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de mémoire de médecin LA REVUE DU PRATICIEN VOL. 59 20 décembre 2009 1472 Le papyrus d’Ebers, qui contient l’essentiel des prescriptions médicales égyptiennes, recèle, dans son paragraphe 348, une intéressante recette « pour chasser le sang des yeux ». Ce remède empirique, à base de complexes organométalliques, exerçait peut être une action protectrice sur la rétine. UN REMÈDE POUR LES YEUX PRESCRIT DANS * 2, avenue Aristide Briand, 91440 Bures-sur-Yvette [email protected] par Maurice Israël * d(w) m jr.ty n - d(w) sn’ (w) mw : 1 djaret : 1 `w3(w) : 1 h - t Ebers : prescription 348 (57, 6-8) redécouverte fortuite de ces papyrus médicaux vieux de quelque 3 500 ans allaient révéler le savoir médical de l’Égypte antique ; la médecine grecque y avait plongé ses racines, puis ce fut ce long silence jusqu’aux savants de Bonaparte. Heureusement, la médecine arabe et hébraïque, héritière de la tradition grecque, avait trans- mis une partie de ce savoir, enseigné jusqu’à Montpellier. LE PAPYRUS D’EBERS La médecine égyptienne, qui fut la source, resta ignorée jusqu’à la découverte de ses textes fondateurs par les fouilleurs de tombes. Deux papyrus (1 500 ans avant J.-C.), sont particulièrement essentiels : le papyrus acquis par Edwin Smith, publié en 1930, est un traité des pra- C omme le rappelle Lefebvre 1 dans son essai sur la médecine égyptienne à l’époque pharaonique, Hippocrate, le « père de la médecine », ne man- qua pas de s’instruire dans les livres égyptiens. Comme le dit Galien de Pergame, les médecins grecs consultaient les ouvrages conservés dans la bibliothèque du temple d’Imhotep à Memphis. Aristote connaissait la pharmaco- pée d’Égypte, ce pays qu’allait conquérir Alexandre et qui serait encore le centre de la culture sous les Ptolé- mées. Cependant, les textes fondateurs de cette méde- cine, comme toute la civilisation égyptienne, allaient disparaître durant deux millénaires dans le secret des sépultures ; la conquête romaine et l’incendie de la biblio- thèque d’Alexandrie allaient achever le désastre. Le déchiffrement des hiéroglyphes par Champollion et la Fin de lecture TOUS DROITS RESERVES - LA REVUE DU PRATICIEN

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Ophtalmology in Ancient Egypt

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LA REVUE DU PRATICIEN VOL. 5920 décembre 20091472

Le papyrus d’Ebers, qui contient l’essentiel des prescriptions médicales égyptiennes, recèle,dans son paragraphe 348, une intéressante recette « pour chasser le sangdes yeux ». Ce remède empirique, à base de complexes organométalliques, exerçaitpeut être une action protectrice sur la rétine.

UN REMÈDE POUR LES YEUXPRESCRIT DANS

* 2, avenue Aristide Briand, 91440 Bures-sur-Yvette [email protected]

par Maurice Israël *

d(w) m jr.ty n-d(w) sn’ (w) mw : 1 djaret : 1 `w3(w) : 1 h- t

Ebers : prescription 348 (57, 6-8)

redécouverte fortuite de ces papyrus médicaux vieux dequelque 3 500 ans allaient révéler le savoir médical del’Égypte antique ; la médecine grecque y avait plongé sesracines, puis ce fut ce long silence jusqu’aux savants deBonaparte. Heureusement, la médecine arabe ethébraïque, héritière de la tradition grecque, avait trans-mis une partie de ce savoir, enseigné jusqu’à Montpellier.

LE PAPYRUS D’EBERSLa médecine égyptienne, qui fut la source, resta ignoréejusqu’à la découverte de ses textes fondateurs par lesfouilleurs de tombes. Deux papyrus (1 500 ans avantJ.-C.), sont particulièrement essentiels : le papyrus acquispar Edwin Smith, publié en 1930, est un traité des pra-

Comme le rappelle Lefebvre 1 dans son essai sur lamédecine égyptienne à l’époque pharaonique,Hippocrate, le « père de la médecine », ne man-

qua pas de s’instruire dans les livres égyptiens. Comme ledit Galien de Pergame, les médecins grecs consultaientles ouvrages conservés dans la bibliothèque du templed’Imhotep à Memphis. Aristote connaissait la pharmaco-pée d’Égypte, ce pays qu’allait conquérir Alexandre etqui serait encore le centre de la culture sous les Ptolé-mées. Cependant, les textes fondateurs de cette méde-cine, comme toute la civilisation égyptienne, allaientdisparaître durant deux millénaires dans le secret dessépultures ; la conquête romaine et l’incendie de la biblio-thèque d’Alexandrie allaient achever le désastre. Ledéchiffrement des hiéroglyphes par Champollion et la

Fin de lecture

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LA REVUE DU PRATICIEN VOL. 5920 décembre 2009 1473

tiques chirurgicales ; le papyrus acquis par Georg Ebers,publié en 1875, nous renseigne sur l’essentiel des pres-criptions médicales qui ont soulagé des patients durantdeux millénaires. Ce dernier papyrus comporte 110 pageset 877 paragraphes qui résument l’essentiel des prescrip-tions médicales de l’Égypte antique ; cette pharmacopéeavait inspiré la médecine hellénique où nous trouvons nostraditions, c’est dire l’importance de ce documentconservé à l’université de Leipzig.Le papyrus d’Ebers propose des prescriptionscouvrant l’essentiel de la pathologie : recettespour traiter les douleurs internes, faciliterl’évacuation des collections, l’élimination desvers ; prescriptions destinées à guérir les obs-tructions, les maladies de l’anus ; prescriptionspour les maladies du cœur, les affections uri-naires, ou pour traiter la toux ; traitementspour les affections des oreilles ; prescriptions contre lesaffections dentaires ; traitements pour les morsures, lesecchymoses, les brûlures, les abcès ; un traité destumeurs ; prescriptions gynécologiques ; traitements ducuir chevelu ; prescriptions ophtalmologiques.Les prescriptions ophtalmologiques sont particulière-ment intéressantes, car elles concernent aussi bien lesaffections des paupières, telles que blépharites, orgelets,chalazions (désignés par le terme « bille dans l’œil »), que

les ectropions (retournement des chairs) ou le trichiasis(cils retournés vers la cornée). On trouve également untraitement des ptérygions (épaississement triangulairede la conjonctive), ou une prescription pour faire dispa-raître « la graisse des yeux » (taies, ou pinguicula).Citons aussi des recettes contre l’ambliopie, l’héméralo-pie, ou une prescription contre la montée d’eau dans lesyeux (il s’agit bien de cataracte). Un traitement de l’oph-

talmie granuleuse d’Égypte ou trachome sem-ble intéressant… Le papyrus commence partrois formules magiques, invocations destinéesà protéger le médecin (toujours d’actualité).Les « recettes » qui suivent sont des mélangescouvrant des centaines de plantes médicinalessouvent difficiles à identifier (v. Germer 2), desminéraux, ou des produits animaux. Cesmélanges ont, pour certains, prouvé leur effica-

cité, et il serait absurde de considérer que ces médecinsde l’Antiquité n’avaient qu’un point de vue magique oureligieux.Dans un précédent article sur l’organisation de lamédecine dans l’Égypte ancienne, Ziskind et Halioua 3

avaient analysé la structure du corps médical et montréles frontières entre la pratique médicale proprementdite et le support religieux et magique qui pouvait l’en-cadrer.

L’ÉGYPTE PHARAONIQUEConfrontation, en vis-à-vis du texte hiératique, de sa transcription hiéroglyphique et de sa translittération, pour la prescription 348.

snf(w) dr n(y).t k.tmsdm.t : 1 w3d-w : 4 t-rw : 1 mjr.ty (snf)

Maurice Israëlest directeurde rechercheau CNRS(laboratoirede neurobiologiecellulaireet moléculaire).

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Il nous semble naturel de rejeter tout ce qui est irration-nel ou inspiré par la magie ou l’incantation, mais il arriveque les mélanges décrits avec ces incantations soient effi-caces et soulagent véritablement les patients. Ces mélan-ges, que le temps et l’empirisme médical sélectionnent,méritent alors notre attention.

QUAND LE FARD DEVIENTMÉDICAMENTL’ophtalmologie tient une place importante dans le papy-rus d’Ebers ; sous le règne d’Aménophis I, 1 550 ansavant J.-C., les médecins pouvaient prescrire plusieursremèdes pour « chasser le sang des yeux ». L’une de cesformules nous a semblé intéressante, il s’agit du paragra-phe 348 (57, 6-8) qui décrit « un autre [remède] pourchasser le sang » : k.t n(y).t dr snf (w). Le texte hiéra-tique, sa transcription hiéroglyphique et sa translittéra-tion sont mis en vis-à-vis (v. page 1473).4-7

Cette prescription associe ocre rouge 1, malachite 4,galène 1, bois pourri 1, plante non identifiée djaret 1,eau 1. Les chiffres (nombre de traits) donnent les pro-portions.L’ocre rouge, t-rw, est représenté par le godet d’ocre de lapalette du scribe.8, 9 Dans une prescription équivalente(345), le godet de t-rw est remplacé par le nom dumineraimnšt 6 établissant un lien d’équivalence entre t- rw etmnšt. On désigne aussi l’ocre rouge par le terme t-mhy(terre de Basse-Égypte) ; à distinguer de sa forme hydra-tée, l’ocre jaune sty, ou terre de Nubie t- sty.

9, 10 Harrisnote, en effet, que la barque de Ré « du Livre desmorts »

est jaune, et peinte avec du sty.11

Depuis la plus haute Antiquité, l’ocre rouge ou hématiteest préparée par calcination de l’ocre jaune hydratée, ougoethite (FeOOH) [en référence à Goethe qui collection-nait des minerais]. L’hématite existe aussi dans la nature ;c’est un minerai dur, désigné par le terme didi. Harris 11 arelevé dans la liste des minerais du papyrus ChesterBeatty, la phrase « didi n t3 sty » établissant un lien entredidi et sa matière d’origine sty. Signalons cette image, latombe d’Apy (n° 217 nécropole de Thèbes), de l’époquede Ramsès II, sur laquelle on voit un ouvrier blessé et unoculiste en train de le soigner. Le produit sortant destubes jumelés est rouge comme l’ocre t-r.

12

Pour ce qui est de w3d-w, la malachite9,13 est le fard vert,

carbonate de cuivre ou Cu2CO3(OH)2. Le minerai lui-même serait nommé šsmt. Ce fard vert pourrait contenird’autres sels verts de cuivre, du chrysocolle (silicate decuivre),14 ou du vert-de-gris (acétate de cuivre).

Harris cite l’expression « šsyt nt w3d- » signifiant frite ouminerai vert. Enfin, Harris dit aussi quew3d- peut avoir unautre sens, et exprimer la fraîcheur, ryt w3d signifiantencre non séchée, assimilant le vert à la fraîcheur duvégétal non flétri.11

Il y a moins de doute pour le khôl (le fard noir pour lesyeux), traduit msdm.t. Pour fabriquer le khôl, la galène(ou sulfure de plomb [SPb]) est mélangée à des graissescarbonisées. Le minerai de galène lui-même est nommégsfn comme dans la prescription 355, contre les orgeletset chalazions, désignés par le terme psd ou bille dans l’œil.Le terme ht ‘w3(w), translittéré xt awA dans le Wörter-buch,9 pose problème. Le sens de ht est bois ; la traduc-tion bois pourri a été proposée,6 mais il nous semble quebois macéré ou fermenté est plausible, si on le mouillaitpour le ramollir ou en extraire des produits de fermenta-tion et tanins.Quant au végétal non identifié d-3r.t, D. Meeks a relevé en2007 (communication personnelle) les trois mots d-3jr,d-3r.t, et d-3r. Une étude approfondie mériterait d’êtreentreprise.La traduction proposée par le Wörterbuch 9 est coloquinte(Citrullus colocynthis) qui cite la Flore de Germer.13, 2

Cependant, dans son recueil épigraphique, Charpentier 15

relève dans un texte d’Edfou (Edfou II, 207, 9-10) l’ex-pression nh.t d- 3r.t. En règle générale, nh.t désigne l’arbresycomore, mais nh.t-sntr signifie également arbre àencens ; ainsi, nh.t d-3r.t pourrait signifier arbre à d- 3r.t.Cela rend la coloquinte, qui pousse à même le sol, moinsprobable.Une autre traduction pour d-3r.t serait le caroubierCerato-nia siliqua ; elle a été proposée par Dawson,16 qui citeLoret. Pour ce qui est de la gousse du caroubier, on a deuxmots, ndm etw’h ; le second est probablement une erreur,car son déterminatif en croissant a été assimilé à unegousse, alors qu’il s’agirait d’un rhizome. En effet, unepeinture murale, tombe thébaine n° 100 (18e dynastie),montre un tas de tubercules ronds, w’h, déterminés parun croissant, signifiant alors rhizome et non gousse, reçus(szp) par les laboureurs (ihtiw) en mesures (hékat). Ils’agirait des tubercules du souchet comestible, dont onfait des farines et des boissons laiteuses, encore consom-mées aujourd’hui jusqu’en Espagne (horchata de chufa).La gousse du caroubier, douce et agréable au goût, estdésignée par le terme « agréable » ndm explicité par unegousse reconnaissable. Dans ces conditions, nh.t d-3r.tpourrait être le caroubier et sa gousse serait ndm.La farine préparée à partir de l’écorce ou de la gousse estun antidiarrhéique encore en usage.

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Il est toutefois possible que d-3r.t soit un autre végétal.Signalons, en effet, que Pline,17 dans son Histoire Natu-relle (livre XXI [91, LIV]), cite une plante médicinale épi-neuse des Égyptiens, le scorpio, qui est considéré dans lecommentaire associé au texte (91.1), comme étant pro-che du scorpios de Théophraste (Genista acantho-

clada). Or, il faut remarquer que d-3r.t signifie égalementscorpion, seul le déterminatif distingue la plante du scor-pion. Le scorpio des Égyptiens dont parle Pline pourraitbien être un genêt scorpio, qui pousse en Égypte. Dans ledictionnaire grec-français (A. Bailly), σκορπιος désigneaussi une sorte d’ajonc (Spartium scorpio). Tous cesgenêts sont des arbustes de la même famille, fabacae(papilonacées) ou légumineuses à gousse. Qu’il s’agissedu genêt à balai, du genêt des teinturiers ou des variétésépineuses, ces genêts contiennent un alcaloïde puissantet vasoconstricteur, la spartéine.La comparaison du genêt au scorpion vient de la cour-bure des parties florales en queue de scorpion. Ainsi lesgenêts « scorpion » seraient une alternative à la caroubeou à la coloquinte, nous la proposons avec prudence.La suite de la prescription comprend de l’eau, mw, pourdissoudre ces ingrédients.On a donc un mélange pour chasser le sang des yeux,constitué de t- rw, w3d-w, msdm.t, ht ‘w3(w), d-3r.t, mw ;soit ocre rouge, malachite, khôl, bois fermenté, genêt

scorpio (caroube, coloquinte), eau. Et il est écrit « serabroyé finement et mis dans les yeux » (n d (w) sn’(w) d(w)mjr.ty).La notion de fard-médicament pour les yeux, à l’originede la prescription, est suggérée par la jolie fresque de laprincesse Nefertiabet assise devant une table d’offrandes(musée du Louvre) ; on peut y repérer les mots fards vertw3d- et noirmsd déterminés par les yeux.

DÉGÉNÉRESCENCE DE LA RÉTINEL’image rétinienne se forme par blanchiment du pigmentvisuel rhodopsine des cellules photosensibles (bâtonnetset cônes). La lumière convertit le cis-rétinaldéhyde entrans-rétinaldéhyde, qui se dissocie alors de la protéineopsine. Cette dernière contrôle la concentration du gua-nosine monophosphate (GMP) cyclique et l’ouverturedes canaux sodiques, en agissant sur le système transdu-cine-phosphodiestérase. À la lumière, il y a une baisse deGMP cyclique, une fermeture des canaux et une diminu-tion de la libération du médiateur glutamate. Or, cemédiateur inhibe la cellule bipolaire, qui est ainsi activéepar la baisse du glutamate libéré à l’éclairement. Ainsi,l’image rétinienne est convertie point par point en cou-rants électriques, transmis à l’étage suivant de la rétine,la neurorétine, constituée de cellules bipolaires et de

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Un remède pour les yeux prescrit dans l’Égypte pharaonique

Ih tiw (w)Laboureur(s)Hekat nwMesures

SzpReçoivent

W’h(Tubercules)

À gauche :Détail d’une fresque de la tombe d’Apy nécropole de Thébesn° 217. Un ouvrier est soigné par le médecin des yeux,noter le produit rouge (hématite) dans le double tube, le nécessairedu médecin, le stylet…

À droite :Détail d’une peinture murale, tombe thébaine n° 100.Collecte de tubercules (probablement du souchet comestible)croissant-rhizome abréviation de w’h.

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cellules ganglionnaires à l’origine du nerf optique. Leretour à l’état initial sera assuré par l’action de plusieursenzymes, qui reconvertiront le trans-rétinaldéhyde encis-rétinaldéhyde, qui a une grande affinité pour l’opsine,et se réassocie à la protéine pour reformer la rhodopsine.Ce cycle visuel peut être altéré dans de nombreuses mala-dies. Par exemple, la dégénérescence maculaire liée àl’âge. La dégénérescence des cellules photosensibles peutêtre aussi la conséquence d’unemutation du transporteurdu trans-rétinaldéhyde (maladie de Stargardt). La mortde ces cellules est associée dans les deux cas à l’accumula-tion dans leur cytoplasme de cristaux de lipofuscine. Or,cette substance est le produit d’une réaction entre letrans-rétinaldéhyde en excès, et des amines tissulairescomme l’éthanolamine. Les précipités de lipofuscine vontalors détruire les cellules de lamacula, altérer la vasculari-sation de la rétine, entraîner des hémorragies locales etune inflammation. Il est donc utile, comme dit la prescrip-tion, de « chasser le sang des yeux ».

HYPOTHÈSE SUR LE MÉCANISMED’ACTION DE LA PRESCRIPTION 348Bien que non identifiée avec certitude, la plante d-3r.tcontient, comme tout extrait végétal, du lycopène et

des caroténoïdes précurseurs du pigment visuel, ainsique des polyphénols 18 qui ont des propriétés anti-oxydantes, théaflavine, resvératrol, naringine ou gallo-tanins, etc. Ces substances polyphénoliques vont vrai-semblablement former avec la malachite (carbonate decuivre) des complexes organométalliques. La cellulosedu bois, des lignines et des tanins contribueront à la for-mation de ces complexes. On peut les comparer à celuique forment l’oxyde de cuivre et l’acide tartrique dansun réactif comme la liqueur de Fehling, qui sert audosage pondéral du glucose ; la fonction aldéhyde duglucose réduit le cuivre CuO du complexe cuprotar-trique en Cu2O insoluble.Ainsi, il est possible que ces complexes organométal-liques réagissent avec le trans-rétinaldéhyde pour l’oxy-der en acide rétinoïque. Cela devrait alors diminuer laproduction des lipofuscines délétères. En outre, si d-3r.test un genêt (scorpio), il pourrait amener un alcaloïdeconstricteur, la spartéine. Par ailleurs, les complexesorganométalliques de malachite vont vraisemblablementagir sur le sulfure de plomb de la galène et générer dubisulfite (SO3H�), réactif spécifique des aldéhydes, quidonnera des composés d’addition avec le trans-rétinaldé-hyde, et l’empêchera ainsi de former avec l’éthanolamineces lipofuscines.

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Détail de la stèlede Nefertiabet.w3d= fard vert, msd= fard noir, w’h= tuberculedu souchetcroissant-rhizomeconfondu avec lagousse de la caroubendm.

Fard vert w3d- Fard noir msd

Souchetw’h

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Quant à l’ocre rouge (Fe2O3), il devrait favoriser la forma-tion de bisulfite, en oxydant le sulfure de la galène, etaider la formation du complexe organométallique.Des collyres cupriques ou argentiques associés à unextrait végétal ont été utilisés jusqu’en 1945, les anti-biotiques ont certes pris en charge la propriété antisep-tique, mais il est possible que ces complexes organomé-talliques aient eu, en outre, une action protectrice sur larétine, qui a été utilisée durant deux millénaires et qu’ilserait intéressant de reconsidérer. •

REMERCIEMENTS : Nous témoignons notre reconnaissance auPr P. Vernus pour son enseignement et son accueil, à D. Meekspour ses conseils, à B. Ziskind et à J. Théaudin pour leursencouragements, à mes camarades de LEPHS pour leuramitié.

RÉFÉRENCES

1. Lefebvre G. Essai sur la médecine égyptienne de l’époque pharaonique.Paris : Presses Universitaires de France, 1956.

2. Germer Von R. Flora des pharaonides äegypter. Deutsche Archäologisches InstitutAbteilung Kairo. Verlag Philipp Von Zabern-Main AM Rhein, 1985.

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FeO

Aldéhyde-bisulfite

Aciderétinoïque

Ocrerouge

X-O-Cu-OHComplexe

organométallique

Éthanolamine

Galène(SPb)

BisulfiteSO3H

Trans-rétinaldéhydeR-CHO

LIPOFUSCINE

Malachite(carbonate de cuivre)

Polyphénolsvégétaux

Ocrerouge

Les polyphénols et flavonoïdes sont trèsrecherchés par la pharmacologie pour leur effetanti-oxydant ; resvératrol, épicatéchine, théaflavine,naringine, gallotanins, acide gallique ; voirle Handbook of Antioxidants édité par Cadenaset Parker.Hypothèse sur le mécanisme d’actionde la prescription « Ebers 348 ». Les polyphénolsamenés par la partie végétale de la prescription vontformer avec la malachite (carbonate de cuivre)des complexes organométalliques de cuivre.Ceux-ci vont convertir l’excès de trans-rétinaldéhydeen acide rétinoïque et diminuer la formationdes lipofuscines délétères résultant de l’actionde cet aldéhyde avec l’éthanolamine des tissus.De même, ces complexes organométalliques vontvraisemblablement oxyder le sulfure de plombde la galène et générer du bisulfite qui donneraun composé d’addition avec le trans-rétinaldéhydeen excès, ce qui diminue d’autant sa réaction avecl’éthanolamine et la formation des cristaux délétèresde lipofuscine.L’ocre rouge, un oxyde de fer, va également oxyderla galène et former du bisulfite. Il peut égalementfavoriser la formation du complexe organométallique.

Un remède pour les yeux prescrit dans l’Égypte pharaonique

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