compte le nombre des requérants, la nature de la violation

constatée ainsi que la nécessité de fixer les sommes de façon à ce que le montant global cadre

avec sa jurisprudence en la matière et soit raisonnable à la lumière de l'enjeu de la procédure

en cause » et leur attribue 3 500 Euros à chacun1281. Or, dans leur opinion partiellement

dissidente, les juges ZUPANČIČ et ZAGREBELSKY1282 critiquent vivement ce procédé.

Selon eux, rien ne justifie que le montant de la réparation prenne en compte le nombre de

requérants : « (…) quel que soit le nombre des victimes, chacune d'entre elles doit être

indemnisée, « s'il y a lieu », pour les conséquences qu'elle a dû souffrir de la violation dont

elle est victime ». Cependant, pour les juges dissidents, cette solution discutable ne serait

guère étonnante et découlerait notamment de la présomption de préjudice moral, laquelle, en

facilitant la preuve du préjudice, conduirait à la mise en jeu de sommes considérables : « (…)

1277 Fred DESHAYES, op. cit., n° 1029, p. 376. 1278 CEDH, Pakelli c/ Allemagne, 25 avril 1983, req. n° 8398/78, § 46. 1279 CEDH, 29 mars 2006, Scordino c/ Italie (n° 1), req. n° 36813/97, § 204 ; CEDH, 29 mars 2006, Cocchiarella c/ Italie, req. n° 64886/01, § 95. 1280 CEDH, 15 février 2008, Kakamoukas et autres c/ Grèce, req. n° 38311/02 ; CEDH, 15 février 2008, Arvanitaki-Roboti et autres contre Grèce, req. n° 27278/03. 1281 CEDH, 15 février 2008, Kakamoukas et autres c/ Grèce, req. n° 38311/02, § 48 ; CEDH, 15 février 2008, Arvanitaki-Roboti et autres contre Grèce, req. n° 27278/03, § 36. 1282 Opinion partiellement dissidente de MM. les juges Zupančič et Zagrebelsky annexée aux arrêts Kakamoukas et autres et Arvanitaki-Roboti et autres contre Grèce.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

353

on peut bien comprendre, écrivent-ils, que la Cour soit préoccupée par l'énormité des sommes

dont il s'agirait si on ne les réduisait pas ». Pour eux, « un tel problème est la conséquence

inévitable de plusieurs aspects critiquables de la pratique de la Cour quant à l'application de

l'article 41 en cas de violation du droit à la durée raisonnable des procédures »,

particulièrement « de la présomption quasi automatique qu'il existe un dommage moral, sans

qu'aucune preuve ou argument soient demandés ».

B- Le renforcement particulier de la protection des personnes

vulnérables

Afin de leur offrir une protection adaptée, le droit de la CEDH tient compte de la

vulnérabilité de certains individus, notamment les détenus, les enfants, certains malades ou

encore les victimes de tortures1283. A cet égard les présomptions s’avèrent fort utiles : non

seulement la Cour les utilise de manière favorable aux personnes vulnérables (2-), mais

encore il arrive qu’elle y recoure pour reconnaître leur vulnérabilité (1-).

1- Le recours à des présomptions de vulnérabilité

Si le recours à des présomptions de vulnérabilité n’est pas en soi novateur (a-), la Cour

européenne en renouvelle cependant l’apport (b-).

a- Un recours traditionnel

La vulnérabilité est liée à la condition humaine ; tous les êtres humains sont en effet

exposés aux blessures, aux coups, à la douleur physique et à la maladie1284. Cependant,

certains sont plus vulnérables que d’autres, diverses circonstances favorisant leur sensibilité

aux agressions. A la vulnérabilité universelle s’opposerait donc une vulnérabilité particulière.

Or, d’après Lydie DUTHEIL-WAROLIN, le constat de cette vulnérabilité particulière aurait

quelque chose d’intuitif - « elle se sent, elle ne se définit pas » -, et relèverait davantage « du

rationnel ressenti que du rationnel pur » voire de la « logique du cœur »1285. Voilà pourquoi

1283 Lydie DUTHEIL-WAROLIN, op. cit., pp. 166 à174. 1284 D’après le CNRTL, est vulnérable est ce qui est « exposé aux blessures, aux coups », ou encore ce qui est « exposé à la douleur physique, à la maladie ». [http://www.cnrtl.fr/definition/vulnérable], (2010-01-18). 1285 Lydie DUTHEIL-WAROLIN, op. cit., p. 24. L’auteur cite d’ailleurs le Doyen CARBONNIER (Jean CARBONNIER, « Les notions à contenu variable dans le droit français de la famille », dans Les notions à contenu variable en droit, travaux publiés par Chaïm PERELMAN et Raymond VANDER ELST, Bruxelles, Bruylant, 1984, pp. 99-112, spéc. p. 106).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

354

la présomption qui permet d’établir ce qui ne se voit pas et n’a pas d’existence objective,

notamment les faits psychologiques, permet d’établir la vulnérabilité de certains individus.

De telles présomptions, quoiqu’implicites, ne sont d’ailleurs pas étrangères au droit

interne, notamment au droit pénal. Ainsi, la « particulière vulnérabilité », dont le Code pénal

indique de manière générale qu’elle est due à l’âge, à une maladie, à une infirmité, à une

déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, et qui peut être une circonstance

aggravante1286 ou même une condition de l’infraction1287, est-elle parfois présumée par les

juridictions pénales1288. C’est le cas pour les personnes incapables1289, dépendantes1290 ou

encore handicapées1291 : de l’état connu et constaté d’incapacité, de dépendance ou de

handicap est inféré un fait inconnu, la vulnérabilité.

Dans le même ordre d’idées, la vulnérabilité des personnes en situation irrégulière de

séjour ou de travail est parfois présumée1292 sur le fondement des articles 225-13 et 225-14 du

Code pénal, lesquels incriminent le fait d’obtenir d’ « une personne, dont la vulnérabilité ou

l'état de dépendance sont apparents ou connus de l'auteur » des services non rétribués ou en

échange d'une rétribution manifestement sans rapport avec l'importance du travail accompli

ou de la soumettre à des conditions de travail ou d’hébergement contraires à la dignité

humaine.

1286 Article 221-4.3°, meurtre ; articles 222-3.2°, 222-4, torture ou actes de barbarie ; articles 222-8.2°, 222-10.2°, 222-12.2°, 222-13.2°, 222-14, violences ; article 222-24.3°, viol ; article 222-29.2° , agressions sexuelles autres que le viol ; article 225-4-2.2°, traite des êtres humains ; article 225-12-6.2°, exploitation de la mendicité ; article 225-7.2°, proxénétisme ; article 311-4.5°, vol ; article 313-2.4°, escroquerie ; article 314-2.4°, le fait pour une personne d'amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire et socio-éducatif ; article 322-3.2°, destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui 1287 Article 223-156-2, abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse soit d'un mineur ; article 225-12-1, fait de solliciter, d'accepter ou d'obtenir, en échange d'une rémunération ou d'une promesse de rémunération, des relations sexuelles de la part d'une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle. 1288 Lydie DUTHEIL-WAROLIN, op. cit., pp. 140 à 144. 1289 Cass. Crim., 22 janvier 1996, pourvoi n° 95-82988. On peut lire dans cet arrêt que « Fernand X... était particulièrement vulnérable puisqu'il a été placé sous curatelle », formule révélatrice de l’emploi d’une présomption. 1290 Cass. Crim., 17 janvier 2001, pourvoi n° 00-84466. En l’espèce, la vulnérabilité d’une personne âgée atteinte de surdité est présumée à partir de son état de dépendance. 1291 Cass. Crim., 23 juillet 1996, pourvoi n° 96-82233. En l’espèce étaient concernée les viols et agressions sexuelles subis par quatre jeunes femmes handicapées, la vulnérabilité de ces dernières ayant été inférée de leur handicap. 1292 Cass. Crim., 6 mai 1997, pourvoi n° 95-82746 : en l’espèce, la présomption de vulnérabilité concernait des travailleurs chinois en situation irrégulière. Sur ce point, V. : Lydie DUTHEIL-WAROLIN, op. cit., pp. 148 à 152 ; Sandy LICARI, « Des conditions de travail et d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine résultant d’un abus de situation de vulnérabilité ou de dépendance de la victime », RSC, 2001, pp. 553 sq., spéc. pp. 558 à 562.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

355

En définitive, le recours au mécanisme présomptif pour établir la vulnérabilité d’une

personne, lié au caractère impalpable et subjectif de la vulnérabilité, est donc classique ;

classique certes mais pas suranné puisque la Cour européenne le renouvelle.

b- Un recours renouvelé

Un premier signe du rôle des présomptions dans l’établissement de la vulnérabilité est

fourni par un examen des dispositions conventionnelles. Celles-ci ne font certes aucune

référence explicite à la particulière vulnérabilité de certains individus, mais l’une d’entre elles

est en partie fondée sur une présomption de vulnérabilité. On a déjà eu l’occasion de

remarquer que la présomption-concept de dangerosité des malades contagieux, aliénés,

alcooliques, toxicomanes et vagabonds qui sous-tend l’article 5 § 1 e) et traduit donc le motif

pour lequel ces marginaux sont susceptibles d’être détenus, peut également, tel un Janus au

double visage, être envisagée comme une présomption-concept de vulnérabilité1293. Certaines

formules jurisprudentielles révèlent clairement la bivalence du fondement de la privation de

liberté. Ainsi le « propre intérêt » de la personne, notion qui semble refléter la particulière

vulnérabilité des marginaux, est-il parfois évoqué. Selon les arrêts Guzzardi contre Italie,

Witold Litwa contre Pologne et Enhorn contre Suède, si les personnes visées à l’alinéa e)

peuvent être privées de liberté « ce n’est pas pour le seul motif qu’il faut les considérer

comme parfois dangereuses pour la sécurité, mais aussi parce que leur propre intérêt peut

nécessiter leur internement » 1294. Présumées vulnérables, elles peuvent donc être privées de

liberté.

Cependant, on ne saurait rattacher cette présomption de vulnérabilité à l’élan dynamique

qui anime le droit de la CEDH. Bien au contraire, elle fonde une restriction au droit à la

liberté des marginaux. Il faut donc chercher ailleurs le signe d’une participation des

présomptions de vulnérabilité au renforcement de la protection des personnes vulnérables.

Ce signe n’est peut-être pas si éloigné. Selon l’arrêt Dudgeon, les personnes vulnérables

sont « à protéger »1295. Pareille tournure laisse penser que la vulnérabilité engendrerait dans le

chef des Etats contractants une obligation positive de protection à l’égard des individus

1293 V. supra : l’exemple de la présomption-concept de dangerosité des marginaux. 1294 CEDH, 6 novembre 1980, Guzzardi contre Italie, req. n° 7367/76, § 98 ; CEDH, 4 avril 2000, Witold Litwa c/ Pologne, req. n° 26629/95, § 60 ; CEDH, 25 janvier 2005, Enhorn c/ Suède, req. n° 56529/00, § 43. Concernant le propre intérêt de la personne à être privée de liberté, V. aussi : CEDH, Hilda Hafsteinsdóttir c/ Islande, req. n° 40905/98, § 42 ; CEDH, 5 octobre 2000, Varbanov c/ Bulgarie, req. n° 31365/96, § 46. 1295 CEDH, 22 octobre 1981, Dudgeon c/ Royaume Uni, req. n° 7525/76, § 60.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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vulnérables, hypothèse qui se vérifie à travers la jurisprudence. A titre d’exemple, la

vulnérabilité des Tziganes impose aux Etats contractants, sur le fondement de l’article 8,

l'obligation positive de leur permettre de suivre leur mode de vie1296. De même, la

vulnérabilité des personnes en garde à vue justifie l’obligation positive de l’Etat de protéger la

vie et l’intégrité physique de ces personnes1297, obligation positive d’autant plus forte qu’elle

comporte même un volet horizontal1298. Les personnes vulnérables méritant une protection

renforcée, l’enjeu est alors de savoir qui elles sont. Or, à cet égard, le mécanisme présomptif

et, plus précisément, la présomption-concept revêtent un rôle primordial.

D’après Lydie DUTHEIL-WAROLIN, il existerait dans la jurisprudence de la Cour

européenne, quatre « catégories générales de personnes présumées vulnérables »1299, à savoir

les enfants1300, les personnes atteintes d’une maladie1301, les victimes de tortures1302 et les

personnes en détention1303, catégories auxquelles on peut en ajouter une autre : celle des

minorités1304. Toutefois, l’auteur n’admet pas en tant que telle l’existence de présomptions de

vulnérabilité des enfants, des malades, etc. Les catégories de personnes vulnérables seraient

élaborées in abstracto par la Cour grâce à « la technique du standard »1305, la présomption

1296 CEDH, 18 janvier 2001, Chapman c/ Royaume Uni, req. n° 27238/95, § 96. 1297 CEDH, 5 juillet 2005, Troubnikov c/ Russie, req. n° 49790/99, § 68 ; CEDH, 1er juin 2006, Taïs c/ France, req. n° 39922/03, § 84 ; CEDH, 16 octobre 2008, Renolde c/ France, req. n° 5608/05, § 83. On remarque l’emploi du terme « fragile » au lieu du terme « vulnérable » dans l’arrêt Keenan contre Royaume Uni et dans la décision Younger contre Royaume-Uni : « Pour ce qui est des détenus, la Cour a déjà eu l'occasion de souligner que les personnes en garde à vue sont fragiles et que les autorités ont le devoir de les protéger » (CEDH, 3 avril 2001, Keenan c/ Royaume Uni, req. n° 27229/95, § 91 ; CEDH (déc.), 7 janvier 2003, Younger c/ Royaume Uni, req. no 57420/00). 1298 CEDH, 3 juin 2003, Pantea c/ Roumanie, req. n° 33343/96. En l’espèce le requérant fut violenté par ses codétenus. La Cour estime que sa particulière vulnérabilité requerrait une surveillance accrue des autorités (§ 192). « Dans ces circonstances, la Cour conclut que les autorités ont failli à leur obligation positive de protéger l’intégrité physique du requérant dans le cadre de leur devoir consistant à surveiller les personnes privées de liberté et à empêcher qu’il soit porté atteinte à leur intégrité physique » (§ 195). 1299 Lydie DUTHEIL-WAROLIN, op. cit., p. 174. 1300 La Cour emploie ainsi fréquemment l’expression suivante : « les enfants et autres personnes vulnérables ». V. notamment : CEDH, 10 mai 2001, Z et autres c/ Royaume Uni, req. n° 29392 /95, § 73; CEDH, 21 octobre 2008, Clemeno et autres c/ Italie, req. n° 19537/03, § 51 ; CEDH, 17 décembre 2009, Bouchacourt c/ France, req. n° 5335/06, § 62 ; CEDH, 19 janvier 2010, Muskhadzhiyeva c/ Belgique, req. n° 41442/07, § 55. 1301 Il peut s’agir d’une maladie physique comme dans l’affaire Pretty (CEDH, 29 avril 2002, Pretty c/ Royaume Uni, req. n° 2346/02, § 74) ou mentale comme dans l’affaire Slimani (CEDH, 27 juillet 2004, Slimani c/ France, req. n° 57671/00, § 28). 1302 CEDH, 18 décembre 1996, Aksoy c/ Turquie, req. n° 21987/93, § 98 ; CEDH, 3 juin 2005, Bati et autres c/ Turquie, req. nos 33097/96 et 57834/00, § 133. 1303 V. notamment : CEDH, 27 août 1992, Tomasi c/ France, req. n° 12850/87, § 113 ; CEDH, 27 juin 2000, Salman c/ Turquie, req. n° 21986/93, § 99 ; CEDH, 21 juin 2007, Karagiannopoulos c/ Grèce, req. n° 27850/03, §59 ; CEDH, 24 juin 2008, Iambor c/ Roumanie (n° 1), req. n° 64536/01, § 169 ; CEDH, 15, janvier 2009, Georgi Dimitrov, req. n° 31365/02, § 51. 1304 CEDH, 18 janvier 2001, Chapman c/ Royaume Uni, req. n° 27238/95, § 96. En l’espèce, la Cour explique que la vulnérabilité des Tziganes provient « du fait qu'ils constituent une minorité ». 1305 Lydie DUTHEIL-WAROLIN, op. cit., p. 165.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

357

intervenant seulement par la suite. « Une fois (…) la catégorie caractérisée, écrit l’auteur,

toute personne appartenant à cette catégorie est présumée irréfragablement vulnérable. (…)

Les deux techniques, standard et présomption, se succèdent donc pour qualifier la personne

de vulnérable. Le standard permet d’évaluer les éléments pris en compte (…). La présomption

permet de qualifier de vulnérable toute personne appartenant à cette catégorie. (…) Le

syllogisme est convaincant : une catégorie de personnes vulnérables étant admise (majeure),

la preuve de l’appartenance à cette catégorie étant rapportée dans une espèce particulière

(mineure), la vulnérabilité de la personne est présumée (conclusion) »1306. Ce raisonnement,

complexe, paraît simplifiable : il est possible d’analyser l’instauration a priori de catégories

de personnes vulnérables via la combinaison du standard et de la présomption en une

présomption-concept de vulnérabilité comparable à celle applicable aux marginaux énumérés

à l’alinéa e) de l’article 5 § 1. Plusieurs arguments corroborent ce point de vue.

Tout d’abord, une présomption de vulnérabilité est bien à l’œuvre, la vulnérabilité des

enfants, des malades, des détenus, des minorités et des victimes de tortures étant admise par

anticipation sur une réalité qui n’est pas prouvée.

Ensuite, il s’agit bien d’une présomption-concept : la vulnérabilité constitue le motif de

des obligations positives créées par le juge européen ; c’est leur raison d’être. Quel besoin

aurait-on de protéger particulièrement les détenus s’ils n’étaient pas singulièrement

vulnérables ? De même, en bonne présomption-concept, cette présomption avoisine tout à la

fois la présomption-postulat et la présomption-preuve. D’une part, elle ressemble à celle-ci, la

vulnérabilité étant un fait inconnu - voire inconnaissable puisqu’immatériel - qu’on infère de

caractéristiques données telles l’enfance, la maladie, la détention, etc. D’autre part, à l’instar

de celle-là, elle est une sorte de présupposition sur laquelle le raisonnement strasbourgeois

prend appui. En outre, comme toute présomption-concept, elle n’a guère d’influence

probatoire – elle n’attribue pas la charge de la preuve, ne déplace pas son objet - et ne peut

être détruite par la preuve de l’invulnérabilité d’une personne ; bref, elle est aréfragable. Par

exemple, un Etat défendeur tenterait vainement de prouver qu’un détenu n’est pas vulnérable

pour s’affranchir de son obligation positive de le protéger.

Par ailleurs, la présomption-concept repose, on le sait, sur un mécanisme de généralisation,

de systématisation : en tant que source d’une jurislation, elle n’a pas à être l’exact reflet de la

réalité ; son intérêt se situe précisément dans sa distanciation par rapport au réel qui lui permet

1306 Ibid., pp. 165-166.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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de repérer une orientation générale (en l’occurrence la vulnérabilité de certaines personnes) et

d’en tirer des conséquences juridiques. Elle a donc d’incontestables affinités avec le standard

précisément évoqué par Lydie DUTHEIL-WAROLIN, affinités sur lesquelles nous

reviendrons ultérieurement1307 . Dès lors, son utilisation pour créer abstraitement des

catégories de personnes vulnérables est appropriée.

Enfin, la lettre même de la jurisprudence consolide la thèse selon laquelle le mécanisme

présomptif, et non un standard suivi d’une présomption, est à l’œuvre. On ne saurait en effet

ignorer que la Cour mentionne parfois explicitement l’usage de la présomption de

vulnérabilité. Ainsi lui arrive-t-il d’énoncer qu’« il y a lieu de présumer qu'un détenu, enfermé

dans un espace clos, ayant peu de contacts avec ses proches ou avec le monde extérieur et

constamment soumis à l'autorité de l'administration de la prison, présente un degré de

vulnérabilité certain »1308.

Renouvelé, le recours à la présomption de vulnérabilité l’est donc indéniablement grâce à

la jurisprudence européenne. Il permet de créer des catégories entières de personnes

vulnérables que les Etats doivent protéger. En outre, parfois exprès, il marque la volonté de la

Cour de revendiquer sa prise de position à l’égard des personnes vulnérables. Il y a là un

symbole de la liberté du juge européen ; en choisissant de présumer la vulnérabilité pour

renforcer la protection de certaines personnes, le juge européen manifeste sa volonté et son

attachement à l’interprétation progressiste de la Convention.

2- L’utilisation des présomptions en faveur des personnes vulnérables

A l’instar du recours aux présomptions de vulnérabilité, l’utilisation de présomptions

favorables aux personnes vulnérables n’est pas inédite (a-) mais trouve un nouvel élan grâce à

la jurisprudence européenne (b-).

a- Un courant présomptif classique favorable aux personnes vulnérables

« Parfois les présomptions sont fondées sur la volonté de favoriser certains justiciables,

sur une idée de protection des faibles », notait déjà au milieu du XXème siècle le Professeur

1307 V. infra : la légitimité par la nomalisation. 1308 CEDH, 15 juin 2006, Moisejevs c/ Lettonie, 15 juin 2006, req. n° 64846/01, § 180 ; CEDH, 15 juin 2006, Kornakovs c/ Lettonie, req. n° 61005/00, § 164 ; CEDH, 30 novembre 2006, Igors Dmitrijevs c/ Lettonie, req. n° 61638/00, § 95.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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GROSSEN, s’inspirant de GENY1309. « Il peut s’agir, ajoutait-il, d’une faiblesse naturelle

comme celle des femmes, des enfants, ou d’une faiblesse économique, comme celle de

l’ouvrier par rapport au patron, de l’assuré par rapport à l’assureur »1310. Sa misogynie mise

à part, ce constat reste d’actualité.

Par exemple, en droit des contrats, diverses présomptions protègent les consommateurs

contre la puissance économique des professionnels telles celles1311 issues de l’article L132-1

du Code de la consommation en vertu duquel le pouvoir règlementaire détermine les clauses

dites « noires » qui sont irréfragablement présumées abusives1312 et les clauses dites « grises »

qui sont aussi présumées abusives mais dont le professionnel peut prouver le caractère non

abusif1313. Dans le même ordre d’idées, une présomption particulièrement originale préside à

l’assimilation de certaines clauses ambiguës à des clauses abusives. La Commission des

clauses abusives et la jurisprudence sont plutôt hostiles aux clauses qui, par leur rédaction

équivoque, peuvent amener le consommateur à penser que ses droits sont plus limités que

ceux auxquels il pourrait légalement prétendre1314. Par exemple, le 14 novembre 2006, la

Cour de cassation a jugé abusive une clause insérée dans un contrat de vente de véhicules

automobiles par laquelle un constructeur se réservait le droit d’apporter toutes les

modifications mineures qu’il jugerait opportunes du fait notamment de l’évolution technique.

Cette clause ne rappelait pas qu’en vertu de l’article R132-2 du Code de la consommation

(dans sa rédaction antérieure au 21 mars 20091315) de tels changements ne peuvent entraîner ni

augmentation du prix, ni altération de la qualité. Or, pour la Cour, ce manque de précision

pouvait laisser croire au consommateur qu’il allait subir « les éventuelles incidences

préjudiciables de ces modifications ». Cet arrêt, qui fait d’une clause elliptique une clause

abusive, illustre l’existence d’une présomption selon laquelle le consommateur ignorerait ses

droits et donc la loi. Comme l’explique le Professeur PAISANT, « suivant une tendance

1309 François GENY, op. cit., p. 293-294. 1310 Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., p. 46. 1311 Philippe MALAURIE et al., Les obligations, Defrénois, 4ème éd., Paris, 2009, pp. 372-373, n° 754. 1312 L’article R132-1 modifié par le décret n° 2009-302 du 18 mars 2009 énumère douze clauses irréfragablement présumées abusives. 1313 L’article R132-2 modifié par le décret n° 2009-302 du 18 mars 2009 énumère dix clauses présumées abusives de manière réfragable. 1314 Gilles PAISANT, « L’ambiguïté d’une clause dans un contrat conclu avec un consommateur peut lui conférer un caractère abusif », obs. ss cass. Civ. 1, 19 juin 2001, JCP G, 2001, II, 10631, pp. 2160 sq. 1315 Article R132-2 alinéa 2 dans sa version en vigueur du 3 avril 1997 au 21 mars 2009 : « Toutefois, il peut être stipulé que le professionnel peut apporter des modifications liées à l'évolution technique, à condition qu'il n'en résulte ni augmentation des prix ni altération de qualité et que la clause réserve au non-professionnel ou consommateur la possibilité de mentionner les caractéristiques auxquelles il subordonne son engagement ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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générale, le consommateur est ainsi présumé ignorer les droits qu’il tient des textes, même

d’ordre public » 1316 . Particulièrement audacieuse, cette présomption protectrice du

consommateur va jusqu’à prendre le contrepied de celle, classique, en vertu de laquelle « nul

n’est censé ignorer la loi ».

Indéniable, l’existence d’un courant présomptif visant à protéger les êtres vulnérables

s’explique par le mode de fonctionnement même de la présomption : puisque toute

présomption passe par un choix et consiste à privilégier une hypothèse au détriment d’une ou

de plusieurs autres également envisageables, cette technique paraît tout indiquée pour

octroyer une protection particulière à certains individus. Le droit européen des droits de

l’Homme confère à ce courant une ampleur particulière.

b- Un nouvel élan grâce à la jurisprudence européenne

Pour protéger les personnes vulnérables, la Cour de Strasbourg a créé un véritable

faisceau de présomptions (i-) ; la situation de sujétion se situe au cœur de cette protection

présomptive de la vulnérabilité (ii-) .

i- Un faisceau de présomptions protégeant les personnes vulnérables

La jurisprudence européenne est irriguée par diverses présomptions qui protègent soit

directement soit indirectement les personnes vulnérables.

La protection directe résulte de présomptions-preuves - dont bon nombre ont déjà été

citées - qui offrent un avantage probatoire aux requérants vulnérables ou aux requérants

alléguant la violation des droits de personnes vulnérables. Certaines de ces présomptions font

à présent partie des principes généraux guidant le raisonnement de la Cour1317. D’une part

c’est le cas des présomptions de responsabilité en matière de droit à la vie et d’interdiction de

la torture qui permettent d’imputer à l’Etat la responsabilité de blessures ou décès survenus

pendant une détention et contribuent donc à protéger les détenus. D’autre part c’est le cas des

présomptions de discrimination indirecte qui permettent d’établir la discrimination lorsque le

requérant démontre qu'une mesure ou une pratique donnée désavantage nettement une

catégorie de personnes par rapport à une autre. Rappelons que ces présomptions de

1316 PAISANT Gilles, « Les clauses abusives dans les contrats de vente de véhicules automobiles neufs », obs. ss Cass . civ. 1, 14 novembre 2006, JCP G, II, 10056, pp. 29 sq., spéc. p. 32. 1317 V. supra : présomptions-preuves et « principes généraux » au sens de la jurisprudence européenne.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

361

discrimination favorisent essentiellement les membres de la minorité Rom1318. D’autres sont

utilisées plus ponctuellement : la présomption de détention dans des conditions de

surpeuplement, d’insalubrité et de délabrement à l’œuvre dans l’arrêt Alver1319 ou encore la

présomption de censure du courrier de détenus évoquée dans quelques arrêts polonais1320.

C’est aussi le cas de la présomption de prosélytisme utilisée dans l’arrêt Larrissis et autres

contre Grèce de 19981321 et dans la décision Dahlab contre Suisse de 20011322. Dans la

première de ces affaires, les requérants, des officiers de l’armée de l’air ayant fait l’objet

d’une condamnation pour prosélytisme à l’égard de civils et de soldats sous leurs ordres,

alléguaient une violation de l’article 9 de la CEDH. Pour la Cour, si la condamnation pour

prosélytisme à l’égard de civils n’est pas justifiée au regard de l’article 9, il n’en va pas de

même de celle pour prosélytisme à l’égard des soldats. Tenant compte de l’ascendant spirituel

qu’un gradé peut avoir sur un soldat dans le contexte militaire, la Cour instaure une véritable

« présomption de prosélytisme abusif »1323. Selon elle, « (…) la structure hiérarchique qui

constitue une caractéristique de la condition militaire peut donner une certaine coloration à

tout aspect des relations entre membres des forces armées, de sorte qu'un subordonné a du

mal à repousser un supérieur qui l'aborde ou à se soustraire à une conversation engagée par

celui-ci. Ce qui, en milieu civil, pourrait passer pour un échange inoffensif d'idées que le

destinataire est libre d'accepter ou de rejeter peut, dans le cadre de la vie militaire, être

perçu comme une forme de harcèlement ou comme l'exercice de pressions de mauvais aloi

par un abus de pouvoir ». Autrement dit, par cette présomption apparemment irréfragable –

on voit mal quelle preuve contraire pourrait la renverser - la Cour cherche à protéger les

soldats, vulnérables aux éventuelles « pressions abusives »1324 que pourraient exercer sur eux

leurs supérieurs hiérarchiques. Dans la seconde de ces affaires, une présomption similaire est

utilisée quant aux rapports entre une institutrice et ses élèves. Etait en cause la conformité à

l’article 9 de l’interdiction faite à la requérante de porter le foulard islamique dans le cadre

1318 Qu’elle mette enouevre ou non une présomption-cooncept, la jurisprudence traite fréquemment, ainsi qu’on a déjà pu le constater, de la discrimination à l’égard des Roms dont la situation est souvent difficile. V. par exemple, CEDH, Grde ch., 22 décembre 2009, Sejdic et Finci c/ Bosnie-Herzégovine, req. n°s 27996/06 et 34836/06. 1319 CEDH, 8 novembre 2005, Alver c/ Estonie, req. n° 64812/01. 1320 CEDH, 6 septembre 2007, Kliza contre Pologne, req. n° 8363/04, § 62. V. aussi : CEDH, 2 décembre 2003, Matwiejczuk c/ Pologne, req. n° 37641/97, § 99 ; CEDH, 14 juin 2005, Pisk-Piskowski c/ Pologne, req. n° 92/03, § 26 ; CEDH, 4 mai 2006, Michta c/ Pologne, req. n° 13425/02, § 57. 1321 CDEH, 24 février 1998, Larissis et autres c/ Grèce, req. n° 140/1996/759/958-960. 1322 CEDH (déc.), 15 février 2001, Dahlab c/ Suisse, req. n° 42393/98. 1323 Gérard GONZALEZ, « Nouvel éclairage européen sur le prosélytisme ou petite leçon de savoir vivre sous l’uniforme », RTDH, 1999, pp. 585 sq., spéc. p. 590. 1324 CDEH, 24 février 1998, Larissis et autres c/ Grèce, req. n° 140/1996/759/958-960, § 54.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

362

scolaire. Comme le souligne le Professeur FLAUSS1325, la Cour attache une véritable

« présomption irréfragable de prosélytisme » au port de ce signe religieux à l’école. Ainsi, ne

prend-elle même pas la peine de rechercher si la requérante avait réellement affiché une

volonté prosélyte pour déclarer la requête irrecevable. Mieux encore, elle admet

qu’apparemment, l’institutrice « ne cherchait pas à tirer un bénéfice quelconque de la

manifestation extérieure de sa croyance religieuse ». Rigoureuse, cette position vise à

protéger la vulnérabilité de jeunes enfants – les élèves étaient en l’occurrence âgés de quatre à

huit ans et étaient donc « plus facilement influençables que les autres élèves d’âge plus

avancé ». Implicite, la présomption de prosélytisme sous-tend la question rhétorique posée

par la Cour : « Comment (…) pourrait-on dans ces circonstances dénier de prime abord tout

effet prosélytique que peut avoir le port du foulard dès lors qu’il semble être imposé aux

femmes par une prescription coranique (…) difficilement conciliable avec le principe

d’égalité des sexes » ?

La protection peut également être indirecte. L’arrêt Monory contre Hongrie et

Roumanie1326 , dans lequel le mécanisme présomptif concourt à l’applicabilité de la

Convention de la Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l’enlèvement international

d’enfants, illustre cette possibilité. Invoquant l’article 8 de la CEDH, le requérant se plaignait

notamment du fait que les autorités roumaines n’avaient pas fait en sorte que sa fille lui fût

immédiatement rendue alors que sa femme la gardait avec elle en Roumanie sans son

consentement. Ayant relevé que les obligations positives imposées par l’article 8 aux Etats

englobent la prise de mesures propres à réunir le parent avec son enfant, la Cour rappelle

qu’elle a déjà interprété ces obligations positives à la lumière de la Convention de La Haye.

Elle estime ensuite pouvoir suivre cette même interprétation dans le cas du requérant pour

deux raisons. D’une part, à l’époque des faits, la Roumanie comme la Hongrie étaient parties

à la Convention de la Haye1327. D’autre part, en choisissant de se conformer à la requête du

requérant qu’elle aurait pourtant pu déclarer irrecevable en vertu de l’article 13 de la

Convention de la Haye, la Roumanie doit être présumée avoir consenti à l’ensemble des

obligations découlant de ladite Convention : « However, in the present case, the State organs

did not reject the applicant’s request and, by choosing to act upon it, they must be presumed

1325 Jean-François FLAUSS, obs. sous Dahlab c/ Suisse, AJDA, 2001, pp. 482 sq. 1326 CEDH, 5 avril 2005, Monory c/ Roumanie et Hongrie, req. n° 71099/01. 1327 Ibid., § 73.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

363

to have consented to all the obligations arising under that Convention »1328. Affermissant

ainsi l’applicabilité de la Convention de la Haye, le mécanisme présomptif contribue à ériger

la Cour en « gardienne de la bonne application »1329 de la Convention de la Haye et à

accroître la protection des enfants. En l’espèce, la Cour estime que la Roumanie, Etat requis

au titre de la Convention de la Haye, n’a pas pleinement rempli les obligations qui lui

incombaient en vertu de l’article 7 de la cette Convention violant ainsi l’article 8 de la

CEDH1330 : les autorités roumaines se sont en effet bornées à représenter le requérant devant

les juridictions roumaines alors qu’elles auraient dû prendre des mesures destinées à prévenir

« de nouveaux dangers pour l’enfant ou des préjudices pour les parties concernées »1331.

ii- La situation de sujétion, cœur de la protection présomptive des personnes vulnérables

Du fait de leur âge, de leur métier ou encore de leur situation au sein de la société, certains

individus subissent, de manière plus ou moins ponctuelle, une sujétion. Or, l’impression

domine que le juge européen utilise le mécanisme présomptif non pour protéger tous types de

personnes vulnérables mais précisément celles dont la faiblesse repose sur une forme

d’assujettissement. Ainsi point n’est question de présomptions concernant les malades

puisque leur fragilité, purement intrinsèque, n’est pas liée à leur rapport à autrui. En revanche,

les quatre types de personnes vulnérables dont la protection est dynamisée par diverses

présomptions - les détenus, les enfants, les Roms et les soldats - se trouvent toutes dans un

état de dépendance consubstantiel à leur vulnérabilité. Assujettis, d’abord, les détenus : pour

reprendre l’expression de la Cour, ils sont « aux mains des autorités » 1332, c’est-à-dire

entièrement soumis à ces dernières1333. Assujettis, ensuite, les enfants : ils dépendent des

adultes, particulièrement de ceux qui les éduquent et en ont « la charge »1334 à l’instar de leurs

1328 Ibid., § 75. 1329 Gérard COHEN-JONATHAN et Jean-François FLAUSS, « Cour européenne des droits de l’Homme et droit international général (2005) », dans Annuaire français de droit international, vol. 51, CNRS éd., Paris, 2005, pp. 675-698, spéc. p. 677. 1330 CEDH, 5 avril 2005, Monory c/ Roumanie et Hongrie, req. n° 71099/01, § 79. 1331 Convention de la Haye sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants, article 7 b). 1332 V. notamment : CEDH, 24 février 2009, Toma c/ Roumanie, req. n° 42716/02, § 48 ; CEDH, 31 juillet 2008, Vasil Petrov c/ Bulgarie, req. n° 57883/00, § 66 ; CEDH, 19 octobre 2006, Diril c/ Turquie, req. n° 68188/01, § 49. 1333 Dans le même ordre d’idées, dans l’arrêt Rupa, la Cour se dit « sensible à la vulnérabilité particulière des personnes se trouvant sous le contrôle exclusif des agents de l’État, telles les personnes détenues ». CEDH, 16 décembre 2008, Rupa c/ Roumanie (n°1), req. n° 58478/00, § 97. 1334 CEDH (déc.), 15 février 2001, Dahlab c/ Suisse, req. n° 42393/98 : « Partant, en mettant en balance le droit de l’instituteur de manifester sa religion et la protection de l’élève à travers la sauvegarde de la paix religieuse, la Cour estime que dans les circonstances données et vu surtout le bas âge des enfants dont la requérante avait la charge en tant que représentante de l’Etat, les autorités genevoises n’ont pas outrepassé leur marge d’appréciation (…) ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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enseignants. Assujettis, également, les Roms : appartenant à une minorité, ils subissent de

facto la domination de la majorité ; leur sujétion, plus factuelle que juridique, n’en est pas

moins certaine. Assujettis, enfin, les soldats : du fait de leur grade dans la hiérarchie militaire,

ils sont les subordonnés des officiers.

Dans la mesure où les affinités entre présomption et situation de sujétion sont patentes, on

se demande ce qui les justifie. La réponse repose sur la capacité présomptive à mettre en

lumière ce qui est caché, ce qui est apparemment soustrait à la connaissance. En l’occurrence,

le rapport de domination à l’origine de la vulnérabilité confère à cette dernière une nature

particulière : le dominant peut profiter de sa situation pour garder ses agissements secrets et

les mettre hors de portée de toute preuve directe ; la présomption apparaît alors comme

l’unique moyen de pallier ces difficultés. La Cour le constate d’ailleurs explicitement à

propos des détenus, parangon des êtres assujettis. Selon elle, le fait que « les événements en

cause, dans leur totalité ou pour une large part, sont connus exclusivement des autorités,

comme dans le cas des personnes soumises à leur contrôle en garde à vue » justifie

l’existence de « fortes présomptions de fait » en cas de « blessure ou mort survenue pendant

cette période de détention »1335.

S’agissant de la protection des personnes assujetties, le dynamisme présomptif est donc

indubitable ; il pourrait cependant gagner en force comme le révèle la proposition d’Alain

CARILLON relative à l’applicabilité accrue de la CEDH dans les relations de travail via une

« présomption d’obligation positive »1336.

Sans reprendre dans le détail cette proposition, on peut en exposer les grandes lignes. En

droit du travail, la CEDH s’applique dans deux hypothèses. La première est celle de l’effet

vertical lorsqu’une atteinte étatique aux droits du salarié est en cause, la seconde est celle de

l’effet horizontal lorsque l’Etat a l’obligation positive d’assurer le respect de la Convention

dans les relations de travail. Dans ce cas, l’atteinte a beau émaner d’une personne privée, elle

pourra être imputée à l’Etat, l’enjeu étant alors de savoir quand l’Etat assume une telle

obligation positive. A cet égard, Alain CARILLON envisage de présumer l’existence de cette

obligation positive, ce qui permettrait d’accroître l’applicabilité de la Convention en droit du

1335 CEDH, 24 juin 2008, Iambor c/ Roumanie (n° 1), req. n° 64536/01, req. n° 64536/01, § 167 ; CEDH, 1er juin 2006, Taïs c/ France, req. n° 39922/03, § 85 CEDH, 24 mars 2005, Akkum et autres c/ Turquie, req. n° 21894/93, § 210 ; CEDH, 13 juin 2002, Anguelova c/ Bulgarie, req. no 38361/97, § 111. 1336 Alain CARILLON, Les sources européennes des droits de l’Homme salarié, Bruylant, Bruxelles, 2006, pp. 99-103.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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travail et la protection des salariés. D’un côté, l’idée selon laquelle l’employeur dispose d’un

pouvoir sur son salarié en vertu d’une délégation de l’Etat pourrait justifier une telle

présomption : l’Etat aurait alors l’obligation de s’assurer que le pouvoir qu’il a délégué à

l’employeur répond aux exigences de la Convention1337. D’un autre côté, le pouvoir

exorbitant dont dispose l’employeur de porter atteinte aux droits du salarié pourrait justifier à

lui seul le recours à la présomption d’obligation positive. L’auteur propose d’étendre la thèse

de Dean SPIELMANN, selon laquelle « l’invocation des droits de l’Homme devrait pouvoir

concerner tout pouvoir (…) fût-il de nature privée »1338, au cas des rapports entre employeur

et salarié. Il estime en effet que « le lien de subordination crée un déséquilibre dans les

rapports de force entre l’employeur et son salarié et autorise l’employeur à porter atteinte

aux droits de son salarié »1339. Ainsi, cette présomption viendrait grossir le rang de celles qui

contribuent à protéger les personnes vulnérables du fait de leur situation de sujétion, le salarié

étant soumis à son employeur. Originale aussi bien que puissante1340, cette présomption qui

permettrait d’accroître l’applicabilité de la Convention semble avoir déjà été implicitement

mise en œuvre dans la jurisprudence strasbourgeoise. Ainsi, dans l’arrêt Fuentes Bobo1341, la

Cour examine si l’Espagne a respecté son obligation positive de protéger le droit à la liberté

d’expression d’un salarié contre une atteinte provenant de son employeur, personne privée. Or,

en l’espèce, la Cour examine le respect d’une telle obligation positive sans même en vérifier

l’existence. Elle rappelle simplement que « l’article 10 s’impose non seulement dans les

relations entre employeur et employé lorsque celles-ci obéissent au droit public mais peut

également s’appliquer lorsque ces relations relèvent du droit privé » puis ajoute que, « dans

certains cas, l’Etat a l’obligation positive de protéger le droit à la liberté d’expression contre

des atteintes provenant même de personnes privées »1342. Dès lors, le mutisme de la Cour

quant à l’existence d’une obligation positive dans le cas d’espèce peut être interprété comme

« la reconnaissance implicite d’une présomption d’obligation positive en droit du travail »1343.

En définitive, les éléments qui viennent d’être examinés révèlent que la présomption est,

en droit de la CEDH, une source d’effectivité de la protection des individus, notamment de

1337 Ibid., pp. 100-101. 1338 Dean SPIELMAN, L’effet potentiel de la Convention européenne des droits de l’Homme entre personnes privées, Bruylant, Bruxelles, 1995, p. 17. 1339 Alain CARILLON, op. cit., p. 100. 1340 Ibid., p. 102. L’auteur propose même d’opter pour une « présomption irréfragable en réservant la possibilité pour le juge de conserver un pouvoir de contrôle du respect de l’obligation positive ». 1341 CEDH, 29 février 2000, Fuentes Bobo c/ Espagne, req. n° 39293/98. 1342 Ibid., § 38. 1343 Alain CARILLON, op. cit., p. 101-102.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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ceux qui sont vulnérables. Mais le dynamisme présomptif ne s’arrête pas là : cette première

fonction se double d’une autre - une fonction didactique à l’égard des Etats - qui parachève la

démonstration du rôle progressiste de la présomption.

§ 2- Les présomptions, outils didactiques à l’égard des Etats

contractants

La présomption est bien davantage qu’un mécanisme sec. En tant que principe

d’orientation cognitif, c’est un mécanisme volitif entièrement tourné vers l’objectif de celui

qui présume. A titre d’exemple, la présomption de responsabilité de l’Etat en cas de blessures

subies par un individu en détention est entièrement tournée vers l’objectif européen suivant :

la protection des détenus, personnes vulnérables. Mais - fait remarquable - la pression de la

volonté qui s’exerce à travers la présomption ne se traduit pas uniquement par la consécration

d’une solution donnée. En réalité, elle dépasse ce simple résultat et, s’inscrivant dans une

politique à plus long terme, tend à le pérenniser grâce à ses vertus didactiques. En d’autres

termes, lorsqu’elle présume la responsabilité étatique en cas de blessures survenues pendant

une détention, la Cour ne se contente pas de constater la responsabilité de l’Etat : elle

s’adresse à lui en le sanctionnant ; elle lui transmet un message comportemental. Il semble

que cet impact didactique des présomptions découle de certaines de leur caractéristiques

générales, à savoir leur structure dialectique et leur caractère performatif, et se manifeste avec

une particulière acuité à travers certaines d’entre elles comme la présomption de bien-fondé

des allégations en cas de non respect par l’Etat de l’article 38 de la Convention ; on

s’attachera donc d’abord à ses origines (A-) avant d’étudier ses illustrations particulières ( B-).

A- Les origines de l’impact didactique de la présomption

L’impact didactique de la présomption repose à la fois sur la dialectique présomptive (1-)

et sur le caractère performatif des présomptions (2-).

1- La dialectique présomptive

La dialectique1344 peut être définie comme « une méthode de la pensée qui procède par

oppositions et dépassement de ces oppositions » 1345 . Elle permet l’acquisition de

1344 Elizabeth CLEMENT et al., op. cit., « Dialectique », p. 89. 1345 Définition du CNRTL [http://www.cnrtl.fr/definition/didactique], (2010-02-10).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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connaissances par l'examen successif de positions distinctes voire opposées. D’essence

argumentative, elle a une fonction didactique qui la conduit parfois à privilégier la persuasion

plutôt que la vérité. Dès lors, le rattachement de la présomption à une telle méthode

expliquerait sa portée argumentative et didactique.

Mais existe-t-il une dialectique présomptive ? A notre connaissance, cette interrogation

n’a guère trouvé d’écho dans la littérature juridique. Pourtant, un parallèle peut assurément

être établi entre le raisonnement dialectique et la structure du mécanisme présomptif. Ainsi a-

t-on déjà pu constater que l’apparente neutralité des présomptions1346 s’avère en réalité

compromise par leur structure qui implique un choix entre diverses solutions et équivaut donc

à une prise de parti. Présomptions-preuves, présomptions-postulats et présomptions-concepts

reposent toutes sur une confrontation entre plusieurs thèses qu’il s’agit de départager. Arme à

double tranchant, la présomption favorise une thèse et, concomitamment, en défavorise une

ou plusieurs autres. Les présomptions qui renforcent la protection des droits garantis par la

Convention, s’inscrivent dans ce schéma. Favorables au requérant, elles sont par là-même

défavorables à l’Etat défendeur, ce mouvement d’opposition pouvant revêtir une forme et une

intensité variables. A titre d’exemple, la présomption-preuve de discrimination, qui permet

d’établir la discrimination lorsque le requérant démontre qu'une mesure ou une pratique

donnée désavantage nettement une catégorie de personnes par rapport à une autre, octroie un

avantage probatoire au requérant et, ce faisant, favorise sa thèse au détriment de celle du

Gouvernement défendeur.

Le raisonnement présomptif progresse donc en opposant les contraires : dans sa recherche

d’une vérité, il confronte les diverses solutions envisageables. Thèse, antithèse, synthèse - la

présomption s’inscrit bel et bien dans une perspective dialectique puisque le résultat auquel

elle parvient consiste à dépasser les thèses en présence. Dans cette optique, on pourrait

présenter la présomption comme une déclinaison du « modèle de la mise en balance des

intérêts »1347 et de la proportionnalité : la dialectique présomptive ne consiste-t-elle pas en une

pesée et une pondération implicites des intérêts en présence ?1348

1346 V. supra : neutralité cognitive. 1347 L’expression est du Professeur FRYDMAN. Benoît FRYDMAN, « L’évolution des critères et des modes de contrôle de la qualité des décisions de justice », Working Papers du Centre Perelman de philosophie du droit, n° 2007/4, mis en ligne le 11 octobre 2007, [http://www.philodroit.be], (2010-01-01). 1348 L’idée selon laquelle la présomption repose sur une mise en balance des intérêts peut d’ailleurs prendre appui sur la jurisprudence européenne. Lorsqu’elle contrôle les présomptions nationales en matière répressive, la Cour utilise la proportionnalité ; elle vérifie que ces présomptions sont restées dans des limites raisonnables et

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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En définitive, la structure dialectique de la présomption scelle son appartenance au

registre argumentatif1349. On pourrait toutefois se demander si le fait que la nature dialectique

de la présomption soit plutôt implicite ne tempère pas son impact didactique. Ces craintes

peuvent être repoussées : la structure dialectique de la présomption est intuitivement

perceptible ; elle transparaît à travers la conclusion de la présomption. Comme l’enseignent

les rudiments de l’argumentation, toute thèse défendue suppose une thèse rejetée ; dès lors, en

marquant sa préférence pour une thèse, la présomption réfute les autres, ce que leurs tenants

ne sauraient ignorer. Ainsi pour reprendre l’exemple de la présomption de discrimination,

l’Etat qui doit renverser cette dernière pour échapper à un constat de violation de la CEDH, ne

peut négliger le message que lui délivre la Cour en souscrivant à la thèse de la discrimination.

Ainsi les présomptions européennes favorables aux requérants revêtent-elles également

une fonction didactique à l’égard des Etats contractants, fonction liée à leur structure

dialectique mais également, on va le voir, à leur caractère performatif.

2- Le caractère performatif de la présomption

Pour déterminer les liens entre l’impact didactique des présomptions et leur caractère

performatif, encore faut-il rappeler la signification de ce dernier terme.

D’après J. L. AUSTIN, l’auteur de Quand dire c’est faire1350, l’analyse du langage ne

saurait se réduire aux énoncés qui décrivent la réalité. Dans certains cas en effet, dire quelque

chose, c’est faire quelque chose. Aussi l’auteur élabore-t-il une véritable typologie des actes

du langage bâtie autour d’une distinction entre les actes constatatifs et les actes performatifs

(de l'anglais to perform : accomplir, exécuter).

D’un côté, les constatatifs sont des « énonciations qui (…) ne feraient que décrire (ou

affirmer sans décrire) un fait ou un « état de choses »1351. Sont ainsi constatatifs les actes

ménagent un juste équilibre entre l’importance de l’enjeu et les droits de la défense. V. supra : l’admission des présomptions nationales en matière répressive, signe d’un contrôle européen limité. 1349 Cette appartenance de la présomption au registre argumentatif n’a d’ailleurs rien de surprenant si l’on considère que la preuve elle-même s’y rattache. Ainsi, d’après AUBRY et RAU, « la preuve judiciaire, qui, comme toute preuve historique, ne peut conduire à une vérité absolue, a pour objet de convaincre le juge, en cette qualité, de la vérité des faits sur lesquels elle porte ». Charles AUBRY et Charles RAU, Cours de droit civil français, 5ème éd., T. XII, Marchal et Billard, 1922, § 749. 1350 John Langshaw AUSTIN, Quand dire c’est faire, trad. Par G. LANE de How do things with words, Oxford University press, 1965, Paris, Seuil, 1ère éd., 1970, coll. “Points Essais”, n° 235. 1351 Ibid., p. 180.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

369

locutoires par lesquels « le locuteur exprime des contenus objectifs »1352, bref les actes qui

consistent simplement à dire quelque chose.

D’un autre côté, les performatifs sont des « énonciations qui, abstraction faite de ce

qu’elles sont vraies ou fausses, font quelque chose (et ne se contentent pas de la dire). Ce qui

est ainsi produit est effectué en disant cette même chose (l’énonciation est alors une

illocution), ou par le fait de la dire (l’énonciation dans ce cas est une perlocution) ou des

deux façons à la fois»1353. Autrement dit, il existe deux types d’énonciations performatives.

Premièrement les illocutions : on accomplit une action quand on dit quelque chose.

L’exemple le plus connu d’énoncé illocutoire est celui de la formule sacramentelle du

mariage1354. Lorsque le maire dit aux intéressés : « je vous déclare mari et femme », il ne se

contente pas de constater l’union, il la réalise. Deuxièmement les perlocutions : ces énoncés

provoquent certains effets chez l’auditeur1355. Le locuteur peut par exemple effrayer, alarmer,

rassurer, convaincre ou même persuader son auditeur, le rôle didactique de ces effets

perlocutoires étant éminemment perceptible dans les deux derniers cas. Selon HABERMAS,

« les effets perlocutoires (…) peuvent être décrits comme des états dans le monde, entraînés

par une intervention dans le monde »1356. Mais la particularité des effets perlocutoires est

qu’ils ne sont pas obligatoirement intentionnels1357 : « ce qui est alors produit, explique J. L.

AUSTIN, n'est pas nécessairement cela même que ce qu'on dit qu’on produit »1358.

Pour résumer cette brève incursion dans la pensée austinienne, un exemple s’impose. Si

l’on s’adresse à un individu en lui disant « je t’avertis », cette énonciation est tout d’abord une

locution, puisqu’il s’agit bien d’un acte de parole. Ensuite, c’est également une illocution

puisqu’on avertit la personne en le lui disant. Enfin, cette illocution peut engendrer des effets

perlocutoires : par exemple, l’auditeur a pu être effrayé par l’avertissement reçu.

Qu’en est-il de la présomption ? A l’instar de l’avertissement, a-t-elle un caractère

performatif ? Est-elle une illocution et une potentielle perlocution ?

1352 Jürgen HABERMAS cité par Olivier CAYLA, « Jürgen HABERMAS et le droit. L’angélisme d’une théorie pure (du droit) chez HABERMAS », RDP, 20 juillet 2007, n° 6, pp. 1541 sq. 1353 John Langshaw AUSTIN, op. cit., p. 181. 1354 Delphine COSTA, op. cit., p. 97. 1355 Christophe GRZEGORCZYK, « Le rôle du performatif dans le langage du droit », dans Archives de philosophie du droit, T. 19 : Le langage du droit, Paris, 1974, pp. 229-241, spéc. p. 233. 1356 Jürgen HABERMAS, cité par Olivier CAYLA, loc. cit.. 1357 Ibid.: « il nous faut distinguer les actes qui ont un objectif perlocutoire (convaincre, persuader), de ceux qui, simplement, entraînent des suites perlocutoires. Ainsi pouvons-nous dire « j’ai essayé de l’avertir, mais je n’ai réussi qu’à l’effrayer » ». 1358 John Langshaw AUSTIN, op. cit., p. 181.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

370

Tout d’abord, présumer apparaît comme un acte performatif paradigmatique : en

présumant, on fait advenir quelque chose. Plus précisément, on érige au rang de vérité - une

vérité provisoire si la présomption est réfragable, définitive si elle est irréfragable - un fait

inconnu ou inconnaissable. D’ailleurs, à l’instar d’autres verbes performatifs tels avertir,

promettre, donner, etc., le verbe présumer est partie intégrante de l’action qu’il décrit et son

contenu ne peut être vrai ou faux comme le serait celui d’un constatatif1359.

Ensuite, la présomption apparaît comme un acte illocutoire1360 ayant des effets

perlocutoires volontaires. En tant que principe d’orientation cognitif, la présomption est

stratégiquement marquée ; elle est au service des objectifs de celui qui l’utilise. Partant, pour

qu’elle soit pleinement efficace, ses effets ne peuvent être limités à ceux qu’elle exprime

clairement, à savoir ses effets illocutoires. Ainsi en présumant la responsabilité étatique en cas

de décès ou blessures survenus lors d’une détention, la Cour ne se contente-t-elle pas d’établir

la responsabilité : elle cherche à obtenir des résultats d’ordre psychologique. En défavorisant

la thèse de l’Etat défendeur et en fragilisant sa position via une présomption, la Cour tente de

dissuader l’Etat d’adopter certains comportements. C’est donc là, dans cette forme de sanction

inhérente à toute présomption, que se combinent effets perlocutoires et didactique. Les

présomptions font donc partie de ces « illocutions (…) mobilisées en tant que moyens dans les

contextes d’actions téléologiques »1361. En somme, les présomptions, grâce à leurs effets

perlocutoires, permettent à la Cour de donner une leçon aux Etats défendeurs, leur impact

didactique étant alors manifeste particulièrement dans certaines d’entre elles.

B- Illustrations particulières de l’impact didactique des présomptions

Parmi les présomptions qui contribuent à accroître la protection des droits

fondamentaux, certaines ont un impact didactique flagrant, leur objectif premier étant

d’éduquer les Etats contractants. C’est notamment le cas des présomptions de bien-fondé des

1359 Christophe GRZEGORCZYK, loc. cit. p. 369, p. 232. 1360 A cet égard, même si les présomptions européennes renforçant la protection des droits fondamentaux ne sont pas concernées, on peut noter que l’aspect illocutoire des présomptions leur confère parfois un impact didactique indirect. Dans la mesure où la présomption, pour reprendre la formule du Professeur RIVERO, « aboutit en quelque sorte à créer par son existence une réalité conforme à elle-même », celui auquel elle est défavorable a parfois intérêt à calquer son comportement sur elle. L’auteur cite l’exemple de la présomption selon laquelle le silence gardé pendant plus de quatre mois par l’Administration saisie d’un recours gracieux équivaut à un rejet. D’après lui, le silence est devenu, pour l’Administration, une technique de refus délibéré. Dans ce cas, « la connaissance de la présomption aboutit à la faire coïncider avec la volonté réelle de l’Administration » et « la présomption a engendré sa conformité à la réalité ». Jean RIVERO, op. cit., p. 107. 1361 Jürgen HABERMAS, cité par Olivier CAYLA, loc. cit..

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

371

allégations (1-), des présomptions liées à l’existence d’une pratique administrative (2-) ou

encore des présomptions de connivence (3-).

1- Les présomptions de bien-fondé des allégations, sanctions de la passivité

étatique

D’une manière générale, conformément à l’article 44A du Règlement de la Cour relatif

à l’obligation de coopérer avec cette dernière1362, « les parties ont l’obligation de coopérer

pleinement à la conduite de la procédure et, en particulier, de prendre les dispositions en leur

pouvoir que la Cour juge nécessaires à la bonne administration de la justice ». Une telle

obligation de coopération pèse également sur l’Etat défendeur lorsque la Cour décide, par une

décision discrétionnaire, de mener une enquête1363 . L’article 38 § 1 a) de la

Convention dispose en effet que si la requête est déclarée recevable par la Cour, celle-ci

« poursuit l’examen contradictoire de l’affaire avec les représentants des parties et, s’il y a

lieu, procède à une enquête pour la conduite efficace de laquelle les Etats intéressés

fourniront toutes facilités nécessaires ». Ainsi que la Cour le met elle-même en évidence1364,

pareille obligation prend tout son intérêt dans les affaires mettant en cause le comportement

des forces de l’ordre accusées par les requérants de pratiques de torture ou d’homicides sur

des détenus1365 : dans ce cas l’Etat est bien souvent le seul à posséder les preuves utiles.

Cela dit, la consécration conventionnelle de l’obligation de coopération est une chose,

sa mise en œuvre en est une autre. Il arrive en effet que l’inertie soit une force. Pourquoi un

Etat contribuerait-il à sa propre condamnation en apportant des preuves corroborant les

allégations du requérant ? Certes, en refusant de coopérer, il risque d’être condamné pour

violation de l’article 38 § 1 a)1366. Mais, en termes d’image, mieux vaut encourir une

condamnation pour refus de coopération plutôt que pour violation du droit à la vie ou de

l’interdiction de la torture. A priori l’Etat pourrait donc préférer ne rien divulguer afin

d’échapper à des condamnations particulièrement graves. Pour sortir de cette impasse et ôter à

1362 Jean-François RENUCCI, op. cit., pp. 857-858, n° 760. 1363 Fred DESHAYES, op. cit., pp. 300-301, n° 803-808. 1364 V. par exemple : CEDH, 8 avril 2004, Tahsin Acar c/ Turquie, req. n° 26307/95, § 254 ; CEDH, 24 février 2005, Khachiev et Akaïeva c/ Russie, req. nos 57942/00 et 57945/00, § 137 ; CEDH, 2 août 2005, Taniş et autres c/ Turquie, req. n° 65899/01, § 163. 1365 Emmanuel VAN NUFFEL, « L’appréciation des faits et leur preuve par la Cour européenne des droits de l’Homme dans les affaires mettant en cause les forces de sécurité accusées d’homicides et d’actes de torture : le doute raisonnable et l’inhumain », RTDH, 2001, pp. 856-885, spéc. pp. 874-875. 1366 V. par exemple : CEDH, 24 avril 2003, Aktas c/ Turquie, req. n° 24351/94 ; CEDH, 12 février 2009, Nolan et K. c/ Russie, req. n° 2512/04.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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la passivité étatique toute rentabilité, la Cour n’hésite pas à recourir aux présomptions.

Concrètement la Cour s’arroge la possibilité de « tirer des conclusions, défavorables à un Etat,

quant au « bien-fondé » des allégations des requérants là où la non-divulgation par le

gouvernement concerné des informations cruciales qu’il est le seul à posséder l’empêche

d’établir les faits »1367. Grâce à la technique de la présomption-preuve, elle infère de diverses

données, à savoir les commencements de preuve fournis par le requérant et l’absence de

coopération de l’Etat, un fait inconnu : le bien-fondé de tout ou partie des allégations.

A titre d’exemple, lors de l’affaire Ergi contre Turquie1368 relative au décès de la sœur

du requérant tuée par balle alors qu’elle se trouvait sur la terrasse de sa maison et qu’une

opération militaire était justement en cours dans les environs, l’ancienne Commission mena

une enquête, les faits de la cause étant controversés. Or, le Gouvernement ayant refusé de

fournir certains documents, la Commission estima qu’il existait « de fortes présomptions en

faveur des allégations du requérant » et « de sérieux indices » 1369 permettant de penser que la

balle ayant tué Havva Ergi avait été tirée par les forces de l’ordre. Compte tenu de l’absence

de coopération de la Turquie, la Cour admit, elle aussi, que la balle provenait probablement

des autorités, et en conclut que les précautions suffisantes pour épargner la vie de la

population civile n’avaient pas été prises1370. Autre exemple de ce type de raisonnement,

l’arrêt Aziyevy contre Russie1371 : dans la partie consacrée à l’établissement des faits, la Cour

commence par rappeler que le non respect par l’Etat de son obligation de coopération peut la

conduire à constater une violation de l’article 38 § 1 a) et à tirer des conclusions concernant le

bien-fondé des allégations1372 ; « The Court finds that it can draw inferences from the

1367 CEDH, 26 février 2008, Mansuroğlu c/ Turquie, req. n° 43443/98, § 79. Pour des formules similaires, V. notamment : CEDH, 13 juin 2000, Timurtas c/ Turquie, req. n° 23531/94, § 66 ; CEDH, 24 mars 2005, Akkum et autres c/ Turquie, req. n° 21894/93, § 185 ; CEDH, 31 mai 2005, Kişmir c/ Turquie, req. n° 27306/95, § 80 ; CEDH, 31 mai 2005, Çelikbilek c/ Turquie, req. n° 27693/95, § 63 ; CEDH, 31 mai 2005, YASİN ATEŞ c/ Turquie, req. n° 30949/96, § 87 ; CEDH, 27 juillet 2006, Bazorkina c/ Russie, req. n° 69481/01, § 171 ; CEDH, 12 octobre 2006, Estamirov et autres contre Russie, req. n° 60272/00, § 103 ; CEDH, 9 novembre 2006, Imakayeva c/ Russie, req. n° 7615/02, § 200 ; CEDH, 15 novembre 2007, Kukaiev c/ Russie, req. n° 29361/02, § 120 ; CEDH, 24 janvier 2008, Maslova et Nalbandov c/ Russie, req. n° 839/02, § 128 ; CEDH, 15 mai 2008, Dedovskiy et autres c/ Russie, req. n° 7178/03, § 106 ; CEDH, 29 mai 2008, Betayev et Betayeva c/ Russie, req. n° 37315/03, § 66 ; CEDH, 29 mai 2009, Ibragimov c/ Russie, req. n° 34561/03, § 78 ; CEDH, 29 mai 2008, Sangariyeva et autres c/ Russie, req. n° 1839/04, § 60 ; CEDH, 29 mai 2008, Gekhayeva et autres c/ Russie, req. n° 1755/04, § 84 ; CEDH, 9 octobre 2008, Albekov et autres c/ Russie, req. n° 68216/01, § 113 ; CEDH, 12 mars 2009, Dzhambekova et autres c/ Russie, req. n°s 27238/03 et 35078/04, § 251, CEDH, 12 mai 2009, Tănase c/ Roumanie, req. n° 5269/02, § 75 ; CEDH, 29 octobre 2009, Paradysz c/ France, req. n° 17020/05, § 92. 1368 CEDH, 28 juillet 1998, Ergi c/ Turquie, req. n° 66/1997/850/1057. 1369 Ibid., § 41. 1370 Ibid., §§ 80-81. 1371 CEDH, 20 mai 2008, Aziyevy c/ Russie, req. n° 77626/01. 1372 Ibid., § 63.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

373

Government's conduct in respect of the well-foundedness of the applicants' allegations »1373.

Ensuite, s’appuyant sur les commencements de preuve fournis par le requérant à propos de la

détention de ses fils Lom-Ali et Umar-Ali Aziyev d’une part, sur le refus de la Russie de

fournir les documents qui étaient en sa possession exclusive d’autre part, la Cour considère

que Lom-Ali et Umar-Ali Aziyev furent arrêtés le 24 septembre 2000 chez eux à Grozny par

les agents de l’Etat durant une opération de sécurité non reconnue1374.

Inspirées des méthodes interaméricaines1375 et internationales1376, encouragées par la

doctrine1377, sans surprise au regard de l’article 44C1378 du Règlement de la Cour selon lequel

« lorsqu’une partie reste en défaut de produire les preuves ou informations requises par la

Cour ou de divulguer de son propre chef des informations pertinentes (…), la Cour peut tirer

de son comportement les conclusions qu’elle juge appropriées », ces présomptions de bien-

fondé des allégations ont un objectif didactique patent. Elles visent non seulement à

sanctionner la passivité de l’Etat mais encore à le dissuader d’opter de nouveau pour une telle

attitude. A un objectif à court terme – l’établissement des faits dans le cas d’espèce – elles

combinent donc un objectif à long terme : inciter l’Etat à coopérer. Elles permettent en effet

de surmonter la paralysie du contentieux qui devrait normalement résulter du refus de l’Etat

de communiquer les preuves nécessaires à l’établissement des faits. Ce faisant, elles montrent

à ce dernier qu’il n’a aucun intérêt à demeurer passif : non seulement son silence ne lui aura

pas permis d’échapper à la condamnation qu’il voulait éviter mais lui aura au surplus valu une

1373 Ibid., § 68. 1374 Ibid., § 74. 1375 Il existe donc en droit interaméricain des droits de l’Homme une véritable présomption de véracité des allégations (Sur ce point, V. : Fred DESHAYES, op. cit., pp. 313-316, n° 845-852 et CIADH, 29 juillet 1988, Velásquez Rodríguez c/ Honduras, § 135). L’article 39 du Règlement de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme intitulé « Présomption » dispose ainsi que « les faits allégués dans la pétition dont les parties pertinentes ont été transmises à l’Etat en question sont présumées véridiques si dans un délai fixé par la Commission à l’article 38 du présent Règlement, l’Etat concerné n’a pas fourni les renseignements appropriés, à condition qu’une conclusion opposée ne ressorte pas de l’examen d’autres pièces à conviction ». 1376 Sur ce point, V. notamment : Jacques-Michel GROSSEN, op. cit., pp. 88 sq., Gérard NIYUNGEKO, op. cit., pp. 183 sq. et Fred DESHAYES, op. cit., p. 314 n° 847. 1377 Ainsi le Professeur TRECHSEL formulait-il, pour réagir face au manque de collaboration des Etats, la proposition suivante : « La Commission pourrait tout simplement considérer comme établis les faits tels qu’ils sont allégués par la partie requérante » (StefanTRECHSEL, loc. cit. p. 116, spéc. p. 131). Dans la même optique, le Juge LOUCAIDES énonçait : « Particular weight should be given to the attitude of the respondent governement. It is submitted that whenever an individual applicant’s version, based only on his own statements, presents a prima facie plausible case of violation, the commission should even at the initial stage of the examination of the question of admissibility of the application, direct its attention to the respondent State, requesting explanations and evidence to disprove the applicant’s allegations, and should not hesitate to draw conclusions against such State based on unsatisfactory answers, lack of explanations or co-operation on its part, including, of course, intentional non-participation in the examination or investigation of the case » (Loukis G. LOUCAIDES, loc. cit., pp. 1442-1443). 1378 Inséré par la Cour dans le Règlement le 13 décembre 2004.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

374

condamnation pour violation de l’article 38 § 1 a). Ainsi, pour reprendre l’exemple de l’arrêt

Aziyevi, la Russie a tout d’abord été condamnée pour violation de l’article 38 § 1 a)

puisqu’elle a refusé de fournir les pièces requises. Ensuite, elle n’a pu échapper à un constat

de violation des articles 2, 3 et même 5, la Cour ayant fait appel au mécanisme présomptif

pour établir l’arrestation des fils du requérant par des agents de l’Etat.

Instruire en sanctionnant, voilà donc le credo de ces présomptions qui sont tout à la

fois un blâme, un enseignement et un avertissement, bref une leçon dont la teneur s’apparente

à la maxime « Qui tacet consentire videtur »1379.

2- Les présomptions liées à l’existence d’une pratique administrative, source

de réformes structurelles

Déjà envisagées dans une perspective présomptive à propos de la tendance des

présomptions à s’autogénérer1380, le phénomène des pratiques administratives retient de

nouveau l’attention. Son effectivité repose en effet sur les présomptions manifestement

didactiques qu’il engendre.

Le cas de la pratique administrative italienne de dépassement du délai raisonnable est

significatif. Présumée par la Cour à partir des nombreuses condamnations de l’Italie en raison

de la durée excessive de ses procédures juridictionnelles, cette pratique administrative donne à

son tour lieu à une « présomption de lenteur coupable »1381 des juridictions de ce pays qui

facilite la preuve de la violation de l’article 6 dès lors que la durée de la procédure litigieuse

paraît a priori excessive. Concrètement, ce phénomène a amené la Cour « à uniformiser la

rédaction de ses décisions et arrêts, ce qui lui a permis d’adopter depuis 1999 plus de 1 000

arrêts contre l’Italie en matière de durée de procédures civiles »1382. L’impact didactique de

la « présomption de lenteur coupable » se fait alors jour : en automatisant le constat de

violation, en concourant ainsi à l’objectivisation du contentieux, cette présomption exerce une

pression sur l’Etat concerné. Elle l’incite à entreprendre des réformes structurelles afin de

remédier à la dérive systémique en cause et de rompre la chaîne des violations. En

l’occurrence, cette force de persuasion présomptive s’est traduite par une loi italienne, dite

1379 « Qui ne dit mot semble consentir ». 1380 V. supra : l’autogénération présomptive. 1381 CEDH, 28 juillet 1999, Di Mauro c/ Italie, req. n° 34256/96, opinion dissidente de M. le Juge COSTA. 1382 CEDH, 29 mars 2006, Cocchiarella c/ Italie, req. n° 64886/01, § 67.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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« loi Pinto »1383, qui instaure un mécanisme permettant de réparer immédiatement la violation

de l’article 6 en offrant au justiciable la possibilité de saisir une juridiction afin d’être

indemnisé pour la longueur de la procédure principale.

Bien que cette réforme n’ait guère permis de mettre fin à la pratique administrative

italienne1384, le recours qu’elle aménage étant parfois lui-même trop lent et le montant de

l’indemnité octroyée trop faible au regard des exigences européennes, la Cour la considère

cependant avec une certaine bienveillance. Elle y voit en effet « un pas significatif »1385 de la

part de l’Italie. A cet égard, les perspectives didactiques de la « présomption de lenteur

coupable » sont d’autant plus perceptibles que les arrêts concernant le contentieux italien du

dépassement du délai raisonnable prennent désormais des allures d’arrêts pilotes1386. Dans

l’arrêt Simaldone1387, même si la Cour ne constate pas l’ineffectivité de la procédure « Pinto »

et écarte la violation de l’article 13, elle admet « l’existence d’un problème dans le

fonctionnement du recours « Pinto » »1388. Or, comme dans un arrêt pilote1389, elle guide

l’Italie en attirant son « attention » sur ledit problème afin que « les autorités nationales se

dotent de tous les moyens adéquats et suffisants pour »1390 y pallier et souligne son inquiétude

face au risque que « le rôle de la Cour soit engorgé d’un grand nombre d’affaires

répétitives » liées à la procédure « Pinto ».

Ainsi, pour inciter les Etats à entreprendre des réformes structurelles, la juridiction

strasbourgeoise peut recourir au mécanisme présomptif en raison de ses vertus didactiques

dont les potentialités sont plus nombreuses qu’il n’y paraît.

1383 Loi no 89 du 24 mars 2001. 1384 CEDH, G.C., 29 mars 2006, Riccardi Pizzati c/ Italie, req. no 62361/00 ; CEDH, G.C., 29 mars 2006, Musci c/ Italie, req. no 64699/01 ; CEDH, G.C., 29 mars 2006, Giuseppe Mostacciuolo c/ Italie (no1), req. no 64705/01 ; CEDH, G.C., 29 mars 2006, Giuseppe Mostacciuolo c/ Italie (no2), req. no 65102/01 ; CEDH, G.C., 29 mars 2006, Cocchiarella c/ Italie, req. no 64886/01 ; CEDH, G.C., Apicella c/ Italie, req. no 64890/01 ; CEDH, G.C., 29 mars 2006, Ernestina Zullo c/ Italie, req. no 64897/01 ; CEDH, G.C., 29 mars 2006, Giuseppina et Orestina Procaccini c/ Italie, req. no 65075/01. 1385 CEDH, 31 mars 2009, Simaldone c/ Italie, req. n° 22644/03, § 78. 1386 Sur la notion d’arrêt pilote, V. : Frédéric LAZAUD, « L’objectivisation du contentieux européen des droits de l’Homme (lecture de l’arrêt Broniowski à la lumière du protocole 14) », Revue de la recherche juridique et du droit prospectif, 2005, pp. 193 sq., Jean-Pierre MARGUENAUD, op. cit., pp. 138-139. 1387 CEDH, 31 mars 2009, Simaldone c/ Italie, req. n° 22644/03. 1388 Ibid., § 82. 1389 CEDH, G.C., Broniowski c/ Pologne, 22 juin 2004, req. 31443/96. 1390 CEDH, 31 mars 2009, Simaldone c/ Italie, req. n° 22644/03, § 85.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

376

3- Les potentialités des présomptions de connivence

Etat de convergence des intentions difficile à cerner parce que dissimulé voire

informulé, la connivence se définit comme l’ « entente secrète ou tacite entre des personnes,

notamment pour préparer une action commune » et peut aller jusqu’à « apporter une aide à

quelqu'un en feignant d'ignorer et/ou en dissimulant une action généralement coupable »1391.

La connivence est donc l’un de ces faits psychologiques qui répugnent à la preuve directe

mais dont la présomption est friande. Le recours par la Cour de Strasbourg à des présomptions

de connivence n’aurait donc en soi rien de remarquable n’était le dynamisme de leurs vertus

didactiques. Le juge européen use de présomptions de connivence dans trois cas.

Tout d’abord, la présomption de connivence peut intervenir lors de l’établissement des

faits. L’affaire Khasuyeva1392 illustre cette possibilité. En l’espèce était en cause la disparition

d’Abu Khasuyev depuis le 30 août 2001, jour de son enlèvement au domicile familial par

plusieurs hommes armés et masqués en tenue de camouflage. La Cour présume qu’Abu

Khasuyev a trouvé la mort à la suite d’une détention non reconnue par des agents de l’Etat.

Pour ce faire elle s’appuie sur les allégations de la requérante, mère du disparu, et sur divers

témoignages ; elle prend aussi en compte l’attitude passive de l’Etat ; enfin, les ravisseurs

n’ayant même pas été identifiés, elle évoque une présomption de connivence des autorités

concernant la disparition : « The authorities' behaviour in the face of the applicant's well-

substantiated complaints gives rise to a strong presumption of at least acquiescence in the

situation and raises strong doubts as to the objectivity of the investigation »1393. Dans ce

genre d’affaire, la portée de la présomption est malaisée à déterminer. Elle semble en effet

agir davantage comme un doublon de la présomption de bien-fondé des allégations découlant

de la passivité de l’Etat que de manière autonome. Uniquement explicatif, son rôle consiste à

renforcer le message délivré par le recours initial à la présomption de bien-fondé des

allégations. Surabondante, la présomption de connivence s’apparente donc à un procédé

d’insistance dont la fonction est purement didactique : il s’agit d’exposer clairement les motifs

du juge européen. En somme, la portée juridique de cette présomption se limite à la

motivation de l’arrêt. L’étrangeté de cette pratique peut être relativisée lorsqu’on considère

1391 V. la définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/connivence], (2010-02-16). 1392 CEDH, 11 juin 2009, Khasuyeva c/ Russie, req. n° 28159/03. V. aussi : CEDH, 29 mai 2008, Utsayeva et autres c/ Russie, req. n° 29133/03. 1393 Ibid., § 109.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

377

que la motivation des arrêts strasbourgeois, « extensive et explicative »1394, suit le modèle

argumentatif1395.

Ensuite, la présomption de connivence peut intervenir lors de l’examen procédural des

articles 2 et 3. Dans ce cas, la présomption ne concourt pas directement au constat de

violation. Celui-ci découle de données factuelles tel le manque de diligence dans la manière

dont les autorités ont mené l’enquête pénale. La présomption intervient parallèlement à ce

constat. Compte tenu de l'importance des droits en jeu, la Cour part du principe que « les

instances judiciaires internes ne doivent en aucun cas s'avérer disposées à laisser impunies

des atteintes à la vie ou à l'intégrité physique ou morale des personnes. Cela est

indispensable pour maintenir la confiance du public et assurer son adhésion à l'Etat de droit

ainsi que pour prévenir toute apparence de tolérance d'actes illégaux, ou de collusion dans

leur perpétration »1396. Elle en conclut que, si l’ineffectivité des voies pénales empêche la

Cour d’aboutir à un constat de fait, elle engendre une « présomption de connivence ou, du

moins, d’un assentiment de la part des instances judiciaires face aux actes allégués à

l’endroit des agents de l’Etat »1397. Là encore, la présomption de connivence a un rôle

purement didactique : révéler le danger de laisser impunies certaines atteintes aux droits

garantis par la Convention. Une telle attitude risquerait de remettre en cause la légitimité du

système judiciaire de l’Etat concerné. Ainsi, en évoquant la connivence présumée, la Cour

cherche à dissuader l’Etat de couvrir les agissements criminels de ses agents.

Enfin, la présomption de connivence peut intervenir lors de l’examen du volet matériel

des articles 2 et 3. Tel est le cas dans l’arrêt Avşar1398 qui concernait l’enlèvement et le décès

de Mehmet Şerif Avşar par cinq gardes de village, un repenti du nom de Mehmet

Mehmetoğlu et une septième personne membre des forces de l’ordre. Dans cette affaire, pour

imputer à l’Etat la responsabilité de la mort de Mehmet Şerif Avşar, la Cour retient

notamment une présomption de connivence ou d’assentiment de la part des gendarmes qui

étaient au courant de l’enlèvement du défunt. « Le fait que les gendarmes n’aient réagi ni aux

activités illégales des gardes de village, de Mehmet Mehmetoğlu et de la septième personne,

ni aux plaintes de la famille de la personne enlevée, explique-t-elle, engendre de fortes

1394 Benoît FRYDMAN, loc. cit.. 1395 Ibid.. 1396 CEDH, 26 juin 2007, Canan c/ Turquie, req. n°39436/98, § 95. 1397 Ibid., § 95. 1398 CEDH, 10 juillet 2001, Avşar c/ Turquie, req. n° 25657/94.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

378

présomptions de connivence ou, du moins, d’assentiment de leur part »1399. Là encore, le rôle

de cette présomption est ambigu. L’enlèvement de Mehmet Şerif Avşar semble en effet avoir

été perpétré par des agents de l’Etat : la Cour admet elle-même que les gardes de village

« jouissaient d’une position officielle »1400 et que le septième protagoniste était membre des

forces de l’ordre. On pourrait donc penser que la présomption de connivence n’a qu’un rôle

surabondant : les ravisseurs étant des agents de l’Etat peu importe que les gendarmes du

village aient, par leur passivité, tacitement consenti à l’enlèvement. Pourtant, la rédaction de

l’arrêt laisse planer un doute. La Cour énonce en effet que « les protagonistes étaient des

agents de l’Etat, et ont prétendu agir comme tels. Ils ont usé de leur position pour contraindre

Mehment Şerif Avşar à les accompagner »1401. Dès lors, une impression domine : la Cour n’a

pas réussi à établir de manière certaine que les ravisseurs agissaient dans le cadre de leur

fonction officielle. Peut-être ont-ils agi pour leur propre compte. Seule certitude : ils se sont

servi de leur fonction officielle pour emmener le disparu. C’est alors que l’objectif de la

présomption de connivence apparaît ; présumer que les gendarmes ont fermé les yeux sur les

agissements en cause voire y ont tacitement consenti permet d’assurer l’imputabilité du décès

à l’Etat, même dans le cas où les ravisseurs auraient agi à titre privé. Il s’agit de condamner

l’attitude ponce-pilatienne des autorités.

Les potentialités de la présomption de connivence semblent immenses : elle pourrait

permettre d’imputer les agissements de particuliers à l’Etat lorsqu’il les a rendu possibles par

une passivité signe d’assentiment. Bref, les présomptions de connivence ouvrent la voie à une

nouvelle figure de l’effet horizontal des articles 21402 et 31403 de la Convention. Elle se

situerait exactement à mi-chemin des deux figures classiques de l’effet horizontal telles que

décrites par le Professeur SUDRE : la première consiste à imputer une violation privée à

l’Etat du fait de son inaction, la seconde permet de lui imputer une violation privée car il

aurait fourni au particulier les moyens de porter atteinte au droit garanti d’une autre personne,

le droit interne ayant légitimé ou favorisé le droit en cause1404. Or, en l’occurrence, la

présomption de connivence permettrait d’imputer une violation privée à l’Etat car celui-ci

1399 Ibid., § 411. 1400 Ibid., § 413. 1401 Ibid., § 413. 1402 CEDH, 28 octobre 1998, Osman c/ Royaume Uni, req. n° 23452/94, obs. Frédéric SUDRE, chron. JCP. G, 1999, I, 105, n° 8. 1403 CEDH, 23 septembre 1998, A. c/ Royaume Uni, req. n°25599/94, obs. Frédéric SUDRE, chron. JCP. G, 1999, I, 105, n° 11. 1404 Frédéric SUDRE, op. cit., pp. 253-258.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

379

aurait, par une inaction, offert à un particulier la possibilité de porter atteinte aux droits d’un

autre particulier. Concrètement, ce n’est pas le droit interne qui aurait permis la violation mais

la connivence des autorités, laquelle se traduit par une passivité face à des agissements privés

attentatoires aux droits conventionnellement garantis.

Ainsi la présomption de connivence a-t-elle un dessein didactique quel que soit le

stade du raisonnement auquel elle intervient – établissement des faits, examen du volet

matériel ou procédural des articles 2 et 3. Elle constitue avant tout un moyen pour le juge

européen de marquer sa désapprobation à l’égard de l’attitude de l’Etat. La formule

« présomption de connivence » est d’ailleurs en soi remarquable : tranchante, dotée d’une

coloration morale, elle constitue à elle seule un message comportemental. Mieux encore, en

l’utilisant explicitement, la Cour démontre qu’elle n’est pas dupe des politiques sournoises

menées par les Etats pour saper les droits de l’Homme. Finalement, si ces présomptions

participent apparemment au constat de violation de la Convention, leur mission fondamentale

est en réalité ailleurs, dans cette révélation de la conscience qu’a la Cour des intentions

parfois peu louables de certains Etats contractants et de la bassesse de leurs comportements.

Concernant l’usage des présomptions par la Cour de Strasbourg, on est tenté de pasticher la

devise de la comédie et d’affirmer : « Castigat vituperando mores ».

Quoi qu’il en soit, pour conserver sa puissance progressiste, la présomption doit être

préservée du danger qui la guette : l’instrumentalisation ; pour cela, elle mérite d’être

encadrée.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

380

Section 2- Une contribution indissociable d’un encadrement

des présomptions

Pour œuvrer de manière durable à l’interprétation dynamique de la Convention et, plus

généralement, s’inscrire dans une perspective évolutionniste classique où évolution rime non

avec recul et régression mais avec progrès et amélioration, le mécanisme présomptif doit être

encadré ; ce besoin ressort nettement de la jurisprudence européenne qui lui fixe certaines

limites.

Malgré ses indéniables qualités, lesquelles justifient la revalorisation de son rôle, on ne

saurait en effet montrer un optimisme naïf à l’endroit de la présomption: fondamentalement

malléable et amorale, elle est susceptible de servir n’importe quelle cause. Ainsi peut-on a

priori présumer tout et son contraire: l’innocence ou la culpabilité, la partialité ou

l’impartialité, la bonne ou la mauvaise foi, etc. La présomption n’offre de la réalité qu’une

image spéculaire, déformée par les objectifs de celui qui la met en œuvre. Apparemment

neutre, c’est en réalité un acte volitif qui oriente la connaissance voire la manipule. Dès lors,

pour pérenniser le rôle progressiste de la présomption, il semble indispensable de maîtriser

son penchant pour l’arbitraire, faute de l’en débarrasser totalement. Autrement dit, la situation

de la présomption est comparable à celle d’un individu qui serait porteur d’une maladie dont

le développement peut être évité grâce à certaines précautions; la présomption présente certes

des prédispositions à l’instrumentalisation mais la jurisprudence européenne souligne que

certaines garanties peuvent prévenir leur concrétisation.

Dans cette optique, la Cour EDH érige la possibilité de renverser la présomption, dont

elle vérifie systématiquement l’existence, en moyen-clef pour éloigner le spectre de

l’instrumentalisation. Par ailleurs, elle associe souvent cette exigence à celle d’un pouvoir

d’appréciation du juge quant à la force de la présomption ou à l’opportunité du recours à cette

technique.

L’encadrement des présomptions repose donc sur l’exigence de réfragabilité d’une

part (§ 1-), sur le rôle du juge d’autre part (§ -2).

§1- L’exigence de réfragabilité

L’exigence de réfragabilité permet d’endiguer la puissance présomptive ; à ce titre, elle

mérite d’occuper une place de choix parmi les moyens de préserver cette technique de

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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l’arbitraire. Cependant, il convient d’emblée de préciser qu’elle vaut uniquement pour les

présomptions-preuves et les présomptions-postulats, la présomption-concept étant par nature

aréfragable1405. Quoi qu’il en soit, concernant ces deux catégories de présomptions, l’exigence

de réfragabilité se justifie car elle réduit les risques de déviances présomptives (A-) ; l’article

13 de la Convention pourrait en constituer le fondement général (B-).

A- Une limite aux potentielles déviances présomptives

Si la Cour européenne rejette en général l’irréfragabilité (2-), c’est parce que cette

dernière présente de réels dangers (1-).

1- Les dangers de l’irréfragabilité

Comment un Etat peut-il rendre lucrative une campagne d’expropriation ou une politique

d’exemption du service militaire pour cause de handicap? En recourant à des présomptions

irréfragables, tout simplement ; la jurisprudence strasbourgeoise, fenêtre sur les divers droits

européens, révèle en effet de quelle manière certains pays ont su jouer sur l’irréfragabilité

pour transformer la présomption en une manœuvre tournant systématiquement à leur avantage

et de quelle manière ils ont pu, grâce à cette technique, réaliser des opérations financières au

détriment des expropriés voire des handicapés. Ainsi, que dire des présomptions irréfragables

grecques dites « de profit » ou encore « d’auto-indemnisation », d’après lesquelles les

propriétaires expropriés bénéficient de la construction de l’ouvrage, et sont ainsi indemnisés

par ce seul bénéfice1406, si ce n’est qu’elles constituent un parangon d’instrumentalisation du

mécanisme présomptif en faveur des intérêts financiers de l’Etat? Leur unique objectif est

d’éviter à la Grèce de verser des indemnisations en interdisant aux propriétaires expropriées

de prouver que les travaux effectués ne leur ont procuré aucun avantage voire leur ont causé

un préjudice. Dans le même ordre idées, l’affaire Z.A.N.T.E.-Marathonisi A.E.1407 révèle que

ce pays a également recouru à une présomption irréfragable pour éviter d’indemniser une

société : celle-ci, propriétaire d’un îlot, s’était vu interdire la construction d’un complexe

hôtelier à visée touristique. Pour protéger la tortue « caretta-caretta », la Grèce, par diverses

mesures, transforma en effet cet îlot, initialement constructible, en zone inconstructible. Or,

1405 V. supra, le chapitre consacré aux présomptions-concepts. 1406 V. notamment : CEDH, 15 novembre 1996, Katikaridis et autres c/ Grèce, req. n° 19385/92; CEDH, 15 novembre 1996, Tsomtsos et autres c/ Grèce, req. n° 20680/92 ; CEDH, 25 mars 1999, Papachelas c/ Grèce, req. n° 31423/96 ; CEDH, 1er août 2000, Savvidou c/ Grèce, req. n° 38704/97. 1407 CEDH, 6 décembre 2007, Z.A.N.T.E.-Marathonisi A.E. c/ Grèce, req. n° 14216/03.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

382

pour refuser d’indemniser la société propriétaire de l’îlot, les juridictions grecques

s’appuyèrent sur une présomption irréfragable selon laquelle tout terrain situé hors de la zone

urbaine est assimilé à un terrain destiné à un usage agricole. Dès lors, l’îlot étant considéré

comme destiné à un usage uniquement agricole, la requérante ne pouvait prétendre avoir subi

un quelconque dommage pour manque à gagner puisqu’elle pouvait l’exploiter à des fins

agricoles. De manière comparable, la Suisse a, comme le révèle l’affaire Glor du 30 avril

20091408, assis l’une de ses rentrées d’argent sur une présomption irréfragable. Les citoyens

suisses de sexe masculin qui souffrent d’un handicap mineur sont soumis à la taxe

d’exemption de l’obligation de servir et ne peuvent effectuer de service civil de remplacement,

ce dernier étant réservé aux objecteurs de conscience. Or, les personnes souffrant d’un tel

handicap ne peuvent faire valoir la modestie de leurs revenus pour échapper à la taxe. Est

donc à l’œuvre une présomption irréfragable selon laquelle les personnes souffrant d’un

handicap mineur ne sont pas désavantagées professionnellement et peuvent poursuivre une

activité lucrative normalement rémunérée. La Cour note d’ailleurs que le requérant ne pouvait

renverser cette présomption1409 et estime que cette politique est sans doute liée aux rentrées

financières non négligeables qu’elle procure1410.

Ces exemples d’instrumentalisation de la présomption rejoignent les craintes théoriques

exprimées de longue date par la doctrine. Entravant la preuve et la manifestation de la vérité

dont elle se voulait initialement le vecteur, la présomption irréfragable serait par trop rigide.

Aux confins de la fiction1411, elle correspondrait à une véritable « dénaturation »1412 du

mécanisme originel. Par définition, la présomption ne procure pas de certitude ; elle devrait

donc logiquement pouvoir être désavouée si elle n’est pas en adéquation avec la réalité. « On

a même pu prétendre, remarquait GENY, du point de vue théorique tout au moins, que,

d’après la nature et la raison d’être de l’institution, ce principe devrait être absolu, que la

pleine liberté des preuves, suivant les règles du droit commun, restait, nécessairement et sans

limites, réservée contre toute présomption de droit »1413. En somme, quoique toujours

conjecturale et hypothétique, la vérité obtenue grâce à une présomption irréfragable perd son

1408 CEDH, 30 avril 2009, Glor c/ Suisse, req. n° 13444/04 ; obs. Frédéric SUDRE, JCP G, 2009, chron., pp. 36-41. 1409 CEDH, 30 avril 2009, Glor c/ Suisse, req. n° 13444/04, § 92 : « Dès lors qu’il fut déclaré atteint d’un handicap mineur, le requérant a été empêché de renverser la présomption (…) selon laquelle une personne ne souffrant que d’un handicap mineur n’est pas désavantagée sur le plan professionnel ». 1410 Ibid., § 87. 1411 V. supra, la limite à la diversité présomptive : la fiction. 1412 François GENY, op.cit., p. 299. 1413 Ibid., p. 297.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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caractère temporaire pour devenir irrévocable ; l’idée même d’irréfragabilité serait donc

contre-nature dans la mesure où elle accorde artificiellement un statut définitif à une vérité par

essence provisoire.

Ainsi l’irréfragabilité, parfois envisagée comme une sorte d’altération du mécanisme

présomptif, est-elle un facteur d’instrumentalisation de ce dernier, ce qui explique son rejet

par la Cour de Strasbourg.

2- Le rejet de l’irréfragabilité

Récurrent (a-), le rejet de l’irréfragabilité par la Cour EDH mérite tout de même d’être

relativisé car il est plus nuancé (b-) qu’il n’y paraît.

a- Un rejet récurrent

Indices de sa préférence pour la réfragabilité, les présomptions créées par la Cour laissent

une place à la preuve contraire. Les présomptions de responsabilité sur le fondement des

articles 2 ou 3 de la CEDH peuvent, par exemple, être réfutées par l’Etat défendeur s’il

explique comment le décès ou les blessures en cause sont survenus. La formulation des arrêts

met d’ailleurs souvent l’accent sur cette réfragabilité. Ainsi lit-on dans l’arrêt Taïs, à propos

d’une présomption liée au décès d’une personne en cellule de dégrisement, qu’ « il incombe à

l’Etat de fournir une explication plausible sur les faits qui ont conduit au décès »1414. De

manière encore plus explicite, la Cour énonce dans l’arrêt Timurtas que « lorsque (…) nulle

explication plausible n'est donnée à la question de savoir pourquoi un détenu ne peut être

présenté vivant, et qu'un certain laps de temps s'est écoulé, il faut présumer que l'Etat

concerné a failli à l'obligation qui lui incombe au titre de l'article 2 de protéger le droit du

détenu à la vie »1415. S’agissant des présomptions de discrimination indirecte, la possibilité

pour l’Etat défendeur de renverser la présomption est également mise en évidence, la Cour

précisant qu’il incombe à l’Etat de démontrer que la différence de traitement, présumée

discriminatoire, était en réalité justifiée1416.

Outre ce choix de la réfragabilité concernant les présomptions auxquelles elle a elle-même

recours, la Cour marque expressément sa désapprobation à l’égard de l’irréfragabilité

lorsqu’elle examine les présomptions issues des législations nationales : c’est le cas dans les

1414 CEDH, 1er juin 2006, Taïs c/ France, req. n°39922/03, § 84. 1415 CEDH, 13 juin 2000, Timurtas c/ Turquie, req. n° 23531/94, § 75. 1416 V. par exemple : CEDH, 13 novembre 2007, D.H. et autres c/ république Tchèque, req. n° 57325/00, §171.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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affaires où sont en cause des présomptions répressives, c’est aussi le cas dans le contentieux

grec des présomptions « de profit ».

Si la Cour EDH admet les présomptions répressives, c’est à la condition qu’elles puissent

être renversées. Cette exigence fait partie des « limites raisonnables »1417 dans lesquelles

doivent être enserrées ces présomptions pour ne pas violer l’article 6 de la Convention. Par

exemple, la présomption de responsabilité du directeur de publication, en cause dans l’arrêt

Radio France contre France, trouve grâce aux yeux de la Cour notamment parce qu’elle est

réfragable : « le directeur de la publication peut s'exonérer de sa responsabilité en

démontrant la bonne foi de l'auteur des propos incriminés ou l'absence de « fixation

préalable » du message litigieux », souligne la Cour1418. Il en va de même des présomptions

françaises de responsabilité en matière douanière qui peuvent être contrées par la preuve de la

force majeure. D’après l’arrêt Salabiaku, le détenteur de marchandises de fraude « "réputé

responsable de la fraude", (…) ne se trouve pas désarmé pour autant. La juridiction

compétente (…) doit le relaxer s’il réussit à démontrer l’existence d’un cas de force

majeure »1419. Pour prendre un dernier exemple, l’indulgence de la Cour à l’égard de la

présomption au cœur de l’affaire Phillips contre Royaume Uni1420, présomption selon laquelle

certains biens détenus par un trafiquant de drogue constituent un paiement ou une rétribution

en rapport avec le trafic de la drogue, tient à sa réfragabilité. La Cour rappelle en effet que

« (…) si au moment de fixer la peine le tribunal était tenu d’appliquer la présomption pour

apprécier si et dans quelle mesure le requérant avait retiré un profit du trafic de la drogue, le

système n’était pas dépourvu de garde-fous »1421 et ajoute qu’à cet égard « la principale

garantie résidait (…) dans le fait que le requérant avait la faculté de combattre la

présomption (…) ; il lui suffisait pour cela de démontrer, selon le critère de la probabilité,

qu’il avait acquis les biens concernés autrement que grâce au trafic de la drogue »1422. En un

mot, les présomptions répressives sont donc admissibles à condition d’être simples.

1417 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83, § 28 ; CEDH, 30 mars 2004, Radio France c/ France, req. n° 53984/00, § 23. 1418 CEDH, 30 mars 2004, Radio France c/ France, req. n° 53984/00, § 24. 1419 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83, § 29. V. aussi, CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87, § 34 ; CEDH (déc.), 5 décembre 2006, Job Vos c/ France, req. n° 10039/03. 1420 CEDH, 5 juillet 2001, Phillips c/ Royaume Uni, req. n° 41087/98. 1421 Ibid., § 43. 1422 Ibid., § 43.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

385

Le rejet de l’irréfragabilité est encore plus flagrant à propos des présomptions

grecques « de profit » et ce pour deux raisons.

Premièrement, la condamnation, sur le fondement de l’article 1 du Protocole 1, du

système d’auto-indemnisation grec en cas d’expropriation découle précisément de

l’irréfragabilité de la présomption sur laquelle il repose. Ainsi, dans l’arrêt Katikaridis, la

Cour déplore le fait que les requérants n’aient pu combattre la présomption en faisant valoir

leurs « arguments de poids (…) pour tenter de prouver que la construction du pont routier à

proximité́ de leurs immeubles, au lieu d'augmenter la valeur des propriétés qu'ils

conservaient, les dépréciait en les privant d'accès direct à une route nationale désormais

surélevée de six mètres »1423. Selon elle, dans ce type d’affaires, seule la réfragabilité de la

présomption, c’est-à-dire « la possibilité de prouver en justice le préjudice allégué et de

toucher, le cas échéant, une indemnité en rapport avec l’ampleur de celui-ci »1424 peut rendre

légitime la charge spéciale que les intéressés sont ainsi amenés à supporter. Mieux encore, la

condamnation de l’irréfragabilité est en l’occurrence tellement forte qu’elle intervient, ainsi

qu’on a déjà pu le constater, in abstracto1425. D’après les arrêts Tsomtsos et Papachelas, il

n’est en effet guère utile de rechercher si les requérants ont réellement subi un préjudice du

fait de l’absence d’indemnisation : « c’est dans leur situation juridique même que l’équilibre

à préserver a été détruit »1426.

Deuxièmement, la vigueur de la condamnation de l’irréfragabilité se traduit dans la

manière dont le juge européen apprécie les possibilités dont disposent les requérants pour

renverser la présomption. Ces possibilités ne doivent pas être théoriques mais, pour

paraphraser la formule de l’arrêt Airey1427, concrètes et effectives. A la suite des premières

condamnations de la Grèce pour violation du droit au respect des biens, la Cour de cassation

grecque a abandonné sa jurisprudence consacrant l’absoluité des présomptions de profit. Pour

autant, la procédure « ne s’est pas sensiblement améliorée »1428, les propriétaires expropriés

s’estimant lésés étant en effet contraints de multiplier les procédures pour prouver qu’ils

1423 CEDH, 15 novembre 1996, Katikaridis c/ Grèce, req. n° 19385/92, § 50. 1424 CEDH, 15 novembre 1996, Tsomtsos c/ Grèce, req. n° 20680/92, § 42 1425 V. supra : la censure in abstracto de certaines présomptions. 1426 CEDH, 15 novembre 1996, Tsomtsos c/ Grèce, req. n° 20680/92, § 42 ; CEDH, 25 mars 1999, Papachelas c/ Grèce, req. n° 31423/96, § 54. 1427 CEDH, 9 octobre 1979, Airey c/ Irlande, req. n° 6289/73, § 24. 1428 CEDH, 19 septembre 2002, Azas c/ Grèce, req. n° 50824/99, § 52 ; CEDH, 10 juillet 2003, Interoliva Abbe c/ Grèce, req. n° 58642/00, § 31 ; CEDH, 10 juillet 2003, Efstathiou et Michaïldidis &Cie Motel Amerika c/ Grèce, req. n° 55794/00, § 30 ; CEDH, 10 juillet 2003, Konstantopoulos AE et autres c/ Grèce, req. n° 8634/00, § 31 ; CEDH, 18 janvier 2006, Organochimika Lipasmata Makedonias A.E. c/ Grèce, req. n° 73836/01, § 26.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

386

avaient en réalité été désavantagés. Estimant cette évolution sans portée réelle, la Cour EDH a

donc continué à sanctionner le système, faute pour la réfragabilité d’être effective, jusqu’à ce

qu’il évolue plus radicalement et que les intéressés puissent « faire valoir devant les

juridictions internes leur droit à une indemnisation complète »1429. La Cour ne se montre

cependant pas toujours aussi rigoureuse dans sa condamnation des présomptions absolues.

b- Un rejet parfois nuancé

Il arrive que la CEDH se montre relativement souple quant à l’exigence de réfragabilité.

Sans aller jusqu’à entériner l’existence de présomptions en principe irréfragables, il semble en

effet qu’elle s’accommode de limites à la possibilité de renverser certaines d’entre elles, telle

la présomption de paternité (i-) ou encore les présomptions de responsabilité en matière

douanière (ii-) .

i- L’exemple de la présomption de paternité

Pour stabiliser les relations familiales et le statut de l’enfant, les Etats ont tendance à

encadrer les possibilités de réfuter la présomption de paternité, soit en interdisant à certaines

personnes – la mère de l’enfant ou son père putatif - de la renverser, soit en empêchant sa

contestation au-delà d’un certain laps de temps. La Cour de Strasbourg doit alors examiner si

ce choix porte ou non atteinte à l’article 8 de la Convention et déterminer si les Etats

supportent une obligation positive de permettre la contestation de la présomption de paternité.

La ligne directrice en la matière semble avoir été formulée dans l’arrêt Kroon et autres

contre Pays-Bas1430. En 1987, Mme Kroon eut un enfant de M. Zerrouk. Mais elle ne divorça

de son époux, M. Hallem-Driss que l’année suivante. En vertu de la présomption de paternité

légitime néerlandaise, l’enfant fut donc présumé avoir pour père M. Hallem-Driss. Par la suite,

Mme Kroon ne put contester la paternité de son ex-époux : le droit néerlandais n’admettait

pas cette possibilité et réservait au contraire le droit de contester la paternité au seul père

présumé. Etait donc en cause l’impossibilité pour Mme Kroon de contester la paternité de son

ex-mari, impossibilité qui empêchait M. Zerrouk, père biologique de l’enfant, de reconnaître

ce dernier. En l’espèce, pour constater la violation de l’article 8, la Cour énonce que « (…) le

1429 CEDH, 11 octobre 2007, Poulitsidi c/ Grèce, req. n° 35178/05, § 32. En l’espèce, comme rien n’empêchait les requérantes de faire valoir leur droit à indemnisation complète devant les juridictions internes, l’article 1 du Protocole 1 n’a pas été violé. 1430 CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et autres c/ Pays-Bas, req. n° 18535/91 ; Pascaline GEORGIN, « L’action en contestation de paternité au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme », RTDH, 1996, pp. 191 sq.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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"respect" de la "vie familiale" exige que la réalité biologique et sociale prévale sur une

présomption légale heurtant de front tant les faits établis que les vœux des personnes

concernées, sans réellement profiter à personne »1431. Apparemment sans ambiguïté, cette

formule, fréquemment réitérée1432, est en réalité difficile à interpréter pour deux raisons.

D’une part, l’emploi de l’expression « réalité biologique et sociale » comporte une part

d’ambiguïté. Certes, en elle-même, la signification des termes est évidente : la « réalité

biologique » recouvre l’identité du père biologique de l’enfant, tandis que la « réalité

sociale » fait référence à celui qui s’occupe de l’enfant comme un père. Mais la conjonction

de coordination « et » laisse planer un doute : est-elle ici vraiment cumulative, ce qui

signifierait que la présomption s’efface uniquement si elle est contraire à la réalité tant

biologique que sociale ? Si c’est le cas, pour renverser la présomption, il faudrait que le père

présumé ne soit ni le père biologique de l’enfant ni son père aux yeux de la société, c’est-à-

dire celui qui s’en occupe. La thèse de Vincent COUSSIRAT-COUSTERE, selon laquelle les

organes de la Convention « partent du principe que la contestation de la présomption de

paternité légitime ne doit pas se borner à désinvestir l’enfant de sa légitimité, ou à la

fragiliser, mais doit conduire à remplacer une filiation par une autre, plus précisément même

à aligner le statut juridique de l’enfant sur la réalité biologique et sociale », serait alors

avérée1433.

D’autre part, une seconde question se pose : faut-il vraiment, pour que la présomption

tombe, qu’elle heurte les faits et les vœux des intéressés mais encore ne profite à personne ?

Autrement dit, la réfragabilité de la présomption est-elle véritablement indexée sur les intérêts

en présence ?

La résolution de ces problèmes interprétatifs passe par un examen de la jurisprudence.

Dans l’arrêt Kroon lui-même, la Cour estime que Mme Kroon aurait dû pouvoir contester la

présomption car les deux conditions en question étaient remplies. Première condition, M.

Hallem-Driss, père présumé de l’enfant, n’était pas son père biologique et ne s’occupait pas

de lui ; c’est M. Zerrouk, géniteur de l’enfant avec lequel Mme Kroon avait fondé une famille,

1431 CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et autres c/ Pays-Bas, req. n° 18535/91, § 40. 1432 CEDH, 2 juin 2005, Znamenskaya c/ Russie, req. n° 77785/01, § 31 ; CEDH, 24 novembre 2005, Shofman c/ Russie, req. n° 74826/01, § 44 ; CEDH, 12 janvier 2006, Mizzi c/ malte, req. n° 26111/02, § 113 ; CEDH, 9 novembre 2006, Tavli c/ Turquie, req. n° 11449/02, § 36. 1433 Vincent COUSSIRAT-COUSTERE, « La notion de famille dans la jurisprudence de la Commission et de la Cour européenne des droits de l’Homme », dans Internationalisation des droits de l’Homme et évolution du droit de la famille, Paris, LGDJ, 1996, pp. 45 sq., spéc. p. 58.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

388

qui remplissait le rôle social de père de l’enfant. Deuxième condition, la présomption était en

contradiction avec les faits et les souhaits des intéressés et ne profitait à personne. Le père

présumé avait en effet quitté Amsterdam sans laisser d’adresse et Mme Kroon et M. Zerrouk,

qui eurent d’autres enfants après le prononcé du divorce, souhaitaient régulariser leur vie

familiale. Par une interprétation a contrario, on peut donc penser que la présomption n’aurait

pu être renversée si ces deux conditions n’avaient été réunies.

Néanmoins, de prime abord, la jurisprudence ultérieure paraît plus souple. Elle fait

systématiquement prévaloir la réfragabilité ; l’impression qui en résulte est donc celle d’une

présomption de paternité librement contestable doublée d’une obligation positive générale à la

charge de l’Etat de permettre le renversement de la présomption.

Dans l’arrêt Znamenskaya1434, la Cour estime que la Russie a violé l’article 8 en

n’accordant pas à la requérante la possibilité de donner à son enfant mort-né le nom de son

père biologique, M. G., lui-même mort en détention sans avoir pu reconnaître l’enfant qui fut

donc enregistré, en vertu de la présomption de paternité légitime, au nom de l’ex-mari de la

requérante. En l’espèce, la Cour se prononce donc en faveur de la réfragabilité de la

présomption. Humainement, la solution est justifiée : la requérante, rappelle la Cour, a tissé de

forts liens avec son bébé qu’elle a porté jusqu’à son terme1435, à ce titre il est compréhensible

qu’elle souhaite établir sa filiation. Juridiquement, la solution est plus étonnante : certes,

comme l’explique la Cour, la présomption heurte les souhaits de la requérante et ne profite à

personne. Cependant, il n’est pas absolument sûr qu’elle soit contraire à la réalité biologique.

L’opinion dissidente des juges ROZAKIS, BOTOUCHAROVA et HAJIYEV met cet enjeu

en évidence : « But even if we assume, arguendo, that the private life of the mother may entail

such a kind of right, still the question remains open whether the interference by the State in

not agreeing to recognise the child's biological father as part of the mother's right to respect

for her private life is not justified by the fact that the most interested party – the father of the

child – was not alive at the time of the request and, hence, was unable to protect his rights in

respect of his name and his family life »1436. Pour les mêmes raisons, il ne peut guère être

question de « réalité sociale » en l’occurrence : l’enfant comme son père biologique prétendu

sont tous deux décédés. Or, la Cour admet quand même que la présomption puisse être réfutée

sans preuve contraire véritable. Cette solution se fonde sur le fait que nul ne conteste la

1434 CEDH, 2 juin 2005, Znamenskaya c/ Russie, req.n° 77785/01. 1435 Ibid., § 27. 1436 Ibid., opinion dissidente des juges ROZAKIS, BOTOUCHAROVA et HAJIYEV.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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paternité de M. G. et que le renversement de la présomption n’aura aucune portée réelle : « In

the instant case the existence of a relationship between the applicant and Mr G. was not

disputed. Nor has anyone contested Mr G.'s paternity in respect of the stillborn child to whom

the applicant gave birth on 4 August 1997. As the child was stillborn, the establishment of its

paternity did not impose a continuing obligation of support on anyone involved. It appears

therefore that there were no interests conflicting with those of the applicant »1437. Il s’agit

donc d’une solution d’opportunité ; elle aurait vraisemblablement été différente et moins

favorable pour la requérante si les autres protagonistes, notamment l’enfant, avaient survécu ;

on ne saurait donc tirer de conséquences générales de l’admission de la réfragabilité en

l’espèce.

Par la suite, les arrêts Shofman contre Russie1438, Mizzi contre Malte1439, Paulík contre

Slovaquie1440 et Tavli contre Turquie1441 ont tous condamné les limites trop importantes à la

possibilité de renverser la présomption de paternité qu’elle soit naturelle comme dans le cas

de l’arrêt Paulík1442 ou légitime comme dans les autres affaires. On pourrait donc voir dans

ces arrêts, tous favorables à un élargissement de la réfragabilité de la présomption de paternité,

le tombeau de la thèse selon laquelle la Cour EDH accepte une irréfragabilité partielle de cette

présomption. Pris isolément, certains passages de ces arrêts semblent en effet

irrémédiablement incompatibles avec cette thèse. Ainsi, d’après l’arrêt Mizzi qui concernait

l’impossibilité pour le requérant de contester la présomption de paternité du fait de l’absence

de tout recours interne, « l'intérêt potentiel de Y à bénéficier de la « possession d'état » de fille

du requérant ne saurait l'emporter sur le droit légitime de celui-ci à avoir au moins une

occasion de contester la paternité d'une enfant qui, selon les preuves scientifiques, n'est pas

de lui »1443. Pourtant, à bien y regarder, certains de ces arrêts comportent des indices

corroborant la thèse de l’acceptation de limites à la réfragabilité de la présomption de

paternité. Par exemple, l’arrêt Shofman ne remet pas en cause l’instauration d’un délai au-delà

duquel le père présumé ne pourrait plus contester sa paternité : « The Court has previously

1437 Ibid., § 29. 1438 CEDH, 24 novembre 2005, Shofman c/ Russie, req. n° 74826/01. 1439 CEDH, 12 janvier 2006, Mizzi c/ malte, req. n° 26111/02. 1440 CEDH, 10 octobre 2006, Paulík c/ Slovaquie, req. n° 10699/05. 1441 CEDH, 9 novembre 2006, Tavli c/ Turquie, req. n° 11449/02. 1442 Selon l’article 54 du Code de la famille Slovaque, si la paternité n’a pas été établie par une déclaration conjointe des parents, l’enfant ou la mère peut intenter une action en justice pour qu’elle soit déterminée par un tribunal. Dans ce cas, il existe une présomption selon laquelle le père est l’homme qui a eu des rapports sexuels avec la mère entre le 300ème et le 180ème jour avant la naissance de l’enfant. CEDH, 10 octobre 2006, Paulík c/ Slovaquie, req. n° 10699/05, § 23. 1443 CEDH, 12 janvier 2006, Mizzi c/ malte, req. n° 26111/02, § 112.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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accepted that the introduction of a time-limit for the institution of paternity proceedings was

justified by the desire to ensure legal certainty in family relations and to protect the interests

of the child (…). In the Yildirim decision1444 it found that “once the limitation period for the

applicant’s own claim to contest paternity had expired, greater weight was given to the

interests of the child than to the applicant’s interest in disproving his paternity” »1445. En

l’espèce, ce qui est stigmatisé est simplement le point de départ de ce délai. Pour la Cour il ne

peut s’agir que du jour à partir duquel l’intéressé a pris conscience qu’il n’était peut-être pas

le père de l’enfant, non du jour de la naissance de l’enfant.

En outre, l’idée selon laquelle la Cour EDH n’est pas fondamentalement hostile à la

limitation de la réfragabilité de la présomption de paternité est affermie par l’examen

d’affaires antérieures à l’arrêt Kroon, exemples de cas où la Cour a expressément admis que

la présomption ne puisse pas être réfutée. Jugé en effet, dans l’affaire Rasmussen1446, que

l’instauration de délais pour l’engagement d’une action en désaveu, plus courts pour le mari

que pour la mère, n’était pas contraire à l’article 14 combiné avec l’article 8. D’une part, de

tels délais reposent sur « le souci de garantir la sécurité juridique et de protéger les intérêts

de l’enfant »1447. D’autre part, bien que plus courts pour le père que pour la mère, ils ne sont

pas discriminatoires car les intérêts de la mère rejoindraient souvent ceux de l’enfant1448.

Comme l’explique Vincent COUSSIRAT-COUSTERE, « l’arrêt qui passe pour sévère

s’explique peut-être par le fait qu’aucune autre paternité n’aurait pris le relais de la

légitime »1449. Cet auteur rappelle également que la Cour admit des limites à la possibilité de

contester la présomption de paternité lors de l’affaire M. B. contre Royaume Uni1450 : « (…)

l’enfant né dans un couple légitime et considéré par ce couple comme le leur, résume-t-il, est

protégé contre l’action d’un père naturel putatif qui met en avant la relation extraconjugale

qu’il a eue avec la mère de l’enfant ; la vie privée de cet homme est sans doute en cause – pas

sa vie familiale – mais à son égard l’Etat n’a pas l’obligation positive de lui permettre

d’établir sa paternité d’autant plus que la demande n’est pas sous-tendue par le projet

d’établir des liens familiaux avec l’enfant ».

1444 CEDH (déc.), 19 octobre 1999, Yildirim c/ Autriche, req. n° 34308/96. 1445 CEDH, 24 novembre 2005, Shofman c/ Russie, req. n° 74826/01, § 39. 1446 CEDH, 28 novembre 1984, rasmussen c/Danemark, req. n° 8777/79. 1447 Ibid., § 41. 1448 Ibid., § 41. 1449 Vincent COUSSIRAT-COUSTERE, loc. cit., p. 59. 1450 Com° EDH, 6 avril 1994, M. B. c/ Royaume Uni, req. n° 22920/93.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Finalement, en l’état actuel de sa jurisprudence, la Cour semble donc admettre quelques

restrictions à la réfragabilité de la présomption de paternité laquelle est, en quelque sorte,

indexée sur les intérêts en présence. Il s’agit de concessions ponctuelles à l’irréfragabilité,

justifiées par la sécurité juridique de l’enfant et des relations familiales qui ne remettent

nullement en cause la préférence de la CEDH pour les présomptions réfragables.

ii- L’exemple des présomptions de responsabilité en matière douanière

Ni tout à fait absolues, ni tout à fait simples, telles sont les présomptions mixtes. Ces

présomptions, dont l’apparente réfragabilité est mâtinée d’irréfragabilité, sont des sortes

d’hybrides qui « admettent sans doute la preuve contraire » mais dont « le renversement est

difficile »1451. Il va sans dire que l’admission de telles présomptions par la Cour EDH pourrait

légitimement être interprétée comme un bémol à son rejet de l’irréfragabilité.

Or, un échantillon singulièrement représentatif de ces présomptions, qui abondent en

droit national1452, a précisément été examiné par la Cour EDH. Lors des fameuses affaires

Salabiaku et Pham Hoang contre France1453, la juridiction strasbourgeoise a en effet été

confrontée aux présomptions de responsabilité en matière douanière qui consistent notamment

à tenir pour responsable de la fraude le détenteur de marchandises de fraude. Faut-il rappeler

que, selon la Cour, ces présomptions ne violent pas l’article 6 de la CEDH dans la mesure où

elles sont susceptibles d’être renversées1454 ? Mais qu’on ne s’y trompe pas : comme

l’explique Virginie HECQUET, « dans la mesure où l’élément moral de l’infraction est

constitué par la négligence du détenteur, la présomption ne pourra être renversée qu’à

condition qu’il établisse que malgré la diligence et la prudence dont il a fait preuve, il n’a pu

l’éviter. Or, ce type de situation s’apparente la plupart du temps à un événement de force

majeure »1455. En résumé, seule la preuve de la force majeure peut faire tomber ces

1451 Philippe MALAURIE et Patrick MORVAN, op. cit., p. 150, n°176. 1452 Ibid., p. 150, n° 176. Ces auteurs citent à titre d’exemple, « les présomptions de responsabilité (délictuelle) du fait des choses et du fait d’autrui que la Cour de cassation déduit de l’article 1384 du code civil et celle qu’elle attache à une obligation de résultat (dans un contrat), la présomption d’imputabilité applicable en matière d’accident du travail (CSS, art. L411-1) ou d’accident de la circulation (L. 5 juillet 1985, art. 1er) et la présomption de culpabilité de l’auteur d’une contravention en droit pénal (C. pén., arti. 121-3, dern. al.) ». V. aussi supra : la typologie d’après leur réfragabilité. 1453 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83 ; CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87. 1454 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83, § 29 : « "Réputé responsable de la fraude", le "détenteur" ne se trouve pas désarmé pour autant. La juridiction compétente peut lui accorder le bénéfice des circonstances atténuantes (article 369 par. 1), et elle doit le relaxer s’il réussit à démontrer l’existence d’un cas de force majeure ». 1455 Virginie HECQUET, op. cit., pp.124-125.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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présomptions devant lesquelles, note Bohumil REPIK, « l’accusé se trouve pratiquement

désarmé »1456. « En droit, elles sont simples, en pratique, elles sont irréfragables »1457

constatent les Professeurs MALAURIE et MORVAN. L’indulgence de la Cour EDH pour ces

présomptions, presque impossibles à réfuter, est d’autant plus singulière qu’elle attache

habituellement de l’importance à l’effectivité de la réfragabilité. Ces présomptions mixtes

présentent donc une réfragabilité de façade, qui s’apparente à une couverture juridique les

préservant de la censure de la Cour, laquelle accepte de jouer le jeu. Comment endiguer cette

tolérance du juge européen, certes ponctuelle et réduite, néanmoins indéniable, pour

l’irréfragabilité ? Peut-être la solution réside-t-elle dans le fondement utilisé pour contrôler la

réfragabilité présomptive.

B- L’article 13 de la CEDH, censeur en puissance des présomptions

irréfragables

L’inadaptation du principe de proportionnalité pour contrôler la réfragabilité présomptive

(1-) conduit à rechercher un fondement conventionnel (2-) permettant d’endiguer plus

radicalement l’irréfragabilité.

1- L’inadaptation du principe de proportionnalité pour contrôler la

réfragabilité présomptive

A l’heure actuelle, lorsqu’elle a affaire à une présomption nationale, la Cour EDH

contrôle le respect de l’exigence de réfragabilité grâce au principe de proportionnalité. Entre

autres exemples, l’affaire Z.A.N.T.E.-Marathonisi A.E. contre Grèce1458 précise la manière

dont procède la juridiction strasbourgeoise. En l’espèce, la Cour a en effet examiné si la

présomption irréfragable employée par les autorités pour éviter d’indemniser la société

requérante avait respecté « le juste équilibre devant régner, en matière de réglementation de

l’usage des biens, entre l’intérêt public et l’intérêt privé »1459.

Pareil contrôle de proportionnalité présente l’avantage d’être modulable. Parfois souple, il

permet de laisser subsister certaines présomptions quasi absolues, telles les présomptions de

fraude en matière douanière. Parfois sévère, il permet la censure in abstracto des

1456 Bohumil REPIK, loc.cit., p. 341. 1457 Philippe MALAURIE et Patrick MORVAN, op. cit., p. 137, n°176. 1458 CEDH, 6 décembre 2007, Z.A.N.T.E.-Marathonisi A.E. c/ Grèce, req. n° 14216/03. 1459 Ibid., § 55.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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présomptions grecques dites « de profit », leur irréfragabilité ayant rompu l’équilibre dans la

situation juridique même des requérants1460. Cependant, si l’apparente sévérité potentielle de

ce contrôle peut être perçue, dans un premier temps, comme un signe de sa vigueur, elle peut

aussi être interprétée, dans un second temps, comme un aveu de sa faiblesse ou, tout au moins,

comme le symptôme de son inadaptation. En effet, si la censure intervient in abstracto, c’est

qu’aucun équilibre n’a pu être réellement recherché1461. Autrement dit, la censure a lieu en

amont du contrôle de proportionnalité : la présomption est condamnée abstraitement car elle

empêche la pesée concrète des intérêts, les requérants ne pouvant jamais faire valoir leur droit

à indemnisation. Par conséquent, aucun contrôle de proportionnalité digne de ce nom ne peut

être réalisé, l’irréfragabilité excluant toute recherche d’un équilibre entre les intérêts en jeu.

Il convient alors de se demander si les présomptions irréfragables, qui font obstacle à une

mise en balance des intérêts, ne correspondent pas à une impossibilité pour le justiciable

d’élever certaines prétentions en justice ou encore à une entrave à l’action en justice. Cette

interrogation s’inscrit dans une problématique plus vaste : celle des effets procéduraux des

présomptions irréfragables. A cet égard, le constat tiré du contentieux grec par M. le Juge

ZUPANČIČ, constat selon lequel « l’effet manifeste d’une présomption irréfragable de profit

compensatoire est simplement de mettre obstacle à des litiges sur la question réglée par la

présomption »1462, peut être mis en parallèle avec l’article 1352 alinéa 2 du Code civil. Aux

termes de ce texte, la présomption absolue « dénie l’action en justice » : il va sans dire que la

vérité à laquelle aboutit la présomption étant incontestable, le justiciable tenterait vainement

de la remettre en cause. Dans cette optique, GENY constatait que l’effet d’une telle

présomption « est de ruiner, avant tout débat de fond, la prétention qu’elle contredirait, ou

(…) de fournir une exception péremptoire contre une action »1463. Le procédé apparaît alors

dans toute son habileté, pour ne pas dire son hypocrisie : sans interdire l’action en justice

concernant la vérité qu’elles établissent, les présomptions irréfragables la privent

concrètement de tout intérêt. Bref, sans obstruer à proprement parler l’accès à la justice, elles

rendent illusoire tout recours entrepris1464.

1460 CEDH, 15 novembre 1996, Tsomtsos c/ Grèce, req. n° 20680/92, § 42 ; CEDH, 25 mars 1999, Papachelas c/ Grèce, req. n° 31423/96, § 54 1461 Sébastien VAN DROOGHENBROECK, op. cit., pp. 322-323. 1462 CEDH, 25 mars 1999, Papachelas c/ Grèce, req. n° 31423/96, opinion dissidente de M. le Juge ZUPANČIČ. 1463 François GENY, op. cit., p. 307. 1464 Raymond BARRAINE, op. cit., pp. 253-254. Selon cet auteur, « le principe du droit français, c’est que le juge ne saurait refuser l’action ; il ne peut que déclarer le demandeur sans droit en se basant sur la prohibition légale ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Ce constat engendre plusieurs observations quant au choix de la disposition

conventionnelle qui pourrait servir de fondement à la censure des présomptions irréfragables.

2- La recherche d’un fondement conventionnel au contrôle de la

réfragabilité

Les présomptions irréfragables limitent ce que d’aucuns nomment, de manière générique

mais évocatrice, « le droit au juge »1465, lequel englobe à la fois le droit d’accès à un tribunal

et le droit à un recours effectif, notions voisines qu’il est parfois malaisé de distinguer. Deux

fondements paraissent alors envisageables pour contrôler la réfragabilité des présomptions. Le

premier est l’article 6 de la CEDH1466 qui garantit le droit à un procès équitable et, plus

particulièrement, le droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial. Le second est l’article

131467 qui garantit le droit à un recours effectif pour toute personne qui se prétend victime

d’une violation de ses droits fondamentaux.

Dans son opinion dissidente annexée à l’arrêt Papachelas1468, M. le Juge ZUPANČIČ

entend clairement placer le débat sous l’angle de l’article 6. Il évoque en effet la possibilité

d’ « analyse[r] la présomption irréfragable en une violation procédurale du droit d’accès à

un tribunal » puisqu’elle représenterait, « de fait, un déni d’accès à la justice »1469.

Cette proposition est séduisante. Le dynamisme de l’article 6 est indéniable, il n’y aurait

donc là qu’une extension de plus à ces vertus déjà nombreuses. En outre, cet article garantit,

dans son deuxième paragraphe, la présomption d’innocence. L’utiliser comme fondement du

contrôle de la réfragabilité présomptive aurait donc un intérêt particulier concernant les

présomptions de culpabilité : cette disposition pourrait devenir le fondement commun au

contrôle du respect de la présomption d’innocence et au contrôle du respect de l’exigence de

réfragabilité, celui-ci étant analysé sous l’angle du premier paragraphe, celui-là sous l’angle

du deuxième paragraphe. Peut-être même ce double contrôle pourrait-il s’effectuer à l’aune du

seul paragraphe premier. D’après la Cour, ce premier paragraphe a en effet une portée

générale et garantit déjà implicitement la présomption d’innocence : « (…) outre le fait qu’il

1465 Jean-François RENUCCI, op. cit., pp. 332-333, n° 270. 1466 Jean-Claude SOYER et Michel DE SALVIA, loc. cit.. 1467 Andrew DRZEMCZEWSKI et Christos GIAKOUMOPOULOS, « Article 13 », dans Louis-Edmond PETTITI et al. (dir.), op. cit., pp. 455 sq. ; Marcel SINKONDO, « Le fabuleux destin de l’article 13 de la C.E.D.H. et ses suites heureuses pour les garanties individuelles », RRJ, 2005-1, pp. 250 sq. 1468 CEDH, 25 mars 1999, Papachelas c/ Grèce, req. n° 31423/96, opinion dissidente de M. le Juge ZUPANČIČ. 1469 Ibid..

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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est explicitement mentionné à l’article 6 § 2, précise la Cour, le droit pour une personne

poursuivie au pénal d’être présumée innocente et d’obliger l’accusation à supporter la

charge de prouver les allégations dirigées contre elle relève de la notion générale de procès

équitable au sens de l’article 6 § 1 »1470. En somme, ce texte s’avère commode pour contrôler

la réfragabilité des présomptions répressives : il permet de s’assurer simultanément du respect

de la présomption d’innocence et de celui de la réfragabilité, bref de faire d’une pierre deux

coups. Ce fondement unitaire se justifie également au regard des liens entre la présomption

d’innocence et la réfragabilité des présomptions répressives ; une présomption de culpabilité

absolue annihilerait en effet la portée de la présomption d’innocence.

Toutefois, dans ces conditions, il y a de fortes chances pour que le contrôle exercé par la

Cour ne diffère plus d’un contrôle de proportionnalité visant à vérifier si les possibilités de

contrer la présomption sont suffisantes pour respecter la présomption d’innocence. Le serpent

se mordrait donc la queue.

Finalement, divers arguments militent en faveur du choix d’une autre disposition qui

pourrait permettre une censure nettement plus radicale de l’irréfragabilité : l’article 13. En

réalité, ainsi qu’on l’a précédemment noté, ce n’est pas l’accès à la justice qui est entravé par

l’irréfragabilité : l’idée selon laquelle la présomption absolue « dénie l’action en justice » ne

signifie nullement « qu’elle fermerait brutalement l’accès même du prétoire à certaines

réclamations » 1471 mais simplement qu’elle ruine irrémédiablement les prétentions du

justiciable en rendant incontestable la solution sur laquelle elle débouche. Par conséquent, ce

sont l’effectivité et l’adéquation du recours qui paraissent altérées et, de ce point de vue,

l’article 13 semble constituer le fondement le plus adapté. Ainsi pour prendre l’exemple du

contentieux grec, la procédure est généralement la suivante : les requérants tentent de faire

valoir leur droit à indemnisation en justice mais, en vertu de la présomption irréfragable

applicable au litige, les juridictions grecques saisies rejettent leurs demandes, après les avoir

examinées au fond. L’accès à un tribunal stricto sensu n’est donc pas en cause ; en revanche,

le recours offert devient purement théorique. Or, rappelle le Professeur RENUCCI,

« l’effectivité du recours s’apprécie in concreto. Il doit être accessible à l’intéressé lui-même

et adéquat, ce qui signifie qu’il doit être organisé de façon à permettre de dénoncer la

1470 CEDH, 5 juillet 2001, Phillips c/ Royaume Uni, req. n° 41087/98, § 40. Lors de cette affaire, la Cour a ainsi globalement apprécié la présomption selon laquelle les biens d’une personne impliquée dans le trafic de drogue proviennent de ce trafic sur le fondement de l’article 6 § 1. 1471 François GENY, op. cit., p. 307.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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violation alléguée »1472. Dès lors, le jeu des présomptions irréfragables empêchant de

dénoncer les violations alléguées, l’article 13 est susceptible de les censurer.

En outre, les arguments traditionnellement évoqués comme des limites à la force de

l’article 13, à savoir son caractère résiduel, son absence d’indépendance et le fait que le droit

à un recours effectif n’est pas absolu, ne sont ni des obstacles ni même des limites à la censure

des présomptions irréfragables par son intermédiaire.

Tout d’abord, la question du caractère résiduel de cette disposition a d’ores et déjà été

évacuée. Traditionnellement, on considère que cet article s’applique aux seules violations

échappant à l’article 6 § 1. Or, on vient de démontrer qu’en l’occurrence le problème est celui

de l’effectivité du recours au sens de l’article 13, non celui de l’accès à la justice garanti par

l’article 6.

Ensuite, l’absence d’indépendance de l’article 13 ne pose pas non plus de difficultés.

Certes, il faut qu’une violation de la Convention soit alléguée car « l’article 13 ne peut jouer

aucun rôle à l’égard des droits et libertés extérieurs à la Convention »1473. Mais il n’est pas

nécessaire qu’une violation de la Convention soit constatée : l’article 13 demeure donc

autonome1474 et la Cour EDH constate souvent des violations du droit à un recours effectif1475.

Pour reprendre l’exemple du contentieux grec, la censure des présomptions irréfragables de

profit sur le fondement de l’article 13 aurait donc été envisageable : les requérants alléguaient

bien une violation de la Convention : celle de l’article 1 du Protocole 1. Les présomptions

« d’auto-indemnisation » auraient donc pu être condamnées sur le fondement de l’article 13

en raison de l’ineffectivité du recours qui aurait dû permettre au requérant d’obtenir la

sanction de son droit au respect de ses biens, au sens de l’article 1 du Protocole 1.

Enfin, l’idée selon laquelle le droit au recours effectif n’est pas absolu - seul un « recours

aussi effectif qu’il peut l’être » 1476 est réellement garanti – n’a guère d’influence en

l’occurrence : les présomptions irréfragables ôtent toute effectivité au recours ; concrètement,

il n’y a plus de recours du tout.

Ainsi l’article 13 pourrait-il permettre d’éradiquer l’irréfragabilité du champ présomptif.

La doctrine a souvent eu l’occasion de mettre en évidence « les immenses ressources de

1472 Jean-François RENUCCI, op. cit., p. 340, n° 273. 1473 Jean-Pierre MARGUENAUD, op. cit., p. 95. 1474 Andrew DRZEMCZEWSKI et Christos GIAKOUMOPOULOS, loc. cit., pp. 458-459. 1475 CEDH, 21 décembre 2000, Büyükdag c/ Turquie, req. n° 28340/95. 1476 CEDH, 6 septembre 1978, Klass c/ Allemagne, série A n°28

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

397

l’article 13 »1477 pour souligner aussitôt qu’elles ne sont « pas encore explorées et exploitées

à la hauteur ultime de leurs promesses »1478, la CEDH n’ayant vraisemblablement « pas

encore libéré toute l’énergie de l’article 13 »1479. Dans cette optique, le contrôle de la

réfragabilité des présomptions pourrait constituer une de ses nouvelles applications et

participer à sa revivification.

Pour conclure ces développements relatifs à l’exigence de réfragabilité, nous pouvons

nous inspirer d’une formule du Professeur BENABENT1480 pour avancer que les

présomptions simples doivent être le droit commun de la présomption. Mais pour préserver le

mécanisme présomptif de l’instrumentalisation, il ne suffit pas de contrôler sa force probante,

il faut également contrôler sa force obligatoire, ce qui a trait au pouvoir d’appréciation du

juge dans l’application des présomptions.

§ 2- Un pouvoir d’appréciation du juge

Et si la seconde garantie fonctionnelle contre l’instrumentalisation présomptive reposait

sur un pouvoir d’appréciation du juge quant aux modalités d’application des présomptions ou

à l’opportunité du recours à ces dernières ? Totalement hors sujet s’agissant de la

présomption-concept, laquelle, en tant que source du droit et mécanisme quasiment ajuridique,

échappe par hypothèse au contrôle du juge, cette hypothèse est néanmoins envisageable

concernant les présomptions-preuve et postulat. D’ailleurs, quoiqu’en contradiction avec la

tendance classique à limiter le pouvoir du juge s’agissant des présomptions (A-), elle est

consacrée par la jurisprudence strasbourgeoise (B-).

A- Un pouvoir d’appréciation traditionnellement limité

Evoquer le légalisme qui, par crainte de l’arbitraire judiciaire, irrigue le droit français est

un parfait lieu commun. Cependant, cette évocation est en l’occurrence inévitable car la

préférence pour la loi a eu de nettes répercussions sur la conception classique des

présomptions et le rôle du juge à leur égard.

1477 Marcel SINKONDO, loc.cit., p.250. 1478 Ibid., p. 250. 1479 Jean-Pierre MARGUENAUD, op. cit., p. 95. 1480 Alain BENABENT, op. cit., p. 154.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

398

Si l’on se réfère à la source primordiale du droit des présomptions, à savoir la section du

Code civil qui leur est consacrée1481, on s’aperçoit que les présomptions peuvent être légales

ou judicaires. Aux termes de l’article 1353, « les présomptions qui ne sont point établies par

la loi, sont abandonnées aux lumières et à la prudence du magistrat, qui ne doit admettre que

des présomptions graves, précises et concordantes, et dans les cas seulement où la loi admet

des preuves testimoniales, à moins que l’acte ne soit attaqué pour cause de fraude ou de dol ».

Rappelons que la dichotomie ainsi établie n’a aucun impact sur le mécanisme présomptif qui

reste identique et unitaire qu’il soit l’œuvre du juge ou celle du législateur1482 ; en revanche,

elle est révélatrice de la place du juge face aux présomptions.

D’une part, si le juge a le pouvoir de créer des présomptions, c’est un pouvoir secondaire

et ponctuel. L’emploi du verbe « abandonner » paraît symptomatique de cette subsidiarité. Il

y a dans l’idée d’abandon celle d’un renoncement. L’impression résultant de la tournure de

l’article 1353 est donc celle d’une renonciation éventuelle mais rare à son pouvoir créatif par

le législateur au profit du juge. Sans doute est-ce pour cette raison que les présomptions

légales ont souvent eu meilleure presse que les présomptions judiciaires, MONTESQUIEU

voyant dans celles-ci le règne de l’arbitraire. Le passage suivant, extrait de son ouvrage De

l’esprit des lois est d’ailleurs célèbre : « En fait de présomption, celle de la loi vaut mieux que

celle de l'homme. La loi française regarde comme frauduleux tous les actes faits par un

marchand dans les dix jours qui ont précédé sa banqueroute: c'est la présomption de la loi.

La loi romaine infligeait des peines au mari qui gardait sa femme après l'adultère, à moins

qu'il n'y fût déterminé par la crainte de l'événement d'un procès, ou par la négligence de sa

propre honte; et c'est la présomption de l'homme. Il fallait que le juge présumât les motifs de

la conduite du mari, et qu'il se déterminât sur une manière de penser très obscure. Lorsque le

juge présume, les jugements deviennent arbitraires; lorsque la loi présume, elle donne au

juge une règle fixe »1483.

D’autre part, l’existence de cette dichotomie, doublée d’une préférence pour les

présomptions légales, a entraîné une parfaite imperméabilité entre les deux catégories de

présomptions, le juge n’ayant en principe aucune liberté s’agissant de l’application des

1481 Livre troisième ; Titre III ; Chapitre VI ; Section III, Des présomptions. 1482 V. supra, la typologie des présomptions-preuves. 1483 MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, Livre XXIX : de la manière de composer les lois, Chapitre XVI.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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présomptions légales. « Sa marge d’appréciation, explique Françoise LLORENS-FRAYSSE,

est nulle lorsqu’il se trouve en présence d’une présomption légale »1484.

Cependant, la stricte séparation entre présomptions légales et judiciaires ainsi que le

cantonnement général du rôle du juge afférent à cette division ont rapidement montré des

signes de faiblesse. Est en effet apparue une tierce catégorie de présomptions, celle des

présomptions quasi-légales1485. Elles correspondent à des présomptions créées par le juge

mais sont si fréquemment utilisées qu’elles s’insèrent dans une politique jurisprudentielle et

sont finalement assimilables à une règle générale. En 1946, Pierre MIMIN écrivait déjà à leur

propos : « La doctrine les cite ou devrait les citer comme des marques de droit coutumier. La

jurisprudence les énonce comme des principes, et souvent la Cour de cassation a brisé des

arrêts qui les traitaient comme simples présomptions de fait et croyaient pouvoir les écarter

sans preuve contraire »1486. Face à de telles présomptions, lesquelles se rattachent par leur

origine aux présomptions de fait mais avoisinent par leur force les présomptions légales,

l’office du juge en matière de présomptions doit être vu sous un autre angle. Dès lors, son rôle

ne pouvant plus être considéré comme simplement accessoire, il n’est guère étonnant que la

Cour EDH ait battu en brèche la traditionnelle limitation de son pouvoir d’appréciation.

B- Une exigence à part entière en droit de la CEDH

En principe, la Cour EDH n’analyse pas in abstracto1487 les présomptions issues des

législations nationales à l’aune de la Convention1488. Elle s’attarde plutôt sur la manière dont

les juridictions internes ont fait usage desdites présomptions. Aussi lui arrive-t-il d’admettre le

recours à des présomptions légales, qu’on pourrait croire a priori restrictives des droits

fondamentaux, à condition que ce recours ait été tempéré par un pouvoir d’appréciation laissé

au juge. C’est le cas en matière pénale : la plupart du temps, la Cour EDH admet l’utilisation

de présomptions répressives légales si le juge dispose d’une marge d’appréciation à leur égard.

En somme, pour résister au contrôle européen, les présomptions de culpabilité ne doivent pas

être appliquées automatiquement ; il est indispensable que le juge soit en mesure d’apprécier

l’opportunité de leur mise en œuvre et, éventuellement, d’atténuer leur rigueur.

1484 Françoise LLYRENS-FRAYSSE, op. cit., p. 10. 1485 Ibid., pp. 11-12 ; Pierre MIMIN, loc. cit.. 1486 Pierre MIMIN, loc. cit.. 1487 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83, § 30 ; CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87, § 33 ; CEDH, 5 juillet 2001, Phillips c/ Royaume Uni, req. n° 41087/98, § 40. 1488 Pour une exception V. supra (présomptions grecques).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

400

Cette exigence a été mise en évidence dès les arrêts Salabiaku et Pham Hoang contre

France1489 dans lesquels les présomptions issues de la législation douanière française ont été

sauvées par la manière dont les juridictions de ce pays les ont appliquées. Dans la première

affaire, aucune violation de l’article 6 § 2 n’a été constatée car « les juges du fond ont su se

garder de tout recours automatique à la présomption » et « ont exercé leur pouvoir

d’appréciation "au vu des éléments de preuve contradictoirement débattus devant eux" » ;

bref, « ils ont discerné dans les circonstances de la cause un certain "élément intentionnel",

même s’ils n’en avaient juridiquement pas besoin pour aboutir à une condamnation »1490.

Dans la seconde affaire, pour conclure à la non-violation de l’article 6 § 2, la Cour a tenu

compte de l’absence de « recours automatique » aux présomptions litigieuses par la Cour

d’appel, laquelle s’est appuyée sur « un faisceau d’éléments de fait » et a apprécié les données

factuelles en sa possession « avec soin »1491. Enfin, dans la droite ligne de ces deux arrêts, la

Cour a déclaré irrecevable la requête introduite par Job Vos contre la France1492. Invoquant

l’article 6 § 2 de la Convention, ce dernier se plaignait d’une violation de la présomption

d’innocence du fait de sa condamnation pour fraude sur le fondement de l’article 392 du Code

des douanes – 14 244 bouteilles d’eau de vie et de Vodka de contrebande avaient été

découvertes dans le camion qu’il conduisait. Là encore, la Cour a noté la prise en compte d’un

“faisceau d’éléments de fait” par les juridictions internes, lesquelles “ont su se garder de tout

recours automatique à la présomption qu’institue l’article 392 du code des douanes”.

Par la suite, toujours en matière pénale, la Cour a eu d’autres occasions d’affirmer

l’importance d’une marge d’appréciation judicaire quant à l’application des présomptions

légales. Par exemple, d’après l’affaire Phillips contre Royaume Uni1493, l’application de la

présomption selon laquelle les biens d’un trafiquant de drogue proviennent de ce trafic n’est

« pas dépourvu[e] de garde-fous »1494 dans la mesure, notamment, où le juge dispose d’un

pouvoir discrétionnaire lui permettant non seulement « de prononcer une ordonnance de

confiscation d’un montant moindre » que celui résultant de l’application directe de la

présomption mais encore « de ne pas faire jouer la présomption » en cas de « risque sérieux

d’injustice ». Autre exemple, la Cour a stigmatisé l’application automatique par les

1489 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83 ; CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87. 1490 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83, § 30. 1491 CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87, §§ 35-36. 1492 CEDH (déc.), 5 décembre 2006, Vos c/ France, req. 10039/03. 1493 CEDH, 5 juillet 2001, Phillips c/ Royaume Uni, req. n° 41087/98. 1494 Ibid., § 43.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

401

juridictions bulgares de la présomption légale1495 selon laquelle la détention provisoire est

justifiée pour les infractions d’une certaine gravité1496.

En définitive, certaines présomptions légales échappent donc aux foudres de la Cour EDH

grâce à l’intervention du juge qui a tempéré leur rigueur et leur vigueur ; à l’inverse, d’autres

succombent en raison de leur mise en œuvre non circonstanciée, c’est-à-dire automatique. Dès

lors, même si elle n’est pas systématiquement mise en évidence1497, la recherche d’un pouvoir

d’appréciation du juge apparaît comme une exigence à part entière1498. Sa consécration par la

juridiction strasbourgeoise appelle plusieurs remarques.

Tout d’abord, elle apparaît comme le corollaire de l’exigence de réfragabilité. Leurs

points communs sont en effet patents. Toutes deux équivalent à une sorte de contrôle du

mécanisme présomptif, toutes deux visent à conserver sa souplesse originelle et, enfin, toutes

deux tendent à le préserver de l’instrumentalisation. En réalité, ces deux exigences sont même

interdépendantes : de facto, c’est le juge qui détermine, grâce à son pouvoir d’appréciation, la

force probante de la présomption, c’est-à-dire maîtrise sa réfragabilité. Dès lors, il semble

logique que la Cour EDH, laquelle accorde une grande importance à la réfragabilité

présomptive, soit attentive au pouvoir d’appréciation du juge.

Ensuite, l’attention portée par la Cour à l’appréciation du juge peut être comparée au fait

que les présomptions issues du droit de la CEDH proviennent toutes, à l’exception de la

présomption d’innocence consacrée par l’article 6 § 1 de la Convention, de la jurisprudence

de la Cour1499. Cette prédilection du droit de la CEDH pour l’équivalent des présomptions

quasi-légales1500 est le signe d’une conception globalement dynamique du rôle du juge en

1495 Présomption issue de l’article 152 du Code de procédure pénale bulgare. 1496 CEDH, 8 mars 2007, Dimov c/ Bulgarie, req. n° 57762/00 ; CEDH, 14 juin 2007, Nikola Nikolov c/ Bulgarie, req. n° 68079/01; CEDH, 26 juillet 2001, Ilijkov c/ Bulgarie, req. n° 33977/93. 1497 V. par exemple : CEDH, 23 juillet 2002, Janosevic c/ Suède, req. n° 34619/97. Dans cet arrêt relatif aux présomptions de culpabilité fiscales suédoises, la Cour passe très rapidement sur la question d’une appréciation judiciaire. Elle rappelle simplement, au § 104, ce que la Cour administrative suprême a énoncé dans un des ses arrêts, à savoir que les tribunaux doivent procéder à une application nuancée du point de savoir s’il existe des motifs d’annuler ou de remettre la majoration d’impôt. 1498 D’ailleurs, même lorsque la Cour utilise ses propres présomptions favorables au requérant, elle ne les applique pas automatiquement. C’est par exemple le cas des présomptions liées à l’établissement des faits telle la présomption de bien-fondé des allégations. Il en va de la crédibilité de la Cour : elle ne doit pas se montrer excessivement sévère à l’égard des Etats contractants ni transformer la présomption, outil didactique, en moyen de déterminer un responsable de manière systématique. 1499 Ce qui ne les empêche guère d’être érigées au rang des principes généraux guidant l’interprétation de la Convention par la Cour de Strasbourg. 1500 On pourrait en l’occurrence parler de présomptions quasi-conventionnelles.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

402

matière de présomptions, conception qui a sans doute contribué à l’émergence de l’exigence

d’une appréciation judiciaire.

Enfin, en soumettant l’application des présomptions légales au regard du juge, la

jurisprudence européenne incite à aborder sous un angle nouveau le débat relatif au rôle du

juge en matière de présomptions ; à quoi l’on voit, une fois encore, l’utilité d’une relecture du

droit des présomptions à la lumière du droit de la CEDH. A présent, il ne s’agit plus de

confronter de manière manichéenne les présomptions légales aux présomptions judiciaires ni

de chercher quel type de présomptions est préférable à l’autre. Cette question semble même

sans objet tant il paraît inévitable que certaines présomptions émanent du juge et d’autres du

législateur. D’un côté, diverses présomptions correspondent à des principes fondamentaux qui

irriguent le système juridique ; il est logique que leur consécration revienne à la loi ou à la

Convention. D’un autre côté, de nombreuses présomptions sont créées à des fins ponctuelles,

pour les besoins d’un litige précis et ne peuvent, par conséquent, qu’être façonnées par le juge.

Partant, la dualité des sources présomptives est indéniable ; elle s’impose au juriste.

Cependant, elle n’empêche pas d’envisager, à l’instar de la Cour de Strasbourg, l’attribution

au juge d’une marge d’appréciation pour appliquer les présomptions légales, dont l’objectif

serait le suivant : éviter que ces présomptions, déjà rigidifiées par leur consécration légale, ne

se muent en instruments implacables d’une justice automatisée. Il semble qu’un tel pouvoir

d’appréciation s’apparente à un pouvoir modérateur, non dans l’acception civiliste stricte1501,

mais dans celle plus large de vecteur d’équité, et soit justifié par la nature même des

présomptions.

Certaines présomptions-postulats sont de véritables principes directeurs ; drapées dans

leur transcendance, elles semblent inattaquables et l’idée d’y toucher semble irrévérencieuse.

En comparaison, d’autres présomptions véhiculent des préoccupations bien mesquines. Ainsi

ne saurait-on comparer l’envergure de la présomption de bonne foi1502, pari sur la nature

humaine, à celle d’une vulgaire présomption de mitoyenneté1503. Néanmoins, quelle que soit

la noblesse de leur enjeu, les présomptions interviennent toujours pour combler les lacunes du

système juridique liées aux déficiences cognitives humaines. La souplesse du mécanisme doit

1501 Gérard CORNU, op. cit. p. 205, p. 70 n° 179 : « Le pouvoir modérateur se caractérise très précisément par plusieurs traits : 1° Pouvoir de déroger à la règle normale (pouvoir dérogatoire exorbitant) ; 2° donné au juge par la loi (pouvoir légal) ; 3° dans des cas limitativement spécifiés (pouvoir exceptionnel) ; 4° au nom de l’équité (pouvoir modérateur) ; 5° par une décision individuelle (mesure d’individualisation dans une espèce singulière ». 1502 Article 2274 du Code civil. 1503 Articles 653, 654 et 666 du Code civil.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

403

donc être respectée, faute de quoi il sera instrumentalisé et sa nature profonde reniée.

L’équité1504 consistant précisément en « l’assouplissement du droit positif ou la correction de

la loi »1505, l’exercice d’un pouvoir modérateur du juge à l’égard des présomptions légales

paraît approprié pour éviter une application automatique et non circonstanciée, propice à leur

instrumentalisation. Mais les affinités entre présomption et équité sont encore plus profondes.

On en vient même à se demander si l’équité ne fait pas partie intégrante du mécanisme

présomptif. En tant que technique visant à dépasser les problèmes cognitifs, la présomption

peut être envisagée comme une manifestation de l’équité, du juste. N’est-ce pas l’équité,

« sorte d’instinct inhérent à la condition humaine »1506, qui permet au juge d’éviter le déni de

justice lorsque la loi est silencieuse1507 ? A fortiori ne pourrait-elle guider celui qui présume

dans son passage de l’inconnu ou encore de l’inconnaissable à une vérité construite ? Pour

remédier aux difficultés cognitives et assurer la continuité du droit, la présomption pourrait

donc fort bien suivre les sentiers de l’équité : non seulement la logique ne s’y oppose pas mais

encore la Justice y trouverait sûrement son compte : une présomption équitable serait

sûrement une présomption de bonne qualité.

Ainsi l’exigence européenne d’un pouvoir d’appréciation du juge concernant l’application

des présomptions légales est en réalité celle d’un pouvoir modérateur. Elle met en avant les

liens qu’entretiennent le mécanisme présomptif et l’équité, annonçant par là-même la

découverte de la légitimité des présomptions.

1504 Sur la notion d’équité, V. : Pierre KAYSER, « Essai de contribution aux notions de droit, de justice et d’équité », RRJDP, 2001, n° 1, pp. 15 sq. ; André TUNC, « Equité », Encyclopedia universalis. 1505 Hans SAK, « Que reste-t-il de l’équité ? Essai sur le présent et l’avenir d’une notion en droit français », RRJDP, 2002, n°4, pp. 1679 sq., spéc. p. 1680. 1506 Ibid., p. 1683. 1507 Ibid., p. 1685.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

404

Conclusion du chapitre 1

Notoirement évolutif, le droit européen des droits de l’Homme tend à promouvoir

toujours davantage les droits fondamentaux. Or, les présomptions, facteurs d’évolution,

contribuent précisément à rendre les droits garantis « concrets et effectifs »1508. Stimulant

l’interprétation progressiste de la CEDH, elles interviennent sur plusieurs fronts. Elles

permettent de lutter contre le déséquilibre affectant le contentieux des droits de l’Homme en

offrant un avantage probatoire au requérant lors de l’établissement des faits et du constat de

violation. De même, source d’avancées procédurales, elles permettent d’admettre la qualité de

victime ou encore de déterminer l’existence d’un dommage moral. Enfin, elles ont une

aptitude didactique qui leur permet de poursuivre un objectif à long terme : l’éducation des

Etats contractants pour les dissuader d’adopter certains comportements ou, au contraire, les

inciter à en adopter d’autres. On peut donc légitimement se demander quel serait l’avenir de la

protection des droits fondamentaux sans le mécanisme présomptif.

Plus largement, on peut se demander quel serait l’avenir du système juridique dans son

ensemble sans le mécanisme présomptif. Mis en lumière par le droit européen des droits de

l’Homme, le potentiel évolutif de la présomption dépasse en effet cette branche du droit. A

titre de comparaison, il semble considérable en matière de responsabilité environnementale.

Dans ce domaine, la présomption n’a pas encore libéré toute son énergie mais son usage

pourrait s’avérer révolutionnaire. Ainsi la CJUE a-t-elle rendu, le 9 mars 2010, des arrêts1509

qui ouvrent bien des perspectives. Le titre du communiqué de presse1510 publié par la Cour est,

à lui seul, révélateur : "Les exploitants qui ont des installations à proximité d'une zone polluée

peuvent être présumés responsables de la pollution". En d’autres termes, le lien de causalité

entre l'activité d'un exploitant et un fait de pollution peut, d’après ces arrêts, être présumé à

certaines conditions1511. Ainsi, la participation des présomptions à l’interprétation progressiste

1508 CEDH, 9 octobre 1979, Airey c/ Irlande, req. n° 6289/73, § 24. 1509 CJUE, Arrêts dans l’affaire C-378/08 et dans les affaires Jointes C6379/08 et C-380/08, Raffinerie Méditérranée (ERG) SpA, Polimeri Europa SpA et Syndical SpAc/ Ministero dello Sviluppo economico e.a. et ENI SpA / Ministero Ambiente e Tutela del Territorio e del Mare e.a.. 1510 CJUE, Communiqué de presse n°25/10, [http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2010-03/cp100025fr.pdf], (2010-03-24). 1511 CJUE, 9 mars 2010, affaire c-378/08, § 56-58 : « De ce point de vue, une réglementation d’un État membre peut prévoir que l’autorité compétente a la faculté d’imposer des mesures de réparation de dommages environnementaux en présumant un lien de causalité entre la pollution constatée et les activités de l’exploitant ou des exploitants, et ce en raison de la proximité des installations de ces derniers avec ladite pollution.(…) Cependant, dans la mesure où, conformément au principe du pollueur-payeur, l’obligation de réparation

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

405

de la CEDH apparaît comme l’illustration parcellaire d’un mouvement de plus grande

ampleur : la participation des présomptions à l’évolution du système. « Si nous voulons que

tout continue, il faut que d’abord tout change » : tels sont les propos que LAMPEDUSA prête

au prince Salina1512. Dans cette perspective, les présomptions, mécanismes ancestraux mais

malléables, favorisent l’adaptabilité du système et contribuent à assurer sa pérennité.

Néanmoins, pour conserver et étendre sa puissance progressiste, la présomption doit

être encadrée et protégée du danger qui la guette : l’instrumentalisation. A cet égard, le droit

européen des droits de l’Homme révèle toute l’importance de la réfragabilité et du pouvoir

d’appréciation du juge. La réfragabilité permet de canaliser la force probante de la

présomption et pourrait trouver un fondement juridique solide dans l’article 13 de la CEDH.

Cette disposition garantit en effet le droit à un recours effectif et semble incompatible avec les

présomptions irréfragables qui ruinent irrémédiablement les prétentions du justiciable. Le

pouvoir d’appréciation du juge vise, pour sa part, à moduler la force obligatoire des

présomptions et évite qu’elles soient appliquées de manière automatique. Il mérite une

attention particulière car la Cour EDH l’a érigé en une exigence de validité des présomptions

à part entière. Il n’en demeure pas moins qu’un tel encadrement est sans effet à l’égard des

présomptions-concepts qui lui échappent entièrement : en raison de leur position ambiguë de

source du droit, elles sont par nature aréfragables et ne peuvent être appréciées par le juge.

Avant que les limites de cet encadrement ne passent pour des failles substantielles

condamnant irrémédiablement l’usage des présomptions, précisons que ces limites sont fort

relatives : la légitimité des présomptions permet aisément de les compenser.

n’incombe aux exploitants qu’en raison de leur contribution à la génération de la pollution ou au risque de pollution (…), aux fins de présumer de la sorte un tel lien de causalité, l’autorité compétente doit disposer d’indices plausibles susceptibles de fonder sa présomption, tels que la proximité de l’installation de l’exploitant avec la pollution constatée et la correspondance entre les substances polluantes retrouvées et les composants utilisés par ledit exploitant dans le cadre de ses activités.(…) Lorsque l’autorité compétente dispose de tels indices, celle-ci est alors en mesure d’établir un lien de causalité entre les activités des exploitants et la pollution diffuse constatée. Conformément à l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2004/35, une telle situation relèvera alors du champ d’application de cette directive, à moins que ces exploitants soient en mesure de renverser cette présomption ». 1512 Giuseppe Tommasi DI LAMPEDUSA, Le Guépard, trad. française 1959, Fanette Pézard, Seuil, chap. 1, p. 35. Le cynisme d’une telle réflexion fait penser à la boutade désabusée qu’Alphonse KARR fait prononcer à l’un de ses personnages de sa pièce, Les Guêpes (1849) : « Plus ça change, plus c’est la même chose ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

406

Chapitre 2 – La découverte de la légitimité des

présomptions

D’un point de vue doctrinal1513, c’est-à-dire du point de vue de ceux qui la mettent en

œuvre, à savoir le législateur ou le juge, la présomption recherche la vérité, c’est-à-dire une

connaissance conforme au réel1514. Traditionnellement, elle est en effet rattachée au droit de la

preuve, dont la vérité est censée être « à la fois l’objet et l’objectif »1515. Mais pareille vision

paraît fort irréaliste, les relations entre présomption et vérité pouvant être à ce point distantes

que leur séparation est parfois ouvertement consommée1516. D’ailleurs, le droit de la preuve

lui-même n’entretient guère de rapports privilégiés avec la vérité. D’une part, les qualificatifs

dont on pare la vérité judiciaire – elle serait imposée, convenue1517, construite, choisie et, pour

tout dire, relative – l’amputent de son essence même. D’autre part, juridiquement, la vérité

stricto sensu n’est pas toujours bonne à respecter1518 et demeure souvent inaccessible ; c’est

d’ailleurs pour cette raison qu’existent preuves et présomptions.

Relire le droit des présomptions, c’est donc rompre avec cette vision idéaliste et

délaisser le point de vue de l’institution judiciaire au profit d’un point de vue critique1519

consistant à considérer les présomptions comme des faits sociaux parmi d’autres1520 et à

prendre en compte leur acceptation par le corps social. Par conséquent, il s’agit de s’intéresser

à leur légitimité, au sens sociologique du terme, c’est-à-dire à leur validité axiologique.

1513 Sur la distinction entre point de vue doctrinal et point de vue critique, V. Jean CARBONNIER, op. cit. p. 26, p. 19 sq. ; Xavier LAGARDE, loc. cit., p. 31. D’après Xavier LAGARDE, « les idées de vérité et de légitimité n’appartiennent pas au même ordre de discours. La première procède d’un point de vue doctrinal : l’idée de vérité a en effet vocation à structurer de l’intérieur le discours juridique. La seconde, en revanche, procède d’un point de vue critique : l’idée de légitimité en rupture avec ce discours et propre à le déstructurer, permet de l’appréhender de l’extérieur, dans ses rapports avec ses destinataires ». 1514 Le Robert pratique de la langue française, « Vérité ». 1515 Xavier LAGARDE, loc. cit., p. 32. 1516 Tout d’abord, lorsqu’il revêt une nature strictement probatoire, le mécanisme présomptif intervient précisément lorsque la vérité ne peut être atteinte et doit être construite ; la présomption-preuve a d’ailleurs été précédemment envisagée comme le symbole de la relativité de la vérité judiciaire. En outre, lorsqu’il s’éloigne du domaine strictement probatoire pour devenir axiomatique ou conceptuel, le mécanisme présomptif peut s’apparenter à une règle de fond ou à la raison d’être d’une jurislation dont l’objectif n’est nullement la recherche de la vérité mais plutôt la protection de certaines valeurs. 1517Xavier LAGARDE, loc. cit., p. 32. 1518 Pierre LOUIS-LUCAS, loc. cit., p. 583. 1519 Xavier LAGARDE, loc. cit., p. 34. 1520 Ibid., p. 34.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

407

« Dans quelle mesure, se demande-t-on alors, est-il légitime1521, sinon de donner le

pas à l’habileté sur la sincérité, du moins de préférer la convenance sociale à la

réalité ? » 1522 . En d’autres termes, la connaissance acquise grâce à la présomption,

connaissance qui n’est pas forcément en adéquation avec le réel, peut-elle vraiment être

légitime ? Positive, la réponse à cette question constitue le point culminant de notre étude :

elle apparaît en effet à la fois comme un aboutissement et comme un commencent.

Tout d’abord, tel un aboutissement, la découverte de la légitimité des présomptions

découle des caractéristiques présomptives que le droit européen des droits de l’Homme a

précédemment mises en lumière. D’une part, en tant que principe d’orientation cognitif, la

présomption débouche sur une connaissance qui, loin d’être conforme à la réalité, est

construite et indexée sur les buts de celui qui la met en œuvre, buts au sein desquels figure

logiquement la recherche de la légitimité. Celui qui utilise une présomption, insère une dose

d’artifice dans la connaissance juridique, il doit donc tenir compte de la manière dont cette

technique sera perçue par les justiciables, c’est-à-dire de la légitimité de son acte présomptif.

D’autre part, si les présomptions participent à l’interprétation progressiste, c’est précisément

qu’elles sont légitimes : situées quelque part entre le raisonnable, le probable, le normal, le

juste, le bon et l’équitable, elles donnent corps aux attentes de la communauté, favorisant ainsi

l’adaptation du Droit aux changements sociaux.

Ensuite, tel un commencement, la découverte de la légitimité présomptive offre de

nouvelles perspectives au droit des présomptions. D’un côté, elle indique comment le parfaire,

c’est-à-dire comment le porter à un état d'accomplissement idéal, au plus haut degré de valeur

possible, en le débarrassant des quelques présomptions susceptibles d’en altérer la qualité.

D’un autre côté, elle assure son avenir. En somme, la légitimité apparaît à la fois comme un

critère de sublimation (Section 1) et comme une source de pérennité (Section 2) du droit des

présomptions.

1521 C’est nous qui soulignons. 1522 Pierre LOUIS-LUCAS, loc. cit., p. 583.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Section 1- La légitimité, critère de sublimation du droit des

présomptions

La présomption bâtit une connaissance en se fondant, notamment, sur la probabilité,

l’ordre normal des choses mais aussi sur une forme d’équité ; autant d’éléments qui reflètent

la recherche de l’adhésion du corps social et révèlent que la légitimé fait partie intégrante de

la présomption, bref, qu’elle participe à son élaboration. Voilà pourquoi les présomptions

illégitimes doivent être éliminées comme des figures contre-nature, des altérations

corruptrices du mécanisme présomptif. Ainsi, de manière apparemment paradoxale, la

légitimité globale des présomptions se manifeste-t-elle à travers le rejet de certaines d’entre

elles. Elle s’exprime, par exemple, dans le refus européen de présumer la renonciation à un

droit.

Dans cette optique, la légitimé peut être considérée comme un contrepoids naturel au

risque d’instrumentalisation qui guette toute présomption et, plus largement, comme un critère

de sublimation du droit des présomptions. Sublimer1523, c’est en effet idéaliser quelque chose

en le purifiant de tout élément imparfait, impur ou étranger. Or, la légitimité, source

d’élévation, sublime le droit des présomptions en conduisant à l’élimination de certaines

d’entre elles. Notion difficile à saisir car nécessairement subjective, elle se dessine donc en

négatif, à travers la stigmatisation des présomptions que le droit européen des droits de

l’Homme estime indignes de venir à la vie juridique mais aussi de celles que le droit français

n’estime pas aptes à subsister. Ainsi, à l’exclusion européenne des présomptions illégitimes (§

1-) répond la suppression française de ces dernières (§ 2-).

§ 1- L’exclusion européenne des présomptions illégitimes

Bannir le recours à certaines présomptions est une attitude radicale qui se justifie

seulement à l’égard de présomptions présentant une particulière illégitimité. La Cour EDH l’a

bien compris qui n’exclut que rarement des présomptions - elle écarte seulement celles de

renonciation à un droit - et préfère au contraire rappeler son absence d’hostilité de principe à

l’égard des présomptions de fait et de droit1524. Dans cette optique, on peut même déplorer

1523 V. la définition du CNRTL, [http://www.cnrtl.fr/definition/sublimer], (2010-05-27). 1524 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83, § 28 : « Tout système juridique connaît des présomptions de fait ou de droit; la Convention n’y met évidemment pas obstacle en principe, mais en matière pénale elle oblige les États contractants à ne pas dépasser à cet égard un certain seuil ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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l’indulgence dont elle a pu faire preuve à l’égard de présomptions présentant de réels risques

pour le système de protection des droits de l’Homme.

En somme, si l’exclusion des présomptions illégitimes est envisageable, comme le montre

l’exemple des présomptions de renonciation à un droit (A-), elle reste cependant

exceptionnelle (B-).

A- L’exemple du rejet des présomptions de renonciation à un droit

Une rapide présentation de la problématique des présomptions de renonciation (1-) semble

nécessaire pour analyser les modalités de leur rejet (2-).

1- La problématique des présomptions de renonciation

Les auteurs qui abordent la notion de renonciation d’un point de vue juridique soulignent

son aspect paradoxal ; le Professeur DREIFUSS-NETTER remarque ainsi que « la course aux

honneurs et aux biens matériels qui caractérise pour une grande part nos sociétés ne passe

pas précisément par l’abandon volontaire de droits ou d’avantages »1525. L’idée de renoncer

à l’une de ses prérogatives, a priori étrange, l’est d’autant plus concernant les droits et libertés

fondamentaux conférés à leurs titulaires pour les protéger1526. Cependant l’intérêt procédural

de la renonciation est évident. « L’hypothèse de fait, résume le Professeur TERCIER, est la

suivante : Un sujet de droit entend se prévaloir d’une prérogative contre un autre ; celui-ci

s’y oppose arguant du fait que son titulaire y a renoncé, à titre gratuit ou onéreux »1527. Dans

cette optique, s’agissant du contentieux des droits de l’Homme, Philippe FRUMER rappelle

que « (…) si le titulaire du droit apparaît comme le principal protagoniste, l’Etat n’est

évidemment pas absent lorsqu’une renonciation est évoquée au cours d’une procédure. Dans

la plupart des cas, c’est l’Etat qui tentera d’opposer la renonciation au requérant qui

tenterait de se prévaloir d’un droit ou d’une liberté »1528.

Dès lors, se posent des questions d’ordre probatoire dont celle de savoir si la renonciation

se présume. Ainsi, la Cour EDH a-t-elle été confrontée à ce type de situation concernant les

garanties procédurales découlant de l’article 6, notamment lors de l’affaire Colozza contre

1525 Frédérique DREIFUSS-NETTER, Les manifestations de volonté abdicatives, Paris, L.G.D.J., 1985, p. 21. 1526 Philippe FRUMER, La renonciation aux droits et libertés. La Convention européenne des droits de l’Homme à l’épreuve de la volonté individuelle, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 1. 1527 Pierre TERCIER, Préface à la Thèse de Frédérique DREIFUSS-NETTER, op. cit., pp. 9-15, spéc. p. 9. 1528 Philippe FRUMER, op. cit., p. 2.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Italie du 12 février 19851529. L’Etat défendeur avait en effet présumé la renonciation du

requérant à son droit à comparaître à partir de sa qualité de « latitante », c’est-à-dire de

personne se soustrayant volontairement à l’exécution d’un mandat de justice.

D’un côté, la possibilité de présumer la renonciation ne semble pas dénuée de toute

pertinence : la présomption permet d’établir les faits psychologiques dont la renonciation, acte

volitif abdicatif, fait partie.

D’un autre côté, elle paraît déraisonnable : la présomption, qui n’aboutit qu’à une vérité

construite, semble inadaptée pour établir une renonciation, acte inhabituel parfois même

qualifié d’« iconoclaste »1530. Assurément, les présomptions de renonciation ne sauraient

passer pour légitimes ; l’hostilité de principe du juge européen à leur égard n’a donc pas de

quoi surprendre.

2- Les modalités du rejet des présomptions de renonciation

« La renonciation à l’exercice d’un droit garanti par la Convention doit se trouver établie

de manière non équivoque »1531. Cette formule, souvent réitérée, semble correspondre à une

règle de répartition du risque de la preuve : si la renonciation doit être établie sans équivoque,

c’est-à-dire de manière certaine, cela signifie, a contrario, qu’elle ne pourra point être établie

si un doute subsiste. En d’autres termes, de même que le doute profite à l’accusé, il profiterait

à l’absence de renonciation, ce qu’on peut exprimer sous la forme d’une présomption-postulat

négative ou positive : si la renonciation à un droit ne se présume pas, l’absence de

renonciation à un droit est, au contraire, toujours présumée.

Par conséquent, la formule strasbourgeoise ne serait qu’une déclinaison de la

présomption-postulat transversale véhiculée par l’adage en vertu duquel « la renonciation à

un droit ne se présume pas » 1532. Cette hypothèse est d’autant plus probable qu’on rattache à

cet adage des formulations variables au sein desquelles celle de la Cour européenne ne

1529 CEDH, 12 février 1985, Colozza c/ Italie, req. n° 9024/80. 1530 Philippe FRUMER, op. cit., p. 1. 1531 V. notamment : CEDH, 12 février 1985, Colozza c/ Italie, req. n° 9024/80, § 28 ; CEDH, 14 décembre 1999, Khalfaoui c/ France, req. n° 34791/97, § 51 ; CEDH, 8 février 2000, Voisine c/ France, req. n° 27362/95, § 32 ; CEDH, 1er décembre 2005, Ilişescu et Chiforec c/ Roumanie, req. n° 77364/01, § 41 ; CEDH, 5 décembre 2006, Kalem c/ Turquie, req. n° 70145/01, § 58 ; CEDH, 20 février 2007, Ünsal c/ Turquie, req. n° 24632/02, § 29 ; CEDH, 4 mars 2008, Kizilyaprak (n° 2) c/ Turquie, req. n° 9844/02, § 42. 1532 Frédérique DREIFUSS-NETTER, op. cit., p. 24 ; Christophe RADE, « Dénonciation des usages : la renonciation ne se présume pas », Lexbase Hebdo, n°113 du jeudi 25 mars 2004, éd. Sociale [http://lexbase.fr/lexbase/SilverStream/Pages/ibShownews.html ?NEWSNUM=…], (25-03-2010).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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détonne nullement. A titre d’exemple, en droit international, les auteurs1533 envisagent comme

des applications de cette maxime des tournures aussi diverses que celle de l’article 32 § 2 de

la Convention de Vienne du 18 avril 1961 sur les relations diplomatiques, lequel énonce que

la renonciation par un Etat à l’immunité de juridiction des agents diplomatiques « doit

toujours être expresse » ou celle, plus explicite, employée par le Tribunal arbitral dans

l’affaire Kronprins Gustav Adolf : « A renunciation to a right or a claim is not to be presumed.

It must be shown by conclusive evidence, which in this case does not exist »1534.

Cependant, c’est une chose de savoir que la Cour européenne consacre une présomption-

postulat d’absence de renonciation, c’en est une autre d’en déduire l’exclusion par cette même

juridiction des présomptions de renonciation. Certes, la mission de toute présomption

axiomatique consiste à attribuer le risque de la preuve - ici il s’agit de le faire peser sur celui

qui allègue la renonciation - et à exiger un quantum de preuve élevé, lequel, par hypothèse

s’accommode mal d’un recours aux présomptions-preuves de renonciation. Néanmoins, mal

s’accommoder n’est pas exclure ; un tel recours demeure donc possible. Ce constat s’inscrit

dans la problématique déjà abordée de l’articulation entre présomptions-preuves et

présomptions-postulats1535 : ces deux techniques n’interviennent pas au même moment du

raisonnement et n’ont pas la même fonction ; la présomption-postulat attribue la charge de la

preuve à l’un des plaideurs, lequel pourra éventuellement recourir à une présomption-preuve

(qui déplacera l’objet de la preuve d’un fait difficile à prouver vers un fait plus facile à

prouver) pour s’acquitter de sa tâche probatoire. Ainsi une présomption-preuve de

renonciation devrait-elle pouvoir contribuer à la preuve de la renonciation et, par là-même, au

renversement de la présomption-postulat d’absence de renonciation.

Cependant, en l’occurrence, deux arguments corroborent la thèse selon laquelle la

consécration de cette présomption-postulat va de pair avec un rejet des présomptions-preuves

de renonciation.

Dans un premier temps, une telle interprétation respecterait la philosophie générale du

système de protection instauré par la CEDH. Comme le souligne Fred DESHAYES « la

justification d’une affirmation aussi ferme saute aux yeux dès lors qu’on se rappelle que la

mission de la Convention est de réaliser une union plus étroite entre ses signataires à travers

1533 Fred DESHAYES, op. cit., p. 222, n° 582. 1534 Tribunal Arbitral, 18 juillet 1932, Kronprins Gustaf Adolf, Sweden c/ USA; Gérard NIYUNGEKO, op. cit., p. 104. 1535 V. supra : l’articulation entre présomptions-postulats et présomptions-preuves.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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la défense des droits de l’Homme. La consécration de ces valeurs et la mise en place d’une

juridiction chargée de les protéger va de pair avec l’idée que la reconnaissance de la

renonciation d’un droit exige une preuve incontestable, qui établisse de manière claire qu’un

titulaire des droits a refusé dans certaines circonstances à en réclamer le respect »1536. En

somme, l’admission de présomptions-preuves de renonciation à un droit serait en complète

contradiction avec la volonté de rendre les droits garantis par la CEDH concrets et effectifs.

Dans un second temps, la thèse de l’hostilité de la Cour à l’égard des présomptions-

preuves de renonciation est définitivement affermie par le fait que la Cour a expressément

manifesté son rejet de la renonciation présumée s’agissant du droit à comparaître. Dans cette

optique, Philippe FRUMER n’hésite pas à évoquer « l’interdiction du système de la

renonciation présumée »1537.

Lorsque rien ne prouve qu’une personne est au courant des poursuites diligentées contre

elle, le seul moyen d’établir qu’elle a renoncé à son droit à comparaître est la présomption-

preuve : il s’agit alors de présumer la renonciation au droit à comparaître à partir de certains

aspects du comportement de l’intéressé (par exemple, l’intéressé ne paraît plus chez lui, il a

pris la fuite et tenterait donc de se soustraire à la justice). Dans les affaires Colozza1538,

R.R.1539 et Sejdovic1540, l’Italie a précisément été condamnée pour avoir mis en œuvre une

telle méthode1541 dans le cadre de procédures par contumace. Dans la première affaire, les

autorités italiennes avaient présumé que M. Colozza avait renoncé à son droit à

comparaître1542 en se fondant sur deux autres présomptions : « d’une part, explique Philippe

FRUMER, l’accusé était présumé vouloir se soustraire à la justice, dès lors que les

recherches effectuées par la police pour le localiser étaient demeurées vaines. D’autre part,

l’accusé était présumé être au courant des poursuites, du seul fait de la notification au greffe

du tribunal »1543. En l’espèce, ce raisonnement a été censuré car, « aux yeux de la Cour, cette

présomption ne fournissait pas une base factuelle suffisante »1544. Vingt ans plus tard, l’arrêt

1536 Fred DESHAYES, op. cit., p. 221, n° 580. 1537 Philippe FRUMER, op. cit., pp. 157-164. 1538 CEDH, 12 février 1985, Colozza c/ Italie, req. n° 9024/80. 1539 CEDH, 9 juin 2005, R.R. c/ Italie, req. n° 42191/02. 1540 CEDH, Gr. Ch., 1er mars 2006, Sejdovic c/ Italie, req. n° 56581/00 ; Lyn FRANÇOIS, « La procédure italienne par contumace confrontée aux exigences européennes du procès équitable », RTDH, 2007, pp. 525 sq. 1541 V. aussi, pour des solutions comparables : CEDH, 9 avril 1984, Goddi c/ Italie, req. n° 8966/80 ; CEDH, 28 août 1991, F.C.B. c/ Italie, req. n° 12151/86 ; CEDH, 5 décembre 2006, Kalem c/ Turquie, req. n° 70145/01. 1542 CEDH, 12 février 1985, Colozza c/ Italie, req. n° 9024/80, § 28. 1543 Philippe FRUMER, op. cit., p. 158. 1544 CEDH, 12 février 1985, Colozza c/ Italie, req. n° 9024/80, § 28.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

413

R.R. a constaté une violation de l’article 6 en raison d’une renonciation présumée. En l’espèce,

le requérant se plaignait d’avoir été condamné par défaut sans avoir eu la possibilité de se

défendre personnellement ni d’exposer sa version des faits devant les juridictions italiennes

dans la mesure où les autorités avaient présumé qu’il « avait renoncé à son droit à participer

aux audiences car il avait déménagé à l’étranger et était devenu introuvable »1545. Or, pour la

Cour, la renonciation ne devant pas être équivoque, elle ne peut être établie en l’absence de

toute preuve d’une notification officielle des poursuites au requérant1546. Enfin, mutatis

mutandis, la Cour a admis une violation de l’article 6 dans l’affaire Sejdovic à propos d’une

présomption de renonciation au droit à comparaître « fondée sur l’absence de l’accusé de son

lieu de résidence habituelle, lue à la lumière des preuves à charges »1547. La présomption de

renonciation reposait en quelque sorte sur une présomption de culpabilité, les autorités ayant

interprété l’absence de M. Sejdovic comme un aveu de culpabilité et le signe qu’il entendait

se soustraire aux poursuites ; « dans ces conditions, la Cour estime qu'il n'a pas été démontré

que le requérant avait une connaissance suffisante des poursuites et des accusations à son

encontre. Elle ne peut donc conclure qu'il a essayé de se dérober à la justice ou qu'il a

renoncé de manière non équivoque à son droit de comparaître à l'audience »1548.

Ainsi la Cour se montre-t-elle très clairement hostile aux présomptions de renonciation au

droit à comparaître1549. Sans doute pareille hostilité est-elle liée à l’artificialité particulière que

présente le mécanisme présomptif dans ce type de situation. Il intervient en effet alors que la

renonciation n’est ni expressément ni même tacitement exprimée, bref alors qu’elle est

inexprimée. Comme le rappelle le Professeur DREIFUSS-NETTER, la volonté est expresse

1545 CEDH, 9 juin 2005, R.R. c/ Italie, req. n° 42191/02, § 52. 1546 Ibid., § 55. 1547 CEDH, Gr. Ch., 1er mars 2006, Sejdovic c/ Italie, req. n° 56581/00, § 100. 1548 Ibid., § 101. 1549 Philippe FRUMER note toutefois l’existence d’une décision de la Commission qui pourrait passer pour dissidente (Com. EDH, 27 octobre 1998, H.N. c/ Italie, req. n° 18902/91). Un journaliste autrichien se vit notifier à son adresse officielle une citation à comparaître. La citation en question n’ayant pas été retirée au bureau de poste, elle fut réexpédiée en Italie. L’intéressé fut jugé et condamné par défaut en Italie et les décisions de condamnations furent notifiées à la même adresse. Selon la Commission, à supposer que le requérant fut absent, il aurait dû s’arranger pour que son courrier soit collecté. Par conséquent, les autorités pouvaient présumer que le requérant avait renoncé aux droits que lui conférait l’article 6 de la Convention. Mais, ainsi que le souligne Philippe FRUMER, la portée de cette décision ne doit pas être exagérée car « la Commission prit soin de relever qu’en l’espèce, il était avéré que lorsque l’intéressé prit connaissance des poursuites, la procédure était encore pendante, de sorte qu’il lui aurait été loisible d’y prendre part, ce qu’il ne fit pas. Si, par contre la prise de connaissance des poursuites était intervenue après que la condamnation fut devenue définitive, il nous semble que l’impossibilité d’obtenir une réouverture de la procédure aurait été sujette à caution au regard de l’article 6 ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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lorsqu’elle est « spécialement communiquée » 1550 , tacite lorsqu’elle « s’exprime par

signes »1551 et enfin présumée lorsqu’elle « résulte de l’interprétation d’indices »1552, l’indice

étant « un fait matériel duquel un observateur peut tirer des conséquences sans que ces

conséquences aient été voulues par celui qui est à l’origine de l’indice »1553. Présumer une

volonté inexprimée apparaît donc comme un exercice de prospection psychologique

singulièrement hasardeux, quasi divinatoire, qui pourrait vite s’avérer totalement fictif et

dangereux, a fortiori lorsque la volonté concernée est abdicative1554. La renonciation

présumée franchit, semble-t-il, un stade conjectural trop important pour rester juste et

acceptable, à quoi l’on comprend que le critère d’exclusion des présomptions est leur absence

de légitimité.

Ainsi l’exemple des présomptions de renonciation au droit à comparaître montre-t-il que

l’exclusion des présomptions illégitimes est possible même si elle demeure exceptionnelle.

B- Une exclusion exceptionnelle

L’exclusion des présomptions est une méthode tranchante. Or, en tant que principe

d’orientation cognitif, c’est-à-dire source de connaissance préorientée par les buts de celui qui

l’utilise, toute présomption est susceptible d’être instrumentalisée et donc de devenir

illégitime : en voulant purger le système des présomptions apparemment sujettes à

l’instrumentalisation, on risque donc d’éradiquer totalement cette technique. Par conséquent,

prudence oblige, la place accordée à l’exclusion des présomptions par le droit européen des

droits de l’Homme demeure marginale, comme le révèlent deux observations.

Première observation, les potentialités de ce processus d’exclusion, liées à la contrariété

entre une présomption-postulat initiale et d’éventuelles présomptions-preuves, n’ont guère

prospéré en dehors du domaine de la renonciation à un droit. Autrement dit, loin d’être

paradigmatique, l’exclusion est plutôt l’exception qui confirme la règle. Ainsi la Cour de

Strasbourg donne-t-elle son aval à l’utilisation de présomptions-preuves de culpabilité

1550 Frédérique DREIFUSS-NETTER, op. cit., p. 67, § 57. 1551 Ibid., p. 67, § 59. 1552 Ibid., p. 67, § 59. 1553 Ibid., p. 67, § 59. 1554 Philippe FRUMER, op. cit., p. 554.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

415

contraires à la présomption-postulat d’innocence et de présomptions-preuves de partialité

contraires à la présomption-postulat d’impartialité1555.

Certes, on pourrait être tenté de déplorer la maigre place accordée à l’exclusion qui

constitue un véritable mode d’encadrement substantiel des présomptions ; mais ce serait

oublier que le renversement d’une présomption-postulat par une présomption-preuve contraire

participe d’un subtil jeu d’équilibre entre les présomptions et, en quelque sorte, d’une forme

d’autocontrôle du mécanisme présomptif. Dès lors, si les présomptions de renonciation sont

seules à être exclues, c’est qu’elles seules risquent de ruiner l’ensemble du système de

protection des droits fondamentaux. Admettre la renonciation à un droit semble déjà

dangereux, admettre qu’on la présume reviendrait à tenter le diable. Pourtant, même les

présomptions de renonciation, si pernicieuses soient-elles, ne font pas l’objet d’une exclusion

parfaitement rigoureuse, et c’est la seconde observation.

Dans un premier temps, cette observation se fonde sur le fait que certains auteurs voient

dans le système de renonciation tacite à la publicité des débats judiciaires « une sorte de

présomption de renonciation tacite »1556. Si pareille thèse était avérée, cela amoindrirait la

portée de l’exclusion des présomptions de renonciation ; il faut donc vérifier ce qu’il en est.

D’un côté, le mécanisme mis en œuvre dans cette jurisprudence présente d’indéniables

affinités avec la présomption-preuve. Lorsqu’une juridiction a pour habitude de ne pas ouïr

les parties mais ménage la possibilité de débats publics, les parties sont en effet censées avoir

renoncé à de tels débats si elles n’ont pas expressément manifesté leur volonté d’avoir un

procès public. Pour prendre un exemple parmi d’autres1557, l’arrêt Schuler-Zgraggen contre

Suisse énonce : « (…) le règlement du Tribunal fédéral des assurances ménageait en termes

exprès la possibilité de débats "à la requête d’une partie ou d’office" (…). Comme la

procédure devant ladite juridiction se déroule en général sans audience publique, on pouvait

s’attendre à voir Mme Schuler-Zgraggen en solliciter une si elle y attachait du prix. Or il n’en

fut rien. On peut donc considérer qu’elle a renoncé sans équivoque à son droit à une

1555 V. supra : l’articulation entre présomptions-postulats et présomptions preuve. 1556 Jean-François FLAUSS, « A propos de la renonciation à la publicité des débats judiciaires », RTDH, 1991, pp. 494 sq. ; FRUMER Philippe, op. cit., pp. 552-553. 1557 CEDH, 21 février 1990, Hakansson et Sturesson c/ Suède, req. n° 11855/85, § 67 ; CEDH, 24 juin 1993, req. n° 14518/89, 58 ; CEDH, 21 septembre 1993, Zumtobel c/ Autriche, req. n° 12235/86, § 34 ; CEDH, 28 mai 1997, Pauger c/ Autriche, req. n° 16717/90, § 61 ; CEDH, 1er juillet 1997, Rolf Gustafson c/ la Suède, req. n° 23196/94, § 47.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

416

audience publique devant le Tribunal fédéral des assurances »1558. Assurément pareille

formulation donne l’impression qu’un fait inconnu, à savoir la volonté de renoncer au droit à

une audience publique, est inféré d’un fait connu : l’absence de sollicitation d’une telle

audience par les parties. D’ailleurs, Philippe FRUMER affirme sans ambages que « la

passivité dans laquelle se cantonnerait le justiciable permettrait de présumer que la publicité

lui importait peu »1559.

D’un autre côté, il ne semble pas indispensable de recourir au mécanisme présomptif pour

décrypter le processus à l’œuvre dans ces arrêts. Il paraît en effet très proche d’un autre

mécanisme : la déchéance.

La déchéance « entraîne la privation d’une prérogative à l’encontre d’un individu »1560 ; à

ce titre, elle constitue un « remède à la paralysie résultant du non exercice d’un droit

potestatif »1561, c’est-à-dire d’un droit devant être invoqué par son titulaire pour venir à la vie

juridique. Or, dans les affaires concernées, la publicité des audiences était certes possible mais

nullement automatique puisqu’elle devait être sollicitée par le plaideur ; le droit à la publicité

de l’audience était donc potestatif. Dès lors le mécanisme en jeu semble plus proche d’une

déchéance que d’une présomption. Lorsque celui qui pouvait solliciter la publicité d’une

audience ne l’a pas fait, il paraît logique qu’il ne puisse pas invoquer sa passivité ou sa

désinvolture pour se plaindre d’une violation de l’article 6 de la Convention. Pour parvenir à

cette solution, point n’est besoin de prendre appui sur une présomption de volonté. Peu

importe que le plaideur ait entendu renoncer ou non à une audience publique ; l’intérêt n’est

pas de savoir si son inertie était le signe de sa renonciation à la publicité des débats ; ce qui

compte c’est qu’il n’a pas sollicité la prérogative en cause. Reste que la formulation utilisée

par la Cour dans ces arrêts peut donner l’impression que la solution repose sur une valeur

abdicative conférée au silence du plaideur par le biais d’une présomption-preuve de

renonciation.

Dans un second temps, cette observation est liée au sort ambigu réservé par la

jurisprudence européenne aux présomptions d’acceptation d’une violation de la Convention,

sorte de pendant positif aux présomptions de renonciation.

1558 CEDH, 24 juin 1993, Schuler-Zgraggen c/ Suisse, req. n° 14518/89, § 58. 1559 Philippe FRUMER, op. cit., p. 553. 1560 Frédérique DREIFUSS-NETTER, op. cit., p. 200. 1561 Ibid., p. 210.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

417

Outre les présomptions de renonciation à un droit stricto sensu, ce qui pourrait ruiner

l’interprétation dynamique de la Convention et l’effectivité des droits qu’elle garantit et

pourrait heurter l’orientation philosophique du système de protection des droits de l’Homme,

c’est une application desdits droits indexée sur le comportement de leurs titulaires et fondée

sur des présomptions d’acceptation de violation de la Convention. Schématiquement, cette

solution se présenterait comme suit : un individu qui met en danger ou bafoue les droits et

libertés d’autrui ne bénéficierait pas de la protection offerte par la Convention, son

comportement permettant de présumer qu’il se moque d’une telle protection ou, en tout cas,

qu’il ne la mérite pas. On peut constater, avec les Professeurs OST et VAN

DROOGHENBROECK, qu’« une telle conception dénature radicalement les droits de

l’Homme qui cessent alors d’être inconditionnels (leur reconnaissance deviendrait en effet

proportionnelle au mérite des individus) »1562. A priori, ce n’est donc pas celle qui prévaut

dans la jurisprudence européenne1563 . Celle-ci part du principe que la protection

conventionnelle vaut pour toute personne quels que soient ses agissements1564. D’après l’arrêt

Labita contre Italie, « la prohibition de la torture ou des peines ou traitements inhumains ou

dégradants est absolue, quels que soient les agissements de la victime (…). La nature de

l'infraction qui était reprochée au requérant est donc dépourvue de pertinence pour l'examen

sous l'angle de l'article 3 »1565. L’arrêt Saadi contre Italie1566 témoigne aussi du rejet de cette

conception. Dans cette affaire, le requérant, membre d’une cellule terroriste associée à Al-

Qaïda, alléguait que son expulsion par l’Italie vers la Tunisie l’exposerait à un risque de

1562 François OST et Sébastien VAN DROOGHENBROECK, loc. cit., pp. 3-4. 1563 Françoise TULKENS, loc. cit.. Selon Mme le Juge TULKENS, « la protection de la Cour s’applique quels que soient les agissements de la victime ou la nature des faits qui lui sont reprochés ce qui souligne bien le caractère objectif des droits de l’Homme : ils sont accordés aux personnes en raison de la dignité attachée à la personne humaine et non par la volonté du pouvoir ». 1564 Com. EDH, rapport, 10 mars 1994, Nasri c/ France, req. n° 19465/92, § 57 : « La Commission rappelle en outre que si les traitements interdits par l'article 3 (art. 3) de la Convention sont ceux qui atteignent un minimum de gravité et si l'appréciation de ce minimum est relative par essence, l'interdiction de tels traitements dans la Convention est absolue en ce sens qu'une personne ne saurait en perdre le bénéfice en raison de son comportement. Les autorités ne sont donc pas déliées des obligations que leur impose cette disposition, même en face d'une attitude délictuelle ou d'obstruction. Partant, le comportement délictuel du requérant ne saurait le priver de ses droits découlant de l'article 3 (…) de la Convention ». 1565 CEDH, 6 avril 2000, Labita c/ Italie, req. n° 26772/95, § 119. V. aussi : CEDH, 12 janvier 2010, Mole c/ Italie, req. n° 24421/03, § 16 ; CEDH, 16 décembre 2008, Rupa c/ Roumanie (n° 1), req. n° 58478/00, § 93 ; CEDH, 27 mars 2008, Guidi c/ Italie, req. n° 28320/02, § 32 ; CEDH, 15 janvier 2008, Bagarella c/ Italie, req. n° 15625/04, § 28 ; CEDH, 27 novembre 2007, Asciutto c/ Italie, req. n° 35795/02, § 24 ; CEDH, 27 février 2007, Akpinar et Altun c/ Turquie, req. n° 56760/00, § 74 ; CEDH, 14 décembre 2006, Filip c/ Roumanie, req. n° 41124/02, § 35 ; CEDH, 11 juillet 2006, Campisi c/ Italie, req. n° 24358/02, § 37 ; CEDH, 29 juin 2006, Viola c/ Italie, req. n° 8316/02, § 24 ; CEDH, 10 novembre 2005, Argenti c/Italie, req. n° 56317/00, § 20 ; CEDH, 28 juin 2005, Gallico c/ Italie, req. n° 53723/00, § 20 ; CEDH, 18 octobre 2001, Indelicato c/ Italie, req. n° 31143/96, § 30. 1566 CEDH, 28 février 2008, Saadi c/ Italie, req. n° 37201/06.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

418

traitements contraires à l’article 3. Pour pouvoir procéder à l’expulsion, le Royaume Uni, tiers

intervenant, proposait grosso modo de limiter la protection offerte aux terroristes sur le

fondement de l’article 3, sous-entendant inconsciemment qu’« ils sont moins humains »1567.

Or, en réponse à cette argumentation, la Cour affirme « que l’argument tiré de la mise en

balance, d’une part, du risque que la personne subisse un préjudice en cas de refoulement et,

d’autre part, de sa dangerosité pour la collectivité si elle n’est pas renvoyée repose sur une

conception erronée des choses. Le « risque » et la « dangerosité » ne se prêtent pas dans ce

contexte à un exercice de mise en balance car il s’agit de notions qui ne peuvent qu’être

évaluées indépendamment l’une de l’autre. En effet, soit les éléments de preuve soumis à la

Cour montrent qu’il existe un risque substantiel si la personne est renvoyée, soit tel n’est pas

le cas. La perspective que la personne constitue une menace grave pour la collectivité si elle

n’est pas expulsée ne diminue en rien le risque qu’elle subisse des mauvais traitements si elle

est refoulée »1568.

Pourtant, prenant le contrepied de cette conception, la Cour fait explicitement appel à une

sorte de présomption d’acceptation d’une violation de la Convention liée au comportement du

requérant. Il s’agit de la présomption selon laquelle celui qui s’est enfui d’un pays adhérant au

principe de la prééminence du droit ne peut pas se plaindre de la durée déraisonnable de la

procédure. Concrètement, pour analyser si la durée de la procédure a respecté l’article 6, la

Cour ne prend pas en compte la durée pendant laquelle le requérant était en fuite. D’après

l’arrêt Vayiç contre Turquie, « (…) la fuite d’un accusé a par elle-même des répercussions sur

l’étendue de la garantie offerte par l’article 6 § 1 quant à la durée de la procédure.

Lorsqu’un accusé s’enfuit d’un Etat adhérant au principe de la prééminence du droit, il y a

lieu de présumer qu’il ne peut pas se plaindre d’une durée déraisonnable de la procédure

pour la période postérieure à sa fuite, à moins qu’il ne fasse état de motifs suffisants de

nature à faire écarter cette présomption »1569. En cherchant à se soustraire à la justice de son

pays, le requérant est donc présumé avoir accepté le risque d’un allongement de la durée de la

procédure. D’une manière assez comparable, dans l’affaire Dupuis contre Belgique1570, la

Commission, pour déclarer irrecevable la requête de M. Dupuis qui se plaignait de la partialité

du tribunal militaire l’ayant condamné pour désertion, considéra qu’il ne pouvait se plaindre

1567 Ibid., opinion concordante du Juge ZUPANČIČ. 1568 Ibid., § 139. 1569 CEDH, 20 juin 2006, Vayiç c/ Turquie, req. n° 18078/02, § 44. V. aussi : CEDH, 11 juillet 2006, Teslim Töre c/ Turquie (n° 2), req. n° 13244/02 ; CEDH, 13 décembre 2007, Özcan c/ Turquie, req. n° 2209/03, § 24. 1570 Com° DH, 8 septembre 1988, Dupuis c/ Belgique, req. n° 17717/87.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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d’une violation à laquelle il avait contribué par son comportement1571 : « (…) par son attitude,

le requérant a fait un choix qui impliquait que sa cause soit soumise aux tribunaux militaires.

(…) le requérant a lui-même créé une situation aux termes de laquelle, en refusant de se

rendre au centre d'instruction pour accomplir son service militaire, il a été déféré aux

juridictions militaires sous la prévention de désertion (…). Compte tenu de l'attitude du

requérant, il ne peut pas se plaindre d'une situation qu'il a lui-même contribué à créer et ne

peut donc se prétendre victime d'une violation de l'article 6 (…) due au prétendu caractère

objectivement partial des tribunaux militaires pour examiner sa cause ». En somme, tout

déserteur, sachant qu’il risque d’être attrait devant une juridiction militaire, est présumé avoir

accepté la partialité de celle-ci.

Aberrante, cette solution révèle un manque de rigueur dans l’exclusion des présomptions

illégitimes ; elle semble heureusement n’avoir guère fait d’émules1572 ! Au contraire, en écho

à l’exclusion européenne des présomptions illégitimes, un courant visant à supprimer des

présomptions illégitimes irrigue le droit positif français.

§ 2- La suppression française des présomptions illégitimes

En droit positif français, la chasse aux présomptions illégitimes est ouverte ! En

l’espace de quelques années, diverses présomptions, parmi les plus connues, ont été

supprimées. Notoriété ne signifie pas forcément légitimité ; quelques présomptions,

singulièrement artificielles, devenues à ce point obsolètes au fil du temps qu’elles ont fini par

être écartées, suffisent à s’en convaincre. Ainsi les présomptions d’interposition de personnes

de l’article 1100 du Code civil (A-), les présomptions de survie découlant de la théorie des

comourants(B-) ou encore la présomption de représentativité des syndicats (C-) ont-elles

aujourd’hui disparu, faute d’être restées – ou pire d’avoir jamais été – légitimes.

1571 Philippe FRUMER, op. cit., p. 235. 1572 Dans l’affaire Di Mauro contre Italie (CEDH, 28 juillet 1999, Di Mauro c/ Italie, req. n° 34256/96), la Cour aurait très bien pu recourir à une telle présomption d’acceptation de la violation, ce qu’elle n’a pas fait. Le requérant, assigné en justice pour des retards dans le paiement de loyers dus et refus de libérer l’appartement qu’il occupait, se plaignit devant la Cour d’une violation de l’article 6 § 1 en raison de la longueur de la procédure. Or, à bien y regarder, il avait tout intérêt à ce que la procédure se prolonge puisqu’elle était dirigée à son encontre et visait à lui faire quitter l’appartement qu’il occupait. En quelque sorte, le requérant se présentait comme victime d’une violation dont il avait en fait profité. En l’espèce, une présomption d’acceptation de la complexité de la procédure aurait paru justifiée ; la Cour a pourtant accepté d’admettre la violation de l’article 6.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

420

A- L’abrogation des présomptions d’interposition de personnes de

l’article 1100 du Code civil

Aux termes de l’ancien article 1100 du Code civil, « Seront réputées faites à personnes

interposées, les donations de l’un des époux aux enfants ou à l’un des enfants de l’autre

époux issus d’un autre mariage, et celles faites par le donateur aux parents dont l’autre

époux sera héritier présomptif au jour de la donation, encore que ce dernier n’ait point

survécu à son parent donataire ». Cette disposition complétait l’alinéa 2 de l’article 1099,

lequel interdisait les donations entre époux consenties par personnes interposées. L’article

1100 a été abrogé par la loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale1573. Deux ans plus

tard, l’alinéa 2 de l’article 1099 a lui aussi disparu1574.

Le but de ce dispositif législatif, désormais supprimé, était d’empêcher la fraude

consistant à faire une donation au conjoint par l’entremise d’un tiers. Pareille donation aurait

en effet permis de contourner la libre révocabilité des donations entre époux résultant de

l’article 1096 dans sa rédaction antérieure à loi du 26 mai 20041575.

Si l’article 1100 est la première pièce de ce dispositif à avoir disparu, c’est qu’il y jouait le

rôle principal : il permettait de tenir l’interposition de certaines personnes pour acquise grâce

à deux présomptions. La première établissait que les parents dont le conjoint donataire était

héritier présomptif lors de la donation étaient interposés. La seconde disposait que les enfants

issus d’un autre mariage du conjoint donataire étaient interposés.

Or, on ne saurait trouver d’autre raison à la suppression de ces présomptions que leur

ancrage dans une idéologie très datée, en décalage avec les réalités contemporaines, ne

recueillant plus ni le soutien de la jurisprudence1576, ni l’adhésion de la doctrine. Déjà en 1996,

le Professeur PATARIN constatait que « la nullité des donations entre époux faites par

personne interposée et la présomption d’interposition (…) font partie d’un ensemble de règles

inspirées par une défiance ancestrale à l’encontre des conséquences patrimoniales des

1573 Loi du 4 mars 2002 n° 2002-305. 1574 Loi du 26 mai 2004 n°2004-439. 1575 Ibid.. 1576 D’abord favorable aux présomptions d’interposition, la jurisprudence les avait déclarées irréfragables (Cass. Civ. 1, 15 février 1961, Bull. civ., I, n° 104) et en avait étendu le champ d’application aux enfants naturels simples du conjoint donataire ( Cass. Civ. 1, 24 janvier 1990, Bull. civ., I, n° 22) ou encore à ses enfants adoptifs ( Cass. Civ. 1, 5 janvier 1965, Bull. civ., I, n° 12). Mais, ensuite, la jurisprudence a restreint le domaine d’application desdites présomptions, en déclarant l’article 1100 inapplicables aux legs (Cass. Civ. 1, 2 avril 1996, Bull. civ., I, n° 160 ; Jacques PATARIN, obs. ss Cass. Civ. 1, 2 avril 196, RTD civ, 1996, p. 965).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

421

remariages et destinées, séparément ou cumulativement à protéger la liberté d’esprit du

disposant contre les entraînements et les pressions subis à l’occasion d’un nouveau foyer

conjugal, à préserver les intérêts des enfants issus d’un précédent mariage du disposant et à

assurer la conservation des biens dans la famille »1577. A l’heure de « la banalisation des

familles recomposées »1578, les présomptions de l’article 1100 ont même pu être qualifiées

d’« injustes »1579 dans la mesure où elles créaient de véritables incapacités de recevoir à titre

gratuit à l’égard des beaux-parents et beaux-enfants du donateur. D’après les rapports de

l’Assemblée nationale1580 et du Sénat1581, l’absence de prise en compte de la situation des

familles recomposées par les présomptions d’interposition apparaît clairement comme la

cause de leur disparition.

En définitive, le sort des présomptions de l’article 1100 est dû à leur manque de légitimité.

Celle-ci apparaît donc comme un critère de toilettage du droit des présomptions, ce que

confirme le cas des présomptions de survie liées à la théorie des comourants.

B- La fin des présomptions de survie découlant de la théorie des

comourants

« Le premier né, le dernier mort »1582 : cet adage, issu de la théorie des comourants, révèle

déjà tout le caractère artificiel de celle-ci. Destinée à pallier les problèmes probatoires en cas

de décès, lors d’un même événement, de plusieurs personnes respectivement appelées à la

succession l’une de l’autre, la théorie des comourants se traduit par plusieurs présomptions de

survie tirées de l’âge et du sexe1583. « Le législateur, résument les Professeurs ROLAND et

BOYER, présume que c’est le plus fort qui a survécu ; pour déterminer le plus fort, il se règle

sur l’âge et sur le sexe, découpant la vie en trois périodes »1584. Si les comourants ont tous

moins de quinze ans, le plus âgé est réputé avoir survécu. S’ils ont entre quinze et soixante

1577 Jacques PATARIN, obs. préc.. 1578 François SAUVAGE, « La discrète abrogation de l’article 1100 du Code civil », JCP N, 2002, pp. 879 sq., spéc. p. 880. 1579 Ibid., p. 880. 1580 Assemblée nationale, Rapport n° 3117 fait par M. Marc DOLEZ, [http://www.assemblee-nationale.fr/11/rapports/r3117.asp], (2010-05-28). Selon le rapporteur « cette suppression semble souhaitable dans la mesure où elle permet de mieux prendre en compte la situation des familles recomposées ». 1581 Sénat, Rapport n° 71 fait par M. Laurent BETEILLE, [http://www.senat.fr/rap/l01-071/l01-071_mono.html], (2010-05-28). D’après le rapporteur, la suppression des présomptions « semble (…) bienvenue pour permettre aux beaux parents, dans les familles recomposées, d'effectuer des donations à leurs beaux enfants ce que leur interdit actuellement, l'article 1100 ». 1582 Henri ROLAND et Laurent BOYER, op. cit., « Le premier né le dernier mort », n° 366. 1583 Nicolas DIRADOURIAN, « La fin des comourants », G. P., 3 octobre 2002, n° 276, pp. 13 sq. 1584 Henri ROLAND et Laurent BOYER, op. cit., « Le premier né le dernier mort », n° 366, p. 669.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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ans, le plus jeune est présumé avoir survécu, mais si l’âge est le même à une année près, la

femme est censée être décédée la première. S’ils ont plus de soixante ans, le plus jeune est

considéré comme décédé le dernier, sans distinction de sexe.

Autrefois énoncée par les articles 720 et suivants du Code civil, la théorie des comourants

a été abrogée par la loi du 3 décembre 20011585. Désormais, c’est l’article 725-11586 qui règle

le problème des morts collectives. Il prévoit que l’ordre des décès peut être établi par tout

moyen ; il envisage également le cas où l’ordre des décès ne peut être déterminé : la

succession de chacune des personnes décédées est alors dévolue sans que l’autre y soit

appelée. Mais de présomptions légales, il n’est plus question.

Des causes de cette suppression, la doctrine ne fait pas mystère. Est évoquée la contrariété

de la théorie des comourants avec le principe d’égalité des sexes1587, et, plus largement,

« l’inéquité du système »1588 ainsi mis en place. A cet égard, ce qui frappe, c’est l’aspect

trivial, pour ne pas dire sordide, des présomptions de survie. Plus proche du calcul d’épicier

que de la Justice, elles spéculent sur l’heure de la mort à des fins successorales et

déshumanisent en quelque sorte les défunts concernés. Les applications jurisprudentielles de

la théorie des comourants ont d’ailleurs largement illustré cet aspect des choses. Mais sa

déclinaison la plus caricaturale date de l’époque révolutionnaire. La loi du 20 prairial an IV

envisageait en effet le cas des exécutions collectives : « Lorsque des descendants, des

ascendants et autres personnes qui se succèdent de droit auront été condamnés au dernier

supplice, et, que mis à mort dans la même exécution, il devient impossible de constater leur

prédécès, le plus jeune des condamnés sera présumé avoir survécu »1589.

1585 Loi n° 2001-1135 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral. 1586 Article 725-1 du Code civil : « Lorsque deux personnes, dont l'une avait vocation à succéder à l'autre, périssent dans un même événement, l'ordre des décès est établi par tous moyens. Si cet ordre ne peut être déterminé, la succession de chacune d'elles est dévolue sans que l'autre y soit appelée. Toutefois, si l'un des codécédés laisse des descendants, ceux-ci peuvent représenter leur auteur dans la succession de l'autre lorsque la représentation est admise ». 1587 Nicolas DADOURIAN, loc. cit. ; Proposition de loi tendant à modifier l'article 722 du Code civil pour supprimer toute discrimination entre les hommes et les femmes dans l'ouverture des successions, n° 3272, présentée par Mme ZIMERMANN, députée, [http://www.assemblee-nationale.fr/11/propositions/pion3272.asp], (2010-05-28). 1588 Henri ROLAND et Laurent BOYER, op. cit., « Le premier né le dernier mort », n° 366, p. 670. 1589 Cette loi est citée par les Professeurs ROLAND et BOYER. Henri ROLAND et Laurent BOYER, op. cit., « Le premier né le dernier mort », n° 366, p. 669.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

423

En définitive, les présomptions de survie, jugées à la fois désuètes, obsolètes,

anachroniques, artificielles, injustes et inéquitables1590, souffraient d’un incurable manque de

légitimité. On peut même soutenir qu’elles étaient au mécanisme présomptif ce que le

sophisme est au syllogisme : une illusion malhonnête. Elles ne s’appuyaient ni sur la

probabilité, ni sur l’expérience mais seulement sur la volonté ; l’arbitraire était à l’œuvre.

Assurément, le mécanisme présomptif se dévoyait en restant au service de la théorie des

comourants.

C- La disparition progressive de la présomption de représentativité

des syndicats

Pour un syndicat, être considéré comme représentatif est un enjeu majeur ; la

représentativité correspond en effet à la capacité du syndicat de s’exprimer au nom des

salariés dont il défend les intérêts. Désormais elle est déterminée à partir de divers critères1591

comme « le respect des valeurs républicaines », « la transparence financière »,

« l’audience » électorale établie à partir des résultats aux élections professionnelles ou encore

« l’influence, prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience ». A terme, la

présomption irréfragable traditionnellement accordée aux syndicats affiliés aux organisations

représentatives sur le plan national désignées par l’arrêté du 31 mars 19661592, est donc

condamnée, quoiqu’elle survive encore quelque temps grâce au droit transitoire1593. En vertu

de cette présomption, il suffisait au syndicat d’établir son affiliation à l’une des organisations

nationales représentatives pour être considéré comme représentatif dans l’entreprise, peu

importait qu’il n’y ait en réalité aucun adhérent1594.

De nombreux reproches on été adressés à ce système. Considéré comme une « entrave à

l’épanouissement du pluralisme » et « un frein à la relance du dialogue social »1595, on l’a

1590 V. notamment : Isabelle CORPART, « L’éphémère survivance de la théorie des comourants », D., 2005, pp. 2055 sq., spéc. p. 2056. 1591 Article L2121-1 du Code du travail. 1592 L’arrêté déclare représentative au niveau national interprofessionnels cinq confédérations : la CGT (Confédération générale du travail), la CGTFO (Confédération générale du travail – Force Ouvrière), la CFDT (Confédération française démocratique du travail), la CFTC (Confédération française des travailleurs chrétiens) et la CGC (Confédération générale des cadres). 1593 Sur ce point, V. notamment : Georges BORENFREUND, loc. cit., pp. 718-721 ; François DUSQUESNE, op. cit., pp. 394-395, § 794. 1594 Manoëlla RASSELET, loc. cit., p. 5 ; Cass. Soc., 4 juillet 1990, Bull. civ., V, n° 351. 1595 DUSQUESNE, op. cit., p. 397, § 800.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

424

accusé de « fige[r] le paysage syndical »1596. Si ces reproches ont finalement conduit la loi du

20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale1597 à l’abandon de la présomption,

c’est qu’ils reflétaient son manque de légitimité. D’ailleurs, l’avis de 2006 du Conseil

économique et social intitulé Consolider le dialogue social1598, insistait fortement sur cet

aspect : « Cette situation qui pouvait avoir sa justification dans le contexte historique de

l’après-guerre apparaît aujourd’hui largement obsolète. La présomption irréfragable de

représentativité avait été mise en place pour faciliter l’implantation syndicale dans

l’entreprise et éviter les contentieux multiples et systématiques. Aujourd’hui, le principe d’une

représentativité syndicale conférée à certains ad vitam aeternam par la puissance publique

n’est plus compris. C’est une des sources de distanciation pour les salariés eux-mêmes. Notre

assemblée considère qu’une nouvelle définition de la représentativité des organisations

syndicales de salariés s’avère nécessaire : c’est une exigence d’équité, de réalisme,

d’efficacité et de démocratie qui doit enrichir le présent et l’avenir ».

Ainsi, la légitimité constitue-t-elle un critère permettant d’éliminer les présomptions

malvenues. Ce faisant, elle améliore la qualité du droit des présomptions et contribue déjà à sa

pérennité.

1596 Pour un dialogue social efficace et légitime : représentativité et financement des organisations professionnelles syndicales, Rapport au Premier Ministre présenté par Raphaël HADAS-LEBEL, mai 206, p. 82, [http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000364/0000.pdf], (2010-05-29). 1597 Loi n° 2008-789 du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail. 1598 Avis du Conseil économique et social, Consolider le dialogue social, 2006, avis présenté par MM. Paul AURELLI et Jean GAUTIER, p. 10, [http://www.conseil-economique-et-social.fr/rapport/doclon/06120423.pdf], (2010-05-29).

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

425

Section 2- La légitimité, source de pérennité du droit des

présomptions

Les présomptions ne sauraient être d’authentiques facteurs d’évolution qu’à condition

d’être durablement ancrées dans le système juridique car, par hypothèse, l’évolution du Droit

s’inscrit dans la durée, dans un « mouvement lent et continu »1599, presque majestueux.

Or, leur légitimité place les présomptions dans une perspective à long terme. Elle

débouche en effet sur une solution acceptable par le commun des mortels et traduit la

rentabilité systémique des présomptions. Autrement dit, elle ouvre la voie à l’adhésion et à

l’utilité, éléments qui assurent la pérennité des présomptions et fondent, par contrecoup, leur

potentiel progressiste.

Vérité d’adhésion (§ 1-), vérité utile (§ 2-), la présomption est pérenne.

§ 1- De la légitimité à l’adhésion

La vérité à laquelle parvient la présomption est précaire, ce qui semblerait, à première vue,

altérer sa légitimité. Cette première impression ne résiste pas à l’analyse : pour susciter

l’adhésion des justiciables, la présomption donne comme solution ce qui est conforme à

l’ordre normal des choses ; est donc en jeu une forme de légitimité par la normalisation (A-).

Ce constat est conforté par le fait que la présomption, de légitime, devient parfois légitimante

(B-).

A- La légitimité par la normalisation

Quoi de plus rassurant, quoi de plus digne d’être agréé que ce qui est normal ? Rhétorique,

cette question vise à mettre d’emblée en valeur le fait que la normalité constitue une source de

légitimité. Car, si les présomptions sont socialement acceptables, c’est qu’elles se conforment,

ou tout au moins donnent l’impression de se conformer, au cours normal des choses1600. Celui

qui présume dépasse en effet le risque d’instrumentalisation lié à la subjectivité de son

raisonnement quand, conscient de la précarité radicale de sa pensée, il vise la vérité et l’ordre

normal des choses comme justification de son acte présomptif.

1599 Raymond BARRAINE, op. cit., p. 288. 1600 Xavier LAGARDE, op. cit., p. 362.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

426

A titre d’exemple, la présomption de paternité légitime est calquée sur le cours normal des

choses dans la mesure où, d’ordinaire, l’enfant d’une femme mariée a pour père l’époux de sa

mère. Cette indexation de la présomption sur ce qui arrive habituellement n’en fait pas pour

autant le vecteur exclusif d’une normalité de bon aloi : la présomption s’inscrit parfois dans

une logique délinquante car, dans certains contextes, la délinquance est l’ordre normal des

choses. Par exemple, la présomption de l’article 225-6, 3° du Code pénal qui assimile au

proxénétisme le fait « de ne pouvoir justifier de ressources correspondant à son train de vie

tout en vivant avec une personne qui se livre habituellement à la prostitution ou tout en étant

en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à la prostitution » repose,

à l’instar des autres présomptions liées à des délits de fréquentation1601, sur une normalité

délinquante.

Le droit européen des droits de l’Homme affermit le constat selon lequel la présomption

peut se fonder sur une normalité décadente. La Cour EDH prend parfois en compte le

contexte globalement troublé régnant dans l’Etat défendeur pour présumer le décès d’un

individu dans des circonstances obscures1602. De même, il lui arrive de présumer la violation

de l’article 14 à partir d’un climat général discriminatoire1603.

L’éventuelle prise de distance de la présomption à l’égard de la réalité et de la probabilité,

parfois audacieuse, est donc compensée par une certaine exaltation de sa fidélité à une vision

du monde relativement simpliste - mais de ce fait efficace - fondée sur ce qui est normal. Par

conséquent, l’idée de normalité, semble convenir à la description des fondements du

mécanisme présomptif. Constatée en pratique, cette adéquation a en outre été soulignée par la

doctrine. Ainsi le Professeur DABIN, après avoir souligné la nécessité pour la présomption de

se justifier rationnellement, soutient-il que « la loi ne peut présumer, même sous réserve de

preuve contraire, que ce qui est normal1604, ou, sinon, la présomption dégénère en

fiction »1605. Pour Françoise LLORENS-FRAYSSE, l’idée de normalité, « enracinée dans la

réalité, même si elle en altère parfois les contours, (…) est assez vague pour convenir à toutes

1601 L’article 321-6 du Code pénal étend le système de présomptions basées sur l’absence de justification des ressources à l’ensemble des infractions procurant un profit et punies d’au moins cinq ans d’emprisonnement. Sur cette question, V. Virginie HECQUET, op. cit., pp. 51 sq. 1602 V. supra, à propos du contentieux des disparitions forcées en Turquie et Tchétchénie. 1603 Pour la discrimination à l’égard des femmes en Turquie, V. CEDH, 9 juin 2006, Opuz c/ Turquie, req. n° 33401/02. Pour la discrimination à l’égard des Roms, V. entre autre : CEDH, 13 novembre 2007, D. H. c/ République Tchèque, req. n°57325/00. 1604 C’est nous qui soulignons. 1605 Jean DABIN, op. cit. p. 16, p. 292 n° 256.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

427

les présomptions » 1606 , elle serait même « parfaitement adéquate en raison de

l’indétermination qui la caractérise, parce qu’elle englobe et dépasse la notion de

probabilité »1607. Ce dernier constat révèle que les affinités entre présomption et normalité ont

également de solides fondements théoriques.

La normalité décrit ce qui est, par référence au cours habituel des événements. Elle

correspond en effet ce qui est courant, à savoir ce que l’expérience permet de qualifier de

processus ordinaire, mais aussi à ce qui est probable. Par conséquent, il s’agit d’un mélange

d’empirisme et de probabilité, les deux éléments-clefs de toute présomption. Mais la

normalité ne se réduit pas à cette description de ce qui est ; c’est aussi quelque chose de plus,

comme un jugement de valeur qui ne dit pas son nom ou une orientation discrète dans une

direction donnée. La normalité indique en effet ce qui devrait être. Bref, ce n’est pas

seulement le Sein, c’est aussi le Sollen. Le Professeur RIALS a démontré que la normalité est

un standard juridique qui a deux sens, un sens dogmatique et un sens descriptif1608. « Cette

équivocité fondamentale, explique-t-il, (...) n’est autre que celle de l’être et du devoir être, de

l’immanence et de la transcendance »1609. Or, cette équivocité se retrouve au sein des

présomptions. D’un côté, certaines d’entre elles correspondent essentiellement à la normalité

descriptive, c’est-à-dire à la moyenne des comportements effectivement adoptés par les

justiciables dans des circonstances données. Tel est le cas de la présomption de paternité ou

encore des présomptions de culpabilité. D’un autre côté, diverses présomptions indiquent ce

qui devrait être et se caractérisent surtout par un aspect transcendant – parfois performatif1610.

Ainsi la présomption d’innocence, qui « exprimerait un objectif de l’ordre du désirable »1611,

ou la présomption de bonne foi, laquelle « dérive d’un principe de confiance »1612, véhiculent-

elles une vision positive de la nature humaine, contribuant par là-même à asseoir la légitimité

du droit des présomptions.

En définitive, calquée sur la normalité, la présomption vise à convaincre et à susciter

l’approbation. Vérité d’adhésion, elle est légitime. Ce processus de légitimité par la

normalisation est aussi singulier que performant. Singulier, d’abord, il guide la construction

de la présomption : il est en quelque sorte intrinsèque et constitue un rempart initial contre

1606 Françoise LLORENS-FRAYSSE, op. cit., p. 48. 1607 Ibid., p. 49. 1608 Stéphane RIALS, op. cit., pp. 75. 1609 Ibid., p. 75. 1610 V. supra : le caractère performatif de la présomption. 1611 Marie-Laure LANTHIER, loc. cit.. 1612 Jean-François CESARO, op. cit., p. 347.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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l’arbitraire, un moyen de canaliser la dangereuse malléabilité présomptive. Performant ensuite,

il intervient a priori et garantit une forme de sécurité juridique. Ce qui est normal étant ce qui

arrive habituellement, c’est aussi ce qui est prévisible. Le résultat de la présomption indexé

sur le cours normal des choses se veut sans surprise, à quoi l’on cerne les liens entre normalité

et sécurité juridique au sein du mécanisme présomptif. En outre, ce processus de légitimité

peut être qualifié de performant car il n’épargne aucune présomption : il ne s’arrête pas aux

portes de l’explicite et s’avère efficace à l’égard des présomptions-concepts qui échappent

pourtant aux autres modes d’encadrement traditionnels, telle l’exigence de réfragabilité. Les

présomptions-concepts reposent elles aussi sur une forme de normalisation. Par exemple, la

ratio legis de l’article L2212-1 Code de la santé publique en vertu duquel la femme enceinte

peut demander à un médecin l'interruption de sa grossesse, laquelle pourra être pratiquée

jusqu’à la fin de la douzième semaine, est une présomption-concept de détresse de la femme

enceinte pendant le début de sa grossesse. Or, cette présomption est fondée sur l’ordre normal

des choses, une femme enceinte étant particulièrement vulnérable.

Enfin, si l’on admet que la présomption reflète l’ordre normal des choses, une dernière

question se pose : existe-t-il un sens commun transculturel qui véhiculerait une vision

mondialisée de la normalité et conférerait à la présomption une portée quasi universelle ?

Cette question été posée dans des termes approchants par Thomas M. FRANCK et Peter

PROWS1613. Ces auteurs envisagent la possibilité d’une internationalisation du mécanisme

présomptif, l’expérience qui en constitue le fondement pouvant désormais être virtuelle ou

imaginative et donc globalisée grâce aux avancées dans les technologies de la

communication1614. « It thus seems that presumptions are almost as viable a part of

international as of national jurisprudence. That this should be so is not surprising because

the experiential matrix of humanity has been globalized. International lawyers on

transnational tribunals tend to have, or be able to imagine, very similar experiences leading

to a common sense of causality and probability »1615, écrivent-ils. Dans cette optique, le droit

de la CEDH prouve que de telles présomptions, fondées sur un sens commun transculturel,

1613 Thomas M. FRANCK et Peter PROWS, loc. cit.. 1614 Ibid., p. 235 : « Presumptions (…)involve a prediction that may based (as Hume believed) always on actual experience or perhaps also, or alternatively, on an imaginative capacity to “experience” vicariously the actual impact of external events on others than oneself. In an age of exponentially-developing vicarious experience, thanks to film, television, the internet and mass travel, it is logical to deduce that more persons have “experienced” far more widely than at any time in history. Moreover, thanks to modern technology and communications, they have experienced, vicariously or empathetically if not actually, many of the same things ». 1615 Ibid., p. 237.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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existent déjà : cette branche du droit n’hésite pas à créer ses propres présomptions, lesquelles

concernent des justiciables provenant de quarante-sept Etats différents. De manière encore

plus significative, les présomptions de responsabilité en matière de droit à la vie et

d’interdiction de la torture dont la Cour de Strasbourg fait usage sont elles-mêmes la copie de

celles créées par la Cour interaméricaine dans le contentieux des disparitions forcées. Il existe

donc bien un sens commun transculturel pouvant servir de fondement à des présomptions

transversales. L’avenir des présomptions est donc assuré !

B- La présomption, mécanisme de légitimation

Dans sa jurisprudence relative à l’espérance légitime1616 (1-), la Cour EDH a pleinement

mis en lumière l’aspect communicatif de la légitimité présomptive (2-).

1- La présomption, base juridique d’une espérance légitime

Pour être légitime, une espérance doit avoir une base juridique, laquelle peut notamment

être constituée par la loi ou la jurisprudence1617. D’après W. JEAN-BAPTISTE, cette base

juridique octroie une certaine légitimité à l’acte d’espérer1618. Lorsque l’espérance prospère à

partir d’une loi, la légitimité conférée à l’espérance se confond en quelque sorte avec la force

obligatoire de la loi ; il s’agit d’ « une forme de légitimité par autorité »1619. En revanche,

lorsque la base juridique de l’espérance est une jurisprudence, le mécanisme de légitimation

est différent, faute pour la jurisprudence d’être dotée d’une force similaire à celle de la loi. La

légitimité provenant de la jurisprudence serait donc moins un argument d’autorité ; « elle

participe[rait] de la cohérence d’un système, de la protection de ses valeurs

fondamentales »1620. A cet égard, on peut soutenir, en s’appuyant sur l’arrêt Kopecký contre

Slovaquie1621, que le mécanisme présomptif explique parfois le rôle légitimant joué par la

jurisprudence. Faisant référence à l’un de ses arrêts précédents, l’arrêt Pressos Compania

Naviera1622 dans lequel les requérants avaient dénoncé une violation de leur droit au respect

1616 Sur cette question, V. : Walter JEAN-BAPTISTE, L’espérance légitime, Thèse, Limoges, 2009. 1617 Ibid., p. 88 : « La base juridique sur laquelle repose une espérance légitime est générale, lorsqu’elle n’est pas élaborée dans le cadre d’un lien spécial entre un requérant et l’entité à laquelle il est demandé de respecter l’espérance en question. La base générale prendrait donc naissance essentiellement dans la loi et la jurisprudence ». 1618 Ibid., p. 87. 1619 Ibid., p. 89. 1620 Ibid., p. 93. 1621 CEDH, 28 septembre 2004, Kopecký c/ Roumanie, req. n° 44912/98. 1622 CEDH, 20 novembre 1985, Pressos Compania Naviera S.A. c/ Belgique, req. n° 17849/91.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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des biens du fait de l’intervention d’une loi leur ayant fait perdre toute possibilité d’obtenir

une indemnisation dans le cadre d’actions en responsabilité engagées contre l’Etat alors même

que la jurisprudence antérieure leur en offrait la possibilité, la Cour énonce que l’espérance

légitime se rapporte parfois « à la présomption selon laquelle la jurisprudence constante des

juridictions nationales continuerait de s’appliquer à l’égard des dommages déjà causés »1623.

En somme, la jurisprudence peut servir de base juridique à l’espérance légitime car il existe

une présomption, fondée sur l’ordre normal des choses et sur une volonté d’assurer la sécurité

juridique et la cohérence du droit positif, d’après laquelle la jurisprudence constante continue

à s’appliquer aux dommages déjà causés. La légitimité de la présomption rejaillit en quelque

sorte sur l’espérance des requérants, laquelle apparaît alors comme la traduction subjective

d’une attente juridiquement fondée ; la légitimité de la présomption est donc communicative.

2- La légitimité présomptive, une légitimité communicative

La présomption débouche sur une connaissance normalisée, susceptible d’être acceptée

par tous ; elle apparaît donc comme une authentique source de vérité au sens sociologique du

terme1624 . En effet, pour les sociologues, « la vérité consiste non pas dans la conformité de

l’esprit avec le réel, mais dans l’accord des esprits entre eux »1625 ; est donc vrai ce qui est

admis dans une société donnée. Par conséquent, la légitimité présomptive revêt une telle force

qu’elle est communicative, la présomption devenant elle-même un mécanisme de légitimation.

Ce phénomène de contagion de la légitimité présomptive a été pressenti par la doctrine.

Selon le Professeur X. LAGARDE, si les solutions des décisions de justice « peuvent être

justifiées par une présomption, [elles] seront perçues comme prenant acte d’un comportement

que [l] es parties auraient en temps normal librement adopté. Cette tentative de faire oublier

que la décision du juge impose aux parties une réalité différente de celle à laquelle elles

prétendaient s’analyse comme un mécanisme de légitimation »1626. Dans le même ordre

d’idées, le Professeur DEVEZE voit dans les présomptions le moyen de « faire passer » ou

d’ « introduire dans le droit positif »1627 les idées force de certaines réformes législatives.

1623 CEDH, 28 septembre 2004, Kopecký c/ Roumanie, req. n° 44912/98, § 48. 1624 Roger VERNEAUX, Epistémologie générale ou critique de la connaissance, Beauchesne, Paris, 1959, pp. 83-84. 1625 Ibid., p. 83. 1626 LAGARDE Xavier, op. cit., p. 362. 1627 Jean DEVEZE, op. cit., p. 488.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

431

En définitive, cette puissance légitimante du mécanisme présomptif est seulement l’un des

versants de la dimension dogmatique que la présomption tire de sa normalisation : si cette

technique affermit parfois les espoirs des uns, il arrive à l’inverse qu’elle anéantisse ceux des

autres, ceux qui précisément ne suivent pas le cours normal des choses. On ne saurait en effet

oublier que la présomption favorise toujours une thèse au détriment d’une autre. Dès lors, la

normalisation est susceptible de fonctionner « en creux » ; comme l’explique le Professeur X.

LAGARDE, « (…) opposer une présomption à un plaideur revient à lui signifier qu’il n’est

pas dans la norme et qu’en conséquence ses prétentions ne sauraient trouver leur place dans

le jeu social. La contestation que développerait le plaideur victime d’une présomption est

ainsi privée de toute résonance sociale »1628.

Quoi qu’il en soit, les présomptions, mode d’expression du standard de normalité, offrent

une vision schématique des rapports sociaux et imposent par là-même une vision du monde à

finalité pratique1629 ; voilà pourquoi, après avoir dérivé de la légitimité à l’adhésion, on en

vient à l’utilité.

§ 2- De la légitimité à l’utilité

Une appréciation globale de l’utilité présomptive (B-) semble mieux à même de mettre en

valeur ses répercussions sur la légitimité présomptive qu’une appréciation au cas par cas (A-).

A- L’appréciation casuistique de l’utilité présomptive

De prime abord, la tentation est grande d’interpréter l’éventuelle inadéquation d’une

présomption avec la réalité comme le signe de son inutilité. Pourtant, le fait que l’hypothèse

présumée se révèle finalement incorrecte ne suffit pas à démontrer l’inutilité d’une

présomption, loin s’en faut. Quelques exemples permettent de le comprendre.

Celui des présomptions-preuves de responsabilité en matière de droit à la vie et

d’interdiction de la torture et des traitements inhumains et dégradants, tout d’abord : l’objectif

de ces présomptions étant d’obliger l’Etat à justifier les traitements infligés aux personnes qui

étaient aux mains de ses agents, le fait qu’il parvienne finalement à les renverser ne signifie

pas qu’elles sont inutiles mais, au contraire, qu’elles ont parfaitement joué leur rôle,

l’obligeant effectivement à se justifier.

1628 Xavier LAGARDE, loc.cit., p. 39. 1629 Xavier LAGARDE, op. cit., p. 363. Selon cet auteur, les présomptions véhiculent une « sociologie officielle, laquelle peut se définir comme une conception à finalité pratique des rapports sociaux ».

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

432

Celui de la présomption-postulat d’innocence, ensuite : cette présomption vise à éviter la

condamnation d’innocents, non à empêcher la désignation de coupables ; par conséquent,

même si l’accusé, initialement présumé innocent, est finalement reconnu coupable, cela ne

signifie pas que la présomption d’innocence n’a pas rempli sa mission.

Celui de la présomption-concept de dangerosité des marginaux, enfin : cette présomption

rend simplement possible la détention de marginaux en dehors d’une infraction pénale dès

lors qu’ils sont dangereux pour la société ou pour eux-mêmes ; le fait que certains d’entre eux

ne présentent pas une telle dangerosité n’a aucune répercussion sur l’utilité de cette

présomption.

Par définition, la présomption, sorte de pari, est susceptible d’être inadéquate. Mais cela

ne doit nullement remettre en cause son utilité1630, sinon toutes les présomptions pourraient

être taxées d’inutilité. « Whenever we act and actually do something on the basis of a

presumption we take a step beyond it: we make the assumption that it is correct. This

assumption may turn out to be incorrect. But even if so, this nevertheless does nothing to

unravel the validity of that initial presumption in the circumstances under which it arose »1631,

estime le Professeur RESCHER. D’après ce même auteur, il faut se livrer à une appréciation

rétrospective, une sorte de rétrovalidation1632, pour savoir si une présomption donnée est utile.

Concrètement, cette validation a posteriori consisterait à prendre en compte l’utilité cognitive

et pratique de la présomption concernée ; elle s’articulerait autour des deux conditions

suivantes : « a contrary presumption would be functionnally impracticable, and (…)

presumptive agnosticism would be counterproductive – (…) factual efficacy in respect to the

project at issue would be gravely compromised if that presumption were dispensed with »1633.

Cela dit, vérifier si ces deux conditions sont réunies s’avère plus aisé à l’égard de

présomptions extrajuridiques et purement cognitives, telle la présomption de véracité des

informations délivrées par la mémoire ou les sens1634, qu’à l’égard de présomptions juridiques.

Sans la présomption de véracité des informations mémorielles ou sensorielles, la vie serait

difficile, le doute devenant omniprésent ; avec une présomption contraire, elle se révèlerait

infernale puisqu’il faudrait vérifier chaque information d’origine mémorielle ou sensorielle,

1630 La seule précaution à prendre pour que la présomption n’érige pas une hypothèse incorrecte en vérité judiciaire est d’assurer sa réfragabilité (V. supra : l’exigence de réfragabilité). 1631 Nicholas RESCHER, op. cit., p. 45. 1632 Ibid., pp. 52-55. 1633 Ibid., p. 54. 1634 Ibid., pp. 27-44.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

433

ce qui finirait par paralyser toute activité humaine. A l’inverse, la nécessité systémique d’une

présomption juridique ne relève pas de l’évidence car le droit est une construction

intellectuelle.

En outre, assimiler la rétrovalidation à un constat de légitimité de la présomption est

susceptible d’avoisiner la manipulation. La rétrovalidation consiste à vérifier si la

présomption a atteint son objectif, non à vérifier la teneur de cet objectif lui-même. Or, il peut

être lié à des valeurs régressives. Dès lors, le fait que la présomption atteigne l’objectif qui l’a

générée ne traduit pas automatiquement sa légitimité. A titre d’exemple, la femme a

longtemps été considérée comme incapable du fait d’une présomption-concept de

vulnérabilité due à son sexe1635. Assurément l’objectif d’une telle présomption, à savoir

renforcer la domination masculine, n’a rien de progressiste ; le fait qu’elle atteigne cet objectif

ne la rend donc pas légitime.

Ainsi, l’appréciation de l’utilité d’une présomption donnée via la rétrovalidation est trop

étroitement indexée sur le but de la présomption pour constituer à elle seule un indicateur

objectif de sa légitimité. Elle est donc seulement susceptible de compléter la recherche de la

légitimité par l’adhésion et l’appréciation globale de l’utilité présomptive.

B- L’appréciation globale de l’utilité présomptive

D’un point de vue global, l’utilité et par là-même la légitimité des présomptions sont

acquises. Les présomptions répondent en effet à un besoin humain fondamental : le besoin de

connaissance1636. Sans elles, toute entreprise cognitive serait vouée à l’échec. « Rational

deliberation needs input materials, and principles of presumption provide them »1637, constate

le Professeur RESCHER. Si des pans entiers du droit reposent sur des présomptions, ce n’est

donc pas un hasard : elles fournissent un moyen de dépasser les zones d’incertitude et, comme

l’explique Paul FORIERS, d’auto-activer le droit1638.

A ce titre, la présomption semble s’inscrire dans que C. GINZBURG appelle le

« paradigme indiciaire »1639, lequel s’inspire du modèle cynégétique mais constituerait, en

réalité, l’arrière-plan méthodologique commun des sciences humaines : « un raisonnement se

1635 V. p. 101. 1636 Nicholas RESCHER, op. cit., p. 48. 1637 Ibid., p. 51. 1638 Paul FORIERS, op. cit. p. 37, p. 23. 1639 Carlo GINZBURG, « Traces. Racines d’un paradigme indiciaire », dans Carlo GINZBURG, Mythes, traces, emblèmes. Morphologie et histoire, Paris, Flammarion, 1989, pp. 139-180.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

434

met en place à partir de la reconnaissance d’indices, susceptibles d’entraîner l’adhésion,

voire d’accéder au statut de preuve » résume D. THOUARD1640. La présomption apparaît

alors comme une activité cognitive primordiale, en quelque sorte instinctive, dont l’utilité est

acquise. « L’usage des signes “naturels ”, mais aussi des indices culturels, explique

également D. THOUARD, ne peut recevoir une valeur épistémologique que dans le contexte

d’une théorie d’ensemble qui fonde les règles de présomption »1641.

Par ailleurs, la connaissance générée par la présomption pourrait, malgré son essence

conjecturale, correspondre à une vérité, au sens pragmatique du terme.

Pour les pragmatistes, « la pensée est active et ajoute à l’expérience sensible ses propres

productions conceptuelles, voire indique comment transformer la réalité, afin de la rendre

plus vivable »1642. Cette vision instrumentale de la pensée engendre à son tour une conception

instrumentale de la vérité. D’après William JAMES, la vérité est en effet ce qui est payant1643.

« La vérité de nos idées, écrit-il, réside dans le fait qu’elles fonctionnent »1644. Selon lui, « (…)

une idée est « vraie » dès lors qu’y croire nous aide à vivre »1645. Les caractéristiques de la

vérité pragmatique s’appliquent donc à la connaissance présomptive qui vise précisément à

surmonter l’incertitude et à dépasser le réel dans un but de rentabilité juridique. Principe

d’orientation cognitif, la présomption présente de singulières similitudes avec la vérité

pragmatique entendue comme « une définition des vérités au pluriel, de processus de guidage

qui se réalisent in rebus et n’ont pour unique qualité que d’être payants »1646. En définitive, la

connaissance présomptive serait une vérité au sens pragmatique du terme. Or, quoi de plus

légitime qu’une vérité ?

1640 Denis THOUARD, « L’enquête sur l’indice. Quelques préalables », dans Denis THOUARD (éd.), L’interprétation des indices. Enquête sur le paradigme indiciaire avec Carlo Ginzburg, Presses universitaires du Septentrion, 2007, pp. 9-21, spéc. p. 12. 1641 Ibid., p. 12. 1642 MADELRIEUX Stéphane, Préface à l’ouvrage de William JAMES, Le pragmatisme, Flammarion, Champs, Paris, 2007, p. 44. 1643 Olivia GAZALE, « William James : “le vrai est ce qui est payant” », Philosophie Magazine, n°11, [http://www.philomag.com/article,phrasechoc,william-james-le-vrai-est-ce-qui-est-payant,428.php], (2010-02-2010). 1644 William JAMES, op. cit., p. 123. 1645 Ibid., p. 135. 1646 Ibid., p. 239.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

435

Conclusion du chapitre 2

Figure finale de la relecture du droit des présomptions, la découverte de la légitimité

de ces dernières affermit leur potentiel évolutif, entendu dans un sens progressiste.

D’une part, la légitimité présomptive est une source de progrès car elle permet

d’améliorer la qualité du droit des présomptions, de le sublimer, en éliminant les

présomptions inopportunes. Ce phénomène est clairement mis en lumière par la jurisprudence

européenne qui exclut le recours aux présomptions dangereuses, telles les présomptions de

renonciation à un droit, lesquelles vont à l’encontre de la philosophie du système de garantie

des droits de l’Homme. L’attitude de la Cour EDH permet alors de réinterpréter la

suppression contemporaine de diverses présomptions françaises : si les présomptions

d’interposition de l’ancien article 1100 du Code civil ont disparu, à l’instar des présomptions

de survie des comourants et de la présomption de représentativité des syndicats, c’est qu’elles

souffraient d’un manque de légitimité.

D’autre part, la légitimité présomptive est une source de progrès car elle offre au droit

des présomptions les racines qui lui permettront d’être pérenne, à savoir l’adhésion et l’utilité,

et de contribuer encore longtemps à l’évolution du droit.

Légitimes, les présomptions peuvent donc quitter leur statut dépréciatif de pis-aller.

Elles apparaissent en définitive comme des figures tutélaires de la connaissance juridique.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

436

Conclusion du titre 2

Certes, les idées de mouvement, de changement et d’évolution entretiennent une

proximité naturelle avec la présomption : en tant qu’elle consiste à dépasser le doute et à

générer une vérité à partir d’incertitudes, cette technique correspond en effet à un

déplacement cognitif d’un point à un autre. Ces idées viennent également à l’esprit lorsqu’on

envisage la présomption comme un mécanisme volitif pouvant avoir une visée idéologique.

La présomption représente, en somme, une évolution cognitive mue par certaines valeurs.

Mais, par delà ces observations somme toute abstraites, le droit européen des droits de

l’Homme et, plus précisément, la jurisprudence constructive de la Cour de Strasbourg,

révèlent toute l’ampleur des affinités entre évolution et présomption. Celle-ci est en effet

intimement liée à celle-là, au point de constituer un acteur majeur de l’interprétation

progressiste de la Convention, un acteur au jeu très varié. Ainsi la présomption intervient-elle

à tous les stades du procès des droits de l’Homme : tout d’abord, elle assure l’ouverture du

prétoire en permettant d’établir la qualité de victime, ensuite elle permet d’établir les faits

constitutifs de la violation voire la violation elle-même, enfin elle permet de prendre en

compte le dommage moral. Encore n’est-ce là que la face visible du dynamisme présomptif.

Sa face cachée est celle d’une technique subtile qui affermit sans en avoir l’air les solutions

qu’elle promeut grâce à ses vertus didactiques : la présomption transmet un message aux Etats

contractants, les dissuadant d’adopter certains comportements ou, à l’inverse, les incitant à en

adopter d’autres.

Cela dit, au gré des affaires qui lui sont soumises, la Cour de Strasbourg a été

confrontée à des présomptions nationales qui, loin de celles auxquelles elle a elle-même

recours, traduisent des risques d’instrumentalisation du mécanisme. Pareil phénomène permet

de réfléchir aux moyens d’éviter que la présomption, d’évolutive, ne devienne régressive.

Dans cette optique, il paraît opportun d’assurer sa réfragabilité, d’attribuer au juge un certain

pouvoir d’appréciation à son égard et, éventuellement, de limiter son champ d’application.

Toutefois, même lorsque sa force probante et sa force obligatoire sont jugulées, le

mécanisme présomptif n’est pas à l’abri de l’instrumentalisation : tel un animal sauvage

momentanément entravé, il n’est pas pour autant dompté. Sa part fondamentale de subjectivité

demeure et, avec elle, un possible surgissement de l’arbitraire. Mais en réalité, il existe à ce

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

437

risque un contrepoids, d’autant plus efficace qu’il est naturel : la légitimité que toute

présomption porte en elle ou, du moins, recherche.

En définitive, les capacités évolutives de la présomption rejoignent son besoin de

légitimité dans une tension constante vers ce qui est et vers ce qui devrait être. Car ce qui se

joue dans la présomption, c’est la relation du droit à une forme d’idéal.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

438

Conclusion de la Partie 2

Il y a un temps pour douter et un temps pour présumer. En effet, si le doute a un

versant constructif grâce auquel « il satisfait aux exigences du droit »1647, c’est uniquement

dans la perspective de son propre dépassement. Ce constat, qui tient en quelques mots, suffit à

démontrer l’utilité de la présomption et à justifier la revalorisation de son rôle. Mais, à l’heure

du bilan, il pourrait passer pour un raccourci désinvolte, d’autant plus que son évidence a

longtemps été voilée par le discrédit dont souffrait la présomption.

En réalité, la revalorisation du rôle des présomptions prend tout son sens à la lumière

du droit européen des droits de l’Homme. Ce dernier offre en effet une vue d’ensemble des

multiples talents de la présomption, telles son exceptionnelle puissance cognitive ou encore

ses facultés didactiques. A cet égard la présomption apparaît à la fois comme une technique

de régulation européenne assurant la stabilité grâce au maintien du statu quo - l’ancien

principe de sécurité statique découvert par DEMOGUE est implicitement remis au goût du

jour - et comme une composante essentielle de l’interprétation progressiste de la Convention :

elle contribue à l’effectivité des droits de l’Homme en accroissant la protection de leurs

titulaires et en éduquant les Etats contractants.

Ainsi, l’apport du droit de la CEDH est considérable : non seulement il assoit

définitivement l’idée selon laquelle la présomption est un facteur de cohésion, mais encore il

permet de dresser de toutes pièces le constat des facultés évolutives de la présomption. A cet

égard, il révèle également que les remarquables capacités des présomptions ont une

contrepartie : un risque d’instrumentalisation ; pour rester un facteur d’évolution fiable, la

présomption doit, comme l’affirme régulièrement la Cour de Strasbourg, être enserrée dans

des limites raisonnables. La revalorisation du rôle des présomptions va donc de pair avec celle

de leurs modes d’encadrement qui concernent sa force probante et sa force obligatoire.

Mais c’est la découverte de leur légitimité qui parachève la revalorisation du rôle des

présomptions. Légitimes, elles apparaissent comme un mirage salutaire : bâties sur les lacunes

cognitives humaines, elles créent, par la grâce de l’imagination et dans une sorte d’impulsion

créatrice, une vérité certes précaire et artificielle mais indispensable.

1647 Jean-Denis BREDIN, loc. cit..

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

439

Conclusion générale

« C’est pure témérité (…), écrivait le Doyen DECOTTIGNIES dans la conclusion de

sa thèse relative aux présomptions en droit privé, que de vouloir présenter une vue d’ensemble

de la matière »1648. Lorsque nous avons entrepris cette étude, cette dernière semblait

effectivement gouvernée par une grande hétérogénéité et une indéniable confusion,

apparemment peu compatibles avec une approche globale. La notion de présomption elle-

même demeurait imprécise si bien que le droit des présomptions figurait un horizon hors de

champ. Mais les apparences sont parfois trompeuses ; aussi avions-nous pressenti qu’une

envergure et une cohérence dignes d’attention se dissimulaient derrière cet aspect chaotique.

Pour aborder ce sujet, qui nous semblait finalement assez mal connu, plusieurs

démarches étaient envisageables.

Soit nous nous en tenions à la définition de la présomption la plus courante, fondée sur

l’article 1349 du Code civil, selon laquelle « les présomptions sont des conséquences que la

loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu ». Mais une telle démarche ne

semblait ni novatrice ni apte à offrir la vision globale des présomptions que nous recherchions.

Elle nous aurait inévitablement ramené aux tentatives de classification déjà existantes,

amputant ainsi la matière présomptive de certaines de ses composantes essentielles.

Soit nous tentions d’insuffler une dimension plus importante au sujet en partant d’une

définition extensive tenant la présomption pour une anticipation sur ce qui n’est pas encore

prouvé ou ne peut être prouvé. C’est cette seconde démarche que nous avons adoptée, elle

seule paraissant conciliable avec un effort de théorisation générale.

Ce choix opéré, il restait encore à déterminer quelle branche du droit était susceptible

de constituer un fondement suffisamment original pour aborder le droit des présomptions sous

un angle novateur et suffisamment transversal pour l’envisager dans sa globalité. Le droit

européen des droits de l’Homme a finalement été élu en raison de son usage dynamique du

mécanisme présomptif et de son potentiel comparatiste : à mi-chemin entre droit privé et droit

public, il est aussi une porte ouverte sur les présomptions issues des divers Etats membres du

Conseil de l’Europe.

1648 Roger DECOTTIGNIES, op. cit., p. 303.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

440

A présent, il est temps de se demander quelle a été l’issue de cette confrontation entre

le droit des présomptions et le droit européen des droits de l’Homme. Le second a-t-il tenu ses

promesses, éclairant effectivement le premier comme l’impliquait le titre de notre étude ?

La réponse semble positive : à la lumière du droit européen des droits de l’Homme, la

présomption apparaît comme une technique juridique fondamentale dont l’avenir est assuré et

la pérennité certaine.

Par delà la diversité des présomptions, dont certaines semblent de prime abord n’avoir

en commun que leur appellation, l’unité du mécanisme présomptif est acquise. Toute

présomption consiste à créer une connaissance à partir de données relevant de l’expérience, de

la probabilité et de la volonté. Par conséquent, toute présomption correspond à un processus

cognitif préorienté par l’intuition mais aussi par les objectifs et la culture de celui qui y

recourt. Dans cette optique, la présomption peut être qualifiée de mécanisme d’orientation

cognitif. Cela étant, le fait que le mécanisme présomptif traduise toujours le même

mouvement de pensée ne l’empêche pas d’avoir un modus operandi variable, tantôt probatoire,

tantôt axiomatique, tantôt conceptuel. Dès lors, trois catégories peuvent être distinguées. Celle

des présomptions-preuves tout d’abord : elles visent à simplifier la preuve en déplaçant son

objet d’un fait difficile ou impossible à prouver vers d’autres faits plus aisés à prouver. Celle

des présomptions-postulats, ensuite : elles consistent à favoriser par avance une position

donnée en attribuant le risque de la preuve à celui qui soutient une position contraire. Celle

des présomptions-concepts enfin : elles constituent les motifs d’une jurislation et sont donc

des sources de droit.

Dans tous les cas, la présomption s’élabore dans un espace tissé d’incertitude et de

volonté - présumer, c’est savoir peu et vouloir beaucoup - qui symbolise une dialectique

fondamentale et très humaine : celle de la ténèbre des origines et de la lumière des fins. A ce

titre, la présomption prend place au cœur d’une problématique plus vaste, celle des rapports

entre droit et vérité. Celle-ci, dans son écrasante pureté, n’est accessible à celui-là,

construction intellectuelle, qu’indirectement, au prix d’un raisonnement. Or, grâce à la

présomption, ce raisonnement conserve une part d’évidence. Car la présomption, à la fois

primitive et sophistiquée, née d’une intuition n’est formalisée qu’a posteriori. Sans doute est-

ce là, dans ce mélange d’instinct et de rigueur, que réside le secret de l’efficacité présomptive.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

441

Quoi qu’il en soit, un Droit sans présomptions est inconcevable. La simplicité

fondamentale du mécanisme sur lequel elles reposent alliée à la diversité de leurs modes

d’action les érigent en « piliers de l’édifice juridique tout entier »1649. L’exemple du droit

européen des droits de l’Homme est, à cet égard, significatif : la présomption y assume une

mission non seulement régulatrice mais encore évolutive, une grande partie de l’interprétation

progressiste de la Convention reposant sur diverses présomptions. D’ailleurs, si cette branche

du droit est parvenue à éclairer le droit des présomptions, c’est précisément parce que celles-

ci y occupent une place majeure.

En définitive, cette approche du droit des présomptions ne fait pas table rase des

observations doctrinales antérieures. Pour reprendre les propos visionnaires de Françoise

LLORENS-FRAYSSE, la présomption demeure « une notion des confins : confins du vrai

vers lequel elle tend le plus souvent et du faux auquel elle succombe parfois, de l’incertain

dont elle procède et du certain qu’elle construit artificiellement ; confins du sens commun

d’où elle tire ses origines et sa définition générale et de la technique juridique qui l’accueille

en lui imposant une signification plus précise et plus rigoureuse. Enfin, la présomption se

situe à la frontière du monde de la preuve auquel elle appartient et de celui du fond qu’elle

marque par ses incursions répétées et déterminantes »1650. Malgré leur essence commune, les

trois catégories de présomptions, qui sont d’ailleurs mouvantes comme le révèlent les

éventuelles interférences intracatégorielles, restent donc difficiles à saisir.

En revanche, cette approche essaye de se libérer de ce qui, jusqu’alors, empêchait la

présomption de jouir d’une considération à la hauteur de ses mérites : la crainte, liée à la

traditionnelle vision déductiviste du Droit, d’un raisonnement subjectif et arbitraire. En réalité,

au lieu de considérer la part de subjectivité inhérente à toute présomption comme un défaut

majeur, il est possible d’en revendiquer l’utilité. Grâce à elle, le juriste est apte à surmonter

son doute et à combler ses lacunes cognitives, son raisonnement dérivant vers les sentiers de

l’équité et de la légitimité. Dès lors, la présomption, connaissance normalisée, pondère les

attentes sociales en prenant en compte ce qui est et ce qui devrait être. Accepter l’importance

du mécanisme présomptif, son omniprésence et sa transcendance, revient donc à admettre

l’éventuelle précarité du raisonnement juridique, à le délivrer du joug purement déductiviste,

bref à lui offrir un nouvel essor. Assurément, seul le droit européen des droits de l’Homme,

1649 Jean RIVERO, loc. cit., p. 111. 1650 Fraçoise LLORENS-FRAYSSE, op. cit., p. XII.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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ouvert au principe de proportionnalité, au droit flou et mou et, en somme, à un certain

probabilisme, pouvait nous permettre de dresser un tel constat.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

443

Annexes

Annexe 1- Tableau comparatif des différentes présomptions

Appellation Présomption-preuve Présomption-concept Présomption-postulat

Nature

Technique de raisonnement

Fondement d’un raisonnement

Point de départ d’un raisonnement

Situation

• Légale

ou

• judiciaire

• En amont de la règle de droit

ou

• Forme du raisonnement préalable à l’activité de jurisdictio

• Légale

ou

• judiciaire

Rôle

• Pallier les difficultés de

preuve • Favoriser,

protéger certaines valeurs ou institutions

• Motifs des règles de droit

• Raisonnement sous-tendant l’activité de jurisdictio

• Permettre le fonctionnement du

système

• assurer la cohérence de

l’ordre juridique

Influence sur la preuve

• déplacement de l’objet de la preuve

• allégement de la charge probatoire du bénéficiaire

• Non • attribution de la charge de la preuve

• alourdissement charge probatoire de l’adversaire

Preuve contraire

Admise si réfragable Non Admise si réfragable

Exemples - présomption de paternité

- présomption d’interposition de personne

- présomption de maturité à 18 ans en amont de la règle selon laquelle l’âge de la majorité est 18 ans.

- présomption d’innocence

- présomption de connaissance de la loi

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Annexe 2 : Triangle juridique figurant la trinité présomptive

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Annexe 3- Passage du connu à l’inconnu dans les présomptions de

responsabilité sur le fondement des articles 2 et 3 de la CEDH.

Présomption de responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article 3

Faits connus Fait inconnu

• Une personne en bonne santé au moment de son arrestation est placée en détention

• A l’issu de la détention, des blessures, des traces de coups sont constatées médicalement ou un diagnostic médical établit un traumatisme

• Parfois, témoignages de co-détenus.

• Responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article 3 (violation de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants)

Présomption de responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article 2

- Présomption de violation complexe : violation de l’obligation négative de ne pas porter atteinte à la vie des personnes pouvant aller de pair avec une violation de l’article 3

Faits connus Fait inconnu

• Une personne en bonne santé au moment de son arrestation est placée en détention

• Cette personne décède pendant sa détention

• Des blessures, des traces de coups sont constatées médicalement

• Responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article 2 (violation de l’obligation de ne pas porter atteinte à la vie des personnes)

• Eventuellement, si la Cour le juge utile, responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article 3 (violation de l’interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants)

- Présomption de violation simple : violation de l’obligation positive ou négative en l’absence de traces de blessures ou de coups sur le corps du défunt

Faits connus Fait inconnu

• Une personne en bonne santé au moment de son arrestation est placée en détention

• Cette personne décède pendant sa détention

• Responsabilité de l’Etat sur le fondement de l’article 2

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Annexe 4- Cycle présomptif : symbole des chevauchements et

interférences entre les trois catégories de présomptions

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Annexe 5- Imbrication et autogénération présomptive : l’exemple des

présomptions liées aux privations de liberté

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Annexe 6- Equilibre présomptif. Balance présomptive : jeu de freins et

contrepoids entre des présomptions-postulats et des présomptions-

preuves antagonistes

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

449

Abréviations

AJP : Actualité juridique, droit pénal

Bull. civ. : Bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation

c/: contre

CE : Conseil d’Etat

CEDH : Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales

ch. : chambre

chron. : chronique

CA : cour d’appel

CAA : cour administrative d’appel

Cass. Ass. plén. : Assemblée plénière de la Cour de cassation

Cass. Civ. : Chambre civile de la Cour de cassation

Cass. Ch. réunies : Chambres réunies de la Cour de cassation

Cass. Com. : Chambre commerciale de la Cour de cassation

Cass. Req. : Chambre des requêtes de la Cour de cassation

Cass. Soc. : Chambre sociale de la Cour de cassation

CIDH : Cour interaméricaine des droits de l’Homme

CIJ : Cour Internationale de justice

CJCE : Cour de Justice des Communautés européennes

CNRTL : Centre national de ressources textuelles et lexicographiques

coll. : collection

Com° EDH : Commission européenne des Droits de l'Homme

Contra : en sens contraire

Cour EDH : Cour européenne des Droits de l'Homme

D. : Recueil Dalloz

Déc. : Décision sur la recevabilité de la Cour européenne des droits de l’Homme

dir. : sous la direction de

Dr. Pénal : Revue de droit pénal

éd. : édition

Gaz. Pal. : La Gazette du Palais

Grde Ch. : Grande Chambre

ibid. : ibidem (au même endroit)

Page 451: Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit

Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

450

infra : ci-dessous

JCP E : La semaine juridique (Juris-classeur périodique), édition entreprise et affaires

JCP G : La semaine juridique (Juris-classeur périodique), édition générale

JCP N : La semaine juridique (Juris-classeur périodique), édition notariale

JDI : Journal de droit international (Clunet)

JO : Journal officiel de la République française

loc. cit. : loco citato, renvoie à un article déjà cité

P. A. : Les Petites Affiches

obs. : observations

op. cit. : opere citato, œuvre déjà citée

p. : page

préc. : précité

RCDIP : Revue critique de droit international privé

RDP : Revue de droit public et de la science politique en France et à l'étranger

RDSS : Revue de droit sanitaire et social

req. : requête

RFDA : Revue française de droit administratif

RPDP : Revue pénitentiaire et de droit pénal

RSC : Revue de science criminelle et de droit pénal comparé

RTD civ : Revue trimestrielle de droit civil

RTDH : Revue trimestrielle des droits de l'homme

spéc. : spécialement

sq. : et suivant(e)s

supra : ci-dessus

T. : tome

TGI : Tribunal de grande instance

V. : Voir

Vol. : Volume

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

451

Index

Absolue (présomption) V. Irréfragabilité / irréfragable Aréfragabilité / aréfragable 98, 167 sq., 195, 199, 205, 229, 357, 381, 405 « Au delà de tout doute raisonnable » / « beyond reasonable doubt » (critère de preuve) 112 sq. Autorité de chose jugée 24, 68 sq., 259 Axiome 64, 80, 204, 222, 258 Cohésion (du système) 235, 236, 237 sq. Conjecture / conjectural 9, 13, 14, 18, 58, 62, 85, 99, 219, 221, 243, 256, 257, 261, 288, 340, 347, 382, 414, 434. Connaissance 18, 22, 196 sq., 228 Coordination (des ordres juridiques) 301 sq. Déduction 53 sq. Dommage moral (présumé) 349 sq. Doute 16, 38 sq., 276 sq. Effectivité 332 sq. Effet horizontal 364, 378, 331 Equité 402, 403 Espérance légitime 429 sq.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Evolution (du système) 328 sq. Fiction 29, 50, 51, 52, 68, 80, 86, 98, 182, 195, 222 sq., 331, 426 Illocutoire (acte) 369, 370 Indices 10, 45, 46, 55, 58, 62, 117, 119, 125, 126, 127, 128, 138, 143, 146, 172, 336, 372, 414, 434 Induction 53 sq. Interprétation 257 sq.

- progressiste 330 sq.

Irréfragabilité / irréfragable 17, 29, 47 sq., 78 sq., 380 sq. Légitimité 406 sq. Marge nationale d’appréciation 305 sq. Normalisation 425 sq. Obligations positives 204, 357, 362 Performatif (acte) 204, 357, 362 Perlocutoire (acte) 369, 370 Pouvoir modérateur du juge 402, 403 Précompréhension 269

- de la CEDH 269 sq.

Présomption-concept 88 sq., 156 sq., 272 sq.

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Présomption-postulat 64 sq., 140 sq. Présomption-preuve 35 sq., 111 sq. Présomption

- de bien-fondé des allégations 216, 371 sq.

- de connaissance de la loi 67 sq., 78, 83, 298 sq.

- de communauté 69 sq.

- de culpabilité 149 sq., 310 sq.

- de dangerosité 157 sq., 318

- de décès 336 sq.

- de discrimination 77, 132 sq., 339, 341, 342, 368

- de mitoyenneté 11, 44, 94, 264, 402

- de partialité 149 sq.

- de paternité 10, 11, 12, 15, 22, 29, 41, 44, 51, 54, 56, 60, 91, 181, 183, 191, 250, 267, 290, 386 sq.

- de profit ou d’auto-indemnisation 193 sq., 381 sq.

- de prosélytisme 361 sq.

- de rationalité 268 sq.

- de régularité dans l’établissement national des faits 308 sq.

- de renonciation 409 sq.

- de représentativité des syndicats 423 sq.

- de respect du droit 70, 143 sq., 283 sq.

- de responsabilité en matière de droit à la vie et d’interdiction de la torture 124 sq.

- de survie 421 sq.

- d’équivalence de la protection des droits fondamentaux par le droit de l’union européenne et le droit de la CEDH 290 sq.

- de vulnérabilité 353 sq.

- d’existence des voies de recours internes 286 sq.

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- d’innocence 66 sq., 149 sq., 201 sq.

- d’interposition 44, 49, 420 sq.

- d’impartialité 74, 144, 147, 149 sq., 217, 218, 221, 238, 263, 286, 344, 380, 415

Preuve

- attribution de la charge de la preuve : 71 sq., 139 sq.

- déplacement de la charge de la preuve 40 sq., 111 sq.

Probabilité 56 sq., 220 sq., 244 sq. Proportionnalité 305 sq., 325, 326, 341, 368, 392 sq. Réfragabilité / réfragable 11, 29, 47 sq., 64, 380 sq. Régulation 280 sq. Retenue judiciaire 305 sq. Sécurité statique 283 sq., spéc. 283-284 Simple (présomption) V. réfragabilité / réfragable Standard 284, 342, 356, 357, 427, 431 Suspicion 142, 165 sq., 219 Syllogisme 15, 16, 356 Victime (présumée) 345 sq.

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COLLECTIFS, ACTES DE COLLOQUES

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RAPPORTS, AVIS ET AUTRES DOCUMENTS

Avant-projet de réforme du droit des obligations (articles 1101 à 1386 du Code civil) et du droit de la prescription (articles 2234 à 2281 du Code civil), rapport à Monsieur Pascal CLEMENT, Garde des Sceaux, ministre de la justice, le 22 septembre 2005 Avis du Conseil économique et social, Consolider le dialogue social, 2006, avis présenté par MM. Paul AURELLI et Jean GAUTIER, p. 10, [http://www.conseil-economique-et-social.fr/rapport/doclon/06120423.pdf], (2010-05-29). Pour un dialogue social efficace et légitime : représentativité et financement des organisations professionnelles syndicales, Rapport au Premier Ministre présenté par Raphaël HADAS-LEBEL, mai 2006, p. 82, [http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000364/0000.pdf], (2010-05-29). Proposition de loi tendant à modifier l'article 722 du Code civil pour supprimer toute discrimination entre les hommes et les femmes dans l'ouverture des successions, n° 3272, présentée par Mme ZIMERMANN, députée, [http://www.assemblee-nationale.fr/11/propositions/pion3272.asp], (2010-05-28). Rapport d’information Assemblée nationale, n°1718, du 7 juillet 2004, sur le traitement de la récidive des infractions pénales Assemblée nationale, Rapport n° 3117 fait par M. Marc DOLEZ, [http://www.assemblee-nationale.fr/11/rapports/r3117.asp], (2010-05-28). Sénat, Rapport n° 71 fait par M. Laurent BETEILLE, [http://www.senat.fr/rap/l01-071/l01-071_mono.html], (2010-05-28) Santé, justice et dangerosités : pour une meilleure prévention de la récidive. Rapport de la Commission Santé-Justice, présidée par Monsieur Jean-François BURGELIN, juillet 2005

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Jurisprudence

Jurisprudence européenne

Commission EDH

- Décisions

1972 Com° EDH, 19 juillet 1972, X. c/ Royaume Uni, req. n° 5124/71 1988 Com° EDH, 2 mai 1988, C. c/ France, req. n° 11542/85 Com° EDH, 8 septembre 1988, Dupuis c/ Belgique, req. n° 17717/87. Com° EDH, 5 octobre 1988, G. c/ France, req. n° 11941/86 1989 Com° EDH, 13 mars 1989, Palo Senis c/ France, req. n° 11423/85 1990 Com° EDH, 9 février 1990, Melchers and Co. c/ Allemagne, req. n° 13258/87 1993 Com° EDH, 28 juin 1993, F. S. et N. S. c/ France, req. n° 15669/89 Com° EDH, 13 octobre 1993, Fatma Mustafa c/ France, req. n° 16393/90 1994 Com° EDH, 2 mars 1994, Pierre Boutemy c/ France, req. N°19922/92 Com. EDH, rapport, 10 mars 1994, Nasri c/ France, req. n° 19465/92

- Rapports

Affaire Golder, rapport de la Com° EDH du 1er juin 1973, Série B, vol. 16, 1975, p. 40

Cour EDH

- Arrêts

1962 CEDH, 27 mars 1962, De Becker c/ Belgique, req. n° 214/56 1968 CEDH, 23 juillet 1968, Affaire « relative à certains aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » c/ Belgique, req. n°s 1474/62; 1677/62; 1691/62; 1769/63; 1994/63; 2126/64 1971 CEDH, 18 juin 1971, De Wilde, Ooms et Versyp c/ Belgique, req. n°s 2832/66; 2835/66; 2899/66.

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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1976 CEDH, 7 décembre 1976, Handyside c/ Royaume Uni, req. n°5493/72 1978 CEDH, 18 janvier 1978, Irlande c/ Royaume Uni, req. n° 5310/71 CEDH, 6 septembre 1978, Klass c/ Allemagne, série A n° 28 1979 CEDH, 13 juin 1979, Marckx c/ Belgique, série A n° 31, § 27 CEDH, 9 octobre 1979, Airey c/ Irlande, req. n° 6289/73 CEDH, 24 octobre 1979, Winterwerp c/ Pays-Bas, req. n° 6301/73 1980 CEDH, 13 mai 1980, Artico c/ Italie, req. n° 6694/74 CEDH, 6 novembre 1980, Guzzardi c/ Italie, req. n° 7367/76. 1981 CEDH, 23 juin 1981, Le Compte, Van Leuven et de Meyere, req. n°s 6878/75 ; 7238/75 CEDH, 22 octobre 1981, Dudgeon c/ Royaume Uni, req. n° 7525/76 1982 CEDH, 1er octobre 1982, Piersack c/ Belgique, req. n° 8692/79 1983 CEDH, Pakelli c/ Allemagne, 25 avril 1983, req. n° 8398/78 1984 CEDH, 9 avril 1984, Goddi c/ Italie, req. n° 8966/80 CEDH, 28 novembre 1984, Rasmussen c/Danemark, req. n° 8777/79 1985 CEDH, 12 février 1985, Colozza c/ Italie, req. n° 9024/80 CEDH, 20 novembre 1985, Pressos Compania Naviera S.A. c/ Belgique, req. n° 17849/91 1986 CEDH, 18 décembre 1986, Johnston et autres c/ Irlande, req. n° 9697/82 1987 CEDH, 25 août 1987, Nölkenbockhoff c/ Allemagne, req. n° 10300/83 CEDH, 28 octobre 1987, Inze c/ Autriche, série A n° 126 1988 CEDH, 21 juin 1988, Plattform « Ärzte für das leben », req. n°10126/82 CEDH, 12 juillet 1988, Schenk c/ Suisse, req. n° 10862/84 CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c/ France, req. n° 10519/83 CEDH, 26 octobre 1988, Norris c/ Irlande, req. n° 10581/83 CEDH, 6 décembre 1988, Barberà, Messegué et Jabardo c/ Espagne, req. n° 10590/83 1989 CEDH, 24 mai 1989, Hauschildt c/ Danemark, req. n° 10486/83 CEDH, 7 juillet 1989, Soering c/ Royaume Uni, série A n° 161

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CEDH, 20 novembre 1989, Kostovski c/ Pays-Bas, req. n° 11454/85 1990 CEDH, 21 février 1990, Hakansson et Sturesson c/ Suède, req. n° 11855/85 CEDH, 19 décembre 1990, Delta c/ France, req. n° 11444/85 1991 CEDH, 19 février 1991, Maj c/ Italie, req. n° 13087/87 CEDH, 20 février 1991, Vernillo c/ France, req. n° 11889/85 CEDH, 20 mars 1991, Cruz Varas c/ Suède, req. n° 15576/89 CEDH, 26 avril 1991, Asch c/ Autriche, req. n° 12398/86 CEDH, 28 août 1991, F.C.B. c/ Italie, req. n° 12151/86 CEDH, 30 octobre 1991, Borgers c/ Belgique, req. n° 12005/86 CEDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah et autres c/ Royaume Uni, série A n°215 1992 CEDH, 27 août 1992, Tomasi c/ France, req. n° 12850/87 CEDH, 25 septembre 1992, Pham Hoang c/ France, req. n° 13191/87 CEDH, 29 octobre 1992, Open Door et Dublin Well Woman c/ Irlande, req. n°s 14234/88 ; 14235/88 CEDH, 16 décembre 1992, Edwards c/ Royaume Uni, req. n° 13071/87 CEDH, 16 décembre 1992, Hadjiastanassiou c/ Grèce, req. n° 12945/87, 1993 CEDH, 25 février 1993, Crémieux c/ France, req. no 11471/85 CEDH, 25 février 1993, Funke c/ France, req. n° 10588/83 CEDH, 22 avril 1993, Modinos c/ Chypre, req. n°15070/89 CEDH, 22 septembre 1993, Klaas c/ Allemagne, req. n° 15473/89 CEDH, 24 juin 1993, Schuler-Zgraggen c/ Suisse, req. n° 14518/89 CEDH, 24 août 1993, Nortier c/ pays Bas, req. n° 13924/88 CEDH, 21 septembre 1993, Zumtobel c/ Autriche, req. n° 12235/86 CEDH, 2 novembre 1993, Kemmache c/ France n°s 1et 2 (article 50), req. n°s 12325/86, 14992/89 CEDH, 23 novembre 1993, A. c/ France, req. n° 14838/89 CEDH, 29 novembre 1993, Miailhe c/ France n°1 (article 50), req. n° 12661/87 CEDH, 4 décembre 1993, Ribitsch c/ Autriche, req. n° 18896/91 1994 CEDH, 22 février 1994, Burghartz c/ Suisse, req. n° 16213/90 CEDH, 22 avril 1994, Saraiva de Carvalho c/ Portugal, req. n° 15651/89 CEDH, 27octobre 1994, Kroon et autres c/ Pays-Bas, req. n° 18535/91 CEDH, 19 décembre 1994, Vereinigung Demokratischer Soldaten Österreichs et Gubi c/ Autriche, req. n° 15153/89 1995 CEDH, 10 février 1995, Allenêt de Ribemont c/ France, req. n° 15175/89 CEDH, 23 mars 1995, Loizidou c/ Turquie, req. n° 15318/89 CEDH, 8 juin 1995, Mansur c/ Turquie, req. n° 16026/90 CEDH, 8 juin 1995, Yagci et Sargin c/ Turquie, req. n°s 16419/90 ; 16426/9, § 52 CEDH, 15 juin 1995, Lüdi c/ France, req. n°12433/86

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1996 CEDH, 20 février 1996, Lolo Machado c/ Portugal, req. n° 15764/89. CEDH, 20 février 1996, Vermeulen c/ Belgique, req. n° 19075/91 CEDH, 10 juin 1996, Pullar c. Royaume-Uni, req. n° 22399/93 CEDH, 16 septembre 1996, Adkivar et autre c/ Turquie, req. n° 21893/93 CEDH, 15 novembre 1996, Chahal c/ Royaume Uni, req. n° 22414/93 CEDH, 15 novembre 1996, Katikaridis et autres c. Grèce, req. n° 19385/92 CEDH, 15 novembre 1996, Tsomtsos et autres c. Grèce, req. n° 20680/92 CEDH, 17 décembre 1996, Ahmed c/ Autriche CEDH, 18 décembre 1996, Aksoy c/ Turquie, req. n° 21987/93 1997 CEDH, 29 avril 1997, HLR c/ France, req. n° 24573/94 CEDH, 28 mai 1997, Pauger c/ Autriche, req. n° 16717/90 CEDH, 1er juillet 1997, Rolf Gustafson c/ la Suède, req. n° 23196/94 CEDH, 9 octobre 1997, Andronicou et Constantinou c/ Chypre, req. n° 86/1996/705/897 CEDH, 22 octobre 1997, Erdagöz c/ Turquie, req. n° 127/1996/945/746 CEDH, 24 octobre 1997, Johnson c/ Royaume-Uni, req. n° 22520/93 CEDH, 25 octobre 1997, Aydin c/ Turquie, req. n° 23178/94 CEDH, 28 novembre 1997, Mentes et autres c/ Turquie, req. n° 23186/94 1998 CEDH, 19 février 1998, Kaya c/ Turquie, req. n°22729/93 CDEH, 24 février 1998, Larissis et autres c/ Grèce, req. n° 140/1996/759/958-960 CEDH, 9 juin 1998, Tekin c/ Turquie, req. 22496/93 CEDH, 28 juillet 1998, Ergi c/ Turquie, req. n° 23818/94 CEDH, 2 septembre 1998, Yasa c/ Turquie, req. 22495/96 CEDH, 23 septembre 1998, A. c/ Royaume Uni, req. n° 25599/94 CEDH, 27 octobre 1998, H.N. c/ Italie, req. n° 18902/91 CEDH, 28 octobre 1998, Castillo Algar c/ Espagne, req. n° 28194/95 CEDH, 28 octobre 1998, Osman c/ Royaume Uni, req. n° 23452/94 1999 CEDH, 21 janvier 1999, García Ruiz c/ Espagne, req. n° 30544/96 CEDH, 25 mars 1999, Papachelas c/ Grèce, n° 31423/96 CEDH, 29 avril 1999, Chassagnou c/ France, req. nos 25088/94, 28331/95 et 28443/95 CEDH, 8 juillet 1999, Çakici c. Turquie, req. n° 23657/94 CEDH, 28 juillet 1999, A. P. c/ Italie, req. n° 35265/97 CEDH, 28 juillet 1999, Bottazi c/ Italie, req. n° 34884/97 CEDH, 28 juillet 1999, Di Mauro c/ Italie, req. n° 34256/96 CEDH, 28 juillet 1999, Ferrari c/ Italie, req. n° 33440/96 CEDH, 28 juillet 1999, Selmouni c/ France req. n° 25803/93 CEDH, 16 septembre 1999, Buscemi c/ Italie, req. n° 29569/95 CEDH, 14 décembre 1999, Khalfaoui c/ France, req. n° 34791/97 2000 CEDH, 8 février 2000, Voisine c/ France, req. n° 27362/95 CEDH, 28 mars 2000, Kilic c/ Turquie, req. n° 22492/93 CEDH, 4 avril 2000, Witold Litwa c/ Pologne, req. n° 26629/95 CEDH, 6 avril 2000, Labita c/ Italie, req. n° 26772/95

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CEDH, 6 avril 2000, Thlimmenos c/ Grèce, req. n° 34369/97 CEDH, 11 avril 2000, Sevtap Veznedaroğlu contre Turquie, req. n° 32357/96 CEDH, 27 avril 2000, Bertozzi c/ Italie, req. n° 39883/98 CEDH, 9 mai 2000, Ertak c. Turquie, req. n° 20764/92 CEDH, 18 mai 2000, Velikova c/ Bulgarie, req. n° 41448/98 CEDH, 13 juin 2000, Timurtaş c. Turquie, req. n° 23531/94 CEDH, 15 juin 2000, Erdogdu c/ Turquie, req. n° 25723/94 CEDH, 27 juin 2000, Salman c/ Turquie, req. n° 21986/93 CEDH, 11 juillet 2000, Dikme c/ Turquie, req. n° 20869/92 CEDH, 13 juillet 2000, Elsholz c/Allemagne, req. n° 25735/94 CEDH, 18 juillet 2000, Ekinci contre Turquie, req. n° 25625/94 CEDH, 20 juillet 2000, Caloc c/ France, req. n° 33951/93 CEDH, 1er août 2000, Savvidou c/ Grèce, req. n° 38704/97 CEDH, 5 octobre 2000, Varbanov c/ Bulgarie, req. n°31365/96 CEDH, 10 octobre 2000, Daktaras c/ Lituanie, req. n° 42095/98 CEDH, 26 octobre 2000, Kudla c/ Pologne, req. n° 30210/96 CEDH, 16 novembre 2000, Tanribilir c/ Turquie, req. n° 21422/93 CEDH, 16 novembre 2000, Vaccaro c/ Italie, req. n° 41852/98 CEDH, 21 novembre 2000, Demiray c/ Turquie, req. n° 27308/95 CEDH, 28 novembre 2000, Rehbock c/ Slovénie, req. n° 29462/95 CEDH, 21 décembre 2000, Büyükdag c/ Turquie, req. n° 28340/95 CEDH, 21 décembre 2000, Egmez c/ Chypre, req. n° 30873/96 2001 CEDH, 18 janvier 2001, Chapman c/ Royaume Uni, req. n° 27238/95 CEDH, 1er mars 2001, Berktay c/ Turquie, req. n° 22493/93 CEDH, 3 avril 2001, Keenan c/ Royaume Uni, req. n° 27229/95 CEDH, 10 avril 2001, Tanli c/ Turquie, req. n° 26129/95 CEDH, 4 mai 2001, Hugh Jordan c/ Royaume Uni, req. n° 24746/94 CEDH, 4 mai 2001, McKerr c/ Royaume Uni, req. n° 28883/95 CEDH, 10 mai 2001, Z et autres c/ Royaume Uni, req. n° 29392 /95 CEDH, 7 juin 2001, Kress c/ France, req. n° 39594/98 CEDH, 5 juillet 2001, Phillips c/ Royaume Uni, req. n° 41087/98 CEDH, 10 juillet 2001, Avsar c/ Turquie, req. n°25657/94 CEDH, 10 juillet 2001, Versini c/ France, req. n° 40096/98 CEDH, 26 juillet 2001, Ilijkov c/ Bulgarie, req. n°33977/97 CEDH, 18 octobre 2001, Indelicato c/ Italie, req. n° 31143/96 2002 CEDH, 14 mars 2002, Paul et Audrey Edwards, req. n° 46477/99 CEDH, 29 avril 2002, Pretty c/ Royaume Uni, req. n° 2346/02 CEDH, 13 juin 2002, Anguelova c/ Bulgarie, req. n° 38361/97 CEDH, 23 juillet 2002, Janosevic c/ Suède, req. n° 34619/97 CEDH, 25 juillet 2002, Perote Pellon c/ Espagne, n° 45238/99 CEDH, 19 septembre 2002, Azas c/ Grèce, req. n°50824/99 CEDH, 28 novembre 2002, Lavents c/ Lettonie, req. n° 58442/00 2003 CEDH, 13 février 2003, Cetin et autres c/ Turquie, req. n° 40153/98 CEDH, 9 janvier 2003, Shishkov c/ Bulgarie, n° 38822/97 CEDH, 4 mars 2003, Yaşar Kemal Gökçeli c/ Turquie, req. nos 27215/95 et 36194/97

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CEDH, 15 avril 2003, Jarlan c/ France, req. n° 62274/00 CEDH, 24 avril 2003, Aktas c/ Turquie, req. n° 24351/94 CEDH, 3 juin 2003, Pantea c/ Roumanie, req. n° 33343/96 CEDH, 17 juin 2003, Michel Raitière c/ France, req. n° 57734/00 CEDH, 17 juin 2003, Seidel c/ France (n° 2), req. n° 60955/00 CEDH, 24 juin 2003, Bouilly c/ France (n° 2), req. n° 57115/00 CEDH, 10 juillet 2003, Efstathiou et Michaïlidis et Cie Motel Amerika c/ Grèce, req. n° 55794/00 CEDH, 10 juillet 2003, Hartman c/ République Tchèque, req. n° 53341/99 CEDH, 10 juillet 2003, Interoliva contre Grèce, req. n° 58642/00 CEDH, 10 juillet 2003, Konstanpoulos AE et autres c/ Grèce, req. n° 58634/00 CEDH, 22 juillet 2003, Ayşe Tepe c/ Turquie, req. n° 29422/95 CEDH, 22 juillet 2003, Esen c/ Turquie, Req. no 29484/95 CEDH, 29 juillet 2003, Poilly c/ France, req. n° 68155/01 CEDH, 23 octobre 2003, Peker c/ Turquie, req. n° 53014/99 CEDH, 6 novembre 2003, Pantano c/ Italie, req. n° 60851/00 CEDH, 12 novembre 2003, Bartre c/ France, req. n° 70753/01 CEDH, 2 décembre 2003, Matwiejczuk c/ Pologne, req. n° 37641/97 CEDH, 16 décembre 2003, Grieves c/ Royaume-Uni, req. n° 57067/00 2004 CEDH, 10 février 2004, Gennadi Naoumenko c/ Ukraine, req. n° 42023/98 CEDH, 29 février 2000, Fuentes Bobo c/ Espagne, req. n° 39293/98 CEDH, 30 mars 2004, Nuray Şen c. Turquie (no 2), req. no 25354/94 CEDH, 30 mars 2004, Radio France c/ France, req. n° 53984/00. CEDH, 1er avril 2004, Rivas c/ France, req. n° 59584/00 CEDH, 8 avril 2004, Assanidzé c/ Géorgie, req. n° 71503/01 CEDH, 8 avril 2004, Tahsin Acar c/ Turquie, req. n° 26307/95 CEDH, 22 avril 2004, Cianetti c/ Italie, req. n° 55634/00 CEDH, 27 avril 2004, Gorraiz Lizarraga et autres c/ Espagne, req. n° 62543/00 CEDH, 8 juin 2004, Hilda Hafsteinsdóttir c/ Islande, req. n° 40905/98 CEDH, 22 juin 2004, Broniowski c/ Pologne, req. 31443/96 CEDH, 27 juillet 2004, Slimani c/ France, req. n° 57671/00 CEDH, 28 septembre 2004, Kopecký c/ Roumanie, req. n° 44912/98 CEDH, 10 novembre 2004, Achour c/ France, req. n° 67335/01 2005 CEDH, 13 janvier 2005, Capeau c/ Belgique, req. n°42914/98 CEDH, 25 janvier 2005, Enhorn c/ Suède, req. n° 56529/00 CEDH, 24 février 2005, Khachiev et Akaïeva c/ Russie, req. n°s 57942/00 et 57945/00 CEDH, 17 mars 2005, Geziki c/ Turquie, req. n° 34594/97 CEDH, 22 mars 2005, Gungor c/ Turquie, req. n° 28290/95 CEDH, 24 mars 2005, Akkum et autres c/ Turquie, req. n° 21894/93 CEDH, 5 avril 2005, Nevmerjitski c/ Ukraine, req. n° 54825/00 CEDH, 5 avril 2005, Monory c/ Roumanie et Hongrie, req. n° 71099/01 CEDH, 12 avril 2005, Chamaïev et autres c/ Géorgie et Russie, req. n° 36 378/02 CEDH, 12 mai 2005, Öcalan c/ Turquie, req. n° 46221/99 CEDH, 18 mai 2005, Prodan c/ Moldova, req. n° 49806/99 CEDH, 24 mai 2005, Süheyla Aydin c/ Turquie, req. n° 25660/94 CEDH, 31 mai 2005, Çelikbilek c/ Turquie, req. n° 27693/95 CEDH, 31 mai 2005, Gültekin et autres c/ Turquie, req. n° 52941/99

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CEDH, 9 décembre 2008, Korkut c/ Turquie, req. n° 10693/03 CEDH, 16 décembre 2008, Rupa c/ Roumanie (n° 1), req. n° 58478/00 2009 CEDH, 15 janvier 2009, Georgi Dimitrov, req. n° 31365/02 CEDH, 20 janvier 2009, F.H. c/ Suède, req. n° 32621/06 CEDH, 27 janvier 2009, Tǎtar c/ Roumanie, req. n° 67021/01 CEDH, 3 février 2009, Kauczor c/ Pologne, req. n° 45219/06 CEDH, 12 février 2009, Nolan et K. c/ Russie, req. n° 2512/04 CEDH, 19 février 2009, Kozacioglu c/ Turquie, req. n° 2334/03 CEDH, 24 février 2009, Tarău c/ Roumanie, req. n° 3584/02 CEDH, 24 février 2009, Toma c/ Roumanie, req. n° 42716/02 CEDH, 3 mars 2009, Băcanu et SC « R » SA c/ Roumanie, req. n° 4411/04 CEDH, 10 mars 2009, Bykov c/ Russie, req. n° 4378/02 CEDH, 10 mars 2009, Nural Vural c/ Turquie, req. n° 16009/04 CEDH, 10 mars 2009, Rimer et autres c/ Turquie, req. n° 18257/04 CEDH, 10 mars 2009, Şatir c/ Turquie, req. n° 36192/03 CEDH, 10 mars 2009, Temel Conta Sanayi Ve Ticaret A.Ş, req. n° 45651/04 CEDH, 10 mars 2009, Turkan Cakir, req. n° 44256/06 CEDH, 12 mars 2009, Dzhambekova et autres c/ Russie, req. n°s 27238/03 et 35078/04 CEDH, 24 mars 2009, Abdelhedi c/ Italie, req. n° 2638/07 CEDH, 24 mars 2009, Ben Salah c/ Italie, req. n° 38128/06 CEDH, 24 mars 2009, Bouyahia c/ Italie, req. n°46792/06 CEDH, 24 mars 2009, C.B.Z. c/ Italie, req. n° 44006/06 CEDH, 24 mars 2009, Darraji c/ Italie, req. n° 11549/05 CEDH, 24 mars 2009, Hamraoui c/ Italie, req. n°16201/07 CEDH, 24 mars 2009, O. c/ Italie, req. n° 37257/06 CEDH, 24 mars 2009, Soltana c/ Italie, req. n° 37336/06 CEDH, 26 mars 2009, Krejčíř c/ République Tchèque, req. n°s 39298/04 ; 8723/05 CEDH, 31 mars 2009, Simaldone c/ Italie, req. n° 22644/03 CEDH, 30 avril 2009, Glor c/ Suisse, req. n° 13444/04 CEDH, 12 mai 2009, Tănase c/ Roumanie, req. n° 5269/02 CEDH, 12 mai 2009, Zietal c/ Pologne, req. n° 64972/01 CEDH, 19 mai 2009, Kulikowski c/ Pologne, req. n° 18353/03 CEDH, 28 mai 2009, Roïdakis c/ Grèce (No 2), req. no 50914/06 CEDH, 29 mai 2009, Ibragimov c/ Russie, req. n° 34561/03 CEDH, 10 juin 2009, Kazmierczak c/ Pologne, req. n° 4317/04 CEDH, 11 juin 2009, Khasuyeva c/ Russie, req. n° 28159/03 CEDH, 23 juillet 2009, Bowler International Unit c/ France, req. n° 1946/06 CEDH, 23 juillet 2009, Mutsayeva c/ Russie, req. n° 24297/05 CEDH, 6 septembre 2009, Kakol c/ Pologne, req. n° 3994/03 CEDH, 6 septembre 2009, Kliza c/ Pologne, req. n° 8363/04 CEDH, 15 septembre 2009, Jamrozy c/ Pologne, req. n° 6093/04 CEDH, 22 septembre 2009, Ali Tas c/ Turquie, req. n° 10250/02 CEDH, 22 octobre 2009, Norbert Sikorski, req. n° 17597/05 CEDH, 22 septembre 2009, Stochlak c/ Pologne, req. n° 38273/02 CEDH, 29 octobre 2009, Paradysz c/ France, req. n° 17020/05 CEDH, 17 décembre 2009, Bouchacourt c/ France, req. n° 5335/06 CEDH, 22 décembre 2009, Sejdic et Finci c/ Bosnie-Herzégovine, req. n°s 27996/06 et 34836/06

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

494

2010 CEDH, 5 janvier 2010, Bongiorno et autres c/ Italie, req. n° 4514/07 CEDH, 12 janvier 2010, Mole c/ Italie, req. n° 24421/03 CEDH, 19 janvier 2010, Muskhadzhiyeva c/ Belgique, req. n° 41442/07 CEDH, 16 mars 2010, Oršuš et autres c/ Croatie, req. n° 15766/03 CEDH, 20 avril 2010, Villa c/ Italie, req. n° 19675/06 CEDH, 22 avril 2010, Chesne c/ France, req. n° 29808/06

- Décisions

1976 Com° EDH, 19 mai 1976, Brüggemann et Sheuten, req. n° 6959/75 1999 CEDH, déc°, 19 octobre 1999, Yildirim c/ Autriche, req. n° 34308/96 2001 CEDH, déc°, 15 février 2001, Dahlab c/ Suisse, req. n° 42393/98 2003 CEDH, déc°, 7 janvier 2003, Younger c/ Royaume Uni, req. no 57420/00 2005 CEDH, déc°, 6 janvier 2005, Hoogendijk c/ Pays-Bas , req. n° 58461/00 2006 CEDH, déc°, 5 décembre 2006, Vos c/ France, req. 10039/03 2007 CEDH, déc°, 12 avril 2007, Francesco Perre et autres c/ Italie, req. n° 1905/05 CEDH, Déc°, 2 mai 2007, Behrami et Behrami c/ la France, req. n° 71412/01, Saramati c/ France, Allemagne et Norvège, req. n° 78166/01

Jurisprudence française

Jurisprudence administrative

TA

TA Marseille, 30 mai 2000, Bourdignon, Thomas, Xueref, Botella

CAA

CAA Marseille, 18 octobre 2001, Ministère de l’emploi et de la solidarité

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

495

CE

CE, 10 juillet 1957, Gervaise

CE, 29 juillet 1998, Esclatine

CE, ASS., 3 mars 2004, Ministère de l’emploi et de la solidarité c/ Consorts

Bourdignon et autres

Jurisprudence judiciaire

TGI

TGI Seine, 4 juin 1964 TGI Paris, 12 juillet 1982

Cour d’appel

CA Paris, 21 juin 1955

Cour de cassation

• Première chambre civile Cass. Civ. 1, 4 novembre 1958 Cass. Civ. 1, 25 novembre 1963 Cass. Civ. 1, 7 janvier 1964, Munzer Cass., Civ. 1, 21 décembre 1964 Cass. Civ. 1, 19 janvier 1965 Cass. Civ. 1, 30 janvier 1967 Cass. Civ. 1, 4 mai 1976 Cass. Civ. 1, 27 novembre 1979 Cass. Civ. 1, 18 novembre 1992 Cass. Civ. 1, 7 juin 1988 Cass. Civ. 1, 14 février 1995, Mme X c/ Y Cass. Civ. 1, 3 juillet 1996 Cass. Civ. 1, 3 juin 1998 Cass. Civ. 1, 20 février 2007, Cornelissen Cass. Civ. 1, 24 septembre 2009

• Deuxième chambre civile Cass. Civ. 2, 28 octobre 1970, Camisan Cass. Civ. 2, 12 octobre 1955 Cass. Civ. 2, 19 février 1997, Bertrand Cass. Civ. 2, 9 octobre 2003 Cass. Civ. 2, 21 décembre 2006

• Troisième chambre civile Cass. Civ. 3, 28 novembre 1972, époux Ackermann Cass. Civ. 3, 5 mai 1975, Dame Hays

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

496

• Chambre criminelle Cass. Crim. 11 avril 1889 Cass. Crim. 13 mars 1890 Cass. Crim. 30 mai 1988, Ben Chaad Cass. Crim. 12 décembre 1989 Cass. Crim. 22 mai 1989, Gabanou Cass. Crim. 13 janvier 2009

• Chambre commerciale Cass. Com. 28 novembre 1966 Cass. Com. 14 janvier 1969 Cass. Com. 26 novembre 1990 Cass. Com. 21 janvier 1992 Cass. Com. 16 novembre 1993, Amerford Cass. Com. 13 mai 1997 Cass. Com. 22 novembre 2005

• Chambre sociale Cass. Soc. 23 novembre 1999 Cass. Soc. 28 mars 2000 Cass. Soc. 4 juillet 2000 Cass. Soc. 10 octobre 2000 Cass. Soc. 23 février 2005 Cass. Soc. 3 octobre 2007

• Assemblée plénière Cass. Ass. Plén. 9 mai 1984, Fullenwarth

• Chambre réunies Cass. Ch. réunies, 13 février 1930

• Chambre des requêtes Cass. Req. 7 avril 1863 Cass. Req. 29 juillet 1891

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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Table des matières

Introduction _______________________________________________________________ 9

Section 1- L’utilité d’une relecture du droit des présomptions ________________________________ 9

§ 1- L’apparente clarté de la notion de présomption _____________________________________ 10

§ 2- La méconnaissance de la notion de présomption ____________________________________ 14

Section 2- L’intérêt d’une relecture à la lumière du droit européen des droits de l’Homme ________ 19

Section 3- La manière de relire le droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de

l’Homme __________________________________________________________________________ 24

Partie I- Révélation de la nature unitaire des présomptions ________________________ 28

Titre I- Essai de théorie générale des présomptions ___________________________________ 32

Chapitre 1- La présomption-preuve _______________________________________________________ 35

Section 1- Le symbole de la relativité de la vérité judiciaire __________________________________ 36

§ 1- Le passage d’un fait connu à un fait inconnu ________________________________________ 37

A- Les principales caractéristiques des présomptions-preuves ________________________ 37

1- Les définitions __________________________________________________________ 37

2- Le doute, père de la présomption __________________________________________ 38

B- Le mode de fonctionnement des présomptions-preuves __________________________ 40

§ 2- La typologie des présomptions-preuves ___________________________________________ 43

A- La typologie d’après leur origine ______________________________________________ 43

B- La typologie d’après leur réfragabilité _________________________________________ 47

Section 2- La construction de la vérité ___________________________________________________ 53

§ 1- Un subtil mélange d’induction et de déduction _____________________________________ 53

A- Les hésitations quant à la nature du raisonnement mis en œuvre ___________________ 54

B- Un raisonnement sui generis ________________________________________________ 55

§ 2- Du connu à l’inconnu : probabilité, expérience et volonté _____________________________ 56

A- “Praesumptio sumitur de eo quod plerumque fit” _______________________________ 56

B- L’utilisation concomitante de modes d’appréciation subjectifs et objectifs ____________ 59

Chapitre 2- La présomption-postulat ______________________________________________________ 64

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

498

Section 1- Autre chose et plus qu’une présomption-preuve _________________________________ 66

§ 1- L’existence de présomptions en dehors de la catégorie des présomptions-preuves ________ 66

A- La présomption d’innocence _________________________________________________ 66

B- La présomption de connaissance de la loi ______________________________________ 67

C- L’autorité de la chose jugée et de la chose décidée_______________________________ 68

D- La présomption de communauté de l’article 1402 du Code civil ____________________ 69

§ 2- L’attribution de la charge de la preuve ____________________________________________ 71

A- L’intérêt des présomptions renforçant le principe « actori incumbit probatio » ________ 72

B- La question de l’inversion de la charge de la preuve ______________________________ 76

C- Le problème de l’attribution de la charge de la preuve par une présomption irréfragable 78

Section 2- La transcendance de la réalité au profit des besoins du système _____________________ 80

§ 1- Ex nihilo, praesumptionem fit ____________________________________________________ 80

§ 2- Les piliers de l’ordre juridique ___________________________________________________ 82

Chapitre 3- La présomption-concept ______________________________________________________ 88

Section 1- L’originalité de la présomption-concept _________________________________________ 89

§ 1- Ni tout à fait une présomption-preuve, ni tout à fait une présomption-postulat ___________ 89

A- Le motif d’une règle de fond _________________________________________________ 89

B- La justification de l’appellation _______________________________________________ 91

§ 2- Le singulier domaine de prédilection de la présomption-concept _______________________ 92

A- La recherche de la volonté ou de l’intention ____________________________________ 92

B- Relativisation du rôle des présomptions-concepts en la matière ____________________ 95

Section 2- L’ambiguïté de la présomption-concept _________________________________________ 97

§ 1- Un rapport au temps paradoxal __________________________________________________ 97

A- L’apparente détemporalisation de la présomption-concept ________________________ 97

B- La mutabilité constitutive de la présomption-concept ____________________________ 98

§ 2- Un rapport au droit indécis_____________________________________________________ 100

A- De la présomption au préjugé_______________________________________________ 100

B- De l’intuition à la présomption ______________________________________________ 102

Titre 2- La trinité présomptive à l’épreuve du droit européen des droits de l’Homme ______ 107

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

499

Chapitre 1- L’existence de trois types de présomptions confirmée _____________________________ 110

Section 1- L’influence probatoire de deux types de présomptions ___________________________ 111

§ 1- La présomption-preuve ou le déplacement de l’objet de la preuve _____________________ 111

A- Compatibilité de la présomption-preuve avec le critère de la preuve « au-delà de tout

doute raisonnable » ___________________________________________________________ 112

1- Un critère apparemment exclusif des présomptions-preuves ___________________ 112

a- La généralité du critère ________________________________________________ 112

b- La rigueur d’un critère issu du droit pénal anglo-saxon _______________________ 113

c- Un critère controversé _________________________________________________ 115

2- Un critère effectivement compatible avec les présomptions-preuves ____________ 116

a- L’assouplissement européen du critère de la preuve « au-delà de tout doute

raisonnable » ____________________________________________________________ 116

b- L’autonomisation du critère ____________________________________________ 121

B- L’utilisation exemplaire par le juge européen __________________________________ 123

1- Les présomptions de responsabilité en matière de droit à la vie et d’interdiction de la

torture ____________________________________________________________________ 124

a- L’objectif ____________________________________________________________ 125

b- Le mode de fonctionnement ____________________________________________ 126

2- Les présomptions de discrimination indirecte _______________________________ 132

a- Les incertitudes quant à la nature du mécanisme mis en œuvre _______________ 133

b- Un champ d’application limité __________________________________________ 136

§ 2- La présomption-postulat ou l’attribution du fardeau de la preuve _____________________ 139

A- L’existence incontestable de présomptions-postulats en droit européen des droits de

l’Homme ____________________________________________________________________ 140

1- Quant à l’objet ________________________________________________________ 140

2- Quant à la mission _____________________________________________________ 145

B- L’articulation entre présomptions-postulats et présomptions-preuves ______________ 148

1- Un apparent conflit de présomptions ______________________________________ 148

a- Présomption-preuve de culpabilité contre présomption d’innocence ___________ 149

b- Présomption-preuve de partialité contre présomption d’impartialité ___________ 149

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

500

2- La possible réfutation d’une présomption-postulat par une présomption-preuve

contraire __________________________________________________________________ 152

Section 2- Un type de présomption en amont de la jurislation ______________________________ 156

§ 1- L’exemple de la présomption-concept de dangerosité des marginaux __________________ 157

A- La singulière catégorisation de l’article 5 § 1 e) _________________________________ 158

1- Une cohérence voilée par l’apparente hétérogénéité des personnes concernées ___ 159

2- Un but précis : autoriser la détention des marginaux __________________________ 160

a- La détention des marginaux, une mesure de contrôle social __________________ 160

b- La détention des marginaux, une mesure de police administrative _____________ 161

B- La présomption sous-jacente de dangerosité des marginaux ______________________ 162

1- Une présomption-concept _______________________________________________ 162

2- Analyse critique _______________________________________________________ 163

§2- Le mode de fonctionnement de la présomption-concept de dangerosité des marginaux ____ 167

A- Absence d’influence probatoire _____________________________________________ 167

B- Une présomption résurgente _______________________________________________ 170

Chapitre 2 – L’essence commune des présomptions révélée __________________________________ 176

Section 1- L’échec du droit international privé : l’inconstante valeur juridique des présomptions __ 178

§ 1- Un apport certain : le constat de l’influence substantielle des présomptions légales _______ 179

A- Le rattachement des présomptions-preuves légales à la loi du fond ________________ 180

B- Le rattachement des présomptions-postulats légales à la loi du fond _______________ 184

§ 2- Un apport lacunaire : l’absence d’une vision d’ensemble des présomptions _____________ 185

A- L’indifférence du droit international privé à l’égard des présomptions judiciaires _____ 185

B- L’indifférence du droit international privé à l’égard des présomptions-concepts ______ 186

Section 2- La contribution décisive du droit européen des droits de l’Homme : les présomptions, des

principes d’orientation cognitifs _______________________________________________________ 187

§1- Un modus operandi fondamentalement identique __________________________________ 188

A- L’infléchissement opéré par la présomption sur la situation de son bénéficiaire ______ 188

1- La présomption, source d’objectivisation de la responsabilité ___________________ 188

2- La censure in abstracto de certaines présomptions ___________________________ 193

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

501

B- La présomption, source de connaissance préorientée ___________________________ 196

1- La justification de l’appellation principe d’orientation cognitif __________________ 196

2- Les indices jurisprudentiels favorables à son utilisation ________________________ 198

a- Présomptions-concepts, principes et sources du droit _______________________ 198

b- Présomptions-preuves et « principes généraux » au sens de la jurisprudence

européenne _____________________________________________________________ 199

c- Le principe de la présomption d’innocence ________________________________ 201

§ 2- Des convergences concrètes ___________________________________________________ 202

A- Cycle présomptif _________________________________________________________ 203

1- L’existence d’interférences intracatégorielles ________________________________ 203

a- Exemples d’interférences intracatégorielles _______________________________ 203

b- Explications des interférences intracatégorielles ____________________________ 206

i- Explications subjectives ______________________________________________ 207

ii- Explications objectives ______________________________________________ 208

2- L’existence de liens interprésomptifs ______________________________________ 211

a- L’autogénération présomptive __________________________________________ 211

b- L’imbrication présomptive _____________________________________________ 214

B- Equilibre présomptif ______________________________________________________ 217

C- Echelles présomptives _____________________________________________________ 220

1- De simples variations de degré ___________________________________________ 220

a- Probabilité, expérience et volonté : un dosage subtil mais déterminant _________ 220

b- La limite à la diversité présomptive : la fiction ______________________________ 222

i- Des points communs indéniables ______________________________________ 223

ii- D’inaltérables différences ____________________________________________ 224

2- Un mode de construction unique _________________________________________ 225

Partie II- Revalorisation du rôle des présomptions _______________________________ 232

Titre 1- Facteur de cohésion _____________________________________________________ 237

Chapitre 1- Une technique de réalisation __________________________________________________ 240

Section 1- Réalisation par la connaissance ______________________________________________ 243

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

502

§ 1- Transcendance cognitive ______________________________________________________ 244

A- Le dépassement de la probabilité ____________________________________________ 244

1- La consécration européenne des liens unissant présomption et probabilité _______ 244

a- Les statistiques, assises potentielles des présomptions de discrimination ________ 244

b- Le reflet de la proximité globale entre présomption et probabilité _____________ 246

2- L’impossible assimilation de la présomption à la probabilité ____________________ 248

a- Absence d’adéquation parfaite entre les deux notions _______________________ 248

b- La présomption, une probabilité effective _________________________________ 251

B- Le dépassement du paradigme probatoire ____________________________________ 253

1- Le dépassement du paradigme rétrospectif de la preuve : la connaissance du futur _ 254

a- Les présomptions de risque de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH,

exemples de présomptions prospectives ______________________________________ 254

b- L’adaptation du modèle présomptif à une activité prospective ________________ 256

2- Le dépassement du paradigme concret de la preuve : la connaissance de l’abstrait _ 258

a- Les présomptions européennes concernant la nature humaine, exemples de

présomptions spéculatives _________________________________________________ 258

b- L’adaptation du modèle présomptif à une activité spéculative _________________ 259

§ 2- Neutralité cognitive __________________________________________________________ 261

A- Une neutralité fonctionnelle ________________________________________________ 261

B- Une neutralité originellement altérée ________________________________________ 262

1- La présomption, expression d’une faveur selon la jurisprudence européenne ______ 263

2- Une manifestation de la « polyvalence des techniques » _______________________ 265

Section 2- Réalisation par le raisonnement ______________________________________________ 267

§1- Les présomptions antérieures au travail interprétatif ________________________________ 267

A- Les présomptions de rationalité _____________________________________________ 268

B- La précompréhension _____________________________________________________ 269

1- Un processus de type présomptif _________________________________________ 269

2- L’exemple de la précompréhension de la CEDH : « in dubio pro libertate » ________ 269

§ 2- Les présomptions liées à l’interprétation « effectuante »_____________________________ 271

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

503

A- Analyse des rapports entre présomption et interprétation _______________________ 271

1- L’apparente antinomie entre présomption et interprétation ___________________ 271

2- L’utilisation des présomptions-concepts par le juge à des fins interprétatives ______ 272

a- La présomption-concept, moyen idéal de pallier les insuffisances du droit positif _ 273

b- La présomption-concept, moyen efficace de développer le contenu de la CEDH __ 274

B- La formulation d’une relation métajuridique ___________________________________ 276

1- Le traitement du doute _________________________________________________ 276

2- Je présume, donc je suis. ________________________________________________ 277

Chapitre 2- Une technique de régulation __________________________________________________ 280

Section 1- La validation européenne de la thèse de DEMOGUE ______________________________ 283

§ 1- La vigueur renouvelée des présomptions au service de la sécurité statique ______________ 283

A- Des présomptions traditionnellement timides _________________________________ 283

1- La présomption de conformité de l’état de fait à l’état de droit, cœur de la sécurité

statique ___________________________________________________________________ 284

2- Les extensions potentielles de cette présomption ____________________________ 285

B- Des présomptions hardies en droit européen des droits de l’Homme _______________ 286

1- La présomption régulatrice d’existence des voies de recours internes ____________ 286

2- La présomption régulatrice d’équivalence de la protection des droits fondamentaux par

le droit de l’Union européenne et par le droit de la CEDH ___________________________ 290

§ 2- La clarification de l’activité régulatrice des présomptions au service de la sécurité statique _ 297

A- La régulation comme logique simplificatrice ___________________________________ 297

B- La régulation comme source d’harmonie artificielle _____________________________ 300

C- La régulation comme cohésion ciblée : de la cohésion du système à la coordination des

ordres _______________________________________________________________________ 301

Section 2- Un risque de retenue judicaire _______________________________________________ 305

§ 1- Les présomptions européennes engendrées par le principe de subsidiarité, limites au contrôle

européen ______________________________________________________________________ 305

A- La marge nationale d’appréciation, source de présomptions allégeant le contrôle de

proportionnalité ______________________________________________________________ 305

B- La présomption de régularité dans l’établissement national des faits _______________ 308

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

504

§ 2- L’admission des présomptions nationales en matière répressive, signe d’un contrôle européen

limité __________________________________________________________________________ 310

A- Une jurisprudence constante favorable aux présomptions nationales en matière répressive

310

1- Les décisions annonciatrices _____________________________________________ 311

2- Les arrêts fondateurs ___________________________________________________ 312

3- La confirmation ultérieure _______________________________________________ 313

B- Appréciation critique de la jurisprudence favorable aux présomptions nationales en

matière répressive ____________________________________________________________ 319

1- Justification pratique ___________________________________________________ 319

2- Justification théorique __________________________________________________ 321

Titre 2 – Facteur d’évolution ____________________________________________________ 328

Chapitre 1- La contribution des présomptions à l’interprétation progressiste _____________________ 330

Section 1- Une contribution doublement décisive ________________________________________ 332

§ 1- Les présomptions, outils d’effectivité de la protection des individus ____________________ 332

A- Le renforcement général de la protection des droits fondamentaux___________________ 332

1- Le rééquilibrage probatoire du contentieux au profit des requérants _____________ 332

a- L’établissement des faits _______________________________________________ 333

b- Le constat de violation ________________________________________________ 338

2- Les avancées procédurales encadrant la violation alléguée _____________________ 345

a- Victime présumée ____________________________________________________ 345

b- Dommage moral présumé ______________________________________________ 349

B- Le renforcement particulier de la protection des personnes vulnérables ____________ 353

1- Le recours à des présomptions de vulnérabilité ______________________________ 353

a- Un recours traditionnel ________________________________________________ 353

b- Un recours renouvelé _________________________________________________ 355

2- L’utilisation des présomptions en faveur des personnes vulnérables _____________ 358

a- Un courant présomptif classique favorable aux personnes vulnérables __________ 358

b- Un nouvel élan grâce à la jurisprudence européenne ________________________ 360

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

505

i- Un faisceau de présomptions protégeant les personnes vulnérables __________ 360

ii- La situation de sujétion, cœur de la protection présomptive des personnes

vulnérables ___________________________________________________________ 363

§ 2- Les présomptions, outils didactiques à l’égard des Etats contractants __________________ 366

A- Les origines de l’impact didactique de la présomption ___________________________ 366

1- La dialectique présomptive ______________________________________________ 366

2- Le caractère performatif de la présomption _________________________________ 368

B- Illustrations particulières de l’impact didactique des présomptions_________________ 370

1- Les présomptions de bien-fondé des allégations, sanctions de la passivité étatique _ 371

2- Les présomptions liées à l’existence d’une pratique administrative, source de réformes

structurelles _______________________________________________________________ 374

3- Les potentialités des présomptions de connivence ___________________________ 376

Section 2- Une contribution indissociable d’un encadrement des présomptions ________________ 380

§1- L’exigence de réfragabilité______________________________________________________ 380

A- Une limite aux potentielles déviances présomptives _____________________________ 381

1- Les dangers de l’irréfragabilité ____________________________________________ 381

2- Le rejet de l’irréfragabilité _______________________________________________ 383

a- Un rejet récurrent ____________________________________________________ 383

b- Un rejet parfois nuancé ________________________________________________ 386

i- L’exemple de la présomption de paternité _______________________________ 386

ii- L’exemple des présomptions de responsabilité en matière douanière ________ 391

B- L’article 13 de la CEDH, censeur en puissance des présomptions irréfragables ________ 392

1- L’inadaptation du principe de proportionnalité pour contrôler la réfragabilité

présomptive _______________________________________________________________ 392

2- La recherche d’un fondement conventionnel au contrôle de la réfragabilité _______ 394

§ 2- Un pouvoir d’appréciation du juge _______________________________________________ 397

A- Un pouvoir d’appréciation traditionnellement limité ____________________________ 397

B- Une exigence à part entière en droit de la CEDH ________________________________ 399

Chapitre 2 – La découverte de la légitimité des présomptions _________________________________ 406

Section 1- La légitimité, critère de sublimation du droit des présomptions _____________________ 408

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

506

§ 1- L’exclusion européenne des présomptions illégitimes _______________________________ 408

A- L’exemple du rejet des présomptions de renonciation à un droit __________________ 409

1- La problématique des présomptions de renonciation _________________________ 409

2- Les modalités du rejet des présomptions de renonciation ______________________ 410

B- Une exclusion exceptionnelle _______________________________________________ 414

§ 2- La suppression française des présomptions illégitimes _______________________________ 419

A- L’abrogation des présomptions d’interposition de personnes de l’article 1100 du Code civil

420

B- La fin des présomptions de survie découlant de la théorie des comourants __________ 421

C- La disparition progressive de la présomption de représentativité des syndicats _______ 423

Section 2- La légitimité, source de pérennité du droit des présomptions ______________________ 425

§ 1- De la légitimité à l’adhésion ____________________________________________________ 425

A- La légitimité par la normalisation ____________________________________________ 425

B- La présomption, mécanisme de légitimation ___________________________________ 429

1- La présomption, base juridique d’une espérance légitime ______________________ 429

2- La légitimité présomptive, une légitimité communicative ______________________ 430

§ 2- De la légitimité à l’utilité _______________________________________________________ 431

A- L’appréciation casuistique de l’utilité présomptive ______________________________ 431

B- L’appréciation globale de l’utilité présomptive _________________________________ 433

Conclusion générale _______________________________________________________ 439

Annexes _______________________________________________________________________ 443

Annexe 1- Tableau comparatif des différentes présomptions __________________________ 443

Annexe 2 : Triangle juridique figurant la trinité présomptive ___________________________ 444

Annexe 3- Passage du connu à l’inconnu dans les présomptions de responsabilité sur le

fondement des articles 2 et 3 de la CEDH. __________________________________________ 445

Annexe 4- Cycle présomptif : symbole des chevauchements et interférences entre les trois

catégories de présomptions _____________________________________________________ 446

Annexe 5- Imbrication et autogénération présomptive : l’exemple des présomptions liées aux

privations de liberté ___________________________________________________________ 447

Page 508: Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit

Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

507

Annexe 6- Equilibre présomptif. Balance présomptive : jeu de freins et contrepoids entre des

présomptions-postulats et des présomptions-preuves antagonistes _____________________ 448

Abréviations ____________________________________________________________________ 449

Index __________________________________________________________________________ 451

Bibliographie ___________________________________________________________________ 455

OUVRAGES GENERAUX, COURS, DICTIONNAIRES, MANUELS, TRAITES ___________________ 455

OUVRAGES SPECIAUX, THESES, MONOGRAPHIE, OUVRAGES COLLECTIFS, ACTES DE COLLOQUES

____________________________________________________________________________ 458

OUVRAGES EXTRAJURIDIQUES : OEUVRES PHILOSOPHIQUES, ŒUVRES LITTERAIRES, etc. ____ 465

ARTICLES ____________________________________________________________________ 467

RAPPORTS, AVIS ET AUTRES DOCUMENTS __________________________________________ 482

Jurisprudence ___________________________________________________________________ 483

Jurisprudence européenne ______________________________________________________ 483

Commission EDH ___________________________________________________________ 483

- Décisions ____________________________________________________________ 483

- Rapports _____________________________________________________________ 483

Cour EDH __________________________________________________________________ 483

- Arrêts _______________________________________________________________ 483

- Décisions ____________________________________________________________ 494

Jurisprudence française ________________________________________________________ 494

Jurisprudence administrative __________________________________________________ 494

TA _____________________________________________________________________ 494

CAA ____________________________________________________________________ 494

CE _____________________________________________________________________ 495

Jurisprudence judiciaire ______________________________________________________ 495

TGI ____________________________________________________________________ 495

Cour d’appel ____________________________________________________________ 495

Cour de cassation ________________________________________________________ 495

Table des matières _______________________________________________________________ 497

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Relecture du droit des présomptions à la lumière du droit européen des droits de l'Homme

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