prospero brûle

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Table of ContentsCover Page Titre The Horus Heresy Dramatis Personae Premire Partie - l'Upplander Un - la Venue du Printemps Deux - Ds-astre Trois - Aett Quatre - Skjald Deuxime Partie - Les Contes des Loups Cinq - Aux Portes de la Quitude Olamique Six - Scintilla Sept - Long-Croc Huit - Le Rve dHiver de Long-Croc Neuf - Douze Minutes Dix - Tmoin Onze - Du Sang et des Noms Douze - Thardia Troisime Partie - Rcit Treize - Le Chtiment Quatorze - Miroir Quinze - LExtrmit des Fils Remerciements Propos de lAuteur Page Lgale Contrat de licence pour les livres numriques

The Horus Heresy

The Horus HeresyCest une poque lgendaire...

Des hros continuent de se battre pour rgenter la portion de galaxie que les vastes armes de lEmpereur de Terra ont conquise durant leur Grande Croisade. Une myriade de races extraterrestres ont t crases par les combattants dlite de lEmpereur et effaces des annales de lhistoire.

Laube dune re de suprmatie se lve sur lHumanit. Des citadelles clatantes dor et de marbre clbrent les nombreux triomphes de lEmpereur. Sur un million de mondes sont rigs des monuments rappelant les exploits piques de ses plus formidables guerriers.

Premiers parmi eux, les primarques, des hros surpuissants, imposants et magnifiques, laboutissement ultime des exprimentations gntiques de lEmpereur, ont men leurs armes de Space Marines de victoire en victoire.

Les Space Marines sont les plus puissants guerriers humains que la galaxie ait jamais connus, chacun deux surpassant une centaine de soldats ordinaires. Organiss en lgions de dizaines de milliers de combattants placs sous les ordres dun primarque, ils ont conquis limmensit spatiale au nom de lEmpereur.

Le plus illustre parmi ces primarques est Horus le Glorieux, lAstre Brillant, favori de lEmpereur. Il est le Matre de Guerre, commandant en chef de la puissance militaire impriale ayant assujetti un millier de milliers de mondes, grand conqurant, guerrier sans gal et diplomate suprme.

Horus est une toile montante, mais jusquo une toile peut-elle monter avant de retomber ?

Dramatis Personae

Dramatis Personae

Les primarques Russ Le Roi des Loups Magnus Le Roi carlate

Les Rout

La Onn Gunnar Gunnhilt Appel Seigneur Gunn, Jarl

La Tra Ogva Ogva Jarl Helmschrot Ulvurul Heoroth Appel Long-croc, prtre des runes Ours Aeska Appel Lvre Brise Godsmote Galeg Aun Helwintr Orcir Jormungndr Appel Deux-lames Ullste Erthung Main Rouge Oje Svessl Emrah Horune Najot le Tisseur Prtre-loup

La Fyf Amlodhi Skarssen Jarl Skarssensson Varangr Hraut du seigneur Skarssesson Ohthere Wyrdmake Prtre des runes Trunc Bitur Bercaw

Personnages impriaux Giro Emantine Prfet-secrtaire auprs du conseil de lUnification Kasper Hawser Conservateur, aussi connu sous le nom dAhmad Ibn Rustah Navid Murza Conservateur

Personnages non-impriaux Fith des Ascommani Guthox des Ascommani Brom des Ascommani Lern des Ascommani

Dans le pass Recteur Uwe

Si je suis coupable de quelque chose, cest davoir cherch la connaissance. Le primarque Magnus, sur Nikaea

tez la subordination, mettez cette corde hors de lunisson, Et coutez quelle dissonance va suivre. Toutes choses se rencontrent Pour se combattre : les eaux renfermes dans leur lit Enflent leur sein plus haut que leurs bords Et trempent la masse solide de ce globe : La force devient la matresse de la faiblesse, Et le fils brutal va tendre son pre mort ses pieds. La violence srige en droit, ou plutt Le juste et linjuste, Que spare la justice assise au milieu de leur choc ternel, Perdent leurs noms, et la justice anantie prit aussi ; Alors chacun se revt du pouvoir, Le pouvoir de la volont, la volont de la passion, Et la passion, ce loup insatiable, Ainsi seconde du pouvoir et de la volont, Doit ncessairement faire sa proie de toutes choses et finir par se dvorer elle-mme. Attribu au dramaturge Shakespire (M2), cit dans la prophtie dAmon des Thousand Sons (chap. III verset 230)

Ceux qui ne peuvent se rappeler le pass sont condamns le rpter. Source non identifie (alentours du M2)

UN

UN la Venue du Printemps

La mort les cernait. La mort tait venue couper des fils, et aujourdhui la mort portait quatre visages. Une mort brlante pour ceux trop gravement blesss ou trop paniqus pour fuir le village balay par la tempte de feu. Une mort glaciale pour ceux qui grimpaient lescarpement en courant afin dchapper la tuerie. Mme au printemps, le vent arrivait des plaines geles avec un mordant fatal, aspirait la chaleur vitale dun homme par ses poumons, lui noircissait les mains et les pieds en les faisant pourrir, et ne laissait de lui quun petit tas raide sur le sol, couvert de givre et dur comme la pierre. Pour dautres, une mort par noyade sils tentaient de fuir par la glace bleute autour de la pointe de terre. Larrive du printemps commenait dj faire bouger la banquise contre le rivage, comme une dent dans une gencive. La glace ne supportait plus le poids dun homme de faon certaine. Il lui suffisait de se briser sous vos pieds, et cen tait fini : dun coup et rapidement en plongeant droit au travers, ou lentement et en hurlant si une plaque basculait et vous laissait le temps de glisser. Dune faon ou de lautre, les eaux taient noires comme du ptrole, et tellement geles que le froid aurait fig les penses dans votre cerveau avant mme que vos poumons fussent vides. Pour le reste, pour ceux qui taient rests se battre, une mort sanglante, la tuerie. Cette mort-l tait celle qui vous jetait brutalement sur la glace dun coup de hache ou de masse, et vous ne ressentiez plus rien, except les brlures, froide de la glace et chaude de votre propre sang, et la douleur hurlante de votre blessure. Cette mort-l se dressait au-dessus de vous pour vous frapper encore, et encore, et autant de fois que ncessaire jusqu ce que vous ne vous releviez plus, o jusqu vous dfigurer au point de ne plus supporter de vous regarder, avant de sloigner pour trouver une autre me cogner. Nimporte lequel de ces quatre visages aurait coup votre fil peine son regard pos sur vous. Et tels taient les visages dont les Balt staient revtus. Les Balt. Les Balt avaient amen la tuerie sur laett des Ascommani. Vingt bateaux. Il tait encore tt dans la saison pour un raid. Un homme devait tre dsespr pour partir rougir la neige quand il aurait pu attendre les premires herbes et le redoux. Vingt bateaux, et tous encore quips pour affronter la neige sous leurs voiles de mer. Sils en avaient eu le temps, les Ascommani auraient pu se demander pourquoi ce destin les frappait si tt. LIronland, o les Balt staient installs, avait persist durant vingt grandes annes, mais beaucoup disaient dsormais que ses racines staient affaiblies. Beaucoup disaient dsormais quil ne se passerait quun t, deux tout au plus, avant que locan ne laspirt nouveau dans la forge du monde. La terre des Ascommani, difficile exploiter, courait de la pninsule jusquau plateau de glace, et manquait de remparts naturels, mais elle navait encore quune seule grande anne, et les rhabdomanciens lavaient proclame tre une terre forte, avec encore beaucoup dannes en elle. La soif de terre, donc. Peut-tre tait-ce la raison. Mais Fith ntait pas n dhier. Rien nengendrait le besoin de tuer autant que la peur. Et rien narrivait attiser la peur autant quun mauvais prsage. Une comte. Une toile de jour. Une couleur dans la glace, un gonflement dans la mer. Une fume monte du plateau de glace, o il ne se trouvait aucun campement. Une chose morte rejete par les flots, et qui naurait pas d exister. Une chose ne du btail ou dune femme et qui naurait pas d exister. Une chose prsentant des difformits de naissance. Parfois, un mauvais rve suffisait, un mauvais rve prtendant que la tribu plus loin sur le littoral ou de lautre ct dun cap tait maleficarum. La soif de terre devenait lexcuse pour revtir sa chemise et sa lame, mais en sassurant bien avant douvrir vos voiles que le gothi vous ait marqu le visage de symboles bnfiques la glu de suie, comme le disque solaire, ou lil protecteur. Et il y avait bien eu un mauvais prsage, Fith lavait vu. Fith avait aussi vu venir la tuerie. Il avait vu les voiles approcher le long de la cte suffisamment tt pour sonner le cor, mais trop tard pour que cela changet les choses. peine avait-il permis aux siens de mourir rveills. La troupe principale des Balt avait contourn la pointe de terre bord de ses bateaux-wyrms, dans le gris prcdant laube. Les grements noirs avaient quitt leau en montant dun coup sur la glace de la berge, embarcations maritimes devenues navires des glaces dans lintervalle dune secousse. Les tirailleurs avaient t dbarqus de lautre ct de la pointe, et arrivaient en courant par-dessus la crte des dunes de neige pour tomber par larrire sur le village des Ascommani. Aprs quoi tout navait plus t que feu et coups. Les Balt taient des btards puissants, des hommes au visage long, la barbe modele en toile la cire sous leurs casques lunettes de mtal. Atrocement dous la hache et au gourdin, ainsi qu lpe que portaient certains, dnotant leur haut statut. Mais cette fois, leur venue navait pas la vigueur tapageuse de leurs raids ou de leurs tueries ordinaires. Ils taient silencieux ; terrifis par ce quils taient venus tuer, terrifis par sa magie du ciel. Silencieux et austres, dtermins ne rien laisser vivant afin de balayer cette magie ; hommes, femmes, le btail, les enfants, rien ne se voyait pargner. Pas une once de clmence. Pas un seul instant pour considrer lide de faire des prisonniers ou demporter des captives. Les filles des Ascommani taient rputes pour leur beaut, et beaucoup qui taient encore lge denfant seraient avec le temps devenues des esclaves prcieuses ; mais les Balt avaient mis de ct tous leurs apptits, lexception dun dsir froce dtre dlivrs de leur peur. En sabattant, un coup de hache rendait un son humide de chair fendue et dos cass, comme sur un jeune arbre coup lpoque des montes de sve. Une masse produisait un bruit plus gras et plus sourd, comme un hoyau employ pour planter des pieux dans la bourbe des marcages ou la glace ramollie. Pire que tous deux taient les bruits qui venaient ensuite. Les hurlements de douleur et dagonie. Les braillements implorants des blesss et des mutils. Les coups frappant jusqu ce que ceux tombs terre cessassent dtre en vie, ou de chercher se relever, ou de hurler, ou de ntre quen un seul morceau. Fith avait tout juste eu le temps de passer sa chemise de mailles et dempoigner sa hache. Plusieurs autres hersirs se retrouvrent ses cts, et ils avancrent la rencontre des premiers tirailleurs arrivs travers les meurtrires de la palissade. La panique frappait dj. Tous couraient maladroitement et laveugle dans lobscurit, dans une odeur durine et les premiers relents de fume. La hache de Fith tait quilibre pour une seule main. Une belle pice dartisanat, dont la tte en acier cment pesait autant quun garon nouveau-n. Du haut du tranchant jusqu son talon, son sourire tait plus large que lempan dune main dhomme, et il avait embrass une meule tout juste la veille. La hache tait un instrument simple, un levier dmultipliant la force du bras pour la transformer en force dlivre par la lame. Les mmes rudiments sappliquaient aussi bien pour fendre les arbres que les hommes. La hache de Fith tait une sabreuse dos, briseuse de boucliers, fendeuse de casques, un tranchant mortel, une coupeuse de fils. Lui tait un hersir de laett des Ascommani et savait comment tenir son terrain. Le village en lui-mme tranglait les combats ; Fith repoussa deux Balt du cercle de tentes, mais lespace resserr gnait ses moulinets. Il lui fallait se sortir de l. Il cria aux hersirs de se replier avec lui. Ils reculrent jusque sur la cour, envelopps de tourbillons de fume noire, et plantrent leur regard dans celui des Balt cern par les illres de leurs casques. Ce fut lempoignade gnrale. Les haches tournaient comme des ailes de moulin en pleine tempte. Fenk tomba quand la hache dun Balt lentailla dans la longueur du mollet gauche. Sa jambe devenue inutile cda sous lui, et il beugla de rage. Quelques secondes plus tard, un coup de masse lui projeta la tte de ct, lui brisa le cou et sectionna son fil. Il seffondra terre, le sang scoulant de son crne fracass travers sa calotte. Fith fit reculer un Balt arm dun pic, en leffrayant par les cercles sifflants que dcrivait sa hache. Ghejj essayait de couvrir le flanc de Fith, en employant les bases de la tactique du mur de boucliers. Mais Ghejj navait pas eu le temps de se choisir un bouclier dcent parmi la pile, rien quun modle carr dentranement pour le terrain dexercice. Une lance balt pera droit au travers, et lui dchira si parfaitement le ventre que ses intestins se rpandirent sur la neige comme un chapelet de saucisses. Ghejj chercha les ramasser, comme sil avait pu alors les ranger lintrieur de lui et que tout redevnt comme avant. Ses entrailles fumaient dans lair printanier, et lui hurla dune douleur dconfite sans pouvoir sen empcher, se sachant au seuil de la mort. Il leva les yeux vers Fith lorsquil cria nouveau. Ce ntait pas la douleur. tre condamn mourir, de faon aussi irrparable, le mettait dans une colre folle. Fith mit de la misricorde dans son coup. Il se dtourna de sa dernire vision de Ghejj, et vit quil y avait des doigts disperss sur la neige, sur la neige retourne par les pieds layant foule et ayant gliss l, ainsi que du sang pleines boles. Ces doigts taient ceux de femmes et denfants, ceux des mains quils avaient leves devant eux. Des blessures dfensives. L sur la neige, une main entire, la main dun enfant minuscule et complte. Fith reconnut la marque sur la petite bague. Il connaissait lenfant qui la main avait autrefois appartenu. Il connaissait le pre qui lenfant avait autrefois appartenu. Fith sentait la fume rouge lui monter la tte. Un Balt avana sur lui, silencieux et rsolu. Fith contracta les muscles du levier de sa hache, labattit en arc, et fit un ravin du visage de cet ennemi. Ils ntaient plus que quatre hersirs. Fith, Guthox, Lern et Brom. Aucun signe du chef de laett. Celui-ci tait probablement mort, tal face en avant dans la neige rouge avec ses huscarls. Fith sentait le sang. Lodeur tait forte, une chaude odeur cuivre piant lair de laube. Cela sentait aussi les entrailles de Ghejj. Cela sentait lestomac, la graisse jaune de son ventre, la chaleur de sa vie. Fith sut quil tait temps de partir. LUpplander se trouvait dans labri le plus loign. Mme les Ascommani savaient prfrable de le tenir lcart. LUpplander tait redress, le dos contre des coussins. coute-moi, lui siffla Fith. Tu me comprends ? Je vous comprends. Mon traducteur fonctionne, rpondit lUpplander, le visage ple. Les Balt sont l. Vingt bateaux. Ils vont te tuer. Rponds-moi, veux-tu la misricorde de ma hache maintenant ? Non, je veux vivre. Alors est-ce que tu peux marcher ? Peut-tre, rpondit lUpplander. Mais ne me laissez pas l. Jai peur des loups. Il ny a pas de loups sur Fenris. Quand lUpplander avait entendu cela, des annes plus tt, cela lavait fait rire. Il lavait entendu de la bouche dun conservateur vnrable et duqu, devenu plus tard un itrateur rput, Kyril Sindermann. LUpplander, qui navait quitt que depuis peu luniversitariat de Sardis, diplm avec mention dexcellence, avait obtenu une place trs convoite pour une mission de terrain de huit mois, afin dpurer et de prserver certains des noyaux de donnes arcaniques de NeoAleksandrya, avant que les temptes de sable et les rafales de vents irradis neussent jamais rendu ces prcieuses ruines au vide mlancolique de la zone nordafrikaine. Cela datait de plusieurs dcennies avant que lUpplander et dcid de venir sur Fenris ou de se faire appeler Ahmed Ibn Rustah. Il navait encore que vingt-cinq ans, et ses amis le connaissaient comme Kasper. Sindermann avait trs tt retenu son nom. Sindermann ntait pas la tte du projet ; il navait t envoy que pour une visite de trois semaines, mais navait pas eu peur de se salir les mains ni de se mler aux membres les plus jeunes de lquipe. Il avait le contact facile, et les noms lui taient importants. Un soir, comme son habitude, lquipe stait rfugie dans la discussion lheure du dner dans la base arrire du projet, une station surplombant les ruines de la bibliothque. Tous taient puiss. Tous avaient accumul des dures de travail indcentes pour mener la mission bien. Personne ne voulait voir les prcieux souvenirs numriques qui flottaient sur ces ruines disparatre pour lternit. Et tous avaient donc la peau griffe par les sables, et tous manquaient de sommeil, et tous avaient perdu une part significative de leur masse corporelle en raison du manque deau. Les nuits auraient d tre lheure du repos rparateur, mais les fantmes des donnes de NeoAleksandrya taient venus peupler leurs rves, des spectres bavards refusant un sommeil paisible aux vivants. Ils veillaient pour maintenir ces fantmes lcart ; les soires devenaient lheure dune compagnie et dune rflexion fatigues, tandis que les vents abrasifs soufflaient en hurlant sur la tombe radioactive de NeoAleksandrya, et assaillaient les volets ferms de la station. Ils parlaient de tout et de rien, juste pour se maintenir veills. Sindermann, sans doute le plus grand polymathe que lUpplander aurait eu lhonneur de connatre au cours de sa longue vie, semblait capable de parler sans jamais spuiser. Les membres les plus gs de lquipe parlaient des divers endroits quils avaient pu visiter au cours de leurs carrires, et les plus jeunes des lieux quils avaient encore lespoir ou le dsir de voir un jour. Cela avait

invitablement men llaboration dune liste idale de destinations, dun itinraire rv des endroits de la galaxie pour lesquels tout rudit, historien ou commmorateur, aurait t prt payer dune grande richesse ou dun morceau de son corps le droit dy mettre les pieds. Une liste des trsors secrets de lunivers, de ses merveilles isoles, de ses recoins nigmatiques, de ses lieux entours de rumeurs et de mythes. Fenris tait de ceux-l. Ironiquement, en considrant ce quoi lUpplander assisterait vers la fin dune de ses vies, Tizca en tait un autre. Sindermann, bien quil ft alors dj homme dun grand ge et dune grande exprience, ne stait jamais lui-mme rendu sur Fenris. Le nombre dtrangers y tre jamais descendus tait infime. Mais en vrit, comme Sindermann le faisait valoir, Fenris ntait pas hospitalire pour ses visiteurs, ce ntait pas une htesse accueillante. En raison de ses conditions extrmes, il fallait de la chance, mme un homme bien prpar, pour survivre quelques heures sa surface. Pourtant, leur avait-il dit, pensez un peu toute cette glace. La temprature atteignait parfois les quarante degrs la nuit lintrieur de la station ; bien plus quand lunit de climatisation les avait lchs. Ils avaient tous grogn, mis au supplice par cette observation de Sindermann. Et soudain, sans aucun lien particulier, Sindermann avait affirm cette chose propos des loups ; une assertion relaye jusqu lui au terme dune telle succession dautres voyageurs et historiens que la provenance en tait obscure. Il ny a pas de loups sur Fenris, avait-il dit. LUpplander avait souri en sattendant ce que cela fut suivi dun bon mot. Son sourire avait couvert le frisson quil avait ressenti. Oui, enfin, part les loups quil y a l-bas, bien sr, avait-il rtorqu. Exactement, Kasper, avait dit le vieil homme. Peu aprs, le sujet avait chang, et la remarque avait t oublie. Fith ne mourait pas denvie de toucher lUpplander, mais celui-ci naurait pas march bien loin sans un bras pass autour de ses ctes. Il le releva dun coup, et lUpplander grogna sous cette secousse. Quest-ce que tu fais ? hurla Brom. Laisse-le ! Fith le menaa du regard. Brom ntait pourtant pas sot ; ce ntait pas que Fith voulait traner lUpplander avec lui. Tel tait le problme avec les prsages. Personne ne les invitait sur son aett, mais une fois l, il ntait pas possible de simplement les ignorer. Fith ne pouvait pas laisser lUpplander tendu ici, pas plus que les Balt nauraient pu refuser de faire voile vers une tuerie cette nuit-l. Lern savana et aida Fith soutenir le bless. Les abris de laett taient en flammes et touffaient le ciel ple de laube sous des colonnes grasses de fume noire. Les Balt navaient pas fini de couper des fils. Les hurlements dangoisse et de douleur fendaient lair comme des flches. Ils coururent le long de la bordure de lescarpement, trbuchant sous le fardeau de lhomme bless. Guthox et Brom les suivaient, fendant la neige par des pas de grande amplitude. Brom avait rcupr une lance quelque part. Un groupe de Balt se mit les courser comme des chiens de chasse, grandes enjambes, penchs sur la neige. Guthox et Brom se retournrent pour leur faire face. La hache de Guthox renversa sur le dos le premier dentre eux, et la gicle de sang dessina sur la neige un arc de cinq mtres. La pointe de la lance de Brom trouva la joue dun autre Balt, et la dchira comme du tissu, en dracinant ses dents qui sautrent comme de petits grains de bl. Brom acheva sa victime en lui enfonant le crne du bout de sa hampe quand lhomme se fut affal, les mains contre son visage. Les Balt les encerclrent, et reculrent devant les coups de lance de Brom. Fith laissa Lern supporter le poids de lUpplander pour retourner en arrire. Sa charge hurlante lui fit dpasser Brom, et il dcalotta le crne dun Balt dun cercle de sa hache. Cela fit bouger les choses. Lance ou pas lance, les Balt slancrent, essayant de faire usage de leurs boucliers contre elle pour prserver leurs visages. Lun deux la reut immdiatement dans le sternum, ce qui produisit un craquement de branche sche quand la pointe pntra, et lhomme vomit du sang. Mais le fer tait coinc, et le poids du Balt expirant arracha la lance des mains de Brom. Il recula, sans plus rien dautre quun long coutelas pour se protger. Guthox employa sa hache briser un bouclier et le bras derrire lui, et tua le Balt en lui ouvrant le cou. Il pivota pour dtourner larme dun Balt barbu du plat de la sienne, mais le Balt tait grand et fort, et fora Guthox reculer sous une srie de coups implacables. Fith bnficiait toujours de son lan. Sa charge mit terre deux autres Balt, laissant lun deux se vider de son sang, et lautre assomm, et le fit arriver temps pour sauver Guthox, en abattant la pointe de son tranchant dans lchine du Balt qui le harcelait de coups. Fith la lui arracha du dos, les lvres retrousses, et le Balt scroula en avant. Brom achevait de se dbarrasser dun autre en le poignardant de manire rpte. Le Balt lavait bless lors dun premier passage, avant de commettre lerreur de sapprocher trop prs de son long couteau. Ils remontrent en courant vers lendroit o Lern peinait sous le poids de lUpplander. Brom tait all rcuprer sa lance, mais laissait de la neige rouge derrire lui. LUpplander haletait sous leffort. La chaleur schappait en fumant de sa bouche pendante et essouffle. Sous sa cape, lUpplander portait des vtements faits dtoffes que Fith et ceux de son clan ne connaissaient pas. Sa chute de ciel lavait bless, lui avait bris des os, devinait Fith, bien quil net jamais vu un Upplander ouvert pour pouvoir savoir sils fonctionnaient lintrieur comme un Ascommani, ou un Balt, ou nimporte quel autre aettkind. Fith navait encore jamais vu dUpplander. Jamais il ne stait ce point retrouv li un prsage. Il se demanda ce qutait devenu le gothi de leur aett. Le gothi tait suppos tre sage, suppos utiliser cette sagesse pour diriger et prserver le wyrd de laett. Du beau travail, en vrit. Le gothi navait su que faire de lUpplander quand les hersirs lavaient ramen du site o il stait cras, et navait su quoi faire ensuite, hormis secouer ses colifichets dos et sa crcelle de dents de poisson, et invoquer les esprits en leur adressant toujours les mmes vieux chants fatigus, pour les implorer de descendre de lUppland et de venir rechercher leur frre perdu. Fith croyait aux esprits, y croyait fermement. Il croyait en lUppland au-dessus deux, o les esprits vivaient, et il croyait au Sous-monde o les spectres taient expdis. Ils taient les seules choses auxquelles un homme avait besoin de saccrocher dans le paysage changeant du monde des mortels. Mais Fith tait pragmatique, et il savait parfois ncessaire, surtout quand le fil dun homme tait tendu au point dtre prt casser, de se forger son propre wyrd. trois tirs de flche de laett, les Ascommani entretenaient un bassin. Un petit cratre de glace ouvert sur la mer du ct nord, et ils y avaient plus de dix bateaux. La plupart taient poss sur des billots, soulevs de la glace afin que les hommes pussent travailler pendant les heures de jour leur retirer leurs armatures, et les apprter pour les eaux du printemps. Mais lun deux tait le bateau du chef de laett, toujours prt partir au moindre de ses hochements de tte. Cela sappelait le laisser encoch , comme une flche tait encoche avant que la corde ft tendue pour la faire senvoler. Les patins du bateau-wyrm reposaient sur la glace dure, ses voiles prtes tomber et se gonfler dair, et seules ses cordes dancrage le retenaient. Tous au bateau ! ordonna Fith alors quils descendaient pniblement la pente vers le bord du bassin. Lequel ? demanda Lern. Celui du chef, lui rpondit schement Fith. Mais cest celui du chef fit remarquer Guthox dun air troubl. Il nen aura pas besoin, dit Fith. Pas autant que nous, en tout cas. Guthox le regardait sans paratre comprendre. Le chef est en train de dormir sur la neige rouge, trou du cul. Maintenant, monte sur ce bateau, dit Fith. Ils y embarqurent, et allongrent lUpplander lavant. Les Balt commenaient apparatre derrire larte de la pente. Les hersirs entendirent bourdonner dans lair les premires flches. Fith dploya les voiles de mer, qui senflrent en un instant. La toile claqua comme la foudre en semplissant du souffle du monde. Un vent neigeux soufflait ce matin, et peine lavait-il remarqu. Les amarres crissaient et peinaient alors que le bateau-wyrm trpignait sur la glace, impatient de glisser. Coupez les cordes ! hurla Fith. Guthox le regarda depuis la poupe, o la pousse du vent plaquait sur le rail les cordes tendues. Il ne va vraiment pas venir ? demanda-t-il. Qui ? Le chef. Tu as vu trancher son fil ? Sil devait venir, il serait dj l, dit Fith. Ils entendirent des craquements comme ceux dun bois vert crachotant dans le feu. Les pointes en fer des flches frappaient autour deux, soulevant des bouffes de poussire de givre ou se fichant dans le verre bleu noir de la crote de glace. Deux flches touchrent le bateau. Lune delles senfona dans le mt central de toute une longueur davant-bras. Coupe ces cordes ! hurla Fith. Guthox et Lern tranchrent les amarres la hache. Le bateau-wyrm partit comme un animal chapp, les voiles pleinement arrondies, la toile aussi rigide que du fer. Le sursaut les secoua tous. Les lames des patins de larmature dhiver raflrent en piaillant la glace marmorenne du bassin. Lern se chargea de la gouverne, lui qui parmi eux tait le meilleur homme de barre. Il cala son aisselle par-dessus la barre franche, en y pesant de tout son poids pour enfoncer la lame de proue dans la glace, et quilibra la tension des cordes relies aux lames de quart, une dans chaque poing. Diriger un navire des glaces tait un combat des muscles et de lesprit. Une erreur de jugement, une mise en drapeau trop lgre des quarts, une pression trop appuye sur la lame principale, et la combinaison de glace polie et de vent cisaillant pouvait renverser mme le plus grand des bateaux-wyrms, et nen laisser que du bois de chauffe. Ils quittrent le bassin. Ils sengagrent dans le bras que la mer avait rod dans la crte de granite, et qui dbouchait sur les eaux du large. Ce ntait cependant pas de leau quils avaient sous eux. Le moment le plus froid de la grande anne tait loin derrire eux, et le climat virait, mais cette tendue le long du bras de mer demeurait le miroir du ciel. Par endroits, celui-ci revtait le gris vert dun vieil argent poli, le bleu dun saphir non taill, ou tait parfois brillant et clair comme un dlicat cristal, mais partout cette glace tait paisse de deux trois fois la hauteur dun homme. peine sortis du bassin, et alors que les patins du navire mugissaient sur la surface de la mer comme les voix funestes des revenants du Sous-monde, le froid les frappa. Ce froid tait le froid du large, le froid sourd et dur des extrmits de lhiver, le froid brut des chanes geles. Sous le choc, tous en eurent presque le souffle coup, et lacrent immdiatement leurs cols ou senvelopprent de leurs charpes pour protger leur bouche et leur nez. Fith regarda lUpplander tendu la proue, haleter sous le poids de la douleur et de lpuisement, et la chaleur de son souffle schappait de lui en grands nuages de vapeur spectrale que le vent lui arrachait. Fith descendit vers lui la longueur vibrante du bateau, en avanant de la dmarche exerce et roulante dun marin rompu la navigation des glaces. Couvre-toi la bouche ! lui cria-t-il. LUpplander leva les yeux vers lui, dun air de ne pas comprendre. Couvre ta bouche ! Respire par le nez ! Quoi ? Fith sagenouilla prs de lui. Toute ta chaleur va schapper si tu gardes la bouche ouverte comme a. Respire par le nez. Protge ta chaleur. Il ouvrit lun des coffres dherbe tresse plaqus contre le plat-bord, et en sortit une couverture et quelques fourrures. Le froid les avait raidies, mais il les secoua et enveloppa lUpplander. Par le nez, insista-t-il. Tu ne savais pas a ? Tu ne connais pas le froid ? Non. Alors pourquoi est-ce que tu es venu sur cette terre, si tu ne connais pas toutes les faons quil peut y avoir de te tuer ? LUpplander navait rien rpondre, manquant de forces mobiliser dans cet effort. Une douleur ravive et extraordinaire lenserrait compltement, lui immobilisait les penses, se refusait lui autoriser mme une petite rserve dnergie mentale consacrer dautres choses. Il navait jamais connu une souffrance semblable celle-ci, except une fois, peut-tre. Il entendait jouer un clavecin. Les touches composaient une mlodie joyeuse de salle de musique, quil parvenait tout juste discerner par-dessus le hurlement des patins et les rugissements de cet quipage de brutes. Il entendait jouer un clavecin, et avait conscience quil aurait d savoir pourquoi. Les Balt staient lancs leur poursuite. Lern cria aussitt quil les eut reprs, et pointa du doigt derrire eux. Des bateaux-wyrms sortaient de derrire le cap de la langue de terre. Des bateaux aux voiles noires, grs pour une tuerie nocturne, que les Balt taient bien dcids mener jusqu son terme sanglant. Fith avait espr les voir abandonner une fois que le raid principal sur laett aurait t termin. Mais non. Les Balt devaient tre terrifis pour continuer de les pourchasser ainsi, et ne saccorderaient pas de repos avant davoir tu tout le monde.

Quest-ce que leur gothi avait bien pu leur dire ? se demandait Fith. Quelle interprtation leur avait-il dbit cette nuit-l quand la comte avait fendu le ciel, un ruban de lumire ayant point une balafre lumineuse et accusatrice directement sur le territoire Ascommani ? Comment avait-il expliqu lenfoncement de terre, le bruit de ltoile heurtant la glace ? Quavait-il dit ses hersirs aux yeux carquills, leur chef, aux femmes des Balt, aux enfants rveills et pleurant cause de ce bruit ? Fith avait dj vu le gothi des Balt, il y avait de a trois grandes annes, une poque o Balt et Ascommani taient en bons termes commerciaux, o lun des aett avait pu rendre visite lautre pour un jour de troc, avec ses cargaisons de peaux, de paniers tresss et de viande fume, changs contre des conserves dherbes aromatiques, de lhuile pour les lampes, des chandelles de gras de baleine et des lingots de fer. Une rencontre formelle des chefs stait tenue, avec un change de prsents, beaucoup de salutations, un rappel interminable de la descendance et de la ligne de chacun rcit par les skjalds, et de nombreux coups de trompe sonns par les cors en bronze des Balt, qui produisaient un son mi-chemin entre lcho dune caverne maritime et le pet retenu. Le gothi des Balt tait maigre, grand comme un arc de guerre et deux fois plus fin comme le voulait la formule, avec une mchoire grosse comme celle dune mule ou dun simplet. Ses lvres, son nez et ses oreilles taient percs de tant de rivets de mtal quil donnait limpression dtre frapp de furoncles et dherps. Il portait un bton taill dans los du bras dun ours, et un torque dargent. Quelquun avait tress des plumes doiseau de mer dans sa longue chevelure filasse pour faire comme une plerine blanche autour de ses paules dcharnes. Sa voix tait tnue et grle. Il sappelait Hunur. Mais ce quil disait tait sens. Durant le troc, Fith tait all dans labri du gothi se joindre son auditoire, partager le feu, et lcouter parler. Le gothi balt savait comment marchait le monde, parlait clairement du monde et du Sous-monde, comme si les spectres eux-mmes lui avaient enseign leurs secrets. Le gothi des Ascommani, lui, tait une brute moiti folle. Lhomme tait souvent pris de crises et sentait plus mauvais quune vache marine, deux facteurs qui avaient sans doute amen le choisir comme gothi. Il sy connaissait avec les toiles, Fith devait le reconnatre. Comme sil parvenait entendre le bruit de leurs patins tandis quelles glissaient sur le verre du ciel. Mais le reste du temps, son humeur tait massacrante, et il dlirait. Son nom tait Iolo. Le jour du troc, Iolo et Hunur staient plants lun face lautre, avaient renifl et grogn comme des lamantins en rut, puis avaient pass tout leur temps essayer de se drober leurs secrets rciproques. Mais cela donnait aussi limpression quils avaient peur lun de lautre. Comme si, en essayant de se voler leurs secrets, ils craignaient en mme temps de risquer linfection. Il en allait ainsi avec la magie. La magie avait un ct noir. La magie pouvait transformer la vie dun homme, mais pouvait aussi la corrompre, surtout sil ntait pas prudent, sil ne prenait pas soin de surveiller sa magie, de lapaiser et de la cajoler. La magie avait un courant cach capable dinfecter un homme sil ny prenait pas garde. La magie pouvait mal tourner. La magie pouvait se retourner contre vous, mme contre le plus mticuleux de ses pratiquants ou le plus appliqu des gothi. La pire magie de toutes tait la magie du ciel, et ctait cette magie du ciel quils avaient la proue de leur bateau-wyrm. Fith se demandait bien ce que le gothi des Balt avait pu leur dire pour les exciter ce point. Lern les fit virer louest, emprunter la gorge miroitante du bras de mer, les fit passer sous les ombres des falaises du cap et dboucher sur le champ de glace, le tablier de la grande mer gele. La glace valait mieux que leau ; la mme surface de voilure y donnait dix fois la mme vitesse. Mais leffort tait consquent. Fith savait quil leur faudrait changer de barreur dici moins dune heure, ou sarrter pour laisser Lern se reposer, cause de la concentration ncessaire. Dj les yeux de Lern paraissaient se fatiguer, de ce que Fith en voyait au-dessus du bord de son col. Ils filaient sur un long strayke de glace, de la couleur grise des cailles de poisson, et passrent au milieu de crtes o des moraines glaces de roche brise poussaient au travers de la glace comme des excroissances dos difformes. Les Balt se faisaient graduellement distancer. Un bon bateau, taill la hache partir du bois de locan et des os des baleines, tait une chose du point de vue dun Balt, mais un bon bateau des Ascommani en tait une autre, et surtout une fire embarcation construite pour un chef daett. Peut-tre allaient-ils survivre. Cette chance tait fragile ; Fith sen voulut davoir eu cette pense et de lavoir ainsi compromise. Mais elle nen tait pas moins vraie. Ils pouvaient encore chapper la tuerie des Balt et trouver asile. Les Hradcana taient leur meilleur espoir. Ils taient une puissance majeure de louest, possdant plusieurs aetts le long de lchine accidente du champ de glace, moins dun jour de l. Plus important encore, une entente de paix durait entre les Hradcana et les Ascommani depuis le temps quavaient vcu les six derniers chefs. Et par-dessus tout, les Hradcana et les Balt staient querells et avaient pisodiquement rendu la neige rouge depuis dix gnrations. Quand Guthox vit les premires voiles des Hradcana devant eux, le cur de Fith se souleva de joie. La vigie dun phare avait d les voir filer sur le champ de glace, avait fait remonter un coup de cor le long de la chane, et le chef des Hradcana avait ordonn ses bateaux-wyrms de sortir accueillir et porter assistance au visiteur ascommani. Puis il ralisa, avec un serrement de cur, que cette explication ne correspondait pas aux faits. Nous sommes trop loin, murmura-t-il. Quoi ? demanda Brom, qui essayait de recoudre son entaille avec du fil de pche et une aiguille dos. La tche tait trop difficile pour laccomplir avec des gants, mais le vent glac tait trop svre pour se servir de ses mains nues avec une quelconque finesse. Brom tait en train de se charcuter. Nous sommes trop loin pour quun guetteur des Hradcana ait dj pu nous reprer, dit Fith. Ils sont sortis parce quils savaient quon allait arriver. Merde ! lcha Brom. Fith regardait les bateaux des Hradcana. Les voiles taient laspect le plus visible distance, et servaient donc souvent dclarer ses intentions. Une voile jaune paille invitait aux changes et au commerce. Une voile violette indiquait un deuil pour laett, le fil dun chef ou dune reine ayant t coup. Une voile blanche, comme celle qui entranait le bateau-wyrm de Fith, proclamait une approche neutre ou une ambassade. Une voile noire, comme celles sous lesquelles les Balt taient arrivs, tait une voile tratresse, cachant son intention dans le noir de la nuit, et dfiant ainsi les conventions. Une voile rouge tait lannonce ouverte de lintention de tuer. Les voiles des Hradcana taient rouges. Fith sassit la proue tressautante du bateau-wyrm ct de lUpplander. Tu es quoi ? demanda-t-il. Quoi ? Quest-ce que tu as fait ? Pourquoi as-tu amen a sur nous ? Je nai rien fait. Fith secoua la tte. Des voiles rouges. Des voiles rouges. Les gothi se sont parl au travers du Sous-monde. Les Balt sont venus nous attaquer, maintenant les Hradcana viennent nous attaquer aussi. Qui dautre ? Est-ce que tu as retourn le monde entier contre nous, ou juste contre toi ? Je ne comprends pas de quoi vous parlez, dit lUpplander. Est-ce que tu as fait en sorte de mourir ici ? demanda Fith. Non ! Eh bien, dit lhersir, on dirait quand mme que tu as fait de ton mieux pour que a arrive. Lendroit tait exaltant. Mme en ce jour pernicieux, alors que le terme dune campagne de six semaines pour prendre la citadelle bootienne ptaradait et grondait au loin, il subsistait dans ce temple une trange quitude. Kasper Hawser lavait dj ressentie en dautres lieux o le genre humain avait pu concentrer son adoration durant des gnrations. Une cathdrale en Silsie ; rien que son enveloppe extrieure, fragile comme du papier, se dressant au-dessus des gravats blancs et fumants du cratre atomique. Les cavernes profondes et peintes du Baloutchistan, l o un clerg ferm avait cach de prcieux parchemins de cellulose dtenteurs de leurs mystres sacrs, et ainsi prserv lessence de leur foi travers lre des Luttes. Les hauts refuges monastiques du Caucase, o les savants et les rudits fuyant les pogroms de Narthan Dume avaient vcu leur exil ; des bastions abandonns, asctiques, perchs une telle altitude quon y apercevait lest lexpansion des zones-ruches du bloc caspien et louest les eaux nanotoxiques du Pontus Euxinus, et que la voix de quelque dieu oubli sattardait dans le vent, dans lair rare et le ciel clair. Ces hommes instruits avaient quitt le royaume panpacifique de Dume en emportant un chargement de donnes inestimables, sauves grand-peine de la bibliothque du tyran avant lune de ses purges. La rumeur suggrait quune partie de ces connaissances datait davant lge dOr de la Technologie. Quand Hawser et ses compagnons conservateurs avaient fini par localiser ces refuges, ils les avaient trouvs depuis longtemps dnus de toute vie. La rserve de donnes, les livres et les enregistrements numriques, tout staient dgrad ltat de poudre. Plus lhomme matrise de choses, plus il dcouvre quil lui en reste matriser ; plus lhomme en apprend, plus il se souvient combien il en a oubli. Navid Murza avait dit cela. Hawser navait jamais partag pleinement les vues de Navid Murza, et des diverses collaborations auxquelles leurs carrires les avaient contraints tait n un mpris amer et immuable. Mais on ne pouvait prendre en dfaut la rsolution passionne de Murza. La force de sa vocation galait celle dHawser. Nous avons perdu davantage que ce que nous savons, disait-il, et nous en perdons tous les jours davantage. Comment pouvons-nous tirer une quelconque fiert de notre dveloppement en tant quespce quand nous excellons anantir, et que nous ne parvenons pas maintenir une continuit de connaissances, mme la plus rudimentaire, avec nos anctres ? Murza tait prsent avec lui ce jour-l en Bootie. Tous deux staient vus accorder des places au sein de lquipe de conservateurs par le conseil de lUnification ; aucun deux navait encore dpass son trentime anniversaire. Tous deux taient encore jeunes et idalistes, de la faon la plus idiote et mal inspire. Et cela les froissait tous deux davoir t appels, au mme titre lun que lautre, plutt quil y et un gagnant et un perdant. Ils nen restaient pas moins deux professionnels. La vaste raffinerie huit kilomtres de l avait t mine par les forces yeselti durant leur retraite, et les feux qui sen taient suivis avaient recouvert cette parcelle de Terra dune redoutable fume, dune soupe carcinogne de vapeurs ptrochimiques noires comme de la suie, aussi paisse quun brouillard ocanique et aussi dangereuse quun charnier de pestifrs. Pour y pntrer, les conservateurs portaient des combinaisons moulantes tanches et des masques, et avanaient pas hsitants dans lobscurit en portant dune main, comme une valise, le caisson de leur poumon artificiel lourd et haletant. Ces botiers taient relis au groin de leur masque par des tubes chiffonns, pachydermiques. Les dieux funraires se dressaient leur rencontre au travers de la fume. Eux aussi portaient des masques. Ils simmobilisrent un moment, le regard lev vers les dieux, aussi immobiles que ces statues anciennes. Des masques clestes de jade et dor, des yeux fixes en pierre de lune contemplaient leurs masques protecteurs de plastek et de cramite, et les yeux sans paupires de leurs lunettes photomcaniques. Murza pronona quelque chose, rien quun crachotement humide derrire la faade de son masque. Hawser navait jamais rien vu de tout fait semblable aux dieux du temple bootien. Pas plus quaucun dentre eux. Il entendait cliqueter et bourdonner laffichage tte haute de plusieurs membres de lquipe, accdant aux mmoires de leurs packs de donnes des fins comparatives. Vous ne trouverez rien, pensa Hawser. Il parvenait peine respirer, et ce ntait pas cause du masque resserr, ni du got de salive rance du flux dair en provenance du poumon artificiel. Son regard avait balay les graphmes sur le mur du temple, et ce rapide coup dil lui avait rvl quil ny avait ici rien quils staient attendus trouver. Aucune inscription de racine altaque, ni turcique, ni toungouze, ni mongolique. Les appareils de capture dimage quils portaient avec eux commenaient sencrasser dans lair charg de suie, et leur alimentation lchait droite et gauche. Hawser demanda deux des membres juniors de lquipe daller relever des frottis de ces inscriptions. Ils tournrent leurs lunettes vers lui sans comprendre. Hawser dut leur montrer comment faire. Il dcoupa des carrs de bche de plastek, et se servit de son bloc de craie grasse en le prenant de ct pour frotter sur le lger relief des marques murales. Comme lcole, fit remarquer lun des deux. Faites-le, le tana Hawser. Lui-mme entama son propre examen, en ajustant lintensit maculaire de ses lunettes. Sans commander de tests en laboratoire, il leur tait impossible de savoir depuis combien de temps le temple se dressait l. Mille ans ? Dix mille ? Expos lair libre, il se dgradait vite, et le brouillard ptrochimique invasif dtruisait les dtails de surface sous ses yeux. Il ressentit le dsir de se trouver seul un instant. Il sortit, en remontant le goulet de la galerie dentre. Tous devaient au conflit bootien davoir rvl ce trsor. Le site avait t mis au jour par une grappe perdue de sous-munitions plutt que par la main diligente dun

archologue. Sans la guerre, jamais ce gisement naurait t trouv, et cause de la guerre, il se mourait dj. Hawser sarrta lentre et posa son poumon artificiel au sol ct de lui. Il aspira une gorge de fluide nutritif dans le tube lintrieur de son masque, et nettoya grce son spray dair ses lentilles brouilles. Au nord de leur position, le conflit dans la citadelle bootienne clairait par en dessous le plafond noir du ciel, tel un feu de joie en forme de ville. Tout autour stendait la noirceur de cette vaste canope aussi dense que la Vieille Nuit. Des piliers de flammes claires apparaissaient et disparaissaient au loin, au gr des mouvements de la fume. Voil quoi ressemblait lre grandiose de lUnification, se fit-il en lui-mme la remarque pesante et ironique. Selon les brochures dhistoire dj publies et en circulation, dj enseignes dans les scholams, les glorieuses Guerres dUnification avaient amen la fin de lre des Luttes il y avait dj un sicle et demi. Depuis lors staient coules plus de cent cinquante annes de paix et de renouveau tandis que lEmpereur emmenait sa Grande Croisade depuis Terra et ralliait courageusement les populations perdues disperses par la diaspora de lHumanit. Ctait ce que clamaient les brochures. La ralit tait beaucoup moins nette. Lhistoire ne gardait trace que des grands traits du tableau, des phases gnrales de dveloppement, et assignait des dates de faon presque arbitraire aux russites humaines pourtant obtenues par des pisodes bien moins dfinissables dans le temps. Les rpliques des Guerres dUnification continuaient dagiter la surface de la plante. LUnification avait t triomphalement dclare au moment o nulle puissance, nul potentat ne pouvait plus esprer vaincre lincroyable mcanique impriale. Cela navait pas empch divers tats fodaux, les adhrents de diverses religions, des nations loignes et des autocrates borns de tenir tte, dessayer de dresser des barrires et de prserver leurs petites poches dindpendance. Beaucoup, comme la dynastie Yeselti de Bootie, taient parvenus tenir pendant des dcennies, par la ngociation et la connivence, louvoyer entre les traits, les rapprochements et tous les autres efforts diplomatiques visant les amener sous domination impriale. Leur histoire dmontrait que lEmpereur, ou ses conseillers du moins, possdaient une extraordinaire patience. Au lendemain des Guerres dUnification stait impose une volont acharne et de grande envergure de rsoudre les conflits par des solutions non-violentes. Et les Yeselti ntaient pas des tyrans ni des despotes, ils ntaient simplement quune ancienne maisonne royale dtermine prserver son existence autonome. LEmpereur leur avait accord une grce dun sicle et demi le temps daccepter leur dclin, bien plus que navaient vcu de nombreux empires de Terra. Lhistoire dmontrait aussi que la patience de lEmpereur ntait pas infinie, et quune fois puise, sa clmence et sa retenue ltaient galement. LArme Impriale avait alors avanc en Bootie pour capturer les Yeselti et annexer leur territoire. Lquipe de conservateurs accrdits autour dHawser nen tait quune parmi les centaines assignes suivre les rgiments, aux cts des troupeaux dunits mdicales, de volontaires humanitaires, de rnovateurs, dingnieurs et ditrateurs. Pour ramasser les morceaux. Le communicateur du masque de Hawser mit un clic. Oui ? Ctait un des membres juniors. Revenez. Murza a une thorie. lintrieur, Murza avait lev le faisceau de sa lampe pour clairer les bouches carres de conduits taills dans les murs. Des particules de suie tournaient dans la lumire, soulignant par leur mouvement une circulation dair. Des conduits daration. Cet endroit est encore frquent, dit-il. Quoi ? a nest pas une relique. Ce temple est ancien, certes, mais il est rest en usage jusque trs rcemment. Hawser regarda Murza dambuler autour du temple. Des preuves ? Murza dsigna du geste les bols en faence de tailles diverses, poss le long de la marche de lautel. Ici, nous avons des offrandes de grain et de poisson, et galement des rsines de copal, de la myrrhe ce quil me semble. Daprs les scanners, leur datation au carbone indique quelles nont pas plus dune semaine. Toute datation au carbone me parat hautement compromise dans cette atmosphre, rpliqua Hawser. Lappareil se trompe. Qui plus est, regardez un peu dans quel tat elles sont. Calcifies. Les chantillons se sont dgrads cause de latmosphre. Allez-y, servez-vous de latmosphre quand a vous arrange, pourquoi pas, dit Hawser. Mais regardez cet endroit ! lui rtorqua Murza, en ayant un geste dexaspration de ses mains gantes. Que suggrez-vous exactement, dans ce cas ? demanda Hawser. Une observance religieuse occulte, conduite en marge de la socit bootienne, ou une tradition dordre priv, approuve par les Yeselti ? Je ne sais pas, rpondit Murza, mais ce site tout entier garde quelque chose, nest-ce pas ? Il nous faut un engin dexcavation. Nous devons accder au renfoncement derrire les statues. Nous devons tablir des relevs, prendre des notes, et dplacer les statues mthodiquement, dit Hawser. Il faudra des semaines, ne serait-ce que pour entamer les traitements de prservation avant de pouvoir les soulever, pice par Je ne peux pas attendre tout ce temps. Eh bien, dsol, Navid, mais cest ainsi que vont les choses, dit Hawser. Ces statues sont inestimables. Notre proccupation principale va tre de les conserver. Oui, elles sont inestimables, dit Murza. Il savana vers les dieux funraires, silencieux et solennels. Les jeunes membres de lquipe le regardaient. Quelques-uns touffrent un hoquet silencieux quand il posa vritablement le pied sur la marche la base de lautel, en le plaant prudemment de faon ne dplacer aucun des bols doffrande. Murza, descendez, dit lun des membres seniors. Murza monta sur la seconde marche, o il se trouva presque hauteur de regarder certains des dieux droit dans leurs yeux fixes. Elles sont inestimables, rpta-t-il. Sa main droite se leva pour indiquer dlicatement les yeux en pierre de lune de leffigie la plus proche. Regardez leurs yeux. Les yeux sont trs importants, vous ne croyez pas ? Trs parlants ? Il regarda par-dessus son paule vers son auditoire inquiet. Malgr le masque, Hawser tait certain que Murza souriait. Navid, descendez de l, dit-il. Regardez leurs yeux, ritra Murza en ignorant cette instruction. travers toute lhistoire, ils ont toujours signifi la mme chose pour nous, non ? Cest facile, enfin ! Quelquun ! La protection, marmonna lune des jeunes membres dun air gn. Je ne vous entends pas, Jena. Parlez plus fort ! Lil est le plus ancien et le plus culturellement rpandu des symboles apotropaques, dit Hawser dans lespoir den arriver en fait, afin de mettre fin au numro de Murza. Oui, exactement, dit Murza. Kas est quelquun de trs instruit. Merci, Kas. Lil est un gardien. Il sert obtenir une protection, il sert dtourner le mal, mettre labri les choses considres comme les plus prcieuses. Le bout de son doigt retraa nouveau le contour de cet il imperturbable. Nous avons dj vu cela tellement de fois, ce ne sont chaque fois que des variations sur un mme thme. Regardez ces proportions. La forme de lil, la ligne de larcade ; celui-ci pourrait avoir t stylis partir dun nazar boncuk ou dun oudjat, et il ny a pas non plus un million de kilomtres qui le sparent de lil de la Providence qui stale si firement sur le sceau majeur du conseil de lUnification. Ce sont des dieux protecteurs, il ny a pas en douter. Il sauta au bas des marches. Une partie du groupe eut un sursaut dinquitude, mais Murza ne drangea ni ne brisa aucun des bols placs de manire prcaire. Des dieux protecteurs, dit-il. Danger. Ne pas entrer. Vous avez termin ? demanda Hawser. Leurs pupilles sont en obsidienne, Kas, lui fit impatiemment remarquer Murza en sapprochant de lui. Approchez-vous aussi prs que moi, rglez vos photomc sur une rsolution dcente et vous verrez quelles ont t sculptes. Un cercle sur la priphrie, un point au centre. Et vous savez aussi ce que cest. Le circumpunct, rpondit calmement Hawser. Qui reprsente ? le pressa Murza. peu prs tout ce quon veut lui faire reprsenter, rpondit Hawser. Le disque solaire. Lor. La circonfrence. La monade. Un signe diacritique. Latome dhydrogne. Oh, aidez-le, Jena, piti, scria Murza. Il devient embarrassant. Lil de Dieu, dit nerveusement la jeune femme. La singularit omnisciente. Merci, dit Murza. Il regarda droit vers Hawser ; ses yeux, derrire les lentilles teintes des lunettes, taient exalts. Cela veut dire : ne pas entrer. Nentrez pas. Je vous vois. Je vois jusqu lintrieur de votre me. Je peux vous rpercuter le mal que vous ferez, et je saurai ce que vous savez. Je peux lire dans votre cur. Je peux vous maintenir dehors, parce que je suis la puissance et la connaissance, et parce que je suis la protection. Les statues sont inestimables, Hawser, mais ce sont des dieux protecteurs. Ils gardent quelque chose. Quelle peut tre la valeur de ce quelque chose, daprs vous, pour que quelquun ait cherch le protger avec des statues inestimables ? Le silence revint pendant un moment. La plupart des membres de lquipe se regardaient dun air indcis. Cest un groupe familial, analysa calmement Hawser. Elles sont la reprsentation dune ligne dynastique. Un portrait sous forme de statues. On constate le dimorphisme sexuel, les diffrences de taille, et le placement, par lequel sont dtermines les relations au sein de la famille, les hirarchies et les obligations. Les effigies les plus grandes, sur la marche la plus haute, un homme et une femme, distants et glorifis. En dessous deux, des enfants, peut-tre deux gnrations, avec leurs propres familles et leur entourage. Le premier fils et la premire fille ont la prminence. Lensemble constitue un tmoignage de filiation et de descendance. Cest un groupe familial. Mais leurs yeux, Kas ! Je vous en prie ! Ils sont apotropaques, je vous laccorde, dit Hawser. Que peuvent-ils bien garder, dans ce cas ? Que pourrait-il y avoir de plus inestimable que leffigie dor et de jade dun souverain divin, et de sa reine, et de ses fils et filles ? Hawser dpassa Murza et se planta face lautel. Je vais vous le dire. Les vestiges physiques dun souverain divin, et de sa reine, et de ses fils et filles. Cest un tombeau. Voil ce quil y a derrire. Un tombeau. Murza soupira comme sil se vidait de tout son air. Oh, Kas, dit-il. Essayez de ne pas penser si petit. Hawser soupira son tour, prenant conscience quils taient sur le point de se quereller encore une fois, mais ils se tournrent en entendant des bruits provenant de lentre. Cinq soldats descendirent bruyamment dans le temple, les lampes attaches sous leurs armes transperant la pnombre. Ils faisaient partie de lArme Impriale, des Lanciers de Tupelov, lun des rgiments les plus anciens. Les hussards avaient laiss leurs montures cyberntiques lextrieur et mis pied terre afin de pouvoir entrer. Dgagez ce site, dit lun deux. Ils taient harnachs en armure de bataille complte, leur visire de combat abaisse, les curseurs photomcaniques dun vert glacial bondissant dun ct lautre de la fente optique. Nous avons la permission dtre l, dit lun des chercheurs seniors. Mon cul, dit le hussard. Regroupez vos affaires et tirez-vous. qui est-ce que vous croyez vous adresser ? semporta Murza en se dirigeant vers eux. Qui est votre commandant ? LEmpereur de lHumanit, lui rtorqua le hussard. Et toi, tte de nud ? Il doit y avoir une erreur, dit Hawser. Il porta la main ltui accroch sa ceinture. Cinq carabines de selle se levrent pour le mettre en joue. Cinq faisceaux de lampes lpinglrent comme un spcimen dinsecte. Oh ! Du calme ! cria Hawser. Je vais juste sortir mon accrditation ! Il prit la carte-passe et la leur lana. Le justificatif holographique, dlivr par le Bureau de conservation du conseil de lUnification, se dploya dans lair enfum, lgrement flou et dform sur ses bords. Hawser ne put sempcher de noter lil de la Providence, prsent sur le sceau du conseil qui safficha avant que les donnes ne se missent dfiler. Cest bien joli, tout a, dit lun des hussards. La priode de validit est en cours. Elle est valide, dit Hawser. Les choses changent, dit le hussard. Notre autorisation a t ratifie par le commandeur Selud en personne, dit un des autres membres seniors. Il est le commandant en chef de zro six trente-cinq ce matin, le commandeur Selud a t relev de son commandement par dcret imprial. Par consquent, tous les permis et autorisations ont t retirs. Ramassez vos affaires, sortez dici et dbrouillez-vous pour encaisser le coup.

Pourquoi est-ce que Selud a t limog ? demanda Murza. Vous faites partie de ltat-major ? Est-ce que vous avez besoin de le savoir ? se moqua lun des hussards. Juste de faon officieuse ? plaida Murza. De faon officieuse, Selud a foutu un merdier complet dans toute cette opration, dit le hussard. Six semaines, et il a quand mme russi laisser incendier les champs de raffinage. LEmpereur a envoy quelquun pour nettoyer tout a et pour tirer un trait. Qui a ? demanda Hawser. Pourquoi ces civils sont-ils encore l ? demanda une voix. Une voix profonde et pntrante, aux accents nets de lamplification sonore. Une figure stait introduite dans la salle la suite des Lanciers de Tupelov. Hawser ne voyait pas bien comment il lui avait t possible dentrer sans que personne ne la remarqut. Il sagissait dun guerrier Astartes. Par les fondements de la Terre, un Astartes ! LEmpereur a envoy les Astartes achever le travail ! Hawser sentit sa poitrine se serrer et son pouls sacclrer. Jamais encore il navait rencontr dAstartes en chair et en os. Et il navait pas ralis quils pussent tre si immenses. Le profil des plaques darmure tait immense, dmesur comme celles des statues des dieux funraires. Dans cette obscurit, travers ses lunettes, il lui tait difficile de distinguer convenablement les couleurs. Larmure paraissait rouge : un rouge clair, presque ple, de la couleur du vin rallong ou du sang oxygn. Une cape de fines mailles de mtal entourait lpaule gauche et le torse du guerrier. Son casque possdait un nez comme le bec dun corbeau. Hawser se demanda quelle lgion ce guerrier appartenait. Il napercevait rellement aucun insigne. Comment les gens staient-ils mis les appeler ces temps-ci, prsent que le plus gros de toutes les forces Astartes avaient quitt Terra pour servir de fer de lance la Grande Croisade ? Les Space Marines. Ctait bien a ; les Space Marines. Comme les hros la mchoire carre des illustrs deux sous. Celui-l ntait pas un hros la mchoire carre. Il ntait pas mme humain. Ce ntait quune chose implacable, un gant deux fois plus grand que quiconque dautre dans cette salle. Hawser se disait quil aurait d en tout cas en sentir lodeur : la suie sur ses plaques, lhuile mcanique de leurs articulations complexes, la transpiration entre sa peau et le gainage intrieur de son armure. Mais rien. Aucune trace de sa prsence, pas mme un soupon de chaleur corporelle. Comme le nant froid mais immense du vide sidral. Hawser ne simaginait rien capable darrter ce guerrier, encore moins de le tuer. Je vous ai pos une question, dit lAstartes. Nous sommes en train de les faire sortir, ser, balbutia lun des Lanciers. Plus vite, rpondit lAstartes. Les hussards commencrent diriger lquipe vers la sortie. Il y eut quelques protestations vaguement marmonnes, mais rien douvertement provocateur. Lapparition de lAstartes les intimidait tous. Les poumons artificiels chuintaient et pompaient plus vite quauparavant. Sil vous plat, dit Hawser. Il fit un pas vers lAstartes et tendit devant lui la carte-passe. Sil vous plat, nous sommes des conservateurs asserments. Vous voyez ? Lhologramme rapparut. LAstartes ne bougea pas. Ser, il sagit l dune dcouverte capitale, qui na pas de prix. Il faut la prserver pour le bnfice des gnrations futures. Mon quipe possde lexpertise ncessaire. Et lquipement adquat. Je vous en prie, ser. Cette zone nest pas sre, dit lAstartes. Et vous allez la quitter. Mais, ser Je vous ai donn un ordre, civil. Par quelle lgion ai-je lhonneur dtre protg, ser ? La quinzime. La quinzime. Les Thousand Sons, donc. Comment vous appelez-vous ? Hawser se retourna. Les Lanciers de Tupelov avaient dj guid la majorit de lquipe hors du temple, en nayant laiss que lui derrire eux. Deux autres Astartes, chacun aussi gigantesque que le premier, staient manifests derrire lui. Comment quelquun daussi norme pouvait-il se dplacer dune faon si furtive ? Comment vous appelez-vous ? rpta le nouvel arrivant. Hawser, ser. Kasper Hawser, conservateur, assign Cest une plaisanterie ? Pardon ? demanda Hawser. Lautre Astartes avait parl. Est-ce que cest une plaisanterie ? Je ne comprends pas, ser. Le nom que vous venez de nous donner. tait-ce suppos tre une plaisanterie ? Est-ce un surnom que lon vous donne ? Je ne comprends pas. Cest comme a que je mappelle. Pourquoi croyez-vous quil sagirait dune plaisanterie ? Kasper Hawser ? Vous ne percevez pas la rfrence ? Hawser fit non de la tte. Personne ne ma jamais Le bec du casque de lAstartes se tourna vers ses compagnons. Puis son regard se reporta sur Hawser. Quittez ce site. Hawser acquiesa. Une fois que la scurit de la zone pourra tre garantie, dit lAstartes, votre quipe recevra peut-tre la permission de reprendre sa tche. Rejoignez la zone scurise et attendez quune notification vous parvienne. Aucune notification ne leur parvint jamais. La Bootie tomba, et la ligne des Yeselti steignit. Seize mois plus tard, alors quil travaillait sur un autre programme en Transcybrie, Hawser entendit dire que des quipes de conservateurs avaient finalement reu le droit de pntrer sur les terres basses de la Bootie. Celles-ci ne trouvrent aucun signe quun quelconque temple y eut jamais exist. Fith se demandait sous quelle forme desprit il reviendrait. Le genre apparatre et scintiller sous la glace ? Le genre que lon apercevait parfois depuis le plat-bord dun bateau, courant contre lombre de la coque ? Le genre qui marmonnait et tremblotait la nuit au-dehors des remparts dun aett, esseul et sans amis ? Le genre chanter sa plainte sur le vent entre les hauts pics de glace la fin de lhiver ? Fith esprait quil serait un revenant de lespce la plus noire. Le genre aux yeux sombres comme de la poix, et la bouche pendante, ceux sur qui la rouille et la moisissure saccrochaient aux mailles de leur chemise. Le genre remonter du Sous-monde en creusant de leurs mains sans chair travers la rocaille et le permafrost, et qui ensuite marchait la nuit. Oui. Marcher jusqu atteindre lIronland, les aetts et les foyers de ces Balt lhaleine merdeuse. Marcher avec la main une hache particulire, une hache forge dans le Sous-monde, faite de la colre des assassins et des morts sans repos, frappe sur lenclume des dieux, et trempe dans la bile et le sang de ceux qui rclament vengeance et rparation de leurs torts. Cette hache aurait un tel sourire, un sourire afft sur la meule du wyrd pour acqurir un tranchant mortel, au point de pouvoir trancher lme dun homme et la sparer de son corps. Et alors des fils seraient tranchs. Les fils des Balt. Fith esprait quil en serait ainsi. Quitter le Monde ne lui importait pas tant sil pouvait escompter y revenir. Il esprait que les spectres lui laisseraient ce droit ; ils pouvaient bien lemporter vers le Sous-monde, mis terre par la massue dun Balt ou la flche dun Balt, son fil coup battant lair derrire lui dans les rafales de lHel, tant quils lui permettaient de revenir. Une fois que Fith aurait atteint ce rivage inconnu, il leur faudrait le remodeler, le reconstruire partir de sa douleur brute, jusqu le faire ressembler un homme, mais sans quil ne ft plus quun instrument, comme une hache ou une bonne lame, forge dans un but unique et prcis. Il nallait pas tarder savoir. Guthox avait pris la barre afin que Lern pt panser ses doigts mordus par les cordes. Les voiles rouges gagnaient sur eux, plus vite que les voiles noires des Balt. De lopinion de Fith, il leur restait encore une chance. La moiti dune chance. Une dernire flche dans le carquois du wyrd. Sils dviaient lgrement au nord, et traversaient le haut du territoire hradcana, ils pouvaient arriver sur le dsert de glace au-del. Le dsert lui aussi signifiait la mort, car il tait un endroit o nul homme et nulle bte ne pouvait vivre, mais cette inquitude serait pour plus tard. Ils pouvaient y forger leur propre wyrd. Sils arrivaient jusquau dsert, ni les Hradcana ni les Balt ne les y suivraient. Sils parvenaient franchir une troue dans le rempart rocheux que les Hradcana appelaient la Queue du Diable, ils seraient tirs daffaire, libres de mourir selon leurs propres termes, pas traqus et frapps par un ramassis maudit de faiseurs de meurtre. Mais la route tait longue encore jusqu la Queue du Diable. Brom tait dans un trop sale tat pour prendre un tour la barre, et mme en alternant, le reste dentre eux allait avoir du mal poursuivre leur course. Ctait un trajet diviser en quatre ou cinq tapes, en prenant peut-tre le temps de dormir sur la glace et de faire cuire un peu de nourriture afin de reprendre des forces. Leffectuer dune traite aurait t un exploit dendurance, une prouesse si grande que les skjalds lauraient chante. Sil restait encore des skjalds ascommani. Cal contre le plat-bord, Fith en parlait avec Lern et Brom. Tous trois avaient la voix rauque suite aux combats, davoir hurl leur haine au visage des Balt. Brom allait mal. Il ny avait plus de sang dans ses traits, et ses yeux staient ternis comme la glace sale, comme si sa vie seffilochait. Il faut y arriver, disait-il. La Queue du Diable. Il faut y arriver. On ne va pas donner cette satisfaction ces btards. Fith rejoignit la proue, et saccroupit ct de lUpplander tout envelopp. LUpplander parlait. Quoi ? demanda Fith en se penchant. Quest-ce que tu dis ? Et il a dit, murmurait lUpplander, et il a dit je vous vois. Je vois jusqu lintrieur de votre me. Cest ce quil a dit. Je peux vous rpercuter le mal que vous ferez, je saurai ce que vous savez. Mon Dieu, il tait dune telle arrogance. Typique de Murza. Typique. Les statues sont inestimables, Hawser, mais quelle peut tre la valeur de ce quelles gardent, daprs vous, pour que quelquun ait cherch le protger avec des statues inestimables ? Je ne sais pas de quoi tu me parles, dit Fith. Cest une histoire ? Cest quelque chose qui est arriv ? Fith avait peur, il craignait dtre en train dentendre la magie du ciel, et il ne voulait rien avoir faire avec elle. LUpplander regarda soudain fixement en ouvrant grand les yeux. Il les leva vers Fith, terrifis lespace dune seconde. Je faisais un rve ! cria-t-il. Jtais en train de rver, et ils taient l, les yeux baisss vers moi. Il cligna des yeux, la ralit de sa situation lui revint, chassant le non-sens de son rve fivreux, et il saffaissa en gmissant. a paraissait tellement rel, murmura-t-il principalement pour lui-mme. Il y a cinquante ans, putain, comme si ctait hier, et javais limpression dtre vraiment l-bas. Est-ce quil vous arrive de faire des rves comme a ? Des rves qui vous ramnent le souvenir de choses que vous aviez compltement oubli avoir jamais faites ? Ctait vraiment comme si jtais l-bas. Fith grogna. Et pas ici, ajouta tristement lUpplander. Je suis venu te demander une dernire fois si tu voulais la misricorde de ma hache. Quoi ? Non. Je ne veux pas mourir. Bon, premire chose, tout le monde doit mourir. Deuxime chose, tu nauras pas ton mot dire dans cette histoire. Aidez-moi me relever, dit lUpplander. Fith le redressa sur ses jambes et lappuya contre le bord de la proue. Les premiers crachats de la pluie mle de neige leur frappaient le visage. Au-devant deux, le ciel se dressait en une grande montagne de nuages sombres, une tache bleuie du mme teint quun homme trangl, et qui roulait par-dessus le champ de glace. Ctait un orage qui arrivait vers eux, en agitant ses flocons dans le ciel tout entier. Il tait bien tard dans cette saison dhiver pour un temps aussi sombre. Une mauvaise nouvelle, peu importait la faon de considrer les choses. lallure o il approchait, ils nallaient plus parcourir beaucoup de distance avant quil ne soufflt sur eux. O sommes-nous ? demanda lUpplander, en plissant les yeux face au reflet aveuglant du champ de glace qui dfilait en dessous deux.

Nous sommes quelque part, pas loin du milieu de toute la merde qui arrive vers nous, dit Fith. LUpplander saccrocha au bord alors que le bateau-wyrm passait avec force secousses sur un strayke accident. Quest-ce que cest ? demanda-t-il en pointant du doigt. Ils approchaient rapidement de lun des aetts septentrionaux et isols des Hradcana. Ce ntait quun avant-poste, quelques abris construits sur un petit nombre de pitons rocheux dpassant de la plaine de glace. Les Hradcana sen servaient pour ravitailler et ancrer leurs navires de pche quand la mer dgelait. Lendroit restait parfois inhabit pendant des mois. Une range de lances avait t plante, la pointe en bas, dans le manteau de glace devant laett, comme une range de piquets, au nombre de six ou sept. En haut de chaque hampe, une tte humaine avait t empale. Les ttes taient tournes pour regarder vers le champ de glace, dans leur direction. Leurs paupires avaient t pingles pour rester ouvertes. Ces ttes taient probablement celles de criminels, ou de captifs ennemis, dcapits rituellement pour tre postes ici, mais il tait possible quil sagt de Hradcana, sacrifis par dsespoir devant lampleur extrme du maleficarum. Leurs yeux taient ouverts, afin quelles pussent voir arriver le mal et le chasser. Fith cracha et poussa un juron. Il regrettait que Iolo neut pas pu leur marquer le visage de symboles de rejet, pour carter deux la magie protectrice. la proue, le bateau-wyrm possdait ses propres yeux, bien sr : les yeux solaires du dieu du ciel, capables de tout voir, peints de couleurs vives, et dcors de pierres prcieuses. Tous les bateaux-wyrms en possdaient, afin quils pussent trouver leur chemin, conjurer le danger, et repousser la magie dun ennemi. Fith espra que cela suffirait. Leur bateau tait robuste, celui dun chef daett, mais il avait couru vite et stait fatigu, et Fith sinquitait de ce que ses yeux puissent ne plus tre suffisamment puissants pour repousser la magie. Les dieux protecteurs, murmura lUpplander en fixant les ttes empales. Reculez. Je vous vois. Fith ne lcoutait pas ; il hurlait derrire lui, dans la longueur du grand pont troit, vers Guthox, pour lui dire de virer large. Laett tait occup. Une seconde plus tard, les ttes plantes furent dpasses, et ils se retrouvrent filer sur la glace, en passant dans lombre du piton. Guthox cria. Ils taient bien passs deux ou trois distances de tir dcent de cet lot de roche, mais il sy trouvait quelquun dou larc, ou favoris par le Sous-monde. Une flche lavait atteint. Dautres frappaient, se fichant dans la coque ou tombant trop court et ricochant sur la glace. Fith voyait les archers perchs sur le piton, et dautres sur sa plage. Il redescendit le bateau en courant. Lern et Brom accouraient eux aussi, afin daider Guthox. Cela avait t un tir monstrueusement chanceux, except pour lui. La flche tait passe travers les anneaux resserrs de la manche de sa chemise, la chair de son triceps gauche, avait racl los, puis avait travers la manche nouveau, et la cotte proprement parler avant de senfoncer dans le flanc du hersir, entre ses ctes, en lui clouant vritablement le bras contre le corps. Guthox avait immdiatement perdu le contrle de la corde dune des lames de quart. La douleur tait immense. Dans son effort pour ne pas hurler, ses dents lui avaient entaill la chair de la langue. Deux flches taient plantes prs deux dans les planches du pont. Fith constata que leur pointe tait en caille : chacune polie et taille dun seul tenant dans lcaille dure comme le fer dun monstre des profondeurs. Et ces ttes possdaient des piquants, comme des peignes orients vers larrire. Cen tait une de ce genre qui stait enfonce lintrieur de Guthox. Jamais elle ne ressortirait. Guthox crachait du sang et essayait dorienter la barre. Brom et Lern criaient, tentaient de prendre le relais, cherchaient casser le bois de la flche pour parvenir librer le bras de Guthox. Ce dernier perdait doucement conscience. Une autre vole de flches les toucha. Lune delles, peut-tre, leur arriva tout droit du mme archer talentueux ou favoris, atteignit Guthox par le ct de la tte et mit fin sa souffrance en coupant son fil. Les gouttelettes de sang et la neige battante leur mouchetrent le visage. Guthox tomba de la barre, et mme si Brom et Lern se jetrent sur elle pour la matriser, le vent devint leur timonier lespace dune fraction de seconde. Il ne lui fallait pas davantage de temps, et pargner leurs vies ne lui importait pas.

DEUX

DEUXDs-astre

Le vent les prcipita au milieu des rochers attenants la plage, et le bateau-wyrm se fracassa comme une jarre de cuisine. Le choc fut terrible, comme une srie de coups de marteau impitoyables. Le monde vibra et se retourna, et lair tremblant semplit de gravillons et de cailloux jets autour deux, ainsi que de givre, de fragments de glace, et dclats des planches du pont aussi pointus que des aiguilles repriser. Le vent dment tira sur les voiles comme un enfant pervers arrachant les ailes dune mouche. Ltoffe tisse, emplie dair au point de craquer, se libra en se dchirant. Les drisses mugirent en senfuyant travers les poulies et en sciant les axes. Il y eut brivement une forte odeur de fume lorsque les cordes du grement frottrent contre le bois non humidifi et schapprent. Sous leffet de la tension, les cordages filaient en bourdonnant comme des abeilles. Fith sentit cette odeur de bois brl aux derniers instants de la vie du bateau-wyrm. Le pont se rompit sous lui, bascula, et le projeta dans le crachin battant. Puis son visage heurta la glace. Le bateau-wyrm stait retourn, stait repli sur les rochers, l o le vent lavait propuls. Jet au-dehors, Fith glissa, le ventre contre la mer vitreuse, la gorge pleine de glace et de sang. Il pivota dans sa course, tte puis pieds vers lavant, en ralentissant lentement. Il redressa la tte. La glace en dessous de lui tait aussi terne et froide que le plat dune pe. Sa poitrine et son visage ntaient plus quune grande meurtrissure sourde, et il lui paraissait avoir reu le sourire dune hache dans le plexus, un autre dans la joue. Il essaya de se relever, et eut la douloureuse sensation dtre trop en morceaux pour seulement parvenir respirer. Aspirer lair lintrieur de sa poitrine lui donnait limpression davaler du verre pil. Une partie de la voile principale du bateau-wyrm, gonfle de vent, tranant ses cordages derrire elle, sloignait en dansant le long du rivage de llot comme un fantme joyeux, comme un spectre gambadant les bras tendus. Fith se mit boiter vers la carcasse du bateau. Quelques flches sifflrent au-dessus de lui. Les archers descendaient de leur roche pour atteindre lpave. Les voiles rouges des autres Hradcana se rapprochaient en traversant la glace. Fith entendait le piaillement des lames de leurs patins. La glace sur son chemin tait parseme de dbris. Ici, un morceau de mt bris. Plus loin, une partie du patin droit arrach, son fer plant dans la glace fendue comme la flche quaurait tir un gant. Il trouva devant lui une section despar. Fith la ramassa, et sen saisit comme dune arme. L, le corps de Guthox. En roulant sur lui-mme, le bateau lavait jet au-dehors, et lun des patins lui tait pass dessus en laplatissant au niveau de la taille. Une flche hradcana siffla prs du visage de Fith. Il ne sursauta pas. Sa hache gisait prs de Guthox, et il jeta lespar de ct. Il ramassa sa hache. Tout prs de la ruine du bateau-wyrm, Lern hissait le cadavre de lUpplander sur les rochers de la ligne ctire. Le sang dgoulinait librement dune moiti du visage de Lern et trempait sa moustache. Fith boitilla plus vite pour les atteindre. Lorsquil quitta la glace et posa le pied sur les galets quelle avait agglomrs, les Hradcana taient parvenus suffisamment prs pour quil vt leurs yeux fous et le mlange blanc de glu et de cendre recouvrant leurs visages. Ils taient si prs quil parvenait sentir lodeur marque de leurs onctions rituelles. Cette odeur tait celle des ptes nausabondes que leur gothi avait prpares, des cataplasmes daversion pour maintenir le maleficarum lcart. Les guerriers staient dpartis de leurs arcs pour se saisir de leurs pes et de leurs haches. Un mauvais prsage ne pouvait pas se contenter dtre simplement tu. Il devait tre taill en pices, coup en morceaux, dmembr et effac des mmoires. De cette seule faon la magie vous laisserait-elle en paix. Brom stait lev pour les affronter avec sa hache. Fith stonnait quil parvnt encore ne fut-ce qu se tenir debout. Lui-mme boita pour aller se tenir au ct de Brom. Lun des Hradcana criait vers eux. Ce ntait pas un dfi ou une menace, mais un rituel, une dclaration dintention, une proclamation de ce quils faisaient et de la raison pour laquelle ils le faisaient. Fith le percevait la cadence chantante de ses mots, plutt que par les mots en eux-mmes. Le guerrier employait le langage intime de la tribu des Hradcana, leur parl-du-wyrd, que Fith ne comprenait pas. Ceci planait sur vous et sur vos ttes, pour le jour et la nuit, pour le temps de la mer mobile et pour le temps de la mer fige, dit soudain lUpplander voix haute alors que Fith le dpassait. Il ntait donc finalement pas mort, bien que ses deux jambes eussent manifestement t brises toutes les deux dans la destruction du bateau. Lern, le sang continuant de lui couler du cuir chevelu, essayait de le mettre labri, mais lUpplander le repoussait, et chercha se hisser sur un des rochers. Ceci est le wyrd que vous avez crit pour vous-mmes en accueillant le dsastre dans votre aett et en dcidant de le protger, continua lUpplander. Il regarda vers Fith. Cest ce quils sont en train de dire. Mon traducteur me le transcrit. Vous comprenez ce quils disent ? Fith fit non de la tte. Pourquoi me considrent-ils comme un dsastre ? Quai-je fait ? Fith haussa les paules. Une illumination soudaine passa sur le visage tir de lUpplander. Oh, cest cause du traducteur. Ce quils disent est littral, juste littral Ds-astre Mauvaise toile. Ils mont appel mauvaise toile . Fith se rangea prs de Brom face aux Hradcana. Le guerrier achevait sa dclaration. Derrire lui, Fith entendait lUpplander lui en traduire la fin. Les Hradcana se jetrent sur eux. Les deux Ascommani reurent la charge sans boucliers. Leurs coups sabattirent sur la premire range de visages et frapprent la seconde dans un geste ascendant. Comme le reflux de la mer quand celle-ci tait liquide, les Hradcana reculrent avant de savancer nouveau sur les galets. Brom trancha lpaule dun homme. Fith fit clater en morceaux la mchoire dun autre et parvint lui arracher son bouclier, dont la bosse de fer centrale frappa ensuite en plein visage le Hradcana suivant venir chercher une ouverture, et lui enfona larte du nez lintrieur du crne. Une grosse hache deux mains siffla vers Brom, mais Fith la dtourna avec son bouclier pris lennemi, et Brom ouvrit le ventre de son propritaire durant le temps o ses bras demeurrent levs. La vague suivante arriva, se brisa contre leur bouclier. Il leur fallait chaque fois reculer de quelques pas. Les bateaux-wyrms aux voiles rouges accostaient sur la plage, et leurs hommes dbarquaient. Tu crois quils ont amen assez de guerriers ? demanda Brom, qui haletait, et dont le visage avait perdu ses couleurs sous la douleur et dans leffort. Mais il y avait encore du rire dans sa voix. Certainement pas assez, dit Fith. Et certainement pas assez de fils non plus. Lern abandonna lUpplander sur les rochers et vint rsister auprs deux. Il ramassa une pe dans la main dun mort, len remercia, et courba le dos face cette mare. Lorage arrivait derrire eux. Il balayait en hurlant le champ de glace, balayait la mer fige en mugissant comme un chur du Sous-monde. Tout ce qui autour deux ntait pas fixe commena trembler. Les trois Ascommani sentaient les grlons leur piquer le cou et larrire de la tte, ils les entendaient tinter contre les mailles de leurs chemises. La tempte faite dhommes se trouvait quant elle en face deux. Ils taient hradcana pour la plupart, trois ou quatre fois vingt, le visage peint pour la tuerie, mais il y avait aussi des Balt, venant tout juste darriver sur leurs bateaux plus lents, et qui remontaient la plage nappe de glace, le pas glissant, lair avide. Leur impatience tait trange ; ne du dsespoir, le souhait frntique dtre libr dun fardeau ou dune maldiction, de se dcharger dune tche pesante et den avoir fini avec elle. Ils ne hurlaient pas, ne poussaient pas de cris de guerre, aucun beuglement exprimant une fraternit ou une intention commune. Ils navaient pas got cela, ou peut-tre la peur leur avait-elle rendu ces cris amers. Au lieu de quoi ils rcitaient, de faon lente et rgulire. Ils dclamaient les couplets de bannissement et daversion quils avaient appris enfants, autour du foyer commun de leur aett ; les mots aiguiss, les mots puissants, les mots chargs dnergie, les mots qui possdaient un tranchant suffisamment mortel pour tenir en respect les mauvaises toiles. Mais la mauvaise toile les tenait elle aussi en respect. Ils formaient une grande troupe dhommes : principalement des hersirs, vtrans, marins des glaces, des hommes forts aux bras paissis par le travail la hache, le dos rendu large par la rame. Ils recouvraient la plage : une arme, plus grande que celle de tout raid convenable, autant de visages que Fith en avait jamais vus en un seul endroit. Un ost tel que celui-ci aurait permis de prendre tout un royaume. De conqurir tout entier le territoire dun chef. Tout ce que ces hommes avaient faire tait de tuer trois hersirs et un clop. Trois hersirs et un clop qui navaient quun seul bouclier eux tous, coincs sur une langue de galets au milieu du nant glacial, sans plus nulle part o fuir, ni rien derrire eux, except linimiti de plus en plus proche dune ultime tempte psychopathe pour cet hiver. Et ils hsitaient pourtant. Ils se montraient prudents. Leurs assauts navaient aucune conviction. Quand ils slanaient, ctait avec la peur dans les yeux et lhsitation dans leur lame. Chaque assaut repoussait les Ascommani un peu plus vers la glace, l o se tenir le pied ferme et sopposer une pousse deviendrait impossible ; mais aprs une demi-douzaine dattaques, Fith, Brom et Lern avaient mis terre dix hommes qui rougissaient la neige en dessous deux. Alors Fith aperut le gothi des Balt, Hunur. Un bateau-wyrm venait tout juste de lamener, et des hersirs le portaient jusqu la plage. Il se dressait bien droit, les pieds cals sur leurs paumes jointes, maigre comme le chien quil tait, agitant son bton en bras dours vers lUppland au-dessus de leurs ttes. La lumire de lorage, plus jaune et plus givreuse mesure que le ciel descendait sur eux, luisait sur ses anneaux et sur son torque dargent. Les plumes doiseaux de mer accroches sa chevelure flottaient dans lair derrire lui, blanches comme les premires neiges. Et lui hurlait. Il hurlait des imprcations caustiques dans le vent tonitruant, en appelait aux esprits des airs et aux revenants du Sous-monde et tous les dmons de lHel pour quils vinssent touffer cette mauvaise toile. Fith ressentait un picotement sur sa peau qui ntait plus seulement celui de la grle. La vue du gothi rendit de lardeur aux Hradcana, elle et le bruit de ses braillements. Ils slancrent nouveau, et Fith sut que cela allait tre leur assaut le plus brutal jusqu prsent. Demble, le choc de ce contact fit reculer dun pas les trois Ascommani. Deux haches accrochrent le bouclier de Fith et labaissrent terre. Une troisime brisa son cerclage. Fith enfona sa propre hache dans le crne dun Hradcana, puis fit levier pour larracher de ce poids mort qui seffondra, et frappa nouveau. Le manche de larme brisa la pommette dun casque et fractura le bord dune orbite. Fith ne pouvait plus couvrir le flanc de Brom. Brom tait abruti par la fatigue et la douleur. Il raillait ladversaire et le frappait avec sa hache, mais il ne restait dans son bras plus aucune force ni aucun talent. Fith entendit Lern crier Brom de garder les yeux levs. Lern se servait toujours de son pe demprunt. Face une pareille pousse, il savait prfrable dutiliser la pointe plutt que le tranchant, et piquait hauteur de ceinture, raclant les ctes, dchirant les hanches et perant les ventres. La lame tait bonne, avec une pointe acre qui cassait les mailles des chemises et perforait la chair en dessous. Puis lun des Hradcana lui opposa un bouclier, et lpe de Lern passa droit au travers, de presque la longueur dun avant-bras ; passa droit au travers et resta coince dans le grain serr du bois. Lern chercha len ressortir, mais le possesseur du bouclier tira en arrire et emporta Lern hors de leur file. Les Hradcana le prirent et tranchrent son fil : quatre ou cinq pes ennemies frapprent de la pointe et le percrent de faon rpte, rptant la leon que Lern venait de leur donner. Il disparut sous leurs pieds, et la vague passa au-dessus de lui. Brom tait genoux, sans plus avoir vraiment conscience de lendroit o il se trouvait. Fith avait les deux mains serres autour du manche de sa hache, et les deux poings dgoulinant de sang. La vague recula et se scinda, et le gothi des Balt approcha. Les hersirs balt continuaient de le porter sur le pavois fait de leurs mains. Il pointa son bton dos sur Fith, et pendant un instant, il sembla que tous deux taient seuls sur cette grve battue par les intempries. Le gothi commena parler. Il commena prononcer les paroles magiques afin de forger un sort qui dbarrasserait cette plage de la prsence de Fith. Les hommes autour de lui, Hradcana et Balt, couvrirent leurs yeux ou leurs oreilles. Les porteurs dHunur se mirent pleurer, car leurs mains taient prises, et ils ne pouvaient se protger de ses mots. Fith ne comprenait pas leur sens, et ne le souhaitait pas. Sa prise se serra autour de la gorge de sa hache, tandis quil se demandait sil pouvait atteindre le gothi et enfoncer le sourire de sa hache dans son visage perc avant dtre massacr par les Hradcana et les Balt, ou si la magie du gothi allait avant cela changer ses os en eau des fontes. a suffit. Fith regarda par-dessus son paule. LUpplander, recroquevill labri dun rocher noir et humide, ses jambes brises tordues sous lui, venait de parler. Ses yeux taient levs vers Fith. Fith le voyait trembler. Sa chaleur se rpandait hors de sa bouche en nuages fumants. La neige mle de pluie les fouettait tous les deux, et stait accroche en petits paquets blancs dans ses cheveux plaqus. Quoi ? lui demanda Fith. Jen ai entendu assez, dit lUpplander. Fith soupira. Ah bon ? Vraiment ? Alors voil que tu veux la misricorde de ma hache, maintenant que nous en sommes arrivs l ? Tu naurais pas pu me rclamer ce service plus tt, avant Non, non ! larrta lUpplander. Chacun de ses mots lui cotait un effort, et il lagaait manifestement de devoir parler plus quil ntait strictement ncessaire. Jai dit : jen ai entendu assez, rpondit-il. Jai suffisamment entendu ce chaman. Mon traducteur a suffisamment chantillonn ses lucubrations et il a recueilli une base grammaticale fonctionnelle. Fith ne comprenait pas. Aidez-moi me redresser, lui ordonna lUpplander.

Fith tira sur lpaule de lUpplander pour le faire tenir un petit peu plus droit. Le moindre mouvement le faisait grimacer de douleur ; les os pulvriss de ses jambes frottaient les uns contre les autres, et les larmes qui lui montaient aux yeux gelaient au bout de ses cils infrieurs. Trs bien, parfait, dit-il. Il ajusta le petit outil de traduction cousu son col rembourr. Il se mit parler. Une norme voix, dure et mtallique, retentit depuis lappareil. Le son inquita Fith. Cette voix grondait des mots semblables ceux que le gothi criait vers eux. Le gothi se laissa descendre des mains de ses hersirs et sarrta de hurler. Il fixait Fith et lUpplander. De la terreur se lisait sur son visage agit de rflexes nerveux. Les Hradcana et les Balt faisaient mine de reculer, inquiets et dstabiliss. Quest-ce que tu lui as dit ? demanda Fith dans le silence qui suivit alors que le gros temps senflait autour deux. Jai utilis ses maldictions contre lui, dit lUpplander. Jai dit que je ferais sortir un dmon de la tempte sils ne reculaient pas. Sils ont peur de moi parce quils croient que je suis une mauvaise toile, autant me comporter comme tel. Le gothi baragouinait lattention de ses guerriers, essayant de les aiguillonner de nouveau pour mettre un terme laffaire, mais ces derniers rechignaient rellement avancer. Le gothi perdait patience. Il continua de fixer Fith et lUpplander avec le mme regard terrifi quauparavant. Tout comme bon nombre de ses hommes. Fith ralisa tout compte fait quaucun deux ne regardait rellement vers lui ou vers lUpplander. Ils regardaient plus loin. Ils regardaient ltendue de glace, vers la mer fige, vers la tempte infernale qui approchait en meuglant et teintait le ciel de noir. Fith se tourna, le vent dans les cheveux et la grle en plein visage, pour voir lorage se rapprocher. Ctait un tapis sombre et bas, quil voyait enfler comme du sang se rpandant dans leau. La neige et la pluie formant sa lame dtrave brouillaient lair comme un nuage de poussire. Des clats de glace senvolaient de la surface de la mer gele, pris comme