publié avec le concours du center for the family of the...

77
La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie familiale Publié avec le concours du Center for the Family of the American Home Economies Association sous la direction du Docteur Eloïse Murray tunesco

Upload: ngominh

Post on 26-Jun-2018

216 views

Category:

Documents


0 download

TRANSCRIPT

Page 1: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

La famille,premier milieu éducatifChoix de textes surl'économie familiale

Publié avec le concours duCenter for the Family of theAmerican Home EconomiesAssociationsous la direction du DocteurEloïse Murray

tunesco

Page 2: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

ISBN 92-3-201751-2

Edition anglaise 92-3-101751-9Edition espagnole 92-3-301751-6

Publié en 1981 par l'Organisation des Nations Uniespour l'éducation, la science et la culture

Imprimé dans les ateliers de l'Unesco©Unesco 1981

Page 3: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

Préface

A l'occasion de l'Année internationale de l'enfant(1979), l'Unesco a, comme il était naturel, accordéune attention particulière à ceux de ses objectifs quiconcernaient spécialement les enfants. Les textesréunis ici, qui sont consacrés aux rapports entrela famille et le développement de l'enfant, consti-tuent une contribution au programme de l'Unescovisant à améliorer la qualité de l'éducation enmatière d'économie familiale en vue d'élever leniveau de vie dans les foyers. Ce recueil, centréprincipalement sur l'importance de la famillecomme milieu d'apprentissage au cours de cespremières années de la vie de l'enfant dont l'em-preinte influence si profondément la suite de sondéveloppement, comprend un choix d'études dontbeaucoup ont déjà paru ailleurs. Elles ne pré-tendent pas épuiser le sujet, mais visent plutôtà donner une idée de la multiplicité des facteursqui interviennent dans le processus de développe-ment de l'enfant.

Les études se répartissent en quatre chapitres,dont chacun est précédé d'une brève introductionqui en indique les thèmes essentiels. Le premierpasse en revue les principaux systèmes familiauxet développe l'idée selon laquelle la famille entre-tient des rapports de réciprocité avec l'ensembledu système où elle se situe. Le deuxième chapitre,qui examine un certain nombre de facteurs quipeuvent limiter l'efficacité de la famille ou ledéveloppement de l'enfant, fait une place particu-lière aux questions de nutrition et de santé, ausens le plus large de ces termes. Le troisièmechapitre traite du stade particulièrement critiqueque constituent les toutes premières années dela vie et du rôle que joue la famille dans le déve-loppement de l'enfant. Plusieurs des études rete-nues pour ce chapitre ont trait à la nécessitépour les parents de se préparer à leur rôle.Le quatrième chapitre, enfin, reprend ce dernier

thème dans une optique intéressant plus particu-lièrement les spécialistes de l'économie familialequi travaillent en contact direct avec les familleset avec les enfants et ceux qui ont pour tâche deformer de nouveaux spécialistes.

Ce recueil de textes s'adresse en premierlieu aux professionnels de l'économie familiale,qui sont directement concernés par l'organisation,la supervision et l'enseignement de cette disci-pline, mais il devrait intéresser également unpublic plus vaste qui se préoccupe des nombreuxproblèmes que soulèvent les soins en tous genresà donner aux enfants dans les premières annéesde la vie.

Les textes réunis ici sont dus à un certainnombre d'auteurs qui font bénéficier le lecteur dela variété de leurs vues et de leur expérience pro-fessionnelle. Le Dr Eloise Murray, professeurassocié au Département de l'enseignement del'économie familiale de l'Université d'Etat dePennsylvanie, a conçu le cadre du présent ouvrageet réuni la plupart des articles avecl'aide de LindaWaicus et Mary Mooney-Getoff. C'est Kathy Hender-son (Royaume-Uni) qui s'est chargée de la mise aupoint finale du manuscrit. La publication de cerecueil a été rendue possible grâce à la coopéra-tion et à l'aide matérielle du Centerfor the Family(Centre d'études sur la famille) de l'AmericanHome Economies Association (Association amé-ricaine d'économie familiale).

Les opinions exprimées dans le présent ouvragesont celles des auteurs ou directeurs de publica-tion ; elles ne reflètent pas nécessairement cellesde l'Unesco. De même, les dénominations utili-sées et la présentation des textes n'impliquent pasde la part de l'Unesco l'expression d'une opinionsur le statut légal de quelque pays, territoire ouville que ce soit ou de ses autorités, ni sur letracé de ses frontières ou de ses limites.

Page 4: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

Table des matières

PREFACE

I. NATURE DE LA FAMILLE

Mariage et systèmes familiaux, F. Ivan Nye et Félix Berardo 7

La famille en tant qu'écosystème, Nancy C. Hook et Béatrice Paolucci 11

Société et milieu en tant que facteurs de limitation de la famille

en Afrique orientale, Angela Molonos 15

La famille thai' face au changement, Daviras Dhanagom 18

Les divers rôles de la femme au sein de la famille, June Nash 21

II. LES CONDITIONS DE LA CROISSANCE

Déclaration des droits de l'enfant adoptée par les Nations Unies 25

La santé de la famille, Michel Manciaux 2 6

Alimentation, nutrition et santé de la famille, Frederick T. Sai 28

Les mères adolescentes, Phyllis T. Piotrow 30

Nutrition et faculté d'apprendre, John R. Silber 32

Croyances culturelles et santé infantile dans la Malaisie rurale ,Mary Huang et Nafsiah Omar 33

L'allaitement en déclin : est-ce une question d'argent, de paresse oud'évolution sociale ? Johanna T. Dwyer 34

Les troubles de la croissance cérébrale sont-ils i r révers ibles ?Jack Tizard 3 6

Santé mentale et vie de famille, Jack H. Kahn 39

III. LA FAMILLE EN TANT QUE CONTEXTE D'APPRENTISSAGE

La famille en tant que contexte d 'apprentissage, Institut Vanier de la famille 45

Transition vers le rôle parental , Alice Rossi 4 7

Nature et importance de la relation père-pet i t enfant, Michael E. Lamb et

Jamie E. Lamb , 51

L'éducation des parents : une nécess i té , Evelyn Pickar ts et Jean Fargo 53

Préparat ion au rôle de parents , Richard R. Skemp 55

Les malentendus qui entourent l'enfant et ses façons d 'apprendre,David Elkind 56

Page 5: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

L'espri t prend forme, Maya Pines 58

Le rôle de la famille dans l'acquisition de la maîtrise du langagepar les jeunes enfants, W. P. Robinson 62

Recommandations utiles pour réussi r l'éducation des tout petits,Martin Cohen 68

IV. CONSEQUENCES POUR L'ECONOMIE FAMILIALE

Evolution des services offerts aux familles et aux enfants, Mary C. Egan 70

Mise au point de programmes d'économie familiale destinés aux familles et

aux enfants, James Van Horn et John Williams 72

L'économie familiale et les "valeurs de liaison temporelle", Elizabeth M. Ray 74

Programme pour demain, Annie L. Butler 76

Page 6: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

I. Nature de la famille

Le mot famille est un terme très général. Touteforme de famille renvoie au contexte culturel,politique et économique dans lequel elle se situe.De même, l'effet collectif du comportement dela famille affecte l'environnement global.

Dans la première étude du présent chapitre,F. Ivan Nye ei. Félix M. Berardo passent enrevue les formes prédominantes de la famille,sur la base d'une étude interculturelle. Ils sou-lignent que les familles, sous quelque formequ'elles se présentent, ont certaines fonctionsà remplir pour les individus qui les composent.

L'étude de Nancy C. Hook et de Béatrice Pao-lucci se place du point de vue de la situation dela famille à l'intérieur du contexte plus généralde la société tout entière. La famille constitueun environnement pour les individus et c'est ainsiqu'elle s'inscrit elle-même dans l'ensemble plusvaste du milieu physique, biologique et social.

Angela Molonos, quant à elle, étudie la façondont les schémas traditionnels avaient pour effetde limiter le nombre des enfants en Afrique orien-tale et montre les tensions puissantes qu'intro-duisent les formes modernes dans l'environne-ment et la famille.

Daviras Dhanagom examine les conséquences,pour les familles, des conditions économiqueset politiques actuelles en Thaïlande. Ces deuxétudes sont en quelque sorte des applications dela thèse de Nancy C. Hook et de Béatrice Paoluccisur les différences culturelles.

Dans la plupart des sociétés, c'est la mère ouun membre féminin de la famille qui s'occupepour l'essentiel de l'éducation des enfants. C'estpourquoi l'étude de June Nash analysant la posi-tion de dépendance de la femme au sein de la fa-mille figure dans le présent chapitre.

MARIAGE ET SYSTEMES FAMILIAUX/1

F. Ivan Nye et Félix M. Berardo

Les spécialistes des sciences sociales ont sansdoute beaucoup appris sur de multiples aspects dela structure et de l'organisation familiale ; cepen-dant, ils se heurtent à des difficultés lorsqu'ils'agit de formuler des idées générales indépen-dantes du contexte culturel au sujet des institu-tions familiales - c'est-à-dire des notions valables

pour un grand nombre de sociétés. L'une des dif-ficultés essentielles vient des problèmes de défi-nition liés au concept même de "famille11. Laquestion fondamentale - qu'est-ce qui constitueune famille ? - n'est pas aussi simple qu'on pour-rait le croire. L'homme de la rue, comme tropsouvent, hélas, le spécialiste des sciences so-ciales, fait appel à ce mot pour désigner indiffé-remment divers groupes sociaux qui, malgré desressemblances toutes fonctionnelles, ne présententpas moins certains points de divergences impor-tants. Ce sont ces points qu'il importe de tirer auclair par l'analyse afin de pouvoir utiliser le termedans un exposé scientifique rigoureux. /2

La famille nucléaire

Le type le plus restreint et le plus élémentaired'organisation familiale est la famille nucléaire,qui se compose, en principe, de deux époux et deleurs enfants. Dans un sens plus technique, unefamille nucléaire comprend au moins deux per-sonnes adultes de sexe opposé, vivant ensembledans une relation sexuelle admise, et un ou plu-sieurs de leurs enfants propres ou adoptés.

La comparaison de diverses cultures a conduitcertains anthropologues à affirmer que la famillenucléaire est, en fait, un phénomène universel.Parmi les principaux tenants de cette doctrine,on trouve George Murdock qui,après avoir étudié2 50 sociétés différentes, a conclu notamment :"soit en tant que seule forme établie de famille,soit en tant que cellule de base à partir de laquellese constituent des formes familiales plus com-plexes, (la famille nucléaire) existe en tant quegroupe distinct et fortement fonctionnel dans toutesles sociétés connues". Il a remarqué que, mêmedans les sociétés où elle se trouve incluse dansun groupe familial plus large, comme par exemple

Texte publié avec l'accord de MacMillan Pu-blishing Co. , Inc. F. I. Nye and F. M. Berardo,The Family : its structure and Interaction,p. 30, 33 à 40. Tous droits réservés (c) 1973,MacMillan Publishing Co. , Inc.Murdock, George, P. , Social Structure.New York, The MacMillan Company,3 78 p.

1949,

Page 7: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

dans des systèmes polygames ou de famille élar-gie, la famille nucléaire est reconnue par lesautres membres et par la communauté comme uneentité distincte logeant généralement sous un toitséparé.

Fonctions de la famille nucléaire

Dans sa tentative d'explication de l'apparenteuniversalité de la famille nucléaire, Murdock aindiqué que ce type de famille remplissait tou-jours et partout quatre types essentiels de fonc-tions nécessaires à la perpétuation de n'importequelle société humaine. Ce sont les quatre fonc-tions basées respectivement sur les rapportssexuels, la coopération économique, la repro-duction et l'intégration sociale.

1. Rapports sexuels. La sexualité est une forcepuissante qui renferme le pouvoir constant de dé-sorganiser les rapports de coopération nécessairesau maintien de la famille et de la société. C'estpourquoi toutes les sociétés connues répriment,de façons diverses, l'expression de la sexualité.Grâce à la relation maritale qu'elle établit, lafamille nucléaire offre au mari et à la femmecertains privilèges sexuels de nature à satisfaireleur besoin fondamental. Au sein du milieu fami-lial, le plaisir sexuel tend à resserrer le lienmarital tout en tissant autour du couple un réseauplus large et solide de relations et de responsa-bilités familiales.

Mais il serait faux de conclure que la sexualitéest le seul ou même le plus important facteur quiexplique l'existence du mariage. Dans la sociétéaméricaine, où le code sexuel formel interdit etmême condamne les rapports sexuels extraconju-gaux, une telle hypothèse pourrait sembler juste.Cependant, elle perd toute consistance par rapportà d'autres cultures. Dans la plupart des sociétésétudiées par Murdock, des personnes non mariéeset non apparentées jouissaient d'une liberté sexuelletotale ; pourtant, dans ces sociétés, la plupartdes individus finissaient par se marier. Bien plus,un grand nombre de ces sociétés autorisaient lesliaisons extramaritales. Ainsi n'est-il donc mêmepas possible de supposer qu'après le mariage, lerôle de la sexualité consiste exclusivement à ren-forcer et à maintenir la stabilité des relationsmaritales. Il ne s'agit pas ici de suggérer quela sexualité n'est pas l'un des aspects importantsdu mariage. Mais il est clair qu'il doit existerd'autres facteurs qui expliquent la pérennité dela relation maritale au sein de la famille nucléaire.

2. Coopération économique. Le lien établi parla relation sexuelle maritale se voit renforcé, ausein de la famille nucléaire, par la coopérationéconomique entre le mari et la femme. Toutesles sociétés humaines connues ont donné lieu àune spécialisation économique et à la coopérationentre les sexes. Cette coopération découle en par-tie des différences biologiques existant entrehommes et femmes, et suit par ailleurs un sché-ma qu'infléchissent les définitions (variables se-lon les enseignements de chaque culture) de cequi constitue une division du travail appropriée.Les hommes étant le plus souvent physiquementplus forts, ce sont eux qui se chargent en général

des tâches qui requièrent robustesse et endurance.Les femmes, qui portent déjà le fardeau de la ma-ternité, sont généralement chargées des tâchesdu ménage et des soins à donner aux enfants. Lesactivités économiques du mari et de la femme secomplètent, ce qui leur permet de fonctionnerplus efficacement chacun dans son rôle et, parlà même, renforce la relation maritale.

La coopération économique non seulement liesolidement le mari et la femme l'un à l'autre,mais aussi renforce les rapports entre parentset enfants et ceux des enfants entre eux au seinde la famille nucléaire. Toutes les sociétéshumaines ont tendance à différencier les activi-tés économiques selon les âges aussi bien que lessexes. Dans certaines sociétés, l'apport écono-mique des jeunes enfants est minime ou limité àdes tâches légères d'ordre généralement domes-tique, tandis que, dans d'autres, ils sont forte-ment mis à contribution. Quoi qu'il en soit, lesrelations au sein de la famille nucléaire sont desrapports de réciprocité. A mesure que l'enfantpasse d'un état de dépendance, dans lequel sesparents veillent à la satisfaction de la plupart deses besoins, à un état de maturité croissante, ilse voit confier des tâches de plus en plus nom-breuses et son rôle économique s'accroft. Il peut,par exemple, aider à prendre soin des enfantsplus jeunes que lui et à subvenir à leurs besoins.Souvent, avec l'âge, les parents se trouvent ré-duits à une situation de dépendance et c'est alorsau tour de leurs enfants adultes de leur fournirsoins et assistance économique. C'est ce systèmeréciproque d'aide économique et d'assistance ma-térielle entre les divers membres d'une mêmefamille nucléaire qui permet d'en expliquerl'universalité.

3. Reproduction. Toutes les sociétés soulignentfortement la fonction reproductrice de la famillenucléaire. Le couple marié se doit de donner nais-sance à des enfants dont il devra assumer la nour-riture et les soins. Il arrive que des parents quise refusent à remplir cette fonction de manièresatisfaisante soient passibles de sanctions socialesgraves. C'est ainsi que des pratiques telles quel'avortement, l'infanticide et l'abandon d'enfantsont généralement contenues dans certaines limitesafin qu'elles ne risquent pas de devenir une menacegrave pour la communauté tout entière.

Dans certaines sociétés, les enfants se voientaccorder une valeur telle que le mari n'est auto-risé à avoir des rapports sexuels avec sa femmequ'après que celle-ci a fait la preuve de sa capa-cité de procréer. Ailleurs, le mari a le droit dedissoudre le mariage s'il peut prouver la stérilitéde sa femme. Alors que l'essentiel du soin desenfants revient à la mère, le père et les autresenfants de la famille sont tenus de partager lestâches liées aux soins physiques des petits. Ainsi,la fonction reproductrice vient-elle encore ren-forcer les liens existants au sein de la cellulenucléaire.

4. Intégration sociale. L'apprentissage socialdu jeune enfant est lié de très près à son bien-être physique. Dans toutes les sociétés, la famillese doit d'assurer l'intégration sociale de sesenfants, de façon qu'ils soient plus tard en mesure

Page 8: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

de remplir convenablement leurs rôles d'adultes.La formation sociale et l'éducation des enfantsconstituent un processus difficile et complexe,qui requiert fréquemment les efforts conjointsdes deux parents ainsi que des autres enfants.Là, le père est appelé à jouer un rôle plus actifque pour le bien-être physique de l'enfant etunerépartition plus équilibrée des responsabilitésdevient indispensable entre le père et la mère.Seul le père est en mesure de transmettre à sesfils le savoir et les compétences nécessairespour assumer les rôles masculins adultes. Demême la mère est mieux placée pour transmettreà ses filles la formation qui les préparera à rem-plir l'ensemble de leurs rôles féminins adultes.De nombreux aspects du processus d'intégrationsociale exigent les efforts conjoints des deuxparents et le fait qu'ils partagent cette activitécontribue à resserrer encore les liens de famille.Bien qu'un grand nombre de groupes ou d'agentsextérieurs puissent être amenés à jouer un rôledans le processus d'intégration sociale, en par-ticulier dans les sociétés industrielles modernes,c'est la famille nucléaire qui joue, partout, lerôle central.

Formes composites de la famille

Dans la plupart des sociétés humaines, les di-verses cellules familiales nucléaires ne consti-tuent pas des entités isolées et indépendantes àl'égard de la communauté. Bien au contraire,elles s'organisent en ensembles plus larges, oufamilles composites, pour reprendre le terme deMurdock. Ce type de famille composite se cons-titue soit à l'occasion d'un système quelconquede mariage multiple, impliquant la possibilitéd'avoir plus d'un conjoint,soit par le jeu de cer-taines extensions de la relation parent-enfant.Les mariages multiples mènent à la formationd'une famille polygame, composée de deux fa-milles nucléaires ou davantage, reliées entreelles par la présence d'un parent commun. Lorsque •la famille nucléaire d'un adulte marié se trouverattachée à celle de ses parents, elles formentalors ensemble ce qu'on appelle une famille élar-gie, qui peut se décomposer en deux famillesnucléaires ou davantage, liées par des rapportsfamiliaux de consanguinité. Il existe de nom-breuses variantes à partir de ces deux types debase de familles composites.

Formes familiales polygames. Certaines typesde mariage permettent la pluralité des conjointset sont ainsi la base d'un système familial poly-game. Dans certains cas, on trouve un marientouré de deux épouses ou davantage ; c'est lapolygynie. Dans d'autres, c'est le contraire quise produit et nous trouvons une femme pourvuede deux maris ou même davantage : c'est la po-lyandrie. Et puis on trouve aussi parfois desmariages de groupe, c'est-à-dire l'union de deuxmaris ou davantage avec deux femmes ou davan-tage. Nous ne dirons que fort peu de choses surces deux derniers types de dispositions matri-moniales. Bien qu'en théorie le mariage degroupe soit une possibilité, il n'est pas du toutcertain qu'il ait jamais existé effectivement en

tant que norme sociale. Quant à la polyandrie,elle est extrêmement rare ; les anthropologuesn'ont recensé de par le monde que quatre sociétésoù se pratique ce type d'organisation du mariage.

La fréquence de manifestation, selon les cul-tures, de chacun des types de mariages citésfournit des indications assez nettes sur les aspectssexuels et économiques aussi bien qu'idéologiquesde l'organisation sociale humaine. L'analyse deMurdock prenait comme point de départ un échan-tillon soigneusement sélectionné de 565 sociétéshumaines et montrait qu'environ 75 % de ces so-ciétés pouvaient se définir comme favorables à lapolygynie, tandis qu'un peu moins de 25 % préfé-raient la monogamie, et moins de 1 % autorisaitla polyandrie. Pas une seule des sociétés retenuesdans l'échantillon ne pratiquait le mariage degroupe.

Tout indique, quel que soit le type de cultureenvisagé, que dans toutes les sociétés humainesdu monde, et particulièrement dans les sociétésencore illettrées, c'est une forme de polygyniequi est le mode préféré d'organisation matrimo-niale. Mais même les recherches indiquent aussique la majorité des unions maritales dans ces so-ciétés polygynes sont en fait des unions mono-games ! Pour comprendre cet apparent illogisme,il est nécessaire de distinguer entre l'idéal d'unesociété (les normes qu'elle prévoit) et ce qu'ellepratique en réalité.

La plupart des individus composant une sociétépolygyne donnée préfèrent, en effet, le mariagepolygyne et, s'ils avaient le choix, contracteraientdes unions de ce type, qu'ils considèrent commel'organisation matrimoniale la plus prestigieuse.Certes, dans certaines sociétés, la possibilitéd'avoir plusieurs épouses est un privilège réservéà un groupe restreint d'individus ayant un statutélevé ou aux membres des familles dirigeants. Ils'ensuit que, dans ces sociétés, la plupart desmariages sont monogames. Cependant, mêmelorsqu'il n'y a aucune restriction, la majoritéde la population reste monogame. Cela signifieque bien qu'une société puisse être qualifiée depolygyne en fonction de ses préférences, la mono-gamie peut y être prédominante et c'est même engénéral le cas. Comment expliquer cet écart entrel'idéal et la réalité ? Deux raisons majeures ontété avancées, l'une d'ordre biologique, l'autred'ordre économique.

Limitation par l'égale proportion des sexes.D'ordinaire, le rapport normal hommes-femmes,qui se définit techniquement comme le nombred'hommes pour 100 femmes, a tendance à êtresensiblement égal à 100 dans la plupart des socié-tés. Théoriquement, cette tendance à l'équilibreentre femmes et hommes permet à la plupart desmembres adultes d'une société donnée de s'assu-rer un partenaire conjugal. Toutefois, lorsqu'unhomme a le droit de prendre une seconde épouse,cela signifie qu'un autre homme se verra dansl'impossibilité d'en avoir une. La seule façond'assurer à la majorité des hommes d'une sociétédonnée la possibilité d'avoir plusieurs épousesserait donc de créer une proportion inégale dessexes, c'est-à-dire de diminuer le nombre d'hommes.Comme une telle inégalité des sexes ne se trouve

Page 9: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

que rarement être une caractéristique permanented'une société donnée, cette possibilité ne se ma-térialise pas souvent. C'est pourquoi, bien qu'ungrand nombre des sociétés du monde prisent lapolygynie, la plupart des membres desdites so-ciétés ne se trouvent pas moins contraints depratiquer la monogamie.

Limitation par les facteurs économiques. Ladeuxième raison, et probablement la plus évi-dente, qui force la majorité des individus d'unesociété polygyne à rester monogames, est toutsimplement que la majorité des hommes nejouissent pas de ressources économiques suffi-santes pour faire vivre plus d'épouses et d'en-fants qu'ils n'en ont. Même dans les sociétésoù la polygynie est la plus prononcée, on a cons-taté que ce sont essentiellement des hommesd'un certain âge, ayant vécu assez longtempspour amasser un capital, qui ont plusieurs épouses.Les plus jeunes doivent se contenter d'une seulefemme ou n'en ont pas du tout. Ainsi, même sila polygynie est un idéal, une norme prévue parune société, ce type de mariage reste impossibleà réaliser pour la plupart des hommes de cettesociété et se trouve en fait réservé aux hommesles plus riches ou à ceux qui ont le plus de puis-sance et de prestige.

Bien qu'ils puissent donner lieu à jalousie età conflits, il semble que les modèles de mariagesmultiples fonctionnent relativement sans heurtsdans les sociétés qui y sont accoutumées. Grâceà un ensemble de conditionnements et de récom-penses intervenant dès la petite enfance, lesmembres des deux sexes sont amenés à consi-dérer la polygamie comme normale. Les enfantsélevés par de nombreux parents ont davantage depossibilités de répondre à leurs besoins. Il estbien plus rare que se produise un attachementaffectif exclusif à un seul père et à une seulemère, comparable à celui qui est la caractéris-tique du système familial nucléaire monogame.Au contraire, l'enfant élevé dans un systèmefamilial polygame fait l'expérience d'un senti-ment de dépendance et d'attachement émotionneldiffus, s'exerçant à l'égard de plusieurs adultes.Cela signifie que la charge émotionnelle à l'égardde tel ou tel de ses parents n'est pas très forte.A la suite de l'expérience d'intégration socialevécue dans sa petite enfance, l'enfant accède àl'âge adulte prêt à accepter de partager l'épouxou l'épouse avec d'autres.

Formes de famille élargie. On se souvientqu'il existe une autre manière d'établir une fa-mille composite, à savoir par diverses exten-sions de la relation parent-enfant. Les famillesélargies se composent de deux familles nucléairesou davantage ayant entre elles un lien de consan-guinité. Il est important de noter que, lorsquel'accent porte surtout sur les liens du sang, lessystèmes familiaux sont très différents de ceuxoù il est placé essentiellement sur les rapportsmaritaux. Dans certaines sociétés, l'accent estmis surtout sur les liens du mariage : c'est luiqui prévaut sur toute autre forme de lien fami-lial. Ainsi aux Etats-Unis d'Amérique, lesjeunesmariés suivent généralement un schéma résiden-tiel dit "néo-local", en quittant chacun leur foyer

d'origine pour aller fonder leur nouveau foyer,cellule séparée et autonome ou indépendante defamille nucléaire. Ils sont engagés et obligés,d'abord, l'un envers l'autre et envers les enfantsde leur foyer. C'est ce qu'on appelle le systèmede famille conjugale. Les systèmes de familleconjugale qui, normalement, ne comprennent quedeux générations, sont de nature essentiellementtransitoire, puisqu'ils se dissolvent en principeà la mort des parents ou lorsque les enfantsquittent le foyer. Etant donné ces caractéristiques,et le fait que les individus qui les constituent nesont pas intimement inclus dans un ensemble fa-milial plus vaste, les familles conjugales ne sontpas les structures idéales pour la transmissiondes traditions familiales et elles ne sont pas nonplus le mécanisme le mieux adapté à l'accumu-lation d'un patrimoine familial devant être trans-mis indivis de génération en génération.

A la différence des systèmes de famille conju-gale, les systèmes de familles élargies donnenttoute leur force aux liens consanguins, plus fortsque les liens du mariage. Lorsque l'un des membresd'une famille élargie se marie, dans une sociétéoù prévaut le type le plus courant de famille élar-gie, l'un des époux continue à résider au foyer deses parents et l'autre l'y rejoint. Le schéma rési-dentiel peut être soit patrilocal, auquel cas lafemme vient s'installer chez les parents de sonmari, ou près de chez eux, soit matrilocal, auquelcas c'est le mari qui vient vivre au domicile desparents et des proches de sa femme, ou à proxi-mité. Quel que soit le schéma qui s'impose, lescouples mariés et leurs enfants sont intimementinclus au sein du groupe plus vaste qu'est cettefamille constituée et qui comprend courammenttrois générations ou plus de parents et consan-guins. C'est ce qu'on appelle un système familialconsanguin, et il présente un certain nombred'avantages, au nombre desquels celui d'assurerla continuité, génération après génération, enraffermissant les liens entre la famille parentaleet les nouvelles familles procréatrices. Ajoutonsqu'en comparaison avec la famille conjugale, lafamille consanguine ou élargie est une structurenettement mieux appropriée au maintien des tra-ditions familiales et à la transmission des biensde la famille dans leur intégralité de générationen génération. Les enfants d'une famille élargiedisposent de tout un réseau de relations familialesdiverses. Il ne manque jamais d'autres parentsou proches capables de seconder les parents dansles tâches d'intégration sociale et de servir demodèles pour toute une foule de comportementset de rôles adultes. En cas de crise, telle la mortd'un parent, d'autres membres de la famille sontà même de le remplacer et de répondre aux be-soins physiques et affectifs des jeunes. C'est demultiple façon que la famille élargie apporte unsentiment de sécurité qui n'est pas facile à obte-nir au sein des petites cellules de nos famillesnucléaires. Le cadre de la famille élargie agitcomme un brise-lames psychologique contre lestempêtes que sont les crises de la vie et favoriseen fait la solidarité maritale et familiale.

Un certain nombre de types de famille élargieont été observés de par le monde, mais nous nous

10

Page 10: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

bornerons ici à n'en citer que deux. L'une d'elles,communément appelée famille-souche, se com-pose d'ordinaire de deux familles de générationsadjacentes liées par le sang et qui partagent defaçon habituelle le même toit. Un exemple inté-ressant de ce type de famille se trouve chez lescampagnards irlandais où il est de coutume quel'un des fils mariés réside avec sa femme etses enfants dans la même demeure que ses pa-rents. En Irlande, l'exploitation agricole typeest de taille si réduite qu'il est impossible de lasubdiviser encore entre les divers héritiers.C'est pourquoi, afin de la laisser intacte, la suc-cession n'est transmise qu'à l'un des fils adultes.C'est au père qu'il incombe de décider quand etauquel de ses fils il transmettra la propriété etla gestion de la ferme. Il choisit le plus souvent- mais pas toujours - l'aîné qui, lorsqu'il semarie, vient s'installer avec sa femme au domi-cile de ses parents. Les autres fils reçoiventune somme d'argent pour les dédommager deleur part de l'exploitation familiale et quittentles lieux pour aller faire leur vie ailleurs. Ason tour, le fils aîné remettra à l'un de ses fils,devenu adulte, la responsabilité des affaires, etle cycle se perpétuera ainsi constamment. L'or-ganisation de la famille-souche est donc fondéeà la fois sur les liens du sang et sur des considé-rations économiques, et sert de mécanisme pourconserver intacts les biens familiaux, générationaprès génération.

Il existe une variante beaucoup plus connue duschéma de la famille élargie à savoir celle de lacommunauté familiale hindoue traditionnelle enInde. Cette fois, le noyau consanguin comprendles frères adultes, leurs femmes et leurs enfants,résidant ensemble sous le même toit. Cette fa-mille hindoue représente un système familial pa-triarcal, c'est-à-dire que l'autorité et le pouvoirsont dévolus au père ou aux autres individus mâles.Différant en cela de la famille-souche irlandaise,la famille hindoue met en commun toutes ses res-sources financières et autres. Il y a résidencecommune, propriété commune, religion commune,cuisine commune, et, en outre, un système d'obli-gations mutuelles entre les diverses cellules for-mant la famille. La composition de cette commu-nauté familiale évolue à mesure qu'elle traverseles diverses phases de la vie. A l'origine, lefoyer parental s'agrandit avec le mariage desfils qui viennent ajouter leurs femmes et leursenfants au foyer. A la mort des parents, lesfrères continuent à faire vivre le foyer élargi,leurs diverses familles propres vivant ensemble.Quand tous les jeunes frères et soeurs ont finileur éducation et se marient, le foyer commundisparaît. Les biens sont partagés entre lesfrères et chacun de son côté établit son proprefoyer. A ce stade, il y a ressemblance avec lafamille nucléaire caractéristique de la sociétéoccidentale. Plus tard, cependant, les fils deces familles nucléaires se marient et le schémade la communauté familiale se reconstitue.

La communauté familiale hindoue représenteun système de vie en commun, d'aide et d'assis-tance mutuelle capable d'assurer à ses membresun degré élevé de sécurité affective et sociale.

Ceux qui tombent malades ou deviennent incapablesde subvenir à leurs besoins sont certains du sou-tien du reste du groupe familial. Ce type d'orien-tation familiale fait partie intégrante d'un systèmede valeurs plus large qui forme le tissu de la so-ciété indienne. Ces valeurs sont très fortementintériorisées et il va sans dire que, même aprèsla dispersion du foyer paternel, lorsque les di-verses cellules individuelles sont mises en place,chacun des frères continue à accepter la respon-sabilité d'aider la famille des autres frères encas de besoin.

LA FAMILLE EN TANT QU'ECOSYSTEME/1

Nancy C. Hook et Béatrice Paolucci

La qualité de la vie humaine et les moyens d'assu-rer sa continuation dans les limites d'un environ-nement restreint sont aujourd'hui des questionsqui donnent à réfléchir tant au niveau national quesur le plan international. Il y a déjà un certaintemps que les spécialistes de l'économie fami-liale et de diverses autres branches s'inquiètentde la mise au point et de la distribution massivede certaines innovations sociales, économiqueset technologiques qui, tout en améliorant sur uncertain plan la qualité du travail, ont peut-être,à un autre niveau, limité sans le vouloir le poten-tiel de vie. L'épuisement rapide de certaines res-sources essentielles et la nécessité de préservernotre humanité nous ont obligés à une réflexionnouvelle sur la relation d'interdépendance qui lieles êtres humains à leur environnement.

L'économie familiale a été définie par le s par-ticipants aux conférences de Lake Placid/2, audébut du siècle, comme étant l'étude "des lois,des conditions, des principes et des idéaux rela-tifs, d'une part, à l'environnement physique immé-diat de l'homme et, d'autre part, à sa nature d'êtresocial ; c'est tout particulièrement l'étude de larelation entre ces deux facteurs1'. On le voit au-jourd'hui : ce que définissaient ces pionniers,c'était un cadre écologique. Ils avaient envisagé,puis rejeté, le terme d'écologie pour la raisonque "les botanistes avaient déjà adopté ce v&carble,qui était d'usage courant dans leur science". Et,de fait, Ernest Haeckel, cherchant à formuler unschéma logique applicable aux sciences zoologiques,avait trouvé le mot "écologie" (oecologie) vers18 70, mot qui soulignait "le fait que la structureet le comportement des organismes sont affectés demanière significative par leur existence commune

1. Texte paru dans le Journal of Home Economies,(Washington D. C. ) Vol. 62, n° 5, mai 1970.

2. De 1899 à 1908 une série de conférences furentorganisées aux Etats-Unis, dans une petite sta-tion balnéaire située au bord du lac Placid, dansle nord de l'Etat de New York, par un groupede personnes qu'intéressait la question de lascience appliquée au foyer et à la vie fami-liale. L'une des conséquences de ces confé-rences fut la création de l'American HomeEconomies Association (Association améri-caine d'économie familiale).

11

Page 11: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

avec d'autres organismes de la même espèce oud'espèces différentes, ainsi que par leur habitat1'.Le mot venait du terme grec oikos - maison, oulieu où l'on habite - qui est également la racinedu mot économie. Aux Etats-Unis, peu après1920, Robert E. Park et Ernest W. Burgess ontadopté dans le domaine de la sociologie l'usagede l'expression "écologie humaine" et, d'une ma-nière générale, le mot écologie est employé dansle sens d'étude de la relation entre organismesou groupes d'organismes et leur environnement.

On constate rétrospectivement que le choixde ce mot aurait été tout à fait approprié pourdéfinir le champ d'étude désigné aujourd'hui dunom d'économie familiale, car le mot écologieoblige à souligner la relation d'interdépendanceexistant entre l'homme et son environnement.Dans le domaine de l'économie familiale, cetterelation d'interdépendance est concentrée essen-tiellement sur le foyer qui est le système de sou-tien vital des membres de la famille : c'est làqu'ils trouvent leur subsistance tant physique quesociale.

L'approche qui consiste à considérer le foyeret/ou la famille en tant qu'écosystème établitun cadre général qui aide les spécialistes del'économie familiale à faire face au défi de lasurvie de l'homme. Quelles sont les bases d'unetelle approche ?

"Les écologistes font appel au terme écosys-tème pour désigner une communauté et son habi-tat tout à la fois. Il s'ensuit qu'un écosystèmeest un ensemble d'espèces végétales et animalesassociées, indissociable des caractéristiquesphysiques de leur habitat. Les écosystèmes. . .peuvent atteindre n'importe quelle taille et appar-tenir à n'importe quel ordre écologique. Ainsi,une goutte d'eau empruntée à un étang, contenantles organismes qui y vivent, constitue un écosys-tème de petite taille. A l'autre extrême, la terretout entière et tous ses éléments vivants, qu'ilssoient végétaux ou animaux, constituent un éco-système mondial. Le concept d'écosystème sou-ligne les interrelations existant entre le grouped'organismes constituant une communauté, et . . .son environnement"/!.

A la Conférence de Lake Placid de 1908, le foyerfut défini comme "le lieu où s'abritent et se nour-rissent les enfants et où s'expriment les valeursdu sacrifice de la personne au bénéficie de ceuxqui ont à acquérir la force nécessaire pour affron-ter le monde". L'interprétation de cette définitiona parfois donné lieu au stéréotype restrictif de lademeure qui est celle d'une famille unique et oùles aspects matériels prennent une importanceexcessive. Les spécialistes de l'économie fami-liale ont trop souvent adopté une vision limitée,tant de l'environnement (c'est-à-dire nourriture,habillement et abri) que de la famille (ses rap-ports internes et le développement des individusqui la forment). Ils ont oublié de considérer lafamille comme un système vivant de soutien mu-tuel et solidaire.

La famille, en tant que système de soutienmutuel dépend du milieu naturel pour son exigencephysique ainsi que des organisations sociales quisont liées à l'humanité même de l'homme et donnent

à la vie sa qualité et sa signification. Depuis uncertain temps déjà, les spécialistes de l'économiefamiliale parlent de l'importance de l'environne-ment socio-affectif. Il est, en effet, essentiel queleurs travaux (qui sont axés sur la famille) éta-blissent un lien entre environnement naturel etenvironnement social. De là provient leur forceet leur singularité.

Pour la survie de l'homme, il faut absolumentque soient comprises et acceptées les conséquencesde cette interdépendance. John Cantlon, écologisteaméricain de renom, écrivait ainsi récemment :

"Le Congrès américain devrait se donner pourtâche d'éliminer au plus vite le grave manque decompréhension de l'environnement qui caracté-rise l'esprit civique tel qu'il est inculqué auxhabitants de ce pays. . . "

"On pourrait, par exemple, commencer parencourager tous les programmes d'étude de l'éco-nomie familiale aux Etats-Unis à converger géné-ralement sur "la famille en tant qu'écosystème".Apprendre à considérer chaque foyer comme unsystème de production et de déperdition d'énergieet de matières fournirait à chacun un moyen dese saisir dans sa relation avec les écosystèmesurbains et ruraux plus vastes. Dans cette optique,il ne serait pas compliqué de quantifier les besoinsde chaque individu en air, eau, aliments, combus-tibles, et autres ressources de même que sa pro-duction de déchets par rapport aux ressources dela région et des écosystèmes humains plus vastes.La connaissance du fonctionnement de ces systèmeset de la manière dont il s'y intègre pourrait allégercertains sentiments d'aliénation éprouvés par l'in-dividu à l'égard de diverses composantes de sonenvironnement. La connaissance de ce qui peutaffecter la santé des écosystèmes qui lui procurentsubsistance et inspiration est de nature à faire delui un citoyen mieux informé et un électeur plusresponsable. " / ^

La grande question qui se pose alors est celle-ci : en quoi consiste l'étude de la famille en tantqu'écosystème ?

Nous définissons, quant à nous, la famillecomme une unité constituée, comprenant des per-sonnalités dépendant les unes des autres et réa-gissant les unes sur les autres, ayant un espritet des buts en commun, liées entre elles pour uncertain temps et vivant dans un espace communde ressources communes. Hawley, de son côté,a donné la définition suivante :

"Une association relativement restreinte d'in-dividus, différant par l'âge et le sexe, et qui, parsuite de leur proximité physique en une résidence

1. Cf. Dice, L. R. Man's Nature and Nature'sMan, p. 2.AnnArbour, Michigan, Universityof Michigan Press, 1955. 329 p.

2. Cf. Cantlon, J. in : Colloquium to discuss anational policy for the environment, dépositionconjointe devant le Senate Committee on Inte-rior and Insular Affairs et le House Committeeon Science and Astronautics, p. 153-154.90e Congrès, 2e session, 1968, 233 p.

12

Page 12: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

commune et de leurs activités de soutien mutuel,forment une unité ou entité distincte à l'intérieurd'un ensemble plus vaste", /^

II est clair que ces deux définitions ne s'ex-cluent pas l'une l'autre. Les auteurs de la pré-sente étude souhaitent vivement pour leur partque se rejoignent les perspectives d'écologiehumaine qui sont traditionnellement celles dessociologues et des biologistes. Il s'agit d'em-brasser une attitude écologique qui est de cher-cher à comprendre et à contrôler les relationsse renforçant mutuellement qui relient l'hommeà son environnement.

Introduction à l'économie familiale

Une seule profession n'est capable d'éclairerqu'un secteur limité de l'environnement ; c'estpourquoi les spécialistes de l'économie fami-liale définissent généralement leur centre d'in-térêt comme étant la famille et la partie de l'en-vironnement immédiat qui est au contact directde la famille et est susceptible d'être manipuléepar elle. L'économie familiale traite de l'inter-action de l'homme et de son environnement proche,spécialement dans la mesure où cette interactionest commandée par la famille.

Cette attitude, qui fait appel à des conceptsqui sont ceux de la sociologie, fut celle de Dun-can, lorsqu'il mit au point son complexe écolo-gique, le modèle dit POET (Population, Organi-sation, Environnement et Technologie). /2 Com-ment ce modèle se compare-t-il à la manièredont les experts en économie familiale envisagentla famille en tant qu'écosystème ?

Population. Selon Duncan, qui dit populationdit population concrète d'organismes humainsplus ou moins circonscrite dans l'espace. Cetensemble de population présente un caractèred'unité et possède des propriétés significativesqui diffèrent de celles des éléments le compo-sant. On peut considérer la famille comme unepopulation. La famille est une unité constituée,dont les éléments fonctionnent en symbiose. Lesauteurs de la présente étude considèrent la fa-mille comme un ensemble ou un système de po-pulation, /3 c'est-à-dire comme une unité cons-tituée, circonscrite dans l'espace au sein d'unfoyer et présentant un caractère d'unité différentdes caractéristiques propres de chacun des indi-vidus qui la composent à savoir son but, son sys-tème de valeurs et son développement cyclique.

Organisation. L'organisation résulte des acti-vités de production des moyens de subsistance.C'est une caractéristique propre à l'ensemble depopulation ; elle est indispensable au maintien dela vie collective et doit obligatoirement être adap-tée aux conditions qui sont celles d'une population.L'organisation est un système de communicationet de contrôle qui a pour but le maintien de l'unitéet l'exécution des tâches. C'est là l'un des con-cepts essentiels du comportement organisation -nel de la famille. Les hypothèses formulées parDuncan sur ce point sont très proches de cellesdu spécialiste de l'économie familiale. Dans l'éco-système, l'examen des flux d'information est aussipertinent que celui des flux d'énergie. Il est lié à

la fonction de décision de la famille et est fonda-mental dans l'approche écologique. A part les do-maines traditionnels de décisions familiales quesont la nourriture, l'habillement et l'habitat, do-maines déjà amplement explorés par les spécia-listes de l'économie familiale, il convient main-tenant de porter notre attention sur des questionsde valeur que pose notamment un certain contrôlede la population et de la technologie pour le bienultime de l'humanité.

Environnement. De façon très générale, onpeut définir l'environnement comme tout ce quise situe à l'extérieur d'un phénomène (système,organisme ou objet) et qui l'influence ou est sus-ceptible de l'influencer. Nous voyons l'environne-ment comme recelant des ressources pouvantêtre utiles au maintien de la vie. La populationagit sur l'environnement et, à son tour, l'envi-ronnement agit sur la population selon un proces-sus dynamique continu.

On peut considérer certaines des composantesde l'environnement ayant une interaction et uneinterdépendance avec la famille comme formantl'environnement physique et biologique de la fa-mille : il s'agit de la terre, de l'eau, de l'air,de l'espace, du système solaire, de la flore et dela faune, des sources d'alimentation et d'énergieet de l'environnement social, lequel comprend lesinstitutions sociales de la société - systèmes deparenté, systèmes religieux, politiques, écono-miques, de production, de loisirs, ainsi que lessystèmes symboliques et idéologiques. Au seinde cet environnement total se distinguent parailleurs trois systèmes humains :

1. Le système biophysique - les processusphysiologiques et métaboliques, le cycle de lavie organique ; 2. les relations psychosocialeset interpersonnelles exprimées par des schémasindividuels et collectifs de comportement ; et3. le système technologique - les matériaux,outils et techniques.

Le sous-système technologique recouvre cer-tains aspects de l'environnement, tant physiqueque social : ainsi, par exemple, un lave-vaisselleutilise de l'eau provenant de l'environnement phy-sique, laquelle subit le contrôle de l'environne-ment social. La possibilité de s'approvisionneren eau pure repose sur tout un réseau d'organisa-tion sociale qui assure le service de l'eau aux fa-milles et assure aussi, du moins aux Etats-Unis

1. Cf. Hawley, A. H. Human Ecology. New YorkThe Ronald Press Company, 1950. p. 211.

2. Cf. Duncan, O. D. Human Ecology et Popu-lation Studies, In : Hauser, P. and Duncan,O. D. (dir. publ. ) The Study of Population,p. 678-716. Chicago, University of ChicagoPress, 1959.

3. On définit un système comme un ensemble departies (ou unités, ou composantes) ayant desrapports entre elles et conservant leurs pro-priétés. Chaque système a certaines inter-actions avec d'autres systèmes. De plus, onle distingue par l'interdépendance de ses par-ties entre elles ; elles agissent les unes surles autres.

13

Page 13: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

par exemple, l'infrastructure technologique per-mettant la construction de barrages, de systèmesd'épuration, etc.

L'homme, de nature à la fois biophysique etpsychosociale, sert d'agent de liaison et de con-trôle entre ces systèmes. La famille devientainsi à la fois environnement de l'individu etsystème s1 intégrant dans un environnement phy-sique, biologique et social plus large. La fa-mille n'existe que dans une partie seulement del'environnement total : il reste à considérer lesdimensions spatio-temporelles, et c'est parti-culièrement vrai dans le cas des sociétés post-industrielles.

Technologie. Nous venons de voir qu'elle fai-sait partie de l'environnement. Qui dit technolo-gie dit série de techniques utilisées par une po-pulation dans le but d'assurer sa subsistance enpartant de son environnement et de faciliter l'or-ganisation des activités visant à produire de quoisubsister. En réalité, la technologie a la capa-cité de redéfinir l'environnement.

Pour envisager la famille en tant qu'écosys-tème sans trop compliquer les choses, il suffitde penser aux débits d'énergie. Adams/1 amis en lumière deux rapports essentiels entreles organisations humaines et l'énergie : toutd'abord, une organisation est une mise en ordrede l'énergie ; ensuite, les organisations humainessont des convertisseurs d'énergie. L'examen decet aspect des choses nécessite une certaine con-naissance de l'écologie biologique, ainsi que lacompréhension de ce qu'est une ration calorifiqueet des besoins en énergie nécessaires pour menerà bien les fonctions sociales et économiques quesont l'activité domestique et familiale et les sché-mas du travail.

Envisageons la consommation de matériauxeffectuée par la famille ; pensons, par exemple,à ses achats d'épicerie : il serait possible decalculer la consommation d'énergie nécessaireà la fabrication du papier, de la nourriture, desdétergents, des matières plastiques, des tissus,des produits de beauté, des médicaments et autresarticles de consommation courante ; il faudraity ajouter la consommation directe de sourcesd'énergie telles que l'électricité, la chaleur etle travail qui sont essentielles à la transforma-tion de la matière en biens de consommation. Enregard de cette consommation d'énergie, il fau-drait calculer la production résultant de l'acti-vité familiale et des modes de travail. Il fautbien comprendre aussi l'importance essentiellede l'équilibre d'ensemble, en se rendant compteque les déperditions d'énergie et de matière sechiffrent en coûts. Par exemple, la consomma-tion matérielle des achats d'épicerie laisse desdéchets humains et non humains qui contribuentà créer le problème de la pollution. Les déchetsrecyclés ne posent pas de problème ; ceux quine le sont pas détériorent le paysage et polluentl'environnement. A l'heure actuelle, une bonnepartie du recyclage est laissée au hasard. Dansl'avenir, il faudra que les familles prennentconscience du rôle qu'elles ont à jouer dans lemaintien de l'équilibre énergétique permettantde vivre en harmonie avec la nature.

Les variables propres à ces diverses approchesne s'excluent pas mutuellement (il est évidentqu'elles se recoupent), mais ce qui les distinguepeut aider à saisir les rapports d'interdépendancequi relient l'homme à l'homme et à son environ-nement. Ces relations peuvent être analyséescomme les effets des individus les uns sur lesautres au sein d'une famille et les effets réci-proques des familles entre elles, sans oublierles effets des uns etdes autres sur l'environnement.

La rapidité du développement scientifique ettechnique a amené les hommes de science à envi-sager des façons d'agir différentes de celles quisont les nôtres dans la perspective de leurs con-séquences à long terme. Depuis la révolutionindustrielle, l'écosystème comprend les machinesmises au point par l'homme, leurs produits etleur capacité incalculable de modifier les équi-libres naturels.

''La notion d'"ailleurs" n'existe plus. Le dépo-toir des uns est l'espace vital des autres. . . Il n'ya pas de consommateurs, mais des utilisateurs.L'utilisateur se sert du produit ; il en change par-fois la forme, mais il ne le consomme pas - il secontente de s'en défaire. Cela crée des restes,qui constituent une pollution et ne font qu'accroîtreles dépenses pour le consommateur et la commu-nauté à laquelle il appartient. " / 2

La solution de ces problèmes exige qu'on fasseappel concurremment aux sciences physiques, bio-logiques et sociales, de manière à définir et réus-sir un environnement d'une qualité propre à assu-rer le bine-être et la satisfaction des aspirationshumaines. Comme l'écrivait Cain : "La seule syn-thèse valable serait celle qui reconnaîtrait la na-ture réelle des écosystèmes humains, c'est-à-dire de toutes les relations significatives entrel'homme et son environnement". / 3 Cette dé-marche va au fond d'une question qui n'est autreque la survie de l'homme. L'économie familialedoit ici à Cantlon de lui avoir tracé sa voie : àelle maintenant de relever le défi.

Cf. Adams, R. N. , Energy Analysis of SocialOrganisation. (Document inédit) Michigan StateUniversity, novembre 1959.Cf. National Academy of Sciences, WasteManagement and control, p. 3, 5. WashingtonD. C. , National Research Council Publication1400, 1966. 252 p.Cf. Cain, S. A. , Can Ecology provide thebasis for synthesis amongthe Social Sciences ?In : Garnsey, M. E. et Hibbs, J. R. (dir. publ. )Social Sciences and the Environment, p. 40.Boulder, University of Colorado Press, 1967.

14

Page 14: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

SOCIETE ET MILIEU EN TANT QUEFACTEURS DE LIMITATION DE LAFAMILLE EN AFRIQUE ORIENTALE/1Angela Molonos

II est couramment admis que les peuples d'Afriqueorientale souhaitaient autrefois avoir autantd'en-fants que la nature le permettait et que seuls destaux de mortalité très élevés les empêchaient deréaliser leur idéal. La présente étude se proposed'essayer d'éclaircir les raisons de ce désir d'avoir''autant d'enfants que possible" et de préciserquelles étaient les contraintes sociales tradition-nelles qui en nuançaient la signification et lescontraintes propres à l'environnement qui enlimitaient l'accomplissement.

"Pourquoi les gens désirent-ils des enfants ?"Voilà une question à laquelle il est à peu prèsaussi difficile ou aussi facile de répondre qu'àdes questions telles que : "Pourquoi désirermanger, avoir des loisirs, être aimé, ou réus-sir dans la vie ? " La réponse évidente, sansdoute,,est qu'il est dans la nature de tout ce quivit d'avoir des petits et de désirer en avoir. Ence qui concerne l'Afrique orientale, il est plusintéressant de formuler la question de la façonsuivante : Pourquoi les gens souhaitaient-ils etsouhaitent-ils encore parfois avoir "autant d'en-fants que possible" ? Dans la plupart des socié-tés étudiées lors de la présente enquête régnaitle même sentiment intime qu'il est bon d'avoirune nombreuse progéniture. De façon généraleet diffuse, ce sentiment s'expliquait par le faitqu'une famille nombreuse était synonyme de ri-chesse, prestige, bénédiction de Dieu et desancêtres.

Les images traditionnelles de l'homme et dela femme "comme il faut" étaient fortementimprégnées de l'idéal de fécondité. La stérilitésous toutes ses formes ou le peu de fertilitéétaient considérés comme des états infortunéset socialement humiliants. En revanche, lesenfants constituaient les signes extérieurs lesplus importants de la réussite et de la bonne for-tune. La descendance était un facteur capital dustatut social de l'homme, à qui elle conféraitprestige et influence au sein de sa lignée et dela communauté tout entière. En outre, une nom-breuse progéniture, signe indubitable de la puis-sance du mâle, était étroitement associée à lavirilité. De même pour la femme, il était indis-pensable à son statut qu'elle donnât naissance àdes enfants à intervalles réguliers ; on peut mêmedire que les enfants étaient la justification de sonexistence même. Aucune femme ne souhaitait setrouver dans la condition pitoyable de l'épousesans enfant ou insuffisamment féconde.

Les paragraphes qui suivent indiquent plus endétail les raisons de vouloir beaucoup d'enfants.Il s'agissait de perpétuer la lignée et d'honorerles esprits ancestraux, d'acquérir un pouvoirsocial, de se procurer de la main-d'oeuvre etune force de protection physique des biens, d'as-surer la sécurité de ses vieux jours. Enfin, lebesoin d'arriver à un rapport fixe entre les sexespouvait renforcer encore le désir d'accroître sadescendance.

L'objectif premier était de s'assurer qu'il yaurait toujours un descendant vivant pour évoqueret honorer la mémoire des disparus. Les enfantssignifiaient la continuation de la lignée et la per-pétuation du nom et de l'esprit de la famille. Ilfallait une descendance pour célébrer les ritesfunéraires, pour assurer que les parents, à ladifférence des gens sans enfants, soient inhuméset les esprits ancestraux commémorés par l'érec-tion de monuments funéraires, par des libationset des offrandes de nourriture.

Conformément à cet idéal, les relations degénération à génération étaient très chaleureuseset chacun était vivement encouragé à perpétuer lagénération des grands-parents en donnant nais-sance à des enfants. C'est ainsi que, chez lesChaga qui vivent dans le secteur Nord-Est de laRépublique-Unie de Tanzanie, la naissance desenfants était considérée comme un signe d'appro-bation du mariage des parents par les ancêtres,et les diverses lignées se disputaient les faveursdes ancêtres dont leur bien-être était censé dé-pendre en procréant de nombreux enfants.

Avoir de nombreux enfants, particulièrement desexe masculin, ayant atteint l'âge adulte était égale-ment pour le père une source de puissance so-ciale. Les fils adultes se rangeaient aux côtés deleur père en cas de litige foncier ou de querellede dot et formaient des groupes capables d'aiderles autres par leur travail, accroissant ainsil'im-portance de la lignée. Plus une lignée comprenaitde mâles, plus nombreuse et plus forte était sareprésentation au sein des diverses institutions,telles que classes d'âge, conseils d'anciens ettribunaux.

Avoir beaucoup d'enfants, y compris des filles,contribuait encore à élever la position sociale desparents en renforçant le réseau des alliances parmariage. Des alliances multiples avec d'autresclans n'apportaient pas seulement une satisfactionpsychologique et sociale ; elles signifiaient aussiune diversification des ressources et des moyensde protection en cas de difficultés, telles que fa-mines ou agressions de l'extérieur. Les raisonsqui, dans certaines régions, poussaient ainsi lesfamilles à rechercher des alliances par mariagesont aussi celles qui expliquent la coutume de ré-partir les shambas (jardins ou zones cultivées)ou encore les troupeaux sur des terres aussi vastesque possible.

Certaines des personnes interrogées ontdécritla progéniture comme s'il s'agissait d'un investis-sement socio-économique à long terme, du même

1. Extrait de Molonos, Angela (dir. publ. ),Cultural source material for populationplanning in East Africa, vol. III, Beliefs andPractices, p. 7àl4, 18 et 19. Nairobi, Kenya,East African Publishing House, 1973. 451 p.Cette étude présente les travaux de recherchefaits sur 28 groupes ethniques vivant en Afriqueorientale : République-Unie de Tanzanie, Kenya,Ouganda, Somalie et Ethiopie. Subventionnéeprincipalement par la Fondation Ford, une équipede 31 chercheurs a procédé à un très grandnombre d'entretiens au sein de ces populations.

15

Page 15: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

ordre qu'une ''épargne bancaire", en indiquantque le surcroît de richesse était réinvesti dans''l'accroissement du nombre de gens'1, c'est-à-dire converti en dots permettant de placer lacapacité de reproduction des épouses au bénéficede la lignée.

La valeur économique des enfants était facileà comprendre là où les terres non exploitées nemanquaient pas. Plus il y avait de bras, plus onpouvait cultiver de terres, et ainsi s'acroissaientles richesses. Partout où on ne disposait nid'es-claves, ni de travailleurs salariés, la seule façonde s'enrichir était, en fait, d'avoir beaucoup d'en-fants qui se mettaient au travail dès leurs jeuneâge. Ainsi, dans les économies paysannes de sub-sistance à forte intensité de main-d'oeuvre toutcomme dans les sociétés pastorales, une nom-breuse progéniture était une nécessité. D'ailleurs,dans ces dernières, on manquait souvent aussi demain-d'oeuvre pour accomplir toutes sortes detâches qu'exigeait l'élevage du bétail. Souventaussi, les parents attendaient avec impatiencele moment où leurs enfants, devenus grands, lessoulageraient du fardeau de leur rude travail. Lesenfants étaient, enfin, le moyen le plus net des'assurer soutien et assistance pour les vieuxjours. Dans certaines régions, la faculté de de-meurer sur les terres de leur mari ne dépendaitpour les femmes âgées que du bon vouloir deleurs fils mariés et elles ne pouvaient compterque sur l'aide de leurs filles célibataires pourcultiver leur lopin de terre.

Les fils adultes étaient les protecteurs dupatrimoine familial, particulièrement lorsqueles terres se faisaient rares et dans les cas oùle chef de famille était parti travailler à la villecomme salarié. Dans certaines régions pasto-rales, le droit d'accès et de passage à la pâtureet à l'eau n'était assuré que si l'on était capablede se défendre contre les intrus. Tout comme lestatut politique et l'indépendance, la survie n'étaitassurée que par la puissance de combat, laquelleétait directement fonction du nombre d'hommescapables de se battre dans chaque groupe. Dansde telles sociétés, un grand besoin d'enfants desexe mâle, associé à un taux élevé de mortalitéinfantile et de mortalité des adultes mâles, avaitsouvent pour conséquence une tendance à la"sur-production", en ce sens que les familles essayaienten quelque sorte de s'assurer contre leurs pertesfutures en donnant naissance à plus d'enfantsqu'elles n'espéraient en voir survivre.

Il était fatal aussi qu'une certaine tendance àla "surproduction" se fît jour partout où l'on sou-haitait obtenir un rapport donné entre les sexesau sein des familles. Dans la plupart des socié-tés considérées, l'idéal était, pour chaque famille,d'avoir un nombre à peu près égal de filles et degarçons afin que ceux-ci puissent se marier avecles dots apportées dans la famille par leurs soeurs.Par ailleurs, filles et garçons étaient appelés àse répartir les différents travaux à accomplir àla maison et au dehors. C'est pourquoi des parentsn'ayant que des enfants d'un seul sexe ou ayant desenfants de sexes différents mais ne s'équilibrantpas en nombre avaient souvent tendance à "surpro-duire" pour se rapprocher de l'équilibre idéal.

Restrictions sociales à la grossesse

Malgré ces divers motifs expliquant le fort désird'avoir une descendance nombreuse, il existaitaussi un grand nombre de coutumes sociales quiavaient pour effet de restreindre ce désir et sonaccomplissement. Ces restrictions sociales don-naient, en fait, à l'expression "autant d'enfantsque possible" un sens bien plus limité que celuique nous serions tentés de lui donner aujourd'hui."Possible" ne signifiait possible qu'au sein del'organisation sociale traditionnelle.

Les sociétés d'Afrique orientale n'étaient pasde celles qu'obsédait la réussite, pas même dansle cas de la natalité. Elles constituaient des sys-tèmes sociaux à l'équilibre fragile où la recherchedes idéaux et des valeurs se faisait dans le cadred'un réseau compliqué de règles veillant à cequ'aucun idéal ne prenne trop d'importance ni nedevienne incontrôlable au point de menacer dedestruction l'ordre social lui-même. Si les gensressentaient le désir d'avoir autant d'enfants quepossible, il n'en était pas moins vrai que tous sa-vaient implicitement qu'on ne pouvait atteindre cetidéal qu'en respectant les lois régissant le mariage,la vie sexuelle, la grossesse et l'accouchement,lois essentielles et primordiales dans la vie desgens.

Il faut dire qu'il n'existait en Afrique orientaletraditionnelle aucun système de planification dé-mographique ou de régulation des naissances, dumoins au sens où nous entendons ces termes.Pourtant, alors qu'en nombre de régions del'Afrique orientale, les gens accordaient un trèsgrand prix à la fertilité, ils étaient égalementd'avis que la reproduction très rapprochée etincontrôlée avait quelque chose d'animal etqu'elleétait indigne des humains. Bien plus, il existebeaucoup de croyances et de pratiques tradition-nelles qui ont pour conséquence de limiter, enfait, le nombre possible de conceptions et de nais-sances. Certaines de ces pratiques avaient pourprincipal objectif d'éviter les grossesses danscertaines conditions ; d'autres, qui obéissaientà des intentions différentes, aboutissaient égale-ment à limiter le nombre des naissances.

L'abstinence sexuelle post-partum, consistantà éviter la conception, était la pratique qui rédui-sait le taux de natalité dans toute l'Afrique orien-tale. Cette coutume trouvait sa source dans lacroyance que la présence d'un nouvel enfant dansle giron de sa mère "ferait tourner" ou empoison-nerait son lait et rendrait malade l'enfant encoreau sein, qui finirait par en mourir. Dans ces ré-gions où la période de lactation était longue et oùles enfants n'étaient sevrés qu'entre deux et cinqans, on comprend que cette pratique ait mis unfrein rigoureux à la capacité procréatrice desfemmes. Ajoutons qu'il était sévèrement interditau mari d'avoir des rapports sexuels extra-conju-gaux ou de procréer avec une autre femme pen-dant tout le temps où son épouse allaitait unnouveau-né.

La tradition voulait que le mari et la femmene partagent pas la même case pour dormir, cequi, sans rendre impossibles les rapports sexuels,facilitait l'abstinence pendant les périodes où la

16

Page 16: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

société la prescrivait. D'ailleurs, les lendemainsde couches n'étaientpas les seules périodes d'abs-tinence pour les gens mariés ; il y avait biend'autres occasions, telles que les périodes dedeuil suivant la mort d'un parent proche (enfant,époux, père ou mère, frère ou soeur) et cer-taines périodes rituelles (préparatifs de sacri-fice, chasse, attaque, expédition en territoirehostile, cérémonies initiatiques). Dans certainesethnies, les anciens occupant des postes impor-tants devaient observer une abstinence totale, dumoins pendant toute la durée de leurs fonctions.Dans d'autres régions, il n'était pas convenableque la mère et la fille conçoivent simultanément,pas plus qu'il n'était convenable que la mère con-çoive encore après le mariage de son fils.

La longue période d'abstinence post-partumtraditionnelle était rendue possible par le sys-tème de mariage polygyne qui rééquilibrait lacroissance globale de la population. La polygy-nie, bien que liée à un système de croyances etd'attitudes valorisant fortement la procréation,ne faisaitqu'accroftre le taux de procréation del'homme, tandis que les épouses mariées à unseul homme avaient la possibilité d'échelonnerles naissances de leurs enfants sur l'ensemblede leurs années fertiles. Il n'arrivait que trèsrarement, d'après les rapports d'enquête, queles épouses d'un même homme rivalisent dansleurs fonctions reproductrices. Ce n'était le casque dans quelques sociétés pastorales dans les-quelles plus l'épouse avait d'enfants, plus grandeétait sa part des troupeaux familiaux, plus elleavait d'influence auprès de son époux et plus ellejouissait de ses faveurs. Il faut ajouter que/dansces sociétés, la vie était si précaire qu'un tauxélevé de natalité ne causait aucun accroissementde population, mais suffisait à peine à assurerla survie. Dans certains cas aussi, la polygynieaboutissait au mariage de vieillards avec desfemmes jeunes qui, pour cette raison, avaientmoins d'enfants qu'elles n'en auraient eu autrement.

Dans l'ensemble, les rapports sexuels pré-maritaux étaient autorisés. Mais, dans presquetoute l'Afrique orientale, les jeunes filles nonmariées ne devaient pas accomplir l'acte sexuelou devaient pratiquer l'interruption du coït demanière à n'être pas enceintes. Les interditsfrappaient particulièrement les jeunes filles noncirconcises et on ne tolérait nulle part les casde grossesse intervenant avant la circoncisionou l'initiation. Ajoutons encore que les règlesde l'exogamie (interdisant les mariages au seind'un même groupe ou clan) excluaient d'officede la vie des individus un très grand nombre degens, en tant que partenaires sexuels ou pro-créateurs possibles.

Dans certaines sociétés d'Afrique orientale,il était de règle que le mariage fût tardif, surtoutche2 les hommes. Cela s'explique surtout parla difficulté qu'il y avait pour les jeunes hommesà rassembler la dot indispensable au mariage etaussi par la longueur du service dû par eux enqualité de guerriers avant de pouvoir prétendrese marier. Dans certaines autres régions, d'ail-leurs, le célibat de s guerriers était de rigeur, ainsique celui des jeunes femmes d'âge correspondant.

Partout où le mariage tardif venait s'ajouter à uncode rigoureux interdisant la procréation en de-hors du mariage, le taux de natalité avait évidem-ment tendance à être maintenu plus bas que cequ'il eut été autrement.

Plus récemment, l'instabilité croissante desmariages et les migrations saisonnières de main-d'oeuvre ont probablement aussi affecté le tauxde natalité. Les effets de ces facteurs ont pu ce-pendant être compensés par d'autres coutumes.Partout où l'instabilité du mariage allait en aug-mentant, elle s'accompagnait aussi d'une plusgrande tolérance. Dans nombre de sociétés étu-diées, l'absence prolongée du mari n'empêchaitpas sa femme de mettre des enfants au monde,car certaines catégories d'hommes, en généralceux de son âge, pouvaient les engendrer à saplace. Cette coutume, ainsi que l'héritage desveuves, tendait à accroître l'exploitation du po-tentiel reproducteur des femmes et contrebalan-çait non seulement l'absence du mari, mais aussisa stérilité éventuelle et même son décès.

On peut penser que les croyances non fondéesconcernant les périodes de fertilité de la femmeont peut-être aussi contribué dans le passé à fairebaisser le taux de natalité. Lorsque les couplesqui désiraient avoir un enfant concentraient leuractivité sexuelle sur les périodes durant lesquellesla femme avait le moins de chances d'être fécondeet négligeaient les jours véritablement propices,ils n'auraient pu mieux faire pour éviter la con-ception. Nous n'avons cependant aucune donnéeprécise permettant de dire jusqu'à quel point etavec quelle fréquence le désir de descendancedonnait lieu à des efforts systématiques de cetype. Il y avait en revanche de nombreuses gros-sesses non voulues, dues elles aussi à des croyanceserronées. On comptait souvent sur des méthodesinefficaces, des pratiques magiques par exemple,pour empêcher la conception, et parfois, pourêtre sûrs de ne pas concevoir, les gens brisaientcertains tabous censés garantir et protéger la fer-tilité du foyer.

Il se peut que certains aspects physiologiqueset sanitaires de la vie traditionnelle aient eu poureffet une réduction d'ensemble du taux de natalité.Chez certaines populations, la position coïtale tra-ditionnelle - côte à côte - était censée diminuerles chances de conception. Il ne faut pas négligerun autre élément : la malnutrition résultant decertains facteurs socio-économiques. Les ali-ments riches en protéines étaient souvent réser-vés aux hommes du village, tandis que les femmesse nourrissaient des denrées de base, riches enféculents. Certains interdits alimentaires - il était,par exemple, interdit aux femmes de manger desoeufs, du poulet ou du poisson - avaient pour butde protéger la fertilité féminine, mais s'ils eurentquelque effet, ce fut probablement en sens inverse.Certaines formes de circoncision féminine expli-quaient aussi des accouchements difficiles et uncertain taux de décès en couches, tandis que cer-taines pratiques faisant partie des soins donnéstraditionnellement aux enfants expliquaient un tauxélevé de mortalité parmi les nourrissons.

17

Page 17: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

Levée actuelle des restrictions

Dans les conditions de vie qui existaient autre-fois en Afrique orientale, il n'y avait aucune rai-son de ne vouloir que quelques enfants. Economi-quement parlant, tant que les parents pouvaientproduire suffisamment de nourriture pour ré-pondre aux besoins de leurs enfants jusqu'à cequ'ils se marient, rien ne les encourageait à pra-tiquer un contrôle quelconque, au contraire : lesenfants ne présentaient que des avantages.

Mais ce n'est plus vrai aujourd'hui. L'Afriqueorientale tout entière est en proie à une crisedémographique qui va s'aggravant. Nombreuxsont les individus et les familles touchés par sesrépercussions, qui ne trouvent plus ni terre nitravail. Cette crise estdue, comme dans d'autrespays en développement, au déclin des taux de mor-talité, obtenu grâce à de meilleures conditionsd'hygiène et de santé sans que les taux de nata-lité aient baissé pour autant (ils ont même aug-menté dans bon nombre de régions). La dégéné-rescence rapide du mode de vie traditionnel etla disparition des restrictions sociales qui s'appli-quaient naguère à la procréation ne font d'ailleursqu'accroître entre la natalité.

L'un des traits dominants de la société est-africaine d'aujourd'hui est la coexistence de latradition et du modernisme dans une même zonegéographique, qui a pour effet de séparer lesvieux des jeunes, ceux qui n'ont aucune instruc-tion de ceux qui en ont, les cultivateurs des sa-lariés, les hommes des femmes, les parents desenfants. Cette dichotomie de la vie sociale faitqu'il est particulièrement difficile de s'attaquerau problème de la démographie. Dans certainesrégions isolées subsistent encore les habitudessociales et le contexte d'autrefois. Un peu par-tout, cependant, ces conditions d'existence ontchangé radicalement, ne laissant persister quele désir des gens d'avoir une progéniture nom-breuse. Dans l'ensemble, les attitudes socialessurvivent aux réalités qui les ont engendrées. Lesouvenir d'attaques menées par des populationssupérieures en nombre et aux intérêts rivaux etla peur d'être décimés par la famine ou les épi-démies restent vivaces plusieurs générationsdurant.

En Afrique orientale, le désir d'avoir "autantd'enfants que possible" a survécu à son utilitésociale et économique. Chercher aujourd'hui àsatisfaire ce même désir, alors que sont tombéesles restrictions traditionnelles liées à la sociétéet à l'environnement d'autrefois, c'est faire pleinusage du potentiel reproducteur humain. Il estinutile de décrire ici les conséquences désas-reuses d'un tel comportement, dès lors que touteune nation l'a adopté.

Quelques remarques en guise de conclusion

Nous avons tenté ici de décrire à grands traitsles conditions qui ont pu autrefois influer sur lacroissance de la population, afin de marquer latransition qui conduit à la situation actuelle enAfrique orientale. Traditionnellement, le nombrede conceptions, de naissances vivantes et d'enfants

atteignant l'âge adulte était limité par le contexteet la société. Etant donné le contexte socio-écono-mique et le taux élevé de mortalité, le désir desgens d'avoir beaucoup d'enfants était parfaitementrationnel.

La connaissance des croyances et pratiques dupassé, qui se perpétuent en partie à l'heure actuelle,devrait contribuer à améliorer la communicationavec les gens. Elle devrait également aider le per-sonnel de terrain à poser les bonnes questionslorsqu'il s'efforce de réunir des renseignements per-tinents sur les croyances etpratiques d'aujourd'hui.

LA FAMILLE THAÏ FACE AU CHANGEMENT/1

Daviras Dhanagom

"Ces dernières années, la vie familiale a changéde façon radicale en Thaïlande. Les liens étroitsqui unissaient naguère encore parents et enfantssont devenus difficiles à maintenir. Le .respectde l'enfant pour les générations précédentes s'estdégradé. La vie est chère. Les deux parents tra-vaillent au dehors. Les enfants restent à la mai-son, privés de soins et de tendresse. Sur un autreplan, l'évolution récente de la science et de latechnologie a modifié l'environnement, provoquanttoutes sortes de conflits avec les coutumes et tra-ditions anciennes. Il s'ensuit un conflit entre lajeune génération et l'ancienne, chacune ayantpar ailleurs à soutenir ses propres tensions. Denombreux parents n'arrivent plus à se faire obéirde leurs enfants". /2 Cette déclaration d'un psy-chiatre thaïlandais met en relief certains aspectsdes difficultés sociales, économiques et culturellesque connaissent à l'heure actuelle les famillesthaïlandaises, problèmes que la présente étudese propose d'examiner plus en détail en partantdu principe qu'il est essentiel de les comprendrepour pouvoir travailler efficacement avec lesfamilles.

Problèmes démographiques

La croissance rapide de population pose un pro-blème qui exige de très grands efforts d'adapta-tion dans divers domaines de la vie (voir tableauci-après).

Répartition de la population. Bien que la den-sité moyenne de population ne soit que de six habi-tants au kilomètre carré, sa répartition est iné-gale. On trouve environ 85 % de la population thaï-landaise dans les zones rurales où elle se livre à

1. Le Dr Dhanagom est l'actuelle vice-présidentede l'Association thaïlandaise de planning fami-lial et dirige le programme intitulé "Betterfamily living through community food and nu-trition development". Elle est l'ancienne pré-sidente de l'Association thaïlandaise d'écono-mie familiale.

2. Cf. Phon, Sangsingkaew, M. D. "Mental Healthand Characteristics of criminal" in : Journal ofthe Association of Psychiatrists of Thailand,p. 274-275. Bangkok, n° 3-4 Jul/Oct. 1967.

18

Page 18: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

une agriculture de subsistance, tandis que Bang-kok, la capitale, est la ville la plus populeuse ;sa congestion pose des problèmes divers de ser-vices publics, notamment sanitaires.

Taux de croissance. Bon an mal an, la popu-lation thaïlandaise s'accroît d'environ 1. 200. 000personnes. Pour pouvoir loger ce surcroît de po-pulation, il faudrait construire chaque année uneville de la taille de Chiegmai, ce qui estnaturel-lement impossible. Plus alarmant encore est lefait que, s'il a fallu 700 ans pour que la popula-tion thaïlandaise atteigne pour la première fois8 millions d'habitants, les deuxième, troisième,quatrième et cinquième tranches de 8 millionsn'ont eu besoin, respectivement, que de 32, 15,9 et 7 ans pour se constituer. D'ici 21 ans, il y aura70 millions de Thaïlandais si le taux de natalitéactuel se maintient. Nous avons déjà de gravesproblèmes pour nourrir, loger, éduquer etproté-ger la population actuelle : qui peut dire ce qui se pas -sera avec une population de 70 millions d'habitants ?

Nombre d'enfants par famille. En général, lapériode de fécondité des femmes est de trente ans etle nombre moyen d'enfants vivants par famille estde 6, 6. Des recherches ont montré toutefois que lamajorité des femmes thaïlandaises souhaiteraientn'avoir que quatre enfants. A l'heure actuelle, lesmoins de quinze ans constituent45 %de la populationtotale. Pour que ces enfants arrivent normaux et enbonne santé à l'âge adulte, il faut beaucoup de res-sources matérielles ainsi que beaucoup d'amour etd'attention de la part de leurs parents.

Problèmes économiques

L'agriculture. Dans le monde actuel, aucun paysne peut être prospère sans commerce et sansindustrie. Quand les agriculteurs sont sans le

sou, ils ne peuvent pas acheter de machinesagricoles ; ils manquent également d'engraiset sont à la merci des catastrophes naturellestelles que sécheresses et inondations.

Tout indigents qu'ils soient, les agriculteursthaïlandais sont contraints d'emprunter pour s'équi-per et acheter des engrais. S'ils cherchent à rem-bourser leurs emprunts, ils se retrouvent sou-vent sans économies, incapables de réinvestir.N'ayant pas d'installations de stockage adéquatespour leur récolte de riz, ils se voient obligés des'en défaire au plus vite en réduisant encore leurmarge de bénéfices.

La superficie de terre arable utilisable parpersonne n'a cessé de décroître depuis un siècle :à l'époque du recensement, elle était de 10, 6 raispar personne/1, mais on prévoit dès maintenantqu'elle ne sera plus que de 5, 6 rais par personneen 1985. (Il faut noter que ce ne sont là que desapproximations, car un quart seulement des321. 2 50. 000 rais de terre thaïlandaise est sus-ceptible d'être effectivement mis en valeur).

Le problème le plus grave pour les agricul-teurs est le manque de terres et d'engrais. Ilssont obligés de défricher les forêts pour accroîtreles surfaces cultivables ; mais les arbres disparus,les pluies se font rares, et lorsqu'il se met àpleuvoir, ce sont des pluies torrentielles quicausent des inondations. A bout de ressources,les agriculteurs finissent souvent par émigrervers les zones urbaines pour y chercher dutravail.

1. Un rai = deux acres, soit un hectare.

DONNEES STATISTIQUES SUR LA DEMOGRAPHIE DE LA THAÏLANDE

Superfie totale

Changwads (provinces)

Amphurs (comtés)

Districts

Tambols (municipalités)

Population totale

Densité de la population

Nombre d'hommes

Nombre de femmes

Nombre d'hommes occupant un emploi

Nombre de femmes occupant un emploi

Population âgée de moins de 15 ans

Pourcentage de la population habitant des zones rurales

Pourcentage d'individus ayant des activités agricoles

Nombre moyen d'enfants par mère à la campagne

514.000 km2

71

560

58

5.439

39.950.306

60 au km2

20. 143. 590

19.806. 716

17. 000. 000

8. 000.000

16. 777.000

85

80

6,6

19

Page 19: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

Taux de natalité

Taux de mortalité

Accroissement naturel

Population de Bangkok (capitale)

Nakorn Rajsima

Ubol

Udorn

Khonkaen

Chiengrai

Nakornsrithamaraj

Chiengmai

41 pour 1. 000

11 pour 1. 000

3 %

3. 967. 081

1. 582. 309

1. 280. 130

1. 238. 010

1. 207. 525

1. 159. 710

1. 12 6. 8 71

1.092.833

Ayant besoin d'argent, beaucoup d'agriculteursvendent leurs t e r res et il s'ensuit qu'ils ne pos-sèdent plus la ter re qu'ils travaillent ; ils perdentainsi tout intérêt au travail. Ils vivent au jour lejour, ce qui, pour un pays agricole comme laThaïlande, a des conséquences désastreuses.

Problèmes sociaux

D'une manière générale, les Thaïlandais sontdesgens bien intentionnés, généreux et amicaux. Traitcaractéristique : leurs codes culturels et éthiquesrejettent l'idée de tort fait à autrui. Cela dit, lesfacteurs économiques et démographiques inter-disent au gouvernement de fournir à tous les se r -vices publics nécessaires . Le troisième Plan na-tional social et économique/1 indiquait les prin-cipaux problèmes sociaux à affronter en 1971-1976dans l 'ordre suivant :

1. Il y a à la fois chômage et sous-emploi.2. Les différences de revenus sont immenses

et les salaires ouvriers n'ont pas été révisés de-puis des années.

3. Il existe de grandes inégalités entre le ni-veau de vie rural et le niveau de vie urbain, sur -tout si l'on compare les campagnes avec la capi-tale. Le développement des diverses régions estinégal.

4. L'industrie a été développée en dehors detoute planification ou coordination. Les travail-leurs ne bénéficient d'aucune couverture socialeni d'aucun service de santé.

5. Il n'y a pas assez de te r res arables pourfaire vivre les agriculteurs.

6. La criminalité s 'est beaucoup accrue : ilest impossible de garantir la sécurité des citoyensen ville comme à la campagne.

7. Il existe de grandes différences économiquesentre les divers groupes de population.

8. Les femmes de la campagne ne trouventque t rès peu de travail en raison de leur manqued'instruction, et encore ces emplois sont-ilsmoins bien rémunérés et moins sûrs que ceuxdes hommes.

9. Trop d'enfants se voient obligés de quittertrès tôt l'école et oublient aussitôt ce qu'ils ontappris.

10. Les valeurs traditionnelles - souvent plusaltruistes que les valeurs modernes - sont oubliées.A leur place, les valeurs nouvelles viennent faireobstacle au développement du pays. Ainsi, parexemple, on pense plus au bien de ses amis, deses parents ou de son parti qu'au bien commun.

11. Les attitudes et les pratiques religieuses,morales et culturelles sont en cours de changement.

Problèmes de l'éducation

Parmi ses nombreuses obligations, l 'Etat a lacharge des services d'éducation. En raison dutaux élevé de croissance démographique, le bud-get de l'éducation nationale est insuffisant. Bienque le gouvernement ait pris, dès 1960, la dé-cision d'étendre la période de scolarité obligatoirede 4 à 7 années d'études et espère atteindre son ob-jectif en 1990, onne disposera pas assez d'écoles.Seul un quart des enfants qui devraient fréquenterle premier cycle du secondaire y sont effective-ment inscrits et la proportion est de un dixièmedans le second cycle. Dans le supérieur, guèreplus de 2 % de ceux qui pourraient être étudiantssont inscrits à l 'Université. Un petit nombre d'étu-diants font d'ailleurs leurs études à l 'étranger.

Comme les enfants passent davantage de tempsà la maison (ou ailleurs) qu'à l 'école, c'est l ' in-fluence du foyer et de l'ensemble de la collectivité,et en particulier de ce qui fait l ' intérêt de leursparents, qui joue le plus grand rôle dans la forma-tion de leur personnalité. Nombre de programmesd'éducation sont des échecs en l'absence de toutecoopération des parents.

Santé

II est impossible de dissocier les problèmes ci-dessus des questions de santé. Comme l'a déclaréle Dr Niphon Suwattan, directeur général adjointdes services de médecine et de santé, au cours duséminaire qui s 'est tenu en août 1973 sur le thème"Education populaire et amélioration de la vie defamille" :

1. Depuis l'époque à laquelle ce texte a été établi,le troisième Plan a été suivi par le quatrième.

20

Page 20: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

"La loi de 1959 sur le développement écono-mique déclarait que, pour assurer le développe-ment économique, une action sanitaire étaitindispensable au sein du peuple thaïlandais. . .Les problèmes à résoudre sont nombreux -luttecontre les parasites intestinaux et autres, nutri-tion des populations rurales, développement del'hygiène collective, insuffisance des servicesmédicaux dans les régions reculées, médecinescolaire et santé de la jeunesse. . . Du point devue de la santé publique, les écoles présententun danger certain en tant que foyers de contagiondes maladies. A l'heure actuelle, le gouverne-ment est dans l'incapacité d'assurer une surveil-lance médicale de toutes les écoles en raison dela pénurie de personnel de santé publique, dumanque d'équipement et d'instruments, et del'absence de crédits. La population scolaire aénormément augmenté à tous les niveaux et ce-pendant, même à Bangkok, la capitale, beaucoupd'écoles n'ont même pas de cours de récréationou d'espaces verts où les élèves puissent prendreun peu d'exercice. La situation est pire dans lesécoles de campagne, qui'n'ont souvent ni latrinesni alimentation en eau potable. Dans ces condi-tions, comment pourrait-on enseigner aux enfantsdu pays l'éducation physique et l'hygiène ? "

Les problèmes de nutrition et de carence ali-mentaire ne sont pas rares non plus. On comptequ'en moyenne, les enfants thaïlandais âgés d'unan ont deux fois plus de chances de mourir queles enfants des pays développés et huit fois plusd'enfants meurent en Thaïlande au cours desquatre premières années de la vie. Les statis-tiques révèlent que 75. 000 à 80. 000 enfants demoins de cinq ans sont morts au cours des quatreou cinq dernières années. Et d'ailleurs la mor-talité n'est pas le seul problème : ceux qui viventsont souvent malades, débiles ou malheureux etont un seuil très bas de résistance à la maladie.

Une autre mesure de la gravité des problèmessanitaires en Thaïlande est donnée par le nombrede médecins par rapport à la population. A Bang-kok, il y avait, en 19 69, un médecin pour 1. 000habitants ; dans les zones rurales, le rapportpassait à un pour pour 30. 000 et, dans l'arrière -pays, à un pour 100. 000. Pour atteindre, sur ceplan, un niveau acceptable dans tout le pays, ilfaudrait que la Thaïlande forme 3. 200 médecinspar an, alors que 300 médecins seulement re-çoivent annuellement leur diplôme.

Conclusions

Tous les problèmes évoqués dans la présenteétude sont liés entre eux et affectent gravementles Thaïlandais sur les plans individuel et fami-lial. Aucun individu, aucun groupe, ne peutaujourd'hui prétendre les résoudre à lui toutseul. Il faut que chacun apporte sa contributionà l'oeuvre de tous, quels que soient son extrac-tion, son sexe et son statut socio-économique.

Les situations sont complexes et il n'y auraaucune solution facile. La Thaïlande ne peut passe permettre de ne mettre en oeuvre que des me-sures correctives : il faut donner la priorité auxmesures préventives. A notre avis, l'économie

familiale ou l'éducation de la famille peuvent cons-tituer une mesure préventive fort utile.

LES DIVERS ROLES DE LA FEMMEAU SEIN DE LA FAMILLE/1June Nash

L'indice le plus important de la mesure dans la-quelle les femmes participent au développementse trouve dans la définition de leur rôle au seinde la famille. Il ne s'agit point tant de la formeparticulière de la famille que de ce qui est exigédes femmes en priorité dans ce contexte et desavoir s'il existe ou non pour les soutenir despersonnes ou institutions capables de les aider àremplir les tâches définies comme faisant partiedes fonctions familiales des femmes.

La dépendance, dont la notion justifie le rôlesubordonné de la femme au sein de la famille, estinscrite dans les codes antiques et les enseigne-ments d'un grand nombre de religions, y comprisle christianisme et l'islam. Mais c'est un principeque ne pratiquaient pas les sociétés primitives,non plus qu'un certain nombre de sociétés nonindustrielles, qui donnaient, et donnent encore,à la femme un rôle complet à jouer dans le modede production domestique.

Les traditions qui se sont déployées autour de"la nature dépendante" de la femme se sont cris-tallisées lentement en un idéologie de la dépen-dance volontaire et obligatoire au cours de la pre-mière décennie du vingtième siècle, en mêmetemps que cette idéologie rejetait la femme quitravaille de la mystique de la féminité à laquellece mythe donnait corps. En Europe et en Amé-rique, à l'orée du siècle, les spécialistes dessciences sociales s'efforçaient de fournir la jus-tification '"scientifique" du rôle subordonné de lafemme dans la division du travail, affirmant qu'ilexistait une sélection génétique et que la femmeétait, au sein de l'espèce humaine, une créaturephysiquement plus fragile, et mentalement plusfaible que l'homme. Le mythe de la nature dépen-dante de la femme devait trouver une expressionparticulièrement virulente dans l'idéologie fascistedes années 1930.

On a prétendu que la spécialisation des fonc-tions au sein de la famille, où les rôles réservésaux femmes leur permettent d'exprimer la compo-sante expressive et affective, tandis que les rôlesdes hommes sont plus orientés vers les activitésextérieures et rémunératrices, était particuliè-rement bien adaptée à une société caractériséepar la nécessité de la mobilité et une orientationvers la réussite qui pouvaient conduire à certainsconflits si elles pénétraient dans le foyer. Certes,il était acceptable que la femme jouât certains

1. Extrait de l'intervention de June Nashintitulée :Certain aspects of the intégration of women inthe development process : a point of view.(UN E/Conf. 66/BP/5) préparée pour la Confé-rence mondiale de l'Année internationale delàfemme qui s'est tenue à Mexico du 19 juin au2 juillet 1975.

21

Page 21: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

rôles dans le monde extérieur, à condition qu'ilsne fussent que l'extension de ses rôles domes-tiques : elle pouvait donc être secrétaire, infir-mière, ou rédactrice. Cette répartition des rôlesentre les sexes qui dissocie l'instrumental etl'affectif, le public et le privé, la compétition etla dépendance, limite et déforme les réflexeshumains des deux sexes. Dans ces conditions, lafamille devient l'agent d'un "conditionnementdesenfants à des rôles de classe, selon l'âge et lesexe", / l et participe ainsi "à l'intégration de lasociété en formant des individus prêts à accep-ter et à remplir correctement des rôles définispar la tradition. "/2 Cette division a pour effetde limiter le rôle des femmes dans le développe-ment de leur pays et de priver la société, là oùles décisions sont prises, de l'apport singulierde la vision que leur confère leur fonction familiale.

Nous allons analyser brièvement ici troistypes principaux d'institutions familiales et extra-familiales afin d'apprécier leur influence sur l'in-tégration sociale et le statut des membres de lafamille tant dans les pays en développement quedans les pays développés. Il s'agit (a) de la fa-mille conjugale nucléaire, (b) de la famille com-munautaire élargie, et (c) de la famille patriar-cale élargie. Par ailleurs, nous réfléchirons àla transformation de la famille dans certainspays, dans la mesure où elle indique commentles relations de dépendance cultivées au sein dela famille sont peut-être appelées à se rompre.

La famille conjugale nucléaire

Dans la pensée linéaire caractéristique des mo-dèles de développement, la famille conjugale,nucléaire et isolée, est présentée comme le ré-sultat attendu des processus de développement.Un tel modèle laisse, en effet, le champ libreà la mobilité géographique et sociale qui va né-cessairement de pair avec le développementindustriel. Le libre choix du partenaire et unéventail limité d'obligations envers un réseaunombreux de parents sont les avantages que re-vêt cette forme de la famille pour les pays endéveloppement. Mais ce concept de libertéestompe la subordination de la femme dansle noyau conjugal, puisque aussi bien, elle estobligée par le rapport de dépendance qui fait labase d'une telle relation de compter sur la seuleaptitude de son partenaire à gagner de l'argent.Dans la plupart des cas, la monogamie se pré-sente pour la femme comme une obligation stricte,tandis que les règles de comportement applicablesaux hommes sont moins rigoureuses.

En fait, les changements résultant de l'indus-trialisation et de l'urbanisation ont eu pour consé-quence l'émergence d'un type courant de famille,qui est la maisonnée régie par la femme. Bienque la plupart des textes la considèrent commel'une des formes de la famille nucléaire, elleest également vue comme une adaptation fonc-tionnelle au phénomène de la migration de lamain-d'oeuvre masculine qui a lieu dans beau-coup de régions. Dans certains cas, la maison-née tenue par la femme peut être un foyer d'en-traide et d'interdépendance pour les femmes qui

travaillent. Une étude sur les femmes à PortoRico, par exemple, a révélé un désir d'avoir desenfants motivé par le fait que l'essentiel du sen-timent d'identité et de la satisfaction des femmesleur est procuré par la maternité et les soins desenfants, plutôt que par les emplois sous-payés etinférieurs qui sont leur lot. La proportion trèsélevée dans le monde entier de maisonnées tenuespar des femmes, et particulièrement dans les paysen développement, montre bien la nécessité d'entenir pleinement compte dans la planification dudéveloppement.

La famille communautaire élargie

Un grand nombre de systèmes familiaux élargisnon seulement sont maintenus dans les pays endéveloppement mais encore constituent les sys-tèmes de soutien nécessaires pour assurer laparticipation heureuse des femmes à l'activitédes secteurs les plus modernes. Là où les prin-cipes de descendance par les femmes ont survécuaux périodes de la colonisation et de la domina-tion étrangère, la famille élargie reste le rem-part des femmes dans les transactions économiquesetpolitiques. Ainsi, par exemple, chez lesMinang-kabau d'Indonésie, c'est le frère de la mère quiest le porte-parole de la famille vis-à-vis dumonde extérieur, mais seulement après consul-tation de tous les membres de la lignée. Lesfemmes sont présentes à toutes les discussionspréalables à des décisions concernant la disposi-tion des biens et la vie politique. Même dans lecas des familles patrilinéaires de Bali, l'adat,ou droit coutumier, continue à protéger la sécu-rité de la femme.

En Afrique occidentale, où 66 % des commer-çants sont des femmes, celles-ci passent unegrande partie de leur temps hors de chez elles.Or, cela ne leur est possible qu'en partageant lesoin des enfants avec les autres épouses de leurmari ou d'autres membres de la famille élargie.L'indépendance économique des femmes et leursolidarité mutuelle très développée leur donnentun avantage certain dans leurs négociations avecles hommes par rapport aux femmes de la plupartdes autres sociétés, dont l'indépendance écono-mique est plus restreinte.

L'autorité exercée par la famille élargie enmatière de relations sexuelles et de procréations'effrite souvent avec la migration des hommesvers les lieux de travail des centres industriels.En Afrique orientale et australe, par exemple,la migration des hommes sans leur famille crée,dans les villes, une situation favorisant la pros-titution et les relations de bigamie avec les veuvesou les femmes divorcées. Lorsque les hommesretournent dans leurs réserves pour des séjours

Cf. Parsons, Talcott et Baies, Robert, FamilySocialization and Interaction Process, Glencoe(III.), The Ree Press, 1955. 422 p.Cf. Knudsen, Dean D. , "The Declining Statusof women : popular myths and the Failure offunctionalist thought". In : Social Forces,Vol. 48, n° 2, p. 183 à 193, déc. 1969.

22

Page 22: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

prolongés, l'espacement des grossesses a ten-dance à diminuer. Dans les cas où les pratiqueshabituelles sont maintenues, l'intervalle entreles naissances est relativement plus long, grâceaux coutumes liées à l'abstinence et à l'allaitement.

Tandis que les hommes restent liés à leur vil-lage à travers les salaires qu'ils y rapportent,les enfants qu'ils y ont et les visites fréquentesqui les y ramènent, les femmes qui émigrentvers les villes ont tendance à s'enraciner davan-tage en milieu urbain. Il est de fait, par exemple,que les femmes xhosa, qui quittent leur villagepour aller trouver du travail à la ville, sont pous-sées par le désir d'échapper à leur statut de créa-tures perpétuellement mineures. Manquant de liensavec leur village, elles s'engagent plus volontiersdans un processus d'adaptation à la vie urbaine et,par conséquent, à la modernisation et au changement.

La famille élargie patriarcale

On observe une forme extrême de contrôle de lafamille sur les femmes dans les pays où lesfemmes vivent à part, exclues de toute partici-pation à la vie publique et où leur identité dépendpresque tout entière de leur mari. Dans un cer-tain nombre de ces pays, la loi ne permet à lafemme de jouir de son héritage que si elle restesous la garde de la famille de son mari après lamort de celui-ci. Le statut économique incertaindes femmes les empêche de se prévaloir du droitau divorce ou d'autres droits.

Il existe des cas, notons-le, où la ségrégationdes sexes a eu pour effet de fournir à des femmes,médecins ou juristes, des clientèles toutes faites.Bien plus, la solidarité entre femmes dans un sec-teur séparé des hommes leur donne, semble-t-il,plus d'amour-propre et le sentiment d'être sou-tenues par leur groupe, si bien que lorsqu'ellesentrent dans une profession, elles se passentfacilement de l'approbation masculine. Dans leurretraite familiale, les femmes se fabriquent toutun réseau de défenses qui leur permettent de sesoustraire à l'emprise des prérogatives masculines.

Ajoutons que l'intégration sociale des femmespar l'instruction religieuse et au sein du foyeratténue la frustration causée par leur retraiteforcée et les interdits qui les frappent. Les reli-gions soulignent souvent que la volonté divine doitêtre accomplie par l'entremise des hommes. Cespréceptes sont encore renforcés du fait que la sé-grégation sexuelle est surtout pratiquée dans lescouches sociales les plus élevées, ce qui lui con-fère un prestige accru au regard de la société.Il ressort de tout cela que le soutien idéologiqueà la domination de la femme par l'homme, pourêtre contesté, n'en reste pas moins puissant.

Dans les pays où il n'est pas question que lesfemmes participent à la vie publique, leur main-tien dans un état de dépendance est une affairecoûteuse non seulement par le manque à gagneren salaires féminins, mais aussi par le nombred'activités pratiques qui leur sont interdites à lamaison. Au Pakistan, par exemple, les femmesde condition modeste qui doivent travailler auxchamps portent obligatoirement un burqua, ougrand vêtement couvrant, qui les voile de la tête

aux pieds et les dissimule aux regards. Lesfemmes des classes moyennes sont obligéesd'avoir des domestiques pour accomplir les tâchesmême les plus ordinaires, comme d'aller puiserde l'eau, qui les forceraient à apparaître en pu-blic. Bien plus, leur toilette doit se faire en deslieux séparés, aussi bien chez elles que dans lesendroits publics, et c'est jusqu'à ses repas quela femme qui travaille doit prendre en un lieuisolé. II.n'est pas étonnant dans ces conditionsque les employeurs ne soient guère empressés àengager des femmes.

Les révolutions et les mouvements d'indépen-dance qui ont émaillé la période d'après-guerreont fait progresser à grands pas l'émancipationde la femme dans certains pays où la ségrégationdes femmes était de règle. Ainsi en Egypte, laConstitution de 1956 proclamait l'égalité de lafemme sous réserve de la compatibilité de sonrôle social avec ses devoirs envers la famille ;plus tard, en 1962, l'égalité de la femme devaitêtre énoncée sans restriction, comme un principefondamental. L'ensemble des mouvements defemmes dans les pays du Moyen-Orient ont pourobjectifs l'extension de l'éducation aux femmeset la modification des interdits pesant sur leurapparition en public. La suppression du voileétait liée si intimement à l'idée de modernisa-tion et de progrès que le Shah d'Iran devait enabolir le port en janvier 193 7. Cet acte final futproclamé comme ouvrant "une ère nouvelle. . .dans la vie des femmes iraniennes" ; pourtantles femmes devaient continuer à n'avoir que desdroits limités, tant au sein de la famille que dansla vie de la cité.

Les mouvements de modernisation de ce typesont souvent réservés à une élite relativementrestreinte et n'ont pas pour objet d'apporter deschangements fondamentaux à la vie de la familleou de la société. C'est pourquoi, par exemple,un grand nombre de femmes continuent à redouterle droit arbitraire de répudiation dont jouit leurmari. Dans certaines nations nouvelles, les femmesqui ont combattu dans des révolutions et des guerresd'indépendance aux côtés des hommes se trouventplacées dans une situation particulièrement anor-male qui donne naissance à des tendances sépara-tistes. Car malgré les sacrifices consentis dans lalutte pour l'indépendance, les femmes ont été ensuiteexhortées à regagner leur retraite domestique.

Transformations subies par la famille

Certains pays ont tenté de mettre en place uneinfrastructure de services sociaux divers desti-née à atténuer la dépendance qui caractérise laposition de la femme au sein de la famille. Cons-cients de ce que l'émancipation totale ne peut êtreréalisée que si l'indépendance économique estassurée, certains pays ont créé des services pu-blics ou privés qui s'occupent des enfants et rendentvraiment possible le travail des femmes.

C'est ainsi, par exemple, que depuis les années1930, la Suède n'a cessé d'accroître progressive-ment les allocations familiales. La décision laplus riche de conséquences fut prise en 1947, dateà partir de laquelle une allocation en espèces fut

23

Page 23: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

versée à chaque famille pour chacun de ses enfants,quel que soit par ailleurs le montant de ses res-sources. Les services de dispensaires pour lesmères et leurs enfants sont assurés aux frais del'Etat depuis 1937 et dans les années 1940 s'estdéveloppée la prise en charge de l'enfant par lasociété dans les jardins d'enfants, les crèches,les centres de loisirs et les écoles maternelles.

Conformément au précepte selon lequel lafamille nucléaire monogame était le moyen detransmission de la propriété privée et, par con-séquent, le véhicule de toutes les institutionsfondées sur elle, l'URSS décida, dès ses débuts,,de mettre en place une infrastructure de servicescommunautaires. Il s'agissait de réaliser l'éman-cipation complète de la femme et de faire d'ellel'égale de l'homme. Il était dès lors nécessairede socialiser entièrement l'économie nationaleet de faire participer les femmes au travail pro-ductif commun.

D'autres Etats d'Europe de l'Est mirent enplace des systèmes similaires après la DeuxièmeGuerre mondiale. La Pologne créa des crèchesfinancées par l'Etat pour permettre aux femmesde travailler et "de transformer la famille enune association d'égaux", /l La demande dépassal'offre, mais les crèches devaient néanmoins

permettre à 68% des femmes ayant eu des enfantsentre 19 61 et 19 63 de reprendre leur travail aprèsl'accouchement. En République démocratique alle-mande, selon les statistiques, 30 % des enfantsjusqu'à 3 ans sont élevés dans des crèches, 73 %des enfants d'âge préscolaire vont au jardin d'en-fants et 54 % des élèves de l'école élémentairevont après l'école dans des clubs de loisirs, ce quipermet à 84 % des femmes valides de travailler.

Dans certains pays socialistes, l'abolition dela propriété privée estune tâche liée à la suppres-sion du droit de propriété des hommes sur lesfemmes. Les femmes reçoivent un soutien écono-mique dans leur participation au processus révo-lutionnaire en tant que femmes qui travaillent eten tant qu'éléments responsables des organes dedécision du mouvement politique sous forme decrèches et de pensionnats. Mais comme, malgrétout, il est reconnu qu'on ne peut entièrementéchapper à ses responsabilités de parents, leshommes se sont vus encouragés à Cuba, parexemple, à prendre part aux travaux domestiques.

1. Cf. Wrochno, Krvstvna, Women in Poland.Varsovie, Interpress, 1969.

24

Page 24: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

II. Les conditions de la croissance

Quelles sont les conditions essentielles d'unecroissance saine de l'enfant ? Cette questionévoque des problèmes dont quelques-uns vontêtre exposés dans le présent chapitre avec uncertain nombre de suggestions quant à la manièredé les résoudre.

Le chapitre s'ouvre sur la Déclaration desdroits de l'enfant de l'Organisation des NationsUnies qui formule de façon concise les objectifsà atteindre pour tous les enfants. Puis, sont pas-sés en revue certains problèmes actuels concer-nant la santé physique. Michel Manciaux montrecomment la santé publique implique l'ensemble dela famille et pas seulement celui de ses membresqui souffre d'une maladie à un moment donné ; ilplaide donc pour des soins appliqués aux groupesfamiliaux pris dans leur ensemble.

Frederick T. Sai parle de l'étendue des pro-blèmes nutritionnels dans le monde en développe-ment et Phyllis T. Piotrow appelle l'attention surles maux dont peuvent être victimes la mère aussibien que l'enfant lorsque l'enfant naît d'une mèrequi se trouve elle-même encore à un stade cri-tique de son propre développement. L'étude deJohn R. Silber et de Mary Huang et celle de Naf-siah Omar reprennent des thèmes discutés parles deux auteurs précédents, en attirant l'atten-tion sur les conséquences non voulues de certainespratiques alimentaires qui font partie de la cul-ture et sur le statut nutritionnel des mères etdes jeunes enfants dans deux cultures très diffé-rentes : la Malaisie rurale et les Etats-Unisd'Amérique. Quant à Johanna T. Dwyer, elles'inquiète du déclin de l'allaitement maternelqu'elle analyse comme un aspect supplémentairedes problèmes nutritionnels affectant les nour-rissons. Les carences alimentaires sont une réa-lité pour un grand nombre d'enfants, d'où l'inté-rêt de l'étude de Jack Tizard, qui envisage lespossibilités de réparer les dégâts qu'elles causent.

La dernière étude du présent chapitre, celuide Jack H. Kahn, souligne l'importance des ques-tions de santé mentale dans la vie de la familleet nous rappelle que la santé de la famille ne selimite pas à son bien-être physique.

DECLARATION DES DROITS DE L'ENFANTADOPTEE PAR LES NATIONS UNIES

PREAMBULE

Considérant que, dans la Charte, les peuplesdes Nations Unies ont proclamé à nouveau leur foidans les droits fondamentaux de l'homme et dansla dignité et la valeur de la personne humaine, etqu'ils se sont déclarés résolus à favoriser le progrèssocial et à instaurer de meilleures conditions de viedans une liberté plus grande,

Considérant que, dans la Déclaration universelledes droits de l'homme, les Nations Unies ont pro-clamé que chacun peut se prévaloir de tous lesdroits et de toutes les libertés qui y sont énoncés,sans distinction aucune, notamment de race, decouleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinionpolitique ou de toute autre opinion, d'origine natio-nale ou sociale, de fortune, de naissance ou detoute autre situation.

Considérant que l'enfant, en raison de sonmanque de maturité physique et intellectuelle, abesoin d'une protection spéciale et de soins spé-ciaux, notamment d'une protection juridiqueappropriée, avant comme après la naissance.

Considérant que la nécessité de cette protectionspéciale a été énoncée dans la Déclaration de Genèvede 1924 sur les droits de l'enfant et reconnue dansla Déclaration universelle des droits de l'hommeainsi que dans les statuts des institutions spé-cialisées et des organisations internationales quise consacrent au bien-être de l'enfance.

Considérant que l'humanité se droit de donnerà l'enfant le meilleur d'elle-même,

L'Assemblée généraleProclame la présente Déclaration des droits de

l'enfant afin qu'il ait une enfance heureuse etbénéficie, dans son intérêt comme dans l'intérêt dela société, des droits et libertés qui y sont énoncés ;elle invite les parents, les hommes et les femmesà titre individuel, ainsi que les organisations béné-voles, les autorités locales et les gouvernementsnationaux à reconnaître ces droits et à s'efforcerd'en assurer le respect au moyen de mesures légis-latives et autres adoptées progressivement enapplication des principes suivants :

25

Page 25: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

PRINCIPE PREMIER PRINCIPE 7

L'enfant doit jouir de tous les droits énoncés dansla présente Déclaration. Ces droits doivent êtrereconnus à tous les enfants sans exception aucune,et sans distinction ou discrimination fondées surla race, la couleur, le sexe, la langue, la reli-gion, les opinions politiques ou autres, l'originenationale ou sociale, la fortune, la naissance, ousur toute autre situation, que celle-ci s'appliqueà l'enfant lui-même ou à sa famille.

PRINCIPE 2

L'enfant doit bénéficier d'une protection spécialeet se voir accorder des possibilités et des faci-lités par l'effet de la loi et par d'autres moyens,afin d'être en mesure de se développer d'une fa-çon saine et normale sur le plan physique, intel-lectuel, moral, spirituel et social, dans des con-ditions de liberté et de dignité. Dans l'adoptionde lois à cette fin, l'intérêt supérieur de l'enfantdoit être la considération déterminante.

PRINCIPE 3

L'enfant a droit, dès sa naissance, à un nom età une nationalité.

PRINCIPE 4

L'enfant doit bénéficier de la sécurité sociale. Ildoit pouvoir grandir et se développer d'une façonsaine ; à cette fin, une aide et une protection spé-ciales doivent lui être assurées ainsi qu'à samère, notamment des soins prénatals et post-natals adéquats. L'enfant a droit à une alimenta-tion, à un logement, à des loisirs et à des soinsmédicaux adéquats.

PRINCIPE 5

L'enfant physiquement, mentalement ou sociale-ment désavantagé doit recevoir le traitement,l'éducation et les soins spéciaux que nécessiteson état ou sa situation.

PRINCIPE 6

L'enfant, pour l'épanouissement harmonieux desa personnalité, a besoin d'amour et de compré-hension. Il doit, autant que possible, grandirsous la sauvegarde et sous la responsabilité deses parents et, en tout état de cause, dans uneatmosphère d'affection et de sécurité morale etmatérielle ; l'enfant en bas âge ne doit pas, saufcirconstances exceptionnelles, être séparé de samère, La société et les pouvoirs publics ont ledevoir de prendre un soin particulier des enfantssans famille ou de ceux qui n'ont pas de moyensd'existence suffisants. Il est souhaitable quesoient accordées aux familles nombreuses desallocations de l'Etat ou autres pour l'entretiendes enfants.

L'enfant a droit à une éducation qui doit être gra-tuite et obligatoire au moins aux niveaux élémen-taires. Il doit bénéficier d'une éducation qui c.on-tribue à sa culture générale et lui permette, dansdes conditions d'égalité de chances, de dévelop-per ses facultés, son jugement personnel et sonsens des responsabilités morales et sociales, etde devenir un membre utile de la société.

L'intérêt supérieur de l'enfant doit être le guidede ceux qui ont la responsabilité de son éducationet de son orientation ; cette responsabilité incombeen priorité à ses parents.

L'enfant doit avoir toutes possibilités de se li-vrer à des jeux et à des activités récréatives, quidoivent être orientés vers des fins visées par l'édu-cation; la société et les pouvoirs publics doivents'efforcer de favoriser la jouissance de ce droit.

PRINCIPE 8

L'enfant doit, en toutes circonstances, être parmiles premiers à recevoir protection et secours.

PRINCIPE 9

L'enfant doit être protégé contre toute forme denégligence, de cruauté et d'exploitation. Il ne doitpas être soumis à la traite, sous quelque formeque ce soit.

L'enfant ne doit pas être admis à l'emploi avantd'avoir atteint un £ge minimal approprié ; il nedoit en aucun cas être astreint ou autorisé àprendre une occupation ou un emploi qui nuise àsa santé ou à son éducation, ou qui entrave sondéveloppement physique, mental ou moral.

PRINCIPE 10

L'enfant doit être protégé contre les pratiquesqui peuvent pousser à la discrimination raciale,à la discrimination religieuse ou à toute autreforme de discrimination. Il doit être élevé dansun esprit de compréhension, de tolérance, d'ami-tié entre les peuples, de paix et de fraternité uni-verselle, et dans le sentiment qu'il lui appartientde consacrer son énergie et ses talents au servicede ses semblables.

LA SANTE DE LA FAMILLE/1

Michel Manciaux

C'est sans nul doute la santé de la mère et del'enfant et toutes les actions, préventives et cura-tives, sanitaires et sociales qui se sont dévelop-pées pour la protection de la santé maternelle etinfantile qui ont ouvert la voie au concept de santéfamiliale. Une nouvelle étape a été franchie parla mise en oeuvre des programmes de planifica-tion familiale, surtout quand ils se proposent deprotéger la santé de la mère et des enfants par

D'après "La santé de la famille", In : Santémondiale, Genève Août-Sept. 1975. p. 7 à 9.

26

Page 26: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

un judicieux espacement des naissances et qu'ilsont le souci d'impliquer le père de famille, lacoopération de celui-ci étant cruciale en ce do-maine. En même temps, les progrès de la cons-cience sociale ont peu à peu substitué à la notionde protection - prestation fournie par la collecti-vité ou l'Etat et reçue passivement par l'individu -celle, combien plus dynamique, de la promotionde la santé par l'éducation : et il est apparu quel'éducation pour la santé pouvait amener les fa-milles à prendre progressivement en charge leursproblèmes de santé et même ceux de la collecti-vité dans laquelle elles vivent. C'est ainsi qu'estné le concept de santé de la famille, qu'il nousfaut maintenant préciser en termes opérationnels,en considérant la famille en tant qu'unité de santéet en tant qu'unité de prise en charge.

Unité de santé, la famille l'est d'abord sousl'angle négatif ; un de ses membres est-il malade,c'est toute la famille qui souffre ou qui est me-nacée dans sa santé. On pense ici tout naturelle-ment aux maladies contagieuses, aux infestationsparasitaires qui passent si facilement d'un membrede la famille à l'autre, à la faveur de l'intimitéde la vie en commun. Mais il ne faut pas oublierles maladies génétiques et leur poids familial, lapauvreté et la misère, l'ignorance des parentsqui empêchent si souvent des enfants pourtant nor-malement constitués et doués de s'épanouir plei-nement. Pensons aussi aux répercussions psy-chologiques et sociales d'une maladie chronique,d'une déficience invalidante chez l'un des parentsou des enfants : l'alcoolisme paternel en est unlamentable exemple.

Heureusement, il existe des aspects plus po-sitifs : des parents bien portants et unis, desenfants désirés, stimulés dès leur plus jeuneâge, élevés et éduqués tout à la fois, avec l'aidedes générations précédentes, protégés des dan-gers qui menacent leur santé mais très tôt sen-sibilisés à leur responsabilité personnelle dansce domaine, n'est-ce pas là l'image d'une famillesaine, irremplaçable pour l'épanouissement detous ses membres ? Sous diverses formes, il yen a beaucoup de par le monde. . .

Unité de prise en charge, la famille offre auxtravailleurs sanitaires et sociaux la possibilitéd'une approche globale qui optimise les soinsindividuels en les rendant plus accessibles, plusacceptables, plus efficaces, et qui tient comptede la dynamique des relations intrafamilialespour la prévention, l'éducation sanitaire et lessoins.

En matière de prévention, de nombreusesactions s'adressent à la famille tout entière, etmême à la maisonnée, qu'il s'agisse des vacci-nations, des mesures de protection contre le pa-ludisme, de la lutte contre les carences nutri-tionnelles, de l'espacement des naissances pourmaintenir un rythme d'accroissement familialcompatible avec la santé de tous, et spécialementde la mère et des enfants déjà nés. Tenir dansun centre de santé, si modeste soit-il, un dos-sier par famille permet de prendre en considé-ration les besoins de santé de tous au momentdes consultations au centre ou des visites à do-micile. Pratiquer dans des pays développés de

véritables bilans de santé familiaux relève de lamême préoccupation : et il n'est pas rare, dansces conditions, de pouvoir dépister, chez un desmembres de la famille, des anomalies ou des fac-teurs de risque - souvent à un stade préclinique -dont la correction évitera l'apparition ou l'aggra-vation d'états pathologiques au niveau de la familleentière.

L'éducation pour la santé s'appuie depuis long-temps sur le groupe familial, choisissant dansson cycle vital des moments privilégiés pour fairepasser le message éducatif (par exemple la plani-fication familiale après un accouchement récent),ou utilisant comme véhicule de ce message tel outel membre de la famille, plus facilement acces-sible, nanti d'une plus grande influence au seindu foyer : c'est l'enfant qui ramène de l'école desconsignes d'hygiène ou de nutrition équilibrée, lemari qu'on convainc des bienfaits d'un espacementsuffisant des naissances, la grand-mère dont onse fait une alliée pour la lutte contre les accidentsdomestiques, etc.

En ce qui concerne les soins, il semble encoreplus logique de les aborder chaque fois que pos-sible suivant cette stratégie : on soignera ensembletous les membres d'une famille atteinte d'une mêmemaladie (nutritionnelle, infectieuse ou parasitaire,par exemple), ou présentant une prédispositioncommune à l'obésité, au diabète, à l'athérosclé-rose. On s'appuiera sur la famille pour le traite-ment au long cours d'une maladie chronique d'unde ses membres. Au-delà du sujet malade, onpensera systématiquement au retentissement surtout le groupe, au risque encouru par les autres :le médecin ou l'infirmière qui soigne un cas derachitisme chez un enfant sans examiner sesfrères et soeurs a-t-il bien rempli toute sa tâcheprofessionnelle ?

A vrai dire, il n'y a pas grande nouveauté danstout cela et les médecins du début du siècle, quiméritaient le beau titre de médecins de famille,n'agissaient pas autrement. Mais la situationmondiale est telle qu'ils se font rares dans lespays industrialisés, et font cruellement défautdans les pays en développement ; il faut doncinsuffler leur état d'esprit à l'ensemble du per-sonnel sanitaire et social, à tous les niveaux etdans toutes les actions de santé.

Ainsi considérée, la santé de la famille pour-rait apparaître simplement comme la somme dela santé des individus qui la composent. En fait,elle représente beaucoup plus, car elle prend enconsidération les relations interpersonnelles ausein du groupe familial ainsi que l'environnementbiologique et social dans lequel ce groupe fonc-tionne et vit. Dans cet ordre d'idées, les indicesles plus importants de la santé familiale sontpro-bablement la composition de la famille, sa dyna-mique de croissance jusqu'à l'achèvement, le dé-veloppement physique et psychologique des enfantset, en négatif - car la qualité de la vie et le bon-heur sont difficiles à quantifier - les taux de mor-bidité et de mortalité en fonction de la structurefamiliale et les crises, passagères ou durables,qui peuvent aller jusqu'à la dislocation du groupe.

Santé familiale et santé communautaire sontdistinctes, bien que liées l'une à l'autre ; il n'y

27

Page 27: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

a pas de collectivité saine si les familles qui lacomposent sont elles-mêmes en mauvais état,et l'une des plaies de beaucoup de sociétés mo-dernes est sans conteste l'existence de famillesdéfavorisées, asociales, marginales, excluesdes fruits de l'expansion et du progrès socio-économique, qui constituent ce que l'on a nomméde façon très imagée : le quart monde. Y porterremède, c'est aussi promouvoir la santé commu-nautaire. A un degré de plus, on peut dire quechaque famille doit être rendue responsable, parl'éducation plutôt que par la coercition, de sespropres problèmes de santé, mais aussi du bien-être de la collectivité dont elle fait partie. C'esten s'appuyant sur des familles ainsi responsabi-lisées que la santé publique peut faire accepterses objectifs et son action.

Dans notre époque de mutation rapide, il estcapital de bien saisir la famille dans son contextevital pour planifier judicieusement les servicesdestinés à répondre à ses besoins de santé. Ellereprésente une pièce essentielle du fonctionnementde la société ; en retour, elle est en droit d'enattendre un certain nombre de prestations, parmilesquelles l'accès à l'éducation, aux soins, à lapromotion dans tous les domaines, dontle moindren'est pas celui de la santé.

ALIMENTATION, NUTRITION ET SANTEDE LA FAMILLE/1

Frederick T. Sai

En 1973, le monde a brusquement été arraché àsa torpeur concernant les questions d'alimenta-tion et de nutrition par une série de faminesgraves qui ont sévi dans la région africaine duSahel, en Inde et ailleurs dans le monde, bienqu'à un degré moindre. Il ne s'agit nullement làd'un phénomène nouveau. Au contraire, dans lespays en développement, la faim chronique, queviennent périodiquement exacerber les séche-resses ou les inondations, torture continuelle-ment une population nombreuse. Les NationsUnies ont lancé un cri d'alarme au monde, luirappelant qu'un tiers de sa population se couchetous les soirs sans avoir mangé à sa faim. Dansla pratique, ce tiers se réduit au "Tiers Monde1'.Cela signifie que 50 % environ des populationsvivant dans les pays en développement sont malnourries et souffrent de malnutrition à diversdegrés. Les problèmes d'alimentation et de nu-trition, causés essentiellement par un développe-ment agricole et social insuffisant,contribuent,à leur tour, à aggraver tous les autres problèmesde développement.

Groupes vulnérables

Dans les pays ou la malnutrition est un problèmegénéral, les groupes les plus vulnérables sontceux qui souffrent le plus des conséquences d'unemalnutrition grave : ce sont les femmes enceintes,les femmes qui allaitent, les nourrissons et lesjeunes enfants. Cela signifie que dans les famillesc'est la santé de la mère et de l'enfant qui estle plus sérieusement affectée (directement ou

indirectement) par des problèmes nutritionnels.Ce sont les femmes et les enfants qui souffrent

le plus du fait que leurs besoins physiologiquessont, dans l'ensemble, bien plus grands que lasociété ne veut bien l'admectre. La carence laplus fréquente est celle qu'on appelle "malnutri-tion protéique et calorique", soit une carence àla fois d'apports en protides et d'apports en calo-ries - les formes aiguës en sont le kwashiorkoret le marasme - dont les principales victimessont les enfants à partir du sevrage et jusqu'aumoment où ils sont en âge d'adopter entièrementle régime alimentaire familial. On estime que,dans les pays en développement, c'est à l'âgepréscolaire que les enfants sont le plus sensiblesà la malnutrition infantile. Le nombre d'enfantssouffrant chaque année de déficience protéique etcalorique bénigne ou grave est estimé à 900 mil-lions. La malnutrition affecte gravement les res-sources individuelles, familiales et.nationales,et est en outre un des grands facteurs de morta-lité. On a pu établir récemment que sur 100 enfantsâgés de moins de 5 ans qui mouraient en Amériquelatine, 5 mouraient des effets directs de la malnu-trition et 55 des effets combinés de la malnutritionet d'une autre maladie.

La carence en vitamine A, qui est due à un ré-gime pauvre en légumes verts et en fruits conte-nant du carotène, est également très répandue etpeut causer la cécité nocturne de ceux qui ensouffrent, voir les rendre aveugles. La carenceen fer est également commune ; elle est caused'anémie, tout particulièrement chez les femmesenceintes. Il a été amplement démontré que desmaladies dont les enfants et les femmes en bonnesanté peuvent porter les germes et même se dé-barrasser facilement peuvent entraîner la mortlorsque intervient la malnutrition. Ainsi, la mal-nutrition vient compliquer d'autres états et finitpar être cause des taux très élevés de mortalitéque l'on observe dans les pays en développement.

La situation alimentaire des pays en dévelop-pement s'imbrique de mille manières complexesdans l'ensemble des problèmes du développementde ces pays. Le développement de l'agriculturese fait très lentement dans un grand nombre despays du Tiers Monde en raison des méthodes deculture arriérées et inefficaces quiy sont employées.Le niveau des investissements y est très bas, etl'usage des engrais très limité. L'industrie desengrais a tant souffert de la récente crise de l'éner-gie que le prix de la production vivrière ne va pasmanquer d'augmenter. Dans un grand nombre derégions, les cultures vivrières sont entièrementà la merci des conditions climatiques et météo-rologiques. Si celles-ci deviennent mauvaises,l'homme se trouve exposé aux ravages de la nature.

Les difficultés ne concernent d'ailleurs passeulement la production, car il est extrêmementdifficile de stocker et de traiter les récoltes. C'estainsi qu'en Afrique tropicale, 10 à 30 % des ré-coltes de céréales sont détruites par la vermine

Extrait de Food and Population, p. 28 à 30.Washington D. C. , The Victor-Bostrum FundReport, n° 19, été/automne 1974.

28

Page 28: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

ou les insectes de toutes sortes. Il y a aussi degrosses déperditions lors de la distribution etde la vente des denrées.

La croissance démographique qui se poursuitdans un grand nombre de pays en développementau rythme de plus de 2 % par an signifie qu'il ya toujours davantage de bouches à nourrir. Commele niveau d'éducation et le degré d'urbanisations'élèvent aussi, le nombre d'individus sains decorps qui consomment au lieu de produire necesse de croître. Et la situation est encore aggra-vée par les investissements disporportionnéseffectués par les pouvoirs publics dans des cul-tures de rapport, telles que le coton ou le café,au détriment des cultures vivrières.

Le degré d'instruction des individus a uneinfluence directe et indirecte sur leur nutritionet le choix de leurs aliments - indirecte parcequ'une personne instruite a des chances de trou-ver un emploi bien rémunéré et donc de pouvoiracheter une nourriture variée. Pour ceux qui ontdes revenus convenables, la proportion du salaireconsacrée aux achats alimentaires reste faible et,lorsque les prix alimentaires augmentent, unecertaine élasticité est possible. Cette élasticitén'existe pas pour les maigres payes des pluspauvres, qui sont contraints, à mesure quegrimpent le s prix, de se rabattre sur le s alimentsles moins chers etles moins nutritifs. Les coucheséduquées sont plus libres à l'égard des tabous etcomprennent mieux que les autres les raisonsdes choix alimentaires à faire. Et c'est jusqu'auxméthodes employées par les ignorants pour pré-parer les aliments qui peuvent faire perdre àceux-ci l'essentiel de leur valeur nutritive.

N'oublions pas non plus la question de ^"hié-rarchie domestique" en ce qui concerne l'alimen-tation familiale. Dans les pays en développement,il n'est pas rare, par exemple, que le père seserve le premier les morceaux les plus nourris-sants, laissant les femmes et les enfants se par-tager le reste. Quand la nourriture est copieuseet variée, cette hiérarchie ne joue que très peusur l'alimentation et la santé du reste de la fa-mille, mais lorsque la nourriture dont la familledispose est tout juste suffisante, la question dela répartition des aliments entre ses membresprend une importance considérable. Les femmesetles enfants qui en ont pourtant le besoin le plusgrand risquent d'avoir la part la plus maigre dessauces riches en protéines qui accompagnent gé-néralement l'aliment de base, riz ou céréale.

Pendant la grossesse, la femme devrait nor-malement prendre en poids l'équivalent de deuxfois ce que pèsera son enfant à la naissance. Ce-pendant, un pourcentage élevé des femmes duTiers Monde sont incapables de prendre autantde poids, signe d'une alimentation insuffisante.Certaines ne prennent même pas de poids dutout. Comme le foetus est biologique ment dé-pendant de sa mère, cela signifie que l'enfanten gestation se nourrit aux dépens de celle-ci.Dans ces conditions, des grossesses fréquenteset rapprochées privent plus encore la mère deséléments nutritifs dont elle a besoin. Il n'estpasrare qu'elle devienne anémique, qu'elle perde sesdents, qu'elle maigrisse et qu'en fin de compte,

elle meure en couches. Bref, le taux élevé de morta-lité maternelle rencontré dans les pays en développe -ment s'explique non seulement par les maladiesinfectieuses et contagieuses, mais aussi par lesanémies et une sous-alimentation généralisée,lesquelles pourraient parfaitement être évitées.Des grossesses rapprochées les rendent plusdangereuses encore.

Les enfants eux-mêmes peuvent être affectésdès la naissance. Ils naissent fréquemment avantterme ou bien leur poids à la naissance est souventtrès insuffisant, comme sont insuffisantes aussileur réserve nutritionnelle et leur immunisationnaturelles. Une mère qui souffre de malnutritionfait une piètre nourrice. En cas de nouvelle gros-sesse, elle sèvre son nourrisson. En l'absenced'aliments de sevrage satisfaisants ou d'argentpour s'en procurer, les grossesses rapprochéesconstituent une cause directe de malnutrition pé-rinatale et infantile, pouvant entraîner la mort.

Programmes d'alimentation complémentaire

II va de soi que l'amélioration des revenus fami-liaux et l'encouragement à la production d'alimentsplus variés sont essentiels pour assurer une nu-trition adéquate. Mais il est possible de mettre enoeuvre certaines mesures spécifiques destinées àaider particulièrement les groupes les plus vulné-rables. La surveillance systématique des familles,visant à identifier les plus vulnérables, permet-trait aux personnels de santé et aux spécialistesde la nutrition de concentrer leurs efforts sur cesdernières. Ces groupes devraient bénéficier deprogrammes d'alimentation complémentaire, com-prenant lait écrémé, préparations lactées à basede farine de soja et de mai's, décoctions de céréaleset légumineuses locales. Ces programmes devraientcomporter une politique de formation et d'éducationvisant à enseigner aux familles à faire meilleurusage des aliments disponibles sur place.

Les efforts prioritaires d'éducation devraientporter tout particulièrement sur l'utilité de l'allai-tement, l'espacement des naissances et le sevragebien compris. Les programmes globaux doiventinclure des notions et des consultations de plani-fication familiale ainsi que des programmes devaccinations ou autres, destinés à lutter contreles infections et à assainir l'environnement.

Ilesturgentque les gouvernements comprennentl'importance de la nutrition dans l'effort nationalde développement. Il faut que l'alimentation et lanutrition deviennent prioritaires. Il convient dedéfinir des stratégies visant à améliorer la pro-duction, le traitement et la distribution des vivres.Il faut s'attacher particulièrement à la productiond'aliments pour le sevrage à des prix modiques,à base de denrées alimentaires locales. Il fautdévelopper et renforcer les programmes gouver-nementaux et bénévoles portant sur l'alimentation,la nutrition, et la planification familiale.

29

Page 29: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

LES MERES ADOLESCENTES/1Phyllis T. Piotrow

Entre 10 et 15 % des quelque- 125 millions debébés qui naissent chaque année, soit 12 à 18 mil-lions de nouveau-nés, sont les enfants de mèresadolescentes, jeunes filles n'ayant pas 20 ans.Que ce soit sur le plan physique, affectif, éco-nomique ou social, beaucoup de ces jeunes femmesdeviennent mères trop tôt pour leur bien envisagéà long terme, trop tôt aussi pour la santé et lebien de leurs bébés.

Le pourcentage de naissances vivantes chezles femmes de moins de 20 ans est très variable,puisqu'il peut aller de 2 5 %dans un certain nombrede pays d'Amérique centrale et des Caraities(chiffre très élevé), "k 1 % au Japon (chiffre trèsfaible). D'une manière générale, il est plus élevédans les pays en développement que dans les paysdéveloppés, mais aux Etats-Unis le nombre denaissance chez les femmes de moins de 20 ansreprésente 20 % de la natalité totale.

Dans les pays développés, ces mères adoles-centes sont souvent pauvres et célibataires. AuxEtats-Unis, elles ont deux fois plus de chancesd'être noires plutôt que blanches. Après la nais-sance de l'enfant, elles doivent faire face à desdifficultés multiples. Souvent, elles ont quittél'école à cause de leur grossesse ; il ne leur estpas facile de poursuivre des études supérieuresou une formation avancée tout en s'occupant d'unenfant ; leur manque de formation les désignepour les emplois les moins bien payés, les moinsprestigieux, et ceux qui offrent les plus faiblesperspectives de promotion. Elles se sont elles-mêmes fermé la voie normale d'accès à la mo-bilité sociale qu'est l'éducation dans les sociétésdéveloppées. La santé de leur enfant est plus me-nacée, tant à la naissance que pendant toute sapetite enfance, et, sur d'autres plans, elles n'ontpas grand-chose à lui offrir, surtout si elles sontpauvres et célibataires. Choisir - ou plus souventavoir la malchance - d'être une mère adolescente,peut donc, on le voit, avoir des conséquences tra-giques pour tous les intéressés.

Absence de choix

Dans le~s pays en développement, on peut dire queles grossesses d'adolescentes ne résultent ni d'unchoix, ni d'une malchance, mais plutôt d'uneabsence de choix. Dans les sociétés traditionnelles,il n'existe aucune perspective de vie décente pourles jeunes filles en dehors d'un mariage précoce.Les portes de l'éducation et de la vie profession-nelle leur sont fermées, et comme la virginitéd'une jeune fille est un bien à la fois précieux eten grand danger, la solution habituelle résidedans un mariage précoce, vite suivi d'une gros-sesse. Si le statut social de la femme est, eneffet, amélioré par son mariage et la preuve desa fécondité, sa santé et celle de ses enfantssouffrent pourtant de la précocité de cet enfan-tement, et la nation souffre aussi d'une crois-sance démographique trop rapide.

Les statistiques recueillies dans les paysdéveloppés et en développement indiquent, tout

insuffisantes qu'elles soient, que les mères demoins de 20 ans et leurs bébés présentent destaux de morbidité et de mortalité plus élevés queles mères de 20 à 30 ans et leurs nourrissons.D'une manière générale, le taux de mortalité ma-ternelle est le plus faible chez les femmes de 20à 24 ans et le plus élevé chez celles de 40 à 44 ans,ce qui donne une courbe assez semblable à un Jmajuscule. La mortalité foetale, la mortinatalité,la mortalité périnatale et surtout la mortalitéinfantile sont élevées chez les mères âgées demoins de 20 ans et de plus de 40 ans ; ici la courbea davantage la forme d'un U majuscule. Ces sta-tistiques suggèrent probablement que les mèresadolescentes ne sont pas prêtes, émotionnellementet économiquement parlant, à assumer au mieuxle soin de leurs petits.

Ajoutons que, dans les pays développés commedans les pays en développement, les répercussionsdémographiques de ces maternités précoces agissent,bien sûr, à l'opposé des campagnes visant à ralen-tir les taux de croissance de la population. Le faitn'est pas difficile à établir. Prenons un exempleextrême : celui d'un pays où l'âge moyen de lamaternité est de 20 ans. Dans un tel pays, l'accrois-sement de la population serait deux fois plus rapideque dans un pays où l'âge moyen de la maternitéserait de 40 ans. L'expérience montre aussi queles femmes qui commencent à avoir des enfantstôt ont toutes chances de parvenir au terme deleur vie procréatrice en ayant donné le jour àdavantage d'enfants que les femmes qui commencentplus tard.

Facteurs sociaux

Des facteurs biologiques entrent ici en jeu jus-qu'à un certain point car, dans certaines régions,la puberté a lieu plus tôt par suite d'une alimen-tation améliorée. Mais, comme l'a montré leDr Alan Parkes, de l'Université de Cambridge,les causes fondamentales de la maternité précocesont culturelles. En Iran et en Indonésie, parexemple, un mariage précoce est caractéristiqued'une culture islamique traditionnelle et près dela moitié des femmes se marient ainsi avant leurs20 ans. En Iran, comme le souligne Mme Farman-Farmaian, présidente de l'Association iraniennede planification familiale, on continue de priserbeaucoup une nombreuse famille et une abondancede fils, mais la modernisation actuelle aide lesfemmes à acquérir davantage d'instruction, davan-tage de droits garantis par la loi, à avoir accès àla vie politique et à être davantage les maîtressesde leur propre fécondité. En 1974, une nouvelle

1. Extrait du Draper World Population FundReport, p. 3-5. Washington, n° 1, automne1975. Cette fondation fut créée en l'honneurde William H. Draper Jr . , pour encouragerles activités appelées à contribuer avec lemaximum d'efficacité au ralentissement dela croissance de la population mondiale. Lerapport dont la présente étude est tirée faitappel aux compétences d'un grand nombre despécialistes de pays très divers.

30

Page 30: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

loi matrimoniale a été votée en Indonésie, qui por-tait à 16 ans l'âge minimal légal du mariage pourles jeunes filles ; mais Nani Soewondo, présidentede l'Association indonésienne de planification fa-miliale et de la Commission sur le droit et la po-pulation, note que cette loi rencontre une opposi-tion très forte de la part du secteur traditionnelde l'opinion publique et que le gouvernement nes'est pas encore résolu à la faire appliquer.

En Amérique latine, les grossesses sont cou-rantes parmi les jeunes filles de moins de 20 ans,bien que beaucoup soient célibataires. L'Organi-sation panaméricaine de la santé a établi, aprèsune étude approdondie, que la mortalité mater-nelle et infantile (cette dernière surtout) est beau-coup plus élevée chez les femmes de moins de20 ans.

C'est un schéma différent qui est appliqué enChine où, d'après les dires de Léo Orléans,sinologue américain attaché à la Bibliothèque duCongrès, le recul de l'âge du mariage et de celuide la procréation sont des éléments clés d'unecampagne massive et apparemment efficace deréduction de la croissance démographique dans lecontexte de la révolution économique et culturelle.

Aux Etats-Unis, malgré une baisse globale dutaux de fécondité, celle des très jeunes resteélevée : près d'une naissance sur 5 est le faitd'une mère âgée de moins de 20 ans. Trois quartsde ces naissances résultent d'une conception horsmariage. Dans le but de résorber cette natalitésauvage et prématurée, les professeurs JohnKantzer et Melvin Zelnik, de l'Université JohnsHopkins de Baltimore, recommandent une intensi-fication de l'effort d'éducation et une distribution

plus efficace et plus active des moyens de contra-ception. Comme d'autres, ils parlent des barrièressociales qui empêchent les moyens contraceptifsconnus d'être "utilisés à plein".

L'adolescence est une phase difficile pour lesgarçons comme pour les filles : c'est une périodede transition entre l'enfance et l'âge adulte, le mo-ment de prendre des responsabilités nouvelles quine sont pas toujours bien comprises. Cela est toutaussi vrai pour l'épo.use-enfant d'un village de lacampagne asiatique que pour la prospère adoles-cente américaine. Lorsque les problèmes naturelsqui sont ceux de l'adolescence se trouvent compli-qués par les effets d'un rapide changement écono-mique et social, et en particulier par le mouve-ment de migration de la campagne vers la ville,il en résulte souvent des grossesses précoces etdes naissances illégitimes qui accompagnent uncortège de problèmes sociaux et sanitaires.

En cette année/1 où les femmes appellentl'attention du monde à l'occasion de l'Année inter-nationale de la femme, il faut se préoccuper enparticulier du sort de celles qui deviennent mèrestrop tôt, trop tôt pour parvenir elles-mêmes às'épanouir en tant que citoyennes instruites etactives, trop tôt pour assurer à leurs enfantstous les soins et tout le soutien dont ils ont be-soin. Pour le bien des femmes et des générationsfutures, donner naissance à un enfant ne doit êtreni un accident prématuré ni un rite culturel, maisun choix responsable fait en connaissance de causepar des êtres assez mûrs pour en comprendre lesconséquences individuelles et sociales.

1. Texte rédigé en 1975.

POURCENTAGE DE NAISSANCES VIVANTES CHEZ LES FEMMES DE 15 A 19 ANSDANS CERTAINS PAYS

PAYS DEVELOPPES

Japon

France

Suède

. République fédérale d'Allemagne

Etats-Unisd'Amérique

PAYS EN DEVELOPPEMENT

Egypte

Hong Kong

Tunisie

Malaisie

Mexique

Algérie

Venezuela

Jamaïque

% 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20

Source : Annuaire démographique des Nations Unies, 1972.

31

Page 31: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

NUTRITION ET FACULTE D'APPRENDRE/1John R. Silber

Dans le système éducatif américain d'aujourd'hui,la priorité devrait être donnée en tout premierlieu à la mise en place d'un programme nationalde nutrition et d'éducation de la prime enfance.

L'un des problèmes les plus sérieux auxquelsest confronté l'enseignement supérieur est lemouvement qui tend à transformer ses établis-sements en institutions de rattrapage. Il s'agitd'une perversion de l'enseignement supérieur enses objectifs, qui risque à la longue de lui êtrefatale. Car on ne saurait négliger, comme nousl'avons fait, les priorités fondamentales de l'édu-cation sans en subir les inévitables conséquences.

Il nous faut aujourd'hui revoir ces priorités,sous peine de voir se multiplier le nombre de re-tardés gratuits à savoir des gens dont le retardn'est pas dû à une malformation génétique ou àd'autres causes insurmontables, mais bien à unenégligence d'origine sociale. Pour cela, il estessentiel de bien comprendre l'importance de lanutrition et, en particulier, celle du foetus.

Pour la plupart d'entre nous, il va de soi quela décision d'avoir un enfant entraîne la respon-sabilité de la mère vis-à-vis de l'autre vie qu'elleporte en elle. Pourtant la thalidomide a déformédes centaines d'enfants. Des mères héroïnomanesdonnent naissance à des héroïnomanes et le dos-siers des dégâts causés au foetus par des mèresalcooliques s'épaissit sans cesse. La malnutri-tion, qui inclut l'usage de médicaments dangereux,nuit gravement au développement de l'enfant,quand elle ne lui est pas fatale. La sous-nutri-tion - la carence en éléments essentiels - peutêtre tout aussi grave. Il y a longtemps que ceschoses sont connues et la publication récented'une étude approfondie par le professeur RobertB. Livingston et son équipe de l'Université deCalifornie achève de nous éclairer. Cette étudeindique qu'aux Etats-Unis, pas moins d'un mil-lion de mères souffrent d'une malnutrition assezaiguë pour mettre en danger leurs nourrissons.

Mais la malnutrition prénatale n'est pas seuleà causer de tels ravages. L'étude de l'Univer-sité de Californie estime que 1, 1 million de nour-rissons et d'enfants de notre pays souffrent d'unesous-alimentation si grave que le développementde leur cerveau peut en être affecté.

La majorité des individus handicapés par lamalnutrition réussissent malgré tout à se clas-ser comme "normaux11, aussi est-il permis dedouter qu'ils aient subides lésions irréparables.Seuls les cas de retard les plus graves sont dé-montrables si l'on se cantonne au niveau indivi-duel. Mais qu'on élargisse le champ des investi-gations pour comparer les enfants de mèresalcooliques ou de mères sous-alimentées auxenfants des mères convenablement nourries, etce qui a été perdu saute aux yeux.

C'est un retard gratuit qui est ainsi imposéaux enfants dont la nutrition a été mauvaise ouinsuffisante au stade prénatal. Seule une sociétéayant perdu le respect de la personne humaineet le souci de l'épanouissement de chaque indi-vidu peut se montrer indifférente à pareil retard.

Pour l'éviter, il faut faire en sorte que pas uneseule mère, soit par pauvreté soit par ignorance,ne fasse souffrir son enfant de malnutrition inutero.

Cela peut être fait par le lancement d'un vasteprogramme national d'éducation et d'aide à la nu-trition. A quoi sert que les mères aientles moyensde s'alimenter et de nourrir leurs enfants si ellesne savent pas comment le faire ? Dans notre so-ciété, les industries alimentaires semblent avoirdélibérément adopté un principe économique per-vers qui consiste à mettre au rancart nos petits-déjeuners à base de bonnes céréales, comme lesflocons d'avoine ou le gruau de froment complet,pour les remplacer par de misérables concoctionsfabriquées à l'aide de sucre et d'ingrédients pseudo-"naturels".

Quel que soit leur niveau, il est de l'obligationde tous les éducateurs sans exception - institu-teurs, professeurs, enseignants spécialisés, per-sonnels médicaux et employés de l'administration -d'assurer ce type d'enseignement. La société a ledevoir de veiller à ce qu'aucune femme enceinte,aucun petit enfant ne soit sous-alimenté pourcause d'indigence.

Un tel programme serait certes coûteux ; ilse chiffrerait probablement en milliards de dol-lars ; mais que dire du prix immense que fontpayer à l'esprit autant qu'à nos bourses ces re-tards gratuits ?

Un citoyen retardé est une source de pertesénormes pour la société. S'il est éducable, sonéducation sera plus coûteuse et plus difficile ques'il était normal. S'il est suffisamment retardépour que le retard soit diagnostiqué, il faudra lesoumettre à une éducation spéciale. Si ce n'estpas le cas, il fera son chemin dans la scolaritéclassique en posant au passage des problèmesinsolubles ; peut-être même atteindra-t-il lesclasses terminales. Mais même éduqué, il esthautemant improbable qu'il contribue beaucoupau progrès de la société. Ce sera déjà beau s'ilarrive à subvenir à ses propres besoins et, s'iln'en est pas capable, il est probable que sa priseen charge coûtera cher à la société. Dans le meil-leur des cas, il sera un abonné de l'Aide sociale.Si son retard est suffisamment bénin pour ne pasêtre diagnostiqué, il vivra toute son existenceincapable des tâches les plus simples, employableau mieux marginalement et peut-être sera-t-ilpoussé jusqu'au crime.

Pourtant, si ce retard est gratuit, la sociétépeut s'éviter toutes ces dépenses, y compris laperte de potentiel humain. Que nos éducateurs seréveillent et revigorent notre sens instinctif duprix de la vie humaine, et notre société ne tolé-rera plus qu'aucun de ses membres soit un êtreretardé.

1. Extrait du New York Times, New York16 novembre 1976. Le Dr John R. Silberétait à l'époque président de l'Université deBoston.

32

Page 32: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

CROYANCES CULTURELLES ET SANTEINFANTILE DANS LA MALAISIE RURALE/1

Mary Huang et Nafsiah Omar

Les croyances et pratiques culturelles font partiede la vie des communautés, quelles qu'elles soient.En Malaisie, où domine le système de la familleélargie, on a souvent tendance à adhérer de trèsprès à ces pratiques et croyances. Cela est sur-tout vrai là où le respect et l'obéissance sont dusaux membres les plus âgés de la famille. Briève-ment, dans la présente étude, nous nous propo-sons d'examiner celles de ces pratiques et croyancesqui nuisent à la santé des enfants des zones rurales.

Pratiques périnatales

L'état de santé d'un individu est déterminé parla génétique, par l'environnement et aussi, etpeut-être plus encore, par son comportement.Une surveillance prénatale pour l'enfant et, pourla mère, une bonne surveillance .post-partum, sielle allaite, auront une incidence directe sur lasanté de l'enfant. En Malaisie, ce n'est que vers1957, à l'époque de l'indépendance, que le gou-vernement poussa les programmes sanitairesjusqu'aux régions rurales ; mais aujourd'huiencore, on peut dire que les possibilités de con-sultations prénatales auprès de sages-femmesappointées à cet effet par l'Etat sont rarementmises à profit. La tradition veut que les femmessoient assistées par les sages-femmes de village,qui ont appris leur art auprès de personnes âgéesde leur famille ; leur aide consiste essentielle-ment à accomplir certains rites destinés à pro-téger la venue au monde de l'enfant.

Le régime de la femme enceinte ne subitaucune modification au cours des neuf mois degrossesse. Il n'est pas rare de découvrir quenombre d'entre elles souffrent, sans qu'on lesache, d'anémie. Autre complication fréquentechez ces femmes : l'éclampsie puerpérale, toxé-mie de la grossesse qui entraîne souvent des con-vulsions accompagnées de coma. Les Malais sontpersuadés que les crises (en l'occurrence l'éclamp-sie) sont la manifestation d'esprits malins et quele seul moyen de s'en débarrasser est d'avoirrecours au bomoh (sorcier indigène). Les remèdesprescrits par le bomoh vont de la simple incanta-tion de prières à l'absorption de tisanes d'herbeset ont tous pour but de chasser les esprits ducorps de la femme atteinte. On imagine bien queces femmes finissent pour la plupart par aboutirà l'hôpital, mais, en général, trop tard pour quela médecine puisse agir efficacement.

Les sages-femmes de village sont incapablesde diagnostiquer les présentations anormalesd'un enfant à la naissance. Pour toute assistance,elles se contentent de comprimer l'abdomen de lafemme, ce qui risque de provoquer la mort foetaleet une rupture de l'utérus, suivies de la mort dela mère. Il n'est pas rare que certains enfantsnés vivants souffrent mentalement ou physique-ment des suites d'un travail d'accouchementpro-longé sans assistance médicale appropriée.

Les quarante-quatre jours qui suivent immé-diatement la naissance d'un enfant constituent la

"période de réclusion" durant laquelle "la femme,impure, est littéralement retenue prisonnièredans sa maison et ne peut se mêler aux autres,ni même être vue". Pendant cette période, sonrégime alimentaire consiste "seulement en uneécuelle de riz (bien pleine pour qu'elle ne soitpas tentée d'en redemander), un morceau de pois-son salé (seulement de certaines espèces) et dupiment. Résultat inévitable : elle est en mauvaisesanté chronique, souffre d'anémie et de paralysiepartielle ou d'ankylose des membres". Les désé-quilibres alimentaires, la mauvaise santé etl'ané-mie de la mère ne peuvent que se répercuter surle nourrisson surtout si elle l'allaite, ce qui estgénéralement le cas dans les zones rurales. Cerégime invariable et insuffisant peut en outreentraîner certaines complications lors d'autresgrossesses, surtout si elles sont rapprochées.Après les quarante-quatre jours d'isolement, lesmères de la campagne reprennent leur régimealimentaire habituel, c'est-à-dire la même ali-mentation que le reste de la famille. On ne pensemême pas à donner aux mères qui allaitent lemoindre complément d'alimentation.

Autres pratiques concernant les soins donnésaux enfants

A partir du jour de sa naissance, l'enfant estassujetti aux pratiques traditionnelles, bonnesou mauvaises. Il est tabou d'allaiter le nouveau-né avant le cinquième jour et, en tout cas, avantl'arrêt de sécrétion du colostrum. Au-delà ducinquième jour, l'enfant est nourri généralementà la demande et les mères continuent à l'allaiterpendant 18 mois, voire 2 ans. Au cours de la pre-mière semaine, on donne aussi à l'enfant du gruaude riz qu'on lui fait prendre à l'aide d'une espècede tétine en forme d'entonnoir, confectionnée dansune cotonnade. Il a également droit à des complé-ments alimentaires si le lait maternel est insuffi-sant. Le complément se compose généralementde lait concentré sucré. Certaines mères pauvreset ignorantes tentent de faire durer plus longtempsune bofte de lait concentré en délayant un peu delait dans beaucoup d'eau très sucrée, de sorte quece que l'on donne à l'enfant est une solution sucréelégère en lait.

Les Malais sont musulmans et observent doncle jeûne du Ramadan. Ils sont censés ne prendreaucune nourriture, un mois durant, du lever aucoucher du soleil. La grossesse, l'allaitement etla maladie dispensent les femmes du jeûne pendantcette période. Toutefois, elles sont tenues d'offrirréparation en jeûnant un nombre égal de jours endehors du Ramadan, lorsque leur état le permet.Mais la plupart des femmes de la campagne con-tinuent cependant de jeûner durant la période duRamadan et les femmes qui allaitent se plaignentsouvent de ce que leurs enfants n'ont pas assez

La présente étude a été spécialement conçuepour cette publication. Mary Huang et NafsiahOmar travaillent au Département de technolo-gie du foyer etde l'alimentation de l'UniversitéPertanian Malaysia, à Selangor, Malaisie.

33

Page 33: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

de lait et ont continuellement faim pendant le tempsque dure le jeûne.

Le moment où l'enfant apprend à marcher estune époque décisive de sa vie : on lui permetalors en général de choisir lui-même ses ali-ments et de manger seul. Les mets malais sontd'ordinaire très épicés et les enfants finissentsouvent par se nourrir simplement de riz agré-menté de la sauce d'un autre plat. Les Malaismangent traditionnellement avec les doigts, maiscette coutume est de nature à augmenter lesrisques d'infestation par les vers du fait que lesenfants qui jouent dehors se mettent directementà table après s'être simplement rincé les doigtsà l'eau froide. Il est fréquent qu'au moins unedes raisons indiquées ci-dessus soit cause d'unecarence alimentaire chez les jeunes enfants malais.

Les Malais croient que c'est Dieu (Allah) quifrappe les êtres de maladie et, par conséquent,que c'est aussi lui qui la supprime. C'est cetteattitude qui retient de nombreuses familles ru-rales d'avoir recours à la médecine en temps voulu.L'enfant est élevé au milieu de ces croyanceset de ces pratiques ; aussi n'est-il pas étonnantque le taux de mortalité infantile de la Malaisiesoit plus élevé à la campagne que dans les villes.

Les croyances et pratiques culturelles varientselon les lieux. Il serait faux de laisser le lecteursur l'impression que rien n'est fait face à cespratiques qui peuvent être nuisibles. Ces der-nières années, le gouvernement a mis en placeun certain nombre de programmes visant à amé-liorer la santé des populations rurales en géné-ral et des enfants en particulier. Ces programmescomprennent des projets de contrôle sanitairedans les écoles, des projets de nutrition appli-quée, des stages de formation pour enseigner lesméthodes d'accouchement aux sages-femmes quiopèrent traditionnellement dans les villages.

L'ALLAITEMENT EN DECLIN : EST-CEUNE QUESTION D'ARGENT, DE PARESSEOU D'EVOLUTION SOCIALE ? f1

Johanna T. Dwyer

Dans les pays en développement, l'allaitementest en régression. Et la très grande majoritédes populations en cause n'ont malheureusementpas les moyens de se procurer pour leurs nouveau-nés des aliments de remplacement sains et facilesà préparer. Il était fatal dans ces conditions queles cas de malnutrition se multiplient chez lesjeunes enfants, entraînant parfois leur mort, carles formules disponibles sont le plus souventinsuffisantes du point de vue alimentaire et for-tement contaminées au moment de la consommation.

Il est triste de constater en l'occurrence quel'histoire se répète. Le même phénomène se pro-duisit en effet, au début du siècle, aux Etats-Uniset en Europe occidentale, causant d'assez nom-breuses victimes parmi les enfants à l'époque.Pourquoi se reproduit-il donc aujourd'hui et com-ment peut-on y faire obstacle ?

Quatre facteurs ont contribué au déclin del'allaitement dans les pays du Tiers Monde : lapublicité et la commercialisation des aliments

tout préparés par les frabriquants et leurs agents ;les idées fausses que bien des parents ont héritéesou acquises au sujet de l'alimentation des nouveau-nés et qui peuvent devenir très dangereuses dansl'environnement nouveau de la ville ; l'indifférencede la profession médicale et paramédicale qui n'apas encouragé l'allaitement ou proposé des mesuresappropriées pour entraver son déclin; enfin, l'adop-tion par certains gouvernements de programmesde protection sociale mal conçus ou déficients.

De séduisantes campagnes publicitaires

Dans la plupart des pays en développement, raressont les habitants qui ont un revenu et un niveau devie comparables à ceux des nations nanties et hau-tement industrialisées. Une grande partie de lapopulation du Tiers Monde, particulièrement dansles zones urbaines, n'en est pas moins soumise àla pression sophistiquée, habile et convaincantedes mass média qui prônent l'utilisation de for-mules et d'aliments tout préparés pour les enfantsdu premier âge.

Trop souvent, cette publicité et cette commer-cialisation induisent le public en erreur, surtoutquand il s'agit des couches défavorisées de la na-tion, qui n'ont pas reçu d'instruction etquirisquentd'utiliser les produits nouveaux mal à propos. Ainsi,selon la publicité, certains produits seraient par-ticulièrement indiqués quand le lait de la mère estinsuffisant. Mais on se garde de préciser ce qu'ilfaut entendre par insuffisant.

Il est d'autant plus déplorable d'inciter les mèresde famille des pays en développement à penser queleur lait n'est pas aussi bon que tel ou tel produitque la plupart d'entre elles n'ont tout simplementpas les moyens de s'acheter le produit en question.Or, les pharmaciens et les commerçants quivendent ces aliments préparés reprennent souventles slogans de la publicité et se comportent en ex-perts dans l'alimentation des jeunes enfants.

Certes, les formules et les aliments préparésqui remplacent le lait de la mère ne sont pastoxiques. Mais leur danger vient de ce qu'on lesutilise mal à propos, ou en quantité insuffisanteen raison de la publicité ou de leur prix élevé. End'autres termes, la publicité et la commerciali-sation de ces produits sont mal adaptées, et c'estlà tout le problème, aux conditions de vie de laplupart des familles dans les pays en développement.

Pleines de bonnes intentions

Bien des mères dans les pays en développementsont malheureusement persuadées que si elles luichoisissent des aliments tout préparés, leur enfantse portera mieux. Les formules passent souventpour des médicaments puissants et non pas pourdes aliments. Aussi les mères les utilisent-ellesà faible dose, avec très peu d'aliments d'appoint.Si on ajoute à cela deux facteurs importants, àsavoir que dans les pays en développement, les

1. Paru dans Nouvelles de l'Unicef, Nations Unies,New York, n° 86, 1975. Avec l'aimable autori-sation de l'Unicef, (c) Unicef.

34

Page 34: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

besoins alimentaires des nouveau-nés sont malconnus, et que l'enfant en bas âge passe souventaprès les autres, on comprendra pourquoi la si-tuation est si dangereuse.

En outre, le milieu dans lequel grandissentles enfants des pays en développement manquesouvent totalement d'hygiène et la plupart desparents ignorent aussi bien les règles de Salu-brité que les soins à donner en cas de maladie.Il faut se rendre compte que bien des parents nevoient pas le rapport entre un défaut de crois-sance et une formule utilisée à mauvais escient.Ils ne savent pas davantage comment remédierà une situation de ce genre. Quand le nouveau-nétombe malade, on le met à la diète, ou même onle prive de toute nourriture dans le naïf espoird'étouffer la maladie. Il en résulte le plus sou-vent que l'enfant sous-alimenté devient encoreplus malade. La situation est très différentedans les pays évolués où l'utilisation de formulesne fait pas tort à la santé du nouveau-né et del'enfant.

Une certaine négligence

Manque d'intérêt, bêtise, ou légère négligence,le fait est que le personnel médical et paramé-dical, qui devrait conseiller et éduquer les mèresde famille en matière de nutrition, ne fait passon travail comme il le devrait. Certes, il nediffusera pas sciemment de fausses informations,mais de par l'influence qu'il exerce directementou indirectement sur les mères de famille, ilrisque de semer la confusion dans leurs esprits.

D'abord, les mères constatent que les mater-nités et les crèches ont généralement recoursaux aliments tout préparés pour nourrir les nou-veau-nés et cette pratique décourage l'allaite-ment. D'autre part, certaines d'entre elles s'ima-ginent à tort que la formule et le personnel quila vend font partie des services sanitaires offi-ciels. Aussi acceptent-elles volontiers les argu-ments naturellement favorables à l'allaitementau biberon qu'on leur présente. Le personnelmédical et paramédical ne se rend généralementpas bien compte de ce danger et ne se préoccupepas d'y faire obstacle.

Certains membres des services médicauxcommettent aussi l'erreur d'administrer descontraceptifs oraux à dosage si élevé qu'ils ra-lentissent la lactation. On pourrait cependantéviter facilement cet écueil puisqu'il existed'autres moyens de planifier les naissances touten préservant la lactation.

Même dans les cas où les méthodes de contra-ception adoptées sont différentes, les servicesmédicaux oublient parfois de redresser une erreurtrès répandue chez les mères de famille : beau-coup d'entre elles s'imaginent, à tort bien entendu,que l'allaitement est contre-indiqué chez lesfemmes qui pratiquent la contraception.

Malheureusement, les gens qui commercia-lisent les aliments tout préparés se manifestentbeaucoup plus auprès des mères de famille queles services officiels chargés de donner de pré-cieux conseils sur l'alimentation des nouveau-nés. Rares sontles membres du personnel médical

et paramédical qui s'intéressent vraiment à laquestion. D'ailleurs on manque tout bonnementde personnel de santé. Aussi les hygiénistes né-gligent-ils d'encourager l'allaitement et d'expli-quer pourquoi ce genre d'alimentation est essen-tiel pour la santé de l'enfant, tandis que les par-tisans des aliments préparés réussissent à faireprévaloir leur cause.

Fléaux sociaux et erreurs gouvernementales

L'urbanisation rapide et l'industrialisation ontmodifié les structures familiales et les conditionsd'existence. Ces changements ne sont pas toujoursbénéfiques, surtout dans les pays en développementoù les couches défavorisées des villes vivent entas-sées dans des taudis dépourvus de logements dé-cents, d'égouts et d'eau salubre, ainsi que d'ali-ments nourrissants et bon marché pour les enfantsdu premier âge.

L'allaitement est particulièrement difficile pourles mères qui ont un emploi. Il leur est générale-ment difficile sinon impossible de travailler touten s'occupant d'un enfant en bas âge.

Mais comme les femmes qui parviennent àtrouver du travail et à le garder après l'accou-chement sont relativement peu nombreuses dansles pays en développement, la disparition pro-gressive de l'allaitement tient manifestement àd'autres raisons. Elle s'explique notamment parl'attitude qui prévaut "en ville" à l'égard de l'allai-tement, considéré comme vieux jeu, primitif etpeu fait pour la vie urbaine.

Egalement néfaste est la tendance à souligneren ville les succès techniques et scientifiques.Cette tendance amène plus ou moins ouvertementles mères à penser que les aliments tout prépa-rés sont un progrès technique et représentent lasolution d'avenir. Elle pousse les mères de lajeune génération à rejeter les méthodes tradition-nelles qui sont souvent beaucoup plus indiquéespour l'alimentation des nouveau-nés.

D'autre part, les gouvernements prennent par-fois des initiatives malheureuses qui, sans qu'ilsle veuillent, sont nuisibles à l'allaitement. Ainsi,dans les années cinquante et soixante, bien despays adoptèrent des programmes de protectionsociale mal conçus, qui offraient gratuitement ouà très bon marché aux mères qui venaientd'accou-cher de la poudre de lait ou du lait condensé. Commeles mères qui allaitaient n'avaient souvent pas droità ces prestations, de nombreuses femmes en con-clurent qu'il ne rimeraità rien d'allaiter et de ne pasprofiter de cet "avantage11. Rares sontles gouverne-ments qui ont encouragé ou facilité l'allaitement.

Quelles sont les solutions ?

Il ne fait pas de doute que le déclin très net del'allaitement dans les pays en développement etla tendance à sevrer les enfants plus tôt a donnélieu à de nouveaux problèmes de santé. Dans cespays, les médecins signalent souvent des enfantsqui souffrent de malnutrition à un âge beaucoupplus bas qu'auparavant. Les nouveau-nés sont trèssensibles aux effets nuisibles d'une alimentationmal conçue et iln'estpas rare qu'ils en meurent.

35

Page 35: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

Néanmoins certains facteurs sont encoura-geants. Dans les pays occidentaux l'allaitement,qui était "passé de mode" depuis bien des années,est redevenu populaire au cours des dix dernièresannées aux Etats-Unis et dans beaucoup de paysd'Europe. Certains pays fortement industrialisés,comme la Norvège, les pays d'Europe orientaleet l'URSS, n'ont jamais abandonné l'allaitement.La régression actuelle dans les pays en dévelop-pement n'est donc pas fatale.

La meilleure solution consiste à prendre dèsle début des mesures préventives. Plusieurs ins-titutions des Nations Unies dont l'Unicef ont faitdes enquêtes pour essayer de préciser les causeset les caractéristiques du déclin de l'allaitementde façon que les pays qui ne connaissent pasencore ces difficultés puissent les éviter.

En attendant le résultat de ces enquêtes, ilimporte que les gouvernements, le personnelmédical et paramédical, les médias et le publiclui-même connaissent les avantages de l'allaite-ment. Il faut aussi qu'ils soient au courant desmultiples précautions à prendre pour éviter lesdangers que les aliments tout préparés peuventprésenter dans les milieux défavorisés. On aideraainsi les mères de famille à doter leurs nouveau-nés d'une constitution plus solide et à les prépa-rer à une vie plus saine, plus longue et plusproductive.

LES TROUBLES DE LA CROISSANCECEREBRALE SONT-ILS IRREVERSIBLES ? f1

Jack Tizard

II est connu depuis longtemps que la nutrition del'enfant produit des effets durables sur sa crois-sances physique. Les améliorations apportéesau régime d'alimentation depuis 100 ans ont donnélieu à une augmentation marquée de la taille desêtres humains, même dans les sociétés industria-lisées, et la taille moyenne des Européens de sexemasculin s'est accrue d'environ 2, 5 cm par géné-ration (2 5 ans) dans cette période. Cependant, lesrégimes alimentaires restent différents selon lesclasses sociales ; les enfants de parents pauvressont en moyenne plus petits que ceux de parentsriches, et ces différences persistent à l'âge adulte.

Dans bien des pays qui se trouvent encore àl'ère préindustrielle, la grande majorité de lapopulation est mal nourrie et par conséquent depetite taille. Dans beaucoup de ces pays, la crois-sances est relativement normale jusqu'à lanais-sance et durant les six premiers mois de la vie,mais elle se ralentit au bout de ces six mois et deplus en plus pendant la deuxième et la troisièmeannée. Par la suite, l'enfant peut retrouver untaux de croissance normal, mais les déficits dupremier âge ne sont jamais comblés, de sortequ'il deviendra en définitive un adulte de relati-vement petite taille.

La dénutrition a naturellement d'autres con-séquences immédiates et graves en ce qu'elleaugmente la vulnérabilité aux infections en affai-blissant la résistance de l'organisme aux mala-dies. On trouve chez les animaux mal nourris(y compris l'homme) des taux de morbidité et de

mortalité plus élevés à tous les âges, mais plusparticulièrement durant l'enfance, et les effets -de la dénutrition sur le bien-être, comme sur lasanté, sont profonds.

La poussée de croissance du cerveau

Le cerveau, comme les autres parties du corps,a besoin d'être nourri pour se développer et, cesdernières années, les travailleurs scientifiquesse sont trouvés de plus en plus préoccupés desconséquences possibles à long terme de la mal-nutrition sur le développement du cerveau et surcelui des processus nerveux et mentaux d'ordresupérieur qui constituent les fonctions du cerveau.Des études menées en laboratoire sur des animauxet les autopsies d'enfants morts d'accidents nousont beaucoup appris sur le développement du cer-veau ; mais la relation entre ce développement etcelui de l'état psychologique est beaucoup moinsbien comprise.

Considérons d'abord le développement du cer-veau. Dans toutes les espèces animales, y com-pris l'homme, il se produit dans le tout jeune âge,procède avec rapidité et s'achève pratiquementà la fin de la première enfance. Chez l'homme,cette "poussée de croissance" débute dans lestrois derniers mois de la période prénatale et sepoursuit pendant les 18 à 24 premiers mois de lavie. A la naissance, le cerveau atteint déjà25pourcent de son poids final, et le pourcentage s'élèveà près de 50 pour cent dès le sixième mois. Lepoids total du corps à la naissance ne représentepar contre qu'environ 5 pour cent du poids du jeuneadulte, et le seuil des 50 pour cent de ce poidsn'est atteint que par l'enfant de 10 ans.

La place dans le temps de la poussée de crois-sance du cerveau est déterminée par des facteursgénétiques et, si ce processus n'intervient pasdurant une certaine période critique (qui varieselon les espèces), aucun "rattrapage" n'est pos-sible par la suite. Comme le cerveau est l'organede l'intelligence, cette période critique du pre-mier âge à laquelle doit se situer sa poussée decroissance joue un rôle capital pour tout l'avenirde l'enfant.

Pour autant qu'on le sache, le cerveau des ani-maux de toutes les espèces est bien protégé contreles effets les plus violents de la malnutrition,même durant la période de la poussée de croissance.Les animaux affamés ou mal nourris durant l'en-fance peuvent fort bien avoir un physique amoindripar rapport à celui des sujets bien nourris d'unemême portée, mais un examen superficiel ne dé-cèlera pas entre eux de différences notables d'as-pect du cerveau. Par contre, un examen plus atten-tif révélera qu'une dénutrition même légère pen-dant toute la durée de la poussée de croissance ducerveau influe sur la dimension, le poids, la struc-ture, le nombre de cellules et la composition chi-mique de cet organe. Il s'agit là d'effets non ré-versibles, même si l'animal reçoit par la suite unealimentation bien équilibrée et de bonne qualité. En

1. Paru dans Santé du monde p. 10, 12 et 14.(Genève), février-mars 1974.

36

Page 36: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

fait, ces conséquences persistent toute la vie. Si,par contre, l'animal est bien nourri pendant lapériode de son développement et mal nourri parla suite, les effets de cette malnutrition sur lecerveau sont légers et peuvent être intégrale-ment réversibles.

Voilà donc les constatations qu'il a été permisde faire concernant la malnutrition.chronique du-rant la poussée de croissance du cerveau. Maisque se passe-t-il par contre lorsque l'animalsouffre de malnutrition grave, ou même modéréependant une partie seulement de cette période ?Les éléments d'appréciation sur ce point ne per-mettent pas de tirer de conclusions. Il paraîtprobable qu'un rattrapage est possible, mais qu'ilne sera pas nécessairement total. Cependant,cela .dépend pour beaucoup du moment, de la gra-vité et de la durée du phénomène de malnutrition,ainsi que des mesures prises par la suite pourtenter de ramener l'animal sous-alimenté à sonétat normal.

Les vitesses de développement et le placementdans le temps de la poussée de croissance du cer-veau diffèrent beaucoup selon les espèces animales,de sorte qu'on ne saurait guère se livrer qu'à desgénéralisations très approximatives au sujet dudéveloppement du cerveau. Cependant, tout porteà penser que le cerveau humain ne diffère pas decelui d'autres animaux du point de vue étalementdu développement ni de celui de la vulnérabilitéà la malnutrition, à la maladie et à d'autres lé-sions durant la période de développement accéléré.

Malnutrition et comportement

Chez toutes les espèces, mais plus particulière-ment encore chez l'homme, le cerveau est unorgane extrêmement complexe. A notre connais-sance, il contient un nombre de cellules beaucoupplus élevé que n'en aurait effectivement besoinl'animal pour exercer les activités courantes del'existence et même pour mener avec succès desactivités correspondant à un niveau d'"intelligence"élevé. Et, à l'intérieur de chaque espèce, il n'ya guère de corrélation entre d'une part le poidsou le nombre des cellules du cerveau, et d'autrepart l'intelligence ou le succès d'adaptation ducomportement, pour autant qu'on puisse les me-surer. De plus, un très grand nombre de cellulesdu cerveau peuvent se trouver détruites sansguère de conséquences pour le comportement(encore que les effets des lésions cervicales dé-pendent de l'emplacement de ces lésions). Ilexiste de toute évidence une certaine relationentre la structure anatomique et chimique du cer-veau et son fonctionnement, mais cette relationn'est pas simple, et les animaux mal nourris,aux cerveaux de dimensions inférieures à la nor-male, peuvent ne manifester que des déficiencestrès minimes du comportement, à supposer mêmequ'on puisse en démontrer l'existence.

Chez l'homme, la malnutrition ne se constate,à quelques exceptions près, que chez les enfantsde ménages très pauvres. Il est donc particuliè-rement difficile de faire la part des effets spéci-fiques d'une mauvaise alimentation et des effetsconcomitants des autres insuffisances dont souffrent

également la majorité des enfants de ménagespauvres : conditions d'existence extrêmementinférieures à la normale, incidence exceptionnel-lement élevée des maladies et des états patholo-giques mineurs mais débilitants, milieu familialn'apportant parfois aucun stimulant intellectuel,ou encore peu satisfaisant à d'autres égards surle plan social et affectif. Cependant, des étudesréalisées en Amérique latine, dans les Antilles,en Europe, en Afrique et en Inde donnent un aper-çu général de ce qui se produit quand de jeunesenfants souffrent de dénutrition chronique, voirede malnutrition clinique grave qui se manifestesous la forme de marasme (provoqué par la quasi-inanition) ou de kwashiorkor (en gros, la consé-quence d'une carence protéino-calorique grave).Le compte rendu sommaire de quatre études re-présentatives permettra d'exposer en bref com-ment les interactions entre la malnutrition etd'autres facteurs nocifs de l'environnement re-tardent la croissance et le développement.

L'une des études les plus approfondies et lesmieux documentées que l'on connaisse est celleà laquelle procèdent le professeur Joaquim Cra-vioto et ses collègues de la division de recherchede l'Hospital del Nino à Mexico, qui, depuis huitans, effectuent une enquête longitudinale pousséeportant sur tous les enfants nés dans une agglomé-ration rurale du sud-ouest du Mexique en 1966.

Sur 300 enfants nés dans ce village en 19 66,22 ont souffert de malnutrition clinique graveavant l'âge de 5 ans, bien que leurs famillesaient reçu des conseils (qu'elles n'ont pas suivis)et pu bénéficier d'un traitement médical. Un seulde ces enfants a souffert de malnutrition cliniquedès avant son premier anniversaire, et quatreseulement après avoir atteint trois ans. Les dix-sept autres ont passé le cap de la malnutritiongrave durant la deuxième ou la troisième année.

Cravioto et ses collègues ont comparé les enfantssouffrant de malnutrition et leurs familles avec lereste des enfants nés dans le village à la mêmeépoque et avec les enfants que l'on pouvait consi-dérer comme homologues des enfants mal nourris,d'après la durée de gestation, la taille et le poidsà lanaissance. Ils ont également tenu compte d'autresfacteurs qui permettaient de faire la différenceentre les enfants souffrant de malnutrition et lesenfants témoins avant l'apparition de la malnutri-tion. Puis ils ont étudié le développement ultérieurde tous les enfants du village afin de déterminerles relations entre la croissance et le développe-ment du premier âge d'une part et ceux de la pé-riode suivante d'autre part.

Ces chercheurs ont constaté des différences àla fois entre les enfants souffrant de malnutritionet les témoins, et entre les familles des uns etdes autres. Ces familles ne différaient entre ellesni par la situation économique, ni par le degréd'hygiène personnelle, ni par le degré d'instruc-tion ou d'éducation. Les parents des deux groupesne différaient pas non plus par la taille, le poids,l'âge ou le nombre d'enfants. Par contre, leurscaractéristiques de micro-environnement ayantune influence sur les enfants accusaient des diffé-rences très notables. Cravioto s'est penché surdes problèmes tels que la fréquence et la stabilité

37

Page 37: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

des contacts entre enfants et adultes, la fréquencedes conversations, le matériel de jeu mis à la dis-position des enfants, et la gamme des possibilitésd'expérience offertes à l'enfant. Même à six mois,alors que seul un des enfants qui devaient plustard souffrir de malnutrition a commencé à accu-ser des signes de ralentissement de la croissance,les familles des "témoins" assuraient déjàun cli-mat familial bien meilleur. Un quart des foyersd'enfants qui ont souffert de malnutrition par lasuite ont obtenu une note inférieure à celle attri-buée à n'importe quel foyer d'enfants témoins,et près de la moitié ont obtenu (sur la base d'uneéchelle de "stimulation familiale") des notes infé-rieures à celles de toutes les familles du groupetémoin sauf une. Ces différences ont persistéavec le temps. Ainsi l'étude a-t-elle démontréque les facteurs du milieu familial influencentprofondément le développement de l'enfant, mêmeà l'intérieur d'un groupe social aux conditions devie très homogènes, vues de l'extérieur.

Qu'en est-il du développement de l'enfant,avant et après un épisode de malnutrition grave ?Il a été démontré que les,enfants qui ont accusépar la suite de la malnutrition ne différaient pasdes autres enfants nés à la même époque par lacroissance et le comportement précoces. Parcontre, les retards des progrès de l'expressionverbale se manifestaient déjà de façon frappanteavant que la malnutrition ne provoque des symp-tômes cliniques. Et lorsque ces enfants ont re-levé de la malnutrition clinique, ils sont restés enretard sur les enfants témoins pour ce qui est duprogrès de l'expression verbale et sur d'autrespoints. Ce retard du développement ne sauraits'expliquer simplement par l'indigence de l'en-vironnement social et matériel ; il paraît aussilié à la croissance physique ultérieure de l'enfant.

Jusqu'à quel point peut-on guérir d'une malnu-trition clinique ? Une vaste étude destinée à appor-ter une réponse à cette question a été réalisée en1970 à la Jamaïque. Les sujets étudiés étaient 74garçons de 6 à 11 ans, hospitalisés dans la pre-mière ou la deuxième année de vie en raison d'unemalnutrition clinique. Tous avaient guéri, clini-quement, et ont été examinés plusieurs annéesplus tard, une fois arrivés à l'âge d'admission àl'école primaire. On a également étudié les frèresdes enfants mal nourris, aux mêmes fourchettesd'âge et, dans le cas de chaque enfant sous-ali-menté, le garçon de la même classe dont l'âgeétait le plus proche de celui du sujet. Les ensei-gnants ont été interrogés, de même que les mèresà leur foyer.

Il a été constaté que les enfants qui avaient souf-fert de malnutrition et étaient sortis de l'hôpitalaprès guérison clinique différaient par presquetoutes leurs mensurations des enfants témoins. Ilsétaient en moyenne plus petits et moins lourds etavaient de plus petites têtes. On y trouvait une plusforte proportion d'enfant retardés intellectuellementet sur le plan de l'éducation. Ils avaient moins d'amisparmi leurs condisciples et étaient plus souvent con-sidérés par les enseignants comme amorphes et ti-mides etpar leurs mères comme dociles et réservés.Leurs frères partageaient certaines de ces caracté -ristiques, mais pas toutes, et à un bien moindre degré.

Là encore, il a été constaté un degré étroitde corrélation entre le développement intellec-tuel de l'enfant et le type de foyer dont il étaitissu. Les enfants témoins dont la notation selonl'échelle de stimulation familiale se situait au-dessus de la médiane avaient un quotient intellec-tuel (Q. I. ) moyen de 71, et les autres un Q. I.moyen de 61. Les enfants qui avaient souffertdemalnutrition et étaient notés au-dessus de la mé-diane selon l'échelle de stimulation intellectuelleavaient des Q. I. moyens de 63 et les autres desQ. I. moyens de 53 seulement. Ainsi, les Q. I.moyens des enfants atteints de malnutrition vivantdans un climat de bonne stimulation intellectuelleétaient semblables à ceux des enfants non atteints

de malnutrition en milieu de stimulation intellec-tuelle jnédiocre ; les enfants de ces deux groupesaccusaient cependant en moyenne des caractèresintellectuels sensiblement inférieurs à ceux desenfants sans malnutrition venus de foyers où lastimulation intellectuelle était bonne et étaientsensiblement plus doués que les enfants atteintsde malnutrition et appartenant à des foyers où lastimulation intellectuelle était médiocre. Cesobservations concordent avec celles de Cravioto ;elles dénotent qu'une bonne stimulation intellec-tuelle au foyer ejt une bonne nutrition sont l'uneet l'autre importantes pour le développement yintellectuel et qu'elles continuent toutes deux àexercer une puissante influence sur le développe-ment durant toute l'enfance. Un climat familialrelativement bon contribue à compenser le dom-mage provoqué par la malnutrition durant la pre-mière enfance, mais - tout au moins dans les li-mites relativement étroites de l'environnementétudié dans le cas particulier de la Jamaïque -les effets de la malnutrition restent encore ma-nifestes dans l'enfance plus avancée.

Parmi les nombreuses études des effets desappoints alimentaires sur la croissance et ledéveloppement des enfants, celle à laquelle leDr Chavez et ses collègues procèdent dans unautre village mexicain mérite d'être mentionnée.Chavez s'est procuré des renseignements détailléssur le développement d'un petit groupe d'enfantsde ce village, puis, dans le même village, il aorganisé l'alimentation d'appoint des femmesenceintes en premier lieu et ensuite des mêmesfemmes et de leurs nourrissons. Les résultatsobtenus ont été très spectaculaires. Les enfantsainsi alimentés en supplément ont grandi plus viteet se sont développés plus rapidement que ceuxd'un groupe témoin. Ils dormaient moins, pas--saient plus de temps hors de leur berceau, par-laient et marchaient plus tôt, étaient plus vigou-reux dans leurs activités ludiques et avaient da-vantage tendance à prendre la direction des jeuxavec leurs frères, leurs soeurs et leurs contem-porains par l'âge. Comme ils étaient précoces,sains et vifs, ils retenaient davantage l'intérêtde leurs parents qui les considéraient avec plusd'égards. C'est pourquoi ils étaient plus entourésque les autres enfants du village, ce qui augmen-tait le succès d'adaptation de leurs comportements.En d'autres termes, ces enfants ont eux-mêmesapporté à leur environnement social des modifica-tions qui ont contribué à leur propre développement.

38

Page 38: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

Cette étude, comme celles qui ont été analy-sées plus haut, montre qu'il existe des rapportscomplexes entre le milieu social et le milieu ma-tériel de l'enfant, sa nutrition, sa croissance etson développement. Elle met aussi l'accent surun facteur additionnel qui modèle la situation, àsavoir l'enfant lui-même, agent actif qui influesur son environnement au même titre qu'il estinfluencé par lui.

La famine des Pays-Bas

Comme on l'a déjà signalé, la restriction du ré-gime alimentaire pendant une partie seulementde la période de croissance accélérée du cer-veau n'a pas nécessairemment d'effets durables,si les conditions de nutrition avant et après cettepériode de restriction sont bonnes. Des preuvesà l'appui de cette assertion sont apportées nonseulement par des études d'animaux mais aussipar celle des survivants de la famine qui a régnéaux Pays-Bas de 1944 à 194 5. Cette famine avaitété provoquée par les restrictions aux transportsimposées à la Hollande par les autorités d'occu-pation durant les derniers mois de la guerre. Ellea été sévère et a duré six mois. Avant et aprèsla famine, la population n'a pas souffert de mal-nutrition grave.

Pratiquement tous les survivants mâles, par-mi les enfants nés durant la famine, ont été exa-minés à l'âge de 1 9 ans, à l'époque du conseil derévision, et les observations faites à cette occa-sion ont été analysées avec soin par une équipede l'Université de Columbia de New York, en col-laboration avec les autorités néerlandaises.

Les résultats de cette étude peuvent être re-latés en peu de mots : il n'a été possible de dis-cerner aucune augmentation du degré d'arriéra-tion mentale ou physique chez les jeunes hommesde 19 ans nés dans les régions frappées par lafamine, qui ne différaient pas non plus en intel-ligence d'autres enfants, soit nés dans d'autresrégions des Pays-Bas à la même époque, soitconçus après la famine. Cependant, avant d'entirer la conclusion que la famine n'a eu aucuneconséquence, il convient de noter que le taux denatalité a très fortement baissé pendant la pé-riode de famine, et en second lieu que le poidsmoyen à la naissance des survivants n'était pasanormalement bas, bien qu'il fût inférieur à celuides bébés hollandais nés avant ou après la famine.Les résultats de l'étude confirment que le foetusest hautement protégé dans le sein de sa mère etque les jeunes enfants peuvent récupérer des effetsd'une adversité subie dans le très jeune âge àcondition qu'elle ne se prolonge pas. Cependant,nul ne saurait, à partir des résultats de cetteétude effectuée aux Pays-Bas, se livrer à desgénéralisations valables pour d'autres régionsou d'autres populations.

Conclusions

Le cerveau se développe rapidement chez le nour-risson et durant la première enfance, et il estparticulièrement vulnérable alors aux effets dela malnutrition. Les études prolongées d'enfants

hospitalisés en raison d'une grave malnutritionclinique pendant la première ou la deuxième annéede la vie font apparaître que les effets de la mal-nutrition persistent ; leurs conséquences pour lacroissance et l'évolution du comportement sonttoutefois influencées beaucoup par la qualité dumilieu où ces enfants sont élevés.

Des études portant sur les animaux font appa-raître qu'une alimentation insuffisante pendant lapériode de croissance accélérée du cerveau pro-duit des effets irréversibles sur cette croissance.Toutefois, il n'existe pas de relation simple entrela structure du cerveau et le comportement et, siles animaux ayant souffert de malnutrition dansl'enfance grandissent dans un milieu "stimulant",leur comportement et leur adaptabilité ne différe-ront pas nécessairement de façon notable de ceuxd'animaux bien nourris, encore qu'ils puissentêtre plus facilement affectés par une modificationde leur environnement et moins adaptables à lanouveauté. Il n'est pas possible d'affirmer, avecquelque certitude que ce soit, la façon dont lesêtres humains sont affectés par des conditions decette nature ; dans les pays en voie de développe-ment, les enfants sous-alimentés vivent égale-ment dans des conditions matérielles excessive-ment médiocres, et d'ordinaire aussi dans un mi-lieu social qui ne leur apporte aucune stimulationintellectuelle.

Dans l'ensemble, les éléments d'appréciationdont on dispose font ressortir la grande impor-tance que revêtent, pour le développement du cer-veau, la vie intra-utérine et les deux premièresannées de l'enfance. Cependant, l'enfance toutentière joue un rôle important dans le développe-ment, et la nutrition contribue avec l'éducationau développement de l'intelligence de l'enfant.

SANTE MENTALE ET VIE DE FAMILLE/1

Jack H. Kahn

Tout individu vient s'insérer à sa naissance dansune famille, comme il s'insère dans la société.La famille où il prend place a déjà une certaineforme avant même sa naissance. Elle le modèle,il contribue à son individualité et il arrive mêmeparfois qu'il en modifie à certains égards le ca-ractère. La société est faite par les êtres humains,et elle fait également les hommes. Elle procuredes avantages et elle impose certaines conditionsafin de sauvegarder sa propre existence. La fa-mille est la première société dont l'être humain,quel qu'il soit, peut prendre conscience. Symbo-liquement, elle représente la société en miniature,et, dans la réalité, elle agit tout particulièrementpour ce qui concerne les jeunes, en tant que re-présentant déclaré de l'ensemble de la collectivité.

Or, la société manque d'uniformité et d'homo-généité. On y rencontre des groupes différents quise superposent marginalement et qui se concertentou s'opposent dans l'action. Les mêmes individuspeuvent, à des époques différentes et dans des

1. Paru dans Santé du monde, p. 8, 10, 11, 12et 15. (Genève), février-mars 1973.

39

Page 39: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

desseins différents, se constituer en groupesprofessionnels, de loisir, à vocation culturelle,de caractère local, en groupes de classe, ouencore en groupes politiques nationaux ou inter-nationaux. Par ailleurs, les aspects sous lesquelstel ou tel individu peut se considérer commemembre d'un groupe familial sont eux-mêmesdifférents, bien que ces différences apparaissentmoins à l'évidence.

Selon les descriptions classiques, la familleest créée par la naissance d'un enfant. Les pa-rents de l'enfant ont la responsabilité de son dé-veloppement et de son bien-être, et la familleconstitue la matrice au sein de laquelle l'enfantgrandit. Il serait toutefois tout aussi exact de direque l'enfant crée la mère et le père. La femmequi devient mère franchit une nouvelle étape deson propre développement. La paternité ne cons-titue pas moins une étape critique du processusd'accession à la maturité chez l'homme, maiscet aspect de l'évolution a été moins analysé dansla littérature scientifique ou dans les interpréta-tions des dramaturges et des poètes. Il n'en de-meure pas moins vrai que paternité et maternitésont l'une et l'autre des étapes du développementde l'être humain qui ne peuvent être franchiesqu'avec la venue au monde d'une générationnouvelle.

Au sens abstrait, la famille existe aussi dansl'esprit de chaque individu. En effet, le dévelop-pement de l'être humain se compose d'une sériede rôle successifs qui prennent leur significationà l'intérieur du cadre familial. A la premièreenfance succède l'enfance, durant laquelle se fontsentir les influences de l'éducation. Au momentde l'adolescence, l'enfant arrive à la puberté, ilpeut entretenir des relations sexuelles et, aprèsla transformation idéalisée de l'adolescent enadulte, l'état matrimonial approuvé dans le contexteculturel de la communauté est considéré commele but à atteindre, bien que dans de nombreux casil l'ait déjà été. La procréation de la générationsuivante donne lieu à la constitution d'une nouvellefamille.

L'étude de la famille axée sur l'individu pré-suppose l'existence d'un individu purement concep-tuel, qui passe par des étapes distinctes de l'exis-tence durant lesquelles son rôle et son statut sontdéfinis avec précision. Dans la réalité, toutefois,ce rôle et ce statut dépendent du lieu et du momentparticuliers de telle ou telle interaction entre plu-sieurs individus. Il se peut qu'un homme soit pèredans une famille et enfant dans une autre, c'est-à-dire le père de son enfant, l'époux de sa femme,l'enfant de ses père et mère, et le frère de sesfrères ou de ses soeurs, s'il en a. Il n'est doncpas étonnant que l'individu conçoive parfois sesdifférents rôles dans une certaine confusion. Desliens plus dilués encore le rattachent à des proches,et les réseaux des relations familiales et socialess'enchevêtrent. Les limites de la structure fami-liale évoluent d'ailleurs dans un même groupe depersonnes selon les circonstances. Il nous fautdonc nous préparer à constater et à concilier desconflits et des incohérences.

L'acte de foi

Le travailleur social qui s'occupe des familles entant qu'ensembles organisés a besoin de fonderson action sur une infrastructure scientifique.L'homme de science qui étudie les interactionsfamiliales se trouve placé devant une difficulté,du fait que le thème de sa profession est l'expé-rience commune de chacun des membres de lacommunauté. Chaque individu est expert à com-prendre les pensées et les sentiments des autres.Chacun est disposé à prédire ce que d'autres fe-ront et, comme il n'a pas besoin de formuler sesprédictions en des termes précis, il ne se rappel-lera vraisemblablement pas les cas où il se seratrompé. L'homme de science, au contraire, estlimité par les règles de sa discipline et sait queles résultats qu'il obtiendra ne sont applicablesque dans un contexte bien déterminé. De plus,dans le domaine des relations humaines, il n'estpas seulement confronté avec des générations po-pulaires ; en effet, il ne peut pas non plus se dis-socier complètement du sujet de son étude, commeil le ferait dans le domaine des sciences physiques.En tant que membre d'une famille, il subit lui-même les influences d'interactions familiales pas-sées et actuelles. Il lui fait assumer la charge desa personnalité et des expériences personnellesqui ont précédé ou accompagné sa formation pro-fessionnelle. Il faut se rappeler que tout profes-sionnel, même lorsqu'il agit dans le cadre de saprofession, est imprégné de tout ce qu'il a apprisen dehors de sa propre discipline. Il nous faut parconséquent nous préparer à reconnaître à tout mo-ment la justification, ou l'absence de justification,de nos actions.

L'étude de la famille repose sur le postulatque nos pensées, nos sentiments et nos compor-tements peuvent avoir un sens, même lorsqu'ilssont désordonnés. Il s'agit d'une applicationparticulière de l'acte de foi sur lequel reposetout travail scientifique, à savoir que l'universest compréhensible. Ce postulat est impossibleà prouver, et c'est pourquoi nous le qualifionsd'acte de foi. Mais, sans lui, nous ne tenterionsmême jamais d'essayer de comprendre le mondematériel et le monde vivant. Ce fut une innovationque d'appliquer le même postulat aux penséesapparemment irrationnelles et aux comportementset sentiments perturbés qui se manifestent dansla maladie que nous en sommes venus à qualifierde mentale. Il nous a fallu poser un certain nombred'hypothèses additionnelles avant de pouvoir effec-tivement attribuer un certain sens à quelques-unesde nos expériences mentales. Il nous a fallu pos-tuler que la vie de l'esprit présente des compo-santes inconscientes aussi bien que des compo-santes conscientes et que les composantes incons-cientes peuvent entrer en conflit avec les proces-sus mentaux dont nous avons conscience ou quenous sommes prêts à reconnaître comme émanantvéritablement de nous. Savoir qu'il existe simul-tanément des impulsions opposées les unes auxautres constitue la clé de la compréhension de lavie mentale de l'individu bien portant ou malade.L'ambivalence, ou expérience simultanée de l'amouret de la haine pour la même personne ou pour le

40

Page 40: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

même objet, constitue le fondement de la vieaffective. La tolérance de l'ambiguïté et du coupleamour-haine devient indispensable à tous les pro-fessionnels qui s'intéressent à l'aspect affectif dela vie humaine.

Il faut accepter des postulats analogues concer-nant la structure vivante de la vie familiale. Cequi s'applique à l'individu peut également s'appli-quer, tout au moins sur le plan figuratif, à toutun groupe. Le thème devient ici parallèle à celuide l'ambivalence individuelle, il s'agit d'un con-flit d'interactions, de l'opposition entre le désir(et la nécessité) d'être réunis matériellement eten esprit et le désir (et la nécessité) de s'érigeren êtres distincts et individualisés. Il s'agit doncdu conflit entre le désir d'affirmer son identitépropre et celui d'être pris en charge et de trou-ver la sécurité.

L'importance de ce thème que constitue l'oppo-sition permanente entre individualité et dépen-dance peut être mesurée par l'intensité de toutdébat, que ce soit dans le domaine scientifiqueou: dans le domaine populaire, qui porte sur l'undes thèmes où interviennent ces processus. Lesmères de jeunes enfants doivent-elles prendre untravail à l'extérieur ? Dans quelles circonstancesles enfants doivent-ils être "pris en charge'1 ?Quelles sont les responsabilités des services so-ciaux à l'égard des enfants "pris en charge" ?Devons-nous avoir des garderies ou des jardinsd'enfants, et à l'intention de quels enfants ? Aquel âge l'enseignement doit-il devenir obliga-toire ? Quelles sont les causes de l'absentéismeque l'on désigne sous le nom de "phobie de l'école" ?Est-il bon de mettre les enfants en pension ? Lesenfants doivent-ils être admis en solitaires àl'hôpital? On parle moins des questions qui sontliées à l'absence des pères au foyer et à leuréloignementdes enfants ; quels sontles problèmesspéciaux des pères que leur emploi oblige à voyagersur de longues distances ou à vivre loin du foyer ?

On entend aujourd'hui par séparation ce que res-sent l'enfant lorsque sa mère estabsente par suitede décès, de maladie, d'abandon de foyer ou de défi-cience, ou lorsque l'enfant lui-même est retiré à samère, soit pour raison de maladie, soit pour luiassurer des soins qui conviennent mieux à son état.Mais ici se pose la question de savoir quels sontles résultats de cette séparation pour la mère,pour le père et pour les autres enfants au foyer.

Dans l'analyse de toutes ces questions, la "sé-paration" est-elle considérée comme un processusisolé et peut-être définitif? En envisageons-nousseulement les effets du point de vue de l'enfant?

La séparation constitue un volet d'un doubleprocessus et elle ne se produit pas une fois seu-lement dans la vie, mais constitue un élémentfondamental de toute relation entre êtres humains.L'union avec autrui, conjuguée avec la recherched'une identité distincte, constitue le double pro-cessus de l'existence à l'intérieur d'un groupematrimonial ou familial.

Les rapports familiaux évoluent

Aucune famille ne commence à proprement par-ler à partir de rien. Les parents de tout enfant

nouveau-né ont déjà, avant cette naissance, desliens familiaux complexes auxquels viennent s'ajou-ter les relations nouvelles qui les lient l'un àl'autre ainsi qu'avec l'enfant qu'ils vont avoir.L'enfant est d'abord un fait imaginé, bienvenu ounon, avant de devenir une réalité. Même dans leurspropres enfances, le père et la mère s'étaientdéjà vus en imagination jusqu'à un certain pointdans leur rôle de parents. La mère et le père sefont une image de leur futur enfant et du rôle qu'ilsjoueront dans sa vie. Cette image peut n'avoiraucun rapport de réalité avec l'enfant, et la tra-gédie, dans le cas de certains enfants et de cer-tains parents aussi, est qu'il est difficile de re-noncer à l'image pour affronter la réalité. Il arriveparfois que l'enfant réel se pare plus rapidementd'une identité distincte que l'enfant imaginaire, ouaussi, s'il s'agit d'un enfant handicapé, que sonétat de dépendance persiste jusqu'à un point oùlesparents ne peuvent plus y faire face avec leurspropres ressources.

Il existe, dans le développement de chaqueindividu, des étapes où l'équilibre des relationsse modifie et où l'être humain doit procéder à denouveaux ajustements. Chaque enfant a, dès sanaissance, ses propres capacités et ses propreslimitations et, s'il survit, son milieu lui apportetoujours quelque chose. Ses capacités deviennentréalisations. Ses limitations acquièrent le carac-tère de défauts. Nous pouvons mesurer les pro-grès de chaque enfant en fonction de ce que l'onconsidère comme normal en admettant qu'il existecertaines normes qui sont considérées comme uni-verselles chez l'homme en général, et d'autresnormes qui se rattachent à une culture particu-lière et qui diffèrent selon la région et selon lespeuples, en fonction de la race, de la religion oude la classe sociale. Le sentiment de solitude,l'isolement, la privation, la séparation et le rejetsont des ternies que nous pouvons appliquer à cer-taines anomalies du développement humain.

Il nous appartient de considérer ces termes etd'examiner comment chaque enfant, avec son po-tentiel non partagé de développement, peut béné-ficier des apports extérieurs optimaux, et ilfau-dra-aussi noter les cas où l'enfant est privé desapports nécessaires qui devraient lui venir del'extérieur.

Nous avons accumulé notre connaissance desnormes du développement humain parce qu'il nousa fallu étudier ce que l'on considérait comme insa-tisfaisant, dans l'espoir de le rendre plus satis-faisant. L'étude de l'anatomie et de la physiologie,c'est-à-dire de la structure et des fonctions dutissu humain, a été entreprise principalementdans le dessein de découvrir des éléments de basepermettant de déterminer les altérations patholo-giques en cas de maladie somatique. A cette étudeest venue s'ajouter aujourd'hui celle de la vie men-tale et de la vie sociale, afin de découvrir desnormes avec lesquelles comparer les pensées,les sentiments et les comportements considéréscomme anormaux.

Les moyens nécessaires du développement del'enfant lui sont généralement offerts par sa fa-mille, par son père et sa mère, mais la sociétés'est peu à peu organisée selon des modalités qui

41

Page 41: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

complètent et parfois remplacent ces soins fami-liaux. La famille dans laquelle le père et la mèresont présents peut apporter à l'enfant ce dont ila besoin, lui faire connaître les restrictions auxcomportements sociaux que la collectivité, oùl'enfant grandira par la suite, s'attendra à voirrespecter par lui, et peut également lui offrirdes modèles des rôles dévolus sur le plan sexuelà l'homme et à la femme adultes. Les parentsne sont pas les seuls d'ailleurs à assumer cettetâche. Ils y sont aidés par les oncles, tantes,etc. , qui constituent la famille élargie, les voi-sins immédiats, les- enseignants dans les écoles,les médecins, les infirmières et les travailleurssociaux, qui prêtent, chacun selon sa manière,leur concours à la satisfaction des besoins dudéveloppement, normal ou anormal. Plus tard,l'être humain est soumis à toutes les pressionsimposées par les lois et les règlements et parles impératifs dont s'entoure l'accès à l'emploi,aux loisirs et à la culture.

Tensions et détresse

Le départ du développement est assuré de façonoptimale dans la famille composée du père et dela mère, mais il est des enfants de mères céli-bataires, des orphelins, des enfants dont les pa-rents tombent malades, se séparent ou divorcent.La plupart des enfants appartiennent à une familleintacte, mais il en est un nombre important quin'ont pas de parents, et, même parmi les enfantsqui ont à la fois père et mère, il en est dont lesbesoins ne sont pas suffisamment compris. C'estparmi tous ceux-là que nous devons nous attendreà trouver le plus grand nombre d'enfants solitaires.Sir Alec Clegg et sa collaboratrice Barbara Meg-son évaluent à 1 5 % de l'ensemble des enfants bri-tanniques d'âge scolaire le nombre de ceux quisouffrent d'une détresse profonde résultant d'ano-malies ou de déficiences de leur vie familiale, etces auteurs concluent que, pour la plupart de cesenfants, le seul espoir de voir soulager cette dé-tresse est lié à ce qui peut leur être apporté àl'école. Par détresse, les auteurs désignent toutsimplement l'état des "enfants qui sont profondé-ment malheureux en raison des tensions qui leursont imposées dans leur foyer".

Il faut reconnaître que l'on peut trouver desinterrelations défectueuses dans les famillesintactes, et aussi bien d'ailleurs dans celles quidisposent d'abondantes ressources matérielleset intellectuelles. Clegg et Megson ajoutent quela détresse de l'enfant ne se constate pas seule-ment dans telle ou telle couche de la société.

La maladie somatique ou mentale de la mère,qui l'empêche de répondre aux besoins de l'en-fant, constitue un exemple important de cas dontles conséquences nocives se font sentir chez l'en-fant. Si la mère souffre d'une légère réaction dé-pressive après l'accouchement, l'enfant recher-chera dans sa première détresse le réconfort quilui vient normalement de la mère, mais celle-cisera incapable de percevoir son besoin et deprendre soin de lui. Des dépressions graves né-cessiteront vraisemblablement une aide extérieure,à la fois pour la mère et pour l'enfant, mais les

formes plus bénignes peuvent être décrites parle terme d'apathie et il suffit en somme de fairel'effort de "s'en sortir". Il arrive, dans certainscas, que le père puisse apporter son aide, soitdirectement à l'enfant, soit indirectement en com-prenant la mère et en l'aidant à surmonter satristesse apparemment irrationnelle.

A travers les vicissitudes de la vie familiale,le père et la mère passent par une étape ultérieuredu développement de leurs relations mutuelles etde leur contribution au développement de l'enfant.Si celui-ci doit être séparé de ses parents, etmême s'il reçoit ailleurs des soins suffisants, lepère ou la mère se trouve privé de cet aspect deson propre développement qui résulte de sa parti-cipation à une communication en évolution cons-tante avec l'enfant.

Les déficiences physiques, sensorielles oumentales empêchent l'enfant de percevoir cer-taines de ces communications, et leurs effets per-nicieux se multiplient les uns les autres. C'estainsi, par exemple, qu'un enfant handicapé men-tal a, au départ, un potentiel de développementamoindri. Son hadicap l'empêche de percevoircertaines communications entre personnes aux-quelles il est invité à participer et il arrive doncparfois qu'il ne se développe même pas au pointd'exploiter son potentiel réel. Ensuite, son inca-pacité à atteindre les étapes de développementattendues aux moments appropriés prive la mèredes satisfactions qui résulteraient normalementde la présence d'un enfant bénéficiant de ses soins.

Certaines maladies mentales, telles que l'au-tisme infantile, prennent extérieurement la formed'un retrait du monde des relations avec le milieuhumain et matériel, vers un monde intérieur propreà l'enfant, auquel les parents et les enseignants,dans leur cadre normal, sont dans une large me-sure incapables d'accéder, et qui d'ailleurs n'estque marginalement accessible au moyen de trai-tements spécialisés.

Il est déjà assez difficile de communiquer avecles parents au sujet des handicaps physiques oumentaux de leurs enfants. Les parents ne peuventcomprendre les potentialités et les limitations deleur enfant handicapé tant qu'ils n'ont pas portéle deuil de l'enfant parfait (imaginé par eux) dontl'enfant handicapé ne constitue qu'un ersatz insuf-fisant. Il faut laisser aux parents porter ce deuilet se préparer dans leur esprit à supporter le far-deau qui les accompagnera tout au long de leurvie. Le médecin doit être constamment conscientde l'anxiété des parents qui se préoccupent de cequ'il adviendra de l'adulte handicapé qui pourraleur survivre.

L'enfant handicapé arrive à se faire une imagede lui-même d'après les appréhensions et lesespoirs de son père et de sa mère. Il existe desstéréotypes populaires et professionnels du han-dicap. Dans certains cas, le handicap physiqueest préféré au handicap mental, car il paraît cons-tituer une moindre tare. Mais, même lorsqu'ils'agit d'un handicap physique, il est certaines per-sonnes qui se détournent de crainte que l'infirmiténe soit "contagieuse". Quant aux stéréotypes popu-laires du handicap mental, ils se contredisent sou-vent les uns les autres. Il arrive que l'on considère

42

Page 42: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

les enfants handicapés mentaux comme des êtresperpétuellement sans ressources et à charge d'au -trui, ou bien comme dangereusement audacieuxet agressifs. L'activité sexuelle des handicapésmentaux, qu'elle soit masturbatoire, homosexuelle,ou hétérosexuelle est odieuse à certains, quand bienmême les personnes éclairées réclament que l'onmaintienne le handicapé dans son foyer et dans lacommunauté. Il sera irréaliste de supprimer lesinstitutions fermées pour handicapés mentaux tantque le public ne tolérera pas l'expression complètedes capacités de chaque handicapé sur le plan intel-lectuel, professionel et affectif.

Le sujet de la mort paraît constituer le tabouultime, même dans une société qui a acquis unecertaine liberté d'expression concernant les ques-tions sexuelles. La plupart des explications de lamort reposent sur le postulat qu'elle ne survientque dans la vieillesse. La mort du jeune adulteou de l'enfant est trop douloureuse à envisager,et pourtant elle s'inscrit dans l'expérience cou-rante. La responsabilité particulière qui incombeau médecin est de traiter certaines maladies pourlesquelles un diagnostic et un traitement appro-priés peuvent éviter le décès, mais on lui demandeégalement de continuer à s'occuper des patientsdont la nature de la maladie rend le décès inévi-table. Il existe également des décès par violenceou par accident. Même dans les cas où les cir-constances qui conduisent à la mort peuvent êtrecomprises du point de vue scientifique, la ques-tion est encore posée : "Pourquoi faut-il que cesoit cette personne-ci, ou cette personne-là, etnon point quelqu'un d'autre ? "

Dans les cas de maladie prolongée, la mortlibère des émotions complexes. Le deuil estportédéjà par anticipation, et c'est avec un sentimentde culpabilité que l'on ressent quelque soulage-ment à ne plus être obligé de prendre soin du ma-lade. Il faut se rendre compte qu'il existe uneémotion opposée à celle qui est exprimée. Quandc'est un soulagement qui est exprimé, on peutdire : "Mais, à certains égards, ne regrettez -vous pas de ne plus avoir de soins à donner ? "Lorsque la peine est exprimée, il faut se rendrecompte de la colère qui peut être ressentie contreles parents proches, le médecin lui-même, et ununivers qui permet que ces choses arrivent.

On se rend insuffisamment compte que lesenfants remarquent les perturbations et les mal-heurs qui se produisent dans la famille. Il arriveque le décès de grands-parents ou d'autres parentsplus éloignés soit dissimulé à l'enfant pendantlongtemps "afin de ne pas le troubler". On connaîtdes cas où un animal familier meurt et où les pa-rents s'efforcent de le remplacer avant que l'en-fant n'apprenne cette mort. Cette dissimulationdiminue l'importance des sentiments de l'enfantet celle de l'identité de la chose perdue.

Les enfants ont besoin d'éprouver des chagrinsnormaux. Nul en effet ne peut prendre pleinementconscience de sa propre personnalité avant de res-sentir du chagrin en raison de la perte de quel-qu'un d'autre. Il arrive que la personne chargéed'impartir l'information craigne l'impact affectifproduit au moment de la communication et se dé-robe. Dans le deuil, comme lorsqu'il s'agit de

donner une information concernant une maladieou un handicap, la personne appelée à réconfor-ter autrui doit ressentir ses propres impressionset n'a pas besoin de chercher à dissimuler leslarmes qui lui viennent aux yeux.

Des structures familiales diversifiées

Bien des enfants, amenés à des centres de gui-dance infantile en raison des difficultés qu'ilséprouvent dans leurs relations avec d'autres per-sonnes, proviennent de foyers où les parentsbien que la faute ne leur incombe pas, vivent dansdes conditions exceptionnelles.

Il est des parents que leur activité profesion-nelle appelle à se déplacer de ville en ville, oumême d'un pays à l'autre, pour obtenir de l'avan-cement. Les enfants doivent rompre les liens qu'ilsont établis avec autrui dans leur résidence anté-rieure et s'en créer de nouveaux. Parfois cettetransplantation paraît bénéfique. Dans d'autrescas, il semble que quelque chose se flétrisse.Beaucoup d'enfants paraissent capables de réa-gir en formant facilement des liens superficiels,comme le voyageur qui ne manque pas de fairedes connaissances dans ses escales.

Il est aussi le cas des changements de rési-dence de parents qui progressent dans l'échellesociale et dont les enfants étaient enviés là où ilsvivaient autrefois, mais ne sont pas encore accep-tés dans leur nouvelle communauté.

Enfin, il se pose le problème des immigrants quidoivent individuellement s'ajuster à un contexte danslequel des tiers leur attribuent un rôle stéréotypé.

L'évolution actuelle des cultures paraît con-duire à une diversification plus poussée des struc-tures familiales. Les jeunes familles ont tendanceà se séparer de celles dont elles sont issues. Cer-tains facteurs tels que la dimension de la familleet l'espacement des naissances affectent la per-sonnalité de chacun ainsi que la structure des fa-milles. Lorsque les naissances sont limitées auxpremières années du mariage et que la famille setrouve isolée, les relations entre les membres dela petite famille sont étroites et intenses. La fa-mille élargie, qui compte de multiples enfantslargement échelonnés dans le temps, des grands-parents, des oncles, des tantes et des cousins detous âges, assure une continuité des générationset une prise en charge des enfants lorsque les pa-rents naturels se trouvent temporairement, oupour une période prolongée, incapables d'assurerleurs fonctions.

Le raccourcissement de la période de procréa-tion modifie également le rôle de la femme. Celle-ci n'est plus désormais liée au foyer par des ma-ternités successives. Au bout d'un petit nombred'années, elle peut assumer une deuxième vie quin'est plus liée à la fonction de reproduction. Ellepeut reprendre sa profession antérieure ou s'en-gager dans une profession nouvelle, s'associeraux activités de loisir ou aux activités socialessur un pied d'égalité avec l'homme, ou presquesur un pied d'égalité. Il suffit en effet qu'unmembre de la famille tombe malade pour que lafemme soit rappelée à ses devoirs traditionnelsqui sont d'assurer au premier chef les soins aux

43

Page 43: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

malades dont les besoins redeviennent ceux del'enfance. Il semblerait parfois que la femmeressente la nécessité biologique d'assurer cettefonction et, dans bien des familles, le besoin fon-damental des enfants d'acquérir une personnalitédistincte et indépendante constitue une menacecontre l'épanouissement personnel de la mère entant que femme.

On postule d'ordinaire que, pour les adultes,l'état de normalité s'exprime dans le mariage.Il est cependant une proportion notable d'indivi-dus qui ne se marient pas et, parmi ceux qui semarient, un certain nombre de séparés, de divor-cés ou de veufs des deux sexes. A côté des indi-vidus mariés qui ne parviennent pas à l'épanouis-sement sexuel, on trouve des individus non mariésdont la vie sexuelle arrive à pleine maturité. Etil est des couples sans enfants et des enfants na-turels. Même si l'appartenance à une famille estconsidérée comme un critère de normalité statis-tique et un état souhaitable, la minorité des indi-vidus qui ne parviennent pas à cet état est si nom-breuse que nous devrions hésiter à qualifier cesindividus d'anormaux. La plupart d'entre eux nerecherchent pas de secours extérieur et n'en ontpas besoin.

Parmi les individus qui restent célibatairestoute leur vie, il en est certains qui en décidentainsi et d'autres pour lesquels se pose le pro-blème de trouver des partenaires qui leur con-viennent au moment où ils sont suffisammentmûrs pour former un couple. Les aspects de lapersonnalité qui exigent des apports extérieurspour s'épanouir se développent à des vitessesdifférentes. L'intellectuel peut parvenir à unlarge épanouissement dans sa vie professionnelleou sa vie sociale jusqu'au point d'en oublier toutepréoccupation sexuelle. Certains, en période demobilité sociale ou professionnelle, souffrentd'être emportés dans le tourbillon du progrès.

Un avancement social ou professionnel rapideles arrache à la société de leurs anciens prochesqui pouvaient établir d'étroites relations avec lesmembres de leur famille d'origine. La nécessitéde relations personnelles étroites telles que l'onen trouve dans le mariage, peut apparaître à unmoment où elle appelle une décision individuelledifficile plutôt qu'une décision prise dans le cadred'un groupe de jeunes gens qui ont suivi ensembleune évolution parallèle.

Il existe pourtant, dans l'humanité, une bi-sexualité qui permet à l'homme de retirer unecertaine satisfaction de partager en imaginationles expériences consignées dans la littérature etqu'il peut retrouver jusqu'à un certain point endiverses compagnies.

Nul ne parvient jamais à un ensemble équilibréde satisfactions, et l'individu élabore sa person-nalité jusqu'à sa forme définitive en utilisant leséléments dont il dispose.

Les qualités qui nous sont propres et qui nousamènent à prendre soin des jeunes nous conduisentégalement à nous préoccuper de l'humanité en gé-néral et à y participer. Les impulsions contradic-toires dont l'individu est le siège, de même quecelles qui sont ressenties à l'intérieur de groupeset entre groupes différents, peuvent pousser àl'initiative et à la créativité. Elles s'exprimentpar le bien ou par le mal selon le cas, mais l'éner-gie qui leur donne naissance n'est ni bonne nimauvaise en soi. Nous ne pouvons améliorernotre nature en cherchant à en extirper ce quipourrait devenir mauvais. Il nous faut admettrel'inévitabilité et l'universalité des conflits quisont inhérents à nous-mêmes et à nos communau-tés, sachant que nous éprouvons en même tempsle besoin de trouver notre harmonie intérieure,une harmonie avec ceux qui nous entourent et uneharmonie également avec la partie de l'universavec laquelle nous pouvons communier.

44

Page 44: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

III. La famille en tant que contexte d'apprentissage

Dans presque toutes les sociétés, c'est à la fa-mille qu'il appartient de s'occuper des soins etde l'éducation des enfants en bas âge ; or ellen'est souvent que très peu préparée à cette tâcheimportante. La troisième partie de la présentepublication étudie la manière dont la famille, entant que premier environnement à caractère édu-catif, façonne le destin de l'enfant.

L'étude de l'Institut Vanier de la famille (Ca-nada), qui donne son titre au chapitre, exprimetrès clairement l'importance de la famille dansl'apprentissage initial de l'enfant. Alice Rossiétudie la naissance et les premières années dela vie dans l'optique des parents : nous devenonsdes parents biologiques dans un laps de tempsrelativement court mais notre propre satisfac-tion et notre efficacité dans ce rôle parental dé-pendent souvent de la nécessité de faire des effortsd'attention et d'adaptation sociale plus importantsque ceux que nous avons l'habitude de consentir.Dans son article (comme dans la majeure partiede cet ouvrage et des écrits relatifs à ce sujet),l'accent est mis sur le rôle et sur l'expériencedes mères et des futures mères ; toutefois, Mi-chael E. et Jamie E. Lamb attirent l'attentionsur l'importance de la relation père-enfant dansle développement des jeunes enfants, en particu-lier dans la transmission du comportement sexuel,et recommandent une nouvelle approche de la pa-ternité. L'étude d'Evlyn Pickarts et de Jean Fargoet celle de Richard R. Skemp reprennent l'une etl'autre le thème de l'adaptation au rôle parentalafin d'insister sur la nécessité de l'éducationparentale.

Les études suivantes traitent de l'expériencede l'enfant et présentent l'un des thèmes centrauxdu présent ouvrage, à savoir l'idée selon laquelleles deux premières années de la vie d'un enfantsont particulièrement importantes. David Elkind,quant à lui, nous met en garde : les enfants nesont pas des adultes en miniature et ils ont leurpropre façon d'apprendre. Il précise égalementque, tout bien considéré, c'est le développementde l'enfant dans son ensemble et non pas unique-ment l'aspect cognitif qui est important. MayaPines nous fait part des découvertes provenantd'un projet sur l'éducation de la petite enfance auxEtats-Unis qui confirment la nature critique despremières années de la vie et tout particulièrement

de la période comprise entre 10 et 18 mois. Desrecommandations utiles pour réussir l'éducationdes tout petits, issues du même projet, font suiteà cette étude et proposent aux parents quelques sug-gestions pratiques quant à la façon d'agir à cetteépoque capitale.

LA FAMILLE EN TANT QUE CONTEXTED'APPRENTISSAGE/!Institut Vanier de la famille

II y a encore quelques générations, la fonctionéducative de la famille n'était pas mise en doute.Or aujourd'hui, dans notre société complexe etspécialisée à l'extrême, elle n'est pas seulementbeaucoup moins nette, elle est aussi oubliée. Lesétudes portant sur la relation famille-apprentis-sage-éducation se préoccupent en général avanttout de savoir dans quelle mesure les famillespréparent leurs enfants au système éducatif, leplus souvent en associant les variables relativesà la classe sociale avec les résultats scolairesdes enfants dans le cadre de ce système. Cetteapproche utilitaire est insuffisante.

Dans ce contexte, l'intégration sociale/2 estconsidérée comme la tâche de la famille et l'édu-cation est celle de l'école. Il n'est pratiquementpas question de la relation qui existe entre les deux,de leur continuité et de leurs discontinuités. Plusrécemment pourtant, certains auteurs ont reconnul'ampleur de l'apprentissage qui a lieu dans le con-texte de la famille. Hope Jensen Leichter commence

Extrait d'une étude plus importante intitulée :Learning and the family ; a conceptual frame-work onlearning : Vanier Institute of the Family,151 Stater Street, Ottawa, Ontario, Canada,1976.L'intégration sociale se définit comme un pro-cessus par lequel les individus acquièrent lesavoir, les techniques et les dispositions quileur permettent de participer, en tant quemembres plus ou moins efficaces à la vie dugroupe et de la société. Brim, Orville J. , Jr. ,cité dans Goslin (Dir. publ. ). Handbook ofsocialization theory and research. Chicago,Rand McNally & Co, 1969.

45

Page 45: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

son étude intitulée comme suit : "La famille estun cadre dans lequel, pour ainsi dire, toutes lesexpériences humaines, peuvent avoir lieu -la guerre,la violence, le partage, le pouvoir, la manipula-tion d'autrui, les hiérarchies formellement ins-tituées, les décisions démocratiques ; tout cecipeut se trouver dans la structure familiale. lienest de même pour toute une variété de situationséducatives, de l'instruction systématique et tota-lement consciente aux influences qui peuvents'exercer sur nous à tout instant et qui noustouchent en marge du conscient". /-'- Elise Boul-ding, pour sa part, pense que "La famille peutêtre considérée comme un atelier d'évolutionsociale plutôt que comme un garant de l'ordresocial"/2 et elle ajoute que : "Ce processus clas-sique d'insertion dans la société. . . n'est qu'unepetite fraction de l'apprentissage qui se fait dansle contexte familial". /3

Nous ne cherchons pas ici à donner une défi-nition rigoureuse de la famille en ce qui concernesa structure ou sa composition ; à l'égard de l'édu-cation, cela ne nous serait d'aucune utilité. Il estbeaucoup plus intéressant de considérer cetteinstitution en tant que groupe. Même lorsqu'elleest essentiellement de type nucléaire, liée à desdegrés divers à un réseau étendu de parents, lerôle de chacun de ses membres et sa compositionelle-même varient avec le temps. Cette perspec-tive dynamique et non plus statique de la famillea une influence considérable sur l'ampleur del'apprentissage pouvant avoir lieu en son sein.

On pense généralement que les relations à ca-ractère éducatif s'établissent uniquement entreles enfants et les parents, particulièrement entrela mère et l'enfant. En réalité, comme Leichterle souligne si bien, non seulement les enfantsapprennent des parents, mais les parents apprennentdes enfants et les enfants les uns des autres, demême que les parents entre eux, suivant un pro-cessus continu. En analysant cette forme d'acqui-sition du savoir, nous devons nous efforcer de nepas conclure à des relations de cause à effet sim-plistes et rester conscients des multiples niveauxd'expériences qui sont en présence et, en parti-culier, du fait que les membres d'une famillevont et viennent entre le groupe familial et lemonde extérieur. Nous devons également prendreen considération toutes les constellations de rela-tions familiales possibles aussi bien à l'intérieurqu'à l'extérieur du foyer et la multiplicité desinfluences combinées qui s'exercent.

Lorsqu'on examine la notion d'apprentissageau sein de la famille, tout comme l'apprentissageen général, il faut renoncer à toute conceptiontrop simplifiée de l'enseignement et de l'appren-tissage et des relations de cause à effet terme àterme. Leichter rapporte les propos suivants deLawrence Cremin : "Ce qui est enseigné n'estpas toujours ce qui est désiré et réciproquement.De plus, l'enseignement a presque toujours desconséquences inattendues qui sont d'ailleurs sou-vent plus significatives que celles que l'on espé-rait. De ce fait, dans le domaine de l'éducation,les échanges sont souvent marqués d'une profondeironie". / *

Notre exposé nous amène à considérer ce qu'au

sein du contexte familial, l'on apprend en premierlieu ou le mieux, ou l'un et l'autre à la fois. Lelangage et les schémas linguistiques qui ont uneinfluence si profonde sur tout ce que l'enfant estappelé à apprendre ensuite sont acquis d'abord ausein de la famille. Cet apprentissage initial dépenddans une large mesure des méthodes d'enseigne-ment et des modes d'interaction et de communica-tion. C'est également dans le cadre de la famillequi, par ailleurs, continuera à l'avenir à lui dis-penser leçons et conseils dans ce domaine,quel'enfant acquiert son premier système de valeurset d'attitudes. De la même façon, dans de nom-breuses familles, on initie l'enfant aux traditionset coutumes spéciales, religieuses, ethniques ousociales. On y enseigne aussi de nombreuses tech-niques fondamentales, tout particulièrement cellesqui sont en rapport avec un métier. A titre d'exemplesde ce qui est appris dans le contexte familial,Leichter établi la liste suivante :

"La façon de critiquer et de juger ; le moded'assimilation des expériences avec le temps ;le niveau et le taux d'activité ; la manière de com-biner ou d'isoler certaines tâches ; la nature desréactions aux impulsions émises par autrui ; lesmanières d'apprécier et de synthétiser les con-naissances, les valeurs et les attitudes d'autrui,d'étudier et de rechercher l'information ; la façond'aborder les situations difficiles au cours del'apprentissage. La liste est donnée à titre indi-catif et ne prétend pas être exhaustive. J'ai aussiindiqué le façon dont les diverses composantesd'une certaine forme d'éducation influent les unessur les autres tandis que l'individu s'engage dansdifférentes expériences éducatives, y progresseet les combine tout au long de sa vie". /5

Leichter constate ensuite la fusion naissantedes concepts d'éducation en tant que fin et en tantque processus.

L'auteur développe aussi assez longuement laquestion du procédé d'évaluation et de classifica-tion qui est utilisé à l'intérieur du groupe familial.Il s'agit de la façon dont les membres d'une familles'apprécient et se classent les uns les autres etenregistrent de même les événements, et ausside la manière dont toute la famille voit ses membresévalués par des individus et des organismes quilui sont extérieurs : "Non seulement le processusd'évaluation exerce une influence permanente surles divers membres d'une famille pendant tout letemps où s'élabore leur idée de leurs propres ca-pacités et attributs, mais aussi l'évaluation deces évaluations devient un véhicule par lequel ils

1. Leichter, Hope Jensen, Some perspectives onthe family as educator, Teachers Collège record,p. 175. Columbia University, vol. 76, n° 2,décembre 1974.

2. Boulding, Elise, Familism and the créationof futures, p. 3 pour le colloque expérimentalde futurologie comparative, réunion anuelle1971, American Anthropological Association,New York City.

3. Ibid, p. 4.4. Leichter, op. cit. , p. 202.5. Leichter, op. cit. , p. 203.

46

Page 46: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

apprennent à apprendre, c'est-à-dire apprennentà comprendre le processus critique lui-même etélaborent des stratégies pour accepter ou refuserles points de vue d'autrui". /l Puis l'auteur pré-cise : "L'étude des procédés d'évaluation utilisésau sein de la famille devient un moyen particu-lièrement efficace de comprendre les voies qu'em-pruntent les interprétations du monde (ou pourreprendre les termes de Berger et Luckmann, lafaçon dont "les constructions sociales de la réa-lité" sont élaborées et appliquées). Bien que cesinterprétations de la réalité puissent se figer etse stabiliser, il est particulièrement important,pour comprendre les subtilités des relations édu-catives au sein de la famille, de considérer l'in-terprétation comme "un processus formatif etcréatif en soi". L'interprétation forge des signi-fications qui ne sont pas encore déterminées,change ces significations lorsqu'une nouvellesituation l'exige et les transforme lorsque l'évo-lution sociale a modifié les circonstances. Spé-cialement à une époque où l'évolution sociale estconstante, c'est une sphère d'interaction de plusen plus importante dont nous pouvons extrairedes schémas de définition et des réseaux de re-lations mouvantes". /2

II n'est guère possible de traiter ici de toutce qui touche à la notion de privation ou de désa-vantage culturel que l'on a associée à tant de fa-milles dans les années 1960, ou aux programmeséducatifs "compensatoires" qui furent lancés àla suite de cette "prise de conscience". Il con-vient cependant de souligner que l'idée de priva-tion culturelle est apparue à la suite de l'examende notre culture du point de vue de son systèmeéducatif. Considérée du point de vue du groupefamilial, cette notion de privation culturelle perdtout son sens. Chaque famille fait partie d'uneculture même s'ilne s'agit pas forcément de cellequi correspond à la tendance générale de la société.

Conclusions

La famille, théâtre des premières expériences,est un contexte durable d'apprentissage. C'estdans son cadre qu'a lieu l'initiation au langage ;c'est aussi là que nous acquérons l'essentiel denos valeurs et de nos attitudes, que nous nousfamiliarisons avec nos traditions et nos coutumes,et avec de nombreuses techniques fondamentales ;nous y apprenons également à juger, à appréhen-der le monde qui nous entoure. C'est enfin le lieuoù nous apprenons à apprendre. Mais l'apprentis-sage en famille se prolonge tout au long de la vie.Les plus fortes expériences d'apprentissage enmatière de vie de famille et de vie tout court sefont au sein de la famille elle-même ou dans cer-tains autres groupes de base comme ceux des amisou des compagnons de travail.

Bien qu'en paroles, la plupart d'entre nous re-connaissent volontiers tout cela, nous continuonsen fait à concentrer notre énergie etnos ressourcesdans le système éducatif organisé et à dénier da-vantage encore à la famille son rôle éducatif. Ilfaudra un changement radical d'attitude pour quenous puissions comprendre et agir différemment.Nous devons consacrer une plus grande part de

nos énergies et de nos ressources à notre foyer,à nos lieux de travail et de loisir, aux médias etaux arts.

Tout en acceptant communément l'idée selonlaquelle l'éducation se fonde sur l'expérience,nous avons tendance à refuser aux personnes etaux familles la possibilité de partager leurs expé-riences et d'y refléchir ensemble. Nombreusessont les personnes et les familles qui vivent tota-lement isolées.

Nous manquons aujourd'hui de schémas et demoyens de liaison grâce auxquels le savoir acquispar expérience individuelle pourrait être exploitéet transmis. Le système nécessaire se dégagerapeut-être d'une nouvelle interprétation et d'unerevitalisation de la communauté.

Il peut paraître contradictoire d'affirmer qu'au-jourd'hui, de nombreuses familles sont isolées,fragiles, vulnérables et chargées de responsabi-lités tout en assurant qu'il est possible de revi-gorer la famille en lui rendant quelques-unes desfonctions dont elle a été privée. Ces fonctions ontété érodées pour répondre aux besoins d'une so-ciété qui a évolué au détriment de la vie familiale.

Bien que le groupe familial reflète et trans-mette souvent les idées et les valeurs dominantesd'une société ou d'une culture, nous voyons aussià nouveau qu'il est également un facteur d'évolu-tion important dans la société. Pour toutes cesraisons, on peut s'attendre à voir surgir des mo-difications simultanées et réciproques dans lesfaçons d'apprendre des personnes, les manièresde vivre des familles et la façon dont la vie de lacommunauté et finalement celle de la société toutentière évolueront.

TRANSITION VERS LE ROLE PARENTAL/3Alice Rossi

Deux questions étroitement liées seront au centrede cette analyse sociologique du rôle parental. Lapremière concerne la transition vers le rôle pa-rental : que faut-il apprendre et quels sont les ré-ajustements qui doivent avoir lieu au niveau desautres rôles dans lesquels l'individu est engagépour que le passage de l'état d'époux sans enfantà celui de parents se fasse sans à-coup ? La se-conde concerne les effets de la condition de pa-rents sur les adultes : comment les parents -lesmères en particulier - évoluent-ils par suite deleurs expériences parentales ?

Pour permettre une meilleure compréhensionde ce problème, nous préciserons tout d'abord lesétapes du développement du rôle parental ; puisnous étudierons quelques-unes des caractéristiques

1. Leichter, op. cit. , p. 212.2. Ibid. , p. 213 (les parenthèses sont le fait de

l'auteur).3. Adaptation de l'étude d'Alice Rossi, "Transi-

tion to parenthood", Journal of Marriage andthe Family, p. 26-39. fév. 1968, (c) (1968)National Council of Family Relations. Ré-impression autorisée.

47

Page 47: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

majeures de ce rôle, en le comparant à deuxautres rôles sociaux fondamentaux de l'indi-vidu celui d'époux et celui de travailleur.

De l'enfant aux parents

Cette perspective sur le rôle parental a ceci desingulier qu'elle se concentre sur les parentsplutôt que sur l'enfant. Jusqu'à ces dernièresannées, les sciences du comportement, en cequi concerne les relations parents-enfants, nes'occupaient pour ainsi dire que de l'enfant. Qu'ils'agisse d'une étude psychologique comme cellede Ferreira sur l'influence de l'attitude de lafemme enceinte vis-à-vis de la maternité sur lecomportement postnatal du nouveau-né/1, del'enquête menée par Sears et Maccoby sur lesusages en matière d'éducation des enfants/2,des observations détaillées de Brody sur le ma-ternage/^ de la longue tradition d'études rela-tives à la privation maternelle ou de celles plusrécentes portant sur l'emploi des mères, c'esttoujours l'enfant qui est le centre d'intérêt. Cesrecherches partent du principe qu'il suffiraitd'en savoir assez sur les parents et sur la façondont ils élèvent leurs enfants pour expliquer unebonne part des divergences entre les enfants.

Lorsque c'est l'un des parents et non plus l'en-fant qui est au centre de l'analyse, les questionsqui se posent sont d'un tout autre ordre : c'estpar un exemple que cela nous apparaîtra le plusclairement. Prenons l'argument mis en reliefpar Benedek/4 selon lequel le besoin qu'a l'en-fant des soins d'une mère est absolu tandis quele besoin qu'éprouve une femme adulte de donnerdes soins maternels est relatif. Si l'on s'intéresseavant tout à l'enfant, cette constatation nous inciteà analyser les effets que la séparation d'avec samère ou qu'un maternage inadéquat produisentsur l'enfant. Un système familial comportantplusieurs adultes susceptibles de s'occuper dujeune enfant peut certes compenser les effets decette disparité. C'est sans doute la raison pourlaquelle les rapports ethnographiques ne font quetrès rarement allusion à des cas de dépressionpost-partum immédiatement consécutive à la nais-sance d'un enfant dans les sociétés traditionnelles.Le système familial américain qui est, quant àlui, composé de foyers isolés dans lesquels lesfemmes sont de plus en plus éloignées des parentessusceptibles de les aider à prendre soin de leurenfant oblige les jeunes mères à endosser la res-ponsabilité totale de ces soins, précisément pen-dant la période de la vie de l'enfant où son besoind'attention maternelle est bien supérieur à celuiqu'éprouve la mère pour son enfant.

Du point de vue de la mère, la question qui sepose dès lors est la suivante : De quoi la mater-nité la prive-t-elle ? Les compensations intrin-sèques de la maternité sont-elles suffisantespour contrebalancer l'élimination ou la réductionde sa participation aux avantages et aux rôles so-ciaux non familiaux ? Les études portant sur laprivation maternelle ne fournissent aucune réponseà ces questions, car en dépit des précisions queYarrow/5 lui a apportées, ce concept n'a jamaissignifié autre chose que les effets sur l'enfantde

diverses catégories de maternages inadéquats.Pourtant ce que l'on a jusqu'à maintenant consi-déré comme la preuve d'un échec ou d'une inadap-tation chez certaines mères ne témoigne peut-êtreen réalité que de l'inaptitude de la société à ins-taurer des institutions de remplacement suscep-tibles de se substituer à la famille au sens le pluslarge pour aider les mères à prendre soin de leursbébés et de leurs jeunes enfants. C'est peut-êtreparce que les exigences de la maternité pèsenttrop lourd dans le système familial américain oùpar ailleurs les mères ont elles-mêmes été habi-tuées à avoir des intérêts divers et à espérer uneréussite sociale dans leur vie d'adulte. Ici, commeà diverses autres occasions au cours de cet exposé,les problèmes familiaux prennent une dimensionqui laisse entrevoir un terrain de recherche nou-veau où l'attention se porte sur le père ou la mèreplutôt que sur l'enfant.

Phases cycliques du rôle

Deux procédés d'analyse faciliteront notre étuderelative aux effets de la paternité ou de la mater-nité sur les parents. Le premier consiste à utili-ser une approche comparative, en nous interro-geant sur les caractéristiques structurales fonda-mentales qui différencient le rôle parental desprincipaux autres rôles joués par l'adulte. A cettefin, nous étudierons le rôle d'époux et celui detravailleur. Le second procédé consiste à préci-ser les phases du développement d'un rôle social.Si l'on peut affirmer que la vie dans son ensemblese déroule suivant un cycle, chaque phase compor-tant un certain nombre de tâches spécifiques, onpeut aussi dire par analogie qu'un rôle aussi estcyclique et que chacune de ses phases suppose demême des tâches particulières et des problèmesd'ajustement. On peut ainsi identifier quatre phasesprincipales/ 6 ;

1. Ferreira, Antonio J. The pregnant woman'semotional attitude and its reflection on thenewborn. American Journal of Orthopsychiatryp. 553-561. (Menasha, Wisc. ), vol. 30, n° 3,juillet 19 60.

2. Sears, Robert, Maccoby, E. etLevin, H. Patternsof child-rearing. Evanston, (Illinois) Row,Peterson, 1957, 549 pages.

3. Brody, Sylvia. Patterns of mothering : maternaiinfluences during infancy. New York, Interna-tional Universities Press, 1956, 44 6 pages.

4. Benedek, Thérèse. Parenthood as a develop-mental phase. Journal of American Psycho-analytic Association, p. 389-417. (New York),vol. 7, n° 8.

5. Yarrow, LeonJ. Maternai deprivation : towardan empirical and conceptual re-évaluation,Psychological Bulletin, p. 459-490. (WashingtonD. C. ) vol. 58, n° 6, novembre 1961.

6. Raush, Harold L. , Goodrich, W. et Campbell,J. D. Adaptation to the first years of marriage,Psychiatry, p. 368-380. (Washington D. C. ),vol. 24, n° 4, novembre 1963.

48

Page 48: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

La phase préparatoire

Tous les rôles d'adulte sont précédés d'une longuepériode de formation préparatoire puisque, aussibien à l'école qu'à la maison, l'intégration socialedes enfants est destinée à produire le type d'adultecompétent jouissant de l'estime de notre culture.Pour ce qui nous intéresse, toutefois, il est pré-férable que nous nous limitions à une conceptionplus étroite de cette phase : la période des fian-çailles dans le cas du rôle conjugal, celle de lagrossesse dans celui du rôle parental et lesultimes étapes d'une formation scolaire essen-tiellement professionnelle ou d'un apprentissagesur le tas en ce qui concerne le rôle du travailleur.

La phase de la lune de miel

C'est la période immédiatement consécutive àl'entière prise en charge du rôle d'adulte. Ledébut de la phase est plus facile à définir que lafin. Dans le cas du rôle conjugal, elle commenceavec la cérémonie du mariage, passe par la lunede miel proprement dite et se prolonge jusqu'àla fin d'une période d'une durée imprécise et quivarie selon les cas. Raush/1 a défini cette phasedu rôle conjugal dans sa description de la "lunede miel psychique'1 : il s'agit de cette périodepostmaritale prolongée pendant laquelle, grâceà une intimité étroite et à des activités communes,chaque membre du couple est en mesure d'étu-dier les capacités et les limites de l'autre. Arbi-trairement, nous considérerons le débutde la gros-sesse comme le point final de cette phase. Dansle contexte du rôle parental, la phase correspon-dante peut elle aussi comporter une "lune de mielpsychique", période immédiatement consécutiveà la naissance de l'enfant durant laquelle un atta-chement profond s'établit entre la mère ou le pèreet le nouveau-né grâce à l'intimité et à un contactprolongé. Il y a cependant une différence fonda-mentale entre les deux rôles à ce stade : dans lepremier cas, lorsque débute la lune de miel, lafemme connaît son mari qui est pour elle un êtreunique et parfaitement réel. Pendant la périodede fiançailles, de nombreux ajustements prépa-ratoires peuvent avoir lieu sur le terrain de laréalité concrète, chose impossible pendant la pé-riode équivalente de la grossesse. Jusqu'au mo-ment de la naissance, le travail de l'imaginationn'est pas corrigé par la réalité d'un enfant bienparticulier. Si les mouvements du foetus sontd'une telle importance pour la mère du point devue psychologique, c'est justement parce qu'ilsconstituentla toute première preuve de l'existenced'an bébé réel et non pas imaginé. Ne serait-ceque de ce point de vue, il y a plus de travail àfaire pour se connaître et s'adapter l'un à l'autrependant la phase de lune de miel du rôle parentalque pendant celle du rôle conjugal.

La phase plateau

C'est la période intermédiaire, relativementlongue, du cycle pendant laquelle l'individu exercepleinement son rôle. Selon le problème particu-lier dont il s'agit, on peut évidemment être amené

à subdiviser cette longue phase. Ce n'est cepen-dant pas nécessaire pour la question précise quinous intéresse ici, à savoir la phase préparatoireet la lune de miel du rôle de parents, et l'inci-dence globale de ce rôle sur l'adulte.

La phase finale - Désengagement

Cette période précède immédiatement, puis inclutla fin du rôle. Le mariage se termine par le décèsd'un des deux époux ou, de façon tout aussi défini-tive, par une séparation ou un divorce. L'une descaractéristiques essentielles de la fin du rôle pa-rental est le fait qu'elle n'est marquée par aucuneaction spécifique évidente mais qu'elle correspondplutôt à un processus modéré et progressif surlequel notre culture ne nous fournit aucune indica-tion quant au moment où s'arrêtent l'autorité etles obligations des parents. Quoi qu'il en soit, laplupart des parents considèrent le mariage de leurenfant comme la fin psychologique de leur rôle pa-rental actif.

Particularités du rôle parental

En admettant ce rôle à caractère cyclique commecadre de référence, on peut diriger plus précisé-ment l'attention sur les particularités essentiellesdu rôle parental. Deux autres questions prennentalors un relief spécial : d'abord, l'évolution socialecontemporaine a-t-elle compliqué ou simplifié lapériode de transition qui précède la maternité oula paternité et le rôle parental lui-même ? Ensuite,quelles sont les nouvelles interprétations et lescatégories de recherche que suscite une analysecentrée sur l'un des parents plutôt que sur l'enfant?

Pression culturelle

En ce qui concerne les valeurs sociales liées autravail, les hommes n'ont pas de liberté de choix:ils doivent travailler pour garantir leur statutd'être adulte. Pour les femmes, l'équivalent atoujours été la maternité. Une pression culturelleconsidérable s'exerce sur l'adolescente etlajeunefemme, l'incitant à considérer la maternité commeune condition nécessaire à son épanouissement,seule capable de lui assurer un statut d'adulte.

Commencement du rôle parental

Décider de se marier, choisir un partenaire sontdes actes volontaires des individus dans notre sys-tème familial. Les fiançailles sont donc abordéesen connaissance de cause, librement contractéeset aussi librement rompues si l'intimité et le désirde s'engager diminuent au lieu de croître à mesureque les partenaires apprennent à se connaître. Ala différence des fiançailles, le début de la grossessen'est pas toujours le fait d'une décision volontaire ;elle peut être la conséquence non voulue d'un actesexuel dont le but était récréatif plutôt que procréatif.

Raush, HaroldL., Goodrich et Campbell, J. D.Adaptation to the first years of marriage. . .op. cit.

49

Page 49: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

En deuxième lieu et une fois encore à la diffé-rence des fiançailles, l 'interruption de la g ros-sesse n 'est pas approuvée socialement commele démontrent les mouvements actuels de r é s i s -tance à la réforme des lois sur l 'avortement.

Cette différence signifie que la probabilitéd'une grossesse non désirée est bien supérieure,dans notre système familial, à celle d'un mariagenon désiré. Ceci étant et eu égard aux nombreuxcas scientifiquement prouvés de rejet parental etparfois même de la cruauté envers des enfants,il est tout à fait surprenant que la satisfactionparentale n'ait pas fait l'objet d'études plusimportantes comme cela a été le cas pour lasatisfaction conjugale et la satisfaction au travail.

Irrévocabilité

De nos jours, si un mariage n 'est pas satisfai-sant, le divorce et le remariage sont des solu-tions largement acceptées par notre société. Ilen va de même dans le monde du travail : noussommes libres d'abandonner un travail qui nenous satisfait pas et d'en chercher un autre. Enrevanche, lorsqu'une naissance a lieu, il n 'estguère possible pour les parents de se dégagerdes responsabilités qui en découlent sauf dansles cas peu fréquents où ils confient leur enfantà des parents adoptifs. Nous pouvons avoir desex-époux, des ex-professions mais pas d'ex-enfants. Ceci étant, il n 'est pas étonnant quenous trouvions des différences marquées entreles rapports qu'un père ou une mère de famillea avec chacun de ses enfants. Si la culture nepermet pas l 'interruption de la grossesse, lere t ra i t psychologique est pour un père ou unemère l'équivalent de l'abandon physique de l'enfant.

On touche ici à un domaine important qui,étudié dans la perspective des parents et non pasde l'enfant, peut apporter une dimension inter-prétative nouvelle à un problème ancien : le vieuxsujet débattu par les sciences sociales des diffé-rences de traitements réservés aux enfants selonla place qu'ils occupent dans la famille en fonc-tion du sexe et de l 'ordre de naissance. Jusqu'àprésent, les recherches ont principalement étéfondées sur des données, recueillies au sujetd'enfants et/ou auprès d'eux, à part ir desquellesles interprétations infèrent la qualité ' 'probable"des relations de l'enfant avec son père ou sa mèreet les cr i tères de différence entre les relationsdes parents avec l'aîné et le benjamin. Des r e -cherches pertinentes restent à faire auprès desparents (les mères en particulier).

L'examen de la taille de la famille dans laperspective des motivations des parents à avoirdes enfants facilitera considérablement cette nou-velle interprétation. Une famille sera peu nom-breuse essentiellement pour deux raisons : soitparce que tel est le désir des parents et qu'ilssont parvenus à avoir le nombre d'enfants quileur convenait, soit parce qu'ils voulaient unefamille plus nombreuse mais n'ont pu la créer .Dans un cas comme dans l 'autre, il est peu pro-bable que cette famille compte des enfants nondésirés . De plus, dans le second cas, les parentsporteront peut-être un intérêt encore plus vif aux

enfants qu'ils auront pu avoir. Ainsi, dans les fa-milles peu nombreuses, les parents sont le plussouvent unis à chacun de leurs enfants par desliens forts et positifs. En revanche, si une famillecomprend beaucoup d'enfants, c 'est soit parce quecela correspondait au désir des parents, soitparce qu'ils ont eu plus d'enfants qu'ils n'en vou-laient. Les familles nombreuses ont donc davantagede chances de comprendre des enfants non vouluset mal aimés que les familles plus restreintes .

Préparation des parents

En ce qui concerne la façon dont les couples sepréparent au rôle de parents, quatre facteurs mé-ritent une attention particulière.

(a) Le manque de préparation

Notre système éducatif est entièrement orientévers le développement cognitif des jeunes etnotremanière d'aborder l'enseignement est avant toutpragmatique : on apprend en faisant. L'étenduede ce que l'on sait et l'aptitude plus ou moinsgrande à appliquer ce savoir sont les cri tères àpartir desquels l'enfant est jugé à l 'école, commel'employé au travail. Dans des disciplines tellesque les mathématiques et les sciences, le dessinouïes travaux dirigés, l'enfant peut certes apprendreen faisant, mais pas dans les domaines les plusutiles à l 'harmonie de la vie de famille que sontles relations sexuelles, les soins du ménage etdes enfants, la faculté de communiquer et de com-prendre autrui. Si sa famille ne lui fournit pasune formation suffisante à ce niveau, l'enfant r e s -tera dépourvu de toute préparation pour une partsubstantielle de son existence d'adulte. Un méde-cin qui reçoit son premier client dans son proprecabinet a déjà traité de nombreux cas sous sur-veillance étroite pendant toute la durée de sa for-mation hospitalière. Mais, en dehors d'une garded'enfants de temps à autre, peut-être d'un coursde psychologie infantile, ou du petit frère dontelles auront eu l'occasion de s'occuper, la majo-rité des femmes américaines qui vont être mèrespour la première fois n'ont pas d'expérience dessoins à donner à un bébé.

(b) Apprentissage limité pendant la grossesse

Un second facteur, important lui aussi, suscitedans la période d'ajustement au rôle de parentsdes tensions plus grandes que dans la phase cor-respondante précédant le mariage. Il s'agit del'absence de toute formation fonctionnelle desparents durant la phase préparatoire de la gros-sesse. Par contraste, pendant le temps des fian-çailles qui précède le mariage, l'individu a la pos-sibilité de cultiver des aptitudes et de modifierdes habitudes afin de faciliter la transition versle mariage. En échangeant leurs points de vue surla vie et ses valeurs, en explorant leur sexualité,en faisant l 'expérience de la vie sociale en tant quecouple fiancé dans leurs rapports avec leurs amiset avec les membres de leurs familles, en aména-geant leur appartement, en le meublant, les fiancésarrivent à faire des progrès considérables dans le

50

Page 50: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

sens de la réciprocité, avant que le mariage n'aitlieu. Dans le cas de lr grossesse, rien de teln 'est possible. Il n'y a, pour toute préparation,qu'à l ire, demander conseil aux amis, aux pa-rents, discuter entre époux et passer peut-êtrequelques jours à aménager un ''nid" pour le nou-veau-né dans le foyer.

(c) Soudaineté de la transition

En troisième lieu, la naissance d'un enfant n 'estpas suivie d'une période durant laquelle les pa-rents peuvent graduellement s'habituer à leursresponsabilités nouvelles, comme c'est le casdans le monde du travail, au début d'un emploi.C'est un peu comme si la jeune femme passaitde la position d'étudiante diplômée à celle de p ro -fesseur titulaire sans étape intermédiaire d'ini-tiation progressive. La nouvelle mère est immé-diatement sur la brèche 24 heures sur 24, char-gée du sort d'un bébé fragile et mystérieux quidépend entièrement de ses soins.

Si l'adaptation au mariage est plus délicatepour les très jeunes femmes que pour celles quisont plus mûres, l'adaptation à la maternité estpeut-être plus difficile encore. Sans doute est- i lpossible pour une femme d'adopter une attitudepassive vis-à-vis de son mari sans pour cela br i -ser le mariage, mais une jeune femme très dé-pendante risque d'avoir beaucoup de difficulté às'adapter au rôle de mère car celui-là excluttoute dépendance.

(d) Manque d'éléments de référence

Si la tâche première des parents consiste à bienélever leurs enfants de telle sorte qu'ils soientun jour du genre de ces adultes capables que prisela société, une question importante se pose à tousles parents : que peuvent-ils faire exactementpour que leur enfant devienne cet adulte compé-tent ? C'est dans ce domaine que les parents sontlivrés à eux-mêmes, l 'expert faisant défaut. Ilsn'ont aucune difficulté à s'informer des besoinsnutritifs, vestimentaires ou médicaux de l'enfant,et il leur est dit à tous qu'un enfant a besoin decontacts physiques affectueux et d'un soutien émo-tionnel. Or, si cela peut suffire pour faire unélève sain, heureux et équilibré, la compétenced'un adulte est une tout autre affaire.

NATURE ET IMPORTANCE DE LA RELATIONPERE-PETIT ENFANT/1Michael E. Lamb et Jamie E. Lamb

Le noyau familial est depuis longtemps considéréen sciences sociales comme l'un des principauxagents d'intégration sociale. A l ' intérieur mêmede ce système nucléaire, on estime en généralque ce sont les mères , dont la fonction est défi-nie par leur contribution aux travaux de la mai-son et aux soins des enfants, qui catalysent cerôle intégrateur auprès des enfants. Les pères ,de leur coté, doivent subvenir aux besoins maté-riels de la famille et l'on pense habituellementqu'ils exercent une influence beaucoup moins

directe sur le développement social et psycholo-gique des enfants.

En dépit de leurs nombreuses divergencesd'opinions, les plus éminents théoriciens s ' ac-cordent sur un point : ils admettent tous que lesbébés n'ont aucune relation importante en dehorsde celle qui les unit à leur mère. Il n'y a pas t rèslongtemps que cette hypothèse est à l'étude maisaujourd'hui, quoi qu'il en soit, nous possédonssuffisamment d'éléments pour pouvoir affirmerqu'elle est incorrecte et qu'elle ne fait justice nià la capacité des enfants à établir des relationsavec autrui ni à l 'ampleur de leur univers social.

Un problème social important

Les théoriciens et les chercheurs ne sont pas lesseuls à attacher de l 'importance à l'étude des r e -lations père-petit enfant ; c'est un problème so-social réel qui se pose de façon de plus en plusévidente, et ceci pour deux raisons principales.

Pour commencer, un nombre croissant d'en-fants sont élevés dans des foyers sans père. Toutesles études faites à ce sujet ont démontré que cesenfants sont défavorisés, mais la multiplicité desproblèmes enchevêtrés qui se posent fait qu'il estdifficile de distinguer précisément entre les con-séquences du manque de rapports avec un pèremodèle et les effets socio-économiques de la d i s -parition de son soutien financier. Bien sûr, si l'onest en mesure de déterminer les caractéristiquesde la relation père-enfant lorsque ce dernier estencore tout petit, il sera plus facile de conseillerles parents sur les effets probables d'une sépara-tion et aussi de suggérer aux mères seules desmoyens d'atténuer les répercussions de l 'absencedu père.

En second lieu, il ne fait aucun doute que l ' ac -cent mis sur le rôle de la mère dans toutes lesétudes présentées par des spécialistes sur ce su-jet ainsi que les conseils donnés par les expertsaux parents ont largement contribué à la dévalori-sation de la paternité dans la société occidentale.Par conséquent, en démontrant que le père estimportant aux yeux du petit enfant et qu'il a unrôle essentiel à jouer dans le processus d'inté-gration sociale de celui-ci, dès son plus jeuneâge, on peut rehausser son amour-propre et parlà même l ' inciter à prendre plus à coeur son rôlede mari et de père.

Quelques faits

Comme on pouvait s'y attendre, les pères se dé-clarent eux-mêmes profondément affectés par lanaissance de leurs enfants et sentent se développeren eux un lien affectif. Aussi est- i l regrettable quependantles premiers jours qui suiventlanaissance,le règlementdes cliniques n'autorise généralement

1. Adaptation de l'ouvrage de Lamb, Michael E.et Lamb, Jamie E. The nature and importanceof the father-infant relationship. The FamilyCoordinator (Minneapolis, Minn.), Vol. 2 5,n° 4, octobre 1976, p. 385-387 (Spécial issueon Fatherhood).

51

Page 51: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

pas les pères à avoir plus qu'un contact symboliqueavec le nouveau-né, bien qu'on ait pu constaterque, quand on leur en donne la possibilité, ilsont des relations tout aussi vivantes et activesavec leurs bébés que les mères elles-mêmes.

Nous savons peu de choses sur la relationpère-nourrisson pendant les six premiers moisde la vie du bébé. On s'accorde en général à re-connaître que les bébés n'ont pas un développe-ment cognitif suffisant pour distinguer entre lesêtres ou établir des liens affectifs avec qui quece soit avant l'âge de sept ou huit mois, mais laplupart des théoriciens pensent que c'est la qualitéde l'interaction pendant ces quelques mois quidé-termine la nature de la relation mère-nourrisson(et vraisemblablement aussi celle de la relationpère-nourrisson) telle qu'elle est appelée à sedévelopper. La qualité de l'interaction père-nourrisson durant ces quelques mois doit êtreexcellente car les enfants que nous avons obser-vés avec leurs parents depuis l'âge de 7 mois sesont montrés aussi attachés à leur père qu'à leurmère.

Plusieurs études ont par ailleurs prouvé qu'entre7 mois et 2 ans, les enfants ne manifestent pasnon plus de préférence marquée pour l'un des deuxparents. Cette découverte a été contestée puisque,au même moment, d'autres études ont indiqué unetendance à préférer la mère.

Des études plus récentes ont expliqué cetteapparente contradiction. Par essence, les résul-tats des études sont différents selon la situationdans laquelle se trouve le bébé observé. Dansune situation détendue, l'enfant grandissant sesent suffisamment en sécurité pour avoir des re-lations positives avec ses parents et avec lesinconnus ; il ne manifeste pas de préférence pourson père ou sa mère. En revanche, lorsque sonenfance se passe dans des conditions difficiles, lepetit enfant a tendance à limiter ses rapports auxpersonnes qui lui sont le plus familières et à res-treindre son champ d'exploration ; il se sent ainside plus en plus poussé à établir et à maintenir uncontact plus intime avec celuide ses parents qu'ilvoit le plus souvent. Dans les mêmes circonstances,si ses parents sont aussi disponibles l'un quel'autre, l'enfant recherchera de préférence leréconfort maternel.

Quelle est la différence ?

En dépit de ces préférences, on s'accorde main-tenant à reconnaître que contrairement à ce quenous avions commencé par croire, les petitsenfants sont aussi attachés à leur père qu'à leurmère. Pour beaucoup, cependant, cette décou-verte est d'un intérêt limité car on peut objecterque la relation père-enfant est superflue, dansla mesure où elle ne comporte aucune caracté-ristique particulièrement significative ou origi-nale qui permette de la différencier de la rela-tion mère-enfant ; le père peut, en fait, être vucomme un simple substitut occasionnel de la mère.

Cet argument nous conduit à nous interrogerplus à fond sur la nature des relations mère-petit enfant et père-petit enfant, afin de détermi-ner s'il existe suffisamment de différences entre

les deux pour affirmer que ce que l'enfant ressentvis-à-vis de son père est différent de ce qu'il res-sent pour sa mère.

Notre étude qui porte sur des enfants de 7 à 13mois observés à plusieurs reprises en relationavec leurs parents a révélé que chacun d'eux jouaità sa manière avec son enfant etle prenait dans sesbras pour des raisons différentes. Les jeux desmères étaient en général assez classiques (parexemple celui qui consiste à cacher un objet der-rière son dos) ou utilisaient des jouets pour sti-muler l'intérêt de l'enfant. Les pères, quant àeux, se livraient le plus souvent à des jeux éner-giques et physiquement stimulants, ou à des jeuxinhabituels et inattendus ; en fait, c'étaient ceuxque les bébés préféraient.

Si beaucoup de ces différences n'étaient pasbien grandes, il en allait tout autrement des mo-tifs pour lesquels les parents prenaient leur enfantdans leurs bras. Dans le cas des mères, c'étaitle plus souvent pour prendre soin du bébé ou pourl'arrêter dans ses explorations. Pour les pères,c'était généralement pour jouer ou parce que lebébé lui-même le réclamait.

Ces résultats indiquent que les liens affectifsqui unissent le petit enfant à son père et à sa mèrediffèrent en qualité, qu'ils se composent de diffé-rentes sortes d'interactions etque le père comme lamère peuvent, par conséquent, avoir des influencessensibles mais distinctes sur le développementpsychologique et social de l'enfant dès le premierâge.

Transmission des rôles liés au sexe

La question qui vient alors à l'idée est la suivante :en quoi les pères influencent-ils le développementde leurs enfants ? Il est probable qu'ils exercentune influence globale sur les capacités socialestout en agissant de façon encore plus précise surcertains aspects de la personnalité.

Tout d'abord et d'une façon générale, il est,semble-t-il, dans l'intérêt de nos tout petits enfantsde pouvoir être en relations régulières avec unnombre stable d'adultes et d'enfants. Il s'agit, engénéral, de leurs parents et de leurs frères etsoeurs.

Ensuite, les théoriciens qui s'attachent toutparticulièrement à déterminer la part des pèresdans le processus d'intégration social des enfants,lorsque ces derniers sont plus grands, concluentgénéralement que les pères sont avant tout res-ponsables de la transmission des moeurs et desvaleurs sociales - y compris l'adoption d'un rôlesexuel approprié et l'intériorisation des valeursmorales, en particulier chez les garçons. Enoutre, il semble que leur influence à cet égardse manifeste dès le premier âge. Ces différencesliées au sexe n'apparaissent pas clairement durantla première année de la vie de l'enfant. Cependant,à un moment se situant aux environs de son pre-mier anniversaire, les parents que nous avonsinterrogés commençaient, semble-t-il, à éprou-ver un certain sens de leurs responsabilités vis-à-vis du développement d'un comportement de l'en-fant correspondant à son sexe. Pour les observa-teurs, une des manifestations de ce phénomène

52

Page 52: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

était que les pères paraissaient soudain se désin-téresser de leur fille - quelle qu'ait été aupara-vant la chaleur de leurs relations. Au cours dela deuxième année, les pères se montraient aumoins deux fois plus dynamiques dans leurs rap-ports avec leurs fils qu'avec leurs filles. En re-vanche, leurs femmes manifestaient toujoursautant d'activité avec tous leurs enfants, sansdistinction de sexe.

L'émergence d'un comportement paternel dif-férent selon le sexe n'était pas sans effet surl'enfant. Alors que la première année, les enfantsétaient traités de la même manière quel que soitleur sexe, des différences se manifestaient ladeuxième année. Plus que les garçons, les fillesdevenaient dépendantes de la présence ou du con-tact de leurs parents, ce qui donne à penser quela position de dépendance que notre culture attri-bue habituellement au sexe faible est déjà établiedès l'enfance.

Plus intéressant encore, peut-être, est le faitque les filles dépendaient surtout de leur mèretandis que les garçons, quoique généralement plusautonomes, dépendaient plus de leur père que deleur mère. On en déduit principalement que lespères deviennent très importants dans la vie deleurs fils pendant la deuxième année de la vie deceux-ci. Ces relations père-fils facilitent vrai-semblablementl'adoption parles garçons de stylesde comportement qui correspondent à leur sexecar ils ont un modèle à imiter, sans parler desconseils qu'ils reçoivent de leur père.

Conséquences pratiques

Ces découvertes peuvent facilement se traduireen avantages sur le plan social. Il est bien connuque les tensions entre époux sont fréquemmentcausées ou aggravées par la naissance d'un enfant.Le point sensible est souvent la jalousie du mariet le ressentiment qu'il éprouve à se voir dépos-sédé par l'enfant de sa position centrale dans lavie de sa femme. Ce mécontentement est fré-quemment exacerbé par un sentiment d'inutilité- l'idée qu'il en est réduit à observer de l'exté-rieur les progrès d'une relation entre sa femmeet leur enfant dont il est exclu et qui n'enrichitqu'elle.

Les soupçons du nouveau père ont, hélas, sou-vent été renforcés par l'accord unanime des théo-riciens, des pédiatres et autres spécialistes quiadhèrent à la vieille idée reçue selon laquelle lenouveau père doit assumer avec d'autant plus derésolution la charge pécuniaire du mariage et dela paternité. Pendant plusieurs années au moins,ils ne lui concèdent aucun rôle dans la vie de l'en-fant en dehors de celui de gardien occasionnel.

En réalité, comme les recherches l'ontdémon-tré, ce point de vue est à la fois erroné et destruc-teur. Nous pensons qu'en renforçant l'amour propredu père, en le persuadant que, tout comme safemme, il a un rôle important à jouer dans l'in-tégration sociale de leurs enfants, on peut arri-ver à réduire sensiblement les répercussions desconflits conjugaux suscités par la naissance d'unbébé. On peut également prédire que, si le pèrese consacre avec enthousiasme à son rôle,

l'intensité comme la qualité des relations père-enfant iront s'améliorant.

Donner aux pères de famille un rôle plus impor-tant dans la vie de leurs enfants en bas âge ne de-vrait pas être interprété comme une menace pourle statut de la mère. Il s'agirait plutôt de com-prendre que les mères ne sont pas seules à por-ter la responsabilité (bien souvent écrasante)d'élever leurs enfants. L'éducation de ceux-cidevrait être considérée comme une entreprise àlaquelle le couple se consacre conjointement. Cen'est donc pas une menace pour leur relation maisplutôt une tâche qui ressemble à un défi, certestrès difficile à relever, mais finalement combienstimulant.

Conclusion

II nous faut admettre, pour conclure, que nosconnaissances sont encore vagues en ce qui con-cerne la nature et les conséquences des relationsmère-enfant et père-enfant. Mères et pères fontpartie d'un système familial complexe à l'intérieurduquel toutes les personnes exercent des influencesles unes sur les autres, tant directement qu'indi-rectement. Nous devons tenir compte de cette com-plexité du système familial non seulement lorsquenous cherchons à cerner le processus d'intégra-tion sociale des enfants plus âgés mais aussi lorsquenous voulons décrire le développement psycholo-gique de l'enfant en bas âge.

De toute évidence, il faut que chercheurs, théo-riciens et praticiens s'intéressent de plus près aurôle des pères dans le développement de leursenfants. La surestimation traditionnelle du rôledes mères ne permet malheureusement pas d'em-brasser dans toute leur complexité les processusd'intégration sociale dans notre espèce et dansnotre société.

L'EDUCATION DES PARENTS :UNE NECESSITE/1Evelyn Pickarts et Jean Fargo

La masse de connaissances et d'idées généralessur le monde qu'il faut assimiler avant de pouvoirmaîtriser une technique quelconque a été à peuprès multipliée par cent depuis le début du siècle.Le savoir s'est accumulé si rapidement que le sensde la notion de "disposition à apprendre" doit êtrerévisé en fonction de ce qu'elle représente pourles parents qui ont la charge de l'intégration so-ciale de l'enfant pendant les premières années desa vie.

1. Adaptation d'une étude d'Evelyn Pickarts et deJean Fargo, intitulée PARENT EDUCATION :Toward Parental compétence, p. 13-16 (C)1971. Réimpression avec l'autorisation dePrentice-Hall, Inc., Englewood Cliffs, NewJersey.

53

Page 53: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

Une maîtrise indispensable

On admet généralement que l'homme dont le monded'aujourd'hui comme celui de demain a besoinpour fonctionner est un individu autonome, altruiste,capable de s'adapter au changement et de jugeret choisir sciemment parmi les options multiplesque lui présente la réalité, en déployant pource faire un sens profond de la liberté et de laresponsabilité.

Il convient d'ajouter un autre élément à cettevision de l'individu apte à faire face au mondeproblématique et en mouvement perpétuel danslequel nous vivons : le long apprentissage néces-saire à la maîtrise des aptitudes indispensablesaux qualités d'autonomie et de dynamisme et auxfacultés d'adaptation et de jugement. Nous enarrivons ici à l'une des vérités les plus mécon-nues de notre temps : plus le travail que les gensaccomplissent (en particulier, tenir un ménageet élever des enfants) est technique et spécialisé,plus il dépend de l'assimilation d'une ''large basecommune de connaissances partagées". Nouscommençons aujourd'hui à prendre consciencedes conséquences de la complexité sans cessecroissante de la tâche de transmettre cette "largebase commune de connaissances partagées" d'unegénération à la suivante. Jérôme Bruner nousdonne un certain nombre de précisions, qu'il juged'ailleurs évidentes, sur la manière dont une so-ciété doit procéder pour doter ses jeunes du ba-gage nécessaire : "la société doit présenter cequ'il faut savoir, qu'il s'agisse d'une technique,d'un système de croyances ou d'un ensemble deconnaissances qui s'y rapportent, sous une formeassimilable par un débutant. Plus on en sait surle processus de croissance, plus on est en mesured'effectuer cette mise en forme. . . Toutes les so-ciétés ont à maintenir l'intérêt des jeunes pour leprocessus d'apprentissage, problème mineurdans un contexte de vie et d'action, mais beau-coup plus ardu dans des conditions plus abstraites.Finalement, et c'est peut-être la chose la plusévidente, une société doit faire en sorte que toutesles techniques et tous les procédés qui lui sont né-cessaires demeurent intacts d'une génération àl'autre, "/l

Les parents en tant qu'éducateurs

On a trop longtemps considéré que l'école avaitle monopole de la formation d'un type d'adultecapable d'agir de manière efficace dans une so-ciété chaque jour plus complexe, d'assimiler desconnaissances et de tirer parti de l'expérience.L'augmentation massive des connaissances obligeles parents à envisager d'un oeilnouveau les annéespréscolaires et la base qu'elles constituent pourl'éducation future de l'enfant.

"L'enfant qui naît aujourd'hui n'est guère dif-férent de celui qui était issu de nos ancêtres dela fin de l'âge de pierre. Son cerveau n'est niplus grand ni plus complexe. Ses sens ne sontpas affinés. En ce qui concerne la propension àla morale ou la conscience sociale, son héritagen'est pas plus riche. Et pourtant, en quelquescourtes années, nous attendons de lui qu'il se

conduise en adulte civilisé dans une société com-plexe. Si l'on veut qu'il y parvienne, son appren-tissage ne peut être laissé au hasard. . . Toutenfant destiné à vivre dans une société civiliséedoit apprendre un certain nombre de choses queles adultes ont le devoir de lui enseigner. C'estpour cela qu'il y a le foyer familial ; c'est pourcela qu'il y a l'école. S'ils refusent l'un etl'autred'assumer leurs responsabilités, les conséquencespeuvent être désastreuses"./^

Pour participer pleinement à la vie moderne,nous devons, par l'intermédiaire du processusd'intégration sociale, partager le vaste ensembled'informations, de techniques et de dispositionsmotivantes. Or tout cela ne peut être entièrementintégré que dans la mesure où les premières annéesde la vie de l'enfant lui ont donné les moyens detirer profit de son expérience en le prédisposantà découvrir dans sa vie ce qui signifie quelquechose. Il nous faut savoir tant de choses avant depouvoir comprendre le monde qui nous entourequ'il est indispensable que nous portions un regardnouveau sur les premières années de la vie et surleur importance pour la préparation d'une compétence.

Une étude plus approfondie des conséquencesde la pauvreté et de la privation nous a permis dedécouvrir l'importance de la disposition à apprendre.Nous nous rendons compte aujourd'hui que l'enfantdoit commencer à acquérir toute une gamme decapacités perceptuelles, cognitives, linguistiqueset socio-émotionnelles bien avant que débute pourlui l'éducation proprement dite. Même si l'ensei-gnement scolaire est de courte durée, le degré decontrôle qu'une personne exerce sur sa propreexistence dépend largement de la façon dont ellesait tirer profit de ses expériences pour favori-ser son épanouissement futur et augmenter sonefficacité. L'aptitude à utiliser la langue, à ma-nier les concepts, à comprendre les expérienceset à en tirer une leçon en vue de situations ana-logues affecte non seulement son pouvoir d'assi-milation mais aussi ses capacités de perception,son autonomie et la facilité avec laquelle elle saitutiliser les interprétations qui sont à la base detoutes les réactions humaines.

Le sens de la compétence que procure l'apti-tude à s'orienter dans son propre monde est unélément clé d'une saine image de soi-même.

La vaste et récente expansion de la recherchedes idées nouvelles concernant les effets déter-minants des premières expériences sur les jeunesenfants à considérablement mis en valeur le pro-gramme non écrit enseigné dans les foyers desclasses moyennes en Europe et en Amérique duNord qui donnent à l'enfant le genre d'environne-ment stimulant, enrichissant et protégé lui per-mettant d'apprendre à apprendre. L'enfant de lapetite bourgeoisie est motivé pour chercher à faire

1. Bruner, Jérôme. The growth of the mind.In : Rosenblith, Judy F. et Allesmith, W.The causes ofBehavior, vol. I. Boston, Allynand Bacon, 1966, 528 p.

2. Woodring, Paul. Freedom - notlicence. Satur-dayReview (New York, N. Y. ) 18 février 1967,p. 97.

54

Page 54: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

de nouvelles expériences, pour retarder l'abou-tissement de ses impulsions assez longtemps afinde pouvoir s'engager dans de nouvelles situationset pour manier les instruments de l'apprentissageparce qu'ils ont déjà fait partie de son expériencepassée. La mère, dans la petite bourgeoisie, estconsidérée, pour sa part, comme un être quicherche avant tout à favoriser l'individualité deson enfant, moins soucieuse, de se faire obéir,plus libre de lui donner une explication de la fa-çon dont les choses se passent et une idée plusnette de lui-même en tant qu'agent indépendantcapable de déclencher l'action, d'explorer l'in-connu et de manipuler librement son environne-ment pour mieux apprendre.

A la mère des classes moyennes, on opposesouvent la mère de la classe ouvrière, pour quil'éducation est le chemin qui mène à une vie meil-leure, mais qui est dans l'impossibilité de luttercontre les effets débilitants de conditions d'exis-tence précaires. Elle a l'impression, souvent àjuste titre, de n'avoir aucun pouvoir dans le rap-port de forces école-maison. Elle se rend biencompte que l'école ne toléreta pas que son enfants'exprime sans retenue et elle pense par consé-quent qu'il doit avoir une attitude passive et ré-servée. De ce fait, elle ne peut lui transmettrela conviction mentale qu'il mérite l'enseignementqu'il reçoit et qu'il est capable de l'assimiler.L'atmosphère qui règne dans un foyer de la petitebourgeoisie où la réussite et la sécurité sont desvisées légitimes favorise au contraire cette con-ceptualisation de soi plus libre et plus autonome.Dans ces circonstances, la vie a une structureplus nette, un véritable sens, et les parents voientplus claire ment le rôle qui leur revient dans l'édu-cation de leurs enfants. Le concept du temps- passé, présent, futur- a un sens dans la mesureoù les ambitions sont justifiées et où il faut parconséquent soigneusement s'y préparer. Le tempsprend de l'importance parce qu'il y a beaucoup àfaire.

Nous constatons ainsi que de nombreux enfantsarrivent à l'école parfaitement capables de se si-tuer au centre de leur propre apprentissage, d'in-tégrer de nouvelles informations sur eux-mêmeset sur leur monde - et ceci de façon ordonnée -de se sentir compétents, efficaces et désireux defaire de nouvelles expériences. Il y en a pourtantaussi beaucoup d'autres à qui l'environnementparaît diffus et inexplicable, qui manquent de di-rectives pour les aider à déterminer le sens deleurs expériences et qui abordent la nouveautémal armés et de façon désordonnée. Bien qu'ilsaient souvent toutes sortes de compétences utilesdans le contexte familial et communautaire leplus proche, lorsqu'ils sont confrontés aux tâchesque l'école ou la communauté au sens le plus largeleur impose, ils deviennent inefficaces et éprouventun profond sentiment d'échec.

Il ne fait aucun doute que la société dans sonensemble doit procéder à des changements radi-caux dans sa trame même pour pouvoir offrir unmonde plus enrichissant à certains sinon à la plu-part de ses membres. Il ne fait aucun doute nonplus que les écoles doivent d'urgence donner auxenfants un enseignement qui soit plus approfondi

et qui leur soit destiné en propre. Il existe cepen-dant un certain nombre d'aptitudes universellesque l'enfant doit acquérir au préalable s'il veutatteindre un certain degré de liberté et d'indépen-dance individuelle dans le contexte actuel de notresociété.

Celles-ci consistent essentiellement à com-prendre la signification de ses propres expériencesquel que soit le contexte social et le système devaleurs en vigueur. Elles sont intrinsèquementliées au rôle de médiateur joué par les parentsdans la relation entre l'enfant et son expérience.Bien que notre compréhension de la nature de cesaptitudes soit incomplète, il nous est possible deconclure que la compétence des parents à ce ni-veau peut sans aucun doute être améliorée parl'éducation.

PREPARATION AU ROLE DE PARENTS/1

Richard R. Skemp

Les influences éducatives qui s'exercent sur lavie de chacun de nous proviennent principalementde trois groupes humains : nos parents, nos pairset nos professeurs. Seuls ces derniers sont pré-parés à ce rôle de par leur profession. Et pour-tant la paternité et la maternité sont certainementl'un des métiers les plus importants et peuventdevenir l'un des plus délicats et des plus satis-faisants de tous.

Telle est l'idée majeure qui doit s'imposer nonseulement dans le cadre des cours d'économie fa-miliale dans les écoles mais également dans lasociété en général. Il est tellement facile de malélever ses enfants qu'on voit mal au premier abordà quel point il est difficile de le faire bien. Pour-tant si nous comparons la contribution à la vie so-ciale d'individus émotionnellement équilibrés etdont les capacités intellectuelles se sont dévelop-pées librement avec le comportement socialementet physiquement destructeur des individus de lacatégorie opposée, la différence donne une premièrenotion de l'importance des effets de l'éducation.

Même du point de vue matériel du rapport coût/efficacité, l'éducation des parents est payante ; entermes de bonheur et d'épanouissement humains,le rôle de père et de mère mérite un statut aumoins égal à celui d'une carrière libérale commela médecine et le professorat.

Cette idée vaut d'être soulignée d'emblée aucommencement de n'importe quel cours sur lesaspects psychologiques de l'éducation de l'enfant;mais elle ne peut être saisie pleinement que parl'assimilation du contenu du cours lui-même. Queldevrait donc être ce contenu ?

Pendant le temps et à l'âge des études secon-daires, iln'estpas possible d'apprendre aux enfantstout ce qu'ils auront besoin de savoir à l'avenir.Mais c'est bien à cette époque-là qu'il faut débu-ter. Nous devons nous fixer un double objectif :leur faire connaître quelques-uns des principaux

1. Reproduit avec l'autorisation de The TimesEducational Supplément, Londres, 10novembre1978, n°2998, p. 42.

55

Page 55: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

résultats des recherches faites afin de constituerun ensemble d'idées à partir duquel ils peuventconstruire et leur apprendre à tirer profit de leurspropres expériences avec de jeunes enfants.

Que faut-il enseigner ?

On ne saurait trop insister sur le simple fait del'importance considérable des cinq premièresannées de la vie. Nous apprenons plus en cescinq années que nous n'en apprendrons jamaisplus tard dans le même laps de temps ; et ce quenous apprenons là est appelé à avoir une influencecapitale sur la manière dont nous interpréteronsnos expériences futures et y réagirons, et sur ceque nous en retiendrons.

Les élèves devraient être incités à réfléchiraux connaissances que l'on acquiert durant cettepériode, d'abord en étudiant des exemples précispuis en établissant progressive ment classificationset généralisations. Les bébés doivent apprendrede simples gestes de coordination - saisir, setenir debout, marcher. Il suffit d'observer unbébé en train d'essayer d'attraper quelque chosequ'il voit pour se rendre compte de l'énorme tra-vrail que représente pour lui une activité muscu-laire guidée par la vision. Ceci suggère l'idéed'un enseignement intersensoriel dont la lecture(en tant qu'union de l'activité musculaire, de sonsvocaux et de la vision) est l'exemple principal.

Les enfants apprennent "comment on fait"- comment on ouvre une porte, comment on tournele bouton de la télévision, comment on tire lachasse d'eau. Ils découvrent "que" le feu brûle,tomber fait mal, maman console, l'eau coule,les choses tombent si on les lâche. Ils apprennent"ce qu'il faut faire" s'ils ont faim, soif, froid oupeur.

Chose moins évidente sans doute mais d'uneportée plus grande : ils accumulent ce qui cons-tituera les bases de toutes les relations humainesfutures. Ils découvrent que les êtres qui jouentun rôle important dans leurs vies sont affectueux,dignes de confiance et d'humeur constante ou, aucontraire, durs, instables et peu sûrs.

Un autre aspect peut être mentionné ici : l'ini-tiation à la communication. La parole nous donnela possibilité d'apprendre non seulement en utili-sant notre propre expérience mais également entirant parti de celle des autres. Elle nous évite aussien grande partie d'avoir à deviner les sentimentset les intentions d'autrui, et est donc un moyensocial et objectif d'apprendre.

Les apprentis parents ont non seulement be-soin de savoir ce que les enfants apprennent maisaussi comment ils apprennent. Sur ce plan, noussuggérerons non pas le type de "théorie de l'en-seignement" que l'on professe en général dansles écoles normales, mais une meilleure com-préhension de quelques-unes des fonctions du jeudans la vie du jeune enfant. La plupart des genspensent encore que le jeu est une activité plus oumoins gratuite sans autre but que l'amusement.En observant des enfants qui jouent, les appren-tis parents pourront se rendre compte qu'il s'agitenréalité de la façon naturelle d'apprendre pour l'en-fant. En voyantle parti qu'en tirent les monitrices

des écoles maternelles et les instituteurs pourdévelopper dans diverses directions les aptitudeset les talents de l'enfant qui grandit, ils découvri-ront le matériel de jeu et les divers moyens qu'ilsauront à fournir à leurs propres enfants.

Les apprentis parents ont avant tout besoind'apprendre à observer et à écouter les enfants,à communiquer et à jouer avec eux pour prendreconscience d'eux en tant qu'êtres humains à partentière et pour savoir dès lors les considérercomme des individus aussi intelligents qu'eux-mêmes, en jugeant non pas par rapporta ce qu'ilssavent faire mais en fonction de la rapidité aveclaquelle ils apprennent.

Comment tout ceci devrait-il être enseignéet à qui ?

L'éducation des enfants se présente avant toutcomme un problème pratique. On se préoccuperadonc de savoir comment les élèves du secondaireacquièrent l'expérience pratique à partir de la-quelle ils peuvent développer une certaine com-préhension des domaines que nous avons mention-nés plus haut. Le mieux est ici de répéter lessuggestions faites par Vesta Gill dans une lettreau Times Eductional Supplément (13 octobre 1 978).

Elle suggère en substance qu'à chaque écolesecondaire devrait être annexée une école ou uneclasse maternelle etprécise tous les autres aspectsdes programmes d'études qui pourraient y êtrereliés en plus de l'aspect psychologique dont ilest ici question. Onpourraitde la sorte faire d'unepierre deux coups en ouvrant de nouvelles classesde maternelle - encore qu'il importerait de lesconsidérer comme complétant l'éducation par lesparents, qu'elles ne sauraient remplacer.

Bien que les soins des enfants soient générale-ment considérés comme des attributions de lafemme, les garçons sont eux aussi de futurs pa-rents et ils ont certainement plus besoin d'aideque les filles pour devenir de bons parents. Enoutre, pour être équilibré, le développement psy-chologique de l'enfant nécessite une relation sa-tisfaisante (bien que différente) avec chacun desparents. Il semble donc qu'il existe de multiplesraisons pour que les garçons prennent part à cescours sur le rôle des parents, au même titre queles filles.

De fait, si ce secteur de l'enseignement acquiertun jour le statut mérité d'une carrière parmi lesplus importantes, exigeant les qualifications lesplus hautes, ce sera l'un des premiers dans les-quels les femmes seront à priori plus qualifiéeset pour lesquels les hommes auront à faire lapreuve de leurs aptitudes.

LES MALENTENDUS QUI ENTOURENTL'ENFANT ET SES FAÇONS D'APPRENDRE/1

David Elkind

Récemment, une jeune mère de notre connais-sance nous disait avec une certaine fierté : "Même

1. D'après Today's Education (Washington D. C.Vol. 64, n° 2, mars/avril 1975, p. 45-47.

56

Page 56: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

lorsqu'elle préférerait faire autre chose, j'insistepour que ma fille de quatre ans regarde des livres. "Soucieuse du développement intellectuel de sonenfant, elle est persuadée que ce qu'elle lui faitfaire lui sera utile plus tard quand elle ira àl'école.

De nos jours, beaucoup de mères contraignentleurs enfants à apprendre des chiffres, des lettres,des formes, etc. , avantqu'ils soient en âge d'allerà l'école. Malheureusement, ces parents semblentsouvent se préoccuper beaucoup plus du dévelop-pement intellectuel de leurs enfants que de leurssentiments, de leurs intérêts et de leurs attitudes.Nombreux sont les parents qui n'arrivent pas àcomprendre qu'en essayant de forcer l'enfant enbas âge à apprendre des choses précises, ilsrisquent de susciter en eux de l'aversion pourtout enseignement organisé. Ce dégoût peut avoirdes répercussions graves et durables sur les ré-sultats scolaires des enfants.

On fait facilement l'erreur de croire que lesenfants sont très proches des adultes par leursmodes de pensée et s'en distinguent davantagepar leurs émotions. En réalité, c'est exactementl'inverse. Et c'est précisément cette méprise quia poussé la mère dont nous avons parlé à obligersa fille à regarder des livres. La même personnene penserait sûrement pas à insister auprès deson mari pour qu'il lise un livre susceptible àson avis de "lui faire du bien". Elle se rendraitcompte au contraire que cette façon de procéderserait peut-être le meilleur moyen de l'inciterà ne pas lire ce livre. Et pourtant, parce qu'ellecroit que les sentiments des enfants sont diffé-rents de ceux des adultes, elle emploie avec unenfant une technique dont elle sait qu'elle ne don-nerait aucun résultat avec une grande personne.

Enseignants et parents, tous sont enclins àidentifier le processus de pensée d'un enfant avecle leur. Par exemple, lorsqu'un enfant demande :"pourquoi le soleil est-il chaud ? ", il y a deschances pour que son père lui explique que lesoleil donne de la lumière et qu'il faut de la cha-leur pour produire de la lumière. La relationentre la chaleur et la lumière n'est pourtant pasévidente et le jeune enfant aura du mal à com-prendre. En vérité, l'enfant qui pose cette ques-tion cherche plutôt à se renseigner sur le but dela chaleur du soleil. Il faudrait répondre : "pournous tenir chaud" ou "pour que nous puissionsbronzer". Ces réponses ne sont pas tout à faitinexactes et elles correspondent à la convictionintime de l'enfant pour qui tout a une raison d'être.

Parce que les jeunes enfants sont souvent toutà fait capables de s'exprimer verbalement, lesadultes surestiment fréquemment leur capacitéde penser.

Il existe un second malentendu en ce qui con-cerne les jeunes enfants. On croit trop souventqu'ils apprenent mieux, assis, à écouter sansbouger. Cette erreur vient du fait que les parents,une fois encore, ont tendance à généraliser leurpropre expérience d'adulte. Il est exact que nousautres adultes apprenons souvent en écoutantattentivement une conférence ou en lisant un livre.Les jeunes enfants cependant sont incapables d'uneactivité mentale ou de réflexions comparables à

celles des adultes. Ils apprennent en se plongeantdans des activités véritables où interviennent desobjets concrets, tels que cubes ou poupées.

Grâce aux travaux du psychologue suisseJ. Piaget, nous savons maintenant que c'estl'action de l'enfant sur les choses qui facilite sonactivité mentale et stimule sa pensée. Ses actionssont progressivement miniaturisées et intériori-sées jusqu'à ce que l'enfant soit en mesure defaire dans sa tête ce qu'auparavant il devait faireavec les mains. L'intériorisation de l'action sefait graduellement pendant la première enfanceet s'achève vers l'âge de six ou sept ans.

Pour illustrer ce phénomène d'intériorisation,observons deux enfants, un de quatre ans et unautre de six ans jouant au jeu du labyrinthe surun papier. Le plus jeune pose immédiatement soncrayon sur le papier et essaie de trouver le bonchemin. Le plus grand, en revanche, étudie lelabyrinthe mentalement et ne pose le crayon surle papier qu'après avoir intérieurement décidé duchemin qu'il devait suivre.

Ainsi, lorsque nous disons que les jeunes enfantsapprennent activement, nous devons prendre l'imageau pied de la lettre. Comme nous le dit l'éduca-trice italienne Maria Montessori "le jeu est letravail de l'enfant. "En jouant, les enfants s'exercentaux divers actes qu'ils finiront par intérioriser.Pour cette raison, même s'il est commode pourles adultes de penser que les enfants apprennenten restant assis sans bouger, ce qu'ils apprennentde cette façon-là n'est en général par retenu bienlongtemps. En revanche, c'est la capacité de pen-ser que les enfants acquièrent en manipulant acti-vement ce qui se trouve dans leur entourage.

En troisième lieu, nous nous méprenons surles enfants si nous croyons qu'ils peuvent apprendreet agir selon des règles établies. De nombreuxparents ont fait l'expérience de répéter mainteset maintes fois à un jeune enfant qu'il ne doit pasfrapper son petit frère ou démanteler ses jouetset qu'il doit dire merci quand on lui donne quelquechose. Or l'enfant qui n'a pas encore intérioriséla pensée ne peut pas non plus intérioriser lesrègles. De ce fait, si les enfants comprennentdans un cas précis qu'il leur est interdit de frap-per leur frère ou de casser des jouets, ils sonten revanche incapables de généraliser ces consignesà d'autres cas semblables. Il en va de même pourapprendre à dire merci.

Le fait que les jeunes enfants soient incapablesd'apprendre des règles a des conséquences parti-culières sur les programmes éducatifs préparésà leur intention. Nous avons déjà remarqué quec'est en jouant et en manipulant les objets qui setrouvent dans leur entourage que les jeunes enfantsapprennent le mieux. Leur incapacité d'apprendredes règles générales exprimées verbalement con-firme cette observation et plaide contre cette formeclassique d'enseignement (qui suppose des coursoraux, un programme et des objectifs éducatifs).L'enseignement traditionnel, que ce soit celui dela lecture, de l'arithmétique ou de l'orthographe,implique l'inculcation d'un certain nombre de règleset ne convient donc pas à la majorité des enfantsqui n'ont pas atteint l'âge de la scolarité.

En revanche, il existe toute une série d'activités

57

Page 57: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

qui sont adaptées au travail d'éducation des enfantsde cet âge. L'une d'elles consiste à écrire etimprimer des lettres, exercice dont Maria Mon-tessori et Grâce Maxwell Fernald ont toutes deuxfait remarquer l'importance pour l'apprentissageultérieur de la lecture. L'écriture en tant quepréparation à la lecture se justifie tout autant dupoint de vue théorique que dans l'optique pédago-gique à la lumière des idées avancées plus haut.La pensée étant une intériorisation de l'action,la lecture peut être considérée, en partie du moins,comme dérivant de l'intériorisation de l'actiond'écrire. De toute évidence, la lecture impliquebeaucoup plus que la simple capacité de reproduiredes lettres ; mais cette reproduction est une acti-vité préparatoire à la lecture pour les enfants quin'ont pas encore l'âge d'apprendre à lire.

Autre malentendu fréquent à propos des jeunesenfants : on croit qu'accélérer vaut mieux quedévelopper. Par exemple, de nombreux parentspassent beaucoup de temps à essayer d'enseignerla lecture ou le calcul à leurs enfants. Ils ontl'air de croire que, si les enfants prennent unbon départ dans ces matières spécifiques, ilsprendront un bon départ dans l'ensemble de leursétudes. Or, c'est plutôt l'inverse qui est vrai.

Les enfants qui développent les aptitudes qu'ilspossèdent d'emblée, telles que celle de rangerdes objets différents par ordre de taille (cubes,poupées, bâtons, chiens, etc. ) seront certaine-ment mieux préparés à leur apprentissage futurque ceux qui ont abordé beaucoup de notions entrès peu de temps sans avoir eu la possibilité deles assimiler et de mettre en pratique ce qu'ilsont appris.

Cette situation est assez comparable à celled'un étudiant qui bachote pour préparer un exa-men au lieu d'étudier régulièrement tout au longde l'année. Même si les résultats obtenus à l'exa-men sont assez semblables, celui qui aura étudiérégulièrement sera probablement mieux préparéà la poursuite de ses études que celui qui, chaqueannée, ne travaille qu'à l'époque des examens.C'est un peu cette deuxième attitude que les pa-rents imposent à leurs enfants en essayant de leurbourrer le crâne de connaissances ou de tech-niques bien déterminées ; les résultats ne peuventêtre qu'éphémères, comme dans le cas de l'étu-diant qui bachote.

Il nous faut encore mentionner une dernièreerreur fréquemment faite à propos des jeunesenfants, en ce qui concerne la possibilité pourles parents ou les professeurs d'améliorer leQI d'un enfant. Le QI est sans nul doute affectépar l'environnement, mais la plupart des enfantsde classes moyennes ont toutes chances d'avoirun développement intellectuel aussi rapide queleurs capacités innées le permettent. Tout apportsupplémentaire est appelé à n'avoir que peu d'effetssur leurs capacités intellectuelles quoiqu'il puissemodifier l'usage qu'ils en font.

Les enfants dont les capacités intellectuellesont été sou s-employé es peuvent, en revanche,nettement améliorer les résultats de leur travailpar un enrichissement intellectuel. De même qu'unenfant qui a grandi avec une alimentation équili-brée ne tirera pas grand profit d'un surcroît de

nutrition qui, en revanche, fera grand bien à unenfant dont le régime aura été déficient , de même,un enfant bien nourri intellectuellement ne tireraaucun avantage sensible d'un apport intellectuelsupplémentaire, ce qui ne sera pas le cas de l'en-fant sous-alimenté à cet égard.

Tous ces malentendus découlent, dans une largemesure, de l'importance excessive que notre so-ciété accorde à la croissance intellectuelle del'être au mépris de l'aspect personnel et socialde son développement. Nous savons que cela faitvieux jeu de parler de l'enfant dans son ensembleet des soins affectueux et tendres dont il a besoin.Pourtant, nous sommes persuadés que la majoritédes problèmes que soulève aujourd'hui l'éducationdes enfants pourraient être évités si le souci desrésultats scolaires était équilibré par une atten-tion tout aussi forte portée au sentiment humainqu'ont les enfants de leur propre valeur.

L'ESPRIT PREND FORME/1

Maya Pines

Demandez à des parents quelle est, à leur avis,la période de la vie d'un enfant qui joue le plusgrand rôle dans son développement intellectuel.Vous obtiendrez les réponses les plus diverses :entre 3 et 6 ans, la première année d'école pri-maire, la phase prénatale ou peut-être encore lespremières semaines qui suivent la naissance.Presque personne ne donnera la réponse qui sedégage aujourd'hui clairement d'une étude capi-tale sur les jeunes enfants : les huit moiss'écou-lant entre l'âge de 10 mois et celui d'un an etdemi, période qui jusqu'à présent n'a pas reçude nom.

Cette étude révèle que pendant ce court lapsde temps, plus qu'à toute autre époque de la viede l'enfant, les actes de la mère ont une influencedéterminante sur ses compétences futures. Ellepeut faire de lui un individu brillant qui, sauf ca-tastrophe, a toutes les chances de réussir dansla vie, quoi qu'il entreprenne, ou elle peut pro-duire un raté intellectuel et social qu'il sera trèsdifficile de changer. Et pourtant, personne nel'avertit des dangers de cette période, ni de sonpotentiel. Personne ne lui fournit d'indicationssysceptibles de là guider durant ce temps. C'estentièrement d'instinct qu'elle prend chaque jourles décisions concernant la vie quotidienne de l'en-fant, sans avoir la moindre idée de leur immenseportée, puisque, très récemment encore, les spé-cialistes eux-mêmes n'en étaient pas conscients.

Le Harvard Pre-School Project est une gigan-tesque opération de recherche qui fut lancée parle psychologue Burton L. White en 1965, sans quel'on songeât alors à la concentrer en particuliersur cette période. A l'époque, le pays commen-çait à prendre conscience du fait que le succès ou

1. Extrait de l'étude de Maya Pines intitulée :Spécial Report : A child's mind is shapedbefore âge 2. Life (New York) 15 décembre1971, p. 62-68. (Réimprimé avec l'autorisa-tion de l'auteur).

58

Page 58: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

l'échec des enfants à l'école paraissait d'une cer-taine manière déterminé avant même qu'ils com-mencent les cours, à l'âge de six ans. Dans unlivre publié en 1964 - Stability and change inhuman characteristics - le Dr Benjamin S. Bloomde l'Université de Chicago signalait que, dèsl'âge de 4 ans, l'intelligence d'une personne estdéterminée à 50 %. Jusque-là, selon Bloom, l'in-telligence de l'enfant est extrêmement malléable,mais après, les possibilités de la développer di-minuent et des efforts de plus en plus importantssont nécessaires pour produire un changementdéterminé.

Les parents se trouvaient donc tout à coupchargés d'un nouveau fardeau de responsabilité.Dans les années 1950, on les avait incités à sesentir coupables s'ils se préoccupaient particu-lièrement du développement intellectuel de leursjeunes enfants : celui-ci était supposé se fairetout seul suivant un calendrier naturel, pourvuque la mère fût affectueuse et chaleureuse. Vers1965, il devenait évident que l'amour maternelne suffisait pas et qu'il fallait quelque chosed'autre pour préparer l'enfant à assimiler l'en-seignement de l'école. Les parents ne devaientpas simplement s'inquiéter très tôt du dévelop-pement émotionnel et social de leurs enfants ;ils étaient désormais aussi responsables de leurcroissance intellectuelle.

Mais que devaient-ils faire ? Dans ce domaine,malheureusement, personne ne pouvait les aider;pas de Dr Spock de l'intellect à qui s'adresser.Peu d'hommes de sciences s'étaient réellementpréoccupés de cette question au cours des précé-dentes décennies. Ils étaient trop occupés à étu-dier les avantages et les inconvénients de l'allai-tement maternel, du contrôle précoce des besoinsnaturels et autres sujets brûlants de l'ère freu-dienne. Tout préoccupés qu'ils étaient des "blo-cages émotionnels'1, ils n'avaient rien tenté pourdéterminer ce qui causait les handicaps éducatifsou les talents exceptionnels de certains enfants.Il existait un certain nombre de programmes expé-rimentaux dans ce domaine assez général, maisil restait à trouver une solution vraiment satis-faisante à la question de savoir comment produiredes enfants intellectuellement compétents.

Tel était le but que se fixait le Harvard Pre-School Project. Mais il fallait d'abord détermi-ner les critères permettant de reconnaître unenfant "compétent". "Qu'est-ce exactement quela compétence à six ans ?" demandait White, etd'ajouter : "Si vous ne savez pas répondre à cettequestion, vous ne pouvez avoir la moindre idée dece que vous cherchez à obtenir. "

White lui-même et une douzaine d'autres cher-cheurs se mirent au travail comme un groupe denaturalistes qui étudierait une espèce inconnue.Une fois par semaine, ils allaient observer lesenfants dans des jardins d'enfants et des mater-nelles pilotes, soumettant bon nombre d'entre euxà des tests, parlant d'eux avec leurs éducateurset ils finirent par sélectionner deux groupes d'en-fants normaux de trois à six ans aux caractéris-tiques opposées. Le premier, le groupe A, étaitd'un niveau particulièrement élevé dans tous lesdomaine de compétence : non seulement le s enfants

étaient prêts à aborder la première année d'écolemais ils étaient aussi capables de régler les pro-blèmes qui surgissaient aussi bien en classe quedans la cour de récréation. Dans l'autre groupe,le groupe C, aucun des enfants ne paraissait ja-mais à la hauteur des situations. Comme Whiteet Watts, responsable de la codirection du projet,l'expliquent avec précision dans le livre qu'ilsviennent de terminer, intitulé Major Influenceson the development of young children, ils étu-dièrent ces deux groupes avec beaucoup d'attentionpour essayer de déterminer en quoi ils différaient.

Les capacités motrices et sensorielles desjeunes enfants se révélèrent tout à fait comparables.Les véritables différences apparaissaient au niveaud'un ensemble de compétences sociales et intellec-tuelles, subdivisées en dix-sept aptitudes spéci-fiques que tous les enfants du groupe A possédaientmais qui manquaient aux autres. Les plus capables,par exemple, savaient toujours comment attirerl'attention des adultes pour obtenir le renseigne-ment ou l'aide dont ils avaient besoin, tandis queles plus inaptes restaient amorphes ou bien dé-rangeaient toute la classe. Les enfants du groupe Asavaient prévoir les conséquences des actes ; ilsplanifiaient et exécutaient des projets compliqués,et comprenaient des phrases très complexes.

Chacune de ces aptitudes pouvait d'une manièreou d'une autre être testée à tout âge et les cher-cheurs en arrivèrent assez rapidement à une con-clusion saisissante : les plus jeunes enfants dugroupe A, à peine âgés de trois ans, possédaientexactement le même ensemble de capacités queles enfants de six ans du même groupe. Ils pa-raissaient également très en avance sur les enfantsde six ans du groupe C par leurs capacités intel-lectuelles aussi bien que sociales. Autrement dit,les chercheurs étaient arrivés trop tard : quelleque fût la cause des différences entre les deuxgroupes, elle avaitagi bien avantl'âge de trois ans.

Voies divergentes

Arrivés à ce stade, les chercheurs abandonnèrentles "grands", désertèrent jardins d'enfants etécoles maternelles et se concentrèrent sur lesmaisons de tout-petits, âgés de 1 à 3 ans. Ils nes'intéressaient spécialement ni à la race, ni aurevenu, ni au niveau d'instruction, ni au genre derésidence des parents (types de renseignementsqui, pour certains sociologues, expliquent tout)mais plutôt aux expériences qui constituaient, enfait, le monde du petit enfant. Sa mère lui parlait-elle souvent ? Que lui apprenait-elle ? Quellessortes d'encouragements ou de restrictions appor-tait-elle dans sa vie ? Qui prenait le plus souventl'initiative des activités : l'enfant ou la mère ?Quels genres de jouets l'enfant utilisait-il et com-ment ? Une équipe d'observateurs armés de magné-tophones s'occupait d'enregistrer minute par minutele comportement de l'enfant tandis que l'autre équipe,sous la direction de Watts, étudiait le rôle de lamère et des objets qui entouraient l'enfant.

Au bout de deux années de travail assidu, aurisque de se noyer dans le détail des activités dequarante mères et de leurs enfants, les enquêteursdu projet finirent par découvrir ce qu'ils cherchaient ;

59

Page 59: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

le point à partir duquel les chemins des bambinsA et C commençaient à diverger.

A l'âge de deux ans, déjà, les différences entreles deux groupes étaient manifestes. Même à unan et demi, le développement de l'enfant semblaitdéfini : sa voie était prévisible. En revanche,lorsqu'ils étudiaient des petits de dix mois, leschercheurs n'étaient plus capables de trouversuffisamment de différences pour séparer lesenfants en deux groupes. De toute évidence,quelque chose de très important avait lieu entre10 mois et 1 an et demi qui orientait la croissancedes enfants dans une direction ou dans une autre.

"Nous sommes devenus assez sûrs de cettedivergence et avons commencé à apercevoir sesraisons" déclare le professeur White. A son avis,tout dépend de la mère : "La mère occupe exac-tement la position clé où Freud l'avait mise".Entre 10 et 18 mois, les enfants subissent unetransformation radicale. Soudain, ils peuventmarcher, se promener dans la maison, fureterpartout. A la même époque, ils commencent àcomprendre le langage et à s'affirmer. C'estune période difficile pour la mère, une sorte dephase expérimentale et sa réaction détermine engrande partie ce que seront les capacités de l'en-fant quand il aura trois ans.

Dans le cas des enfants de la catégorie A, quefont les mères pendant cette période ? On cons-tate avec surprise qu'elles ne passent pas telle-ment de temps à parler ou à jouer avec leur enfant- elles sont bien trop occupées, quelques-unesmême travaillent à temps partiel. White estime queces mères passentrarementplus de 10% du tempsde veille de l'enfant à lui consacrer toute leurattention (pour un bébé qui dort 12 heures parjour, cela ne fait guère que 1 heure 20). Ellesne cherchent pas non plus particulièrement àleur apprendre des choses.

Une mère conseillère

Elles sont toutefois merveilleusement efficacesdans deux domaines : (1) indirectement, sur leplan de l'organisation, de la conception et del'aménagement de l'environnement physique del'enfant, et (2) directement, en tant que conseil-lères de l'enfant découvrant son environnement.

Ces deux rôles sont certainement aussi impor-tants l'un que l'autre, puisqu'à un an, un enfantsemble beaucoup plus intéressé par l'explorationque par les relations sociales. "C'est l'hommeconfronté à la nature" explique White. Jusqu'àce que ses chercheurs le chronomètrent de façonprécise, personne n'aurait pu deviner qu'un enfantd'un an passait plus d'un cinquième de ses heuresde veille à "accumuler des renseignements enobservant" - c'est-à-dire en regardant fixementdiverses choses comme s'il cherchait à en gra-ver les caractéristiques dans sa mémoire. Enréalité, c'est probablement l'activité principaledes enfants. Us tentent aussi de petites expé-riences scientifiques - comme la petite fille de13 mois qui laisse accidentellement tomber unmorceau de viande dans son lait, paraît alarméede le voir couler et y met alors délibérément unepomme chip que, médusée, elle regarde flotter.

Peu après, l'enfant pousse des cris aigus lorsquesa mère retire le verre avant qu'elle ait fini sesexpériences. Les mères du groupe A fournissentà leur enfant toutes sortes de jouets variés etd'objets familiers avec lesquels il peut s'amuser ;elles le laissent libre de circuler dans la maison,placent généralement poisons et ustensiles tran-chants hors de portée du bambin, afin qu'il puissesans danger manipuler tout ce qu'il rencontre. Lesmères du groupe C, pour leur part, protègent leurenfant (et leurs biens) en lui interdisant l'accès debon nombre d'endroits. Elles restreignent ainsison instinct d'exploration. Selon White, un usagequotidien des parcs, chaises hautes ou barrièrespendant une période prolongée risque de refrénersérieusement la curiosité de l'enfant, suffisam-ment en tout cas pour faire obstacle à son déve-loppement intellectuel vers l'âge de 18 mois.

C'est lorsque le bébé d'un an part en explora-tion et qu'il rencontre quelque chose de particu-lièrement excitant ou un obstacle qu'il ne peut sur-monter que la mère doit jouer son rôle de conseil-lère. White note que, dans la plupart des cas, lamère du groupe A s'interrompra pendantles quelquessecondes nécessaires et (a) enseignera quelquesmots nouveaux à l'enfant, (b) excitera sa curio-sité, (c) lui glissera à l'occasion quelques idéesqui vont lui donner à penser et (d) lui enseigneradu même coup une technique importante : avoirrecours aux adultes. "Elle fait tout ceci par petitsépisodes de 10 à 20 secondes maintes fois parjour" précise White avec admiration. "Remar-quez bien que l'initiative vient de l'enfant - maiselle l'encourage à venir à bout des tâches qu'ils'assigne lui-même". Les mères du groupe C,fait-il remarquer, ne sont pas aussi disponibles.Elles sont peut-être affectueuses, patientes, bienintentionnées, mais elles ne partagent pas lesenthousiasmes du bébé ; elles lui parlent beaucoupmoins et ne savent pas le stimuler intellectuelle-ment. Parfois, les mères du groupe A se débrouillentmême pour transformer la situation la plus banalede la vie quotidienne - changer les couches de l'en-fant, par exemple - en une occasion de jouer à desjeux intellectuellement stimulants, tels que cacherdes objets derrières son dos, qui montre à l'enfantque les choses existent même lorsqu'elles ne sontpas visibles. Les mères du groupe C, en revanche,encouragent rarement les efforts que fait l'enfantpour comprendre ce qui l'entoure.

Si la période comprise entre 10 et 18 mois noussemble tellement décisive, c'est parce que c'estle moment où la mère révèle sa manière de faire.Comme nous l'explique Watts : "Par ses paroleset par ses actes, elle commence à mettre en évi-dence certaines valeurs qui étayent son systèmed'éducation ; ces prises de position se renforcentpeu à peu". Ceci ne signifie pas que le sort del'enfant est à jamais fixé dès l'âge de 18 mois. Sil'environnement est modifié, il peut très bien chan-ger radicalement, en mieux ou en pire. Mais si lebébé reste avec sa mère, comme c'est probable,et si celle-ci continue à se comporter de la mêmefaçon, les axes selon lesquels l'enfant va se déve-lopper sont tout tracés. Dans tous les cas quenous avons continué à suivre, les enfants ini-tialement dans le groupe A persistaient à exceller

60

Page 60: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

tandis que les autres restaient à la traîne.Le projet n'a tenté en aucune manière de mo-

difier les méthodes d'enseignement des mères.White insiste sur le fait qu'il s'agissait d'une expé-rience naturelle : "Jusqu'à présent, c'est nousqui avons appris d'elles". Il a notamment apprisque "l'on n'a pas besoin de grand-chose pour bienélever un enfant de cet âge, pas même d'un ma-riage parfaitement heureux". Le plus souvent, ona surtout besoin de quelques conseils pratiqueset de quelques notions (les uns et les autres aisésà obtenir) sur la façon dont l'esprit du bébé se dé-veloppe et de vastes réserves d'énergie, car éle-ver des enfants de cet âge est une tâche qui enexige énormément. Du moment qu'elle possèdeces qualités, une autre personne peut faire unaussi bon travail qu'une bonne mère.

L'idée vient alors d'essayer d'informer lesjeunes femmes avant que leurs modes d'éduca-tion des enfants soient fixés. White a ainsi l'in-tention de s'entretenir l'année prochaine/1 avecdes femmes enceintes pour les aider à prendreconscience des qualités d'une mère du groupe Aet de ce qu'elle peut faire pour développer lesaptitudes innées de son enfant. Il les encourageraà peupler le monde de leur enfant, lorsqu'il aentre 10 et 18 mois, de petits objets maniableset composites (jouets ou objets de la vie quoti-dienne) et d'objets plus grands sur lesquels ilpeut grimper ou se déplacer, afin qu'il en uselibrement. La liberté complète de l'enfant estpeut-être incompatible avec une maison impec-cable mais les mères de la catégorie A ne sontpas des maîtresses de maison méticuleuses. Illeur conseillera d'essayer d'enseigner le pluspossible au cours de leurs brèves interventionsdans les explorations de l'enfant, de commencerpar tâcher de comprendre ce que l'activité de l'en-fant signifie pour lui et de voir ce qu'il peut entirer comme leçon, puis de lui suggérer quelquechose de nouveau et d'intéressant à penser ou àfaire dans le même ordre d'idées. Il n'y a aucuneraison pour qu'une mère interrompe ce qu'elleest en train de faire chaque fois que l'enfant essaied'attirer son attention, leur expliquera-t-il, maisla plupart du temps elle devrait cependant réagiren l'aidant ou en partageant son enthousiasme,stimulant le désir qu'a l'enfant de faire les chosescorrectement et lui suggérant peut-être une tâcheou un jeu analogue qu'il pourrait essayer la pro-chaine fois. Si, par exemple, une petite fille vientvoir sa mère pour lui faire admirer la façon dontelle a habillé sa poupée, celle-ci peut éventuelle-ment faire un peu plus que la complimenter - ellepeut l'emmener devant un miroir où la petitepourra voir son oeuvre sous un autre angle touten découvrant le principe de la réflexion. Si elledemande de l'aide parce qu'elle n'arrive pas àmettre un grand cube sur un petit sans qu'il dé-gringole systématiquement, sa maman peut luimontrer comment inverser l'opération en mettantsans aucune difficulté le petit cube sur le grandet en en rajoutant même un par-dessus. Dans tousles cas, la mère devrait beaucoup parler à sonenfant - même avant d'être certaine qu'il la com-prend, souligne White - car cela nourrit l'intel-lect de l'enfant.

Avant l'âge de deux ans

De nos jours, les parents n'ont plus peur d'apprendreà leurs enfants à prononcer les lettres ou à tracerla forme d'une lettre, ou encore de mettre deuxlettres ensemble pour former un mot, lorsquecela correspond à l'intérêt immédiat de l'enfant.Ils sont conscients du .danger qu'il y a à trop ensei-gner et faire naître des frustrations en allant au-delà de la capacité ou des désirs de l'enfant. Ilsne forcent pas les choses mais ils ne cherchentplus non plus à éluder les problèmes. En consé-quence, les enfants des classes moyennes sontbeaucoup mieux préparés à commencer l'écoleaux dires des institeurs qui les accueillent, et illeur est moins difficile d'apprendre à lire. A uneépoque où Sésame Street - un programme de télé-vision éducative destiné aux enfants d'âge pré-scolaire aux Etats-Unis - connaît un succès phé-noménal et où les jouets portant l'étiquette "édu-catif" se vendent comme des petits pains (il n'y aguère qu'une dizaine d'années, ce label était lagarantie de ventes très faibles), il ne fait aucundoute que l'éducation préscolaire est à la modeen tout cas parmi les parents de la petite et moyennebourgeoisie.

Et pourtant, des millions d'enfants continuentà échouer lamentablement à l'école,en particulierceux qui sont noirs et pauvres. Certains ont alorsété conduits à se demander si tout cela n'était pasdû en réalité à des différences d'ordre génétique.Dans un article fréquemment cité, le professeurR. Jensen, de l'Université de Californie, affirmeque le quotient intellectuel est plus affaire d'héri-tage que d'environnement et que, par conséquent,il ne peut être modifié par une quelconque formed'éducation "compensatoire". Une étude récentemenée par le Dr Rick Heber, de l'Université duWisconsin, semble au premier abord confirmerces dires. Dans un quartier pauvre de Milwaukee,on a découvert que 80 % des enfants ayant un QIinférieur à 80 (ce qui les plaçait dans la catégoriedes retardés mentaux) étaient issus de mères dontle QI était tout aussi faible - cas apparemmentévident de stupidité héréditaire. Pourtant, lorsquele Dr Heber organisa un programme de formationspéciale pour les nouveau-nés de mères apparte-nant à des groupes analogues, ceux-ci atteignirentdes quotients intellectuels largement supérieursà 100 en l'espace de trois ans. Des améliorationstout aussi spectaculaires ont eu lieu en Israël chezdes enfants d'immigrés pauvres originaires d'Afriquedu Nord et du Yémen ; élevés à la maison, cesenfants ont des QI extrêmement faibles (une moyennede 85), mais s'ils sont placés dans des garderiesd'enfants communales dès leur naissance, leursQI s'élèvent à 115.

Même dans l'environnement le plus favorable,quelque 10 % des enfants sont affectés de troublesde la perception. Ces troubles sont insidieux carles parents peuvent très bien ne pas du tout s'enapercevoir. Il peut s'agir d'une légère insuffisanceauditive qui gêne l'apprentissage linguistique del'enfant ou de ces étranges incapacités etproblèmes

1. Texte rédigé en 19 75.

61

Page 61: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

de coordination que l'on regroupe sous le nom de"dyslexie" et qui entravent aussi bien la lectureque l'écriture. Non identifiés, et par conséquentnon corrigés, ces handicaps peuvent réellementempoisonner l'existence de l'enfant, lui donnantun sentiment de médiocrité puisqu'en dépit d'unQI élevé, il échoue constamment.

"De nos jours, ces handicaps peuvent être dé-celés très tôt - dès l'âge de 2 ans sans aucundoute" déclare White,"ll faut donc que la sociétés'engage à s'occuper des enfants dès le plus jeuneâge. On ne peut se contenter d'intervenir lorsquel'enfant commence l'école. "

Dans la ville de Brookline (Massachussets),l'école débute dès la première année de la vie.Ses responsables espèrent pouvoir un jour offrirtoute une gamme de services aux petits enfants,depuis la naissance jusqu'à l'âge de 5 ans, entreautres des programmes spéciaux pour ceux quisouffrent de handicaps éducatifs, y compris lesenfants du groupe C ; ils expérimenteront égale-ment de nouveaux programmes pour ceux quin'ont pas de problèmes particuliers. L'automneprochain, on inaugurera un centre local d'infor-mation où les parents pourront recevoir des ré-ponses dignes de foi à toutes les questions qu'ilsse posent sur les jeunes enfants. On envisage deprocéder pour chaque enfant à une évaluation desaptitudes sociales, des capacités intellectuelleset de la réceptivité au langage (ce qu'il comprendet non pas ce qu'il dit) avant et pendant ces pro-grammes, afin d'établir un schéma directeur dece qui convient le mieux pour chacun, à quel âgeet à quel prix. L'Etat de Californie a récemmentalloué des fonds à un programme de diagnosticpréscolaire devant toucher des enfants de moinsde 3 ans.

Comme la recherche sur le développement del'enfant se concentre sur des groupes de plus enplus jeunes, la science a commencé à décelercertains aspects de ce qui se passe dans l'espritd'un enfant avant même la période des 10 à 18 mois.Il se pourrait que les différences qui semblentsurgir pendant cette période prennent naissanceà une époque encore plus précoce du développe-ment de l'enfant. Jusqu'à présent, pourtant, lespremières semaines et les premiers mois de lavie ont défié toute analyse systématique. Lorsqueles savants en sauront davantage sur cette période,ils verront sans doute mieux comment le dévelop-pement futur de l'enfant est affecté par la façondont on a pris soin de lui lorsqu'il n'était encorequ'un nouveau-né ; peut-être pourront-ils alorsnous dire comment les mères du groupe A par-viennent à développer l'intelligence de leurs enfantsdès l'âge de 10 mois.

En attendant, les parents peuvent tout de mêmeavoir des enfants beaucoup plus heureux et plusintelligents s'ils mettent en application ce que l'onsait sur la période où la divergence a lieu entre10 et 18 mois et sur les étapes suivantes. D'icidix ans, il nous semblera tout à fait normal desoumettre nos enfants à des contrôles éducatifsaussi régulièrement qu'ils subissent aujourd'huides visites médicales et l'on ne s'étonnera plusde voir des parents apprendre à reconnaître lesétapes de la croissance mentale du premier âge

aussi naturellement qu'ils apprennent maintenantà stériliser les biberons.

LE ROLE DE LA FAMILLE DANSL'ACQUISITION DE LA MAITRISEDU LANGAGE PAR LES JEUNESENFANTSW. P. Robinson

Prologue

Dans les milieux spécialisés sinon dans l'opinionpublique, il n'est pas possible aujourd'hui d'ad-mettre purement et simplement que les personnesqui prennent soin des enfants jouent un rôle déter-minant dans le développement de leur langage.Tant de chercheurs influents se sont appliqués àdémontrer l'importance des dons innés/1 que lescaractéristiques de l'environnement ont été rela-tivement négligées. Aussi importe-t-il de les sor-tir de l'ombre. Il est nécessaire aujourd'hui deréaffirmer que l'influence de certaines personnesjoue un rôle appréciable dans le développementdu langage de l'enfant. L'importance de la fonc-tion des gardes ne fait ici aucun doute. Pourquoiles appeler gardes et non pas pères, mères. . . ?La réponse est simple : la liste risquerait d'êtreextrêmement longue : or nous avons besoin d'unterme qui recouvre toutes les personnes qui par-ticipent à l'éducation des enfants : mères, pères,grandes soeurs, tantes, grands-mères, religieusesdes orphelinats, éducateurs préscolaires, etc.Dans le débat qui suit, c'est sur les gardes en tantque personnes communiquant avec l'enfant que nousappelons l'attention ; nous mettons donc l'accentsur eux en tant que médiateurs d'un savoir linguis-tiquement encodé et personnes qui enseignent àtravers une action commune.

Introduction

Depuis plus de dix ans, un flot régulier de livressur le développement du langage chez de jeunesenfants envahit le marché, tandis que les revuessont submergées d'articles de recherche; sur cesujet. Si la plupart de ces travaux sont brillantset ingénieux, quelques-uns seulement font preuvede simplicité et de bon sens. Il est néanmoinsencourageant de constater que les productions lesplus récente s/2 prennent pour point de départ celuique dicterait le bon sens. Halliday exprime cecontraste en opposant les questions posées parles

1. Lenneberg, E. H. Biological foundations oflanguage. New York, Wiley, 1967 ; McNeill, D.The acquisition of language, New York, Harper,1970.

2. Bâtes, E. Language and context : the acquisi-tion of pragmatics. New York, Académie Press,1976 ; Halliday, M. A. K. Learning how to mean.Londres, Arnold, 1975 ; Schlesinger, I. M.Production and compréhension of utterances.New York, Wiley, 19 77 ; Waterson, N. etSnow C. (dir. publ. ). The development ofcommunication. Chichester, Wiley, 19 78.

62

Page 62: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

socio-linguistes. Ces derniers, intimidés par lagrammaire générative transformationnelle deChomsky/1, concentrent leur attention sur lasyntaxe au détriment de la phonologie (sons), dulexique (mots), de la sémantique (sens) et de lapragmatique (signification pour l'action). Ils posentles questions suivantes : comment l'enfant com-bine-t-il des unités en structures et, en particu-lier, des mots en phrase ? Comment les erreursde l'enfant (jugées par rapport à ce qui est ou nonacceptable dans le langage adulte) nous éclairent-elles sur son système de génération des phrases ?Ces erreurs sont-elles universelles, c'est-à-direcommunes à tous les enfants, quelle que soit leurlangue maternelle ? Existe-t-il des séquences dedéveloppement constantes à l'intérieur des langueset d'une langue à l'autre ? Quelles sont les carac-téristiques du dispositif d'acquisition du langageavec lequel naissent tous les enfants ? Toutes cesquestions, à l'exception peut-être de la dernière,sont bien posées dans la mesure où il a été pos-sible de réunir des indications pour y répondre.Certaines de ces indications révèlent la coniplexitédes problèmes auxquels le jeune enfant est confronté,complexité dont les 50 pages que Bloom consacreà la seule classification initiale des règles de lanégation en anglais par de jeunes enfants est unbel exemple. Accorder une telle importance à lastructure au mépris de la fonction est une atti-tude étrangère au sociolinguiste. Dans la pers-pective de ce dernier, les questions que l'on poseont pour but de déterminer de quelle manière lesunités et les structures s'élaborent au servicede fonctions. La fonction est primordiale.

Vue sous cet angle, la première question à seposer sera la suivante : pourquoi les enfants par-lent-ils et quels genres de significations enco-dent-ils ? Nous pourrions ensuite nous demander :comment codent-ils une signification, c'est-à-dire quelles unités et quelles structures utilisent-ils ? Comment les fonctions évoluent-elles aucours du développement et pourquoi ? Commentde nouvelles unités et structures viennent-elless'ajouter au répertoire de l'enfant ? On peut suc-cinctement résumer les raisons principales pourlesquelles l'approche fonctionnelle/structurellenous semble préférable en disant simplement queles jeunes enfants donnent des ordres plutôt qu'ilsne prononcent des phrases à la forme impérative ;ils demandent et posent des questions plutôt qu'ilsne font des phrases à la forme interrogative, etils font des commentaires sur eux-mêmes, surautrui et sur le monde, plutôt qu'ils ne formulentdes phrases affirmatives - ils communiquent dessens plutôt qu'ils ne construisent des structures.

Ceci étant, si nous désirons savoir quellesunités et quelles structures (combinaisons d'unités)les enfants apprennent, et quand et comment ilsle font, nous devons étudier la façon dont on peutles encourager à exercer les fonctions nécessi-tant l'usage de ces unités et de ces structures.Nous devons nous référer aux théories du déve-loppement, de l'apprentissage et de l'instruction/2si nous voulons être en mesure de déterminer ceque les enfants peuvent apprendre, ce qu'en faitils apprennent et la façon dont ils le font. Aprèsavoir étudié très attentivement et pendant plusieurs

années le développement du langage chez troisenfants, Brown conclut : "Ce qui incite l'enfantà perfectionner son langage reste tout à fait mys-térieux". /3 On peut trouver au moins deux rai-sons pour expliquer cette conclusion pessimiste.Tout d'abord, les tests réalisés dans le but de dé-terminer la pertinence éventuelle des principesde renforcement et d-e rétroaction ou de l'appren-tissage par l'observation n'ont concerné qu'un toutpetit nombre d'aspects du développement chez trèspeu d'enfants. Brown n'a pas une très haute opi-nion du bon sens ; pourtant, le bon sens permetfacilement d'observer que les enfants apprennentplutôt le langage et le jargon de ceux qui prennentsoin d'eux que l'une des milliers d'autres languesqui existent dans le monde. Ceci étant, l'imitationjoue certainement un rôle important dans le pro-cessus d'apprentissage, même s'il ne nous estguère possible d'en préciser le mécanisme. Lesimple fait que Chomsky ait pu démontrer, à lagrande satisfaction de certains, que les principesde renforcement de l'apprentissage et de la per-formance ne pouvaient en aucun cas expliquer com-ment les adultes en arrivaient à pouvoir créer unnombre infini de phrases nouvelles ne signifie pasautomatiquement que ces principes ne s'appliquentà aucun autre aspect de l'apprentissage d'une langue.Une seconde faiblesse nous apparaît dans l'approchede Brown lorsque l'on examine de près les donnéesqu'il a recueillies. La langage de l'enfant a été ana-lysé sous forme de suites de mots transcrites sansfaire aucun cas des éléments prosodiques de l'in-tonation, de la hauteur de ton, de l'accentuation,etc. Le contexte non verbal dans lequel les parolesde l'enfant étaient prononcées a en général (maispas totalement) été négligé, de même que ce quedisaientles gardes. Or les paroles de l'enfant nesont, en réalité, qu'une des composantes de l'actede coopération qu'est la conversation ; et les conver-sations n'ont pas lieu sans propos. Imaginez-vousen train d'essayer de décrire et d'expliquer l'ap-prentissage du métier de trapéziste sans mention-ner ni le comportement du partenaire de l'artisteni les mouvements du trapèze ! Comment peut-onétudierle rôle tenu par les gardes d'enfant dans ledéveloppement du langage sans tenir compte entotalité de leur contribution à l'interaction ?

Le point de vue que nous adoptons ici admetque l'enfant grandissant est un sujet actif, auto-nome, capable de construire des plans d'action,d'élaborer des structures symboliques et des

1. Chomsky, N. Aspects of the theory of syntax.Cambridge, (Mass.), M. I. T. Press, 1965.

2. Ausubel, D. P. Theory and problems of childdevelopment (2e éd. ). New York, Grune andStratton, 1978 ; Bruner, J. S. The autogenesisof speech acts ; Journal of Child Language,vol. 2, 1975, p. 1-19 ; de Cecco, J. P. Thepsychology of learning and instruction. Engle-wood Cliffs, (N. J. ), Prentice, Hall, 19 60;Piaget, J. et Inhelder, B. La psychologie del'enfant. J. P. Barbel Inhelder. (6e éd. ). ParisPUF, 1975. Que sais-je ? 369.

3. Brown, R. A first language : the early stages.London, Allen and Unwin, 1973 ; p. 140.

63

Page 63: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

systèmes de signes par interaction avec des évé-nements, des choses et des gens ; mais nous re-connaissons, d'autre part, que l'enfant est enmême temps un objet dont on peut façonner etmodeler le comportement en ayant occasionnel-lement recours au système des récompenses etdes punitions. Nous devons également accepterque produire ou comprendre un discours, c'estdémontrer que l'on possède un ensemble de tech-niques semi-automatisées dont la maîtrise néces-site une pratique fréquente et variée, l'entouragesuggérant les corrections nécessaires. Si l'onaccepte cette vue éclectique de l'enfant, on con-çoit aisément qu'il sache inventer des fonctionsaussi bien que les unités et les structures dontil a besoin pour les réaliser, découvrir cellesqui sont déjà disponibles dans les propos d'autrui,et qu'il réagisse à l'instruction et à la formationqui lui sont directement données à la fois en acqué-rant de nouvelles connaissances et en sachantaisément les mettre en application. Voici uneliste de principes relatifs à l'acquisition de lan-gage par de jeunes enfants et au rôle joué par lagarde à cet égard. Certains de ces principesauront sans aucun doute besoin d'être amendés,d'autres devront être abandonnés à mesure quenos connaissances progresseront dans ce domaine,mais, à l'heure présente, étant donné les indica-tions dont nous disposons, cette liste constitue,nous l'espérons, un compromis équilibré.

PRINCIPE 1

L'usage du langage découle d'un système decommunication non verbal préétabli

Dès la naissance, l'enfant entre en interactionavec ses gardes ; l'enfant et l'adulte agissentl'un sur l'autre et réagissent l'un à l'autre. Cetteréciprocité comporte un échange de signaux.L'enfant réagit différemment aux diverses actionsde sa mère ou de ses gardes : par exemple, pardes expressions faciales différentes, / l

Les gardes s'efforcent de décoder les signaux dedétresse de l'enfant et s'arrêtentlorsque ses actessuscitent des signes de satisfaction chez l'enfant.La communication verbale dérive de cet échangede mouvement corporels, de gestes, d'expres-sions faciales, de vocalisations : elle ne survientpas de façon soudaine lorsque l'enfant prononceson premier "mot11. Dans l'analyse que fait Hal-liday/2 du développement de Nigel, les premierssons apparentés au langage qui véhiculent dessens discrets n'ont qu'une vague ressemblanceavec la langue anglaise ; ce sont des sons cons-truits chargés de signification.

PRINCIPE 2

Le langue a initialement une fonction d'inter-action sociale

Si l'on divise approximativement les utilisationsdu langage en deux groupes : celles qui tententde présenter un commentaire sur la nature deschoses, c'est-à-dire d'énoncer des affirmationsqui peuvent être justes ou fausses, et celles qui

veulent ordonner les états ou le comportement desoi-même et d'autrui ou définir des relations selonles rôles, on peut dire que, chez l'enfant de Halli-day, le premier type de langage ne commence à semanifester qu'un peu plus de neuf mois après queles premières unités de langage socialement perti-nentes ont fait leur apparition. Halliday a décou-vert que les unités instrumentales (obtenir quelquechose pour soi), ordonnatrices (faire faire quelquechose par quelqu'un), d'interaction (confrontationsdes exigences individuelles) et personnelles (réac-tions aux événements et aux états) étaient les pre-mières à apparaître. Parmi celles-ci, se trouventle son na (donne -moi ça), h<f> (donne -moi mon oiseau),a (refais ça), d (je suis content de te voir), n(c'est bon). Il semble que si les enfants commencentà parler, c'est parce qu'ils ont du plaisir à entreren relation verbale avec autrui et non pas parcequ'ils ont faim ou mal. Le bébé a un besoin instinc-tif de relations sociales. Chez le premier enfantque nous avons nous-mêmes étudié, c'est le mot"poire11 qui a été le premier à apparaître dans ledomaine alimentaire, mais cela était en réalitédû au fait que ce fruit était pour lui un objet dejeu et de manipulation. Le désir de nourritureétait exprimé vocalement mais pas verbalement.S'il faut dire que les raisons pour lesquelles lesbébés commencent à parler sont biologiques, alorsdisons qu'elles sont socio-biologiques : acte com-mun de l'enfant et de la personne qui s'occupe delui. Ceci étant, susciter des actions communescoordonnées est peut-être un bon moyen de favo-riser le développement des capacités de commu-nication chez l'enfant.

Comme Halliday le met en lumière, Nigel élar-git plus tard son champ d'unités fonctionnelles eny ajoutant l'élément euristique (la découverte) etimaginatif (faire semblant) ; en même temps, lenombre d'actes de communication associés à cha-cune de ces fonctions s'accroît, de sorte que versl'âge d'un an et demi, l'enfant en maîtrise plusd'une cinquantaine qui constituent son répertoire.Le chiffre de 50 est équivoque car, au départ,l'enfant a déjà deux variantes de chaque fonction,l'une générale, l'autre spécifique ; exemple : na(donne-moi ça - général) et bj (donne-moi monoiseau - spécifique). En plus de son utilité géné-rale évidente, la formule générale peut être unfacteur d'évolution important dans la mesure oùelle offre à la garde de l'enfant la possibilité deréagir de façon non verbale par l'action appropriéeet de façon verbale en nommant l'objet non spéci-fié tout en continuant la conversation. Les occa-sions d'apprentissage peuvent être intégrées dansla succession des activités sans provoquer de di-version importante.

A peu près à l'époque où Nigel parvient àacquérir 50 significations, il cesse de se conten-ter d'inventer ses propres unités (essentiellementnon anglaises dans la forme et largement fondéessur l'intonation). Deux changements importantsont alors lieu.

1. Bruner, The autogenesis. . . , op. cit.2. Halliday, op. cit.

64

Page 64: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

Tout d'abord, Nigel interpole un troisièmeniveau de structure linguistique, le niveau lexico-grammatical, entre les sons et les significations.Les sons individuels cessent d'être l'expressionde significations distinctes. L'enfant commenceà utiliser des combinaisons de sons pour formerdes "mots" ; mots et tons sont ordonnés en sé-quences pour créer des "sens". L'essence àtrois temps du langage se trouve ainsi établie.

PRINCIPE 3

L'enfant fait des efforts délibérés pourapprendre le langage

En second lieu, dans ses propos, Nigel commenceà faire la distinction entre l'utilisation de la langueet son apprentissage. Il demande aux adultes lesnoms des objets, des attributs et des actes ets'exerce à les combiner et à les modifier dansdes monologues et des dialogues. Comment lesgardes réagissent-ils à ces questions sur lesmots (et les structures) ? Selon les principes detoute théorie associative de l'éducation, / l enfournissant les réponses demandées de façonemphatique et claire, sans manquer au besoinde répéter et d'élargir le sujet, on accroît leschances qu'à l'enfant d'apprendre le langage etde savoir l'utiliser. Cette manière de faire estaussi de nature à l'encourager à en découvrirdavantage. Ne pas lui fournir l'information qu'ilrequiert ou la lui donner de telle manière qu'ilsoit incapable de l'assimiler finit nécessairementpar amener l'enfant à ne plus poser de questions.Quelquefois le "qu'est-ce que c'est ? " constam-ment répété nous semble inépuisable et davantagedestiné à attirer l'attention qu'à s'informer surle monde, mais il y a ici au moins trois raisonsde se méfier d'une analyse trop simple de cegenre d'activité. Toute réponse informative etadéquate peut toujours être apprise et mémori-sée par l'enfant même si les questions sont po-sées dans un but social. Deuxièmement, l'enfantest un interlocuteur faible : son répertoire desujets est très limité et les commentaires qu'ilfait ne sont pas toujours d'un grand intérêt oud'une très grande originalité pour les adultes.Comment peut-il donc se maintenir en relationavec eux ? Eh bien, la question est une excel-lente technique linguistique pour reporter surautrui la responsabilité de la conversation. Troi-sièmement, il faut que l'enfant apprenne le sensdes mots interrogatifs. Brown/2 fait état de lafréquence des questions "pourquoi ? " poséespar l'un de ses enfants. Une fois que le mot estentré dans le répertoire de l'enfant, son tauxd'émission s'accroît rapidement, se stabilisebrièvement à un niveau élevé, puis retombe àune fréquence comparable à celle de la mère.L'interprétation la plus simple consiste à dire quecette fréquence élevée est le reflet des efforts quefait l'enfant pour comprendre le sens du mot. Le dé-clin tendrait à se produire lorsque l'enfant a atteintune maîtrise suffisante pour utiliser le mot. Unefait aucun doute qu'à mesure que l'enfant accumulede nouvelles ressources, d'autres unités etd'autresstructures font l'objet d'une utilisation aussi intense.

PRINCIPE 4

Les unités et les structures s'accumulent auhasard, dans le désordre, mais irrésistiblement

En poussant les choses à l'extrême, on pourraitaffirmer que les unités sont assimilées une parune. Il arrive qu'elles soient enregistrées puisoubliées, et que le cycle se répète jusqu'à ce quel'unité disparaisse de l'esprit de l'enfant ou s'yétablisse. Les unités qui finalement s'établissentet se stabilisent à peu près sont celles qui re-viennent dans les paroles de ceux qui composentl'entourage actif de l'enfant, en particulier ceuxavec qui il est le plus souvent en relation dansson apprentissage.

Par "unité", on entend tout trait du langage, àquelque niveau que ce soit, c'est-à-dire phonèmes(unités de son individuelles), accents toniques,hauteurs de ton, intonations, morphèmes, mots,groupes de mots, membres de phrase, proposi-tions, énoncés. Il convient de noter qu'une unitéà un niveau donné peut être une structure à unautre ; exemple : une succession de hauteurs deton particulière peut former une structure d'into-nation, mais cette structure fonctionnera en tantqu'unité si elle est utilisée pour former une interro-gation - un mot est une unité dans un groupe demots ; mais il est lui-même formé d'un ou plu-sieurs morphèmes, qui se composent eux-mêmesd'un ou plusieurs phonèmes.

Selon toute probabilité, une nouvelle unité s'ins-crira et demeurera plus facilement gravée dansle répertoire de l'enfant s'il est physiquement ca-pable de Particulier et intellectuellement en me-sure de comprendre quelque aspect de sa signifi-cation. La capacité n'est pas le seul facteur ;l'enfant assimile plus aisément une unité si sasignification correspond à un concept qu'il désirecomprendre ou communiquer. Deux raisons peuventexpliquer qu'une unité ne soit pas admise : le faitque l'enfant emploie déjà l'énergie et les capacitésdont il dispose à élaborer d'autres unités etd'autresstructures de son comportement verbal ou non ver-bal, et le fait qu'il soit en train d'exprimer et nond'apprendre. Une unité ne deviendra véritablementd'usage courant pour l'enfant que si son entouragel'incite à s'en servir. (Voir Principe 6).

PRINCIPE 5

C'est souvent à travers l'ancien que le nouveauest abordé

Si la compréhension d'un mot doit précéder sonassimilation, comment peut-il donc être appris ?Si, en revanche, le fait d'apprendre passe avantcelui de comprendre, comment l'enfant peut-ilarriver à comprendre quelque chose qui n'a pasde sens ? Et pourtant les enfant apprennent, belet bien. On peut résoudre ce dilemme en arguantque l'enfant peut exprimer "maladroitement" dessignifications nouvelles en utilisant des unités

1. De Cecco, op. cit.2. Brown, op. cit.

65

Page 65: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

anciennes dont il dispose déjà et que ceux quis'occupent de lui peuvent reformuler son mes-sage avec des unités et des structures nouvellesqu'il peut alors identifier au sens qu'il voulaitexprimer. (Inversement, il est tout aussi vraique l'enfant est capable de construire des sché-mas structuraux à partir d'unités qu'il connaîtdéjà et que, bien qu'au départ, ils n'aient peut-être pas de sens pour lui, un adulte peut lui pro-poser le sens qui convient. Ma fille a construitle mot "hangar" à partir d'un assortiment delettres ; j 'ai pu lui montrer un hangar).

Les systèmes syntaxiques tels que l'inter-action ou la négation étant complexes et difficilesà assimiler, les enfants ne peuvent les maîtriserque par bribes, en formulant des approximationssuccessives, si le Principe 4 est valable, tout encomptant sur les adultes pour leur donner desexemples et les corriger, si le Principe 5 estvrai. Ainsi, "pourquoi tu pars ?" précédera"pourquoi tu veux partir ?" qui finalement de-viendra "pourquoi veut-tu partir ?" "Tu veux par-tir pourquoi ?" se rencontre aussi. Les donnéesrecueillies sur ces nombreuses formes transi-toires de construction syntaxique sont vraisem-blablement compatibles avec l'idée selon laquelleil est préférable de les laisser se corriger d'elles-mêmes sauf lorsque certaines variantes semblentse stabiliser pendant plusieurs mois. Si un enfantne retient pas rapidement la leçon d'une correc-tion, il est probablement inutile et peut-être mêmenéfaste d'insister.

PRINCIPE 6

La probabilité de l'assimilation de formesnouvelles et de leur intégration au répertoirede l'enfant est fonction des gardes

C'est à Montessori que nous devons la dernièreobservation du Principe 5 ; nous pouvons égale-ment utiliser une de ses déductions pour intro-duire le Principe 6. Ses instructions pour ensei-gner sont fondées sur un "cycle à trois temps" :ceci est un X - montre-moi un X - qu'est-ce quececi ? (en montrant un X). Le premier tempsnomme l'activité, l'événement, l'objet ou l'attri-but ; le deuxième temps vérifie la capacité d'iden-tification de l'enfant ; le troisième temps l'inviteà donner le nom. Montessori ajoute que, si mal-gré de multiples tentatives, on ne parvient pas àprovoquer chez l'enfant les réactions escomptées,mieux vaut en conclure qu'il faut abandonner lesujet, quitte à y revenir plus tard. Pris au sensle plus strict, ce schéma peut facilement êtrepoussé trop loin, mais il a une valeur considé-rable s'il est simplement utilisé comme cadrede référence lorsque l'enseignement se combineà la conversation.

Commentun enfantpeut-il découvrir les moyensd'expression linguistiques conventionnels si ce n'estpar l'intermédiaire de ses gardes ? Pourquoi de-vraient-ils le laisser se débrouiller tout seul pourextraire les traits linguistiques de leurs propos ?Pourquoi ne pas lui fournir des occasions d'apprendreaussi structurées que possible tout en le laissantlibre de les accepter ou de les refuser à sa guise ?

Deux exemples peuvent ici être donnés pourillustrer ce que sont à même de faire les adultesà cette époque relativement précoce du dévelop-pement de la langue où les déclaration de l'enfantsont d'une longueur comprise entre 1, 5 et 3 mor-phèmes (pendant cette période, le nombre de mor-phèmes est étroitement lié au nombre de mots).

Ellis/1 établit une distinction entre les carac-téristiques de l'interaction maternelle des enfantsau développement lent (12 mois pour passer de1, 5 à 3, 5 morphèmes) et celles des enfants au dé-veloppement précoce et rapide (la même évolutiona lieu en l'espace de 6 mois e_t est achevée avantl'âge de 21 mois). Les mères des deux groupesd'enfants diffèrent au départ : les premières parlentgénéralement plus à l'enfant pendant leurs activi-tés ménagères coutumières, lui donnent plus d'ins-tructions et d'ordre, et ont davantage tendance àécouter son langage, à le reprendre et à le corri-ger. A l'époque où les enfants atteignent 3, 5 mor-phèmes, les différences maternelles existent tou-jours mais elles ont subi certaines modifications,les mères des enfants doués utilisant plus d'affir-mations et de questions, particulièrement desquestions éducatives dont elles connaissent paravance les réponses. En comparant les deux groupesd'enfants, Cross/2 a découvert un certain nombrede variables distinctives chez les mères à diffé-rents stades, comme on pouvait s'y attendre dansla mesure où celles-ci adaptent en partie leur lan-gage à celui de leurs enfants. Ce qui ne signifiepas que toutes les différences soient nécessaire-ment liées au temps. Newport/3 a constaté queles mères dont les propos étaient les moins intel-ligibles (pour les observateurs, mais vraisembla-blement aussi pour les enfants), parce qu'ellesparlaient de façon indistincte ou incohérente, sansséparer les mots les uns des autres, sans accen-tuations aux endroits appropriés, avaient desenfants chez qui la parole se développait moinsrapidement ; Cross a fait la même constatation.On peut imaginer qu'il y a là un phénomène géné-ral et constant. Cross a observé que l'habitude derépéter ce que dit l'enfant était généralement asso-ciée à un développement rapide des enfants entre18 et 33 mois, bien qu'a priori, on puisse penserqu'une telle tactique soit la marque d'une mèresans souci de pédagogie si elle est utilisée lorsquel'enfant a plus de cinq ans.

1. Cf. Wells, C. G. Influences of the home onlanguage development. Communication écriteau Séminaire SSRC/SCRE, Cardiff, 1979.

2. Cross, T. C. Some relationships betweenmotherese and linguistic level in acceleratedchildren. Papers and Reports on Child Lan-guage Development, 10 Stanford, StanfordUniversity, 1975, p. 117-135. Mother's speechand its association with rôle of linguistic deve-lopment in the young child. In "Waterson etSnow, op. cit.

3. Newport, E. L. Motherese : the speech ofmothers to young children. In Castellan, N. J.Pisoni, D. B. et Potts, G. R. (dir. publ. )Cognitive theory, Vol. II Hillsdale (N. J. ),Lawrence Erlbaum, 1976.

66

Page 66: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

Dans une étude portant sur les relations mère-enfant chez les enfants de 6 ans, Robinson etArnold/1 ont découvert que les enfants qui po-saient le plus de questions, ceux dont les ques-tions étaient les plus complexes et qui faisaientpreuve des connaissances verbales les plus appro-fondies sur toute une série d'objets, de jeux etde jouets avaient une mère qui avait tendance à(1) placer toute remarque dans un contexte déjàconnu, (2) donner à toute question une réponseappropriée et précise s'étendant, dans une cer-taine mesure au moins, au-delà de la questionposée, (3) confirmer les paroles de l'enfant sielles étaient justes et bien formulées, sinon luifaire remarquer ses erreurs ou les corriger et(4) prolonger l'échange de paroles sur certainssujets.

Il est à noter que les mères des enfants pro-gressant le plus rapidement dans l'échantillonde Cross prolongeaient également les échangeset élargissaient par leurs explications le senscontenu dans les remarques de l'enfant. Sansdoute ces observations sont-elles sujettes àréserves et ont-elles besoin d'être complétées.Faire remarquer ses erreurs à l'enfant et leslui corrigerne sera en général productif que dansla mesure où il peut en tirer une leçon et unique-ment s'il ne commence pas dès lors à avoir peurde faire des fautes. Une des composantes du com-portement de la mère, à savoir le fait de poserdes questions à l'enfant, n'avait aucune incidencesur la performance de ce dernier ; mais il semblequ'il s'agissait de questions qui visaient à attirerl'attention de l'enfant qui était occupé à autrechose et ne désirait pas être dérangé. Les ques-tions tendant à éveiller la curiosité de l'enfantsur un sujet particulier n'ont peut-être pas lemême effet que celles qui tentent sans succès dediriger sa pensée. On pqurrait caractériser cetteopposition par deux mots : "pousser" au lieu de"tirer". Pousser n'a donné aucun résultat, tirer,si : l'adulte peut avoir créé le contexte de la si-tuation dans laquelle l'activité a eu lieu, maisau-delà, c'est l'enfant lui-même qui décide dece qui l'intéresse. Les adultes peuvent dresserle décor, faire des suggestions et tenter l'enfantmais c'est lui qui donne forme et contenu à sonscénario.

Pourvoir, tenter et modeler, telles sont,semble-t-il, les principales fonctions que peuventexercer ceux qui s'occupent des enfants pour fa-ciliter le développement de leur language (etleurdéveloppement général), mais nous ne savons pasjusqu'à quel point les résultats obtenus dépendentde l'intérêt authentique porté à l'enfant et à soncomportement. On ne peut sans doute que dire,comme un acte de foi, qu'il est certainement sou-haitable, sinon indispensable, que le coeur y soitet que nos actes expriment une affection sincèreet un joyeux intérêt pour ce qui importe aux yeuxde l'enfant. Pénétrer dans l'esprit de celui-ci ets'associer au regard qu'il porte sur son mondedoit aider à y parvenir.

Question 1 - Quelles erreurs les adultesrisquent-ils de faire lorsqu'ils s'efforcentd'optimiser la progression de l'enfant dansla maftrise du langage ?

L'erreur de départ la plus fondamentale et peut-être la plus répandue consiste à croire que lesprogrès de l'enfant dans l'apprentissage de lalangue ne sont pas affectés par le comportementde ceux qui s'occupent de lui et que ce sont cer-taines caractéristiques innées de son cerveau oude son tempérament qui déterminent les résultats.Aucune recherche systématique n'a encore étéfaite sur les idées des parents en ce qui concernele développement du langage chez l'enfant, cepen-dant il est clair que dans certaines cultures, lesparents croient que celui-ci deviendra ce qu'ildoit devenir quoi qu'ils fassent eux-mêmes. Orcette croyance est sans aucun doute très éloignéede la réalité. Il nous reste encore beaucoup defaits à établir en détail sur le rapport entre lecomportement de l'interlocuteur de l'enfant et ledéveloppement du langage, mais les indicationspositives déjà obtenues à cet égard sont trop nom-breuses et théoriquement plausibles pour êtreignorées.

Dans ce domaine, malheureusement, la penséetraditionnelle reste dominée par une simplicitécandide. Une des hypothèses de travail paraîtêtre la suivante : s'il peut être prouvé qu'un cer-tain type de comportement de l'adulte porte desfruits, il s'ensuit qu'il faut l'adopter le plus sou-vent possible et que son efficacité sera la mêmepour tous les enfants, à tous les stades de leurdéveloppement, quels que soient le contexte et l'étatdes relations entre l'adulte et l'enfant. Or riende tout cela ne peut mener bien loin.

Celui qui s'occupe de l'enfant peut aussi bientrop lui parler que ne pas lui parler assez. L'en-fant doit aussi développer d'autres aptitudes etfaire autre chose pour être et demeurer un indi-vidu équilibré. Quelquefois, on parle à. l'enfantplutôt que de parler avec lui ; on lui parle trop eton ne l'écoute pas assez. Il a certes besoin d'ap-prendre à écouter, mais il faut aussi qu'on l'écoute.Bien que Ryan/2 affirme que les mères qu'elle aobservées écoutaient leurs enfants attentivement,qu'elles essayaient de déchiffrer le message con-tenu dans leurs cris, on peut douter qu'une telleattention aux enfants puisse se maintenir d'unemanière générale tandis qu'ils grandissent. Brown/3démontre que 40 % des questions posées par lesenfants qu'il a lui-même observés étaient laisséessans réponse ; on est alors en droit de se deman-der combien d'adultes font réellement l'effortd'écouter les enfants, de les encourager à parler

1. Robindon, W. P. et Arnold, J. ; The question-answer exchange in mothers and young children.European Journal of Social Psychology, 1977,vol. 7, p. 151-164.

2. Ryan, J. Early language development. In MPMRichards (dir. publ. ). The intégration of a childinto a social world. Cambridge, CambridgeUniversity Press, 1974.

3. Brown, op. cit.

67

Page 67: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

de leurs activités, tout en maintenant l'intérêtet la cohérence de ces conversations. Ceux quiont à coeur de stimuler la progression de l'en-fant risquent de "pousser" ou de "tirer" trop fort.D'après ce que l'on saitpour le moment "pousser"n'est pas productif. En revanche, "tirer" avecl'intensité qui convient et à une fréquence ni tropforte ni trop faible peut considérablement favo-riser le développement. Dans leurs rapports avecles enfants, les gardes peuvent placer leurs ini-tiatives ou leurs réactions sur un niveau trophaut ou trop bas. Trop bas est sans doute rela-tivement peu commun ; cependant, il apparaît bienque certains enfants retardés mentaux sont main-tenus à un niveau de performance inférieur à leursmoyens par des adultes qui se refusent à passerdu temps à s'entretenir avec eux. Mais commentles gardes peuvent-ils juger du trop, du trop sou-vent ou du trop fort ?

Ces problèmes peuvent être résolus dans leurcontexte. L'examen des actions et des réactionsde l'enfant, combiné à l'évaluation de l'inter-action verbale elle-même, devrait suffire à indi-quer s'il est attentif. Les adultes devraient êtrecapables de juger si leurs remarques sont com-prises ou non par l'enfant d'après ses réactionsnon verbales et les commentaires qui les accom-pagnent. Ils devraient aussi être capables de serendre compte s'ils comprennent les déclarationsde l'enfant et y répondent de façon appropriée.L'enfant a-t-il beaucoup de difficulté à construireses réponses ? Souffre-t-il de problèmes d'élo-cution ? S'interrompt-il souvent ? Certains thèmesreviennent-ils régulièrement dans ses propos ?Bref, la conversation a-t-elle une structure ordon-née ? Si c'est le cas et si l'adulte ajoute de nou-velles informations sur le langage dans des pro-portions telles que l'enfant est capable de lesenregistrer et de les utiliser, les pires erreurssont évitées.

L'aptitude à ajuster ses paroles au niveau del'enfant en plein développement est déjà en soiun talent qu'il faut élaborer. Manuels d'éduca-tion/1 et notes d'enseignement au niveau pré-scolaire/2 offrent bon nombre de conseils utiles.Tough, en particulier, souligne l'utilité des ques-tions "mi-ouvertes" posées aux moins de cinqans, qui écartent les réponses Oui/Non tout enétant suffisamment concrètes et précises pourque l'enfant puisse y répondre. Pour les moinsde cinq ans, les conversations paraissent susci-tées le plus fréquemment par le contexte de lasituation immédiate ; il leur est plus facile deparler de ce qui se passe "ici et maintenant" quede se référer au passé ou à l'avenir. (Ce qui nesignifie pas qu'il ne faille pas les encourager àle faire - il semble que les enfants aient beau-coup de plaisir à raconter à leurs parents cequ'ils ont fait à l'école si les parents veulentbien les écouter et poser les "bonnes" questions).

Question 2 - Quelle importance cela a-t-il quela famille n'encourage pas l'enfant à maîtriserle langage ?

De nombreuses recherches pédagogiques tententd'améliorer le niveau de compétence des enfants,

soit en renforçant les points forts soit en réduisantles points faibles, mais ni l'une ni l'autre de cestactiques de valeur relative ne saurait freinerl'élan des gardes et éducateurs qui s'efforcent depromouvoir le développement du langage chezl'enfant. Rien n'oblige non plus à bousculer l'en-fant pour le forcer à acquérir à une allure induel'aptitude à maîtriser des formes de communica-tion plus évoluées. Nous risquons également dene pas nous rendre compte que le gêner, le para-lyser ou le retarder en ne lui fournissant pas lespossibilités éducatives dont il a besoin peut êtretout aussi néfaste. Si un bébé a des tendances na-turelles à entrer en interaction avec autrui et àapprendre par cet intermédiaire, pourquoi l'enempêcher ? S'il tire satisfaction de l'acquisitionde savoir-faire nouveaux, pourquoi l'en priver ?En observant des bébés de la naissance à l'âgede deux ans, on peut constater la frustration del'échec et la satisfaction de la réussite dans lamaîtrise des relations sensori-motrices et duchoix des moyens en fonction des fins. Prendreune tasse, marcher, mettre une robe, attraperun jouet sont autant de petites capacités dont lamaîtrise exige des efforts réguliers etqui semblentobéir à des motivations intrinsèques. Les récom-penses et les promesses de récompenses ne sontdonc pas nécessaires pour susciter ou pour main-tenir de tels efforts. Il serait donc vrai qu'unefraction beaucoup plus importante de l'éducationpourrait être fondée sur la motivation de l'enfantsi nous nous mettions à structurer son environne-ment et nos dialogues avec lui de manière à inten-sifier cette motivation. Les enfants peuvent com-prendre qu'apprendre est satisfaisant mais il fautpour cela de notre part un comportement appro-prié à leur égard. Apprendre, en soi, ne conduitpeut-être pas automatiquement à la sagesse et àla vertu, mais cela peut servir.

RECOMMANDATIONS UTILES POUR REUSSIRL'EDUCATION DES TOUT PETITS/3Martin Cohen

La liste de conseils suivante établie par l'équipedu Harvard Pre-School Project est le résultatd'une étude portant sur l'expérience quotidiennede mères au foyer avec leurs jeunes enfants,entreprise dans le but de déterminer quel typefamilial et de maternage produisaient les enfantsles plus capables.

De l'avis des chercheurs, on devrait, dans lamesure du possible, laisser l'enfant relativementlibre de ses mouvements à l'intérieur de la mai-son. Une pareille liberté lui offre le maximum depossibilités d'exercer sa curiosité et d'explorerson monde. Mais ce monde doit être protégé contre

1. Leach, P. Baby and child. London, MichaelJoseph, 1978.

2. Tough, J. Talking and learning. London,Wardlock, 1977.

3. Réimpression autorisée par TODAY'S HEALTHmagazine, février 1974. (c). Tous droitsréservés.

68

Page 68: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

tout risque : les livres de valeur et les vasescoûteux doivent être placés sur les plus hautesétagères ; on peut, en revanche, laisser lesvieux magazines et les objets pouvant éventuel-lement servir de jouets à la portée de l'enfant.Au niveau du sol, les placards de cuisine doiventêtre vidés de tous articles dangereux ou cassables.

On recommande, d'autre part, à la mère d'êtredisponible pour l'enfant pendant au moins la moitiéde ses heures de veille. Cela ne veut pas direqu'elle doive être sans arrêt sur son dos maisplutôt qu'elle n'est pas loin, prête à lui offrir l'atten-tion, le soutien ou l'aide dont il risque d'avoirbesoin.

Lorsque l'enfant requiert l'attention de sa mère,celle-ci devrait : (1) aussi souvent que possible,réagir rapidement et favorablement ; (2) faire desefforts pour comprendre ce que l'enfant essaiede faire ; (3) fixer des limites - ne pas céder àdes demandes déraisonnables de l'enfant; (4) luiprodiguer encouragements, enthousiasme et aidelorsqu'il le faut; (5) parler à l'enfant aussi sou-vent que possible ; (6) utiliser des mots qu'ilcomprend mais ajouter aussi des mots nouveaux ;(7) employer des mots pour donner les idées quis'y rattachent - si l'enfant vous montre une balle,demandez-lui de vous "lancer la balle" ; (8) neconsacrer à chaque situation que le temps néces-saire, même si ce n'est que quelques secondes et(9) encourager les activités où l'on "fait semblant".

A certains moments, la mère peut avoir envied'entrer elle-même en rapport avec l'enfant. Sil'enfant s'ennuie, elle doit lui trouver des chosesà faire. Lorsqu'il se conduit mal, elle doit leréprimander fermement et de façon conséquente.S'il veut essayer quelque chose de nouveau quisemble comporter un certain danger - monterles escaliers, par exemple - la mère devraitsurveiller l'enfant plutôt que de l'empêcher d'agir.

A partir de ces observations, l'équipe du projeta également dressé une liste des comportementsà éviter : (1) ne mettez pas votre enfant en cageet ne le maintenez pas enfermé de manière régu-lière et prolongée ; (2) ne le laissez pas concen-trer son énergie sur vous au point de passer laplupart de son temps à vous suivre partout ou àrester assis près de vous sans bouger - surtoutpendant la deuxième année de sa vie ; (3) n'igno-rez pas les tentatives qu'il fait pour attirer votreattention au point qu'il soit obligé de hurler pourque vous réagissiez ; (4) n'ayez pas peur que votrebébé ne vous aime pas si vous lui dites "non" detemps en temps ; (5) n'essayez pas d'avoir systé-matiquement le dessus avec votre enfant - enparticulier à partir du milieu de sa seconde année,époque à laquelle il risque de commencer à fairepreuve d'esprit de contradiction ; (6) n'essayezpas non plus de l'empêcher de fureter partoutdans la maison ; c'est la preuve que votre enfantest curieux et en bonne santé ; (7) ne le couvezpas trop ; (8) ne soyez pas trop autoritaire :laissez-le faire ce qu'il veut tant que c'est sansdanger ; (9) ne prenez pas un travail à tempscomplet ou ne soyez pas occupée au point den'être que rarement disponible pour votre enfantpendant cette période de sa vie; (10) ne le laissezpas s'ennuyer si vous pouvez l'éviter ; (11) ne vousinquiétez pas du moment où il apprend à lire, àcompter ou à réciter l'alphabet (ne vous faitesmême aucun souci s'il met beaucoup de temps àparler tant qu'il semble comprendre le langagede mieux en mieux à mesure qu'il grandit) ;(12) n'essayez pas de le forcer à contrôler sesbesoins naturels ; quand il aura 2 ans ou plus,cela sera très facile ; (13) ne restez pastoujours avec lui et ne le gâtez pas : il risquede croire que le monde entier est à son entièredisposition.

69

Page 69: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

IV. Conséquences pour l'économie familiale

En tant que groupe spécialisé dans les questionsrelatives à la famille et à l'enfant, les économistesfamiliaux ont un rôle essentiel à jouer pour mettreen route des programmes qui utilisent et diffusentles données témoignant de l'importance des toutespremières années de la vie d'un enfant et de l'in-fluence fondamentale du milieu éducatif familial.Il existe de nombreux programmes de ce genreet nous ne pouvons les mentionner tous dans leslimites étroites de cette section ; on trouvera ce-pendant ici un aperçu des préoccupations d'uneprofession soucieuse de se hisser à la hauteurde sa tâche.

Dans la première étude, Mary C. Egan exa-mine les problèmes de préparation que rencontrentles spécialistes dans l'expansion des servicesproposés aux familles. Il faudra probablementmettre au point de nouveaux programmes dansce domaine. James Van Horn et John Williamsprésentent ensuite un programme destiné à amé-liorer l'éducation préscolaire et à aider parentset futurs parents à se perfectionner dans leurrôle : ils discutent des diverses actions et stra-tégies qui s'offrent à l'économiste familial pourmettre ces programmes en pratique.

Elizabeth M. Ray insiste sur le fait que, dansle cadre de sa mission, l'économiste familialdoit travailler avec la famille et par son inter-médiaire pour préserver l'héritage de l'huma-nité. Pour finir, Annie L. Butler nous fournitles points d'entente qui ressortent d'une confé-rence de l'Unesco sur l'importance éducativedes expériences de la petite enfance, sous laforme d'un "programme pour demain". Ce quenous accomplissons aujourd'hui dans notre pro-fession porte les germes de l'avenir.

EVOLUTION DES SERVICES OFFERTSAUX FAMILLES ET AUX ENFANTS/1

Mary C. Egan

Selon un rapport exposant la philosophie et lesobjectifs de l'American Home Economies Asso-ciation, les spécialistes de l'économie familialedoivent être parmi les premiers à prévoir et àreconnaître toute évolution, à évaluer les possi-bilités qu'a l'individu de satisfaire de nouvellesdemandes et à donner de nouvelles orientations

aux programmes professionnels en faveur desfamilles. Il est pourtant impossible de parlerdes services dont les familles et les enfants ontbesoin ou du personnel et du type de formationrequis pour répondre à ces besoins sans avoir aupréalable une certaine compréhension de la so-ciété à laquelle on s'adresse et de l'environne-ment et du climat dans lesquels ces servicesseront dispensés.

Les économistes familiaux doivent donc êtreconscients des changements qui ont lieu dans lapopulation dont ils font partie, dans le pays et lemonde où ils vivent, de l'incidence de cette évo-lution sur tous les services qu'offre l'économiefamiliale, des conséquences qu'elle entraîne aussipour la formation des travailleurs en économiefamiliale et, pour finir, des besoins auxquelsleur profession doit répondre et des problèmesqu'elle doit résoudre pour pouvoir déployer sespossibilités.

De quelles manières ces divers aspects affectent-ils la formation des économistes familiaux et lesservices qu'ils proposent ? Nous voudrions men-tionner cinq domaines qui doivent particulière-ment retenir notre attention.

Davantage de travailleurs

Tout d'abord, l'économie familiale devrait pou-voir disposer d'un plus grand nombre de travail-leurs dotés d'une formation adaptée à leurs tâchesà tous les échelons de la profession, et aussimieux employer les services de chacun d'eux pourrépondre aux besoins humains qui s'expriment.

Ce qu'il faudrait en réalité, c'est un systèmede carrière ayant de nombreux points d'entrée,de sorte qu'une personne puisse commencer àtravailler sans détenir les degrés universitaireshabituellement requis et, grâce à une formationsur le tas et à des études menées parallèlementsous surveillance qualifiée, apprendre le néces-saire pour avancer dans la profession. A tousles niveaux de la hiérarchie, il faudrait structu-rer les rôles de façon à leur donner un sens età ouvrir à l'individu la voie d'un perfectionnementprogressif correspondant à ses désirs et à sespossibilités.

1. Texte établi pour la présente publication.

70

Page 70: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

Comme Mallory/1 l'a fait remarquer, il fautprocéder à une analyse des tâches à accomplir,définir la formation requise et les qualificationsnécessaires, fournir des possibilités de promo-tion depuis l'entrée dans la vie professionnellejusqu'au niveau des cadres et déterminer lespossibilités d'emploi aux divers degrés de spé-cialisation. Ce travail d'analyse des emploisincombe au premier chef aux organismes quiles offrent et les économistes familiaux en causedoivent pour leur part connaître les techniqueset les méthodes à utiliser. Les organismes deservice, les éducateurs et les représentantsd'autres professions membres de l'équipe doiventtous collaborer pour parvenir à une définitiondes tâches à la fois claire et correspondant auxréalités.

Tout ceci s'accompagne d'un besoin urgent devoir dès à présent et à l'avenir les économistesfamiliaux adopter des attitudes nouvelles. Désor-mais, il leur faut accepter l'évolution de leurpropre rôle ; d'autre part, ils doivent consentirà travailler avec des gens se situant à des niveauxdivers de formation et de compétence, et recon-naître et respecter la contribution singulière dechaque travailleur à tous les échelons du système.

A tous ces niveaux également, les travailleursdoivent apprendre à comprendre et à accepter lefait que leur position dans la hiérarchie est dé-terminée uniquement par leurs propres possibi-lités et qu'elle est celle où leur contribution serale plus utile et que, d'autre part, toute promotionn'a nécessairement lieu qu'au bout d'un certaintemps.

Davantage d'éducateurs

II convient aussi d'accroître à tous les niveauxde formation le nombre d'éducateurs capables deformer des économistes familiaux aptes à fournirdes services de qualité dans des domaines sanscesse plus divers.

Cela peut conduire à utiliser les services desgens que l'on ne considère pas normalementcomme pouvant enseigner l'économie familiale :spécialistes d'autres disciplines possédant desconnaissances et des qualifications requises parles programmes destinés à fournir des servicesaux individus ; artisans qualifiés capables d'en-seigner les techniques d'un métier ; profession-nels de l'économie familiale susceptibles de com-muniquer leur savoir et leur expérience pratiques,consommateurs et volontaires pouvant introduireles services dans leurs propres collectivités, etbien d'autres encore.

Les éducateurs capables de préparer les gensà jouer à la fois le rôle de travailleur salarié etcelui de créateur d'un foyer ont une mission par-ticulièrement importante car il est tout aussiessentiel d'apprendre à un jeune à maintenir deshabitudes de vie familiale convenables que de luiapprendre un métier qui lui permette de gagnersa vie. Nombreux sont ceux qui, au moment des'engager dans le monde du travail, ont grandbesoin d'aide dans des domaines tels que la con-duite du ménage, la gestion du budget, la tenuepersonnelle, etc.

Les éducateurs initiés à d'autres disciplineset, par conséquent, capables de contribuer auxprogrammes de formation interdisciplinairespeuvent également fournir une aide appréciable :c'est le cas, par exemple, de l'assistant(e) sani-taire d'une collectivité qui est un généraliste ayantcertaines responsabilités en matière d'économiefamiliale. L'économie familiale peut participer àla formation de ces assistants, non pas en organisantdes programmes d'enseignement indépendammentde la profession médicale, mais en coopérant avecelle pour définir les rôles qu'il convient de leurconfier. De la même façon, le responsable del'aide au développement communautaire est unspécialiste qui doit avoir une certaine formationen matière d'assainissement, de logement, dedroit, etc., et le professeur d'économie familialechargé de sa formation devra donc faire appel àd'autres disciplines pour remplir sa tâche.

En économie familiale, l'administrateur commel'éducateur doivent être informés des ressourcesdont dispose la communauté pour faciliter cetteformation et faire preuve de créativité dans l'éla-boration de programmes combinant le travail etl'étude, et ménageant une expérience sur le ter-rain, en liaison avec l'activité professionnelle ;enfin, il leur faut toute la largeur de vue néces-saire pour reconnaître la valeur de l'expériencepratique.

Une plus grande souplesse

Pour permettre aux étudiants d'établir un lienentre leur éducation et leurs futures fonctionsde travailleur familial, les moyens d'éducationseront de plus en plus décentralisés et associésà un éventail plus large d'établissements de for-mation et d'organismes de prestation de servicesen matière d'économie familiale. Les collègesuniversitaires et les organismes de protectionsociale et sanitaire seront donc davantage misà contribution.

Des relations de travail plus étroites

En dernier lieu, il est des plus nécessaires d'ac-croître les échanges et de resserrer les relationsde travail entre les établissements d'enseignement,les organismes de services et les organismes detutelle, les organisations professionnelles, lessyndicats, etc. Ce point est capital si l'on veutadapter la formation aux besoins des gens, défi-nir et utiliser les tâches comme bases d'appren-tissage, faire en sorte aussi que les organismesde services contribuent efficacement au proces-sus éducatif et sachent quelles institutions d'en-seignement peuvent aider à la formation en coursd'emploi, et si l'on veut enfin créer et pourvoirde nouveaux postes.

1. Mallory, Bernice. Contemporary issues inhome économies éducation. In : Garrett, Pau-line (dir. publ. ) Contemporary issues in homeéconomies : a conférence report. Universityof Illinois, Urbana (111. ), 9-13mail965, 129p.

71

Page 71: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

Trop souvent encore nous envisageons exclu-sivement les organismes classiques d'économiefamiliale comme distincts de l'ensemble école-services de vulgarisation, du monde des affaireset de l'industrie. Nombreux sont encore ceux quine considèrent pas les différentes catégories d'or-ganismes en pleine expansion qui fournissent desservices liés à l'économie familiale comme par-ties intégrantes d'un ensemble de services fon-damentaux, tels que réadaptation, servicesd'assistance sociale, garderies d'enfants, amé-nagement de l'habitat et santé. Il conviendraitde mettre davantage l'accent sur la collabora-tion avec ces organismes dont le personnel de-vrait comprendre des spécialistes de l'économiefamiliale.

De nombreux problèmes qui se posent actuel-lement ne peuvent être résolus qu'en améliorantla communication entre toutes les personnesconcernées. Notre profession ne progresseraque dans la mesure où tous les intéressés tra-vailleront conjointement à l'organisation et à lamise au point méthodique d'un système de carrière.

MISE AU POINT DE PROGRAMMESD'ECONOMIE FAMILIALE DESTINESAUX FAMILLES ET AUX ENFANTS/1James Van Horn et John Williams

L'intérêt que l'on porte aujourd'hui au rôle de lafamille dans le développement et l'apprentissagede l'enfant a de multiples implications pour leséconomistes familiaux. Selon l'état de la sociétéà un moment donné, ils sont souvent en mesured'appliquer le savoir qu'ils tiennent de l'étude etde l'expérience pour provoquer une prise de cons-cience qui permet, d'une part, d'aider les gensà mieux comprendre leur famille ou leur enfantet, d'autre part, d'occasionner un certainnombrede changements d'attitudes dans ce domaine. Enmatière de développement de la famille et de l'en-fant, trois rôles bien précis paraissent devoirêtre assumés par eux.

Catalyseur, médiateur, enseignant

Dans certaines situations, le spécialiste d'éco-nomie familiale joue un rôle de catalyseur. Parcequ'il possèce déjà de solides connaissances en cequi concerne la famille et l'enfant, on fait fré-quemment appel à lui au niveau de la communautéou de la société pour identifier un besoin restéjusque-là indéfini. En tant que catalyseur, il ouelle peut "susciter l'intérêt", esquisser certainsaspects d'un programme qui, à son tour, éveil-lera l'intérêt d'une communauté ou d'un groupe.Aider les gens à identifier certaines de leurspréoccupations et à prendre conscience de leurspossibilités d'action est un aspect important desa mission. Dans de nombreux programmes d'éco-nomie familiale, le principal objectif en ce quiconcerne la famille peut très bien ne se rapporterqu'à un seul sujet, l'apprentissage préscolaire,par exemple. Dans ce cas, l'économiste familialpercevra peut-être des besoins passés jusque-làinaperçus et dont on ne s'est pas occupé -besoins

qui émanent peut-être de ce qui constitue la basedes relations entre les parents et l'enfant. Enidentifiant ainsi un besoin, il joue principalementun rôle de catalyseur puisqu'il met en lumière oudéfinit plus précisément certains aspects sous-jacents de la vie de la famille ou de l'enfant quise rapportent directement au principal sujet depréoccupation.

Le deuxième rôle de l'économiste passe parun engagement plus profond et plus complet dansune collectivité ou dans un programme spécifique.Il devient alors un médiateur, personne de res-source capable de mettre sur pied un programmesans pour cela se charger d'un enseignement di-rect. Il peut, dans ce rôle, influencer les déci-sions qui sont prises et agir ainsi plus efficace-ment en faveur d'un changement plus profond dansla collectivité. Il peut aussi amener des servicescollectifs qui n'avaient jamais travaillé en com-mun à collaborer au sein d'une équipe. Enfin, ilpeut fournir aux familles quelque moyen d'avoiraccès à des ressources extérieures.

En dernier lieu, l'économiste familial peutjouer le rôle d'enseignant au sens strict du mot.Au sein de la collectivité, il établit alors et pré-sente des programmes destinés à améliorer lacompréhension de la famille et de l'enfant, etparvient ainsi à provoquer une certaine évolution.Dans ce rôle plus classique, il a la possibilité deconcevoir des programmes d'études et de mettreau point des matériels d'enseignement. Il estfré-quemment à même de participer de façon intenseet parfois pendant plus longtemps à la vie d'ungroupe.

Quelles compétences ?

Ces trois catégories de rôles étant définies, onpeut s'interroger sur la formation que les écono-mistes familiaux doivent recevoir avant de selancer dans la conception déprogrammes s'adres-sant à de s familles et à des enfants. En plus d'acqué-rir des connaissances relatives au développementde la famille et de l'enfant, ils devraient s'initierau fonctionnement des collectivités, à l'analysedes problèmes de la société et aux façons de par-ticiper au processus de décision. Il serait, enoutre, souhaitable qu'ils étudient les relationshumaines et qu'ils se familiarisent en particulieravec les techniques d'intervention dans les pro-cessus collectifs au sein des groupes. Ils doiventégalement savoir faire la différence entre la pé-dagogie et l'androgogie (l'éducation des enfantset celle des adultes) afin de se montrer aussiefficaces que possible dans l'accomplissementdes trois rôles que nous venons de décrire.

En étudiant aussi bien l'éducation des jeunesque celle des adultes, les économistes familiauxapprennent à connaître et à comprendre les di-verses théories de l'apprentissage qui sont à la

1. Texte établi pour la présente publication. Al'époque de sa rédaction, le Dr Van Horn etle Dr Williams étaient associés aux travauxdu service de vulgarisation de l'Etat dePenn sylvanie.

72

Page 72: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

base des différentes techniques et approches.Cela leur permet de maximiser les effets de leurenseignement dans la mesure où ils se rendentcompte des subtiles variations de méthodologiequ'exige chaque groupe. C'est un point importantcar beaucoup de programmes d'épanouissementde la famille et de l'enfant sont mis au point pourdes individus qui, soit de leur propre point devue soit de l'avis de la société, sont des adultes.Par exemple, les membres d'un groupe d'adoles-centes de 1 6 ans enceintes se verront vraisem-blablement elles-mêmes comme ayant plus encommun avec des adultes qu'avec les jeunes fillesde leur âge qui ne se trouvent pas dans la mêmesituation à ce moment de leur existence.

Dans chacun de ces rôles, qu'il ait avant toutune fonction de catalyseur, de médiateur ou d'en-seignant au sens le plus strict, c'est à l'écono-miste familial qu'il appartient d'acquérir la capa-cité d'analyser, pour les comprendre, des don-nées souvent très complexes et parfois incom-plètes relatives à la famille. En outre, cettetâche exige l'assimilation de conclusions appa-remment contradictoires. Quel que soit son rôle,il doit appliquer des découvertes et des conclu-sions qui sont le résultat de recherches beaucoupplus théoriques ; de plus, il doit savoir les mettreen valeur à travers les données concrètes d'unesituation afin qu'elles soient applicables aux indi-vidus en cause et qu'elles leur soient présentéesd'une manière qui leur permette de se servir dece que l'on sait. Quelque soit le rôle qu'il endosse,il importe qu'il sache intervenir au moment oùson enseignement sera le plus profitable, c'est-à-dire au moment particulier de la vie où un be-soin surgit et où la personne ou la communautéconcernée est susceptible de prendre plus faci-lement conscience de la relation entre le besoinet la solution qui s'offre.

Choix de programmes

Lorsque l'on considère les programmes relatifsà la famille et à l'enfant que l'économiste fami-lial est chargé de mettre au point, il vient àl 'es-prit une gamme de possibilités presque infinie,allant des programmes globaux entrepris sur unegrande échelle jusqu'à d'autres qui ne concernentque de petits groupes, parfois même un seul indi-vidu. Une forme de programme qui, bien qu'ingé-nieuse, passe souvent inaperçue se présentecomme conséquence d'un autre programme. Sup-posons que des économistes familiaux lancent undébat informel sur quelque aspect de la famille(la planification familiale, par exemple) pendantun cours de couture ou un programme artistique.Ils appliquent ainsi un principe d'action à plusd'un niveau à la fois : tout en donnant la prioritéaux besoins le plus facilement identifiables, ilssuscitent l'intérêt pour d'autres qui, bien quepressants, sont plus longs à se faire reconnaître.En tant que catalyseur pleinement conscient desbesoins de la communauté, l'économiste familialpeut très bien, au cours d'une réunion, poser lesjalons de recherches futures. Simplement en sou-levant certaines questions ou en faisant certainesobservations ou commentaires pertinents, il peut

attirer l'attention sur un domaine particulier. Ilest très possible que ces germes d'un enseigne-ment plus poussé deviennent un jour suffisammentimportants pour constituer un aspect essentiel duprogramme d'une communauté ou même d'un petitgroupe. L'évolution des attitudes prend du tempset les gens sont rarement disposés ne serait-cequ'à prêter l'oreille aux solutions qui leur sontproposées pour répondre à leurs problèmes et àleurs préoccupations. Prenons l'exemple d'uneéconomiste familiale qui a participé à l'élabora-tion d'un vaste programme de garderies d'enfantsdu premier âge. Au début, cette personne a sug-géré au comité consultatif que le personnel pour-rait recevoir un complément de formation. Quelquesmois plus tard, d'autres admettaient le bien-fondéde l'idée. Deux ans après, elle pouvait à justeraison se féliciter d'être entourée d'un personnelbien entraîné. De fait, cette réalisation a étépresque exclusivement le résultat des effortsconstants de cette économiste pour préciser lanécessité d'un tel projet et du travail qu'elle aelle-même fourni pour élaborer un programmeglobal de formation en cours d'emploi de tout lepersonnel. A aucun moment, elle n'a eu adonnerdes cours elle-même ou à participer de manièredirecte à la formation du personnel. Dans une autresituation, pourtant analogue, le résultat a été dif-férent : l'économiste familiale s'est elle-mêmechargée de donner de nombreux cours de forma-tion au personnel en matière de développementde la famille et de l'enfant.

Ces deux économistes familiales ont largementcontribué aux programmes appliqués dans leurscommunautés respectives en faveur de la petiteenfance. Toutes deux ont été en mesure d'inflé-chir les décisions prises par les comités consul-tatifs selon une certaine orientation qui accentuaitl'importance et la place de la famille dans le pro-gramme global. Toutes deux ont mis l'accent surla nécessité d'offrir de nombreux services auxenfants par l'intermédiaire de ces programmes ;c'est principalement grâce à leurs efforts que cesdeux importants programmes de garderies d'en-fants ont pu finalement fournir des soins médi-caux aux enfants et offrir de nombreuses possibi-lités d'activités et d'expériences à leurs parents.

De nombreux économistes familiaux ont tra-vaillé en coopération avec les hôpitaux locauxpour s'occuper directement ou indirectement despatients. Certains ont participé à l'élaborationde programmes éducatifs destinés à répondre auxbesoins des services d'obstétrique et de maternité.Une fois par semaine, ils font des cours donnantaux nouveaux parents des informations utiles surdes sujets allant des travaux de routine aux soinsdes enfants.

Dans le cadre de nombreux services médicauxcommunautaires, comme, par exemple, les dis-pensaires, il est possible de présenter des pro-grammes à plus long terme. Parce que l'on com-mence à considérer ces centres médicaux commedevant fournir des services de plus en plus diver-sifiés, l'économiste familial y verra des endroitstout à fait indiqués pour donner des cours sur lesrelations parents-enfant, par exemple, ou surla croissance et le développement de l'enfant. Le

73

Page 73: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

travail en équipe est ici particulièrement produc-tif. Du fait que son travail se combine avec celuidu médecin ou de l'hygiéniste, l'économiste fami-lial peut élaborer des programmes qui répondentréellement aux besoins spécifiques de la clientèle(jeunes parents ou futurs parents, par exemple)desservie par le centre médical. En outre, lesprogrammes mis au point jusqu'à présent par deséconomistes familiaux ont eu tendance à être glo-baux : ils portaient sur l'ensemble de l'existencede l'individu, y compris le développement de lafamille et de l'enfant, la nutrition et la gestiondes ressources. D'autres spécialistes peuventtirer profit de cette perspective plus large quefournit l'économie familiale.

Un certain nombre d'économistes familiauxont élaboré de vastes programmes éducatifs enutilisant les moyens de grande information. Selonles circonstances, ils présentent des émissionshebdomadaires de télévision ou de radio, écriventdans les journaux ou collent des affiches dans desemplacements stratégiques, ce dernier moyens'étant révélé particulièrement efficace pour rendreles gens plus conscients de tel ou tel problème.

S'agissant des choix qui s'offrent aux écono-mistes familiaux en matière de programmes por-tant sur la famille et l'enfant, il est difficiled'aborder, même superficiellement, toutes lesformules possibles. Pour chacun d'eux, il y ad'abord une question de créativité dans l'élabo-ration de programmes qui traduisent et mettenten application le savoir accumulé par diversesdisciplines sur la famille et l'enfant.

Les situations varient. Des cultures différentesrequièrent des techniques et des méthodes diffé-rentes. Chaque économiste familial doit être ca-pable d'analyser la situation locale ou régionale,de comprendre les besoins et les gens qui lesexpriment, et de travailler avec eux et en collabora-tion avec d'autres spécialistes à la conception de pro-grammes aptes à répondre au besoin que nous res-sentons tous de maximiser notre potentiel humain.

L'ECONOMIE FAMILIALE ET LES "VALEURSDE LIAISON TEMPORELLE"/!Elizabeth M. Ray

Pour les spécialistes en économie familiale quis'occupent d'enseigner, le conflit entre les moyensrévolutionnaires et les moyens réformistes posedes problèmes particulièrement difficiles car, enplus de devoir choisir sa propre ligne de conduite,l'éducateur doit également prendre position pourfournir une réponse ou un contrepoint à ses étudiants.

Dans une analyse récente, Rosenstein/2 déclareque les organismes de formation professionnelledoivent avant tout se préoccuper de préparer lepersonnel à comprendre et à assumer des res-ponsabilités toujours croissantes. Ce genre dedifficulté stimule l'imagination ; pourtant ceuxqui accepteraient volontiers une telle interpré-tation de leur rôle sont mis à rude épreuve parleurs collègues et par ceux qui servent car toutchangement est au premier abord considéré commeune menace, quitte à se rendre compte plus tardde ses avantages.

Une source de compétence

En dépit du fait que nous sommes aujourd'hui cons-tamment sollicités par le réel et que nos senssubissent des assauts continuels, l'impression quenous avons de l'économie familiale telle qu'elleexiste de nos jours nous porte à croire que lesservices que nous rendons prennent de plus enplus de sens dans un domaine qui s'est considé-rablement élargi. De même que pour d'autresactivités professionnelles, cependant, la demandede services est bien supérieure à l'offre. Cettesituation est en partie le reflet de l'accroissementde la population et des changements de politiquemais, dans une large mesure, elle témoigne aussidu fait que la société américaine contemporainereconnaît l'importance de la fonction des écono-mistes familiaux en tant que source de compétencegénératrice de services.

Le recours à des auxiliaires et à des parapro-fessionnels dans les écoles, les organismes so-ciaux, en matière de vulgarisation et dans lesaffaires a permis d'accroître sensiblement lenombre et les catégories de services offerts.L'augmentation substantielle du nombre des ma-tières enseignées dans le programme d'étudeslaisse à penser également que les spécialistes enéconomie familiale considèrent eux-mêmes qu'ilssont aptes à assumer ces responsabilités accrues.

Une utilisation optimale des ressourceshumaines

On sait que, de nos jours, l'homme est capablede résoudre à peu près n'importe quel problèmepouvant être défini convenablement pourvu que lasociété accepte d'y consacrer les ressources né-cessaires. Les progrès techniques si souventallégués et l'explosion des connaissances qui enrésulte présentent donc certains avantages. Lefait est que nous commençons à nous rendre compteque notre monde repose sur une structure de base.Il est de plus en plus évident que les réponses auxproblèmes que nous nous posons ne sont pas né-cessairement uniques et qu'elles varient selon lelieu et le temps. Si nous en arrivons pourtant àcroire que certaines valeurs s'appliquent danstoutes les cultures et à toutes les époques, nouspouvons alors prendre des décisions qui nous per-mettent d'utiliser nos ressources humaines, ma-térielles ou non, de façon optimale dans l'envi-ronnement proche ou lointain.

Dans ces circonstances, nous proposonsd'admettre l'existence d'une structure stable, uncadre philosophique à partir duquel nous pouvonsjuger toute action et toute décision. Supposons

1. Adaptation de : Professional involvement inéducation, Journal of Home Economies(Washington, D. C. ), vol. 62, n°10, décembre1970, p. 715-719.

2. Rosenstein, A. B. A study of a profession andprofessional éducation. Los Angeles (Calif. )School of Engineering and Applied Science,Universiry of California, 1968, p. 11-14.

74

Page 74: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

que, au sein d'une société en évolution perma-nente, dans ce qui nous apparaît comme uneréorientation des valeurs, il existe un thèmeconstant qui conserve son sens dans le temps etd'une culture à l'autre. Nous pensons que le con-cept de liaison temporelle (time binding) énoncépar Korzybski/1 peut correspondre à ce thème.

Selon cet auteur, si l'on accepte que la surviede l'espèce humaine représente le but ultime denotre société et la norme à partir de laquelletous systèmes, actes, valeurs et décisions sontévalués, on en déduit qu'une action, une croyance,une coutume, une loi, une politique, une formede gouvernement ou un système d'éducation nesont acceptables que dans la mesure où ils con-tribuent à la survie de l'homme et sont, en re-vanche, inacceptables s'ils s'y opposent ou yfont obstacle. L'homme dont les sociétés civi-lisées veulent assurer la survie est un individuaccompli employant à fond ses capacités.

Dans de nombreux pays, il est difficile pourl'homme de progresser, ou même de survivre,parce que toute la main-d'oeuvre et tout le ca-pital disponibles sont nécessaires pour nourrirla population. De ce fait, aucune disposition n'estprise pour les générations futures ni en matièrede préservation des ressources ni en ce qui con-cerne la transmission des techniques à l'usagede l'homme. Même si ce n'est pas aussi évident,il est tout aussi vrai que si une société choisitde consacrer toutes ses ressources à organiseret transmettre des connaissances et des valeursexistantes pour résoudre des problèmes contem-porains et n'investit aucune ressource pour nour-rir des démarches novatrices, pour conquérirun savoir inconnu et ouvrir de nouvelles frontières,pour aider autrui ou pour égaliser les chancesde survie de tous les hommes, cette société sur-vivra peut-être mais ne fera aucun progrès.

Par le passé, les systèmes sociaux et les cul-tures ont commencé à évoluer et à se perfection-ner à partir du moment où les gens ont surmontéle problème de la production des ressources ali-mentaires et ont pu dès lors consacrer de l'éner-gie laborieuse à la production du savoir. En l'es-pace d'une génération donnée, si le savoir trans-mis estplus grand que le savoir perdu, le systèmeprogresse. Il apparaît donc que la clé de l'amé-lioration du système réside dans la découverte etl'appréciation à leur juste valeur de moyens plusefficaces de transmission du savoir d'une géné-ration à l'autre. La famille a toujours été le plusimportant agent de transmission du savoir et desvaleurs. Bien que Margaret Mead ait souvent ré-pété que la famille n'est plus capable de jouer cerôle convenablement, nous continuons, quant ànous, à faire confiance à la famille et au systèmequi la soutient.

Agents de transmission du savoir

On ne peut passer sur le fait que la famille en tantqu'agent responsable s'est maintenue à traversle temps. Ilnous faut certes rechercher des formesmeilleures et plus satisfaisantes de délégation desresponsabilités, mais c'est là, aujourd'hui commejadis, une préoccupation constante des hommes et

des sociétés. Les familles ont toujours fait appelà des aides extérieures pour préparer leurs filsà un métier ; elles ont toujours eu recours auxsages-femmes, aux infirmières, aux médecins,aux hôpitaux, de même qu'elles ont toujours faitconfiance à l'autorité des écoles et des églises.

En vivant longtemps, en produisant beaucoup,en se reproduisant, l'homme achète du temps aufil des générations. Pour lui, c'est la valeur su-prême, une valeur qui se révèle parfaitementcompatible avec la philosophie et les objectifs del'économie familiale dans sa forme la plus tra-ditionnelle aussi bien que dans ses aspects lesplus récents. L'effort accompli de nos jours pourdébarrasser les sociétés de la guerre, de la ma-ladie, de la pauvreté etdes catastrophe s naturelle srisque bel et bien de nous apporter davantage demotifs d'inquiétude et de mettre encore plus à con-tribution notre imagination et nos capacités deliaison temporelle. Mais cela ne saurait empêcherles éducateurs et les économistes familiaux decontinuer à rechercher une forme viable de fa-mille. Dans son livre intitulé : Enfants russes,enfants américains, Urie Bronfenbrenner/2 re-marque : ' De toute évidence, la structure quiapparaît comme fondamentale de ce point de vue,du point de vue de la socialisation, c'est, dansnotre civilisation, la famille. Et c'est bien l'aban-don dans lequel la famille laisse son rôle éducatifque nous avons reconnu comme l'une des sourcesprincipales d'où vient la faillite de l'entreprised'intégration sociale aux Etats-Unis".

Un défi pour les éducateurs

Développant son argumentation, Urie Bronfen-brenner lance aux enseignants et à tous ceuxs'occupant d'économie familiale un défi impres-sionnant : " . . . si nous voulons travailler dans lesens de transformations positives, dans le cadrede l'école, il faut envisager un élargissement durôle de l'institutrice. Elle doit non seulementassumer le rôle de modèle motivant, mais il luiappartient de chercher, d'organiser, de dévelop-per et de cordonner les activités d'autres modèleset agents de renforcement, convenables aussi bienà l'intérieur qu'à l'extérieur de la classe. Pourque l'institutrice puisse assumer elle-même cerôle de modèle efficace et d'agent de renforce-ment, (...) elle doit donner aux élèves l'imagede quelqu'un possédant un certain prestige et cer-tains moyens matériels. "

II est évident que les individus, les famillesou les familles adoptives ont besoin des éduca-teurs en général car ce sont eux qui fournissentaux enfants les outils de la communication etl'essentiel des techniques nécessaires à leursurvie dans une société complexe. Or ceci n'estqu'un exemple des grandes responsabilités que

1. Korzybski, A. Science and Sanity : an intro-duction to non-Aristotelian Systems and gêneraisemantics, 4e Education. Lakeville (Conn. )Institute of General Semantics, 1958.

2. Bronfenbrenner, U. Enfants russes, enfantsaméricains, traduit par J. Drouet, Paris,Fleurus, 1973 (Education et Société, 5).

75

Page 75: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

nos familles et la société dans son ensemble con-fient aux spécialistes de l'économie familialedans le cadre de leur fonction éducative. Bienau-delà de l'apprentissage des techniques fonda-mentales de l'économie familiale, c'est le con-cept lui-même qui doit être transmis - le conceptselon lequel l'homme ne survit et les systèmessociaux ne progressent que si les hommes d'unegénération donnée acceptent la responsabilité deceux qui formeront la génération suivante. Nouspouvons ainsi enseigner à la jeunesse la valeurd'un rôle efficace d'agent de liaison temporelle.On devrait de plus enseigner de manière à per-mettre aux autres d'utiliser efficacement leurscapacités de liaison temporelle, car nul ne peutêtre un bon agent de liaison temporelle s'il nesait stimuler la même capacité chez autrui. Telleserait donc la tâche assignée aux familles, auxécoles et à l'économie familiale.

Le caractère remarquablement global de cetteproposition ne saurait passer inaperçu. Si nousréussissons, en tant que spécialistes de l'écono-mie familiale, à communiquer ce concept auxjeunes et à tous ceux que nous desservons, tousles économistes familiaux se trouveront dans uneposition où ils seront obligés d'adopter une atti-tude allant dans le même sens. On peut s'attendreà ce que l'American Home Economies Associationet la profession dans son ensemble maintiennentleurs efforts pour essayer de déterminer quellescatégories et quels schémas de comportementssont le plus susceptibles de favoriser la surviede l'homme ; pour faire évoluer aussi les normesd'appréciation de la qualité de la vie en tendantvers l'égalisation des chances des hommes et lamaximisation de leur potentiel, pour garantirenfin que les spécialistes en activité se con-forment à ces normes et que les nouveaux sontprêts à assumer ces idées au même titre que lesréalités contemporaines.

Si les spécialistes de l'économie familialesont réellement au service de la société, il estessentiel que chacun d'eux s'engage à utiliserdes moyens réformistes, en rejetant systéma-tiquement toute tactique révolutionnaire. Laquestion d'un schéma général de décision etd'une base permettant d'évaluer les options pos-sibles peut être traitée à l'aide de modèles sem-blables au concept de liaison temporelle que nousavons décrit plus haut. Selon J. Gardner, lesgens eux-mêmes créent leur environnement etleur propre société à partir des valeurs qu'ilsse donnent. Quelle que soit la façon dont noustraitons les problèmes que pose l'évolution con-temporaine, en tant qu'éducateurs professionnelsou en tant qu'économistes familiaux, sachons agirde telle sorte que personne n'ait à nous demanderquelles valeurs sont les nôtres.

rencontrés pour faire le bilan du savoir scienti-fique en ce qui concerne le développement desjeunes enfants de la naissance à l'âge de six anset pour en tirer les conséquences possibles pourl'éducation permanente.

Points d'entente :

1. Les systèmes d'éducation ont pour but defavoriser le développement de l'ensemble desfacultés cognitives, sociales, émotionnelles etphysiques de l'enfant. Toute société peut choisirde mettre l'accent sur certains de ces aspectsplutôt que sur d'autres, mais on est obligé dereconnaître qu'ils sont tous étroitement liés cheztous les enfants. Le développement cognitif n'estpas indépendant de l'épanouissement social et émo-tionnel ou de la croissance physique de l'enfant ;le fait d'insister particulièrement sur cet aspectprécis du développement n'entraîne pas non plusnécessairement un retard ou un déséquilibre desautres aspects de la croissance. En fait, ces di-vers aspects influent les uns sur les autres. Unenseignement efficace axé sur l'élément cognitifest susceptible de favoriser le développement detous les aspects de la croissance.

2. La phase qui va de la naissance à l'âge de6 ans est caractérisée par un développement ra-pide de tous les aspects de la croissance. Celle-ci étant un processus continu, cette période delàpetite enfance est particulièrement importantedans la mesure où les schémas fondamentaux dudéveloppement s'y établissent. La petite enfanceest marquée par le développement rapide du sys-tème nerveux central et par sa maturation biolo-gique, morphologique et physiologique. Cette évolu-tion dépend dans la même proportion de facteurs pré-nataux et postnataux. La régulation des influencesbiologiques, psychologiques et culturelles fondamen -taies qui s'exercent sur l'enfant est indispensableà son bon développement psychologique.

Les approches interdisciplinaires des multiplesproblèmes qui se posent peuvent jouer un grandrôle. L'examen médical et psychologique de l'en-fant à la naissance, puis à des époques succes-sives, peut aider à établir pour lui un plan d'édu-cation personnelle. Au lieu de se baser sur l'âgenominal de l'enfant, les programmes éducatifsdoivent refléter son niveau de maturité mentale.L'environnement social et physique de l'enfantconstitue une unité et une totalité et c'est en tantque telles qu'il agit sur le développementde l'enfant.

3. Les enfants devraient être activement enga-gés dans le processus d'apprentissage. Constam-ment à la recherche de nouvelles difficultés etde nouvelles solutions aux problèmes qu'ils ren-contrent, ce sont des explorateurs et des exploi-teurs invétérés du monde physique et social dans

PROGRAMME POUR DEMAIN/1

Annie L. Butler

Du 4 au 9 mars 1974, l'Unesco a tenu à l'Univer-sité de l'Illinois, à Urbana, la première réunionde ses experts en éducation organisée par elle auxEtats-Unis. Les représentants de 17 pays se sont

1. "Agenda for tomorrow", par Annie L. Butler,extrait de "Childhood Education", 1974, vol. 51,n° 2, p. 87-90. (Réimpression autorisée parle Dr Butler et par l'Association for ChildhoodEducation International, 3 615 Wisconsin Avenue,N. W. , Washington D. C., 200016. (C) 1974 del'Association.

76

Page 76: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

lequel ils grandissent. La tâche de la famille, dela collectivité et du système éducatif consiste àfournir aux enfants des occasions précises ou gé-nérales d'être confronté à des expériences et àdes problèmes appropriés de la vie. Les enfantsont besoin d'être mis au défi et d'être guidés versune solution efficace des problèmes qu'ils ren-contrent. Un corollaire de ces principes est lefait que les enfants tirent profit des relations si-gnificatives qu'ils entretiennent avec des adultes,qu'il s'agisse de parents, d'amis ou de maîtres,tandis qu'ils s'efforcent d'intégrer de nouvellesexpériences à l'ensemble des connaissances qu'ilsont déjà acquises.

4. Etant donné que le développement des enfantsse déroule sur un plan unitaire ou holistique, lesservices destinés à favoriser ce développementdoivent impérativement être intégrés. Il est doncproposé de faire fusionner les divers organismesde services qui fonctionnent dans des domainesdistincts quoique proches, tels que la santé, l'édu-cation et le bien-être de la communauté, et d'en-courager par tous les moyens possibles une col-laboration réelle entre les différentes disciplinesconcernées.

5. C'est la famille qui est actuellement leprincipal responsable de l'orientation donnée audéveloppement des jeunes enfants. Le mot familleest ici utilisé dans son acception la plus large etinclut les parents célibataires, les couples, lesfamilles élargies, les kibboutzim, etc. Les ins-titutions qui ont des responsabilités particulièresdans ce domaine devraient s'efforcer de soutenirla famille plutôt que de tendre à la supplanter.Celle-ci et l'Etat se partagent la responsabilitédu développement complet de l'enfant, mais lesfrontières entre les attributions de l'une et cellesde l'autre varient selon les pays. Les institutionsde la société jouent un rôle de plus en plus impor-tant à mesure que l'enfant mûrit.

6. On considère qu'au cours de la petite enfance,l'enfant est beaucoup plus malléable que pendantles années ultérieures. Il y a des limites cepen-dant. Le développement cognitif en particulier sefait d'une façon ordonnée et séquentielle, déter-minée par l'action combinée de programmes impo-sés intérieurement par des facteurs biologiqueset extérieurement par des facteurs culturels. Ledéveloppement de l'enfant n'est donc pas modi-fiable à l'infini. Les experts envisagent la créa-tion d'un système scolaire qui, dans les pays dé-veloppés comme dans les pays en développement,permettrait aux enfants d'apprendre à leur proprerythme, quel que soit leur âge ou leur sexe etdans tous les domaines.

7. Les scientifiques qui s'intéressentau déve-loppement humain s'accordent pour affirmer qu'ils'agitd'un processus continu. La croissance passepar des étapes successives, sur tous les plansphysique, émotionnel, social et cognitif. Cesétapes sont définies moins par ce que l'enfantparvient à assimiler que par rapport à ses modesde progression dans le processus d'apprentissage.Si les établissements sont productifs et stimulants,qu'il s'agisse ou non d'écoles au sens strict, lesenfants élaboreront leurs propres méthodes pourrésoudre leurs problèmes et établiront leur propre

base de connaissances. L'enseignement devraittoujours correspondre à des situations souples ;les enfants devraient constamment être mis enprésence des problèmes éducatifs dans des condi-tions concrètes et actives. D'autre part, il fau-drait encourager fortement la communication desenfants entre eux et avec les adultes.

8. Dans toutes les sociétés, il est importantd'initier les enfants,- adolescents et jeunes adultesaux fins et aux tâches générales et spécifiques durôle de parents. La préparation des parents estun élément légitime du processus éducatif. Si l'onveut que la famille demeure l'institution centralede l'éducation des enfants et qu'elle remplisse cettefonction avec efficacité, il est capital que l'on se pré-occupe de la préparation des parents de demain.

9. Un des principaux objectifs des programmeséducatifs devrait être de donner aux enfants unesaine idée d'eux-mêmes. Certaines conditionsimportantes facilitent la formation d'une saine idéede soi. Ce sont le sentiment d'être accepté, un rap-port favorable entre le succès etl'échec et la possi-bilité de s'identifier à des modèles positifs.

10. Il est important de ménager des transitionsraisonnables entre les diverses composantes plusou moins distinctes et largement arbitraires duprocessus éducatif. Trop souvent, le premiercontact avec l'école est pour l'enfant une confron-tation brutale avec des programmes rigoureuxqui exigent une stricte conformité à des normesrigides d'appréciation. Ceci viole le principe dela continuité du développement de l'enfant et netient pas compte de la nécessité pour les pro-grammes éducatifs d'être adaptés aux différencesindividuelles entre les enfants. S'il est certesimportant d'établir pour chaque programme desnormes de réussite, il est tout aussi nécessaired'ajuster ces normes etles moyens de les atteindreen fonction des expériences passées, du niveaude développe ment de s enfants en général et de leursparticularités individuelles.

11. Les systèmes éducatifs doivent comporterdes aménagements à l'intention des enfants handi-capés qui ont des difficultés particulières à suivreles programmes normaux. Ce sont non seulementles enfants atteints de déficiences spécifiques(cécité, surdité, etc. ) mais aussi ceux dont lesfamilles sont frappées par les multiples effets dé-bilitants du malheur, y compris la pauvreté. Lasituation de ces enfants est le résultat de circons-tances diverses ; dans certaines sociétés, ils re-présentent la règle plutôt que l'exception. Ils sontparfois issus de familles socialement désorgani-sées ; il se peut qu'ils souffrent d'une déficiencesomatique quelconque ou qu'ils subissent les effetsde facteurs biologico-pathogéniques qui entraînentun affaiblissement global du système nerveux cen-tral. Une forte corrélation positive tend à se mani-fester entre ces diverses circonstances débilitantesde telle sorte que le développement physique denombreux enfants est soumis à de multiples assauts.Un diagnostic précoce et la prévention de tellesconditions reviennent beaucoup moins cher et serévèlent beaucoup plus efficaces que toute tenta-tive pour enrayer leurs effets une fois qu'ellessont établies. Un gramme de prévention vaut bienune livre de remèdes.

77

Page 77: Publié avec le concours du Center for the Family of the ...unesdoc.unesco.org/images/0013/001340/134052fo.pdf · La famille, premier milieu éducatif Choix de textes sur l'économie

PUBLICATIONS DE L'UNESCO : AGENTS GÉNÉRAUX

AlbanieAlgérie

Allemagne (Rép. féd.)

Antilles française»ArgentineAutriche

BelgiqueBéninBrésil

BulgarieCanadaChypreCongo

Côte-d'IvoireDanemark

EgypteEspagne

États-Unis d'AmériqueFinlande

FranceGrèceHaïti

Haute-VoltaHongrie

Inde

Indonésie

IrakIran

IrlandeIsraël

ItalieJamahirîya arabe libyenne

JaponLiban

LuxembourgMadagascar

MaliMaroc

MauriceMonaco

MozambiqueNiger

Norvège

Nouvelle-CalédoniePays-Bas

Pologne

PortugalRép. dém. allemande

Rép.-Unie du Cameroun

Roumanie

Royaume-Uni

Sénégal

Suède

SuisseRép. arabe syrienne

Tchécoslovaquie

Togo

TunisieTurquie

URSSYougoslavie

Zaïre

N. Sh. Botimeve Naim Frasheri, TIRANA.Institut pédagogique national, n , rue Ali-Haddad (ex-rue Zaâtcha), ALOER. Société nationale d'édition etde diffusion (SNED), 3, boulevard Zirout Youcef, ALOER.S. Karger GmbH, Karger Buchhandlung, Angerhofstr. 9, Postfach 2, D-8034 GERMERINO/MUNCHEN. « LeCourrier », édition allemande seulement : Colmantstrasse 22, 5300 BONN. Pour les caries scientifiques utilement : GeoCenter, Postfach 800830, 7000 STUTTGART, 80.Librairie « Au Boul'Mich », 1, rue Perrinon et 66, avenue du Parquet, 97200 FORT-DE-FRANCE (Martinique).EDILYR, S.R.L., Tucumân 1699 (P.B. « A »), 1050 BUENOS AIRES.Dr. Franz Hain, Verlags- und Kommissionsbuchhandlung, Industriehof Stadlau, Dr. Otto-Neurath-Gasse 5,1230 WIEN.Jean De Lannoy, 202, avenue du Roi, 1060 BRUXELLES, CCP 000-0070823-13.Librairie nationale, B. P. 294, PORTO NOVO.Fundaçâo Getulio Vargas, Servico de Fublicaçoes, caixa postal 9.052-ZC-02, Fraia de Botafogo 188, RioDE JANEIRO (GB). Carlos Rhoden, Livros e Revistas Técnicos Ltda : av. Brigadeiro Faria Lima 170g, 6.° andar,caixa postal 5004, SAo PAULO; av. Franklin Roosevelt 194-S/707, 20021 Rio DE JANETRO (RJ); P. O. Box 617,90000 PORTO ALEORE (RS)J P. O. Box 957, 80000 CURITIBA (PR); P. O. Box 1709, 30000 BELOHORIZONTE (MG); P. O. Box 1709, 50000 RECIFE (PE).Hemus, Kantora Literatura, bd. Rousky 6, SonjA.Éditions Renouf Limitée, 2182, rue Sainte-Catherine Ouest, MONTRÉAL, Que. H3H 1M7.« MAM », Archbishop Makarios 3rd Avenue, P. O. Box 1722, NICOSIA.Librairie populaire, B. P. 577, BRAZZAVILLE.Centre d'édition et de diffusion africaines, B. P. 4541, ABIDJAN PLATEAU.Ejnar Munksgaard Ltd., 6 Nsrregade, 1165 KOBENHAVN K.Unesco Publications Centre, I Talaat Harb Street, CAIRO.Mundi-Prensa Libres S.A., apartado 1223, CastellA 37, MADRID-I ; Ediciones Liber, apartado 17, Magdalena 8,ONDARROA (Vizcaya); DONAIRE, Ronda de Outeiro 20, apartado de correos 341, LA CORUNA; LibreriaAl-Andalus, Roldana I y 3, SEVILLA 4; Libreria Castells, Ronda Universidad, 13, BARCELONA 7.Unipub, 345 Park Avenue South, NEW YORK, N.Y. IOOIO.Akateeminen Kirjakauppa, Keskuskatu, 1, 00100 HELSINKI 10.Librairie de l'Unesco, 7, place de Fontenoy, 75700 Paris; CCP Paris 12598-48.Grandes librairies d'Athènes (Eleftheroudakis, KaufTman, etc.).Librairie « A la Caravelle», 26, rue Roux, B. P. m , PORT-AU-PRINCE.Librairie Attie, B. P. 64, OUAGADOUGOU; Librairie catholique « Jeunesse d'Afrique», OUAOADOUOOU.Akadémiai Kônyvesbolt, Vàci u. 22, BUDAPEST V. A.K.V. Konyvtàrosok Boltja, Népkoztàrsasâg utja 16,BUDAPEST VI.Orient Longman Ltd. : Kamani Marg, Ballard Estate, BOUBAY 400038 ; 17 Chittaranjan Avenue, CALCUTTA I 3 ;36a Anna Salai, Mount Road, MADRAS 2; B 3/7 Asaf Ali Road, NEW DELHI I ; 80/1 Mahatma Gandhi Road,BAN0ALORE-560001 ; 3-5-820 Hyderguda, HYDERABAD-SOOOOI.Sous-dépSls : Oxford Book and Stationery Co., 17 Park Street, CALCUTTA 700016; Scindia House, NEWDELHI I IOOOI \ Publications Section, Ministry of Education and Social Welfare, 511 C-Wing, Shastri Bhavan,NEW DELHI I IOOOI.Bhratara Publishers and Booksellers, 29 Jl. Oto Iskandardinata III, JAKARTA. Gramedia Bookshop, Jl. GadjahMada 10g, JAKARTA. Indira P.T., Jl. Dr. Sam Ratulangi 37, JAKARTA PUSAT.McKenzie's Bookshop. Al-Rashid Street, BAGHDAD.Commission nationale iranienne pour l'Unesco, avenue Iranchahr Chomali n° 300, B. P. 1533, TÉHÉRAN.Kharazmie Publishing and Distribution Co., 28 Vessal Shirazi Street, Shahreza Avenue, P. O. Box 314/1486,TEHERAN.The Educationai Company of Ireland Ltd., Ballymount Road, Walkinstown, DUBUN 12.Emanuel Brown, formerly Blumstein's Bookstorrs: 35 Allenby Road et 48 Nachlat Benjamin Street, TEL AVIV;9 Shlomzion Hamalka Street, JÉRUSALEM.LICOSA (Libreria Commissionaria Sansoni S.p.A.), via Lamarmora 45, casella postale 552, 50121 FIRENZE.Agency for Development of Publication and Distribution, P. O. Box 34-35, TRIPOU.Eastern Book Service Inc., C. P.O. Box 1728, TOKYO 100-91.Librairies Antoine A. Naufal et Frères, B. P. 656, BEYROUTH.Librairie Paul Bruck, 22, Grand-Rue, LUXEMBOURG.Commission nationale de la République démocratique de Madagascar pour l'Unesco, B. P. 331, TANANARIVE.Librairie populaire du Mali, B. P. 28, BAMAKO.Toutes les publications : Librairie « Aux Belles Images », 281, avenue Mohammed-V, RABAT (CCP 68-74).« Le Courrier » seulement (pour les enseignants} : Commission nationale marocaine pour l'Unesco, ig, rue Oqba,B. P. 420, AODAL-RABAT (CCP 324-45).Nalanda Co. Ltd., 30 Bourbon Street, PORT-LOUIS.British Library, 30, boulevard des Moulins, MONTE-CARLO.Instituto Nacional do Livro e do Disco (1NLD), avenida 24 de Julho 1921, r/c e i.° andar, MAPUTO.Librairie Mauclert, B. P. 868, NIAMEY.Toutes les publications : Johan Grundt Tanum, Karl Johans gâte 41-43, OSLO I.« Le Courrier» seulement : A/S Narvesens Litteraturtjeneste, Box 6125, OSLO 6.Reprex, SARL, B. P. 1572, NOUMÉA.N. V. Martinus Nijhoff, Lange Voorhout 9, 'S-GRAVENHAOE. Systemen Keesing, Ruysdaelstraat 71-75,AMSTERDAM 1007.Ars Polona-Ruch, Krakowskie Przedmiescie 7, 00-068 WARSZAWA. ORPAN-Import, Palac Kultury,00-901 WARSZAWA.Dias & Andrade Ltda., Livraria Portugal, rua do Carmo 70, LISBOA.Librairies internationales ou Buchhaus Leipzig, Postfach 140, 701 LEIPZIG.Le secrétaire général de la Commission nationale de la République-Unie du Cameroun pour l'Unesco, B. P. 1600,YAOUNDÉ.ILEXIM, Romlibri, Str. Biserica Amzei n» 5-7, P. O. B. 134-135, BUCURESTI.Abonnements aux périodiques : Rompresfilatelia, calea Victoriei nr. 2g, BUCURESTI.H. M. Stationery Office, P. O. Box 569, LONDON S E I gNH.Government bookshops: London, Belfast, Birmingham, Bristol, Cardiff, Edinburgh, Manchester.La Maison du livre, 13, avenue Roume, B. P. 2060, DAKAR. Librairie Clairafrique, B. P. 2005, DAKAR.Librairie « Le Sénégal », B. P. 1594, DAKAR.Toutes les publications : A/B C. E. Frîtzes Kungl. Hovbokhandel, Regeringsgatan 12, Box 16356, S-10327 STOCKHOLM.« Le Courrier » seulement : Svenska FN-Fôrbundet, Skolgrând 2, Box 150 50, S-104 65 STOCKHOLM (Post-giro 18 46 92).Europa Verlag, Râmistrasse 5, 8024 ZURICH. Librairie Payot, 6, rue Grenus, 1211 GENÈVE i l .Librairie Sayegh, Immeuble Diab, rue du Parlement, B. P. 704, DAMAS.SNTL, Spalena 51, PRAHA I (Exposition permanente). Zahranicni literatura, 11 Soukenicka, PRAHA I.Pour la Slovaquie seulement : Alfa Verlag, Publishers, Hurbanovo nam. 6, 8g3 31, BRATISLAVA.Librairie évangélique, B. P. 378, LOMÉ; Librairie du Bon Pasteur, B. P. 1164, LOMÉ; Librairie moderne,B. P. 777. LOMÉ.Société tunisienne de diffusion, 5, avenue de Carthage, TUNIS.Librairie Hachette, 469 Istiklal Caddesi, Beyoglu, ISTANBUL.Mezhdunarodnaja Kniga, MOSKVA G-200.Jugoslovenska Knjiga, Trg. Republike 5/8, P. O. B. 36, 11-001 BEOGRAD. Drzavna Zalozba Slovenije,Titova C. 25, P. O. B. 50-1, 61-000 LJUBLJANA.La Librairie, Institut national d'études politiques, B. P. 2307, KINSHASA. Commission nationale zaïroise pourl'Unesco, Commissariat d'État chargé de l'éducation nationale, B. P. 32, KINSHASA.

[B] ED.80/XXIV/37F