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Rapport d’étude portant sur les stratégies de financement
de la Banque Mondiale dans le secteur agricole au Sénégal
Mbaye Dieng
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Sommaire
I. Sigles et Acronymes ........................................................................................................ 4
II. Introduction ..................................................................................................................... 5
Chapitre 1 : Contexte et méthodologie de l’étude ................................................................... 7
1. Contexte de l’étude ............................................................................................................... 7
1.1. Objectif de l’étude ............................................................................................................... 8
1.2. Résultats attendus ............................................................................................................... 9
2. Méthodologie ........................................................................................................................ 9
Chapitre 2 : Revue des différentes stratégies de financement de l’agriculture Sénégalaise
de 1960 à 2015 ......................................................................................................................... 11
1. Historique des stratégies de développement agricole au Sénégal et rôle de la BM ........... 11
1.1. Une multitude de stratégies, conséquence de l’absence d’une vraie politique agricole. 11
1.1.1. De l’interventionnisme de l’Etat au sevrage de l’agriculture......................................... 12
1.1.2. A partir des années 1980, la politique du «Tout pour l’agriculture irriguée» ............... 12
1.1.3. A partir de 2000, la question agricole revient au cœur des stratégies de la croissance
inclusive .................................................................................................................................... 14
1.1.4. Un volontarisme en faveur de l’agriculture d’entreprise .............................................. 14
1.2. Analyse des stratégies de financements de la BM : une priorité à l’irrigation et à
l’agrobusiness ........................................................................................................................... 15
1.2.1. Un discours construit autour de l’importance de l’agriculture tout en listant ses tares.
.................................................................................................................................................. 15
1.2.2. L’amorce ratée d’un secteur privé agricole national robuste ........................................ 19
2. Le GBM inspire les grandes réformes en faveur de l’agrobusiness. ................................... 20
2.1. Un discours teinté d’un parti pris pour l’agrobusiness. .................................................... 20
2.2. La réforme foncière favorisera-t-elle l’agro industrie ? .................................................... 21
2.3. L’amélioration du climat des affaires pour attirer les investisseurs ................................. 22
2.4. Investissement agricole : régulation et facilitation ........................................................... 22
2.5. La BM assure «la promotion de la destination Sénégal» .................................................. 24
Chapitre 3 : Présentation de deux projets phares, symbole de la nouvelle stratégie de la
BM au Sénégal : le PDIDAS et le PPDC .................................................................................... 25
1. Le Projet pour le développement inclusif durable de l’agrobusiness au Sénégal (PDIDAS)25
1.2. Les critères de localisation du PDIDAS : des terres fertiles, de l’eau en abondance ........ 26
3
1.3. Le schéma foncier envisagé dans le cadre du PDIDAS ...................................................... 28
1.4. Le cadre de gestion environnementale et sociale du PDIDAS .......................................... 29
1.5. Les mécanismes d’indemnisation des personnes affectées ............................................. 30
1.6. Le statut des terres convoitées par le PDIDAS .................................................................. 31
1.7. La société civile organise la sensibilisation sur le PDIDAS ................................................ 31
2. Le Projet de Pôles de Développement de la Casamance (PPDC) ......................................... 32
2.1. Les critères de localisation du PPDC : la Casamance, une région au potentiel agricole
énorme. .................................................................................................................................... 33
2.2. L’approche chaine de valeur au cœur de la stratégie du PPDC ........................................ 34
2.3. Impacts sociaux du projet prévus : relever les défis de la pauvreté des femmes ............ 34
2.4. Les questions environnementales. .................................................................................... 36
3. Le PPAAO : une vision collective de l’Afrique de L’ouest soutenue par la BM ................... 37
4. Incohérences dans les stratégies de financement de la BM ............................................... 37
5. Les axes de revendication .................................................................................................... 40
5.1. Investir dans l’agriculture familiale = lutter contre la pauvreté en milieu rural ............... 41
5.2. Impliquer les organisations paysannes dans le processus de définition des orientations
de développement agricole ..................................................................................................... 41
5.3. Arrêter les pressions de la BM sur l’Etat en vue de contourner la loi foncière. ............... 42
Bibliographie ............................................................................................................................ 43
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I. Sigles et Acronymes
APIX Agence pour la Promotion des Investissements
ATGE Acquisitions de Terres à Grande Echelle
BM Banque Mondiale
BNDS Banque Nationale pour le Développement du Sénégal
CFCE Contribution Forfaitaire à la Charge des Employeurs
CNCR Cadre National de Concertation des Ruraux
CPR Cadre Politique de Réinstallation
GIE Groupement d’Intérêt Economique
GOANA Grande Offensive pour l’Agriculture, la Nourriture et l’Abondance
IPAR Initiatives Prospectives Agricoles Rurales
LDN Loi sur le Domaine National
NPA Nouvelle Politique Agricole
PAR Plan d’Action et de Réinstallation
PAS Politiques d’Ajustement Structurel
PDIDAS Projet pour le Développement Inclusif et Durable de l’Agriculture au Sénégal
PDMAS Projet de Développement des Marchés Agricoles du Sénégal
POAS Plan d’Occupation et d’Affectation des Sols
PPAAO Programme Pour la Productivité Agricole en Afrique de l’Ouest
PPDC Projet Pôle de Développement de la Casamance
PREAC Programme de Réforme de l’Environnement des Affaires et de la Compétitivité
PSE Plan Sénégal Emergent
TVA Taxe sur la Valeur Ajoutée
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II. Introduction
Ce document constitue le rapport d’une étude indépendante portant sur les
stratégies de financement et de soutien à l’agriculture sénégalaise par la Banque
Mondiale. Elle s’inscrit dans le cadre d’un partenariat entre SOS Faim et les
plateformes paysannes nationales membres du ROPPA, particulièrement la CNOP
(Mali), la PFPN (Niger), le CNCR (Sénégal), et la CPF (Burkina Faso), la PNOPPA
(Bénin), et la CTOP (TOGO).
Dans ces différents pays, l’économie dépend en grand partie de l’agriculture, de
l’élevage et de la pêche. Le secteur de l’agriculture emploie plus de 70% de la
population active et est majoritairement dominé par les exploitations familiales qui
jouent un rôle important dans la sécurité alimentaire nationale, la gestion des
ressources naturelles et le développement économique et social. Cependant, malgré
la place et le rôle des exploitations familiales dans l’économie et la satisfaction des
besoins primaires des populations, elles sont aujourd’hui confrontées à la logique
implacable de développement d’une agriculture productiviste, dotée de moyens de
production à fort contenu en capital et intégrée aux marchés voire à certaines firmes.
Contrairement à l’agriculture familiale, celle dite productiviste1 est caractérisée par
des différences importantes et souvent croissantes, notamment en terme de
superficies disponibles et de moyens techniques, avec dans certains cas le recours
privilégié voire exclusif à la main-d’œuvre salariée et un niveau d’investissement
élevé.
Dans plusieurs pays, l’émergence d’une minorité d’exploitations fortement dotée en
facteurs de production et en capital social, relevant naturellement de tout l’arsenal
des incitations liées à la promotion du secteur privé, n’a pas favorisé l’agriculture
traditionnelle, à cheval entre logiques d’autoconsommation et de marché, avec des
dotations en facteurs plus inégales et plus fragiles. D’ailleurs, les politiques
d’ajustement structurel (PAS) qu’on connu les pays ouest africains ont tendance à
renforcer cette dualité entre ces deux types d’agricultures.
Ce rapport se veut donc une contribution dans la connaissance des stratégies et
politiques des bailleurs de fonds (principalement la Banque Mondiale dans le
financement de l’agriculture ouest africaine. Se fondant sur l’hypothèse selon
laquelle le développement de l’agriculture productiviste est une menace pour l’avenir
de l’agriculture familiale, le rapport tente de comprendre dans quelle mesure ces
financements aux agriculteurs familiaux.
Cette étude est conduite concomitamment au Bénin, au Burkina Faso, et au
Sénégal afin de mieux analyser les stratégies de financement et de soutien du
secteur agricole par la Banque Mondiale en Afrique de l’Ouest. Elle entre dans le
1 Défendue par les bailleurs de fonds, principalement par la banque mondiale et le fond monétaire international.
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cadre d’un développement d’un travail commun autour de thématiques de plaidoyer
pertinentes à la fois en Belgique/Europe, et en Afrique de l’Ouest; articulées autour
de la souveraineté alimentaire. Il était donc nécessaire de connaitre les politiques,
stratégies et pratiques de la BM en faveur du développement agricole dans les pays
partenaires et mesurer leur impact réel sur l’agriculture familiale.
Le présent rapport est structuré autour de trois chapitres :
Le premier chapitre rappelle le contexte et décrit la méthodologie utilisée
conformément aux TDR de l’étude,
Le second chapitre revient sur les grandes étapes qui marquent les
stratégies de la Banque Mondiale dans le financement du secteur agricole
sénégalais.
Le troisième chapitre analyse les orientations actuelles de la Banque
Mondiale à travers le PDIDAS (Projet pour le développement inclusif de
l’agro-business au Sénégal) et le PPDC (Projet Pôle de Développement de
la Casamance). Une analyse succincte est faite sur le Programme de
Productivité Agricole de l’Ouest (PPAAO) financée en partie par la BM et qui
offre une large place au secteur privé.
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Chapitre 1 : Contexte et méthodologie de l’étude
Ce chapitre rappelle le contexte, les objectifs de l’étude ainsi que la méthodologie qui
a permis de répondre aux différentes questions de recherche posées dans le cadre
des termes de référence. Il évoque les quelques limites liées à la collecte de
l’information.
1. Contexte de l’étude
Au Sénégal, l’importance de la terre dans le développement économique apparait
dans toute sa plénitude lorsqu’on sait qu’environ plus de 70% de la population tirent
essentiellement ses moyens de subsistance et ses revenus de l’agriculture, de
l’élevage et des activités connexes. Le pays compte 3,8 millions d’hectares de terres
cultivables, dont 2,5 millions d’hectares mis en culture, soit un taux de mise en valeur
de plus de 65% (Ba et al., 2009). Le bassin arachidier au centre du pays concentre
50% de ces terres arables. Ces terres sont pour l’essentiel exploitées sous pluie,
d’où une vulnérabilité particulière aux aléas climatiques. Le potentiel de terres
irrigables est estimé à 400 000 ha même si les surfaces aménagées en maîtrise
totale (environ un tiers) sont encore relativement faibles.
Les producteurs agricoles sénégalais sont en majorité de petits exploitants évoluant
au sein d’exploitations familiales et combinant généralement cultures vivrières
d’autosubsistance et cultures commerciales. Ces cultures sont associées à des
activités d’élevage, souvent en mode extensif. En moyenne 50% de ces
exploitations agricoles cultivent moins de 3 ha. De même, la surface cultivée par actif
a connu une baisse régulière passant de 1,07 ha à 0,57 ha entre 1960 et 1998.
Cette agriculture familiale côtoie de grandes exploitations agricoles des familles
maraboutiques (surtout en production pluviale), une agriculture d’entreprise
concentrée dans les zones irriguées (Delta du Fleuve Sénégal, Niayes) et quelques
agro‐industries (tomate, sucre, coton, etc.). L’agriculture d’entreprise vise
particulièrement les marchés urbains domestiques et d’exportation et est en général
concentrée sur la production horticole.
Depuis son accession à l’indépendance, le Sénégal a défini successivement
plusieurs stratégies de développement agricole, afin de donner au secteur toute son
importance liée à la croissance économique, à la redistribution des revenus et à la
sécurité alimentaire. Partant d’une politique agricole fortement interventionniste au
cours des deux premières décennies du Sénégal indépendant, l’Etat s’est, par la
suite, progressivement désengagé à la faveur des politiques d’ajustement structurel
conclues avec les institutions de Bretton Woods, principalement la Banque Mondiale.
Ce désengagement s’est opéré notamment par le biais de la Nouvelle Politique
Agricole (NPA), dont la mise en œuvre a débuté en 1984.
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Aujourd’hui, l’espoir de l'émergence d'un secteur agricole prospère est encore permis
si l’on se réfère à la volonté politique renouvelée des autorités publiques
sénégalaises qui ont placé l’agriculture au cœur du processus de développement
économique et social. En effet, le discours politique ambiant est sans équivoque.
L’agriculture est l’un des premiers leviers stratégiques sur lesquels comptent
s’appuyer les pouvoirs publics pour l’émergence du pays. Dans le Plan Sénégal
Emergent (PSE), cadre de référence nationale des politiques de développement,
dont le financement dépend des capitaux étrangers, il est prévu la création de 150
fermes agricoles intégrées visant à positionner le Sénégal comme un pays
exportateur de fruits et légumes à haute valeur ajoutée. Le volet Programme de
Relance et d’Accélération de la Cadence de l’Agriculture au Sénégal (PRACAS) du
PSE stipule l’autosuffisance en riz par la riziculture irriguée et pluviale, la production
arachidière dans le cadre d’une approche chaîne de valeur et le développement du
maraîchage et de l’horticulture, un segment dédié principalement à l’export.
La réalisation de ces objectifs repose en grande partie sur la promotion d’une
approche fondée sur le partenariat public-privé (PSE page 66)2, suscitant du coup,
un intérêt croissant de l’agriculture sénégalaise pour le secteur privé. Cette stratégie
entre en phase avec la volonté affichée de la Banque Mondiale qui encourage
l’augmentation rapide des investissements directs étrangers (IDE) dans le secteur
agricole3.
Cette nouvelle approche visant à faciliter l’arrivée des investisseurs dans le secteur
agricole, s’accompagne «d’arrangements» dans le domaine foncier, en vue de
contourner les contraintes liées à la loi sur le domaine national. Elle est rendue
possible par la mise en œuvre par le Sénégal, des réformes majeures pour rendre le
pays attractif à l’investissement étranger. A ce propos, sur injonction des bailleurs de
fonds, principalement la Banque Mondiale, le climat des investissements et les
politiques financières ont considérablement évolué dans un sens favorable aux
investisseurs depuis 2000.
1.1. Objectif de l’étude
Cette étude tente de mettre en débat l’avenir de l’agriculture familiale au Sénégal au
regard des options définies par la Banque Mondiale à travers ses outils de promotion
de l’investissement (Doing Busines et Benchmarking the Business of Agriculture) et
ses différents investissements au Sénégal. Elle se situe dans le cadre d’une initiative
de SOS FAIM en partenariat avec les plateformes nationales des organisations
paysannes membres du ROPPA.
L’objectif principal est de connaitre les politiques, stratégies et pratiques de la BM
en faveur du développement agricole au Sénégal et de mesurer leur impact réel sur
2 Dans le PSE, il est clairement dit que les réformes engagées dans le secteur agricole doivent permettre la création de pôles
de développement agro-alimentaire pour le développement d’une agro-industrie à haute valeur ajoutée. 3 Vera Songwé, Représentante de la Banque Mondiale à Dakar lors du lancement du PDIDAS. www.banquemonidale.org
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l’agriculture familiale en vue d’alimenter un plaidoyer à l’endroit de la banque
mondiale.
1.2. Résultats attendus
Conformément aux TDR, trois principaux résultats sont attendus de cette étude.
Elle doit permettre :
i. d’améliorer les connaissances de la dynamique sur les politiques et les
financements de la BM, au Sénégal.
ii. de déceler les incohérences dans les pratiques de la BM qui nuisent au
développement de l’agriculture familiale.
iii. de construire un argumentaire et un plaidoyer vis-à-vis de la BM et vis-à-vis
de la Belgique en sa qualité de contributeur de la BM et de membre du
Conseil directeur de la BM
2. Méthodologie
Trois étapes principales ont marqué la réalisation de cette étude :
(i) la première étape a consisté à une revue documentaire sur les différentes
stratégies de financement du secteur agricole sénégalais par la BM. Ce
travail préalable a permis d’identifier trois grandes phases : (i) une
première soutenue par la BM et marquée par le volontarisme de l’Etat pour
le développement du secteur agricole, (ii) une seconde caractérisée par le
sevrage de l’agriculture et l’ère de la promotion de la culture irriguée et le
maraichage, et (iii) la dernière qui consacre la volonté de promouvoir les
investissements directs étrangers (IDE) dans l’agriculture et toute ses
conséquences. Ce travail de recherche a respecté les directives proposées
dans les TDR proposée par SOS FAIM et le CNCR et relatives aux
aspects suivants : (i) la synergie avec les PF paysannes, (ii) l’approche
qualitative qui permet l’analyse des discours et des pratiques de la BM, et
(iii) l’approche participative et inclusive. A ce propos plusieurs réunions
avec le CNCR, ont permis de mieux comprendre les attentes formulées par
le commanditaire et surtout la nécessité de soumettre l’étude de cas à
cette méthodologie afin de permettre de dégager, à la fin, des points de
comparaison avec les autres études menées dans les pays partenaires.
S’agissant des données statistiques, elles ont toutes été extraites du site
web de la Banque Mondiale.
(ii) La seconde étape est celle de l’enquête proprement dite. Conçue au
départ pour être essentiellement qualitative et basée sur des entretiens
individuels, le protocole de recherche a été quantitatif avec l’admission
d’un questionnaire : (i) aux 9 Maires des communes rurales dans la zone
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d’implantation du PDIDAS au Nord du Sénégal, et à (ii) la Coordinatrice du
PDIDAS.
(iii) La troisième étape a consisté au partage des premiers résultats au cours
d’un atelier d’échange, avec le CNCR. Ce travail a été très utile, pour la
suite de la recherche, car il a permis de mettre en débat les modèles de
partenariat souhaité par la BM dans le secteur agricole et de faire
intervenir des leaders paysans qui ont apporté des réponses à plusieurs
questions soulevées pendant le travail de terrain.
Les limites de l’étude relèvent autant des délais impartis à l’étude, de difficultés
techniques sur le terrain, notamment l’accès à certaines informations, que d’une
commande au départ essentiellement qualitative, mais qui par souci de comparabilité
avec les autres études de cas, a introduit une dimension quantitative qu’il fallait
prendre en charge et qui a nécessité l’élaboration et l’application d’un questionnaire.
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Chapitre 2 : Revue des différentes stratégies de financement de l’agriculture Sénégalaise de 1960 à 2015 Cette partie fait une analyse croisée des orientations politiques de l’Etat et des
financements de la BM. Par une approche historique, elle dégage plusieurs
aspects qui vont :
- Du sevrage à la relance des financements de l’agriculture,
- L’expérimentation des programmes sectoriels
- Et du volontarisme de substitution de l’agriculture familiale à celle d’entreprise.
Elle revient aussi sur les nouvelles réformes inspirées par les bailleurs de fonds
pour rendre l’investissement attrayant, y compris dans le domaine foncier.
1. Historique des stratégies de développement agricole au Sénégal et rôle
de la BM
La volonté des pouvoirs publics de développer le secteur agricole, peut être perçue
à travers l’élaboration et l’approbation de plusieurs documents de politiques
sectorielles. Cependant, ces stratégies sont conçues à travers plusieurs documents
et programmes qui rendent difficiles leur exécution.
1.1. Une multitude de stratégies, conséquence de l’absence d’une
vraie politique agricole.
Malgré l’engagement du Sénégal de consacrer 10% de son budget national à
l’agriculture, et ceci conformément à la signature de l’Accord de Maputo de 20034,
l’agriculture sénégalaise reste peu productive au regard des contre performances
qu’elle a enregistrées au cours de ces dernières années. Ces contre performances
peuvent être analysées par rapport aux différentes stratégies de développement
agricole du pays dont la mise en œuvre dépend strictement du soutien des bailleurs
de fonds.
Aujourd’hui, l’indicateur Doing Business de la Banque Mondiale a poussé le
Sénégal à adopter de nouvelles réformes qui ouvrent son économie, donc le
secteur agricole, aux investisseurs étrangers. Le projet Enabling Business for
Agriculture constitue aussi un nouvel outil devant favoriser l’investissement privé
4 Pour garantir la disponibilité des ressources appropriées pour la mise en œuvre du Programme Détaillé pour le
Développement de l’Agriculture Africaine (PDDAA), la Déclaration de Maputo (2003) de l’Union Africaine a demandé à tous les états membres de l’UA d’accroître leurs investissements dans le secteur de l’agriculture, à hauteur au moins de 10% de leur budget national avant 2008. Pour évaluer les progrès effectués à cet égard, l’UA et le Nouveau Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) ont ensemble décidé d’adopter les dépenses dans le secteur agricole comme variable adéquate d’évaluation. Cet ambitieux programme devait permettre d’atteindre 6% de croissance économique avant 2010
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dans l’agriculture, une perspective pavée d’incertitudes pour les exploitants
agricoles familiaux.
1.1.1. De l’interventionnisme de l’Etat au sevrage de l’agriculture Durant les deux premières décennies qui ont suivi l’accession du Sénégal à
l’indépendance, l’Etat a mené une politique agricole interventionniste consistant à
intensifier et à diversifier la production agricole. Dès le début, cette orientation a eu
l’assentiment des principaux partenaires financiers du jeune état indépendant. Le
programme agricole est dès lors le principal levier de financement de l’agriculture
sénégalaise. Il est financé par le budget de l’Etat à travers des fonds versés dans
les banques nationales afin de soutenir un ambitieux programme de modernisation
agricole.
Devant les déséquilibres persistants qui affectaient l’économie sénégalaise dans les
années 1970 ainsi que la vulnérabilité des finances publiques, l’Etat était obligé
d’apporter des mesures d’ajustements du secteur agricole, sous l’impulsion de la
Banque Mondiale. La Nouvelle Politique Agricole (NPA) imposée par les bailleurs
de fonds (BM et FMI) entre en vigueur. La NPA est bâtie autour des principes
directeurs de l’économie de marché et consacre le désengagement de l’Etat du
secteur agricole. Concrètement, cette politique est construite autour des points
suivants : (i) suppression de la subvention sur les intrants agricoles, (ii)
redimensionnement du capital semencier en arachide, (iii) désinvestissement dans
l’agriculture pluviale, (iv)investissement massif dans l’agriculture irriguée, (v)
démantèlement des sociétés d’encadrement du monde rural, etc. La NPA a réduit
l’action interventionniste de l’Etat et consacre le processus de libéralisation de
l’agriculture sénégalaise.
Les institutions financières vont exiger le désinvestissement dans l’agriculture
pluviale surtout dans le bassin arachidier. Accompagné par les discours sur l’après
barrage et l’autosuffisance alimentaire, l’idée que l’agriculture pluviale n’était plus
une priorité s’est imposée petit à petit. Le retrait de l’Etat a donc été important
puisqu’il a porté sur de nombreuses activités productives et commerciales : crédit
agricole, approvisionnement en intrants, gestion de l’eau et des aménagements,
etc. mais aussi de la gestion foncière.
A partir des années 1980, la politique du «Tout pour l’agriculture irriguée»
A partir de 1970, le Sénégal comme partout ailleurs dans le Sahel, est frappé par
une série de sécheresse qui a entrainé de profondes mutations dans les systèmes
de production agricole. Ces sécheresses se sont traduites une baisse de la
production céréalière occasionnant de grandes famines dans le monde rural
sénégalais. La période est aussi caractérisée par une augmentation du cours des
intrants agricoles importés cumulée à une baisse des cours des matières premières
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agricoles, aux effets des sécheresses des années 1969-1973 et du choc pétrolier de
1972.
Pour atténuer la crise de production céréalière dans le monde rural, les bailleurs de
fonds vont encourager la promotion de l’agriculture irriguée. Cette période consacre
l’ère des gros investissements dans les barrages hydro-agricoles pour la promotion
de l’irrigation, une priorité pour développer l’agriculture en la soustrayant des aléas
climatiques.
La réalisation dans les années 80 de grands barrages sur le fleuve devait permettre
le développement d’une agriculture irriguée moderne venant remplacer le système
traditionnel soumis aux aléas de la pluviométrie et des crues plus ou moins
capricieuses du fleuve. La Banque mondiale propose également l’intensification
agricole qui consiste en une augmentation régulière des activités maraîchères
(tomates, maïs) et de la production céréalière (riz surtout) et arachidière (Hub Rural
Une stratégie dictée par la nécessité de rentabiliser les investissements hydro-agricoles
Depuis l’indépendance, les autorités sénégalaises ont fait de la promotion des aménagements hydro-agricoles dans le Delta et la vallée du Fleuve Sénégal, une priorité pour développer l’agriculture en la soustrayant des aléas climatiques. Jusqu’à la fin des années 1990, les aménagements hydro-agricoles ont été financés par l’Etat sur ressources publiques et sur crédits des partenaires au développement. Ces aménagements sont sous exploités et leur défaut d’entretien se traduit par une dégradation rapide, entrainant des réhabilitations coûteuses. Les difficultés rencontrées par l’Etat dans la mobilisation de ressources extérieures et destinées au financement des aménagements ont conduit à l’adoption d’une nouvelle approche fondée sur un partenariat public/privé. Le constat aujourd’hui est que l’Etat n’a plus les moyens de financer comme par le passé les aménagements hydro-agricoles et les bailleurs de fonds déplorent le fait que les investissements réalisés ne sont pas valorisés de façon efficace et optimale. Or le développement de l’irrigation est indispensable d’une part, pour valoriser les investissements coûteux et d’autre part, pour accroitre, diversifier et sécuriser la production agricole nationale. Ce constat et cette double nécessité ont conduit l’Etat et les bailleurs à militer en faveur d’une implication du secteur privé national et étranger dans le financement du développement hydro-agricole. Pour la réalisation de projets en cours ou en préparation dans la vallée du fleuve, des négociations ont été engagées avec les populations locales concernées en vue de contourner les rigueurs de la législation et de faciliter l’accès à la terre aux investisseurs privés. Ces tentatives répondent aux conditionnalités imposées par la Banque Mondiale qui appuie différents projets : PDMAS, et PDIDAS particulièrement.
14
2004)5. Cependant, malgré les efforts consentis, les résultats du développement de
l’irrigation sont restés en deçà des objectifs de développement. Les aménagements
sont sous exploités et leur défaut d’entretien se traduit par une dégradation rapide,
entraînant des réhabilitations coûteuses.
1.1.3. A partir de 2000, la question agricole revient au cœur des
stratégies de la croissance inclusive
A partir des années 2000, les contre performances du secteur agricole se sont
succédé obligeant les pouvoirs publics à mettre en place une nouvelle approche,
plus globale des questions agricoles afin de replacer l’agriculture au cœur de la
stratégie d’une croissance forte et durable. Après plusieurs années, pendant
lesquels les financements dans le monde rural ont connu des baisses significatives,
l’Etat préconise le renforcement des exploitations familiales par l’adoption d’une
nouvelle Loi d’orientation agro-sylvo-pastorale (LOASP) en 2004. Son adoption est
marquée par un processus de concertation avec les acteurs de la société civile
(notamment le Cadre de Concertation des Ruraux-CNCR) qui ont, pour une fois, eu
leur mot à dire sur des questions touchant directement au développement agricole.
1.1.4. Un volontarisme en faveur de l’agriculture d’entreprise
Après la crise alimentaire de 2008, l’Etat sénégalais va lancer la Grande Offensive
pour l’Agriculture, la Nourriture et l’Abondance (GOANA) dont l’ambition est de
« relever le défi de la souveraineté alimentaire, écarter tout risque de disette et de
famine, et produire pour l’abondance ». La GOANA telle qu’est conçue par l’Etat
Sénégalais, épouse les stratégies de la BM pour le développement de l’agriculture.
En effet, selon la BM, l’agriculture intensive est la seule qui soit apte pour relever les
défis de la souveraineté alimentaire. Cette agriculture nécessite la mobilisation de
grandes superficies et des moyens financiers importants. Avec la GOANA et le
programme national biocarburant, l’Etat va demander à chaque collectivité rurale
(385 en tout) de donner 1000 ha de terres pour les investisseurs privés qui en
feraient la demande. Cette situation générera des tensions entre les nouveaux
investisseurs et les exploitants familiaux.
A travers ce programme, les options du gouvernement vont clairement dans le sens
d’un développement de l’agriculture d’entreprise qui se substituerait à l’agriculture
paysanne ou familiale. Tout comme la Banque Mondiale, le gouvernement considère
que l’entreprenariat est indispensable pour la compétitivité de l’agriculture
sénégalaise et pour relancer et diversifier les exportations agricoles. Cette orientation
sur l’agriculture d’entreprise s’insert dans une vision d’une économie sénégalaise
émergente de plus en plus basée sur les services, en particulier dans les secteurs
5 Rapport d’Etude portant sur « le financement de l’agriculture irriguée dans la vallée du Sénégal : Amélioration de l’efficacité du
financement et de la politique d’investissement». Hub Rural, Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage. Aout 2004. 115 pages
15
des nouvelles technologies de l’information et du transport et dans le domaine
agricole sur l’agroalimentaire et les exportations de produits frais (horticulture et
produits halieutiques). Une vision défendue à travers les instruments de mise en
œuvre du PSE adopté par les autorités de la seconde alternance politique de 20126.
Cette agriculture d’entreprise se démarque de l’agriculture paysanne par un recours
systématique aux technologies améliorées : chaînes motorisées, irrigation,
semences sélectionnées etc. Ce sont des détenteurs de capitaux et les personnes
bénéficiant de compétences professionnelles qui sont appelées à la mettre en
œuvre.
Au regard des volontés politiques affichées aux niveaux national
(professionnalisation de l’agriculture) et international (réduction de la fracture agricole
entre le nord et le sud/Dakar agricole), le Sénégal ambitionne de moderniser son
agriculture et au-delà sa paysannerie. Une option en phase avec les orientations de
la BM.
1.2. Analyse des stratégies de financements de la BM : une priorité à
l’irrigation et à l’agrobusiness
L’approche historique des financements opérés par la Banque Mondiale du secteur
agricole va révéler un parti pris pour le développement de l’agriculture d’entreprise
et ceci dès le début des années 1970. Il est vrai que dans le discours du GBM, la
reconnaissance de l’importance de l’agriculture dans l’économie nationale est sans
équivoque. Cependant, dans les opérations de financement menées par la banque
les projets agricoles favorables à un l’agriculture d’entreprises ont été les plus
soutenus. D’ailleurs, le discours officiel de la Banque ne fait aucunement référence
à l’agriculture familiale qui est la forme d’exploitation agricole la plus répandue et
occupe la part la plus importante de la population active.
1.2.1. Un discours construit autour de l’importance de l’agriculture
tout en listant ses tares.
Dans son document de stratégie pays, la Banque Mondiale reconnait que «le capital
le plus précieux pour le Sénégal est la terre (page 19) ». Le Groupe de la Banque
Mondiale (GBM) a une claire conscience de l’importance de l’agriculture dans le
développement économique et social du Sénégal : « l’agriculture demeure un
secteur clé de l’économie sénégalaise et un levier sur lequel agir pour favoriser une
croissance inclusive, la sécurité alimentaire, l’emploi et la réduction de la pauvreté.
L’agriculture emploie plus de 60 % de la population, dont 60 % sont des femmes.
Environ 70 % de la population rurale dépendent de l’agriculture ou des activités liées
à ce secteur pour subvenir à leurs besoins. » Extrait Stratégie Pays Sénégal, page
22
6 Conférer au document de stratégie du PSE www.gouv.sn/IMG/pdf/PSE.pd
16
Cependant, la Banque considère ce secteur comme peu productif au regard de la
main d’œuvre mobilisée par les activités agricoles et pastorales «l’agriculture et
l’élevage de bétail contribuent toutefois modestement au PIB, à hauteur d’environ 10
à 12 %. L’écart entre la part de l’agriculture dans le PIB et la part de l’agriculture
dans la main-d’œuvre témoigne de la médiocrité des performances du secteur».
Extrait Stratégie Pays Sénégal, page 22
Les faibles performances de ce secteur expliquent toutes les stratégies pour
promouvoir l’agriculture d’entreprise. D’ailleurs, en analysant les financements du
GBM dans le secteur agricole depuis les indépendances, l’agriculture n’a pu
mobiliser que 10% du total des investissements de la Banque. Sur 176 projets
financés par la banque pour un montant global de 4420.065 millions de dollars,
seuls 495.62 millions de dollars ont été mobilisés en faveur de l’agriculture.
Montant Global Investissements de la BM au Sénégal, (tous secteurs confondus) de 1960 à
2015
4420.065
(en millions de dollars)
Part consacrée au secteur agricole
495.62 (en millions de dollars)
Source : www.banquemondiale.org
Cette enveloppe est largement en deçà des besoins d’un secteur stratégique pour le
développement économique et social du Sénégal. L’insuffisance du financement est
l’une des contraintes majeures au développement de l’agriculture alors que toutes
les stratégies politiques mènent à l’intensification des productions pour la
souveraineté alimentaire du Sénégal. Or, cette intensification exige une
consommation importante en intrants (semences, engrais, produits phytosanitaires)
et des charges de production très élevées.
Les différents tableaux suivants donnent dans le détail, les types de projets financés
par la BM dans le secteur agricole au Sénégal.
De manière générale, les financements dans le secteur agricole sont passés de
102.2 millions de dollars sur 20 ans entre 1960 et 1984 à 208.1 millions de dollars
entre 1984 et 2000 avant de subir une baisse entre 2000 et 20015 soit 185.32
millions de dollars. En réalité, ces variations sont conformes aux différentes
stratégies politiques de la Banque Mondiale.
17
Etat des lieux des Investissements de la Banque Mondiale dans l'Agriculture au Sénégal de 1969 à 2015 (source : Extrait de www.banquemondiale.org/fr/country/senegal/projects/all )
7
Tableau 1: Investissements entre 1969 et 1984
Années Intitulé du projet
Montant en
Millions de
Dollars
1969-1984 Agricultural Credit and Groundnuts Project 9,5
Terres Neuves Settlement Project (01) 1,4
Caramance Rice Project 3,4
Senegal River Polders Project 4,5
Agricultural Credit Project (02) 8,2
REGIONAL DROUGHT REL 3
Sine Saloum Agricultural Development Project 14
Casamance Rice Project (02) 6
Eastern Senegal Livestock Project 4,2
Debi Lampsar Engineering Project 1
Debi Lampsar Irrigation Project 20
Small Rural Projects 11
East Senegal Rural Development Project 16
sous total 1 102,2
Tableau 2 : Investissements entre 1985-2000
1985-2000 Irrigation Technical Assistance Project 4,9
Irrigation Project (04) 33,6
SRO - Small Rural Operations Project (02) 16,1
SAL III 5,5
Agricultural Sector Adjustment Project 45
Agricultural Services & Producer Organizations Project 27,4
Agricultural Export Promotion Project 8
Agricultural Research Project (02) 18,5
Agricultural Services & Producer Organizations Project 27,4
Agricultural Services Project (01) 17,1
AGR SEC ADJ CREDIT 1,8
AGR. SEC. ADJ. CR. 2,8
Sous total 2 208,1
7 Sur le site de la BM, sur les 176 projets financés, les premiers financements portant sur le secteur agricole datent de 1969. Ce
qui ne veut pas dire que des financements antérieurs n’ont pas été réalisés pour l’agriculture.
18
Tableau 3: Investissements entre 2000-2015
2000-2015 Community-based Sustainable Land Management Project 6,02
Senegal Sustainable and Inclusive Agribusiness Project 80
Projet de gestion durable des terres 4,8
Sustainable Management of Fish Resources 6
Projet de gestion durable des ressources halieutiques 3,5
Projet national de développement des marchés agricoles et agroalimentaires au Sénégal35
Additional financing for food security (GFRP) 10
SN:Casamance Development Pole Project 40
Sous-Total 3 185,32
Les principaux secteurs qui ont bénéficié de ces investissements sont l’irrigation et
l’agro-industrie. Sur ce tableau 4, ces deux secteurs concentrent plus de 363.8
millions de dollars soit 73.49% des investissements de la BM.
Tableau 4: Investissement par secteur
Secteur d'investissement de la BM
Montant (en millions de
dollars)
Ajustement agricole 58,5
Crédit agricole 19,76
Agriculture-Pêche-Elevage Foresterie 18,5
Irrigation drainage 126,3
Agro-industrie 237,5
Valorisation 35,06
Total 495,62
Sur le tableau 1, les financements de la BM ont surtout appuyé les politiques de
développement agricole mises en œuvre par l’Etat à partir de son budget. De 1964 à
1984, le système est bâti autour de la Banque Nationale de Développement du
Sénégal (BNDS) qui finance les sociétés publiques et les sociétés régionales de
développement.
A partir de 1984, les financements de la BM sont en phase avec les politiques de
désinvestissement dans le secteur engagés par le Sénégal. En effet, le schéma des
politiques agricoles n’a pas survécu à l’échec du modèle de l’Etat providence. Des
19
mutations profondes vont intervenir à l’aune des différents programmes d’ajustement
structurel (PAS) fondés sur la trilogie : libéralisation, privatisation et dérégulation.
Dès lors, le soutien de la banque se traduit par des investissements en faveur des
projets d’irrigation. Il fallait donc pour le Sénégal s’engager dans une politique
d’aménagement hydro-agricole à outrance pour favoriser la culture irriguée et les
exportations. En effet, le développement de l’agro-industrie suppose une bonne
politique de maitrise de l’eau et une facilité de l’accès aux autres facteurs de
production comme la terre.
La BM va financer de gros ouvrages hydro-agricoles autour des trois grands bassins
fluviaux du Sénégal (Vallée du fleuve Sénégal au Nord et celle de l’Anambé et de la
Casamance au Sud). En réalité, la stratégie de la Banque Mondiale se structure
autour d’actions pour l’émergence d’un secteur privé agricole pour le développement
de l’agro-business.
1.2.2. L’amorce ratée d’un secteur privé agricole national robuste
Cette politique de mise en valeur s’est traduite par une artificialisation croissante du
milieu naturel, la réalisation de grands périmètres hydro-agricoles et la vulgarisation
de techniques de production modernes (itinéraires techniques, matériel végétal).
Parallèlement, la banque soutien l’accès des producteurs des terres irriguées au
crédit contrairement aux autres paysans laissés à eux. Cette politique traduit la
volonté de bâtir le développement agricole du Sénégal autour de la riziculture
irriguée et des autres cultures d’exportation.
Dans un document portant sur une analyse de ces options de développement
agricole8, JF Bélières et al (2002) rappellent que la libéralisation imposée par la BM
et les autres bailleurs, a permis le développement rapide d’un secteur privé en amont
et en aval de la production agricole, mais aussi au niveau même de la production
avec de nouveaux entrepreneurs constitués en groupements d’intérêt économique
(GIE) dont une bonne partie provenait d’autres secteurs d’activités (fonctionnaires,
commerçants, professions libérales). Parmi les mesures les plus importantes à
l’origine de cette croissance agricole figurent le transfert de la gestion foncière de
l’Etat aux communautés rurales et une politique de crédit de masse. Deux éléments
qui permettaient un accès facile aux deux facteurs de production les plus difficiles à
obtenir: la terre proche d’une source d’eau et le capital. Poursuivant son analyse
l’auteur écrit : « le développement d’une agriculture moderne basée sur de grandes
8 «Quel avenir pour les agricultures familiales d’Afrique de l’Ouest dans un monde de plus en plus libéralisé ? Dossier numéro
13 IIED
Plus de 363.8 millions de dollars consacrés à l’irrigation
et à l’agro-industrie soit plus de 73.49% des
financements
20
exploitations (ou entreprises) agricoles semblait être enfin acquis et confortait l’idée
que l’essentiel de la production agricole (de riz plus particulièrement) dont avait
besoin le pays pour nourrir les populations urbaines pouvait être issu d’un secteur
agricole moderne en opposition à un secteur «traditionnel» constitué de petites
exploitations agricoles familiales encore tournées vers l’autosuffisance ». Cependant,
les résultats mitigés de l’agriculture irriguée, l’appauvrissement d’une masse critique
de paysans qui ne bénéficient plus du soutien de l’agriculture vont refroidir les
prévisions escomptées par l’application d’une telle politique.
Au début, les sommes injectées par la BM et les autres organismes de crédit, sous
forme de prêts ont considérablement augmenté contribuant à une amélioration de la
situation de certains producteurs au niveau des zones ciblées. Cependant, à partir
des années 1990, la faiblesse des taux de remboursement compromet la viabilité du
système de crédit et de support à l’agriculture. En fait, malgré mesures mises en
œuvre notamment la libéralisation de l’accès aux facteurs de production, qui ont
permis de faire émerger brièvement quelques entreprises agricoles (grandes
superficies, capitaux importants, recours à la main-d’œuvre salariée, etc.), la plupart
d’entre-elles se sont rapidement effondrées avec le resserrement du crédit et la
dévaluation du franc CFA en 1994. Cette situation va fortement réorienter l’approche
des financements de la BM au Sénégal.
2. Le GBM inspire les grandes réformes en faveur de l’agrobusiness
2.1. Un discours teinté d’un parti pris pour l’agrobusiness
Le constat de l’échec des stratégies de la BM en faveur de l’émergence d’un
secteur privé agricole national se traduit par une évolution significative de la
stratégie des bailleurs de fonds pour favoriser les investissements directs étrangers
(IDE). Dans le discours ambiant au sein de la Banque Mondiale, pour relever les
défis liés à la compétitivité du secteur agricole, il est nécessaire d’engager des
réformes majeures en faveur du secteur privé.
Lors du lancement du PDIDAS, la représentante de la Banque Mondiale au
Sénégal9, a clairement demandé au Sénégal ««de s’attaquer aux principaux
obstacles qui entravent la croissance de l’agriculture comme le manque
d’infrastructures et d’irrigation ou encore le manque d’accès aux terres » et «stimuler
la croissance»10. Ces propos démontrent un parti pris manifeste pour la privatisation
de la terre, d’où une croissance agricole liée à une course entretenue par les
réformes.
9 Madame Wera Songwé.
10 La position défendue lors de la présentation du PDIDAS aux différents acteurs.
21
Depuis de nombreuses années, la BM promeut une politique de marchandisation du
foncier afin de dynamiser les transactions et d’encourager les investissements.
«L’institution part du constat que les marchés fonciers imparfaits ne profitent pas
assez aux pauvres, étant donné qu’ils encouragent des intérêts spéculatifs,
déconnectés de la valeur productive des terres. Cette vision repose sur le postulat
que l’avènement d’un véritable marché foncier augmente les actifs des détenteurs de
titres, facilite l’accès au crédit par l’hypothèque, et limite les coûts de transaction ».
(T Dahou et A Ndiaye 2009).
La BM encourage également la fiscalisation des transactions sur la terre de manière
à renforcer les pouvoirs locaux d’attribution en les dotant d’un pouvoir de
prélèvement. Elle assimile cependant un peu trop rapidement la gestion de la terre
en milieu rural et en milieu périurbain. Les opportunités d’investissement et les
modes de gestion des terres sont effectivement encore très différents dans les deux
contextes évoqués.
En outre, la BM soutient que si les investissements dans le secteur agricole peuvent
fournir d’importants avantages, ils comportent des risques considérables pour les
investisseurs. Pour atténuer ces risques, elle considère que seul «un cadre
réglementaire solide peut garantir que les investissements produisent de larges
bénéfices à long terme et contribuent à des résultats de développement plus
généraux». « Le partenariat du groupe de la BM et le Sénégal met aussi un accent
particulier sur l’amélioration du climat des affaires comme facteur indispensable pour
booster la croissance par des investissements massifs permettant d’augmenter la
richesse nationale et, par conséquent, de mieux partager la prospérité.»11
En réponse à cette demande le Sénégal a engagé un ensemble de réformes dont les
plus importantes sont la réforme foncière et celle du code des investissements.
2.2. La réforme foncière favorisera-t-elle l’agro industrie ?12
Aujourd’hui, le Sénégal est engagé dans un grand nombre de réformes législatives
touchant au foncier et à la gestion des ressources pastorales et forestières : réforme
foncière, élaboration d’un code pastoral, acte 3 de la décentralisation, révision du
code forestier, etc. Ainsi, le pays répond à une demande fortement exprimée par ses
partenaires techniques et financiers.
11
Les réformes pour l’émergence. http://investinsenegal.com/IMG/pdf/apix_r89-5.pdf 12
Il faut rappeler que plusieurs processus de réformes foncières ont été engagés depuis 1990. En 1996, un Plan d’Action
Foncier (PAF) articulé autour des trois options suivantes : (i) le maintien du statuquo; (ii) la privatisation des terres du domaine
national, (iii) l’attribution aux communautés rurales de pouvoirs de cession des terres du domaine national12
. Le PAF a suscité
dès le début des réticences de la part de plusieurs acteurs. En 2004, dans le cadre de l’adoption de la loi orientation agro-sylvo
pastorale (LOASP), l’Etat sénégalais a promis une réforme foncière dans les deux années suivant l’application de cette loi.
Dans la même année, les producteurs ruraux regroupés au sein du CNCR, ont formulé un ensemble de propositions pour une
reconnaissance des droits réels pour les paysans notamment le droit d’usage avec possibilités d’obtenir un titre foncier en cas
de nécessité d’une plus grande sécurisation foncière. En 2012, un nouveau processus est ouvert et prend clairement position
pour l’agrobusiness.
22
En effet, depuis plusieurs années, les bailleurs de fonds, la BM en tête, ont poussé à
la réforme de la loi 64-46 portant sur le domaine national pour améliorer la rentabilité
de l’agriculture plus que pour traiter les problèmes de tenure foncière. Le FMI et
surtout la BM13, considèrent que les problèmes productifs et la rareté du crédit
résultent, de manière mécanique, d’une absence de clarification du statut juridique
du foncier des exploitations agricoles. L’échec de la Nouvelle Politique Agricole est,
en partie, imputé à l’absence de réforme de la loi sur le domaine national, qui
n’attribue qu’un droit d’usufruit à l’exploitant. D’ailleurs, «ce diagnostic est, largement,
inspiré de celui de la Banque mondiale, dont l’expertise influence considérablement
les positions des autres bailleurs sur cette question.» (T. Dahou, A.Ndiaye 2009).
La nouvelle réforme foncière partenariat public- privé tel qu’il est envisagé, va non
seulement accroitre les capacités du secteur agricole, mais aussi permettre, l’arrivée
des investisseurs privés dans le secteur agricole.
2.3. L’amélioration du climat des affaires pour attirer les
investisseurs
Le rapport Doing Business de 2015 classe le Sénégal parmi les 10 meilleurs pays
réformateurs du monde. L’investissement est soutenu par une politique incitative et
attractive qui s’appuie sur des dispositifs légaux, fiscaux et douaniers régulièrement
actualisés.
Le Programme de Réforme de l’Environnement des Affaires et de la Compétitivité
(PREAC 2013-2015) constitue l’une des réformes phares engagées par l’Etat
sénégalais pour rendre l’investissement attrayant. Dans cette réforme, la protection
des investisseurs étrangers est actée par l’harmonisation du droit des sociétés. Ce
qui lui a valu le bon classement en 2015.
Sur le plan foncier, un guide pratique et un check list des démarches nécessaires
pour l’obtention d’une terre agricole par les investisseurs est édité par l’Agence de
Promotion des Investissements (APIX). Il s’agit là d’un des derniers verrous, avant la
réforme foncière annoncée, pour prendre définitivement faits et causes en faveur du
développement de l’agrobusiness au détriment des exploitations agricoles familiales
qui nourrissent pourtant l’essentiel de la population sénégalaise.
2.4. Investissement agricole : régulation et facilitation
Depuis 2004, le code des investissements (loi 2004-06 du 06 février 2004) permet de
bénéficier de plusieurs avantages non négligeables dans le cadre de la création
d’une activité dans certains secteurs économiques (agriculture, industrie, tourisme,
TIC etc.) En sus des garanties classiques offertes aux investisseurs (liberté de
transfert de capitaux et des revenus, égalité de traitement entre les actionnaires) des
avantages sont accordés à l’investissement (allègement de la fiscalité, l’exonération
13
La BM et le FMI ont théorisé et imposer la NPA à partir de 1984 avec le slogan «moins d’Etat, mieux d’Etat »
23
des droits de douane, la suspension de la TVA et la réduction du taux d’imposition
sur les bénéfices).
L’article 2 du Code des investissements fait référence aux entreprises exerçant leurs
activités dans le secteur agricole. Le Code offre les garanties aux entreprises
agréées : (i) garantie contre toute mesure de nationalisation, d’expropriation ou de
réquisition sur toute l’étendue du territoire national sauf cause d’utilité publique,
légalement prévue ; (ii) garanties de transfert de capitaux ; (iii) garantie de transfert
des rémunérations ; et (iv) garantie d’accès aux matières premières.
Dans le cadre du Code (Art. 13), l’entreprise jouit d’une pleine et entière liberté
économique et concurrentielle. Les privilèges sont spécifiés pour la phase de
réalisation de l’investissement et la phase d’exploitation.
Pour être éligible aux avantages particuliers accordés par le Code, l’investissement
projeté doit être égal ou supérieur à 100 millions de FCFA, ce qui en aucun cas vise
à bénéficier aux exploitants agricoles, et les exclut Ipso Facto. L’article 18 du Code
présente les avantages particuliers accordés à l’investisseur pendant la phase de
réalisation de l’investissement.
Le nouveau code des investissements (loi 2004-06 du 06-2004) et le Nouveau Code
des Impôts (loi n° 2012-32 du 31 décembre 2012), accordent de nombreux
avantages aux investisseurs. Ces avantages sont :
Exonération des droits de douanes à l’importation des matériels et
matériaux qui ne sont ni produits ni fabriqués au Sénégal et qui sont
destinés de manière spécifique à la production ou à l’exploitation dans le
cadre du programme agréé ;
Suspension de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) exigible à l’entrée sur
les matériels et matériaux qui ne sont ni produits ni fabriqués au Sénégal
et qui sont destinés de manière spécifique à la production ou à
l’exploitation dans le cadre du programme agréé ;
Suspension de la Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) facturée par les
producteurs locaux de biens, services et travaux nécessaires à la
réalisation du programme agréé.
Lorsque l’entreprise agricole commence à produire et à exporter, d’autres avantages
s’ajoutent à ceux déjà offerts par les différents codes. Parmi ceux-ci on retient :
Exonération à la contribution forfaitaire à la charge des employeurs
(CFCE) pendant cinq (5) ans ;
Si les emplois créés, dans le cadre du programme d’investissement agréé,
sont supérieurs à 200 pour les entreprises nouvelles ou 100 pour les
programmes d’extension, ou si au moins 90% des emplois créés sont
localisés en dehors de Dakar, cette exonération est prolongée jusqu’à huit
(8) ans ;
24
Les entreprises agréées (entreprises nouvelles ou projets d’extension) sont
autorisées à déduire du montant du bénéfice imposable une partie des
investissements dont la nature est définie par décret.
Pour les entreprises agréées, les travailleurs recrutés à compter de
l’effectivité
des avantages d’exploitation sont assimilés à des travailleurs engagés en
complément d’effectif pour exécuter des travaux nés d’un surcroît d’activités
au
sens de la législation du travail.
Aussi, les entreprises agréées peuvent signer avec les travailleurs recrutés
des
contrats de travail à durée déterminée pendant cinq (5) ans, à compter de la
date
d’agrément, sous réserve de viser dans le contrat la loi 2004 – 06 du 06
février
2004 portant Code des Investissements ainsi que les références de la lettre
d’agrément.
2.5. La BM assure «la promotion de la destination Sénégal»
La mise en pratique de ces importantes réformes, se traduit par l’engagement de la
BM a attiré les investisseurs vers le Sénégal, comme le feraient les tours opératoires
touristiques. Dans son document de stratégie pays, la BM soutient que «le Sénégal
possède dans le même temps un certain nombre d’atouts qui en font un pays attractif
pour l’investissement dans l’agriculture et l’agroalimentaire. Il est économiquement et
politiquement stable. Le climat est propice à l’horticulture hors saison et le pays peut
compter sur une logistique efficace pour servir les marchés européens. Les marchés
alimentaires intérieurs devraient profiter de l’urbanisation croissante pour se
développer, et les marges pour la substitution des importations sont considérables.
La productivité actuelle est faible, ce qui laisse augurer d’une augmentation possible
des rendements grâce à une amélioration de l’accès aux terres, l’utilisation accrue
des engrais, les semences améliorées, la mécanisation accrue et une augmentation
des hectares irrigués afin de rallonger les périodes d’ensemencement. » Extrait
Stratégie Pays BM, Page 10
Telle qu’elle la toujours soutenu, la BM entend appuyer les efforts de l’État pour
accélérer la croissance et créer des emplois, «en conférant des marges de
manœuvre budgétaires pour renforcer la stabilité macroéconomique, attirer les IDE
et rendre le climat plus favorable aux entreprises ». Extrait Stratégie Pays BM, Page
32.
Cependant, cette volonté de soutenir les investissements dans le secteur agricole ne
sera pas sans conséquence pour la stabilité sociale du Sénégal.
25
Chapitre 3 : Présentation de deux projets phares, symbole de la nouvelle stratégie de la BM au Sénégal : le PDIDAS et le PPDC
L’agriculture familiale n’est pas une préoccupation de la BM. Dans tous les
documents de politique ou de stratégie pays de l’institution financière, le langage
usité est celui de l’agrobusiness ou celui de l’agriculture commerciale. En finançant
le PDIDAS et le PPDC, la BM prend fait et partie pour l’agriculture d’exportation.
Le parti pris de la BM en faveur de l’agrobusiness se traduit par les financements
incitatifs accordés à ces deux projets. Rien que pour le PDIDAS et le PPDC, la BM a
dégagé respectivement 80 et 40 millions de dollars US soit plus de 83.69% du total
injecté dans le secteur agricole ces 15 dernières années. Ces financements sont des
prêts consentis par la Banque en faveur du Sénégal.
Ce chapitre est consacré à la présentation des grands projets de la BM qui accorde
une place stratégique aux investissements directs étrangers dans leur mise en
œuvre. Il s’agit du Projet de Développement Inclusif Durable de l’Agriculture
Sénégalaise (PDIDAS) et le Projet Pole de Développement de la Casamance
(PPDC).
Le Chapitre se conclut par une fenêtre ouverte sur le Programme de productivité
agricole en Afrique de l’Ouest (PPAAO) qui est financé à hauteur de 60 Millions de
dollars US par la BM.
1. Le Projet pour le développement inclusif durable de l’agrobusiness au Sénégal (PDIDAS)
Le PDIDAS est préparé par le Gouvernement du Sénégal et soumis au groupe de la
Banque Mondiale dans le but de développer l’agrobusiness et de profiter des
opportunités que confèrent les régions de Louga et Saint-Louis. Son objectif est de
promouvoir la croissance et l'emploi par l'augmentation des investissements
productifs privés dans les filières agricoles (principalement horticole) dans les régions
de Louga et Saint-Louis. Les objectifs stratégiques du projet sont :
- le soutien au développement inclusif et durable de l’horticulture dans les zones du
Ngalam et du Lac de Guiers,
- la promotion de la production, la transformation et la commercialisation des produits
horticoles pour les marchés intérieurs (sécurité alimentaire et substitutions des
importations), sous régionaux et internationaux ;
- le développement et la mise en œuvre des solutions pérennes et réplicables
dans d’autres filières et zones du Sénégal.
26
L’analyse de la réglementation foncière et domaniale du PDIDAS14 fait ressortir que
ce projet tente d’allier deux ambitions a priori inconciliables : d’une part : (i)
intégration des investisseurs privés dans la gestion du domaine national et, d’autre
part, (ii) sécurisation des droits des autochtones.
Pour la mise en œuvre cet important programme, la BM a dégagé une enveloppe de
80 millions US dollars sous forme de prêt remboursable. Le PDIDAS est prévu pour
une durée de 5 ans.
1.1. Les critères de localisation du PDIDAS : des terres fertiles, de l’eau
en abondance
Dans la vallée du Fleuve Sénégal, à partir de 1984, la politique de développement
agricole est organisée autour de l’irrigation. Cependant, les résultats du
développement de l’irrigation sont restés en deçà des objectifs visés par l’Etat et ses
partenaires au développement. Les aménagements sont sous exploités et leur défaut
d’entretien se traduit par une dégradation rapide, entrainant des réhabilitations
coûteuses. Les difficultés rencontrées par l’Etat dans la mobilisation de ressources
extérieures et destinées au financement des aménagements ont conduit à l’adoption
d’une nouvelle approche fondée sur un partenariat public/privé.
Le PDIDAS est localisé tout autour de la vallée du Ngalam et du Lac de Guiers dans
les départements de Louga, de Saint-Louis et de Dagana au Nord du Sénégal. Les
zones de la vallée de Ngalam et du lac de Guiers présentent un fort potentiel en
matière d’agrobusiness, en particulier pour l’horticulture. Elles sont très attractives
aussi bien en termes de terres non utilisées (les régions des Niayes et de Thiès
commencent à être saturées) que d’accessibilité.
Dans le document de formulation du PDIDAS, il est clairement dit «qu’il serait
possible d’aménager plus de 70 000 hectares de terres irriguées de bonne qualité,
qui pourraient être consacrés à la production horticole (contre moins de 30 000
hectares actuellement). » Selon le même document, la vallée de Ngalam et le lac de
Guiers présentent plusieurs caractéristiques et avantages intéressants. Ces deux
sites font déjà face à une forte demande de la part du secteur privé en raison de
leurs conditions agro-écologiques très favorables à l’horticulture (climat plus frais dû
à la brise marine dans la vallée de Ngalam, sols sablonneux dans les deux zones,
accès facile à l’eau autour du lac de Guiers) et de la disponibilité de l’eau pour
l’irrigation tout au long de l’année. Ces deux sites disposent d’une large réserve de
terres : 15 000 hectares dans la vallée de Ngalam et plus de 40 000 hectares autour
du lac de Guiers. La région bénéficie d’une assez bonne liaison routière avec Dakar
14
Prof Samba Traoré «Analyse critique des différentes études produites par le gouvernement, les acteurs non étatiques et les partenaires au développement portant sur la place réservée au droits collectifs fonciers » Initiative Prospective agricole et Rurale (IPAR) http://dspace.africaportal.org/jspui/bitstream/123456789/34662/1/IPAR%20Rapport%20Final%20Traore.pdf?1
27
et les routes autour du lac de Guiers sont en cours de rénovation (avec l’appui de
l’UE et du MCA). La région jouit également d’un bon accès aux marchés européens
depuis les réformes du port de Dakar et la disponibilité de liaisons rapides par
bateau. Enfin, c’est dans cette région que se troupe l’Agropole, une infrastructure de
transformation agroalimentaire moderne. L’infrastructure est équipée de chaînes de
classement pour les fruits et légumes, d’entrepôts et de chambres froides,
d’installations de conditionnement et d’un abattoir. Elle dispose d’un grand potentiel
pour la transformation et le conditionnement de la production locale.
Carte 1: Carte de situation du PDIDAS
Figure 2: Occupation humaine dans la zone du PDIDAS
28
Les autres critères relatifs au choix de localisation et d’implantation du projet au
niveau de la vallée, tiennent aux autres potentialités que présentent la région de
Saint-Louis, tels que les produits d’élevage et halieutiques, qui pourraient partager
les infrastructures physiques et institutionnelles de certaines plateformes de
compétitivité.
1.2. Le schéma foncier envisagé dans le cadre du PDIDAS
Les terres ciblées en faveur de la promotion de l’agrobusiness sont localisées sur
les zones de terroirs du domaine
national et occupées par les
populations locales pour leurs
habitations et activités agro-sylvo-
pastorales. Cette situation constitue la
problématique principale à court terme
du PDIDAS qui souhaite l’installation
d’investisseurs privés nationaux et
étrangers à côté des populations locales. En effet, le cadre législatif (code général
des collectivités locales, 2013) confère aux communes la compétence d'affectation et
de désaffectation des terres du domaine national. En plus, la Loi sur le Domaine
National prévoit l’affectation des droits d’usage « en faveur soit d’un membre (…),
soit de plusieurs membres groupés en association ou coopérative ». Les entreprises,
qu’elles soient sénégalaises ou étrangères, ne sont donc pas éligibles à l’affectation
de terres par les communes même si dans la pratique, des centaines d’entreprises
ont déjà obtenu (des anciennes communautés rurales) des affectations.
Pour dépasser les difficultés du cadre réglementaire, l’Etat a préparé une note
foncière et un manuel de procédures foncières ont été élaborées dans le cadre du
PDIDAS. Le schéma foncier retenu par ces deux documents stipule que : « L’Etat
immatricule à son nom les terres du domaine national sur lesquelles il consent un
bail emphytéotique aux collectivités locales. L’investisseur pourra, dans ce cadre,
bénéficier d’un sous-bail délivré par la collectivité locale». Concernant les ressources
générées par les redevances, la répartition suivante a été retenue : (i) 50% à la
Commune qui accueille l’investisseur ; (i) 25% à verser au Fonds de dotation des
collectivités Locales ; et (iii) 25% à l’État.
Au début, la clé de répartition des 10000 ha prévus par le PDIDAS, prévoyait que
60% de ces terres seraient mises à la disposition d’investisseurs privés selon un
statut qui n’est pas encore fixé mais qui fera l’objet de consultations des populations
concernées. Les autres 40% seraient mises à la disposition des producteurs locaux.
Une obligation est faite pour que les investisseurs retenus aménagent au profit des
populations locales les 40% de terres qui leur sont réservées. Cependant, le CNCR
Conformément à la loi sur le domaine national, les
entreprises, qu’elles soient sénégalaises ou
étrangères, ne sont donc pas éligibles à l’affectation
de terres par les communes même si dans la
pratique, des centaines d’entreprises ont déjà obtenu
(des anciennes communautés rurales) des affectations.
29
ainsi que les communes qui seront impactées par le PDIDAS se sont insurgés contre
cette clé de répartition des terres. Finalement, l’option retenue est de laisser à
chaque commune rurale, le soin de déterminer selon ses intérêts la clé de répartition
des terres. Ainsi, il est prévu que les Collectivités Locales gardent le contrôle sur la
gestion de leur zone de terroir, tout en respectant le dispositif réglementaire et légal
et sont dotées d’un cadre et d’un outil qui leur procure des ressources financières
additionnelles pour assurer leur développement local.
1.3. Le cadre de gestion environnementale et sociale du PDIDAS
Conformément aux procédures de sauvegarde en vigueur à la BM, le PDIDAS a fait
l’objet d’une étude d’impact environnemental et social. Les impacts
environnementaux et sociaux négatifs consécutifs au PDIDAS concerneront surtout :
les risques d’érosion des sols (instabilité des sols) du fait des aménagements
agricoles, les risques de pollution et de dégradation de l’eau (Lac de Guiers), la perte
de végétation dues aux déboisements pour préparer les parcelles agricoles, les
risques de pollutions et dégradations des cours d’eau liées à l’usage des pesticides
et des engrais, etc. Les habitats terrestres et aquatiques (zones humides) peuvent
être altérés principalement pendant la phase de démarrage et de mise en œuvre des
activités agricoles.
Au plan social on pourrait assister à la recrudescence des tensions entre agriculteurs
sur les problèmes fonciers ou entre éleveurs et agriculteurs ; l’occupation non
autorisée (et non consensuelle) de terres appartenant aux autochtones;
l’accroissement démographique qui va se traduire en exigences de besoins en
terres.
La BM avant tout décaissement des fonds exige la mise en application des mesures
de sauvegarde. Cependant, il est très difficile d’apprécier la mise en œuvre effective
de ces mesures puisque le PDIDAS est toujours à l’état de projet et que les
investissements structurants (le schéma hydraulique par exemple) ne sont pas
encore effectués. Toutefois, les mécanismes de compensation des personnes
susceptibles d’être affectées par le PDIDAS sont définis dans le Plan d’Action et de
Réinstallation (PAR) prévu dans le cadre de l’aménagement des 10000 ha de terres
agricoles sous forme de blocs de 500 ha répartis dans 41 villages.
En fait, le Plan d'Action de Réinstallation (PAR) qui a été élaboré dans le cadre de ce
projet a analysé la situation des populations avant le déplacement (information
démographique, socio-économique et socioculturelle sur la population affectée et la
population hôte). Il a aussi identifié et évalué les biens et ressources qui seront
perdus par les populations dans le cadre de l’aménagement des terres. Ce plan de
réinstallation a aussi abordé le cadre juridique et institutionnel, la responsabilité
institutionnelle, de même que le processus participatif de suivi et le budget. Ce
30
document constitue la base de dédommagement des populations affectées par le
PDIDAS.
1.4. Les mécanismes d’indemnisation des personnes affectées
Le PDIDAS va générer divers impacts et effets directs et indirects qui vont
sensiblement toucher les populations des zones d’implantation. Le rapport de l’étude
d’impact environnemental et social (EIES) du PDIDS dit clairement que les
aménagements structurants ne manqueront pas : (i) d’empiéter sur les pâturages et
les champs de culture, (ii) d’obstruer des chemins de ruissellement, (iii) d’accroître
les pressions sur les ressources naturelles. S’il est vrai que les établissements
humains sont en général localisés en dehors des zones à vocation agropastorale
ciblées par les activités du PDIDAS, il existe certains hameaux qui sont au cœur des
terres convoitées par le projet. La mise en œuvre du projet nécessite forcément une
acquisition des terres occupées et ou exploitées pour divers besoins ou usages ; ce
qui suppose une compensation pour les pertes subies (pertes de terres, de droits de
propriétés et d’accès) et toute assistance nécessaire pour leur réinstallation.
Un Cadre Politique de Réinstallation (CPR)15 est élaboré et approuvé par la BM pour
le PDIDAS. Cependant, une récente étude menée par le CNCR auprès des
populations montre une connaissance limitée de leur part du PDIDAS et une faible
maitrise du processus par les élus locaux sensés les représenter. De l’avis de
certains acteurs, les mécanismes de compensation envisagés ne sont pas encore
connus. Les populations ne sont pas préparées pour qu’elles puissent négocier en
toute responsabilité et faire un choix réfléchi. En effet, compte-tenu de la complexité
de la question foncière et de l’orientation affirmée de l’État pour l’agrobusiness par la
promotion l’investissement privé, de larges concertations devraient être engagées
pour préserver les droits des populations locales et respecter le principe de
consentement libre.
Paradoxalement, les impacts positifs du projet sont très bien connus des populations
(réalisation de routes, raccordement au réseau électricité, aménagements primaires,
etc.) alors que les risques sur le foncier et sur les autres aspects sensibles sont
complètement éludés. Cette démarche pourrait à la longue entrainer des
incompréhensions et des conflits si les populations ne maitrisent pas totalement les
conditions d’installation du projet et aussi d’indemnisation en cas de déplacement
involontaire. Cette situation ne milite pas en faveur des principes de transparence,
d’inclusion et de participation que le PDIDAS souhaite véhiculer auprès des
communautés villageoises.
15
Le CPR a été réalisé pour le compte du PDIDAS par un consultant indépendant spécialisé en politiques de réinstallation en Octobre 2013
31
Le statut des terres convoitées par le PDIDAS
Tel qu’annoncés supra, les terres visées par le PDIDAS appartiennent au domaine
national dont la gestion est confiée par l’Etat aux collectivités locales. Le PDIDAS
envisage de collaborer étroitement avec les communautés rurales, qui ont
compétence en matière de gestion domaniale des zones de terroirs. Cependant, le
bilan de l’exercice des compétences reconnues aux collectivités locales, en matière
de gestion foncière, fait état de l’existence de multiples tensions, conflits et litiges,
dont les causes les plus récurrentes portent en général sur: (i) les affectations
multiples de parcelles, (ii) l’absence de délimitations des terres ; (iii) les contestations
d’affectation ; (iv) les affectations de complaisance ; (v) une interprétation restrictive
de la loi, etc. Cette situation se traduit par des pratiques qui tendent à contourner les
dépassements constatés dans la loi sur le domaine national : il s’agit des
transactions foncières et de l’affectation de terres parfois à des non-membres des
communautés rurales. Tolérées au niveau local, ces pratiques tendent vers une
généralisation à travers la signature de protocoles d’accord directs avec les
collectivités locales en l’absence d’interface qui pourrait se charger de défendre
convenablement les intérêts des locaux.
La loi sur le domaine national est généralement interprétée de manière restrictive au
profit des agriculteurs, excluant de fait les autres systèmes de production
(pastoralisme, cueillette, pêche, sylviculture etc.). Pour pallier à ces manquements,
dans la vallée du Sénégal, plusieurs outils juridiques et techniques de gouvernance
et de sécurisation foncière ont été expérimentés. Il s’agit des Plans d’Occupation et
d’Affectation des Sols (POAS), de la Charte du domaine irrigué, des registres et
manuels fonciers. A titre d’exemple, dans les POAS, les Zones A Priorité Elevage
(ZAPE) sont clairement identifiées. L’implantation du PDIDAS sur ces terres
destinées prioritairement à l’élevage va mettre en mal ces dispositions de
gouvernance et de sécurisation financière. Donc le développement de l’agrobusiness
impose aujourd’hui que toute démarche garde en ligne de mire deux dimensions de
la problématique : le contexte juridique actuel et les perspectives de réforme.
La société civile organise la sensibilisation sur le PDIDAS
Globalement, la société civile est très active dans la défense du monde rural
sénégalais. Elle est en position avancée dans la lutte contre l’accaparement et le
bradage des terres. Son action quotidienne a permis de dégager quelques positions
centrales de toutes les organisations de base. En effet, elle se mobilise pour le
respect du moratoire dans la cession des terres rurales jusqu’à l’avènement de la
réforme foncière (ENDA PRONAT) et aussi dans la défense des zones menacées
par l’agrobusiness (CNCR, ACTION AID). Malgré son implication, la société civile n’a
été associée qu’aux ateliers de partage des différents documents du PDIDAS par le
Ministère de l’Agriculture. Elles ont été invitées avec le statut « d’observateur » qui
32
est très ambiguë et difficilement acceptable. Cette invitation est perçue comme une
stratégie de légitimation et non comme une preuve d’une démarche inclusive
puisqu’il ne leur est pas permis de s’exprimer. Selon le schéma prévu, « les
populations concernées vont directement discuter avec les investisseurs, dans le
cadre d’un partenariat gagnant-gagnant. L’État va aménager et encadrer les
populations concernées afin de préserver leurs intérêts.»
La société civile, en l’occurrence le CNCR, a initié plusieurs ateliers sensibilisation
auprès des élus locaux. Pour le CNCR, l’urgence était de sensibiliser les élus locaux
sur les enjeux du PDIDAS ; et de faciliter le partenariat entre les élus locaux des
communes (Collectif interdépartemental des élus de la zone PDIDAS) afin de
rechercher avec eux des mécanismes permettant de prendre en compte l’intérêt des
populations locales.
Les impacts de ces différentes initiatives sont aujourd’hui perceptibles à travers le
dialogue amorcé entre la coordination du PDIDAS et le collectif des élus locaux. Ce
dialogue a permis d’aborder le régime foncier actuel avec ses nombreuses faiblesses
et limites notamment : (i) la question de la territorialité, (ii) la question de la mise en
valeur, et (iii) les contraintes liées à l’accès au foncier par les acteurs de
l’agrobusiness. Il y a une remise en cause du schéma foncier du PDIDAS notamment
dans l’accès à des blocs de 500ha de terres dans les 41 villages ciblés sans
déplacer les populations et les pâturages.
Pour l’acceptation sociale du projet, les acteurs exigent du PDIDAS et de l’Etat,
d’apprendre des erreurs rencontrées dans le cadre de la mise en œuvre d’autres
projets d’agrobusiness notamment Senhuile SenEthanol. Ce projet qui devait
s’implanter à Fanaye dans la moyenne vallée du Sénégal est très rejeté par les
populations qui étaient contre l’octroi à un privé italiens 20 000ha de terres dans la
zone pastorale. Devant le forcing des promoteurs, la révolte des populations
pastorales et de certains agriculteurs s’est soldée par des morts d’homme et la
délocalisation du projet dans une réserve de l’Etat du Sénégal.
Cette position découle d’une prise de conscience de l’option de l’Etat qui est celui de
la promotion sauvage des investissements directs étrangers (IDE) et nationaux dans
l’agriculture.
2. Le Projet de Pôles de Développement de la Casamance (PPDC)
Le PPDC est un projet du gouvernement sénégalais financé par la Banque Mondiale
pour une durée de 5 ans (2014-2019). La contribution de la BM s’élève à 40 millions
de dollars US. Selon le document de projet, le PPDC est conçu comme «une
opération structurante devant appuyer la volonté de l’Etat du Sénégal à développer
le potentiel économique de la Casamance et ainsi améliorer les perspectives de paix
durable dans la région. »
33
Le PPDC est aussi un projet multisectoriel (agriculture, transports, développement
local et gestion des conflits) a pour but de développer le potentiel économique de la
région en essayant de lever les contraintes des petits exploitants agricoles (surtout
en termes de disponibilité limitée en matière d’infrastructures, de commercialisation,
de transformation et de stockage) afin de leur permettre de participer au
développement des chaînes de valeur agricoles. Ces objectifs sont de: (i) accroître
la productivité agricole dans les filières agricoles ciblées en faveur des jeunes et des
femmes ; et (ii) améliorer l’accessibilité des zones rurales ciblées en Casamance.
Dans le document de la stratégie pays de la BM, la mise en œuvre du PPDC doit
permettre de Réduire la vulnérabilité des populations de Casamance. La
Banque, en collaboration étroite avec d’autres donateurs actifs en Casamance
(USAID/MCA, BAD, Coopération française, Coopération néerlandaise, Coopération
espagnole et PNUD), appuiera la mise en œuvre d’un projet de développement
économique et social au niveau de la région afin de fournir des opportunités de
génération de revenus, notamment pour les femmes et les jeunes dans des zones
ciblées de la région.
Les critères de localisation du PPDC : la Casamance, une région au potentiel
agricole énorme.
Le PPDC est mis en œuvre dans la région naturelle de la Casamance qui correspond
aux régions administratives de Ziguinchor, Sédhiou et Kolda. La Casamance est
coupée du reste du Sénégal par la Gambie, petit pays anglophone, qu’il faut
traverser pour rallier les autres villes du pays. Venant du Nord, par la route, il faut
quitter le Sénégal, franchir une frontière, traverser la Gambie, franchir une autre
frontière avant de se retrouver en territoire sénégalais. Cette région, se trouve dans
une situation « périphérique » par rapport aux pôles essentiels d’activités
économiques : le Cap Vert et le bassin arachidier.
Cette situation de marginalité est difficilement vécue et acceptée par les populations
car, en plus des difficultés physiques à rallier les autres zones du Sénégal, la région
est morcelée par un réseau hydrographique avec de nombreuses petites îles dans
l’estuaire, mal reliées entre elles. Les villes sont desservies par des routes très peu
entretenues, isolant totalement la région.
La Casamance est aussi en proie à une rébellion indépendantiste, la plus vieille
d’Afrique car datant de 1982. L’impact de ce conflit sur le développement
économique et social de la région est immense. En 2002, le programme de relance
des activités économiques en Casamance (PRAESC) concluait son rapport sur les
conséquences sociales de trois décennies de conflit en Casamance en ces termes :
34
« cette partie sud du Sénégal, a vu la quasi-totalité de ses activités ralenties, voire
arrêtées, son avenir hypothéqué (….) plusieurs années d’efforts soutenus,
d’investissements importants ont été brutalement réduit à néant (….) Au plan
économique, la situation d’insécurité, l’apparition du phénomène des mines ont été le
prétexte pour la réduction de l’assistance technique par l’Etat ou par les
organisations non gouvernementales, de l’arrêt de certains investissements, de la
délocalisation de certains programmes de développement vers des cieux
prétendument plus sécurisants. »
En terme de potentiel économique, la Casamance est la région la plus arrosée du
Sénégal et disposent d’importantes ressources foncières, halieutiques et forestières.
Cependant, la persistance du conflit et l’absence d’opportunités économiques
continuent de nuire à son potentiel de développement. Dans le cadre du PPDC, la
BM veut faire de la Casamance un pôle de développement pour le pays en raison de
son fort potentiel économique.
L’approche chaine de valeur au cœur de la stratégie du PPDC
L’une des innovations majeures de ce projet se trouve dans l’appui à la production, à
la post récolte et à la mise en marché de la production. Elle se traduit par la
réhabilitation/aménagement et la mise en valeur de rizières et de périmètres
horticoles, la mise à disposition de moyens de production en appui à la production et
la productivité du riz de l’horticulture et de l’ostréiculture (l’achat d’intrants, de
matériel agricole et le renforcement des capacités) la mise à disposition de petites
infrastructures post récoltes dont les centres de groupage et l'amélioration de l’accès
aux marchés à travers le développement de la Plateforme Economique Intégrée de
Bignona. En tant que projet de pôle de développement, le PPDC met l'accent sur les
grappes d’investissements critiques afin d’appuyer le développement du secteur de
l'agriculture.
Cette approche chaine de valeur doit permettre de lever la contrainte liée à
l’émergence d’un secteur privé local dont les tentatives sont annihilées par le conflit.
L’approche va organiser la présence des privées dans le secteur de l’agriculture par
l’émergence de coopératives agricoles structurées, de petits fournisseurs d'intrants
agricoles et de commerçants, de groupements d'intérêt économique (GIE),
d’institutions de micro-finance et de petites et moyennes entreprises (PME).
Impacts sociaux du projet prévus : relever les défis de la pauvreté des femmes
35
Contrairement au PDIDAS, en termes de mesures de sauvegarde sociales, il n’est
pas prévu dans le cadre du PPDC des déplacements de population, ni ne
d’acquisitions de terres. Toutefois, le projet déclenche la politique de la Banque
relative au recasement involontaire, en prévision de pertes improbables d’actifs et de
revenus. En outre, puisque tous les sites d’activités du projet n’ont pas pu être
identifiés avant l'évaluation, le gouvernement sénégalais a préparé un Cadre de
politique de réinstallation (CPR), qui décrit les mesures à prendre lors de la mise en
œuvre lorsque les sites et les emplacements réels seront identifiés. Par conséquent,
le CPR englobera les activités prévues dans le développement de la plateforme et
sera dûment examiné et approuvé par l'équipe de la Banque.
La tendance à la féminisation de la pauvreté est une réalité profonde au niveau de la
Casamance. Selon les statistiques nationales, 60% des femmes de 15 à 30 ans sont
au chômage en Casamance (ANSD 2013). Ainsi, puisque les femmes et les jeunes
sont les bénéficiaires du projet, une évaluation de l'emploi des jeunes et des femmes
en Casamance a été réalisée en 2013 par le PPDC. Il en ressort que leur insertion
dans le marché du travail est une question importante si l’on cherche à stimuler le
développement économique de la région et à assurer la stabilité sociale. L'évaluation
a indiqué que la crise et la stagnation de l'économie de la région de Casamance ont
coincé sa jeunesse dans un cycle de sous-emploi, de chômage, de pauvreté et
d’aléas sociaux.
En outre, dans l'ensemble, le conflit casamançais a rendu les femmes beaucoup plus
vulnérables en termes de sécurité alimentaire, de santé et de bien-être et de statut
social. Il a provoqué une féminisation sans précédent de la pauvreté en Casamance.
Le projet permettra d'améliorer la capacité de la région en production de riz, en
horticulture, en transformation des aliments, en formation et en commercialisation
des produits en corrigeant les nombreuses barrières qui se dressent devant la chaîne
de valeur agricole.
S’agissant de la question foncière, l’attachement des populations locales à la terre
constitue une contrainte de taille qu’il faut lever avec beaucoup de prudence. Les
ethnies du Sud du Sénégal sont très attachées à la terre. D’ailleurs, les spécialistes
de la rébellion casamançaise ont fait le lien du problème et la question de la terre16,
lorsque l’Etat a essayé de contrôler l'allocation des terres avec l'adoption de la Loi de
1964 relative au Domaine National (Loi relative au Domaine National). Compte tenu
de cette sensibilité, le PPDC définit quatre critères dans le choix des vallées pour la
production de riz et des périmètres horticoles:
16
Cf aux travaux de Jean Claude Marut notamment les livres suivants : «Comprendre la Casamance » et « Ce que disent les armes »
36
- les rizières libres de tous conflits fonciers actuels et potentiels, une situation
difficilement envisageable tant les systèmes de production privilégié la mise
en valeur des rives des vallées et des bas fonds,
- des modalités précises relatives à l’accès et à la distribution des terres
destinées à la riziculture au niveau communautaire ou dans les vallées,
- un leadership fort des collectivités locales dans la planification et la gestion
- et l'existence de titres formels pour les associations de jeunes ou les
groupements de femmes qui gèrent les périmètres horticoles.
En ce qui concerne ce dernier point, il renvoie à l’appropriation privée de la terre au
profit d’un groupement qui peut se décider dans le futur à la céder à des
investisseurs étrangers. En effet, la privatisation des terres risque de mettre les
paysans dans une situation de pauvreté absolue. Si les incitations deviennent très
attractives, ils n’ont d’autres alternatives que de vendre leur terre. Ils risquent alors
de devenir des ouvriers mal rémunérés par les entreprises agricoles privilégiant
l’investissement en capital. Au-delà de l’avenir des petits exploitants agricoles, se
posent les menaces sur la paix sociale avec l’arrivée des nouveaux investisseurs.
Les questions environnementales
Dans la classification en vigueur au niveau de la BM, le PPDC est classé dans
catégorie B. Les procédures portant : (i) sur l'évaluation environnementale; (ii) les
habitats naturels; (iii) la lutte contre les parasites; (iv) les ressources culturelles
physiques et (v) la réinstallation involontaire ont été déclenchées par la BM. Une
étude d'impact environnemental et social (EIES) portant spécifiquement sur la
plateforme de Bignona a été conclue par la municipalité. Les autres instruments de
sauvegarde suivants ont été élaborés: un cadre de gestion environnementale et
sociale (CGES), un plan de lutte contre les parasites (PLP) et un cadre de politique
de recasement (CPR).
Etant donné la richesse de la biodiversité de la Casamance, les mesures de
sauvegarde de la BM ont été déclenchées notamment grâce au CGES et CPR qui
décrivent les rôles et responsabilités des divers acteurs impliqués notamment en ce
qui concerne les examens préalables, la révision et l'approbation des activités ainsi
que la mise en œuvre et le suivi de leurs mesures d'atténuation. Un point focal de la
garantie environnementale et sociale issu des trois Agences Régionales de
Développement collaborera en amont avec le spécialiste de la passation des
marchés pour l'intégration de mesures dans les documents d'appel d'offres et les
plans de travail annuels et en aval avec le spécialiste en suivi et l'évaluation (S&E)
sur les supervisions sur le terrain pour s’assurer que les entreprises et bénéficiaires
sont en conformité.
37
3. Le PPAAO : une vision collective de l’Afrique de L’ouest soutenue par la
BM
Le Programme pour la Productivité Agricole en Afrique de l’Ouest (PPAAO) a été
conçu en 2008 pour mettre l’accent sur l’adaptation et le transfert de technologies
agricoles dans l’espace ouest africain. Son objectif est double. Il s’agit : (i) de relever
le défi de la sécurité alimentaire et (ii) d’accélérer l’intégration sous régionale à
travers le transfert de technologies agricoles.
La BM finance ce projet à hauteur de 60 millions de dollars US en contrepartie d’une
forte implication du secteur privé. En effet, fidèle à sa stratégie, la BM considère que
la réussite d’un tel programme repose sur la nécessité d’une forte implication du
secteur privé : « le financement à la demande des différents projets des producteurs
ainsi que l’adoption et la génération de nouvelles technologies agricoles ne peuvent
donner les résultats escomptés sans une réelle implication du privé »17
Le PPAAO cible 1 426 360 producteurs ouest africains pour une superficie totale de
755 700 ha. Cependant, le défi à relever est celui des stratégies de diffusion des
technologies. En effet, même si de petits producteurs ont pu bénéficier du transfert
des technologies agricoles, elles ont plus profité aux moyens et gros investisseurs.
Pour un réel impact sur la croissance et la lutte contre la pauvreté, l’adoption des
technologies doit couvrir le maximum de petits producteurs qui sont au devant de la
production agricole.
4. Incohérences dans les stratégies de financement de la BM
Le mandat de la Banque mondiale (BM) est de « mettre fin à l’extrême pauvreté en
une génération et promouvoir une prospérité partagée ». Cependant, l’analyse des
pratiques de la BM montre la prédominance d’investissements impertinents et peu
rentables. Cette faible rentabilité des investissements se soldent par des pratiques
de rééchelonnement discontinu de la dette du Sénégal.
Les politiques d’octroi de prêts aux Pays en voie de Développement (PVD)
pratiquées au cours des années 1980 ont jeté les bases d’une logique libérale
poussant ces pays à une libéralisation de leur économie (Politiques d’ajustement
structurel – PAS) et à une production principalement orientée vers l’exportation des
matières premières. Ces PAS se sont d’abord donné comme objectif d’assainir
l’économie sénégalaise et de restaurer un cercle vertueux de croissance par
élimination ou réduction des déficits internes et externes, compression de la
demande, suppression des distorsions pour le fonctionnement des marchés,
privatisation et promotion du secteur privé. Les différentes réformes mises en œuvre
n'ont pas permis de résoudre fondamentalement les problèmes du secteur. Celui-ci
est toujours soumis à des contraintes d'ordre financier qui a trait au désavantage que
17
A. Touré, Coordonnateur du PPAAO à la Banque Mondiale. Propos tenu à l’atelier de synthèse des missions d’appui au PPAAO à Ouagadougou du 14 au 15 Novembre 2008.
38
connaît le secteur en matière de distribution de crédits dont il reçoit moins de 3% du
volume global. Dans cette situation, il n’est pas étonnant que l'agriculture, qui
emploie plus de 60% de la population active, ne représente que 8% à 9% du PIB. Ce
qui témoigne de la faiblesse de la productivité agricole.
En outre, dans le domaine agricole, la perpétuation après 1960 de l’agriculture
coloniale de traite a inexorablement conduit le pays à une crise agro-alimentaire. Elle
a provoqué le développement des cultures des rentes au détriment de la production
vivrière locale, engendrant ainsi une explosion des importations de produits
alimentaires. Selon le professeur Moustapha Kassé18, « les importations alimentaires
ont doublé en sept (7) ans pour atteindre environ 70 milliards en 1984. Elles
représentaient prés de 5 fois le service de la dette rééchelonnée en 1981, plus du
double de celui de 1982, plus du triple de celui de 1983 et prés du triple de celui de
1984 ».
Autrement dit, si après l’indépendance, les structures productives agraires avaient
été réorientées vers la couverture prioritaire des besoins alimentaires internes, un
problème de rééchelonnement ne se serait pas posé en considérant toutes choses
égales par ailleurs.
En lieu et place d’investir dans l’agriculture familiale la BM promeut
l’agrobusiness
L’agriculture familiale, reste l’épine dorsale de la société sénégalaise et de son
économie. En effet, organisée sous forme de petites exploitations familiales,
l’agriculture produit à ce jour, la plupart de la nourriture. Les organisations paysannes
sont convaincues qu’elles peuvent assurer la souveraineté alimentaire du pays pour
peu que les bonnes politiques soient en place, notamment une réforme foncière qui
sécurise leurs terres.
Les investissements qui se limitent uniquement à la production sans prendre en
compte les autres segments à savoir la transformation et la commercialisation ont
toujours montré leurs limites. Il urge d’orienter les financements vers l’approche
chaine de valeur pour rendre l’agriculture familiale plus compétitive. Cette approche
permettra de mieux lutter contre la pauvreté rurale. Dans cette optique, il est
important d’augmenter la part des investissements consacrée à l’agriculture pluviale
qui est la forme de mieux en valeur la plus répandue au Sénégal.
Or malgré la reconnaissance de la BM du rôle de l’agriculture dans la lutte contre la
pauvreté, elle œuvre pour sa profonde transformation en faveur notamment de
l’agrobusiness. Cette volonté découle de la nécessité pour la BM de rentabiliser les
financements réalisés avec les barrages.
18
Professeur Emérite en Sciences Economiques et Gestion
39
Aujourd’hui, l’atteinte de l’autosuffisance alimentaire au Sénégal est une ambition
affirmée par les autorités sénégalaises. Elle est le moyen le plus sûr pour se
prémunir contre l’insécurité alimentaire par une production agricole capable de
satisfaire les besoins et préférences alimentaires et apte à permettre aux populations
de mener une vie saine et active. Dans le Plan Sénégal Emergent (PSE), il est prévu
la création de 150 fermes agricoles intégrées visant à positionner le Sénégal comme
un pays exportateur de fruits et légumes à haute valeur ajoutée. Cet objectif laisse
entrevoir la cohabitation entre l’obligation prioritaire de la sécurité alimentaire et la
promotion des cultures d’exportation. Cependant, cette volonté ne garantit pas les
droits des petits exploitants agricoles à la sécurité foncière.
La stratégie de promotion de la BM n’est pas en phase avec son ambition de lutter
contre la pauvreté dans la mesure l’agrobusiness s’accapare de l’outil de production
du petit exploitant agricole qui est un acteur de premier plan dans la lutte contre la
pauvreté en milieu. Ce phénomène de l’accaparement des terres ignore totalement,
la contribution cruciale des petits exploitants agricoles et des éleveurs dans l’atteinte
de la sécurité alimentaire. Les populations s’interrogent sur ces projets
d’investisseurs en termes de superficie et d’utilisation, de la recrudescence des
tensions sociales liées au foncier et, de l’exode rural, mais surtout des solutions
précaires aux problèmes identifiés.
Une stratégie qui menace la paix sociale
Le constat est sidérant. L’installation des entreprises agricoles des promoteurs privés
et sur des terres aussi fertiles que celles des Niayes, de la vallée du Sénégal et de la
Casamance, cachent difficilement le paradoxe ambiant dont sont empreintes les
politiques au regard des orientations du développement socio-économique du pays.
Comment peut-on promouvoir l’agriculture d’exportation alors que le Sénégal n’a pas
réglé la question de sa souveraineté et de sa sécurité alimentaire dans lesquelles
l’agriculture joue un rôle déterminant ?
Dans le cadre du développement de l’agrobusiness, la BM encourage des
arrangements dans le domaine foncier, en vue de contourner les contraintes liées à
la loi sur le domaine national (exemple PDIDAS). Les transactions foncières sont mal
gérées. Les conditions de cession des terres ne sont pas équitables pour les
populations rurales les plus pauvres et les plus vulnérables (femmes, jeunes
handicapés), leurs droits à la terre et aux autres ressources naturelles sont parfois
sciemment bafoués. L’accaparement des terres entraine des mouvements de révolte
qui peuvent, comme à Fanaye, connaître des issues tragiques. Les populations,
faute d’être écoutées et de voir leurs aspirations prises en compte, n’ont d’autres
choix que la révolte. L’Etat du Sénégal n’a rien à gagner en contraignant les
populations rurales à entrer en rébellion. Les conditions de cession des terres ne
sont pas connues, dans la mesure où les contrats signés entre l’Etat et les
investisseurs privés ne sont pas rendus publics.
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L’enjeu n’est pas l’affectation des terres en soi, mais plutôt le fait que les terres sont
attribuées à des personnes étrangères à la communauté rurale et à des sociétés qui
n’en ont pas droit et qui, de surcroît, ne les exploitent pas. Non seulement cette
pratique viole les lois et les décrets qui organisent la gestion des terres dans les
zones de terroir, mais elle contribue à accentuer la misère dans les zones rurales où
les populations n’avaient jadis que la terre comme moyen de subsistance. Les petites
exploitations contribuent fortement à la réduction de la pauvreté et à la croissance
économique, aux défis de la création d’emplois en milieu rural. Elles ont été
identifiées comme étant un modèle d’exploitation apte à pouvoir prendre en compte
les différents défis économiques, sociaux et environnementaux. Elles ont bien résisté
aux effets du changement climatique et autres pressions environnementales. Ces
exploitations maintiennent l’agriculture sénégalaise dans son rôle de secteur clé de
lutte contre les mécanismes qui génèrent la pauvreté.
Les producteurs ruraux qui risquent de perdre leurs terres sont contraints de recourir
à la violence pour préserver leurs droits fonciers. Le paradoxe est que
l’assouplissement des conditions d’accès aux terres ne garantit pas toujours leur
mise en valeur. Si certains investisseurs privés sont porteurs de projets agricoles
qu’ils entendent réaliser de façon effective, d’autres en revanche semblent
développer des stratégies visant à obtenir des gains spéculatifs à court ou à moyen
terme (location des terres qui ont été concédées par les collectivités locales ou « gel
» des terres, en attendant de pouvoir les vendre lorsque les prix seront plus élevés).
Malgré l’introduction d’un code de conduite dans le cadre du PDIDAS, il n’est pas
encore garanti que ce projet aura une certaine acceptabilité sociale.
5. Les axes de revendication
Une récente étude commanditée par le CNCR a fait une comparaison entre la
productivité des exploitations agricoles et des entreprises agro-industrielles installées
dans la vallée du Sénégal et leur impact sur l’environnement immédiat. Les résultats
de l’étude montre que l’agriculture familiale est plus performante et plus durable que
l’agro industrie ceci malgré qu’elles reçoivent des moyens limités. Pour les
exploitations familiales, les rendements par spéculation peuvent atteindre 6 à 7
tonnes pour le Riz avec des chiffres d’affaires avoisinant les 5 millions pour la patate
douce alors que l’Agro Industrie, son impact sur la sécurité alimentaire et sur
l’environnement est presque nul.
Alors que les bailleurs de fonds semblent opter et imposer à l’Etat sénégalais, la
promotion sauvage des investissements directs étrangers et nationaux dans
l’agriculture, ces résultats montrent que le défi majeur actuel réside dans la
réhabilitation de l’agriculture familiale comme base du processus vers la
souveraineté alimentaire. Les exploitations ont été identifiées comme étant un
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modèle d’exploitation apte à pouvoir prendre en compte les différents défis
économiques, sociaux et environnementaux. Elles ont bien résisté aux effets du
changement climatique et autres pressions environnementales. Ces exploitations
maintiennent l’agriculture sénégalaise dans son rôle de secteur clé de lutte contre les
mécanismes qui génèrent la pauvreté. L’Etat sénégalais et la BM, même si elles
inscrivent leurs actions dans la perspective du développement de l’agrobusiness, ils
doivent œuvrer pour sécuriser les droits des paysans pauvres au risque de les
transformer en ouvriers agricoles à la merci des investisseurs.
5.1. Investir dans l’agriculture familiale = lutter contre la pauvreté en
milieu rural
Au Sénégal, selon la Revue Conjointe du Secteur Agricole (Rcsa) 2014 que vient de
publier le Ministère de l’Agriculture et de l’Equipement Rural, 30% des ménages
vivant en milieu rural se retrouvent en insécurité alimentaire, dont 12% en situation
sévère et 18% en situation modérés. Alors, ces ménages ne peuvent pas satisfaire
leurs besoins alimentaires minimaux de façon adéquate. L’ampleur de l’insécurité
alimentaire au Sénégal varie selon les régions. En effet, d’après le document, les
régions avec une proportion élevée de ménages qui n’ont une consommation
alimentaire satisfaisante (pauvre et limite) sont: Ziguinchor (63%), Kédougou (56%),
Sédhiou (52%) et Kolda (52%).
Pourtant, ces régions disposent d’un potentiel agricole très important avec une
pluviométrie satisfaisante et des terres fertiles. Nonobstant tout ce potentiel, la
faiblesse du soutien à la production constitue une contrainte majeure pour une
production agricole satisfaisante et capable de relever le défi de l’insécurité
alimentaire.
Investir plus de ressources dans l’agriculture permettra de créer de l’emploi en milieu
rural et accroitre la productivité pour lutter contre l’insécurité alimentaire.
5.2. Impliquer les organisations paysannes dans le processus de
définition des orientations de développement agricole
Les organisations paysannes sénégalaises ont toujours défendu que l’agriculture
familiale peut nourrir suffisamment la population sénégalaise. Simplement, le
potentiel du monde rural n’est pas suffisamment exploité. En effet, selon le CNCR,
«les organisations familiales sont intégrées dans des économies et des sociétés
rurales et sont dans des situations différenciées » qu’il est nécessaire de prendre en
compte. A ce propos, les investissements qui se limitent uniquement à la production
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sans prendre en compte les autres segments à savoir la transformation et la
commercialisation ont toujours montré leurs limites. Il urge d’orienter les
financements vers l’approche chaine de valeur pour rendre l’agriculture familiale plus
compétitive. Cette approche permettra de mieux lutter contre la pauvreté rurale.
Dans cette optique, il est important d’augmenter la part des investissements
consacrée à l’agriculture pluviale qui est la forme de mieux en valeur la plus
répandue au Sénégal. La mobilisation des ressources des bailleurs de fonds,
principalement de la BM, doit être articulée aux défis stratégiques identifiés,
notamment, la construction d’un développement humain durable dans l’espace rural
et une croissance économique fondée sur une agriculture durable et compétitive.
La faible implication de ses acteurs dans les processus de définition des politiques
agricoles constitue un handicap dans la réalisation des objectifs de développement
du secteur agricole.
5.3. Arrêter les pressions de la BM sur l’Etat en vue de contourner la
loi foncière.
Les exploitations ont été identifiées comme étant un modèle d’exploitation apte à
pouvoir prendre en compte les différents défis économiques, sociaux et
environnementaux. Elles ont bien résisté aux effets du changement climatique et
autres pressions environnementales. Ces exploitations maintiennent l’agriculture
sénégalaise dans son rôle de secteur clé de lutte contre les mécanismes qui
génèrent la pauvreté.
L’Etat sénégalais et la BM, même si elles inscrivent leurs actions dans la perspective
du développement de l’agrobusiness, ils doivent œuvrer pour sécuriser les droits des
paysans pauvres au risque de les transformer en ouvriers agricoles à la merci des
investisseurs. Le droit à la terre surtout pour les communautés autochtones est
devenu un enjeu de taille et une bataille sans fin entre acteurs aux intérêts assez
souvent divergents. Les conventions internationales et même les directives
volontaires consacrées par les nations dites civilisées ont renforcé ce souci de
protéger les droits fonciers des communautés à travers des engagements agricoles
responsables et contrôlés.
A la lumière des réformes en cours, la BM met en œuvre une série de stratégies qui
doivent pousser le Sénégal à adopter des politiques en faveur de l’agrobusiness au
détriment des exploitations familiales.
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Bibliographie
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